Section 2. Revue Empirique
Il convient donc de revisiter un certain nombre des
relations-clés qui fondent l'approche de Mc Kinnon et de Shaw.
En premier lieu, l'ensemble de la théorie de la
libéralisation financière suppose une relation croissante entre
taux d'intérêt réel et épargne.
Ceci ne prend en compte que l'effet de substitution qui
implique un accroissement de l'épargne lorsque sa
rémunération s'accroît. Pourtant, il faut y ajouter un
effet revenu qui, au contraire du précédent, implique une
relation décroissante entre épargne et taux
d'intérêt réel.
Au total, l'effet est donc ambiguë, sauf à
supposer, comme le fait Mc Kinnon, que l'épargne est initialement faible
dans les pays en voie de développement que l'augmentation de sa
rémunération ne peut avoir qu'un effet positif sur celle-ci.
En second lieu, l'approche de Mc Kinnon et de Shaw est
fondée sur l'hypothèse implicite que le marché financier
est un marché parfait.
Alors que, Stiglitz et Weiss (1981) ont
montré qu'il pouvait exister un rationnement du crédit,
même sur des marchés compétitifs du crédit. Cela
implique que la libéralisation financière pourrait
s'avérer, par essence, inefficace compte tenu des imperfections du
marché du crédit. Structurellement, les marchés du
crédit ne sont pas des marchés ordinaires, dans la mesure
où ne s'y échangent pas des biens contemporains, mais des fonds
auxquels sont attachés des promesses de rendement dans le futur. Il
existe donc un risque de défaut, variable d'un prêt à
l'autre. Cette variabilité des risques de défaut pose le
problème de l'information et de sa collecte par le prêteur. Si
celui-ci ne peut déterminer avec précision le risque
attaché à chaque emprunteur ou s'il ne peut parfaitement agir en
fonction de la connaissance de ces risques, alors les imperfections
informationnelles peuvent conduire à des processus
d'anti-sélection. La banque, par exemple, peut être conduite
à augmenter ses taux créditeurs si l'information est imparfaite.
Autrement dit, elle va sanctionner tous ses débiteurs en les
considérant comme imparfaitement sûrs parce qu'elle n'aura pas
été à même de déterminer avec
précision le risque attaché à chacun d'entre eux. Ce
comportement a deux conséquences majeures : les
entreprises vont alors privilégier des projets plus risqués
compte tenu du niveau élevé des taux d'intérêt et la
banque va plutôt attirer de mauvais emprunteurs qui, compte tenu du
niveau élevé des taux d'intérêt, seront relativement
peu sensibles à ne pas honorer leurs charges de crédit.
Cho (1986}, lui aussi, souligne l'importance
des problèmes informationnels sur les marchés de crédit :
« les régimes seuls d'intérêt libres ne sont pas
suffisants pour assurer une allocation optimale complète du capital
lorsqu'il existe des imperfections d'information.
Les banques vont éviter de financer de nouveaux groupes
d'emprunteurs productifs parce qu'ils seront perçus comme trop
risqués, et cela même si les banques sont
neutres au risque ou qu'il n'existe pas d'administration des
taux d'intérêt »0. En d'autres termes,
l'allocation du crédit ou l'existence de banques d'Etat
d'investissement, loin d'avoir une influence perturbante sur le marché,
pourraient être une réponse aux imperfections de marché.
En troisième lieu, une série de problèmes
se pose en ce qui concerne la hausse des taux d'intérêt induite
par la libéralisation financière. Il peut se poser un
problème transitoire pour le secteur bancaire et le gouvernement, le
temps que ceux-ci s'adaptent au nouveau niveau des taux d'intérêt.
En ce qui concerne les banques, elles peuvent subir des pertes sans
transformation des échéances.
En effet, les banques accordent de façon structurelle
des prêts d'une échéance moyenne à longueur
supérieure à celle des dépôts qu'elles collectent.
Si ces prêts sont accordés à taux fixe, et si les taux
servis sur les dépôts s'accroissent consécutivement
à la libéralisation financière, alors il s'en suivra une
diminution provisoire de la marge bancaire liée à
l'impossibilité pour les banques de répercuter
immédiatement l'augmentation du coût de leurs ressources. Cette
situation place le secteur bancaire dans une situation de fragilité
transitoire.
