Dans les jeux de contribution volontaire à un bien
public, les membres d'un groupe font face à un dilemme social. Chaque
individu doit investir tout ou une partie de ses ressources ( sa dotation) soit
dans un bien privé, soit dans un bien public. Le bien privé
rapporte à l'individu un gain qui est uniquement fonction de son
investissement personnel dans ce bien, tandis que le bien public rapporte
à chaque individu du groupe un gain qui est fonction de l'investissement
collectif des membres du groupe pour le bien public. Le dilemme réside
dans le fait que le gain marginal du bien privé est supérieur au
gain marginal du bien public. La fonction de gain totale, telle que la
définissent ISAAC, WALKER et THOMAS (1984)3(*)5, connaît deux issues
opposées. L'équilibre de NASH du jeu est atteint lorsque aucun
des membres du groupe ne contribue au financement du bien public (c'est la
stratégie dominante de sous jeu ou stratégie de passage
clandestin « Free Riding ». L'optimum de Pareto est obtenu
lorsque tous les membres du groupe avancent l'intégralité de leur
dotation pour le bien public.
Les résultats des expérimentations
précédentes portant sur les contributions volontaires
(LEDYARD3(*)6) montrent
que les individus ne souhaitent ni contribuer par l'intégralité
de leur dotation, ni jouer la stratégie de passage clandestin mais
choisissent un niveau de contribution intermédiaire. Ces contributions
diminuent avec les répétitions du jeu et approchent la
contribution d'équilibre. Parmi les différentes hypothèses
formulées pour expliquer ce comportement complexe, NEVEU avance :
les erreurs de compréhension des règles de l'expérience et
la définition du niveau de financement efficient du bien public.
La première hypothèse tient au fait que les
individus peuvent ne pas avoir saisi les règles de l'expérience.
ANDREONI3(*)7 explique
ceci par le fait que les individus cotisent avec une partie de leur dotation
sans véritablement savoir pourquoi. Toujours selon ANDREONI, les
individus, suite à un apprentissage au cours des
répétitions du jeu, assimilent les règles de
l'expérience et les conséquences de leurs choix. Ils versent
ainsi des sommes qui tendent vers la stratégie de passage clandestin et
qui convergent vers l'équilibre de NASH du jeu. Pour rendre compte des
comportements volontaires de contribution et de les distinguer des
éventuelles erreurs de compréhension, beaucoup
d'expérimentalistes3(*)8 ont eu recours à la définition d'un
jeu dont l'équilibre de Nash est obtenu par une contribution partielle
des joueurs. Dans un tel jeu, des contributions supérieures et
inférieures à la contribution d'équilibre doivent
apparaître si des erreurs de compréhension sont à la source
du choix des individus. En revanche, si les joueurs assimilent les
règles mais tentent de développer un comportement
coopératif, alors seules des contributions au-dessus de
l'équilibre émergeront. Ces études montrent que les
joueurs, en toute connaissance de cause, contribuent au bien public par des
montants supérieurs à la contribution d'équilibre. Le
phénomène de « sur-contribution » par rapport à
la stratégie d'équilibre n'est donc plus lié à des
erreurs de choix. Reste la question des choix de contributions sous optimales.
Si les individus choisissent volontairement des contributions
supérieures à la contribution d'équilibre, pourquoi ne
choisissent-ils pas la pleine coopération, qui serait collectivement
plus profitable ? Cette question suppose que le problème du passage
clandestin n'est plus l'unique facteur explicatif du comportement non
coopératif des individus. Il semble donc qu'il soit intéressant
de comprendre pourquoi le bien public n'est que partiellement financé
dans les jeux de contribution volontaire.
L'auteur propose dans un premier point une explication dans
laquelle il modifie la définition de l'optimum de Pareto. Si les
individus choisissent de conserver leur richesse au détriment du
financement du bien public, la sous optimalité des contributions
s'explique par l'aversion des joueurs à contribuer par
l'intégralité de leur dotation. Un individu peut avoir saisi
l'intérêt de la coopération mais ne souhaite pas investir
l'intégralité de sa dotation, de peur d'être le seul
à agir ainsi. La diminution dans le temps du taux de contribution
serait alors due à la généralisation de ce type de
comportements en réponse aux différents niveaux de contributions
réalisés sur les périodes précédentes.
Partant de cette hypothèse, on suppose donc qu'un bien public peut
être financé sans qu'une contribution égale à la
totalité de la dotation individuelle soit demandée aux membres du
groupe. NEUVEU qualifie cette structure de financement volontaire de bien
public un « optimum intérieur ». L'équilibre de NASH
est toujours défini par une contribution nulle (c'est la
stratégie dominante de sous jeu) ; en revanche, l'optimum de Pareto ne
sera atteint que si les individus choisissent de contribuer par une partie de
leur dotation.
