UNIVERSITÉ FÉLIX
HOUPHOUËT-BOIGNY U.F.R LANGUES, LITTÉRATURES ET
CIVILISATIONS
Département de Lettres Modernes
|
LA FRANCOPHONIE ET SON EXPRESSION DANS LA POÉSIE
DE LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR
|
Thèse Unique en Lettres Modernes Parcours :
Langues et Civilisations Africaines Option : Poésie
francophone
Présentée par : Sous la direction de
:
BOUATENIN Prof. GNALEGA
Adou Valery Didier Placide Makagnon
René,
Professeur titulaire
Le jury
Président : Prof. BOKIBA
André-Patient, Professeur titulaire en littérature
africaine et française, Université Marien Ngouabi,
Congo-Brazzaville
Directeur de thèse : Prof GNALEGA Makagnon
René, Professeur Titulaire en littérature
orale africaine, Université Félix
Houphouët-Boigny, Côte d'Ivoire-Abidjan Rapporteur : Prof.
N'GUESSAN Assoa Pascal, Professeur titulaire en stylistique et
poétique, Université Alassane Ouattara, Côte
d'Ivoire-Bouaké
Rapporteur : Dr. KOUADIO Kobenan N'guettia Martin,
Maître de conférences en stylistique et poétique,
Université Félix Houphouët-Boigny, Côte
d'Ivoire-Abidjan
Examinateur : Dr. ADAMOU Kouakou Dongo David,
Maître de conférences en poésie et
poétique, Université Félix Houphouët-Boigny,
Côte d'Ivoire-Abidjan.
Soutenue publiquement le 19 octobre 2019
Copyright, Bouatenin, 2019
UNIVERSITÉ FÉLIX
HOUPHOUËT-BOIGNY U.F.R LANGUES, LITTÉRATURES ET
CIVILISATIONS
Département de Lettres Modernes
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LA FRANCOPHONIE ET SON EXPRESSION DANS LA POÉSIE
DE LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR
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Thèse Unique en Lettres Modernes Parcours :
Langues et Civilisations Africaines Option : Poésie
francophone
Présentée par : Sous la direction de
:
BOUATENIN Prof. GNALEGA
Adou Valery Didier Placide Makagnon
René,
Professeur titulaire
Aux membres de ma famille, et à mes amitiés et
amours, À tous ceux qui sont pour le dialogue des cultures, À mon
ami et frère Karsten KASPER.
L'étude de la littérature ne saurait se passer
aujourd'hui d'érudition : un certain nombre de connaissances exactes,
positives, sont nécessaires pour asseoir et guider nos jugements
[...]
En littérature, comme en art, on ne peut perdre de vue
les oeuvres infiniment et indéfiniment réceptives et dont jamais
personne ne peut affirmer avoir épuisé le contenu et fixé
la formule. C'est dire que la littérature n'est pas objet de savoir :
elle est un exercice, goût, plaisir.
Gustave LANSON, Avant-propos, De l'histoire de la
littérature française, Paris, Hachette, 1894, pp. VII-VIII
(1182 p.)
1 Nelson MANDELA, Discours d'investiture, le
10 mai 1994
Il nous était difficile de dire merci aux personnes qui
nous rendaient des services sans que nous leur demandions de les faire
jusqu'à ce qu'un jour une amie, Docteure Clémentine CHAIGNEAU,
nous le fit remarquer. Aujourd'hui, nous comprenons le sens de ce mot de cinq
lettres : M. E. R. C. I.
Il y a aussi des circonstances de la vie où des
personnes nous aident, renseignent, expliquent, donnent...sans espérer
quelque chose en retour de notre part, mais un merci qui leur donnerait un
sourire, une joie, une félicité, une lueur de béatitude
dans leurs yeux et dans leur coeur, parce qu'heureuses de vous rendre des
services. Ces personnes-là, ce sont des anges, qui sans elles, nous ne
pouvons atteindre le succès : « Aucun de nous, en agissant
seul, ne peut atteindre le succès. », nous dit Nelson
MANDELA1. Merci à tous ceux qui, après avoir lu
certaines parties de notre travail, nous ont fait d'utiles suggestions !
Nous souhaiterions commencer nos remerciements par notre
directeur de thèse, le Professeur Makagnon René GNALÉGA,
qui a décidé de nous accorder son temps et son soutien. Un infini
merci pour l'intérêt accordé à notre thèse,
traduit par un encadrement rigoureux, par des conseils et des orientations
enrichissants. À sa suite, les Professeurs Kobenan N'guettia Martin
KOUADIO, Emmanuel TOH BI TIÉ, et Kouakou Dongo David ADAMOU qui ont cru
en nous, en notre sujet de thèse, et qui nous ont aidé à
reformuler le thème de notre thèse et à définir de
façon claire la problématique. Recevez le témoignage de
notre gratitude.
Nous disons un merci aux personnels de DFI
(Deustch-Französisches Institut) et Frankreich-Bibliothek (Allemagne) pour
les livres et les documents mis à notre disposition, sans oublier les
membres du projet WERTEWELTEN de l'Université Ebarhard Karls de
Tübingen (Allemagne).
Merci également aux instructeurs et aux membres du jury
pour l'attention et le temps accordés à notre travail.
Nos remerciements vont également à l'endroit de
Ould Siby JAMIL, Armel ALLOU, Étienne SERY et Lamine DIABY pour avoir
accepté de relire et de corriger notre travail, parfois de nous
réorienter dans le traitement de certaines notions.
Merci à Rose-Marie Emmanuela ADAHOU pour son aide, sans
oublier également Ahi Narcisse N'GADI, et Karsten KASPER et famille.
Notre infinie gratitude aux parents et amis pour le soutien
tant moral que financier, et surtout pour la correction apportée
à ce travail.
Nous tenons à exprimer notre profonde gratitude
à tous ceux qui ont contribué directement ou non à la
réalisation de ce travail. Merci pour votre patience ! Merci pour vos
conseils ! Merci pour votre confiance ! Merci pour votre soutien !
AVANT-PROPOS
La Francophonie est, pour nous, une longue histoire. Nous
l'avons rencontrée durant notre séjour en Allemagne. C'est
à la suite d'un travail présenté à l'Institut
Franco-allemand que les responsables d'alors nous ont demandé de
produire un autre travail sur un sujet quelconque. Voyant que notre
séjour arrivait à terme, nous avons remis le travail pour une
date ultérieure. À vrai dire, nous ne savons pas au juste ce que
nous devons faire ; la politique n'était pas notre apanage. Lors d'un
rendez-vous pour les papiers administratifs, nous avons fait la connaissance
d'un Sénégalais travaillant à la mairie de Ludwigsburg.
Nous avons échangé sur la littérature, en
général, et sur Senghor et sa poésie, en particulier. Nos
avis étaient opposés. Il défendait son compatriote
Senghor, et nous, nous étions figé sur les cours reçus au
lycée et à l'université. N'étant donc pas
satisfait, nous avons entamé une recherche à la
bibliothèque dudit Institut pour approfondir nos connaissances sur
Léopold Sédar Senghor.
Et, au cours de ces recherches, l'idée d'associer
Senghor à la Francophonie nous est venue en esprit. Pourquoi associer
Senghor à la Francophonie ? Associer Senghor à la Francophonie,
parce qu'il s'est fait le chantre de la Francophonie, après
qu'Onésime Reclus l'eût inventée. Les livres, les
documents, les articles, les mémoires et les thèses
consultés à la bibliothèque s'inscrivaient tous dans le
domaine des sciences politiques. Les universitaires, qui ont eu à
associer la Francophonie à Senghor, se sont contentés de laisser
les oeuvres de celui-ci de côté pour les interventions et les
articles écrits ou prononcés. Ce qui nous a interpellé est
le revirement de Senghor. Revirement ? Oui, nous pouvons le dire, car il passa
de la Négritude à la Francophonie2.
De ce fait, nous nous sommes demandé s'il ne serait pas
intéressant d'étudier la Francophonie, en tant que concept, dans
les oeuvres poétiques de Senghor ou de trouver les motivations
inconscientes de ce revirement. De retour en Côte d'Ivoire, avec la
possibilité de nous inscrire à l'Université pour la
recherche scientifique, nous nous présentâmes au bureau du
Professeur Adamou Kouakou pour lui soumettre notre sujet de recherche, et lui
demander d'être notre directeur de recherche. Ce fut ainsi que nous avons
fait le master. Et lors de la soutenance, notre mémoire a eu la mention
très bien, et a fait l'objet d'une publication sous le titre La
poétique de la francophonie.
Il semblerait que le voeu cher de Senghor serait de voir la
Négritude et la Francophonie se réaliser en un seul concept. En
fait, les messages que véhicule le concept de Francophonie,
présenté par Senghor, s'appréhendent aisément et
facilement dans ses oeuvres poétiques, vues comme des oeuvres de la
Négritude. Mamadou Bani Diallo a raison de dire que « l'oeuvre
et la pensée de Léopold Sédar Senghor semblent
marquées par le sceau de la Francophonie et de la Négritude [...]
»3. Cette même idée est soutenue par
Lavodrama Philippe : « [Senghor] ne l'a pas seulement défendue,
mais également illustrée, par son oeuvre littéraire et
poétique »4.
2 Aïssata Soumana KINDO, « Senghor : De la
Négritude à la Francophonie », Éthiopiques,
n° 69, 2002
3 Mamadou Bani DIALLO, « Défense et
illustration de la Francophonie chez Léopold Sédar Senghor
», Recherches africaines [en ligne], numéro 06-2007, 12
novembre. Disponible sur Internet
http://www.recherches-africaines.net/document.php?id=967.
4 Philippe LAVODRAMA, « Senghor et la
réinvention du concept de francophonie » La contribution de
Senghor, primus inter pares, Les Temps Modernes, 2007/4
n°645-646, p. 182. Article disponible en ligne à l'adresse :
http://www.cairn.info/revue-les-temps-modernes-2007-4-page-178.htm
Peut-on oublier que « le mot `' Francophonie»
lui-même pose problème.»5, et qu'il faut
avoir les arguments pour convaincre afin qu'on ait une conception unanime de la
Francophonie.
C'est une longue histoire, la Francophonie et Léopold
Sédar Senghor. Il nous a permis de la découvrir. Cela fait
environ dix ans que nous étudions la Francophonie et la poésie
senghorienne...
Si l'on a longtemps vu la Négritude comme le point de
départ de la poésie de Léopold Sédar Senghor, elle
n'en est pourtant pas la finalité. La finalité est d'aboutir
peut-être à la Francophonie, expression plausible de la
Civilisation de l'Universel.
5 Robert CHAUDENSON, « Prolégomènes
à une approche de la francophonie africaine », Repère
DoRiF n°2 voix/voies excentriques : la langue française face
à l'altérité-volet n.1-novembre 2012-LES FRANCOPHONIES ET
FRANCOGRAPHES AFRICAINES FACE À LA RÉFÉRENCE CULTURELLE
FRANÇAISE, November 2012. Disponible sur
http://www.dorif.it/ezine/ezine_articles.php?id=35
p.2
SOMMAIRE
Introduction pp. 9-30
Partie I : La Francophonie, un concept sauvé de ses
cendres pp. 31-140
Chapitre I : La Francophonie, d'Onésime Reclus à
la revue Esprit pp. 38-66
Chapitre II : Léopold Sédar Senghor et la
Francophonie pp. 67-99
Chapitre III : La Francophonie en débat pp. 100-140
Partie II : La Francophonie dans la poésie de
Léopold Sédar Senghor pp. 141- 323
Chapitre I : Le projet de la Francophonie pp. 148-204
Chapitre II : Le choix définitif de Léopold
Sédar Senghor pp. 205-261
Chapitre III : La renaissance des valeurs culturelles
africaines et
l'ouverture culturelle pp. 262-323
Partie III : La Francophonie, une problématique
identitaire chez
Léopold Sédar Senghor pp. 324-460
Chapitre I : Léopold Sédar Senghor et la
quête d'une identité rhizomique pp. 333-355
Chapitre II : La problématique d'une identité
constituée pp. 356- 379
Chapitre III : L'identité francophone chez
Léopold Sédar Senghor pp. 380-408
Chapitre IV : La poésie francophone : essai de
définition pp. 409-460
Conclusion pp. 461-470
Annexes pp. 471- 549
Index des thèmes pp. 550-559
Index des auteurs pp. 560-567
Bibliographie pp. 568-609
Table des matières pp. 610-611
9
INTRODUCTION
La francophonie est un mot qui cherche à s'imposer dans
le vécu quotidien des hommes et à avoir une définition qui
fera l'unanimité de tous6. Il nous est si familier à
telle enseigne qu'on ignore son origine et ce qu'il est au juste : «
francophonie, voilà un terme qui nous est si familier. Mais sait-on
d'où ça vient ? [...] À quelle occasion, dans quel
contexte historique Reclus a-t-il forgé ce terme ? »7
Pourquoi Senghor s'est-il autant donné pour la Francophonie ?
À ces interrogations, Thi Hoai Trang Phan semble donner une
réponse : « La francophonie a beaucoup évolué
depuis que, il y a de cela plus d'un siècle, le géographe
français Onésime Reclus l'a définie comme ? l'ensemble des
populations parlant français? dans le monde »8. En
effet, le terme francophonie apparaît en 1880, sous la plume du
géographe Onésime Reclus9 pour désigner la
communauté linguistique et culturelle que la France doit constituer avec
ses ex-colonies pour garantir la suprématie de la langue
française. Pour Onésime Reclus, la France fait oeuvre
civilisatrice d'Outre-Mer en se servant de la langue qui est l'un des
instruments de la mission colonisatrice.
Le terme disparaît pendant la moitié du XXe
siècle, seul l'adjectif « francophone » est
utilisé. Cet adjectif, figurant dans les dictionnaires, désignait
les personnes dont le français n'est pas la langue maternelle. C'est
après la seconde Guerre Mondiale, à partir d'un numéro
spécial de la revue Esprit (1962), qu'une " conscience
francophone " s'est développée, et le terme francophonie a refait
surface, comme le souligne Béatrice Turpin :
Le terme de francophonie, employé par Reclus à
une époque de colonialisme conquérant, restera latent
jusqu'à ce qu'il ressurgisse à l'époque de la
décolonisation. La revue Esprit, citée dans les dictionnaires, et
son numéro spécial de 1962 intitulé ? Le Français
dans le monde? est ici capitale, dans l'histoire de la notion. Dans ce
numéro paraît l'article de Senghor qui introduit le concept de
francophonie dans une
6 Comme nous le dit Paola Puccini : «
Quarante-cinq ans se sont écoulés depuis la sortie du
numéro d'Esprit et la recherche d'une définition du mot
/francophonie/ continue, et cette quête, en réalité, ne
s'est jamais arrêtée. » (Paola PUCCINI, « le
fonctionnement du mot "francophonie " dans la revue Esprit, novembre
1962 : à la recherche d'une définition », Documents pour
l'histoire du français langue étrangère ou seconde,
40/41|2008, p. 10, mise en ligne le 17 décembre 2010
7 Abdillahi AOULED, « Francophonie : un mot, une
histoire... », La nation, 19/19/2014 disponible sur
www.lanationdj.com/#article/9455
8 Thi Hoai Trang PHAN, « Des dynamiques de la
Francophonie », Afri, volume XII, 2011. Disponible sur
http://www.afi-ct.org/article/des-dynamiques-de-la-francophonie/
9 Onésime RECLUS, France, Algérie et
colonies, 1886
10
vision humaniste de partage et d'échange culturels,
partage et échange mutuels qui ne seraient plus conçus dans un
rapport de dominant-dominé.10
Béatrice Turpin nous apprend que la francophonie fut
récupérée par Léopold Sédar
Senghor11. À partir de ce moment, la francophonie fut l'objet
d'étude universitaire, car nombreuses sont les oeuvres qui l'ont
traité comme terme afin de la légitimer. La francophonie
d'Onésime Reclus à Léopold Sédar Senghor,
c'est-à-dire de 1880 à 1962, était un concept, une
idée et une manière de vivre12. C'est vers les
années 1980 que la francophonie est devenue une organisation,
représentée par l'Organisation Internationale de la Francophonie
(OIF) avec ses sommets de chefs d'États, et qui regroupe environ
quatre-vingt-quatre (84) États et gouvernements qui n'ont pas
forcément la langue française en partage et qui n'entretiennent
souvent aucun rapport avec la langue13. De ce fait, des critiques
littéraires et politiques vont essayer de redéfinir la
francophonie. À ce jour, l'on a pu dénombrer cinq
définitions de la francophonie. Elle a donc une définition
institutionnelle (politique et économique), une définition
linguistique et culturelle (géolinguistique), une définition
poétique, une définition socio-littéraire, et enfin une
définition socio-discursive14. La francophonie s'écrit
aussi de deux manières selon l'appréhension du terme.
Tantôt avec un « f » minuscule, tantôt avec un « f
» majuscule15. À cet effet, Paul Dumont affirme que
Jamais une notion, élevée par certains au rang
d'un véritable concept, n'aura fait couler autant d'encre que celle de
francophonie. Tout le monde s'en est emparée : écrivains,
poètes, hommes politiques, académiciens, philosophes, linguistes,
sociolinguistes, et chacun donne l'impression de tirer la couverture à
soi. Il est difficile à l'observateur, noyé sous une
énorme masse bibliographique, à la mesure, il est vrai,
10 Béatrice TURPIN, « Le terme
francophonie dans les dictionnaires de langue », Convergences
francophones, Encrage, pp.111-122, 2006,
2-910687-20-1<hal-01159525>
11 Allusion à l'article de Lavodrama Philippe,
op. cit. (Voir note 4 de l'avant-propos)
12 Bruno BOURG-BROC, « une Francophonie
parlementaire », Après demain ; n° 480-481-482. Il
dit : « la francophonie, c'est l''affirmation d'une façon
d'être et d'agir dont les valeurs dépassent le sens commun et
s'imposent aux hommes quelle que soit leur origine, leur race, leur
nationalité », p. 28. Jacques BARRAT et Claudia MOISEI, dans
« Géopolitique de la Francophonie » diront que « la
Francophonie est à la fois un concept et un espace [...] Mais elle est
aussi une manière d'appréhender, de comprendre, d'écouter,
de communiquer, un humanisme », p. 129
13 Des pays dont le français n'est pas la
langue maternelle sont membres de plein droit de la Francophonie (OIF). Voir
l'annexe VIII (annexe 8).
14 François PROVENZANO, « Francophonie et
études francophones : considérations historiques et
métacritiques sur quelques concepts majeurs », Portal Journal
of Multidisciplinary studies, Vol.3, n°2 July 2006. Disponible sur
http://epress.lib.uts.ed.au/ojs/index.php/portal
15 John Kristian SANAKER, Karim HOLTER ET Ingse
SKATTUM, La francophonie : Une introduction critique. Oslo : Uniplub
vorlag/Olso Academic Press, 2006, 277 p.
« F » majuscule pour la Francophonie institutionnelle
(OIF)
« f » minuscule pour la communauté linguistique
et culturelle.
Pour cette étude, nous avons choisi d'écrire la
francophonie avec « f » majuscule pour désigner le concept
francophonie et non l'OIF. (Voir Tanella Boni, La Francophonie, espace et
temps de partage,
www.tanellaboni.net/?p=75)
11
de la vitalité universelle du fait francophone, de s'y
retrouver et de remettre un peu d'ordre dans ce flot apparemment incoercible
d'idées, de conceptions, d'idéologies,
de préoccupations, d'intérêts, voire
même de stratégies politico-culturelles.16
Paul Dumont nous apprend que la Francophonie est un concept
défini par des personnes en fonction de leur culture, de leur objectif
et que ces différentes définitions de la Francophonie peuvent
dérouter n'importe quel observateur avéré ou pas. Face
à la complexité du mot, la Francophonie cherchera à se
doter d'une forme d'historicité et, comme tout mouvement voulant imposer
évidemment son idéologie, se trouvera des pionniers, des
précurseurs et évidement des continuateurs. Pour se justifier,
elle sera donc le nouvel objet d'étude universitaire, comme l'affirme
Christophe Premat : « Il semble que la francophonie émerge
comme nouvel objet d'étude au sein du champ intellectuel et
universitaire [...] »17 Pourquoi tant d'engouements autour
de la Francophonie ? La réponse est que les avis ou les conceptions sur
la Francophonie sont partagé(e)s.
Pour Xavier Deniau18, la Francophonie actuelle se
démarque de toute manifestation de colonialisme, de racisme,
d'impérialisme. Elle prône une communauté où l'on
partage les valeurs culturelles communes ; où l'ouverture au monde
extérieur, le dialogue et l'accueil de la différence sont de
mise. Son texte met, aussi, l'accent sur les aspects institutionnels de la
Francophonie, et le pragmatisme qui a prévalu dans leur
mise en place. Tels que nous pouvons l'appréhender d'après les
travaux de Jacques Barrat, Claudia Moisei, Serge Arnaud, Michel Guillou et bien
d'autres spécialistes de ce concept19. Quant à Marc
Gontard20, dans l'ouvrage édité sous sa direction, il
tente de répondre aux questions que l'on se pose sur la Francophonie.
Des questions pour savoir si la Francophonie ne désigne pas ou ne
dissimule pas un groupement d'intérêt économique ou un
réseau de clientélisme. Farandjis Stélio, quant à
lui, réunissant tous les textes de ses conférences et allocutions
durant les années 1989 et 1990, fait l'éloge de la Francophonie
et de la langue française en invitant les autres à parler
français21. Eugène Travares montre que la
Négritude, la Lusitanité et la Francophonie sont une
manière pour Senghor de
16 Paul DUMONT, « Francophonie, francophonies
», Langue française ; n°85, p. 35
17 Christophe PREMAT, « Les avantages de la
méconnaissance de la francophonie : le cas de la Suède »,
Alternative Francophone, Vol, p. 46. Il sera contredit par Abdoul
Diouf qui dira dans le journal le Monde du 19.03.2007 « La
francophonie ne recueille d'ailleurs pas plus les faveurs du monde
académique ou de la recherche universitaire puisqu'elle n'a fait l'objet
que de vingt-cinq article de politique internationale en l'espace de trente-six
ans, et de deux thèses de sciences politiques depuis 2001 !
Désintérêt évident et, par voie de
conséquence, méconnaissance réelle »
18 Xavier DENIAU, « La Francophonie »,
Que sais-je ?, Puf, Paris, 1983
19 Jacques BARRAT, Geopolitique de la
Francophonie, Puf, Paris, 1997, 192 p.
20 Marc GONTARD, « L'espace culturel francophone
à l'épreuve du regard », Regards sur la Francophonie,
Presse Universitaire de Rennes, 1996, p 14
21 Farandjis STÉLIO, Francophonie
fraternelle et civilisation universelle, Édition de l'espace
Européen, 1991, 285 p.
12
passer à un stade supérieur dans sa quête
d'identité universelle, car elles se résument en un seul projet
politique chez Senghor22. Aïssata Soumana Kindo affirme,
à propos de Senghor et de la Francophonie, que Senghor partira des
manifestations de la Négritude pour aboutir à la Francophonie
qui, selon elle, est la réalisation d'une harmonieuse symbiose des
contraires23. À l'instar d'Aïssata S. Kindo, René
Gnaléga avance que Senghor est un acteur et un
bénéficiaire de la Francophonie, sans véritablement
aborder la question dans l'oeuvre poétique de Senghor. Il a plutôt
cherché à dégager la pensée senghorienne de la
Francophonie à travers les cinq tomes de
Liberté24.
Cependant, les critiques et les points de vue sur la
Francophonie ne sont pas tous de bons augures comme nous font croire les
auteurs cités plus loin tels que Xavier Deniau, Marc Gontard,
Aïssata Kindo, René Gnaléga, etc... En effet, la
Francophonie est vue comme un moyen pris par la France pour exprimer son
hégémonie. Alexandra Aizier ne dit pas le contraire : «
Pour ces auteurs (Guy Ossito, Gisèle Hountondji, Odile Tabner),
donc, la francophonie n'est rien d'autre que le moyen trouvé par la
France au lendemain de la seconde guerre mondiale pour rester une puissance
mondiale et pour préserver son influence et son prestige au niveau
international.»25 Parmi les auteurs, qui voient la
Francophonie, jugent la Francophonie négativement, nous pouvons citer
Karim Traoré, Hassan Benddi, Ambroise Kom, Bégong-Bodoli Betina
et Passou Lundula. Pour Karim Traoré, la Francophonie permet de «
stopper » toute idée d'émancipation chez l'intellectuel
africain26. Hassan Benddi27 est du même avis que
Karim Traoré. Il asserte que la Francophonie est une stratégie
néo-coloniale de la France, et une récompense pour les Africains
à la solde de la France. Dans cette même optique, Ambroise
Kom28 tient un langage sans merci à l'encontre de Senghor qui
vante les mérites de la Francophonie. Quant à
Bégong-Bodoli Betina29, la Francophonie « est
née des
22 Eugène TAVARES, « Négritude,
Lusitanité et Francophonie chez Léopold Sédar Senghor ou
la recherche ineffable d'identité », SYNERGIES, n°
spécial 2, Brésil, 2010, pp.101-106
23 Aïssata Soumana KINDO, « Senghor : De la
Négritude à la Francophonie », Éthiopiques,
n°69 2ème semestre 2002
24 René GNALÉGA, « Senghor et la
Francophonie », Éthiopiques, n°69,
2ème semestre 2002
25 Alexandra AIZIER, « La francophonie entre ?
Dialogue des cultures? et ambition politique au lendemain du sommet de Beyrouth
», Mémoire de fin de cycle, IEP de Lyon, septembre 2003,
pp. 21-22, [sous la direction de Caroline Brossat]
26 Karim TRAORÉ, propos extrait de
Théâtres africains (Actes du colloque sur le
théâtre africain, École Normale Supérieure Bamako,
14-18 novembre 1988), Paris, Éditions Silex, 1990
27 Propos de Hassan BENDDI selon Marc GONTARD, op.
cit
28 Ambroise KOM, « les fondements identitaires d'une
intelligentsia africaine d'après Amadou Hampâté Bâ
», Francophonie et identités culturelles, sous la
direction de Christian Albert, Paris, Karthala, 1999, pp. 206- 207
29 Bégong-Bodoli BETINA, De la Francophonie
à la ?francofratrie? : un défi de la francophonie du
XXIème siècle, disponible sur
www.gellugb.over-blog.com/2014/07/de-la-fracophonie-a-la-francofratrie-un-defi-de-la-francophonie-du-xxieme-siècle-par-begong-betina-html
13
cendres de la Communauté française
» donc elle « est néocoloniale ». Passou
Lundula30 affirme simplement que Senghor s'est servi de l'artifice
du langage pour suborner le peuple noir, car le triomphe de la Francophonie
à ses yeux est très important que le panafricanisme.
Farandjis Stélio dit à nouveau, pour justifier
l'existence de la Francophonie, que « Trois erreurs historiques sont
souvent colportées au sujet du rapport entre la francophonie et
l'ère coloniale. [...] Le mot ?francophonie? n'est pour ainsi dire pas
employé pendant la période coloniale, d'autre part la
francophonie n'a pas été un argument pour justifier la
colonisation, enfin l'Empire ne `' francophonisait» qu'une très
mince pellicule sociale destinée à devenir la domesticité
supérieure. »31 Mieux, Claire Tréan affirme
qu' « un autre contresens largement répandu est de penser que
la francophonie est un instrument aux mains de la France, au service de sa
propre stratégie d'influence. »32 Mais, elle
reconnaît qu'on ne peut pas « contester que la France y a un
poids prépondérant... »33. Et Senghor, pour
répondre à tous ses détracteurs l'accusant d'être
« pris dans le piège du concept que lui-même a fait
renaître de ses cendres »34, donne une sorte de
définition de la Francophonie qui semble proche de sa Négritude.
Celle de l'unité dans la diversité. Cela est justifié par
Stella Johnson, lorsqu'elle dit que « la symbiose qui
caractérise l'unicité de la perception de Senghor quant à
la Négritude (...) marque également la définition de la
Francophonie par cet homme de Lettres. »35
Les conditions dans lesquelles voit le jour la Francophonie et
son rapport à l'histoire sont confus et vagues que les concepteurs, en
particulier Senghor, et les spécialistes n'ont pas donné une
définition propre à ce concept36. Ils se perdent ou se
mélangent dans les définitions qu'ils émettent ; parfois
ces définitions sont si confuses et contradictoires qu'elles
amènent à des prises de position ou à des
interprétations à titre personnel ou à des contre
arguments37. C'est dire que l'appréhension de la Francophonie
n'est pas toujours aisée. Cependant, l'on est
30 Passou LUNDULA, Autopsie d'un cas,
Léopold Sédar Senghor, Lubumbashi, Édition Passou,
2005 ; 296 p. 31Farandjis STÉLIO, « Repère dans
l'histoire de la Francophonie », Hermes, la Revue 3/2004,
(n°40), p. 50
32 Claire TRÉAN, Francophonie, idées
reçues, Le Cavalier Bleu, Paris, 2006, p. 29
33 Idem, p. 30
34 Adou BOUATENIN, « La poétique de la
Francophonie dans deux poèmes de Senghor : `'Que m'accompagnent Koras et
Balafong», et `' Chaka» », Mémoire de Master 2,
Université Félix Houphouët Boigny, 2004-2005, [sous la
direction de N'guettia Martin Kouadio], p. 30
35 Stelle M.A. JOHNSON, « L'apport de
Léopold Sédar Senghor à la Francophonie »,
Éthiopiques, n°70, 2003
36 J. Tshisunguwa TSHISUNGU dira, dans son article
intitulé « La conception senghorienne de la
Francophonie », extrait d'Éthiopiques,
numéro 50-51, qu' « En suivant une approche diachronique, on
constate que Senghor donne plusieurs définitions du mot francophonie. Ce
qui ne peut manquer de surprendre. En effet, un concept polysémique est
très peu opératoire sur le plan scientifique car il ne peut
être ni généralisable, ni susceptible de renvoyer à
un signifié chez tous les chercheurs travaillant dans un domaine
donné. » Cependant, notre objectif est de montrer que ce
concept a une seule définition appréhendable dans les oeuvres
poétiques de Senghor. Ceci est le fondement de notre étude.
37 Philippe LAVODRAMA, à ce propos, affirme
que « le fait est que le flou de la définition a assuré
le succès en Francophonie, où l'on affectionne le germe comme
l'exercice, car il autorise les interprétations et les usages les plus
divers. », op. cit., p. 229
14
unanime que la langue française est le socle de la
Francophonie38. Néanmoins, l'on reste encore perplexe,
lorsqu'on aborde une étude sur l'appréhension conceptuelle de la
Francophonie, puisqu'elle a dépassé les définitions de
Senghor et celle d'Onésime Reclus du fait de certaines
réalités nouvelles. C'est pourquoi, Hervé Bourge exhorte
à « décomplexer la Francophonie »39 et nous
dit que « le rapport à l'histoire de la Francophonie n'a pas
encore été tranché sereinement. »40.
Hervé Bourge donne, en effet, des pistes de réflexions.
Cependant, il nous a paru intéressant d'étudier les oeuvres
poétiques de Léopold Sédar Senghor pour mettre en
lumière le concept de Francophonie. D'où la formulation de notre
sujet : « La Francophonie et son expression dans la poésie de
Léopold Sédar Senghor »41.
Dans ce sujet, deux mots sont à expliquer, à
savoir « la Francophonie » et « expression
». La Francophonie est « un concept de la valorisation des
cultures des pays ayant le français en partage [...]
»42 ou un concept de métissage culturel. Ce point
de vue est partagé par Ibrahim Diop. Pour lui, « [la]
particularité entre autres de la réinterprétation du
concept de francophonie initiée par Senghor et ses camarades repose de
ce fait sur une redéfinition de la langue du colonisateur comme moyen de
communication égalitaire, décentralisée et
transnationale. »43 Jacques Barrat et Claudia Moisei
soulignent que « la francophonie est à la fois un concept et un
espace habité par ceux qui ont le français en partage
»44. Bi Trazie Serge conclura en ces termes :«
[...] bref la francophonie, c'est une idée. Une idée
défendue et combattue à la fois, mais qui continue de
résister notamment à travers l'organisation dont elle
38 « Pour revenir à la Francophonie, le seul
principe incontestable sur lequel elle repose est l'usage de la langue
française. », affirma Léopold Sédar Senghor dans
« La Francophonie comme culture », Études
littéraires, vol 1, n° 1, 1968, p. 131
Xavier DENIAU dira que « L'utilisation, la bonne
utilisation de notre langue est le fondement même de la
francophonie.» (Journal officiel de l'Assemblée Nationale
française, 1ère séance du 4 mai 1994, p.
1446) ou comme l'affirme Bourg-Broc « Le Français est aussi le
lien de toute une communauté que l'on nomme la francophonie. »
(Journal officiel de l'Assemblée Nationale française,
3e séance du 3 mai 1994, p. 1578
39 Hervé BOURGES, « Pour une
reconnaissance de la Francophonie », Rapport remis à Monsieur
Alain Joyandet, secrétaire d'État chargé de la
coopération et de la Francophonie, juin 2008, p. 3
40 Idem
41 Léopold Sédar SENGHOR disait : «
On s'étonnera, sans doute, que le militant de la Négritude,
que j'ai été au Quartier latin, soit tombé, par la suite,
dans la Francophonie. » (« De la Francophonie »,
éthiopiques, numéro 50-51, Nouvelle
série-2ème et 3ème trimestre 1988,
volume 5 n°3-4). En effet, nous sommes dit que les motivations de son
choix se trouveraient, sans doute, dans ses oeuvres poétiques.
42 Adou BOUATENIN, « La poétique de la
Francophonie dans deux poèmes de Senghor : `'Que m'accompagnent Koras et
Balafong», et `' Chaka» », op. cit., p. 32
43 Ibrahim DIOP, « Senghor entre Francophonie et
dialogue interculturel », Nouvelle Série, n° 18,
2014, p. 9
44 Jacques BARRAT et Claudia MOISEI,
Géopolitique de la Francophonie, un nouveau souffle ?, 2004, p.
129
15
s'est dotée. »45 De ce fait,
la Francophonie est étudiée en tant que concept46,
voire en tant qu'idée, et s'écrira avec un « f »
majuscule dans cette présente étude, non pas pour désigner
la Francophonie institutionnelle47, mais la Francophonie dans son
acceptation générale. Toutefois, nous tenons à rappeler et
à préciser que la Francophonie est à la fois un mouvement
(un concept ou une idée) militant, politique et culturel, et une
organisation multilatérale, l'OIF.
Par « expression », il faut entendre qu'il
est question de savoir comment est dit le concept de Francophonie dans la
poésie de Senghor et d'étudier ses manifestations. En effet, la
poésie constitue une manière spécifique de rendre compte
du monde par la place qu'elle donne à l'imagination et au travail sur la
signification et la matérialité sonore des mots. Elle est le
genre où chaque poète, inventant une langue qui lui est propre,
transmet le plus directement au lecteur sa vision du monde et son
émotion, ou son aptitude à exprimer par divers moyens ses
idées. Dans ce cas, la poésie serait le moyen pour Senghor
d'exprimer le concept de Francophonie, car cela est sa vision du monde. Alors,
pour comprendre ce concept, il faut chercher dans sa poésie les mots
pour dire ou la manière d'exprimer la Francophonie. Cette manière
d'exprimer ou d'écrire est, dans cette étude, l'expression. En
fait, « écrire, dans son sens moins physique et plus
poétique, c'est donner vie, avec des mots, à une idée dont
le message informe par son contenu et émeut par sa beauté, c'est
procéder à une élaboration de textes avec la
préoccupation de faire du beau avec les mots dans le but de les
conserver ou de les transmettre à un destinataire individuel ou
collectif. »48 Mieux, « les mots ne sont pas
seulement des sons et des graphies doués de sens, des instruments
à signifier et à communiquer ; ils portent aussi des saveurs et
des impressions, des émotions figées, des énigmes ou des
symboles »49. Comme le souligne Joël Clerget : «
Méfiez-vous des poètes, avec les mots, ils font naître
des choses. Avec les mots, ils font apparaître les choses, là,
sous vos yeux, à n'en pas croire vos oreilles. »50
Senghor dit, également, qu'avec les mots, le poète est
45 Bi Trazié Serge BLI, Francophonie et
diversité : Autour des constructions verbales en Côte d'Ivoire
à travers l'exemple de productions écrites et orales
d'étudiants de l'Université Félix Houphouët-Boigny
d'Abidjan, Thèse de Doctorat, l'Université Paris Ouest
Nanterre-La Défense, École doctorale CLM, 2014, 349 p. [Sous la
direction de M. Jean-François JEANDILLOU], p. 23
46 J. Tshisunguwa TSHISUNGU affirme que « La
francophonie n'est pas un concept scientifique au sens strict mais un mot
permettant d'identifier une histoire et une géographie
singulières. », op. cit.
Cependant, notre volonté est aussi de montrer que la
Francophonie est avant tout un concept au sens strict du mot comme le dit Paola
Puccini : « ce mot deviendra un mot témoin à travers
lequel nous voulons observer la naissance d'un concept, d'une
réalité qui, à l'époque, était en train
d'émerger : la francophonie. », op. cit., p. 2
47 Voir note 9, p. 10
48 Ngalasso Mwatha MUSANJI, « Écrire en
langue seconde. Le discours des écrivains africains francophones »,
Cahiers de l'Association internationale des études
françaises, 2007, n°52, pp. 110-111 (pp. 109-126)
49 Loïc DEPECKER, Les mots de la
Francophonie, Paris, Belin, 1988, p.4
50 Joël CLERGET, « Je est un autre »,
Poésie et psychanalyse, L'Amourier édition, 2007, p.
13
16
capable de « nommer les choses pour qu'apparaisse le
sens sous le signe »51. De ce fait, nous pouvons dire que
Senghor avait déjà exprimé le concept de Francophonie dans
ses oeuvres poétiques avant de le proposer au monde. Cela suppose que la
poésie senghorienne est aussi l'expression de la Francophonie.
La raison du choix de Léopold Sédar Senghor et
sa poésie est tout simple52. En effet, la poésie
senghorienne exprime l'état d'un sujet « je » qui prend
conscience de son identité mutilée par la guerre, l'esclavage, la
colonisation et le séjour en Europe ; qui prend conscience qu'il a une
histoire, une culture ; qui prend conscience qu'il doit renoncer à ses
convictions pour être le porte-parole de son peuple, de sa race devant
les grandes nations. « Dire de quelqu'un qu'il est sans histoire est
la pire des horreurs. S'il n'a pas d'histoire, sa subjectivité,
c'est-à-dire la possibilité de dire je et de parler en son nom,
est entravée. Elle est perturbée, voire abolie
»53. Pour cela, le sujet « je » doit s'enraciner
dans sa culture, se confirmer d'abord, puis s'ouvrir à l'autre en
l'acceptant comme frère, « par-là, notre
subjectivité est accueil d'autrui. »54 Cela traduit
bien la conception senghorienne de la Francophonie. Selon Ibrahim
Diop55, « les efforts de Senghor pour la mise en oeuvre du
concept de Francophonie se justifient par sa volonté et sa quête
d'un facteur de rapprochement entre les cultures et civilisations. [..] Il
soutient que la Francophonie est une occasion, une possibilité pour le
continent africain de participer ?à la renaissance du monde, de s'ouvrir
aux autres, d'aller à la rencontre de l'humanité? » ou
« la Francophonie aspire à la réalisation d'une symbiose
culturelle fructueuse entre les nations, d'une conciliation des contraires ou
de l'accord conciliant d'après les propres termes de Senghor
». Partant de ce fait, Nicolas Sarkozy exhorte à «
revenir à une francophonie conforme à l'esprit de
Senghor.»56
51 Léopold Sédar SENGHOR, Postface
d'Éthiopiques, (Poèmes), p. 157
52 Adou BOUATENIN : « Pourquoi Senghor et non
pas un autre poète africain ou un poète quelconque ? Senghor,
certes, a été beaucoup critiqué et étudié.
Cependant, si aujourd'hui il continue à être au centre des
recherches, c'est parce qu'il reste dans son oeuvre des zones non encore
explorées ou insuffisamment analysées par les critiques
littéraires. Ses poèmes, sa Négritude, sa vision du monde,
sa Francophonie font de lui un homme à multiples facettes. Grammairien,
poète, politique, négritudien, francophoniste, il avait assez de
cordes à sa kora, comme Orphée, pour charmer les critiques qui
continuent à faire couler encore l'encre de leur plume. Tous veulent
s'approprier l'héritage littéraire, à la fois compact et
complexe, laissé par Senghor. [...] Senghor s'est fait le poète
de la Négritude et le chantre de la Francophonie. Nous voyons deux faces
du poète : Négritudien et Francophoniste. Deux termes divergents,
chantés et conciliants. C'est donc cette ambiguïté chez le
poète qui nous a amené à formuler le sujet... »,
La poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor :
"Que m'accompagnent Koras et Balafong" et "Chaka" , « La
poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor : `'Que
m'accompagnent Koras et Balafong», et `' Chaka» », op.
cit., p. 10
53 Joël CLERGET, op. cit., p. 19
54 Idem, p. 17
55 Ibrahim DIOP, Op. cit., p. 11 et p. 12
56 Nicolas SARKOZY, « Pour une francophonie
vivante et populaire », le Figaro, 20 mars 2007, p. 14
17
La Francophonie conforme à l'esprit de Senghor,
objectivement, est un concept, un fait : une culture. Elle est l'ensemble des
valeurs économiques et politiques, intellectuelles et morales,
artistiques et culturelles des peuples utilisant la langue
française57. Subjectivement, la Francophonie conforme
à l'esprit de Senghor est le fait d'assumer toutes ces valeurs
susmentionnées, les actualiser et féconder, au besoin avec
l'apport de tout un chacun, pour les suivre par soi-même, pour soi et
pour les autres, apportant ainsi sa contribution à la Civilisation de
l'Universelle58. Revenir donc à la Francophonie conforme
à l'esprit de Senghor, c'est revenir à ses oeuvres
poétiques tout simplement.
Nous savons qu'il est moins intéressant aujourd'hui de
rédiger une thèse sur Léopold Sédar Senghor pour
mettre en évidence son combat ou pour polémiquer sur tel ou tel
problème de sa production poétique. Car, beaucoup de travaux ont
été faits sur lui et sur sa poésie. Cependant, si,
aujourd'hui, il continue à être au centre des recherches, c'est
parce qu'il subsiste dans son oeuvre des zones non encore explorées ou
insuffisamment analysées par les critiques littéraires. Telle que
l'appréhension de la Francophonie dans sa création
poétique. En effet, le terme Francophonie inventé par
Onésime Reclus est donc affranchi de ses origines coloniales et
valorisé par Senghor59 au profit de la Négritude, dont
il est l'un des théoriciens. Il sera violemment critiqué et
contesté car la Francophonie serait une autre forme de la colonisation
française pour ses détracteurs. Or, tous sont unanimes que sa
poésie s'enracine à la fois dans sa culture d'origine (culture
africaine) et dans sa culture d'accueil (culture occidentale), car, dans ses
poèmes, se mêlent, s'entremêlent et se démêlent
deux cultures en apparence de nature inconciliable, conciliées par la
magie des mots et de l'écriture.
Ce fait nous emmène à nous demander comment la
poésie senghorienne exaltant les valeurs africaines peut exprimer les
valeurs promues par la Francophonie. À cette question, Mamadou Bani
Diallo répond en affirmant que « l'oeuvre et la pensée
de Léopold Sédar Senghor semblent marquées par le sceau de
la francophonie et de la Négritude [...] »60. Cette
idée est soutenue par Lavodrama Philippe : « [Senghor] ne l'a
pas seulement défendue, mais également illustrée, par son
oeuvre littéraire et poétique. Ce zèle et cette
fidélité sans faille ont fait de lui la figure
emblématique de la francophonie [...]. »61 Ibrahim
Diop, quant à lui, affirme
57 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, langue de culture », Esprit, 1962, p. 838 et p.
844
58 Léopold Sédar SENGHOR,
Liberté 3, p. 190
59 Senghor disait : « Pour les quelques
années qui me restent à vivre, mon plan est simple [...] : je me
consacrerai entièrement à mon action culturelle, en me mettant
triplement au service de la Négritude, de la Francophonie et de la
Civilisation de l'Universel. », selon Janet G. Vaillant, Vie de
Léopold Sédar Senghor : Noir, Français et Africain,
p. 437
60 Mamadou Bani DIALLO, op. cit.
61 Phillipe LAVODRAMA, op. cit., pp.
182-183
18
que « Négritude, Francophonie et dialogue des
cultures sont des concepts chers à Senghor et qui cristallisent la
quintessence de son oeuvre littéraire et poétique.
»62 En admettant que la poésie de Senghor,
l'archétype de la Négritude, est l'espace artistique de la
Francophonie, n'est pas reconnaître qu'elle est aussi un artifice du
langage du concept de Négritude pour mettre au-devant de la scène
la Francophonie. Si tel était le cas, alors l'écriture
poétique senghorienne serait une écriture servant d'ornement
à la Négritude et un manifeste de la Francophonie. Peut-on dire
que la poésie senghorienne est dépassée par la
Négritude si elle est le fondement de la Francophonie ? Si l'on a
longtemps vu la Négritude comme le point de départ de la
poésie de Senghor, elle n'en est pourtant pas la finalité. La
finalité est d'aboutir à la Francophonie, puisque la
Négritude n'a été que le soubassement du concept de
Francophonie : « c'est en s'appuyant sur la Négritude que
Senghor a jeté les bases ou les fondements de la Francophonie.
»63
La Francophonie serait-elle alors la forme achevée de
la Négritude ? À vrai dire, Senghor déplace et renouvelle
sa Négritude en vue de forger la Francophonie, comprise comme un
instrument au service du dialogue interculturel. Or, Lilyan Kesteloot pense
qu'il n'y a ni dépassement, ni opposition entre Négritude et
Francophonie, mais qu'il y a une sorte d'harmonie64. Ce qui
sous-entend que la poésie de Senghor est l'empreinte de la
Négritude et de la Francophonie, comme l'affirme Fernando Lambert :
« C'est trois mots, ? négritude?, ? francité ou
francophonie? et ?civilisation de l'universel?, constituent en quelque sorte
les grands axes de sa poésie, de sa pensée philosophique et
politique, de son action de chef d'État et de toute sa vie
»65. Senghor avait-il réellement besoin de la
poésie pour véhiculer la Francophonie ? Si oui, alors quelles en
sont les motivations inconscientes ou conscientes ? Le caractère
dualiste de la poésie senghorienne fait dire René
Gnaléga66 et Celina Scheinowitz67 que Senghor est
un poète francophone. Que faut-il comprendre par « poète
francophone » ? À cet effet, nous disons que « le
poète francophone est donc celui qui, par la poésie, exprime la
conciliation des valeurs noires et des valeurs occidentales, et dont la
création poétique manifeste cette symbiose peu importe sa
nationalité ; du fait qu'il use de la langue française pour
l'exprimer. »68 Ceci est-il valable pour les
écrivains francophones ? N'y a-t-il pas d'autres
62 Ibrahim DIOP, op. cit., p. 8
63 Adou BOUATENIN, « La poétique de la
Francophonie dans deux poèmes de Senghor : `'Que m'accompagnent Koras et
Balafong», et `' Chaka» », op. cit., p. 99
64 Lilyan KESTELOOT, « Senghor, la
Négritude et la Francophonie », extrait de Césaire et
Senghor. Un pont sur l'Atlantique, Éditions L'Harmattan, Paris,
2006
65 Fernando LAMBERT, « Centenaire de la naissance
de Léopold Sédar Senghor », Dossiers
thématiques, p. 356
66 René GNALÉGA, Senghor et la
civilisation de l'universel, Paris, L'Harmattan, 2015, 174 p.
67 Celina SCHEINOWITZ, L. S. Senghor, Paris,
L'Harmattan, 2009, 192 p.
68 Adou BOUATENIN, La poétique de la
francophonie, Allemagne, EUE, 2015, p. 105.
19
paramètres à prendre en considération
pour définir le poète francophone, voire la poésie
francophone ? À bien voir, nous comprenons que le texte francophone est
le lieu de tension entre deux cultures exprimées en français dont
l'écriture serait le catalyseur conciliant. De ce fait, pouvons-nous
dire que la poésie de Senghor confirme le concept de Francophonie ? Et
si tel est le cas, comment est-il exprimé dans ses oeuvres
poétiques ? De ce qui précède, nous constatons que notre
volonté d'étudier la conformité entre la création
poétique de Senghor et la concrétisation ou la conceptualisation
de la Francophonie suscite beaucoup d'interrogations. Or, il s'agit de lire le
concept de Francophonie dans la poésie de Senghor ou de voir comment la
poésie de Senghor met en évidence le concept de Francophonie.
Nous voulons, en tant qu'homme de lettres, interroger l'oeuvre poétique
de Senghor pour comprendre ce que signifie réellement la Francophonie
chez celui-ci. Mieux, il est question d'étudier son fonctionnement dans
l'oeuvre poétique de celui qui l'a plus plébiscitée. Notre
étude consiste également à déceler les raisons qui
ont poussé Léopold Sédar Senghor à la Francophonie
et à appréhender les caractéristiques de cette
Francophonie dans ses oeuvres poétiques. Autrement dit, il faut
interroger les motivations qui ont présidé à la
réinvention du concept de Francophonie chez Senghor tout en relevant ses
marques dans son oeuvre poétique.
Le travail scientifique requiert une démarche
méthodologique en fonction des résultats ciblés. Aussi,
l'étude d'une oeuvre poétique ou d'un poème peut
être abordée de multiples façons, dont certaines semblent
faites pour permettre d'en élucider la signification ; d'autres
l'articulation du texte ou d'étudier les principes grammaticaux,
sémantiques, pragmatiques, phoniques, prosodiques, morphologique du
poème. Comme le dit Gérard Dessons, « analyser un
poème ne consiste donc pas à employer aveuglement un ensemble de
techniques, mais à mobiliser un savoir pour étudier comment une
oeuvre signifie. »69 Il convient donc à
l'exégète de choisir le plus souvent les outils en fonction de sa
culture théorique qu'il adapte à son objet d'étude, au
poème ou à l'oeuvre poétique qu'il veut étudier.
Autrement dit, c'est l'exégète qui construit son objet par
rapport à son objectif, car il sait d'avance que le poète est un
artiste qui travaille avec les mots d'abord, mais aussi avec sa
sensibilité, sa perception du monde, et la connaissance qu'il en a, tout
en laissant transparaître sa personnalité. Étant
donné que « la poésie, comme le rêve, constitue
une voie de passage entre conscience et inconscient »70,
et qu'elle (la poésie) est caractérisée par une double
structuration71, la méthode appropriée pour
69 Gérard DESSONS, Introduction à
l'analyse du poème, Armand Colin, Paris, 2005 (avant-propos)
70 Charles MAURON, Des métaphores
obsédantes au mythe personnel, introduction à la
psychocritique, José Corti, Paris 1963, p.24
71 Arnaud BERNADET, Pour une «
rhétorique profonde », Université de Franche-Conte
Centre « Jacques Petit », 2004
20
notre étude est la psychocritique de Charles Mauron. La
psychocritique, parce qu'elle « consiste à étudier une
oeuvre ou un texte pour relever des faits et des relations issus de la
personnalité inconsciente de l'écrivain ou du personnage. En
d'autres termes, la psychocritique a pour but de découvrir les
motivations psychologiques inconscientes de l'individu, à travers ses
écrits ou ses propos.»72 En fait, la psychocritique
est l'étude de l'inconscient dans le comportement humain, la critique a
pour tâche d'expliquer, dans sa forme et son contenu un texte
composé en vue d'un effet littéraire. Par ailleurs, qui parle de
texte, parle d'un mouvement d'idées volontaires ou involontaires bien
agencées et synchronisées afin de véhiculer un message.
La psychocritique se veut une méthode d'analyse
littéraire et scientifique, car ses recherches sont fondées
essentiellement sur les textes et aussi parce que sa méthode est issue
de la psychanalyse de Freud et de ses disciples. Charles Mauron veut tenter
d'objectiver les données des textes littéraires pour que les
critiques ne travaillent plus seulement à l'intuition, mais qu'ils
tiennent compte de l'apport des sciences contemporaines et essentiellement de
la psychologie freudienne. En effet, la psychocritique accroît «
notre intelligence des textes littéraires en y discernant d'abord,
pour les étudier ensuite, les relations dont la source doit être
raisonnablement recherchée dans la personnalité inconsciente de
l'auteur, faute de la pouvoir trouver dans sa volonté ou dans le
hasard.»73 En plus, le poète ou l'écrivain,
en écrivant, n'est pas conscient des mots répétés
ou des mots qui reviennent de façon récurrente sous sa plume dans
son texte74. Aussi, selon Charles Mauron, un texte est l'expression
de l'inconscient. Autrement dit, l'acte littéraire est
considéré comme l'expression inconsciente d'un désir
refoulé75, voire la pensée claire et consciente d'un
auteur. L'oeuvre littéraire est également toute une pensée
qui appartient à l'inconscient. Celui-ci est largement à l'oeuvre
dans le texte tout en échappant à l'auteur. L'auteur est dans son
texte bien plus qu'il ne le pense. Cet inconscient qui renvoie au vécu
de l'auteur ne parle pas de façon claire. Sa méthode a pour but
de faire réfléchir sur ce que signifie lire un texte
littéraire ? Le texte littéraire est un texte qui dépasse
énormément ce que l'auteur a voulu consciemment écrire.
Car, c'est une projection de toute une partie qui échappe à
l'auteur. La caractéristique de tout texte littéraire est
l'expression d'un inconscient. Une des conséquences est que, pour lire
correctement un texte littéraire, il
72 Léandre SAHIRI, À propos de
« Deuxième épitre à Laurent Gbagbo » de Tiburce
Koffi : les mots utilisés par Tiburce Koffi sont à la limite de
l'injure proférée à l'égard de M. Laurent
Gbagbo, le 19 novembre 2010, disponible sur
www.ivoirebusiness.net/articles/propos-de-«-deuxième-épitre-à-laurent-gbagbo-»-tiburce-koffi-contradictions-et-dérive
73 Charles MAURON, Psychocritique du genre
comique, José Corti, Paris, 1964, p. 141
74 Charles MAURON, Des métaphores
obsédantes aux mythes personnels, op.cit., p. 80 : «
L'écrivain n'a conscience que de leur adaptation à son sujet
actuel. Il ignore l'origine profonde et personnelle de leur
répétition ».
75 Allusion à Sigmund Freud.
21
faut le décoder, car l'inconscient ne s'exprime pas de
façon claire, il parle par symbole, par image : tout un langage secret ;
il faut une méthode adaptée, car on fait plus qu'une simple
lecture. Et la méthode adaptée n'est pas sans lien avec celle
utilisée par un psychanalyste pour tenter de décoder les
rêves, d'où la proposition de la psychocritique,
mise en vedette dans son livre phare Des métaphores
obsédantes au mythe personnel (1963). Charles Mauron insiste sur le
fait que cette méthode est, avant tout, une méthode de lecture
littéraire pour mieux aimer et comprendre un texte, ce n'est donc pas
l'occasion de psychanalyser un auteur76. La méthode
psychocritique comporte quatre opérations successives : la
superposition de plusieurs textes d'un auteur pour relever
les éléments récurrents ; le
réseau obsédant qui met en évidence le
« mythe personnel » de l'auteur ; le mythe personnel
qui se lit à travers les mots, les expressions,
les images qui reviennent de manière consciente ou inconsciente sous
la plume de l'auteur (les métaphores obsédantes) ;
la biographie de l'auteur qui vient à
point nommé dans un but de contrôle des résultats
acquis...(facultatif). Au fait, « l'interprétation et le
contrôle biographique s'appliquent à des analyses
déjà poussées fort avant. »77
C'est-à-dire on cherche, à travers l'oeuvre du
même écrivain, comment se répètent et se modifient
les réseaux, groupements d'un mot en général, les
structures révélées par la première
opération [...] ; la deuxième opération combine ainsi
l'analyse des thèmes variés avec celle des rêves et de
leurs métamorphoses. Elle aboutit normalement à l'image d'un
mythe personnel ; la troisième opération est la phase de
l'interprétation du réseau obsédant pour mettre en
évidence le mythe personnel de l'auteur ; la dernière
opération vient justifier les résultats acquis par l'étude
de l'oeuvre, c'est une sorte de comparaison avec la vie de
l'écrivain.78 Soyons plus explicite. Pour ce faire, il faut
superposer des textes, d'un même auteur, [très différents
tant par l'époque de rédaction que par le style (roman,
théâtre, poésie...)]. Si on les superpose on voit
apparaître un réseau que l'on ne doit, a priori, pas
attendre ; un réseau qui a une forme obsédante, qui revient
inconsciemment dans toute l'oeuvre. Il s'agit donc de faire
apparaître des éléments qu'on ne voit pas à la
première lecture. Pour Charles Mauron, il ne faut pas se contenter des
réseaux mais les regrouper entre eux afin de former des associations
complexes pour dessiner une figure, appelée métaphore
obsédante. On les voit donc apparaître. Elles expriment des
situations dramatiques (elles jouent une histoire) à qui on donne le nom
« mythe ». Un mythe est une structure poétique, une
histoire poétique qui dit de manière
76 Charles MAURON, Des métaphores
obsédantes aux mythes personnels, op. cit, p. 25
77 Idem., p. 32
78.Charles MAURON, Psychocritique du genre du
comique, José Corti, Paris, 1964, p. 142. Il résume
les différentes opérations qui composent la méthode de la
psychocritique.
22
symbolique une vérité profonde, et il est
personnel, propre à chaque écrivain. Chez Charles Mauron, ce
mythe est appelé Mythe Personnel. Nous disons de ce mythe qu'il
« est l'image que l'écrivain se construit de façon
inconsciente dans son oeuvre ou dans son texte, et qui permet de saisir sa
personnalité (qui laisse transparaître la nature de sa personne)
»79. C'est l'histoire que raconte la structure de son
inconscient, mieux « le phantasme le plus fréquent chez un
écrivain ou mieux encore l'image qui résiste à la
superposition de ses oeuvres »80. Mais, cette histoire est
racontée de manière imagée. Repérer le mythe
personnel, revient à repérer quelle histoire jouent les figures
et ce qu'elles signifient. Grâce à elles, on pourrait suivre les
étapes d'un mythe et d'un drame personnel. Les figures sont
révélatrices du drame originel de l'écrivain et de la
manière dont il a vécu ce drame au cours de sa vie. Ce mythe
évolue dans le temps et raconte comment l'écrivain a
été peu à peu débordé par son drame. La
méthode de Charles Mauron ne commence pas par l'étude de la
biographie mais se termine par son étude. La vie de l'écrivain
n'est là que pour vérifier ce qui a été traduit par
l'analyse des textes. Il s'agit de confronter le texte à la biographie
après son étude. La psychocritique se veut donc une critique
littéraire, scientifique, partielle et non réductrice.
Littéraire, car ses recherches sont fondées essentiellement sur
les textes ; scientifique, de par son point de départ (les
théories de Freud et de ses disciples) et de par sa méthode
empirique (Mauron se sert de la méthode expérimentale de Claude
Bernard) ; partielle, puisqu'elle se limite à chercher la structure du
phantasme inconscient. L'écrivain parle, raconte les
évènements de sa vie et ses impressions présents, se
plaint, confesse ses désirs et ses émotions. Le psychocritique
s'applique à diriger la marche des idées de l'écrivain en
leur donnant des explications81. En d'autres termes, la
psychocritique a pour but de découvrir les motivations psychologiques
inconscientes d'un individu, à travers ses écrits ou ses
propos.
Notons, à cet effet, que l'oeuvre n'est ni un
énoncé exclusivement conscient ni une réflexion
entièrement inconsciente. Elle se situe entre ces deux aspects. Sa
dimension inconsciente vaut autant que le texte consciencieusement
élaboré, même s'il faut admettre, cependant, que
l'inconscient de l'oeuvre littéraire n'est pas le socle d'une oeuvre
littéraire. Celui-ci (l'inconscient) s'interprète comme
étant le feu intérieur qui trahit la pensée de
l'écrivain. C'est ce feu intérieur - dont les traces
sont perceptibles dans la poésie de Léopold Sédar Senghor
- qui nous intéresse afin de mettre au jour les éléments
de réponse ou les motivations qui ont
79 Adou BOUATENIN, La poétique de la
Francophonie dans deux poèmes de Senghor : `' Que m'accompagnent Koras
et Balafong» et `'Chaka», op. cit., p. 78
80 Charles MAURON, Des métaphores
obsédantes au Mythes personnel, op. cit, pp. 211-212
81 Référence à Sigmund Freud,
Introduction à la psychanalyse, Paris, Édition du groupe
« Ebooks libres et gratuits », 28 novembre, 2003, p. 14
23
préludé au concept de Francophonie. Charles
Mauron n'affirme-t-il pas que la psychocritique offre l'avantage d'«
explorer une certaine profondeur de l'hinterland
inconscient»82 ? Car, la découverte de
réseaux d'« associations d'idées obsédantes
»83 dans notre corpus traduit la présence d'une
pensée consciente qui véhicule une réalité
intérieure. Cette réalité intérieure semble, chez
Senghor, le concept de Francophonie. Et le psychocritique, pour sa part, ne
perd pas les textes de vue, car « il s'est promis d'en accroître
l'intelligence et ne réussira que si son effort y rencontre celui des
autres disciplines critiques »84, telle que la
théorie de la subjectivité de Catherine
Kerbrat-Orecchioni85. Pour y parvenir, nous convoquerons, par
moment, cette théorie86.
La psychocritique, parce que l'étude du mythe personnel
permet de comprendre l'oeuvre et l'écrivain. Au fait, la connaissance
essentielle de l'oeuvre littéraire échappe à
l'enquête scientifique87, car elle relève de la
psyché de l'écrivain, comme une manifestation à la fois
consciente et inconsciente de la personnalité de celui-ci. En
écrivant, une grande partie de ce que l'écrivain exprime lui
échappe ; elle est souterraine et voilée. Pour
l'appréhender, il faut comprendre la psyché de l'écrivain.
Or cette psyché est mise à découvert dans son oeuvre.
Ainsi, pour lire la Francophonie chez Senghor revient à
appréhender sa psyché dans son oeuvre afin de mettre en
lumière sa conception de la Francophonie ; puisque « la
création d'une oeuvre est un acte psychique. »88
Une méthode comme la psychocritique est nécessaire dans notre
étude pour comprendre Senghor sur la question de la Francophonie au
travers de sa poésie.
La poésie de Léopold Sédar Senghor se
résume à ses oeuvres poétiques, pour ainsi dire, à
ses huit (08) recueils de poèmes, à savoir Chants d'ombre
(1945), Hosties noires (1948), Éthiopiques
(1956), Nocturnes (1961), Lettres d'hivernage (1972),
Élégies majeurs (1979) Poèmes divers
(1990), et Poèmes perdus (1990). Nous avons choisi de
travailler sur Chants d'ombre, Hosties noires,
Éthiopiques, Nocturnes et Lettres d'hivernage
publiés en un seul
82 Charles MAURON, Des métaphores
obsédantes au Mythes personnel, op. cit, p. 30.
83 Idem, pp. 10-11.
84 Ibidem, p. 25
85 Catherine KERBRAT-ORECCHIONI,
L'énonciation : de la subjectivité dans le langage,
Paris, Armand-Colin, 1997 (Nous allons expliquer cette théorie dans
l'introduction de la deuxième partie du travail.)
86 C'est dire qu'il existe une
complémentarité entre la théorie de l'énonciation
et la psychocritique. En effet, il faut un relevé de mots d'abord, une
analyse ensuite de ces termes et une interprétation enfin ; telle est la
démarche des deux théories mises en évidence dans notre
étude. Cependant à propos de la psychocritique, la phase de
l'interprétation fait appel à la biographie de l'auteur, en guise
de vérification. Cette complémentarité réside dans
le fait que dans tout énoncé, le sujet-parlant ou le
sujet-écrivant qui assume la communication laisse dans ses
énoncés des marques susceptibles de montrer sa
subjectivité et sa personnalité, de façon volontaire ou
involontaire. (Adou BOUATENIN, L'introduction de son mémoire, in La
poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor : «
Que m'accompagnent Koras et Balafong » et « Chaka »,
op.cit.)
87 Charles MAURON, Des métaphores
obsédantes au Mythes personnel, op. cit., p. 12
88 Idem., p. 270
24
volume aux éditions Seuils (1964 et 1973) sous le titre
Poèmes. Cela ne signifie pas que les trois autres recueils ne
seront pas étudiés. C'est toute la poésie de Senghor qui
fera l'objet de notre analyse. Senghor considère
Élégies majeures, Poèmes perdus et
Poèmes divers89 comme « un souffle de
jeunesse »90. Si nous avons choisi tous ces recueils,
c'est parce que nous estimons que peu de critiques ont véritablement
entrepris d'étudier le concept de Francophonie à travers eux. Il
faut donc aller chercher le sens, l'expression du concept de Francophonie dans
ses poèmes.
Chants d'ombre est un recueil constitué de
vingt-cinq (25) poèmes. « [Qu'ils] soient autobiographiques ou
non, [...] »91, ils traduisent les états
d'âme d'un être écartelé entre l'Afrique et l'Europe
qui cherche à trouver l'attitude la plus appropriée à
adopter dans son royaume d'enfance. La structure de Chants d'ombre est
: Souillure (perte de sa valeur africaine/Guerre/Mort) -- Exaltation du
royaume d'enfance (Retour aux sources) -- Purification (initiation aux rites
africaines)--Ambassadeur du peuple noir -- L'avènement d'un nouveau
monde (Ouverture/Civilisation de l'Universel). C'est la raison pour
laquelle, Papa Samba Diop dira « ce qui prévaut dans Chants
d'ombre, c'est l'indécision de l'homme de Lettres doublé d'un
homme politique. Entre l'Afrique et l'Europe, son coeur balance. Il appartient
aux deux continents, aux deux types de cultures.»92. Nous
pouvons dire qu'à travers Chants d'ombre le poète
s'enracine pour être l'ambassadeur de son peuple. Pour cela, il doit
évacuer la guerre, la colonisation, l'esclavage et la haine pour pouvoir
mieux dialoguer avec l'autre. Quant à Hosties noires, ce sont
vingt (20) poèmes dont la majorité retrace l'expérience
douloureuse du poète de la guerre. À travers ces poèmes,
le poète montre que les « Noirs [sont] utilisés comme
des chairs à canon »93 dont « l'immolation
s'est faite sur l'autel des intérêts de l'Europe
»94. Sa structure est la suivante : Sacrifice
(Guerre/Traite négrière/ colonisation)--L'Europe
blâmée -- Éloge de l'Afrique--L'Europe pardonnée --
Invitation à la fraternité (fraterniser avec ses bourreaux, ses
ennemis d'hier) -- L'avènement d'un nouveau monde (la Civilisation de
l'Universel). À propos de cette oeuvre, Adama Ndao affirme
que « le poète y dénonce le spectacle écoeurant
des Noirs utilisés comme des chairs à canon. [...] Il va quand
même essayer de concilier deux extrêmes : l'Afrique et l'Europe.
[...] Et on comprend pourquoi Senghor fait une appropriation en donnant
89 Ces trois recueils seront ceux de OEuvre
poétique de Senghor, Éditions du Seuil, 1990
90 Léopold Sédar SENGHOR, Introduction,
OEuvre poétique, Éditions du Seuil, 1990
91 Papa Samba DIOP, Léopold Sédar
Senghor : Poésie, étude critique, Paris, Éditions
Champion, 2015, p. 35
92 Idem., p. 35
93 Adama NDAO, Étude de Hosties
noires, disponible sur
www.lireunlivreplaisir.blogspot.com/2008/04/etude-de-hosties-noires-1948.html?m=1
94 Papa Samba DIOP, op. cit., p. 36
25
à l'hostie une couleur noire, surtout pour
signifier le sacrifice des Noirs durant la guerre pour le salut de
l'Europe. »95 Avec Hosties noires, Léopold
Sédar Senghor chante les tirailleurs morts pour la France en invitant
l'Afrique à pardonner à l'Europe pour s'ouvrir au dialogue des
cultures. S'agissant d'Éthiopiques, ce recueil de vingt-deux
(22) poèmes, met en évidence la restauration de la culture
négro-africaine ouverte à d'autres cultures. Senghor cherche,
à travers ce recueil, « à montrer que l'identité
noire qu'il revendique se situe à la jointure de différentes
civilisations : européenne, hébraïque et arabe, et incarne
cette manière les prémisses d'une civilisation universelle.
»96 Ce recueil peut se structurer de la façon
suivante : Lutte (un choix à faire) - Éloge de la France (la
langue française) - Amour de l'Afrique (la culture africaine) -
L'harmonie/L'unification (la langue française au service de la culture
africaine) - L'avènement d'un nouveau monde (la Civilisation de
l'Universel). À travers ce recueil, Senghor se fait annonciateur et
ambassadeur du peuple noir, et d'une renaissance prochaine de la culture
africaine qui va à la rencontre d'un monde nouveau. Nocturnes
est un recueil de sept (7) poèmes qui parle de l'amour et qui
dénonce parfois la guerre. Le poète a l'insomnie, alors pour
s'occuper dans son état d'éveil, il se met à écrire
ses chants d'amour tout en se rappelant son royaume d'enfance, et parfois la
guerre ou la lutte d'émancipation pour la liberté et
l'égalité. La structure de Nocturnes se présente
ainsi : Insomnie (fatigué des éloges) - Rappel des
réalités africaines et de l'univers - Souvenir du royaume
d'enfance (ses amours d'adolescent) - Critique de l'Occident (monotonie/
routine en Europe/ guerre) - Éloge de l'Afrique (culture
diversifiée) - Invitation à la lutte (pour la liberté des
Noirs et l'égalité entre les hommes). Au sujet de ce
recueil, Adama Ndao affirme qu' « à travers Nocturnes, Senghor
revit et fait revivre les réalités africaines et parfois
mêmes les réalités de l'univers, en insistant sur la
culture et l'histoire. Mais ce qui domine dans ce recueil, c'est l'éloge
de la beauté, et la beauté de la fille noire, ?la signare?, le
sopè. »97 Le dernier recueil à
présenter est Lettres d'hivernage. « Ce sont trente
(30) poèmes où le poète, au Sénégal, fait
part à la femme aimée, et dont il est momentanément
séparé, de ses angoisses et de sa peine à vivre.
»98 Pour le poète, ce sont des mauvais jours
passés loin de sa bien-aimée. Et les poèmes, bien
qu'exprimant l'angoisse, proclament la foi en amour, ce sentiment qui
transcende les haines entre races et cultures pour illuminer les jours sombres
vécus par le poète. La structure de Lettres d'hivernage
est la
95 Adama NDAO, op. cit.
96 Anne-Lisse GALLAY, Le style de Senghor : le cas
d'Éthiopiques, disponible sur
www.academia.edu/961910/Le_style_de_Senghor_le_Cas_dEthiopiques
97 Adama NDAO, Étude de Nocturnes (1961) de
Léopold Sédar Senghor, disponible sur
www.lireunlivreplaisir.blogspot.com/2008/04/étude-de-nocturnes-1961-de-lopold-sdar.html?m=1
98 Papa Samba DIOP, Léopold Sédar
Senghor : Poésie, op. cit. p. 68
26
suivante : Angoisse (absence de la bien-aimée) --
Rappel des jours heureux -- Chante l'Afrique -- Chante l'amour--Espoir.
Papa Samba Diop affirme que « le recueil des Lettres d'hivernage se
ferme sur une note d'espoir. Le poète, au bout de l'épreuve de
l'attente, et comme arrivé à la fin de la mauvaise saison,
ressent comme une présence sensuelle les retrouvailles avec la femme
aimée, moments d'exaltations qu'il appelle de tous ses voeux.
»99
Nous constatons qu'à travers les recueils de notre
corpus, la « ?Civilisation de l'Universel? est l'Absolu
recherché dans [l'] oeuvre poétique »100 de
Léopold Sédar Senghor. La Civilisation de l'Universel est de
gérer nos différences, de connaître nous-mêmes, de
nous enraciner pour aller vers les autres. Si Senghor oriente son oeuvre
poétique vers l'Afrique, il propose également des ouvertures dans
lesquelles la question de la culture est posée, du dépassement
des différences pour atteindre une symbiose est de mise. D'où
l'intérêt de faire une relecture de ses oeuvres poétiques
afin de saisir la Francophonie, l'expression de cette symbiose, car, «
comme il [Senghor] l'a souvent déclaré, l'essentiel, ce sont
ses poèmes. [...] Ils sont portés par l'espoir de créer
une Civilisation de l'Universel, fédérant les traditions
par-delà leurs différences. »101 Nous
estimons qu'il existe bel et bien « une théorie
d'éléments [définitionnels] de l'idéologie
»102 de la Francophonie exposée dans les oeuvres de
notre corpus, c'est-à-dire les oeuvres de Léopold Sédar
Senghor.
Une telle démarche n'est point aisée sachant
bien que Léopold Sédar Senghor et ses oeuvres poétiques
ont été étudiés, et surtout celui de la
Francophonie. À propos de la Francophonie, Patrick Sultan donne cet
avertissement : « Cette attitude suppose un rigoureux travail
d'analyse conceptuelle car la notion de la francophonie a été
à ce point exploitée à des fins
politiques/idéologiques et se trouve si chargée de significations
ambivalentes que l'on pourrait céder à la tentation, à
moins que ce ne soit à la faiblesse, de renoncer à en user comme
outil d'analyse littéraire »103. La pléthore
d'études sur Léopold Sédar Senghor, ses oeuvres
poétiques et sur la Francophonie nous ont mis dans l'embarras du choix
du sujet104. Embarras qui se justifie par la peur de n'avoir rien
à dire sur Léopold Sédar Senghor, sur ses oeuvres
99 Idem, pp. 68-69
100 Anne-Lisse GALLAY, Le style de Senghor : cas
d'Éthiopiques, op. cit.
101 Encyclopédie Larousse, article sur Senghor
102 Sana CAMARA, « Aimé Césaire et
Léopold Sédar Senghor face à l'historicité
nègre », Éthiopiques, numéro spécial,
hommage à Aimé Césaire, 2ème semestre
2009, p. 179
103 Patrick SULTAN, « La Francophonie littéraire
à l'épreuve de la théorie », compte-rendu de l'oeuvre
Jean-Marc Moura, Littératures francophones et théories
postcoloniales.
104 À ce propos, Abdoulaye DIAWARA dit qu' «
entreprendre l'étude d'une oeuvre de Senghor, c'est s'engager sur un
terrain glissant. », extrait de son mémoire de Maitrise, Le
thème de l'unité dans l'oeuvre poétique de L. S.
Senghor, Université de Côte d'Ivoire, Faculté des
lettres et Sciences Humaines, juin 1981, [sous la direction de Bernard Zadi
Zaourou], p. 32
27
poétiques et sur la Francophonie, voire d'être
pris au piège du pâle imitateur qui ne cherche pas à
innover. Cette peur se justifie, aussi, du fait que « la
réalité de la Francophonie n'est pas si simple. En effet, les
discours sur la Francophonie nous disent une chose, mais du mot à
l'idée en passant par le vécu désigné par le mot,
le chemin est bien long, périlleux et fracturé
»105 au risque de dire des contresens. Il y'a,
également, le fait qu'en poésie, les thèmes
spécifiques, tels que la métrique, la prosodie, les rythmes, les
rimes, la sonorité, ont été épuisés par les
études antérieures, à telle enseigne que nous ne pouvons
pas nous y aventurer sans faire une réécriture. Il fallait nous
focaliser sur un sujet innovant. Vu qu'aucune étude n'a
été faite, véritablement, sur la Francophonie dans les
oeuvres poétique de Léopold Sédar Senghor106,
nous avons jugé nécessaire de nous y aventurer, bien que le
chemin soit périlleux et que la Francophonie apparaisse « comme
un sujet extrêmement piégeux »107.
L'étude s'articule autour de trois parties. Dans la
première partie, intitulée « La Francophonie sauvée
de ses cendres », nous essayons de comprendre la Francophonie
d'Onésime Reclus, de Léopold Sédar Senghor sans oublier
celle de la revue Esprit. C'est à partir de la genèse de
la Francophonie et des pères fondateurs que nous devons mieux expliciter
les caractéristiques de la Francophonie. Trois chapitres pour cerner la
Francophonie dans sa globalité. En effet, le premier chapitre
ébauche la Francophonie d'Onésime Reclus et celle de la revue
Esprit. Il est question de mettre en évidence la conception
reclusienne de la Francophonie et de voir dans quel contexte elle a
été engendrée pour mieux comprendre la définition
qu'il a eu à donner. Après celle d'Onésime Reclus, vient
celle de la revue Esprit. Avec la revue, une définition de la
Francophonie à partir des auteurs qui ont participé à son
élaboration, à l'exception de Léopold Sédar
Senghor, est retenue. Notre volonté d'appréhender la
définition que les auteurs de la revue ont donnée à la
Francophonie nous permet de mettre à nu les raisons qui les ont
amenés à proposer la Francophonie. Le deuxième chapitre
met en relief « Léopold Sédar Senghor et la Francophonie
». Dans ce chapitre, nous étudions la conception senghorienne de la
Francophonie, l'exaltation de la Négritude par la Francophonie. Ce
chapitre nous permet de comprendre que la Francophonie senghorienne est
influencée par la Francité, les idéaux de la
Communauté française et la Négritude. Mieux, ce chapitre
révèle que la langue française est susceptible d'exprimer
les valeurs négro-africaines sans pour autant les altérer ni leur
faire perdre leur identité culturelle. Quant au troisième
chapitre, nous l'avons
105 Tanella BONI, « La Francophonie, espace et temps de
partage ? », 16 février 2010, disponible sur
www.tanellaboni.net/?p=75
106 Adou BOUATENIN, La poétique de la
Francophonie, op. cit., p.11
107 Alice GOHENEIX, « Les élites africaines et la
langue française : une approche controversée »,
Documents pour l'histoire du français langue étrangère
ou seconde, disponible sur
www.dhfles.revues.org/117
28
intitulé « La Francophonie en débat ».
Dans ce dernier chapitre, nous voyons que la Francophonie est un concept
d'enracinement et d'ouverture, et une notion de dialogue des cultures. Nous
interrogeons à nouveau la Francophonie reclusienne et senghorienne afin
d'avoir des éléments de réponse de cette
problématique. Avant d'entamer la trame même de ce chapitre, nous
allons dire ce à quoi la culture renvoie. Cette première partie,
nous instruit que la Francophonie est le fait de personnes nostalgiques du
passé glorieux de la langue française, et résignées
à accepter ce que l'histoire a fait d'elles tout en y intégrant
le peu de ce qui leur reste comme culture d'origine. À la suite de la
première partie, qui est une analyse diachronique et synchronique, nous
consacrons la deuxième partie à l'étude de la Francophonie
dans les oeuvres de celui qui l'a le plus plébiscitée.
Dans la deuxième partie, intitulée « La
Francophonie dans la poésie de Léopold Sédar Senghor
», il est question de chercher les raisons latentes de
l'élaboration de la Francophonie dans la poésie senghorienne.
Mieux, il s'agit de déceler les motivations inconscientes qui ont
amené Senghor à la Francophonie. Trois chapitres,
également, pour étudier de façon minutieuse la
Francophonie senghorienne à la lumière de la psychocritique de
Charles Mauron. Le premier chapitre permet de montrer que la Francophonie, un
projet conçu par Léopold Sédar Senghor, est due à
une filiation historique avec la France par le biais de la colonisation et de
l'instruction occidentale. Il y a, aussi, la participation de l'Afrique aux
guerres mondiales, considérée par le poète Senghor comme
le sacrifice de l'Afrique pour l'Europe. Cette participation africaine a
influencé Senghor dans la conception de la Francophonie. Pour lui, la
guerre a permis de comprendre que tous les hommes sont égaux ; pour
cela, il est indispensable d'unir les forces et les valeurs pour une
communauté plus fraternelle. Pour y arriver, l'Afrique doit pardonner
à ses bourreaux, ses ennemis d'hier et faire d'eux des complices. Le
deuxième chapitre de cette partie aborde la question de choix
opéré par Léopold Sédar Senghor. Il débute
par le choix de la langue française. Selon Senghor, le français
est une langue flexible et subtile par sa grammaire et son riche vocabulaire.
Cependant, il estime que cette langue doit se greffer aux langues africaines :
d'où le français africanisé. Le français
africanisé n'est rien d'autre que, peut-être, une diglossie
linguistique, voire une sorte de langue métissée. Malgré
tout, Senghor demeure un Africain, et aucun doute que son choix final soit
porté sur le peuple africain. En fait, il choisit d'être
l'ambassadeur du peuple noir et de le défendre au sein de la
communauté qu'il envisage de créer avec la France et tout autre
pays désirant y faire partie. Dans le troisième chapitre, la
renaissance des valeurs culturelles africaines et l'ouverture culturelle sont
les points qui à étudier. Pour Senghor, la communauté
envisagée a pour mission de valoriser la culture africaine, une culture
caractérisée par la danse, les chants, la poésie
enseignée par les poétesses
29
et les griots de son royaume d'enfance. Cela aboutit à
l'ouverture culturelle et à la Civilisation de l'Universel, car c'est la
culture que l'Afrique peut apporter au monde technique occidental. Dans ce
chapitre, nous voyons que Senghor invite les hommes à vivre
l'unité dans la diversité, en mettant au-devant de la
scène la Francophonie qui est son projet latent et obsessionnel. Ce
projet intériorisé est à extérioriser. De ce fait,
il faut, auparavant, affirmer que les motivations de la conceptualisation de la
Francophonie se trouvent dans la poésie senghorienne,
c'est-à-dire la poésie senghorienne est le manifeste de la
Francophonie. Par ailleurs, le faisant nous mettons à nu les raisons qui
ont amené Senghor à la Francophonie. Ces raisons sont de trois
ordres : les faits historiques, les raisons personnelles et les raisons
culturelles. Les trois raisons révèlent, cependant, que la
Francophonie est une problématique identitaire chez lui.
Dans la troisième partie, nous partons d'une
réflexion sur la problématique de l'identité chez Senghor
en vue de proposer une poétique de la Francophonie. Quatre chapitres
charpentent cette partie. Les trois premiers abordent la question identitaire
de Léopold Sédar Senghor, et le dernier chapitre, quant à
lui, permet de définir la poésie francophone. En effet, dans le
premier chapitre, nous parlons de la quête d'une identité
rhizomique chez Senghor. Pour lui, il n'y a aucun doute, il est un métis
parce qu'il a un ancêtre portugais et qu'en lui coulent des sangs
mêlés. La quête rhizomique le conduit donc à se
constituer une identité. Cependant, l'on observe chez lui une
identité de l'entre-deux et une identité acculturée. Le
chapitre deux met cette identité constituée de Léopold
Sédar Senghor en évidence. Nous voyons dans ce chapitre que
Senghor est, à la fois, Africain et Français. Pour cette raison,
il doit s'acculturer, c'est-à-dire adopter une nouvelle identité
et une nouvelle culture. La nouvelle identité est mise en
évidence dans le chapitre trois. Dans ce chapitre, nous élucidons
l'identité francophone de Léopold Sédar Senghor. Une
identité qui se saisit à partir de l'amour qu'il éprouve
pour son prochain et de son combat pour la valorisation des cultures. Le
chapitre trois révèle ce qui fait ou constitue l'identité
francophone. L'identité francophone de Léopold Sédar
Senghor s'appréhende au travers de son humanisme et sa double culture,
exprimés dans un français africanisé. Ce chapitre met,
également, en évidence les caractéristiques de
l'identité francophone, mieux présente les critères qui
définissent l'identité francophone de chaque parlant
français. Dans cette partie, nous cherchons aussi à cerner les
contours de la poésie francophone, voire construire une poétique
de la poésie francophone à partir de Senghor. Le quatrième
chapitre aborde donc la question de la définition de la poésie
francophone en donnant les contours et les caractéristiques de cette
poésie. Nous voulons savoir ce qui fonde réellement la
poésie francophone selon Senghor. Nous savons que des critiques
littéraires ont tenté d'appréhender la littérature
francophone. Ce chapitre vient corroborer ces études en y donnant
30
quelques éléments de réponses à
travers la poésie senghorienne. Le dernier chapitre permet aux
chercheurs ou aux critiques littéraires d'avoir les outils
théoriques pour étudier la poésie francophone. Dans la
définition de la poésie francophone, il faut, peut-être,
tenir compte des caractéristiques de métissage, de culture et de
la fraternité universelle au niveau du thème, de
l'écriture, de la langue et de l'image de soi. Nous retenons que la
Francophonie est un concept répondant à la problématique
identitaire des parlants français, et décelable dans les oeuvres
littéraires, en général, et dans la poésie, en
particulier. Ce qui amène à dire que la Francophonie est chez
Senghor l'expression de son identité.
À la conclusion de l'étude (de la thèse),
le mythe personnel de Léopold Sédar Senghor est
présenté afin d'avoir une idée claire de l'identité
francophone, et de la poésie francophone. Il faut noter d'ailleurs que
cette présente étude offre des pistes de recherche pour
(re)penser la Francophonie.
PARTIE I :
LA FRANCOPHONIE, UN CONCEPT SAUVÉ DE SES
CENDRES
32
Deux noms sont à retenir dans l'histoire de la
Francophonie, celui d'Onésime Reclus et celui de Léopold
Sédar Senghor. Le premier est un géographe français, et le
second un homme de lettre et un homme politique africain. Le premier à
avoir employé le terme de Francophonie est, bien sûr,
Onésime Reclus, dans son oeuvre France, Algérie et
colonies. Avec Onésime Reclus, nous sommes dans un contexte
colonial comme l'affirme Luc Pinhas : « Le premier auteur à les
employer (Francophone/Francophonie) semble être le géographe
Onésime Reclus (1837-1916), frère méconnu
d'Élisée Reclus, dans une oeuvre largement consacrée
à une réflexion sur le développement du Second Empire
colonial français et sur les moyens pour la France de retrouver une
grandeur menacée après la défaite de Sedan et la perte de
l'Alsace-Lorraine »108. C'est pourquoi, ajoute-t-il,
« La Francophonie est fille de la doctrine coloniale
»109. À en croire Jean-Jacques Konadjé,
« Onésime Reclus a toujours prôné l'expansion
coloniale française tournée vers l'Afrique
»110. En effet, il est « [...j un fervent
défenseur de l'expansion coloniale française. Le destin de la
France le préoccupe, son déclin l'inquiète
»111. La solution qu'il propose est un projet d'expansion
coloniale à visée impérialiste de la France vers
l'Afrique, car « l'Afrique, elle, a ces avantages : elle est proche,
immense, riche en hommes et en matières premières et ?elle ouvre
à la France un champ sans limite? »112.
L'idée de l'expansion coloniale est indissociable de la Francophonie
d'Onésime Reclus. Le titre de son autre livre est
révélateur et justificatif : Lâchons l'Asie, prenons
l'Afrique.113
La troisième République française est
fragilisée : capture de Napoléon, capitulation de Paris, perte de
l'Alsace-Lorraine en 1871, Waterloo et Sédan un mauvais souvenir, une
défaite face à la Chine en Indochine, la chute du gouvernement de
Jules Ferry le 30 mars 1885 ; la France a du mal à se retrouver. Ce
n'est plus la prestigieuse France, elle perd également son rayonnement,
et sa langue recule dans le monde laissant la place à
l'Anglais114. Face à ce déclin, que pouvait faire la
France ? Sur quoi devrait-elle miser pour préserver son image et son
rayonnement ? Et dans le souci d'une taxinomie des populations par les langues
les plus parlées dans le monde, Onésime Reclus constate que, par
le biais de la langue, les pays peuvent se
108 Luc PINHAS, « Aux origines du discours francophone
», Communication et langage, p. 69, disponible sur
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500è2004_num_140_1_3270
109 Idem, p. 72
110 Jean-Jacques KONADJÉ, « La Francophonie : un
néologisme inventée par Onésime Reclus », disponible
sur
http://afriessence.canalblog.com/archives/2006/12/07/3368831.html
111 Abdillahi AOULED, « Francophonie : un mot, une
histoire... », La Nation, 1er Quotidien Djibboutien,
op. cit.
112 Idem
113 Onésime RECLUS, Lâchons l'Asie, prenons
l'Afrique, Paris, Librairie Universelle, 1904, 304 p.
114 Nous y reviendrons au chapitre I de cette partie, à la
p. 46
33
maintenir et survivre115. Ainsi, il propose
à la France d'user de sa langue pour retrouver son rang, son rayonnement
dans le monde116, parce que le français « est une
langue policée »117. La vraie raison est
donnée par Luc Pinhas. Selon lui,
la persistance du rayonnement de la langue française,
lyrique de la raison et langue de l'?universel?, en dépend car les
idiomes trop peu parlés céderont demain le terrain aux langues
?utiles?, estime-t-il, tant il est persuadé de l'importance du facteur
démographique dans le devenir des équilibres géopolitiques
et linguistiques. C'est dans ce contexte et dans ce dessein que Reclus forge le
terme de ?francophonie? et se lance durant près de quarante ans dans une
comptabilisation infatigable des ?francophones?, et non avec une
véritable volonté d'établir grâce au français
un dialogue des cultures, comme certains le laissent aujourd'hui à
penser.118
L'expansion coloniale a, sans doute, donné naissance
à la première Francophonie, celle d'Onésime Reclus.
N'était-il pas dans le souci de pérenniser la langue
française qu'Onésime Reclus forgea le terme de Francophonie
?119
« Apparu en 1880 sous la plume du géographe
Onésime Reclus pour décrire la communauté linguistique et
culturelle que la France constituait avec ses colonies, la Francophonie s'est
aujourd'hui affranchie de cette connotation coloniale [...]
»120 grâce à Léopold Sédar
Senghor. La Francophonie d'Onésime Reclus s'est plongée dans
l'oubli avant d'être ressuscitée dans les années 1960,
marquée par la décolonisation et l'émancipation de
plusieurs nations africaines. Et, dans ce contexte qu'une autre Francophonie
voit le jour. En effet, « si le terme lui-même de francophonie
(avec une initiale minuscule) a été inventé en 1880 par le
géographe français Onésime Reclus et fut plus tard
oublié (il n'est réapparu [...] qu'en 1962) [...] Il appartient
à Léopold Sédar Senghor, poète et homme
d'État [...] »121 d'être le
réinventeur d'une nouvelle Francophonie (à la fois avec une
initiale minuscule et majuscule, selon le sens ou le contexte que l'on
l'emploie). Ce fut, surtout, dans la revue Esprit à laquelle
ont participé Camille Bourniquel, Jean-Marie Domenach, Jean-Marc
Léger et Léopold Sédar
115 « C'est à travers notre langue que nous
existons dans le monde autrement qu'un pays parmi d'autres », Georges
Pompidou, cité par Xavier DENIAU, op. cit. p. 22
116 À ce propos, Xavier DENIAU affirme que « La
langue française, [...], est le bien commun de tous ceux qui la parlent
et nous aurions tort d'enfermer sa défense et son illustration dans les
limites de la France. », (Il a repris les propos de Valéry
Giscard d'Estaing.), Idem., p.22
117 Onésime RECLUS, France, Algérie et
colonies, p. 422
118 Luc PINHAS, op. cit. pp. 81-82
119 Virginie MARIE affirme : « La Francophonie nait donc
de l'idée d'une classification des habitants de la planète en
tenant compte d'une variable déterminante, celle de la langue
parlée au sein de la famille ou dans un cercle plus élargi aux
relations sociales », « De la Francophonie ?centripète?
à une francophonie périphérique », Alternative
francophone, vol. 1, p. 58
120 Béatrice MAJZA, « La Francophonie, acteur des
relations internationales », Afri, volume VI, 2005, p. 539
121 Vihelmina VITKAUSKIENÈ, « La Francophonie
à la portée de tous : Méthode de Francophonie »,
Vilnus, 2011, p. 20
34
Senghor que le terme de Francophonie a refait
surface122. « Le terme de francophonie, employé par
Onésime Reclus à une époque de colonialisme, restera
latent jusqu'à ce qu'il ressurgisse à l'époque de la
décolonisation. La revue Esprit (...) et son numéro
spécial de 1962 intitulé ?Le français dans le monde? est
ici capitale, dans l'histoire de la notion. Dans ce numéro paraît
l'article de Senghor qui introduit le concept de Francophonie [...]
»123. En effet, « [...] nous ne pouvons pas non
plus séparer le nom de Senghor de la Francophonie tant il avait fait
corps avec l'idée de Francophonie en le défendant avec ferveur et
avec foi »124. Cependant, l'on nous fait croire que la
Francophonie actuelle serait l'apanage des chefs d'État originaires
d'ex-colonies françaises125 : « Cette notion qui a
été initiée par le général De Gaulle doit
son existence actuelle à cinq grandes personnalités que sont : le
Sénégalais Léopold Sédar Senghor, le Tunisien Habib
Bourguiba, le Nigérien Hamani Diori, le Cambodgien Norodom Sihanouk et
le Libanais Charles Hélou, tous originaires d'ex-colonies
françaises »126. À vrai dire, cette
Francophonie dont il s'agit est la Francophonie institutionnelle appelée
autrement Organisation Internationale de la Francophonie (OIF)127.
Néanmoins, nous constatons que la Francophonie actuelle, qu'elle soit
institutionnelle ou concept (celle de la revue Esprit) est
indissociable de Léopold Sédar Senghor128, et «
[f]orce est de constater [aussi] que le terme ?francophonie? est souvent
associé, à tort, à ces réalités
institutionnelles et politiques »129. Il faut replacer
la
122 « Ce sont quelques intellectuels tels que Jean
Pellerin, Marc Léger, Norodom Sihanouk et L. S. Senghor qui le remettent
au goût du jour en 1962 dans un numéro spécial de la revue
Esprit d'octobre-novembre 1962 consacré au français dans le monde
», selon J. Tschinisunguwa TSHISUNGU dans « la conception
senghorienne de la Francophonie »,
Éthiopiques, volume 5 n° 3-4, 1988
123 Béatrice TURPIN, op. cit.
124 René GNALÉGA, « Senghor et la
Francophonie », Éthiopiques, n°69 (Voir aussi son
oeuvre Senghor et la Civilisation de l'Universel, L'Harmattan, 2013,
p. 113).
125 Claire TRÉAN, selon elle, « ce n'est pas, en
effet, par la France qu'a été conçu le projet de
structurer l'ensemble des pays francophones, mais par un groupe de
personnalités dont beaucoup avaient en commun d'avoir été,
justement de grandes figures du mouvement des indépendances dans les
années cinquante et soixante. Ils s'appelaient Léopold
Sédar, Habib Bourguiba, Hamani Diori, Norodom Sihanouk, notamment.
», La Francophonie, Le Cavalier Bleu, 2006, pp. 19-20
126 J. Tshusunguwa TSHISUNGU, op.cit. (voir note 14)
127 Véronique Le MARCHAND confirme notre propos en disant
que « Le terme ? francophonie?, imaginé par un géographe
français au XIX e siècle, s'est enrichi au fil du
temps de significations nouvelles. Sa naissance institutionnelle, la
franophonie la doit à des hommes d'États africains comme
Léopold Sédar Senghor, Habib Bourguiba ou Hamani Diori.
», La Francophonie, Les essentiels de Milan, Toulouse, 1999,
p. 3
128 Selon Philippe LAVODRAMA : « À
l'étranger, on tient Senghor pour le véritable père de la
Francophonie moderne », op. cit., p. 210 (Voir note 4 de
l'introduction générale) ou selon Ibrahim DIOP : « En
effet, le nom de Senghor est quasi indissociable de celui de la Francophonie
à cause de son engagement pour ce concept, qui sous-tendu par son amour
pour la langue française », op. cit. , ou encore,
comme le dit Cécile B.
VIGOUROUX : « Whereas Reclus has been credited with
coining the term, the very idea of la Francophonie has been attributed to
Léopold Sédar Senghor » (Bien que Reclus ait
inventé le mot, l'idée de la Francophonie est attribuée
à Léopold Sédar Senghor), Review in Advance, 2003
:42, p. 381.
129 La Maison de la Francité, « la Francité
». Disponible sur
http://www.maisondelafrancite.be/fr/?ID=9,
consulté le 6 mai 2016
35
Francophonie dans son contexte130. Elle est
née dans un contexte colonial sous la plume d'Onésime Reclus, et
sauvée de ses cendres, comme l'oiseau mythique, le phoenix, par la revue
Esprit, et mise en exergue par Léopold Sédar Senghor
après les indépendances des ex-colonies françaises.
N'est-ce pas pour cette raison que Cécile B. Vigouroux dira «
La Francophonie is not a new excuse for perpetuating French political
influence on its formers exploitation colonies of Africa, especially
»131. Cependant, nombreux sont ceux, comme Bégong-Bodoli
Betina, qui ne sont pas convaincus de cela. Pour eux, la Francophonie actuelle
est néocoloniale : « [a]u regard de tout ce que nous venons de
soulever comme questionnement, il est évident que la Francophonie telle
que celle que nous pratiquons aujourd'hui est une francophonie
néocoloniale »132.