De même, la hausse des taux d'intérêt n'est
pas sans incidence sur le déficit budgétaire : le poids du
service de la dette publique augmentant et le déficit public peut se
creuser davantage. Le phénomène peut être encore
amplifié si la libéralisation financière réduit
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les revenus fiscaux prélevés sur le secteur
bancaire ou réduit la part des bons du trésor à l'actif
des banques.
Dans un modèle récent, V.R. Bencivenga
et B.D. Smith (1990} montrent que, compte tenu de l'absence de
marchés financiers directs qui oblige le gouvernement à
monétiser son déficit budgétaire, il peut y avoir un
degré optimal de répression financière. Les deux auteurs
en concluent que les économies connaissant un déficit
budgétaire public important n'ont pas intérêt à
mettre en place un processus de libéralisation financière.
Le taux d'intérêt nominal peut s'élever
au-dessus du taux d'inflation, ce qui peut conduire, selon Beckerman
(1988) à une «répression financière
supplémentaire». Pour lui, en effet, le taux d'intérêt
réel d'équilibre peut être négatif'. Dès
lors, chercher à rendre les taux d'intérêt réels
positifs, c'est introduire des distorsions importantes dans l'économie
et handicaper le développement économique.
En dernier lieu, l'approche de Mc Kinnon et
de Shaw (1973) néglige un des aspects structurels les plus
caractéristiques des économies en voie de développement:
l'existence d'un secteur financier informel. Pour les tenants de la
libéralisation financière, ce dualisme financier n'est qu'un
avatar de la répression financière et de la fragmentation de
l'économie.
Pourtant, comme le souligne Jensen (1989), « l'existence
d'un marché financier non financier non officiel n'est pas
forcément
la preuve nécessaire de la répression
financière, mais plutôt la manifestation d'une
organisation particulière de la production et du
marketing »0 . La remise en cause du lien entre
répression financière et existence d'un secteur financier non
officiel fonde les critiques apportées par les
Néo-Structuralistes aux thèses de McKinnon et de shaw.
Selon Fry (1988), les mécanismes
d'ajustement des modèles néo-structuralistes sont
keynésiens : le taux d'intérêt de marché du secteur
informel s'ajuste de telle manière que l'offre et la demande de
crédits et de monnaie s'égalisent.
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Sur le marché des biens, l'ajustement entre l'offre et
la demande se fait par les quantités et non par les prix. Par ailleurs,
l'inflation y est déterminée par les coûts. Ainsi,
appliquer la logique des modèles « mac-kinnoniens » ne
pourrait que détériorer la situation économique du pays.
En effet, augmenter les taux d'intérêt nominaux ne peut
qu'accroître l'inflation. De même, pratiquer une dévaluation
(comme le prône Mathieson (1979) ne ferait que renchérir le
coût des importations et donc ralentir la croissance. Pour les
NéoStructuralistes, la libéralisation financière ne
conduirait donc qu'à la stagflation. Les marchés financiers
informels sont au centre de l'analyse néo-structuraliste. Les
prêts sur les marchés informels apparaissent donc comme une
alternative aux dépôts bancaires, d'autant plus que les capitaux
sont supposés circuler librement entre les deux secteurs. Le
problème consiste donc à déterminer qui, du secteur
bancaire officiel ou du secteur informel, est le plus à même de
stimuler la croissance de l'économie P.
Pour les néo-structuralistes, le secteur non officiel
est, par nature, plus efficace que le secteur bancaire. Les réserves
obligatoires constituées par les banques sont, dans les modèles
néo-structuralistes, un obstacle à l'intermédiation
financière. En effet, elles réduisent l'offre réelle
totale de crédit pour les entreprises. Si on suppose, à la suite
de Mc Kinnon (1973), que la libéralisation financière doit
s'exercer au travers d'une augmentation du taux d'intérêt
réel sur les dépôts, alors celle-ci ne peut avoir, dans les
modèles néo-structuralistes, qu'un effet négatif sur la
croissance.
Une augmentation de ce taux a deux conséquences
majeures. D'une part, elle accroît le coût du capital productif, ce
qui conduit à une augmentation du niveau général des prix
et à une baisse de l'investissement qui réduit le taux de
croissance de l'économie. Et d'autre part, l'augmentation du taux
d'intérêt peut réduire la demande d'encaisses
monétaires, ce qui affecterait alors, à la baisse l'offre de
prêts sur les marchés financiers informels, provoquant ainsi une
augmentation du taux d'intérêt nominal sur le marché
informel.
