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Economie experimentale et théorie des jeux.par Adil FERTAH Université Cadi Ayad - Diplôme des études supérieures approfondies en sciences économiques 2003 |
Chapitre II Théorie des jeux et modélisationdes interactions interindividuelles«Von Neumann and Morgenstern's theory is based on an analysis of the interrelationships of the various coalitions which can be formed by the players of the game. Our theory, in contradiction is based on the absence of coalitions in that it is assumed that each participant acts independently, without collaboration of communication with any of the others.»(*) Dans le chapitre précédent nous avons présenté l'économie expérimentale comme nouvelle technique d'investigation, en mettant, ainsi, en lumière les différentes raisons du recours au laboratoire sans oublier ses limites et faiblesses. Nous avons été intéressé aussi par les différents champs d'application de cette (nouvelle) méthode à savoir la théorie des marchés, la théorie des choix individuels et la théorie des interactions stratégiques entre individus. Et c'est sur cette dernière que nous allons nous concentrer dans le présent chapitre en essayant dans un premier point de présenter un bref aperçu sur l'objectif de cette discipline censée avoir intéresser un grand nombre d'expérimentateurs et présenter un champ d'application fertile pour eux ainsi que la présentation de ses notions de base ( Section I). Dans un deuxième point, nous essayerons d'analyser les deux situations importantes en théorie des jeux à savoir les interactions interindividuelles dans un environnement non coopératif et celles dans un environnement coopératif, ainsi que l'analyse des différents concepts de solution présentés dans chaque cas ( Section II ). Section I. Bref Apercu sur la théorie desjeux : notions de base1 -1- Théorie des jeux : ObjetLa théorie des jeux est une théorie dont on peut voir l'acte de naissance dans l'oeuvre de VON NEUMANN et MORGENSTERN publié en 1944 et intitulé « Theory of Game and Economic Behavior ». Cet ouvrage se situe à la fois dans le prolongement et en rupture avec les réflexions sur les jeux de hasard, qui ont donné naissance au calcul des probabilités. L'objet de la théorie des jeux tel qu'on l'entend depuis Von NEUMANN et MORGENSTERN est l'étude des interactions des comportements de plusieurs individus ( au moins deux) qui sont conscient de l'existence de ces interactions. Avant cette période la seule conception du processus compétitif était celle véhiculée à travers l'Equilibre Economique Général ( EEG) dans lequel, comme l'atteste LAKHDAR1(*), Communication et interdépendance sont médiatisées par le système prix. Toute communication interindividuelle autre que celle qui passe par les prix est bannie. Dans ce contexte les phénomènes de pouvoir, de mimétisme et de confiance sont occultés. Ceux-ci portent sur des relations interindividuelles et non sur des relations entre sujets et objets. L'étude de ces relations nécessite une logique autre par rapport au modèle de l'EEG. Une logique où la décision d'un agent est fonction de son comportement mais aussi des comportements de ses partenaires.2(*) A sa naissance, la théorie des jeux promettait de placer toute la théorie économique en forme stratégique dans laquelle le concept du processus compétitif devrait être restructuré et reformulé en fonction des jeux stratégiques3(*). Avant cette naissance4(*) c'est à dire avant que le mathématicien VON NEUMANN et l'économiste MORGENSTERN ne publient en 1944, leur livre fondateur « Theory of Games and Economic Behavior » les économistes n'avaient guère de moyens pour analyser correctement les interactions stratégiques entre les entreprises. Les recherches se limitaient aux situations dans lesquelles ou bien les concurrents étaient trop nombreux sur un marché pour qu'une entente ait quelque poids( c'est la « concurrence