Pour y voir clair, il faut interroger l'oeuvre
d'Onésime Reclus, la revue Esprit et Léopold
Sédar Senghor : Pourquoi Onésime Reclus a-t-il proposé la
Francophonie ? Pour quel intérêt Onésime Reclus, a-t-il
forgé le terme ? Pourquoi la revue Esprit l'a-t-elle fait
resurgir de ses cendres ? Pourquoi Léopold Sédar Senghor, a-t-il
défendu cette Francophonie avec tant de ferveurs ? Quelle est la
particularité de la Francophonie d'Onésime Reclus et celle de
Léopold Sédar Senghor ? De la Francophonie d'Onésime
Reclus à la Francophonie de Léopold Sédar Senghor en
passant par la revue Esprit, quelles en sont les divergences et les
convergences ? Que recouvre donc le concept de Francophonie ? Nous
répondons à ces questions en étudiant, en premier lieu, la
Francophonie d'Onésime Reclus à la revue Esprit. Nous
estimons que la Francophonie d'Onésime est une solution au déclin
de la langue française. Quant à la revue Esprit, la
Francophonie est présentée comme une communauté naissante.
En deuxième lieu, nous mettons en exergue Léopold Sédar
Senghor et la Francophonie. Ce qui permet de voir la conception senghorienne de
la Francophonie, et surtout de savoir que la Francophonie senghorienne est le
renouvèlement de sa Négritude. En dernier lieu, il s'agit du
débat que suscite
130 Nous présentons ici les grandes dates ou
périodes dans l'histoire de la Francophonie. Selon nous, il y a quatre
périodes marquant l'histoire de la Francophonie. Ce sont :
- 1880-1889 : La Francophonie reclusienne (d'Onésime
Reclus),
- 1958-1962 : La Francophonie de la revue Esprit,
- 1962-2000 : La Francophonie senghorienne (de Léopold
Sédar Senghor),
- 1970 à nos jours : La Francophonie institutionnelle (20
mars 1970 : ACCT ; 1995 : le poste de
secrétaire général ; 1999 : AIF ; le 23
novembre 2005 : OIF).
131 Cécile B. VIGOUROUX, « Francophonie »,
op. cit., p. 380 (La Francophonie n'est pas une nouvelle excuse pour
perpétuer l'influence politique française dans l'exploitation de
ses anciennes colonies, spécialement de l'Afrique). Il s'agit de notre
propre traduction.
132 Bégong-Bodoli BETINA, « De la Francophonie
à la ?francofratrie? : un défi de la Francophonie du
XXIème siècle », en ligne], Disponible sur
http://gellugb.over-blog.com/2014/07/de-la-francophonie-a-la-francofratrie-un-defi-de-la-francophonie-du-xxieme-siele-par-begong-bodoli-betina.html;
Consulté le 06 mai 2016, op. cit.
36
le concept de Francophonie. Il est question de savoir si la
Francophonie est, réellement, un concept d'enracinement et d'ouverture
ou simplement une notion de dialogue des cultures.
Nous sommes conscient que « [la] Francophonie n'a pas
toujours bonne presse dans l'hexagone où quelques idées
reçues empêchent d'en percevoir la réalité moderne
et dynamique »133. Les avis sont partagés autour du
concept de Francophonie, lorsqu'il s'agit d'un contexte politique, surtout au
niveau des intellectuels africains, comme le souligne Bégong-Bodoli
Betina : « Bon nombre d'intellectuels africains francophones pensent
que la Francophonie n'est rien d'autre que le projet de la Communauté
française, sous l'angle de la langue. D'autres, par contre, estiment que
la Francophonie représente bien un outil de promotion et
d'intégration des peuples francophones »134.
Cependant, il y a aussi les Français qui ne s'enorgueillissent pas de la
Francophonie. En d'autres mots, beaucoup d'Africains, en général
et de Français, en particulier, ignorent la vraie nature de la
Francophonie. « En effet, pour les Français, la Francophonie
représente les autres parlant français »135
ou « [...] la Francophonie appartient aux autres
»136. Mieux, « Les Français donnent
souvent l'impression d'ignorer qu'ils sont francophones ou, pis, de
mépriser la Francophonie »137. Autrement dit,
« In France, the term Francophonie refers in fact to everybody who
speaks french except the French people themselves.»138
Nous voyons bel et bien que « La Francophonie est parfois
contestée car, pour plusieurs, elle représente encore un vestige
du colonialisme »139. « Il demeure que la
francophonie est vue aujourd'hui comme la continuation de la politique
étrangère de la France par un moyen détourné.
»140, et qu'elle « a une histoire complexe et
équivoque. Dans ses nouveaux atouts à la fois officiels et
militants, elle apparaît aujourd'hui à beaucoup comme
difficilement saisissable. Comme un kaléidoscope déroutant, comme
une aspiration lyrique pour ne pas dire fumeuse, comme une utopie, rien qu'une
utopie. »141 C'est tout à fait normal qu'elle
suscite des débats si elle reste encore un sujet vaste et complexe, et
un champ d'interprétations diverses comme le dit Jean-Marc Léger
: « Le mot francophonie
133 Bernard WALLON, Après demain,
n°480-481-482, Janvier-Février-Mars 2006 (éditorial) ; p.
3
134 Idem, p. 3
135 Jean-Nicolas DE SURMONT, « Pour une
généalogie de la Francophonie institutionnelle : Quelques
éclaircissements », Lenguas Modernas, p. 61
136 Tanella BONI, La francophonie :espace et temps de partage
?. Disponible sur
http://www.tanellaboni.net/?p=75;
op. cit.
137 Jean-Pierre HOSS, « Les Français aussi doivent y
croire », Après Demain, p. 25
138 Cécile B. VIGOUROUX, op. cit., p. 380 (En
France, le terme de Francophonie se réfère, en effet, aux
personnes qui parlent français, excepté les Français
eux-mêmes.)
139 Jean-Nicolas DE SURMONT, op. cit., p. 112
140 Alain MABANCKOU dans une interview que lui ont
accordée Laure GRACIA et Claire JULLIARD le 14 juillet 2007, « La
« littérature-monde» en français : un bien commun en
danger », Figaro, 14 juillet 2007 (interview accordée
à Alain Mabanckou et Daniel Picouly)
141 Jean-Marie BORZEIX, « Notre nouvelle frontière
», Après Demain, p. 15
37
évoque aujourd'hui des notions fort diverses et
parfois contradictoires, aussi bien que des images variées, souvent
confuses ou contrastées. Selon les uns, entreprise utile mais mineure au
regard des problèmes et des mutations de l'époque, efforts
parfaitement vains et dérisoires pour certains qui veulent y voir un
combat d'arrière-garde, utopie somptueuse, enfin, pour d'autres qui y
trouvent prétexte à considérations nobles et
mélancoliques. [...]. Bref, la diversité des motivations, des
interprétations, des objectifs témoigne de l'ampleur de la
confusion à son endroit. »142 Nous ne nous invitons
pas dans ce débat de savoir si elle est néocoloniale ou pas, car
d'autres l'ont déjà fait, en particulier Bégong-Bodoli
Betina et Patrick Sultan143. Ce que nous savons, c'est que «
la résurgence foudroyante du mot ?Francophonie? dans les
années 1960 obéit en fait à une convergence de trois
grands phénomènes historiques : les progrès des moyens de
transport et de transmission, la décolonisation qui donne naissance
à une vingtaine de pays africains indépendants choisissant le
français comme langue officielle, l'affirmation politique des
identités culturelles »144. Depuis cette
revitalisation des années 1960 jusqu'à nos jours, le mot «
Francophonie » a été marqué par une polysémie
qui fait de ce mot un incompris de tous.
Notre analyse consiste, tout simplement, à montrer que
la Francophonie est un concept qui a été repris et
débarrassé de ses objectifs premiers. Faisant fi de sa
connotation coloniale ou néocoloniale, nous essayons de définir
la Francophonie d'Onésime Reclus, bien qu'il eût donné une
définition, et celle de Léopold Sédar Senghor,
au-delà de ses nombreuses définitions qu'il a eu à donner.
Nous partons de la définition d'Onésime Reclus pour arriver au
débat que suscite ce concept.
142 Jean-Marc LÉGER, La Francophonie : grand dessein,
grand ambiguïté, op.cit., Paris, Nathan, 1978, p.
27
143 Patrick SULTAN : « La Francophonie, relayée
par un réseau d'organisations gouvernementales ou associatives, est un
instrument économico-politique au service de la politique de la France
à l'étranger, et l'on peut la concevoir comme un auxiliaire
précieux ou contestable (selon le point de vue) dans la guerre que se
livrent les États au moyen des langues », op. cit.
144 Stélio FARANDJIS, « Repères dans
l'histoire de la Francophonie », op. cit., p. 50
38
CHAPITRE I : LA FRANCOPHONIE,
D'ONÉSIME RECLUS À LA REVUE ESPRIT
On ne cessera de dire que la Francophonie a vu le jour sous la
plume d'Onésime Reclus en 1880 dans son oeuvre France,
Algérie et Colonies. À vrai dire, Onésime Reclus est
le véritable père de la Francophonie. Les raisons et le contexte
qui marquent la naissance du terme « Francophonie » restent encore
flous. Onésime Reclus, à propos de la Francophonie, affirme que
« nous acceptons comme ?francophones? tous ceux qui sont ou semblent
destinés à rester ou à devenir participant de notre langue
[...] Toutefois nous n'englobons pas tous les Belges dans la ?francophonie?,
bien que l'avenir des Flamingants soit vraisemblablement d'être un jour
des Franquillons. »145 Selon la définition
d'Onésime Reclus, la Francophonie est l'ensemble de toutes les personnes
qui parlent français à l'exception des Français et
quelques Belges : « La Francophonie désigne donc à
l'origine tous les pays francophones à l'exception de la France.
»146 Dans un autre ouvrage Onésime Reclus ajoute que
« cette oeuvre consiste à assimiler nos Africains, de quelque
race qu'ils soient, en un peuple ayant notre langue pour langue commune. Car
l'unité du langage entraine peu à peu l'union des
volontés. »147 Onésime Reclus sait aussi que
la langue française est une langue métissée, qu'elle est
« née d'une mère romaine (latine) et d'un père
grec, [qu'] elle est fortement structurée, précise, exacte.
Qu'elle participe de la rigueur latine et subtilité athénienne.
Qu'elle possède une variété syntaxique qui permet de
traduire toutes les nuances de la pensée. [Qu'] elle ne devient floue ou
indécise que si elle a été mal enseignée à
celui qui l'emploie car même l'incertitude en français se traduit
avec netteté »148 et qu'elle a fait des emprunts
à l'arabe, à l'espagnol, à l'italien, à l'anglais,
à l'allemand...
Nous voici situé sur la Francophonie d'Onésime
Reclus. Pour lui, la France fait oeuvre civilisatrice de sa langue,
c'est-à-dire elle donne gratuitement sa langue aux autres ; ce sont
ceux-ci qui forment la Francophonie. Une lecture minutieuse de ses oeuvres
montre que cet
145 Onésime RECLUS, France, Algérie et
Colonies, pp. 405-406 (selon la pagination du fichier PDF).
146 La Maison de la Francité, « la francité
», op. cit.
147 Onésime RECLUS, Un grand destin commence,
Paris, La renaissance du livre, 1917, p. 95
148 Maurice DRUON, « La Francophonie, ce nouveau nom de
l'espérance », Éthiopiques, numéro 50-51,
Nouvelle série, 2ème et 3ème
trimestre 1988, volume 5, n°3-4
39
auteur-géographe use des pays ou anciennes colonies
pour redorer le blason de la langue française en péril.
Cependant, le concept de Francophonie d'Onésime Reclus
passe inaperçu et méconnu. Il disparaît avec son concept,
comme le souligne Abdillahi Aouled, « après la mort de son
inventeur, le terme tombe en désuétude. C'est seulement en 1930
que l'adjectif ?francophone? apparaît dans les dictionnaires
»149. Il faut attendre jusqu'en 1962 pour voir
réapparaître le terme Francophonie dans la revue Esprit
avec son numéro spécial intitulé Le
français dans le monde. 1962, « cette date, celle de la
publication du numéro intitulé le français, langue vivante
de la revue Esprit, est en effet, présentée comme la
véritable naissance de la véritable francophonie
»150.
Les titres des articles de la revue Esprit de 1962 ou
de son numéro spécial sont révélateurs. En effet,
la Francophonie de la revue Esprit est formulée pour
l'éloge de la langue française. Dans cette revue, on note que
« le français peut être l'expression de cultures autres
que françaises »151, autrement dit « la
nation française perd l'exclusivité de la maîtrise et de
l'attachement à sa langue, tandis que la langue française devient
susceptible d'exprimer d'autres expériences nationales
»152. Mieux, « [le] français appartient
à tous ceux qui le parlent, en ont hérité, l'ont choisi ou
plus simplement l'aiment sans pour autant le maîtriser. Il est le bien
commun de tous ceux qui l'enrichissent de leurs apports sur les cinq
continents. »153 Tout ceci signifie que la langue française
n'est plus la propriété exclusive de la France ; et pour sa
pérennisation et pour sa richesse, elle doit accepter les apports des
pays autres que la France. Ce qui implique aussi l'idée d'une
communauté naissante qui, avec la France, partagerait les mêmes
réalités de la langue française154. À
bien voir, il n'y a pas de différence entre la Francophonie
d'Onésime Reclus et celle de la revue Esprit, car toutes deux
prônent une communauté qui aura en commun avec la France la langue
française. Cependant, la Francophonie d'Onésime Reclus exclut la
France, tandis que celle de la revue Esprit implique
149 Abdillahi AOULED, op. cit.
150 Alice GOHENEIX, « Les élites africaines et la
langue française : une appropriation controversée »,
Documents pour l'histoire du français langue étrangère
ou seconde [En ligne], 40/41 | 2008, mis en ligne le 17 décembre
2010,consulté le 24 avril 2016. URL :
http://dhfles.revues.org/117;
op. cit.
151 Paul DUMONT, « Francophonie, francophonies »,
Langue française, n°85, 1990, pp.35-47
http://www.perse.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1990_num_85_1_6176,
p. 46
152 Alice GOHENEIX, op. cit.
153 Bernard WALLON, Après demain, op.
cit., p. 3
154 C'est en ce sens que nous comprenons Emmanuel Macron
lorsqu'il dit que la francophonie ne doit plus être une annexe de la
France mais une «une sphère dont la France n'est qu'une partie,
agissante mais consciente de ne pas porter seule le destin du français
». (son discours du 20 mars 2018 à l'occasion de la
journée Internationale de la Francophonie).
40
la France155 et l'étend au-delà de sa
culture et de sa politique, car « [...] la Francophonie sans la France
n'avait pas de sens. »156 C'est pourquoi Luc Pinhas dira
que « le fait francophone, dans son discours originel, comme dans son
histoire proprement dite, a donc partie liée, quoi qu'on en ait, non
seulement avec le fait colonial, mais aussi avec ses conséquences
politiques, linguistiques et surtout culturelles qui n'en finissent pas
d'être actives d'une manière ou d'une autre au jour d'aujourd'hui.
»157
Dans la revue Esprit, l'article de Léopold
Sédar Senghor, « Le Français, langue de culture »,
considéré comme le manifeste de la Francophonie, est une
véritable défense de la langue française158.
Avec cet article, senghor donne une définition, pour la première
fois, de la Francophonie en ces termes : « La Francophonie, c'est cet
Humanisme intégral, qui se tisse autour de la terre : cette symbiose des
?énergies dormantes? de tous les continents, de toutes les races, qui se
réveillent à leur chaleur complémentaire
»159 . À la suite de cette définition, il
donne les raisons du choix de la Francophonie. En effet, pour lui le choix de
la francophonie est d'ordre culturel : « cependant, la principale
raison [...] de la naissance d'une Francophonie est d'ordre culturel
»160 et aussi « il est question d'exprimer notre
authenticité de métis culturels, d'hommes du XXe
siècle. »161 Au-delà de la revue
Esprit, Léopold Sédar Senghor se fera le
défenseur acharné de la Francophonie. Il multipliera les
définitions, pour ainsi dire, de la Francophonie, sans oublier de se
justifier de son acharnement :
Qu'est-ce que la Francophonie ? Ce n'est pas, comme d'aucuns
le croient, une machine de guerre montée par l'impérialisme
français. [...] c'est un mode de pensée et d'action : une
certaine manière de poser les problèmes et d'en chercher les
solutions. Encore une fois, c'est une communauté spirituelle : une
noosphère autour de la terre. Bref, la Francophonie, c'est,
par-delà la langue, la civilisation française, plus
précisément l'esprit de cette civilisation, c'est-à-dire
la culture française. Que j'appellerai la
francité.162
Léopold Sédar Senghor refuse l'idée selon
laquelle « la Francophonie a longtemps été prise pour
une idéologie de domination, comme cheval de Troie de l'ancien empire
français afin de
155 Maurice DRUON dit : « Senghor, qui n'avait aucun
complexe d'ancien colonisé, estima que la francophonie sans la France
n'avait pas de sens, et il renonça avec tristesse mais sans
découragement. Il savait que l'avenir, par la force des choses, lui
donnerait raison. », op. cit.
156 Idem.
157 Luc PINHAS, op. cit., pp. 69-70
158 « L'ancien président sénégalais
[...] avait défendu cette thèse dans un numéro de la revue
Esprit de novembre 1962, qui date dans l'histoire de la Francophonie parce
qu'il est une sorte de manifeste spontané en sa faveur. »,
affirme Claire TRÉAN, op. cit., p. 20
159 Léopold Sédar SENGHOR, Esprit,
n°311, op. cit., p. 844
160 Idem., p. 838
161 Ibidem., pp. 843-844
162 Léopold Sédar SENGHOR, « La
Francophonie comme culture », Études littéraires,
vol. 1, n° 1, 1968, p. 131 (p. 131-140.) URI:
http://id.erudit.org/iderudit/500008ar
41
perpétuer le colonialisme
»163, mais défend « l'idée selon
laquelle, la langue française est un appel, une invitation à la
Civilisation de l'Universel, à une communication interculturelle et
transnationale, au rendez-vous du donner et du recevoir
»164. Si nous parlons de Léopold Sédar
Senghor dans ce chapitre, c'est que nous ne pouvons pas parler de la
Francophonie de la revue Esprit et ignorer le nom de Léopold
Sédar Senghor. Cependant, pour être plus objectif, nous pouvons
dire qu'il y a quatre types de Francophonie165 : la Francophonie
d'Onésime Reclus, la Francophonie de la revue Esprit incluant
l'article de Léopold Sédar Senghor, la Francophonie de
Léopold Sédar Senghor166 et la Francophonie
institutionnelle (OIF) développée à partir des nombreuses
définitions de Léopold Sédar Senghor et ses
amis167. C'est pourquoi, « s'appuyant sur le fait que la
Francophonie est en définitive très peu usitée en 1880 et
1960, les défenseurs de la francophonie considèrent 1962 comme la
naissance de la véritable francophonie. Cette renaissance, qui est
effectivement à l'origine d'une francophonie institutionnelle
multilatérale, conforte donc les observateurs de la Francophonie dans
l'idée que l'accusation d'impérialisme ou de
néocolonialisme est une vue de l'esprit, une idée reçue,
pour reprendre le titre de l'ouvrage de Claire Tréan.
»168 Les autres co-auteurs de la revue ont donc employé
des synonymes et des paraphrases pour parler de la Francophonie et la
définir.169
Nous mettons en relief, dans cette partie, donc, la
Francophonie d'Onésime Reclus et celle de la revue Esprit. Nous
allons voir qu'Onésime Reclus est soucieux de l'avenir de la langue
française, et que ce souci est dû au culte qu'il voue à
cette langue qu'il dit être une langue de grâce, de clarté,
d'éloquence et d'harmonie170 ; qui selon lui, est l'une des
raisons pour la pérenniser. Quant à la revue Esprit, il
s'agit, en fait, d'une exhortation des pays parlant français à
former une communauté ou à se mettre ensemble pour la
défense de cette langue qu'ils ont en commun ou en partage sans oublier
de se partager les valeurs et les possibilités qu'offre la langue
française.
163 Ébénézer NJOH-MOUELLE,
Léopold Sédar Senghor et le thème du métissage
culturel, Disponible sur
http://www.njohmouelle.org
164 Ibrahim DIOP, op. cit., p. 11
165 Nous estimons que la Francophonie reclusienne est une
communauté linguistique ; celle de la revue Esprit, une
communauté linguistique, culturelle et politique (ce n'était
qu'un projet). Quant à la Francophonie senghorienne, elle est un concept
et une communauté culturels. S'agissant de l'OIF, ce n'est pas seulement
une communauté politique, mais elle est aussi économique.
166 La Francophonie de Léopold Sédar Senghor fera
l'objet d'étude du chapitre suivant.
167 Allusion à Hamani Diori, Habib Bourguiba, Norodom
Sihanouk et Charles Hélou.
168 Alice GOHENEIX, op. cit.
169 Paola PUCCINI, « Le seul locuteur qui manifeste
l'?auctoritas? de nommer dont parle Bourdieu est le Président Senghor.
Il n'y a que sa définition dans le discours. Jean Marc Léger et
les autres préfèrent se servir de synonymes et de paraphrases
[...j. », op. cit., p. 10
170 Cela sera plus détaillé ou approfondi dans ce
chapitre.
42
1. LA FRANCOPHONIE D'ONÉSIME RECLUS, UNE SOLUTION
AU DÉCLIN DE LA LANGUE FRANÇAISE
Nous écartons de notre réflexion l'idée
de colonialisme171 de la Francophonie d'Onésime Reclus, car
cette idée n'est plus d'actualité. En plus, à force de
rattacher cette idée à la Francophonie d'Onésime Reclus,
on s'éloigne du sens réel qu'Onésime Reclus lui a
accordé, ou on se refuse de comprendre qu'est-ce que la Francophonie
selon Onésime Reclus. Longtemps, le contexte historique de la naissance
de la Francophonie a éconduit de nombreux chercheurs dans leurs
études. Certains, plus bornés et subjectifs, cherchant à
ternir l'image de la Francophonie, l'ont criblée de colonialisme ou de
néo-colonialisme. Peut-être avaient-ils raison ? D'autres, par
contre, plus objectifs et sérieux, ont essayé de voir le bon
côté de la Francophonie en rejetant la thèse de la
colonisation. Ils avaient, eux-aussi, leur raison. Nous ne pouvons pas ignorer
que la Francophonie reclusienne est née dans un contexte colonial.
Cependant, notre lecture de France, Algérie et Colonies nous
apprend que la Francophonie reclusienne est une solution au déclin de la
langue française, et comme le dit Luc Pinhas, un moyen
d'assimilation.
La seule solution qui, à la fin du siècle
dernier, semble désormais s'offrir, aux yeux notamment d'Onésime
Reclus, est celle de l'assimilation des peuples conquis et de la diffusion de
la langue française, bien mieux de l'assimilation par la diffusion de la
langue française172.
Dans les propos de Luc Pinhas, les idées que nous
partageons, nous retenons deux choses : la diffusion de la langue
française et l'assimilation des peuples conquis173.
Assimiler une personne, c'est faire de cette personne son
semblable. Une personne assimilée prend alors les caractères
sociaux de celui qui fait l'assimilation. Lorsqu'Onésime
171 Selon Alice GOHENEIX, le Colonialisme est un
présupposé : « Quant au racisme, il faut lire les
écrits de Reclus pour se convaincre que la hiérarchisation des
peuples et de leur(s) langue(s) constituait bien un des
présupposés de la ?nécessaire? expansion française
», op. cit.
172 Luc PINHAS, op. cit., p. 74
173 Selon Alice GOHENEIX, « L'argumentation de Reclus
est en réalité triple. D'une part elle s'appuie sur une obsession
de la décadence française (essentiellement pour des raisons
démographiques) ; ensuite sur la guerre coloniale que se livrent les
puissances européennes ; enfin sur l'idée que certains peuples
seront plus perméables à la pensée française. Dans
l'esprit de Reclus, il s'agit bien de convertir les peuples colonisés
à l'esprit français. De créer de l'identique, du
?même? pour assurer la pérennité de la nation et du
génie français. », op. cit.
43
Reclus songe à l'assimilation des peuples conquis, dans
son entendement, c'est rendre ces peuples semblables aux Français. Pour
lui, les peuples conquis sont des Français au même titre que les
Français, pour ainsi dire, les Français de France. Car, les
Français sont
Nés de mélanges infinis, dix fois plus
croisés qu'ils ne l'imaginent, ayant des
ancêtres blancs, des ancêtres jaunes et même
des ancêtres noirs, les Français ne se ressemblent pas
tous174.
Et aussi, parce qu' « [...] il n'y a ni taille
française, ni crâne français, ni cheveux français,
ni yeux français ni types français. [...] Il n'y a pas de race
française... »175, mais la langue française
; et cette langue doit être diffusée afin d'être
pérennisée. Et toutes les personnes ou tous les pays qui parlent
français ou qui participent à son rayonnement, où qu'elles
soient, sont dans la Francophonie. Ce sont des francophones :
Nous acceptons comme « francophones » tous ceux qui
sont ou semblent destinés à rester ou à devenir
participant de notre langue. [...] Toutefois nous n'englobons pas tous les
Belges dans la « francophonie », bien que l'avenir des Flamingants
soit vraisemblablement d'être un jour des Franquillons176.
Chez Onésime Reclus, les Francophones désignent
les peuples conquis et assimilés par la France en leur imposant sa
langue. En effet, la diffusion de la langue française a pour effet
immédiat l'assimilation des peuples conquis177, ou dans un
autre sens, en assimilant les peuples conquis, l'on aurait plus de chance
à diffuser la langue française. Ce que l'on n'arrive pas à
comprendre, chez Onésime Reclus, est cette obsession de bien vouloir
pérenniser la langue française hors de la France. Il est
obstiné du fait que la langue française ne doit pas perdre la
place qu'elle avait auparavant :
Le français jouit encore de la
prépondérance que lui firent, il y a deux cents ans, la splendeur
de la cour du Grand Roi, il y a cent ans, l'esprit de ses écrivains,
mais cette royauté touche visiblement à sa fin : l'anglais passe
au premier rang, et derrière l'anglais s'avancent le russe, l'espagnol,
et même le portugais grâce au Brésil178.
174 Onésime RECLUS, France, Algérie et
Colonies, op. cit., p. 406
175 Idem, p. 406
176 Ibidem, p. 422
177 À ce propos, Luc PINHAS affirme que « Pour
Onésime Reclus, la langue est bel et bien le fer de lance de
l'assimilation recherchée, le ciment d'une communauté de
pensée, le creuset qui ?amalgame à la langue en une vaste nation
francisante, les peuples inféodés? règle les
pensées et les activités, fusionne les éléments
divers en une civilisation commune. », op. cit., p. 79
178 Onésime Reclus, France, Algérie et
Colonies, op. cit., p. 419
44
Il est très soucieux de l'avenir de la langue
française. Cette langue a longtemps été défendue
par les écrivains en général, et par les poètes de
la pléiade en particulier ; et ce, depuis le Moyen-Âge, pour
être plus juste, dirons-nous, depuis le XVIè
siècle.179 Ceci est attesté par l'ordonnance de
Villers-Cotterêts 188 du Roi de France François I d'août
1539. D'ailleurs, ses articles 110 et 111 concernant la langue française
n'ont jamais été abrogés180. La seule question
que l'on peut vouloir se poser est de savoir pourquoi tant d'engouement de la
part des Français pour la langue française. Onésime Reclus
semble donner la réponse à la question. Pour lui,
Le français rachète son indigence,
présente par sa grâce et par sa clarté. Il se plie à
la poésie, et nomme avec orgueil des poètes que nul ne surpasse,
mais là n'est pas son meilleur domaine : il est fait pour la prose, le
récit limpide, l'histoire, la science, le discours ; l'éloquence
est aussi son fait, surtout celle qui a son principe dans l'esprit, la
netteté, la bonne grâce : en tout cela c'est bien l'idiome
supérieur, digne de sa réputation de langage le plus vif et le
plus civilisé de l'Europe181.
À en croire Onésime Reclus, le français
est une langue supérieure, civilisée, éloquente, claire,
gracieuse et nette, parce que
Dans le français l'harmonie abonde, harmonie
discrète. Pas de rythme accentué, nulle clarisonance, mais aussi
pas de gutturales, de blaisements, de lettres zézayantes, point de
consonnes amoncelées et heurtées, pas d'excès de
sifflantes, rien de la cantilène méridionale, de la redondance
espagnole ou des gloussements de l'anglais182.
La langue française est fine, selon Onésime
Reclus, et pour cette raison il faut la défendre et l'illustrer comme
jadis l'ont fait les poètes de la Pléiade, surtout Joachim Du
Bellay. D'ailleurs, à propos de Joachim Du Bellay, Robert Sabatier
dit
Joachim Du Bellay doit faire l'apologie de la langue
française contre ceux qui s'en
servent mais la servent mal ce qui les conduit à la
juger inférieure aux langues anciennes qu'ils vénèrent et
croient plus dignes de leurs arts183.
179 Nous vous citons quelques auteurs qui ont défendu la
langue française. Ce sont François Rabelais, Robert Estienne
(Humanisme), Alain Chartier, Jean Lemaire de Belges, Mellin de Saint-Gelais,
Giles du Wes, Etienne Dolet, Théodore de Bèze, Louis Meigret,
Guillaume Des Autels, Geoffroy Tory, Joachim Du Bellay, Pierre de Ronsard
(16ème siècle/la Pléiade), Voltaire
(17ème siècle), Malherbe, Victor Hugo
(19ème siècle), etc.
180 Elle est surtout connue pour être l'acte fondateur de
la primauté et de l'exclusivité du français dans les
documents relatifs à la vie publique du royaume de France. Le
Français devient ainsi la langue officielle de la France.
181 Onésime RECLUS, France, Algérie et
Colonies, op. cit., p. 418
182 Idem., p. 418
183 Robert SABATIER, Histoire de la poésie
française : la poésie du seizième siècle,
Alain Michel, Paris, 1975, p. 133
45
Comme Joachim Du Bellay, Onésime Reclus refuse
l'idée selon laquelle la langue française est une langue
inférieure. Et, tous ceux qui défendent la langue français
refusent qu'elle soit reléguée en second plan, car pour eux
« [l]e français est capable de porter des pensées
fortes. En ne le sacrifiant plus, en le fortifiant, en le perfectionnant, on le
mettra en mesure d'assumer l'avenir »184. Or pour
Onésime Reclus, certes le français est capable de porter des
pensées fortes, mais il faut penser à sa survie. Cela
dépend de sa diffusion hors de la France. Elle se fera au Canada, et
surtout, en Afrique, parce qu' « [e]n Afrique, au contraire, il a des
racines puissantes qui, chaque jour s'enfoncent et s'étendent.
»185
Bien avant Onésime Reclus, en 1549, les
poètes186 de la Pléiade ont été plus
soucieux du sort du français et de son illustration, et ce, depuis que
François 1er ait signé l'ordonnance à
Villers-Cotterêts exigeant que tous les Français parlent la langue
française qui est la langue d'État187,
l'identité française. C'est à la suite de cette
ordonnance, sans doute, pouvons-nous le dire, que les poètes de la
Pléiade ont conseillé d'inventer des mots nouveaux pour enrichir
la langue française soit par emprunt, soit par construction de mots
composés, soit par ajout de suffixes ou de préfixes, soit par
nominalisation des verbes à l'infinitif. Jean Pruvost dira que le souci
de ces poètes de la Pléiade était seulement d'enrichir la
langue française : « [l]'attitude des écrivains de la
Pléiade vis-à-vis de la langue française témoigne
du sentiment général de tous ceux qui écrivent alors : il
faut enrichir la langue française. »188
Nous pouvons dire qu'Onésime Reclus est de ceux qui
estiment qu'il faut enrichir la langue française. Cependant, pour
Onésime Reclus, il s'agissait aussi de la sauver, car elle n'est plus la
langue, qui, au XIIIè siècle, jouissait «
d'un grand prestige en Europe »189. Elle n'est plus
utilisée par les lettrés anglais, italiens, allemands ou
néerlandais. Face à cela, Onésime Reclus dira : «
[...] La France crut périr, et sa langue fut profondément
blessée. »190 Qu'est-ce qui provoque ou a
provoqué le recul de la langue française en Europe ? Et qu'est-ce
qui explique le fait qu'en France le français est peu parlé ?
Ce qui provoque le recul ou le déclin de la langue
française, ce sont les guerres, les défaites et surtout le nombre
insignifiant des locuteurs. Cependant, avant Onésime Reclus, les
184 Idem, p. 133
185 Onésime RECLUS, France, Algérie et
Colonies, op.cit., p. 424
186 Onésime RECLUS dira : « Quand on pose la
première pierre de notre Dame de Paris, en 1163, le français est
tout à fait lui-même, les poètes l'embelliront ; les
grammairiens l'appauvriront ; l'Orient, l'Italie ; l'Espagne, l'Allemagne,
l'Angleterre lui donneront des mots, beaucoup, moins qu'il ne leur en fournira,
mais il a déjà en véritable trésor ses noms et ces
verbes vitaux, son espoir, son allure et son caractère. »,
Idem. p. 416
187 Jean PRUVOST, « La langue française : une longue
histoire riche d'emprunts », Disponible sur
http://www.canalacademie.com/IMG/pdf/Microsoift_Word
188 Idem
189 Ibidem
190 Onésime RECLUS, France, Algérie et
Colonies, op. cit., p. 417
46
auteurs de la Pléiade ont exalté la langue
française dans le même contexte de guerre ou de crise, comme le
souligne Robert Sabatier :
Tandis que les guerres, les impôts, les
persécutions ruinent la vie paysannes, que le calvinisme s'organise, que
se fait la lente montée vers la crise de 1560 et la tragédie
religieuse de 1584, une génération de jeunes nobles
d'avant-garde, venus d'autres milieux qu'un Marot ou même qu'un
Scève, aura le temps de faire entendre sa voix, une voix soucieuse
d'exalter le caractère national et monarchique en exaltant la langue
française191.
Pour ainsi dire que les défenseurs de la langue
française se soucient du sort de cette langue au moment des troubles ;
la France, en 1880, est fragilisée. Elle perd l'Alsace-Lorraine. Dans
cette contrée, comme dans le petit archipel anglo-normand, le
français n'est plus la langue officielle ni la langue nationale. C'est
plutôt l'allemand qui est parlé en Alsace-Lorraine, et l'anglais
dans le petit archipel anglo-normand. Le français recule au profit des
autres langues, voire des dialectes : « Dans le petit archipel
anglo-normand, [...] C'est le français qui recule [...] où
beaucoup de personnes parlent anglais.»192 À ce
fait s'ajoute la bataille de Waterloo.
11 ans, c'est l'âge de la 3è
République en 1886. Même si celle-ci se consolide, la France reste
traumatisée par ce terrible coup de massue : capture de Napoléon,
capitulation de Paris, perte de l'Alsace-Lorraine en 1871. Waterloo
était une caresse, Sedan, voilà la gifle193.
Et en Asie, le français n'a pas l'espoir de survivre et
de se répandre, à cause de la défaite de la France face
à la Chine.
La France s'en souviendra. Autre défaite en Indochine
face à la Chine : ? le
désastre de Lang Son? met les Parisiens en émoi.
Sur les murs de la ville, on placarde des affiches ?Vive la France, à
bas Ferry, le lâche !?194
Et Onésime Reclus de dire « [...], le
français n'a point de racine dans la plus vaste des cinq parties du
monde. »195 La défaite de la France face à
la Chine provoqua donc la chute de Jules Ferry et son gouvernement.
La crise provoque la chute du gouvernement de Jules Ferry, le
30 mars 1885.
Défaites militaires, déclin démographique,
une industrie assez lente à décoller : la
191 Robert SABATIER, op. cit., pp. 132-133
192 Onésime RECLUS, France, Algérie et
Colonies, op. cit., p. 415
193 Abdillahi AOULED, op. cit.
194 Idem
195 Onésime RECLUS, France, Algérie et
Colonies, op. cit., p. 424
47
France se trouve dans un mauvais pas. Conséquence : sa
langue recule dans le monde.196
Tous ces événements ont participé au
recul de la langue française, voire à son déclin en Europe
au profit de l'anglais, et ce, « [d]epuis le 19ème
siècle [que] le français recule en Europe, l'anglais avance en
France »197, comme le fait remarquer Abdillahi Aouled.
Pour laver cet affront, « Reclus [...], héritier de Jules
Duval, Prévost Paradol ou Chasseloup-Laubat, les pères de la
mission civilisatrice ferryste »198 , propose l'Afrique ou
l'assimilation de l'Afrique comme solution idoine au recul ou au déclin
du français.
Comme la France est inféconde, que la Belgique et la
Suisse n'ont plus de place pour les nouveaux venus, nous ne pouvons attendre un
rang d'accroissement meilleur que de deux pays plus jeunes que le nôtre,
l'Afrique du nord, âgée de cinquante ans, et le Canada, qui n'a
pas encore trois siècles199.
Mieux, car, « [en] Afrique, au contraire, il (le
français) a des racines puissantes qui, chaque jour s'enfoncent et
s'étendent. »200 Ou encore, comme le dit Abdillahi
Aouled,
À ce déclin, Reclus propose un remède : la
conquête de l'Afrique, [parce que]
l'Afrique, elle, a ces avantages : elle est proche, immense,
riche en hommes et en matières premières et « elle ouvre
à la France un champ sans limite201.
Tout est clair : l'Afrique du nord, voire toute l'Afrique, le
Canada, et les colonies de la France et tous ceux qui accepteront la langue
française comme langue nationale ou langue officielle, mieux qui
participeront à son rayonnement dans le monde forment la Francophonie
reclusienne. Cette Francophonie, pouvons-nous dire, est une sorte de
communauté sans la France qui, selon Onésime Reclus, permettra
à la France de pérenniser sa langue. Dans cette Francophonie,
« il n'y a pas de race française »202
puisque « les soi-disant races [continuent et] continueront à
se mêler en tout lieu »203 et parce que les
Français ont « des ancêtres blancs, des ancêtres
jaunes et même des ancêtres noirs »204 et
qu'ils « ne se ressemblent pas tous »205, il
serait bon de ne pas parler de nationalité mais de la langue qui les
unit aux autres peuples.
196 Abdillahi AOULED, op. cit.
197 Idem.
198 Alice GOHENEIX, op. cit.
199 Onésime RECLUS, France, Algérie et
Colonies, op. cit., pp. 428-129
200 Idem, p. 419
201 Abdillahi AOULED, op. cit.
202 Onésime RECLUS, France, Algérie et
Colonies, op. cit., p. 406
203 Idem., p. 407
204 Ibidem., p. 406
205 Ibid., p. 406
48
Par ce projet206, la France doit être alors
« [...] prête à modeler l'Afrique
»207 en son image par sa langue208. C'est la
raison pour laquelle, Luc Pinhas affirmera
Pour Onésime Reclus, la langue est bel et bien le fer
de lance de l'assimilation recherchée, le ciment d'une communauté
de pensées, le creuset qui « amalgame à la langue, en une
vaste nation francisante, les peuples inféodés »,
règle les pensées et les activités, fusionne les
éléments divers en une civilisation commune209.
Ou comme le fait remarquer Alice Goheneix,
Dans l'esprit de Reclus, il s'agit bien de convertir les
peuples colonisés à l'esprit
français. De créer de l'identique, du
?même? pour assurer la pérennité de la nation et du
génie français210.
Avec la Francophonie reclusienne, la France doit s'investir
dans tous les domaines d'activité humaine afin de vulgariser sa langue
pour qu'elle soit la langue la plus parlée au monde.
Au français revint donc la formidable puissance
qu'à la parole officielle quand elle n'est pas seulement l'organe de la
force par les décrets, les lois, les jugements, les actes ; lorsqu'elle
est aussi la voix de la persuasion par les livres, les théâtres,
les chansons, les salons, la science, le commerce et les arts211.
Parce que l'on accordera de l'importance aux langues les plus
parlées au monde, alors,
Il serait bon que la Francophonie doublât ou
triplât pendant que décupleront certaines
hétéroglotties : car l'humanité qui vient se souciera peu
des beaux idiomes, des littératures superbes, des droits historiques ;
elle n'aura d'attention que pour les langues très parlées, et
pour cela même très utiles212.
Le voeu d'Onésime Reclus avec son projet de
Francophonie est de redorer le blason de la langue française à
travers un grand nombre de locuteurs. Dans ce projet, la langue
française cesse d'appartenir à la France mais à «
tous ceux qui sont ou semblent destinés à rester ou à
devenir
206 Onésime Reclus pense que les multiples contacts
humains, religieux ou commerciaux, etc., au cours de l'histoire, ont
favorisé un métissage en France, donc les Français ne
doivent point s'enorgueillir d'être purs Français ou de la
nationalité française. Ils sont tous des métis, pour cela,
la France doit accepter que sa langue soit parlée par d'autres peuples
appelés à être un jour Français.
207 Onésime RECLUS, France, Algérie et
Colonies, ib, p. 443
208 Luc PINHAS, à ce propos, dira « Or, c'est au
nom de ces valeurs universelles et du progrès qu'elle justifiera
à ses yeux, et à ceux du monde, la colonisation et l'imposition
de sa langue, elle-même ?universelle? », Communication et
Langages, n°140, 2ème trimestre 2004, p. 75
209 Luc PINHAS, op. cit. (loc.cit.), p. 79
210 Alice GOHENEIX, op. cit. (loc.cit.)
211 Onésime RECLUS, France, Algérie et
Colonies, op. cit., p. 418
212 Idem., p. 429
49
participants de »213 la langue
française, et bien entendu, y compris la France elle-même. C'est
pourquoi, Jacques Chevrier dira
Mais il est également intéressant de remarquer
qu'Onésime Reclus était féru d'idée
républicaine et que, dans son esprit, la France se devait d'être,
par le biais de sa langue, le porte-drapeau des idéaux de liberté
et de fraternité issus de la Révolution de 1789. On voit donc
que, dès l'origine, le concept de francophonie s'est chargé d'une
double connotation, linguistique et géographique d'abord, mais
également idéologique214.
L'idéologie qui se dégage de la Francophonie
reclusienne est de fraterniser avec les peuples colonisés en vue d'avoir
un grand nombre de locuteurs français. Sa Francophonie semble traduire
les idéaux de la troisième république française :
liberté, égalité et fraternité. Cependant, elle
invite les locuteurs français à apprendre aussi d'autres langues
pour être universels. « Par conséquent, n'est francophone
que celui qui parle le français à côté d'au moins
une autre langue. »215
Dans quelques siècles on ne parlera sans doute que
l'anglais, le russe, l'espagnol, le portugais, le français,
l'hindoustani, le chinois, peut-être l'arabe216. [Cependant],
[t]ous les hommes instruits de la Terre savent au moins deux idiomes, le leur
et le nôtre ; nous, dans notre petit coin, nous ne lisons que nos livres
et ce qu'on veut bien nous traduire. C'est pourquoi nous sommes en dehors du
monde et de plus en plus dédaignés par lui217.
Chez Onésime Reclus, la France fait oeuvre
civilisatrice de sa langue afin de sauver cette langue raffinée, la
langue des dieux selon Onésime Reclus. Aussi, doit-elle apprendre
d'autres langues au lieu de s'enfermer ou d'être autarcie d'une langue
qui risque de s'éteindre. La Francophonie reclusienne invite la France
et les Français à l'ouverture sur le monde extérieur par
le biais de sa langue sans oublier d'apprendre les autres langues qui
pourraient être un jour des langues universelles. Ainsi, « en un
mot, la France retrouvera son rang dans le monde grâce au rayonnement de
sa langue et au raffinement de sa culture »218avec le
concours des autres.
Quand le français aura cessé d'être le lien
social, la langue politique, la voix
générale, nous apprendrons les idiomes devenus
à leur tour « universels », car sans
213 Ibidem (loc. cit), p. 422
214 Jacques CHEVRIER « Senghor militant de la francophonie
», Les actes du colloques 2002 du cercle Richelieu-Senghor,
Disponible sur
http://www.cercle-richelieu-senghor.org/component/content/article.html?id=52,
consulté le 06 mai 2016
215 Katia HADDAH, « Désespérante francophonie
», Pourquoi la Francophonie, Louise Beaudoin et Stéphane
Paquin (dir), p. 186
216 Onésime RECLUS, France, Algérie et
Colonies, op. cit., p. 484
217 Idem, pp. 429-130
218 Abdillahi AOULED, op. cit.
50
doute il y en aura plusieurs, et nous y gagnerons de la
science, de l'étendue d'esprit et plus d'amour pour notre
français.
Comme nous espérons que l'idiome élégant
dont nous avons hérité vivra longtemps un peu grâce
à nous, beaucoup grâce à l'Afrique et grâce au
Canada, devant les grandes langues qui se partagent le monde, nos
arrière-petits-fils auront pour devise : « Aimer les autres, adorer
la sienne ! »219.
La Francophonie reclusienne est un concept d'enracinement et
d'ouverture dans la mesure où les Français doivent être
eux-mêmes (demeurer eux-mêmes) pour être universels. C'est ce
que, sans doute, nous comprenons ou retenons de la devise « Aimer les
autres, adorer la sienne ! », c'est-à-dire pour avoir en face
de soi un autre que soi, il faut avoir un soi. En effet, Onésime Reclus
exhorte à ne pas rejeter la langue française brutalement, au
profit des autres langues, en particulier de l'anglais, mais à la faire
cohabiter avec les autres langues en mettant l'accent sur la promotion de la
langue française, « l'idiome élégant dont nous
avons hérité ». Ainsi, le français ne
déclinera pas. Mieux, la Francophonie est l'enracinement dans les
valeurs républicaines que lui présente l'ouverture
(l'assimilation) comme une oeuvre civilisatrice et comme un projet assurant la
puissance et l'universalité de la langue française.
Nostalgique du passé glorieux de la langue
française, soucieux de son avenir, Onésime Reclus forge un terme
« la Francophonie » qui renferme l'idée d'une
communauté. Ce mot forgé traduit son projet de sauvetage de la
langue française en péril, qui se fait du côté de
l'Afrique et du Canada, parce que ces deux continents ont un bon nombre de
locuteurs fertiles à la langue française. Aux yeux
d'Onésime Reclus, la Francophonie apparaît comme l'unité
retrouvée entre les peuples ayant la langue française en commun.
En d'autres mots, la Francophonie d'Onésime Reclus est la
communauté des francophones (nous acceptons comme francophones tous
ceux qui sont ou semblent destinés à rester ou à devenir
participants de notre langue) sur qui la France fonde ou devrait fonder
son espoir pour pérenniser sa prestigieuse langue. Elle signifie aussi
diffusion de la langue française, dans le monde, afin d'avoir un grand
nombre de locuteurs francophones, car demain la langue qui intéressera
les hommes est celle qui sera la plus parlée et la plus utile. La
Francophonie d'Onésime Reclus est également l'exhortation
à apprendre au moins une seconde langue afin que les francophones et les
Français puissent se sentir ou puissent s'ouvrir au monde
extérieur, qu'ils ne se sentent pas isolés du monde
extérieur. En d'autres mots, elle est enracinement dans la culture
française, appropriation de la langue française, et ouverture aux
autres en apprenant la leur (leur langue).
219 Onésime RECLUS, France, Algérie et
Colonies, op. cit., p. 429
51
Peut-être, est-ce là le péché
mignon d'Onésime Reclus qui lui a valu le lourd tribut de l'accusation
colonialiste ? En effet, la Francophonie reclusienne est le fait d'assimiler
(dans le sens de coloniser) les peuples fertiles à la langue
française pour sauver la langue française. En faisant cela, la
langue française a la chance de se maintenir et d'être parmi les
langues, dites universelles, et de s'enrichir peut-être des mots des
langues minoritaires qui risquent de s'éteindre.
La Francophonie d'Onésime Reclus est passée
inaperçue, peut-être, parce qu'elle n'a pas été
politisée ou n'a pas été assez médiatisée.
Il fallut donc attendre quatre-vingt-deux ans pour la voir surgir «
des décombres de la colonisation »220 par le
biais de la revue Esprit. C'est-à-dire depuis 1880, c'est en
1962 dans la revue Esprit que l'on voit réapparaître les
mots « francophone » et « francophonie » dont les auteurs
ont encore du mal à définir sauf Léopold Sédar
Senghor. Quelles sont les raisons de cette résurgence ? Quel sens
donne-t-on à cette nouvelle Francophonie ? N'est-ce pas sur les cendres
de la Francophonie reclusienne que la Francophonie de la revue Esprit
voit le jour ? Si tel est le cas, alors les auteurs de la revue Esprit
auraient-ils les mêmes ambitions ou intentions qu'Onésime
Reclus ? Dans tous les cas, la revue Esprit de 1962 est
considérée comme le véritable acte de naissance de la
Francophonie. C'est la raison pour laquelle nous nous intéressons
à cette revue. Nous osons croire que les auteurs de la revue Esprit
de 1962 ont tous lu Onésime Reclus, et savaient bien ce que ce
dernier voulait bien exprimer avec son concept ou le mot Francophonie. Pour
ainsi dire qu'il n'y a point de doute que l'on retrouve quelques traces de la
Francophonie reclusienne dans la Francophonie de la revue Esprit. Nous
l'avons effleurée dans l'introduction de ce chapitre. Il nous convient
donc de l'approfondir et de la justifier. Cependant, il faut avouer un fait,
celui du caractère colonial qui sous-tend la Francophonie reclusienne,
ce caractère que nous avons écarté de notre
réflexion. Ce qui lui a fallu des éclairs et des foudres, et
éconduit de nombreuses personnes dans l'appréhension de cette
première Francophonie. Pourtant, Onésime Reclus avec la
Francophonie voulait simplement, qu'au-delà des races noires, blanches
et jaunes, qu'il y ait un peuple francisé pour le rayonnement et le
sauvetage du français, pour l'intérêt de la langue
française. Qu'en est-il donc de la revue Esprit ?
220 L'expression est de Léopold Sédar Senghor
52
2. LA FRANCOPHONIE DE LA REVUE ESPRIT, UNE
COMMUNAUTÉ NAISSANTE
Dans l'histoire de la Francophonie, la revue Esprit
est la pierre angulaire de toutes les argumentations en sa faveur. Tous
les défenseurs ne jurent que par elle et l'attestent comme l'acte
véritable de sa naissance221. Paola Puccini nous dit que
Le numéro de la revue de novembre 1962 intitulé
le français langue vivante est rentré dans l'histoire de la
francophonie et, comme l'on sait, il a fait date. Jean-Marie Domenach et
Camille Bourniquel signent ce numéro où le mot /francophonie/
fait son apparition222.
Mieux, selon Alice Goheneix,
Cette date, celle de la publication du numéro
intitulé « le français, langue vivante »
de la revue Esprit, est en effet
présentée comme la véritable naissance de la
véritable francophonie223.
Puis, elle ajoute qu'en
S'appuyant sur le fait que la francophonie est en
définitive très peu usité en 1880
et 1960, les défenseurs de la francophonie
considèrent 1962 comme la naissance de la véritable
francophonie224.
Selon ces auteurs, on ne peut pas ignorer la date 1962 et la
revue Esprit intitulé le français, langue vivante
dans l'histoire et dans l'étude de la Francophonie. Les personnes
qui s'appuient sur la revue Esprit n°311 de 1962 veulent
légitimer la Francophonie, comme le dit Alice Goheneix : «
l'histoire consensuelle de la francophonie constitue donc clairement une
entreprise de légitimation. »225 Pourtant, comme le
souligne Paola Puccini226, la Francophonie
221 L'Organisation Internationale de la Francophonie doit son
existence à la revue Esprit.
222 Paola PUCCINI, « Le fonctionnement du mot
?francophonie? dans la revue Esprit, novembre 1962 : à la recherche
d'une définition », Document pour l'histoire du français
langue étrangère ou seconde, pp. 2-3[En ligne], 40/41|2008,
mis en ligne le 17 décembre 2010, consulté le 17 mai 2016. URL :
http://dhfles.revues.org/99
223 Alice GOHENEIX, op. cit.
224 Idem
225 Ibidem
226 Paola PUCCINI, op. cit. (Allusion au titre de son
article.)
53
de la revue Esprit de 1962 est en quête d'une
définition, car, selon lui, Léopold Sédar Senghor est le
seul à en avoir donné une :
Le président est le seul locuteur du corpus à
accorder au mot la majuscule, le seul
à en donner une vraie définition. Chez les
autres auteurs du numéro, on assiste plutôt à une
quête de définition227.
Comment peut-on légitimer une notion ou un concept qui
a du mal à se définir ? Même aujourd'hui, si elle (la
Francophonie) est au centre des débats politiques, culturels,
universitaires et intellectuels, c'est qu'elle est toujours en quête de
définition, comme l'asserte une fois de plus Paola Puccini :
Quarante-cinq ans se sont écoulés depuis la
sortie du numéro Esprit et la recherche
d'une définition du mot / francophonie/ continue, et
cette quête, en réalité, ne s'est jamais
arrêtée228.
Dans quel contexte, le mot Francophonie fut employé
dans la revue Esprit ? Pourquoi, doit-on faire l'apologie de la langue
française ? Quel objectif visaient les auteurs de la revue Esprit
de 1962 ?
Le numéro de la revue Esprit est publié
sous la direction de Jean-Marie Domenach et Camille Bourniquel.229
Et parmi les auteurs, à côté des intellectuels
français qui ont imaginé et préparé le
numéro, nous pouvons citer le Sénégalais Léopold
Sédar Senghor et le Canadien Jean-Marc Léger230. Le
premier fait l'éloge de la langue française et propose une
définition de la Francophonie ; le second soutient que la défense
et l'illustration de cette langue est la responsabilité commune de tous
les francophones du monde. Après les indépendances des colonies
(ex-colonies) françaises, il fallait soit renoncer à la langue
française ou la conserver. L'avenir et le sort de la langue
française préoccupait, comme jadis, les intellectuels
français,
227Paola PUCCINI ; loc. cit., pp. 5-6
228 Idem., p. 10
229 Le numéro de la revue est divisé en cinq
parties : l'introduction, la première partie intitulée «
Institutions, instruments et méthodes », la deuxième, «
Persistances et renaissance », la troisième, « Le débat
avec l'autre », la quatrième, « Recherche d'un langage »,
pour terminer sur les rubriques : « Des livres », « Notices
biographiques », « Journal à plusieurs voix », «
Librairie du mois ».
230 Voici les noms des auteurs de la revue Esprit de
1962, n°311 :
Camille Bourniquel, Trouillard Jean, Casamayor Louis, Audejean
Christian, Goriély Benjamin, Tuñon de Lara Manuel, Puget Robert,
Simon Alfred, Laude André, Thibaud Paul, Bellour Raymond, Casamayor
Louis, Pascal René, Domenach Jean-Marie, Simon Pierre-Henri,
Léopold Sédar Senghor, Goguel Anne-Marie, Monteil Vincent,
André Yves, Blondel Anne-Marie, Decorsière Francis, Sugier
Clémence, Lacouture Jean, Yacine Kateb, Abou Selim, Rader Cécile,
Angles Auguste, Sihanouk Norodom, Clergerie Bernard, Manigley Georges, Pierre
Henri, Pompilus Pradel, Pellerin Jean , Faletti Joseph, Mayer Jean,
Secrétan Philibert, Lavenir Hervé du Buffon, Martinet
André, Dupouey Michel, Delattre Pierre, Gougenheim G., Charpentrat
Pierre, Léger Jean-Marc.
54
les leaders indépendantistes des colonies
françaises. Le français dans le monde se voyait menacé par
la montée de l'anglais grâce à la puissance
économique des États-Unis d'Amérique. Il fallait suborner
les pays africains, fraîchement indépendants à conserver la
langue française. C'est pourquoi, Senghor sera considéré
comme un serviteur zélé du néo-colonialisme231,
car il est le seul africain, à peau noire, en réalité,
à défendre et à illustrer la langue française. La
raison de la naissance de la Francophonie, pouvons-nous le dire ainsi, est que
la langue française est « une responsabilité commune
», pour reprendre le titre de l'article de Jean-Marc
Léger232, de toutes les personnes qui la parlent, parce
que,
Pendant longtemps, en fait jusqu'à la dernière
guerre mondiale, le rayonnement de
la langue et de la culture française dans le monde
était assuré pour l'essentiel par la France
seule233.
Pour cela, les francophones (rappelons-nous de la
définition d'Onésime Reclus) doivent s'imprégner de la
situation de la langue française dans le monde, car, comme le dit
Léopold Sédar Senghor, elle est un outil précieux
trouvé dans les décombres du colonialisme pour les pays
africains. Elle est également la langue d'héritage pour le Canada
(le Canada était jadis un territoire français).
Il y a encore deux autres raisons qui justifient l'emploi du
mot Francophonie dans la revue Esprit. Selon Léopold
Sédar Senghor : « [...] la principale raison de l'expansion du
français hors de l'hexagone, de la naissance d'une francophonie est
d'ordre culturel »234. À travers cette raison
avancée par Senghor, nous voyons très bien que le fait de
conserver la langue française est un processus de long terme
ancré dans l'esprit, dans la mentalité des ex-colonisés et
des Canadiens. Cependant, cela semble être réfuté par le
récit officiel de la Francophonie, nous affirme Alice Goheneix :
Le maintien de la langue française dans les anciennes
colonies ne résulte pas d'une volonté politique `'ex
nihilo», mais, bien de processus de longs termes ancrés dans la
sociologie des élites africaines et dans les impératifs
politico-économiques de leurs jeunes États. Or, dans le
récit officiel de la francophonie, l'appropriation de la langue par les
élites africaines repose sur une conception essentialiste de la langue
française qui tend à la sacraliser235.
231 Senghor et la Francophonie sera l'objet de notre
réflexion dans le chapitre deux de cette partie d'étude.
232 Jean-Marc LÉGER, « Une responsabilité
commune », Esprit, 1962
233 Idem
234 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, langue de culture », Esprit, 1962, p. 838
235 Alice GOHENEIX, op. cit.
55
Et dans un autre article, « La Francophonie comme culture
», Senghor corroborera la thèse du récit officiel de la
Francophonie en disant « si nous avons pris l'initiative de la
Francophonie, ce n'était pas non plus pour des motifs économiques
ou financiers. »236 Néanmoins, nous pouvons
dès lors affirmer que « le français est [...] le lien de
toute une communauté que l'on nomme la Francophonie.
»237 La particularité de cette communauté,
c'est qu'elle y implique la France. La dernière raison avancée,
d'après Jean-Marc Léger, est que le français a failli ne
pas être accepté à l'Organisation des Nations Unis (ONU)
comme l'une de ses langues officielles :
Le choc brutal de la deuxième guerre, bien
illustré dans le fait que le français ne fut accepté que
de justesse comme l'une des langues officielles de l'ONU, a fait prendre
conscience aux Français du besoin d'une liaison plus étroite avec
les pays et les peuples qui partagent leur langue et leur culture ainsi que du
besoin, dans cette ère nouvelle, d'une action organisée,
systématique, de défense et de ?promotion? des valeurs
culturelles françaises238.
La résurgence de la Francophonie dans la revue
Esprit est justifiée, pouvons-nous l'affirmer, par trois
raisons prolixes et perplexes, pour ainsi dire. Ce sont :
? Le français n'est plus pour les Français seuls
mais pour toutes les personnes qui la parlent ;
? Le français est langue de culture ;
? L'acceptation accidentelle du français à l'ONU
(la situation préoccupante et alarmante du français dans le
monde).
Ces raisons sont valables aujourd'hui qu'hier. Selon
Michaëlle Jean, ces raisons sont
d'actualité :
Les pays ayant le français en partage doivent s'unir
toujours plus fermement pour continuer à être
représentés au niveau international et à faire partie des
pôles incontournables, pour plus de démocratie internationale,
pour le plein respect de l'intégrité linguistique des peuples et
celui de leur pleine participation aux processus décisionnels. La
Francophonie dans sa défense du multilinguisme et avec son dynamisme,
son apport, sa force de proposition et d'action, est un
accélérateur d'insertion dans les circuits qui permettent de se
faire entendre à l'international, que ce soit pour les États ou
pour les populations que nous représentons , tout
particulièrement pour des millions de jeunes et de femmes[...]
Deuxième langue [...] de travail utilisée dans les organisations
internationales, la langue française est l'un des instruments essentiels
d'ouverture sur le monde239.
La Francophonie est employée plus ou moins trente-huit
fois dans la revue Esprit avec quelques variances orthographiques :
tantôt avec une initiale en majuscule, tantôt avec une
236 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie
comme culture », Études littéraires, vol.1,
n°1, 1968, p. 131
237 Bruno BOURG-BROC in Journal officiel de
l'Assemblée nationale française, 3è
séance du 3 mai 1994 238Jean-Marc LÉGER, « Une
responsabilité commune », op. cit.
239 Michaëlle JEAN, La Francophonie des solutions,
Rapport de la Secrétaire de la Francophonie, 2016, p. 59
56
initiale minuscule, tantôt entre guillemets,
tantôt suivie d'un point d'interrogation, comme le confirme Paola Puccini
:
En ce qui concerne la forme linguistique sous laquelle
apparaît le mot /francophonie/ on remarque qu'elle peut se subdiviser en
quatre variantes : le mot apparaît 25 fois sous sa forme de base, entre
guillemets 9 fois, il est suivi 2 fois par le point d'interrogation et il se
présente 2 fois avec la majuscule240.
Il y a une importance accordée au mot Francophonie par
la revue Esprit. Que représente-t-elle ? Michel Dupouey donne
une tentative de réponse en disant qu' « il y'a mille
critères pour déterminer l'étendue de la Francophonie, ou
si l'on préfère la diffusion de la langue française dans
le monde. »241 Du point de vue de Michel Dupouey, la
Francophonie est la diffusion de la langue française dans le monde. Cela
est-il partagé par les autres auteurs ou participants de la revue
Esprit ? Léopold Sédar Senghor, ne dit-il pas que «
la Francophonie, c'est cet Humanisme intégral, qui se tisse autour
de la terre : cette symbiose des ?énergies dormantes? de tous les
continents, de toutes les races, qui se réveillent à leur chaleur
complémentaire »242 ? Pour éviter toute
ambiguïté, il convient de faire un relevé non exhaustif des
locutions par lesquelles les auteurs de la revue Esprit ont
désigné la Francophonie. Nous avons à cet effet :
- Communauté culturelle française (p.
565)
- Liaison plus étroite avec les pays et les peuples
qui partagent leur langue et leur
culture (p. 567)
- Action organisée systématique de
défense et de « promotion »des valeurs culturelles
françaises (p. 567)
- Communauté des parlant français (p.
568)
- Cause commune (p. 568)
- Association (p. 569)
- Institutions placées sous le signe de la
coopération entre « parlants français » (p.
569)
- Association internationale d'ingénieurs, de
techniciens, d'architectes, etc., de la
fonction publique, de la langue française (p.
571)
- Confédération, à la fois instrument de
coordination et expression souveraine de
l'immense communauté de parlants français (p.
571)
- OEuvre commune des peuples d'expression française
(p. 649)
- Patrie culturelle où le français ne serait
plus la langue de l'exil (p. 809)
- Périphérie (p. 835)
- Espace commun où le français est parlé
(p. 836)
- Commonwealth linguistique français (p. 849)
- Espace qui a cessé d'être celui d'une nation,
même d'un empire (p. 866)
240 Paola PUCCINI, op. cit., p. 3
241 Michel DUPOUEY, Esprit, n°311, 1962, p. 604
242 Léopold Sédar SENGHOR, Esprit,
n°311, 1962, p. 844 (loc. cit.)
57
- Communauté de verbe et d'esprit (p. 866).
Dans ce relevé, ce qui est frappant, c'est la
communauté. Elle revient pas moins de cinq fois.
C'est aussi le sème qui se lit à partir de ce
relevé. Ce relevé permet également de mettre en
évidence ou de voir se dessiner trois sortes de Francophonie. Nous
pouvons, en nous appuyant sur le présent relevé, dire que la
revue Esprit met en relief trois sortes de Francophonie, à
savoir243 :
1. La Francophonie : communauté des francophones
(communauté linguistique)
- Liaison plus étroite avec les pays et les peuples
qui partagent leur langue et leur
culture (p. 567)
- Communauté des parlants français (p.
568)
- Institutions placées sous le signe de la
coopération entre « parlants-français » (p.
569)
- Association internationale d'ingénieurs, de
techniciens, d'architectes, etc., de la
fonction publique, de la langue française (p.
571)
- Confédération, à la fois, instrument
de coordination et expression souveraine de
l'immense communauté de parlants français (p.
571)
- OEuvre commune des peuples d'expression française
(p. 649)
- Espace commun où le français est
parlé (p. 836)
- Commonwealth linguistique français (p. 849)
- Communauté de verbe et d'esprit (p. 866).
2. La Francophonie : communauté
culturelle
- Communauté culturelle française (p.
565)
- Liaison plus étroite avec les pays et les peuples
qui partagent leur langue et leur
culture (p. 567)
- Action organisée systématique de la
défense et de « promotion » des valeurs
culturelles françaises (p. 567)
- Patrie culturelle où le français ne serait
plus la langue de l'exil (p. 809).
3. La Francophonie : communauté
politique
- Liaison plus étroite avec les pays et les peuples
qui partagent leur langue et leur
culture (p. 567)
- Action organisée systématique de
défense et de « promotion » des valeurs culturelles
françaises (p. 567)
- Cause commune (p. 568)
- Association (p. 569)
- Institutions internationales d'ingénieurs, de
techniciens, d'architectes, etc., de la
fonction publique, et de la langue française (p.
571)
- Confédération, à la fois instrument de
coordination et expression souveraine de
l'immense communauté de parlants français (p.
571)
243 « Notre intention était seulement de prendre
la mesure de la francophonie, sans l'enfermer dans une visée nationale,
en faire quelque habile revanche d'impérialisme frustré, mais au
contraire en la situant d'emblée dans son contexte mondial, aux
frontières des religions, des cultures et des politiques. »,
affirment Jean-Marie DOMENACH et Camille BOURNIQUEL, Esprit,
n°311, 1962
58
- Périphérie (p. 835)
- Espace qui a cessé d'être celui d'une nation,
même d'un empire (p. 866).
Les trois types de Francophonie qui s'appréhendent
à travers la revue Esprit ont pour objectif
principal de rassembler tous ceux qui parlent français
autour d'un projet commun, d'un concept, d'un fait réel, d'une
réalité : La Francophonie, synonyme de défense et
d'illustration de la langue française. C'est ce que nous dit Xavier
Deniau :
Le français est ?pour nous un moyen précieux de
communication? avec l'extérieur et de connaissance des autres comme de
nous-mêmes. La francophonie est une volonté humaine sans cesse
tendue vers une synthèse et toujours en dépassement
d'elle-même pour mieux s'adapter à la situation d'un monde en
perpétuel devenir244.
Ce propos est corroboré avec ce qui suit :
Rétrospectivement, l'importance de ce numéro (la
revue Esprit) est plus manifeste peut-être qu'elle ne le fut au
moment de la publication. 1962 ! En Afrique c'était l'époque des
indépendances, au Québec celle de la révolution
tranquille, en France celle des lendemains de l'empire. Il fallait que tous
ceux qui, dans le monde, restaient attachés à la langue
française, même si elle n'était pas la seule langue de leur
pays, ni toujours une de ses langues officielles, puissent se soutenir
mutuellement245.
Dans le souci de se soutenir mutuellement, culturellement et
politiquement, les auteurs de la revue Esprit ont pensé que la
résurgence de la Francophonie d'Onésime Reclus, de ses cendres,
était la solution, sans doute, idoine. C'est une hypothèse.
Peut-être, ne savaient-ils pas quel nom ou quelle dénomination
fallait-il donner à la communauté qu'ils songeaient à
créer ? Néanmoins, il fallait que tous ceux qui ont le
français en partage dans le monde puissent se regrouper pour
promotionner la langue qui était leur chose commune. Il fallait aussi
donner un nom à cette communauté naissante. Et le nom
trouvé pour désigner leur communauté à la fois
linguistique, culturelle et politique est la Francophonie. Dans cette
communauté, de part et d'autre, c'est-à-dire colonisé et
colonisateur, chacun misait sur la langue française. C'est pourquoi
Jean-Marie Domenach et Camille Bourniquel disent que la langue française
est une « arme du colonisateur, puis arme des colonisés, [elle]
est revendiqué[e] par la plupart d'entre eux comme un instrument de
promotion. »246 Et Léopold Sédar Senghor de
le confirmer en disant « l'ennemi d'hier est un complice, qui nous a
enrichi en s'enrichissant à notre contact. »247
Mieux, selon Dominique Wolton,
244 Xavier DENIAU, La Francophonie, Que sais-je ?,
Paris, PUF, 1983
245 Encyclopédie de le Francophonie sur
http://www.agora-2.org/francophonie.nsf/Dossier/Esprit_revue
246 Jean-Marie DOMENACH, Camille BOURNIQUEL, « Liminaire
», Esprit, 1962
247 Léopold Sédar Senghor, Esprit, 1962,
op. cit.
59
La francophonie est une somme de liens tissés entre
différents peuples, librement
acceptés par tous, même si pour certains à
l'origine, la langue qui les réunit désormais découle
d'une colonisation ou de la mise en place d'un protectorat248.
Cependant, dans cette communauté, il existe aussi une
sorte de dichotomie, de différence entre ceux qui la constituent. Il y a
d'abord le colonisateur qui suppose que le colonisé est une sorte
d'embryon de l'homme européen, à un stade primaire de
développement, et que lorsqu'il pourra jouir des avantages de
progrès et de la culture, il deviendra semblable à
l'Européen. Alors, la France est dans l'obligation d'assimiler le
colonisé à ce qu'il devienne Français pour le rayonnement
de la langue française et pour le prestige de la France. Jean-Marie
Domenach et Camille Bourniquel assertent que
C'est encore, grâce à la langue, la chance de
participer dans les meilleures conditions à la confrontation mondiale.
Le risque est à la mesure, et c'est assez dire qu'il nous lie. De tous
ceux qui parlent notre langue dans le monde monte une exigence qui nous
commande et qui, elle aussi, nous pousse vers l'avenir.249
Mieux, ajoutent-ils,
[...] dans la compétition des puissances, son
originalité ne survivra que si les Français eux-mêmes y
mettent leur foi, s'ils sont capables d'inventer encore de nouvelles formes et
de donner des réponses humaines aux besoins du monde
contemporain.250
Nous voici situé, la Francophonie est l'invention
nouvelle des Français pour la défense et l'illustration de leur
langue car « [elle] est [...] un problème qui, sans doute,
intéresse la France »251. En effet, comme le disent
Jean-Marie Domenach et Camille Bourniquel,
Le français a été d'abord, il est encore
la langue des Français. Son importance au-
delà du foyer d'origine dépendra pour une bonne
partie de ce que les Français auront à dire et de ce qu'ils
voudront faire252.
C'est ainsi que les Français ont décidé
de définir un nouvel espace linguistique pour regrouper des
communautés différentes par la race, le climat, le niveau social
et le régime politique, et
248 Dominique WOLTON, « L'identité francophone
dans la mondialisation », Cellule de réflexion
stratégique de la Francophonie, Décembre 2008, p. 22
249 Jean-Marie DOMENACH, Camille BOURNIQUEL, op. cit.
250 Idem
251 Esprit, n°311, p. 713
252 Jean-Marie DOMENACH, Camille BOURNIQUEL, op. cit.
60
sous-prétexte d'un sentiment d'une solidarité et
d'une responsabilité commune, ils font don de leur langue, parce que le
français,
Langue de culture, chère aux élites
traditionnelles, il doit être d'abord pour des peuples qui
s'émancipent, langue d'expression populaire et d'apprentissage
technique, langue vivante. [...] Véhicule par excellence de l'Europe
classique, il est promu de nouveau au rôle de langue mondiale
[...]253
Promouvoir le français au rôle de langue mondiale
ou la troisième langue du monde est le souhait du Français, et
c'est ce qui ressort du discours d'Emmanuel Macron le 20 mars 2018, lors de la
journée internationale de la Francophonie. L'intention du colonisateur
est de modeler le colonisé à son image linguistiquement,
culturellement, politiquement et techniquement, parce qu'
Une langue correspond toujours et nécessairement
à une vision du monde et à une
forme de vie sociale qui finissent par imposer une certaine
structure mentale à ceux qui la parlent.254
En voulant que le français soit la langue d'expression
et d'apprentissage technique pour le colonisé, c'est vouloir lui imposer
une vision du monde, une forme de vie, en d'autres mots, c'est l'assimiler.
Pour le colonisé, le français permet d'assimiler
le savoir qui n'est ni européen ni africain ni blanc ni noir ni jaune,
mais universel, parce qu' « [il] n'est pas question de renier les
langues africaines »255. Le colonisé se sert donc
de la langue du colonisateur pour la revendication de sa culture, de sa
personnalité, et pour réfuter l'accusation de peuple sans
histoire, sans art, hors de l'histoire ou de la civilisation. Nous savons tous
qu' « [u]n peuple sans histoire est un peuple sans âme, [sans
identité] »256 ou bien qu' « [u]n peuple
ne se développe pas, à notre avis, s'il n'a pas une certaine
connaissance de son identité et de sa valeur transmises par la culture
et l'histoire. »257 Pour le colonisé, il faut se
servir de la langue française pour exprimer les valeurs
socio-culturelles de l'Afrique car « [elle] ne peut et ne doit pas
rester perpétuellement sous la dépendance des pensées et
des formes d'expression de la France [...] »258. C'est
à juste titre que Senghor dit,
253 Idem
254 Ahmed Sékou TOURÉ, L'Afrique et la
révolution, Présence Africaine, Paris, p. 251
255 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, langue de culture », op. cit., p. 843
256 Générique de l'émission «
Archive d'Afrique » de la Radio France Internationale (RFI).
257 Théâtres africains (Actes du colloque
sur le théâtre africain, École Normale Supérieure,
Bamako, 14-18 novembre 1988), « Théâtre,
Développements et culture coloniale », (En commission), Paris,
Éditions Silex, 1990
258 Ahmed Sékou TOURÉ, L'Afrique et la
révolution, op. cit., p. 255
61
Au moment que, par totalisation et socialisation, se construit
la Civilisation de l'Universel, il est, d'un mot, question de nous servir de ce
merveilleux outil, trouvé dans les décombres du Régime
colonial. De cet outil qui est la langue française. [...] Nos valeurs
font battre, maintenant les livres que vous lisez, la langue que vous parlez :
le français, Soleil qui brille hors de l'Hexagone259.
Ce dont il s'agit dans les propos de Léopold
Sédar Senghor peut se comprendre d'une autre manière, lorsque
nous disons que :
La langue du colonisateur fut une arme de combat pour
dénoncer les méfaits de la colonisation, pour revendiquer et
affirmer l'identité Négro-africaine. Et aujourd'hui, il faut se
servir de cette langue pour exprimer les aspirations des Africains à
l'intention de l'opinion française et internationale ; les aspirations
qui sont liberté, égalité et fraternité tant au
niveau culturel qu'au niveau politique et économique260.
La Francophonie est aussi une manière pour le
colonisé d'apporter sa modeste contribution au rayonnement de la langue
française. En effet, le français n'est plus l'affaire seule de la
France. C'est ce que nous pouvons retenir des propos de Jean-Marc Léger
:
Les vieux pays francophones, si je puis employer cette
expression [...] se considèrent désormais responsables, non pas
certes dans la même mesure, mais au même titre que la France, de la
préservation, et de la diffusion de la langue française,
également ?propriétaires? de l'héritage spirituel commun
et, d'autre part, ont, avec raison, conscience d'apporter désormais une
contribution, modeste peut-être mais authentique, au trésor
commun261.
Nous pouvons renforcer les propos de Jean-Marc Léger
avec ceux de Félix Houphouët Boigny lors de la proclamation de
l'indépendance de la Côte d'Ivoire :
Alors mes chers frères, il n'y a pas de honte à
avoir été colonisés. Nous n'avons plus à nous
attarder dans des complaintes inutiles. Nous devons aller de l'avant, car nous
nous aussi, nous devons apporter de plus à ce monde notre contribution
décisive.262
L'autre partie constituante de cette communauté dit
« [...] à l'Europe que les Nègres n'étaient pas
un ?peuple enfant? et qu'ils avaient une culture »263,
qu'il faut adapter à la civilisation européenne. Une analyse de
la dichotomie existante dans cette communauté révèle
259 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, langue de culture », op. cit., p. 844
260 Adou BOUATENIN, op.cit., p. 31
261 Jean-Marc LÉGER, « Une responsabilité
commune », op. cit.
262 Félix Houphouët BOIGNY, discours
prononcé lors de la proclamation de l'indépendance de la
Côte d'Ivoire, in Fraternité Matin, hors-série,
n°6, août 2010, p.7
263 Amadou KONÉ, Les Frasques d'Ébinto,
CEDA/HATIER, 1980, pp. 38-39
62
qu'il s'agit pour chaque partie de s'ouvrir à l'autre
avec des arrières pensées pour lui apporter ce qu'on
possède et lui emprunter ce qu'on n'a pas264. La France
apporte sa langue au colonisé, et le colonisé se sert de la
langue du colonisateur pour exprimer ses attentes. Nous comprenons dès
lors Jean-Marc Léger lorsqu'il dit « apporter désormais
une contribution », car il s'agit évidemment d'une
contribution de part et d'autre, d'une « chaleur complémentaire
» comme le souligne Léopold Sédar Senghor, mieux avec
Jean Lacouture qui dit
[...] d'abord instrument de conquête, le français
sera tour à tour ou simultanément instrument d'échange et
d'unité, d'amitié, enfin de développement technique et
création esthétique265.
Quant à la revue Esprit, en la lisant
minutieusement, l'on se rend compte rapidement qu'on peut déceler le
sème de l'espace et du temps. Ils sont, en fait, indissociables à
la notion de Francophonie (de la communauté). En effet, les auteurs de
la revue, dans leur tentative définitionnelle, ont employé des
substantifs où apparaissent les sèmes de l'espace et du temps. Le
sème de l'espace apparaît donc dans les substantifs mesure,
étendue, frange, jalon, planétarisation, hors de France, d'une
bonne partie du monde, la situer aux frontières, dans une visée
nationale, de tous les continents. Ce sème montre non seulement que
la Francophonie est un espace dont les auteurs de la revue cherchent
géographiquement une délimitation mais qu'elle est une notion
vaste et insaisissable. Comme nous parlons de communauté, nous pouvons
dire que la Francophonie est une communauté vaste,
géographiquement illimitable. Elle « est une communauté
spirituelle »266 ou une « communauté
d'esprit »267. Ce qui peut nous amener à dire que
la Francophonie est un concept. Quant au sème temps, il apparaît
dans les mots avenir, chance(s), dépendre, semble, tend à
devenir. Ce sème fait allusion au futur, pour dire que la
Francophonie n'est qu'un simple projet dans la revue Esprit. Les
auteurs n'exprimaient pas le voeu de voir la Francophonie se réaliser
ici et maintenant (hic et nunc), mais que cela se réalise dans le futur.
C'est pourquoi Jean-Marie Domenach et Camille Bourniquel disent que la
réalisation de la Francophonie dépend de la future
génération268 ou peut-être des
francophones.269 À ce stade de notre réflexion, nous
pouvons dire, sans faux-fuyant, que la Francophonie est une communauté
naissante ou une communauté en devenir.
264 L'idée est de Clément MBOM («
Léopold Sédar Senghor, une trajectoire à l'épreuve
du temps », Présence Africaine, n°154, Dossier I :
spécial Senghor, 2ème semestre 1996)
265 Jean LACOUTURE, « Ce défaut français
», Esprit, n°311, 1962
266 Léopold Sédar SENGHOR, « la Francophonie
comme culture », Études Littéraires, op.
cit., p.131
267 Léopold Sédar SENGHOR, « De la
Francophonie », Éthiopiques, numéro 50-51, 1988
268 Ils disent : « L'avenir détient seul les
réponses et il ne nous appartient pas de décider à la
place de ceux qui ont désormais en mains les commandes de leur
destin. »Esprit, n° 311, 1962
269 Paola PUCCINI dit : « L'avenir de la francophonie
dépend directement des francophones », op. cit.,
p.7
63
Cependant, il faut admettre aussi le fait qu'elle est un
concept assembleur, c'est-à-dire un terme pour désigner
l'assemblée de tous ceux qui parlent la langue française.
« Le français, langue vivante » est
le thème du numéro de novembre 1962 de la revue Esprit
qui a amené des personnalités politiques,
littéraires, culturelles et des diplomates à orienter leur
réflexion autour d'un concept, d'une notion engendrée en 1880 par
le géographe Onésime Reclus : la Francophonie. Dans le souci de
montrer que la langue française a le mérite d'être
défendue et illustrée, les auteurs de la revue Esprit de
novembre 1962 ont ressuscité la Francophonie d'Onésime Reclus
avec une grande méfiance et de doute. En effet, 1962, c'était
l'époque des indépendances en Afrique, la révolution au
Canada (Québec) et la fin de l'empire en France. Pour l'Afrique,
accepter la langue de l'autre n'était-il pas se trahir, trahir la
Négritude, le Consciencisme,
l'Authenticité, etc. ? Pour le Canada, le choix fut difficile.
Les Canadiens devraient-ils laisser le français pour l'anglais ou
devraient-ils accepter les deux comme langues officielles ? Pour la France,
elle avait peur d'être taxée de néo-colonialiste. Il
fallait, avec précaution, présenter la Francophonie, et regrouper
tous ceux qui, dans le monde, restaient attacher à la langue
française comme l'ont fait tous ceux qui parlent l'anglais au sein du
Commonwealth, surtout en mettant l'accent sur la culture que sur
l'économie. La communauté des francophones qui, au départ,
excluait la France, va l'impliquer dans la gestion de l'avenir de sa langue.
Ces méfiances, ces doutes et ces hésitations feront de la
Francophonie de la revue Esprit un simple projet difficilement
définissable. Les auteurs ont bien du mal à donner une
définition exacte au mot Francophonie qu'ils ont employé sauf
Léopold Sédar Senghor. C'est à travers les synonymes et
d'autres expressions que nous avons pu dire que la Francophonie est une
communauté naissante.
Cependant, dans cette communauté, les visions sont
opposées ; il y a une dichotomie d'idées qui induit à
l'erreur et qui empêche de discerner ou de déceler l'objectif des
auteurs de la revue Esprit de 1962. L'objectif de ces auteurs
était de rassembler tous ceux qui parlent français dans le monde
afin de se soutenir mutuellement pour affronter les grandes questions du moment
et à venir. C'est aussi de prendre la responsabilité d'assumer la
réalité des faits socio-culturels que l'histoire a
engendrés : la langue française appartient à tous ceux qui
la parlent ou qui l'utilisent comme langue officielle ou nationale. L'histoire
a fait que la langue française soit la langue d'une communauté
qu'on nomme ou qu'on appelle Francophonie. « La langue
française n'appartient pas aux seuls Français, elle appartient
à toutes celles et à tous ceux qui ont choisi de l'apprendre, de
l'utiliser, de la féconder aux accents de leurs cultures,
64
de leurs imaginaires, de leurs talents.
»270 Mieux, « ce qui fait aujourd'hui la force de
français, je dirais même son génie propre, c'est ce qu'il
est une langue partagée par des nations différentes dont chacune
l'a enrichie de son histoire, de ses mots, de ses oeuvres, de ses idées.
»271 Qu'on le veuille ou pas, l'usage de la langue
française est le seul principe incontestable sur lequel la Francophonie
repose272. C'est autour de cette langue que les auteurs de la revue
Esprit de 1962 ont bâti leurs argumentations et leurs
réflexions. Le français est « le trésor commun
», pour reprendre Jean-Marc Léger, de la communauté des
francophones. Il est
appréhendable à la fois comme outil
d'assimilation et outil de revendication. Néanmoins, chaque partie ou
chaque membre de la communauté est appelé(e) à
défendre et à illustrer ce « trésor commun
»273, ce « Soleil qui brille hors de l'Hexagone
»274. Le français est donc, pour dire comme
Jean-Marc Léger, une responsabilité commune de tous ceux qui la
parlent ; pour cela, ils doivent s'unir, se soutenir pour le défendre et
le promotionner (le valoriser). Nous comprenons dès lors les raisons qui
ont amené les défenseurs de la Francophonie à
considérer la revue Esprit de novembre 1962 comme l'acte de
naissance de la Francophonie actuelle275.
Entre la Francophonie d'Onésime Reclus et celle de la
revue Esprit de novembre 1962, il a eu quatre-vingt-deux années
d'intervalle, or l'on constate que la Francophonie de la revue Esprit
est influencée par celle d'Onésime Reclus. En effet,
Onésime Reclus a voulu qu'une communauté de parlants
français dispersés à travers les quatre coins du monde, en
particulier en Afrique et au Canada, soit le porte-étendard du
rayonnement et la suprématie de la langue française. Il exhortait
la France à ne pas conserver sa langue mais plutôt à la
dispenser aux autres, mieux à assimiler Africains et Canadiens par la
langue, ainsi le français est certain d'être une langue
universelle. Selon lui, un grand nombre de locuteurs est synonyme d'une langue
vivante, donc universelle. Aussi, par la langue, c'est une culture qui est
véhiculée et inculquée, ainsi les locuteurs de la langue
française, appelés francophones, seront des Français,
parce qu'il (pour la simple raison qu'il) n'y a pas de Français
authentiques. La communauté qu'a voulue
270 Abdoul DIOUF, « La francophonie, une
réalité oubliée », Le Monde
19.03.2007
271 Alain JUPPÉ, « Agir pour la francophonie »,
Pourquoi la Francophonie, Louise BEAUDOIN et Stéphane PAQUIN
(dir), p. 166
272 « La langue française est la base, le lien,
autour duquel s'est construite l'idée francophone. C'est la langue
française qui a réuni aussi bien les fondateurs de la
Francophonie que les populations des pays francophones. », nous dit
Hervé BOUGES, « Pour une reconnaissance de la Francophonie »,
Rapport, Juin 2008, p. 13
273 Jean-Marc LÉGER, Esprit, op. cit.
274 Léopold Sédar SENGHOR, Esprit, op.
cit., p. 844
275Allusion à l'Organisation Internationale de
la Francophonie (OIF).
65
Onésime Reclus sera la voix des Français hors de
France. Comme nous le savons tous, cette Francophonie disparaît avec son
père géniteur. Tous deux sont restés dans le silence
sépulcral.
Il faut attendre quatre-vingt-deux ans pour voir
réapparaître la Francophonie dans la revue Esprit de
novembre 1962. Dans cette revue, les auteurs ont du mal à définir
la Francophonie. Pour certains, c'est le français hors de la France.
Pour d'autres, c'est l'assemblée des potentiels locuteurs de la langue
française dans le monde, y compris les Français eux-mêmes.
Pour d'autres encore, le français est une propriété
commune. Les auteurs ont entretenu une dichotomie d'idées, de sens, de
sorte qu'il est difficile d'avoir une idée claire de ce qu'ils
proposaient. Néanmoins, de cette dichotomie, une chose était
évidente : les auteurs souhaitaient la création d'une
communauté au sein de laquelle chaque francophone se sentirait
responsable du devenir et du sort de la langue française, cette langue
qui est prise comme outil d'assimilation pour certains et outil de
revendication pour d'autres. La communauté voulue par les auteurs de la
revue Esprit de novembre 1962 était donc une communauté,
à la fois linguistique, culturelle et politique.
Léopold Sédar Senghor reprend ce terme à
son propre compte sans lui attribuer toutefois le sens qu'ont essayé de
donner Onésime Reclus et les autres auteurs de la revue Esprit.
Il se démarque des auteurs de la revue ; et de façon
téméraire, il donna une définition à la
Francophonie. À la suite de son article, considéré comme
le manifeste de la Francophonie, Senghor s'engagea, corps et âme, pour
faire accepter le concept d'une communauté de francophones en vue d'une
réalisation concrète. Pour faire accepter le concept, il va
multiplier les définitions, souvent opposables ou
complémentaires, de la Francophonie. Ces faits amènent les
spécialistes à le considérer comme le véritable
père de la Francophonie institutionnelle. Pour ces mêmes raisons,
nous aussi, nous essayons également d'appréhender la Francophonie
que Léopold Sédar Senghor a présentée
au-delà de la définition donnée dans la revue
Esprit. Nous voulons aussi, à travers les nombreuses
définitions qu'il a eues à donner, saisir le véritable
sens de la Francophonie et voir ce que cela implique au juste. Mieux, il est
question, à partir des définitions de Léopold Sédar
Senghor, d'avoir une idée claire de sa perception de la Francophonie ou
de sa conception de la Francophonie.
66
CHAPITRE II : LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR ET
LA FRANCOPHONIE
Séparer le nom de Léopold Sédar Senghor
de la Francophonie comme de la Négritude est une insulte à
l'humanité, à l'histoire littéraire et à la
politique. C'est ce que nous dit René Gnaléga : «
Senghor est l'un des pionniers de la Négritude. Mais nous ne pouvons
pas non plus séparer le nom de Senghor de la Francophonie tant il avait
fait corps avec l'idée de francophonie en la défendant avec
ferveur et avec foi. »276 Toute sa vie, Léopold
Sédar Senghor était au service de la Francophonie voire de la
Négritude et de la Civilisation de l'Universel : « [Pour] les
quelques années qui me restent à vivre, mon plan est simple [...]
: je me consacrerai entièrement à mon action culturelle, en me
mettant triplement au service de la Négritude, de la Francophonie et de
la Civilisation de l'Universel. »277 C'est à partir
de 1962 avec la revue Esprit que Léopold Sédar Senghor a
viré de la Négritude à la Francophonie : « On
s'étonnera, sans doute, que le militant de la Négritude, que j'ai
été au Quartier latin, soit tombé, par la suite, dans la
Francophonie »278, et se faisant ainsi l'apôtre des
nations de la Francophonie. Alors certains critiques littéraires ont
estimé que ses oeuvres sont marquées du sceau de la
Francophonie279. Mamadou Bani Diallo affirme que « l'oeuvre
et la pensée de Léopold Sédar Senghor semblent
marquées par le sceau de la francophonie et de la Négritude [...]
»280. Soutenu par Lavodrama Philippe qui dit qu'il «
ne l'a pas seulement défendue, mais également
illustrée, par son oeuvre littéraire et poétique
[...]. »281 Ceci est corroboré par Ibrahim Diop :
« Négritude, Francophonie [...] cristallisent la quintessence
de son oeuvre littéraire et poétique. »282
Mieux, « la volonté de Senghor de s'approprier les valeurs et
vertus d'autres peuples et cultures est nettement perceptible dans son oeuvre
poétique et dans la série
276 René GNALÉGA, « Senghor et la Francophonie
», op. cit., p. 113
277 Janet G. VAILLANT, Vie de Léopold Sédar
Senghor. Noir, Français et Africain, Paris, Karthala, 2006, p.
437
278 Léopold Sédar SENGHOR, « De la
Francophonie », loc. cit.
279 De ces critiques, nous en faisons partie. La suite de notre
travail permettra de confirmer que ses oeuvres poétiques sont
l'expression de la Francophonie (Le manifeste réel de la
Francophonie).
280 Mamadou Bani DIALLO, loc. cit.
281 Philippe LAVODRAMA, loc. cit., p. 182
282 Ibrahim DIOP, loc. cit., p. 8
67
de Liberté. »283 Il n'est pas
question pour nous, ici, d'étudier la Francophonie dans ses
oeuvres.284
Les articles, les conférences animées, les
interviews en faveur de la Francophonie font « de lui la figure
emblématique de la Francophonie [...] »285à
telle enseigne que la Francophonie chez Senghor n'est plus la Francophonie
définie dans la revue Esprit de novembre 1962. « Le
terme de francophonie a des connotations tout à fait différentes
depuis son emploi par Senghor qui est considéré comme le
père de la francophonie, au point que beaucoup attribuent la
création réelle de ce terme à ce dernier », nous
dit Anna Judge286 ou comme l'affirme Bernard Pöll «
Sous la plume du président sénégalais, Léopold
Sédar Senghor, le concept s'enrichit sémantiquement- francophonie
dépasse le cadre du simple terme linguistique, il sert à
désigner une communauté de valeurs et de cultures.
»287 Mieux, « sous sa plume, le terme
"francophonie" va progressivement acquérir un caractère
linguistique, géographique, culturel et économique auquel
s'ajoute une dimension politique. »288 « Quoique
qu'il (Senghor) décline l'honneur en déclarant : " je n'ai pas
inventé la Francophonie, elle existait déjà", Senghor en
est indiscutablement la figure de proue, le refondateur et pour ainsi dire le
ré-inventeur. »289 Avec Léopold Sédar
Senghor, la Francophonie revêtira une dimension poétique, parce
qu'il est avant tout un poète. Dans une vision poétique, il
élèvera la notion de Francophonie, parce que, tout simplement, la
poésie est universelle. Pour dire que la Francophonie chez Senghor se
veut universelle « [...] car la Francophonie a commencé par une
fraternité de poètes [...] »290 En effet,
« [Senghor] tente enfin de concrétiser dans sa politique les
idées du poète qui veut conduire les hommes, noirs et blancs,
vers de nouvelles relations fraternelles. »291 Nous
estimons que, dans son combat pour redéfinir l'image de l'Afrique et les
rapports de l'Africain avec l'autre, le poète du royaume d'enfance,
Léopold Sédar Senghor, opte pour la Francophonie. Nous pensons
aussi que « selon Senghor, la
283Idem, (op. cit.), p. 16
284 Nous étudierons la Francophonie dans les oeuvres
poétiques de Senghor dans la seconde partie de notre travail.
285 Philippe LAVODRAMA, op. cit., p. 232
286Anna JUDGE, « La Francophonie : mythes,
masques et réalités », Bridget Jone, Arnauld Miguet, Patrick
Corcoran (dir), Francophonie : mythes, masques et réalités.
Enjeux politiques et culturels, Paris, Publisud, 1996, p. 25
287 Bernard PÖLL, Francophonies
périphériques, Histoire, statut et profit des principales
variétés du français hors de France, Paris,
L'Harmattan, 2001, p. 19
288 Virginie MARIE, « De la Francophonie centripète
à une Francophonie périphérique », Alternative
francophone, p. 59
289 Philippe LAVODRAMA, op. cit., p. 202
290Daniel MAXIMIN, « L'originelle poésie
francopolyphonique », Synergies Monde, n° 5, 2008, p. 151
(pp. 151-154)
291 Michel TÉTU, « les grandes figures de la
Francophonie », les trois « Pères fondateurs »,
Dossier Thématique : La Francophonie, 35 ans après, AFI,
2006, p. 328
68
Francophonie est la reconnaissance des autres cultures ;
c'est intégrer ou faire coexister les valeurs culturelles et
linguistiques africaines et celles de l'Europe ; une sorte de symbiose
culturelle »292, mieux « chez lui, la
Francophonie se veut une fraternité dans le respect mutuel et le
dialogue des cultures. »293 Nous croyons également
que la Francophonie chez Léopold Sédar Senghor est un concept
englobant, un idéal à cultiver et à réaliser.
Cependant, d'autres critiques littéraires estiment « que
Senghor est pris dans le piège du concept que lui-même a fait
renaître de ses cendres. »294 Dans cette optique,
Ambroise Kom dit qu' « il en va pareillement de Senghor qui aura
passé le plus clair de sa vie à défendre en tout temps et
en tout lieu la Francophonie oubliant qu'il s'agit essentiellement d'instituer
et de perpétuer la conquête sous couvert de partage linguistique.
[...] Il a passé sa vie à parler de dialogue, de convergence, de
symbiose, de Civilisation de l'Universel, oubliant la surdité du
colonisateur face au discours du colonisé et à toute initiative
émanant de ce dernier. »295 Pour cette raison,
Ibrahim Diop affirme que « le concept de Francophonie traduit
également l'intérêt et l'amour de Senghor pour la langue
française pour laquelle il fut sévèrement critiqué.
»296. Pour lui, Léopold Sédar Senghor fut
critiqué pour l'intérêt et l'amour qu'il accordait à
la langue française.
Il faut reconnaître que celui-ci n'a jamais rien
inventé. Néanmoins, le terme Francité est son invention :
« Plus généralement, les Québécois
eux-mêmes reconnaissent en Senghor le parrain de la Francophonie et le
père de la Francité »297 ou « c'est
à Léopold Sédar Senghor qu'on attribue la paternité
du néologisme "Francité" vers 1965. »298
Là encore, on reste perplexe, comme on le voit, à attribuer ce
terme à Senghor.299 Dans tous les cas, c'est avec lui que les
concepts, surtout le concept Francophonie, ont eu l'égard des critiques
et des
292 Adou BOUATENIN, La poétique de la
Francophonie, op. cit. p. 62
293 Idem p. 107
294 Adou BOUATENIN, loc. cit. (Ibidem), p.
30
295Ambroise KOM, Les fondements identitaires
d'une intelligentsia africaine d'après Amadou Hampâté
Bâ, pp. 206-207
296 Ibrahim DIOP, op. cit., p. 11
297 Philippe LAVODRAMA, op. cit., p. 193
298 La Maison de La Francité, « la Francité
» [en ligne],
Disponible sur
http://www.maisondelafrancite.be/fr/?ID=9,
consulté le 6 mai 2016
299José FONTAINE affirme qu' « on sait
que le terme de Francité désigne depuis quelques années la
spécificité de tout ce qui est français. La
paternité du mot doit sans doute être attribuée au
président Senghor. Mais, quelques années auparavant,
francité apparaissait dans une étude de Roland Barthes.