Van Wijnbergen (1983) et de Taylor
(1983), trouvent que la libéralisation financière qui
vise à accroître la rémunération réelle
servie sur les dépôts bancaires ne provoquerait que des effets
néfastes.
L'approche néo-structuraliste pose, elle aussi, un
certain nombre de problèmes. Les conclusions des modèles reposent
sur deux hypothèses fondamentales qui semblent peu satisfaisantes :
l'efficacité du secteur informel dans l'allocation des ressources et la
constitution systématique de réserves obligatoires par le
système bancaire. En ce qui concerne la capacité du secteur
financier non officiel à allouer les ressources de manière
optimale dans l'économie, force est de constater qu'il s'agit
essentiellement d'une hypothèse ad hoc. Même si la contribution du
secteur informel à la croissance du revenu national paraît
indéniable dans certains pays (près de 40% du PIB au
Burkina-Faso, par exemple), il n'y a pas de secteur financier informel
homogène. Il s'agit plutôt d'une multitude de micromarchés
géographiques n'ayant que peu de rapports entre eux et prenant des
formes très différentes (tontines, prêteurs
individuels...). Dans ces conditions, il paraît difficile de parler de
taux d'intérêt unique d'équilibre du secteur non
officiel.
Par ailleurs, G. Christensen (1993) a
tenté de montrer que le secteur financier informel n'exerce pas
réellement une activité d'intermédiation
financière. En effet, l'intermédiation bancaire s'exerce au
travers de deux fonctions principales : la mobilisation de l'épargne et
le financement de l'activité (prêts et investissements)
grâce à la transformation de ressources courtes en emplois
longs.
La plupart des intervenants du marché financier
informel ne remplissent pas ces trois conditions en même temps : les
prêts ont une maturité très courte et sont de faibles
montants, ce qui implique des coûts de transactions élevés.
Par ailleurs, on constate souvent une relative spécialisation de
l'activité de collecte d'épargne ou l'activité de
prêts.
S'agissant des ressources intérieures publiques, Tanzi
et Zee (2000) ont confirmé que le ratio de l'impôt au PIB dans un
pays donné est déterminé par un ensemble de facteurs
structurels, principalement le revenu par habitant, le degré
d'urbanisation, le taux d'alphabétisation, la part de l'industrie, de
l'agriculture et des industries extractives dans le PIB et le niveau des
échanges commerciaux. Ces études ont été
corroborées par Bird et autres (2004).
Cependant, DIAGNE et THIAW (2008) ont
affirmé que le secteur informel au Sénégal ne constitue
pas un grand gisement fiscal dans la mesure où l'impôt
théoriquement dû par les entreprises du secteur informel ne
représente environ que 3% de leur chiffre d'affaires.
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Toutefois, il convient de signaler que si ces entreprises se
formalisaient, elles seraient soumises au régime normal qui leur
appliquera des taxes plus importantes.
Madai et autres, (2008) ont
relevé, en sus de ces variables, le degré de
monétarisation de l'économie et la préférence pour
la liquidité parmi les déterminants de la fiscalité au
Niger. Le degré de monétarisation de l'économie est
appréhendé par le ratio de la masse monétaire au PIB
nominal (coefficient de liquidité). Il favorise la
traçabilité des transactions économiques et donc leur
imposition. S'agissant de la préférence pour la liquidité,
elle est estimée par la part des billets et pièces dans la masse
monétaire. Elle apprécie le poids des transactions
effectuées sur billets et pièces ou en cash au détriment
de transactions avec des moyens de paiement beaucoup plus modernes
(chèques, cartes et virements bancaires, etc.). Elle est
préjudiciable au recouvrement de recettes budgétaires.
Selon Piancastelli (2001), les comparaisons
de performances en matière de recouvrement de recettes fiscales doivent
être fondées sur la capacité contributive du pays qui est
le rapport entre la pression fiscale effective et l'estimation du potentiel de
recouvrement fiscal de l'économie.