parfaite »), ou bien une entreprise n'avait aucun concurrent ( c'est le « monopole »)5(*) A cette égard, nous pouvons affirmer , selon les termes de VERGARA6(*), que les décisions prises par les individus en interactions ( les joueurs ) et la résultante ou les conséquences de ces décisions, pour eux et pour la collectivité qu'ils forment, représentent l'objet de la théorie des jeux . cette théorie s'applique à des jeux au sens strict ( lorsque je déplace ma tour sur un échiquier je modifie le domaine de choix de mon adversaire), mais aussi à l'économie (mes achats offrent des débouchés aux vendeurs), à la sociologie, à la science politique, à la psychologie7(*) ...etc. Elle se propose, donc, de fournir un cadre unifié, ou un langage, permettant de traiter de façon unitaire des thèmes relevant de disciplines très diverses. Revenons un peu à l'objectif de cette discipline pour donner plus d'éclaircissement, Bernard GUERRIEN8(*) voit qu'il y a « confusion à ce propos, certains auteurs prétendant qu'elle cherche à expliquer les phénomènes observés, ou à faire des prédictions, d'autres qu'elle est prescriptive (normative), d'autres qu'elle est l'une et l'autre, d'autres (bien moins nombreux) enfin ne se prononçant pas ». Quelques exemples :
En effet, cette multitude d'approches pour la théorie des jeux est considérée par les uns1(*)8 (plus nombreux) une preuve de malléabilité et de flexibilité de cet outil ce qui justifie son utilisation dans plusieurs domaines, pour les autres1(*)9 cette cacophonie à propos de la nature de la théorie des jeux - sur ce qu'elle fait ou permettrait de faire - découle de ce qu'elle ne « résout » rien et ne « propose » rien aux joueurs, elle permet essentiellement d'attirer l'attention sur les problèmes que posent les choix d'individus rationnel en interaction, lorsque toutes les hypothèses des modèles sont spécifiées. Ces derniers justifient leur point de vue en avançant l'idée que tandis que la théorie des jeux a adopté dès sa naissance le postulat de rationalité des individus, il est devenu usuel chez les théoriciens des jeux les plus réputés ( par exemple, AUMANN, KREPS, ROTH, RUBINSTEIN) d'affirmer que la seule issue pour la théorie des jeux, si elle veut rendre compte de ce qu'on observe dans le monde économique, est de faire appel à la « rationalité limitée » notion d'abord proposée par Herbert SIMON2(*)0 ( qui depuis longtemps, nie toute pertinence et intérêt de la théorie des jeux ). Mais tous ces auteurs quelque soit leur points de vue sont d'accords sur le fait que cette nouvelle discipline a promis dès son apparition de placer toute la théorie économique dans une nouvelle position stratégique dans laquelle le concept du processus compétitif doit être restructuré et reexprimé en termes de jeux et de stratégies.2(*)1 A cet égard, il faut noter que la théorie des jeux contient et utilise des modèles mathématiques formels de jeux, que l'on analyse de manière déductive. Comme pour la théorie économique plus traditionnelle, on peut citer selon David KREPS2(*)2 au moins trois avantages qui sont censés découler de la modélisation mathématique :
Nous allons dans ce qui suit présenter un exposé2(*)3 de quelques notions de base sans être exhaustif, travail que nous somme loin d'avoir les qualités pour le faire. * NASH J.F. (1999), « My Autobiography », dans Les prix Nobel, The Nobel Foundation, Stockholm, cité dans RULLIERE J.L. (2003), op.cit * 1 - LAKHDAR. (1985). op cit. * 2 - « Economist's interest in game theory was prompted by dissatisfaction with the assumption underlying the notion of competitive equilibrium that each economic agent ignores other agents' actions when making choices. Game theory analyses the interaction of agents who ``think strategically'', making their decisions rationally after forming beliefs about their opponents' moves, beliefs that are based on an analysis of the opponents' interests. » p. 