» (La frite et la Francité in Le Monde, 22 juillet 1980, p.2)
ou comme le dit aussi G. André VACHON « "Francité" est
un néologisme. Il apparaît vers 1963, presque
simultanément, sous la plume de Jacques Berque, Paris, et de Jean-Marc
Léger, à Montréal. Léopold Senghor l'a
employé, à divers reprises, et on le retrouve aujourd'hui dans
bon nombres de publications consacrées aux problèmes politiques,
sociaux et culturels des anciennes colonies françaises. » (La
"Francité" p. 117). Et Léopold Sédar Senghor de confirmer
en disant que « Ce n'est pas hasard, si nous avons été
les deux premiers, un Canadien et le Sénégalais que je suis,
à lancer le néologisme de `' francité». »
(De la Francophonie, op. cit.)
69
observateurs ou ont acquis de l'importance et leurs lettres de
noblesse dans la critique littéraire et politique. Sans
méprendre, nous pouvons dire que la Francophonie, chez lui, est aussi la
Francité, car il lui arrive de ne pas faire une différence entre
ces deux termes. Chez lui, la Francophonie et la Francité ont la
même connotation : « Bref, la Francophonie, c'est
par-delà la langue, la civilisation ; plus précisément,
l'esprit de cette civilisation, c'est-à-dire la culture
française. Que j'appellerai la Francité.
»300 Ou bien « Or donc, comme je le disais en
commençant, la Francophonie, plus précisément la
Francité - c'est une façon rationnelle de poser les
problèmes et d'en rechercher les solutions, mais toujours, par
référence à l'homme. »301 Nous voyons
que la Francophonie et la Francité sont, certes, deux mots
différents orthographiquement, mais sont des synonymes renvoyant chez
Léopold Sédar Senghor à une seule réalité :
la culture française. Se sentant critiqué de toute part, et
incompris de ses compatriotes africains, il va, bien sûr, atténuer
son discours sur la Francophonie et recadrer son projet. Alors, il y
intégrera des valeurs que véhicule la Négritude.
Désormais, la Francophonie serait une Francophonie teintée de la
Francité et de la Négritude. C'est une Francophonie qui exalte la
culture française et la culture négro-africaine pour aboutir
à la Civilisation de l'Universel, semble-t-il. Peut-être, est-ce
la raison pour laquelle il considère « la Francophonie comme
culture » ?302 En effet, la Francité est la culture
française, et la Négritude, l'exaltation de la culture
négro-africaine. La rencontre de ces deux concepts, chez Senghor, a
donné la Francophonie, qui se veut une culture, dite universelle.
D'ailleurs, Léopold Sédar Senghor avoue son rêve de
concilier Négritude et Francophonie : « J'ai toujours
rêvé de concilier Francophonie et Négritude. Ce rêve
est maintenant une réalité. »303
Dans la Francophonie senghorienne, admettons-le, il y a une
part de Francité et, une autre part de Négritude. Cependant, dans
ses tentatives de donner définitivement une définition à
la Francophonie, Senghor nous apprend que la Francophonie serait née des
cendres de la communauté française voulue par le
Général De Gaulle : « C'est donc en janvier 1944, et par
la volonté de Charles de Gaulle que naquit non seulement l'idée
et la volonté, mais surtout la possibilité de la Francophonie
[...] »304. Les propos de Senghor sont confirmés
par Bégong-Bodoli Betina : « La Francophonie actuelle est
née des cendres de la communauté française. L'une des
raisons de la création de la Francophonie est la mort
prématurée de la Communauté
300 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie
comme culture », op. cit. p. 131
301 Idem, p. 136
302 Allusion au titre de Léopold Sédar Senghor.
303Léopold Sédar SENGHOR, message
envoyé à l'UNESCO qui lui rendait hommage pour son
90ème anniversaire
304 Léopold Sédar SENGHOR, Ce que je
crois, Paris, Grasset et Fasquelle, 1988, p. 158
française. »305Qu'est-ce que
la Francité ? Qu'est-ce que cela implique ? Qu'est-ce que la
Négritude ? Qu'est-ce que la Communauté française ?
Pourquoi Senghor a-t-il choisi la
Francophonie au profit de la Francité ? Qu'implique la
Francophonie ? Pour mieux appréhender la conception senghorienne de
la Francophonie, il nous faut examiner au peigne fin les nombreuses
définitions données par Léopold Sédar Senghor au
mot Francophonie. De cet examen, nous allons voir que la Francophonie chez
Léopold Sédar Senghor n'est rien d'autre qu'une combinaison de
Francité et de Négritude et de la défunte
Communauté française. C'est-à-dire la Francophonie chez
lui se veut exaltation de la Négritude par la Francité. Nous
pouvons dire également que la Francophonie senghorienne est un concept
de résignation. Léopold Sédar Senghor se résigne en
acceptant sa condition de colonisé, et invite les autres,
c'est-à-dire ses frères africains, à le suivre dans cette
résignation.306
70
305 Betina BÉGONG-BODOLI, op. cit.
306 Cela sera plus explicité et mis en évidence
dans la deuxième partie de notre thèse.
71
1. LA CONCEPTION SENGHORIENNE DE LA FRANCOPHONIE
Pour saisir la Francophonie chez ou de Léopold
Sédar Senghor, il faut remonter à la revue Esprit de
novembre 1962 où il en a donné une définition. Depuis
cette date, Senghor n'a fait que donner plusieurs définitions au mot
Francophonie qui sont parfois confuses et contradictoires et qui
empêchent les chercheurs travaillant sur ce thème d'être
unanimes sur une définition exacte de Senghor de la Francophonie.
L'appréhension de la Francophonie senghorienne n'est, à
proprement parler, pas du tout aisée, semble dire J. Tshisunguwa
Tshisungu :
En suivant une approche diachronique, on constate que Senghor
donne plusieurs définitions du mot francophonie. Ce qui ne manque de
surprendre. En effet, un concept polysémique est très peu
opératoire sur le plan scientifique car il ne peut être
généralisé, ni susceptible de renvoyer à un
même signifié chez tous les chercheurs travaillant dans un domaine
donné.307
C'est en cherchant à se justifier, du fait qu'il «
soit tombé, par la suite, dans la Francophonie
»308, qu'il définit la Francophonie. En 1962 dans
la revue Esprit, il donna les raisons qui l'ont amené à
la Francophonie. Selon lui, la principale raison est que la Francophonie est
d'ordre culturel : « Cependant, la principale raison de l'expansion du
français hors de l'hexagone, de la naissance d'une Francophonie est
d'ordre culturel. »309 Comme d'habitude, Léopold
Sédar Senghor, après avoir donné la raison de la naissance
de la Francophonie, va se justifier en disant qu' « il est question
d'exprimer notre authenticité de métis culturels, d'hommes du
XXème siècle. »310 Cela n'est pas
étonnant. Cette justification rejoint celle d'Onésime Reclus qui
affirmait qu'il n'y avait pas de Français authentiques, mais des
Français métis, et que ce qui compte c'est l'avenir de la langue
française. Néanmoins, ce qui retient notre attention dans cette
justification, c'est la syntaxe nominale « métis culturels
»311.
307 J. Tshinuguwa TSHISUNGU, loc. cit.
308 Léopold Sédar SENGHOR, « De la
Francophonie », loc. cit.
309 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
Français, langue de cultures », loc. cit., p. 838
310 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
Français, langue de cultures », p. 843
311 Nous y reviendrons dans la troisième partie de notre
travail.
72
Pour Senghor, cette justification doit venir corroborer la
raison déjà avancée. Et en 1988, il confirme la raison
donnée en 1962 en disant « f...] la culture reste le
problème essentiel de la Francophonie. »312 Nous
voilà situé. La Francophonie chez Senghor relève de la
culture, c'est-à-dire la Francophonie est un fait culturel. Mieux, elle
se préoccupe de la culture, comme le justifie Senghor :
Qu'est-ce que la Francophonie ? Ce n'est pas comme d'aucuns le
croient, une « machine de guerre montée par l'impérialisme
Français ». Si nous avons pris l'initiative de la Francophonie,
c'était pas non plus pour des motifs économiques ou financiers.
Si nous étions à acheter, il y aurait, sans doute, plus offrant
que la France. Et si nous avons besoin de plus d'assistants techniques
francophones de hautes qualifications, c'est qu'avant tout, pour nous, la
Francophonie est culture.313
L'autre raison avancée et qui semble la plus importante
chez lui, c'est l'amour inconditionné porté à la langue
française. Cette langue qu'il découvrit à l'âge de
sept ans.
Je me rappelle, quand je découvris le français,
à sept ans, c'était, pour moi, musique et charme. La
beauté du français, sa poésie, ne vient pas du pouvoir
imaginant des mots, qui se sont dépouillés du concret de leur
racine, elle vient de la musique des mots et des phrases, des vers et des
versets : de leur rythme et de leur mélodie314.
Dans un entretien avec Armand Guibert, parlant de son
apprentissage de la langue française, il revient encore sur l'âge
de sept ans :
Le français n'est pas ma langue maternelle. J'ai
commencé de l'apprendre à sept ans par des mots « confiture
» et « chocolat ». Aujourd'hui, je pense naturellement en
français et je comprends le français mieux qu'aucune autre
langue. C'est que le français n'est plus pour moi un véhicule
étranger, mais la forme d'expression naturelle de ma
pensée315.
Dans la revue Esprit de novembre 1962, il
énumère cinq éléments majeurs qui l'ont
amené à aimer la langue française316. Son
attachement au français s'appréhende en cinq points. Ce sont :
V' Les Africains parlent mieux le français que leur
langue maternelle
V' La richesse du vocabulaire français
V' La syntaxe de la langue française
V' La stylistique française
312 Léopold Sédar SENGHOR, « De la
Francophonie », Éthiopiques, n°50-51, 1988
313 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie
comme culture », loc. cit., p. 135
314 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie
comme culture », Idem, 1968, p. 135
315 Entretien rapporté par J. Tshisunguwa TSHISUNGU
316 Cf. article dans la revue Esprit de la page 839
à la page 840
73
? L'humanisme français.
Il le reconfirme en 1968 avec un autre article intitulé
« La Francophonie comme culture » :
C'est, tout d'abord pour deux raisons historiques : de fait.
La première est que, ne voulant pas nous renier, nous ne voulons rien
renier de notre histoire, fut-elle « coloniale », qui est devenue un
élément de notre personnalité nationale. [...] Et puis, il
y'a le français, qui est une langue internationale de communication.
C'est notre deuxième raison de fait. Il y a d'autres raisons, plus
profondes, qui tiennent aux qualités mêmes de la langue. Qu'il
s'agisse de morphologie ou de syntaxe, le français nous offre, à
la fois, clarté et richesse, précision et nuance317.
[...] Pour dire que la langue française est culture, c'est-à-dire
esprit de civilisation, fondement d'un humanisme qui ne fut jamais plus actuel
qu'aujourd'hui318.
Après avoir longuement justifié son choix de la
Francophonie, il peut alors conclure en disant « [...] le seul
principe incontestable sur lequel elle (la Francophonie) repose est l'usage de
la langue française. »319
Léopold Sédar Senghor est conscient que la
France, c'est d'abord et avant tout la langue française, et que cette
langue est aussi le symbole de la culture française. C'est la raison
pour laquelle, François Provenzano affirme qu'
Autrement dit, la conception clé qui supporte cette
définition de la francophonie
est bien l'universalité linguistico-culturelle
française, telle que l'a exposée Rivarol dans son
célèbre discours, dès la fin du XVIII
siècle320.
Chez Senghor, cette culture française est
appelée la Francité. Il l'a définie en ces termes : «
Quant à la `'francité'Ç on peut la définir
comme l'ensemble des valeurs de la langue et de la culture, partant de la
civilisation française »321. Jacques Chevrier dit
:
[Senghor] explique que ses motifs d'adhésion au concept
(de Francophonie) ne
sont ni économiques ni financiers, mais essentiellement
liés à l'esprit de la civilisation française,
c'est-à-dire sa francité322.
Nous comprenons dès lors pourquoi Léopold
Sédar Senghor n'arrive pas à différencier la Francophonie
de la Francité. Pour parler de la Francophonie, il utilise souvent le
terme de
317 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie
comme culture », op. cit., p. 132
318 Idem., p. 135
319 Ibidem (loc. cit.), p. 131
320 François PROVENZANO, « La `'Francophonie» :
définitions et usages », In : Quaderni, n°62, Hiver
20062007. Le thanatopouvoir : politiques de la mort, p.96. Disponible sur
http://www.persee.fr/doc/quad_0987-1381_2006_num_62_1_1707
321 Léopold Sédar SENGHOR, « De la
Francophonie », op. cit.
322 Jacques CHEVRIER, « Senghor militant de la Francophonie
», op. cit.
74
Francité323 : « Or donc, je vais
vous entretenir de la Francophonie, mais surtout de la Francité [...] la
Francophonie, mais sous son aspect culturel de Francité
»324. Pour comprendre quel sens Senghor donne à la
Francophonie, il faut d'abord chercher à appréhender la
Francité. Chez lui, la Francité est « une façon
rationnelle de poser les problèmes, et d'en rechercher les solutions,
mais toujours, par référence à l'homme.
»325 Et quant à la Francophonie, il dit qu' «
il s'agit toujours de l'homme : à sauver et à perfectionner,
intellectuellement avec Descartes, moralement avec Pascal, intégralement
avec Teillhard. »326 Comme on le voit, la Francité
et la Francophonie renvoient à une seule réalité :
l'homme. Cependant, la Francité est la valorisation de la culture
française portée sur l'éducation, la tolérance, la
liberté, l'égalité et la fraternité entre les
hommes. Dans son entendement, il n'y a pas de différence entre les deux
termes, (si,) du moment où, ils disent la même
chose327.
La Francité comme la Francophonie est un humanisme.
C'est cet humanisme qui l'amène à adhérer au concept de
Francophonie. À partir de ce fait, nous pouvons enfin voir les
définitions du mot Francophonie données par Senghor afin de
saisir comment il la conçoit. En 1962, dans la revue Esprit de
novembre, voici ce qu'il disait :
La francophonie, c'est cet Humanisme intégral, qui se
tisse autour de la terre :
cette symbiose des « énergies dormantes » de
tous les continents, de toutes les races, qui se réveillent à
leur chaleur complémentaire328.
Et, selon Paola Puccini, cette définition
révèle que la Francophonie est appréhendée comme un
concept qui englobe, du fait que « les formes lexicales suivantes :
Humanisme intégral, symbiose, chaleur complémentaire, nous
parlent de Francophonie englobant »329 tous les hommes de
la terre parlant français. Vraiment le principal objectif de la
Francophonie, selon Léopold Sédar Senghor, est le devenir de
l'homme. En 1968, il donna une autre définition de la Francophonie :
C'est un mode de pensée et d'action : une certaine
manière de poser les problèmes
et d'en chercher les solutions. Encore une fois, c'est une
communauté spirituelle : une
323 Selon la Maison de la Francité, « au fil
du temps, la notion de ? francité ? évolue, en particulier avec
l'apparition du concept de ?francophonie?, c'est deux termes ayant souvent
été amalgamés. » C'est ce que fait Senghor.
324 Léopold Sédar SENGHOR, « De la
Francophonie », loc. cit.
325 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie
comme culture », loc. cit., p. 136
326 Idem., p. 139
327 Aurélien YANNIC dira que « la francophonie
n'est pas le calque de la francité [...] », in « La
Francophonie et alliance des aires culturelles romanes », Pourquoi la
Francophonie ?, sous la Direction de Louise BEAUDOIN et Stéphane
PAQUIN, VLB Éditeur, Canada, 2008, p. 156
328 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, langue de culture », loc. cit., p. 844
329 Paola PUCCINI, loc. cit., p. 5
75
noosphère autour de la terre. Bref, la Francophonie,
c'est, par-delà la langue, la civilisation française, plus
précisément l'esprit de cette civilisation, c'est-à-dire
la culture française. Que j'appellerai la
francité330.
Entre ces deux définitions, nous remarquons la
répétition de la syntaxe nominale « autour de la terre
», ce qui semble une obsession chez Senghor. Il a la ferme
volonté d'englober tous les hommes dans une communauté pleinement
humaine. la Francophonie est un concept
poétiquement formulé qui tend à regrouper dans un
même espace des consciences humaines et des pensées qu'elles ont
pour former une communauté à la culture française, une
sorte de noosphère. L'homme est l'un des piliers de cette
communauté à culture française. C'est ce qui fait de la
Francophonie chez Senghor un humanisme. En effet, comme le dit Yao Assogba,
L'humanisme senghorien admet que tous les peuples se sont
influencés dans le passé et continuent de le faire. Il
érige en philosophie le métissage de toutes les cultures qui
débouchent sur une « Civilisation de l'Universel ». Et
celle-ci n'aura de sens que si elle intègre la « francophonie,
fille de la liberté, rassemblant autour de la langue française,
les anciennes colonies française »331.
Dans le même sillon que Yao Assogba, nous pouvons
affirmer que la Francophonie senghoriennne est un concept poétique qui
invite les hommes de la terre autour de la langue française. L'on peut
parler de l'humanisme dans la Francophonie senghorienne, si l'on tient compte
de la place que Senghor accorde à l'homme dans son projet de rassembler
les peuples autour de la langue française. C'est un humanisme
français idéalisé, saisi spirituellement, défini
poétiquement et bâti autour de la langue française.
En 1988 avec son article, « De la Francophonie », il
donne une série de définitions, estimant, qu'un lecteur
aujourd'hui peut se faire pour appréhender la notion de la Francophonie
:
D'où il résulte qu'aujourd'hui, et pour les
lecteurs francophones, la Francophonie peut signifier :
1- L'ensemble des États, des pays et des
régions qui emploient le français comme langue nationale, langue
de communication internationale, langue de travail ou langue de culture,
2- L'ensemble des personnes qui emploient le français
dans les différentes fonctions que voilà,
3- La communauté d'esprit qui résulte de ces
différents emplois.332
330 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie
comme culture », op. cit., p. 131
331 Yao ASSOGBA, « Une brève histoire de la
Francophonie », Le Droit, publié le 02 décembre
2014 à 9 h 30 | Mis à jour le 04 février 2015 à 12
h 45 sur
www.laaaapresse.ca
332 Léopold Sédar SENGHOR, « De la
Francophonie », op. cit.
76
Dans cette série de définitions, la
troisième corrobore les autres définitions de Senghor
données à la Francophonie. Durant son parcours politique ou au
cours de sa vie de poète, Senghor a voulu une assemblée de tous
les peuples de la terre où la langue française serait la
propriété commune de tous, qui connecterait les uns et les autres
ou les uns aux autres spirituellement. Dans ce même sens, J. Tshisunguwa
Tshisungu aborde la Francophonie de Senghor en disant que « [la
Francophonie] est un humanisme de symbiose de toutes les énergies
spirituelles à la fois unies et diverses répandues sur toute la
terre. »333 Mieux, « la Francophonie, c'est
l'usage de la langue française comme instrument de symbiose,
par-delà nos propres langues nationales pour le renforcement de notre
coopération culturelle et technique, malgré nos
différentes civilisations. »334 Senghor est
sûr que son souhait de voir une assemblée de parlants
français, c'est-à-dire la Francophonie, se réalisera dans
une Civilisation de l'Universel : « Je crois, pour l'avenir, à
la Francophonie, plus exactement à la Francité,
intégrée dans un grand ensemble, et par-delà, dans une
Civilisation de l'Universel »335.
Après avoir défini la Francophonie sans dire
exactement ce qu'elle est, Léopold Sédar Senghor montre à
nouveau ce que la Francophonie n'est pas au juste. Cela peut nous aider
à mieux saisir la Francophonie et appréhender sa vision. En
effet, la Francophonie, chez Senghor, n'est pas une machine
impérialiste, « ce n'est pas comme d'aucuns le croient, une
`'machine de guerre» montée par l'impérialisme
français. »336Mieux,
La Francophonie n'est ni une soumission à un quelconque
impérialisme français, ni une arme contre les autres mondes
culturels. [...] La Francophonie n'est pas une idéologie, mais un
idéal qui anime les peuples en marche vers une solidarité de
l'esprit337.
Senghor refuse l'idée selon laquelle la Francophonie
soit acceptée comme un moyen pris par la France pour avoir une mainmise
sur les biens du colonisé ou pour contrôler toutes les
possibilités d'émancipation qui existeraient dans la tête
du colonisé. Il refuse aussi l'idée selon laquelle la
Francophonie soit considérée comme un moyen de lutte pour
s'opposer à la montée des autres cultures et langues, en
occurrence l'anglais et la culture anglaise. C'est la raison pour laquelle, il
affirme que « [...] la Francophonie ne suppose pas ; elle se pose,
pour coopérer. »338 Alors, que veut Senghor avec la notion ou
le concept de Francophonie ? Ce que veut Senghor,
333 J. Tshisunguwa TSHISUNGU, op. cit.
334 Léopold Sédar SENGHOR, (Discours
prononcé lors de sa visite au siège de l'OIF).
335 Léopold Sédar SENGHOR, « Ce que je crois
», op. cit., p. 158
336 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie
comme culture », loc. cit., p. 131
337 Propos de Léopold Sédar SENGHOR rapporté
par Jacques CHEVRIER (Senghor militant de la Francophonie), op.
cit.
338 Léopold Sédar SENGHOR, « la Francophonie
comme culture », op. cit., p. 131
77
c'est que la langue française soit le lien de toutes
les personnes qui la parlent, mieux, que les personnes qui parlent
français se reconnaissent en cette langue. La langue française
est donc un élément identitaire ou un facteur commun de toutes
les personnes qui parlent français dans le monde.
Cependant, le fait d'accepter la langue française est
une résignation, une chose qu'il faut faire avec, un fait qu'il faut
assumer, parce que l'histoire en a voulu ainsi. L'histoire a voulu que la
langue française soit aussi la chose culturelle des colonisés et
des Français. Pour Senghor, la langue française est un apport
positif chez les deux, car elle a permis un contact enrichissant :
Je ne veux retenir, ici que l'apport positif de la
colonisation, qui apparaît à l'aube
de l'indépendance. L'ennemi d'hier est un complice, qui
nous a enrichis en s'enrichissant à notre contact.339
En plus, parce que les Noirs s'expriment mieux en
français que dans leurs langues maternelles. C'est ce que nous dit
Begong-Bodoli Betina : « Les Africains francophones ont
épousé la langue française à telle enseigne qu'ils
s'y identifient comme si c'était la langue de leurs vrais ancêtres
»340. Léopold Sédar Senghor ne cache pas
cette réalité. Il l'avoue et l'expose : « En
répondant, je répondrai l'argument de fait. Je pense en
français ; je m'exprime mieux en français que dans ma langue
maternelle »341. De ce fait, Senghor pense qu'il est
souhaitable de se rassembler, de s'unir pour mieux exprimer les attentes du
monde en devenir et de s'adapter à la situation actuelle d'un monde en
perpétuel devenir :
La Francophonie est une volonté humaine sans cesse
tendue vers une synthèse et
toujours en dépassement d'elle-même pour mieux
s'adapter à la situation d'un monde en perpétuel
devenir.342
Ce qui permettra de s'unir, de se rassembler est, bien sûr,
la Francophonie, car il s'agit de
faire de la Francophonie le modèle et le moteur de la
Civilisation de l'Universel,
de favoriser les échanges d'idées en respectant
la personnalité originaire et originale de chaque
nation343.
Pour cette raison,
339 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, langue de culture », Esprit, p. 841
340 Bégong-Bodoli BETINA, op. cit.
341 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
Français, langue de culture », op. cit., p. 841
342 Propos de Léopold Sédar SENGHOR, cité
par J. Tshisunguwa TSHISUNGU, op. cit.
343 Léopold Sédar SENGHOR, « Ce que je crois
», op. cit., p. 158
78
La Francophonie ne sera pas, ne sera plus enfermée dans
les limites de l'Hexagone. Car nous ne sommes plus des « colonisés
» : des filles mineures qui réclament une part de
l'Héritage. Nous sommes devenus des États indépendants,
des personnes majeures qui exigent leur part de responsabilités : pour
fortifier la Communauté en l'agrandissant.344
Léopold Sédar Senghor est convaincu que la
Francophonie est le moyen idéal pour exprimer les valeurs humanistes
dont le monde a besoin au travers de la langue française.
Ainsi Senghor, en concluant son argumentation par
l'association « naturelle » de la langue et de l'humanisme
français, participe d'une glorification de la langue française,
en laissant penser que ne peuvent se transmettre et se dire dans cette langue
que les seules valeurs humanistes345.
La Francophonie est un fait de la colonisation, et un choix
délibérément personnel, proposé à un
ensemble de personnes, victimes elles-aussi de la réalité
coloniale. En effet, la langue française, pour le Noir, est une
réalité coloniale. Qu'on veuille ou pas, la langue
française s'impose au Noir, et il doit faire avec cela. Léopold
Sédar Senghor, s'exprimant mieux en français que dans sa langue
maternelle, ne peut que se résigner à l'acceptation de la langue
française. Pensant ne pas être le seul dans ce cas, il propose aux
autres la Francophonie, car elle reflète mieux leur situation ou leur
identité culturelle et linguistique. La Francophonie apparaît
alors comme l'unité retrouvée entre les peuples ayant la langue
française en commun ou en partage. Et chez Léopold Sédar
Senghor, elle est un concept rassembleur, englobant dont la langue
française est l'élément qui rassemble.
Cependant, Bégong-Bodoli Betina estime que la
Francophonie a été réanimée par Léopold
Sédar Senghor suite à l'échec de la mise en place de la
Communauté française.
La Francophonie actuelle est née des cendres de la
Communauté française. L'une
des raisons de la création de la Francophonie est la
mort prématurée de la Communauté
française346.
Les dires de Bégong-Bodoli Betina seront
corroborés par Toba Misuzu qui, quant à lui, affirme que
Senghor cherche quelque chose qui succèderait à
l'Union française (fondée en 1946) et à la
Communauté française (fondée en 1958) qui perdaient leur
substantialité. C'est lorsque, dans le gouvernement d'Edgar Faure, il
était chargé de la révision de l'article VIII de la
constitution, relatif aux départements, aux territoires d'outre-mer et
aux protectorats, comme secrétaire d'État, que certaines
idées de la francophonie
344 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie
comme culture », op. cit., p. 140
345 Alice GOHENEIX, op. cit.
346Bégong-Bodoli BETINA, op. cit.
79
lui sont venues. Il a eu alors de s'en entretenir avec Habib
Bourguiba, et il s'est lié d'amitié avec lui afin de travailler
ensemble à l'élaboration d'un « Commonwealth à la
française ».347
Cela suppose donc que la Communauté française a
influencé Léopold Sédar Senghor dans l'élaboration
du concept de Francophonie. Qu'est-ce que la Communauté française
? Comment de la Communauté française l'on est-il arrivé
à la Francophonie ? Y'a-t-il les stigmates de la Communauté
française dans la Francophonie senghorienne ?
La Communauté française est l'association
politique voulue par le général De Gaulle entre la France et les
États de son empire colonial, alors en voie de décolonisation,
présidée par le président de la République
française, dirigée par un conseil exécutif rassemblant les
chefs des États membres et disposant d'un Senat composé de
délégués des parlements nationaux. De Gaulle, un officier
hanté par la grandeur de la France, voulut à travers cette
Communauté avoir le contrôle total sur les colonies
françaises qui manifestaient déjà le désir de
l'émancipation, et préserver la grandeur de la France jadis. Toba
Misuzu ne dit pas le contraire :
Après la deuxième guerre mondiale, conscient de
la pensée indépendantiste qui secoue le monde, le
général de Gaulle, qui, inéluctablement l'entrée
des pays africains dans la danse, pour ne pas tout perdre, leur propose la
Communauté, en gardant la haute main non seulement sur la monnaie, ainsi
que les biens et services rentables348.
Pour maintenir sa souveraineté totale sur ses colonies
et ne pas leur octroyer l'indépendance immédiate, la France
devrait alors repenser sa politique d'assimilation dans les colonies. C'est
dans ce sens que s'inscrit la conférence de Brazzaville du 30 janvier au
8 février 1944.349 Et Frédéric Turpin de dire
qu'
Ils (De Gaulle et son groupe) comprennent que si la
métropole veut maintenir sa souveraineté sur ses colonies, elle
doit présenter un nouveau visage des rapports entre colonisés et
colonisateurs. C'est donc toute la politique coloniale de la France qui doit
être repensée de manière à être plus
respectueuse des nouveaux équilibres qui se mettent en place
[...]350.
347Toba MISUZU, « La pensée culturelle de
Senghor : la symbiose des langues et des cultures », Revue japonaise
de didactique du français, vol. 4, n°2, Études
françaises et francophones, octobre 2009, p. 110
348 Idem.
349 Selon Laurent GBAGBO, le but de la conférence de
Brazzaville ne fut point de décoloniser l'Afrique mais de souscrire
à une tradition hexagonale qui veut qu'à chaque crise grave dont
la France est victime corresponde un effort particulier de ses colonies pour
son redressement. (Réflexions sur la Conférence de
Brazzaville, Yaoundé, Édition Cle, 1978, 79 p./
réédition Sénégal, Édition Cle/NENA, 2015,
139 p.)
350 Frédéric TURPIN, « 1958, la
Communauté franco-africaine : un projet de puissance entre
héritage de la IV e République et conception gaulliennes »,
Outre-mers, tome 95, n°358-359, 1er semestre 2008.
1958 et l'outre-mer français, p. 46, Disponible sur
http://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438-2008_num_95_358_4316
80
La France ne savait pas ce qu'elle devrait proposer à
ses colonies pour les maintenir toujours sous sa tutelle : l'assimilation ou
l'association. La vision du général De Gaulle était autre
que l'assimilation et l'association, mais la suprématie et la grandeur
de la France à tout prix, estime Frédéric Turpin :
L'assimilation et l'association posent certes des questions
philosophiques et morales sur les meilleurs moyens d'assurer le progrès
et l'égalité entre tous les hommes. Elles posent surtout le
problème crucial de la meilleure méthode à appliquer pour
sauvegarder la souveraineté de la France sur les territoires d'outre-mer
et leurs populations. [...] La peur de créer un ou plusieurs
précédents l'emporte car il ne faut pas offrir à tous les
peuples d'outre-mer, jugé très diversement «
évolués » par la métropole, une possibilité
d'évolution statutaire - même théorique - qui, à
terme, pourrait aboutir à l'indépendance pure et simple [des
colonies]. [...] Tout au long de la IVe République, le
général de Gaulle et ses compagnons [exprimaient] une vision de
la puissance française qui se [fondait] encore sur
l'empire351.
Le général De Gaulle avait donc trouvé la
solution en proposant l'Union française. En dehors de cette Union, point
de réelle indépendance pour les colonies, c'est-à-dire en
dehors de l'Union, les colonies ne seront jamais indépendantes, comme
l'atteste également Frédéric Turpin :
Point donc de réelle indépendance pour les
territoires coloniaux sans appartenir à un vaste ensemble qui en
assurait la protection et le développement. Aux yeux du
Général et ses compagnons, l'Union française constitue non
seulement une nécessité pour la France, mais aussi une «
chance » pour les populations qui sont associées352.
Avec une tentative de l'Union française qui a
échoué, il fallut donc proposer une autre chose. Ainsi, en 1958,
avec la modification de la Constitution française, l'on formula
l'idée de la Communauté. Léopold Sédar Senghor, en
ce temps-là, préconisait une communauté «
française confédérée », dit René de
Lacharrière :
Dans une interview à l'hebdomadaire Gavroche, il avait
préconisé, toujours fidèle
à la Négritude, l'accession à
l'indépendance dans le cadre d'une communauté «
française confédérale »353.
La Communauté voulue par Senghor ne sera pas celle
envisagée par le général De Gaulle, car il y a une
contradiction réelle ou apparente entre les deux idées ou
principes de base de la Communauté, comme le souligne aussi René
Lacharrière :
351 Idem., p. 48
352 Ibidem., p. 49
353 Christian VALANTIN, « Léopold Sédar
Senghor : le poète, l'écrivain et le politique, ou Senghor
l'Africain », Disponible sur
http://www.cercle-richelieu-senghor.org/26-les-colloques-954890/senghor-et-la-francophonie/141-leopold-sedar-senghor-le-poete-lecrivain-et-le-politique-ou-senghor-lafricain-91825623.html
81
L'édifice ancien n'est pas détruit mais il est
abandonné et la nouvelle construction qui la remplace fait appel
à un principe antinomique, avec des chances de succès
liées d'ailleurs à un changement aussi complet dans les habitudes
d'esprit, les tendances et les procédés de la politique
métropolitaine354.
La Communauté du général De Gaulle, en
remplacement de l'Union française, voit ainsi le jour avec la
Ve République française.
Au moment de la proclamation de la Ve
République, l'Union française (succédant à l'Empire
colonial français en 1946) se transforme en Communauté
française. C'est une fédération présidée par
la France (le Président de la République) groupant les anciennes
colonies et les protectorats355.
La Communauté française, fille de l'Union
française, a hérité d'elle les conceptions du
général De Gaulle. En effet,
[...] La France demeure bien évidemment le chef
d'orchestre incontesté et unique
de cet ensemble qui a à sa tête le
général de Gaulle dont aucun chef d'État ou de
Gouvernement africain membre ne viendra contester
l'autorité356.
Ceci n'était pas accepté de ou par tous. Il y
avait des dissidences au niveau des chefs d'état africains, en
particulier entre Léopold Sédar Senghor et Félix
Houphouët Boigny dans la manière d'appréhender la
Communauté. L'un était pour la confédération, et
l'autre pour la fédération. L'un était pour des
indépendances lentes et progressives, et l'autre pour des
indépendances immédiates. Et avec le non de la Guinée au
referendum de 1958 qui accède à l'indépendance, la
Communauté prend un coup de massue et se fragilise. Il fallait sauver
cette Communauté en péril : « Une troisième sorte
de Communauté, sans la dénomination, garderait encore sa chance
après l'échec des deux tentatives politiques ci-dessus
décrites »357.
La troisième sorte de Communauté à
laquelle l'on faisait à l'illusion était celle proposée
par Léopold Sédar Senghor en 1962 à Bangui,
c'est-à-dire un Commonwealth à la française358.
Mais cette Communauté se diffère des autres de par son approche
et de par ses idéaux, surtout du Commonwealth (anglais). En effet, le
Commonwealth (anglais) est une communauté de
354 René de LACHARRIÈRE, « L'évolution
de la communauté franco-africaine », Annuaire Français
de droit international, volume 6, 1960, pp. 11-12. Disponible sur
http://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1960_num_6_1_894
355 « De la communauté française à la
Francophonie », sur
www.malraux.org
356 Frédéric TURPIN , « 1958, la
Communauté franco-africaine : un projet de puissance entre
héritage de la IV e République et conception gaulliennes »,
op. cit., p. 57
357 René de LACHARRIÈRE, « L'évolution
de la communauté franco-africaine », op. cit., p. 40
358 René GNALÉGA, « Senghor et la Francophonie
», op. cit., p. 1&5
82
richesses regroupant les pays de langue anglaise. En plus,
tous les pays du Commonwealth reconnaissent la reine Élisabeth II comme
chef du Commonwealth, même si seulement une partie d'entre eux l'ont
comme souveraine. Elle est représentée sur place par un
gouverneur au pouvoir purement symbolique. La reine est présente
à tous les sommets du Commonwealth, mais ne participe pas aux
réunions. Les pays membres du Commonwealth sont unis par des
intérêts communs, mais sont autonomes, car le Commonwealth n'est
pas une union politique mais économique. Ils ne sont liés par
aucun traité et peuvent rester neutres lorsqu'un conflit engage l'un ou
plusieurs d'entre eux. La communauté voulue par Senghor se veut non
seulement culturelle, mais aussi politique et économique, basée
sur l'entraide et l'égalité de partage des ressources culturelles
et économiques.
Sous cet angle, la Communauté va au-delà des
solutions purement pragmatiques
du Commonwealth mais sans rejoindre tout à fait les
règles qui caractérisent les pactes de
défense359.
Avec les risques et les confusions que cela pouvait entrainer,
il fallait être bien situé sur la question avant de s'engager. Et
l'on pense que le projet de Senghor de remplacer la Communauté
française par le Commonwealth à la française a pris par la
suite des événements la dénomination de Francophonie
(Aujourd'hui un protocole d'accord est signé entre la Francophonie et le
Commonwealth du fait que les deux organismes ont des centres
d'intérêt commun dans le domaine culturel, social et
économique, et que plusieurs pays sont membres des deux
organisations.)360 :
Il y a tout lieu de penser que les premières
institutions de ce qui sera appelé plus tard la Francophonie
succèdent spontanément à la Communauté (du moins du
côté africain) malgré les fortes réticences du
général de Gaulle et de la France. En effet, l'idée et les
projets étaient dus à l'initiative de chefs d'État du sud,
tel Léopold Sédar Senghor [...] Il ne s'agit plus alors
d'entretenir des liens politiques commandés par la France, mais de
participer à une communauté culturelle, voire spirituelle dont
l'élément fédérateur est la pratique du
français361.
Le Commonwealth à la française voulu par Senghor
entre 1962 et 1980 en était la préfiguration de la Francophonie.
Cependant, Senghor faisait une nette distinction entre le Commonwealth à
la française (la Francophonie) et le Commonwealth à l'anglaise.
Paul Sabourin dit que
359 René de LACHARRIÈRE, op. cit., p.
25
360 Voir Annexe V, VI, VII (annexe 5, 6, 7), pp. 480-484
361 « De la communauté française à la
Francophonie », op. cit.
83
La francophonie selon Senghor, c'est à la fois une
organisation, une population, mais surtout une culture. C'est ainsi que Senghor
oppose la francophonie, fondée sur la langue, au Commonwealth, sur la
richesse. [...] La francophonie qu'il décrit dans le plus grand
détail, c'est l'ensemble des valeurs exprimées par la langue
française, par la civilisation française au premier rang, mais
aussi des autres civilisations de langue française. C'est grâce
à la francophonie que la négritude devient un humanisme
négro-africain.362
Aussi, Léopold Sédar Senghor reconnaît
avoir été inspiré par les idéaux du
général De Gaulle, en ces termes :
C'est donc en janvier 1944, et par la volonté de Charles
de Gaulle que naquit non
seulement l'idée et la volonté, mais surtout la
possibilité de la Francophonie [...] C'est ainsi du moins que l'avions
compris Habib Bourguiba, Hamani Diori et moi.363
À la suite de cet aveu, il va récapituler les
étapes qui, depuis le discours de Brazzaville364, marquent la
marche de la France avec les anciens peuples colonisés vers la
Francophonie :
Ce fut, d'abord, l'Union française, en 1946,
à laquelle succéda la Communauté, en 1958. Puis,
au début de la décennie des indépendances, en 1961, fut
créée, entre États africains, l'Union africaine et
malgache (UAM), à laquelle succéda l'Organisation
commune africaine et malgache (OCAM). C'est ici que, parmi d'autres
étapes vers la Francophonie,...365
La Francophonie senghorienne est devenue une
réalité suite à l'échec de plusieurs
Communautés voulues entre la France et ses ex-colonies. Cependant, le
général De Gaulle affichait une réticence à
l'endroit de la Francophonie. Notons que ses réticences à
l'endroit de la Francophonie proposée par Léopold Sédar
Senghor et ses amis étaient dues en fait que les idéologies
contrevenaient clairement à son dessein. C'est ce qui ressort des propos
de Claude Morin :
Sous de Gaulle comme par la suite, la France a d'ailleurs
longtemps nourri des
réticences sérieuses envers le projet francophone,
précisément parce qu'elle
362 Paul SABOURIN, « Senghor, parlementaire français
», Senghor et la francophonie, Cercle Richelieu Senghor de Paris,
Disponible sur
http://www.cercle-richelieu-senghor.org/26-les-colloques-954890/senghor-et-la-francophonie/77-senghor-parlementaire-francais.html
363 Léopold Sédar SENGHOR, « Ce que je crois
», op. cit., p. 158
364 Ici, Léopold Sédar Senghor fait allusion
à la Conférence de Brazzaville. Cependant, Laurent Gbagbo estime
que cette conférence avait « pour buts non seulement de
résoudre les problèmes immédiats du ravitaillement de la
Métropole, mais aussi le devoir de préparer la restauration
économique française de l'après-guerre », in
Réflexions sur la conférence de Brazzaville,
Édition CLE/NENA, Sénégal, 2015,139 p.
(réédition) ; Édition CLE, 1978, 79 p.
365 Léopold Sédar SENGHOR, « De la
Francophonie », op. cit.
84
pressentait fort bien que d'aucuns y verraient poindre Dieu sait
quelle tentative d'impérialisme culturel.366
Ainsi, la France et lui pouvaient se targuer de ne pas
être les initiateurs de la nouvelle Communauté, et se
défendre contre les accusations de néocolonialisme et
d'impérialisme français culturel et linguistique367.
Ce que l'on oublie est que la Francophonie senghorienne n'est rien d'autre que
l'avatar de la Communauté française, chère au
général De Gaulle, reprise et réchauffée sous
l'angle de la langue française, alimentée par les valeurs
culturelles de la Négritude, et qui prétend faire la promotion de
l'intégration des cultures africaines368 tout en se
référant aux idéaux culturels et humanistes de la
Francité. Autrement dit, elle est une synthèse de la
Francité et de la Négritude, expression de deux humanismes.
Léopold Sédar Senghor, à propos de la
Francophonie, dit que son existence est un fait culturel. Cependant, l'analyse
des définitions données ou de ses nombreux discours en faveur de
la Francophonie ont révélé qu'il n'arrivait pas à
dissocier la Francité de la Francophonie. D'un fait culturel, certes,
mais, la Francophonie chez Senghor est aussi l'amour inconditionné pour
la langue française. Ce qui a poussé Senghor à la
Francophonie, bien qu'il ait dit la culture, est la langue française.
L'on ne saurait parler de culture et ignorer la langue, car la langue fait
partie de la culture. La langue est un élément incontestable de
la culture. En disant que l'on est arrivé à la Francophonie du
fait de la culture, cela suppose qu'on est arrivé à la
Francophonie du fait de la langue, or Senghor fait une nette distinction entre
ces deux. Il est arrivé à la Francophonie du fait, en premier
lieu, de la culture, et en deuxième lieu, de la langue française.
Nous estimons que Senghor a été charmé par la culture
française ; une culture qui se préoccupe de l'homme. Une
relecture de ses discours et de ses définitions révèlerait
que la Francophonie est aussi une affaire personnelle. Parce qu'amoureux de la
langue française et charmé par l'humanisme français,
Léopold Sédar Senghor se voit donc dans l'obligation de tisser
des liens culturels avec la France en invitant les peuples des ex-colonies de
la France à se joindre à cette nouvelle relation baptisée
Commonwealth à la française qui prendra plus tard la
dénomination de Francophonie. Sans le vouloir, peut-être,
Léopold Sédar Senghor venait de réveiller les
idéaux du général de Gaulle enfouis dans la tombe de la
Communauté française. Cette Francophonie qui naît des
cendres de la Communauté française se débarrasse des
scléroses
366 Claude MORIN, « Jean-Marc Léger, la francophonie
: grand dessein, grande ambiguïté », Recherches
sociographies, vol.29, n°2-3, 1988, pp.473-475 (compte rendu)
367 Ce n'est qu'en 1990 que la France y est logiquement
intégrée.
368 Cela sera l'objet d'étude dans le second point de ce
chapitre.
impériales pour revêtir les vêtements de
fraternité et d'égalité au service d'une langue commune :
le français.
La Francophonie, chez Senghor, comme l'on veut nous faire
croire, n'est pas une affaire de bons colonisés nostalgiques du
passé ni un projet revanchard hégémonique d'une ancienne
puissance colonisatrice, mais elle est un concept qui veut rassembler les
peuples parlants français et désireux de travailler ensemble pour
une vie meilleure. Elle est aussi l'expression de ce que sont les Africains et
de ce qu'ils voudront être afin de participer aux échanges
internationaux. C'est ce que nous pouvons retenir de la Francophonie
senghorienne. Mieux, la Francophonie, chez Léopold Sédar Senghor,
est l'expression du modèle culturel que l'Afrique veut tisser avec les
autres cultures en se servant de la langue française comme l'outil de
cette expression. Il est importe de savoir que la Francophonie n'est pas le
fruit d'un hasard. Elle est le fruit de la Francité et de la
Communauté française, et comme voulant que l'Afrique s'exprime
culturellement, Léopold Sédar Senghor va s'appuyer sur la
conception de sa Négritude pour redéfinir la Francophonie.
Désormais, « pour Senghor, les composantes culturelles de la
Francophonie seraient la francité, l'africanité (« symbiose
complémentaire des valeurs de la négritude et des valeurs de
l'arabité »), [...J »369 La Francophonie
senghorienne est également l'exaltation de la Négritude.
85
369 Yao ASSOGBA, « Une brève histoire de la
Francophonie », op. cit.
86
2. LA FRANCOPHONIE SENGHORIENNE, L'EXALTATION DE LA
NÉGRITUDE
Avant d'entamer notre analyse, il est important de rappeler
qu'il ne s'agit pas de faire une étude sur la Négritude. Nous
l'avons étudié antérieurement370 et d'autres
personnes, avant nous, l'ont fait aussi. Il est question, ici, de montrer
l'existence de la Négritude dans la conception senghorienne de la
Francophonie. En effet, la Négritude est un mot forgé par
Aimé Césaire en 1935. C'est dans son article « Conscience
raciale et révolution sociale », publié dans
L'Étudiant noir, du numéro trois, de mai-juin 1935
qu'Aimé Césaire a employé, pour la première fois,
le mot « Négritude ». Cet article est considéré
comme le manifeste de la Négritude. Cependant, l'oeuvre poétique
inaugurale de ce concept est Pigments de Léon-Gontran Damas, en
1937. Léopold Sédar Senghor a toujours reconnu la
paternité de la Négritude à Aimé Césaire.
Il faut rendre à Césaire ce qui est à
Césaire. Car c'est lui qui a inventé le mot dans
les années 1932-1934. [...] Césaire s'est
contenté d'ajouter le suffixe-itude à la racine
negr-[...]371.
Ou
Au lieu de Négritude, on pourrait dire, aussi bien de
Négrité [...] mais Césaire a bien fait de choisir
Négritude, car le suffixe -itude introduit une nuance de concret, qui
convient bien à ce peuple concret qu'est le peuple noir
[...]372
Aimé Césaire employa de nouveau dans son oeuvre
Cahier d'un retour au pays natal en 1939. Avec lui, la
Négritude est, certes un mot, mais aussi un concept de revendication
culturelle et identitaire face à une Francité perçue comme
oppressante, et instrument colonial français. Pour lui, la
Négritude est l'expression de rejet de l'assimilation culturelle, et
d'une certaine image du Noir paisible et incapable de se construire une
civilisation. Selon lui, le culturel doit l'emporter sur le politique.
370 Cf. Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie
dans deux poèmes de Senghor : « Que m'accompagnent Koras et
Balafong » et « Chaka », op. cit.
371 Léopold Sédar Senghor selon Jean-René
BOURREL. (La négritude ou « le soleil de l'âme
», disponible sur
http://www.fafich.ufmg.br/~luarnaut/Burrel-La
negritude.pdf ).
372 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
3, Paris, Seuil, 1977, p. 97
87
Le mot « Négritude » sera utilisé plus
tard par Léopold Sédar Senghor dans son recueil poétique
Chants d'ombre en 1945, puis dans Hosties noires en 1948 et
enfin Éthiopiques en 1956 sans oublier Nocturnes en
1961 et Lettres d'hivernage en 1972. Nous constatons que la notion de
Négritude traverse presque toute l'oeuvre de Léopold Sédar
Senghor. Il ne s'arrête pas à ses oeuvres seulement. Il consacra
toute sa vie à défendre et à illustrer la notion
forgée par Aimé Césaire en écrivant des articles et
en animant des conférences à travers le monde, et devenant ainsi
la figure emblématique de la Négritude. Pour lui, la
Négritude est un fait culturel, car elle est l'ensemble des valeurs
culturelles de l'Afrique. En d'autres mots, pour Senghor, la Négritude
est une culture permettant à la communauté noire de se
créer une identité, d'affirmer sa personnalité et
d'exprimer l'authenticité de sa civilisation. Et le voici, lui, Senghor,
grand défenseur de la Négritude, faire l'éloge de la
Francophonie, de la langue française avec sa voix de Dyâli. Que se
passe-t-il ? On n'a pas fini de cerner tous les contours de la Négritude
qu'il nous propose un autre concept. Que veut-il encore nous prouver ? Et des
questions et des critiques, la conception senghorienne de la Francophonie est
passée inaperçue.
Il faut noter que la Négritude a favorisé la
réinvention de la Francophonie chez Senghor. En fait, « c'est
en s'appuyant sur la Négritude que Senghor a jeté les bases ou
les fondements de la Francophonie. »373 Jean-Nicolas de
Surmont, quant à lui, soutient que « [...] la Négritude
fait pour ainsi dire émerger un mouvement institutionnel et culturel
d'abord, celui de la Francophonie. »374 Ces
différents propos peut être justifiés du fait que, dans la
poésie senghorienne, se mêlent, s'entremêlent et se
démêlent deux cultures en apparence de natures inconciliables,
conciliées par la magie des mots et de l'écriture dans la langue
française. N'est-ce pas aussi ce constat qui fait dire Michel Hausser
que « loin d'éprouver de la haine pour le français, la
négritude lui manifeste, au plus, un attachement passionnel, au moins,
une acceptation résignée » 375 ( ?) Cependant, Jacques
Chevrier pense qu'au contraire c'est « l'humanisme français
qui, par son caractère d'universalité, rencontre l'un des
postulats de la Négritude »376. Dans la conclusion
de notre mémoire, nous avons dit que la Francophonie est l'autre face
cachée de la Négritude senghorienne, car elle en est l'exaltation
véridique des valeurs culturelles chantées par la
Négritude. Léopold Sédar Senghor confirme notre
affirmation, lorsqu'il affirme :
373 Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie,
op. cit. (loc. cit.), p. 99
374 Jean-Nicolas SURMONT, « Pour une
généalogie de la Francophonie institutionnelle : Quelques
éclaircissements », Languas Modernas, op. cit., p. 96
375 Michel HAUSSER, Pour une poétique de la
négritude, tome 2, Édition Nouvelles du sud, 1991, p. 412
376 Jacques CHEVRIER, op.cit.
88
C'est que nous étions déjà, pour le
métissage culturel, l'essentiel étant qu'il fallait d'abord
s'enraciner dans les valeurs de la Négritude avant de s'ouvrir aux
apports fécondants des autres civilisations, singulièrement de la
civilisation française[...] Précisément, parce qu'il en
avait été ainsi et je gardais intacte, au fond de mon âme,
ma passion pour la Négritude, j'apportai une nouvelle ardeur, avec de
nouveaux arguments, à l'autre combat, pour la
Francophonie377.
Pour Léopold Sédar Senghor, il n'était
pas question d'abandonner la Négritude, mais de la parfaire dans un
accord harmonieux avec la Francité au sein de la Francophonie.
La Francophonie senghorienne se veut une symbiose des
cultures, car il est question pour chaque peuple, chaque nation, chaque
locuteur du français d'apporter sa culture, sa contribution à
l'édifice. Les langues africaines, au lieu d'être reniées,
se verront revaloriser parce qu' « il n'est pas question de renier les
langues africaines. »378Senghor insiste sur le fait que la
Francophonie est un instrument de symbiose culturelle. Mieux, la Francophonie
est la somme des cultures et des civilisations. Selon J. Tshisunguwa
Tshisungu,
La Francophonie est l'usage de la langue française comme
instrument de
symbiose, par-delà nos propres langues nationales pour
le renforcement de notre coopération culturelle et technique,
malgré nos différences civilisations379.
Autrement dit,
Il s'agit pour chaque continent, pour chaque peuple de
s'enraciner profondément dans les valeurs de sa civilisation propre pour
s'ouvrir aux valeurs fécondantes de la civilisation française,
mais aussi des autres civilisations, complémentaires, de la
Francophonie380.
Il est question de complémentarité des cultures
dans la Francophonie, puisque « L. S. Senghor parlait même de
symbiose, expression la plus synthétique du dialogue des cultures
»381. En effet, dans un autre sens, la Francophonie de
Senghor se présente comme un effort de récupérer dans
l'univers africain des expressions culturelles pour l'enrichissement de la
culture française afin de construire la Civilisation de l'Universel, car
« [...] le monde aura toujours besoin des valeurs de la
Négritude [...] »382. D'ailleurs, dans la
Francophonie senghorienne, la Négritude profitera de la richesse de la
Francité, et la Francité bénéficiera à son
tour des apports nombreux de la Négritude.
377 Léopold Sédar SENGHOR, « De la
Francophonie », op. cit.
378 Léopold Sédar SENGHOR, « le
français, langue de culture », op. cit. p. 843
379 J.Tshisunguwa TSHISUNGU, op. cit.
380 Léopold Sédar SENGHOR, « De la
Francophonie », op. cit.
381 Paul DUMONT, « Francophonie, francophonies »,
Langue française, op. cit., p. 43
382 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
3, p. 549
89
La Francophonie est la somme de deux humanismes. L'humanisme
nègre qui va à la rencontre de l'humanisme français. Elle
est le fait d'exprimer l'âme noire, la culture africaine, voire
l'humanisme de la Négritude dans la langue française, comme le
souligne Jean-Nicolas de Surmont :
Il ne faudrait rappeler que ce sens humaniste de la
Francophonie provient avant
d'africanistes et constitue pour ainsi dire un prolongement du
mouvement de la négritude383.
Senghor affirme que la langue française a permis
à la Négritude de s'exprimer et de s'affirmer, d'après les
dires de Jean-Nicolas de Surmont :
Mais je suis francophone et je reviens à mes baobabs.
C'est une vérité que la langue française devrait d'abord
aider à l'éclosion de la négritude en français,
[...] nous avons voulu répondre à l'appel de l'homme pour une
exigence de dignité et de justice. D'autant que la culture
française a enseigné aux peuples du monde les idéaux de
liberté, qu'elle incarne depuis la révolution de
1789.384
Dans cette Francophonie, estime Jean-René Bourrel,
La Négritude s'identifie à un corpus de valeurs
repères auquel l'homme noir doit
toujours se référer pour construire son
identité propre et sa relation avec les autres et le
monde385.
Ainsi, aux dires d'Aïssata S. Kindo,
[...] la Négritude de demain fera la synthèse de
cette civilisation ancestrale et des
apports étrangers, particulièrement
scientifiques et techniques, qui permettront à l'Afrique de s'adapter au
monde moderne386.
La Francophonie, envisagée par Senghor, doit favoriser
et permettre une cohabitation fructueuse et enrichissante entre la langue
française et celle des autochtones387, « car pour
demeurer nous-mêmes, nous devons conserver les vertus de l'humanisme
nègre dont nos langues sont dépositaires
».388
383 Jean-Nicolas de SURMONT, op. cit., p. 95
384 Idem, p. 183-194
385 Jean-René BOURREL, « la négritude ou ?le
soleil de l'âme? » ; disponible sur
www.fafich.Ufmg.br/~luarnaut/Burrel-La negritude.pdf
386 Aïssata S. KINDO, Éthiopique, op.
cit., p. 4
387 Ibrahim DIOP, « Senghor entre Francophonie et dialogue
interculturel », p. 11, Disponible sur
http://www.grelif.fr/?p=893
388 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
3, p. 183
90
La Négritude était proposée au moment
où l'on niait une culture, une civilisation et une identité au
Noir, et la Francophonie, au moment où l'on a pris conscience que le
Noir est un être métissé culturellement et
linguistiquement. Pour sauver cette nouvelle identité culturelle du
Noir, il fallait trouver un moyen efficace, car la Négritude, dit
debout, se cadavérisait aux assauts interminables des critiques
hostiles. Léopold Sédar Senghor propose ainsi la Francophonie,
qui, selon lui, exalte mieux les valeurs culturelles africaines chantées
par la Négritude dans un échange fructueux entre les cultures.
Ibrahim Diop dit qu'
Après le combat pour l'affirmation et la glorification
des valeurs de la négritude,
Senghor sentit la nécessité de réaliser
un dialogue, un échange fructueux entre les peuples et les
cultures389.
Alors, selon Jean-René Bourrel,
[...] dès la fin des années 1960, en effet,
Senghor pense et projette la négritude en
étroite relation avec « la Civilisation de
l'Universel390 [réalisable dans la Francophonie].
De tout ce qui précède, nous ne pouvons dire,
comme Alioune Sène, qu'« en conclusion, on doit retenir que
c'est la Négritude qui l'aura conduit à être l'un des
penseurs et fondateurs f...] de la Francophonie. »391
Sabourin Paul s'oppose à Alioune Sène en disant que «
c'est grâce à la francophonie que la négritude devient
un humanisme négro-africain. »392 Quelles que
soient les spéculations, on aboutira au même résultat : la
Négritude est inhérente à la Francophonie senghorienne.
Avec le concept de Francophonie, Senghor ne voulait pas perdre de vue les
valeurs, la richesse des langues et cultures négro-africaines. La
Francophonie n'exclut nullement les valeurs linguistiques et culturelles, bien
que la langue soit le fait d'assumer une culture. La langue française,
qui exprime la culture française, la Francité, doit être
capable de cohabiter avec les langues africaines, la Négritude, estime
Mangoné Seck :
[Senghor] a constamment préconisé une
francophonie qui se définisse comme dialogue du français avec les
langues d'Afrique Noire. [Car] la défense de la francophonie n'est pas
forcément en contradiction avec l'idée de Négritude et
d'enracinement dans les sources de la culture
négro-africaine393.
389 Ibrahim DIOP, op. cit.
390 Jean-René BOURREL, op. cit.
(Complété par nous).
391 Alioune SÈNE, « Au rythme de l'histoire
», Présence Africaine, n°154, 2e semestre
1996, Dossier I : spécial Senghor, p. 55
392 Paul SABOURIN, « Senghor, parlementaire
français », Senghor et la francophonie, Cercle Richelieu
Senghor de Paris, op. cit.
393 Mangoné SECK, « Léopold Sédar
Senghor, Dyali immortel de la Francophonie ou éloge d'une certaine
idée de la langue française », Éthiopique,
n° 83, 2ème semestre 2009
91
Léopold Sédar Senghor défend la langue
française ainsi que l'idée d'intégrer la Négritude
à la Francophonie à tel point que l'on se demande les raisons
d'un tel acharnement. Mangoné Seck nous donne les raisons en quatre
points :
- Un sentiment d'amour qui s'est transmuté en connaissance
approfondie de l'Autre et de sa langue,
- La volonté et l'incoercible désir de faire
connaître et de faire entendre l'Afrique dans le monde entier en refusant
l'idée inventée par les savants racistes et les idéologues
de l'européocentrisme triomphant depuis de longs siècles,
- La quête de l'ouverture et du métissage
culturel,
- Combattre le colonialisme sur son propre terrain, celui de la
langue du colonisateur/ défendre et illustrer les valeurs de la
Négritude en français (utiliser la langue coloniale d'une autre
façon que le colonialisme.)
Ce que nous retenons des raisons avancées par
Mangoné Seck, c'est que la Francophonie
senghorienne est le résultant des rapports entre le
français et les langues négro-africaines, qui permettra donc
d'exalter les valeurs de la Négritude. Dans ce même sens, Jacques
Chevrier dit :
Il lui (Senghor) faut à la fois conserver les vertus de
l'humanisme nègre et s'ouvrir
à la modernité par le biais de la langue
[française] considérée comme une arme précieuse et
efficace394.
C'est-à-dire
Senghor a choisi de vivre l'occident en Africain et
d'interroger l'Afrique à la
lumière de l'Occident. Cette
complémentarité culturelle le conduit vers la formulation d'une
exigence fondamentale : celle du métissage395 [celle de la
Francophonie].
Si nous tenons compte des deux extraits ci-dessus, nous
pouvons affirmer que Léopold Sédar Senghor pense ou est convaincu
que la langue française est l'outil idéal pour exprimer
l'âme noire, la culture africaine, la Négritude, car « la
langue française, loin de tuer l'identité africaine du
Nègre, peut (...) l'exprimer (...). Elle permet de révéler
l'âme nègre au monde, aidant ainsi au dialogue nécessaire
des cultures »396 ou bien « la défense de
la Francophonie n'est pas forcément en contradiction avec l'idée
de Négritude et d'enracinement dans les sources de la culture
négro-africaine »397. Chez Senghor, la
Négritude et la Francophonie ne sont pas opposées mais utiles
l'une et ou à l'autre ; l'une doit se réaliser dans l'autre ;
l'une doit
394Jacques CHEVRIER, op. cit.
395 Note sur Senghor sur
http://www.image.68.xooimage.com/file/3/0/a/exposeslss-2ffa3cl.pdf
396 Léon NADJO, « La langue française et
l'identité culturelle », Actes IV, Moncton, 1977, p.
189
397 Mangoné SECK, loc. cit.
92
confirmer l'autre, et vice-versa. En fait, « la
Francophonie, telle que la conçoit L. S. Senghor, c'est cette vraie
coopération dans le domaine linguistique. »398 Cela
dit que des mots africains doivent se greffer sur la langue française,
mieux la langue française doit s'accommoder à être
disposée, suivant des arrangements syntaxiques inhabituels, avec des
mots africains : « Pour nous, la langue française n'est rien de
moins qu'une langue d'emprunt. C'est à elle de se soumettre aux
exigences du génie négro-africain »399. En
d'autres termes,
Les Africains, ayant adopté le français, doivent
l'adapter et le changer pour s'y
trouver à l'aise, ils y introduiront des mots, des
expressions, une syntaxe, un rythme nouveau, [un rythme
nègre]400.
En ce sens, la Francophonie est une invitation à une
communication interculturelle et linguistique riche des apports de la
Francité et de la Négritude dont la langue française est
le vecteur d'une culture de l'universel. Pour Senghor, la Négritude est
« la symbiose culturelle », la Francophonie, « le
métissage culturel ». Un simple jeu de mots pour dire que la
Négritude égale à la Francophonie. Au fait, selon
Aïssata S. Kindo,
À travers le projet de la Francophonie, Senghor va
chercher à réaliser l'unité de l'Afrique en regroupant ses
frères de race autour d'un programme culturel, politique et
économique qui, tout en définissant la personnalité
africaine nouvelle, entend maintenir des liens vivants avec la vieille
civilisation occidentale.401
Et avec, ajoute Thérèse Diob,
La Négritude, cet ensemble de valeurs, une fois
assemblé et structuré, [elle] a constitué pour ce
poète Sérère [Senghor] une référence
culturelle qu'il a proposée comme modèle d'humanisme susceptible
d'être accepté par tous.402[à travers la
Francophonie].
Ce qui fait la Négritude est aussi l'émotion
nègre, longtemps argumentée par Léopold Sédar
Senghor. Il a fait, malgré les critiques acerbes, de l'émotion
l'un des traits ou des critères de la Négritude. Et cette
émotion se saisit dans les danses, dans la poésie, dans la
sculpture, etc.,
398 Idem. (La coopération dans le domaine
linguistique dont parle Seck Mangoné, nous l'avons baptisée le
français africanisé. Cela fera l'objet de notre étude dans
la deuxième partie de notre travail.)
399 Makhily GASSAMA, Kuma : Interrogation sur la
littérature nègre de langue française, Dakar, NEA,
1978, p. 238
400 Entretien entre Michèle Zalessky et Kourouma
Ahmadou (Ahmadou KOUROUMA, « La langue : un habit cousu pour qu'il moule
bien », Diagonales, n°7, pp. 4-6
401 Aïssata S. KINDO, « Senghor : De la
Négritude à la Francophonie », op. cit., p. 4
402 Thérèse DIOB, L'expression de l'amour dans
« Chant d'Ombre » de Léopold Sédar Senghor,
Mémoire de Maîtrise, Sénégal, Université
Gaston Berger de Saint-Louis, UFR Lettres et Sciences Humaines, 2005/2006, p.
45. [sous la direction du Professeur Mwamba Cabakulu]
93
mieux dans la vie de tous les jours du Nègre.
L'émotion est donc l'âme du Noir, son vécu quotidien, son
être et son existence, car « la raison est hellène et
l'émotion est nègre. »403 La Francophonie
doit battre au rythme de l'émotivité de la Négritude,
c'est-à-dire apporter la sensibilité et la simplicité des
peuples noirs à la civilisation européenne artificielle. Que dit
Léopold Sédar Senghor de la Francophonie et de la
Négritude ?
Pour Léopold Sédar Senghor, la Négritude
est la valorisation de l'identité culturelle négro-africaine, et
cette Négritude a sa place dans la Francophonie, l'expression des vertus
de la Francité, dit-il :
Mais qu'est-ce donc que cette Négritude, me
demandera-t-on, qui, aujourd'hui tient sa place dans la Francophonie [...] ?
Pour ma part, je la définis, encore une fois, comme « l'ensemble
des valeurs de la civilisation noire »[...] En nous d'abord, mais aussi
les États-Unis d'Amérique nous ont fait découvrir les
vertus de la Francité : l'esprit de méthode et d'organisation et
bien d'autres valeurs encore404.
Avec la Francophonie, Senghor n'abandonne pas la
Négritude, bien au contraire, il l'intègre ingénieusement
dans la Francophonie afin qu'elle soit admise au banquet de l'Universel, comme
l'avoue-t-il :
Malgré la pression des débuts, il n'a pas
été question, chez nous de s'isoler des autres civilisations, de
les ignorer, de les haïr ou mépriser, mais plutôt, en
symbiose avec elles, d'aider à la construction d'un humanisme qui fut
authentiquement parce que totalement humain [...] Devant les
préjugés des uns, les lâchetés des autres, les
railleries, il fallait frapper fort pour faire admettre notre culture au
banquet de l'Universel405.
Autrement dit, soutient-il :
Je crois, d'abord et par-dessus tout, à la culture
négro-africaine, c'est-à-dire à la Négritude,
à son expression dans la poésie et dans les arts. Je crois
également, pour l'avenir, à la Francophonie, plus exactement
à la Francité, mais intégrée dans la
Latinité et, par-delà, dans une Civilisation de l'Universel,
où la Négritude a déjà commencé de jouer son
rôle primordial406.
La Francophonie et la Négritude sont des moyens qui
l'aideront à la construction d'un humanisme universel. Il fallait
concilier la Francophonie et la Négritude dans un seul ensemble
403 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
1, p. 24
404 Senghor selon Celina SCHEINOWITZ, « La poésie de
Senghor et l'Afrique », Éthiopique, 2ème
semestre 2004, n°73
405 Léopold Sédar SENGHOR, « Qu'est-ce que la
Négritude ? », Disponible sur
http://id.erudit.org/iderudit/036251ar
406 Léopold Sédar SENGHOR, Ce que je crois, Paris,
Grasset et Fasquelle, Paris, 1988, 234 p.
94
pour réaliser le rêve de construire un monde plus
humain, plus fraternel, respectueux des valeurs culturelles :
Notre volonté est de faire, de cette terre, un
haut-lieu d'échanges entre la Francophonie et la Négritude
[...]407. J'ai toujours rêvé de concilier Francophonie
et Négritude. Ce rêve est maintenant une
réalité408. [Car tous deux fondent] l'espoir d'une
fraternité dans le respect mutuel et le dialogue des
cultures409.
La Négritude ne peut pas se passer de la Francophonie,
et de même pour la Francophonie. La Francophonie est l'apogée
harmonieux et parfait de la Négritude. La Négritude sent le
nègre, mais s'exprime en français. La Francophonie s'exprime en
français, sent le nègre, le blanc, le jaune, en d'autres mots,
sent la culture de ces différentes personnes parlant français
éparses dans le monde. La Francophonie senghorienne sent la
Négritude et s'exprime en français, comme le souligne Mamadou
Bani Diallo :
L'exaltation de la négritude constitue
précisément la première étape de sa
démarche, celle qui consiste à revendiquer la culture
négro-africaine. Cette revendication n'entraîne pas pour autant le
rejet de la culture française, fruit de l'héritage
colonial410.
C'est la raison pour laquelle, Senghor déclare : «
Je voulais parler non seulement en Nègre mais encore en Francophone
»411. La Francophonie est cette culture qui permet
à la Négritude de participer à la Civilisation de
l'Universel, estime Senghor :
La Francophonie est une culture qui, dépassant la langue
seule, se conçoit comme
le moyen de faire participer les peuples qui en font partie
à la Civilisation de l'Universel, seule détentrice d'un nombre de
valeurs.412
Senghor dit aussi que la Francophonie est une symbiose
culturelle, parce qu'elle unit les valeurs les plus
opposées413. Pour que cette Francophonie soit possible, il
faut, au lieu d'une dichotomie, un accord des différences, une sorte de
symbiose des cultures ; que la Francité et la Négritude
s'accordent pour renaître ensemble à l'universel, affirme Senghor
:
407 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 3
p. 182
408 Léopold Sédar SENGHOR, Message envoyé
à l'Unesco qui lui rendait hommage pour son 90ème
anniversaire.
409 Léopold Sédar SENGHOR, Message envoyé
à Présence Africaine à l'occasion du cinquantième
anniversaire de la revue Présence Africaine, novembre 1997
410 Mamadou Bani DIALLO, op. cit.
411 Léopold Sédar SENGHOR, « Lettre à
trois poètes de l'Hexagone », OEuvre poétique,
Paris, Seuil, 1990
412 Léopold Sédar SENGHOR, in « Le
Français en partage », les 50 plus belles histoires,
Timée Édition, novembre 2004
413 Léopold Sédar SENGHOR, « Pour un humanisme
de la Francophonie », Liberté 3, p. 280
95
Pour que la Francophonie réussisse, il n'est que
d'accorder nos différences pour en faire une symbiose. C'est ainsi que
la langue française sera acceptée comme notre langue de
communication aussi d'épanouissement international au sein de laquelle
chacune de nos cultures se reconnaîtra en naissant à
l'universel414.
Avec la Francophonie, « Senghor a réussi
l'harmonie entre les valeurs noires qu'il chantait (la Négritude) et les
valeurs occidentales qu'il a conquises (la Francité), contrairement
à ce qu'on pourrait croire »415 faisant de la
Francophonie l'ensemble des valeurs (la Négritude et la Francité)
exprimées par la langue française. Pour Léopold
Sédar Senghor, la Francophonie est l'ensemble des valeurs culturelles de
la Négritude et de la Francité qu'exalte la langue
française. C'est en ce sens que s'inscrit Petr Vurm :
Mais il (Senghor) a toujours cherché à concilier
les apports de la civilisation gréco-romaine et les apports de la
civilisation négro-africaine, la culture animiste et religion
chrétienne, la négritude et la francité et rêvait
d'une Civilisation de l'Universel. La création de la Francophonie, qu'il
a longtemps appelée de ses voeux, en sera
l'aboutissement416.
Et Blaidy Dioum de renforcer :
[Senghor] passera ainsi de la Négritude d'affrontement
contre l'ancienne
puissance coloniale à la Francophonie intégrant
dans un même réceptacle culturel des valeurs françaises et
africaines.417
Nous sommes convaincu que la Francophonie senghorienne est un
concept de réhabilitation et d'exaltation du continent africain de ses
valeurs visitées par les valeurs occidentales. Mieux, la Francophonie
senghorienne exalte la Négritude, la réalise et la revalorise.
Elle est également une Négritude bis, une Négritude
déguisée et résignée englobant, une
Négritude renouvelée. Elle apparaît pour Senghor comme
l'une des solutions pour préserver l'identité de l'homme noir,
des valeurs de la Négritude.
414 Léopold Sédar SENGHOR, Message adressé
à l'occasion de la semaine de la Francophonie à l'Unesco en
février 1977
415 Jacques RABEMANANJARA, Entretien avec Présence
Africaine, Présence Africaine, spécial Senghor,
n°154, 2ème semestre, 1996, p. 38
416Petr VURM, Anthologie de la littérature
francophone, Masarykova Univerzita Brno, 2014, p. 57 417 Blaidy DIOUM,
La trajectoire de Léopold Sédar Senghor : Du terroir à
l'universel, Paris/Dakar, L'Harmattan, 2010
96
Loin d'abandonner la Négritude pour la Francophonie,
Léopold Sédar Senghor lui "coud de nouveaux habits" à sa
mesure et à sa taille. Les nouveaux habits de la Négritude sont
appelés Francophonie. Désormais, il n'est plus ou ne sera plus
question de parler de Négritude senghorienne, car cela est
dépassée. En effet, la Négritude s'est muée en
Francophonie. Cette Francophonie n'est pas celle définie en 1962 dans la
revue Esprit. En 1962, la Francophonie présentée par
Léopold Sédar Senghor était simplement un embryon
conceptuel. Celle dont il s'agit actuellement, c'est-à-dire après
1962, est une Francophonie mature intégrée au concept de la
Négritude. Elle est l'expression la plus claire, la plus nette, la plus
avivante de la Négritude senghorienne qui va à la rencontre
d'autres cultures afin de les faire participer à la Civilisation de
l'Universel ou ensemble d'y participer. Avec la Négritude,
Léopold Sédar Senghor invitait les Africains à
l'enracinement dans leurs cultures. Quant à la Francophonie, elle est
une opportunité qui s'offre aux Africains afin qu'ils puissent s'ouvrir
au monde. La Francophonie est appelée à exalter la
Négritude, puisque c'est d'elle, de ces principes, que la Francophonie
senghorienne puise sa sève, sa conception d'humanisme, son sens de
dialogue des cultures, sa substance d'enracinement et d'ouverture.
En fait, la Francophonie englobe non seulement la race noire,
le peuple négro-africain, mais aussi la race blanche et plusieurs
peuples de contrées diverses unis par la langue française. Elle
est universelle. La Négritude senghorienne s'affirme et se
réalise dans cette universalité. Comme Senghor l'a si bien
affirmé, la Négritude est aussi les Français de l'Hexagone
; nous pouvons asserter que la Francophonie est autant les Noirs de l'Afrique
que les Français de l'Hexagone. C'est un ensemble de cultures dans
lequel les valeurs de la Négritude sont en pole position, en bonne
position. La Francophonie senghorienne est l'exaltation de la Négritude.
Quant à la Négritude, elle a eu, en effet, son temps ou a fait
son chemin de 1935 à 1960. Pendant cette période, la
Négritude est dite militante car elle était un instrument de
lutte pour la libération culturelle, mais aussi politique pour les
Négro-Africains. Mais, après 1960, avec l'indépendance des
pays africains, il fallait repenser la Négritude et l'insérer
dans le mouvement solidaire du monde contemporain. Il fallait réorienter
ses perceptions vers une idéologie et faire d'elle un instrument plus
efficace en fonction du moment et de l'histoire. Avec une certaine assurance,
nous pouvons affirmer qu'après 1960, la Négritude est devenue
naturellement et de façon officieuse la Francophonie. La Francophonie,
en effet, n'est pas la remplaçante idéologique de la
Négritude, mais un prolongement, car, selon Senghor, la Francophonie
n'est pas là pour renier les langues africaines, mais de se servir du
français pour affirmer
97
l'authenticité des cultures africaines. Pour ainsi
dire, la Francophonie senghorienne est l'expression authentique de la
Négritude.
Aujourd'hui, l'on ne peut séparer le nom de
Léopold Sédar Senghor de la Francophonie. Il est
considéré comme le père fondateur du mot et aussi de la
Francophonie institutionnelle. Cependant, se pose une question, celle de savoir
si l'on connaît réellement la conception senghorienne de la
Francophonie. La Francophonie senghorienne reste inappréhendable bien
que J. Tshisunguwa Tshisungu ait écrit un article sur la conception
senghorienne de la Francophonie. Considérant les critiques, l'on a vu en
la Francophonie un instrument de la France pour contrôler l'Afrique
après les indépendances sans véritablement chercher
à comprendre Léopold Sédar Senghor. À partir de la
revue Esprit 1962, Senghor donne une nouvelle orientation à la
Francophonie ressuscitée. C'est avec lui qu'il fallait aller chercher la
vraie définition ou le vrai sens de la Francophonie. Depuis 1962,
après sa fameuse définition de la Francophonie donnée dans
la revue Esprit, Léopold Sédar Senghor n'a cessé
de renforcer sa définition, de l'ajuster et de l'adapter à la
situation du monde. Selon lui, la Francophonie se définit comme une
communauté mystique et spirituelle, et également comme une
solidarité entre les peuples parlants français.
Pour appréhender cette Francophonie, il faut d'abord
savoir ce que sont la Communauté française, la Francité et
la Négritude. Sur les cendres de la Communauté française,
la Francophonie senghorienne a pris appui en s'imprégnant de la
Francité, et, alimentée par les valeurs de la Négritude.
Les caractéristiques donc de cette Francophonie sont :
- La Communauté (se mettre ensemble ou l'unité des
parlants français)
- La langue française (emploi commun du
français)
- L'expression des valeurs humanistes, celles de la
Francité et de la Négritude
- Enracinement en ses propres valeurs culturelles et ouverture
à d'autres horizons
culturels
- La symbiose culturelle (dialogue des cultures)
- Participation à la Civilisation de l'Universel.
Nous pouvons simplifier ces caractéristiques en disant que
la Francophonie senghorienne est
l'association ou la symbiose de la Francité et de la
Négritude, née sur les cendres de la Communauté
française. Bien qu'elle repose sur la langue française, la
Francophonie senghorienne ne renie pas les autres langues en
général, et les langues africaines en particulier, car dans son
combat pour redéfinir l'image de l'Afrique et les apports de l'Africain
avec l'autre,
98
le poète du royaume d'enfance, Senghor, opte pour la
Francophonie, qui semble l'arme idéale. Cette Francophonie ne tient plus
compte d'un espace géographiquement limité.
Cependant, ce qui est important dans la Francophonie
senghorienne, c'est l'Humanisme universel. Cet Humanisme universel est la
synthèse de l'humanisme de la Francité et de la Négritude.
Cela signifie que le devenir de l'homme est au centre des préoccupations
de la Francophonie senghorienne. De ce fait, nous pouvons affirmer que la
Francophonie senghorienne est l'ensemble des valeurs humanistes (de la
Francité et de la Négritude) exprimées par la langue
française, et appelée à participer à la
construction de la Civilisation de l'Universel. Nous sommes conscient que la
question de la Francophonie demeure toujours, car elle est définie en
fonction des humeurs, des tempéraments sans oublier du contexte. Elle
est le sujet des débats intellectuels, politiques, universitaires,
économiques, culturels, etc. Sans la comprendre réellement, elle
est présentée comme un instrument de néo-colonialisme.
Peut-être le malheur de la Francophonie est qu'elle
soit, avant tout, un mot prononcé pendant la période coloniale et
repris juste après les indépendances des pays africains, dans un
bouillonnement d'idées, de passions et d'aspirations, et manié
ultérieurement à leur guise par des tempéraments
très différents dans des situations tout aussi
différentes. Des définitions poliférantes en
général de Senghor, et des soi-disant spécialistes en
particulier, parfois complémentaires, parfois incompatibles, font d'elle
une notion confuse, une notion si difficile à définir et à
délimiter encore. Faire un débat sur la Francophonie, revient,
peut-être, à savoir si elle est un concept d'enracinement et
d'ouverture ou simplement une notion de dialogue des cultures, comme le
prétendent ces fondateurs, c'est-à-dire Onésime Reclus et
Léopold Sédar Senghor, au lieu de chercher à voir si elle
est une nouvelle arme de la France pour contrôler ses anciennes colonies
ou pas. La Francophonie ne demande-t-elle de gérer nos
différences pour aller vers les autres ? Le débat étant
ouvert, à nous d'apporter notre contribution.
99
CHAPITRE III : LA FRANCOPHONIE EN DÉBAT
Longtemps le concept de Francophonie est
appréhendé comme un organe politique au service d'une nation pour
la valorisation de sa langue ; et il continue de l'être aujourd'hui.
À l'heure de la mondialisation, de la globalisation, il devrait cesser
d'être politique418 et d'être plus regardant sur le
volet culturel. En cessant de l'être, il épouserait
l'idéologie de ses fondateurs qui pensent que l'avenir est au
métissage culturel tout en se référant aux idéaux
culturels et humanistes de ses fondateurs. « Nous ne voulons pas d'un
monde uniforme. Nous voulons un monde solidaire mais riche de ses
différences. Un monde où le dialogue des cultures soit possible,
comme le prônait inlassablement et avec tant de justesse le Poète
Président Léopold Sédar Senghor, l'un des pères de
la Francophonie », nous dit Abdoul Diouø19. Il
s'agit, en réalité, d'un souhait, d'une volonté. Et, cela
suppose que la Francophonie a dévié l'objectif des pères
fondateurs. En effet, « la Francophonie est vue aujourd'hui comme la
continuation de la politique étrangère de la France par un moyen
détourné. »420 À cet effet, Edema
Atibakwa-Boboya affirme que « la francophonie a longtemps
été prise pour une idéologie de domination, comme un
cheval de Troie de l'ancien empire français afin de perpétuer le
colonialisme. »421
La Francophonie est aussi sujette de discussion, parce qu'elle
ne s'appréhende pas aujourd'hui comme un simple partage de langue ni
comme une communauté culturelle, mais comme une communauté
économique et politique422 : « Ainsi, si la
Francophonie est considérée seulement sous l'angle de la
diffusion du français, est négligé le fait que la
Francophonie
418 Actuellement, le monde fait face à trois enjeux
principaux, à savoir, l'énergie, la défense
stratégique et la mondialisation. Le dernier enjeu est, selon nous, un
système dans lequel les pays occidentaux, derrière le faux combat
de la rendre plus humaine, recolonisent l'Afrique pour leur survie et font une
mainmise sur ses différentes ressources naturelles. Et le concept de
Francophonie en déviant l'idéologique senghorienne devient alors
une arme de recolonisation, donc politique. Il devrait afficher moins son volet
politique pour mettre l'accent sur le volet culturel.
419 Abdoul DIOUF, « La Francophonie aujourd'hui »,
Après Demain, p. 11
420 Alain MABANCKOU, dans une interview réalisée
par Laure Garcia et Claire Julliard, Figaro, 14 juillet 2007
421 Edema ATIBAKWA-BOBOYA, « La francophonie de Reclus
Senghor : pour un multilinguisme actif et normé »,
CELIA/LLACAN-CNRS, p. 11
422. Alain MABANCKOU dit, dans une interview
réalisée par Laure Garcia et Claire Julliard, que « La
Francophonie telle qu'elle se présente actuellement est une institution
éminemment politique. », Figaro, 14 juillet 2007,
op. cit.
100
soutient ?une symbiose de langues et cultures?
»423. D'ailleurs, c'est dans ce contexte qu'elle est
étudiée oubliant qu'au départ, de sa genèse
senghorienne, elle était culture. Mieux, la Francophonie, qu'elle soit
d'Onésime Reclus ou de Léopold Sédar Senghor, est une
langue et des valeurs culturelles à partager. Les pères
concepteurs avaient pour objectif de s'élancer ainsi dans la promotion
et la recherche de concrétisation des valeurs, telles que le respect de
la diversité, de l'ouverture vers l'autre, dans le respect et l'esprit
du concept du rendez-vous du donner et du recevoir, parce que « la
Francophonie, au-delà de la langue, symbolise la diversité
»424, comme le reconnait également Michaëlle
Jean. C'est « la langue française qui constitue tout à
la fois notre trait d'union, vecteur de transmission de nos principes, de nos
valeurs et de nos idéaux. »425 Autrement dit,
[la] langue française est pour nous, dans la
Francophonie, notre bien commun, un lien inestimable, le ciment de notre
identité et de nos actions, notre medium privilégié pour
mettre en dialogue la diversité de nos cultures et de nos
expériences. La langue française est assurément notre
levier pour consolider notre espace fort de tant d'expertises, de tant de
réalisations et d'infinies possibilités, pour nous mobiliser
solidairement, entreprendre et prospérer ensemble dans une
éthique de partage. C'est dans cette langue que nous défendons de
mille et une façons, et de tous nos efforts, cet humanisme
intégral qui scelle notre union dans la Francophonie. 426
Chez Léopold Sédar Senghor, en particulier, la
Francophonie devrait préserver la diversité culturelle et
promouvoir le français comme langue de communication entre peuples et
cultures. Or chez Onésime Reclus, elle devrait préserver la
culture française et promouvoir le français comme langue
d'assimilation des peuples colonisés. Aujourd'hui, la Francophonie se
targue « qu'il est possible de préserver les identités
des cultures à travers une langue qui s'enrichit au contact des autres
langues dans un processus de promotion réciproque
»427. « Or, les langues reflètent
l'identité d'un peuple. Elles sont parties intégrantes des
cultures. La diversité linguistique est consubstantielle à la
diversité culturelle »428. Cela sous-entend que la
langue et la culture sont conjointes. La langue implique alors la culture et
réciproquement. Ce qui signifie que la langue française
véhicule la culture française. Comment la langue française
peut-elle préserver l'identité des peuples parlants
français au sein de la Francophonie ? Et, on
423 Toba MISUZU, « La pensée culturelle de Senghor
: la symbiose des langues et cultures » revue japonaise de
didactique, p. 104
424 Dominique WOLTON, « Francophonie et mondialisation
», Après Demain, p. 6
425 Michaëlle JEAN, La Francophonie des solutions,
Rapport de la Secrétaire de la Francophonie, op. cit., p.
5
426 Idem., p. 58
427 Rebecca Ursula Brønnum SCAVENIUS, « la
francophonie face à l'hégémonie culturelle
américaine : une analyse de l'américanophone français et
du rôle de la Francophonie face à l'uniformisation culturelle
», Vinter, 2005
428 Thi Hoai Trang PHAN, « Les défis de la
diversité culturelle et linguistique en francophonie »,
Géoéconomie, 2010/4 (n° 55), p. 57-70.
101
nous dit qu' « elle est l'exemple par excellence de
la diversité linguistique [et de] la diversité culturelle [...]
»429 Ici, la langue et la culture sont, cette fois-ci,
disjointes. Ce qui veut dire qu'il y a plusieurs langues parlées et
plusieurs cultures au sein de la Francophonie. Peut-on dire qu'à part la
langue française, le wolof, le malinké, l'éwando, le
bété, l'haoussa, le moré, le sérère, le
peulh, le baoulé, l'abron,.. sont parlés au sein de la
Francophonie ? Si non, où se trouve alors la diversité
linguistique ? Comme Léopold Sédar Senghor, « on ne
pourra plus faire parler les Nègres comme des Blancs [...] Il ne s'agira
plus de leur faire parler ?petit nègre? mais wolof, malinké,
éwondo en français. »430 Senghor ne parle
pas de diversité linguistique, mais plutôt une greffe des langues
africaines sur la langue française : « Des mots africains se
greffent sur une langue française inspirée des
hellénistes. »431 Mieux, « Pourquoi ne pas
unir nos clartés pour supprimer toute ombre ? Ou pour employer une image
familière, pourquoi, cultivant notre jardin, ne pas greffer le scion
européen sur notre sauvageon ? »432 Le fait de
diversifier les langues à la Francophonie est « aussi un
véritable combat que [la Francophonie mène] au quotidien, au nom
du droit légitime des peuples de s'exprimer, d'être entendus,
d'être informés, de négocier dans le respect de
l'intégrité de leurs langues. »433
Onésime Reclus ne parlait non plus de diversité linguistique avec
la Francophonie. Avec la Francophonie, Léopold Sédar Senghor
comme Onésime Reclus voulaient faire de la langue française une
langue universelle. Et cette langue, selon Senghor, survivra, si elle accepte
d'être fécondée par les apports linguistiques des autres
peuples. La langue française n'est-elle pas née d'une mère
romaine et d'un père grec ? N'est-elle pas fortement structurée,
précise, exacte ? Ne participe-t-elle pas de la rigueur latine et de la
subtilité athénienne ? Pour ainsi dire que le français est
une langue fécondée. C'est le tour de l'Afrique de lui insuffler
ses mots pour son enrichissement. N'est-ce pas cela le dialogue des cultures
?
Parler de diversité linguistique avec la Francophonie
serait un leurre, car ce qui est essentiel, c'est la langue française.
Michaëlle Jean l'avoue implicitement lorsqu'elle dit « Soyons
conséquents, nous ne pouvons pas d'un côté appeler au
respect des peuples, au respect des droits et des libertés, au respect
de la diversité culturelle et linguistique, réclamer
l'équité et l'égalité de traitement, tout ce que
sous-tend le respect du multilinguisme, et
429 Idem., p. 57
430 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
I, p. 470
431 Lilyan KESTELOOT, « Négritude et
créolité » ; Francophonie et identités
culturelles, sous la direction de Christiane Albert, Karthala, 1999/ Voir
aussi Saïda BELOUALI, « Senghor, habiter l'interparole »
Collection « Annales Littéraires de l'Université de
Franche-Comté », Franche-Comté, Presses Universitaire de
Franche-Comté, 2004
432 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
I, p. 91
433 Idem., p. 91
102
contribuer sans scrupules à l'uniformisation
linguistique et culturelle. »434 Si, par contre, l'on fait
une disjonction entre langue et culture, nous serons à mesure de dire
qu'il y a effectivement une diversité de cultures en Francophonie.
Cependant, il nous semble difficile de dissocier la langue de la culture, parce
qu' « avec une langue, ce n'est pas qu'un outil de communication qui
disparaît. C'est toute une culture et une représentation du monde
(une vision du monde) qui sont englouties »435. En fait,
« chaque langue est intimement liée à l'identité
du peuple qui la parle [..] »436 Or, il s'agit de la
langue française avec la Francophonie437, donc de la culture
française.
Parler de diversité linguistique, l'une des composantes
inhérentes de la diversité culturelle, revient à
décrire une situation dans laquelle plusieurs langues ou plusieurs
groupes linguistiques sont nécessairement en interaction ou plusieurs
langues sont parlées. À bien voir, seule la langue
française est parlée, et c'est elle aussi qui réunit les
parlants français.438 Ce qui semble dire que la langue
française est toujours considérée comme l'apanage du
politique et, non seulement du culturel, mais institutionnalisée et
instrumentalisée. Tous se reconnaissent en elle ou à travers
elle. Ce sont des Francophones. Elle est leur identité
collective439 ou leur identité refuge.440
Cependant, Dominique Combe affirme que « le problème central de
la francophonie n'est donc pas seulement celui de l'identité, ainsi que
le répètent inlassablement écrivains et commentateurs,
mais de l'unité d'un sujet divisé »441.
Comment peut-on être soi-
434 Michaëlle JEAN, op. cit., p. 5
435 Thi Hoai Trang PHAN, « Les défis de la
diversité culturelle et linguistique en Francophonie », op.
cit., p. 65
436 Idem, p. 65
437 « La Francophonie doit assurer la place, et le
rayonnement du français sur le nouvel échiquier linguistique
mondial [..] », (XIVe sommet de la Francophonie de
Kinshasa 2012), Rapport de la Secrétaire de la Francophonie,
2016, p.60
438 Aujourd'hui, cela n'est pas une vérité car il y
a des pays qui ne parlent pas français qui font partie de la
Francophonie actuelle, c'est-à-dire l'OIF. À ce propos,
Jean-Jacques Konadje dira que « [..] les critères
d'appartenance à l'OIF ne sont pas conditionnés par une histoire
coloniale. Ils n'imposent pas non plus que le français soit la langue
officielle dans tous les pays qui en sont membres. » (La Francophonie
: un néologisme inventé par Onésime Reclus. Disponible sur
http://afriessence.canalblog.com/archives/2006/12/07/3368831.html).
Et confirmer par Cecile B. Vigouroux qui, à son tour, dit « The
extension of membership to contries not traditionally, or historically
Francophonie, such as Bulgaria, Cape Verde, guinea Bissau, Macedonia, to cite
just a few, prove that the French language is no longer `' one of the most
important criteria, indeed the only one that defines la Francophonie beyond
question'', contrary to the initial stipulation in nations Nouvelles.
» (Francophonie, op. cit., p. 384) Accentuer par François
Povenzano en ces termes : « Comme le notent Daniel Baggioni et Roland
Breton à propos des dernières annexions en date : `' [..] les
arguments manquent pour justifier intellectuellement l'adhésion de la
Bulgarie ou de l'Angola. Seuls les critères politico-diplomatiques
peuvent expliquer ces curieuses extensions de la francophonie. »,
p.97 (« La `'Francophonie» : définitions et usages », In
: Quaderni,n°62, Hiver 2006-2007. Le thanatopouvoir : politique
de la mort, pp.93-102). (Voir annexe II, p. 476/478) Cela nous permet donc
d'affirmer que la Francophonie est un concept.
439 Thi Hoai Trang PHAN, , « Les défis de la
diversité culturelle et linguistique en Francophonie », op.
cit., p. 65 : « La langue y est alors un symbole
d'identité collective [..] ».
440 Thi Hoai Trang PHAN, « Des dynamiques de la francophonie
», op. cit.
441 Dominique COMBE, Poétiques Francophonies,
Paris, Hachette, 1997, p. 134
103
même, s'assumer une identité quand on doit parler
ou écrire une langue qui n'est pas la langue maternelle ? En Afrique,
n'est-ce pas la diversité des langues locales qui a conduit les
Africains à recourir à la langue du colonisateur ? Quelles que
soient les questions ou les réponses, parler la langue de l'autre,
signifie se reconnaître en lui, s'identifier en lui et épouser sa
culture. Avec la Francophonie, l'on se reconnaît en la France et l'on
épouse sa culture, parce que l'on parle la langue française.
Léopold Sédar Senghor ne peut dire le contraire. Il sait
très bien que les « [...] langues sont les meilleurs
véhicules des cultures »442, mieux, que «
la langue est, en même temps, le véhicule et l'instrument
majeur de toute culture »443. Toba Misuzu pense, au
contraire, « que la Francophonie ne vise pas pour Senghor la diffusion
de la culture française. Elle est plutôt considérée
comme quelque chose qui dirige notre attention vers une culture
extérieure, surtout la culture africaine, qui avait été
humiliée même dans le domaine de la recherche.
»444 Selon Toba Misuzu, la Francophonie est pour Senghor
l'instrument pour réhabiliter ou pour positionner les cultures
africaines longtemps méconnues ou ignorées.445 Peut-on
parler d'une culture africaine si, parfois, les langues africaines sont
biaisées au profit des langues des colonisateurs ? Ne s'agit-il pas de
faire la promotion des langues et cultures africaines dans un concert sans
orchestres ? C'est dire les Africains ne se sentent même pas
concernés dans cette promotion de leur langue et de leur culture. Rares
sont ceux qui connaissent leur culture, les pas de danses traditionnelles, les
paroliers traditionnels, les contes ou qui parlent correctement leur langue
sans employer un mot français. C'est le Blanc qui leur apprend ce qui se
passe chez eux, et ce, depuis longtemps446.
Il est question, peut-être, de mettre en évidence
ou d'éveiller la conscience endormie des Africains à s'enraciner
en leur culture, en leur langue pour les proposer aux autres. Ce retour aux
sources n'est-il pas le fondement de la Francophonie senghorienne ? On ne peut
pas être universel si on n'est pas soi-même. Il faut être
soi-même pour prétendre être universel. Toba Misuzu affirme,
encore, que « pour lui (Senghor), la véritable culture est
faite d'enracinement et de déracinement. L'enracinement au plus profond
de la terre natale : dans son héritage
442 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
V, p. 138
443 Idem., p. 138
444 Toba MISUZU, op.cit. p. 111
445 Nous aborderons la culture africaine dans la deuxième
partie de ce travail.
446 La prise de conscience de l'existence d'une culture africaine
est due aux travaux de Leo Frobenius, Histoire de la civilisation
africaine, et de Placide Tempels, La philosophie bantoue. C'est
à partir de ces études que les auteurs de la Négritude
vont décider de prendre les choses en main. Nous constatons
malheureusement que la lutte des négritudiens a été vaine,
car la nouvelle génération ne se soucie point de la culture
africaine. C'est une lutte obsolète. La promotion de la culture
africaine est biaisée par les gouvernements des pays africains au profit
de la culture occidentale. Aucun programme scolaire incluant un enseignement
des langues locales, oubliant que l'école joue un rôle essentiel
d'intégration culturel.
104
spirituel. Le déracinement signifie l'ouverture
à la pluie et au soleil, aux apports fécondants des civilisations
étrangères. »447 Cela suppose que la culture
est enracinement et ouverture.
Partant du fait que la Francophonie est culture, comme Senghor
s'évertue à le dire, pouvons-nous parler d'ouverture en
Francophonie si les Francophones ne sont pas traités de la même
manière ou logés dans ou à la même enseigne ? Si les
francophones ne sont pas libres de circuler dans les pays dits francophones ?