L'application de cette méthode dans le rapport de la
Banque Africaine de Développement et de l'OCDE sur les perspectives
économiques en Afrique de 2010 montre que sur 42 pays africains, ce
ratio varie entre 0,5 et 3 en 2007 et que le niveau élevé de
l'effort fiscal de la plupart des pays s'explique essentiellement par les
ressources minières (pétrole, pierres précieuses).
Pour le cas du Sénégal, ce ratio est
évalué à environ 1 ; ce qui signifie que le niveau de
recouvrement est conforme aux caractéristiques structurelles de
l'économie. Cette étude est reprise par l'AMAO (2001) pour les
pays de la CEDEAO.
Cabrillace et autres (2008) ont
précisé l'importance du marché des titres publics,
qui constitue la 1ère étape pour
développer le marché des titres privés par la mise en
place d'infrastructures de marché appropriées, par les effets
d'apprentissage des acteurs de marché et par la constitution d'un
portefeuille de titres de référence. Ce marché des titres
publics permet, par ailleurs de stimuler l'épargne des ménages,
de réduire le risque de change global et de faciliter le financement par
l'Etat de son programme d'investissement (emprunts obligataires) et de couvrir
ses besoins temporaires de trésorerie (Bons de Trésor).
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S'agissant de l'épargne privée, Serres
et Pelgrin (2001) estiment qu'elle est influencée par les taux
d'épargne du secteur public, la structure démographique de la
population (mesurée par le ratio de dépendance des personnes
âgées), le taux de croissance de la productivité de la
main-d'oeuvre, les variations des termes de l'échange, le taux
d'intérêt réel et le taux d'inflation.
Toutes ces remarques remettent quelque peu en cause, le
postulat néo-structuraliste attribuant au secteur informel une grande
efficacité quant à l'allocation des ressources.
Quant à la constitution de réserves obligatoires
par le secteur officiel, Kapur (1992) revient sur les
conclusions des néo-structuralistes en affirmant que les réserves
détenues par le secteur bancaire officiel sont un gage de
liquidité à court terme et donc qu'elles accroissent la
sécurité du système. L'avantage du secteur officiel, c'est
sa liquidité. Si le secteur informel veut connaître la même
sécurité, il doit, lui aussi, constituer des réserves. En
l'absence de celles-ci, les agents courent un risque de liquidité
important qui explique le niveau élevé des taux
d'intérêt sur les marchés informels. Il arrive à la
conclusion que, dans une économie où le secteur financier
officiel est libéré de ses contraintes, les agents vont
détenir à la fois des actifs du secteur non officiel (moins
liquides mais mieux rémunérés) et des dépôts
bancaires.
Cette conclusion de Kapur est intéressante dans la
mesure où elle admet une certaine complémentarité entre
les deux secteurs.
Par ailleurs, il faut souligner les trois principaux avantages du
secteur informel :
? sa bonne implantation géographique dans des zones
où il est difficile au secteur bancaire officiel de s'implanter compte
tenu des coûts;
? l'absence d'asymétrie d'information entre
prêteurs et emprunteurs dans la mesure où les prêts ne sont
accordés qu'à des individus membres de la communauté
(village, quartier...) où l'information circule très vite
? et enfin, la faiblesse du risque d'aléa de
moralité car les mauvais débiteurs risquent l'exclusion pure et
simple de la communauté.
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En ce qui concerne les marchés financiers, Mac-Kinnon
(1973) et Shaw (1973) soulignent que pour améliorer leur
efficacité, il faut nécessairement une libéralisation
financière. Toutefois, Mac-Kinnon (1991) indique que la discipline
budgétaire et le contrôle monétaire sont les
préalables à la mise en place de politiques de
libéralisation financière. Pour Johnston et Pazarbasioglu (1995),
les politiques macro-économiques de stabilisation constituent le
préalable à toute libéralisation. Quant à Fry
(1998), il insiste sur les différences institutionnelles (les modes et
la qualité de la supervision prudentielle).
Serieux (2008) met en évidence la
nécessité de changements structurels plus profonds. Probablement
au-delà de la politique financière ; si l'on souhaite
améliorer sensiblement l'analyse de la stratégie de financement
des banques suivant l'impact qu'elles fassent dans l'économie
nationale.
Ainsi, nous abordons le cadre méthodologique, dans le but
d'étayer la méthode adoptée dans notre travail.
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