Intégrer un optimum intérieur ouvre un
problème de coordination des décisions individuelles. Une
règle logique de décision de contribution, permettant d'atteindre
le financement efficient, est que chaque joueur contribue par une part
équivalente du montant requis. Dans ce cas, l'optimum de Pareto dit
« symétrique » est atteint. Toutefois, si un joueur cotise
moins que cette somme et qu'un autre individu cotise proportionnellement plus
que cette somme, le bien public est également efficacement
financé, et le résultat constitue également un optimum de
Pareto mais « non symétrique ». Là,
réside le problème de coordination des décisions
individuelles pour atteindre le point optimal symétrique. Comprendre
pourquoi les individus rencontrent ce problème de coordination et
quelles motivations les conduisent à contribuer plus que la part
équivalente qui leur assure un paiement Pareto optimal symétrique
est rendu possible.
NEUVEU a fait recours à une comparaison
expérimentale de deux jeux qui diffèrent selon leur niveau
d'optimum. Dans le premier cas, le financement efficient du bien public est
obtenu lorsque 30% de la dotation agrégée du groupe est
cotisée ; dans le deuxième cas, le financement efficient est
atteint avec 70% de la dotation agrégée. L'analyse des
résultats de l'expérience met en évidence les conclusions
suivantes. Concernant le problème des choix sous optimaux des individus,
l'auteur conclut qu'une éventuelle mauvaise compréhension des
règles de l'expérience est exclue. Les joueurs contribuent
volontairement avec des montants positifs inférieurs à la
contribution optimale (des sur-contributions sous optimales). De plus, selon la
définition des optima testés (30% ou 70%), les individus n'ont
pas un comportement de contribution identique. Le taux de financement du bien
public se trouve amélioré dès que le point optimal se
rapproche de la contribution d'équilibre. Enfin, les résultats
obtenus permettent de comprendre comment les joueurs établissent leur
choix de contribution. Voyons maintenant comment l'expérience
conçue par NEUVEU a pu générer ces résultats.
2-2-1- Comparaison entre deux optima
intérieurs
Afin de savoir d'une part, si une modification de la
définition de l'optimum de Pareto influence le comportement de
contribution des joueurs et, d'autre part, si les erreurs de contributions sont
intentionnelles ou résultent d'un choix individuel
délibéré, deux traitements ont été
réalisés au cours de cette expérimentation.
Le financement efficient du bien public a été
défini à 30% et 70% de la dotation agrégée du
groupe3(*)9. Ainsi la
distance du premier optimum par rapport à l'équilibre se trouve
égale à 30% de la dotation et la distance par rapport à la
pleine contribution assure le complément de la dotation de 70%. Le
deuxième optimum se définit alors logiquement comme le
symétrique par rapport à 50% ; c'est à dire à 70%
de la dotation par rapport à la contribution d'équilibre et
à une distance de 30% de la dotation par rapport à la pleine
contribution.(voir figure 10 ci-dessous).
Equilibre (0 % )
50 %
70 %
100 %
Dotation
Equilibre (0 %)
30 %
50 %
100 %
Dotation
Fig 10
3-2-2-2- Détermination des solutions de
jeu
* 35 - ISAAC R.M., WALKER
J., THOMAS S, (1984), « Divergent evidence on free riding : an
experimental examination of some possible explanations », Public Choice,
43, 113-149.
* 36 - LEDYARD J. (1995),
« Public Goods : a survey of experimental research », 111-194, dans
AE ROTH et J KAGEL (eds.), The Handbook of Experimental Economics, Princeton
University Press.
* 37 - Andréoni J.
(1995), « Coopération in Public Goods Experiments : Kindness or
Confusion », American Economic Review, 85 (4), 891-
904.
* 38 - on peut citer
à titre d'exemple :
- KESER C. (1996), « Voluntary Contribution to a
Public Good When Partial Contribution is a Dominant Strategy »,
Economic Letters,
50, 359-366.
- SEFTON M., STEINBERG R. (1996), « Reward
Structures in Public Good Experiments », Journal of Public
Economics, 61, 263-287.
- ISAAC R.M., WALKER J. (1998), « Nash as an
Organizing principle in the Voluntary Provision of Public Goods : Experimental
Evidence », Experimental Economics, 1
(3), 191-206.
- WILLINGER M., ZIEGELMEYER A. (1999), «
Non-Cooperative Behavior in Public Goods Experiment with Interior Solution
»,
mimeo, Beta, Université de
Strasbourg.
* 39 - Nous
présentons ci-après les raisons, avancées par NEUVEU, du
recours à ce choix :
- Les optima ne pouvaient être que des multiples de 10%
de la dotation agrégée car la dotation individuelle par
période était égale à 10 jetons et les
contributions devaient être des nombres entiers.
- Les résultats expérimentaux
précédents ont montré que les joueurs contribuent en
première période entre 40 et 60% de leur dotation, les optima
à 40, 50 et 60% de la dotation agrégée ont donc
été éliminés.
- Les deux optima ont dû être
caractérisés par une distance équivalente entre les
solutions de coin (i.e. 0% ou 100%) pour pouvoir mesurer la distance entre le
choix et la contribution optimale.
- L'optimum symétrique à 10% (1 jeton
contribué par individu) n'a pas été retenu car l'espace
des erreurs par rapport à l'équilibre (0 jeton contribué)
aurait été quasi-inexistant. L'optimum à 20% (2 jetons
contribués par individu) aurait également défini une zone
d'erreur trop faible.
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