Si au sein de la Francophonie, certains Francophones sont victimes du racisme
ou indésirables ? Si pour rentrer en France, en Belgique, au Canada, en
Suisse, etc. l'on exige un visa ou un certificat d'aptitude de langue
française ? Si certaines frontières sont hermétiquement
fermées à certains Francophones ? Pouvons-nous parler
d'enracinement en Francophonie, si la langue française est la seule
langue à être parlée en son sein ? Ces interrogations sont
partagées avec Laurent Gbagbo qui affirme : « Si nous
considérons la francophonie comme étant un espace culturel
commun, cela veut dire que les populations des pays membres de la francophonie
peuvent se déplacer dans cet espace sans problème. Mais que
constatons-nous ? Nous constatons que les pays qui ne parlent pas la langue
française viennent en France sans visa. Exemple le Brésil, le
Honduras etc. Et que nous-mêmes africains francophones éprouvions
toutes les difficultés à obtenir un visa pour la France. Donc je
ne trouve pas cela juste. Il nous faudrait réformer la francophonie et
j'en ai parlé avec son secrétaire général.
»448 Avec tout cela, pouvons-nous dire aussi, comme Gilles
Vigneault, que « la Francophonie, c'est un vaste pays, sans
frontières, c'est celui de la langue française, c'est le pays de
l'intérieur, c'est le pays invisible, spirituel, mental, moral qui est
en chacun de nous » ?449 Ou comme Henri Lopès, que
la Francophonie est une « famille où s'expriment mille cultures
et mille civilisations » ?450
Les défenseurs de la diversité linguistique vont
nous miroiter avec le créole, le nouchi, le lingala comme si le
créole, le nouchi et le lingala sont parlés dans tous les pays
francophones ou par tous les parlants français. Ces langues sont dues
à une recherche ineffable d'une identité. Les autres
(excepté les Français, les Canadiens, les Belges, les Suisses) ne
se sentent vraiment pas à l'aise dans la langue française, car
elle ne peut pas exprimer leur âme. La Francophonie, si elle veut
demeurer toujours un concept rassembleur et englobant, doit définir
correctement la notion d'ouverture. Parlant de l'ouverture, Toba Misuzu nous
dit que « pour Senghor, l'ouverture à la Francophonie n'est
jamais contradictoire avec un enracinement dans la
447 Toba MISUZU, op.cit. pp. 107-108
448 Propos de Laurent Gbagbo recueilli sur un site internet.
449 Gilles VIGNEAULT, compositeur, chanteur Canadien
(Québec) d'expression française
450 Cf. Henri LOPES (1989).
105
Négritude, parce qu'il pense qu'elle est un
?complément nécessaire.? »451 Koutchoukalo
Tchassim corrobore les propos de Toba Misuzu en disant que « Senghor,
pour sa part, conçoit l'Africain comme un ?métis culturel? qui se
sert de la langue étrangère pour se faire comprendre des autres
avec qui il est lié par cette langue. »452 Se
servir de la langue de l'autre pour se faire comprendre n'est-il pas synonyme
d'un déracinement, l'état de celui ou de celle qui est
coupé(e) de ses racines culturellement ?
Avec la Francophonie, l'identité culturelle demeure une
question de survie qu'il faut chercher à défendre. Léopold
Sédar Senghor et Onésime Reclus sont tous deux conscients qu'
« un peuple ne se développe pas, à notre avis, s'il n'a
pas une certaine connaissance de son identité et de sa valeur transmises
par la culture et l'histoire. »453 Pensez-vous que la
langue française est-elle capable de restituer l'identité
culturelle des parlants français ou de les aider à avoir une
certaine connaissance de leur culture ? « Il est néanmoins vrai
que les caractères propres d'une langue influencent la pensée et
les valeurs culturelles qu'elle véhicule », nous dit Xavier
Deniau454. De ce fait, n'oublions pas que la langue française
chez Senghor signifie culture française : « [...] Vous le
devinez, cependant notre attachement à la langue française ne
serait pas si tenace s'il ne signifiait pas attachement à la culture
française. »455 Il est sûr et certain que la
langue française ne peut pas aider les francophones à avoir une
certaine connaissance de leur culture et de leur identité, et qu'elle ne
peut que véhiculer la culture française. Peut-être,
conscient de ce fait, Senghor réajuste sa thèse en disant que
« [...] nous ne voulons rien renier de notre histoire, fut-elle
?coloniale?, qui est devenue un élément de notre
personnalité [...] »456, et qu' « il n'est
pas question de renier les langues africaines. »457 Mais,
il s'agit d'un retour à nos sources pour un enracinement en nos valeurs
qui ne sont pas totalement corrompues par la culture occidentale afin de les
sauver, parce que « [...] la question de l'identité culturelle
[...] implique le rapport à l'autre »458. Senghor
estime qu'avec la Francophonie, « l'Afrique doit oeuvrer à la
revalorisation de ses langues de cultures propres »459 car
« une langue qui n'exprime que son génie traditionnel risque de
s'étioler et de
451 Toba MISUZU, op. cit., p. 111
452 Koutchoukalo TCHASSIM, « La quête de la
civilisation de l'universel chez les écrivains africains :
Léopold Sédar Senghor et Félix Couchoro », Revue
du CAMES, vol. 009, n° 2, 2007, p. 44
453 Théâtres africaines (Actes du colloque
sur le théâtre africain, École Normale Supérieure,
Bamako, 14-18 novembre 1988), « Théâtre, Développement
et culture coloniale », (En commission), Paris, Édition Silex,
1990
454 Xavier DENIAU, La Francophonie, Que sais-je
?, Paris, PUF, 1983, pp. 21-22
455 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie
comme culture », op. cit., p. 131
456 Idem, p. 132
457 Léopold Sédar SENGHOR, Esprit,
n°311, p. 843
458 Paulin HOUNSOUNON-TOLIN, « Orphée et la
négritude comme oubli de la loi du cannibalisme culturel, et ignorance
de l'identité culturelle comme rapport à l'autre »,
Éthiopique, 2ème semestre 2009, p. 134
459 Sékou Ahmed TOURÉ, l'Afrique et la
révolution, Paris Présence Africaine, p. 254
106
disparaître, mais une langue qui prend appui sur ce
génie et s'ouvre en même temps aux réalités
nouvelles est nécessairement amenée à évoluer, donc
à s'améliorer et à se parfaire. »460
En ce sens, Seck Mangoné dit que « c'est aux
Négro-Africains de définir leur propre francophonie ! Ce sont eux
qui doivent choisir, élaborer, construire leur propre conception des
relations entre leurs langues et le français. »461
Enracinement, ouverture et dialogue des cultures sont des
notions qui font partie du concept de Francophonie, et pourtant la
réalité du moment fait douter de ces notions de bons augures. Des
cultures peuvent-elles dialoguer sans se corrompre, sans qu'il y ait une
influence mutuelle ? Si, oui, alors le dialogue des cultures est utopique, car
l'une des cultures empiétera ou emportera l'autre ; mieux, «
toute culture se nourrit de celles qui l'ont précédée
ou avec lesquelles elle a quelque commerce »462, ou
peut-être ces cultures en commerce donneront une sorte de culture
hybride. N'est-ce pas cette culture hybride que l'on appelle culture
francophone ? Nous savons aussi que « [...] toute culture est
héritière de celle ou celles qui l'a ou l'ont
précédée »463. Cela suppose qu'avec
le dialogue des cultures nous aurons une culture qui héritera des
valeurs des cultures en dialogue en Francophonie, une culture dite universelle.
Peut-être, le dialogue des cultures est un échange de ce que
chaque culture a de particulier, un échange dans lequel chaque culture
ne s'influencera pas ou il n'aura pas de métissage. Cela est-il possible
? Pour nous faire mieux comprendre, il nous convient d'appréhender la
culture. Qu'est-ce que la culture ?
La culture se réfère d'abord à l'ensemble
des travaux qui servent à rendre la terre plus fertile et à
améliorer ses productions. Dans ce sens, elle est en rapport avec
l'agriculture. Puis, par extension, elle renvoie à l'activité
artistique, intellectuelle de l'homme. Elle est employée pour parler du
« processus de développement de certaines facultés de
l'esprit par des exercices intellectuels »464. Selon
Samuel von Pufendord, la culture est « l'ensemble des oeuvres humaines
dans leur contexte social »465 ; ce qui est asserté
par Emmanuel Kant. Quant à lui, il affirme qu'elle est «
l'ensemble des fins que l'homme peut réaliser librement du fait de
sa nature raisonnable. »466 Mieux, la culture serait
« l'ensemble des usages, des coutumes, des manifestations artistiques,
religieuses, intellectuelles qui définissent et distinguent un
groupe,
460 Idem., p. 254
461 Mangoné SECK, op. cit.
462 Paulin HOUNSOUNON-TOLIN, op.cit., p. 130
463 Idem, p. 130
464 Le Petit Larousse Illustré, Paris, 2002
465 Cité par Le Grand Dictionnaire des Lettres, Larousse,
Paris, 1987 ; p. 404
466 Idem, p. 404
107
une société. »467
Cependant, « les phénomènes de culture sont
intransmissibles, uniques, liés à leur rapport vivant ; ils
comprennent les valeurs d'expression et de création et leurs
réalisations, ils ne sont pas soumis à des lois
décelables, mais à des rythmes d'émergence, de disparition
et de résurgence. »468 Cela sous-entend que la
culture est quelque chose d'inné, qui existe ou qui est sans que l'on
sache pourquoi cela doit être comme cela. Par contre, certaines personnes
estiment qu'elle est « transmissible dans et par une
collectivité quelle qu'elle soit, les sociétés primitives
y compris. »469 Mieux, « une culture n'est jamais
innée, mais toujours acquise. »470 Dans ce sens, le
mot civilisation convient d'être employé, car « les
phénomènes de civilisation sont universels et transmissibles, ils
comprennent la connaissance positive et la réalisation de ce savoir dans
la technique ; ils correspondent à la rationalisation de l'existence
humaine. »471 Cela est corroboré par Alexis
Kagamé, paraphrasé par Alpha Ibrahim Sow : « [la
civilisation], c'est l'adaptation d'un groupe humain se servant de la nature
humaine totale (intelligence, volonté, sensibilité et
activités corporelles) pour domestiquer et embellir le milieu physique
où il doit vivre (climat et saisons, minéraux, hydrographie,
faune et flore), se garder des causes intérieures de
désagrégation, se défendre contre les groupes similaires
qui tenteraient de l'absorber et pour transmettre à sa descendance
l'expérience globale reçue de ses initiateurs. »472
Pour être plus explicite, nous disons que la
civilisation est un acquis, mieux elle est « l'ensemble des rapports
conscients existant entre l'homme et la société, l'homme et la
nature. »473 Il faut le reconnaître, les
définitions de la culture sont diverses et problématiques, car
culture et civilisation sont, presque, prises comme des synonymes.
Néanmoins, « la culture possède (...) une
identité spécifique liée aux caractères les plus
intimes d'un peuple, à la nature de sa pensée et de son
patrimoine, à sa perception des choses et sa façon de les
considérer. C'est la culture qui distingue les peuples les uns des
autres ; toutefois cette distinction [...] n'exclut pas les contacts avec les
autres peuples : bien au contraire, elle encourage ces contacts et ces
rencontres, elle les impose même. C'est cela qui donne naissance aux
grandes questions culturelles comme l'authenticité et le renouvellement
ou l'unité et la diversité »474. Elle
possède aussi deux aspects : un aspect statique et un aspect dynamique.
L'aspect statique « désigne
467 Le Petit Larousse Illustré, Paris, 2002
468 Le Grand Dictionnaire des Lettres, op. cit., p.
404
469 Le Dictionnaire du littéraire, p. 169
470 Paulin HOUNSOUNON-TOLIN, op. cit., p. 135
471 Le Grand Dictionnaire des Lettres, op. cit., p.
404
472 Alpha Ibrahim SOW, « Prolégomènes »,
Introduction à la culture africaine, Unesco 10/18, Paris, 1977,
p. 30
473 Sékou Ahmed TOURÉ, L'Afrique et la
révolution, op. cit., p. 183
474 Propos d'Abdel Aziz El Sayed, repris par Alpha Ibrahim
SOW, op. cit., pp. 22-23
108
l'ensemble des trésors, des institutions, des
croyances, tandis que [l'aspect dynamique] caractérise l'aptitude
créatrice, le fait qu'un peuple ne peut se contenter de statut de simple
consommateur mais se veut producteur de biens culturels.
»475 Chaque peuple, chaque société ou groupe a
donc sa propre culture, et que les cultures, lorsqu'elles sont
différentes, ont des différences à échanger. Or
« on ne peut pas développer harmonieusement [ni
échanger] des cultures et des valeurs que l'on ignore, que l'on
néglige ou que l'on méconnait. »476 N'est-ce
pas une raison pour s'enraciner en sa culture d'origine pour mieux la
connaître afin de la présenter à l'extérieur, aux
autres ?
La question demeure toujours, celle de savoir si la langue
n'est pas le moyen efficace ou le véhicule idéal de la culture.
Si tel est le cas, alors soyons à mesure de dire qu'il y a une seule
culture à la Francophonie, celle de la France. Dans le cas contraire,
essayons de voir dans quelle mesure les autres cultures peuvent interagir avec
celle de la France par le biais du français. La culture, chez Senghor,
est une certaine façon propre à chaque peuple de sentir et de
penser, de s'exprimer et d'agir. Cela confirme la thèse que chaque
peuple a sa propre culture, ses habitudes et sa langue, et que la culture est
l'identité d'un peuple. De ce fait, peut-on parler de culture en
Francophonie ? La Francophonie ne contribue-t-elle pas à l'assimilation
de la langue française ? Semble-t-il que Francophonie et assimilation
revêtent un autre sens chez Léopold Sédar Senghor ? Ne
donne-t-elle (la Francophonie) pas des modèles de représentation
et d'interprétation du monde ? Tout est flou avec la Francophonie, et
elle nous entraîne dans un flou de notions, de définitions, de
conceptions et d'objectifs.
Dans ce flou d'idées, le concept d'enracinement et
d'ouverture, et la notion de dialogue des cultures semblent prendre le dessus
sur les autres notions dans le discours de la Francophonie senghorienne. Quel
sens donne Senghor au concept d'enracinement et d'ouverture ? Peut-être,
invite-t-il les Français à s'enraciner dans la Francité et
à s'ouvrir à la Négritude, et les Africains à
s'enraciner eux-aussi dans la Négritude et à s'ouvrir à la
Francité ? Francité et Négritude ne disent-elles pas
culture chez Senghor ? Le dialogue des cultures ne signifie-t-il pas dialogue
entre Francité et Négritude ? Peut-être, avec la
Francophonie, Senghor prône-t-il un retour aux sources qui aboutirait
sans doute à une culture métissée ou à une
Civilisation de l'Universel ? Alors, que signifie la Civilisation de
l'Universel chez Senghor ? La Civilisation de l'Universel n'est-elle pas chez
Senghor la Francophonie ? Doit-on rappeler que la Francophonie se repose
essentiellement sur la langue française ? Ne pensez-vous pas
475 Alassane NDWA, «Itinéraire d'une pensée
: Léopold Sédar Senghor : du refus de l'assimilation à la
recherche d'un métissage bien compris »,
Éthiopique, n° 37-38, 2ème et
3ème trimestre, 1984, volume II, n° 2-3
476 Alpha Ibrahim SOW, op. cit., p. 37
109
qu'avec la langue française, c'est la culture
française qui est inculquée ? Si telle est le cas, la
Francophonie n'est-elle pas la culture française ? Ne pensez-vous pas
que la culture est partout la même et que ce sont les outils et les
moyens pour l'exprimer qui diffèrent ? À ce niveau, ne
pouvons-nous pas dire que la Francophonie est l'expression de toutes les
cultures en dialogue. Le débat477 étant ouvert, c'est
à nous d'apporter notre contribution à la compréhension de
la Francophonie, et de voir si elle est un concept d'enracinement et
d'ouverture ou un concept de dialogue des cultures, sachant bien que «
la langue française est l'un des instruments essentiels d'ouverture
sur le monde »478. (Ce sont ces concepts qui
définissent-ils aujourd'hui la Francophonie ?)
477 Christian PHILIP affirme que « La Francophonie a
besoin de redevenir un sujet de débat. » (« La
Francophonie : l'une des réponses à la mondialisation culturelle
», Disponible sur
http://www.planetagora.org/yaounde/philip.pdf.&ued=0ahUKEwisw
). Du débat peut, nous l'espérons, naître une nouvelle
politique et donc l'action pour une Francophonie ouverte.
478 Michaëlle JEAN, op.cit, p. 59
110
1. UN CONCEPT D'ENRACINEMENT ET D'OUVERTURE
La Francophonie est à la fois une communauté de
parlants français et un concept humaniste invitant à s'ancrer en
sa culture pour aller vers d'autres cultures. Mieux, la Francophonie est ce
lien culturel tissé à partir de la langue française qui se
fait « dans la reconnaissance des autres cultures, car toute langue
est tissage culturel, jamais figée, mais toujours en devenir
»479, et parce qu' « aucun peuple ne peut
légitimant tirer vanité de sa langue car aucune n'est la
création d'un seul peuple »480. Dans cette logique,
Paul Dumont affirme que « le français peut être
l'expression de cultures autres que françaises
»481. Ce qui peut signifier que la culture
française est en contact avec d'autres cultures. C'est la raison,
peut-être, pour laquelle Léopold Sédar Senghor asserte
que
Le problème est pour chaque homme ou femme de chaque
civilisation, pour
chaque personne de s'enraciner au plus profond de sa propre
civilisation pour mieux s'ouvrir aux pollens fécondants venus des quatre
horizons.482
Car, ajoute-t-il,
Il s'agit pour chaque continent, pour chaque peuple de
s'enraciner profondément dans les valeurs de sa civilisation propre pour
s'ouvrir aux valeurs fécondantes de la civilisation française,
mais aussi des autres civilisations, complémentaires, de la
Francophonie.483
Des propos de Senghor, il ressort qu'avec la Francophonie, il
s'agit de s'enraciner dans sa propre culture et de s'ouvrir à d'autres
cultures différentes de la sienne, mais complémentaires.
Autrement dit, la Francophonie est un concept d'enracinement et d'ouverture
culturel.
L'enracinement est l'action d'enraciner ou le fait de
s'enraciner. Cela fait allusion aux plantes. Cependant, dans un sens plus large
et approprié pour cette présente étude, nous disons que
l'enracinement est l'action d'implanter profondément dans l'esprit les
moeurs de sa culture, de revenir à sa culture d'origine et de la
connaitre et de se l'approprier. Quant à l'ouverture,
479 Béatrice TURPIN, op. cit.
480 Alexis VASSILIS, Le premier mot, Paris, Stock, 2010,
p. 13
481 Paul DUMONT, « Francophonie, francophonies »,
op. cit., p. 46
482 Propos de Senghor repris par Penda MBOW, consultable sur
http://
www.cercle-richilieu-senghor.org/index.php?option=com_content&vie=article&id=74
483Léopold Sédar SENGHOR, « De la Francophonie
», loc. cit.
111
elle est un espace vide, libre faisant communiquer
l'intérieur et l'extérieur, du dehors et du dedans. Au
figuré, elle est cette aptitude à comprendre et à admettre
ce qui est nouveau, inhabituel. En ce qui concerne notre étude, nous
affirmons que l'ouverture consiste à l'acceptation de la culture de
l'Autre. De ce fait, nous avançons que l'enracinement et l'ouverture
signifient avoir la maitrise de sa propre culture et aller à la
rencontre d'autres cultures, « car pour parler de soi aux autres, il
faut se connaître, connaître les valeurs culturelles de sa race.
C'est en se connaissant mieux que l'on peut prétendre s'ouvrir aux
autres. »484Comment l'enracinement et l'ouverture sont-ils
possibles à la Francophonie ?
L'idée d'enracinement et d'ouverture est contenue dans
la notion même de la Francophonie dès son invention par
Onésime Reclus. En effet, Onésime Reclus, avec la Francophonie,
voulut que la France, tout en laissant les personnes voulant parler le
français de le parler, apprenne la leur (la langue de ces personnes
désirant parler le français). De ce fait, sans le formuler
exactement ou réellement, la Francophonie d'Onésime Reclus
prônait déjà l'enracinement et l'ouverture. À cet
effet, il dit :
Tous les hommes instruits de la terre savent au moins deux
idiomes, le leur et le nôtre, nous, dans notre petit coin, nous ne lisons
que nos livres et ce qu'on veut bien nous traduire. C'est pourquoi nous sommes
en dehors du monde et de plus en plus dédaignés par
lui.485
Claire Riffard dit, en ce sens, que « la notion de
francophonie elle-même sous-entend la présence souterraine
d'autres langues. »486 La mise en garde d'Onésime
Reclus se manifeste comme une invitation à l'ouverture pour la France
à l'extérieur. Il est bien de s'enraciner dans sa culture, mais
il est mille fois meilleur de s'ouvrir à d'autres cultures, semble dire
Onésime Reclus avec la notion de Francophonie. Selon Onésime, les
Français sont totalement enracinés en leur culture et ne lisent
que tout ce qui est écrit en français. En d'autres mots, ils
consommaient français. Pour ceux-ci, la France et sa culture d'abord, et
le reste on s'en fout. Onésime Reclus se rend-compte que ce comportement
risque de faire périr la France et sa langue ainsi que sa culture. La
France devrait, dans la logique reclusienne, faire du Négro-Africain une
copie du Français, c'est-à-dire assimiler le
Négro-Africain par le biais de la langue française, car pour
Onésime Reclus, « l'humanité qui vient, f...] n'aura
d'attention que pour les langues très parlées, et par cela
même très utiles. »487 De l'enracinement
aveugle des
484 Adou BOUATENIN, La poétique de la
Francophonie, op. cit., p. 65
485 Onésime RECLUS, France, Algérie et
Colonies, op. cit., pp. 429-430
486 Claire RIFFARD, « Francophonie littéraire :
quelques réflexions autour des discours critiques », Disponible sur
http://www.item.ens.fr/index.php?id=207602
487 Onésime RECLUS, France, Algérie et
Colonies, op. cit., p. 429
112
Français en leur culture, Onésime Reclus les
invite à aller vers d'autres continents, en particulier, en Afrique,
vers d'autres cultures, pour faire des Africains des francophones afin que
vivent longtemps la langue et la culture françaises. Il se justifie en
ces termes :
Comme nous espérons que l'idiome élégant
dont nous avons hérité vivra longtemps un peu grâce
à nous, beaucoup grâce à l'Afrique et grâce au
Canada, devant les grandes langues qui se partageront le monde, nos
arrière-petits-fils auront pour devise « Aimer les autres, adorer
la sienne ».
La Francophonie d'Onésime Reclus se veut d'abord
enracinement, ensuite ouverture.
L'ouverture, chez lui, ne s'arrête pas seulement
à la diffusion de la langue française, mais elle consiste aussi
à apprendre d'autres langues, car « tous les hommes instruits
de la terre savent au moins deux idiomes, le leur et le nôtre
»488. La Francophonie reclusienne est implicitement un
concept d'enracinement et d'ouverture, et cela concerne uniquement les
Français. Ce sont eux qui doivent aller vers les autres pour leur
inculquer le français et apprendre la langue des autres. Cependant, le
concept d'enracinement et d'ouverture sont rétablis dans leur sens
premier par Léopold Sédar Senghor.
Lorsque Senghor parle d'enracinement et d'ouverture en
Francophonie, il faisait allusion, sans doute, au Négro-Africains. En
effet, la rencontre des peuples de civilisations différentes au cours de
l'histoire africaine sans oublier l'esclavage, la traite négrière
et la colonisation ont donné lieu à des mutations profondes dans
la manière de faire, d'agir, de parler et de s'habiller faisant de
l'Africain un déraciné, dépouillé de son histoire
et de son identité culturelle. On peut dire qu'il est étranger
à lui-même. L'Africain, conscient de ces mutations d'ordre social
et culturel, est appelée à réviser sa façon de
faire et d'être, c'est dire de sa culture. D'où le concept
d'enracinement chez Senghor. Car « l'Africain pour trouver son
équilibre doit s'enraciner, se réconcilier avec lui-même,
avec ses réalités. »489 En effet, comme le
stipule Koutchoukalo Tchassim,
L'esclavage et la colonisation ont favorisé l'ouverture
de l'Africain à d'autres races, à d'autres cultures. Cette
ouverture, surtout au temps colonial, a occasionné chez lui
l'assimilation de la culture du colonisateur. Mais conscient du malaise
provoqué par cette assimilation à savoir le mépris et la
destruction des valeurs africaines, de la nécessité de
réhabiliter ces valeurs, [...] Senghor [...] adopte un ton plus
conciliant [...]490
488 Idem., p. 429
489 Pathé DIAGNE, « Renaissance et problèmes
culturels en Afrique », Introduction à la culture
africaine, Unesco 10/18, Paris, 1977, p. 246
490 Koutchoukalo TCHASSIM, « La quête de la
civilisation de l'universel chez les écrivains africains :
Léopold Sédar Senghor et Félix Couchoro », op.
cit., p. 42
113
L'ouverture de l'Africain est brusque et humiliante, Senghor
ne peut la nier. Mais, il use d'un ton plus conciliant pour l'exprimer et pour
pardonner491 le bourreau afin de redéfinir l'ouverture, car
« l'ennemi d'hier est un complice, qui nous a enrichis en
s'enrichissant à notre contact »492.
Il fallait, pour acquérir les connaissances et les
valeurs culturelles du colonisateur,
l'accepter et s'ouvrir à lui493 [car la
volonté de Senghor] de pardonner après avoir
récriminé contre la France l'amène à la
réconciliation, à l'acceptation de l'Autre494.
Accepter l'Autre, le colonisateur, et s'ouvrir à lui
est aussi chez Senghor de retourner à ses propres racines et de les
exprimer de manière authentique. Mieux, la Francophonie consiste,
à la fois, à s'enraciner dans ses propres valeurs culturelles et
s'ouvrir aux apports féconds des autres civilisations et cultures, comme
le justifie Ibrahim Diop :
Avec le concept de Francophonie, Senghor ne voulait en aucun
cas occulter ou perdre de vue les valeurs, la richesse des langues et cultures
négro-africaines. L'ouverture aux peuples et cultures qu'il prône
n'exclut nullement la sauvegarde précieuse des valeurs linguistiques et
culturelles [...]495
C'est pourquoi, Senghor asserte que
La Francophonie doit être ce que nous appelons au Haut
Conseil une communauté plurielle. C'est très important. Chacun
doit d'abord s'enraciner dans son continent, dans sa nation, dans sa culture de
sorte que partout, si j'étais Corse, je m'enracinerais d'abord dans la
« corsitude », si j'étais Basque, ce serait dans la «
basquitude », mais pour le moment, je m'enracine dans la négritude.
Et je crois que nous avons tous beaucoup à apporter car le
français comme langue représente, au demeurant, une culture de
synthèse, de symbiose. [...] Il s'agit donc de nous enraciner mais de
nous ouvrir en même temps à cette civilisation de l'universel qui
est la Francophonie496.
Dans ce propos ci-dessus, Senghor dit que la Francophonie est,
d'abord, un enracinement, puis une ouverture à la Francité. Cela
dit s'enraciner dans la Négritude et s'ouvrir à la
Francité, parce que, si nous « renversons la proposition pour
être complets : la Négritude, l'Arabisme, c'est aussi vous,
Français de l'Hexagone. Nos valeurs font battre, maintenant, les livres
que vous
491 Nous aborderons le pardon dans la partie deux de ce
présent travail.
492 Léopold Sédar SENGHOR, Esprit, op.
cit. (loc. cit.), p. 841
493 Koutchoukalo TCHASSIM, op. cit., p. 43
494 Note sur Senghor, op. cit.
495 Ibrahim DIOP, op. cit., p. 11
496 Léopold Sédar SENGHOR, « Colloque des
Cent, 15 février 1986, l'Arbre à palabre des francophones »,
Dossier Thématique, AFI, op. cit., p. 329
114
lisez, la langue que vous parlez : le français,
Soleil qui brille hors de l'Hexagone. »497 De ce fait, on
peut alors parler de communauté plurielle avec la Francophonie. Elle est
aussi la Civilisation de l'Universel.498 Senghor dit
également que la langue française est la langue d'une culture de
synthèse, de symbiose. Nous comprenons dès lors que la
Francophonie est une culture de synthèse et de symbiose. Mieux, elle est
une culture hybride nécessitant la participation de la Négritude
et de la Francité avec une langue française enrichie des apports
des langues africaines.
Cependant, il faut que les langues africaines soient
revalorisées afin que la synthèse soit effective pour la culture
francophone. Cette culture est la Civilisation de l'Universel selon
Léopold Sédar Senghor. Sophie Croisset et Anne-Rosine Delbart
disent que
[...] pour Senghor [...] la langue et la culture
françaises doivent aider à développer les langues et les
cultures africaines qui viendront, en retour, enrichir la langue et la culture
françaises pour faire du français « la langue de culture de
la Civilisation de l'Universel »499.
Ce que Senghor semble ignorer est que la langue fait les
peuples, et contribue à transformer leurs modes de pensée et
leurs valeurs. En d'autres mots, Senghor feint d'ignorer le fait que la langue
est un élément d'assimilation. Parler la langue de l'autre, c'est
être assimilé culturellement. Cette ignorance le conduit à
nier toute forme d'assimilation de l'homme noir par la langue française
et à inviter à assimiler et à refuser le fait d'être
assimilé, car, selon lui, la culture consiste à assimiler non
à être assimilé. Et cela est au centre même de sa
conception de la Francophonie, comme le justifie Mongoné Seck :
Au fait, au centre de sa conception de la francophonie se
trouve cette idée que
l'Afrique Noire doit aussi, tout en assimilant l'essentiel des
qualités fécondes du français, préserver,
sauvegarder ses langues.500
Pour Senghor, la langue française ne doit en aucun cas
poser un problème : « L'usage du français en Afrique ne
doit pas, selon L. S. Senghor, devenir cause de la régression et de la
disparition des langues africaines »501. Nous devrons au
contraire dépasser le problème de la langue française pour
aller de l'avant. Cependant, ce mouvement vers l'avant nécessite bel
et
497 Léopold Sédar SENGHOR, Esprit, op. cit.
(loc. cit.), p. 844
498 Nous le verrons dans la deuxième partie de notre
travail.
499 Sophie CROISET et Anne Rosine DELBART, «
Marginalité, identité et diversité des
?littératures francophones? : présentation du dossier »,
Le langage et l'Homme, vol. XXXXVI, n°1 juin 2011, p. 3
500 Mangoné SECK, op. cit.
501Idem.
115
bien un retour aux sources. Conscient de cette
réalité, il organise en avril 1966 le premier Festival des Arts
Nègres à Dakar pour affirmer, d'abord, que l'Afrique a une
culture, puis inviter les Négro-Africains à s'intéresser
à leur culture qui définit leur identité, et enfin
permettre à l'Afrique de s'ouvrir à nouveau au monde occidental
par le biais de sa culture.502 Car, avance Olga Balogun,
Il n'est pas douteux que l'art, tel qu'il se manifeste dans un
groupe social par le chant, la danse, la musique, la décoration, la
sculpture, la peinture, les mythes, etc., permet d'en définir la culture
et contribue en même temps à lui donner le sentiment de son
identité et de sa capacité d'agir en tant que
groupe.503
Senghor est convaincu que les arts sont un fait de
civilisation, le reflet de valeurs idéologiques, un mode d'expression et
de pensée permettant de mieux comprendre le monde, la vision de
l'univers, de Dieu, de l'homme, des êtres et des choses, de mieux
apprécier sa culture et de rester soi ; car, selon lui, la civilisation
se définit comme l'ensemble des valeurs morales et techniques d'un
peuple donné à tel moment de son histoire, et leur expression en
oeuvres concrètes504. Cette conception de Senghor des arts
lui permet de dire que la culture est la civilisation en action, voire l'esprit
de la civilisation. Pour participer à la Civilisation de l'Universel, il
serait bon que chacun s'enracine dans sa culture, que chacun demeure tel qu'il
est pour s'ouvrir à d'autres cultures. Senghor est aussi convaincu que
les Arts se ressemblent tous, qu'il y a des affinités entre l'Art
nègre et l'Art gaulois :
J'ai été frappé, l'autre année, en
visant l'Exposition d'Art gaulois, des affinités de cet art et de l'Art
nègre. Comment expliquer cette ressemblance si ce n'est par le substrat
passionnel de la raison intuitive ! J'ai fait ce jour-là deux
découvertes. La première est que, si les Gaulois ne sont pas nos
« ancêtres », à nous, les Nègres, ils sont nos
cousins. La deuxième est que, comme eux, nous pouvons, au «
rendez-vous du donner et du recevoir » que constitue la Francophonie,
rendre, au génie méditerranéen, une partie au moins de ce
qu'il nous a donné505.
Parce qu'enraciné dans sa culture, Léopold
Sédar Senghor a pu constater qu'il n'y a pas de différence dans
les Arts. Ils sont universels. Cependant, ce sont les moyens pour l'exprimer
qui sont différents. De ce fait, si les Arts permettent de
définir la culture, alors la culture est la même partout, sauf les
moyens expressifs de cette culture qui diffèrent. Pour cela, Senghor
502 « C'est l'objectif majeur du Festival Mondial des
Arts Nègres de 1966 : Faire voir au monde entier en quoi consiste
l'esthétique négro-africaine dont le sens et les
subtilités ne doivent pas échapper au répertoire universel
de l'Art », nous dit Mangoné SECK, op. cit.
503 Olga BALOGUN, « Formes et Expression dans les arts
africains », Introduction à la culture africaine, UNESCO
10/18, Paris, p. 50
504Cf. Liberté I, p. 101/ Koutchoukalo
TCHASSIM, op. cit., p. 43
505 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie
comme culture », op. cit., pp. 88-89
116
préconise une Francophonie
acculturée506, c'est-à-dire une Francophonie qui
permet d'intégrer sa culture à la culture de l'Autre. Pour
arriver à cette Francophonie acculturée, il faut s'enraciner dans
sa culture, comme Senghor l'a fait dans la sérénité (la
sénégalité), pour s'ouvrir ou pour assimiler l'autre
culture sans détériorer sa propre culture. Cela est possible par
une maîtrise de la langue « [...] car chaque langue est à
la fois la manifestation immédiate et formelle de la culture d'un
peuple, d'une civilisation. »507 Et, parce qu'«
il n'est pas question de renier les langues africaines
»508 à la Francophonie. Cet enracinement en sa
culture et cette ouverture en la culture de l'Autre ont permis de voir en
Léopold Sédar Senghor trop Africain pour les Occidentaux et trop
Occidental pour les Africains. Aujourd'hui il est question de savoir si la voix
de Léopold Sédar Senghor a été entendue par les
parlants français concernant son appel à l'enracinement et
à l'ouverture.
Nous savons qu'aucune culture ne se développe et ne
s'épanouit de manière autarcique, et qu'il y a un conflit
culturel né de l'occupation coloniale du continent africain par les
puissances d'Europe occidentale. Mieux, sous l'influence de la culture de
l'Europe occidentale, à la suite de la colonisation, la culture
africaine a été modifiée. Pour dire, les mythes, les
contes, les devinettes, les proverbes, la poésie, le chant, la danse, la
musique, la sculpture, la peinture, la décoration, etc. , en un mot la
culture africaine est encore mal étudiée et mal connue d'abord
par les Africains eux-mêmes et enfin par les Occidentaux. C'est pourquoi
Alpha Ibrahim Sow affirme qu'
Une longue période de recherche et d'étude de la
réalité culturelle africaine
s'ouvre en effet devant nous, tant il est vrai que, pour
l'essentiel, nos grandes valeurs de civilisation restent encore à
découvrir, à analyser, à conceptualiser
[...]509
Il est vrai lorsqu'il affirme que « nos grandes
valeurs de civilisation restent encore à découvrir, à
analyser, à conceptualiser », mais il ne dit pas ce qu'il faut
faire pour les découvrir, les analyser et les conceptualiser. Ce qu'il
faut faire, c'est avec Senghor que l'on le saura, lorsqu'il propose la
Francophonie comme concept d'enracinement et d'ouverture. Que faisons-nous
aujourd'hui avec la Francophonie de ce concept d'enracinement et d'ouverture,
clamé par Senghor ? Ne pouvons-nous pas dire qu'aujourd'hui en Afrique
il y a une méconnaissance de soi et une connaissance de l'Autre ? Dans
les universités occidentales, enseigne-t-on réellement la culture
négro-africaine ? Que font les Africains pour leur culture ? L'Afrique
n'est-elle pas
506 Nous y reviendrons.
507 Mangoné SECK, op. cit.
508 Léopold Sédar SENGHOR, «Le
français, langue de culture », loc. cit., p. 843
509 Alpha Ibrahim SOW, op. cit., p. 36
117
grande consommatrice de la culture de l'Autre, de l'Occident ?
Si tel n'est point le cas, consomme-t-elle sa propre culture ?
Le déracinement en Afrique est à tous les
niveaux, peut-on insinuer. Il n'y a pas de véritable enracinement en
Afrique. En effet, l'Africain, au contraire, a adopté la culture
occidentale à telle enseigne qu'il s'y identifie comme si c'était
la culture de ses vrais ancêtres. D'abord, dans le domaine
socio-culturel, il y a non seulement l'adoption des modes de pensée
occidentale, mais aussi l'adoption des us et coutumes de l'Occident. Cela est
mis en évidence par les religions révélées, les
tenues vestimentaires, les mets culinaires, l'architecture des villes
africaines, voire des villages,... Ensuite, dans le domaine économique,
l'Afrique s'est appropriée le mode occidental de production de richesses
avec des notions incompréhensibles, pour l'Africain lambda, telles que
le capitalisme, le socialisme, le libéralisme... Ce calque du
système économique occidental biaise donc le système
économique négro africain. Les deux systèmes sont
incompatibles. Enfin, dans le domaine politique, il faut reconnaitre que
l'Afrique a abandonné le système de gouvernance traditionnelle
pour adopter les systèmes politiques occidentaux faisant perdre la place
de commandement aux dignitaires coutumiers, chefs et rois traditionnels. Ces
garants des us et coutumes africains deviennent des pantins dans ces
systèmes politiques occidentaux. Le mode de vie et culturel de l'Afrique
et de la plupart des pays parlants français de la Francophonie est un
mimétisme permanent ou normatif du mode de vie et culturel de l'ancien
maître, l'Occident. Albert Tevoedjré partage cette idée en
affirmant que
Cet intellectuel africain ne peut oublier que 1960 a mis un
terme définitif à l'omnipotence du mépris racial et
culturel qui fonde l'esclavage et la colonisation. [...] Hier, pas
d'universités, peu d'ingénieurs, peu d'infrastructures. Tout cela
a bien changé. Mais ce qui n'a pas changé et qui paraît
grave, c'est la prise en charge par les Africains d'un système
économique qui les maintient dans la dépendance. Ce qui n'a pas
changé, c'est le style de commandement, de gestion des affaires
publiques, c'est le mimétisme permanent du mode de vie de l'ancien
maître.510
Il y a donc un délaissement total, voire une
négligence totale des valeurs culturelles négro-africaines. Les
cultures africaines sont méconnues à telle enseigne que les
artistes musiciens, plasticiens, écrivains, etc. (rares sont ceux qui
valorisent leur culture) préfèrent la culture occidentale que la
leur. C'est donc ce constat qui fait dire que
La conception senghorienne de la Francophonie s'impose
impérativement à l'Africain d'aujourd'hui qui s'efforce à
raisonner comme Descartes, Verlaine, Hugo, ou à s'habiller comme les
stars de cinéma ; et non comme Zadi Zaourou, Camara Laye, Jean-Marie
Adiaffi, ... Parce que la poétique de la Francophonie, c'est du
510 Albert TEVOEDJRÉ, «
Cinquantenaire...d'indépendances ? », Afrique-Asie, mai
2010, pp. 60-61
118
Verlaine, de Hugo, de Claudel, de Senghor, des griots, des
poétesses sénégalaises, de la tradition
africaine...511
Avec la Francophonie senghorienne, on est invité
à apprendre à se connaître d'abord, et apprendre à
connaître l'Autre ensuite. On remarque qu'en Afrique, on a une
méconnaissance totale de soi, mais une connaissance de l'Autre ; qu'on a
une méconnaissance de sa littérature, de son Art, de sa culture.
La preuve est que les Littératures et Civilisations Africaines sont
introduites dans l'enseignement supérieur récemment, pour
être plus juste, nous dirons à partir de 1980. Même en
Europe, l'engouement d'autrefois n'est plus. C'est de façon
occasionnelle que la littérature africaine est étudiée
dans les universités européennes, en particulier
françaises. Si elle est étudiée, c'est Léopold
Sédar Senghor qui est au programme ou parfois Aimé Césaire
dans le but d'appréhender la Négritude. Encore une fois, la
Francophonie en tant que concept d'enracinement et d'ouverture est loin
d'être une réalité pour les Africains.
Cependant, du mimétisme permanent ou normatif du mode
de vie et culturel occidental, l'on est passé au besoin pressant
d'exprimer son identité culturelle. Cela se manifeste à travers
une volonté d'avoir sa propre culture et de parler de façon
conventionnelle sa propre langue, mieux à travers une volonté de
revalorisation de sa culture et des langues locales. Dans ce sens, certains
pays africains ont, à côté du français, une langue
locale comme une langue nationale. Par exemple, le Sénégal avec
le wolof, le Mali avec le bambara. D'autres, par contre, ont une autre option
pour revaloriser les langues et les cultures. C'est le cas de la Côte
d'Ivoire avec le Marché des Arts et du Spectacle Africains (Masa), le
Festival du Zanzan, l'Abissa ou l'introduction dans l'enseignement primaire
l'étude des langues locales.512 Peut-être, avec la
Francophonie, on pourra alors dire à chacun sa culture, à chacun
sa langue sans exclure la langue française, car elle demeurera la langue
en partage. Tous les pays francophones ont ce ressentiment, celui d'être
soi culturellement et de s'ouvrir à l'Autre, et c'est ce que propose
Léopold Sédar Senghor avec la Francophonie qui consiste à
s'enraciner dans la Négritude et à
511 Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie,
op. cit., p. 108
512 Enseigner les langues locales à l'école est un
projet. Et ce projet est encore à la traine en Côte d'Ivoire,
peut-être il ne sera jamais réalisé car « [les
langues locales] ne jouissent d'aucun statut juridique véritable et de
ce fait elles sont en réalité privées de toute
possibilité d'action légale. Bien qu'elles aient un rôle
identitaire fort et dominent dans les usages linguistiques quotidiens, ces
langues restent confinées dans la marginalité par rapport
à la vie des institutions de l'État. Leur emploi se limite aux
milieux familiaux et ruraux » (Issa Sangaré YERESSO, «
Medias et langues nationales en Côte d'Ivoire »), bien qu'elles
« possèdent tous les moyens lexicaux et syntaxiques qui leur
permettent de s'adapter à l'évolution de leur environnement
» (J. et M. J. DERIVE, « Francophonie et pratique linguistique
en Côte d'Ivoire »). Cependant, il faut le reconnaître qu'avec
l'Institut de Linguistique Appliquée (ILA) la Côte d'Ivoire a
aujourd'hui des moyens pédagogiques sérieux pour assurer une
meilleure promotion des langues locales ivoiriennes dans la vie publique et
culturelle de la nation et pour les introduire dans l'enseignement officiel du
pays.
119
s'ouvrir à la Francité pour les
Négro-Africains, et pour les Français à s'enraciner dans
la Francité et à s'ouvrir à la Négritude, tout en
préservant l'identité culturelle individuelle.
Léopold Sédar Senghor souhaite que le concept de
Francophonie soit un concept d'enracinement et d'ouverture, un concept qui
préconise à la fois la connaissance de soi et la connaissance de
l'Autre, animé d'un esprit de solidarité pour la sauvegarde des
langues locales. Car, c'est à travers les langues que se perpétue
la culture. Il faut s'approprier cette Francophonie pour la promotion des
langues locales africaines. Il n'est pas question de les renier. Léopold
Sédar Senghor l'avait déjà dit. Il faut que les langues
locales jouissent d'un statut juridique véritable et qu'elles aient
toute possibilité d'action légale en rapport avec la vie des
institutions de l'État. Que leur emploi ne se limite plus aux milieux
familiaux et ruraux, mais qu'il s'étende à tous les niveaux afin
de définir l'identité culturelle. C'est ce combat que doit mener
la Francophonie, au lieu de se targuer d'avoir remporté la bataille pour
la diversité linguistique et culturelle à l'Unesco.513
Et, si elle gagne ce pari ou ce combat, nous serons dans l'obligation de
reconnaître qu'elle est un concept d'enracinement et d'ouverture comme
scandait poétiquement Léopold Sédar Senghor.514
Certes, les artistes, les écrivains, les musiciens, etc.
négro-africains trouvent la notoriété en Europe qu'en
Afrique, et les Occidentaux investissent en Afrique. Cependant, il faut
reconnaître que beaucoup restent à faire pour que la Francophonie
soit ce qu'elle prétend être, malgré le programme
Élan-Afrique, lancé en 2012 dans le but d'améliorer la
qualité de l'enseignement du français, mais aussi des langues
d'Afrique subsaharienne : le Benin, le Congo, le Burkina- Faso, le Burundi, le
Cameroun, le Mali, le Niger, la RDC et le
Sénégal.515
L'enracinement des Négro-Africains en leurs langues et
cultures ne signifie pas un abandon de la langue française. C'est
plutôt une invitation à valoriser sa langue, sa culture, une
invitation à rester soi-même d'une part et d'aller vers l'Autre
d'autre part. Par cet enracinement, le Négro-Africain retrouvera son
équilibre, son être. Parler la langue de l'Autre pour l'Afrique
est un fait irréversible car elle a été une langue
d'ouverture pour l'Afrique, et parce que physiquement, moralement, mentalement,
intellectuellement et religieusement l'Africain est
513 L'OIF se réjouit d'avoir contribué à
l'adoption de la convention sur la protection de la diversité culturelle
et des expressions artistiques le 20 octobre 2005 par l'Unesco.
514 La Francophonie est consciente qu'il faut valoriser les
langues africaines comme nous pouvons le voir avec la Déclaration de
Moncton, article 9 : « La pluralité des langues et la
diversité des cultures constituent des réalités qu'il faut
valoriser. Dans cet esprit, nous devons continuer à soutenir la
promotion et la diffusion de la langue française qui nous rassemble
comme celles des cultures et des langues partenaires qui font nos
identités et la richesse de notre communauté f...] »,
VIIIème Sommet de la Francophonie, septembre 1999, Moncton,
Canada. Disponible sur le site : [
http://www.francophonie.org/oif/actions/pdf/Declaratio-de-Moncton.pdf]
515 Beaucoup restent à faire surtout au niveau de la
littérature négro-africaine, nous pensons qu'il est temps que les
écrivains négro-africains écrivent des oeuvres en leur
langue locale. C'est ainsi que nous pouvons parler effectivement d'enracinement
et d'ouverture en Francophonie du côté africain.
120
occidentalisé, de la tête à l'orteil. Rien
n'est épargné chez lui, peut-être, sauf la couleur de sa
peau. L'Africain est une copie de l'Européen. Et comme toute copie se
différencie de l'original, l'Africain ne sera jamais un Européen,
et un Européen ne sera jamais un Africain, même s'il a beau
épousé la Négritude. L'âme nègre, selon
Léopold Sédar Senghor, n'a jamais été
affectée ni assimilée. Il faut la préserver par un retour
aux sources à travers les langues locales, véhicules de la
culture. Et quant à la France, de son côté, elle doit
accepter de se « décoloniser culturellement » et laisser sa
langue s'enrichir des apports des Francophones aux niveaux de la chanson, le
théâtre, la poésie, le roman, etc. Par le mariage avec les
langues déjà parlées dans les pays francophones, telles
que le créole, l'arabe, le berbère, le lingala, les langues
africaines..., le français trouvera sa place et sa justification. C'est
pourquoi, la Francophonie devrait encourager les pays africains à
l'enracinement pour la revalorisation de leur langue, et la France, le Canada,
la Belgique, la Suisse, etc. à l'ouverture pour le rayonnement de la
langue française. C'est le voeu d'Ibrahim Sow :
Nous attachons la plus grande importance aux langues
négro-africaines dans l'appréciation des possibilités de
développement du français. Cela signifie en aucune façon
que la progression de l'un suppose le dépérissement des autres
(...) En fait, c'est dans un rapport de complémentarité que le
français trouve sa place et sa justification. Son rôle et son
avenir dépendent donc, au premier chef, du rôle qui sera reconnu
aux langues africaines.516
Par la Francophonie, les peuples et les races sont
appelés à s'enraciner en leur culture d'origine et à
s'ouvrir à d'autres cultures afin que chaque peuple ou race puisse
préserver son identité culturelle, sa langue, sa culture et
participer au rayonnement de la langue française, enrichie des apports
linguistiques de ces parlants français. Cela est l'enracinement et
l'ouverture en Francophonie selon Senghor, car « on ne peut pas
développer harmonieusement des cultures et des valeurs que l'on ignore,
que l'on néglige ou que l'on méconnaît
».517
La Francophonie est une notion qui sous-entend enracinement et
ouverture à la fois linguistique et culturelle. Cela est valable tant
chez Onésime Reclus que chez Léopold Sédar Senghor. Pour
Onésime Reclus, le fait que la France accepte tous ceux qui parlent le
français est une ouverture qu'elle fait aussi bien du côté
des parlants français que de la France elle-même. En effet, avec
la langue française, la France s'ouvre non seulement sur les pays
où le
516 L. DUPONCHEL, « Le français en Côte
d'Ivoire au Dahomey et au Togo », ILA, Abidjan, 1974
517 Alpha Ibrahim SOW, op. cit. (loc. Cit.), p.
37
121
français est susceptible de progresser et de se
maintenir dans le rang des langues qui ont de nombreux locuteurs, mais ce sont
aussi les pays des locuteurs de la langue française qui s'ouvrent
à la France, parce que fertiles à l'implantation du
français. L'ouverture, chez Onésime Reclus, est également
le refus de l'autarcie linguistique. Il trouve aberrant que les Français
se contentent uniquement du français sans vouloir chercher à
apprendre d'autres langues, tandis que les autres parlent la leur sans oublier
leur propre langue. Cette autarcie (la langue française se suffit
à elle-même) peut lui faire perdre sa notoriété
universelle. Raison pour laquelle, il invite les Français à
s'acquérir d'autres langues pour se sentir dans le monde ou pour
être plus regardant de l'extérieur. Ce fait d'apprendre d'autres
langues, pour Onésime Reclus, est une ouverture de la France vers
l'extérieur. Chez lui, la Francophonie est aussi un concept d'ouverture
culturelle, car la langue française véhicule la culture
française. C'est également pareil avec les autres langues que la
France décidera d'apprendre, c'est-à-dire en ces langues, elle
s'ouvre à d'autres cultures, différentes de la culture
française.
La récupération senghorienne de la Francophonie
ne lui ôte pas le caractère d'ouverture, bien au contraire, elle
acquiert l'autre caractère, celui de l'enracinement. Senghor estime que
la langue française a permis aux pays africains, ex-colonies
françaises, d'être ouverts sur l'extérieur, d'être
vus et compris. Mais, ce qui importe, ce n'est pas de se renier ni renier les
langues et cultures africaines, c'est ce retour que l'Africain doit faire en sa
culture et à sa langue maternelle pour demeurer soi-même sans
être une copie conforme de l'Occident. Ce retour dont parle Senghor est
l'enracinement. Par cet enracinement, il entend par là connaître
sa propre culture afin de pouvoir la développer, la préserver et
la présenter à l'Autre, à l'extérieur. En
connaissant mieux sa culture, on peut s'adapter facilement à
l'évolution rapide du monde. Il voulut que la Francophonie soit le
catalyseur de l'enracinement et de l'ouverture des Francophones. Autrement dit,
la Francophonie chez Léopold Sédar Senghor se veut d'abord
enracinement en soi, et confirmation de soi avant de s'ouvrir aux autres aires
culturelles, et de jeter des ponts vers toutes les cultures du monde en
établissant les différences et les similitudes, les divergences
et les complémentarités, en engageant un dialogue fécond
fondé sur le respect mutuel. Ce voeu de Léopold Sédar
Senghor ne semble pas être une réalité car la libre
circulation des Francophones dans les pays francophones demeure un
problème irrésolu. Il y a le fait aussi que certains pays
africains francophones n'aménagent aucunes conditions pour valoriser
leur culture et leurs langues locales, mais ils sont prêts à
encaisser les subventions de l'OIF (cela est un autre problème à
élucider). Il y a également le fait qu'une langue et une culture
sont privilégiées, celles de la France, au sein de la
Francophonie. Ce sont ces quelques problèmes parmi tant d'autres qui
font de l'enracinement et l'ouverture une notion utopique. En
remédiant
122
à tous les problèmes obstruant l'enracinement et
l'ouverture en Francophonie, le voeu de Léopold Sédar Senghor
sera une réalité.
Onésime Reclus et Léopold Sédar Senghor,
en préconisant l'ouverture, savent que les langues et les cultures
interagiront. Au lieu d'un choc linguistique et culturel, il y aura
peut-être une diglossie ou une culture métissée. N'est-ce
pas cela que Senghor appelle la Civilisation de l'Universel ? N'est-ce pas
aussi cela la culture francophone ? Nous savons que l'enracinement et
l'ouverture impliquent aussi la notion de dialogue des cultures. Cela semble
vouloir dire que la Francophonie est aussi une notion de dialogue des cultures.
Mieux, la Francophonie, en tant que concept d'enracinement et d'ouverture,
permet d'aborder sous un autre angle la façon dont les enjeux ethniques,
raciaux, identitaires, idéologiques et culturels s'entremêlent,
interagissent ou dialoguent. Pour être plus juste, demandons-nous, si la
Francophonie est-elle une notion de dialogue des cultures. Si tel est le cas,
ce dialogue est-il possible ? Quels sont les enjeux que cela implique ? Sur
quoi aboutira ce dialogue des cultures ?
123
2. UNE NOTION DE DIALOGUE DES CULTURES
Nous avons tenté de montrer que la culture d'un peuple
est indissociable de sa langue. Ce qui sous-entend que la Francophonie, dont le
fondement est la langue française, ne peut que véhiculer la
culture française. C'est une vérité indéniable :
« la culture d'un peuple est indissociable de sa langue et toute
uniformisation des langues entraînerait, par conséquent, celle des
cultures »518. La Francophonie peut prétendre
être une notion de dialogue des cultures, par la valorisation des langues
locales africaines afin qu'elles soient parlées comme le
français. Cependant, on ne peut pas parler la langue de l'Autre, le
français, et ignorer sa propre langue en se targuant de refuser
l'uniformisation linguistique et culturelle. Refuser l'uniformisation
linguistique et culturelle, c'est accepter la diversité linguistique et
culturelle. Car, « f...] il n'y a pas de diversité culturelle
pérenne possible sans diversité linguistique ».519
Cette diversité linguistique et culturelle, en Francophonie,
implique aussi le dialogue des cultures, voire le dialogue des langues. En
effet, comme le dit François Burgat,
Le « dialogue des cultures » ou « des
civilisations » est un instrument des relations internationales dont la
création est plus ancienne que la fortune médiatique, beaucoup
plus récente. La centralité qu'il a acquise depuis le 11
septembre 2001 incite à se pencher sur les conditions de son
fonctionnement au regard des objectifs qui lui sont assignés. Né
dans les registres de la sociologie coloniale [...], il semble être
longtemps demeuré dans le giron du discours savant. Inventé avant
la Seconde Guerre mondiale, ce n'est que très récemment qu'il est
devenu cette référence omniprésente du dispositif de
communication et de « socialisation » entre le Nord et le Sud
[...].520
Alors que, selon Michaëlle Jean,
[...] les risques d'uniformisation culturelle et
d'exacerbation identitaire s'accroissent, la Francophonie continue d'accentuer
le plaidoyer pour promouvoir le dialogue des cultures et des religions, ainsi
que la vision d'un monde riche, mais aussi plus sûr, par sa
diversité culturelle pleinement assumée.521
518 « Diversité culturelle », Rapport du
secrétaire général de la Francophonie, 2002-2004, p.
72
519 Michel GUILLOU, « La Francophonie dans la
mondialisation », `' Les dix-huitième entretiens `' du centre
Jacques Cartier, Lyon, 2005
520 François BURGAT, le ?dialogue des cultures? : une
vraie-fausse réponse à l'autoritarisme : Portée et limites
du traitement culturaliste de la violence politique. Olivier, Vincent Geisser,
Gilles Massardier, Michel Camau (dir.). Autoritarismes démocratiques et
démocraties autoritaires-Convergences Nord-Sud, La Découverte,
pp.233-248, Recherches. <halshs-00366627>
521 Michaëlle JEAN, op. cit., p. 67
124
Il faut noter également que, par ce dialogue, la langue
française phagocyte les autres langues en contact avec elle. Pour
adoucir le ton, nous disons que « la langue française a pu
enfin redonner la place à sa dimension humaniste [en s'enrichissant] au
contact de peuples qu'elle a rencontrés »522 C'est
ainsi que nous avons le français de la Côte d'Ivoire, de Mali, du
Canada, de France avec leurs propres particularismes. Disons, à cet
effet, que la Francophonie, en elle-même, suppose dialogue, car le
français parlé diffère d'un Francophone à un autre
: « [...] la francophonie n'est pas que du passé, elle est
dialogue et elle se vit au jour le jour par des millions de personnes
»523. Nous savons aussi que « derrière la
langue, il y a des valeurs et des cultures en perspective, en opposition, en
méfiance et en complicité ».524 Ce qui
implique un choc de cultures, de civilisations. Cela est nié car, selon
Babacar Ndiaye, « la Francophonie contredit toute idée de choc
des civilisations. »525 Ce qui veut dire qu'il n'y a pas
de choc de civilisations en Francophonie, mais des valeurs qui se contaminent
mutuellement et s'intègrent dans une tension commune où «
la langue française est une passerelle entre civilisations, cultures
et peuples »526 ; mieux, le véhicule de valeurs et
le facilitateur de dialogue entre les cultures. La langue française
peut-elle faciliter le dialogue des cultures en Francophonie ? Le dialogue des
cultures n'est-elle pas l'uniformisation des cultures ? Le dialogue des
cultures n'est-elle pas utopique ? Ce dialogue n'aboutit-il pas à la
Civilisation de l'Universel ? La Civilisation de l'Universel ne signifie-t-elle
pas uniformisation des cultures ? Si tel est le cas, la Francophonie serait
prise dans son propre jeu ou piège.
Rappelons qu'en Francophonie, la diversité culturelle
et linguistique se traduisent à la fois par la promotion du
français et de la diversité, et le respect des autres langues
pratiquées dans l'espace francophone. François Hollande affirme
que
La francophonie n'est pas un cadeau simplement de ceux qui
parlent français. La francophonie c'est un combat, un combat pour des
valeurs, un combat pour la culture, un combat pour la diversité. Nous
voulons donc ici, à l'occasion de cette visite d'État, promouvoir
la francophonie.527
Dans un monde guetté par l'uniformisation,
l'instauration d'un dialogue avec les autres aires linguistiques est un gage de
diversité. Et, comme la Francophonie qui « est l'exemple
par
522 Driss KHROUZ, « La diversité culturelle est
dialogue », Revue internationale et Stratégique, 2008/3
(n° 71), p. 70 (p. 69-72)
523 Idem., p. 72
524 Ibidem., p. 71
525 Babacar NDIAYE, « Interculturalité et paix : la
carte civilisationnelle huntingtonienne face au modèle senghorien de la
Francophonie », Éthiopiques, n° 71,
2ème semestre, 2002
526 Driss KHROUZ, op. cit., p. 70
527 François HOLLANDE, déclaration au musée
copte du Caire, 18 avril 2016, Disponible sur
http://www.elysee.fr/declarations/article/declaration-au-musee-copte-du-caire
125
excellence de la diversité linguistique
»528, parce que rassemblant des peuples sur les cinq
continents, sait l'enrichissement qu'apportent la diversité et le
dialogue des cultures et des langues. Raison pour laquelle, de la
défense du français comme langue universelle, on est passé
à la promotion de la diversité culturelle au dialogue des
cultures. À cet effet, Alexandra Aizier affirme
Alors qu'elle paraissait désuète aux yeux de
l'opinion publique, la francophonie refait surface et bénéficie
aujourd'hui d'une nouvelle visibilité dans les médias. Alors
qu'elle n'était associée qu'à la simple défense de
la langue française, mission qui pouvait sembler déplacée
dans un monde où toutes les barrières, toutes les
frontières tendent peu à peu à s'effacer, elle s'attache
désormais à la protection de la diversité culturelle et
à la promotion d'un « dialogue des cultures
»529.
Car, à « la Francophonie, c'est croire que la
diversité est indispensable à l'équilibre du monde
».530 Nous devons donc revisiter la Francophonie
d'Onésime Reclus et celle de Léopold Sédar Senghor pour
nous rassurer que la Francophonie est une notion de dialogue des cultures.
L'approche d'Onésime Reclus de la Francophonie est
marquée par son temps, où le dialogue des cultures tant
prôné aujourd'hui est quasi inexistant, voire passé au
second rang derrière une approche finalement assez nationaliste et
colonialiste, pouvons-nous en déduire des propos de Luc Pinhas
ci-dessous :
La persistance du rayonnement de la langue française,
langue de la raison et langue de l' « universel », en dépend
car les idiomes trop peu parlés céderont demain le terrain aux
langues « utiles », estime-t-il, tant il est persuadé de
l'importance du facteur démographique dans le devenir des
équilibres géopolitiques et linguistiques. C'est dans ce contexte
et dans ce dessein que Reclus forge le terme de « francophonie » et
se lance durant près de quarante dans une comptabilisation infatigable
des « francophones », et non avec une véritable volonté
d'établir grâce au français un dialogue des cultures, comme
certaines le laissent aujourd'hui à penser.531
Pour lui, il n'est pas question de dialogue des cultures ou
des langues, car, dans son entendement, la langue des puissants doit phagocyter
la langue des faibles ainsi que leurs cultures. Il est convaincu que «
[...] les langues des peuples colonisants finiront en tout pays par
étouffer les autres »532 langues. Dans les colonies
françaises, il fallait imposer le français
528 Thi Hoai Trang PHAN, « les défis de la
diversité culturelle et linguistique en francophonie », op.
cit., p. 57 Elle dit que « la diversité est
inhérente à la francophonie. Il suffit pour s'en convaincre de
regarder de près l'extraordinaire mosaïque des pays francophones
sur les cinq continents », p. 57
529 Alexandra AIZIER, « La Francophonie, entre `'
dialogue des cultures» et ambition politique au lendemain du sommet de
Beyrouth », Mémoire de fin d'étude, op.cit.
p. 3
530 Christian PHILIP, « Une Francophonie solidaire »,
Pourquoi la francophonie ?, op. cit., p. 64
531 Luc PINHAS, « Aux origines du discours francophones
», op. cit., pp. 81-82
532 Onésime RECLUS, France, Algérie et
Colonies, op. cit., p. 439
126
pour que ces colonisés aient le français comme
langue commune afin de mieux les contrôler, estime Onésime Reclus
:
Cette oeuvre consiste à assimiler nos Africains, de
quelque race qu'ils soient, en
un peuple ayant notre langue pour langue commune. Car
l'unité du langage entraîne peu à peu l'union des
volontés.533
À cet effet, François Provenzano affirme
La Francophonie (d'Onésime Reclus), dans cette
acception initiale, n'est donc pas un espace de partage, mais bien un projet
d'expansion. Autrement dit, le projet « francophone » de Reclus se
définit bien plutôt a) par sa perspective franco-centré, b)
par sa conception démographique et territoriale, c) par sa visée
impérialiste534.
La Francophonie d'Onésime Reclus est aussi une lutte
contre les autres grandes puissances linguistiques et économiques du
monde comme l'anglais, l'espagnol. Cela est souligné par François
Provenzano : « Le projet francophone [de Reclus] s'inscrit donc dans
une lutte de concurrence avec les autres grandes puissances linguistiques et
économiques du monde ».535 L'idée de partage
ou de dialogue des cultures, dans la Francophonie d'Onésime Reclus, est
un leurre que certaines personnes masquent aujourd'hui pour en faire une
réalité, c'est-à-dire on veut nous faire croire que la
Francophonie reclusienne est une notion de dialogue des cultures et de partage
linguistique tout en refusant d'admettre qu'elle est une soumission à un
impérialisme français, une arme contre les autres mondes
culturels et linguistiques. Comment, peut-on parler de dialogue des cultures si
Onésime Reclus estime que les langues des peuples colonisants
étoufferont les autres langues sachant qu' « avec une langue,
ce n'est pas qu'un outil de communication qui disparaît. C'est toute
culture et une représentation du monde qui sont englouties
»536 ? La Francophonie reclusienne est un facteur de
domination avec les risques inhérents de frustration et de rejet
engendrés par la colonisation. Elle est fille de la doctrine coloniale,
projet d'expansion coloniale au service de la France :
Tout pour l'Afrique ! La France doit faire en Afrique ce que
Rome fit dans le
monde ancien. Unification du langage ; routes & voies
ferrées ; hygiène des villes,
533 Onésime RECLUS, Un grand destin commence,
op. cit., p. 95
534 François PROVENZANO, « La `' Francophonie» :
définitions et usages », Quaderni, n° 62, op.
cit., p. 96
535 François PROVENZANO, « Francophonie et
études francophones : Considérations historiques et
métacritiques sur quelques concepts majeurs »,
PORTAL Journal of Multidisciplinary Studies, Vol. 3, n° 2, July
2006
536 Thi Hoai Trang PHAN, « Les défis de la
diversité culturelle et linguistique en francophonie », op.
cit. (loc. cit.), p. 65
127
fertilisation des déserts ; tolérance &
patience-grandeur future de l'empire africain-français.537
Seule une lecture rapide et dépourvue
d'objectivité peut faire de la Francophonie reclusienne une notion de
dialogue des cultures, comme le souligne Luc Pinhas :
Seule une lecture rapide et orientée peut donc faire de
cet auteur l'apôtre d'un « dialogue des cultures » tel que
prétend le promouvoir la Francophonie politique contemporaine et qui
apparaît au demeurant quelque peu anachronique à la fin du
XIXème siècle.538
Et Virginie Marie de dire que
L'étude approfondie de son ouvrage France,
Algérie et Colonies, consacré à la théorisation de
la colonisation républicaine à la fin du XIVème
siècle, met en avant l'idée d'un nationalisme convaincu,
assuré de préserver la langue française et la France d'un
éventuel déclin539.
Le français était, depuis l'antiquité, la
langue la plus parlée en Europe. C'était la langue universelle,
et voici, qu'à l'époque d'Onésime Reclus, le
XIXème, son règne touche visiblement à sa fin,
c'est-à-dire perd sa notoriété en Europe, voire dans le
monde. Onésime Reclus dit à ce sujet que
Le français jouit encore de la
prépondérance que lui firent, il y a deux cents ans, la splendeur
de la cour du Grand Roi, il y a cent ans l'esprit de ses écrivains, mais
cette royauté touche visiblement à sa fin : l'anglais passe au
premier rang, et derrière l'anglais s'avancent le russe, l'espagnol, et
même le portugais grâce au Brésil.540
Pour cela, semble-t-il, il faut imposer le français
dans ses colonies, dans le cas contraire, le déclin de l'idiome
supérieur, du langage le plus vif et le plus civilisé de
l'Europe, est inévitable.541 Et, Luc Pinhas de corroborer
cette idée :
Or, c'est au nom de ces valeurs universelles et du
progrès qu'elle (la France)
justifiera à ses propres yeux et à ceux du
monde, la colonisation et l'imposition de sa langue, elle-même «
universelle »542.
537 Onésime RECLUS, Un grand destin commence,
op. cit., (incipit)
538 Luc PINHAS, loc. cit., p. 70
539 Virginie Marie, op. cit., p. 58
540 Onésime Reclus, France, Algérie et
Colonies, op. cit. (loc. cit.), p. 419
541 Idem. p. 418
542 Luc PINHAS, op. cit., p. 75
128
Imposer, par extension, signifie forcer quelqu'un pour qu'il
accueille une personne ou pour qu'il accepte une chose. Et, cela exclut toute
sorte de dialogue possible. C'est cela le vrai visage de la Francophonie
d'Onésime Reclus : engloutir les langues indigènes, les autres
langues de l'Europe non civilisées pour l'hégémonie de la
langue et culture françaises. En dehors de la France, toutes ces
personnes, forcées à devenir ou à rester participants de
la langue française font partie de la Francophonie, et sont
appelées Francophones, selon Onésime Reclus. Au risque de nous
répéter, nous dirons que la Francophonie reclusienne est une
réflexion sur le destin colonial français, par conséquent,
il n'y a pas de dialogue de cultures, mais une coercition linguistique et
culturelle dans laquelle la langue française sera la langue des
vainqueurs, donc universelle. C'est un projet d'expansion coloniale et
d'assimilation.
L'approche de Léopold Sédar Senghor de la
Francophonie est marquée par un humanisme intégral. Il a
réussi à relier les valeurs du monde noir et du monde occidental
dans une symbiose harmonieuse, semble dit Koutchoukalo Tchassim :
Parallèlement à la mission de valorisation et
d'enracinement des moeurs africaines que s'étaient assignée la
négritude et les premiers écrivains, précurseurs de la
négritude se réalisait une autre, celle de la symbiose
harmonieuse des différences qui séparent le monde noir du monde
occidental543.
Mieux, estime Jean-Nicolas de Surmont,
D'un mouvement idéologique de décolonisation qui
touchera tout autant les pays
de l'Afrique centrale que le Québec, la
Négritude fait pour ainsi dire émerger un mouvement
institutionnel et culturel d'abord, celui de la Francophonie.544
À partir de la Négritude, et de l'union entre la
Négritude et la Francité, naîtra la Francophonie
senghorienne. Autrement dit, il s'inspire de la Négritude où le
dialogue des cultures est de mise pour définir la Francophonie, confirme
Stella M. A. Johnson :
La symbiose qui caractérise l'unicité de la
perception de Senghor quant à la Négritude (...) marque
également la définition de la Francophonie par cet homme de
Lettres. La Francophonie est pour lui un dialogue de cultures, un mariage voulu
des pays pauvres avec les pays riches, une collaboration des pays du Nord avec
les pays du Sud.545
En effet, la Négritude s'efforce à mettre en
évidence les valeurs africaines et leurs caractéristiques,
profondément importantes, permettant un apport pour la culture
occidentale,
543 Koutchoukalo TCHASSIM, op. cit., p. 44
544 Jean-Nicolas de SURMONT, op. cit., p. 96
545 Stella M. A. JOHNSON, « L'apport de Léopold
Sédar Senghor à la Francophonie », op. cit.
129
par leurs oppositions fondamentales, dans un but
didactique.546 La Négritude, chez Senghor est dialogue avec
l'Autre, constituée par l'ensemble des richesses culturelles du monde
noir qui doit être une source tout aussi première et vitale pour
la culture occidentale. C'est pourquoi, dira Petr Vurm que
La Négritude n'a pas pour objectif le combat mais la
coopération, la lutte mais la
communication, socle d'une « véritable union
» qui ne confond pas, mais enrichit en prenant en compte les
différences.547
La volonté de Léopold Sédar Senghor est
de faire communiquer, dialoguer toutes les cultures, en particulier celles de
l'Afrique et de l'Europe, parce que « la culture est toujours porteuse
du respect et de l'ouverture à l'autre, elle est écoute et
dialogue, non exclusion ou mépris »548. Chaque
culture possède ses savoirs, ses arts, ses arts de vivre, ses sagesses,
ses superstitions, ses tabous et ses illusions qu'il faut conserver et les
faire connaître. Senghor pense qu'en conservant sa culture, il faut aussi
songer à s'ouvrir, et ce, par le biais de la langue française. En
ce sens, Jacques Chevrier soutient qu'
Il lui faut à la fois conserver les vertus de
l'humanisme nègre et s'ouvrir à la
modernité par le biais de la langue française
considérée comme une arme précieuse et
efficace.549
Convaincu que les cultures donnent et reçoivent, et
dialoguent,550 Senghor propose la Francophonie qui résume sa
conception de dialogue des cultures :
La Francophonie est une culture qui dépasse la langue
seule, se conçoit comme le
moyen de faire participer les peuples qui font partie à
la civilisation de l'Universel, seule détentrice d'un certain nombre de
valeurs.551
Le monde noir, en participant au dialogue des cultures, doit y
apporter quelque chose d'essentiel à la Civilisation de
l'Universel552, à en croire Tanella Boni :
Il a ferme conviction que le monde noir apporte quelque chose
d'essentiel à la
« Civilisation de l'Universel », là où
chaque culture donne aux autres ce qu'elle a de
546 Confère Aude BÉLIVEAU, « La
Négritude : une affirmation de soi pour le peuple noir »,
Disponible sur
http://www.urban-culture.fr/documentation/la-negritude-.pdf
547 Petr VURM, op. cit., p. 55
548 Hervé BOURGES, « Pour une reconnaissance de la
francophonies », p. 5
549 Jacques CHEVRIER, « Senghor militant de la Francophonie
», op. cit.
550 Cf. Liberté I à V
551 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
Français en partage », Les 50 plus belle histoires,
Timée Édition, novembre 2004
552 Confère Ce que l'homme noir apporte de
Léopold Sédar SENGHOR, in Liberté I.
130
meilleur. La culture noire apporte le rythme, la vie,
l'énergie, là où la culture occidentale est clarté,
raisonnement, distinction cartésienne553.
La conception de Senghor du dialogue des cultures va de pair
avec la Civilisation de l'Universel. Héritée de Teilhard de
Chardin, la Civilisation de l'Universel n'est pas une fusion de toutes les
civilisations en une seule ; ce n'est non plus l'unicité ou
l'uniformité des cultures et civilisations, mais l'acceptation de ce que
la culture de l'Autre a de positifs et de profitables pour enrichir sa propre
culture. C'est en ce sens que Koutchoukalo Tchassim dit que
[...] la civilisation de l'universel serait donc une
interpénétration des civilisations qui donne des civilisations
hybrides acceptées par toute la race humaine. C'est une civilisation
planétaire qui s'enrichit du « métissage » des
cultures, chacune apportant aux autres son génie particulier et qui,
ainsi, accomplit et parachève l'unité de l'aventure
humaine554.
Chez Léopold Sédar Senghor, « la
civilisation universelle est une civilisation qui inclut la civilisation et la
culture africaine éliminée jusqu'ici »555
dont la Francophonie en est l'expression. Mieux, « la civilisation
universelle doit donc nécessairement s'inspirer de la civilisation
négro-africaine »556. La Francophonie est, en ce
sens, l'expression du modèle culturel que l'Afrique veut tisser avec les
autres cultures. La culture africaine se veut la soeur des autres cultures du
monde, elle se veut être au même titre d'appréciation que
les autres cultures. Et cela est possible à travers la Francophonie qui
est un concept rassembleur de cultures diverses, l'expression la plus
synthétique du dialogue des cultures, du rendez-vous du donner et du
recevoir. C'est ce qu'amène Senghor à affirmer :
[...] comme eux, nous pouvons, au « rendez-vous du donner
et du recevoir » que
constitue la Francophonie, rendre, au génie
méditerranéen une partie au moins de ce qu'il nous a
donné557.
Et d'ajouter,
Ce que la France nous a apporté d'essentiel,
d'irremplaçable, plus qu'aucun pays d'Europe, c'est « l'esprit de
méthode et d'organisation » comme j'aime à le dire, ou pour
parler comme le rapport de Jeanneney, « un mode d'expression et une
méthode de pensée ». Pour m'en tenir à l'Afrique,
celle-ci a, depuis le début du siècle, beaucoup
553 Tanella BONI, « La Francophonie : espace et temps de
partage ? », op. cit.
554 Koutchoukalo TCHASSIM, op. cit., p. 42
555 Toba MISUZU, op. cit., p. 110
556 René GNALÉGA, Senghor et la civilisation de
l'universel, L'Harmattan, 2013, p. 157
557 Léopold Sédar SENGHOR, « la Francophonie
comme culture », op. cit., p. 140
131
apporté, singulièrement dans les domaines des
Arts plastiques, de la Musiques et de la Poésie, sans oublier la Danse
[...]558
Cet échange culturel des peuples, des nations, est la
Civilisation de l'Universel559, dans laquelle la langue
française n'est pas seulement la langue des Français, mais le
vecteur d'une culture de l'Universel, parce que le français peut
être l'expression de cultures autres que françaises. C'est le
souhait de Senghor, pense Ibrahim Diop :
Senghor présente la Civilisation de l'Universel comme
l'expression de la diversité dans l'unité, c'est-à-dire
que tous les peuples, toutes les nations prennent part à un
échange transnational, universel et interculturel avec leurs
idées et valeurs linguistiques et culturelles560.
L'échange culturel ou le dialogue des cultures serait
pour Senghor un tremplin pour faire dialoguer la culture africaine, la
Négritude, avec la culture française, la Francité. C'est
la raison pour laquelle, Gabriel de Broglie dit que la Francophonie
senghorienne est « l'ensemble des valeurs exprimées par la
langue, par la civilisation française au premier rang, mais aussi les
autres civilisations de langue française. »561 De
ce fait, nous comprenons maintenant la raison latente de l'affirmation de
Stanislas Adotevi, à propos de la Négritude senghorienne : «
c'est la manière noire d'être blanc »562,
parce que la Francophonie que propose Senghor est un réceptacle
où dialoguent Négritude et Francité. En d'autres mots,
elle est une notion de dialogue des cultures dans laquelle la Négritude
affirme l'aptitude de la Francité à exprimer le génie
noir, la culture et la civilisation africaines, et des autres cultures et
civilisations, d'où l'assertion de Senghor ci-dessous :
La Francophonie est l'usage de la langue française comme
instrument de
symbiose, par-delà nos propres langues nationales pour
le renforcement de notre coopération culturelle et technique,
malgré nos différentes civilisations563.
Le fait de promotionner le français puis d'encourager
le dialogue des cultures et le plurilinguisme ne représente pas un
paradoxe en soi chez Léopold Sédar Senghor, car il n'avait aucun
complexe d'ancien colonisé, et le français était aussi sa
propriété. En réalité, il s'agit
558 Léopold Sédar SENGHOR, « De la
Francophonie », op. cit.
559 C'est la raison pour laquelle René GNALÉGA
dira que « cette civilisation de l'universel ne se fait pas par
l'absorption des valeurs d'autres civilisations. » (Senghor et la
civilisation de l'universel, p. 157)
560 Ibrahim DIOP, « Senghor entre Francophonie et dialogue
interculturel » ; op. cit., p. 11
561 Gabriel de BROGLIE, « Senghor ou la
nécessité de la langue française », discours
prononcé le mardi 5 mars en hommage à L. S. Senghor à
l'Académie des Sciences Sociales et Politiques, p. 95
562 Stanislas ADOTEVI, Négritude et
négrologues, Paris, Union générale d'édition,
1972, collection 10/18, p. 207
563 Selon J. TShisunguwa TSHISUNGU, op. cit.
132
pour lui de proclamer à travers la langue
française son attachement aux valeurs de la Négritude et de la
Francité. La Négritude senghorienne n'est point une fiction. Elle
est le fil secret qui s'y brode, parachève, au-delà de l'histoire
coloniale, l'union des contraires, le métissage culturel par le biais de
la langue française. Ainsi, la Francophonie senghorienne doit sentir
nègre et s'exprimer tout simplement en français. De ce fait, le
dialogue des cultures chez Senghor est le fait de sentir et de vivre sa
Négritude, son Arabité, sa Canadanéité, sa
Québécité, sa Sénégalité, son
Ivoirité, sa Corsitude, sa Basquitude,... et de s'exprimer tout
simplement en français, une langue riche des apports
linguistico-culturels des Francophones. En fait, Senghor prône une
culture francophone, dite la Civilisation de l'Universel. Avec sa conception de
Francophonie, on sait ce qui implique davantage la notion de dialogue des
cultures, qui, auparavant, était l'essence même de sa
Négritude. Senghor se convainc et convainc les autres de la
nécessité de faire de la Francophonie un humanisme de
synthèse de toutes les cultures à la fois unies et diverses,
répandues sur toute la terre. Dans une vision humaniste564 de
dialogue culturel, Senghor oriente la Francophonie, héritée
d'Onésime Reclus.
C'est à partir de la conception senghorienne de la
Francophonie que le dialogue des cultures est prônée, parce que
conscient, aujourd'hui, que la rencontre des peuples de civilisations
différentes au cours de l'histoire a donné des mutations
profondes, et que la langue unique est impossible. La Francophonie senghorienne
devient ainsi un modèle par excellence d'échange d'idées
qui prend en considération la particularité et
l'individualité de chaque personne ou nation dont le médium est
la langue française qui sera enrichie des apports linguistico-culturels
des autres peuples ou nations. On voit bien comment une initiative culturelle,
une décision de solidarité, de dialogue des cultures et de
partage d'une même langue étaient aux sources mêmes de la
Francophonie senghorienne. Cette conception est-elle comprise en ce
vingt-et-unième siècle où l'on parle de mondialisation ou
de globalisation ?
Dans ce vingt-et-unième siècle, la Francophonie
(OIF) relève les défis de la mondialisation. Elle accueille en
son sein des membres qui n'ont jamais été des colonies
françaises ou belges afin de justifier la diversité culturelle et
linguistique. Pour y arriver, elle devrait effacer toutes les traces de la
Francophonie d'Onésime Reclus, de la Communauté Française
et du pacte colonial qui en découlent, comme le souhaite
Bégong-Bodoli Betina565 ; elle ne devrait pas être un
instrument pour véhiculer les idéaux en cas de besoin de
certains
564 « Il ne faudrait rappeler que ce sens humaniste de
la Francophonie provient avant [tout] d'africaniste et constitue pour ainsi
dire un prolongement du mouvement de la négritude », nous dit
Jean-Nicolas de SURMONT, op. cit., p. 95
565 Bégong-Bodoli BETINA, op. cit.
133
États et gouvernements566, mais soucieuse du
devenir de la culture, c'est-à-dire ce qui concerne les langues, les
religions, les valeurs et les patrimoines culturels. Un pas a
déjà été effectué avec l'adoption de la
convention de la diversité linguistique et culturelle par Unesco dans
laquelle « la Francophonie a refusé que les biens et services
culturels soient assimilés à des marchandises comme les autres.
»567La Francophonie du vingt-et-unième
siècle doit accepter les « idéaux francophones
aujourd'hui reconnus, tels que le dialogue des cultures, la conception
européenne des libertés et de la démocratie,
l'universalité des droits de l'homme, la diversité culturelle et
linguistique, la primauté de l'éducation...
»568 Elle ne devrait pas être également
« aux antipodes du projet francophoniste senghorien.
»569 Au contraire, elle devrait être, dans ce
siècle de mondialisation, un état d'esprit, un réceptacle
où viennent germer les différentes cultures. Elle devrait cesser
d'être une politique trop souvent au service des intérêts
des États et d'être un instrument de la France comme l'affirme
Jean-Marie Borzeix570, pour être «
véritablement un état d'esprit »571. La
conception senghorienne de la Francophonie est le fait de permettre le dialogue
des cultures dans une langue enrichie des apports de divers horizons, ou de
faire la promotion de la diversité culturelle et le partage d'une
même langue ; or aujourd'hui la conception contemporaine de la
Francophonie prétend promouvoir la diversité linguistique et
culturelle, et lutter contre la langue unique. C'est ce que dit Thi Hoai Trang
Phan :
La Francophonie mène combat, au local comme à
l'international, pour la diversité
linguistique et contre la langue unique, voulue par ceux qui,
au nom de l'efficacité, choisissent l'uniformité pour
accéder à l'universel.572
Selon les dires de Thi Hoai Trang Phan, la Francophonie est
contre une langue unique, mais pour une diversité de langues. Que
pourrons-nous dire de Senghor qui parle de partage d'une même langue ?
Partager une même langue n'est-il pas avoir une langue unique ? Cela nous
laisse perplexe si nous passons au peigne fin la conception senghorienne de la
Francophonie.
566 Florent PARMENTIER relève un paradoxe dans l'attitude
de la France vis-à-vis de la Francophonie : « Il y a d'ailleurs
un paradoxe dans le fait que la France a pu utiliser la Francophonie comme
levier pour faire reconnaître le principe de la diversité
culturelle, alors même qu'elle ne le reconnaît pas suffisamment
chez elle, et dans l'espace francophone. » (« À quoi sert
la Francophonie à l'heure de la mondialisation ? » Terre
Nova-la note, p. 5)
567 Thi Hoai Trang PHAN, « des dynamiques de la Francophonie
», op. cit.
568 Idem.
569Aurélien YANNIC, « la francophonie
et le dialogue des cultures : De l'exception culturelle à la convention
de l'UNESCO », p. 8
570 Jean-Marie BORZEIX, « Notre nouvelle frontière
», Après Demain, op. cit., p. 15 (Cette
idée est partagée par Florent Parmentier, déjà
cité).
571 Bruno BOURG-BROC, « Une Francophonie parlementaire
», Après Demain, op. cit., p. 28
572 Thi Hoai Trang PHAN, « Les défis de la
diversité culturelle et linguistique en Francophonie », op.
cit., p. 66
134
Senghor convie le monde au dialogue culturel et au partage
d'une même langue, ce qui sous-entend exprimer nos diversités
culturelles à travers la langue française qui s'accommode
à ou de la réalité de ce monde. Nous ne devons pas nous
laisser éconduire par cette dichotomie d'idées et de conceptions.
La Francophonie senghorienne s'adresse au monde francophone. En ce
vingt-et-unième siècle, la Francophonie contemporaine -OIF-
devrait être un exemple pour les autres aires linguistiques et
culturelles, et symboliser, au-delà de la langue, la diversité
afin de permettre effectivement le dialogue des cultures, concept cher à
Léopold Sédar Senghor. Il faut qu'elle offre une garantie de
diversité culturelle et linguistique en son propre sein573.
L'essentiel en la Francophonie senghorienne est que la culture et la langue
françaises doivent se greffer aux langues et cultures autochtones. Elle
est également un modèle de dialogue proposé à la
communauté des parlants français d'abord, et puis aux autres, en
ce vingt-et-unième siècle, tout en refusant toute idée
d'assimilation imposée574 comme modèle à
imiter, et du néocolonialisme de certains ferrystes, voire gaullistes,
nostalgiques du passé glorieux de la langue française et de la
fougue aveuglante de conquête de la France.575
À l'origine de la Francophonie, il n'était pas
question de dialogue des cultures. Au contraire, il s'agissait de phagocyter
les autres cultures et langues pour la langue et culture françaises. Par
la Francophonie, Onésime Reclus préconisait à la France de
soumettre sa langue et sa culture à ses colonies. L'approche du dialogue
des cultures, voire linguistique chez Onésime Reclus, est souterraine,
marquée par la réflexion sur le destin colonial français.
La Francophonie devrait, ainsi, être l'outil culturel et linguistique de
la France impérialiste pour faire adopter sa langue et sa culture par
ses colonies afin de barrer la route à l'avancement de l'anglais, de
l'espagnol... Elle devrait engloutir les langues indigènes, les autres
langues de l'Europe, considérées comme non civilisées pour
faire émerger le français. C'est l'idée qui sous-tend la
Francophonie reclusienne et non le dialogue des cultures.
Parler de dialogue des cultures en Francophonie revient
à Léopold Sédar Senghor. En effet, Senghor replace la
notion de dialogue dans un contexte universel, parce que dans son entendement,
la Francophonie dépasse le critère racial et englobe toutes les
races du monde par
573 Michel GUILLOU, « la Francophonie dans la mondialisation
», op. cit., p. 5
574 Nicolas SARKOZY dans son livre Tout pour la France,
à propos des immigrants, dit : « Je crois utile de leur imposer
l'assimilation et non pas seulement l'intégration. » (Le
Journal de France 24, du mardi 23 août 2016). Nous estimons que
c'est ce genre d'idée que la Francophonie du XXIème
siècle doit combattre.
575 Ici, nous faisons une interprétation de ce qu'a dit
Emmanuel Macron, lors de son investiture le 14 mai 2017 : « Les
français ont choisi l'espoir et l'esprit de conquête. »,
France 24, émission en direct le 14 mai 2017
135
rapport à la Négritude. En fait, le dialogue des
cultures était l'essence même de sa Négritude. Soucieux du
fait que toutes les cultures se sont enrichies par leur contact mutuel, que la
race noire peut apporter sa contribution aux autres races, Senghor va donc
universaliser les notions développées en sa Négritude.
Ainsi, avec la Francophone, la notion de dialogue des cultures retrouve sa
résonance la plus forte. Ce dialogue des cultures aboutira à la
Civilisation de l'Universel. Cette civilisation consiste à gérer
les différences pour aller vers les autres, à préserver
les identités des cultures à travers la langue française
qui s'enrichira au contact des autres langues, en particulier les langues
africaines, dans un processus de promotion réciproque. Dans la
continuité de la Francophonie senghorienne, la Francophonie
contemporaine ou du XXIème siècle devrait relever les
défis de la mondialisation.576
Cette Francophonie prétend s'opposer à
l'établissement d'un mode de vie uniformisée oubliant qu'elle
joue un rôle incontesté dans la promotion de la langue
française. Du discours à l'acte, une suite de dichotomies, si
l'on s'en tient aux discours. De ce fait, peut-on dire que la Francophonie est
un concept qui se cherche une définition, et qui cherche
également à faire du discours une réalité
concrète et sociale, joignant l'acte à la parole, une sorte de
praxis. Comment peut-on prétendre être contre l'uniformisation,
contre le fait d'avoir une langue unique, et faire la promotion d'une seule
langue qui sera enrichie des apports linguistico-culturels des autres peuples ?
Cela explique son ambiguïté. En fait, il n'existe pas de
véritables confusions de sens, elle s'efforce à être
conforme et fidèle à la conception senghorienne. Pour relever les
défis de la mondialisation de ce vingt-et-unième siècle,
nous proposons que la Francophonie soit un état d'esprit qui,
au-delà de la langue française, symbolisera la diversité
linguistique et culturelle afin de permettre effectivement le dialogue des
cultures. C'est-à-dire un concept de diversité linguistique dont
l'idéologie serait le dialogue entre les cultures ainsi qu'entre les
langues. Elle devrait s'efforcer également à ne pas être
trop française, à ne pas être trop politique, à ne
pas être au service d'un quelconque État.
Chez Onésime Reclus, le dialogue des cultures n'a
jamais existée, mais chez Léopold Sédar Senghor surtout.
Celui-ci a voulu faire de la Francophonie une notion de dialogue des cultures,
parce que convaincu que la Négritude et la Francité pouvaient
dialoguer. On est sans savoir que les langues et les cultures, lorsqu'elles
dialoguent, il y a toujours un choc, et la plus forte phagocyte les plus
faibles, les engloutit. C'est la raison pour laquelle nous estimons que la
notion de dialogue des cultures en Francophonie est un imaginaire.
576 Michel GUILLOU, Francophonie : Demain il sera trop
tard, p. 8
136
Par conséquent, pour qu'elle soit une
réalité, pour qu'elle soit l'outil d'une mondialisation
respectable des identités culturelles de chacun, elle devrait estomper
toute tentative de promotion de la langue française et permettre les
autres langues d'évoluer, surtout les langues africaines, afin qu'elles
soient sur le même pied que l'anglais, le français,... Elle
devrait permettre la libre circulation des peuples, sans leur imposer un
quelconque visa, dans les pays membres de l'OIF. Lorsqu'il y a effectivement la
libre circulation, la diversité linguistique est possible. Et, quand il
y a une diversité linguistique, on peut alors parler de diversité
culturelle. S'il y a une diversité culturelle, le dialogue des cultures
est certain. Ce sont ces défis que la Francophonie contemporaine devrait
relever en ce vingt-et-unième siècle afin de prévenir les
risques de dérive que peut engendrer la mondialisation.
137
Nous avons voulu comprendre les raisons de la
conceptualisation de la Francophonie chez Onésime Reclus et
Léopold Sédar Senghor, considérés comme les
pères fondateurs de la Francophonie. Pour y arriver, trois chapitres ont
meublé cette partie du travail.
Dans le premier chapitre, il a été question de
la Francophonie d'Onésime Reclus et de la Revue Esprit. Parlant
de la Francophonie reclusienne, nous retenons qu'elle est, à la fois, un
projet d'expansion coloniale et une solution proposés pour
préserver le français d'un honteux déclin. Selon
Onésime Reclus, un grand nombre de locuteurs peut sauver une langue en
péril. Pour cette raison, la France doit compter sur les locuteurs de sa
langue pour son rayonnement. Ce sont ces locuteurs potentiels, hormis les
Français et les Belges, qui sont appelés Francophones. L'ensemble
de ces Francophones forme la Francophonie. Quant à la revue
Esprit, elle ressuscite la Francophonie de ses cendres, car depuis
Onésime Reclus, l'on ne parlait plus de Francophonie. Avec la revue, les
auteurs n'ont pas véritablement définir la Francophonie. Seul
Léopold Sédar Senghor, l'un des auteurs, a pu en donner une
définition. Cependant, ces auteurs ont voulu que les autres pays aident
la France à défendre le français, car, selon eux, cette
langue n'est plus la propriété exclusive de la France. C'est
l'histoire qui en a voulu ainsi. Pour eux, la France et les autres pays qui
utilisent le français doivent être réunis au sein d'une
communauté à la fois culturelle, linguistique et politique. Cette
communauté est nommée Francophonie par les auteurs de la revue.
La volonté de ceux-ci, de créer une communauté des
Francophones, est due à la situation du français, après la
décolonisation des pays africains, sur l'échiquier politique
international. De ce fait, nous estimons que la Francophonie de la revue
Esprit était une communauté naissante.
Le deuxième chapitre a permis de mettre en
évidence la conception senghorienne de la francophonie et de voir dans
quelle mesure elle est une exaltation de la Négritude. Pour Senghor, le
choix de la Francophonie est d'ordre culturel et linguistique. Cependant, nous
avons montré que la Francophonie senghorienne est influencée par
les idéaux de la Communauté française et de la
Francité. Dans le souci de remplacer la Communauté
française qui a échoué, Senghor propose la Francophonie.
Cette Francophonie est alimentée par son amour de la langue et de la
culture française. Ce n'est pas une raison pour lui de renier les
langues et cultures africaines. Selon lui, la langue française peut
exprimer les valeurs culturelles négro-africaines sans leur faire perdre
leurs identités culturelles. Senghor entend par la Francophonie,
l'exaltation de la Négritude, c'est-à-dire la Francophonie doit
honorer les valeurs culturelles négro-africaines prônées
par la Négritude. La Francophonie senghorienne est alors le
138
prolongement de sa Négritude. Elle est le
résultat de l'addition des idéaux de la Communauté
française, de la Francité et de la Négritude.
Quant au troisième chapitre, il était question
de savoir si la Francophonie était vraiment un concept d'enracinement et
d'ouverture, et une notion de dialogue des cultures. Pour répondre
à nos préoccupations, nous avons à nouveau
interrogé la Francophonie reclusienne et senghorienne. La Francophonie
qu'elle soit d'Onésime Reclus ou de Léopold Sédar Senghor,
est un concept d'enracinement et d'ouverture. Chacun a sa manière
d'appréhender le concept ou le mot. Chez Onésime Reclus, la
Francophonie signifie que la France, en autarcie linguistique et culturelle
(enracinement), doit accepter de s'ouvrir afin d'apprendre d'autres langues, et
d'imposer la sienne dans ses colonies (ouverture). C'est en quelque sorte
l'enracinement et l'ouverture chez lui. On peut aussi parler de dialogue des
cultures chez lui, si on tient compte du fait qu'il invite la France à
apprendre d'autres langues. Cela est insuffisant et ne couvre point toute sa
Francophonie. De ce fait, nous avons estimé qu'il n'y a pas, à
proprement parler, de dialogue des cultures chez Onésime Reclus. Chez
Léopold Sédar Senghor, l'enracinement et l'ouverture sont
l'épine dorsale de sa Francophonie. Il convie chaque peuple à
s'enraciner dans sa culture, dans sa langue pour s'ouvrir aux autres. Avec le
français, l'Afrique a pu s'ouvrir sur l'extérieur oubliant
parfois sa propre culture. C'est pour cette raison qu'elle doit revenir
à ses sources pour mieux connaître sa culture, sa langue qui
définit son identité. L'Afrique doit se redécouvrir par un
retour à ses sources. L'enracinement et l'ouverture, c'est d'être
soi pour s'acculturer de l'autre. Quant au dialogue des cultures, il pense que
les cultures peuvent dialoguer, et ce dialogue devra aboutir à la
Civilisation de l'Universel. En fait, le dialogue des cultures chez Senghor se
veut universel.
Il n'est pas facile de donner la définition exacte de
la Francophonie, étant donné que ses visions et ses objectifs
sont multiples ; que les discours et les actions sont contradictoires.