834, dans OSBORNE M., RUBINSTEIN A. (1998), « Games With Procedurally Rational Players », The American Economic Review, Vol. 88, N°4, Septembre, p. 834-847 * 3 - SCHOTTER A., SCHWODIAUER G. (1980)., « Economics and the theory of games : A survey », Journal of Economic Literature, vol. XVIII, June, PP. 479-527. * 4 - Par mot naissance on veut dire l'apparition d'un nouveau outil d'analyse et on précisant de plus notre déclaration, il faut dire que le travail de J. Von NEUMANN et O. MORGENSTERN a donné naissance à la théorie des jeux coopératifs quand à la théorie des jeux non coopératifs sa naissance est due à un autre nom à savoir J. Forbes NASH. Ainsi Jean Louis RULLIERE ( RULLIERE J L. (2000) « L'indétermination et la méthode de Nash » Revue Economique, Vol. 51 Num. 5 ) déclare : « Tandis que le programme de la théorie des jeux a connu une rupture entre ses deux fondateurs et John NASH, on peut observer que les travaux postérieurs aux deux contributions de NASH de 1950 entrent dans le cadre des méthodes d'analyse développées par ce dernier et que de Nombreuses avancées apparaissent comme des extensions déjà formalisées, en particulier, dans sa thèse (...) c'est à ce titre que NASH apparaît finalement comme le fondateur de la théorie des jeux non coopératifs. * 5 - GARICANO L. (2000), « comment mettre à profit la théorie des jeux », Problèmes Economiques, N° 2653, 23 janvier. * 6 - VERGARA F. (1992), « la concurrence imparfaite : Eléments de théorie des jeux », Cahiers Français, N°254, P. 42. * 7 - Il y a une autre typologie, il s'agit de celle qui distingue entre :
* 9 - RASMUSSEN E. (1994), « Jeux et information », Basil Blackwell. * 10 - BINMORE K. (1990), « Essays on the fondation of game theory », Oxford, Basil Blackwell.
* 12 - VAN DAMME E. (1987), « Stability and perfection of Nash equilibria, Springer Verlag.
* 15 - COLMAN A. (1982), Game theory and experimental Games : the study of strategic enteraction, Pergamon Press, USA. * 16 - AUMAN J.R. (1987), Game theory, the new Palgrave and dictionnary of economics, edited by Catwell, Migate, Neuman, Vol. 2. * 17 - LAKHDAR B. (1985), op cit, p. 119. * 18 - On peut citer par exemple : AUMANN, HARSANYI, KREPS, NASH, RUBINSTEIN et SELTEN. * 19 - On peut citer à cet égard Herbert SIMON et Bernard GUERRIEN. * 20 - Rymond BOUDON (BOUDON R. (2002), « Utilité ou rationalité ? rationalité restreinte ou générale ?, Revue d'Economie Politique, 112 (5), Septembte - Octobre ) avance : « Herbert SIMON a notamment assoupli la notion d'optimisation : le sujet social prend selon lui des décisions plutôt satisfaisantes qu'optimales ; il a insisté sur le fait que l'information étant coûteuse, les décisions doivent être analysées comme se fondant sur une rationalité limitée » P. 756. Dans le même sens, Christian SHMIDT (SHMIDT C. (2002), « Sur quelques difficultés d'appréhender les croyances dans l'analyse économique et la théorie des jeux », Revue d'Economie Politique, 112 (5), Sep - Oct) avance que AUMANN a montré dans son article de 1992 intitulé « Irrationality in game theory » sur la base d'un exemple de jeu non coopératif à deux joueurs en forme normale, que chacun des joueurs pouvait effectuer un choix rationnel, sans être obligé de croire que le choix de l'autre joueur le fut également. * 21 - SCHOTTER A., SCHWODIAUER G. (1980). op cit. * 22 - KREPS D. (1999), op cit. * 23 - Nous nous inspirons pour la présentation de ces notions des travaux suivants : - LAKHDAR B. (1985), op cit. - SCHOTTER A., SCHWODIAUER G. (1980), op. cit. - KREPS D. (1999), op cit. - WALLISSER B. (2002), « Les justifications des notions d'équilibre de jeux », Revue d'Economie Politique, 112 (5), Sep-Oct. - GUERRIEN B. (1999), Dictionnaire d'analyse économique, Dunod. - MOULIN H. (1981), Théorie des jeux pour l'économie et la politique, Hermann, Collection méthodes, Paris, P.245. |
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