Cependant, retenons que la Francophonie reclusienne est un concept pour la
survie de la langue française ; celle de la revue Esprit un
projet de civilisation humaine d'une communauté, qui se définir
vaguement comme telle. La Francophonie senghorienne, quant à elle, est
un concept d'humanisme issu de la Francité et de la Négritude. La
Francophonie est le fait de personnes nostalgiques du glorieux passé de
la langue française, et résignées à accepter ce que
l'histoire a fait d'elles tout en y intégrant le peu de ce qui leur
reste comme culture d'origine. Ce point de vue est fort discutable, car il y a
encore des personnes, pour ainsi dire, qui refusent d'admettre
l'évidence. Au moins, qu'elles reconnaissent que la crise de la langue
française, le devenir de cette langue, est la raison pour laquelle,
d'Onésime Reclus à Léopold Sédar Senghor, en
passant par la revue Esprit, les pays où elle est parlée
et utilisée se sont engagés à mener un combat
139
définitif en faveur de la langue française
à l'encontre du laisser-faire linguistique qui surfe sur la vague d'une
mondialisation uniformisante et dérégulée. Est-ce vraiment
la lecture que ferait un observateur ou un critique de la Francophonie aux
siècles à venir ? Pour avoir une lecture nette de la Francophonie
en ce siècle, il faut revenir à la Francophonie de Léopold
Sédar Senghor. En fait, il est celui qui a le plus
théorisé l'idée de Francophonie.
À une Francophonie assimilatrice et colonialiste
d'Onésime Reclus, celle de Léopold Sédar Senghor est
soucieuse d'intégrer les mots, les valeurs culturelles et les images
venus de divers horizons. Mieux, celle de Senghor est une culture ouverte,
enrichie des valeurs linguistico-culturelles dans la reconnaissance des autres
cultures et langues. Ce n'est pas dans ses cinq tomes de Liberté
ni dans ses autres articles et discours qu'il faut aller chercher le sens
de la Francophonie. C'est à travers une lecture de ses oeuvres
poétiques qu'il fallait donc se tourner pour mieux appréhender la
signification de la Francophonie. Pourquoi une lecture de ses oeuvres
poétiques, sachant qu'elles ont été attestées comme
étant des oeuvres illustratives de la Négritude ? C'est une
question pertinente. Si nous estimons qu'il faut revenir aux oeuvres
poétiques de Léopold Sédar Senghor, c'est que la
Négritude n'est pas la finalité de sa poésie. La
finalité est d'aboutir, peut-être, à la Francophonie,
expression plausible de la Civilisation de l'Universel. Autrement dit, la
poésie senghorienne, marquée par le sceau de la Négritude,
ne s'est pas limitée à l'exaltation des valeurs culturelles
négro-africaines, mais elle a fait une ouverture sur les autres valeurs
culturelles, autres que celles de l'Afrique. La poésie senghorienne en
magnifiant l'Afrique reste ouverte aux apports culturels des autres cultures.
Cette poésie avait pour finalité l'ouverture culturelle,
c'est-à-dire la Francophonie. Alors, comment cette Francophonie, se
déploie-t-elle dans la poésie senghorienne ? Nous
procédons à la lecture de la Francophonie, et voir comment elle
se déploie, de façon souterraine, dans la poésie de
Senghor.
PARTIE II :
LA FRANCOPHONIE DANS LA POÉSIE DE LÉOPOLD
SÉDAR SENGHOR
141
La poésie de Léopold Sédar Senghor
exprime la Négritude, la symbiose culturelle, la Civilisation de
l'Universel, le rendez-vous du donner et du recevoir, le métissage
racial, le brassage, le dialogue des cultures, l'unité des
éléments cosmiques, l'amour et le pardon... Tous ces concepts
étudiés dans l'oeuvre poétique de Léopold
Sédar Senghor par d'autres renvoient à une seule
réalité : la Francophonie.577 Autrement dit, en
ouvrant la Négritude aux autres cultures, aux autres races, aux
frères, aux autres hommes, et en nous invitant à la convergence
panhumaine, à la Civilisation de l'Universel, Senghor fait de la
Négritude de ghetto une Négritude ouverte578. Cette
Négritude ouverte est chez lui la Francophonie. La Francophonie : mythe
ou réalité, mystification ou démystification, politique ou
culturelle... ? Questions légitimes, hésitations fondées.
Pour y voir clair, il faut rappeler qu'elle est d'abord un mot, un nom issu de
la langue française, formé de la racine « franco »
(France) et du suffixe « phonie » (voix), signifiant la voix de la
France, inventé pour illustrer l'hégémonie de la France
sur ses colonies par le biais de sa langue. Elle sera étudiée
dans cette partie, et ce, à travers les textes poétiques de
Léopold Sédar Senghor.
Aujourd'hui, tout le monde est unanime, même si l'on n'a
pas véritablement entrepris une étude dans ce sens, que les
oeuvres poétiques de Léopold Sédar Senghor sont aussi
marquées par le sceau de la Francophonie, comme l'affirme Mamadou Bani
Diallo. Il dit à ce propos que « l'oeuvre et la pensée
de Léopold Sédar Senghor semblent marquées par le sceau de
la Francophonie et de la Négritude [...] »579. La
même idée est reprise par Lavodrama Philippe qui affirme qu'
« [il] ne l'a pas seulement défendue, mais également
illustrée par son oeuvre littéraire et poétique. Ce
zèle et cette fidélité sans faille ont fait de lui la
figure emblématique de la francophonie [...] »580.
Cette idée est également soutenue par Ibrahim Diop. Celui-ci
stipule que « Négritude, Francophonie et dialogue des cultures
sont des concepts chers à Senghor et qui cristallisent la quintessence
de son oeuvre littéraire et poétique »581.
Il l'accentue en disant que « Senghor s'est approprié ces
valeurs et efforcé dans son oeuvre littéraire et poétique
de promouvoir aussi bien la diversité culturelle, le multiculturalisme
que l'altérité. »582 Petr Vurm corrobore
cette idée en l'enchérissant : « [...] il a toujours
cherché à
577 Adou BOUATENIN, La poétique de la
Francophonie, op. cit., p. 107
578 Léopold Sédar SENGHOR, Poésie de
l'action, op. cit., p. 107 (Voir également Nadia
Yala Kisudiki, « Négritude et philosophie », Rue Descartes
2014/4 (n°83), p. 4)
579 Mamadou Bani DIALLO, loc. cit.
580 Philippe LAVODRAMA, loc. cit., pp. 182-183
581 Ibrahim DIOP, loc. cit., p. 8
582 Idem. p. 15
142
concilier les apports de la civilisation
gréco-romaine et les apports de la civilisation négro-africaine,
la culture animiste et la religion chrétienne, la négritude et la
francité et rêvait d'une civilisation de l'universel. La
création de la Francophonie, qu'il a longtemps appelée de ses
voeux en sera l'aboutissement. »583. C'est avec Fernando
Lambert que nous allons conclure lorsqu'il dit que « ces trois mots
?négritude?, ?francité ou francophonie? et ?civilisation de
l'Universel? constituent en quelque sorte les grandes axes de sa poésie,
de sa pensée philosophique et politique, de son action de chef
d'État et de toute sa vie. »584 Ces discours sont
convaincants, mais le problème est que ces auteurs n'ont pas
abordé les oeuvres de Senghor pour justifier l'idée selon
laquelle la poésie senghorienne est aussi l'expression de la
Francophonie585.
La seule question que l'on peut se poser et qui semble
pertinente est de savoir les caractéristiques de cette Francophonie.
Mieux, comment peut-on appréhender la Francophonie dans la poésie
de Léopold Sédar Senghor ? À cette question peuvent en
découler d'autres questions aussi pertinentes les unes des autres.
Cependant, nous estimons nécessaire de retenir une seule : Pourquoi la
poésie de Senghor ? La poésie de Léopold Sédar
Senghor, parce que nous pensons trouver les antécédents ou les
motivations qui ont participé à l'élaboration de la
Francophonie. Ces antécédents ou ces motivations
trouvé(e)s nous permettent d'appréhender le vrai sens de la
Francophonie.
L'une des raisons est que les oeuvres poétiques sont
antérieures à la manifestation, pour ainsi dire, de la
Francophonie. Elles sont les mieux placées pour nous
révéler que Senghor a élaboré la Francophonie de
façon inconsciente dans ses poèmes. À partir des oeuvres
poétiques de celui-ci, nous allons rechercher « les
associations d'idées involontaires sous les structures voulues du texte
»586, voire « certaines régularités
probablement non voulues par l'auteur »587 pour déceler la
manifestation de la Francophonie afin de mettre en lumière sa
signification. Pour que ces idées aient « une origine
probablement inconsciente, il faudrait démontrer [leur] caractère
obsessif. »588 Pour y parvenir, nous recourons à la
psychocritique de Charles Mauron589.
La psychocritique repose, en effet, au moins sur quatre
principes. Ce sont :
583 Petr VURM, op. cit. p. 57
584 Fernando LAMBERT, « Centenaire de la naissance de
Léopold Sédar Senghor », Dossiers
Thématiques,op. cit., p. 356 (pp. 354-356)
585 Cela a été la problématique de notre
mémoire de master et l'est également pour notre thèse.
Nous tenterons de le justifier à travers les oeuvres poétiques de
Léopold Sédar Senghor.
586 Charles MAURON, Des métaphores obsédantes
au mythe personnel, op. cit., p. 23
587 Idem, p. 26
588 Ibidem, p. 39
589 Cette théorie a été expliquée
dans l'introduction générale.
1.
143
Le principe de constance : la
répétition590.
2. Le principe d'anomalie : le caractère inattendu des
mots employés.
3. Le principe de cohérence : la structure bâtie
autour d'un thème.
4. Le principe de correspondance : le rapport entre le mythe
personnel et la biographie. Le respect de ces principes permet de mieux
appliquer la théorie de Charles Mauron. « En usant
[donc] de la psychocritique qui par la superposition des
textes vise à trouver l'invariant qui structure la pensée de
l'auteur »591, nous allons voir apparaître des
réseaux d'associations d'images obsédantes, et probablement
involontaires, qui se répètent. Ces réseaux sont
appelés des métaphores obsédantes. Or « les
métaphores récurrentes d'un poète finissent par dessiner
des lignes de force qui déterminent les idéaux profonds qui le
hantent, les modèles qu'il se rêve. Rassemblées en
faisceaux, ces tendances constituent ce que Charles Mauron, l'inventeur de la
psychocritique, appelait le mythe personnel du poète.
»592 Avec la psychocritique, nous pouvons dire que le
modèle que Senghor rêve est la Francophonie. Cependant, cette
théorie « requiert donc en principe une double analyse :
linguistique (ou mieux rhétorique) et psychologique
»593. Charles Mauron ne dénie pas cette
réalité. En fait, il dit que « le psychocritique, pour
sa part, ne perd pas les textes de vue. Il s'est promis d'en accroître
l'intelligence et ne réussira que si son effort y rencontre celui des
autres disciplines critiques. Sa fonction propre est de relier une science
à un art, il échoue s'il perd le contact avec l'un ou avec
l'autre. »594 Pour ne pas déroger à cette
règle, nous allons faire appel à la linguistique, en
général, et à l'énonciation de Catherine
Kerbrat-Orecchioni, en particulier595.
« Toute expérience en effet laisse une trace,
une inscription modulée. Le manque s'inscrit, lui aussi, comme
élément faisant partie de notre vie de désir. Des pertes
symboliques promues par la parole et portées dans le langage,
s'écrivent et s'inscrivent au fur et à mesure de notre vie.
»596 Le poète n'est pas en marge de cette
règle, il laisse des traces dans sa poésie. Ce sont les traces
laissées dans son produit, l'énoncé, dans sa
poésie, qui constituent le socle de l'énonciation de Catherine
Kerbrat-Orecchioni : « Telle sera aussi notre problématique :
faute
590 Charles MAURON dit à ce propos que « Toutes
les répétitions thématiques que l'on peut constater dans
une oeuvre ne sont pas inconscientes, mais nous avons choisi d'étudier
celles qui ont chance de l'être. », op. cit., p.
211
591 David Adamou DONGO, « Territorialisation et
déterritorialisation chez Édouard Glissant : vers un autre lieu
ou la quête de la liberté », Revue du centre de recherche
et d'études en littérature, p. 77
592 Didier LAMAISON, Éthiopiques, Paris,
Bréal, 1997, p. 103
593 François PIRE, « Psychanalyse et
psychocritique », Méthodes de texte : Introduction aux
études littéraires, Paris-Grembloux, Édition Duculot,
1987, sous la direction de Maurice DELCROIX et Ferdinand HALLYN, p. 272
594 Charles MAURON, op. cit. (loc. cit.), p. 25
(À ce propos François Pire affirme que « le critique ne
doit jamais perdre de vue que si le texte est manifestation du désir, il
en est aussi le destin », op. cit., p. 271)
595 Catherine KERBRAT-ORECCHIONI, L'énonciation: de la
subjectivité dans le langage, Armand-Colin, Paris, 1997, 280
p.
596 Joël CLERGET, « Je est un autre »,
Poésie et psychanalyse, op. cit., p. 4
144
de pouvoir étudier directement l'acte de
production, nous chercherons à identifier et décrire les traces
de l'acte dans le produit, c'est-à-dire les lieux d'inscription dans la
trame énoncive des différents constituants du cadre
énonciatif. »597 C'est la raison pour laquelle
Carmen S. Stoean dit que « l'énonciation ne peut jamais
être étudiée en elle-même, au moment de sa
production, mais seulement à travers son produit qui en porte les
traces, l'énoncé. »598 Il faut noter aussi
que l'étude de l'énonciation dépasse le cadre de la
linguistique car la diversité des faits à prendre en
considération engagent la psychologie, la psychanalyse, la sociologie,
les théories de la littérature599. C'est à
juste titre que Catherine Kerbrat-Orecchioni affirme que « la seule
entreprise rentable, c'est d'essayer d'en identifier, différencier et
graduer les divers modes de manifestation »600 de
l'énoncé afin de déceler l'image de soi du locuteur et ce
qu'il semble ne pas dire ou vouloir dire. En d'autres mots, toute
énonciation implique une certaine attitude de l'énonciateur par
rapport à son propre énoncé. On appelle donc
marques de la subjectivité toutes les traces que laisse
celui qui parle dans son énoncé et qui permettent
d'appréhender son image de soi. Cela suppose qu'il existe une
complémentarité entre la théorie de l'énonciation
et la psychocritique, et cela réside dans le fait que dans tout
énoncé, le sujet-parlant ou le sujet-écrivant qui assume
la communication laisse dans ses énoncés des marques susceptibles
de montrer sa subjectivité et sa personnalité, voire ses
non-dits, de façon volontaire ou involontaire. Cette
complémentarité se justifie également du fait que «
chaque théorie de la poésie porte en elle, au moins
implicitement une théorie du langage et de la société
»601. En effet, la théorie de l'énonciation
est une théorie du langage car elle s'applique au matériau qui
est la langue, et la psychocritique est une théorie de la
société car son matériau d'application est l'auteur dans
son oeuvre. Voilà présenter de façon succincte les
théories auxquelles nous allons recourir dans cette partie pour
l'étude de la Francophonie dans la poésie de Léopold
Sédar Senghor.
597 Catherine KERBRAT-ORECCHIONI, op. cit., p. 30. Plus
loin elle dit : « Au terme de cette double distorsion du concept, la
problématique de l'énonciation (la nôtre) peut être
ainsi définie : c'est la recherche des procédés
linguistiques (shifters, modalisateurs, termes évaluatifs, etc.) par
lesquels le locuteur imprime sa marque à l'énoncé,
s'inscrit dans le message (implicitement ou explicitement) et se situe par
rapport à lui (problème de la « distance énonciative
»). C'est une tentative de repérage et de description des
unités, de quelque nature et de quelque niveau qu'elles soient, qui
fonctionnent comme indices de l'inscription dans l'énoncé du
sujet d'énonciation. », p. 32
598 Carmen S. STOEAN, « Les théories de
l'énonciation comme fondement de l'approche communicative »,
Première assise théorique, Dialogos 8/2003, p. 51
599 Idem.
600 Catherine KERBRAT-ORECCHIONI, op. cit., p. 157
601 Snauwaert MAÏTE, « Le rythme critique d'HENRI
Meschonnic », Acta Fabula, [En Ligne], disponible sur
http://www.fabula.org./revues/document7129php
145
Rappelons que, dans la première partie de notre
travail, la Francophonie senghorienne se caractérise par la langue
française (emploi commun du français), l'expression des valeurs
humanistes (celles de la Francité et de la Négritude),
l'enracinement en ses propres valeurs culturelles et ouverture à
d'autres horizons culturels, la symbiose culturelle (dialogue des cultures), et
la participation à la Civilisation de l'Universel. Par
conséquent, la question que l'on peut se poser est celle de savoir si
ces caractéristiques sont identifiables dans sa poésie. «
De notre point de vue, chaque poème reflète un
équilibre entre structures inconscientes et conscientes. Notre
tâche propre est ici de définir les premières
»602 pour appréhender ou découvrir les
caractéristiques de la Francophonie dans sa poésie, car «
la psychocritique est d'abord une méthode de découverte.
»603 Nous partirons également du fait que le voeu
de Léopold Sédar Senghor est de voir la Négritude et la
Francophonie devenir un seul concept pour voir à notre tour si ses
oeuvres poétiques le confirment. Nous travaillerons sur toute sa
production poétique.604. La présentation de
quelques recueils (Chants d'ombre, Hosties noires,
Éthiopiques, Nocturnes et Lettres
d'hivernage) a été déjà faite dans
l'introduction générale, il n'est plus question de la faire ici.
Néanmoins, parmi ces recueils, certains sont antérieurs et
d'autres postérieurs à la Francophonie de la revue
Esprit. En tout état de cause, nous allons étudier les
poèmes susceptibles de relever le sens, la signification et l'expression
du concept de Francophonie.
Pour mener à bien notre réflexion, trois
chapitres vont charpenter cette partie. Le premier chapitre permet de justifier
le fait que la Francophonie est un projet conçu et nourri par
Léopold Sédar Senghor depuis longtemps, peut-être pendant
qu'il écrivit Chants d'ombre (1945). Nous allons voir que ce
projet est dû d'abord à une filiation historique avec la France,
puis au sacrifice de l'Afrique pour la France, et enfin au pardon des Noirs
pour une renaissance du monde. Quant au deuxième chapitre,
nous appréhendons le choix définitif de Senghor. Un
choix à faire entre trois réalités. La première
réalité est celle de la langue française, la
deuxième est le français africanisé, et la dernière
réalité est celle du peuple noir. Le troisième chapitre
aborde la question de la renaissance des valeurs culturelles africaines et de
l'ouverture
602 Charles MAURON, Des métaphores obsédantes,
op. cit., p. 57
603 Idem, p. 335 (Voir les pages 25 et 339)
604 Il faut noter que notre analyse portera sur quelques
poèmes de ces recueils de notre corpus. C'est dire que nous
travaillerons sur les poèmes susceptibles de nous fournir les
informations qui nous faut. Autrement dit, il s'agit de superposer les
poèmes comme le recommande la psychocritique, mais seulement ceux qui
sont superposables et qui mettent davantage en évidence le concept de
Francophonie dans la poésie senghorienne. Vous verrez que nous avons
fait des choix de textes pour la superposition. Il est question tout simplement
de respecter les principes de constance, d'anomalie et de cohérence de
la psychocritique (Voir p. 144). Les invariants inconscients qui se
dégageront de notre superposition se saisissent également dans
les autres poèmes de notre corpus.
146
culturelle. En fait, il s'agit de voir dans quelle mesure
l'ouverture culturelle est appréhendable dans les oeuvres
poétiques de Senghor. Nous terminons l'analyse de ce chapitre par
l'éloge de la Civilisation de l'Universel. Telle est notre
démarche pour étudier la Francophonie dans la poésie de
Léopold Sédar Senghor. En montrant comment la poésie de
Senghor rend compte, et ce, de façon intelligible, le concept de
Francophonie, nous mettons également à nu les raisons latentes de
l'élaboration de ce concept, les raisons qui sont d'ordre historique,
personnel et culturel.
147
CHAPITRE I : LE PROJET DE LA FRANCOPHONIE
Les oeuvres poétiques de Léopold Sédar
Senghor ont précédé le projet de la Francophonie tant chez
lui que chez les autres auteurs de la revue Esprit. En fait,
l'idée de la Francophonie a été élaborée par
Léopold Sédar Senghor avant celle de la revue Esprit
dans sa poésie, « car la francophonie a commencé
par une fraternité de poètes, c'est-à-dire l'essentiel
avant le nécessaire. »605 Ce qui veut dire que ce
sont les poètes qui ont fait de la Francophonie une
réalité culturelle (c'est-à-dire culture). Mieux, la
nature même de la Francophonie, son essence, est donc la poésie.
Autrement dit, on ne peut séparer la poésie de la Francophonie,
car toutes deux renvoient à une et une seule réalité : la
culture. C'est cette essence poétique de la Francophonie qui fait d'elle
une culture, car la poésie, avant tout, est culture. À travers
« une authentique poésie nègre qui ne renonce pas, pour
autant, à être française »606,
Léopold Sédar Senghor réalise la nécessité
d'une poésie francophone en général607, et
d'une communauté francophone en particulier. Chez Senghor, la
poésie devrait être le catalyseur, le lieu où Africains et
Français devraient se rencontrer. L'écriture poétique
devrait, par conséquent, exprimer les valeurs propres des Nègres
dans une langue qui n'est pas la leur. La poésie nègre est
d'abord nègre, parce qu'elle exprime les valeurs culturelles, les
héros et la culture nègres. Elle est enfin française,
parce qu'elle est écrite en langue française. Ainsi, la
poésie nègre devient une poésie universelle, parce qu'elle
unit deux cultures : la culture nègre et la culture française.
C'est cette conception de la poésie que Senghor veut de la Francophonie.
Elle ne sera pas totalement nègre ni totalement française, mais
les deux à la fois. Telle fut la mission qu'il s'est assignée en
tant que poète pour la Francophonie. Les prémices de cette
Francophonie sont-elles décelables dans ses oeuvres poétiques
?
La Francophonie, chez Léopold Sédar Senghor, est
d'abord un terme générique désignant la cohabitation
parfaite et harmonieuse entre le Nègre et le Français tant au
niveau culturel, linguistique que biologique, et dépassant les clivages
haineux et raciaux des peuples. La question que l'on pourrait alors se poser
est celle de savoir si la présence d'une culture exprimée et
projetée, autre que française, en français est facilement
repérable dans la poésie
605 Daniel MAXIMIN, « L'originelle poésie
francopolyphonique », Synergies Mondes, n°5-2008, p. 151
(pp. 151-154)
606 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les
lamantins vont boire à la source », Éthiopiques,
Postface, p. 163
607 La question de la poésie francophone sera
traitée dans la partie trois au chapitre quatre.
148
senghorienne. Ce qui est sûr, c'est que «
l'ensemble culturel de langue française que Senghor a
mentionné dans les année 1970 est devenu la Francophonie plus
tard [...] »608. Dès lors, la vraie question que
l'on pourrait se poser est celle de savoir si le concept de Francophonie est
facilement repérable dans la poésie senghorienne.
La poésie senghorienne se veut une poésie de
réconciliation raciale, de pardon, de fraternité. Si cette
poésie rappelle les atrocités de la guerre, du colonialisme, de
l'impérialisme, de son déchirement entre l'appel de ses
ancêtres et l'appel de l'Europe ; c'est pour pouvoir dépasser la
haine et le ressentiment afin de prôner un monde meilleur où les
races et les nations vivront en harmonie. Léopold Sédar Senghor
est aussi conscient qu' « [...] il ne suffit pas d'être
ensemble, d'éprouver des sentiments collectifs, de partager la
même condition, [mais il suffit] de vouloir être et faire ensemble,
d'assumer consciemment une même tâche et un même projet.
»609 Ses oeuvres s'inscrivent dans ce même sens,
c'est-à-dire elles (les oeuvres poétiques de Senghor) invitent
à vouloir être et faire ensemble, à assumer consciemment
une même tâche et un même projet, celui d'un monde plus
fraternel acceptant les différences. C'est la raison pour laquelle
« on peut dire que toute l'oeuvre de Senghor ainsi d'ailleurs que
toute sa vie auront été l'expression du métissage, de la
négritude et de la francophonie. »610
La Francophonie est, aussi, un concept de pensée,
d'émotion, de métissage, de fraternité, tels
qu'exposés dans les oeuvres poétiques de Léopold
Sédar Senghor.611 Tout ceci amène à dire que la
Francophonie peut être repérée aisément dans sa
poésie, si nous tenons compte de la Francophonie senghorienne en tant
que la résultante de la Francité et de la Négritude. En
fait, « dès la fin des années 1960, en effet, Senghor
pense et projette la négritude en étroite relation avec `' la
Civilisation de l'Universel» »612, qui deviendra,
sans doute, la Francophonie. La Francophonie, telle que la conçoit et la
vit Senghor, s'identifie à un corpus de valeurs repères auquel
l'on doit toujours se référer pour construire son identité
propre, et sa relation avec les autres et le monde. Senghor fait de la
Francophonie l'objet d'une quête fervente, où l'exaltation se
mêle à la raison et le rêve à la passion. Très
vite, le mot-concept devient l'idée-force qui va donner sens et
orientation à sa vie. Avec une sorte d'inlassable acharnement, il ne
finira jamais d'élucider le concept de Francophonie, d'autant plus
qu'avec le temps son approche évolue en
608 Thi Hoai Trang PHAN, « Des dynamiques de la Francophonie
», op. cit.
609 Jean MAISONNEUVE, La psychologie sociale, Presses
Universitaire de France, Coll. Que sais-je ?, Paris ; p. 30
610 Ébénézer. NJOH-MOUELLE,
Léopold Sédar Senghor et le thème du métissage
culturel, disponible sur
http://www.njohmouelle.org
611 Idem. (« Le métissage culturel est
mélange, c'est certain, mais le métissage envisagé par
Senghor a davantage été préoccupé par la
francophonie et la négritude. »)
612 Jean-René BOURREL, « La négritude ou le
soleil de l'âme », op. cit.
149
fonction de l'audience conquise par le mouvement et de la
reconnaissance institutionnelle dont lui-même fait l'objet. La
Francophonie senghorienne est, également, existentielle et ontologie,
car elle considère l'homme dans sa nature humaine, en union avec les
éléments de l'univers en Dieu. Parce ce que c'est Dieu qui
insuffle l'élan vital à l'univers, et c'est par lui que se
réalise l'unité des éléments de l'univers.
Au lieu de saisir la signification en vrac de la Francophonie,
il serait raisonnable d'entrer dans l'univers intérieur de Senghor, par
le biais de la psychanalyse pour ainsi dire, afin de découvrir les
motivations conscientes et inconscientes qui nous aideront à
définir la Francophonie. Malheureusement, ceci n'est
véritablement pas possible. Cependant, comme l'évoque Joël
Clerget, « le poète s'origine lui-même à l'oeuvre
et dans l'être de laquelle il y va de son être même
»613. Faute de psychanalyser l'homme, nous le ferons
à travers ses oeuvres par la psychocritique. C'est-à-dire nous
étudierons de façon psychologique les éléments
textuels, mieux les indices poétiques, qui mettent en relief le fait que
la poésie de Senghor est le projet de la Francophonie. Nous allons voir
comment le projet de la Francophonie s'appréhende dans la poésie
senghorienne. Nous comprenons les raisons de Léopold Sédar
Senghor de vouloir proposer à l'Afrique la Francophonie.
Les raisons que nous pouvons émettre sont, d'abord, des
raisons historiques614 : « c'est, tout d'abord pour deux
raisons historiques : de fait. La première est que, ne voulant pas nous
renier, nous ne voulons rien renier de notre histoire, fut-elle
`'coloniale», qui est devenue un élément de notre
personnalité nationale [...] Et puis, il y a le français, qui est
une langue internationale de communication. C'est notre deuxième raison
de fait. »615 En effet, la colonisation de l'Afrique a un
rôle prépondérant dans le projet de la Francophonie. En
fait, la colonisation a déculturé les Africains au point que ces
derniers ont épousé la langue et les habitudes des colons. En
plus, l'école va aussi jouer un rôle déterminé dans
la déculturation des Africains, car il s'agissait de franciser le
Nègre afin d'établir un relai-intermédiaire entre les
indigènes et le colon, puis de former des élites pour assurer la
continuité de l'administration coloniale. À vrai dire,
l'école, l'instruction coloniale, a fait des Africains des
déracinés culturels. Et vient enfin la participation des
Africains à la deuxième guerre mondiale. Cette participation a
permis de briser le mythe de « messagers des dieux
»616 que les Africains font du colon, et de leur faire
comprendre que le Blanc est humain et mortel comme eux. Pour
613 Joël CLERGET, op. cit., pp. 10-11
614 Le deuxième et le troisième chapitre exposeront
respectivement les autres raisons.
615 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie
comme culture », op. cit., p. 132
616 Cf. « Chaka » de Léopold Sédar
Senghor in Éthiopiques, p. 123
150
Senghor, la participation des Africains aux différentes
guerres mondiales est un sacrifice fait par l'Afrique pour que naisse un
nouveau monde dans lequel l'Africain et l'Européen vivront ensemble et
en parfaite harmonie brisant ainsi le clivage racial. Pour cela, les Noirs
devront pardonner les fautes de l'Europe. C'est en pardonnant que l'on pourra
construire ce monde rêvé par Léopold Sédar Senghor.
Il est donc convaincu que le premier pas doit être fait par les
Africains. Ainsi, exhorte-t-il le peuple noir à pardonner le fait que
les Européens l'aient pris comme des hosties pour la renaissance du
monde. Ces faits historiques sont donc l'une des raisons qui ont
préludé au projet de la Francophonie chez Léopold
Sédar Senghor.
Pour mettre en évidence ce projet, nous abordons
successivement dans ce chapitre la question de filiation historique avec la
France, du sacrifice de l'Afrique pour l'Europe, et enfin le pardon des Noirs
pour une renaissance du monde. Nous allons voir dans le premier point que le
contact de l'Afrique et de l'Europe, à travers l'expansion exploratoire
de l'Europe, la traite négrière et la colonisation, a
favorisé, certes des frustrations, mais a également
été favorable pour l'un et pour l'autre car chacun a
bénéficié de l'un et de l'autre de ce qui lui manque. En
effet, « l'ennemi d'hier est un complice, qui nous a enrichis en
s'enrichissant à notre contact », comme l'affirme
Léopold Sédar Senghor617. Le deuxième point
montre que les Africains, en particulier, morts aux champs de bataille pendant
les guerres mondiales sont une semence, car ils ne sont pas « morts
gratuits ô Morts ! Ce sang n'est pas de l'eau tépide. Il arrose
épais notre espoir, qui fleurira au crépuscule
»618 de la cité de demain, « du monde
nouveau qui sera demain »619. C'est aux Africains d'aller
vers les autres pour leur apporter leur pardon. C'est en ce sens qu'intervient
le troisième point. Quant à ce point, il s'agit de mettre en
évidence le pardon des Noirs. Senghor est persuadé qu'en
pardonnant à ses bourreaux d'hier, en acceptant de vivre avec eux, le
« monde nouveau » surgira.620
Notre analyse dans ce chapitre devrait, sans doute, confirmer
que le projet de la Francophonie fut formulé par des faits historiques,
décelables dans la poésie senghorienne. Autrement dit, ce sont
les faits historiques qui ont d'abord influencé Léopold
Sédar Senghor dans l'élaboration du projet de la Francophonie.
Nous élucidons le chapitre en identifiant dans le corpus (les oeuvres
sur lesquelles nous travaillons) les indices historiques qui prouvent bel et
bien la présence latente du concept de Francophonie.
617 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, langue de culture », op. cit. (loc.
cit.)
618 Cf. « Tyaroye », Hosties noires, p. 88
619 Idem.
620 Cf. « Chaka », Éthiopiques, p.
130
151
Notre méthode d'analyse est la psychocritique de
Charles Mauron. Cette méthode est utile pour appréhender les
images historiques qui reviennent de manière consciente et inconsciente
sous la plume de Léopold Sédar Senghor, et qui mettent en
évidence comment les faits historiques l'ont influencé dans la
conception de la Francophonie. Dans le cas contraire, si cette méthode
s'avèrerait insuffisante dans l'appréhension des images
historiques, nous recourons alors à l'énonciation de Catherine
Kerbrat-Orecchioni. Il se pourrait aussi que ces deux méthodes soient
conjointement utilisées dans l'analyse et l'interprétation des
indices dans ce chapitre. Abordons dès à présent les
différents points susmentionnés.
152
1. UNE FILIATION HISTORIQUE AVEC LA FRANCE
Le passé ne peut pas se modifier, s'oublier, ou
s'effacer. Nous n'avons qu'à l'accepter, le surmonter et aller de
l'avant. C'est-à-dire les pays africains ne peuvent pas changer
l'histoire du continent. Leur histoire doit s'écrire avec le
passé. Leur passé, c'est qu'ils sont liés aux pays
occidentaux du fait de la traite négrière, de la colonisation et
de l'instruction occidentale. Et Moustapha Tambadou de le justifier :
Au commencement, il y eut la traite négrière et
la colonisation. Deux tragédies qui ont servi de fondement malsain
à la rencontre Afrique-Occident. Les vainqueurs, si l'on peut les nommer
ainsi, ont dans les deux cas tiré de leur triste succès un
sentiment de supériorité à l'égard des peuples et
races assujettis. C'est donc tout naturellement que l'Occident s'est
évertué à imposer à l'Afrique un destin de vaincue,
un temps immobile avec comme seule et unique perspective l'acquiescement
éternel aux objectifs et valeurs des dominateurs. Des peuples entiers
voyaient ainsi compromises, sinon tournées en dérision, toute
possibilité et toute tentative de marquer de leur empreinte
singulière leur propre histoire ou l'histoire de l'humanité.
Quand Léopold Sédar Senghor décida de lutter de toutes ses
forces contre cette situation, son intuition fut que tout se jouerait au niveau
de la culture, [...]621
Cette filiation historique avec les anciens pays colonisateurs
permet d'entretenir une relation, non plus de colonisateur et colonisé,
mais une relation égalitaire, selon Léopold Sédar Senghor,
estime Claire Tréan :
Senghor rêvait de fraternité entre peuples blancs
et noirs et pensait que le français pouvait en constituer le socle. Il
croyait en un continent africain sur lequel le français fonderait une
solidarité entre les nouveaux États et une relation
privilégiée avec l'ancien pays colonisateur622.
Mieux, ajoute Anne Judge,
Il a parlé en effet du merveilleux outil trouvé
dans les décombres du régime
colonial : la langue française et de la
possibilité de s'en servir pour créer une coopération
exemplaire entre ceux qui la parlent623.
621 Moustapha TAMBADOU , « Politique et stratégie
culturelles de Léopold Sédar Senghor », Éthiopiques,
n°59, 2ème semestre 1997, Disponible sur
http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article367
622 Claire TRÉAN, La Francophonie, idées
reçues, Le Cavalier Bleu, Paris, 2006, p. 21
623 Anne JUDGE, « La Francophonie : mythes, masques et
réalités », Francophonie : Mythes, Masques et
Réalités, Enjeux politiques et culturels, Publisud, Paris,
1996, p. 25
153
Ou encore, « Fervent promoteur de la Francophonie,
Senghor entretient constamment d'excellentes relations avec la France
».624Or la relation avec la France ne date pas
d'aujourd'hui, elle l'a été depuis l'arrivée des colons en
Afrique. Selon Catherine Coquery-Vidrovitch, les premiers contacts entre
l'Europe et l'Afrique datent du XVème siècle : «
Du XVe au XVIIIe siècle le trafic s'organisa
progressivement entre les Européens et les Noirs de la zone
guinéennes [...] »625. Ce furent, d'abord, les
Portugais : « Mais nul ne toucha la côte de Guinée avant
les Portugais au XVe siècle [...] »626.
Les Français se sont établis sur la côte occidentale de
l'Afrique au XVIIème siècle. Avec la traite
négrière, la colonisation et la décolonisation, la
relation avec la France s'est accentuée. Senghor compte maintenir, par
le biais du projet de la Francophonie, le lien historique entre la France et
l'Afrique. Mieux, il s'appuiera sur les faits historiques pour élaborer
sa Francophonie, même si Michel Beniamino et Lise Gauvin affirment le
contraire en disant que « le lien entre francophonie et
décolonisation est [...] intenable. »627 Pour prouver que cela
est tenable, intéressons-nous à présent aux oeuvres
poétiques de Léopold Sédar Senghor.
Les oeuvres de Senghor mettent en évidence le lien
historique que l'Afrique et l'Europe en général, et la France en
particulier, entretiennent. En fait, la lecture de ses oeuvres permet de
relever la traite négrière, la colonisation, l'instruction
occidentale comme des faits historiques, participant du projet francophone chez
lui. Dans Chants d'ombre, la colonisation et la traiter
négrière sont mises à nu. Avec le texte « In memoriam
» nous avons :
Et maintenant, de cet observatoire comme de banlieue
Je contemple mes rêves distraits le long des rues,
couchés
au pied des collines
Comme les conducteurs de ma race sur les rives de la Gambie
et du saloum. (Poèmes, p. 7)628
Le texte « In memoriam » est superposable à
« Que m'accompagnent Koras et Balafong » :
Mais toutes les ruines pendant la traite européenne des
nègres
Mais toutes les larmes par les trois continents, toutes les
sueurs noires qui engraissèrent les champs de canne et de coton (Po
:33)
624 Encyclopédie Larousse, article sur Senghor.
625 Catherine COQUERY-VIDROVITCH, La découverte de
l'Afrique, Paris, L'Harmattan, 2003, p. 15
626 Idem., p. 14
627 Michel BENIAMINO et Lise GAUVIN (Dir.), Vocabulaire des
études francophones. Les concepts de base, Limoges, PULIM, coll.
« Francophonie », 2005, p. 84
628 Nous avons travaillé avec deux versions :
Poèmes et OEuvre poétique. Pour les textes (les
extraits) superposés, nous écrirons Po pour
Poèmes, et O. Po pour OEuvre poétique suivi du
numéro de la page. (Po : numéro/ O. Po : numéro).
154
La superposition de ces deux extraits révèle
qu'il y a eu contact entre les Nègres et les Occidentaux. Nous voyons
s'accuser le réseau suivant :
- Contact : les conducteurs de ma race,
européenne, nègres, les trois continents, les rives de la Gambie
et du Saloum
- Traite négrière : Les
conducteurs de ma race sur les rives de la Gambie et du Saloum, la traite
européenne des nègres, toutes les sueurs noires qui
engraissèrent les champs de canne et de coton.
Ce réseau d'images se manifeste aussi dans « Neige
sur Paris » :
Les mains blanches qui tirèrent les coups de fusils qui
croulèrent les empires
Les mains qui flagellèrent les esclaves, qui vous
flagellèrent
Les blanches poudreuses qui vous giflèrent, les mains
peintes poudrées qui m'ont giflé
Les mains sûres qui m'ont livré à la solitude
à la haine
Les mains blanches qui abattirent la forêt de rôniers
qui
dominait l'Afrique, au centre de l'Afrique
Droits et durs, les Saras beaux comme les premiers hommes
qui sortirent de vos mains brunes
Elles abattirent la forêt noire pour en faire des traverses
de
chemin de fer
Elles abattirent les forêts d'Afrique pour sauver la
Civil-
sation, parce qu'on manquait de matière première
humaine. (Po : 20)
La superposition de cet extrait avec les extraits
précédents accuse un réseau sombre : la ruine ou la
destruction. Cette image sombre de la traite négrière et de la
colonisation est soulignée également dans « Prière
aux masques » :
Voici que meurt l'Afrique des empires- c'est l'agonie
d'une princesse pitoyable
Et aussi l'Europe à qui nous sommes liés par le
nombril. (Po : 21)
Dans l'extrait de « Prière aux masques »,
Senghor montre que l'Afrique et l'Europe sont liées à jamais :
« nous sommes liés par le nombril ». « Tout
se passe comme si Léopold Sédar Senghor n'avait jamais pu - ou
voulu - couper le cordon ombilical qui le relie à l'Occident.
»629 La superposition de tous les extraits de Chants
d'ombre révèle que chez Senghor, la traite
négrière et la colonisation, qu'elles soient brutales et
mauvaises, ont favorisé le contact entre l'Afrique et l'Europe. Il faut
priviligier ce contact. Qu'en est-il d'Hosties noires ?
Dans Hosties noires, le texte « Prière de
paix » peut être superposé avec « Neige sur Paris »
et « Que m'accompagnent Koras et Balafong » de Chants d'ombre
:
629 Jacques CHEVRIER, Littérature Nègre,
Armand Colin/Nouvelle Éditions Africaines, Paris, 1984, p. 101
155
Car il faut bien que Tu oublies ceux qui ont exporté dix
millions de mes fils dans les maladreries de leurs navires Qui en ont
supprimé deux cents millions.
[...]
Oh ! je sais bien qu'elle aussi est l'Europe, qu'elle m'a ravi
mes enfants comme un brigand du Nord des boeufs, pour engraisser ses terres
à cannes et coton, car la sueur nègre est fumier.
Qu'elle aussi a porté la mort et le canon dans mes
villages bleus, qu'elle a dressé les miens les uns contre les autres
comme des chiens se disputant un os
Qu'elle a traité les résistants de bandits, et
craché sur les têtes-aux-vastes-desseins. (Po : 91-92)
Nous voyons se former, dans cet extrait, les groupes d'image
tels que la Traite négrière (ont exporté
dix millions de mes frères, les maladreries de leurs navires, ont
supprimé deux cents millions, ravi mes enfants, engraisser terres
à cannes et coton, la sueur nègre est fumier, ...), la
Colonisation (porté la mort et le canon dans mes
village, dressé les miens les uns contre les autres, les
résistants de bandit, craché sur les
têtes-aux-vastes-desseins...) et le Contact (mes fils,
leurs navires, l'Europe, mes enfants, ses terres à cannes et coton, mes
villages...). Nous constatons, également, que les images ne varient pas
d'un poème à un poème ou d'une oeuvre à une autre.
Par ailleurs, elles sont l'invariant qui structure la pensée de
Léopold Sédar Senghor. Cet invariant se saisit, aussi, dans
« Chaka » d'Éthiopiques :
CHAKA
Des courriers m'avaient dit :
« Ils débarquent avec des règles, des
équerres des compas des sextants
«L'épiderme blanc les yeux clairs, la parole nue et
la bouche mince
« Le tonnerre sur leurs navires. » (Po : 120)
Le réseau qui s'accuse dans cet extrait est le
Contact (débarquent, l'épiderme blanc, leurs
navires) et la Colonisation (des règles, des
équerres, des compas, des sextants, la parole nue). Ce réseau est
renforcé par un autre extrait de « Chaka » que l'on pourrait
superposer à ceux de Chants d'ombre, surtout à «
Neige sur Paris » :
CHAKA
Mon calvaire.
Je voyais dans un songe tous les pays aux quatre coins de
l'horizon soumis à la règle, à
l'équerre et au compas Les forêts fauchées les collines
anéanties, vallons et fleuves
dans les fers.
Je voyais les pays aux quatre coins de l'horizon sous la grille
tracée par les doubles routes de fer
156
Je voyais les peuples du Sud comme une fourmilière de
silence
Au travail. Le travail est saint, mais le travail n'est plus
le geste
Le tam-tam ni la voix ne rythment plus les gestes des saisons.
Peuples du Sud dans les chantiers, les ports les mines les
manufactures
Et le soir ségrégés dans les kraals de la
misère.
Et les peuples entassent des montagnes d'or noir d'or rouge
? et ils crèvent de faim
Et je vis un matin, sortant de la brume de l'aube, la
forêt
des têtes laineuses
Les bras fanés le ventre cave, des yeux et des
lèvres immenses
appelant un dieu impossible
Pouvais-je rester sourd à tant de souffrances
bafouées ? (Po : 121-122)
Cet extrait réunit toutes les images déjà
vues, c'est-à-dire le contact, la colonisation, la traite
négrière, la destruction. Cependant, Léopold Sédar
Senghor répond à la question posée dans l'extrait «
Pouvais-je rester sourd à tant de souffrances bafouées ?
», et à son ami-frère Césaire qui dit :
Cela réglé, j'admets que mettre les
civilisations différentes en contact les unes avec les autres est bien;
que marier des mondes différents est excellent; qu'une civilisation,
quel que soit son génie intime, à se replier sur elle-même,
s'étiole ; que l'échange est ici l'oxygène, et que la
grande chance de l'Europe est d'avoir été un carrefour, et que,
d'avoir été le lieu géométrique de toutes les
idées, le réceptacles de toutes les philosophies, le lieu
d'accueil de tous les sentiments en a fait le meilleur redistributeur
d'énergie. Mais alors, je pose la question suivante : la colonisation
a-t-elle vraiment mis en contact ? Ou, si l'on préfère,
de toutes les manières d'établir contact,
était-elle la meilleure ?630
La réponse de Senghor est de retenir l'apport positif
de cette souffrance : les doubles routes de fer, les chantiers, les ports,
les mines, les manufactures... :
Je ne veux retenir, ici, que l'apport positif de la
colonisation, qui apparaît à l'aube
de l'indépendance. L'ennemi d'hier est un complice, qui
nous a enrichis en s'enrichissant à notre contact631.
De cet aveu, nous voyons que Senghor sublime la traite
négrière, la colonisation et leurs corollaires pour retenir le
caractère positif de ce contact brusque et humiliant pour l'Afrique. Par
le biais de l'esclavage et de la colonisation, l'Afrique et l'Europe en
général, et la France en particulier, ont pu tisser des liens,
comme il le souligne dans « Prière aux masques » : «
Et aussi l'Europe à qui nous sommes liés par le nombril
» ; des liens qu'il faut conserver. C'est pourquoi, Papa Samba Diop
dit que
630 Aimé CÉSAIRE, Discours sur le
colonialisme, Paris, Présence Africaine, 2004, p. 10
631 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, langue de culture », op. cit., p. 841
157
[...] Senghor ne condamne jamais la France sans éprouver
quelques remords. Il
aime ce pays et sa langue d'un amour sans tache. Voilà
pourquoi, chaque fois que, ab irato, il en a dénoncé les
excès, il en a aussitôt après loué la
grandeur632.
Les extraits de « Chaka » peuvent être
superposés également à « Élégie des
circoncis » de Nocturnes et à « Sur la plage
bercé » de Lettres d'hivernage. Avec «
Élégie des circoncis », nous avons :
Voilà, les os sont abstraits, ils ne se prêtent
qu'aux calculs de la règle du compas du sextant. (Po : 200)
Quant au poème « Sur la plage bercé »,
nous pouvons dire qu'il est une réécriture de « Chaka
». Ils ont le même réseau d'images et, à peu
près, les mêmes mots :
Ainsi, ils débarquèrent. Nous les
reçûmes comme des masques peints, à deux genoux
Ils débarquèrent sous les ailes bleues, voiles
blanches des Alizés
Sur le sable et le soleil puis, sous le soleil et le sable
fervents Ivres de sperme et de fureur, ils débarquèrent, ivres de
foi tel un vin fort
Sur l'arène ils ont bâti des forts comme des
fleurons, sur sept cents kilomètres
Et des créneaux. Et la force a croulé
Et il n'en reste plus que les rêves bleus des touristes, et
c'est très beau
Mais les visions du poète, nous les bâtirons dans la
pierre de Rufisque.
Ils ont creusé sur la colline de grés rose,
jusqu'au basalte noir de l'âme
Dans le basalte ils ont scellé leur coeur, la Vénus
rythmique de Grimaldi.
Elle fait tomber les pluies de miséricorde dans les
hivernages cycliques
Lorsque la faim fane les joies et fait sonner les os comme des
olifants
Ou que la misère humilie les ventres mous. (Po :
228-229)
Dans l'extrait ci-dessus, nous voyons s'accuser le
réseau de Contact (débarquèrent, nous les
reçûmes, les ailes bleues, voiles blanches), de
Colonisation (ils ont creusé sur la colline de
grés rose, ils ont bâti des forts, et la force a croulé),
de Religion (ivres de foi, pluie de miséricorde), et de
Destruction : (la faim fane les joies, sonner les os, la
misère humilie les ventres mous).
632 Papa Samba DIOP, « Léopold Sédar Senghor :
un repère essentiel », Francofonia, 15, 2006, p. 97
158
Ce réseau vient corroborer les autres réseaux
vus. L'association de tous les réseaux montre que la métaphore
obsédante qui en résulte est celle d'une rencontre douloureuse :
Contact-Traite
négrière-Colonisation-Ruine/Destruction-Religion
(réseau révélé par « Sur la plage
bercé »). Cette métaphore obsédante connote d'une
rencontre hostile, d'une rencontre brutale. On note, de cette rencontre, que
l'Europe est la première à venir en l'Afrique en lui imposant la
traite négrière, la colonisation et la religion bouleversant et
détruisant ainsi les moeurs et coutumes africaines. Léopold
Sédar Senghor, conscient de la douloureuse rencontre entre l'Afrique et
l'Europe, veut que l'on retienne l'aspect positif de cette rencontre. Car, pour
lui, cette rencontre a été bénéfique tant pour
l'Afrique que pour l'Europe en général, et pour la France en
particulier. Il demande aux Africains de ne pas oublier les apports
bénéfiques et positifs de cette filiation faite par le biais de
la traite négrière et la colonisation même si la rencontre
fut brutale et humiliante. Sur cette logique d'idées, il s'appuie pour
élucider son projet de la Francophonie, car il s'agissait avec ce projet
de « sceller l'union sacrée entre l'ancien dominateur et
l'ancien dominé, dans un monde de parfaite égalité
»633 et de parachever, au-delà de l'histoire, le
lien tissé par la rencontre historique. En effet, la Francophonie doit
être le trait d'union, c'est-à-dire l'élément
unificateur, entre l'Afrique et l'Europe, parce que « [nous] sommes
une génération dont les destins [sont] mêlés, qu'on
le veuille ou non, parce que nous avons cette Histoire commune [...]
»634. Senghor, à propos du lien entre l'Europe et
l'Afrique, dit que ce lien date depuis trois cents ans :
Trait d'union, nous le sommes également entre l'Europe
et l'Afrique. Car, si nous
avons acclimaté ici, depuis trois cents ans avec la
culture, l'humanisme de l'occident, et d'abord de la France
[...]635.
C'est pourquoi, Luc Pinhas affirme que « le fait
francophone [...] a donc partie lié, quoi qu'on en ait [...] avec le
fait colonial [...] »636.
Le lien entre l'Afrique et l'Europe ou la France s'est
renforcé par l'école des Blancs (par l'instruction occidentale).
L'instruction occidentale a permis aux Noirs de prendre conscience de leur
appartenance à une civilisation différente, mais non
inférieure. De cette différence, Senghor en a fait une richesse,
et à partir de la notion de la Négritude, il a fait
633 Idem., p. 97
634 « Le discours d'Emmanuel Macron à Ouagadougou
», 28 novembre 2017 à 20h27 -- Mis à jour le 28
novembre 2017 à 20h37. Disponible sur
http://www.jeuneafrique.com/497596/politique/document-le-discours-demmanuel-macron-a-ougadougou
635 Message de Léopold Sédar Senghor au peuple
sénégalais, Dakar, le 06 septembre 1960
636 Luc PINHAS, op. cit., pp. 69-70
159
l'apologie du métissage qui aboutira au projet de la
Francophonie.637 Par le biais de l'école, la France a tout
simplement appliqué dans son empire colonial certains principes qui lui
étaient chers, tels que sa culture, sa langue.638 Et, les
Noirs formés dans les écoles occidentales, ou qui ont reçu
l'instruction occidentale, ont été
dépossédés de leur identité.639 Senghor,
rejetant cet aspect négatif, estime que l'école des Blancs a
établi un lien filial entre l'Afrique et l'Europe permettant à
l'Afrique d'être vue et entendue dans et par le monde. Cette conception
de l'instruction occidentale a, sans doute, influencé Senghor dans
l'élaboration du projet de la Francophonie. Quels réseaux
d'images pouvons-nous voir se former dans les oeuvres de Senghor pour justifier
ce qu'il vient d'être affirmé ? Les poèmes « Le
message », « Que m'accompagnent Koras et Balafong » de
Chants d'ombre nous sont utiles. Ils sont ainsi superposés
à « Ndessé » d'Hosties noires et à
« Chants pour signare » » de Nocturnes. Passons
à la superposition des extraits de ces poèmes :
(Le message)
« Vous êtes docteurs en Sorbonne, bedonnants de
diplômes. « Vous amassez des feuilles de papier-- si seulement des
louis d'or à compter sous la lampe, comme feu ton père aux doigts
tenaces ! (Po : 17)
(Que m'accompagnent Koras et Balafong)
Je ne fus pas toujours pasteur de têtes blondes sur les
plaines
arides de vos livres
pas toujours bon fonctionnaire, déférent envers ses
supé-
rieurs
Bon collègue poli élégant-- et les gants ?--
souriant riant
rarement
Vieille France vieille Université, et tout le chapelet
déroulé. (Po : 29)
(Ndessé)
Ah !me pèse le fardeau pieux de mon mensonge
Je ne suis plus le fonctionnaire qui a autorité, le
marabout aux disciples charmés. (Po : 79)
(Chants pour signare)
Depuis longtemps civilisé, je n'ai pas encore
apaisé le Dieu
blanc du sommeil.
Je parle bien sa langue, mais si barbare mon accent ! (Po :
171)
Nous voyons s'agglomérer un groupe d'idées et
d'images qui se manifestent dans nos extraits par les réseaux
associatifs de l'Instruction/civilisé (docteurs,
Sorbonne, bedonnants de
637 Claire TRÉAN, op. cit., p. 20
638 Anne JUDGE, « La francophonie : mythes, masques et
réalités », Francophonie : Mythes, Masques et
Réalités, Enjeux politiques et culturels, Publisud, p. 25
639 Marc GONTARD, « L'espace culturel francophonie à
l'épreuve du regard », Regard dur la Francophonie, PUR,
1996, p. 17
160
diplômes, pasteur, bon fonctionnaire, ses
supérieurs, bon collègue, les gants, vieille Université,
le chapelet déroulé, le fonctionnaire, disciples charmés,
civilisé) et de la Négation : (je ne fus pas,
pas toujours, je ne suis plus, je ne suis plus, je n'ai pas). Par ces
réseaux associatifs, nous voyons que l'école coloniale a permis
aux Noirs d'être instruits et civilisés. Cependant, Senghor refuse
le fait d'être un assimilé. En effet, à l'école
coloniale, le Noir apprend la langue du colonisateur et s'initie à sa
culture tout en oubliant ou méconnaissant sa propre culture. D'ailleurs,
pour Senghor, "l'école des Blancs" est une sorte de punition que son
père lui a infligée pour ses vagabondages :
Mon père me battait, souvent, le soir, me reprochait mes
vagabondages ; et il finit,
pour me punir et « me dresser », par m'envoyer
à l'École des Blancs, au grand désespoir de ma
mère, qui vitupérait qu'à sept ans, c'était trop
tôt640.
Nous voyons que Senghor a connu très tôt
l'école des Blancs comme bon nombre d'Africains, arrachés
à leurs mères, de leurs royaumes d'enfance, et sont devenus des
Blancs à la peau noire, c'est-à-dire des acculturés.
À ce fait, nous pouvons dire que l'école coloniale fut un
instrument de la propagation de la culture occidentale, surtout
française. Cette réalité est récusée par
Senghor. En fait, il refuse l'idée selon laquelle le Noir soit
transformé radicalement ; les coutumes et cultures nègres soient
aussi corrompues. Il sait aussi que le Nègre, au sortir de
l'école coloniale, est une copie de l'Occident. Pour justifier ce que
les Noirs sont devenus, il dit : « Et puisqu'on lui a confisqué
ses instruments, que les remplacent tabac, café et papier blanc
quadrillé »641, le Noirs est obligé
d'être comme le Blanc. De ce prétexte-excuse, nous comprenons que
le Nègre est obligé d'imiter le colonisateur dans sa
manière d'être et de faire, puisque l'école coloniale l'a
voulu ainsi. Bien qu'elle soit un instrument de propagande culturelle
occidentale, elle a su montrer que les hommes naissent égaux. Elle a
été l'arme de l'émancipation des colonies, et elle a
permis aux Africains de s'affirmer en tant qu'homme égal de l'homme
Blanc.
Accepter le Nègre façonné par
l'école coloniale en est la préoccupation de Léopold
Sédar Senghor, parce que lui-même en est victime. Nous pouvons
voir cette idée avec la superposition des extraits de « Que
m'accompagnent Koras et Balafong », « Le retour de l'enfant prodigue
» de Chants d'ombre et de « Ndessé » de
Hosties noires.
(Que m'accompagnent Koras et Balafong)
Reçois l'enfant toujours enfant, qui douze ans
d'errances
640 Léopold Sédar SENGHOR, Postface,
Éthiopiques, Poèmes, op. cit., p. 158
641 Idem., p. 155
161
n'ont pas vieilli.
Je n'amène d'Europe que cette enfant amie, la
clarté de ses yeux parmi les brumes bretonnes. (Po : 35)
(Le retour de l'enfant prodigue)
Sur ma faim, la poussière de seize années
d'errance, et
l'inquiétude de toutes les routes d'Europe
Et la rumeur des villes vastes ; et les cités battues de
vagues
de mille passions dans ma tête.
Mon coeur est resté pur comme Vent d'Est au mois de Mars.
(Po : 45)
(Ndessé)
Reçois-moi dans la nuit qu'éclaire l'assurance de
ton regard Redis-moi les vieux contes des veillées noires, que je me
perde par les routes sans mémoire. (Po : 80)
De la superposition de ces extraits nous voyons s'accuser les
réseaux associatifs suivants :
- Retour/Acceptation : Reçois l'enfant,
douze ans d'errances, amène d'Europe, seize
années d'errance, les routes d'Europe, reçois-moi,
redis-moi, les routes sans mémoire. - Innocence :
toujours enfant, n'ont pas vieilli, cette enfant amie, la clarté de ses
yeux,
sur ma faim, mon coeur est resté pur, la nuit,
éclaire, l'assurance.
Nous comprenons, par ces réseaux, que Senghor demande de
l'accepter comme il est, car ce
n'est pas sa faute s'il est devenu une copie de l'Occident.
Pour diluer la dose européenne, il est nécessaire pour lui de se
retourner aux sources africaines afin de fortifier ce qui lui reste comme
africain. Il sait que l'école des Blancs ne l'a pas transformé
radicalement. Au contraire, elle lui a permis de comprendre la
réalité africaine et d'avoir les armes qu'il faut pour combattre
le Blanc sur son propre terrain. Cela se lit dans « Élégie
pour Aynina Fall » (Nocturnes) :
LE CORYPHÉE
Oui nous prendrons aux Conquérants leurs armes comme
nous l'avons toujours fait
Nous les tiendrons solidement en main, nous en ferons des signes
fastes :
« Une étoile d'or vert sur la roue d'acier. »
(Po : 211)
Et dans « Prière de paix » (Hosties
noires) :
Bénis ce peuple qui m'a apporté Ta Bonne Nouvelle,
Seigneur, et ouvert mes paupières lourdes à la lumière de
la foi.
Il a ouvert mon coeur à la connaissance du monde, me
montrant l'arc-en-ciel des visages neufs de mes frères. (Po : 93)
Cette idée est corroborée par Jacques Rabemananjara
:
Il (l'Occident) a cru nous enfermer dans des systèmes
clos, dans les ghettos des frontières érigées à son
avantage, mais la vertu de sa langue et la force de ses idées sont en
train d'en miner les fondements, d'en faire crouler les murailles. [...]
Dérober à nos maitres leur trésor d'identité, le
moteur de leur pensée, la clef d'or de leur âme, le sésame
magique qui nous ouvre toute grande la porte de leurs mystères, de la
162
caverne interdite où ils ont entassé les butins
volés à nos pères et dont nous avons à leur
demander des comptes !642
Mieux, Senghor ne veut même pas qu'on dise qu'il est une
copie de l'Occident. Il veut se débarrasser de ses vêtements
d'emprunt, ceux de l'assimilation. Cette idée s'appréhende dans
« Que m'accompagnent Koras et Balafong », lorsqu'il dit «
Lave-moi, de toutes mes contagions de civilisé ». En fait,
à l'école coloniale, on matait l'esprit des Noirs, on le lavait,
on l'aseptisait pour qu'ils deviennent Français à la peau noire.
On comprend donc l'épigraphe de la section III de « Que
m'accompagnent Koras et Balafong » :
Entendez tambour qui bat ! Maman qui m'appelle. Elle m'a dit
Toubab ! D'embrasser la plus belle. (Po : 28)
Dans cette épigraphe, le mot Toubab,
signifiant Blanc, montre que Senghor est considéré comme
une Européen, malgré son refus. En fait, Senghor refuse la
manière de faire à l'occidental, et non l'idée selon
laquelle l'école coloniale a permis d'établir un lien entre
l'Afrique et l'Europe. Le système éducatif colonial s'est
poursuivi après la décolonisation liant toujours l'Afrique
à l'Europe. En effet, l'école occidentale s'est alignée
sur la politique d'assimilation de l'époque ; elle consistait à
faire adopter par tous les Noirs la culture et le modèle de
société française. Les propos d'Alioune Sall viennent
renforcer les nôtres :
L'école sénégalaise, elle, est fille de
l'école coloniale. Celle-ci était au service de la colonisation,
de la politique coloniale : (une conquête morale [...]). Or la politique
coloniale de la France était l'assimilation : « Arrimer le
colonisé au char colonial ». L'école coloniale avait donc
pour tout but de faire aimer la France, sa langue, sa culture : sa musique, sa
peinture, sa danse, etc.643
L'école française était une assimilation,
elle inculquait les valeurs françaises permettant aux colonisés
africains de devenir des citoyens français, bouleversant ainsi
l'éducation traditionnelle. D'ailleurs, la Marseillaise était
l'hymne que chantaient les colonisés jusqu'en 1960. Léopold
Sédar Senghor en a été une victime du charme de la France
à telle enseigne d'être Français par naturalisation. Cette
éducation traditionnelle était une forme d'éducation
collective où l'apprentissage se faisait par voie orale et par
observation. En s'imprégnant du
642 Jacques RABEMANANJARA, « Les fondements de notre
unité tirés de l'époque coloniale »,
Présence Africaine, numéro spécial, n°24-25,
Fév.-Mai, 1959, pp. 69-70
643 Alioune SALL, Brève histoire de l'enseignement du
français au Sénégal. Disponible sur
http://xalimasn.com/brève-histoire-de-l-enseignement-du-français-au-senegal/
163
milieu dans lequel on vit, on devient un être accompli.
C'est ce que Senghor recherche en préconisant le retour aux sources :
« Redis-moi les vieux contes des veilles noires, que je me perde par
les routes sans mémoire » (Ndessé /Hosties
noires). Cette éducation traditionnelle a été
modifiée par la colonisation avec l'école au
Sénégal644 et, par la suite, dans toute l'Afrique.
L'école coloniale a vidé le Nègre de ses
vertus, de sa substance pour faire de lui un assimilé645, un
déculturé. Pour Senghor, l'impact de l'école coloniale sur
le Nègre doit être accepté positivement, car elle a permis
aux Nègres d'avoir les armes (les connaissances et les valeurs
culturelles du colonisateur) qu'il fallait pour combattre l'ennemi Blanc sur
son propre champ de bataille, sur son terrain. En effet, « c'est en
transmettant des valeurs communes, une histoire commune, que les citoyens se
reconnaissent comme appartenant à une même société.
»646 C'est cet apport positif que Senghor veut retenir de
l'école coloniale pour un partenariat équitable avec la France,
car il n'y a pas « [de] fraternité sans égalité.
»647 Or, l'école coloniale a permis
d'établir cette égalité. L'école coloniale a fait
du Noir un être ouvert aux pollens fécondants des grandes
civilisations. Grâce à l'école coloniale, les Nègres
ont pris conscience que le Blanc et le Noir sont égaux et qu'il fallait
lutter pour faire accepter le Noir par le Blanc en tant que homme. Conscient du
malaise provoqué par l'école coloniale, à savoir le
mépris et la destruction des valeurs africaines, et de la
nécessité de réhabiliter ces valeurs, Senghor pense qu'il
faut utiliser les valeurs humanistes et positives que l'école coloniale
a véhiculées pour maintenir le lien ombilical avec la France. Au
lieu d'être une assimilation chez Léopold Sédar Senghor,
l'école coloniale a été plutôt une aubaine à
la fois pour l'Afrique et pour l'Europe, car elle a permis que les deux
continents soient en contact, car la culture française a enseigné
aux peuples du monde les idéaux de liberté, qu'elle incarne
depuis la révolution. L'école occidentale a rendu les hommes
libres, égaux et frères (fraternels). C'est-à-dire qu'avec
l'école coloniale, la France a fait don, non seulement de sa langue,
mais également de ses principes universels laissés, comme
offrandes aux peuples qu'elle a occupés. Ces principes ont
été des catalyseurs d'éveil de conscience pour les
Nègres, que ceux-ci s'en sont servis pour revendiquer leur
liberté, leur identité et l'égalité. En plus,
l'école a établi un lien entre les Nègres eux-mêmes
en premier lieu, puis les Nègres et le colonisateur en second lieu.
644 La première école coloniale fut construite
à Saint Louis, au Sénégal, le 7 mars 1817. En effet, le
système d'enseignement du Sénégal, tel qu'il se
présente aujourd'hui, est l'héritier du passé colonial
avec lequel il n'a pas rompu les liens.
645 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté I
(Négritude et humanisme), p. 41
646 Cecile THOMAS, « L'éducation en Afrique
francophone : De l'héritage colonial à l'autonomie intellectuelle
: vers un partenariat équitable avec la France », Mémoire de
recherche, Institut d'Études Politiques de Toulouse, 2007/2008 [sous la
direction de Danielle Cabanis]
647 Cf. « Chaka », Éthiopiques, op.
cit., p. 123
164
Ce sont ces liens établis par l'école coloniale
que Léopold Sédar Senghor veut conserver à travers la
Francophonie, car elle « est une somme de liens tissés entre
différents peuples ».648
Lorsque nous superposons tous les réseaux associatifs
vus dans cette partie, nous voyons que la métaphore obsédante
qu'une telle opération souligne est la Sublimation :
Traite
négrière-Colonisation-Religion-Destruction-Négation-Contact-Instruction-Innocence-
Acceptation. La sublimation consiste en une déviation
de but de la pulsion agressive. Cette déviation est une sorte de refus
que la conscience s'impose pour se purifier. Mieux, la sublimation est le fait
de masquer une réalité, considérée comme anormale,
par une réalité acceptée, considérée comme
normale du point de vue de la généralité.649
Léopold Sédar Senghor sublime donc la traite
négrière et ses corollaires, à savoir la colonisation, la
religion, l'instruction (l'école des Blancs) pour admettre ce qui est
positif, c'est-à-dire le contact, l'instruction (le savoir) et
l'acceptation (de l'Occident et du Noir déculturé). La
sublimation, chez lui, est une manière de soulager, de purifier sa
conscience. En effet, avec cette métaphore obsédante, il ressort
que la colonisation sublimée est bénéfique. Pour cela, il
faut que les Noirs l'acceptent, car la colonisation est devenue un
élément de leur personnalité, comme le souligne bien
Léopold Sédar Senghor :
C'est tout d'abord pour deux raisons historiques : [...]. La
première est que, ne
voulant pas nous renier, nous ne voulons rien renier de notre
histoire, fut-elle « coloniale », qui est devenue un
élément de notre personnalité nationale.
[...]650
Autrement dit, l'histoire coloniale de l'Afrique ne peut pas
se changer, s'oublier. Les Noirs n'ont qu'à l'accepter, faire avec, la
surmonter et aller de l'avant même si l'esclavage et la colonisation ont
vidé le Nègre de ses vertus et de sa substance pour faire de lui
un négatif du Blanc, « un larbin de l'ordre et un hanneton de
l'espérance ».651 Le Nègre doit sortir de
son histoire faite d'aliénation culturelle pour construire la
cité nouvelle dans un rapport nouveau avec son bourreau, estime
Léopold Sédar Senghor :
Sur le double plan du présent et du passé, de la
colonisation et de la civilisation traditionnelle, en un mot sur le plan de
l'histoire vécue, notre tâche est claire : Il faut sortir de notre
aliénation pour construire la cité nouvelle.
Désaliénation politique, désaliénation
économique, désaliénation sociale, encore une fois, tout
se résume dans le préalable de la désaliénation
culturelle. Contrairement à ce que pensent un bon nombre d'hommes
politiques la Culture n'est pas un appendice de la politique, que l'on
648 Dominique WOLTON, « L'identité francophone dans
la mondialisation », op. cit., p. 25
649 C'est-à-dire de tous les hommes ou du point de vue du
commun des mortels.
650 Léopold Sédar SENGHOR, « la Francophonie
comme culture », op. cit. (loc. cit.), p. 132
651 Aimé CÉSAIRE, Cahier d'un retour au pays
natal, Présence Africaine, Paris, 1983, p. 7
165
peut couper sans dommage. Ce n'est même pas un simple
moyen de la politique. La culture est le préalable et la fin de toute
politique digne de ce nom652.
Mieux, la sublimation que fait Léopold Sédar
Senghor est une sorte d'invitation à assumer le fait historique pour
pouvoir construire un avenir ou un monde fraternel dans lequel Noirs et Blancs
seront des partenaires égaux. Pour lui, l'histoire coloniale
était une manière, même si brutale fut-elle653,
d'entrer en contact avec les autres654. Par le biais de la
colonisation, l'Afrique et l'Europe ont tissé un lien historique que
Senghor convie à conserver et à entretenir à travers le
projet de la Francophonie.
Nous pouvons ainsi émettre que la sublimation est une
résignation chez Léopold Sédar Senghor comme chez tout le
peuple noir à l'époque coloniale. Cela est perceptible dans un
passage de L'aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane, passage
dans lequel la Grande Royale demande au peuple Diallobé d'accepter
d'envoyer leurs enfants à l'école des Blancs pas parce qu'elle
est bonne, mais parce que le peuple Diallobé ne peut rien faire face
à la machine coloniale qui est l'école :
- L'école où je pousse nos enfants tuera en eux
ce qu'aujourd'hui nous aimons et conservons avec soin, à juste titre.
Peut-être notre souvenir lui-même mourra-t-il en eux. Quand ils
nous reviendrons de l'école, il en est qui ne nous reconnaitrons pas. Ce
que je propose c'est que nous acceptions de mourir en nos enfants et que les
étrangers qui nous ont défaits prennent en eux toute la place que
nous aurons laissée libre655.
Senghor accepte sa condition de colonisé, et invite ses
pairs ou confrères à y faire pareillement comme l'a
proposé la Grande Royale. Marcien Towa a vu juste lorsqu'il dit :
Mais Senghor voudrait que le colonisé considère
l'occupation de son pays, la colonisation en elle-même, non comme une
catastrophe, mais comme un « Avènement » : [...] La
colonisation n'exporte pas seulement, des marchandises et des soldats, mais
aussi « des professeurs, des médecins, des ingénieurs, des
administrateurs et des missionnaires... Elle ne tue pas seulement, elle
guérit et éduque », des écoles, des routes, des
hôpitaux... [...] L'Europe nous a apporté, avec le
développement des sciences, des techniques plus efficaces que celles
dont nous disposions...656
L'histoire africaine est marquée pour toujours par la
traite négrière et la colonisation. Ce que l'on peut faire est de
la sublimer et de la dépasser pour aller de l'avant. Et, c'est ce que
652 Léopold Sédar SENGHOR, Nation et voie
africaine du socialisme, Présence Africaine, Paris, 1961, p. 82
653 Emmanuel MACRON, lors d'une visite à Alger, affirme
que « la colonisation est un crime contre l'humanité
». Chronique de HAMIDOU Anne, Monde, 17.02.2017
654 François FILLON considère « la
colonisation comme partage de culture à d'autres peuples ».
Idem.
655 Cheikh Hamidou KANE, L'aventure ambiguë, Paris,
Julliard, coll.10/18, 1961, pp. 57-58
656 Marcien TOWA, Léopold Sédar Senghor :
Négritude ou Servitude ?, Yaoundé, Édition CLE, 1980,
p. 96
166
fait Senghor avec le projet de la Francophonie. Quoi qu'on
dise, le projet de la Francophonie a partie liée avec le fait colonial
et ses conséquences politiques, linguistiques, culturelles, religieuses
et identitaires. Avec le projet de la Francophonie, il s'agissait pour les
Africains non seulement de ne pas avoir honte d'avoir été
colonisés, mais d'apporter leur contribution décisive au monde de
demain qui est en train de se construire (la mondialisation). Prêtons les
propos de Félix Houphouët Boigny à Léopold
Sédar Senghor pour mieux mettre en évidence l'idée qui
sous-tend le projet de la Francophonie :
Alors mes chers frères, il n'y a pas de honte à
avoir été colonisés. Nous n'avons
plus à nous attarder dans des complaintes inutiles.
Nous devons apporter de plus à ce monde notre contribution
décisive.657
Les propos de Félix Houphouët Boigny corroborent
bien la conception senghorienne de la Francophonie. Il ne s'agit pas de
s'enorgueillir du fait d'être colonisé, mais d'accepter le fait
d'être colonisé. En effet, Léopold Sédar Senghor
n'avait aucun complexe d'ancien colonisé.658 La colonisation
fait partie de l'histoire des Noirs autant que la traite
négrière. De tous les humains, le Nègre est le seul dont
la chair fut faite marchandise659 et hostie.660 Cela est
marqué dans l'histoire collective des Noirs. Tout au long de son
histoire et de sa marche, le continent africain n'a cessé de se frotter
à d'autres civilisations : la conquête des arabes, la
conquête occidentale, la traite négrière, la colonisation,
la néo-colonisation, la mondialisation. Refuser cette évidence,
c'est refuser d'exister et d'avoir une identité. L'Afrique ne peut rien
y faire que se résigner et l'accepter.
La sublimation de l'histoire tragique de l'Afrique est d'abord
pour Senghor une manière de se libérer, et enfin de «
libérer l'homme noir de la domination et de tous ses complexes, et
de l'amener à recouvrer sa dignité afin de participer pleinement
à l'avènement de la `' Civilisation de l'universel'', projet de
société et concept chers à Senghor
».661 Elle est également une source de
réapprovisionnement psychologique afin de puiser la sève
somptueuse dont le monde a besoin pour vivre ensemble.
657 Félix Houphouët BOIGNY, discours
prononcé lors de la proclamation de l'indépendance de la
Côte d'Ivoire, Fraternité Matin, hors-série,
n°6, août 2010, p. 7
658 Maurice DRUON, op. cit.
659 Achile MBEMBA, Critique de la raison nègre,
La découverte, 2013, 267 p.
660 Cf. Léopold Sédar SENGHOR, Hosties
noires.
661 Eugène TAVARES, « Négritude, Lusitanie et
Francophonie chez Léopold Sédar Senghor ou la recherche ineffable
d'identité », Synergies, n° spécial 2,
Brésil, 2010, p. 102 (op. cit.)
167
L'histoire montre qu'il y a une filiation entre l'Afrique et
l'Europe, pourquoi ne pas s'en servir alors pour redéfinir de nouveaux
liens ? Senghor semble donner la réponse avec le projet de la
Francophonie.
Le contact de l'Afrique avec l'Europe ne s'est pas fait de
façon paisible et pacifique, mais brutal laissant des stigmates dans la
conscience de la collectivité. Ce malaise a occasionné la haine,
la colère contre le colonisateur oubliant l'apport positif de ce
contact. La traite négrière et la colonisation sont, certes,
négatives dans l'ensemble, et personne ne veut les revivre, mais elles
ont favorisé l'ouverture de l'Afrique à d'autres races, à
d'autres cultures et civilisations. Elles ont permis, également,
à des peuples de se rencontrer et de se tisser des liens fraternels.
Léopold Sédar Senghor, réalisant les
bienfaits de cette rencontre, de ce contact, se démarque de ses pairs et
adopte un ton plus conciliant dans ses poèmes. Ce ton adopté
n'est rien d'autre que la sublimation662 de l'aspect négatif
de cette rencontre qui pourrait détériorer les relations
fraternelles et amicales entre l'Afrique et l'Europe. Pour lui, il fallait
acquérir les connaissances et les valeurs culturelles du colonisateur
pour pouvoir prétendre être égaux. Il conçoit la
traite négrière et la colonisation comme une aubaine pour
l'Afrique, car elles ont permis le contact avec l'Europe à travers
l'école.
Quant à l'école des Blancs, elle a permis
d'acquérir les connaissances et les valeurs culturelles requises du
colonisateur et qui fait de l'homme noir un partenaire égal de l'homme
blanc. L'impact positif de l'école est que l'Africain se serve de la
langue du colonisateur pour se faire comprendre des autres en
général, et du colonisateur en particulier avec qui il est
lié définitivement. L'école a été, aussi, un
instrument de la colonisation, ainsi qu'un apport positif. Léopold
Sédar Senghor veut retenir de la colonisation cet apport positif, du
fait qu'elle a ouvert les africains vers au monde extérieur.
La filiation historique avec la France est indéniable.
Par la sublimation, Léopold Sédar Senghor prend ce qu'il y a de
positif pour faire de cette filiation historique un outil unificateur entre
deux races : la race noire et la race blanche. En fait, au centre de sa
conception de la Francophonie se trouve l'idée que l'Afrique est
liée à l'Europe, à la France par le biais de l'histoire
coloniale. Cette histoire a permis une rencontre enrichissante de part et
d'autre en
662 La sublimation, dans ce contexte, est une dérivation
de but de la négativité. Mieux, c'est rendre plus attrayant dans
sa création ce qui est mauvais dans la réalité. Senghor,
au travers de sa poésie, appréhende la colonisation de
façon positive.
168
donnant naissance à une nouvelle carte du monde : la
communauté des francophones et la communauté des non francophones
répondant ainsi à ceux qui pensent que le malheur de l'Afrique,
c'est avoir rencontré la France663, et à ceux qui
estiment qu'il faut couper le cordon ombilical avec l'ancienne puissance
coloniale qui est la France664. La sublimation lui offre
l'opportunité de dire qu'il n'y a pas de choc, mais une rencontre
fructueuse. Cette rencontre a engendré l'idée du concept de
Francophonie, pour ainsi dire. En fait, la filiation établie entre
l'Afrique et l'Europe par la traite négrière et la colonisation
est l'une des raisons latentes du projet de la Francophonie.
Au colonialisme avec son cortège habituel de violences,
d'humiliations, de guerres et d'exploitations intensives, s'associaient des
formes d'empathie et des doses de fraternité qui ont longtemps
lié Français et Africains dans une possible communauté de
destins historiques, que Léopold Sédar Senghor appellera plus
tard la Francophonie. Pétri de contradictions, oscillant, constamment,
entre les logiques antagonistes de l'assimilation et l'association, et traitant
tout à la fois ses colonisés en frères et en sujets,
l'impérialisme français a constitué un cadre complexe au
sein duquel les Africains pouvaient paradoxalement imaginer et forger aussi de
nouvelles identités, voire de nouvelles définitions de la
nationalité, de la souveraineté et de la République. Ce
cadre est propice à Senghor pour définir le concept de
Francophonie.
Cependant, la filiation historique ne semble pas la seule
raison latente du projet de la Francophonie chez Léopold Sédar
Senghor. L'autre raison qui pourrait influencer Senghor dans
l'élaboration du projet de la Francophonie est la participation des
Noirs à la seconde guerre mondiale. C'est ce dont il s'agit dans notre
second point d'analyse. Nous savons qu'à chaque fois qu'il y a un choix
à faire, à chaque fois où Senghor est confronté
à un choix cornélien, il choisit de sacrifier l'une de ses
passions où l'un de ses amours. Il est question, cette fois-ci, du
sacrifice des soldats noirs. Nous montrons que Senghor sublime ce sacrifice
pour annoncer l'avènement d'un monde meilleur et plus fraternel. Pour
Léopold Sédar Senghor, les soldats africains morts au champ de
bataille sont une semence afin qu'advienne un monde meilleur où les
races et les nations vivront en harmonie. Et, ce monde n'est que, dans son
entendement, la Francophonie. Il reste à interroger ses oeuvres pour
dégager les réseaux associatifs qui mettent en évidence ce
sacrifice. Mieux, il s'agit d'expliquer comment le sacrifice de l'Afrique
pour
663 C'est la pensée d'Aimé Césaire de la
colonisation. Nous estimons qu'il y a une opposition entre cette pensée
et celle de Senghor. Selon Aimé Césaire, « Aucun contact
humain, mais des rapports de domination et de soumission f...] » et
« que notre malchance a voulu que ce soit l'Europe-là que nous
ayons rencontrée sur notre route f...] ». Cf. Discours sur
le colonialisme, pp. 12-14.
664 Ici, référence à Alpha CONDÉ,
lors de la cérémonie Africa Emergence en Côte d'Ivoire, le
mercredi 28 mars 2017, disponible sur
http://www.afrique-sur7.fr/47967/africa-emergence-guinee-alpha-conde-demande-a-couper-cordon-france/
169
l'Europe peut être un fait historique influençant
Senghor dans l'élaboration du projet de la Francophonie.
170
2. LE SACRIFICE DE L'AFRIQUE POUR L'EUROPE
Le sang versé pour une tierce personne ou pour soi est
un sacrifice ultime dont on a recours dans les cas extrêmes,
c'est-à-dire le sang est le symbole du grand sacrifice. Dans l'ensemble
des poèmes de Léopold Sédar Senghor, l'on dénombre
au moins cent trente-deux (132) occurrences du mot « sang », pour
dire qu'il considère cela comme un sacrifice. Ce qui est, pour lui, une
obsession : « Avant de nous intéresser aux différentes
représentations du sang dans l'oeuvre, il faut dire que ce liquide
visqueux, de couleur rouge, fonctionne comme une obsession chez le
poète. »665 C'est la raison pour laquelle Sana
Camara affirme qu' « il serait [bon] de voir en Senghor seulement le
poète du sacrifice [...] »666. Le thème du
sacrifice est mis en évidence dans l'ensemble des poèmes de son
recueil Hosties noires. Dans ce recueil, « le poète y
dénonce le spectacle écoeurant des Noirs utilisés comme
des chairs à canons. »667, et selon Papa Samba
Diop, « l'adjectif `'noires» caractérise ces offrandes
à Dieu, et désigne les corps des soldats africains morts pendant
la seconde Guerre mondiale. Le poète les assimile à des victimes,
dont l'immolation s'est faite sur l'autel des intérêts de
l'Europe. »668 Bien que Hosties noires soit
l'oeuvre phare mettant en relief le thème du sacrifice, ce thème
traverse, également, presque toute la production poétique de
Senghor. Le sacrifice, qu'il soit animalier ou pas, qu'il soit expiatoire ou
pas, qu'il soit échappatoire ou pas, est un acte que l'on pose en
réparation d'une faute, d'une offense ou que l'on pose pour avoir ce
qu'on désire ardemment. Pour dire que le sacrifice n'a jamais
été vain, il a une dimension profondément positive, comme
nous le saisissons dans les extraits ci-dessous :
J'offre un poulet sans tache, debout près de
l'Ainé, bien que tard venu, afin qu'avant l'eau crémeuse et la
bière de mil
Gicle jusqu'à moi et sur mes lèvres charnelles le
sang chaud salé du taureau dans la force de l'âge, dans la
plénitude de sa graisse. (Po :57)
665 René GNALÉGA, « Le symbole du sang dans la
poésie de Senghor », Senghor et la Civilisation de
l'Universel, op. cit., p. 40
666 Sana CAMARA, « Aimé Césaire et
Léopold face à l'historicité nègre »,
Éthiopiques, numéro spécial, hommage à
Aimé Césaire, p. 188
667 Adama NDAO, « Étude de Hosties noires »,
op. cit.
668 Papa Samba DIOP ; « Léopold Sédar Senghor
: Poésie », op. cit., p. 36.
171
Ou
Et quelle offrande apaisera le masque blanc de la déesse ?
Sera-ce le sang des poulets ou des cabris ou le sang gratuit de mes veines ?
Seront-ce les prémices de mon chant dans l'ablution de mon
orgueil ?
[...]
Le poulet blanc est tombé sur le flanc, le lait
d'innocence s'est troublé sur les tombes
Le berger albinos a dansé par le tann, au tam-tam solennel
des défunts de l'année. (Po : 145-146)
À travers les extraits ci-dessus, il ressort, chez
Senghor, que le sacrifice, dans ses poèmes, n'est pas seulement humain,
mais aussi animalier. Ce sacrifice a un sens double dans les poèmes
senghoriens, comme le dit Babacar M'Baye :
D'une part, Senghor se sert de ces poèmes comme moyen
d'exprimer le cosmopolitisme avec lequel il adopte la France et son
idéal de liberté, qui a incité d'autres soldats
sénégalais et lui-même à se battre pour
libérer la métropole de l'envahisseur allemand. D'autre part, il
se sert aussi de ces poèmes comme d'un outil pour révéler
la déception et la colère qu'il ressent en découvrant une
société française qui refuse de percevoir les tirailleurs
comme égaux, malgré l'énorme sacrifice accompli par ces
soldats au nom du développement de la France et de sa lutte pour la
liberté669.
Par le sacrifice des tirailleurs sénégalais,
Senghor invite la France à daigner reconnaître ces tirailleurs
africains qui l'avaient libérée comme des cousins cosmopolites.
Cette idée sous-tend son projet de la Francophonie. Il a la ferme
conviction que ce sont la guerre et le sacrifice des tirailleurs qui lui ont
permis de prendre conscience d'une théorie du métissage culturel,
comme l'idéal de civilisation, défendu avec le concept de
Francophonie :
Après deux ans de captivité [...], deux ans de
méditation, je suis sorti guéri. Guéri de la
négritude-ghetto, parce que du racisme [...]. Pendant deux ans, j'avais
donc médité sur l'essence du « miracle grec ». [...]
Et, j'avais découvert, au bout de ma réflexion, que
c'était le miracle du métissage, biologique, mais surtout
culturel, qui avait créé la civilisation grecque. [...] Cette
découverte, refaite en face du nazisme, m'a aidé à
transformer ma vie, à m'orienter, peu à peu vers la
théorie du métissage culturel, comme l'idéal de
civilisation670.
Les années de guerre marquent une importante rupture de
Senghor d'avec la Négritude militante. Il acquiert la conviction que
tous les hommes sont égaux et que, pour sauver l'homme,
669 Babacar M'BAYE, « Cosmopolitisme et anticolonialisme
dans quelques poèmes de Léopold Sédar Senghor pendant la
Seconde Guerre mondiale », Migrance, 39, pp. 79-91
670 Léopold Sédar SENGHOR, La poésie en
action, Stock, Paris, 1980, pp. 184-185
172
il faut le métissage des civilisations. Or, «
en Francophonie, il s'agit toujours de l'homme : à sauver et
à perfectionner [...J »671. C'est dire que la
Francophonie est la nouvelle orientation de la Négritude, expression de
sa foi en l'avènement d'un monde de fraternité et de paix.
Intéressons-nous à présent aux oeuvres poétiques de
Senghor pour dégager les réseaux associatifs afin d'exprimer
comment le sacrifice de l'Afrique pour l'Europe l'a-t-il influencé dans
l'élaboration de la Francophonie.
Léopold Sédar Senghor a été
marqué par la guerre. L'on pourrait s'appuyer uniquement sur ses oeuvres
poétiques pour dire qu'il a été un soldat, voire un
tirailleur sénégalais, car ses oeuvres en sont le
témoignage. En effet, par ses oeuvres, l'on apprend de lui qu'il a
été fait prisonnier en Allemagne puis relâché.
À travers les poèmes « Libération » (Chants
d'ombre), « Femme de France », « Ndessé »,
« Lettre à un prisonnier » (Hosties noires »,
« Kaya-Magan » (Éthiopiques), qui sont superposables,
Léopold Sédar Senghor exprime ses souvenirs de prisonnier.
Superposons-les pour en savoir plus.
(Libération)
Les torrents de mon sang sifflaient le long des berges de ma
cellule. [...1
Et libéré de ma prison, je regrettais
déjà le pain bis et le
bas-flanc des insomnies. (Po : 24-25)
(Femme de France)
Comme le lait et le pain bis de paysan, purs dans ses mains si
gauches et calleuses ! (Po : 76)
(Ndessé)
Voici que je suis devant toi Mère, soldat aux manches
nues
[...1
Mère, je suis un soldat humilié qu'on nourrit de
gros mil.( Po :79-80)
(Lettre à un prisonnier)
Vous ignorez le bon pain blanc et le lait et le sel et les
mets
substantiels qui ne nourrissent pas, qui divisent les civils. (Po
:81)
De ces extraits se forme le réseau du
Prisonnier : ma cellule, libéré de
ma prison, le pain bis, le lait et le pain bis, un
soldat aux manches nues, un soldat humilié, gros
mil, le bon pain et le lait et le sel et les mets substantiels.
Ce réseau justifie que Léopold Sédar Senghor a
été bel et bien un prisonnier pendant la seconde guerre mondiale,
et traduit, également, le souvenir d'un prisonnier de guerre. Senghor a
un souvenir douloureux de la guerre. À travers lui, ce sont tous les
prisonniers de guerre, particulièrement les tirailleurs
sénégalais, maltraités, mal nourris, qui sont
convoqués par ce réseau. Ils ont pour nourriture le lait et le
pain bis, ce pain nazi donné
671 Léopold Sédar SENGHOR, « la Francophonie,
comme culture », op. cit. (loc. cit.), p. 139
173
aux prisonniers, ces « mets substantiels qui ne
nourrissent pas, qui divisent... ». Cette idée est mise en
évidence dans « Élégie pour Georges Pompidou »
(Élégies Majeurs) :
Donc bénissez mon peuple noir, tous les peuples à
peau
brune à peau jaune
Souffrant de par le monde, tous ceux que tu relevas fraternel,
ceux que tu honoras
Qui étaient à genoux, qui avaient trop longtemps
mangé le
pain amer, le mil le riz de la honte les haricots : (O. Po
:319)
La superposition de cet extrait avec nos extraits
précédents accuse un réseau singulièrement sombre :
les prisonniers ne sont pas considérés comme des humains. Les
indices textuels, tels que « les torrents de mon sang »,
« regrettais », « insomnies », «
ses mains gauches et calleuses », « un soldat
humilié », « qui divisent les civils »,
« pain amer », « le riz de la honte »
traduisent l'écoeurement, la répugnance de Léopold
Sédar Senghor à l'encontre de la guerre. En effet, la guerre fut
atroce, et les Noirs étaient animalisés, bestialisés et
méprisés par les Allemands. Les tirailleurs
sénégalais étaient appelés « Die Schwarze
schande»672, ce qui signifie la honte noire, par les
Allemands pour parler de la France qui compte sur ses colonies pour combattre.
Senghor se souvient de la maltraitance et de l'humiliation subies par les
prisonniers africains, parce qu'il a été, à la fois,
témoin oculaire de ces souffrances déshumanisantes et victime. En
effet,
La guerre fut pour Senghor une expérience
pénible, humiliante et dégoutante. Armé de ses
diplômes et de sa « doctrine » pacifiste, il pouvait caresser
l'espoir d'une carrière brillante et sereine. Brusquement, la guerre
fait de lui un soldat de deuxième classe au 23è, puis
au 3è Régiment d'Infanterie Coloniale : un tirailleur
sénégalais comme un autre. Il touche du doigt le sort qui est
fait aux seins. Mais cette fois il n'est plus simple témoin, il est
parmi eux ; il ne les regarde pas se débattre, il se débat avec
eux. Il s'émeut profondément, l'indignation et la colère
montent673.
Cependant, en étant prisonnier, soldat, Senghor prend
conscience de ce qu'est l'être humain, c'est-à-dire
l'existentialisme qui place la liberté humaine au-dessus de tout, qui
défend la valeur de la personne humaine et qui cherche à
réaliser son épanouissement, qui invite à la mort de soi
pour renaitre à l'autre.674 Mieux, c'est son horreur du
nazisme, de la guerre, qui changea sa vision de la Négritude, et qui le
rendit humaniste. Cette prise de conscience l'amène à la
sublimation des atrocités de la guerre pour en faire une offrande
sacrificielle que l'Afrique a donné à l'Europe en
général, et à la France en particulier pour la renaissance
du monde. Le
672 Cf. « Aux tirailleurs sénégalais morts
pour la France », Hosties noires, op. cit., p. 62.
673 Marcien TOWA, op. cit., p. 47.
674 Jean Paul SARTRE, « L'existentialisme est un humanisme
», discours prononcé en 1946 à la Sorbonne
174
titre d'un de ses poèmes de Hosties noires est
révélateur : « Aux tirailleurs sénégalais
morts pour la France ». Ce titre nous situe sur le sens expressif des
poèmes de Senghor. En effet, on comprend par ce titre que les
tirailleurs sénégalais ont fait don de leur corps et de leur vie
pour sauver la France, d'où aussi la haine des Allemands pour les Noirs
: « Die Schwarze schande ». La sublimation de ce sacrifice,
de ces tirailleurs morts oubliés par la France, est l'expression de la
moisson future qui sera renaissance pour une communauté fraternelle et
humaine. C'est ce sens que Senghor donne au sacrifice des tirailleurs
sénégalais. Leurs sangs deviennent alors don, libation, sacrifice
ou expiatoire duquel renaissent l'espoir et la vie d'une communauté
aspirant à la fraternité universelle.
Avant de parler de la deuxième guerre mondiale à
laquelle les tirailleurs sénégalais ont donné leurs corps
comme des « hosties noires » pour la France, intéressons-nous
à la guerre de Fouta-Djallong contre Gâbou pour savoir les raisons
d'un tel rappel dans les poèmes senghoriens. Cette guerre est mise en
évidence dans « Que m'accompagnent Koras et Balafong » de
Chants d'ombre dans l'extrait suivant:
J'étais moi-même le grand-père de mon
grand-père J'étais son âme et son ascendance le chef-de la
maison d'Élissa de Gâbou
Droit dressé ; en face, le Fouta-Djallong et l'Almamy de
Fouta
« On nous tue, Almamy ! on ne nous déshonore pas.
»
Ni ses montagnes ne purent nous dominer ni ses cavaliers
nous encercler ni sa peau claire nous séduire Ni nous
abâtardir ses prophètes.
Ma sève païenne est un vin vieux qui ne s'aigrit, pas
le vin de palme d'un jour.
Et seize ans de guerre ! seize ans le battement des tabalas de
guerre des tabalas des balles !
Seize ans les nuages de poudre ! seize ans de tornade sans un
beau jour un seul
? Et chante vers les fontaines la théorie des jeunes
filles
aux seins triomphants comme tours dans le soleil Seize ans le
crépuscule ! et les femmes autour des sources
étendent des pagnes rouges
Seize ans autour du marigot d'élissa, que fleurissent-les
lances bruissantes. (Po : 30-31)
Dans cet extrait, il s'agit de la longue guerre contre
Fouta-Djallong et le Gâbou. En effet,
Chez les sérères, une tradition fait venir la
dynastie princière des Guellowar du Kaabu. [...]. On pense que cette
migration a eu lieu au plus tôt au XIVe siècle, [...].
Dans tous les cas, l'origine mandingue de certains clans sérères
est indiscutable. Senghor s'est inspiré de ces traditions orales de son
poème, « Que m'accompagnent koras et balafong ». Ce
poète reprend le récit des luttes entre le Fouta-Djallon et les
Kaabunke [...]. La guerre dont parle Senghor n'est pas le kansala kelo ou
guerre de
175
Kansala ; il s'agit cependant d'un épisode de la longue
guerre du Fouta-Djallon contre Gabu.675
En fait, cette guerre entre le Fouta-Djallong et le
Gâbou est due à la volonté du Fouta-Djallong d'islamiser le
Gâbou qui refuse de l'être : « Ma sève païenne
est un vin vieux qui ne s'aigrit, pas le vin de palme d'un jour ». Ce
refus engendrera la guerre. Ce poème est une manière pour Senghor
de dire son refus d'être assimilé, et de chanter la bravoure de
ses ancêtres qui ont transmis cet orgueil, cette fierté
d'être soi à leurs descendants :
Mon père m'a dit que ses ancêtres venaient du
Gabou qui est une région de la haute
Guinée portugaise. Les Senghor se trouvent surtout en
Casamance, à la frontière de l'ancienne Guinée portugaise
[...].676
C'est pourquoi, Marcien Towa dira que
Dans le plus grand poème Que m'accompagnent Koras et
Balafong, Senghor
exalte la bravoure que déploya le peuple
sérère au cours d'une longue année de guerre de seize ans
contre l'Almamy (chef religieux) du Fouta677.
Le récit de la guerre entre Fouta-Djallong et le
Gâbou est aussi mis en évidence dans « Épitres
à la princesse » d'Éthiopiques :
Grâces à la Princesse qui se faisait loisirs de mes
récits, pleurant aux malheurs de ma race :
Les guerres contre l'Almamy, la ruine d'Élissa et l'exil
à Dyilor du Saloum
La fondation du Sine. Et le désastre
Quand les Guelwârs furent couchés sous les canons
comme
des gerbes lourdes. Les cavaliers
désarçonnés
Tombèrent debout les yeux grands ouverts au chant des
griots.
Et de nouveau la ruine de Dyilôr, le manoir investi par
cactées et Khakhams. (Po : 136)
La superposition de cet extrait avec celui de Chants
d'ombre accuse un réseau à la fois sombre et heureux. Les
réseaux formés et qui y correspondent sont :
- Massacre : droit dressé, tué,
seize ans de guerre, seize ans de guerre, seize ans le battement des tabalas,
de guerre des tabalas, des balles, seize ans de tornade, rouge, les
675 Djibril Tamsir NIANE, « Les sources orales de l'histoire
du Gabu », Éthiopiques, n°28, numéro
spécial, octobre 1981
676 Léopold Sédar SENGHOR, La poésie de
l'action, p. 32 (C'est également pour lui une occasion de justifier
ses origines).
677 Marcien TOWA, op. cit., p.31
176
guerres contre l'Almamy, la ruine d'Elissa, l'exil à
Dyilôr du Saloum, le désastre, couché sur les canons,
désarçonnés, tombèrent, la ruine de Dyilôr,
le manoir investi.
- Honneur/Intégrité : on ne nous
déshonore pas, ni ses montagnes ne purent nous
dominer, ni ses cavaliers nous encercler, ni sa peau claire nous
séduire, ni nous abâtardir, debout, au chant des griots.
- Renaissance : triomphants, le soleil,
crépuscule, fleurissent, nouveau.
De ces réseaux, est mis en évidence le massacre
fait par le Fouta-Djallong. Durant ce massacre,
les ancêtres de Léopold Sédar Senghor sont
restés intègres. Le Fouta-Djallong n'a pas pu flétrir la
culture des Guelwârs : « L'honneur et l'héroïsme
constituent les vertus nobles par excellence. La noblesse sérère
(les Guelwârs) les posséda au plus haut point [...]
».678 Senghor considère la guerre de seize ans
comme la preuve indélébile de l'honneur de tous les tirailleurs
sénégalais aux fronts en général, et de tous les
Noirs en particulier. L'homme noir est intègre à telle enseigne
qu'il peut se sacrifier pour préserver sa dignité et son honneur
:
Guêlowar !
Ta voix nous dit l'honneur l'espoir et le combat, et ses ailes
s'agitent dans notre poitrine
Ta voix nous dit la République, que nous dresserons la
Cité dans le jour bleu
Dans l'égalité des peuples fraternels. Et nous nous
repon-dons : « Présents, ô Guelowâr ! » (Po :
71)
car l'intégrité est une qualité
intrinsèque de la condition sociétale traditionnelle de l'homme
noir. De tous les cas, la guerre de seize ans a permis aux
Sérères de rebâtir leur royaume par le sacrifice et par la
fierté, par « l'orgueil de [leurs] pères
»679 :
Seize ans durant, les ancêtres opposèrent
à l'agression de l'Almamy, chef du Fouta, une farouche
résistance, sacrifiant tout : trésors, captifs, masques,
épouses, « et ma vieille peau », ajoute le poète. Du
massacre général purent échapper deux princesses,
escortées de paysans, « leurs seigneurs et leurs sujets »,
« et parmi elles la mère Sira-Badral, fondatrice de royaumes, qui
sera le sel des Sérères, qui seront le sel des peuples
salés »680
C'est cette idée de bâtir après la guerre
que Senghor veut retenir lorsqu'il rappelle la guerre de seize ans qui opposait
ses ancêtres à l'Almamy de Fouta-Djallong ; cette même
idée se lit dans « CAMP 1940/Au Guélowar », de
Hosties noires : « la Cité dans le jour bleu
»681.
Chez Senghor, la mort n'est pas gratuite, elle est source de
renaissance, de naissance d'un nouveau monde. Ses ancêtres n'ont pas pris
la guerre de seize ans comme une fatalité, au
678 Marcien TOWA, Idem., p. 35
679 Cf. « Ndessé », Hosties noires, p.
80
680 Marcien TOWA, op. cit., p. 35
681 Cf. « Camp 1940/ Au Guélowar »,
Hosties noires, op. cit., p. 71
177
contraire, cette guerre leur aura appris à tenir ferme
dans leur conviction, et donné le courage de rebâtir les murs de
leur royaume. On comprend, dès lors, qu'il faut se sacrifier, mourir
pour que renaisse la Cité de demain où
« [...] l'enfant blanc et l'enfant noir-- c'est l'ordre
alpha-
bétique--, [...] les enfants de la France
Confédérée
aillent main dans la main
« Tels que les prévoit le Poète, tel le couple
Demba-Dupont
sur les monuments aux Morts
« Que l'ivraie de la haine n'embarrasse pas leurs pas
dépé-
trifiés
« Qu'ils progressent et grandissent souriants, mais
terribles
à leurs ennemis comme l'éclair et la foudre
ensemble. (Po : 69)
Tant de sacrifices ne doivent demeurer vains, pense
Léopold Sédar Senghor, ils devront être « cendre
pour les semailles d'hivernage »682 « de la
France Confédérée »683. Cette France
Confédérée n'est autre que la Francophonie, car elle
regroupait au temps de la seconde guerre la France et ses colonies. Senghor
avait à l'esprit, comme l'on peut l'appréhender dans l'extrait de
« Prière des Tirailleurs sénégalais », une
France rénovée qui épouserait les idéaux d'entraide
et d'assistance mutuelle, où l'enfant blanc et l'enfant noir vivront
ensemble, une France unie avec ses colonies. Ce fut un rêve qui ne saura
tarder car la réalité en est que ce rêve a donné
naissance à la Francophonie, un concept qui semblerait signifier «
apprenons à vivre différents et ensemble ».
À présent, superposons d'autres poèmes
afin de mieux cerner l'idée qui sous-entend la naissance de la
Francophonie : le sacrifice des Noirs pour la France. Nous allons d'abord
superposer cinq poèmes, à savoir « À l'appel de la
race de Saba », « Aux tirailleurs sénégalais »,
« Assassinat », « Prière de paix » (Hosties
noires), et « Élégie pour Aymina Fall »
(Nocturnes).
(À l'appel de la race de Saba)
Mère, sois bénie !
Reconnais ton fils à l'authenticité de son regard,
qui est
celle de son coeur et de son lignage
Reconnais ses camarades reconnais les combattants, et
salue dans le soir rouge de ta vieillesse
L'AUBE TRANSPARENTE D'UN JOUR NOUVEAU. (Po : 59-60)
(Aux tirailleurs sénégalais morts pour la
France)
Ah ! puissé-je un jour d'une voix couleur de braise,
puissé-je chanter
L'amitié des camarades fervente comme des entrailles et
délicate, forte comme des tendons
Écoutez-nous, Morts étendus dans l'eau au profond
des
682 Cf. « Chaka», Éthiopiques, op.
cit., p. 118
683 Cf. « Prière des Tirailleurs
sénégalais », Hosties noires, op. cit., p.
69
178
plaines du Nord et de l'Est
Recevez ce sol rouge, sous le soleil d'été ce sol
rougi du sang des blanches hosties
Recevez le salut de vos camarades noirs, Tirailleurs
sénégalais
MORTS POUR LA RÉPUBLIQUE ! (Po : 63)
(Assassinat)
Les prisonniers sénégalais
ténébreusement allongés sur la
terre de France
En vain ont-ils coupé ton rire, en vain la fleur plus
noire
de ta chair
Fleur noire et son sourire grave, diamant d'un temps
immé-
morial
Vous êtes le limon et le plasma du printemps viride du
monde. (Po : 75)
(Prière de paix)
? Mais je sais bien que le sang de mes frères rougira de
nouveau l'Orient jaune, sur les bords de l'Océan Pacifique que violent
tempêtes et haine
Je sais bien que ce sang est la libation printanière dont
les Grands-Publicains depuis septante années engraissent les terres
d'Empire. (Po : 90)
(Élégie pour Aymina Fall)
Voyez le laurier rose qui grandit sur les cendres. L'herbe
repousse, tendre, pour les antilopes après l'incendies de Novembre. Il a
versé son sang, qui féconde la terre d'Afrique ; il a
racheté nos fautes, il a donné sa vie sans rupture pour
l'UNITÉ DES PEUPLES NOIRS. (Po : 210)
Par la superposition de ces différents extraits,
s'accusent les réseaux d'association de Guerre
(combat), de Sacrifice, de Renaissance
et de Fraternité (amitié). Pour le
réseau de Guerre/Combat, nous avons les
combattants, tirailleurs sénégalais, les
prisonniers sénégalais. Concernant le
Sacrifice, il s'agit de le soir rouge, ce sol
rouge, ce sol rougi du sang des blanches hosties, morts
étendus, Morts pour la République,
allongés sur la terre de France, le sang de mes
frères rougira de nouveau l'Orient jaune sur les bords de l'Océan
Pacifique, ce sang est la libation printanière,
engraissent les terres d'Empire, il a versé son sang,
il a racheté nos fautes, il a donné sa vie. Quant au
réseau de Renaissance, il est constitué de
L'aube transparente d'un jour nouveau, vous êtes le limon et
le plasma du printemps viride du monde, de nouveau, ce sang
est la libation printanière, voyez le laurier rose qui grandit
sur les cendres, l'herbe repousse, qui féconde la
terre d'Afrique, pour l'unité des peuples noirs. Le
réseau de Fraternité/Amitié se constitue
de Ses camarades, l'amitié des camarades, le salut
de vos camarades noirs, mes frères, l'unité des
peuples noirs. L'association de ces réseaux nous
révèle que la guerre chez Senghor n'a jamais été
une fatalité. Au contraire, cette association traduit la conception
senghorienne de la vie. Il n'y a pas de vie sans mort. De la mort provient la
vie, il y
179
a vie parce qu'il y a mort. C'est ce que l'on retient de la
première interprétation de cette association de réseaux.
Au-delà de cette lecture interprétative, nous pouvons dire que
dans la mort tous les hommes, qu'ils soient noirs ou blancs, sont
égaux.
Les tirailleurs sénégalais, sans
arrière-pensée, ont accepté d'être des «
hosties noires », parce qu'ils se considéraient frères des
soldats français qui luttaient pour la République, parce que la
France était aussi leur République. Après la guerre, ils
ont été victimes du racisme français, et ils ont compris,
dès lors, qu'ils n'ont jamais été français.
Cependant, Léopold Sédar Senghor, dans un souci
d'égalité et de fraternité, estime que la construction de
la République fraternelle, dans laquelle l'enfant noir et l'enfant blanc
seront frères et amis, est possible. Et cela est mis en évidence
dans « À l'appel de la race de Saba », et repris dans «
Élégie pour Martin Luther King » : « Les Blancs et
les Noirs, tous les fils de la même Terre-Mère
»684. Parce que les Noirs et les Blancs sont
frères, Senghor envisage alors l'unité ou le rassemblement des
deux races, non plus pour la guerre, mais pour la culture de paix, dans une
communauté plus fraternelle et plus humaine. Et « c'est en
honneur des hommes rassemblés »685 qu'il
préconise la communauté des parlants français,
appelée Commonwealth à la française, qui, plus tard,
devient la Francophonie.
Superposons d'autres poèmes pour mieux expliciter nos
propos. Cette fois-ci, il s'agit de « In memoriam », «
Prière aux masques » (Chants d'ombre), « Poème
liminaire », « Luxembourg 1939 » « Prière des
tirailleurs sénégalais », « Au gouverneur
Éboué », « Chant de printemps », « Tyaroye
» (Hostie) et « Chaka » (Éthiopiques).
Ces poèmes mettent, davantage, en lumière de ce dont nous venons
de parler.
(In memoriam)
O Morts, qui avez toujours refusé de mourir, qui avez su
résister à la Mort
Jusqu'en Sine jusqu'en Seine, et dans mes veines fragiles, mon
sang irréductible
Protégez mes rêves comme vous avez fait vos fils,
les migrateurs aux jambes minces.
O Morts ! défendez les toits de Paris dans la brune
dominicale
Les toits qui protègent mes morts. (Po : 7-8)
(Prière aux masques)
Voici que meurt l'Afrique des empires? c'est l'agonie
d'une princesse pitoyable
Et aussi l'Europe à qui nous sommes liés par le
nombril
Fixez vos yeux immuables sur vos enfants que l'on commande
Qui donnent leur vie comme le pauvre son dernier vêtement.
(Po : 21)
684 Cf. « Élégie pour Martin Luther King
», Élégies majeures, OEuvre poétique, Paris
Seuil, 1990, p. 302
685 Cf. « Élégie des Alizés »,
Idem, p. 263
180
(Poème liminaire)
Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères
noirs à la main chaude sous la glace et la mort
Qui pourra vous chanter si ce n'est votre frère d'armes,
votre frère de sang ?
[...1
Qui pourra vous chanter si ce n'est pas votre frère
d'armes, votre frère de sang
Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères
noirs à la main chaude, couchés sous la glace et la mort ? (Po :
53-54)
(Luxembourg 1939)
Je vois tomber les feuilles dans les faux abris, dans les fosses
dans les tranchées
Où ruisselle le sang d'une génération
L'Europe qui enterre le levain des nations et l'espoir des races
nouvelles. (Po : 64)
(Prière des tirailleurs sénégalais)
Tu le sais-- et la plaine docile se fait jusqu'au non abrupt
des volontaires libres
Qui offraient leurs corps de dieux, gloire des stades, pour
l'honneur catholique de l'homme.
[...1
« Seigneur, écoute l'offrande de notre foi
militante
« Reçois l'offrande de nos corps, l'élection
de tous ces corps
ténébreusement parfaits
« Les victimes noires paratonnerres
« Nous T'offrons nos corps avec ceux des paysans de
France, nos camarades (Po : 66-68)
(Au gouverneur Éboué)
L'Afrique s'est faite acier blanc, l'Afrique s'est faite hostie
noire
Pour que vive l'espoir de l'homme. (Po : 72)
(Chant de printemps)
Et le sang de mes frères blancs bouillonne par les
rues,
plus rouge que le Nil-- sous quelle colère de Dieu ?
Et le sang de mes frères noirs les Tirailleurs
sénégalais, dont
chaque goutte répandue est une pointe de feu à mon
flanc. Printemps tragique ! Printemps de sang ! Est-ce là ton
message, Afrique ?... (Po : 84)
(Tyaroye)
Non, vous n'êtes pas morts gratuits ô Morts ! Ce
sang
n'est pas de l'eau tépide.
Il arrose épais notre espoir, qui fleurira au
crépuscule.
Il est notre soif notre faim d'honneur, ces grandes reines
absolues
Non, vous n'est pas morts gratuits. Vous êtes les
témoins
de l'Afrique immortelle
Vous êtes les témoins du monde nouveau qui sera
demain. (Po : 89)
(Chaka)
CHAKA
Une basse-cour cacardante, une sourde volière de
mange-mils oui !
Oui des cents régiments bien astiqués, velours
peluché aigrettes de soie, luisants de graisse comme cuivre rouge.
181
J'ai porté la cognée dans ce bois mort,
allumé l'incendie
dans la brousse stérile
En propriétaire prudent. C'étaient cendres pour les
semailles
d'hivernage.
[...1
UNE VOIX (comme de Chaka, lointaine)
Il faut mourir enfin, tout accepter...
Demain mon sang arrosera ta médecine, comme le lait la
sécheresse du couscous.
Devin disparais de ma face ! On accorde à tout
condamné
quelques heures d'oubli.
[...1
CHAKA
Pour l'amour de ma Nolivé. Pourquoi le
répéter ?
Chaque mort fut ma mort. Il fallait préparer les
moissons
à venir
Et la meule à broyer la farine si blanche des tendresses
noires. (Po : 118-124)
Nous allons d'abord procéder à l'identification
des réseaux de chaque poème (ou extrait) avant de faire
apparaître les réseaux d'association communs aux poèmes.
C'est-à-dire présenter d'abord les images qui se saisissent dans
chaque poème avant de procéder à la superposition pour
mettre à nu la métaphore obsédante ou l'invariant qui
structure la pensée de Léopold Sédar Senghor. À cet
effet, nous avons les réseaux suivants :
(In memoriam)
- Mort : O Morts, mourir, la Mort, mon sang
irréductible, O mort, mes morts.
- Protection : résister à la
mort, protégez mes rêves, défendez les toits de Paris, les
toits qui protègent mes morts.
(Prière aux masques)
- Mort : meurt l'Afrique des empires, l'agonie
d'une princesse. - Lien : liés, le nombril, fixez.
(Poème liminaire)
- Mort : La mort, frère de sang, sous la
glace et la mort, couchés sous la glace - Fraternité
: mes frères noirs, frères d'armes, votre frère
de sang.
(Luxembourg 1939)
- Mort : tomber les feuilles, dans les fosses,
dans les tranchées, ruisselle le sang d'une génération,
enterre
- Renaissance : une génération, le
levain des nations, l'espoir des races nouvelles. (Prière des
tirailleurs sénégalais)
- Sacrifice : des volontaires libres, offraient
leurs corps, l'offrande de notre foi militante, l'offrande de nos corps,
l'élection de tous ces corps, les victimes noires paratonnerres, offrons
nos corps.
- Fraternité : ceux des paysans de
France, nos camarades.
- Religion : Seigneur, notre foi militante,
l'honneur catholique de l'homme. (Au gouverneur Éboué)
- Sacrifice : acier blanc, hostie noire.
182
- Renaissance : l'espoir de l'homme. -
Religion : hostie.
(Chant de printemps)
- Mort : le sang de mes frères blancs,
rouge, le sang de mes frères noirs, chaque goutte
répandue, une pointe de feu à mon flanc, printemps
tragique, printemps de sang.
- Fraternité : mes frères blancs,
mes frères noirs
- Renaissance : Printemps.
(Tyaroye)
- Mort : morts, ô Morts, ce sang.
- Renaissance : arrose, notre espoir, fleurira,
monde nouveau, demain, l'Afrique immortelle.
(Chaka)
- Mort : j'ai porté la cognée,
ce bois mort, allumé l'incendie, il faut mourir, mon sang,
condamné, chaque mort fut ma mort.
- Renaissance : c'étaient cendres pour
les semailles d'hivernage, demain, arrosera, il fallait préparer les
moissons à venir.
À partir de ces réseaux nous voyons se
dégager deux invariants qui sont Mort et
Renaissance.
Ce qui suppose que la superposition de ces différents
réseaux nous accuse une métaphore obsédante de la mort et
de la renaissance, impliquant ainsi une corrélation entre la mort et la
vie. Il ne faut pas négliger aussi l'invariante
fraternité. L'idée, qui sous-entend la superposition de
ces différents réseaux, est l'unité dans la mort,
l'unité dans la vie. Il ressort de cette idée que nous devons
nous unir quelles que soient les circonstances : malheureuses ou heureuses. En
effet, les différents réseaux mettent en évidence une
nouvelle alliance contractée par le sang versé au champ de
bataille, ainsi le Blanc et le Noir sont devenus des frères de sang.
C'est pourquoi, Senghor estime qu'ils devront mourir ensemble pour
renaître ensemble pour un nouveau monde.686 Du chaos doit
surgir un nouveau monde dans lequel Blanc et Noir seront frères de sang,
car il n'y a pas de différence entre le sang du Blanc et celui du Noir.
C'est le même sang rouge qui coule dans les veines et artères de
chacun : de la colonisation ou de la guerre, l'on doit prendre conscience afin
de rebâtir ensemble la cité de demain qui sera celle de la
fraternité entre Blanc et Noir. Cette métaphore obsédante
montre, également, que la guerre a été le lieu où
le lien unissant la France à ses colonies a été
renforcé, même si la France fut ingrate envers les tirailleurs
sénégalais (confère le poème Tyaroye).
Après la guerre, Léopold Sédar Senghor croit alors avoir
trouvé le moyen de renouveler les liens déjà
scellés entre la
686 « Voilà donc le Négro-Africain qui
sympathise et s'identifie, qui meurt à soi pour renaître à
L'autre. Il n'assimile pas, il s'assimile. Il vit avec l'Autre en symbiose
[...] » (les fondements de l'africanité, Paris,
Présence Africaine, 1967, pp. 254-255). C'est ce modèle de vie
que Léopold Sédar Senghor veut réaliser avec le Blanc,
l'Occident.
183
France et ses anciennes colonies, nouvellement
indépendantes, afin de les réconcilier, et ce, à
l'ensemble des pays parlant français, car il éprouvait «
le besoin de se débarrasser de sa carapace coloniale et de se
métamorphoser ».687
Une analyse minutieuse de ces réseaux ou de la
métaphore obsédante révèle, d'une part, que
l'Afrique, depuis cinq siècles, comme le Christ, est crucifiée
par la Traite des Nègres, la Colonisation et les Guerres mondiales pour
les pays occidentaux en général, et pour la France en
particulier, afin d'une civilisation nouvelle :
Nous avons tout oublié, comme nous savons le faire :
les deux cent millions de morts de la Traite des Nègres, les violences
de la Conquête, les humiliations de l'indigénat. Nous n'en avons
retenu que les apports positifs. Nous avons été le grain
foulé au pied, le grain qui meurt, pour que naisse la Civilisation
nouvelle. À l'échelle de l'Homme,
intégrale688.
et d'autre part, que Léopold Sédar Senghor
sacrifie sa Négritude pour construire une communauté plus
fraternelle et plus universelle en vue d'une nouvelle race humaine. Autrement
dit, par la mort des Noirs au champ de bataille, Senghor faisait allusion
à la mort de la Négritude :
J'ai laissé sept ans la négritude sans eau pour que
naisse la vision
Et fleurisse la race humaine. (O. Po : 266)
On peut dire que Senghor, par ces réseaux associatifs,
sacrifie tout ce qui fait sa Négritude pour prôner la
fraternité des peuples ayant le français en partage ou en commun,
pour forger une nouvelle race humaine, comme le stipule l'extrait de
Élégie des alizés ci-dessus.
En effet, le poète Senghor s'égare «
dans l'unité première de [sa] Négritude »
(Que m'accompagnent Koras et Balafong) pour finalement se
trouver « dans les abîmes de [sa] Négritude »
(Chaka). En d'autres mots, il sait que la Négritude se
cadavérise. Cette mort de la Négritude a été
annoncée par Aimé Césaire dans Le cahier d'un retour
au pays natal :
La vielle négritude
progressivement se cadavérise
l'horizon se défait recule et s'élargit
et voici parmi des déchirements de nuages la
fulgurante d'un signe.
Et Claude Wauthier d'ajouter :
[La Négritude], « fille, souvent rebelle,
parfois soumise,
de la colonisation, est morte avec elle, du moins, a
perdu
avec elle sa justification sur le plan littéraire
».689
687 Gloria SARAVAYA, Langage et poésie chez
Senghor, L'Harmattan, Paris, 1989, p. 9
688 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
1, « Introduction à Négritude et Humanisme », p.
9.
689 Adou BOUATENIN, La poétique de la
Francophonie, op. cit., pp. 87-88
184
Stanislas Adotevi demande donc [à Léopold
Sédar Senghor] d' « avoir à l'esprit la loi de l'action
présente qui est que la vieille négritude faite de tétanos
et de soumission se cadavérise »690. Senghor, ayant
compris, a choisi de tuer cette Négritude, ce vieux nègre au
profit du Nègre nouveau691 qui se réalise dans une
culture universelle et dans une communauté plus fraternelle, plus
humaine et universelle. C'est en ce sens que Jean-Paul Sartre dit que la
Négritude « [...] est passage et non aboutissement, moyen et
non fin dernière. [...] Un pas de plus et la Négritude va
disparaître tout à fait »692 pour
préparer la synthèse ou la réalisation de l'humain dans
une société sans races, c'est-à-dire dans la Francophonie.
Elle apparaît alors comme étant cette communauté qui
réunira les peuples ayant la langue française en commun ou en
partage. Elle est née sur les cendres de la vieille Négritude.
Les morts au champ de bataille pendant la seconde guerre étaient cendres
pour les semailles d'hivernage, parce qu'il fallait préparer les
moissons à venir, celles d'une nouvelle race humaine, consciente que
tous les hommes sont égaux et qu'ils ont besoin d'une solidarité
qui exclura tout complexe de frustration, toute forme de surenchère,
toute politique de bascule, d'humeur ou de mendicité. Pour nous
résumer, nous disons que la Négritude, ayant été
vue comme un concept raciste et vilipendée parfois, a été
renouvelée par Senghor, qui a jugé bon de trouver un autre
concept, non raciste, rassemblant ainsi Noirs et Blancs ; d'où le choix
de la Francophonie.
Les Noirs ont donné leur chair en hostie pour une
France confédérée, et Léopold Sédar Senghor
sacrifie sa Négritude pour l'union entre les différents
États parlant français, car il s'agissait pour lui
d'édifier, entre nations majeures (indépendantes), une
véritable communauté culturelle. Et, en 1962, par le biais de la
revue Esprit, il définit cette communauté culturelle
voulue, et la nomma « Francophonie ». Le sacrifice de l'Afrique pour
l'Europe est chez Léopold Sédar Senghor le sacrifice de la
Négritude pour la Francophonie.
Le sacrifice de l'Afrique pour l'Europe est ce que l'on
déduit de la lecture des poèmes de Léopold Sédar
Senghor. Nous avons failli être pris par ce piège de lecture que
pourrait faire un lecteur quelconque. Cependant, la lecture minutieuse,
assurée par la psychocritique, nous a
690 Stanislas ADOTEVI, Négritude et
négrologues, Union générale d'édition, Paris,
1972, collection 10/18, p. 149
691 Léopold Sédar SENGHOR : « Que meure le
vieux nègre et vive le Nègre nouveau I »,
Élégie des alizés, op. cit., p. 270
692 Jean-Paul SARTRE, « Orphée noir »,
Préface de Anthologie de la nouvelle poésie nègre et
malgache de langue française, op. cit., p. XLI
185
permis d'éviter ce piège. Par cette lecture,
nous avons relevé qu'en fait le sacrifice dont parlent les poèmes
senghoriens n'est rien d'autre que le sacrifice de sa Négritude. Il a
sacrifié sa Négritude au champ de bataille durant la seconde
guerre et pendant sa captivité pour une communauté
réunissant, à la fois, le Noir et le Blanc. Cette
communauté serait la Francophonie. En sacrifiant sa Négritude, il
songeait en l'avènement d'un monde de fraternité et de paix,
comme le dit-il dans Chaka693, où le
métissage des civilisations permettra de réaliser le seul
humanisme acceptable par tous et de tous. Il prémédite la mort de
la Négritude en 1939 et la sacrifie en 1956 pour la faire surgir en 1962
sous la forme de Francophonie, pour dire qu'il n'a de cesse d'inventorier les
spécificités et les richesses de la Négritude, mais
surtout de conformer cette Négritude à ses convictions et ses
rêves de poète. Sans être toujours compris, il les reprend,
les précise, les nuance, dans ses discours, conférences et
allocutions en s'attachant à l'idée que la culture l'emporte sur
les choix politiques ou idéologiques. Finalement, il propose la
Francophonie, fille de la liberté et soeur de l'indépendance,
qui, à ses yeux, constitue un humanisme intégral pour notre
temps, planétaire et respectueux de la diversité des cultures.
La Francophonie est l'idéal de civilisation qui
s'enrichit du métissage des cultures. La guerre, sa captivité
pendant deux ans, et le sang des Tirailleurs sénégalais et des
soldats blancs versé, lui ont permis de comprendre que l'homme est un
être sacré qui mérite respect et dignité quelles que
soient son origine raciale et sociale, sa langue, sa culture et sa religion.
Cette découverte transforma sa conception de la Négritude.
Désormais, sa Négritude n'est plus seulement l'ensemble des
valeurs de civilisation du monde noir, mais elle est aussi française, un
humanisme moderne apte à résoudre les problèmes auxquels
l'humanité est confrontée. Elle est l'expression de la nouvelle
race humaine, voulue par Léopold Sédar Senghor en 1962 dans la
revue Esprit 694
La guerre est une raison latente qui a préludé
à la conception de la Francophonie, c'est-à-dire au projet de la
Francophonie, chez Léopold Sédar Senghor. Le projet de la
Francophonie est dû au trauma de la guerre. Voyant les cadavres des
Tirailleurs sénégalais, des Français, des Arabes, des
Juifs, des Russes, des Allemands, des Anglais, et hanté par ces morts,
Senghor a jugé utile de célébrer la vie, la renaissance,
la fraternité, car il n'y avait pas de différences entre ces
Tirailleurs sénégalais morts et ces Français, Arabes,
Juifs, Russes, Allemands couchés dans
693 Léopold Sédar SENGHOR : « CHAKA
Ce n'est pas haïr que d'aimer son peuple.
Je dis qu'il n'est pas de paix armée, de paix sous
l'oppression
De fraternité sans égalité. J'ai voulu tous
les hommes frères. », Éthiopiques,
op. cit., p. 123
694 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, langue de culture », op. cit. (loc.
cit.), p. 844
186
les fosses communes. Au sortir de ce calvaire, Senghor estima
que sa lutte serait de sauver l'homme et de le perfectionner intellectuellement
avec Descartes, moralement avec Pascal et intégralement avec
Teillhard.
Cependant, pour la réalisation de ce projet humaniste,
il faut bannir la « haine qui brûle le coeur.
»695 Senghor demande aux Noirs de pardonner pour une
renaissance du monde, car c'est au tour des Noirs d'apporter la pierre à
l'édifice de la Civilisation de l'Universel. « Malgré la
soumission `' à la règle, à l'équerre et au
compas» (Chaka) imposée à l'Afrique
»696, Senghor pardonne l'Europe de ses actes, barbares et
humiliants, faits au continent africain, car il songeait « à
créer de nouvelles dimensions et de nouvelles lois à la culture
humaine ».697 L'Afrique est le grain qui meurt pour que
naisse la civilisation nouvelle, à l'échelle de l'homme,
intégrale. Il invite le continent africain à trouver dans son
passé humilié la source non de sa révolte, mais de sa
fierté d'homme afin d'exprimer son humanité et de racheter le
monde en apportant sa contribution, comme jadis, à la germination d'une
civilisation panhumaine.698 L'Afrique doit accorder le pardon
à l'Europe. Le pardon des Noirs tient une place importante dans le
projet de la Francophonie à telle enseigne que l'on se demande si ce
pardon n'est pas un pardon de résignation. En fait, le pardon des Noirs
est le substrat du projet de la Francophonie chez Léopold Sédar
Senghor.
695 Cf. « Chaka », op. cit., p. 122
696 Adou BOUATENIN, La poétique de la
Francophonie, op. cit., p. 59
697 Jacques RABEMANANJARA, « Les fondements de notre
unité... », Présence Africaine, n° 24-25,
Fév.-Mai 1950, p. 78
698 Léopold Sédar SENGHOR, « Lettre à
trois poètes de l'hexagone », OEuvre poétique,
op. cit., p. 378
187
3. LE PARDON DES NOIRS POUR UNE RENAISSANCE DU
MONDE
Le pardon est non seulement un motif très important
dans l'oeuvre de Senghor, mais il est au coeur même de l'oeuvre. Le
pardon peut être perçu comme une sorte de substance et une
cohérence, qui serait à la base du projet de vie intellectuelle
voire politique de Léopold Sédar Senghor. En effet, Senghor
dépasse la haine et le ressentiment pour prôner le pardon et
annoncer un monde de paix et de fraternité, c'est-à-dire il
accorde le pardon à l'Europe par amour de la culture de celle-ci, pour
la création d'une Civilisation de l'Universel. Sa volonté de
pardonner l'amène à la réconciliation, à
l'acceptation de l'Autre afin qu'advienne un monde où les races et les
nations vivront en harmonie. Joseph Roger de Benoist dit, à cet effet,
que
Ce refus de la dichotomie associé à sa formation
chrétienne a donné naissance à une attitude proprement
senghorienne : le pardon. « Il ne viendrait jamais à Césaire
ni à Damas l'idée du pardon. Léopold Sédar Senghor
reste profondément marqué par son éducation
chrétienne, ce qui le porte plus facilement à trouver dans le
dialogue un instrument idéal de rédemption : il est le
poète non seulement de l'indulgence, mais-- ce qui est
particulièrement exemplaire et courageux-- de l'offrande de soi sur
l'autel de la réconciliation humaine. »699
Le pardon chez Senghor serait, aussi, une sorte de
prière conviant le peuple noir à se joindre à tous les
peuples du monde pour la paix et la fraternité, car il rêvait de
fraternité entre peuples blancs et noirs. La Francophonie est
l'expression de ce pardon senghorien. En effet, « [la] Francophonie se
trouve aujourd'hui à l'avant-garde d'un combat pour la tolérance
entre les peuples et les cultures. »700 C'est la raison
pour laquelle, Virginie Marie affirme qu'
il (Senghor) n'a pas conçu la Francophonie et
oeuvré pour elle pour des fins
personnelles. Il l'a fait pour les peuples parlant
français, et désireux de travailler ensemble pour une vie
meilleure701.
Que disent ses poèmes du pardon ? Et, comment le pardon
peut en être le substrat du projet de la Francophonie ?
699 Joseph Roger DE BENOIST, Léopold Sédar
Senghor, Beauchesne, Paris, 1998, p. 35
700 Bruno BOURG-BROC, « Une Francophonie parlementaire
», Après demain, n°480-481-482,
Janvier-Février-Mars 2006, p. 28
701 Virginie MARIE, « De la Francophonie
`'centripète» à une Francophonie périphérique
», op. cit., p. 65
188
La logique veut que ce soit l'offenseur qui demande pardon et
non l'offensé. Or chez Léopold Sédar Senghor, par sa voix,
c'est la race offensée qui pardonne la race offenseuse de ses avanies,
comme nous l'appréhendons dans les poèmes que nous superposerons.
En fait, Senghor souhaite qu'aucune haine n'habite le coeur des Noirs, car ils
sont un peuple qui pardonne. Nous superposons deux poèmes de Chants
d'ombre (« Neige sur Paris » et « Que m'accompagnent Koras
et Balafong »), deux de Hosties noires (« Assassinats »
et « Chants de printemps »), et un de Éthiopiques
(« Chaka). Voilà les extraits :
(Neige sur Paris)
Seigneur, je ne sortirai pas ma réserve de haine, je le
sais, pour les diplomates qui montrent leurs canines longues Et qui demain
troqueront la chaire noire.
Mon coeur, Seigneur, s'est fondu comme neige sur les toits de
Paris
Au soleil de votre douceur.
Il est doux à nos ennemis, à mes frères
aux mains blanches sans neige (Po : 20)
(Que m'accompagnent Koras et Balafong)
Nuit qui me délivres des raisons des sophismes,
des pirouettes des prétextes, des haines calculées
des carnages humanisés
Nuit qui fonds toutes mes contradictions, toutes contradictions
dans l'unité première de ta négritude (Po : 35)
(Assassinats)
Le chant vaste de votre sang vaincra machines et canons
Votre parole palpitante les sophismes et mensonges
Aucune haine votre âme sans haine, aucune ruse votre
âme sans ruse.
O Martyrs noirs race immortelle, laissez-moi dire les paroles
qui pardonnent. (Po : 75)
(Chant de printemps)
Je t'ai dit :
? Écoute le silence sous les colères
flamboyantes
La voix de l'Afrique planant au-dessus de la rage des canons
longs
[...]
Elle dit ton baiser plus fort que la haine et la mort. (Po :
85)
(Chaka)
LA VOIX BLANCHE
Ta voix est rouge de haine, Chaka...
CHAKA
Je n'ai haï que l'oppression...
LA VOIX BLANCHE
De cette haine qui brûle le coeur.
La faiblesse du coeur est sainte, pas cette tornade de feu.
CHAKA
Ce n'est pas haïr que d'aimer son peuple.
Je dis qu'il n'est pas de paix armée, de paix sous
l'oppression
De fraternité sans égalité. J'ai voulu tous
les hommes frères. (Po : 122-123)
189
À partir de la superposition effectuée, les
groupes d'association, qui se lisent, sont : le Désamour
(ma réserve de haine, leurs canines longues, troqueront la
chaire noire, des haines calculées, des carnages humanisés,
machines et canons, haine, ruse, les colères flamboyantes, des canons
longs, la haine et la mort, rouge de haine, haï, cette haine, cette
tornade de feu, oppression, haïr, armée), le Mensonge
(les diplomates, des raisons des salons, des salons des sophismes, des
pirouettes, des prétextes, contradictions, les sophismes et mensonges,
ruse), l'Amour (au soleil de votre douceur, il est doux
à nos ennemis, votre parole palpitante, aucune haine, votre âme
sans haine, aucune ruse, votre âme sans ruse, ton baiser, la faiblesse du
coeur, ce n'est pas haïr, aimer son peuple), le Pardon
(je ne sortirai pas ma réserve de haine, s'est fondu comme
neige, qui me délivres des salons des sophismes, qui fonds toutes mes
contradictions, le chant vaste de votre sang vaincra machines et canons, aucune
haine, aucune ruse, les paroles qui pardonnent, la voix de l'Afrique planant
au-dessus de la rage des canons longs, ton baiser plus fort, paix, aimer), la
Fraternité (à mes frères aux mains
blanches, humanisés, ta négritude, votre âme, O Martyrs
noirs, laissez-moi, ton baiser, ta voix, son peuple, fraternité,
égalité, tous les hommes frères) et la Religion
(Seigneur, sainte).
De ces associations, nous pouvons dire que devant le
désamour et le mensonge de la France, l'Afrique manifeste un amour, et
décide de pardonner à la France et de fraterniser avec elle au
nom de la religion. Loin d'éprouver de la haine pour la France, Senghor
lui manifeste un attachement passionnel, un amour et une acceptation
résignés, « car le poète veut pardonner et
oublier [...j »702 pour prôner « la
fraternité avec l'ancien colonisateur »703 dans un
monde de parfaite égalité. Le pardon sera l'expression de
l'incapacité du Noir face à la férocité du Blanc
qui use des canons et des machines pour s'exprimer et se faire accepter. Le
Noir sait que la lutte contre le Blanc est une lutte perdue d'avance ; pour
gagner cette lutte, il aura fallu que le Noir se résigne à sa
condition de dominé en accordant son pardon à son bourreau, et
fait ainsi de l'ennemi un frère. En effet, le recours au pardon et
à la fraternité est l'arme idéale que l'homme noir, qui
« éprouve le besoin de débarrasser de sa carapace
coloniale et de se métamorphoser »704, a pour cette
lutte qu'il sait perdue d'avance, parce que l'homme blanc a des machines et des
canons. Le pardon est ce silence sous les colères flamboyantes
des machines et des canons que le peuple noir adresse à la France.
Nous comprenons dès lors que le pardon est cette sainte faiblesse du
coeur du peuple noir, autrement dit l'expression d'un peuple
résigné
702 René GNALÉGA, Senghor et la civilisation de
l'universel, L'Harmattan, Paris, 2013, p. 20
703 Papa Samba DIOP, « Léopold Sédar Senghor :
un repère essentiel », Francofonia, 15, 2006, p. 104
704 Gloria SARAVAYA, Langage et poésie chez
Senghor, op. cit. (loc. cit.), p. 9
190
et ayant à l'idée que la France comprendra son
attitude résignée et de non-violence. L'association de ces
réseaux relevés montre l'image d'un pacifiste.
Superposons d'autres textes pour confirmer ou infirmer les
idées avancées afin d'appréhender l'image qui se
perçoit derrière la métaphore obsédante du pardon.
Ce sont « L'ouragan », « Le message », « Neige sur
Paris », « Libération » (Chants d'ombre), «
Poème liminaire », « Aux soldats
négro-américains », « Prière de paix »
(Hosties noires), « Congo », « Chaka »
(Éthiopiques), « Chants pour signare », « Chant
de l'initié », « Élégies/Élégie de
minuit », « Élégie des eaux »
(Nocturnes), « Élégie pour George Pompidou »
(Élégies majeures). Voici les différents extraits
:
(L'ouragan)
L'ouragan arrache tout autour de moi
Et l'ouragan arrache en moi feuilles et paroles futiles.
Des tourbillons de passion sifflent en silence
Mais paix sur la tornade sèche, sur la fuite de
l'hivernage ! (Po : 9)
(Le message)
Pour viatique, des paroles de paix, blanches à m'ouvrir
toute route.
J'ai traversé, moi aussi, des fleuves et des forêts
d'embûches
vierges
D'où pendaient des lianes plus perfides que serpents
J'ai traversé des peuples qui vous décochaient un
salut
empoisonné.
Mais je ne perdais pas le signe de reconnaissance
Et veillaient les Esprits sur la vie de mes narines.(Po :
16-17)
(Neige sur Paris)
Arborant des draps blancs
-- « Paix aux Hommes de bonne volonté ! »
Seigneur, vous avez proposé la neige de votre Paix au
monde divisé à l'Europe divisé
À l'Espagne déchirée
Et le Rebelle juif et catholique a tiré ses mille quatre
cents
canons contre les montagnes de votre Paix
Seigneur, j'ai accepté votre froid blanc qui brûle
plus que
le sel,
Voici que mon coeur fond comme neige sous le soleil.
J'oublie (Po : 19-20)
(Libération)
J'ai dit paix à mon âme sur un signe de l'Ange mon
guide
Mais quelle lutte sans masseur, dont j'ai tout le corps moulu
!
[...]
Levant mon regard au-delà du soleil, à l'Est
Je vis poindre les étoiles et entendis le cantique de
paix. (Po : 25)
(Poème liminaire)
Ah ! ne dites pas que je n'aime pas la France-- je ne suis pas la
France, je le sais--
Je sais que ce peuple de feu, chaque fois qu'il a
libéré ses mains
191
A écrit la fraternité sur la première page
de ses monuments Qu'il a distribué la faim de l'esprit comme de la
liberté À tous les peuples de la terre conviés
solennellement au
festin catholique
Ah ! je ne suis-je pas assez divisé ? Et pourquoi cette
bombe Dans le jardin si patiemment gagné sur les épines de la
brousse ?
Pourquoi cette bombe sur la maison édifiée pierre
à pierre ? Pardonne-moi, Sîra-Badral, pardonne étoile du
Sud de mon sang
Pardonne à ton petit-neveu s'il a lancé sa lance
pour les seize sons du sorong. (Po :54)
(Aux soldats négro-américains)
Vous apportez le printemps de la Paix et l'espoir au bout de
l'attente.
[...1
Vous leur apportez le soleil. L'air palpite de murmures
liquides et de pépiements cristallins et de battements
soyeuses d'ailes
[...1
Frères noirs, guerriers dont la bouche est fleur qui
chante
? Oh ! délice de vivre après l'Hiver? je vous salue
comme
des messagers de paix. (Po : 87-88)
(Prière de paix)
« ...Sicut et nos dimittimus debitoribus nostris
»
[...1
Au pied de mon Afrique crucifiée depuis quatre cents
ans
et pourtant respirante
Laisse-moi Te dire Seigneur, sa prière de paix et de
pardon.
[...1
II
Seigneur Dieu, pardonne à l'Europe blanche !
[...1
Car il faut bien que Tu oublies ceux qui ont exporté
dix
millions de mes fils dans les maladreries de leurs navires
Qui en ont supprimé deux cents millions.
[...1
Seigneur la glace de mes yeux s'embue
Et voilà le serpent de la haine lève la tête
dans mon
Coeur, ce serpent que j'avais cru mort...
III
Tue-le Seigneur, car il me faut poursuivre mon chemin,
et je veux prier singulièrement pour la France.
Seigneur, parmi les nations blanches, place la France à
la
droite du Père.
[...1
Oui Seigneur, pardonne à la France qui dit bien la voie
droite
et chemine par les sentiers obliques
[...1
Oui Seigneur, pardonne à la France qui hait les
occupants
et m'impose l'occupation si gravement
[...1
IV
Ah ! Seigneur, éloigne de ma mémoire la France qui
n'est pas la France, ce masque de petitesse et de haine sur le visage de la
France
Ce masque de petitesse et de haine pour qui je n'ai que haine ?
mais je ne peux bien haïr le Mal
192
Car j'ai une grande faiblesse pour la France
[...1
Bénis ce peuple qui m'a apporté Ta Bonne
Nouvelle, Sei-
gneur, et ouvert mes paupières lourdes à la
lumière de la
foi.
Il a ouvert mon coeur à la connaissance du monde, me
mon-
trant l'arc-en-ciel des visages neufs de mes frères.
[...1
Je vous salue tous d'un coeur catholique.
[...1
V
[...1
Et donne à leurs mains chaudes qu'elles enlacent la terre
d'une ceinture de mains fraternelles
DESSOUS L'ARC-EN-CIEL DE TA PAIX. (Po : 90-94)
(Congo)
Toi calme Déesse au sourire étale sur l'élan
vertigineux de ton sang
O toi l'Impaludée de ton lignage, délivre-moi de la
surrection de mon sang. (Po : 100)
(Chaka)
LA VOIX BLANCHE
La faiblesse du coeur est pardonnée...
CHAKA
La faiblesse du coeur est sainte...
[...1
LA VOIX BLANCHE
Ta voix est rouge de haine Chaka...
CHAKA
Je n'ai haï que l'oppression...
LA VOIX BLANCHE
De cette haine qui brûle le coeur.
La faiblesse du coeur est sainte, pas cette tornade de feu.
CHAKA
Ce n'est pas haïr que d'aimer son peuple.
Je dis qu'il n'est pas de paix armée, de paix sous
l'oppression
De fraternité sans égalité. J'ai voulu tous
les hommes frères.
LA VOIX BLANCHE
Tu as mobilisé le Sud contre les Blancs...
CHAKA
Ah ! te voilà Voix blanche, voix partiale voix
endormeuse.
Tu es la voix des forts contre les faibles, la conscience des
possédants de l'Outre-mer.
Je n'ai pas haï les Roses-d'oreilles. Nous les avons
reçus
comme les messagers des dieux
Avec des paroles plaisantes et des boissons exquises. (Po :
119-123)
(Chants pour signare)
[...1
J'emprunte la flûte qui rythme la paix des troupeaux
Et tout le jour assis à l'ombre de tes cils, près
de la Fontaine
Filma
[...1
Depuis longtemps civilisé, je n'ai pas encore
apaisé le Dieu
blanc du Sommeil.
[...1
Et je reposerai longtemps sous une paix bleu-noir
Longtemps je dormirai dans la paix joalienne
193
Jusqu'à ce que l'Ange de l'Aube me rende à ta
lumière
À ta réalité brutale et si cruelle, ô
Civilisation !
[...]
Des coussins d'ombre et de loisirs, le bruit d'une source
de paix
[...]
La paix des fromagers planait sur son espoir et les sourcils
de son Champion.
[...]
Que je dorme sur la paix de ton sein, dans l'odeur des
pommes-cannelles.
[...]
Te rappelles-tu cette rumeur de paix ? De la ville basse
vague par vague
[...] (Po : 169-184)
(Chant de l'initié)
Je m'assis sous la paix d'un caïcédrat, dans l'odeur
des troupeaux et du miel fauve. (Po : 190)
(Élégies/Élégie de minuit)
Viendra la paix viendra l'Ange de l'aube, viendra le chant des
oiseaux inouïs
Viendra la lumière de l'aube. (Po : 198)
(Élégie des eaux)
Seigneur, entendez bien ma voix. PLEUVE ! il pleut
Et vous avez ouvert de votre bras de foudre les cataractes du
pardon. (Po : 206)
(Élégie pour Georges Pompidou)
Donc bénissez mon peuple noir, tous les peuples à
peau brune à peau jaune
Souffrant de par le monde, tous ceux que tu relevas fraternels,
ceux que tu honoras
Qui étaient à genoux, qui avaient trop longtemps
mangé le pain amer, le mil le riz de la honte les haricots : Les
Nègres pour sûr les Arabes, les Juifs avec les Indo-Chinois les
chinois que tu as que j'ai visités
? Pour les Grand Blancs aussi pendant que nous y sommes, priez,
avec leurs super-bombes et leur vide, ils ont besoin d'amour. (O. Po : 319)
Lorsque nous parcourons les extraits ci-dessus sans les
superposer, nous pouvons, dès lors, affirmer que la poésie de
Senghor est une quête perpétuelle de paix, de tranquillité
et d'harmonie. Ce qui sous-entend qu'il est un homme de paix, un pacifiste, et
que sa poésie est une « poésie de réconciliation
raciale. »705 Qu'en disent les réseaux
d'association de ces extraits superposés ? La superposition de ces
extraits accuse les associations suivantes :
- Souffrance ou Division :
L'ouragan arrache, des tourbillons de passion, la tornade sèche, des
fleuves et des forêts d'embûches, un salut empoisonné, des
lianes plus perfides que serpents, brûle, au monde divisé à
l'Europe divisé, à l'Espagne déchirée,
705 Jean-Georges PROSPER, « Léopold Sédar
Senghor : Un humaniste de génie », Éthiopiques,
n°59, 2ème Semestre 1997
194
ses mille quatre cents canons, le soleil, lutte sans masseur, le
corps moulu, du soleil, la faim de l'esprit, divisé, cette bombe, les
épines de la brousse, mon sang, cette bombe sur la maison, lance sa
lance, mon Afrique crucifiée, exporte dix millions de mes frères,
les maladreries, leurs navires, supprimé deux cent millions, les
occupants, m'impose l'occupation si gravement, mes paupières lourdes,
cette tornade de feu, armée, l'oppression, ta réalité
brutale, cruelle, votre bras de foudre, souffrant, à genoux, le riz de
la honte, leurs super-bombes, ah !
- Haine/Révolte : La tornade
sèche, embûches, perfides, un salut empoisonné, le serpent
de la haine, hait les occupants, ce masque de petitesse et de haine, je n'ai
que haine, haïr le Mal, la surrection, ta voix est rouge de haine, je n'ai
haï que
l'oppression, de cette haine qui brûle le coeur,
mobilisé le Sud, contre, haï les Roses-d'oreilles, Rebelle,
foudre.
- Religion : Seigneur, Seigneur Dieu, sa
prière, prier, la droite du Père, catholique, au festin
catholique, la voix droite, bénis ce peuple, Ta Bonne Nouvelle, la
lumière de la foi, un coeur catholique, sainte, l'Ange de l'Aube, me
rendre à ta lumière, viendra l'ange de l'aube, les messagers des
dieux, le Dieu blanc, une grande faiblesse, bénissez, priez.
- Mort/Volonté : Hommes de bonne
volonté, mort, tue-le, brûle, ouvert mes paupières, ouvert
mon coeur, me montrant, éloigne de ma mémoire, délivre,
ont besoin d'amour.
- Pardon : J'oublie, pardonne-moi, pardonne
étoile du Sud, pardonne à ton petit-neveu, sicut et nos
dimittimus debitoribus nostris, de pardon, pardonne à l'Europe
blanche, pardonne à la France, pardonnée, apaisé, les
cataractes du pardon, tu oublies, le signe de reconnaissance, mon coeur fond
comme neige, la glace de mes yeux s'embue, j'ai une grande faiblesse pour la
France, je vous salue tous d'un coeur catholique.
- Fraternité : des peuples, l'Espagne, ce
peuple, a écrit la fraternité sur la première page de ses
monuments, la maison, ton petit-neveu, mes Frères noirs, mes fils,
nations blanches, l'arc-en-ciel des visages neufs de mes frères,
enlacent la terre, une ceinture de mains fraternelles, L'ARC-EN-CIEL, j'ai
voulu tous les hommes frères, égalité, les
Roses-d'oreilles, ô Civilisation, ton sein, mon peuple noir, tous les
peuples à peau brune à peau jaune, fraternels, les Nègres,
les Arabes, les Juifs, les Indo-Chinois, les chinois, les Grand Blancs, juif,
Hommes.
- Paix : paix sur la tornade sèche, des
paroles de paix, paix aux Hommes de bonne volonté, la neige de votre
paix, les montagnes de votre Paix, paix à mon âme, le cantique de
paix, libéré ses mains, la liberté, le printemps de la
paix et l'espoir au bout de l'attente, le soleil, des messagers de paix,
prière de paix, sa prière de paix, salue, délivre-moi, de
paix, la paix des troupeaux, L'ARC-EN-CIEL DE TA PAIX, une paix bleu-noir, la
paix joalienne, le bruit d'une source de paix, la paix de ton sein, la paix des
fromagers, son espoir, cette rumeur de paix, la paix d'un
caïcédrat, viendra la paix, besoin d'amour.
Ces réseaux associatifs mettent en évidence un
Senghor en tant qu'une personne éprise de
révolte, nourrie de haine, qui s'évertue
à pardonner la France de ses crimes commis contre l'humanité en
général, et l'Afrique en particulier ; et ce, au nom de la
religion, parce qu'il veut contenter sa conscience religieuse et être
conforme à la morale chrétienne, et vivre dans un
195
monde de paix, car une éventuelle lutte conduirait au
chaos total de l'homme noir. Autrement dit, Senghor veut bien se venger, mais
il est contraint de pardonner, au nom de sa foi catholique. Son pardon devient
une sorte de résignation, et non un signe de lâcheté comme
le veulent ses adversaires. Il se résigne à pardonner, et cela
l'engage à fraterniser avec l'ennemi et à vivre avec celui-ci.
L'idée qui sous-tend la conception senghorienne de la
Francophonie est le fait qu'il n'y a plus d'ennemi. En effet, «
l'ennemi d'hier est un complice [...J »706 qu'il faut
accepter comme tel pour un monde de paix et plus fraternel. En se
résignant au pardon, Senghor se sent obligé de prier pour
l'ennemi afin que celui-ci comprenne son attitude, et qu'en retour il ait
l'amour des autres. L'attitude de Senghor est ce que recommande le Christ
à ses disciples :
Vous avez appris qu'il a été dit : Tu aimeras ton
prochain et tu haïras ton ennemi.
Et moi, je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui
vous persécutent, afin d'être vraiment les fils de votre
Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur
les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les
justes et les injustes.707
C'est à juste titre que beaucoup de critiques ont
estimé que le pardon chez Senghor est dû à sa foi
chrétienne. En fait, Senghor n'envisage pas une lutte victorieuse contre
la France, parce que l'Afrique n'a pas les armes adéquates pour une
telle lutte. Il a préféré plutôt la voie du pardon,
comme le souligne Marcien Towa :
La poésie de Senghor n'envisage pas
l'éventualité d'une lutte victorieuse contre
la domination étrangère. Sa perspective n'est pas
la lutte, mais la négociation, voire le chantage, la prédication
morale, et la prière708.
Attendre le pardon de la France est un rêve, et
Léopold Sédar Senghor en a conscient, alors il se résigne
à l'idée que le pardon de la France est une chose impossible.
Pour vivre ensemble, il faut qu'il ait le pardon. La race offensée
décide, ainsi, par la plume poétique de Senghor, de pardonner la
race offenseuse qui, néanmoins, reconnait ses crimes
coloniaux709 : le massacre de Thiaroye en 1944 au
Sénégal ; la répression dans la Sanaga maritime en pays
bamiléké au Cameroun de 1948-1971 ; les tueries à
Madagascar en 1947 ; le massacre de Dimbokro en Côte d'Ivoire le 30
janvier 1950 ; la chasse à l'homme contre les indépendantistes
algériens le 17
706 Léopold Sédar SENGHOR, « le
français, langue de culture », op. cit.(loc.
cit.), p. 841
707 Matthieu 5, 43-45, la Bible TOB, Alliance-Biblique
Universelle-le CERF, p. 1402
708 Marcien TOWA, Léopold sédar Senghor :
Négritude ou servitude ?, op. cit., p. 14
709 Emmanuel Macron a avoué, selon le journal Le
Monde, que la colonisation est un crime contre l'humanité. Le
Monde, le 17.02.2017. Disponible sur
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/02/17/oui-la-colonisation-est-un-crime-contre-l-humanite_5081481_3212.html#cfMRATP9XeZFxEKw.99
196
octobre 1961 à Paris ou la répression aux
émeutes de Sétif en Algérie dans le département de
Constantine en mai 1945, la discrimination envers les Chibanis (le 31 janvier
2018, la cour d'appel de Paris a condamné la SNCF pour discrimination
envers ceux-ci). On voit, bien, que la France a massacré des dizaines de
milliers d'hommes et de femmes dont le seul tort était de revendiquer
plus de libertés ou l'indépendance.710 Cependant, elle
ne s'est jamais repentie et n'a jamais demandé pardon, parce
qu'orgueilleuse et fière d'apporter la lumière de sa civilisation
à des peuples barbares et sauvages. À cet effet, Senghor pourra
dit :
Je n'attends pas de la France une repentance, ni une
réparation financière, mais
une reconnaissance de faits têtus et un exercice de
dignité en faisant face à un pan peu glorieux de son
histoire.711
À force d'attendre la repentance de la France qui
n'aura jamais lieu, l'Afrique doit se résigner sous le couvert de la
religion et des bienfaits de la colonisation en pardonnant à la France
tous les crimes odieux de la colonisation pour ne « retenir, ici, que
l'apport positif de la colonisation, qui apparaît à l'aube de
l'indépendance. »712 Il ne s'agit pas d'expliquer
tous les maux de l'Afrique par le seul fait de la colonisation, mais de
reconnaître qu'elle a été une cause importante de son
retard. Malgré tout, selon Senghor, il faut pardonner pour aller de
l'avant.
Le pardon chez Léopold Sédar Senghor revêt
un autre sens, celui de la renaissance du monde, car, il s'agit pour le Noir de
répondre à la renaissance du monde, comme l'expose-t-il dans
« Prière aux masques » de Chants d'ombre :
Que nous répondions présents à la
renaissance du Monde Ainsi le levain qui est nécessaire à la
farine blanche.
Car qui apprendrait le rythme au monde défunt des
machines
et canons ?
Qui pousserait le cri de joie pour réveiller morts et
orphelins à l'aurore ?
Dites, qui rendrait la mémoire de vie à l'homme aux
espoirs éventrés ? (Po : 21-22)
La réponse, à la question posée dans
l'extrait ci-dessus, est bien sûr le Noir. Celui-ci est appelé
à pardonner aux Européens, malgré tout ce qu'ils ont fait
subir au peuple noir, car la renaissance du monde ne se fera pas dans une
situation conflictuelle, teintée de mépris, de brimades, de
dénigrements, de négation et de haine. Pour cela, il faut faire
tomber les murs de l'indifférence,
710 Yves BENOT, Massacres coloniaux, Paris, La
Découverte, 1994, pp. 148-149
711 Anne HAMIDOU, « Oui, la colonisation est un crime contre
l'humanité », Chronique, Monde, 17.02.2017. Nous pouvons
prêter ce propos à Léopold Sédar Senghor.
712 Léopold Sédar SENGHOR, « le
français, langue de culture », op. cit.(loc.
cit.), p. 841
197
de l'insensibilité, de l'intolérance et de la
haine. Il ne s'agit non plus d'une lutte hégémonique, «
mais de contribuer à bâtir avec les autres cultures le premier
chapitre dans la création de la nation humaine universelle qui est
l'objectif du nouvel humanisme et dont l'avènement
»713 est, selon Léopold Sédar Senghor,
amorcé par la Francophonie. Il s'agit, aussi, d'abattre « les
forêts d'Afrique pour sauver la Civilisation, parce qu'on manquait de
matière première humaine »714. Dans cette
civilisation sauvée, « la voix de l'Afrique planant au-dessus
de la rage des canons longs [proclamera] l'attente amoureuse du renouveau dans
la fièvre de ce printemps [et dira le] baiser plus fort que la haine et
la mort. »715
L'idée d'une nouvelle race humaine traverse la
quasi-totalité de l'oeuvre poétique de Senghor, et on
l'appréhende également dans « Élégie des
alizés » d'Élégies majeures :
J'ai laissé sept ans la négritude sans eaux pour
que naisse la vision
Et fleurisse la race humaine. (O. Po : 266/ loc.
cit.)
Pour cette race humaine, Senghor a dû sacrifier sa
Négritude, or ce sacrifice n'est rien d'autre que se résigner au
pardon. De ce fait, la renaissance senghorienne a pour objectif une
réconciliation et un dialogue dirigés vers le devenir de
l'être humain impliquant les cultures et civilisations par le biais du
pardon donné et du pardon accepté avec un caractère
d'humanisme. Car,
L'humanisme permet d'avoir en partage une identité
indéniable, première et fondamentale, celle du genre humain, [or]
c'est dans la relation aux autres que l'être humain trouve son
humanité. Une personne est une personne à travers les autres
personnes.716
Cet humanisme chez Léopold Sédar Senghor se veut
marquer du sceau original et du génie des peuples noirs, mais influencer
aussi par les peuples et les cultures avec lesquels ils sont entrés en
contact, car « l'humanisme est une construction, une résultante
de traits et de facteurs cumulés provenant de plusieurs cultures.
»717 Cette construction sera possible si l'Afrique accepte de
pardonner et de s'ouvrir à l'extérieur. Ainsi, Senghor estime que
l'Afrique pourrait fournir le terreau d'un nouvel humanisme et conduire
à la Civilisation de l'Universel.718
713 Adama OUANE, « Vers un nouvel humanisme : La
perspective africaine »,
Int. Rev. Edu
(2014)60 :379-389 ; p. 385
714 Cf. « Neige sur Paris », Chants d'ombre,
op. cit., p. 20
715 Cf. « Chant de printemps », Hosties
noires, op. cit., p. 85
716 Adama OUANE, « Vers un nouvel humanisme : La perspective
africaine », op. cit., pp. 380-381
717 Idem., p. 380
718 Nous y reviendrons.
198
Cependant, chez Senghor, il s'agissait de trouver les moyens
pour que le Noir s'affirme comme créateur de cette civilisation, et pas
comme spectateur ou simple consommateur. Et, le moyen trouvé est le
concept de Francophonie, car il est un humanisme de synthèse de toutes
les énergies spirituelles, à la fois unies et diverses,
répandues sur toute la terre. Dans cet humanisme, Senghor souhaite
« [que] meure le vieux nègre et [que] vive le Nègre
nouveau »719. Ce Nègre nouveau est celui qui saura
pardonner le colonisateur, qui aura un coeur riche de sucs pour les combats
conscients du futur, qui saura accepter l'autre (le Blanc) comme «
fils de la même Terre-Mère »720. Nous
comprenons, dès lors, les raisons qui ont amené Léopold
Sédar Senghor à pardonner la France de ses crimes coloniaux.
C'était pour la création d'une Civilisation de l'Universel qui
n'est que la Francophonie. Ce n'est pas seulement l'amour chrétien des
ennemis qui amène Senghor à pardonner, mais, c'est surtout le
devoir de fraternité universelle. Il se persuade que l'accord conciliant
ou la complémentarité du monde noir et du monde blanc peut
permettre la réalisation de toute la condition humaine. D'où la
renaissance du monde, et qui est le prélude de la Francophonie.
Pour parler de la communauté où Blancs et Noirs
deviendront Frères, Senghor use, aussi, du futur simple de l'indicatif
(ce temps est fréquent, il l'emploie pour parler de la renaissance dans
ces poèmes) et des éléments de son univers africains.
À ce propos, dit-il :
Il m'a donc suffit de nommer les choses, les
éléments de mon univers [africain]
pour prophétiser la Cité de demain, qui
renaîtra des cendres de l'ancienne, ce qui est la mission du
Poète721.
Les efforts de Senghor pour la mise en oeuvre de la
Cité de demain se justifient par sa volonté de faire participer
l'Africain à la renaissance du monde, de s'ouvrir aux autres, d'aller
à la rencontre de l'humanité. Cela se justifie également
par la quête d'un facteur de rapprochement entre les cultures et
civilisations. En effet, « [le] poids du rythme suffit, pas besoin de
mots-ciment pour bâtir sur le roc la cité de demain
»722 où « le chant de l'Afrique future (
!) »723 se fera entendre et « le soleil au
zénith [éclairera] tous les peuples de la terre
»724 car « c'est l'heure de la re-naissance
»725. Et, le peuple noir doit pardonner pour aller de
l'avant, car le plus fort n'est pas celui qui sait dominer et vaincre les
autres à travers machines et canons, mais
719 Cf. « Élégie des alizés
», Élégies majeures, op. cit., p. 270
720 Cf. « Élégie pour Martin Luther
King », Élégies majeures, op. cit., p.
302
721 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme
les lamantins vont boire à la source », Postface,
Éthiopiques, op. cit., p. 158
722 Cf. « Élégie des circoncis »,
Nocturnes, op. cit., p. 199
723 Cf. « Que m'accompagnent Koras et Balafong »,
Chants d'ombre, op. cit., p. 32
724 Cf. « Chaka », Éthiopiques, op.
cit., p. 131
725 Idem., p. 125
199
celui qui sait vaincre la haine en soi et sait pardonner pour
s'ouvrir aux autres. C'est ce type de Noir que Senghor appelle Nègre
nouveau. Ce Nègre nouveau est invité à participer à
la renaissance du monde, « à la civilisation de l'universel qui
est la francophonie »726, par le biais du pardon.
Léopold Sédar Senghor en a rêvé :
Que j'ai rêvé d'un monde de soleil dans la
fraternité de mes frères aux yeux bleus. (Po : 48)
Ce rêve deviendra une réalité si l'Afrique
accepte de pardonner les crimes odieux de la France, aveuglée par son
orgueil et sa fierté d'avoir colonisé une race qu'elle a
considérée barbare et sauvage.
Senghor nous engage à le suivre dans le processus de
redéfinition de la race humaine. Ce processus doit commencer en Afrique
; parce que, berceau de l'humanité, elle doit l'être,
également, pour la nouvelle race humaine. La nouvelle race humaine est
ce type d'hommes qui accepte de fraterniser avec les autres, et de s'ouvrir
à eux. Léopold Sédar Senghor demande à l'Afrique de
pardonner à l'Europe ses crimes contre l'humanité et de s'ouvrir
à elle. Ce pardon qui se lit dans ses poèmes, selon certains
critiques, est dû à l'amour chrétien des ennemis. Or, notre
étude révèle que ce pardon est l'attitude
résignée de Senghor face à la puissance de la France.
L'Afrique n'étant pas armée ne peut
prétendre une lutte armée teintée de mépris, de
haine, d'indifférence et d'intolérance. Engager une telle lutte,
l'Afrique sortirait perdante. Le seul moyen de vaincre la France est de lui
pardonner ses crimes et de s'ouvrir à elle, afin que le Noir et le Blanc
puissent donner une chance à la race humaine et à la renaissance
du monde. Autrement dit, le Noir a propension particulière à
l'ouverture à l'autre, au pardon, même devant les plus grandes
offenses et humiliations. C'est à ce prix que l'on peut aboutir à
la reconnaissance de l'homme et à la Civilisation de l'Universel.
Léopold Sédar Senghor cherchait à travers
la Francophonie à développer l'esprit humain en renouant avec la
culture française et la culture africaine. De ce fait, la Francophonie
serait une doctrine qui entend oeuvrer à l'épanouissement de la
personne humaine. Mieux, la Francophonie est l'expression du respect pour la
culture et l'identité des peuples, et le
726 Léopold Sédar SENGHOR, Colloque des
cent, 15 février 1986, l'Arbre à palabre des Francophones,
Dossier thématique, La francophonie, 35 ans après, p.
329
200
dépassement de l'idée selon laquelle une partie
serait moralement supérieure à l'autre. Elle se veut, aussi,
préserver l'identité de l'homme noir dans un monde, sujet de
nombreuses mutations. Dans son oeuvre poétique, Senghor manifeste bel et
bien contre l'oppression politique et culturelle, et la surdité de la
France. Cependant, cette manifestation est voilée par le pardon, brandi
ostentatoirement sous l'étendard de la religion. Chez Léopold
Sédar Senghor, le refus d'une certaine forme de néo-colonialisme
culturel au nom duquel on imposerait à l'Afrique certains modèles
occidentaux n'est pas synonyme d'une sévère réprimande. Au
contraire, il se met au service de la culture, c'est-à-dire du
développement intégral de l'homme727.
Nous comprenons, dès lors, que Léopold
Sédar Senghor pardonne la France par amour de l'homme. Cet amour de
l'homme le conduit ainsi à la Francophonie, parce qu'il s'agit de
l'homme à sauver et à perfectionner intellectuellement,
moralement et intégralement avec la culture occidentale et la culture
africaine. Pour y arriver, il faut que « l'ennemi d'hier [soit] un
complice [...] »728, voire un frère, et qu'on
dépasse l'humiliation que l'un a imposée à la chair et
à l'esprit de l'autre. Il faut également admettre que la religion
a influé sur l'attitude de Senghor, cependant, cela n'altère
point ce que nous avons dit ou n'excuse point Léopold Sédar
Senghor. Il s'est fait une raison que la Civilisation de l'Universel, qu'il a
appelée de tous ses voeux, ne peut se réaliser qu'avec le
concours « de toutes les races, qui se réveillent à leur
chaleur complémentaire »729. L'Afrique n'avait pas
d'autre choix, si elle veut faire partir de cette civilisation universelle qui
avait déjà commencé avec les pays du continent
américain, elle devrait se résigner et accepter le fait
d'être colonisée. La résignation, en fait, chez Senghor,
est d'accorder le pardon à l'ennemi et faire de lui un frère
parce qu'il a besoin, lui-aussi, d'amour730.
Le pardon a également une autre connotation. Senghor
aime la France : « car j'ai une grande faiblesse pour la France.
»731Cet amour l'amène à pardonner à
la France ses crimes coloniaux. Ce que nous devons retenir, c'est que
Léopold Sédar Senghor aime l'homme qu'il soit Blanc ou Noir :
« J'admire dans chaque homme, ce qu'il y a de positif et de vrai, de
bien et de beau en lui. »732Le Blanc et le Noir sont
semblables car ce sont des hommes, des fils de la Terre-Mère, ils
possèdent les mêmes sentiments humains. Cet amour de l'homme
l'amène, bien qu'influencé par la religion et la culture
française, à penser à un nouveau type de race
727 Daniel GARROT, Léopold Sédar Senghor :
critique littéraire, Dakar, NEA, 1978, p. 29
728 Léopold Sédar SENGHOR, « le
français, langue de culture », op. cit. (loc.
cit.), p. 841
729 Idem., p. 844
730 Cf. « Élégie pour Georges Pompidou »,
Élégies majeurs, op. cit., p. 319
731 Cf. « Prière de paix », Hosties
noire, op. cit., p. 93
732 Léopold Sédar SENGHOR, Poésie de
l'action,,Paris, Stock, 1980
201
humaine : une race humaine métissée, car «
l'avenir est au métissage. »733En pardonnant
donc à la France ses crimes, Senghor cherche à unifier ce qui est
divisé comme le suggère Hervé Bourges dans son oeuvre
Pardon my French : la langue française, un enjeu du
XXIe.734 En d'autres mots, c'est en vue de la
création de la Francophonie, que Léopold Sédar Senghor
opte l'attitude du bon chrétien, celui qui pardonne les fautes de ses
ennemis et prie pour eux.
Dans ce premier chapitre, il s'agissait de montrer que, pour
Léopold Sédar Senghor, il était question de conserver de
façon vivace les liens qu'une histoire et des références
communes avaient créés avec la France. C'est cette volonté
de conserver ces liens qui l'amène à l'élaboration du
projet de la Francophonie. Cette élaboration est le résultat de
deux faits historiques. Le premier fait est la colonisation et le
deuxième en est la participation de l'Afrique à la
deuxième guerre mondiale.
Parlant de la colonisation, Léopold Sédar
Senghor la conçoit comme une aubaine pour l'Afrique, car elle lui a
permis d'être en contact avec l'Europe. Pour lui, la colonisation a
permis à l'Afrique d'être liée à l'Europe, à
la France, et surtout une rencontre enrichissante de part et d'autre en donnant
naissance à une nouvelle carte du monde. Il sublime donc la colonisation
avec ses aspects négatifs pour en faire un outil unificateur, liant
l'Afrique et l'Europe, voire la France.
Le deuxième fait qui a préludé au projet
de la Francophonie est la participation de l'Afrique à la seconde guerre
mondiale. La seconde guerre mondiale à laquelle Léopold
Sédar Senghor a participé, et a été fait
prisonnier, modifia sa conception de l'homme et du monde, voire de sa
Négritude. En effet, au cours de cette guerre, il comprit que le Blanc
et le Noir sont semblables et qu'ils possèdent les mêmes
sentiments humains. Cette découverte durant sa captivité, et
l'impact de la participation de l'Afrique à la guerre ont
transformé sa conception de la Négritude. Sa Négritude se
veut désormais un humanisme apte à résoudre les
problèmes auxquels l'humanité est confrontée, et
l'expression d'une nouvelle race humaine. La nouvelle race humaine que veut
Léopold Sédar Senghor est le substrat du projet de la
Francophonie, parce qu'en Francophonie, ce qui est recherché le devenir
de l'homme e.
Dans le souci de redéfinir la race humaine, Senghor
convie l'Afrique au pardon. Le pardon brandi ostentatoirement sous
l'étendard de la religion est le substrat du projet de la
733 Léopold Sédar SENGHOR, « Lettre à
trois poètes de l'hexagone », op. cit., p. 370
734 Hervé BOURGES : « f...J Cultiver ce qui nous
unit. Savourer ce qui nous distingue. Combattre ce qui nous divise.
», Pardon, my french : la langue française, un enjeu du
XXIe siècle, Paris, Karthala, 2014, 278 p.
202
Francophonie chez Léopold Sédar Senghor. Il
décide de pardonner, parce qu'il est convaincu que le seul moyen de
vaincre la France est de lui pardonner ses crimes et de s'ouvrir à elle.
En fait, en pardonnant, Senghor cherchait à unifier ce qui est
divisé au nom de la Civilisation de l'Universel, qui est, chez lui, la
Francophonie. La Francophonie permet de développer l'esprit humain en
renouant avec la culture française et la culture africaine. C'est de
cela qu'il s'agit dans les oeuvres poétique de Léopold
Sédar Senghor et qui fait de la Francophonie une doctrine, un concept,
qui entend oeuvrer à l'épanouissement de la personne humaine.
Nous aurons compris, Léopold Sédar Senghor passe à la
Francophonie par l'amour de l'homme qu'il porte, car désormais il ne
s'agit plus du Noir seulement, mais du Noir et du Blanc. Ce sont des hommes,
des fils de la même Terre-Mère. Et, tous deux ont autant besoin de
l'amour et de la participation intégrale de l'un et de l'autre à
la réalisation de la nouvelle race humaine pour une renaissance du monde
dans lequel l'ennemi d'hier sera un complice, un ami et un frère.
Le pardon chez Léopold Sédar Senghor implique,
également, acceptation de l'autre quel que soit ce qu'il a fait. On peut
comprendre aussi qu'à travers le pardon, l'Afrique tend une main
à l'ancien pays colonisateur afin de conserver les liens que l'histoire
a créés. La Francophonie est née dans les douleurs des
conquêtes, des massacres et des déportations de la colonisation et
de la guerre, et par une volonté de pardon, afin de donner une chance
à la race humaine pour construire la Civilisation de l'Universel. Le
projet de la Francophonie s'inscrit dans une logique d'organiser le monde de
façon rationnelle et humaine où chaque homme pourrait en se
développant s'épanouir en tant que personne sans rejeter l'autre,
parce que différent. Mieux, la Francophonie invite à assumer les
faits historiques pour pouvoir construire un avenir dans lequel Noirs et Blancs
seront des partenaires égaux.
Il faut, cependant, admettre que d'autres raisons ont
amené Léopold Sédar Senghor à la Francophonie. Il
parle de la langue française qu'il considère comme la
deuxième raison historique de fait. Nous estimons que la deuxième
raison avancée par Senghor est plutôt une raison personnelle
qu'historique. C'est pourquoi, nous allons chercher, dans ses oeuvres, ses
raisons personnelles ou ses motivations personnelles qui ont
préludé à l'élaboration de la Francophonie. Nous
pensons que le projet de la Francophonie chez lui tient compte également
du choix de la langue française et des langues africains. Senghor les
assume, et crois que ce sont des choix idéals, premièrement, pour
l'Afrique, ex-colonie française, et deuxièmement pour tous les
pays qui font usage de la langue française.
Pour l'Afrique, il s'agit de féconder la langue
française avec les langues africaines. En plus, il est
préoccupé par le devenir de l'homme noir, puisque l'esclavage, la
colonisation et la ségrégation les (les Noirs) avaient
enfermés dans un ghetto mental d'infériorité et
d'hommes
203
sans histoire. Il voulait que l'homme noir s'affirme en tant
que tel (la fierté d'être noir) et aspire aux principes
universels. Chez Léopold Sédar Senghor, la revendication d'une
identité noire ne doit en aucun cas obstruer l'ouverture à
l'universel. Il voulait que l'homme noir assume à la fois son origine
africaine et ses liens avec la modernité en se libérant du carcan
de l'assimilation culturelle coloniale pour s'ouvrir à la
fraternité universelle. Cependant, il a choisi la langue
française pour défendre l'homme noir et ses valeurs. Le faisant,
ne s'enferme-t-il pas dans la Négritude ? Non, puisque «
[le] choix linguistique reste un des marqueurs identitaires par
excellence, pour l'écrivain ; écrire dans la langue de l'Autre
peut être considérée comme une forme d'aliénation et
de trahison qu'elle soit d'ordre idéologique ou symbolique pour les
siens. Certes l'écriture dans la langue de l'Autre est un moyen
d'expression et d'ouverture, mais écrire dans une langue
étrangère peut être révélateur de tensions et
de maux intérieurs propre à l'auteur. »735
Nous estimons que ce choix linguistique l'a amené réellement
à la Francophonie.
735 Samira BOUBAKOUR et Amina MEZIANI, « Des rives et des
langues : Identités et appartenances chez des auteurs francophones
» Synergies Algérie, n° 17 - 2012, p. 134
204
CHAPITRE II : LE CHOIX DÉFINITIF DE
LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR
Léopold Sédar Senghor sait que « [...]
le seul principe incontestable sur lequel [la Francophonie] repose est l'usage
de la langue française. »736 Cette langue, il la
découvrit à l'âge de sept ans. Elle était, pour lui,
à cet âge, musique et charme737. Et depuis lors, il fut
un fol amoureux de cette langue « de gentillesse et
d'honnêteté »738 à telle enseigne de
devenir le porte-flambeau ou le porte-étendard de «
l'expression du français hors de l'hexagone.
»739 Et comme récompense pour son attachement si
tenace à la langue française, il fut élu à
l'Académie française, l'instance qui veille au bon emploi de la
langue française. Il n'a jamais caché son amour pour le
français, il a une grande faiblesse pour elle, et il la maîtrise
mieux que sa langue maternelle : « Je pense en français. Je
m'exprime mieux en français que dans ma langue maternelle
»740, disait-il, parce que « le français
est une langue concise (....), une langue précise et nuancée,
donc claire. Il est, partant, une langue discursive qui place chaque fait,
chaque argument à sa place sans oublier un [...]
»741. La langue française a servi de pont de
ralliement, d'instrument de communication et d'arme de combat. Léopold
Sédar Senghor souhaite, à cet effet, que l'on se serve de cet
« outil précieux trouvé dans les décombres de la
colonisation »742 pour revendiquer l'identité africaine. Dans
la même logique Jacques Rabemananjara avance que « [nous] nous
sommes emparés d'elle, nous nous la sommes appropriées, au point
de la revendiquer nôtre au même titre que ses détenteurs le
droit divin et il nous arrive à ce propos, de nous sentir aussi
français [...] que l'autochtone de la Seine [....].
»743 C'est en ce sens que Bernard Zadi Zaourou soutient
également que « Tels des voleurs de feu, ils ont su domestiquer
la langue du colonisateur d'hier pour exprimer [...] leur identité, avec
un talent hors du
736 Léopold Sédar SENGHOR, « La francophonie,
comme culture », loc. cit. (op. cit.), p. 131
737 Idem., p. 135
738 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les
lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 164
739 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, langue de culture », loc. cit. (op.
cit.), p. 838. L'expression du français hors de l'hexagone,
entendons par là qu'il s'agit de la Francophonie.
740 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
I, Paris, Seuil, 1944, p. 361
741 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, langue de culture », op. cit., pp. 839-840
742 Idem., p. 844
743 Jacques RABEMANANJARA, « Les fondements de notre
unité tirés de l'époque coloniale »,
Présence Africaine, numéro spécial, n°24-25,
p. 70, op. cit.
205
commun. »744 Nous aurons compris, la
langue du colonisateur est devenue aux colonisés aussi familière
que celle de leurs mères745, comme nous le dit
Bégong-Bodoli Betina : « Les Africains francophones ont
épousé la langue à telle enseigne qu'ils s'y identifient
comme si c'était la langue de leurs vrais
ancêtres.»746
Léopold Sédar Senghor savait que le
français ne serait plus tout à fait une langue
étrangère pour les Africains. Il a choisi la langue du
colonisateur, « car le français, c'est aussi sa chose. Dans
cette langue, il peut tailler la matière fluide de ses poèmes, la
forme souple de ses pensées, les mille nuances de ses sensations. Il en
fait son instrument docile, mots de France apprivoisés par le
poète et non plus apprivoisant son coeur [...] et cette langue
obéissante à son vouloir est désormais son trophée
pris sur l'adversaire le colonisateur. »747 « Et
comme les mots sont des idées, quand le nègre déclare en
français qu'il rejette la culture française, il prend d'une main
ce qu'il repousse de l'autre, il installe en lui, comme une broyeuse,
l'appareil-à-penser de l'ennemi »748 et
rédige en français son évangile. Cette attitude de
nègre relève d'un paradoxe.
Cependant, contraint de parler et de rédiger en
français, le nègre fait une compromise. Et, cette compromise,
chez Senghor, est de pas exclure les langues africaines : « Il n'est
pas question de renier les langues africaines »749, mais
que ces langues cohabitent avec le français, que l'on greffe «
le scion européen sur notre sauvageon »750.
Avec la langue française se greffant aux langues africaines, Senghor
réinvente la langue française. Nous avons appelé cette
langue le « français négrifié
»751. Pabé Mongo la nomme « francophonien,
cette langue littéraire que les écrivains vont extraire du
croisement du français d'origine avec les limons locaux
»752. Elle est le parler quotidien des usagers
francophones. Cette langue négrifiée est le fait que les langues
maternelles subvertissent la langue du colonisateur. La langue du colonisateur
est une source d'enrichissement pour les langues maternelles africaines.
Autrement dit, la langue française doit s'accommoder d'être
disposée suivant des arrangements syntaxiques inhabituels avec des mots
africains. C'est de cela qu'il s'agit avec le projet de la Francophonie, parce
qu' « [avec] le concept de Francophonie, Senghor ne voulait en aucun
cas
744 Bernard Zadi ZAOUROU, Préface, in René
Gnaléga, La cohérence de l'oeuvre poétique de
Léopold Sédar Senghor, Abidjan, NEI, 2001, p. 8
745 Jacques RABEMANANJARA, « Les fondements de notre
unité tirés de l'époque coloniale », op.
cit., p. 70
746 Bégong-Bodoli BETINA, op. cit.
747 Aïssata S. KINDO, op. cit.
748 Jean-Paul SARTRE, « Orphée noir », op.
cit., p. XVII
749 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, langue de culture », op.cit. (loc.
cit.), p. 843
750 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
I, op. cit., p. 91
751 Adou BOUATENIN, La poétique de la
Francophonie, op. cit., p. 56
752 Pabé MONGO, La Nolica. Du Maquis à la
Cité, Yaoundé, Presse Universitaire de Yaoundé, 2005,
p. 124
206
occulter ou perdre de vue les valeurs, la richesse des
langues et cultures négro-africaines. »753 Mieux, à
travers la Francophonie, il voulait exprimer l'âme noire, la
pensée noire en français.
La Francophonie doit sentir le nègre et s'exprimer en
français, telle est la conception de la Francophonie de Léopold
Sédar Senghor. Bien qu'il soit pour la langue française, Senghor
encourage l'apprentissage des langues maternelles, car toute langue
véhicule une civilisation donnée. Et, nous pensons
également qu'aussi longtemps que nous continuerons à apprendre ou
à parler une langue étrangère, qu'elle soit, sans
enseigner les nôtres, nous resterons aliénés. Pour cela, il
faut que nos langues soient enseignées. Cet apprentissage ne doit en
aucun cas, aussi, exclure la langue française, puisqu'elle est notre
héritage colonial. Chaque langue doit, alors, accepter d'être
teintée, colorée par l'une comme par l'autre. C'est cela la
complémentarité dont parle Senghor dans la définition de
la Francophonie. Du fait de sa coexistence rapprochée avec les langues
africaines, le français influe sur les langues locales et évolue
au contact de celles-ci. Ces mélanges et influences mutuelles sont
manifestes dans le français parlé ou écrit avec ses
spécificités dénommées africanismes.754
Ce fut dans l'écriture poétique qu'il eût l'introduction
des vocables indigènes en général755, et dans
la poésie de Senghor en particulier où « [des] mots
africains se greffent sur une langue française inspirée des
hellénistes. »756 Les textes sont dits
francophones, lorsque, dans ces textes, le français s'accouple à
d'autres langues, particulièrement les langues africaines, et se
différencie, affronte d'autres langues et finalement se
métisse.757.
Avec le projet de la Francophonie, Senghor cherche,
également, à donner une place de choix au peuple noir. En effet,
le choix du peuple noir par Léopold Sédar Senghor est une mission
sacerdotale. Cependant, il ne sait pas si cette mission doit être
politique ou culturelle. Finalement, à la lecture de ses oeuvres, nous
constatons que cette mission s'est fait culturellement. Sans perdre le temps,
il décide d'être l' « Ambassadeur du Peuple noir, [le]
voici dans la Métropole »758 pour manifester «
l'Afrique comme le sculpteur de masques au regard intense
»759, car « l'heure de nous-mêmes a
sonné »760 pour la justice, la culture, la
dignité et la liberté, et pour « des organisations
capables en un mot, d'aider [les Noirs] dans
753 Ibrahim DIOP, op. cit., p. 11
754 Mamadou CISSE, « Langue, État et
société au Sénégal », Sudlangues,
n°5, p. 105
755 Lilyan KESTELOOT, « Négritude et
créolité », Francophobie et identités
culturelles, sous la direction de Christian Albert, Paris, Karthala,
1999
756 Saïda BELOUALI, Senghor : Habiter l'interparole,
», Semen[en ligne], 18|2004, mise en ligne le 29 avril 2007,
consulté le 10 avril 2016. Disponible sur URL :
http://semen.revues.org/2243
757 Nous y reviendrons.( Voir page 224)
758 Cf. « Épitres à la princesse »,
Éthiopiques, op. cit., p. 133
759 Cf. « À la mort », Chants d'ombre,
op. cit., p. 24
760 Aimé CÉSAIRE, Lettre à Maurice Thorez,
du 24 octobre 1956, disponible sur
http://lmsi.net/Lettre-a-Maurice-Thorez
207
tous les domaines à assumer de manière
autonome les lourdes responsabilités que l'histoire en ce moment fait
peser si lourdement sur leurs épaules »761
musicales.762 Le choix du peuple noir est à dessein chez
Léopold Sédar Senghor, car il considère l'homme noir non
seulement comme un être à éduquer afin qu'il possède
la maîtrise de soi, indispensable à une vie sociale dans une
Cité ou un État idéal qui n'impose pas de contraintes,
mais également comme un être à sauver intellectuellement,
moralement et spirituellement763.
Entre la langue française, les langues africaines, le
français négrifié (le francophonien) et le peuple noir
à sauver, Léopold Sédar Senghor est confronté
à un choix cornélien, car toute sa vie « a
été [...] divisée entre l'appel des ancêtres et
l'appel de l'Europe, entre les exigences de la culture négro-africaine
et les exigences de la vie moderne. »764 Parmi tant
d'options, il faut qu'il choisisse une, et personne ne peut vraiment affirmer
avec certitude que le choix définitif de Senghor est tel ou tel, car
à chaque fois que l'occasion permettait qu'il soit interrogé, il
a été toujours question de savoir son choix, comme l'avoue-t-il :
« Pour moi, l'on m'a quelquefois posé la question : `' S'il
fallait choisir, que voudriez-vous sauver [...] ?» J'ai toujours
répondu : `'Mes poèmes. C'est là, l'essentiel.
»765 La réponse de Léopold Sédar
Senghor nous renvoie à ses poèmes, car ils sont le seul endroit
où nous pouvons avoir la vraie réponse et connaître son
choix définitif, parce que « tout écrit possède
un sens, même si ce sens est fort bien loin de celui que l'auteur avait
rêvé d'y mettre. »766 Si Léopold
Sédar Senghor a choisi ses poèmes, cela ne suppose pas qu'il n'a
pas fait de choix. Son choix est ses poèmes, parce qu'ils traduisent
mieux ses pensées. En fait, la poésie est culture, et la culture
est humanisme767. Tout laisse croire que le choix de Senghor est la
culture768, mais la culture qu'il envisage est une culture qui
empruntera à toutes les races, à tous les continents, à
toutes les civilisations pour définir le nouvel Homo sapiens.
En effet, Léopold Sédar Senghor a choisi la culture, parce
qu'elle est poésie et qu'elle peut façonner l'homme afin qu'il
devienne plus humain. Ce choix a donc préludé à la
naissance de la Francophonie : « [...] la principale raison [...] de
la naissance d'une francophonie est d'ordre culturel
».769
761 Idem.
762 Cf. « Que m'accompagnent Koras et Balafong »,
Chants d'ombre, op. cit., p. 33
763 Léopold Sédar SENGHOR, La poésie de
l'action, op. cit., p. 50
764 Armand GUIBERT, Léopold Sédar Senghor :
L'homme et l'oeuvre, Présence Africaine, Paris, 1962, pp. 143144
765 Léopold Sédar SENGHOR, « Lettre à
trois poètes de l'hexagone », op. cit., p. 378
766 Jean-Paul SARTRE, Situation II, Gallimard, Paris,
1948
767 L'humanisme provient du mot latin « humanitas » qui
désigne culture.
768 Nous l'aborderons dans le prochain chapitre.
769 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, langue de culture », op. cit. (loc.
cit.), p. 838
208
Il faut revenir aux poèmes de Senghor, les analyser
méthodiquement avant d'avancer telle ou telle idée qui sera
susceptible de confirmer ou d'infirmer ses idées et nos
hypothèses. Certes, nous allons étudier ses poèmes par la
superposition comme le recommande la psychocritique, mais nous userons,
également, (ou parfois) de la théorie de l'énonciation de
Catherine Kerbrat-Orecchioni. Par cette théorie, à travers les
indices textuels par lesquels Léopold Sédar Senghor s'affirme
dans ses poèmes, nous allons chercher la présence du concept de
Francophonie. En effet, le poème étant fait de mots, la
démarche appropriée pour l'analyse est celle qui explore les
procédés linguistiques par lesquels le locuteur (le poète)
imprime sa marque à l'énoncé, s'inscrit dans le message et
se situe par rapport à lui770. Bien qu'elle prenne en
considération les composantes linguistiques, elle n'ignore pas les
compétences linguistiques : les déterminations psychologiques et
psychanalytiques, les compétences culturelles et idéologiques.
Notre démarche est celle de Catherine Kerbrat-Orecchioni : la
subjectivité dans le langage (poétique de Léopold
Sédar Senghor). Faute de pouvoir étudier directement cette
subjectivité, nous cherchons dans le langage poétique de Senghor
à identifier et décrire les faits énonciatifs susceptibles
de nous révéler ses choix opérés et qui ont permis
à élaborer le projet de la Francophonie.
Nous allons voir dans quelle mesure la langue française
a influencé Léopold Sédar Senghor, et ce, toute sa vie, au
point de vouloir qu'elle devienne la langue commune d'une multitude de
personnes. Nous mettons en évidence la place que Senghor accorde aux
langues africaines et le devenir de ces langues au sein de la Francophonie.
Nous montrons comment ces langues se sont enrichies au fil des siècles
en se métissant avec le français. En effet, la plupart des mots
français ont tendance à changer de sens pour acquérir
d'autres significations, et cela est dû à l'influence des langues
africaines et des autres langues. La langue française se voit par la
composition et la dérivation de nouveaux mots formés s'enrichir,
et sans oublier par l'apport linguistique des différentes aires
linguistiques qu'elle a eu en contact. En d'autres mots, la langue
française s'est colorée de la teinture langagière
africaine biaisant ainsi les langues africaines. Notre étude permet
d'appréhender le procédé ingénieux utilisé
par Léopold Sédar Senghor pour sauver les langues africaines en
faisant leur promotion. Notre cheminement conduit sur un autre point qui est le
choix du peuple noir. Nous avons vu que la guerre a permis de comprendre que le
Noir n'est point différent du Blanc, car ils ont tous une âme et
un même sang rouge dans leurs artères et veines. De ce fait, le
peuple noir doit être capable de penser par lui-même, pour ses
proches et pour lui-même, et de dissiper tous les préjugés
nés de l'esclavage
770 Catherine KERBRAT-ORECCHIONI, L'énonciation : De
la subjectivité dans le langage, op. cit., p. 32
209
et de la colonisation faisant de lui un peuple
inférieur. En choisissant le peuple noir, Senghor s'engage à
être son ambassadeur afin de l'inviter à l'ouverture d'esprit,
à avoir un sens critique et à porter un intérêt
aussi bien pour ses propres moeurs que pour les autres peuples. En d'autres
mots, il invite le peuple noir à se réaliser, à s'unir, et
surtout à la coexistence, car la coexistence entre peuples a toujours
été et sera un rapport de force à ne pas négliger.
Tout cela constitue les axes de notre réflexion dans ce chapitre.
210
1. LE CHOIX DE LA LANGUE FRANÇAISE
Basile Diogoye Senghor, en voulant punir son fils pour ses
vagabondages, l'envoya à l'École des Blancs, au grand
désespoir et désarroi de Gnilane Bakhoum771. C'est
ainsi que le petit Léopold Sédar Senghor découvrit le
français à l'âge de sept ans772. Et, depuis lors
un amour inconditionné est né entre lui et la langue
française, car cette langue est une beauté à l'ouïe,
c'est-à-dire agréable à entendre. Il dit d'ailleurs que
La beauté du français, sa poésie, ne
vient pas du pouvoir imaginant des mots, qui ne se sont
dépouillés du concret de leurs racines, elle vient de la musique
des mots et des phrases, des vers et des versets : de leur rythme et de leur
mélodie. Pour dire que la langue française est culture,
c'est-à-dire esprit de civilisation, fondement d'un humanisme qui ne fut
jamais plus actuel qu'aujourd'hui773.
Il s'est beaucoup exprimé, de bien des manières,
improvisées ou préparées à propos du
français. Gabriel de Broglie avance que
La langue française est au coeur de l'esprit de la
carrière, de l'oeuvre et même de Léopold Sédar
Senghor. [...] La langue française et Senghor, n'est-ce pas tout Senghor
? Je veux dire n'absorbe-t-elle pas l'essentiel de son message qui est de
démontrer la nécessité de la langue
française.774
Curieusement, ce n'est pas dans ses discours qu'il faut
appréhender son attachement si tenace à la langue
française, mais dans ses poèmes qu'il faut relire afin de relever
les images, les expressions, les néologismes. Sa poésie est un
hymne à la langue française, et l'expression de cette langue hors
de l'Hexagone. C'est la raison pour laquelle, on dit que la Francophonie est
fille de la poésie, car c'est à travers l'écriture
poétique que la langue française a été
valorisée davantage.
771 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les
lamantins vont boire à la source », Éthiopiques,
Postface, loc. cit., p. 158
772 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie
comme culture », loc. cit., p. 135
773 Idem., pp. 35-136
774 Gabriel De BROGLIE, « Senghor ou la
nécessité de la langue française », discours
prononcé en hommage à Léopold Sédar Senghor, de la
séance publique du mardi 5 mars 2002 à l'Académie des
Sciences Morales et Politiques. Disponible sur
http://www.academie-francaise.fr/senghor-ou-la-necessite-de-la-langue-francaise-seance-publique-dhommage-leopold-sedar-senghor
211
On avait voulu leur imposé le français, et
voilà que « [...] depuis les indépendances, la langue
française a cessé d'appartenir exclusivement à la France
»775 pour « [...] appartenir à tous ceux
qui le parlent, en ont hérité, l'ont choisi ou plus simplement
l'aiment sans pour autant le maîtriser. »776 Pour
Léopold Sédar Senghor, le français fut une langue
imposée, choisie et aimée. D'ailleurs, il le confirme en ces
propos :
Mais, je répète, nous n'avons pas choisi. C'est
notre situation de colonisé qui nous imposait la langue du colonisateur,
plus précisément la politique de l'assimilation. Tout
n'était pas mauvais dans cette politique, [...]. Comme le dit Jean-Paul
Sartre, nous avons choisi les armes du colonisateur pour les retourner contre
lui. C'est un fait, le français nous a permis d'adresser, au monde et
aux autres hommes nos frères, le message inouï que nous
étions seuls à pouvoir lui adresser.777
Et ce sont les raisons mises en évidence dans ses
poèmes que nous tentons de découvrir. Il faut savoir que le choix
de la langue française ne résulte pas d'une volonté
politique chez Léopold Sédar Senghor, mais d'une conception
essentialiste, car « selon lui, la langue française incarnerait
la clarté, l'intelligibilité et la rationalité.
»778 Par ailleurs, il affirme qu'
Il y a d'autres raisons, plus profondes, qui tiennent aux
qualités même de la langue.
Qu'il s'agisse de morphologie ou de syntaxe, le
français nous offre, à la fois, clarté et richesse,
précision et nuance.779
Le choix du français est la seule raison, pour ainsi
dire, incontestable qui justifie le virement du militant de la Négritude
à la Francophonie, parce que le seul principe qui fonde l'existence de
la Francophonie est l'usage de la langue française. Jacques Chevrier le
justifie en ces termes :
[...] l'auteur des Chants d'ombre va s'employer
méthodiquement à justifier son élection en faveur de la
francophonie au nom de cinq raisons majeures :
1- Les africains parlent mieux le français que leur
langue maternelle
2- La richesse du vocabulaire de la langue française
3- La syntaxe de la langue française
4- La stylistique du français
5- L'humanisme français.780
775 Jacques CHEVRIER, « Senghor militant de la francophonie
», op. cit.
776 Bernard WALLON, Éditorial, Après
Demain, op. cit., p. 3
777 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
3, p. 19
778 Alice GOHENEIX, « Les élites africaines et la
langue française : une appropriation controversée »,
Documents pour l'histoire du français langue étrangère
ou seconde, disponible sur
http://dhfles.revues.org/117
779 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie
comme culture », op. cit., p. 132.
780 Jacques CHEVRIER, « Senghor, militant de la Francophonie
», op. cit.
212
Nous comprenons, dès lors, que le choix de
Léopold Sédar Senghor en faveur du français est dû
simplement au charme et à la musique que cette langue a influés
sur sa vie depuis l'âge de sept ans ; l'âge auquel il fut contraint
par son père d'aller à l'École des Blancs. Il choisit le
français comme une langue idéale pour sa clarté, son
vocabulaire dont la majeure partie vient du grec et du latin, l'ordre des mots
dans la phrase qui est un ordre logique, la précision du vocabulaire et
de son rythme. Alice Goheneix estime que
[...] Le français s'impose à Senghor comme la
langue cartésienne par excellence, en même temps qu'elle offre,
par le truchement du surréalisme, des potentialités
poétiques et sensibles, inespérées. Le français se
trouve sacralisé à la fois comme langue de la raison et comme
langue de la sensibilité.781
Le terreau, pour mieux appréhender les raisons
justificatives du choix de Léopold Sédar Senghor, est bien
sûr sa poésie. De ce fait, nous allons nous intéresser
à présent aux poèmes de Senghor pour mettre à nu
tout ce qui vient d'être dit sur son choix du français. Notre
démarche est tout simple : il s'agit de faire la superposition de ses
textes pour mettre en relief des réseaux associatifs qui seront
analysés par la théorie de l'énonciation de Catherine
Kerbrat-Orecchioni. Nous allons d'abord superposer « Ndessé »
(Hosties noires), « Épitres à la princesse »
(Éthiopiques) et « Chants pour signare »
(Nocturnes) :
(Ndessé)
Voici que je suis devant toi Mère, soldat aux manches
nues
Et je suis vêtu de mots étrangers, où tes
yeux ne voient
qu'un assemblage de bâtons et de haillons
Si je te pouvais parler Mère ! Mais tu n'entendrais
qu'un
gazouillis précieux et tu n'entendrais pas
Comme lorsque, bonnes femmes de sérères, vous
déridiez
le dieu aux troupeaux de nuage
Pétaradant des coups de fusil par-dessus le cliquetis des
mots
paragnessés
Mère, parle-moi. Ma langue glisse sur nos mots sonores
et durs
Tu les sais faire doux et moelleux comme à ton fils
chéri
autrefois. (Po : 79)
(Épitres à la princesse)
Et cet autre exil plus dur à mon coeur, l'arrachement de
soi à soi
À la langue de ma mère, au crâne de
l'Ancêtre, au tam-tam de mon âme... (Po : 136)
(Chants pour signare)
Depuis longtemps civilisé, je n'ai pas encore
apaisé le Dieu blanc du sommeil.
Je parle bien sa langue, mais barbare mon accent ! (Po : 171)
781 Alice GOHENEIX, op. cit.
213
La superposition accuse les réseaux associatifs suivants
:
- L'étrangeté de la langue :
mots étrangers, un assemblage de bâtons et de haillons,
coups de fusil, cliquetis des mots, mots sonores et durs, barbare
mon accent.
- L'agréabilité de la langue :
gazouillis précieux, doux et moelleux, bien sa langue. -
Déculturation/acculturation : je suis vêtu de
mots étrangers, si je pouvais parler
Mère, ma langue glisse sur nos mots sonores et durs,
l'arrachement [...] à la langue de
ma mère, je parle bien sa langue.
Léopold Sédar Senghor est transformé
culturellement, pour ne pas dire
linguistiquement ; sa mère ne le reconnaît plus,
car il est « vêtu de mots étrangers ». La
langue qu'il parle maintenant est pour sa mère des mots
étrangers, un assemblage de bâtons et de haillons,
mieux, une langue étrange à tel point qu'elle a du mal à
comprendre son fils : « Mais tu n'entendrais [...] pas ».
Pourtant, chez Senghor, cette langue étrange aux yeux de sa mère
est un gazouillis précieux, un cliquetis des mots qui
sonne doux et moelleux à ses oreilles. C'est la langue des
dieux. Prêtons les propos de Samba Diallo de L'aventure
ambiguë de Cheikh Hamidou Kane à Senghor afin de saisir la
fascination de Senghor à l'égard de la langue française
:
Je ne sais pas trop. C'est peut-être avec leur alphabet.
[...] longtemps, je suis demeuré sous la fascination de ces signes et de
ces sons qui constituent la structure et la musique de leur langue. Lorsque
j'appris à leur agencer pour former des mots, à agencer les mots
pour donner naissance à la parole, mon bonheur ne connut plus de
limite.782
Senghor voue un véritable culte à la langue
française. En fait, il ne peut non plus parler la langue de sa
mère (la langue maternelle), car il titube sur les mots : « Ma
langue glisse sur nos mots sonores et durs ». La langue maternelle
est pour lui des pétards de coups de fusil, des mots
sonores et durs, tandis que sa mère les sait faire doux et
moelleux. Il n'arrive pas à parler la langue maternelle, parce
qu'il fut très tôt arraché à cette langue : «
l'arrachement [...] à la langue de ma mère », pour
une autre langue qu'il maîtrise bien, mais dans un accent barbare :
« Je parle bien sa langue, mais si barbare mon accent » :
« En répondant, je reprendrai l'argument de fait. Je pense en
français ; je m'exprime mieux en français que dans ma langue
maternelle ».783 Cet aveu de Senghor justifie non
seulement ce que nous avons dit ci-dessus, mais également sa
déculturation et son acculturation linguistique. En effet, il est
contraint d'abandonner la langue maternelle pour apprendre la langue des
Blancs. N'est-ce pas son père
782 Cheikh Hamidou KANE, op. cit., p. 172
783 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, langue de culture », op. cit., p 841.
214
qui le contraignit d'aller à l'école au
Sénégal ? Ensuite, les études vont l'amener en France,
considéré par le poète comme un exil douloureux : «
Et cet autre exil plus dur à mon coeur, l'arrachement de soi
à soi ». En fait, le Père Léon Dubois est celui
qui l'introduisit au christianisme, à la France et plus
particulièrement à la Normandie en l'amenant à aimer ainsi
la langue française. Avec le Père Léon Dubois, il
découvrit une forme de discipline, caractéristique d'un autre
mode de vie qu'il considère comme un long exil784. Ce long
exil lui permit d'oublier les mots de chez lui, c'est-à-dire sa langue
maternelle. Enfin, il trouve que « les mots [de sa langue maternelle]
sont naturellement nimbés d'un halo de sève et de sang
»785 et qu'ils manquent de mots abstraits786. Par contre,
les mots de la langue des Blancs, c'est-à-dire le français, se
plient
[...] à toutes les exigences de la pensée et au
sentiment, voire de la sensation, passant de la rigueur du diamant aux troubles
fulgurances de la tornade, du mouvement large et lent de la mer à la
brièveté soudaine du coup de poignard.787
Mieux,
[...] le français offre une variété de
timbres dont on peut tirer tous les effets : de la douceur des Alizés,
la nuit, sur les hautes palmes, à la violence fulgurante de la foudre
sur les têtes des baobabs.788
Se sachant déraciner, il ne peut que se consoler avec
l'idée que la langue française est « ce merveilleux
outil trouvé dans les décombres du Régime colonial
»789 ou ce « Soleil qui brille hors de l'Hexagone
»790. Et estimant ne pas être le seul victimaire, il
propose aux différents États où le français est
proclamé langue officielle ou introduit dans l'enseignement du second
degré de s'organiser pour la promotion de la langue française,
car elle est devenue également la leur au même titre que la
France. D'où le projet de la Francophonie.
Ce projet francophone devrait réunir tous les
États, toutes les personnes autour du français afin d'approfondir
leur fraternité et de conjuguer leur foi dans l'avenir d'un nouvel
humanisme. Le français, dans la Francophonie, serait alors l'instrument
de communication, une arme de combat, et servirait de pont de ralliement car,
il « est une langue d'une audience
784 Janet G. VAILLANT, Vie de Léopold Sédar
Senghor, Paris, Karthala, 2006, p. 43
785 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les
lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 165
786 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, langue de culture », op. cit., p. 839
787 Léopold Sédar SENGHOR, « la Francophonie
comme culture », op. cit., p. 134
788 Léopold Sédar SENGHOR, « le
français, langue de culture », op. cit., p. 843
789 Idem. (loc. cit.), p. 844
790 Ibidem (loc. cit.), p. 844
215
internationale »791 et il «
peut exprimer toute âme humaine »792. Avoir un
même langage signifie avoir une même âme, c'est-à-dire
le français est le fondement de l'unité de tous les parlants
français à travers le monde.
Et c'est le moment de renoncer à jamais à ces
petits complexes de colonisés car le français, en tant que
langue, n'appartient plus en exclusivité aux populations de l'Hexagone,
mais est devenu l'affaire des [quatre-vingt-quatre] pays et plus qui
l'utilisent comme langue nationale, officielle ou de travail dans les instances
internationales.793
Quant à Senghor, n'ayant aucun complexe d'ancien
colonisé, il ne peut que se porter volontaire pour la promotion du
français, qui est devenu pour les colonisés aussi familier que la
langue de leurs mères. Notre seconde superposition consiste à
mettre en évidence les motivations explicatives de cette ferveur de
Senghor en faveur de la langue française. Elle vient corroborer la
première superposition.
Ce sont « Épitres à la princesse »,
« Comme les lamantins vont boire à la source »
(Éthiopiques) et « Élégie des circoncis
» (Nocturnes) qui vont être superposés. Voici les
extraits :
(Épitres à la princesse)
Je m'enchantais aux jeux de cette langue labile avec des
glissements sur l'aile
Langue qui chante sur trois tons, si tissée
d'homéotéleutes et d'allitérations, de douces implosives
coupées de coups de glotte comme de navette
Musclée et maigre, je dis parcimonieuse, où les
mots sans ciment sont liés par leur poids. (Po : 139)
(Comme les lamantins vont boire à la source)
Car je sais ses ressources pour l'avoir goûté,
mâché, enseigné, et qu'il est la langue des dieux.
Écoutez donc Corneille, Lautréamont, Rimbaud, Péguy et
Claudel. Écoutez le grand Hugo. Le français, ce sont les grandes
orgues qui se prêtent à tous les timbres, à tous les
effets, des douceurs les plus suaves aux fulgurances de l'orage. Il est, tour
à tour ou en même temps, flûte, hautbois, trompette, tam-tam
et même canon. Et puis le français nous a fait don de ses mots
abstraits - si rares dans nos langues maternelles - , où les larmes se
font pierres précieuses. Chez nous, les mots sont naturellement
nimbés d'un halo de sève et de sang ; les mots de français
rayonnent de mille feux, comme des diamants. Des fusées qui
éclairent notre nuit. (Po : 165)
(Élégie des circoncis)
Ah ! mourir à l'enfance, que meure le poème se
désintègre la syntaxe, que s'abîment tous les mots qui ne
sont pas essentiels
Le poids du rythme suffit, pas besoin de mots-ciment pour
bâtir sur le roc la cité de demain. (Po : 199)
791 Ibid., p. 842
792 Ib., p. 842
793 Babacar Sédikh DIOUF, « Léopold
Sédar Senghor et l'éducation », Éthiopiques,
n°19, 1979
216
Nul besoin de faire l'association des images pour comprendre
qu'il s'agit d'un véritable éloge de la langue française.
On voit très bien que « le français se trouve ici
valorisé et finalement préféré aux langues
africaines, au nom de la puissance de la création qu'il est
supposé fournir. »794 En ce qui concerne la langue
française, Léopold Sédar Senghor sait de quoi dire et
parler. Le français est son affaire, sa prédilection, car il sait
les ressources pour l'avoir goûté, mâché et
enseigné. Il reconnaît avoir faire un éloge de la langue
française :
Je sais combien cet éloge est au-dessous de son
objectif. Mon excuse est que notre
attachement à la langue française et à la
culture française est au-dessus de tout éloge.795
Cet éloge de la langue s'explique du fait que Senghor
la divinise, voire la sacralise. Nous allons faire, néanmoins, la
superposition des extraits. Nous voyons s'accuser les réseaux
associatifs suivants :
- Musique : Je m'enchantais, langue qui chante
sur trois tons, les grandes orgues, les timbres, tous les effets, des douceurs
les plus suaves, fulgurances de l'orage, flûte, hautbois, trompette,
tam-tam, canon.
- Clarté : les mots de français
rayonnent de mille feux comme des diamants, des fusées qui
éclairent notre nuit.
- Stylistique : cette langue labile, des
glissements sur l'aile, si tissée d'homéotéleutes et
d'allitérations, de douces implosives coupées de coups de glotte
comme de navette, musclée et maigre, je dis parcimonieuse, les mots sans
ciment sont liés par leur poids, ses mots abstraits, pierres
précieuses, se désintègre la syntaxe, que s'abîment
tous les mots qui ne sont pas essentiels, le poids du rythme suffit, pas besoin
de mots-ciment.
Le choix du français, d'après ces différents
réseaux, est fondé sur la musique, la clarté et la
stylistique, comme on peut le saisir dans un passage de «
Femme de France » d'Hosties noires :
Vos lettres ont bercé leurs nuits de prisonniers de mots
diaphanes et soyeux comme des ailes
De mots doux comme un sein de femme, chantants comme un ruisseau
d'avril. (Po : 76)
Ne dit-il pas qu'à l'âge de sept ans, il
découvrit la langue française qui, à ses oreilles,
était musique et charme ? Parce que les mots français sont clairs
et précis, que la structure et le rythme de ses phrases sont une «
originalité merveilleuse de l'ouïe »796,
le poète ne peut en
794 Pierre SOUBIAS, « Entre langue de l'autre et langue
de soi », Francophonie et identité culturelles, op.
cit., p. 126
795 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie
comme culture », op. cit. , p. 140
796 Idem., p. 135
217
démordre. Il s'est laissé séduire par la
clarté, la richesse, la précision, la nuance, la morphologie, la
syntaxe et la stylistique797, voire la musique de la langue
française. Il ne dit pas le contraire. Il les a même
résumées en cinq points.
Au premier point, se trouve la clarté et la richesse du
vocabulaire : la multiplicité des synonymes et la profusion des mots
abstraits qui tiennent des procédés de dérivation et de
composition avec l'apport linguistique des différentes aires
linguistiques auxquelles le français a été en contact. Le
deuxième point met en relief la syntaxe du français : le
français a une syntaxe de subordination, de logique, et il place chaque
fait, chaque argument à sa place sans oublier un. Il est une langue de
synthèse et d'analyse, car « la phrase française
présente un ensemble synthétique, où nul
élément n'est isolé, mais où les conjonctions de
coordination et de subordination, qui sont signes de relation entre les
idées, facilitent l'analyse ».798 Au
troisième point, il y a la stylistique française : le style
français est une symbiose de la subtilité grecque et de la
rigueur latine, animé par la passion celtique. La culture est le
quatrième point : « la langue française est culture,
c'est-à-dire esprit de civilisation, fondement d'un humanisme qui ne fut
jamais plus actuel qu'aujourd'hui. »799 En effet, la
langue française « a l'homme comme objet de son
activité. Qu'il s'agisse du droit, de la littérature, de l'art,
voire de la science, le sceau du génie français demeure ce souci
de l'Homme ».800 Le cinquième point aborde la
question de la déculturation et l'acculturation du Noir : Léopold
Sédar Senghor pense que « beaucoup, parmi les élites
[africaines], pensent en français, parlent mieux le français que
leur langue maternelle [...] »801. Pour cela, il faut
utiliser cette langue pour exprimer leur authenticité de métis
culturel.
Ce phénomène est la déculturation et
l'acculturation. La colonisation va déculturer l'Africain, mais elle
leur permettra d'acculturer la culture du colonisateur. Selon les dires de
Senghor, ce sont ces cinq points, ci-dessus résumés, qui
expliquent son attachement si tenace à la langue française «
qui, par viol et retournement, [peut] allumer la flamme de la
métaphore, [et offrir] une variété de timbres dont on peut
tirer tous les effets : de la douceur des Alizés, la nuit, sur les
hautes palmes, à la violence fulgurante de la foudre sur les têtes
des baobabs. »802
Cependant, le choix de Senghor s'explique, également,
du fait que la langue française est une langue internationale de
communication803, et en tant que telle, elle peut leur permettre
797 Ibidem. (loc. cit.), pp. 132-133
798 Ibid., p. 133
799 Ib., p. 136
800 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, langue de culture », op. cit., p. 840
801 Idem., p. 839/ p. 841
802 Ibidem., p. 843
803 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie
comme culture », op. cit., p. 132
218
d'adresser leur message de métis culturels aussi bien
aux Français de France qu'au reste des hommes. À cet effet,
Senghor nous dit :
Mais on me posera la question : « Pourquoi, dès
lors, écrivez-vous en français ? » Parce que nous sommes des
métis culturels, parce que, si nous sentons en nègres, nous nous
exprimons en français, parce que le français est une langue
à vocation universelle, que notre message s'adresse aussi aux
Français de France et autres hommes, parce que le français est
langue « de gentillesse et d'honnêteté »804
Étant lui-même un métis culturel, il
s'engagera, avec amour et passion, en faveur de la langue du colonisateur plus
que le colonisateur lui-même, à telle enseigne, qu'au prix et au
mépris de certaines protestations, de s'investir dans la défense
et la promotion d'une langue étrangère, et de surcroît,
celle d'une ancienne puissance coloniale en Afrique. Il est l'un des
défenseurs le plus convaincu et le plus convaincant, le plus
déterminé et le plus éloquent que l'histoire de la langue
français n'ait connu, faisant de lui un serviteur zélé du
néo-colonialisme, selon ses opposants.
Lorsque Léopold Sédar Senghor était
président de la République du Sénégal, il avait
pris des décrets relatifs à la langue française, tel est
le cas du décret n°75-1027 du 10 octobre 1975 relatif à
l'emploi des majuscules dans les textes administratifs, modifié par le
décret n°80770 du 24 juillet 1980. Il a même refusé de
remplacer le français par une quelconque langue comme langue officielle
et comme langue d'enseignement. Pendant le conseil de gouvernement, il arrivait
que Senghor se mue en professeur de Lettres pour donner des leçons de
français (de grammaires) soit à ses ministres soit aux
rédacteurs du journal Le Soleil, comme nous pouvons
l'appréhendé dans la citation ci-dessous :
Tous les mois, Senghor réunissait la rédaction
entière du Soleil dans la salle des Ministres. Devant le tableau noir et
la craie du professeur de français qu'il n'a jamais cessé
d'être à la main, ce n'était pas des cours de propagandes
socialistes qu'il donnait aux journalistes mais des leçons de syntaxe et
de grammaire.805
Il était rigoureux et strict dans l'emploi du
français. La moindre petite faute grammaticale l'irritait pour ainsi
dire. Cela se comprend, car il est théoricien de la langue
(agrégé de grammaire), créateur de langages et d'images
(poète), spécialiste du grec et du latin et amoureux de la langue
française. La question à laquelle nous n'avons pas encore
répondue est celle de savoir comment le choix du français a
permis à Senghor de concevoir la Francophonie. La réponse sera
donnée par Ibrahim Diop :
804 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les
lamantins vont boire à la source », op.cit., p. 164
805 Bara DIOUF, Le Soleil, 14-17 juin 2001, p. 24
219
Après avoir souligné la richesse de la langue
française, Senghor la présente au monde entier pour prôner
et réaliser une synthèse de culture, une symbiose entre les
peuples et cultures. Il défend l'idée selon laquelle la langue
française est un appel, une invitation à la Civilisation de
l'Universel, à une communication interculturelle et transnationale, au
rendez-vous du donner et du recevoir.806
Ayant trouvé dans les décombres du régime
colonial la langue française, cet instrument merveilleux, qui pouvait
exprimer d'autres expériences nationales et se plier à toutes les
exigences de la pensée et au sentiment, était un moyen efficace
et fiable, aux yeux de Senghor, d'établir un dialogue fécond et
prometteur pour la réalisation de la Civilisation de l'Universel. En
fait, Senghor veut que la logique et l'humanisme de la langue française
soient un modèle pour tous les peuples de la terre. Il rêvait,
ainsi, de fraternité entre les peuples, Blancs et Noirs ; d'une
communauté dont le français sera le socle, une communauté
constituée de peuples divers, et venus de partout, comme nous pouvons le
lire dans l'extrait ci-dessous :
Car nous sommes là tous réunis, divers de teint -
il en
a qui sont de couleur de café grillé, d'autres
bananes d'or
et d'autres terre des rizières
Divers de traits de costumes de coutumes de langues ; mais
au fond des yeux la même mélopée de
souffrances à
l'ombre des longs cils fiévreux
Le cafre le Kabyle le Somali le Maure, le Fan le Fon le
Bambara le Bobo le Mandiago
Le nomade le mineur le prestataire, le paysan et l'artisan
le boursier et le tirailleur
Et tous les travailleurs blancs dans la lutte fraternelle.
Voici le mineur des Asturies le docker de Liverpool le
Juif chassé d'Allemagne, et Dupont et Dupuis et tous
les
gars de Saint-Denis. (Po : 59)
Cette communauté à laquelle rêve Senghor
et décrite dans l'extrait ci-dessus est celle projetée dans la
conception de la Francophonie qui se veut une communauté spirituelle :
une noosphère autour de la terre. Et, c'est la langue française
qui peut établir le lien solidaire et fraternel entre les peuples
réunis dans cette communauté dont la dénomination est la
Francophonie. Les propos de Senghor ci-dessous accréditent nos
idées :
Pour en revenir à la Francophonie, le seul principe
incontestable sur lequel elle repose est l'usage de la langue française
[...]. La Francophonie ne sera pas, ne sera plus enfermée dans les
limites de l'Hexagone. Car nous ne sommes plus des « colonies » : des
filles mineures qui réclament une part de l'Héritage. Nous sommes
majeures, qui exigent leur part de responsabilité : pour fortifier la
Communauté en l'agrandissant.807
806 Ibrahim DIOP, « Senghor entre Francophonie et le
dialogue interculturel », op. cit., p. 11
807 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie
comme culture », op. cit., p. 131/p. 140
220
C'est à travers la langue française que les
hommes et les femmes, des quatre coins de la terre, se reconnaissent vraiment
dans l'ordre de l'esprit, des citoyens à part entière dans le
vaste univers de la mondialisation. Pour récapituler, Senghor a choisi
la langue française, parce qu'elle est une langue analytique qui
structure la pensée et développe l'esprit critique. Son choix
s'explique du fait qu'elle est aussi la langue des idéaux universalistes
et humanistes. Pour Senghor, elle est douce, mélodieuse, romantique et
poétique. Il était fier de parler la langue française et
de l'enseigner aux Français de France, comme le souligne Abdoul Diouf
:
Le Sénégal était indépendant
depuis avril 1960, avec, pour président noir, l'homme de lettres, le
poète Léopold Sédar Senghor, premier Africain noir
agrégé de grammaire comme il aimait souvent le
répéter dans ses discours. Il était fier d'avoir
enseigné le français à des Français, en
France.808
Il fallait que les Africains se l'approprient, cette langue,
pour exprimer leur message à tout le monde sans exception ; parce qu'ils
sont des métis culturels.
Ce sont toutes ces raisons, mises en évidence
ci-dessus, qui, pour parler comme Rivarol, la distinguent des autres langues
:
Ce qui distingue notre langue des langues anciennes et
modernes, c'est l'ordre et la construction de la phrase. Cet ordre doit
toujours être direct et nécessairement clair. Le français
nomme d'abord le sujet du discours, ensuite le verbe qui est
l'action, et enfin l'objet de cette action : [...]. La syntaxe
française est incorruptible. C'est de là que résulte cette
admirable clarté, hase éternelle de notre langue. Ce qui
n'est pas clair n'est pas français ; ce qui n'est pas clair est
encore anglais, italien, grec et latin.809
En se convaincant de la logique et la clarté de la
langue française, la capacité qu'elle a à exprimer toutes
les pensées, Senghor présente cette langue au monde entier, et
invite les Blancs et les Noirs à s'unir afin de s'organiser pour sa
valorisation, car elle charrie les idéaux humanistes.
Sa relation avec la langue française est comme
l'attitude d'un enfant qui découvre une friandise ou un jouet pour la
première fois. Séduit par cette friandise ou ce jouet, il ne veut
plus s'en passer, même à l'âge adulte. Charmé
à sept ans par la langue française, Senghor ne peut plus s'en
démordre, il en fait son affaire. Il voulut parler la langue
française plus que les Français natifs, et faire aimer cette
langue par tous et de tous, voire l'enseigner. C'est son rêve
d'enfance.
808 Abdoul DIOUF, Patchwork : des fragments de vie,
Paris, Publibook, 2010, p. 16
809 Antoine RIVAROL, De l'universalité de la langue
française, pp. 11-12, disponible sur
http://www.bribes.org/trismegiste/rivarol.htm.
221
Et, ce rêve l'a poursuivi jusqu'à l'âge
adulte. La volonté de réaliser ce rêve le conduisit
à la Francophonie où le français constitue à la
fois le moyen et la fin de toutes les actions de ceux qui veulent y
adhérer. Il reconnaît qu'il a fait sienne cette langue et
oeuvré, non seulement, pour son universalité et son rayonnement,
mais aussi pour la Francophonie. Voici son aveu :
Oui, j'ai fait mienne la langue française et j'ai
contribué à lui donner son
universalité ; oui j'ai oeuvré pour la
francophonie, cette communauté spirituelle, cette solidarité de
l'esprit, [...].810
Ce que Senghor ressent pour la langue française est un
amour d'enfance, un amour contracté depuis l'enfance. Suborné par
la musique et le charme, il s'est promis de faire sienne cette langue et de la
façonner à sa guise. En voulant donc réaliser ce
rêve d'enfance, il eut l'idée de la Francophonie, la
communauté qui doit oeuvrer pour la langue française, et
regrouper en son sein tous les locuteurs de cette langue.
Le choix du français par Léopold Sédar
Senghor n'est pas d'ordre politique. Arraché à l'âge de
sept ans à la langue de sa mère, il découvrit la musique
et le charme de la langue française. En plus, il l'a
étudiée et enseignée. Il connaît les ressources, les
qualités de cette langue qui lui a été imposée par
la colonisation, mais choisie par amour. Tout au long de ses
pérégrinations dans la langue française, il
découvre que le français est capable de structurer la
pensée et développer l'esprit critique, parce qu'il est une
langue analytique. En plus, il remarque que cette langue est, non seulement,
une langue humaniste et universaliste, mais une langue douce,
mélodieuse, romantique et poétique. Et, à force de la
pratiquer, il s'est ancré dans cette langue au point de ne plus parler
sa langue maternelle. Voulant universaliser cette langue, il reprit le concept
de Francophonie d'Onésime Reclus pour désigner son idée de
communauté de locuteurs du français qui aura la charge de faire
la promotion du français à travers le monde.
Cependant, au centre de ses préoccupations se trouvent
les langues africaines qu'il veut valoriser sans pour autant donner
l'impression d'un désintéressement de la langue française.
Il est conscient que les Africains sont déculturés et qu'ils ne
parlent même pas leurs propres langues. La question était comment
faire pour donner le goût aux Africains de revenir à leur langue
maternelle. La solution trouvée était de féconder le
français avec des mots africains : « Nous sommes pour une
langue française avec des variantes, plus exactement des
810 David GAKUNZI, « Le poète et la cité :
Léopold Sédar Senghor », France fraternité,
(Propos de Senghor) disponible sur
http://www.france-fraternité.org/2016/12/20/poete-cite-leopold-sedar-senghor/
222
enrichissements régionaux
»811, dit-il, et d'ajouter qu'il voudrait «
parler non seulement en Nègre mais encore en Francophone
»812. Senghor parle d'enrichir la langue française
et de parler francophone. Comment doit-on enrichir la langue française ?
Qu'est-ce que le parler francophone ? Est-ce la langue commune de la
communauté voulue par Senghor ?
En fait, un nouveau type de français se crée. La
langue française se voit greffer de mots africains, « des
souffles viennent d'ailleurs s'infléchir sur cette langue
française ».813 Dans le cas de Senghor, ce sont des
mots sérères et wolofs qui cohabitent parfaitement avec le
français, des néologismes créés à partir du
radical de mots africains. Nous avons appelé ce français le
français africanisé, que d'autres nomment le
francophonien814 ou le francophonais815
ou encore le parler francophone. Selon Senghor, « ce furent, d'abord,
des apports européens - méditerranéens, germaniques et
slaves- , puis des apports asiatiques -arabes, iraniens et indiens, chinois et
japonais- , maintenant, des apports négro-africains
»816. Si on comprend bien, après les mots
empruntés à l'arabe, à l'anglais, au persan817,
c'est au tour de l'Afrique d'apporter ses mots à la langue
française.
Le français africanisé serait une sorte
d'alliance qui se fait sous l'effet d'un apprivoisement du verbe
français (ou de la langue française) par le verbe nègre
qui est capable d'exprimer des réalités que la langue
française ne peut pas exprimer. Il est aussi le fait de battre les
valeurs africaines dans la langue française818.
Léopold Sédar Senghor voit ainsi dans la langue du colonisateur
une source d'enrichissement pour les langues maternelles abandonnées par
les Africains. Il s'agit pour nous de montrer comment le français
africanisé s'appréhende dans la poésie senghorienne, et
qu'il a une place dans la conception de la Francophonie. Nous allons voir que
le français africanisé est le résultat de la cohabitation
des langues africaines et la langue française, voire un apport
enrichissant pour la langue française. Nous pouvons définir le
français africanisé comme « cette langue enrichie de
tant d'apports, de tant d'images, venus de toutes parts, qui a fait
l'unité française, sans altérer sa diversité
»819, sa structure, sa logique et sa clarté.
811 Léopold Sédar SENGHOR, Préface au
lexique du français du Sénégal, Dakar, NEA, 1979
812 Léopold Sédar SENGHOR, « Lettre à
trois poètes de l'Hexagone », OEuvre poétique,
op. cit., p. 374
813 Saïda BELOUALI, « Senghor : habiter l'interparole
», op. cit.
814 Pabé MONGO, La Nolica (La Nouvelle
Littérature Camerounaise). Du maquis à la cité,
Yaoundé, Presses Universitaires de Yaoundé, 2005, 534 p.
815 Jean FOUCAULT, « Parler francophonais »,
Après Demain, op. cit., pp. 20-22
816 Léopold Sédar SENGHOR, « Lettre à
trois poètes de l'Hexagone », op. cit., p. 377
817 Jean FOUCAULT, « Parler le francophonais »,
Après Demain, op. cit., p. 22
818 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, langue de culture », op. cit., p. 844
819 Louis MARTIN-CHAUFFER, « La langue française
» in Civilisation contemporaine, Paris, Hatier, 1976, p.137,
Textes choisis, classés et présentés par M. A. Baudouy et
R. Moussay. (Louis Martin-Chauffer, La patrie se fait tous les jours,
Paris, Éditions de Minuit, 1947).
223
2. LE CHOIX DU FRANÇAIS AFRICANISÉ OU
NÉGRIFIÉ
Les Africains savent bien que la langue française est
incapable de dire réellement ce qu'ils ressentent ainsi que leur
identité. Pour s'y trouver à l'aise, il leur fallait introduire
des mots, des expressions, une syntaxe et un rythme nouveau à la langue
française820, voire « déconstruire le
français pour le reconstruire sous une forme africaine
»821 car « [...] l'emploi d'un africanisme peut
(...) être conçu comme un signe identitaire lorsque l'auteur
entreprend de `' négrifier» le français
»822. Ce grand besoin de renouveler la langue
française s'est investi avec une attention particulière
accordée à l'écriture, à ses transformations
linguistiques « pour aboutir à ce que J. C Blachère
appelle `' négrilure» et qui n'est autre que le `' français
négrifié» (qui n'a rien à voir avec le `' petit
nègre'') et n'a donc rien de péjoratif.
»823, parce que le français se révèle
inapte à formuler de manière adéquate le contenu de leur
pensée, ils la jugent donc en porte-à-faux par rapport à
la réalité perçue ou conçue. En effet,
La langue d'un peuple, c'est ce peuple lui-même, sa
réalité, ce qu'il a de plus
intime, de plus spécifique, ce qui le
différencie précisément de tout autre peuple, sa
pensée.824
Or, il se trouve que les Africains ont du mal à se
définir une langue pouvant exprimer leur réalité. En plus,
ils ne veulent plus subir la langue française, mais la recréer
pour la rendre accessible à leur mode de vie et à leur
manière de penser. Jean-Pierre Makouta-Mboukou dit qu'
Il ne faut pas que les Négro-africains subissent
simplement une langue qui leur est totalement étrangère, il faut
qu'ils ne soient plus de simples et mauvais consommateurs de la langue
française, mais qu'ils la recréent pour la rendre accessible
à leur mode de vie et à leur manière de
penser.825
820 Claude CAITUCOLI, « L'écrivain africain
francophone, agent glottopolitique : l'exemple d'Ahmadou Kourouma »,
Glottopol, n°3, janvier 2004, p. 6
821 Lilyan KESTELOOT, « Négritude et
créolité », Francophonie et identité
culturelles, sous la direction de Christiane Albert, Paris, Karthala,
1999, p. 42
822 Michel BENIAMINO, « Langue, Littérature,
Francographie », Repère DoRif, n°2 voix/voies,
2012
823 Lilyan KESTELOOT, « Négritude et
créolité », op. cit., p. 39
824 Société Africaine de Culture, « Le
critique africain et son peuple comme producteur de civilisation »,
Colloque de Yaoundé, Paris, Présence Africaine, 1977,
p.449
825 Jean-Pierre MAKOUTA-MBOUKOU, Le français en
Afrique noire, Paris, Bordas, 1973, 240 p.
224
Prisonnier de ce dilemme, Léopold Sédar Senghor
opte pour la défense de l'harmonieux bilinguisme
africano-français dont il fut l'un des plus fervents à
prôner, car pour lui, « s'approprier la langue française,
c'est y introduire des termes nouveaux, [...] des rythmes nouveaux, des images
jamais vues, de nouvelles manières de penser et de sentir.
»826 Il s'agit pour lui de proclamer à travers la
langue française sa culture et ses traditions africaines827.
Mieux, il entend intégrer ses valeurs, ses mots, sa manière
d'être dans la langue française828. Il a
été l'un des auteurs africains à avoir l'intuition
d'introduire des mots de son terroir dans la langue française.
L'introduction des mots de chez lui dans ses poèmes est
un choix délibéré et une manifestation de son engagement
pour la langue française et les langues africaines, choix qui lui a
permis d'élaborer le projet de la Francophonie. Dans tous les cas, qu'on
le souhaite ou qu'on le déplore, un nouveau français est en
gestation, le francophonien ou le francophonais ou encore
le français africanisé, dont les prémices ont
été décelées dans la poésie senghorienne. En
effet, « [...] ce fut dans l'écriture poétique qu'il y
eut les premiers soubresauts, les premières licences, l'introduction des
vocables indigènes »829, particulièrement
dans les sept recueils de poèmes de Léopold Sédar Senghor
où les particularités lexicales830 sont
présentes. Alioune Mbaye dit, à cet effet, que
Senghor a publié sept recueils de poèmes : [...]
Les particularités lexicales sont présentes dès ses
premières publications. Celles qui datent d'avant les
indépendances, et surtout de la période de lutte du mouvement de
la Négritude sont plus fécondes en la matière. [...]
Certaines lexies reviennent souvent dans différents recueils. Elles
expriment des réalités locales inconnues des Français, et
donc absentes de leur langue. Ces lexies appartiennent à plusieurs
domaines :
- la monnaire : guinée,
- le chant et la musique : kora, balafong, dyoung-dyoung,
khalam, tabala, talmbatt, mbalakh, tama, dyali, sorong, gorong, tam-tam,
- les animaux : léopard, antilope, kôba,
crocodile, hippopotame, lamantin, iguane, panthère, mamba,
caïman,
- la végétation et les arbres : mil,
kaïcédrat, baobab, rônier, vin de palme, souna, sanio,
paletuvier, tamarin, khakham, calebasse, poto-poto, bolong, tann,
séco,
-les hommes, les peuples et la réalité sociale :
signare, sara, griot, tokor, gwelwar, tyédo, gris-gris, taga,
sérère, cauri, grand-Dyaraf, Bour-sine, couscous, Almamy,
lèlè, yèba, talbè, sopè, dang,
- les saisons : hivernage, harmattan.831
826 Paul DUMONT, « Francophonie, francophonies »,
Langue française, n°85, 1990, p. 41
827 Idem. p. 41
828 René GNALÉGA, « Senghor et la Francophonie
», Senghor et la Civilisation de l'Universel, op. cit.,
p. 122
829 Lilyan KESTELOOT, « Négritude et
créolité », op. cit., p. 40
830 « Ces apports sont de type lexical, comme on en
trouve beaucoup dans ses poèmes, mais aussi de type formel, stylistique
[...] », nous dit Liano PETRONI, « Senghor, sensuel et
plurivalent poète civil : identité, émotion
universalité », disponible sur
http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?page-imprimer-
831 Alioune MBAYE, « Des particularités lexicales
dans la poésie de Senghor », Sudlangues, n°1, 2002,
pp. 11, disponible sur
http://www.refer.sn/sudlangues
225
On ne peut lire les poèmes de Léopold
Sédar Senghor sans être frappé par la particularité
du lexique négro-africain qui cohabite parfaitement avec le lexique
français. Il ne s'agit pas d'étudier le lexique senghorien, car
beaucoup d'études ont été faites sur la question - nous
pouvons citer, entre autres, les études d'Adopo Achi
Aimé832, de Mbaye Alioune833, de Moussa
Fall834 -. Cependant, il nous semble d'un intérêt
certain d'analyser de plus près comment l'introduction des africanismes
dans sa création poétique a donné naissance à une
nouvelle langue : le français africanisé, et à participer
à l'élaboration du projet de la Francophonie.
Écrire dans une langue qui n'est pas la sienne, c'est
accepter de se soumettre aux exigences syntaxiques et stylistiques de cette
langue, et voici que Senghor rompt avec ces exigences, puisqu'elles ne
parviennent pas à rendre pleinement l'expressivité africaine. Il
utilise la langue française et la met au service de ses idées et
de la sémantique de sa langue maternelle en y faisant glisser des
expressions et des mots africains. Cette cohabitation permet de réaliser
un dialogue qui n'existait pas véritablement et sincèrement
à l'époque coloniale835, voire après les
indépendances des pays africains. Senghor donne les raisons de son choix
du français africanisé :
J'ajouterai que j'écris d'abord pour mon peuple. Et
celui-ci sait qu'une korâ n'est pas une harpe non plus qu'un balafong un
piano. Au reste, c'est en touchant les Africains de langue française que
nous toucherons mieux les Français et, par-delà mers et
frontières, les autres hommes836.
Notre objectif principal est de montrer comment ce dialogue
scriptural a permis (ou est l'une des raisons de) l'élaboration du
projet de la Francophonie. Pour y arriver, nous utilisons la théorie de
l'énonciation de Catherine Kerbrat-Orecchionni. En fait, nous devons
nous attendre à voir apparaître les raisons du choix du
français africanisé, et comment ce français a
participé au concept de Francophonie.
Le français africanisé est une manifestation
culturelle cruciale chez Léopold Sédar Senghor. Il se sent
incomplet ; pour être totalement complet, il lui manquait sa langue
maternelle (sa culture africaine). Il décide alors d'apprendre la langue
maternelle en lui donnant un souffle nouveau. En effet, l'éducation
donnée aux enfants africains sous la colonisation ne
832 Aimé Adopo ACHI, « Le lexique dans l'oeuvre
poétique de Senghor : Ancrage culturel et ouverture sur le monde »,
disponible sur
http://www.ltml.ci/file/article/ADOPO%20Achi.pdf
833 Alioune MBAYE, op. cit., pp. 4-20
834 Moussa FALL, « Les créations verbales de
Léopold Sédar Senghor dans Chants d'ombre, Éthiopiques et
Élégies majeures », Éthiopiques, n°72,
1er semestre 2004
835 Aimé Adopo ACHI, op. cit.
836 Léopold Sédar SENGHOR, « Lexique »,
Poèmes, op. cit., p. 249
226
permettait pas à ceux-ci d'apprendre à
écrire dans leur langue maternelle ou la parler. Il est l'une des
victimes de ce système éducatif colonial. Conscient de son
état de déculturé et de déraciné, il revient
en Afrique, à ses vieux baobabs, aux sources comme les lamantins vont
boire à la source, comme le retour de l'enfant prodigue, pour apprendre
la langue de sa mère et la culture africaine.
Ce retour est rempli d'amertumes. Il se rend-compte qu'il est
totalement déraciné. Il ne connaît pas la langue
maternelle. Il ne sait même pas un seul mot. Ce qu'il sait, c'est ce
gazouillis précieux de mots étrangers :
Si je pouvais parler Mère ! Mais tu n'entendrais qu'un
gazouillis précieux et tu n'entendrais pas. (Po : 79)
Il trouve que la langue maternelle est ni douce ; ni
mélodieuse ; ni poétique, ni charmante, car « chez nous,
les mots sont naturellement nimbés d'un halo de sève et de sang
» (Comme les lamantins vont boire à la source). Cela
n'est pas une raison valable et dissuasive pour lui de renoncer à sa
détermination d'apprendre la langue maternelle.
Mère, parle moi : Ma langue glisse sur nos mots sonores
et durs
Tu les sais faire doux et moelleux comme à ton fils
chéri autrefois. (Po : 79)
ou
Que les vieux mots sérères de bouche en bouche
passent
comme une pipe amicale
[...1
Toi, sers-nous tes bons mots, énormes comme le nombril
de l'Afrique prodigieuse
[...1
Tes mots si naïvement assemblés ; et les doctes en
rient, et
ils me restituent le surréel
Et le lait m'en rejaillit au visage. (Po : 82)
Ayant appris la langue maternelle, il décide de lui
insuffler un souffle nouveau et de la revaloriser.
Fais de moi ton Maître de langue ; mais non, nomme-moi
son ambassadeur. (Po : 49)
Car il n'est pas question de renier les langues africaines,
mais de les rendre ou de les faire douces et moelleuses afin qu'elles puissent
être parlées dans les hautes assemblées.
227
Et les discours exacts rythmés dans les hautes
assemblées
circulaires ; et ce fut parmi les guelwârs de la parole.
Je leur ai imprimé le rythme, je les ai nourris de la moelle
du Maître-de-sciences-et-de-langue. (Po : 105)
Il est question de montrer que toutes les
variétés de langue sont dignes de la même attention, sans
aucune discrimination, qu'elles soient acceptées ou non par la norme.
Les langues se fraternisent ou se dialoguent :
Ta main et ma main qui s'attarde ; et nos pensées se
cherchèrent dans la mi-nuit de nos deux langues soeurs. (Po : 60)
Étant l'ambassadeur de sa langue maternelle et
maître-de-langue, il peut éveiller son peuple aux futurs
flamboyants en lui créant des images rythmées de la parole :
Moi le Maître-de-langue, j'ai en exécration ; ce
sang chaud monotone et ce pullulement fétide
[...]
Ma tâche est d'éveiller mon peuple aux futurs
flamboyants Ma joie de créer des images pour le nourrir, ô
lumières rythmées de la parole ! (O. Po : 262-265)
Il voulait faire renaître les idiotismes, les rendre
pleinement vivants à travers la richesse des expressions de son royaume
d'enfance et contribuer à sa manière à l'enrichissement du
français. Autrement dit, il voulait apporter aux lettres
françaises sa touche africaine. En s'exprimant en français, il
voulait sentir nègre837. Cela peut être la
réponse à la question que se pose Gloria Saravaya : «
N'est-ce pas dans les langues négro-africaines que Senghor puisse la
manière de dire sa différence dans les mots de la langue
française ? »838 En fait,
[...] pour Senghor [...] la langue et la culture
françaises doivent aider à développer les langues et les
cultures africaines qui viendront, en retour, enrichir la langue et la culture
françaises pour faire du français « la langue de la culture
de la Civilisation de l'Universel »839.
Or, chez lui, la Civilisation de l'Universel n'est rien
d'autre que la Francophonie840. La Francophonie est un humanisme
intégral, c'est-à-dire « la symbiose des énergies
dormantes de
837 Saïda BELOUALI, op. cit.
838 Gloria SARAVAYA, Langue et poésie chez
Senghor, op. cit., p. 9
839 Sophie CROISET et Anne-Rosine DELBART, «
Marginalité, identité et diversité des `'
littératures francophones» : présentation du dossier »,
Le langage et l'homme, vol. XXXXVI, n°1, juin 2011, p. 3
840 Léopold Sédar SENGHOR, lors du colloque des
Cent, tenu le 15 février 1986.
228
tous les continents, de toutes les races, qui se
réveillent à leur chaleur complémentaire
»841. Autrement dit, la Francophonie est la participation
de tout un chacun au rayonnement de la langue et culture françaises.
Quant à la Civilisation de l'Universel, concept emprunté à
Teilhard de Chardin, est le fait de puiser en sa culture les ressources
nécessaires pour enrichir l'humanité, et ce à travers la
langue française fécondée des autres langues. De ce fait,
le français africanisé est la langue de la Francophonie,
c'est-à-dire de la Civilisation de l'Universel, puisqu'il est
l'expression de l'apport africain à la langue française. C'est
dans cette même optique qu'Emmanuel Macron affirme
Je veux une francophonie forte, rayonnante, qui illumine, qui
conquiert parce que ce sera la vôtre, portez-la avec fierté cette
francophonie, défendez-la, mettez-y vos mots, mettez-y vos
expériences, transformez-la, changez-la à votre tour ! [...]
C'était un travail important mais avant ce français classique de
l'Académie il y avait un français irrigué de tant et tant
de patois et de langues vernaculaires, lisez le français de Rabelais,
vous vous rendrez compte ! Mais le français d'Afrique, des
Caraïbes, de Pacifique, ce français au pluriel que vous avez fait
vivre, c'est celui-là que je veux voir rayonner, portez-le avec
fierté [...].842
Ce français pluriel n'est que le français
africanisé chez Senghor. Il s'agit d'une africanisation de la syntaxe et
du lexique de la langue française.
Les raisons de cette africanisation peuvent être
résumées en cinq points. D'abord, il y a le fait d'être
déraciné linguistiquement : il parle mieux le français que
sa langue maternelle. Puis, la volonté d'apprentissage des langues
africaines : c'est une nécessité d'apprendre les langues
africaines pour préserver son identité culturelle. Ensuite, le
besoin de valoriser les langues africaines : les langues africaines doivent
être parlées comme le français et l'anglais. En outre, il y
a le choix d'enrichissement de la langue française : c'est le tour de
l'Afrique, selon Senghor, d'enrichir la langue française avec ses mots,
et d'africaniser la phrase française sans altérer sa syntaxe et
sa logique. Et enfin, faire du français africanisé la langue de
la Civilisation de l'Universel, c'est-à-dire de la Francophonie. Avec
Senghor, il s'agit en Francophonie de la langue française avec des mots
de chacun qui sera la langue de tous843. Cependant, le
français africanisé est un problème essentiel dans la
Francophonie ; il n'est pas reconnu en tant que tel. On préfère
plutôt parler de coexistence du français et des langues nationales
ou de langues partenaires, comme l'atteste Slimane Benaïsa :
841 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, langue de culture », Esprit, n° 311, 1962,
p. 844
842 « Le discours d'Emmanuel Macron à Ouagadougou
», op. cit.
843 Nous faisons référence à l'ouvrage,
Le français : des mots de chacun, une langue pour tous : des
français parlés à la langue des poètes,
édité sous la direction de Françoise ARGOD-DUTARD, Rennes,
PUR, 2007
229
La coexistence du français et des langues nationales
est un problème essentiel dans la Francophonie, tout simplement parce
que, la France exceptée, le français n'est langue unique dans
aucun pays francophone ; il est concurrencé ou il est au contact avec
d'autres langues. [...] Nous sommes les uns et les autres tout à fait
attachés à ce que la langue française soit
respectée, mais également les autres langues, sinon nous
manquerions gravement à ce qui fait la force de notre réflexion
qui est notre attachement à la diversité des langues et des
cultures. Sauf à être hypocrite, on ne peut pas être
attaché à la défense du français et ne pas
comprendre que c'est un devoir de respecter les langues maternelles et les
langues nationales qui cohabitent avec le français dans l'espace
francophone.844
De l'extrait ci-dessus, il ressort qu'en Francophonie le
français cohabite avec d'autres langues, qu'il faut les respecter, et
accepte leur existence. Cependant, on n'accepte pas le fait qu'un nouveau
français est en gestation. En plus, on va même qualifier ces
autres langues de langues partenaires, estime à nouveau Slimane
Benaïsa :
La politique linguistique francophone, fondée sur le
« partenariat », a fait prévaloir la notion de langues
partenaires, entendues comme langues qui coexistent avec la langue
française, comme elles le font éventuellement entre elles, avec
laquelle sont aménagées les relations de
complémentarité et de coopération fonctionnelles, dans le
respect des politiques linguistiques existantes.845
Peut-on alors parler de langue partenaire chez Léopold
Sédar Senghor dans sa poésie ? Avec lui, n'est-ce pas un nouveau
français qui est en gestation ? Comment se présente le
français africanisé chez lui ? Quelle que soit la
dénomination, le français africanisé est un
phénomène auquel la Francophonie doit faire face.
Le français africanisé peut être
considéré comme un refus de la norme parisienne et une
revendication identitaire. En effet, le refus de la norme parisienne s'explique
par le fait que Senghor a choisi la voie de la poésie pour s'exprimer.
Quant à la revendication identitaire, elle s'élucide par le fait
que Senghor a choisi de sentir nègre en s'exprimant en français.
Pour cela, il lui fallait un mode d'expression pour se faire entendre et faire
comprendre ce sentir nègre en français. Ce mode d'expression
trouvé par Senghor est celui de métisser la langue
française, de la bousculer, de la déranger sans la
dénaturer846, de l'apprivoiser, car le français,
« cette langue étrangère ne parvient pas à rendre
pleinement l'expressivité africaine »847. C'est ce
que dit Fétigué Coulibaly :
844 Slimane BENAÏSA et al., « Coexistence du
français et des langues nationales dans les pays francophones »,
Le français : des mots de chacun, une langue pour tous : des
français parlés à la langue des poètes, [en
ligne], Rennes, PUR, 2007, pp. 195-226
845 Idem., pp. 195-226
846 Léopold Sédar SENGHOR, « Lettre à
trois poètes de l'Hexagone », op. cit., p. 372 /p. 393
847 Fétigué COULIBALY, « La
négrification du français dans les nouvelles dramaturges
négro-africaines : l'exemple de la tignasse », Synergie,
Royaume-Uni et Irlande, n°6, 2013, p. 114
230
La manifestation de sa liberté linguistique, qui est
aussi une expression identitaire négro-africaine, contribue à
l'épanouissement, l'évolution et l'enrichissement de la langue
française. Ainsi, écrire en français sans être
Français ne fait aucunement perdre son identité mais plutôt
la renforcer davantage848.
Le français africanisé est une sorte de
français métissé chez Léopold Sédar Senghor.
Et ce nouveau français tire sa substance (lexicale, grammaticale,
syntaxique) tant du français que des langues africaines. Il utilise la
langue française et y glisse des expressions et des mots africains sur
le même axe/plan syntagmatique et sémantique. Illustrons nos
propos :
Et parmi tous, ce Mbogou couleur de désert ; et les
Guel-
wars avaient versé des libations de larmes à son
départ Pluie pure de rosée quand saigne la mort du Soleil sur
la
plaine marine et les vagues des guerriers morts. (Po : 47)
ou
« Oui tu es Guelwar de l'esprit, il est Beleup de
Kaymôr. « Politesse du Prince ! Et des présents sont pour
t'attendre « Politesse du Prince ! Et sa récade est d'or. »
(Po : 104)
ou bien
J'ai en exécration : le poto-poto où s'enfoncent
lentement toutes patiences
Ces pourritures spongieuses du coeur, qui vous aspirent,
énergie ! de leurs ventouses insondables. (O. Po :
263)
Des extraits ci-dessus, nous avons des mots africains comme
Mbogou, Guelwars, Guelwar, Beleup de
Kaymôr, poto-poto qui s'insèrent
ingénieusement dans la syntaxe de la langue française. Cette
manière d'écrire est très fréquente dans la
production poétique de Senghor. Dans sa production, l'on a donc
relevé, selon Alioune Mbaye, cinquante-neuf (59) africanismes, parmi
lesquels trente-un (31) emprunts aux langues africaines, autres que le
sérère ou le wolof849. Nous ne voulons pas alourdir
notre texte par l'étude de tous les africanismes de la poésie de
Senghor.850 Le faire, c'est mettre en cause toutes les études
antérieures faites dans ce sens. Néanmoins, nous tenterons
d'étudier les procédés utilisés par Senghor pour
mettre en évidence le français africanisé dans sa
production poétique. En effet, le lexique de Senghor nous
848 Idem., p. 114
849 Alioune MBAYE, op. cit., p. 10
850 Vous y trouverez en annexe les africanismes
employés par Senghor (la liste n'est pas exhaustive). Annexe XI (annexe
11), pp. 542-544
231
révèle qu'il ressentait un besoin de
créer de nouveaux vocables (mots) pour exprimer les
réalités nouvelles inconnues dans le français tels que
dibiterie, essencerie, Belborg, primature,
primatorial, koriste, kora, Lamarque,
gouvernance, khalamiste, tama,
balafongiste, éthiopiques, prétemps,
pullulance, paragnessés,... Pour cela, il lui fallait puiser
certains vocables de chez lui et d'ailleurs pour enrichir son lexique. C'est
d'ailleurs un enrichissement de la langue française, soutient-il :
[...] nous avons même créé des mots comme
« gouvernance » qui reprend un vieux mot français du
XIIIe siècle ; nous avons créé des mots
nouveaux comme « primature » avec son adjectif « primatorial
», etc... Il y a également un apport de nouveaux mots à
partir du vocabulaire africain : par exemple, le « tama », la «
kora », le « koriste » etc. Et j'ai même inventé,
parmi d'autres, le mot « lamarque » pour traduire le «
maître de terre »...
Tout ceci constitue un enrichissement de la langue
[française], grâce à notre pouvoir de création,
à notre pouvoir d'imagination851.
Et d'ajouter qu'
À l'intérieur des limites ainsi tracées,
notre liberté doit être réelle, car nos besoins
réels de forger, quand la nécessité s'en fait sentir, des
mots nouveaux, voire des expressions nouvelles, pour exprimer des faits et des
réalités nouvelles. C'est ainsi au Sénégal, nous
avons, pour les besoins de notre administration, créé des mots
comme primature, primatorial, gouvernance, suivi, et qu'à
côté des harpistes, guitaristes et pianistes de France, nous avons
nos koristes, khalamistes et balafongistes.852
Il a emprunté
- Au wolof (langue dominante du Sénégal) :
ndeundeus, tamas, sakars, ndéissane, taga,
woï, tann, toubab, ndeïssane, ndeïsane,...
- Au sérère (langue maternelle du poète) :
tokor, nanio, paragnessés,...
- Au mandingue : tata, dyali, kora, balafong,...
- Au malinké : guelwâr, dyoung-dyoung,...
- Au poular : kôba, poullo,...
- Au peulh : mâbo, sorong, pulel bokku soko baraani,
lêlé, Mbarodi,...
- Au baoulé (à l'agni) :
ébou-é,...
- À l'arabe : tabala, talbé, Almamy, couscous,
chéchias, Simoun,...
- Au portugais : secco, signare, saudades,...
- À l'allemand : Die Schwarze schande,...
- À l'anglais : Black is beautiful, Steal away, steal away
to Jesus,...
- Au malaise: gong,...
- Au zoulou : Bayété, Baba, Zoulou,...
- Au congolais : poto-poto,...
851 Léopold Sédar SENGHOR, « Poète et
francophone », La Littérature sénégalaise, Notre
Librairie, n°81, octobre-décembre 1985, p.103 (Propos de
Senghor recueillis par Serges Bourjea)
852 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
3, p. 549
232
- Au latin : Verdun, tantum, ergo, lætare, Ave Maria, Sicut
et nos dimittimus debitoribus nostri, cyclamen, Halcyon senegalensis,
Tramiæ basilares, ...
En plus de l'emprunt, Senghor procède à
l'agglutination. Ce procédé consiste à former de nouveaux
mots en leur adjoignant des éléments qui avaient une existence
indépendante, voire de réunir des mots pour former de nouveaux
mots. 853 Voici quelques agglutinations faites par Senghor :
vallon-de-la Mort, toi plus-que-peste,
Doué-d'un-large-dos, mon plus-que-frère,
celui-qui-accompagne, la Maître-de-science,
Bonne-et-belle, Maître-de-science-et-de-langue,
Bombe-atomique-à-l'orgueil-de-l'Europe, le
Diseur-des-choses-très-cachées, Isabelle-labelle,
Soukeina-de-soie-noir... À cela, il faut ajouter aussi le
procédé de l'hybridation qui s'appuie sur la dérivation et
la composition pour former de nouveaux mots qui deviennent des créations
lexicales personnelles du poète. L'hybridation consiste à ajouter
des suffixes ou des préfixes français à une base (racine)
d'une langue autre que le français. Avec ce procédé, nous
avons grand-Dyarâf, Bour-sine,
Viguelwâr, lamarque, kôriste... Le
dernier procédé utilisé par Senghor est celui du calque.
En effet, Léopold Sédar Senghor, à partir du schéma
sémantique propre à la langue française, crée de
nouveaux mots pour exprimer des réalités propres à
l'Afrique qui ne peuvent être exprimées ni par les langues
maternelles ni par le français. À cet effet, nous avons
diamantine, viguelwâr de Kolnodick,
prétemps, agonistique, pullulance,
hivernage, Beleup de Kaymôr... Senghor utilise
également des substantifs auxquels il fait précéder de
déterminants français. À titre d'exemple, nous pouvons
citer des tabalas, des dyoung-dyoungs, des hautes
koras, les Guélowars, ce Mbogou couleur de
désert... En guise d'exemple pour illustrer nos différents
propos, prenons un extrait du poème « Messages »
d'Éthiopiques :
« Oui tu es Guelwâr de l'esprit, il est Beleup de
Kaymôr.
« Politesse du Prince ! Et des présents sont pour
t'attendre. « Politesse du Prince ! Et sa récade est d'or.
»
Dyôb !lui ai-je dit, Beleup de Kaymôr ! Je te respire
parfum
de gommier, et proclame ton nom
[...1
Grâce pour la jeune fille nubile au ventre de douceur
n'deissane ! à la croupe de colline à la
poitrine de fruits
de rônier.
[...1
Ma Dame est dame de haut rang et fière. Donc
compliments
à la fille du Grand-Dyarâf !
[...1
Et les discours exacts rythmés dans les hautes
assemblées
circulaires ; et ce fut parmi les guelwârs de la parole.
Je leur ai imprimé le rythme, je les ai nourris de la
moelle
853 Atsain François N'CHO, « Senghor : Quand la
parole de tous les jours se fait poème »,
Éthiopiques, n°91, 2ème semestre, 2013, pp.
43-60
233
du Maître-de-sciences-et-de-langue. (Po : 104-105)
Il n'y a pas de verbes, de conjonctions, de
prépositions ni d'adjectifs dans le langage senghorien, mais uniquement
des substantifs et des interjections (woï, ndeissane). De ce
fait, nous pouvons affirmer que Senghor, par ces procédés
succinctement présentés, ne voulait en aucun cas oblitérer
la structure syntaxique française, c'est-à-dire il respecte la
logique architecturale de la phrase française :
sujet-verbe-complément (attribut). Illustrons nos propos avec un autre
exemple :
Elle dort et repose sur la candeur du sable.
Koumba Tam dort. Une palme verte voile la fièvre des
cheveux, cuivre le front courbe
Les paupières closes, coupe double et sources
scellées. (Po : 15)
Nous avons comme sujet (elle, Koumba Tam, une palme verte),
comme verbe (dort, repose, voile...), comme complément (sur la candeur
du sable...). On constate aussi chez Senghor la postposition du sujet au verbe,
et également l'antéposition du complément au verbe, ainsi
que le déplacement anténominal de l'adjectif
épithète :
Quels mois alors ? Quelle année ? Je me rappelle sa
douceur fuyante au crépuscule
Que mouraient au loin les hommes comme aujourd'hui, que
fraîche était, comme un limon, l'ombre des tamariniers. (Po :
26)
Dans ce passage ci-dessus, nous avons à la fois une
postposition du sujet et une antéposition du complément (ici de
l'attribut du sujet). Le sujet du verbe mouraient et du verbe
était sont postposés tandis que l'adjectif attribut
fraîche est antéposé. La phrase poétique
senghorienne, c'est aussi verbe-sujet-complément ou complément
(attribut)-verbe-sujet. Cette structure phrastique se saisit souvent dans les
subjonctives commençant par la particule que.854 Le
sujet, en effet, se place régulièrement après le verbe
lorsque la phrase est débutée par cette particule, comme on peut
le voir dans l'extrait ci-dessous :
Que descendent les Anges peuls, de son trône d'ivoire la
Vierge et ses mains de paix noire
Que dans ses bras le berce Marie Sarr, comme les berceuses lors
à Diakhâw des nourrices royales. (O. Po : 278)
854 Goly Mathias IRIÉ BI, « La phrase poétique
chez Senghor », in Langues et Littératures, n°11,
2007, Saint-Louis, Sénégal, pp.77-94
234
Le français africanisé chez Senghor, quelle que
soit la fantaisie faite, respecte l'ordonnance phrastique de la langue
française. Il est celui qui apprivoise la syntaxe de la phrase
française pour l'adapter à ses sentiments, à ses
ressentiments et à ses désirs. Il est également celui qui
rend pleinement l'expressivité africaine et française. Autrement
dit, Senghor écrit en français tout en s'exprimant avec le
langage de ses frères africains. Il semble avouer, à cet effet
:
[...] quand je ne trouve pas dans le dictionnaire le mot qui
convient, je l'emprunte au lexique français du
Sénégal...ou je l'invente [...]. Mais [...] je tâche de
l'ajuster [...] tout en respectant le génie du français qui est,
par excellence, « langue de gentillesse et d'honnêteté
».855
De cet aveu, Senghor affirme que le français
africanisé respecte la structure syntaxique du français standard
; cependant, la langue française doit s'accommoder des arrangements
linguistiques et lexicaux de « tous ceux qui l'enrichissent de leurs
apports sur les cinq continents. »856 Sans les apports des
autres, le français n'existerait pas, nous dit Jean
Foucault857, et pour Senghor, c'est le tour de l'Afrique d'y
contribuer. Le repli de la Francophonie sur la seule langue française
ayant des langues partenaires signifie son échec, car, aujourd'hui, l'on
doit être à mesure de reconnaître que le français,
certes, a des langues partenaires, mais qu'il est hybridé par des mots
de ces langues considérées partenaires. Cette hybridation du
français est appelé le français africanisé, dans le
cas de Senghor. Et l'on doit reconnaître également l'existence de
ce français africanisé. Ayant dit que la Francophonie repose sur
la langue française, Senghor revoit sa conception et réaffirme
qu'il faut à cette langue des variantes régionales. Ce
français avec des variantes régionales est une
réalité dans l'espace francophone. La reconnaissance de ce
français avec des variantes régionales imposera elle-même
sa dénomination. En attendant que cela arrive, il faut appeler ce
français avec des variantes régionales, le français
africanisé (le parler francophone), puisqu'être Francophone ne
signifie pas nécessairement parler exactement la même langue
française, mais un français prêt à s'accommoder des
apports linguistiques de ses locuteurs.. Par le français
africanisé, Senghor a voulu exprimer un état d'âme et une
culture autres que ceux de la France, qui sont des réalités
culturelles spécifiques au contexte africain. C'est probablement dans la
revue Esprit de 1962 que Senghor a, non seulement, défini la
Francophonie, mais également annoncé l'africanisation
855 Léopold Sédar SENGHOR, « Poète et
francophone », La Littérature sénégalaise, Notre
Librairie, n°81, octobre-décembre 1985, op. cit., p.
100
856 Bernard WALLON, op. cit. (loc. cit.), p.
3
857 Jean FOUCAULT, op. cit., p. 22
235
de la langue française : « Nos valeurs font
battre, maintenant les livres que vous lisez, la langue que vous parlez : le
français, Soleil qui brille hors de l'Hexagone. »858
Bien avant cette annonce dans la revue, sa production
poétique en témoignait, car elle fut le lieu où il
théorisa le français africanisé en faisant enjamber la
seule langue française par des langues africaines. Lilyan Kesteloot
justifie nos propos en disant qu'
On a beaucoup spéculé ces quinze
dernières années sur une nouvelle écriture des
écrivains africains et les transformations qu'ils s'opèrent sur
la langue française dans le but de la plier, de l'adapter à leurs
besoins propres d'expression. Ce grand besoin de renouvellement s'est en effet
investi dans une attention toujours plus intense accordée à
l'écriture, à ses transformations linguistiques, en fonction des
lectures aussi bien que des structures de l'oralité, pour aboutir
à ce que J -C Blachère appelle « négrilure » et
qui n'est autre que le « français négrifié »
(qui n'a rien à voir avec « le petit nègre » et n'a
donc rien de péjoratif). [...] Ce mouvement d'émancipation de
l'écrivain et de l'écriture se fera donc essentiellement à
l'encontre du français [...] si bien que ce fut dans l'écriture
poétique qu'il eut les premiers soubresauts, les premières
licences, l'introduction des vocables indigènes chez Senghor et
Césaire entre autres.859
La stratégie adoptée par Senghor n'est pas de
déconstruire le français pour le reconstruire sous une forme
africaine mais de le submerger avec les mots africains tout en gardant la
structure du français, comme l'illustre l'extrait ci-dessous :
Il n'y aurait pas de chant si tar et darbouka
n'accomplissaient l'orchestre, prêtant leur
Rythme syncopé aux kamenjahs et aux
rebabs, au naï suave oud lyrique, au
quanoun. (O. Po : 312)
Cependant, il sait que ce submergement peut être un danger
pour la langue française :
Disons qu'il y a un danger d'enrichissement
désordonné et c'est la raison pour laquelle il y a, n'est-ce pas,
une Académie française et les « séances du jeudi
». (...) Du point de vue de la syntaxe, il faut combattre les
modifications quand ces modifications ne s'harmonisent pas avec les
caractères fondamentaux du français. Les négro-africains,
par exemple, ont tendance à créer des expressions imagées
: mais il faut garder le sens de l'économie et de la mesure du
français860.
Lilyan Kesteloot a vu juste lorsqu'il dit que Senghor s'est
montré prudent face aux transformations qui s'opèrent dans la
langue française :
Le travail du héraut noir est de s'attaquer à
l'oppresseur ; « de défranciser la
langue, de la concasser » annonce Blachère ; de
« subvertir le français » propose plus
858 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, langue de culture », Esprit, op. cit.,
p. 384
859 Lilyan KESTELOOT, « Négritude et
créolité », op. cit., pp. 39-40
860 Léopold Sédar SENGHOR, Notre
librairie, n°81, op. cit., p. 103
236
calmement Maryse Condé ; de « faire des
bâtards à la langue française » répétera
à l'envie Massa Magan Diabaté ; de « décrasser les
mots, les brouiller, les prendre à rebrousse-poil » avait
déjà écrit Senghor en 1952 mais [...] aujourd'hui
l'académicien se montre plus prudent : « nous sommes pour une
langue française, mais des variantes, plus exactement des
enrichissements régionaux ».861
Nous comprenons dès lors qu'avec Senghor le concept de
Francophonie ne concerne pas simplement le fait pour tel individu de parler
français ou d'écrire en français, mais renvoie en fait de
le maîtriser et de l'enrichir avec des variantes régionales sans
altérer la logique et la clarté du français. L'utilisation
de la langue française avec les variantes régionales est le
fondement même de la Francophonie. C'est pourquoi, il a souhaité
l'entrée d'un plus grand nombre de mots africains dans le dictionnaire
français, comme l'asserte-t-il :
Et je pense justement que mon rôle à
l'Académie est de faire entrer dans le
dictionnaire le plus grand nombre de mots possible des divers
français de la francophonie : du français canadien, du
français sénégalais, ivoirien, etc.862
Le français avec des variantes régionales
donnera forcément un nouveau français. Ce nouveau français
fait la force du français standard aujourd'hui, estime Alain
Juppé :
Ce qui fait aujourd'hui la force du français, je dirai
même son génie propre, c'est
qu'il est une langue partagée par des nations
différentes dont chacune l'a enrichie de son histoire, de ses mots, de
ses oeuvres, de ses idées.863
Et René Gnaléga de soutenir que
[n]ous devons intégrer nos valeurs, nos mots, notre
manière d'être dans la langue [française]. [...] Par
conséquent, il n'est pas utile de condamner le nouchi, le
français de Moussa et les autres créations qui participent du
dynamisme de la langue [française].864
Le français africanisé adopté par Senghor
montre qu'il est attaché à la fois à la culture en
général, à la culture africaine principalement et à
la culture française. À cet effet, nous pouvons avancer que le
français africanisé est également l'écriture de la
double culture :
L'écriture de Senghor est si particulière
à telle enseigne que l'on pourra dire qu'elle est métissée
ou une écriture de la double culture [...] En effet, l'écriture
de Senghor est l'alliage de la langue de Malherbe, de Molière, de
Voltaire ou de Victor Hugo à celui des vocables indigènes des
Négro-africains. Cet alliage du français et
861 Lilyan KESTELOOT, « Négritude et
créolité », op. cit., pp. 39-40
862 Léopold Sédar SENGHOR, Notre
librairie, n°81, op. cit., p. 103
863 Alain JUPPÉ, « Agir pour la francophonie »,
Pourquoi la Francophonie, op. cit., p. 166
864 René GNALÉGA, « Senghor et la Civilisation
de l'Universel », op. cit., pp. 122-123
237
des vocables africains dit que Senghor pratique une
écriture de la double culture [...].865
Car, ajoutons-nous à nouveau,
Il (Senghor) a une parfaite maîtrise de la langue de ses
soeurs « Téning-Ndyaré et Tyagoum-Ndyaré », de
« Soukeïna », de son père « Tokor », de son
oncle « Toko'Waly » et de la culture zoulou (Bayété
Baba...) ainsi que celle d' « Isabelle », de la « Voix blanche
de l'Outre-mer » et de « l'épiderme blanc ». Il n'est
donc pas, comme le dit Jean-Paul Sartre, écartelé entre sa langue
maternelle et le français pour colorer la langue d'emprunt de vocables
indigènes ou africains. Au contraire, Senghor invente une
écriture métissée ou une écriture de la double
culture (écrire en français négrifié) parce que les
Africains sont des métis culturels [...]. Car, par les modes
d'expression orale ou écrite, les mots africains employés par
Senghor se greffent sur la langue française. Ces deux modes d'expression
cohabitent et donnent une texture non orale non écrite, les deux
à la fois : c'est l'écriture de la double culture ou le
français négrifié.866
N'est-ce pas ce constat qui fait dire Emmanuel Macron que la
langue française « [...] est autant, voire davantage, africaine
que française »867 ? Dans le cadre de la
Francophonie, ce n'est pas seulement le fait d'utiliser la langue
française avec des variantes régionales, mais d'appartenir
à une double culture et d'avoir une autre langue que le français,
estime Léopold Sédar Senghor :
Dans le cadre plus général de la Francophonie, je
crois également qu'il faut que, à
côté du français académique,
classique, on ait soit une langue natale, soit une ou des langues
régionales.868
Dans le sillage de Senghor, Katia Haddah dira que «
Par conséquent n'est francophone que celui qui parle le
français à côté d'au moins une autre langue.
»869 L'essentiel en Francophonie est la langue française
enrichie par des langues régionales. Donc, le fait de parler le
français à côté d'au moins une langue est du bluff.
En effet, deux langues qui cohabitent s'influencent mutuellement, se
prêtent des mots et engendrent une langue métissée ; cela
dit, dans les pays où la langue française cohabite avec d'autres
langues, nous aurons un nouveau français en gestation. C'est ce dont il
s'agit dans la poésie senghorienne. Par conséquent, n'est
francophone que celui qui parle le français africanisé. Dans
l'entendement de Senghor, le français africanisé a pour
rôle d'enrichir le français sans l'altérer. Il est d'un
intérêt capital d'accorder du crédit à ce nouveau
français qui est issu de la cohabitation du français classique et
des langues
865 Adou BOUATENIN, La poétique de la
Francophonie, op. cit., p. 34
866 Idem., p. 36
867 « Le discours d'Emmanuel Macron à Ouagadougou
», op. cit.
868 Léopold Sédar SENGHOR, Notre
Librairie, op. cit., p. 104
869 Katia HADDAH, « Désespérante francophonie
», Pourquoi la Francophonie ?, op.cit., p. 186
238
régionales. Ce français africanisé se
parle et s'écrit dans l'espace francophone. Les prémices de ce
français furent visibles dans la poésie senghorienne.
Dans la poésie senghorienne, à côté
du français, dit standard, se développe un nouveau
français que nous avons, parmi tant de dénominations qui
s'offrent à nous, préféré le nommer le
français africanisé. Ce français africanisé chez
Léopold Sédar Senghor a sa propre particularité. En effet,
il reflète le métissage culturel de ses locuteurs dans la mesure
où il se nourrit de l'apport et de l'influence des langues africaines en
particulier et des autres langues en général auxquelles il
emprunte, calque les figures, les images, les expressions. Cette langue doit
également respecter la syntaxe phrastique française, comme le
souhaite Louis De Broglie :
Mais l'enrichissement du français, s'il est à la
fois souhaitable et inévitable, doit se faire d'une façon
rationnelle préservant l'autonomie de la langue et restant conforme
à ses origines et à son génie. Le français doit,
certes, se transformer et s'accroître, mais il doit le faire sans perdre
les qualités essentielles de précision et de cohérence qui
ont assuré dans le passé le succès de son emploi dans le
monde et la diffusion des idées dont il était
l'interprète. [...] Mais il faut que le langage scientifique
français, tout en se complétant et en s'enrichissant
continuellement, garde cependant les qualités de précision et de
clarté qui ont toujours assuré la valeur et
l'élégance de notre langue et ne se transforme pas en jargon
incorrect prétentieux et lourd, tout chargé de mots
étrangers et de sigles obscurs.870
Chez Léopold Sédar Senghor, le français
africanisé n'appauvrit pas le français standard, au contraire
l'enrichit et laisse entrevoir l'énorme potentialité de
créativité de ses locuteurs, et ce sens créatif qui
réinvente la langue française est bien la preuve que ses auteurs
maîtrisent parfaitement le français standard. Une langue qui
n'évolue pas meurt, le français africanisé assure la
survie du français de France par cette capacité de
créativité immense, riche, intense qu'il possède. Il est
né du fait que le français standard n'est pas toujours
adapté aux réalités de vie africaine. Le français
africanisé, en empruntant aux langues africaines des mots, assure son
adoption par tous et sa popularité auprès de tous. Il constitue
un apport important à la diversité linguistique et culturelle en
Francophonie, et mérite que de plus en plus de spécialistes s'y
intéressent car ce n'est pas un simple phénomène de mode
appelé à disparaître.
En littérature, Senghor a été
l'initiateur du français africanisé, et c'est ce qui l'a
amené, sans doute, à théoriser un idéal de
Francophonie universelle qui serait respectueuse des identités
870 Louis De BROGLIE, « Plaidoyer en faveur de la langue
française », Civilisation contemporaine, Paris, Hatier,
1976, pp.139-140, Textes choisis, classés et présentés par
M. A. Baudouy et R. Moussay (Louis de Broglie, Sur les sentiers de la
science, Paris, Albin Michel, 1960).
239
culturelles. Cela est, peut-être, la raison qui l'a
amené à imaginer une langue française teintée de
vocables africains qui collabore et cohabite avec les autres langues latines et
les langues africaines, dites langues partenaires. Le choix de Senghor est
évident, il a choisi de parler en francophone, or ce parler francophone
est une langue conforme à sa situation de métis culturel,
imprégné de plusieurs cultures. Ce parler francophone est ce que
Jean Bernard Kouadio appelle le langage francophone, qui, selon lui, «
est une alliance entre le langage français et le langage africain
»871. En tant que Maître-de-langue, Senghor se doit
inventer un langage capable d'exprimer sa situation de métis culturel
sans trahir son amour premier de la langue française. Il a
décidé de greffer la langue française avec des mots
africains, d'insérer des néologismes, des images folles et des
rythmes syncopés dans le génie de la langue française.
Mieux, il a décidé d'inventer un langage accessible un jour ou
l'autre, à tous les sens et par tous. Qu'on soit Français ou
Africain, le langage senghorien est accessible, car il est un langage qui
reflète la double culture du sujet parlant ou du sujet écrivant,
et de ses locuteurs, voire de Léopold Sédar Senghor
lui-même. Il a voulu ainsi proclamer délibérément sa
culture et ses traditions africaines à travers la langue
française. Il s'approprie la langue française en y introduisant
des termes nouveaux, des images nouvelles, de nouvelles manières de
penser et de sentir, du rythme africain, car la langue est à ceux qui la
parlent en toute propriété, sans réserve ni
hypothèque, et ils n'ont plus de compte à rendre de l'usage
qu'ils en font à qui que ce soit. Le français africanisé
est une manifestation de son engagement pour la langue française et pour
les langues africaines, et l'une des raisons personnelles de
l'élaboration du projet de la Francophonie, estime Michaëlle Jean
:
Ainsi naîtra la Francophonie. Dans le génie de la
langue française réinvestie de
tous les traits de civilisation, les mots et les imaginaires,
de toutes les forces, les volontés et les aspirations des peuples qui
l'ont en partage.872
Ce qui fait la force de la Francophonie aujourd'hui, c'est la
langue française, parce qu'elle est une langue partagée par des
personnes de nationalités différentes qui l'ont enrichie de leurs
mots. L'un des phénomènes majeurs du XXIe
siècle est l'irruption des valeurs nègres dans la culture
occidentale, l'irruption des vocables négro-africains dans la langue
française : c'est une manière pour les Noirs de contribuer
à la construction de la Civilisation de l'Universel
871 Jean Bernard KOUADIO, Poétisation de la
révolution dans Aurore d'Afrique à Sanoudja de Toh Bi,
Mémoire de Master 2, Lettres Modernes, Université Félix
Houphouët Boigny/ Côte d'Ivoire [sous la direction du Professeur
Martin N'Guettia], p. 51
872 Michaëlle JEAN, Le nouvel humanisme se dit en
français, disponible sur
http://www.huffingtonpost.fr/michaelle-jean/le-nouvel-humanisme-se-dit-en-francais_a_21903173/
240
prônée par Léopold Sédar Senghor,
et d'apporter ainsi aux lettres françaises leurs touches africaines. Le
français africanisé est le fait de s'exprimer en français
de France sans pour autant nier ses langues maternelles. Il est aussi la langue
de la culture de la Civilisation de l'Universel, c'est-à-dire de la
Francophonie. À travers le français africanisé, Senghor
envisage, pour la Francophonie, que les locuteurs du français
enrichissent la langue française de leurs particularismes linguistiques
ou de leurs créativités sans modifier la logique du
français. Le français africanisé ou «
négrifié » est un métissage linguistique qui fait du
français un usage relevant de la révolte et de l'affirmation de
soi face au colonisateur. Il dit aussi une identité autre que
française et africaine, mais une identité
francophone.873
Au centre de la conception senghorienne de la Francophonie se
trouve, également, l'homme en général et l'homme noir en
particulier. Pour Senghor, il faut façonner, c'est-à-dire
éduquer, l'homme noir moralement, intellectuellement et spirituellement.
Mieux il faut inculquer aux Africains l'humanisme francophone. Dans sa
poésie, le peuple noir est la matière de modelage que Senghor
cherche à donner forme en l'inculquant les valeurs de la
Négritude et de la Francité. Il oriente sa réflexion sur
le devenir du peuple noir. Par amour de ce peuple, de tous les peuples noirs
opprimés, il décide d'être « Ambassadeur du peuple
noir »874 à « l'assemblée des
peuples »875 pour « les élections des
Hautes-sièges »876. Cette ébauche permet
d'aborder le troisième point de ce chapitre. Il s'agit de montrer que le
peuple noir occupe une place de choix dans la conception senghorienne de la
Francophonie. Il est question de voir les missions que s'assigne Senghor
auprès du peuple noir qu'il a choisi de défendre, ainsi que les
images qui reflètent ces missions. Nous allons voir comment «
il soutient que la Francophonie est une occasion, une possibilité
pour le continent africain de participer à la renaissance du monde, de
s'ouvrir aux autres, d'aller à la rencontre de l'humanité
»877. En fait, il est question de montrer que Senghor
n'exclut point le peuple noir dans la conception de la Francophonie, au
contraire la reconnaissance de ce peuple donne sens, et justifie l'existence de
la Francophonie senghorienne.
873 La problématique identitaire sera l'objet
d'étude de notre troisième partie du travail. La question
d'identité francophone, quant à elle, sera abordée dans le
chapitre trois de la troisième partie.
874 Cf. « Épitres à la princesse »,
Éthiopiques, op. cit., p. 133
875 Cf. « Que m'accompagnent Koras et Balafong »,
Chants d'ombre, op. cit., p. 32
876 Cf. « Épitres à la princesse »,
Éthiopiques, op. cit., p. 134
877 Ibrahim DIOP, « Senghor entre Francophonie et dialogue
interculturel », op. cit., p. 10
241
3. LE CHOIX DU PEUPLE NOIR
Le peuple noir est le seul peuple à qui l'on a
dénié l'humanité et la civilisation. Il est le seul peuple
à qui l'on dit qu'il n'a rien inventé, rien créé,
rien écrit, rien sculpté, rien peint, rien chanté, rien
donné à l'humanité, rien produit.878 Il a
été réduit à l'esclavage universel (qui a connu la
traite négrière). Il est aussi le seul peuple dont la chair fut
hostie de guerre, et qui continue à croire en une superstition de
damnation éternelle en vouant un culte imaginaire à la
supériorité et à la technique de l'Occident. En plus, ce
peuple s'est résigné à rester de simple observateur de
l'évolution du monde et de simple consommateur, parce qu'on lui a fait
croire qu'il était un peuple vaurien, dénué de toutes
valeurs morales et de bon sens. Léopold Sédar Senghor
récuse toutes ces idées reçues et non fondées. Le
peuple noir et lui ne sont pas des « hommes du coton du café de
l'huile [ni des] hommes de la mort »879 mais « le
levain qui est nécessaire à la farine blanche
»880 et qui répondent « présents
à la renaissance du Monde »881. Il décide de
rompre « les remparts décrétés
»882 par les Occidentaux dont l'objectif est de mettre le
peuple noir hors compétition afin de toujours le biaiser. Il se
présente alors comme « l'ambassadeur du peuple noir
»883 à « l'assemblée des peuples
»884, ici, la Francophonie, pour défendre les
valeurs intrinsèques de ce peuple.
La Francophonie est là pour transcender les divisions,
les clivages entre les Arabes, les Négro-africains et les Occidentaux en
les conduisant à la Civilisation de l'Universel. L'incapacité et
la passibilité du peuple noir de se situer dans une civilisation qui se
métisse et de se prendre en charge soi-même amène Senghor
à se porter volontairement comme l'éveilleur de conscience, parce
qu'il est sûr que le peuple noir n'est pas seulement consommateur, mais
producteur de civilisation. En Francophonie, ce qui importe est le devenir de
l'homme peu importe la couleur de sa peau, sa race, mais qu'il soit homme,
c'est-à-dire humain. Cependant, le constat est clair, le devenir de
l'homme noir préoccupe plus Senghor que tout :
878 Cf. Aimé CÉSAIRE, Cahier d'un retour au
pays natal, Paris, Présence Africaine, 1983, pp. 44-46
879 Cf. « Prière aux masques », op.
cit., p. 22
880 Idem., p. 21
881 Ibidem., p. 21
882 Cf. « Pour Emma Payelleville l'infirmière »,
op. cit., p. 18 883Cf. « Épitres à la
princesse », op. cit. (loc. cit.), p. 133
884 Cf. « Que m'accompagnent Koras et Balafong »,
op. cit., p. 32
242
J'ai choisi mon peuple noir peinant, mon peuple paysan toute la
race paysanne par le monde. (Po : 28)
Car « [sa] tâche est d'éveiller [son]
peuple [...] »885 et de porter « [sa]
récade à l'assemblée des peuples
»886. Cela est un honneur pour lui, un honneur de servir
le peuple noir : « Pour l'amour de mon Peuple noir
»887 ou « Me voici rendu à mon Peuple
à mon honneur. »888 Et, le peuple a
entièrement confiance en lui : « J'ai la confiance de mon
Peuple [...] »889. En plus, il se veut la bouche et la
trompette du peuple : « Non d'être la tête du peuple, mais
sa bouche et sa trompette »890. Il ne veut pas être
seulement le chef du peuple mais également son porte-parole afin de dire
le message inouï de ce peuple. Il décide, ainsi, de mettre son art
à la disposition du peuple, c'est-à-dire sa poésie, qui
« se fait chant, parole et musique en même temps
»891 : « Qui pourra vous chanter si ce n'est
votre frère [...] de sang ? »892. Ce frère
de sang se nomme Léopold Sédar Senghor. Il dit :
Je chante dans mon chant tous les travailleurs, et tous
les paysans pêcheurs pasteurs
Qui déchantent au chant de la moisson
[...]
O tous mes frères, que je chante votre sang rouge, vos
labeurs blancs mais vos joies noires
Que je chante pour qui je chante
Je chante l'oriflamme de l'Afrique aux forces essentielles. (O.
Po : 268)
Il ne veut non plus laisser la parole à des soi-disant
représentants du peuple pour qu'ils truquent l'histoire et
dénaturent le message que le peuple noir veut adresser au monde : «
Je ne laisserai pas la parole aux ministres, et pas aux
généraux/ je ne laisserai pas - non ! - les louanges de
mépris vous enterrer furtivement. »893
Nous voyons à quel point le peuple noir est au centre
même de la poésie senghorienne. Il en est la quintessence.
Cependant, le choix fait par Senghor se présente comme une quête
entreprise pour hisser l'homme noir dans l'évolution du monde qui tend
vers la Civilisation de l'Universel. Autrement dit, Senghor revient en Afrique
pour exhorter ses frères à l'action, leur dire de ne pas subir
l'histoire mais de la faire, comme l'a su bien dit Amadou Koné :
885 Cf. « Élégie des alizés »,
op. cit. (loc. cit.), p. 265
886 Cf. « Que m'accompagnent Koras et Balafong »,
op. cit., p. 32
887 Cf. « Chaka », Éthiopiques, op.
cit., p. 124
888 Cf. « Épitres à la princesse »,
op. cit., p. 139
889 Idem., p. 133
890 Cf. « Poème liminaire », Hosties
noires, op. cit., p. 54
891 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les
lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 166
892 Cf. « Poème liminaire », op. cit.,
p. 53/ p. 54
893 Cf. « Poème liminaire », op. cit.,
p. 53
243
Cela est une mission de la jeunesse noire ; car sans notre
histoire, l'Afrique ne sera pas l'Afrique, l'homme noir ne sera plus qu'un
bâtard aux nombreux tendances culturelles et civilisatrices, un
métis qui fatalement aura oublié sa première
manière d'être.894
Leur contribution est aussi nécessaire que vitale
à la réalisation de la Civilisation de l'Universel. Mieux, la
Francophonie se présente comme l'expression de ses efforts pour rendre
au peuple noir sa dignité perdue, et demander leur apport à la
construction de la Civilisation de l'Universel.
En choisissant le peuple noir, il brise les barrières
et les remparts de discrimination décrétés par les
Occidentaux pour établir l'égalité des races et des
cultures. Il se donne le devoir de chanter les vertus de son peuple et de lui
montrer la vision d'un meilleur avenir. Le temps est arrivé pour que les
« énergies dormantes »895 se
réveillent afin d'être la « pierre d'angle dans
l'édification de la Civilisation de l'Universel
»896. En effet, la Francophonie est devenue le symbole de
l'aspiration à la liberté des peuples opprimés ainsi que
l'incarnation de leurs rêves, de leurs valeurs et de leurs idéaux.
Les peuples opprimés ont su que la langue française,
héritage culturel, pouvait leur permettre de s'affirmer et
d'établir de nouveaux rapports avec les colonisateurs et le reste du
monde. Ils ont décidé ainsi de s'organiser autour de la langue
française pour exprimer leur attente. Cela veut dire que la Francophonie
est bien un concept africain né sur le sol africain pour les
Africains.897 Par la Francophonie, Senghor choisit de lutter pour
redonner aux peuples noirs la fierté de leurs racines africaines. Il
s'agit d'une éthique à sauver, et d'une communauté
à fonder.
La souffrance infligée aux peuples
ségrégés dans les kraals de la misère par ceux qui
ont débarqué sur les côtes africaines avec des
règles, des équerres, des compas et des sextants suscite chez
Senghor la compassion.898 En effet, l'enfant prodigue retourne au
pays, après seize années d'errance sur les routes de l'Europe, et
découvre la misère de son peuple.899 Par amour et par
compassion, il choisit de s'engager auprès de son peuple qui manquait
d'un véritable chef de file.900 Cela se lit dans l'extrait
ci-dessous :
894 Amadou KONÉ, Les Frasques d'Ébinto,
op. cit., pp. 38-39
895 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, langue de culture », op. cit., p. 844
896 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
1, op. cit.
897 L'OIF (Organisation Internationale de la Francophonie) est
née en 2005 sur les cendres de l'ACCT (Agence de Coopération
Culturelle et Technique) qui a vu le jour en 1970 à Niamey (Niger) en
remplacement de l'OCAM (Organisation Culturelle d'Afrique et Malgache),
1962.
898 Cf. « Chaka », op. cit., p.
122
899 Cf. « Le retour de l'enfant prodigue»,
op. cit., p. 48
900 Cf. « Épitres à la princesse
», op. cit., p. 133
244
Donne-moi de mourir pour la querelle de mon peuple, et
s'il le faut dans l'odeur de la poudre et du canon. Conserve et
enracine dans mon coeur libéré l'amour premier
de ce même peuple.
Fais de moi ton Maître de Langue, mais non, nomme-moi son
ambassadeur. (Po : 49)
Senghor, non seulement de choisir le peuple noir,
décide également de mourir pour ce peuple au cas où cet
ultime sacrifice s'avère nécessaire. Dans le cas contraire, il
souhaite être l'ambassadeur de ce peuple. Mieux, il mesure l'ampleur de
son engagement, et le prix à payer est de mourir « dans l'odeur
de la poudre et du canon » des oppresseurs de son peuple, si ce
besoin est pressant et vital pour celui-ci.
À présent, intéressons-nous aux
différentes fonctions ou images que revêt Senghor auprès de
son peuple dans son oeuvre poétique. Nous recourons à la
psychocritique pour relever les différentes fonctions, et à la
théorie de l'énonciation pour les interpréter. Sur ce,
nous superposons, d'abord, des extraits de « Chaka » et d'«
Épitres à la princesse » (Éthiopiques) :
(Chaka)
CHAKA
La faiblesse du coeur est sainte...
[...1
À mon amour à Nolivé
Pour l'amour de mon Peuple noir.
[...1
CHAKA
Pour l'amour de mon peuple noir. (Po : 119/124)
(Épitres à la princesse)
Car ta seule rivale, la passion de mon Peuple
Je dis mon honneur. M'appelaient au loin les affaires de
l'État
[...1
Me voici rendu à mon Peuple à mon honneur
Et je regrette déjà tes éclats, la prison de
ton charme (Po : 138-139)
La superposition de ces deux extraits d'Éthiopiques
accuse l'image d'une personne qui aime passionnément son peuple
à telle enseigne de tout sacrifier pour le suivre. L'emploi
récurrent de « mon peuple » révèle que
l'objectif principal de Senghor est le peuple noir ; quel que soit ce qu'il
fera, il le fait pour le peuple noir, par exemple, sacrifier son amour pour sa
femme afin d'être avec son peuple : ta seule rivale, la passion de
mon peuple. En d'autres termes, la raison de son existence, c'est le
peuple noir. C'est un honneur pour lui de servir son peuple : à mon
honneur. Le réseau associatif qui se lit donc à partir de
cette superposition est L'amour-passion : la faiblesse du
coeur, à mon amour, pour l'amour de mon peuple
noir, la
245
passion de mon peuple, à mon peuple,
à mon honneur. Cet amour-passion peut être
considéré comme un acte sacrificiel qu'il pose en faveur du
peuple : je regrette, la prison, les affaires de l'État...
Il a un pincement de coeur, mais qu'est-ce qu'il peut faire ? Rien, c'est
le peuple noir, c'est pour lui qu'il doit sacrifier les éclats et les
charmes de sa femme, car son amour pour son peuple est plus ultime que l'amour
qu'il a pour sa femme. Il sacrifie cet amour pour choisir son peuple.
Superposons d'autres extraits pour voir comme s'opère ce choix
définitif de Senghor. Il s'agit, à cet effet, de «
ÉTHIOPIE (À l'appel de la race de Saba) »
(Hosties noires) et de « Chaka »
(Éthiopiques).
(ÉTHIOPIE/ À l'appel de la race de
Saba)
- Je ne pouvais rester sourd à l'innocence des conques
des fontaines et des mirages sur les tanns
Et tremblait ton menton sous tes lèvres gonflées et
tordues. (Po : 55)
(Chaka)
CHAKA
Mon calvaire.
Je voyais dans un songe tous les yeux aux quatre coins de
l'horizon soumis à la règle, à
l'équerre et au compas
[...]
Pouvais-je rester sourd à tant de souffrances
bafouées ? (Po :121-122)
Nous constatons, des deux extraits ci-dessus, que le
poète Senghor refuse d'être témoin passif de ce que subit
son peuple. Il ne veut pas être un acteur inactif et passif, un simple
témoin auriculaire et oculaire qui se contente de dire ce qu'il a
entendu et vu. Non, il veut agir, il veut être actif, il veut prendre
part aux souffrances de son peuple. De la superposition, deux réseaux
associatifs s'accusent. Ce sont :
- La souffrance : à l'innocence des
conques des fontaines et des mirages sur les tanns,
calvaire, soumis à la règle, à
l'équerre et au compas, de souffrances bafouées... -
L'engagement : je ne pouvais rester sourd, pouvais-je rester
sourd à tant de
souffrances bafouées ( ?)...
Le poète ne pouvait rester silencieux et
indifférent face à la souffrance de son peuple. La
volonté
d'agir est mise en évidence par l'emploi des verbes
modaux « pouvais » et « rester », et de l'adjectif
qualificatif « sourd ». Cet emploi est accentué par
l'interrogation : « Pouvais-je rester sourd à tant de souffrances
bafouées ? ». L'interrogation, en fait, justifie ses actes
posés : le sacrifice de l'amour de sa femme. C'est une sorte de
purgatoire. Ces réseaux associatifs révèlent que la
souffrance du peuple noir a incité Senghor à l'engagement, et non
l'amour du peuple noir. On peut dire que l'amour du peuple vient au second
plan. Il est sensible aux souffrances de son peuple, et il se rend-compte aussi
que le peuple a été trompé par les Occidentaux. En effet,
ils débarquent sur les côtes africaines et soumettent le peuple
à la règle, à l'équerre, au
246
compas, à la servitude en lui faisant croire qu'ils
ouvraient ses « paupières lourdes à la lumière de
la foi [et son] coeur à la connaissance du monde
»901 alors qu'ils pillaient ses ressources
végétales et minières. Et le peuple noir crevait de faim
dans les kraals de la misère902.
Senghor décide ainsi de rester auprès de son
peuple en laissant sa bien-aimée en France pour s'engager. Il doit
trouver une excuse pour convaincre sa femme : ta seule rivale, la passion
de mon peuple ; pour l'amour de mon peuple noir ;
m'appelaient au loin les affaires de l'État. Quel type
d'engagement s'agit-il ? Pour répondre à cette question, nous
superposons d'autres poèmes, en occurrence « Épitres
à la princesse » (Éthiopiques), «
Élégie des saudades » (Nocturnes) et «
Élégie des alizés » (Élégies
majeures).
(Épitres à la princesse)
Mon espoir est de revenir à la fin de l'Été.
Ma mission sera
brève.
[...1
Ambassadeur du Peuple noir, me voici dans la
Métropole.
[...1
Ma mission n'est pas d'une lune.
Le peuple noir m'attend pour les élections des
hautes-Sièges,
l'ouverture des Jeux et des fêtes de la Moisson
Et je dois régler le ballet des circoncis. Ce sont
là choses
graves.
[...1
Hâte-toi donc Belborg, ma mission n'est pas d'une lune
[...1
Mon séjour n'est pas d'un quartier, et déjà
me poignent le
flanc les cent regrets du Pays noir.
[...1
Je te recevrai sur la rive adverse, monté sur un
quadrige
de pirogues et coiffé de la mitre double, ambassadeur
de
la Nuit et Lion-levant. (Po : 133-141)
(Élégie des saudades)
Ma mission est de paître les troupeaux
D'accomplir la revanche et de soumettre le désert au Dieu
de la fécondité. (Po : 202)
(Élégie des alizés)
Ma tâche est d'éveiller mon peuple aux futurs
flamboyants Ma joie de créer des images pour le nourrir, ô
lumières rythmées de la Parole ! (O. Po : 265)
Il s'agit dans ces extraits d'une mission que le poète
Senghor s'assigne auprès du peuple noir. Cette mission lui est devenue
une obsession à tel point d'écourter son séjour en France
pour le pays noir. Il nous donne l'impression que le peuple noir a besoin d'un
leader, d'un chef pour le guider. Mieux, il se proclame l'ambassadeur du peuple
noir. Les réseaux associatifs qu'accuse
901 Cf. « Prière de paix », Hosties
noires, op. cit., p. 93
902 Cf. « Chaka », Éthiopiques, op.
cit., p. 122
247
la superposition sont la mission (ma mission
sera brève, ma mission n'est pas d'une lune, mon séjour, ma
mission est de paître les troupeaux, ma tâche est d'éveiller
mon peuple), la brièveté de la mission
(brève, n'est pas d'une lune, n'est pas d'un quartier),
l'ambassadeur du peuple (ambassadeur du Peuple noir, les
élections des Hautes-sièges, je dois régler les ballets
des circoncis, choses graves, ambassadeur de la Nuit et Lion-levant, ma mission
de paître les troupeaux, ma tâche d'éveiller mon peuple).
La superposition de ces réseaux nous renvoie à
l'image d'une mission ambassadoriale. En effet, il se donne une mission
auprès de la Métropole : Ambassadeur du Peuple noir, me voici
dans la Métropole, afin de le représenter aux
élections des Hautes-Sièges pour régler le
ballet des circoncis et l'apprêter aux défis à venir :
ma mission de paître les troupeaux, ma tâche est
d'éveiller mon peuple aux futurs flamboyants. Senghor accepte
d'être le porte-parole, c'est-à-dire le dyali du peuple noir :
ma joie est de créer des images pour le nourrir, ô
lumières rythmées de la Parole. Il se veut être le
guide et l'éveilleur du peuple afin de le conduire à la
communauté des « peuples fraternels »903
où sont réunis tous les peuples de « divers teints [...]
de divers de traits de costumes de coutumes de langues.
»904 Il refuse que d'autres personnes viennent prendre
faits et causes du peuple noir, parce qu'elles ne sont pas dignes et aptes
à dire les réalités africaines, et à
présenter fidèlement les souffrances du peuple noir. Au
contraire, elles diront ce qui leur plaît ou ce qui les arrange en
tronquant l'histoire. Sa mission est, en fait, de dire à la France,
à l'Occident et au reste du monde, que le peuple noir mérite le
respect et l'honneur, parce qu'il les a servis.
Il y a encore d'autres fonctions que Senghor s'assigne pour
défendre le peuple, telles que la fonction du poète et celle du
politique. Quelle fonction préférera Senghor pour la
défense de son peuple ? Nous répondons à cette question
à partir d'une nouvelle superposition. Il s'agit de « L'absente
», « Chaka » (Éthiopiques) et «
élégie des alizés » (Élégies
majeures).
(L'absente)
Mais je ne suis pas votre honneur, pas le Lion
téméraire, le Lion vert qui rugit l'honneur du
Sénégal
Ma tête n'est pas d'or, elle ne vêt pas de hauts
desseins Sans bracelets pesant sont des bras que voilà, mes mains si
nues !
Je ne suis pas le Conducteur. Jamais tracé sillon ni
dogme comme le Fondateur
La ville aux quatre portes, jamais proféré mot
à graver sur la pierre.
Je dis bien : je suis le Dyâli. (Po : 108)
903 Cf. « CAMP 1949/Au Guélowar »,
Hosties noires, op. cit., p. 71
904 Cf. « ÉTHIOPIE/À l'appel de la
race de Saba », idem., p. 59
248
(Chaka)
CHAKA
Mais je ne suis pas le poème, mais je ne suis pas le
tam-tam Je ne suis pas le rythme. Il me tient immobile, il sculpte tout mon
corps comme une statue du Baoulé.
Non je ne suis pas le poème qui jaillit de la matrice
sonore Non je ne fais pas le poème, je suis celui-qui-accompagne Je ne
suis pas la mère, mais le père qui le tient dans ses bras
et caresse et tendrement lui parle.
[...]
CHAKA
[...]
Et moi je suis celui-qui-accompagne, je suis le genou au flanc du
tam-tam, je suis la baguette sculptée
La pirogue qui fend le fleuve, la main qui sème dans le
ciel le pied dans le ventre de la terre
Le pilon qui épouse la courbe mélodieuse. Je suis
la baguette qui bat laboure le tam-tam. (Po : 126/130)
(Élégie des alizés)
Or me voilà tout brillant d'huile comme l'or rouge,
comme
le champion du Sine au début de la saison
Miel dans la voix des jeunes filles - pour les noces du
Printemps on se disputera ses aigrettes.
Je dis noces avec mon peuple, et que je m'y prépare par
la
veille et le jeûne.
Non, je ne suis pas prince au bandeau pourpre, pagne clas-
sique, poitrine crucifiée de cauris blancs
Je ne suis pas le guêpier de Nubie le gonolek de
Barbarie
Mais combassou du Sénégal, j'ai revêtu ma
livrée bise. (O. Po : 265-266)
De ces extraits, nous voyons qu'il y a une opposition entre
deux réalités. Le poète nie l'une d'elles et accepte
l'autre enfin. La réalité déniée est mise en
évidence par un emploi négatif : mais, je ne suis pas, non
; tandis que la réalité acceptée est saisie par
l'affirmation : je dis, je suis. Ces indices d'énonciation
montrent que le poète Senghor est dans un dilemme, puisqu'il se
dédit : je suis/je ne suis pas. Il est écartelé
entre la Parole (le poème) et l'Action (Celui-qui-accompagne). En fait,
ces deux réalités sont la culture et la politique. Croyant que la
politique était l'excellent moyen pour défendre le peuple noir,
il dénie la culture. Très vite, il se rend-compte qu'en fait ce
qu'il faut à son peuple est la culture. Pour cela, il doit être
dûment ancré dans sa culture. Il renonce à la politique
pour se consacrer davantage à la culture : Bien mort le politique,
et vive le Poète905, puisqu'il se retire
définitivement et de façon volontaire de la scène
politique en 1980. Ce retrait s'explique du fait que le poète est un
visionnaire, certes, qu'il est parfois loin du peuple, voire plus loin que le
sont les politiques, mais il voit venir les choses et il les prévient
à temps.
905 Cf. « Chaka », Éthiopiques, op.
cit., p. 128
249
Il avait également confondu la culture et la politique
longtemps, car ils sont nécessaires à l'épanouissement de
l'homme et se valent. En fait, ils ont à peu près les mêmes
méthodes d'emploi et d'opération. En effet, Senghor a
porté les deux casquettes : homme politique et homme de culture. Il fut
Député à l'Assemblée nationale française
entre 1945 et 1959, période où les colonies françaises
avaient le droit d'être représentées. Puis,
Président de la République du Sénégal entre 1960 et
1980. Sa carrière politique et littéraire a conjointement
débuté. Sa vie politique débute par son élection
à la députation avec la publication de Chants d'ombre et
s'achève par son retrait de l'arène politique avec la parution
des Élégies majeures.906 Il s'est
retiré de la politique pour se consacrer entièrement à son
action culturelle, c'est-à-dire au service de la Négritude, de la
Francophonie et de la Civilisation de l'Universel907. Cependant, il
dit, ce n'est pas parce qu'il est député ou Président de
la République (roi), qu'il a accepté de parler au nom de son
peuple. Cette idée est mise en évidence dans l'extrait ci-dessous
:
Seigneur !si je Te parle, Toi qui es l'Obscure Présence Ce
n'est pas que la République m'ait nommé bon roi de mon peuple ou
député des Quatre Communes. (Po : 66)
Que nous disent alors les réseaux associatifs de la
superposition ? Les réseaux associatifs qu'accuse la superposition nous
révèlent les images suivantes :
- Poète (Dyâli) :
proféré mot à graver sur la pierre, je suis le
Dyâli, le poème, le tam-tam, le rythme, la matrice sonore, le
flanc du tam-tam, la courbe mélodieuse, miel dans les voix des jeunes
filles, combassou du Sénégal
- Politique (Porte-porale) : le
lion téméraire, le Lion vert, le Conducteur, le Fondateur,
celui-qui-accompagne, le père qui tient dans ses bras, le genou au flanc
du tam-tam, la baguette sculptée, la pirogue qui fend le fleuve, la main
qui sème, le pied dans le ventre, le pilon qui épouse, la
baguette qui bat laboure le tam-tam, le champion du Sine, prince au bandeau
pourpre, le guêpier de Nubie, le gonolek de Barbarie
Ces réseaux mettent en évidence l'image d'une
personne qui se veut utile, qui veut être au
service de son peuple. Mais, le problème est que cette
personne ne sait quelle posture adoptée pour servir le peuple. Il veut
à la fois chanter les valeurs de son peuple et les défendre et
dire les aspirations de ce peuple à l'assemblée « des
hommes rassemblés »908 venus des «
quatre
906 Oumar SANKHARE, Poétique et Politique chez
Senghor, disponible sur
http://www.cercle-richelieu-senghor.org/26-les-colloques-954890/senghor-et-la-francophonie/75-poetique-et-politique-chez-senghor
907 Janet G. VAILLANT, Vie de Léopold Sédar
Senghor : Noir, Français et Africain, Paris, Karthala, 2006, p.
437
908 Cf. « Élégie des alizés »,
op. cit., p. 263
250
coins de l'horizon »909, et aux
« enfants de la France Confédérée
»910. Pour éviter ce dilemme, Senghor se
résout à endosser les deux fonctions.
Notons également que Senghor ne se limite pas seulement
à ces deux fonctions, il en revêt d'autres encore que nous mettons
à nu avec « À la mort » (Chants d'ombre) et
« Élégie pour Aynima Fall » (Nocturnes).
(À la mort)
Que je bondirai comme l'Annonciateur, que je manifesterai
l'Afrique comme le sculpteur de masques au regard intense Que
reviendra sur l'herbe, mêlant sa voix grave au choeur
de l'aube (Po : 24)
(Élégie pour Aynima Fall)
LE CORYPHÉE
Maintenant au galop de ta locomotive, tu arrives premier
des combattants
Annonciateur de la Bonne Nouvelle... (Po : 212)
Le réseau associatif que la superposition des deux
extraits ci-dessus souligne est le messager :
l'Annonciateur, je manifesterai l'Afrique, mêlant
sa voix grave au choeur de l'aube, Annonciateur de la Bonne
Nouvelle... Ce réseau permet de dire que le poète se charge
d'annoncer le message de l'Afrique : « Ah ! me soutient l'espoir qu'un
jour je coure devant toi, Princesse, porteur de ta récade à
l'assemblée des peuples »911. Il se
considère alors comme un annonciateur, et on peut comprendre qu'il dit :
je suis l'Annonciateur de la Bonne Nouvelle et j'ai pour mission de manifester
l'Afrique afin que « nous nous répondions présents
à la renaissance du Monde »912, « que les
enfants de la France Confédérée aillent main dans la main
»913, et qu'ils progressent et grandissent ensemble.
Senghor se donne pour mission de valoriser et de manifester l'Afrique, et de
l'unir aux autres peuples à l'évolution du monde. Ceci est
soutenu par Abdoul Diouf :
La Francophonie est née en Afrique, et l'Afrique
constitue, depuis lors, pour une
grande part, la raison d'être et d'agir de la
Francophonie. En d'autres termes, une Francophonie sans l'Afrique, serait une
Francophonie sans avenir.914
909 Cf. « Chaka », op. cit., p. 121
910 Cf. « Prière des tirailleurs
sénégalais », op. cit., p. 69
911 Cf. « Que m'accompagnent Koras et Balafong »,
op. cit., p. 32
912 Cf. « Prière aux masques », op.
cit., p. 21
913 Cf. « Prière des tirailleurs
sénégalais », op. cit., p. 69
914 Abdoul DIOUF, La Francophonie en Afrique : quel avenir
?, Discours prononcé au colloque organisé à
l'Assemblée nationale en partenariat avec l'Institut français des
relations internationales (Ifri), Paris, le 24 juin 2010, p. 2
251
Nous comprenons des propos d'Abdoul Diouf que l'Afrique,
autrement dit le peuple noir, est l'avenir de la Francophonie. Senghor
n'affirme pas le contraire :
Je voudrais rappeler, simplement, que nous avons
été trois Africains, Habib
Bourguiba, Hamani Diori et moi, à lancer, plus que le
mot, l'idée de la Francophonie.915
La naissance de la Francophonie en Afrique est mise en
évidence par un passage de « Que m'accompagnent Koras et Balafong
» dans Chants d'ombre : « Entouré de mes
compagnons lisses et nus et parés des fleurs de la brousse ! f...] je
coure f...] porteur de ta récade à l'assemblée des
peuples. »916
L'Afrique représente pour la Francophonie à la
fois son passé, son présent et son avenir. En effet, c'est dans
les années 1960, il lança l'idée de la Francophonie avec
le Tunisien Habib Bourguiba et le Nigérien Hamani Diori afin que le Noir
puisse irriguer des eaux de sa sensibilité le rationalisme
mécaniste de la vieille Europe. Senghor se donne la mission de susciter
le peuple noir à l'action, parce que l'Afrique est le continent de
demain :
L'avenir de l'humanité est dans cette Afrique qui se
réveille peu à peu de son
sommeil millénaire, qui prend conscience
d'elle-même et qui est le continent de demain.917
Mieux, « L'orchestre de la convergence pan-humaine ne
serait pas complet, ne serait pas humain s'il y manquait la section rythmique
de la Négritude. »918
La Francophonie est due par la sublimation de la souffrance du
peuple noir et par la volonté de ce peuple à vouloir participer
à l'évolution du monde. Senghor se voit également confier
d'autres missions. Il endosse une grande responsabilité dans la
défense du peuple noir. Pour appréhender cette
responsabilité endossée par Senghor, il nous faut superposer
d'autres textes. Ce sont « Chaka » (Éthiopiques) et
« Élégie des circoncis » (Nocturnes).
(Chaka)
LE CORYPHÉE
Tu es Zoulou par qui nous croissons dru, les narines par quoi
nous buvons la vie forte
Et tu es le Doué-d'un-large-dos, tu portes tous les
peuples à peau noire. (Po : 127)
(Élégie des circoncis)
915 Léopold Sédar SENGHOR, « De la
Francophonie », op. cit.
916 Cf. « Que m'accompagnent Koras et Balafong »,
op. cit., pp. 26-32
917 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
2, op. cit., p. 142
918 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
1, op. cit., p. 91
252
Maître des Initiés, j'ai besoin je le sais de ton
savoir pour percer le chiffre des choses
Prends connaissance de mes fonctions de père et de
lamarque Mesurer exactement le champ de mes charges, répartir la moisson
sans oublier un ouvrier ni orphelin. (Po : 200)
Nous voyons se former, dans cette nouvelle superposition, le
réseau de la responsabilité paternelle : Tu
es Zoulou, tu es Doué-d'un-large-dos, tu portes tous
les peuples à peau noire, mes fonctions de père et de
lamarque, mesurer exactement le champ de mes charges,
répartir la moisson sans oublier un ouvrier et un orphelin. Ce
réseau associatif présente à la fois l'image d'un
père protecteur et d'un arbitre. Léopold Sédar Senghor se
considère comme le père du peuple noir, le chef dont la fonction
est essentiellement d'arbitrer équitablement afin que personne ne manque
de rien. La tâche est immense. Pour assurer cette tâche, il faut
une préparation intense et du courage. Ceci explique les
différentes fonctions de Senghor auprès de son peuple, comme nous
l'avons mis à nu, avant d'arriver à cette ultime fonction : la
responsabilité paternelle. Il décide de protéger et de
conduire le peuple noir peinant, le peuple noir paysan, toute la race noire par
le monde vers une convergence panhumaine, vers l'universel des cultures qui
aboutira, bien sûr, à la Francophonie. Il veut permettre aux Noirs
de vivre avec leur temps et de comprendre qu'une tradition existe certes, mais
qu'un monde moderne se construit, que leur contribution est nécessaire.
La Francophonie est pour lui un moyen d'y parvenir. Elle consiste, pour
Senghor, à libérer le peuple noir de la complexité en
revendiquant sa liberté politique et culturelle, faire connaitre
à l'Occident les aspirations des peuples asservis.
La Francophonie chez Senghor a un double objectif :
réhabiliter le peuple noir en valorisant sa culture, et lui permettre de
participer à la construction de la Civilisation de
l'Universel.919 Abdoul Diouf s'inscrit dans cette logique de
pensée en disant que l'avenir de la Francophonie est «
étroitement confondu avec celui d'une Afrique, destinée
à prendre toute sa part dans l'universel senghorien, dans le grand
rendez-vous du donner et du recevoir. »920 Ce qui
sous-entend que l'Afrique et le peuple noir incarnent, pour la Francophonie,
son avenir. Le devenir de la Francophonie est le devenir du peuple noir. En
d'autres termes, le peuple noir est l'épicentre la Francophonie, car
dans l'universel senghorien, le peuple noir a un rôle primordial à
jouer, celui d'apporter sa chaleur, son émotion, son humanisme à
une Europe, jadis, divisée :
Que nous répondions présents à la
renaissance du monde Ainsi le levain qui est nécessaire à la
farine blanche.
Car qui apprendrait le rythme au monde défunt des machines
et des canons ? (Po : 21)
919 Cela sera l'objet d'étude dans le chapitre trois du
point trois de cette deuxième partie.
920 Abdoul DIOUF, La Francophonie en Afrique, quel avenir
?, op. cit.
253
Il fallait une personne volontaire pour défendre le
peuple noir culturellement et politiquement. Découvrant la misère
du peuple noir, du monde rural, et face à l'aliénation culturelle
exubérante, Senghor décide d'être cette personne. Et tous
les réseaux associatifs vus accusent une seule image, celle de la
mission politique et culturelle. Senghor a évidemment assuré la
mission politique et culturelle pour le bien-être du peuple noir, et dans
le monde. Il s'agit, dans tous les cas, de transformer le monde et de policer
l'humanité : c'est-à-dire l'Homme. Finalement, il opte pour la
fonction culturelle pour la libération de son peuple ; d'ailleurs c'est
le peuple qui le veut : « Bien mort le politique, et vive le
poète ».921 Alors, à travers la culture,
Senghor décide de défendre le peuple noir : c'est là
l'essentiel.922 Il est persuadé qu'avec la culture il est
question de l'homme dans l'univers à sauver, mieux d'une certaine vision
ontologique de l'univers. Il faut aux Noirs la culture pour les rendre à
leur vérité du XXe siècle : à la
Civilisation de l'Universel.
Senghor se fait, à la fois, Ambassadeur et Dyâli
(poète) de la culture africaine, car il estime que les peuples africains
doivent assimiler la culture et les techniques occidentales tout en
approfondissant leur propre culture afin de s'associer au peuple
français, voire aux peuples d'Europe.923 Comme l'illustre
l'extrait ci-dessous :
Demain, je reprendrai le chemin de l'Europe, chemin de
l'ambassade
Dans le regret du Pays noir. (Po : 59)
La poésie est son arme de lutte ; la culture, son champ
de bataille ; la Négritude, les munitions ; et la Francophonie, sa
stratégie géopolitique qui permettra au peuple noir de se
libérer de l'étau colonial afin de réhabiliter sa culture
minée par plusieurs siècles de clichés. Senghor se donne
pour mission de restituer à la culture négro-africaine, partant
au peuple noir, sa place et son rôle essentiels dans l'histoire et dans
la Civilisation de l'Universel. Ce fut son combat jusqu'à sa mort. Dans
ce combat, le moyen essentiel qu'il s'est doté est l'idéologie de
la Négritude924 qui devrait finalement aboutir à la
Francophonie. Avec la Francophonie, l'accent de sa mission est mis sur
l'affirmation, la réhabilitation, la valorisation de l'homme noir et de
son identité culturelle.
921 Cf. « Chaka », loc. cit., p. 128
922 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 378
923 Elimane FALL, Sarah MATELLUS, « Sénégal :
Senghor 1906-2001, une vie un siècle », JA/L'intelligent,
n°2137-2138, du 25 décembre 2001 au 7 janvier 2002
924 Moustapha TAMBADOU, « Politique et stratégie
culturelle de Léopold Sédar Senghor »,
Éthiopiques, n°59, 1977 ; disponible sur
http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article367
254
C'est une véritable construction idéologique
fondée sur l'égalité et la complémentarité,
tant morale qu'intellectuelle sur laquelle Léopold Sédar Senghor
s'appuie pour élire le peuple noir au nom des valeurs humanistes afin de
légitimer la culture négro-africaine et de dénier la
politique d'assimilation française. En effet, « [...] il
s'agit, en définitive, de faire l'homme noir dans une humanité en
marche vers la réalisation totale, dans le temps et l'espace.
»925 Dans ses préoccupations, la Francophonie est
un outil idéologique visant la libération totale de tous les
Noirs. Revaloriser le Noir, sa culture et sa civilisation ; revendiquer son
droit à l'existence et à la liberté ;
réécrire son histoire déformée et volée ;
défendre les valeurs partagées par tous les Noirs quelle que soit
leur origine et les unir aux autres peuples : tels en sont les jalons de la
Francophonie senghorienne. À cet effet, Kahiudi C. Mabana affirme que
L'Afrique et l'Europe étant reliées par un
même cordon ombilical, il revient au Noir d'assurer le rythme et la
sensibilité pour contrebalancer le monde géométrique du
Blanc. Fermant les yeux sur tous les méfaits de la colonisation, sur
l'exploitation et l'esclavage perpétrés par le Blanc à
l'encontre du Noir, Senghor déclare, avec une assurance qui ne manque
pas de surprendre, que les Blancs et les Noirs sont destinés à
vivre en harmonie dans un monde sans races ni classes
sociales926.
Léopold Sédar Senghor fait du peuple noir
l'élément de base, la part essentielle de la nouvelle
société universelle. Pour lui, le Noir est le fer de lance du
dialogue des cultures, de la symbiose des civilisations, et de la rencontre du
donner et du recevoir : telle est la raison principale sur laquelle Senghor
bâtit sa théorie de la Francophonie, l'expression la plus
plausible de sa théorie de la Civilisation de l'Universel. Il part de
l'hypothèse de renouveler la Négritude pour forger la
Francophonie, comprise comme un instrument au service du dialogue
interculturel.
Senghor suit une démarche dialectique dans le choix du
peuple noir. En effet, il se présente d'abord comme Ambassadeur du
peuple noir. En tant qu'Ambassadeur, il a la charge de mettre en oeuvre la
politique extérieure, et de représenter son peuple et de le
protéger. Ensuite, il se définit comme Éveilleur du peuple
noir, et il se donne pour tâche de sensibiliser son peuple à
l'acceptation de leur condition de colonisé mais, surtout à
s'ouvrir à d'autres horizons culturels, et à participer à
la Civilisation de l'Universel. Puis, vient l'image du Porte-parole. Par cette
fonction, il se charge de défendre, d'expliquer et de promouvoir la
culture de son peuple auprès des autres nations. Enfin, l'image du
Père et du Lamarque. Avec cette fonction, il s'assigne la
responsabilité de protéger, d'éduquer et d'initier le
peuple noir aux valeurs humanistes dans l'évolution du monde qui se veut
métis. Pour toutes ces raisons,
925 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
1, op. cit., p. 286,
926 Kahiudi C. MABANA, « Léopold Sédar
Senghor et la Civilisation de l'Universel », Diogène,
2011/3 (n°235236), pp. 3-13
255
Senghor ne pouvait que choisir la Francophonie, cet humanisme
de différence, file de la liberté et soeur de
l'indépendance, pour permettre au peuple noir d'être
présent à l'avènement de la Civilisation de
l'Universel.
Dans l'élaboration du projet de la Francophonie par
Senghor, le peuple noir occupe une place importante. En fait, la souffrance et
la misère du peuple noir ont été les
éléments déclencheurs de son choix. Il ne pouvait rester
indifférent face à la souffrance morale et culturelle du peuple
noir. Il s'est assigné, ainsi, plusieurs fonctions ou missions pour
revendiquer les valeurs culturelles propres au peuple noir et dissiper les
préjugés sur l'Afrique. D'ailleurs, il invite le peuple noir
à prendre son destin en main pour s'affirmer sans s'apitoyer
désormais sur l'esclavage et la colonisation. Senghor lance un appel
à l'éveil et à la responsabilité du peuple noir.
À travers ce peuple, Senghor adresse un message inouï à
l'occident : Nous sommes Noirs, frères des Blancs, car tous deux
sont créés à l'image et à la ressemblance de Dieu,
pour cela l'Europe doit nous accepter et accepter que nous lui apportons nos
cultures. Pour un tel message, il faut une personne qui a du verbe et des
arguments pour le transmettre. Et, cette personne habilitée à
porter ce message à la France
confédérée927, c'est-à-dire la
Francophonie, est Senghor. En fait, par sa formation et par sa culture, il est
la personne idoine pour accomplir les missions du peuple noir. En acceptant ces
missions, il veut lutter plus efficacement pour que celui-ci obtienne
réparation de l'injustice engendrée par le pacte colonial. Il est
l'un de ceux qui veillent avec attention à ce que le peuple noir soit
respecté et que les vertus de l'humanisme africain soient
conservés et reconnus tout en les défendant contre la
théorie de la table rase. Il réclame pour le continent africain
le droit de participation à la Civilisation de l'Universel qui permet au
peuple noir de s'adapter au nouveau monde à la mesure de ses aspirations
et de son bien-être.
Senghor veut construire un nouvel humanisme qui soit en
même temps à sa propre mesure et à celle du cosmos.
À travers la Francophonie, il veut construire ce nouvel humanisme qui
inclurait le peuple noir dépossédé de sa langue, de son
histoire et de sa culture. Il se fait alors ambassadeur d'un esprit nouveau
défendant un univers aux valeurs métissées. Cet esprit
nouveau, qui s'appréhende dans sa poésie, prend en compte la
culture négro-africaine et celle de l'Europe pour tendre vers
l'avènement d'une Civilisation de l'Universel, expression des valeurs
métisses, autrement dit expression de la Francophonie.
927 C'est en avril 1940 que Senghor a imaginé une
association confédérée du peuple de France avec les
peuples d'Outre-Mer. Aujourd'hui, cette association voulue par Senghor est
devenue une réalité : la Francophonie.
256
La première et la seule explication qu'on peut donner
au choix de Senghor est la réalisation de l'homme noir dans une
humanité en marche vers une Civilisation de l'Universel. Il s'agit de
restituer également à la culture négro-africaine sa place
et son rôle essentiel dans l'histoire de l'humanité qui
s'écrit. La Francophonie, qui est un concept fondé à la
fois sur le devenir de l'homme et sur la culture, sera le lieu
privilégié pour le peuple noir qui se réveille de se
réaliser. Le peuple noir ne sera plus piétiné par une
quelconque puissance coloniale, car il aura trouvé sa dignité et
sa place au sein d'une communauté de solidarité, partageant les
mêmes réalités socio-culturelles. Le destin de
l'humanité dépend de ce que le peuple noir sera, pour cela, il
faut l'éduquer. Senghor présente donc la Francophonie «
comme un monolithe autour duquel se rassemble le Peuple [noir] quand
[surgira] l'événement »928,
c'est-à-dire la Civilisation de l'Universel.
Le second chapitre nous a permis de mettre en évidence
les raisons personnelles de Léopold Sédar Senghor dans le choix
de la Francophonie. D'abord, nous avons vu qu'il a été
influencé par la langue française. Cette langue lui a
été imposée, mais il l'a choisie également, pour
adresser au monde et aux autres hommes son message inouï. En fait, il a
choisi la langue française, parce qu'elle est une langue analytique, une
langue des idéaux universalistes et humanistes, une langue romantique et
poétique, une langue structurée. En réalité,
l'amour inconditionné de la langue française explique son choix.
Senghor, estimant que cette langue exprime des valeurs humanistes, veut qu'elle
soit la langue d'une communauté. Cette communauté est la
Francophonie.
Cependant, il souhaite que cette langue soit empreinte
d'apports linguistiques de chaque membre de la communauté ; d'où
le choix du français africanisé. Ainsi, se lance-t-il dans une
promotion de l'africanisation du français, c'est-à-dire il
envisage de greffer les mots africains sur la langue française, voire
d'insérer des néologismes, des images et des rythmes africains
dans le génie de la langue français. Il a voulu s'exprimer en
africain dans la langue française. Ce français africanisé,
chez Senghor, est appelé le parler francophone. Il est la langue de la
Francophonie, et traduit une identité autre que française et
africaine : l'identité francophone. Le français africanisé
mérite d'être valorisé, car il est la preuve de la richesse
de la langue française et de la maîtrise de ses locuteurs. Il est
le fruit d'une volonté de rendre le français apte à
exprimer les réalités de la vie africaine.
928 Cf. « Élégie pour Aynina Fall »,
Nocturnes, op. cit., p. 208
257
Il se trouve que le peuple noir est la raison personnelle de
Senghor dans la conception de la Francophonie. En fait, il choisit le peuple
noir, parce qu'il veut que les vertus de l'humanisme africain soit reconnues.
Par le choix du peuple noir, Senghor réclame la participation des
Africains à la construction de la Civilisation de l'Universel, et la
restitution à la culture africaine sa place et son rôle dans
l'histoire de l'humanité.
Les raisons personnelles de la conception de la Francophonie
chez Senghor sont la langue française, le français
africanisé et le peuple noir. Avec sa conception de la Francophonie, le
français se voit métisser pour ne plus exprimer une
identité culturelle française, mais une identité
culturelle colorée d'apports linguistiques de ces différents
locuteurs, faisant de celui-ci la langue de la Francophonie. Senghor estime que
la Francophonie est capable de libérer le peuple noir du carcan de
l'assimilation culturelle et de l'aider à s'ouvrir à la
fraternité universelle. Nous retenons de ce chapitre que la Francophonie
est la réalisation du rêve personnel de Senghor, celui de
réunir tous les locuteurs de la langue française pour la
valorisation d'une langue et d'une culture francophone.
Au-delà de ces raisons personnelles, nous pensons qu'il
y a aussi des raisons culturelles qui expliquent la conception de la
Francophonie chez senghor. En fait, Senghor appréhende la Francophonie
comme une culture. Cela signifie que la Francophonie peut se définir
également sur l'angle de la culture, car, comme le dit-il, la principale
raison de la naissance de la Francophonie est d'ordre culturel. La Francophonie
est, parce que la culture existe. Alors, il est question de savoir ce
qu'implique(nt) la ou les culture(s) dans la Francophonie selon Senghor. Nous
estimons qu'il a été influencé par la culture africaine.
En effet, cette culture a été détruite,
désintégrée par la domination coloniale des Occidentaux.
Il faut réhabiliter cette culture décimée et niée
par la colonisation. Lors de l'occupation coloniale, on assistait à la
suppression des statues, à l'interdiction des rites sacrés,
à la désagrégation de l'ordre social, et les chefs
traditionnels étaient remplacés par des fonctionnaires,
nommés par les colons. Ce qui veut dire, sous l'influence de la culture
de l'Europe occidentale, durant la colonisation, la culture africaine a
été modifiée. Le peuple noir était contraint
d'abandonner sa danse, ses masques, sa religion, ses langues pour la culture et
la langue du colonisateur. Senghor estime qu'il est nécessaire pour
l'Africain de revenir à ses vieux baobabs, à ses cultures pour
les réhabiliter afin de mieux les présenter au monde, car «
ce n'est pas en se reniant qu'on vaincra le colonialisme, mais en se
retrouvant, en s'affirmant. »929 Dans le dialogue des
cultures, en effet, la renaissance des cultures africaines peut se faire, et la
Civilisation de l'Universel se réaliser.
929 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
2, op. cit., p. 194
La solution au problème culturel est la condition
sine qua non du développement et de toute croissance.
Étant donné qu'il n'existe pas de civilisation universelle en
soi, la Francophonie serait l'expression d'un refus d'une certaine forme de
néocolonialisme au nom duquel on imposerait à l'Afrique certains
modèles occidentaux930. À juste titre, il invite tout
un chacun à s'enraciner en sa propre culture, au plus profond de sa
propre civilisation afin de mieux s'ouvrir aux pollens fécondants venus
des quatre horizons. Cela sous-entend que nous devons nous enrichir de nos
divergences pour converger vers l'universel. Sa conception de la Francophonie
réside obligatoirement dans l'idée d'ouverture aux autres
espaces, aux autres cultures, au dialogue des cultures. Pour mieux saisir la
portée de la culture dans la Francophonie et ce que cela implique, il
importe de nous intéresser à ses oeuvres poétiques. C'est
l'objet d'étude du prochain chapitre.
258
930 Daniel GARROT, Léopold Sédar Senghor,
NEA, 1978, p. 29
259
CHAPITRE III : LA RENAISSANCE DES VALEURS CULTURELLES AFRICAINES
ET L'OUVERTURE CULTURELLE
Au coeur de la conception senghorienne de la Francophonie se
trouve, également, la culture. C'est sur elle que repose la
Francophonie. Pour elle, de milliers de personnes se sont unies et continuent
à s'unir pour que le projet de Senghor demeure une
réalité. La culture est, en effet, un concept vaste, car elle
n'est pas définissable par quelques mots931. Edward Taylor
pense que
Culture, pris dans son sens ethnographique large est ce
complexe qui inclut la
connaissance, la croyance, l'art, les choses morales, la loi,
la coutume et toutes les autres aptitudes acquises par l'homme en tant que
membre de la société932.
Cependant, elle se veut une manifestation de soi, affirmation
de la différence ontologique (l'avenir de l'homme) et reconnaissance de
la puissance de soi à l'étranger. Elle désigne aussi un
ensemble de productions artificielles par lesquelles l'homme s'écarte de
la nature, de sa nature ou l'ensemble des manières de vivre qui sont
propres à une époque et à un lieu. À ce propos,
Marie-Claire Gousseau laisse entendre que
la culture est faite de savoir, somme des connaissances
humaines, transmise par l'enseignement, assimilée par l'Éducation
; elle anime les communautés naturelles, en particulier les
métiers par le canal des techniques ; elle suscite l'harmonie sociale,
nécessite un véritable humanisme, ne vit qu'ordonnée aux
notions d'Être, de Vrai, de Bien, de Beau ; elle s'incarne dans les
peuples, les nations, les patries et y crée un art de vivre en
société aux visages multiples qui forment cependant par son
unité
profonde le patrimoine universel qui est la
civilisation.933
Faisant la nôtre la définition de Marie-Claire
Gousseau, nous pouvons dire que la culture est la réponse à une
préoccupation d'un peuple donné et qu'elle s'acquiert par
l'Éducation. Ce qui sous-entend que les cultures se valent. Chez
Senghor, « la culture, c'est une certaine façon,
931 Ibrahim Baba KAKE affirme qu' « aborder le
problème de la culture est une opération délicate dans la
mesure où ce mot a des résonances extrêmement
différentes. », « Culture africaine, identité
culturelle, développement, dialogue des cultures »,
Éthiopiques, n°40-41, 1985
932 Edward TYLOR, Dictionnaire de sociologie, Paris
Armand Colin, 1991, p. 132.
933 Marie-Claire GOUSSEAU, Qu'est-ce que la cultue ?,
Paris, Publisher, 1969, 102 p.
260
propre à chaque peuple, de sentir et de penser, de
s'exprimer et d'agir. C'est un langage commun, qui s'approche et unit les
hommes, une prise de conscience et une expression de la complexité du
réel : elle est style, une manière d'éclaircir les choses
et les évènements. »934Puis, d'ajouter
qu'elle « est, en un mot, l'âme de la société
»935. Elle fait, selon la perception senghorienne, les
sociétés humaines. Dès lors, une question se pose, celle
de savoir pourquoi la culture est l'élément principal par lequel
la Francophonie se définit.
La colonisation avait pour mission d'imposer la civilisation
hellénistique à la barbarie nègre, elle avait
réussi à détruire, désintégrer les cultures
africaines qui semblent aujourd'hui sclérosées,
marginalisées, dénudées et « ses valeurs
essentielles sont à priori escamotées, taxées
d'impureté, du mysticisme, d'obscurantisme et traitées de toutes
maladies ».936 L'Africain, fasciné, ébahi,
attiré et divisé en lui-même par la culture occidentale,
embrasse sans scrupule tout ce qui se présente à lui en
abandonnant sa propre culture pour s'approprier celle des autres, devenant
ainsi un nouveau type d'Africain, incapable de se définir et de se
fixer, puisqu'il est coupé de sa racine culturelle. En d'autres termes,
la politique coloniale était de combattre les cultures des peuples noirs
conquis en leur déniant toute histoire, or un peuple sans histoire est
un peuple sans identité, sans âme et sans existence.937
Conscient du fait que l'identité culturelle d'un peuple est le droit que
ce peuple a de rester lui-même envers et contre toutes formes
d'assimilation et de cultures, Senghor préconise le retour de l'Africain
à sa source culturelle. Le retour de l'homme noir à ses sources
n'est par un repli sur soi qui engendrera l'ethnocentrisme et le conservatisme,
mais une attitude pour puiser avec raison et intelligence les ressources
indispensables à son accomplissement, car l'homme ne peut se
réaliser véritablement que par et dans sa culture, et ne peut
prétendre se réaliser dans celle des autres s'il maîtrise
mieux sa propre culture.
Le retour aux origines a permis à Senghor de constater
que l'Afrique regorge de quelque chose de précieux à exploiter
pour la réalisation de l'Homme, qu'il soit Noir ou Blanc, peu importe.
La perception senghorienne du retour aux sources vient démentir ceux qui
pensent qu'il est illusoire de se référer à la culture
africaine.938 Il estima que la Francophonie est là pour
934 Léopold Sédar SENGHOR, Allocution lors de
l'inauguration de l'Espace culturel qui porte son nom, Verson, 18 mars 1995
935 Idem.
936 Deli ZRA, L'impérialisme culturel occidental et
devenir de la culture africaine : Défis et perspectives,
Mémoire de fin de cycle de Philosophie,Licence, Grand Séminaire
Saint Augustin de Maroua, Cameroun, 20042005
937 Référence faite au générique de
l'émission « Archive d'Afrique » de la Radio France
Internationale.
938 Bénézet BUJO dit qu' « il n'est pas
rare d'entendre, même de la part de certaines Africains fascinés
par la culture occidentale, que l'Afrique d'aujourd'hui a perdu son
identité traditionnelle et qu'il est illusoire de se
référer à la culture africaine. », «
Culture africaine et développement : un dialogue nécessaire
», Finance&Bien commun 2007/3 (N° 28-29), p. 43
261
réhabiliter ces cultures africaines en les
intégrant dans la Civilisation de l'Universel. Dans la même ligne
de réflexion, André Malraux affirme que « seule la
culture francophone ne propose pas à l'Afrique de se soumettre à
l'Occident en y perdant son âme, pour elle seule, la vieille Afrique de
la sculpture et de la danse n'est pas une préhistoire ; elle seule lui
propose d'entrer dans le monde moderne en lui intégrant les plus hautes
valeurs africaines. »939 Pourquoi Senghor choisit la
culture africaine pour l'intégrer dans une Civilisation de l'Universel.
Que représente pour lui la culture africaine ?
La culture africaine se caractérise par la vie qu'elle
renferme, la joie qu'elle procure, le sens de l'humanisme sans
précédent qu'elle offre. Ces caractéristiques s'incarnent
dans l'art, la musique, la danse, l'intelligentsia. C'est la raison pour
laquelle Ibrahim Baba Kake dit que « le rôle primordial de la
culture africaine, faut-il le rappeler, a toujours été
d'enseigner une certaine idée de l'homme et de la nature et de
contribuer à l'harmonie de leurs relations.
»940Parce que la culture africaine est humanisme, Senghor
invite la civilisation occidentale détruite par ses propres inventions
scientifiques et techniques à venir en Afrique, le continent de la vie,
car la culture africaine est plus efficace pour combattre les maux de la
civilisation scientifique et technique. La culture africaine pour Senghor est
un formidable ciment d'union qui valorise les différences de la
condition humaine. Diongue Mariétou confirme nos propos en disant que
« la culture est le produit de la société en ce sens
qu'elle est la synthèse dynamique que la conscience sociale
élabore et fixe et constitue la solution des problèmes et
conflits que la société rencontre à chaque étape de
son évolution. »941 Parce que la culture est «
une certaine façon propre à chaque peuple de sentir et de
penser, de s'exprimer et d'agir [, voire une] symbiose des influences de la
géographie et de l'histoire, de la race et de l'ethnie
»942, et que la Francophonie symbolise le peuple, le mode
de vie et leurs moeurs et coutumes quotidiennes au fil des époques,
anciennes ou contemporaines, Senghor a estimé qu'il fallait insister
pour faire admettre la culture africaine au banquet de
l'Universel.943 Mieux, il fallait réhabiliter le Noir en
valorisant sa culture et l'aider à participer à la construction
de la Civilisation de l'Universel.
En s'appuyant sur une conception africaine de la culture,
celle de considérer l'autre homme et l'autre culture comme une partie de
soi, Senghor voulut réaliser une harmonieuse
939 André MALRAUX, Discours prononcé à la
conférence des pays francophones, Niamey, 17 février 1969
(extrait).
940 Ibrahim Baba KAKE, op. cit.
941 Mariétou DIONGUE, « La francophonie et les
langues africaines : le cas du Sénégal »,
Mémoire, Villeurbanne [ sous la direction de Jean Roger
Fontvieille », 1980, p. 3
942 Léopold Sédar SENGHOR, Paroles, Dakar,
NEA, 1975
943 Léopold Sédar SENGHOR, « Qu'est-ce que la
Négritude ? », op. cit.
262
symbiose des cultures en intégrant les valeurs
culturelles intrinsèques de l'Afrique à celles des autres pays
ayant en commun la langue française. Nous comprenons la raison pour
laquelle il a mis la culture avant la politique dans sa conception de la
Francophonie944, car elle est une culture qui se conçoit
comme le moyen de faire participer les peuples qui en font partie à la
Civilisation de l'Universel.945
Ce chapitre permet de mettre en évidence les raisons
culturelles de Senghor dans l'élaboration de la Francophonie. En fait,
trois raisons culturelles plausibles et susceptibles sont à
élucider pour comprendre la conception senghorienne de la Francophonie.
Nous verrons d'abord l'éloge de la culture africaine. Il s'agit de
montrer que Senghor, à travers la culture africaine, veut
révéler l'âme nègre au monde. Il est aussi question
de mettre à nu les caractéristiques de la culture africaine et de
voir dans quelle mesure elle peut contribuer à la Civilisation de
l'Universel. Nous étudions ensuite l'ouverture culturelle. Ce qui nous
amène à voir comment Senghor invite toutes les cultures, surtout
la culture africaine, à s'ouvrir à tous les apports
complémentaires pour converger ensemble vers l'Universel. Nous montrons
également les différentes implications de l'ouverture culturelle
dans cette convergence vers l'Universel sans oublier de voir comment Senghor
entend faire participer le peuple noir à l'évolution du monde
vers la Civilisation de l'Universel. Nous abordons aussi la question de la
Civilisation de l'Universel. Nous allons étudier la manière que
Senghor, en s'inspirant de la civilisation négro-africaine,
définit la Civilisation de l'Universel. En outre, nous essayons
également de mettre à nu les caractéristiques de cette
Civilisation et démontrer qu'elle est l'expression de la conjugaison des
cultures de divers horizons. Nous terminons l'analyse, dans ce chapitre, en
montrant que la Civilisation de l'Universel n'est rien d'autre que la culture
francophone. Pour mener à bien notre réflexion, nous recourons
à la psychocritique et, si possible, à la théorie de
l'énonciation.
944 Léopold Sédar SENGHOR, Message
adressé à l'occasion de la semaine de la Francophonie à
l'UNESCO en février 1977
945 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français en partage », Les 50 plus belles histoires,
Timée Édition, novembre 2004
263
1. L'ÉLOGE DE LA CULTURE AFRICAINE
Aborder la question de la culture africaine, c'est vouloir
appréhender la vie même de l'homme africain dans sa relation avec
le cosmos. Bujo Bénézet affirme, à cet effet, que «
[...] dans la philosophie africaine, l'homme et la nature sont
profondément liés »946 et d'ajouter que
« cette relation, même si elle se rapporte en premier lieu aux
êtres humains entre eux, se veut cosmique. »947 Tout
ce que l'Africain fait ou pose comme acte est symbolique ; il cherche toujours
à communier avec l'Être Suprême, Dieu. Par les chants, les
danses, les sculptures, il veut être un avec la nature, communiquer avec
elle. À ce propos, Jacques Chevrier dit que « le Nègre,
au contraire, s'identifie au monde dans un mouvement de sympathie qui lui
permet de mourir à soi pour renaître à l'autre : il
n'assimile pas, il assimile. Ainsi au fameux `' je pense, donc je suis»
cartésien faudrait-il opposer un `' je sens l'autre, je danse l'autre,
donc je suis» ! »948 La culture africaine, peut-on
asserter, est une somme de tous les éléments qui environnent
l'Africain dans son existence et qui lui permettent d'avoir une idée de
l'homme et de la nature afin de contribuer à l'harmonie de leurs
relations. Senghor, en parlant des cultures en général, stipule
qu' « [une] culture qui ne veut modifier ni le monde, ni les rapports
extérieurs de l'homme, ni ses conditions de vie, est une culture de
musée, qui craint l'air frais et l'action concrète parce qu'elle
aime sa poussière et sa moisissure. »949
La culture africaine, quant à elle, a connu des
mutations profondes au cours de ses rencontres avec des peuples de
civilisations différentes, et cette culture a également
été niée par l'idéologie civilisatrice de l'Europe,
comme le souligne Magloire Somé :
L'idéologie civilisatrice a même nié
l'existence de cultures en Afrique et a établi une hiérarchie des
valeurs dans laquelle celles de l'Afrique occupent le bas de l'échelle.
Ces considérations négatives ont conduit au sortir de la seconde
guerre mondiale à une réaction des élites africaines,
décidées à réhabiliter les cultures et la
personnalité négro-africaines.950
946 Bénézet BUJO, op. cit., p. 40
947 Idem.
948 Jacques CHEVRIER, Littérature Nègre,
Paris, Armand-Colin/ Nouvelles Éditions Africaines, 1984, p. 144
949 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
1, op. cit., p. 45
950 Magloire SOMÉ, « Les cultures africaines à
l'épreuve de la colonisation », Africa Zamani,
n°9810, 20012002, p. 42
264
Conscient de ce fait, Léopold Sédar Senghor
estime, pour faire progresser l'Afrique, qu'il faut tenir compte de sa culture.
Puisque l'avenir des cultures est le socle de sa conception de la Francophonie,
il a, ainsi, décidé de faire l'éloge des cultures
africaines. Qu'implique l'éloge de la culture africaine dans la
poésie senghorienne ? La réponse à cette question permet
de voir dans quelle mesure les cultures africaines ont influé sur la
conception senghorienne de la Francophonie. Nous cherchons aussi à
découvrir et à définir les valeurs culturelles de
l'Afrique. Mieux, nous essayons de répondre à la question de
savoir comme l'Afrique compte participer à l'édification de la
Civilisation de l'Universel.
La culture a été définie longtemps, par
Senghor, comme la civilisation en action ou l'esprit de la civilisation. Avec
le temps, il la redéfinit. Désormais, la culture, chez lui, n'est
pas ce dynamisme de la civilisation, mais plutôt l'ensemble des valeurs
de création d'une civilisation :
Mais qu'est-ce que la culture ? J'avais pris l'habitude, quand
j'enseignais, de la définir comme « l'esprit d'une civilisation
». C'était là une définition trop intellectualiste.
À l'expérience et dans le contexte actuel du dialogue des
civilisations, je dirai que la culture est l'ensemble des valeurs de
création d'une civilisation.951
Nous comprenons que la culture, comme l'appréhende
Senghor, est l'ensemble de tout ce qui oriente les actions de l'homme, et
contribue à la réalisation de celui-ci, dans une
société, tout en lui donnant les moyens de juger son acte, et de
se construire une éthique afin de modifier sa condition de vie. La
culture est, aussi, selon Georges Balandier,
La somme des expériences d'une communauté
humaine dans l'ordre intellectuel, technique, moral et spirituel
enregistrée sous la forme d'un dépôt mental devenu
comportement. C'est un ensemble de conduites concrètes à la fois
théoriques et pratiques par quoi un certain nombre d'hommes se
ressemblent entre eux parce qu'ils ont part au même héritage
social952.
De ce fait, et à propos de la culture africaine,
Senghor dit qu'« il s'agit de transformer la vie humaine en
transformant, à la fois, l'homme et le monde dans lequel il vit en
interdépendance »953. Nous retenons, dès
lors, que la culture africaine est l'ensemble des valeurs morales, religieuses
et techniques, qui participent de l'éducation de l'Africain afin qu'il
se sente plus humain. La culture africaine, certes, n'est pas la meilleure,
mais elle est un modèle
951 Léopold Sédar SENGHOR, « La culture
africaine », Revue des Sciences Morales et Politiques, 26
septembre 1983, p. 1
952 Georges BALANDIER et Jacques MAQUET, Dictionnaire des
civilisations, Paris, 1968, p. 133
953 Léopold Sédar SENGHOR, « La culture
africaine », op. cit., p. 3
265
à valoriser, car elle est un humanisme, un humanisme
nécessaire à l'humanisme occidental. N'est-ce pas ce qui pousse
Senghor à faire l'éloge de cette culture ?
Parler de la culture africaine dans la poésie
senghorienne revient à appréhender les caractérisations de
cette culture, c'est-à-dire ce qui caractérise la culture
africaine. Sans nous déroger à la logique des poèmes
senghoriens, nous allons procéder à l'identification des
caractéristiques de cette culture avant de voir dans quelle mesure la
culture africaine occupe une place importante dans la conception senghorienne
de la Francophonie. Ce qui fait la culture africaine est, d'abord, le rapport
de l'homme avec Dieu, les ancêtres et la nature. À cet effet, nous
superposons six poèmes, à savoir « Lettre à un
poète », « Nuit de Sine », « Prière aux
masques », « Que m'accompagnent Koras et Balafong », « Le
retour de l'enfant prodigue » (Chants d'ombre) et «
Élégie des alizés » (Élégies
majeures) :
(Lettre à un poète)
Aurais-tu oublié ta noblesse, qui est de chanter
Les ancêtres les Princes et les Dieux, qui ne sont
fleurs
ni gouttes de rosées ?
Tu devais offrir aux Esprits les fruits blancs de ton jardin
[...1
Tu chantais les Ancêtres et les princesses
légitimes. (Po : 10)
(Nuit de Sine)
Femme, allume la lampe au beurre claire, que causent autour
les Ancêtres comme les parents, les enfants au lit.
Écoutons la voix des Anciens d'Elissa. Comme nous exilés Ils
n'ont pas voulu mourir, que se perdît par les sables
leur torrent séminal.
Que j'écoute, dans la case enfumée que visite un
reflet d'âmes propices
Ma tête sur ton sein chaud comme un dang au sortir du
feu et fumant
Que je respire l'odeur de nos Morts, que je recueille et
redise leur voix vivante, que j'apprenne à
Vivre avant de descendre, au-delà du plongeur, dans les
hautes profondeurs du sommeil. (Po :12-13)
(Prière aux masques)
Et pas toi le dernier, Ancêtre à tête de
lion.
Vous gardez ce lieu forclos à tout rire de femme,
à tout sourire qui se fane
Vous distillez cet air d'éternité où je
respire l'air de mes Pères. (Po : 21)
(Que m'accompagnent Koras et Balafong)
Je me refugiais vers toi, Fontaine-des-Éléphants
à la bonne eau balbutiante
Vers vous, mes Anciens, aux yeux grave qui approfon-disent
toutes choses.
[...1
En sautant comme le Psalmiste devant l'Arche de Dieu, comme
l'Ancêtre à la tête bien jointe. (Po : 27)
266
(Le retour de l'enfant prodigue)
À vos pieds, Ancêtres présents, qui dominez
fiers la grand-salle de tous vos masques qui défient le Temps. [...1
Paix paix paix, mes Pères, sur le front de l'Enfant
prodigue [...1
Éléphant de Mbissel, par tes oreilles absentes aux
yeux, entendent mes Ancêtres ma prière pieuse. (Po : 46-47)
(Élégie des alizés)
Et l'esprit est descendu parmi nous dans la pourpre des
flamboyants
Gratuitement, Seigneur, tu es descendu en nous ah ! nous
habitant, toi qui es plus-que-vie
Toi, l'extérieur qui es le rouge des corps des coeurs.
Je te salue, Esprit, qui t'incarnes dans les coeurs dans les
corps.
[...1
Ma gloire bien plus gloire aux splendeurs de l'Esprit dans
son exaltation
[...1 (O. Po : 270)
La superposition de ces six poèmes met en évidence
les réseaux associatifs suivants :
- La cosmologie (la présence des Ancêtres)
: les Ancêtres, les princes, les Dieux, aux Esprits, les
Ancêtres et les princes légitimes, causent les Ancêtres, la
voix des Anciens d'Elissa, un reflet d'âmes propices, l'odeur de nos
Morts, leur voix vivante, l'Ancêtre à la tête de lion, l'air
de mes Pères, mes Anciens aux yeux graves, l'Arche de Dieu,
l'Ancêtre à la tête bien jointe, à vos pieds
Ancêtre présents, vos masques, Mes Pères, l'esprit,
Seigneur, Esprit, l'Esprit.
- L'honorabilité (la considération des
Ancêtres) : ta noblesse, chanter les Ancêtres les princes
et les Dieux, offrir aux Esprits les fruits blancs de ton jardin, tu chantais
les Anciens et les princes légitimes, écoutons la voix des
Anciens d'Elissa, dans la case enfumée que visite un reflet d'âmes
propices, que je respire l'odeur de nos Morts, que je recueille et redise leur
voix vivante, je respire l'air de mes Pères, entendent mes
ancêtres ma prière pieuse, aux splendeurs de l'Esprit dans son
exaltation.
- La protection (des Ancêtres) : vous
gardez ce lieu forclos à tout rire de femme à tout sourire qui se
fane, vous distillez cet air d'éternité, je me refugiais vers
toi, qui dominez fiers le grand-salle de vos masques qui défient le
Temps, toi qui es plus-que vie.
- L'incarnation (des ancêtres) : les
Ancêtres comme les parents, Ancêtre à tête de lion,
qui approfondissent toutes choses, comme l'Ancêtre à la tête
bien jointe, vos masques, l'esprit est descendu parmi nous, tu es descendu en
nous, qui t'incarnes dans les coeurs dans les corps.
Ces réseaux associatifs révèlent que Senghor
s'inscrit dans la pure tradition africaine
qui stipule que les ancêtres continuent toujours
d'entretenir un commerce avec les vivants, avec leurs parents ; qu'ils (les
ancêtres) continuent de protéger les autres membres de la famille
et parfois de les punir, s'il arrivait qu'un membre de la famille faillit
à ses obligations envers l'ancêtre en question. Les
Ancêtres, en Afrique, sont ceux dont la vie fut conforme aux
règles
267
du peuple auquel on appartient, et la relation avec eux est
comme un prolongement de la famille dans le monde invisible. En plus, ils sont
considérés comme des intermédiaires entre Dieu et les
vivants. Pour le Négro-africain, les Ancêtres sont des
divinités à qui l'on doit vouer un culte, les honorer afin
d'avoir leur protection et leur bénédiction. C'est pourquoi,
à tous les événements importants, à tous les
moments capitaux de la vie, à tous les actes de la vie quotidienne,
l'Africain a une tendance à se relier à ses ancêtres par
invocation ou évocation. Car, en Afrique, les Ancêtres ne sont
jamais partis, pour parler comme Birago Diop954, ou comme Senghor,
ils n'ont pas voulu mourir.955 Ils sont dans les
éléments de la vie quotidienne de l'homme et vivent en parfaite
harmonie, une sorte de symbiose avec les éléments du cosmos qui
l'environnent. Le Négro-africain s'identifie en tout-être, et
croit à la réincarnation. Dans cette conception rationnelle avec
les Ancêtres, l'Homme en est l'élément primordial.
La culture africaine se conçoit comme un monde clos de
Vivants et de Morts, de Vivants et d'Ancêtres, d'Ancêtres et de
Dieu, dans lequel le Négro-africain s'identifie dans toute chose en
considérant l'Homme comme un être sacré ou la vie, quelque
chose de sacrée à protéger, à respecter, à
aimer et à entretenir. Ainsi, pour le Négro-africain, l'Homme
n'appartient pas seulement à sa famille biologique, mais à tout
le monde. Ahmadou Kourouma s'inscrit dans cette logique, lorsqu'il dit
On n'appartient jamais dans la vie à une ethnie,
à une race ou à une communauté
par la naissance ou par le sang. On en devient par la culture
et le respect de certaines traditions.956
Le Négro-africain existe, parce qu'il est en tout ; se
conçoit tel, parce qu'il appartient à une culture qui n'exclut
personne, à une culture ouverte. La culture fait la personnalité
individuelle et collective de l'Homme ; elle devient ainsi un facteur de
l'identité de l'Homme. Il est l'homme de tous les jours, qui vit en
parfaite harmonie, une sorte de symbiose, avec les éléments du
cosmos qui l'environnent, car « il n'y avait pas de frontière
entre les Morts et les Vivants, entre la réalité et la fiction,
entre le présent, le passé et l'avenir. »957
Ce qui peut se résumer en quelques termes : « Je suis en tout,
donc je suis moi-même. »958 La conception
négro-africaine de la culture a trait à un humanisme et à
un panthéisme, comme le souligne Cécile Dolisane-Ebosse :
954 Birago DIOP, Leurres et Lueurs, Paris,
Présence Africaine, 1967, 88 p. (Nous faisons allusion à son
poème Souffles, pp. 64-65).
955 Cf. « Nuit de Sine », Chants d'ombre,
op. cit., p. 13
956 Ahmadou KOUROUMA, Yacouba chasseur africain, Paris,
Gallimard, 1998, 112 p. (Un extrait)
957 Léopold Sédar SENGHOR, La poésie de
l'action, Paris, Stock, coll. `' Les Grands leaders», 1980, pp.
37-38
958 Adou BOUATENIN, La poétique de la
Francophonie, op. cit., p. 102
268
Cette symbiose avec la nature environnante, cette parfaite
harmonie avec les
forces cosmogonique accordent la valeur totalisante à
cette vision du monde, laquelle valeur se révèle comme une sorte
de panthéisme universel.959
Les Ancêtres, l'Homme et l'Univers sont inextricablement
liés et symbiotiquement appréhendés. Dans cette parfaite
symbiose, l'homme en est le centre. Cela justifie le caractère humaniste
de la culture africaine. En effet, la culture africaine est
Un humanisme aux dimensions du cosmos : de l'espace et du
temps, de l'espace-
temps. L'homme est le centre, le microcosme du macrocosme
qu'est le cosmos, mieux, son agent actif.960
C'est-à-dire que l'Africain est enraciné dans
son lignage, de l'Ancêtre à Dieu, et lié à la
société des hommes ; il est le centre actif de l'univers.
La culture africaine est aussi communion entre le
présent et le passé, entre les dimensions matérielles et
spirituelles de l'existence de l'Africain. Selon Senghor, c'est
Ce qui explique son art de vivre dans une
société où l'individu s'intègre dans la
communauté, l'art dans la religion, la religion dans
l'appréhension d'un Dieu saisi aux dimensions de l'univers,
c'est-à-dire dans l'intégration de l'homme à Dieu. Et
réciproquement, car, pour prendre ce dernier exemple, Dieu dépend
aussi de nous, qui le faisons plus Dieu en l'humanisant. D'où une
société où la vérité est dans le dialogue,
la prospérité dans le travail communautaire, la beauté
dans les formes accordées.961
Cette communion dont parle Senghor est si parfaite que les
Africains « ne distinguent par leur gauche de leur droite, [qu'] ils
ont neuf noms pour nommer le palmier mais le palmier n'est pas
nommé »962. Nos différents réseaux
montrent que Senghor est enraciné dans la culture africaine, car il
cherche à s'unir avec ses Ancêtres.
Senghor, enraciné culturellement, sait qu'il faut
invoquer d'abord les Ancêtres, les honorer ensuite, puis leur demander
soit la protection soit la bénédiction, et enfin les remercier
d'être présents parmi les vivants, sous diverses formes. Ses
poèmes s'inscrivent dans cette logique. Dans ses textes
poétiques, l'invocation des Ancêtres se fait par libation ou par
sacrifice animalier : « Mânes ô Mânes de mes
Pères »963, « J'offre un poulet sans tache
[...] »964. Ces
959 Cecile DOLISANE-EBOSSE, « Unicité et
Cosmopolitisme : Pour une approche socio-esthétique de `'migrance»
dans la migration des coeurs de Maryse Condé et Sartorius d'Edouard
Glissant », Éthiopiques, n° 78, 1e
semestre 2007, disponible sur
http://www.ethiopiques.refer.sn/spip.php?article1541
960 Léopold Sédar SENGHOR, « La culture
africaine », op. cit., p. 3
961 Léopold Sédar SENGHOR, « Pour un humanisme
de la francophonie », Liberté 3, op. cit., p.
280
962 Cf. « Épitres à la princesse »,
Éthiopiques, op. cit., p. 141
963 Cf. « Chant d'ombre », Chants d'ombre,
op. cit., p. 39
964 Cf. « À l'appel de la race de Saba »,
Hosties noires, op. cit., p. 57
invocations impliquent aussi les honneurs envers les
Ancêtres. Ce rituel s'explique du fait que l'Africain a une certaine
conception de la relation entre les Ancêtres et les Vivants. Pour
l'Africain, les Morts se réincarnent sous divers aspects et diverses
formes. Les Ancêtres se manifestent à travers différents
éléments de la nature, surtout à travers les masques, car
ce ne sont pas de simples ornements. Les masques sont beaucoup
représentatifs et significatifs dans l'existence du
Négro-africain et dans sa conception de la culture :
Masques ! O Masques !
Masque noir masque rouge, vous masques blanc-et-noir Masque aux
quatre points d'où souffle l'Esprit
Je vous salue dans le silence. (Po : 21)
En plus des masques, les Ancêtres peuvent s'incarner
également dans l'un de leurs descendants, pour dire que l'individu, dans
la conception traditionnelle africaine, est une réincarnation d'un de
ses Ancêtres :
J'étais moi-même le grand-père de mon
grand-père J'étais son âme et son ascendance, le chef de la
maison d'Elissa du Gâbou. (Po : 30)
On comprend dans l'extrait ci-dessus que la poète se
considère comme la réincarnation de l'Ancêtre de la maison
d'Elissa du Gâbou. Parce que l'individu peut être la
réincarnation d'un de ses Ancêtres, il est honoré,
respecté et accepté. Il mérite la vie, et nul ne peut
arracher cette vie, sauf l'Être Suprême. Chez le
Négro-africain, la vie est sacrée et préservée,
puisque la mort naturelle n'est que l'expression d'une vie nouvelle. Dans la
perception négro-africaine, on est entièrement Homme dans la
mesure où on protège et développe la vie. La vocation de
l'humanité se trouve dans cette manière de voir la vie.
C'est-à-dire que l'humanité a pour tâche de libérer
la vie en nous et autour de nous, puisqu'on rencontre la vie dans l'autre. Le
Négro-africain se réalise, parce qu'il accepte l'autre comme
étant lui-même, comme une manifestation concrète d'un de
ses Ancêtres. Il se confond en l'autre, et meurt ensemble pour renaitre
ensemble :
Car comment vivre sinon dans l'Autre au fil de l'Autre comme
l'arbre déraciné par la tornade et les rêves des îles
flottantes ?
Et pourquoi vivre si l'on ne danse l'Autre ? (Po : 142)
269
Aux questions formulées dans ce passage ci-dessus, Senghor
répond en disant :
270
Voilà donc le Négro-africain pour qui le monde
est par l'acte réflexif sur soi. Il ne
se constate pas qu'il pense ; il sent qu'il sent, il sent son
existence, il se sent. Parce qu'il se sent, il sent l'autre, il va vers l'autre
pour con-naître à lui et au monde.965
La réalisation du Négro-africain dépend
de l'autre, de son semblable, du regard que porte l'autre ; c'est pourquoi,
Senghor soutient que « l'enfer c'est l'absence du regard
»966 de l'autre. Mieux, le Négro-africain
naît dans la main des autres, grandit avec eux et repart dans leurs
mains.967 Senghor considère l'autre comme une manifestation
de soi, un enrichissement de soi.968
Ce qui explique le choix et l'éloge de la culture
africaine chez Senghor est le caractère humaniste de cette culture.
C'est la raison pour laquelle, il décide d'intégrer cette culture
dans le mouvement de la Civilisation de l'Universel. Il n'est pas, comme le
pense Pougala Jean-Paul969, l'un des intellectuels africains qui ont
mis tous leurs talents à aider à pérenniser la mise sous
tutelle culturelle de la culture africaine. Au contraire, il est de ceux qui
ont promu la culture africaine et montré qu'elle est un humanisme
panthéiste considérant chaque individu comme une médiation
de l'autre, voire des Ancêtres dans la vie quotidienne, car
Il s'agit [...] de faire communier l'homme avec des hommes,
tous les hommes
avec toutes les forces de la nature, de renforcer les liens,
qui, soutenant et sustentant l'homme, le font plus libre en lui permettant de
se réaliser.970
L'Homme est au coeur de la culture africaine, il est
même le coeur de cette culture. Or, cette culture est, essentiellement,
alimentée par les manifestations d'art : musique, danse, chant,
sculpture, peinture..., et elle permet, ainsi, à la personne de se
réaliser par et dans la société en communiant avec les
autres, pour s'intégrer, par-delà la société, dans
l'univers.
En plus, lorsque le Négro-africain danse, chante, il
s'exprime mieux et se réalise davantage. C'est ce qu'on peut comprendre
des dires de Toader Saulea :
La vie de l'Africain est initiation à son passé
vivant et essentialisation de cette vie
dans le présent par la parole, le geste, la danse, le
chant, le poème. La saisie intellectuelle des symboles et la saisie
intuitive du sens lui ouvrent l'accès individuel,
immédiat et total à la symbiose ontologique de
l'homme et du Cosmos.971
965 Léopold Sédar SENGHOR, «
L'esthétique négro-africaine », Liberté 1,
op. cit., p. 216
966 Cf. « Élégie pour Georges Pompidou »,
Élégies majeures, op. cit., p. 318
967 Seydou BADIAN, Sous l'orage, suivi de la mort de
Chaka, Paris, Présence Africaine, 1976
968 À ce propos Saint Exupéry dira « si tu
diffères de moi loin de me léser, tu m'enrichis... »
969 Jean-Paul POUGALA, Pourquoi les Africains ont-ils honte
du culte de leurs ancêtres ?, disponible sur
http://poungala.org/pourquoi-les-africains-ont-ils-honte-du-culte-de-leurs-ancetres/
970 Léopold Sédar SENGHOR, « Socialisme et
culture », Liberté 2, op. cit., p. 184
971 Toader SAULEA, « Pour une identité de rencontre :
Senghor, l'Afro-Européen », Identité et
multiculturalisme, Revue Roumaine d'Études Francophones, n° 1,
2009, p. 37
271
Or, la musique, la danse, le chant sont des vecteurs de
l'émotion ; pour dire que l'émotion est l'une des
caractéristiques de la culture africaine. L'extrait ci-dessous
exemplifie nos propos :
La flûte du pâtre modulait la lenteur des
troupeaux
Et quand sur son ombre elle se taisait, résonnait le
tam-tam des tanns obsédés
Qui rythmait la théorie en fête des Morts.
Des tirailleurs jetaient leurs chéchias dans le cercle
avec des cris aphones, et dansaient en flammes hautes mes soeurs
Téning-Ndyaré et Tyagoum-Ndyaré, plus
claires maintenant Que le cuivre d'outre-mer. (Po : 27)
Dans l'extrait ci-dessus, nous voyons que les tirailleurs,
sans êtes invités, se sont mis à danser et à crier ;
tout simplement, parce qu'ils étaient émus et hypnotisés
par la voix plus claires que le cuivre d'outre-mer des soeurs
Téning-Ndyaré et Tyagoum-Ndyaré. Cet extrait
illustre bien nos propos disant que l'émotion est une
caractéristique de la culture africaine. Elle est également un
humanisme.972
Pour saisir cette caractéristique de la culture
africaine, nous devons revenir aux poèmes de Senghor. Avant de
décrypter les poèmes, et sans nous hasarder sur les
définitions de l'émotion, nous disons qu'elle est l'expression
des sentiments et des sensations sur tous les plans. Le Négro-africain
est d'un monde où l'émotion permet à l'individu
d'être en fusion avec les êtres, les phénomènes et
les choses pour en découvrir l'essence, c'est-à-dire sa
personnalité ou sa réalisation en tant qu'être complet.
Pour expliciter davantage ce qui vient d'être dit, onze poèmes
vont servir de substrat à notre analyse. Ce sont « Lettre à
un poète », « Nuit de Sine », « Joal », «
Femme noire », « Prière aux masques », « Que
m'accompagnent Koras et Balafong » (Chants d'ombre), « Le
Kaya-Magan », « Chaka », « Épitres à la
princesse » (Éthiopiques), « Chants pour signare
» (Nocturnes) et « Le salut du jeune soleil »
(Lettres d'hivernage).
(Lettre à un poète)
Les tamtams, dans les plaines noyées, rythment ton
chant
et ton vers est la respiration de la nuit et de la mer
lointaine.
Tu chantais les Ancêtres et les princes légitimes
Tu cueillais une étoile au firmament pour la rime
Rythmique à contretemps ; et les pauvres à tes
pieds nus
jetaient les nattes de leur gain d'une année
Et les femmes à tes pieds nus leur coeur d'ambre et la
danse
de leur âme arrachée. (Po : 10-11)
(Nuit de Sine)
972 René GNALÉGA, Senghor et la Civilisation de
l'Universel, op. cit., p. 99
272
À peine. Pas même la chanson de nourrice.
Qu'il nous berce, le silence rythmé
Écoutons son chant, écoutons battre notre sang
sombre écoutons
Battre le pouls profond de l'Afrique dans la brune des villages
perdus
Voici que décline la lune lasse vers son lit de mer
étale Voici que s'assoupissent les éclats de rire, que les
conteurs eux-mêmes
Dodelinent de la tête comme l'enfant sur le dos de sa
mère Voici que les pieds des danseurs s'alourdissent, que s'alour-dit la
langue des choeurs alternés. (Po : 12)
(Joal)
Je me rappelle les voix païennes rythmant le Tantum-Ego
Et les processions et les palmes et les arc de Triomphe.
Je me rappelle la danse des filles nubiles
Les choeurs de lutte - oh ! la danse finale des jeunes hommes,
buste
Penché élancé, et le pur cri d'amour des
femmes - Kor Siga I (Po :14)
(Femme noire)
Tamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde sous les doigts
du vainqueur
Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de
l'Aimée. (Po : 15)
(Prière aux masques)
Ils nous disent les hommes du coton du café de l'huile Ils
nous disent les hommes de la mort.
Nous sommes les hommes de la danse, dont les pieds reprennent
vigueur en frappant le sol dur. (Po : 22)
(Que m'accompagnent Koras et Balafong)
J'ai choisi le verset des fleuves, des vents et des forêts
L'assonance des plaines et des rivières, choisi le rythme de sang de mon
corps dépouillé
Choisi la trémulsion des balafongs et l'accord des cordes
et des cuivres qui semble faux, choisi le
Swing le swing oui le swing ! (Po : 28)
(Le Kaya-Magan)
Car je suis les deux battants de la porte, rythme binaire de
l'espace, et le troisième temps
Car je suis le mouvement du tam-tam, force de l'Afrique future.
(Po : 103)
(Chaka)
LE CORYPHÉE
Tu es le danseur élancé qui crée le
rythme du tam-tam, l'équi libré de ton buste et des bras. (Po :
128)
(Épitres à la princesse)
Et Lilanga ma soeur. Elle danse elle vit.
Car comment vivre sinon l'Autre au fil de l'Autre,
comme l'arbre déraciné par la tornade et les
rêves des îles
flottantes ?
Et pourquoi vivre si l'on ne danse l'Autre ?
Lilanga, ses pieds sont deux reptiles, des mains qui massent
des pilons qui battent des mâles qui labourent.
273
Et de la terre sourd le rythme, sève et sueur, une onde
odeur de sol mouillé
Qui trémule les jambes de statue, les cuisses ouvertes au
secret
Déferle sur la croupe, creuse les reins tend ventre gorges
et collines
Proues de tam-tams. Les tam-tams se réveillent, Princesse,
les tam-tams nous réveillent. Les tam-tams nous ouvrent l'aorte.
Les tam-tams roulent, les tam-tams roulent, au gré du
coeur. Mais les tam-tams galopent hô ! les tam-tams galopent. (Po :
142)
(Chants pour signare)
Ah ! le balafong de ses pieds et le gazouillis des oiseaux de
lait !
Les cordes hautes des kôras, la musique subtiles de ses
hanches !
C'est la mélodie du blanc Méhari, la
démarche royale de l'Autruche. (Po : 175)
(Le salut du jeune soleil)
Je dis la danse des princesses du Mali. (Po : 248)
En parcourant ces onze extraits, l'on pourrait affirmer
d'ores-et-déjà que la culture africaine est
caractérisée par les chants, les danses, les tam-tams, les
kôras et les balafongs. Cette caractéristique particulière
de la culture africaine vient renforcer les propos de Senghor :
Regardez autour de vous, consultez votre propre
expérience. Le Négro-africain ne
peut travailler avec entrain - je ne dis même pas
fêter l'événement sans chant, danse ni
tam-tam.973
Le chant, la danse, le tam-tam... la musique sont des vecteurs
de l'émotion. Pour Senghor, « l'émotion se
décline en intuition, sensibilité, subjectivité,
imagination, indéterminisme, art, foi, etc. »974,
mieux en raison intuitive. Elle est une connaissance relevant du simple
sentiment, pour dire que le Négro-africain apprend mieux par la raison
intuitive. Et, Senghor de le confirmer en ces termes :
L'Homme devant la Nature, c'est le sujet en face de l'objet.
[...] C'est [...] dans
sa subjectivité que le Nègre, « poreux
à tous les souffles du monde », découvre l'objet dans sa
réalité : le rythme975.
973 Léopold Sédar SENGHOR, « Nation et voie
africaine du socialisme », Liberté 2, op. cit.,
p. 191
974 Nsame MBONGO, « Émotion ou raison ? Une
controverse philosophique majeure dans la pensée africaine contemporaine
», Disponible sur
http://www.africavenir.org/fileadmin/_migrated/content_uploads/Mbongo_EmotionRaison_03.pdf
975 Léopold Sédar SENGHOR, « Négritude
et humanisme », Liberté 1, op. cit., p. 141
274
Comme on l'appréhende et on le lit très
aisément chez Léopold Sédar Senghor, il n'y a pas de
différence entre l'émotion et le rythme. L'émotion est
également le rythme.976 Il naît de l'émotion, et
engendre à son tour l'émotion.977 Cela est,
d'après Senghor,
La nature même de l'émotion, de la
sensibilité nègre, [qui] explique l'attitude de celui-ci devant
l'objet, perçu avec une telle violence essentielle. C'est un abandon qui
devient besoin, attitude active de communion, voire d'identification, pour peu
que soit forte l'action, j'allais dire la personnalité de l'objet.
Attitude rythmique. Que l'on retienne le mot978.
Par le biais du rythme, à bien comprendre Senghor, le
Négro-africain participe à la vie du monde, voire du cosmos,
comme le dit René Gnaléga :
L'émotion est (...) une attitude
généreuse où l'individu sait se donner entièrement.
L'objet n'est pas perçu à la surface mais dans son essence,
c'est-à-dire ce qui fait sa vie ; nous disons son rythme. [...]
L'émotion est donc un humanisme nègre qui est fusion avec les
êtres, les phénomènes et les choses pour en
découvrir l'essence, c'est-à-dire le rythme.979
Daniel Garrot confirme les propos de René
Gnaléga en disant que « f...] le rythme n'est pas le propre de
l'homme, il s'étend au cosmos tout entier. C'est par le rythme que
l'homme participe à la vie du cosmos f...] »980.
C'est également par le rythme que la contribution du Nègre
à la Civilisation de l'Universel - à la Francophonie - a
été la plus importante, nous dit Senghor : « C'est dans
le domaine du rythme que la contribution nègre a été la
plus importante, la plus incontestée f...] le Nègre est un
être rythmique »981. Comme nous l'avons
exposé, l'émotion est présente dans les textes
poétiques senghoriens. Que dit la superposition des onze extraits ?
Les associations correspondantes issues de la superposition
seraient :
- Chant/danse : ton chant, tu chantais, tes
pieds nus, son chant, battre, battre le pouls, la chanson des nourrices, berce,
les pieds des danseurs, les choeurs, la danse des filles nubiles, buste
penché élancé, grondes, ta voix de contralto, le chant
spirituel, les hommes de la danse, les pieds reprennent vigueur en frappant le
sol dur, le danseur élancé, ton buste et des bras, elle danse, si
l'on ne danse l'Autre, ses pieds, des mains, battait, qui trémule les
jambes de statue, les cuisses ouvertes, déferle sur la coupe, des
976 Il n'est pas question d'étudier l'apport du rythme
dans la création senghorienne, mais montrer qu'il est un des
éléments de la culture africaine participant ainsi à la
conception de la Francophonie senghorienne. La question du rythme sera
abordé de façon explicative dans le dernier chapitre de la
troisième partie de notre travail.
977 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les
lamantins vont boire à la source », op. cit. («
Nombril même du poème, le rythme, qui naît de
l'émotion, engendre à son tour l'émotion. »), p.
162
978 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
1, op. cit., p. 24
979 René GNALÉGA, « Senghor, poète
de l'émotion nègre », Senghor et la Civilisation de
l'Universel, op. cit., p. 97 et p. 99
980 Daniel GARROT, Léopld Sédar Senghor
critique littéraire, op. cit., p. 134
981 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
1, op. cit., p. 37
275
pieds, le gazouillis des oiseaux, la musique, ses hanches, c'est
la mélodie, la démarche, la danse des princesses du Mali.
- Instruments de musique : les tamtams, tamtam
sculpté, tamtam tendu, la trémulsion des balafongs, l'accord des
cordes et des cuivres, le mouvement du tam-tam, le rythme du tam-tam, proues de
tam-tam, les tam-tams se réveillent, les tam-tams nous ouvrent l'aorte,
les tam-tams roulent, les tam-tams galopent, le balafong, les cordes hautes des
kôras.
- Rythme : contretemps, rythment, rythmique,
le silence rythmé, le verset, l'assonance, le rythme, les deux battants,
rythme binaire, le mouvement du tam-tam.
- Fusion fraternelle : les Ancêtres, les
princes légitimes, les femmes à tes pieds, l'Afrique, des filles
nubiles, des jeunes hommes, l'amour des femmes, Kor-Siga, les hommes, force de
l'Afrique, vivre sinon dans l'Autre, au fil de l'Autre, danse l'Autre, Lilanga
ma soeur, Princesse, nous réveillent, nous ouvrent, Princesse du
Mali.
Ces réseaux associatifs viennent confirmer ce que nous
avons déjà dit : l'émotion dans l'oeuvre
poétique senghorienne est caractérisée
par le chant, la danse, les tam-tams en général, et le rythme en
particulier, car « le Nègre [...] est d'un monde où la
parole se fait spontanément rythme dès que l'homme est
ému. »982
L'émotion telle que mise en évidence par les
réseaux associatifs est musique dans la mesure où elle est
accompagnée par des instruments de musique. Et, Senghor ne dit pas le
contraire, il l'acquiesce :
Or toute parole sociale, toute parole solennelle est
rythmée en Afrique Noire, et
toute parole rythmée devient musique, s'accompagne souvent
d'instruments de musique983.
Au-delà du chant et de la danse, ce qui se lit est la
symbiose symphonique qui existe entre le musicien et son public. Il y a une
parfaite complicité entre eux à telle enseigne que le public
reprend en unanimité les paroles du musicien. C'est cette
complicité que l'émotion négro-africaine crée entre
les forces de l'univers. Dans cette logique d'idée, René
Gnaléga dit qu' « au-delà du chant et de la danse,
l'émotion nègre permet une réelle fraternité entre
tous les hommes »984, puis d'ajouter qu'elle «
est fusion avec les êtres, les phénomènes et les choses
»985. L'émotion nègre est une fusion
fraternelle ; elle crée une communion entre tous les hommes. Senghor
affirme, alors, qu'
982 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
1, op. cit., p. 218
983 Idem., p.239
984 René GNALÉGA, Senghor et la Civilisation de
l'Universel, op. cit., p. 101
985 René GNALÉGA, Idem. (loc.
cit.), p. 99
276
Il s'agit de faire communier les hommes, tous les hommes, avec
les forces vitales
des autres hommes et, à travers celles-ci, avec les
forces cosmiques de l'univers, dont la réalité se manifeste
aujourd'hui aux savants de l'Occident.986
L'émotion ou la raison intuitive est nécessaire
au monde du moment que la raison technicienne, la raison rationnelle de
l'Orient et de l'Occident transforment les hommes en objets, en marchandises,
et anéantissent l'humanité.987 En fait, Senghor
dénonce la raison rationnelle et technicienne qui amène
l'humanité au suicide :
« Ce fut l'an de la Découverte. De leurs yeux ils
crachèrent un feu jaune. Et les eaux des fleuves roulèrent de
l'or et des sueurs. Les métropoles en furent gorgées. Les hommes
nus furent réduit en esclavage, et les parents vendirent leurs enfants
pour une pièce de guinée.
« Et ce fut l'an de la Raison. De leurs yeux ils
crachèrent un feu rouge. Et la haine poussa au cou des hommes en
ganglions noueux, et dans la boue du sang les soldats se baignèrent. On
décora les bourreaux et savants ; ils avaient inventé de tuer
deux fois l'homme.
« Ce sera l'an de la Technique. De leurs yeux ils cracheront
un feu blanc. Les éléments se sépareront et
s'agrégeront selon de mystérieuses attirances et
répulsions. Le sang des animaux et la sève des plantes seront de
petit lait. Les blancs seront jaunes, les jaunes seront blancs, tous seront
stériles. (Po :140)
Le monde actuel a besoin de l'humanisme nègre, de la
culture africaine, car elle participe à la vie. Elle est plus efficace
pour combattre les crimes de la civilisation scientifique et technique. En
effet, hier dominée mais non conquise, l'Afrique est
déterminée à délivrer au monde son message
particulier et à apporter à l'Europe le fruit de ses
expériences, la totalité de ses ressources intellectuelles et les
enseignements de sa culture propre, qui chez Senghor, se résume à
l'émotion. Cette idée se dégage, aussi, des propos de
René Gnaléga :
Face à un monde occidental qui fait entendre des slaves
d'armes à feu, le poète dit que l'humanité nous offre
d'autres valeurs comme l'émotion, c'est-à-dire cette
sensibilité émotive, nous disons cet altruisme qui ne
détruit pas mais apporte un supplément d'âme aux hommes.
Et le poète reconnaît que c'est le Nègre
qui est le plus apte à faire partager cette émotion au monde.
Mais derrière l'émotion, il faut comprendre la capacité de
décrypter l'univers par l'intuition et de sublimer par le rythme nos
miasmes morbides et délétères.988
986 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
2, op. cit., pp. 190-191
987 Idem., p. 196
988 René GNALÉGA, La cohérence de
l'oeuvre poétique de Léopold Sédar Senghor, op.
cit., p. 13
277
La civilisation universelle, c'est-à-dire la
civilisation scientifique et technique, croit honorer l'homme en cherchant en
lui la solution à tous les problèmes humains, alors qu'elle le
dissèque et l'inventorie jusqu'aux plus profondes cachettes du
subconscient.989 Cela sous-entend que l'émotion nègre
est supérieure à la science, et complémentaire à la
raison rationnelle. L'humanisme nègre peut redonner un visage humain
à ce monde dans lequel la considération de l'homme pour l'homme
disparaît au profit de la raison rationnelle et technicienne, de
l'utilité des choses. Notre propos est renforcé par les dires de
Papa Gueye N'Diaye :
Dans l'esprit du poète, cette civilisation
française, européenne, risque d'être détruite par
ses inventions scientifiques et techniques, et je l'invite à venir en
Afrique, qui est le continent de la vie, car les vertus de la Négritude
sont les plus efficaces pour combattre les maux de la civilisation scientifique
et technique.990
Et Senghor d'ajouter que
C'est ainsi que les hommes de couleur, singulièrement
les Nègres, ont pu [...] apporter leur contribution à l'humanisme
français d'aujourd'hui, qui se fait véritablement universel parce
que fécondé par les sucs de toutes les races de la
terre.991
Lorsque Senghor dit que « L'émotion est
nègre, comme la raison hellène »992, ce
n'est pas pour insinuer que l'émotion est une caractéristique
biologique inhérente du Nègre, mais, plutôt une
caractéristique intrinsèque de la culture africaine. Senghor est
conscient que tout homme est doué d'une raison intuitive et d'une raison
rationnelle, cependant ce qui domine chez le Négro-africain est la
raison intuitive :
Il reste que le Blanc européen est d'abord discursif ;
le Négro-Africain, d'abord,
intuitif. Il reste que tous les deux sont des hommes de
raison, des Homines sapientes, mais pas de la même
manière993.
Il répond à ses adversaires l'accusant de
dénier la raison rationnelle aux Négro-africains en ces termes
:
Les adversaires de la négritude [...] me reprochent
d'avoir écrit, disent-ils,
« L'émotion est nègre comme la raison
hellène ». Et d'en conclure que je dénie toute puissance de
raisonnement, toute raison aux Nègres. Mais comment savoir ce que
j'ai
989 Jean-Luc CHALUMEAU, Introduction aux idées
contemporaines, Paris, Fermand Nathan, 1969, p. 8
990 Papa Gueye N'DIAYE, Éthiopiques, Poème
de Léopold Sédar Senghor : édition critique et
commentée, NEA, Dakar-Abidjan, p. 97
991 Léopold Sédar SENGHOR, Introduction à
Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue
française, op. cit., p. 1
992 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
1, op.cit., p. 24
993 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
3, Paris, Seuil, 1977, p. 92
278
voulu dire en isolant une phrase de son contexte ? Car c'est
l'évidence qu'ici, « l'émotion » signifie « raison
intuitive », comme le mot soul chez les Négro-Américain, et
« raison » la raison européenne « discursive ». Que
celle-ci ne soit pas supérieure à celle-là, je n'en veux
pour preuve que le triomphe de la nouvelle
épistémologie994.
René Gnaléga corrobore ce propos, en disant que
Certains universitaires africains ne retiennent de Senghor que
ces mots :
« L'émotion est nègre, comme la raison
hellène. »
Bien qu'il ait essayé d'expliquer les fondements de
cette affirmation, la négritude senghorienne souffre encore de
préjugés défavorables de la part de nombreux intellectuels
du continent noir. Peut-être, faudrait-il, à l'avenir, situer
davantage cette phrase dans son contexte pour mieux comprendre le poète
?
En tout cas, notre objectif n'est pas ici d'entrer dans ce
débat. Nous constatons seulement que bien des critiques s'en sont
tellement pris à l'homme et à ses idées qu'ils ont
jeté par-dessus bord sa production poétique, voyant en elle la
manifestation ou la concrétisation d'une certaine servitude. Or cette
oeuvre est, pensons-nous, l'une des plus représentatives de la
littérature africaine d'expression française de ce siècle.
Et elle ne peut être indéfiniment frappée
d'ostracisme.995
En lisant posément Senghor, nous comprenons que «
la raison intuitive et la raison discursive sont toutes deux de l'ordre du
rationnel »996. En effet,
Nous savons, aujourd'hui, qu'il n'y a pas de catégories
antinomiques, que la connaissance intuitive est complémentaire de la
connaissance rationnelle, même dans les sciences, qu'imagination et
raison font bon ménage, que le rêve est partie du réel,
qu'en tout cas il est la condition majeure de la transformation du
réel.997
Cependant, il veut ériger l'émotion en mode de
connaissance participant pleinement de la rationalité, voire d'une
rationalité plus complète et plus pénétrante que
celle de la raison analytique, discursive, qui décompose, divise et
chosifie l'humanité. L'émotion doit être la panacée
de l'humanité, et nécessaire à la réinvention d'un
humanisme moderne, « c'est-à-dire qu'il s'agit de sauver, avec
l'homme concret, le monde concret toujours exposé à la folie des
dictateurs et des bombes atomiques. »998 Cette
particularité de la culture africaine amène Senghor a
intégré cette culture dans une institution internationale : la
Francophonie, comme l'illustre l'extrait ci-dessous :
J'ai promu l'énigme au rang d'une institution, et seule la
haute kôra fut à la hauteur de notre dessein. (O. Po : 266)
994 Idem., p. 283
995 René GNALÉGA, Senghor et la civilisation de
l'universel, op. cit., p. 13
996 Nsame MBONGO, op. cit.
997 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
2, op. cit., p. 188
998 Idem., p.29
279
C'est à juste titre qu'il dit qu'
Il s'agit, dans la nouvelle entreprise de la francophonie,
d'allier le goût à la force,
la sensibilité à l'émotion,
l'intelligence à l'intuition. Pour être, encore une fois, un homme
ultra-humain parce qu'intégralement humain.999
Senghor est également conscient que si l'on veut que la
culture africaine joue son rôle de transformer l'humanité ou de
rendre l'humanité plus humaine, il faut que les Négro-africains
connaissent davantage leur culture. C'est la raison pour laquelle, il
préconise un retour aux sources culturelles. Qu'implique ce retour aux
sources culturelles chez Senghor ? Comment l'appréhende-t-on dans ses
oeuvres poétiques ?
Le retour aux sources n'est pas se renier, mais se retrouver
et s'affirmer ; autrement dit, il est un enracinement dans sa culture afin de
demeurer soi. Le Négro-africain n'a pas vocation de devenir de pure
copie de l'homme européen1000, mais il doit affirmer sa
culture et s'affirmer en tant que tel ; car sa culture est ce qui lui permettra
de s'ouvrir à l'extérieur. L'enracinement dont il est question
est de revenir à ses sources pour appréhender un pan de
l'histoire de son peuple ou de sa race :
Donne-moi la volonté de Soni Ali, le fils de la bave du
Lion - c'est un raz de marée à la conquête
d'un continent. Souffle sur moi la sagesse des Keïta.
Donne-moi le courage du Guelwâr et ceins mes reins de Force
comme d'un tyédo.
Donne-moi de mourir pour la querelle de mon peuple, et
S'il le faut dans l'odeur de la poudre et du canon. Conserve et
enracine dans mon coeur libéré l'amour premier
de ce peuple. (Po : 49)
On voit dans l'extrait ci-dessus que Senghor a la
volonté de connaître l'histoire de son peuple, pour cela, il faut
qu'il revienne au pays pour apprendre et s'imprégner de la culture
ancestrale :
Pèlerinage par les routes migratrices, voyage aux sources
ancestrales. (Po : 190)
À cet effet, nous analysons deux textes
d'Éthiopiques, à savoir « D'autres chants » et
« Comme les lamantins vont boire à la source » :
999 Léopold Sédar SENGHOR, « Pour un humanisme
de la francophonie », op. cit., p. 284 1000 Léopold
Sédar SENGHOR, Liberté 2, op. cit., p. 53
280
(D'autres chants...)
Or je revenais de Fa'oye, m'étant abreuvé à
la tombe solen-
nelle
Comme les lamantins s'abreuvent à la fontaine de Simal
Or je revenais de Fa'oye, et l'horreur était au
zénith
Et c'était où l'on voit les Esprits, quand la
lumière
est transparente
Et il fallait s'écarter des sentiers, pour éviter
leur main
fraternelle et mortelle. (Po : 146-147)
(Comme les lamantins vont boire à la source)
En vérité, nous sommes des lamantins, qui selon
le mythe africain, vont boire à la source, comme jadis, lorsqu'ils
étaient quadrupèdes - ou hommes. [...] Si l'on veut nous trouver
des maîtres, il serait plus sage de chercher du côté de
l'Afrique. Comme les lamantins vont boire à la source de Simal. (Po :
153-156)
Les deux textes sont peut-être une
réécriture, car ils développent le même thème
: celui de « boire à la source de Simal ». Ce n'est point un
hasard, et cela nécessite une interprétation. Nous voyons
s'accuser les réseaux suivants :
- Retour à la source : je revenais de
Fa'oye, vont boire à la source, à la tombe solennelle, à
la fontaine de Simal, à la source de Simal, comme les lamantins, nous
sommes des lamantins.
- Enracinement : m'étant abreuvé
à la tombe solennelle, comme les lamantins s'abreuvent à la
fontaine de Simal, comme les lamantins vont boire à la source de Simal,
les Esprits, des maîtres, chercher du côté de l'Afrique.
Ces différents réseaux montrent qu'il s'agit bel et
bien d'une connaissance de soi. Il faut faire
un retour sur soi pour mieux se connaître,
c'est-à-dire s'enraciner. Senghor, « comme les lamantins
», fait ce retour en Afrique pour s'abreuver et s'imprégner de
la culture africaine, pour être oint des huiles viriles par les
ancêtres, les Esprits, et être durement initié par des
maîtres. Ce retour en Afrique pour apprendre auprès des
ancêtres est une sorte d'enracinement.
Pour parler de soi ou de sa culture aux autres, il faut se
découvrir, se connaître et connaître davantage sa culture ;
s'enraciner et s'approprier les valeurs intrinsèques de sa culture.
Senghor fait ce retour, et veut que tout homme le fasse aussi, car le
problème majeur aujourd'hui est pour chaque individu de s'enraciner au
plus profond de sa culture pour s'ouvrir aux autres. L'enracinement est
nécessaire pour le Négro-africain dont la culture a connu de
profondes mutations durant ses différentes rencontres avec des peuples
de cultures différentes. Senghor, cependant, ne rejette pas les valeurs
des autres cultures qui ont intégré la culture africaine faisant
d'elle une culture métisse, mais propose de faire un tri pour ne garder
que les éléments culturels qui peuvent faire progresser l'Afrique
vers la Civilisation de l'Universel, ce nouvel humanisme. La vraie culture est
celle qui s'enracine. Et Senghor de confirmer nos propos :
281
Au demeurant, la vraie culture est toujours
déracinement, assimilation active des
valeurs étrangères. Mais elle est, d'abord,
enracinement dans le sol natal, culture des valeurs
autochtones1001.
L'enracinement est un thème développé par
Senghor avec la Négritude. Cependant, il décide de faire de ce
thème l'élément clé de la Francophonie, car nul ne
peut prétendre parler de sa culture sans la connaître davantage.
Il faut connaître sa culture et la présenter aux autres, faire son
éloge. Pour cela, le retour aux sources comme des lamantins est
impératif pour tout un chacun, plus précisément pour le
Négro-africain. Celui-ci doit continuellement s'abreuver à ses
sources culturelles, auprès des Anciens, les détenteurs de la
connaissance et de la sagesse africaines, pour aspirer à
l'humanité1002, et préserver ainsi son identité
culturelle sans que cela nuise aux échanges avec d'autres
cultures.1003 Cela sous-entend que l'enracinement culturel que veut
Léopold Sédar Senghor doit correspondre à l'ouverture
culturelle. Cette ouverture culturelle doit permettre à l'homme
d'accepter les valeurs culturelles qui lui rappellent à chaque instant
de son existence qu'il est homme.
L'ouverture devra élever l'homme, le pousser à
agir plus efficacement et lui permettre de contribuer à modeler le monde
au lieu de le subir. Par l'enracinement, l'individu devient responsable de sa
propre histoire et participe même à l'Histoire collective par
l'ouverture culturelle qu'il fera. Ce qui aboutira à la Civilisation de
l'Universel. La Civilisation de l'Universel serait un moyen censé ouvrir
sur soi, sur les profondeurs de son identité, à travers le
rapport à l'autre, refaire l'unité entre enracinement et
déracinement par un véritable retour aux valeurs de nos
traditions que la Francophonie pourrait bien faire passer aux
générations suivantes et en égale mesure à d'autres
espaces géoculturels. Ce qu'on retient est de s'enraciner pour pouvoir
accéder à l'universel.
La domination coloniale en Afrique Noire a détruit,
désintégré les cultures africaines, mais avec la
Francophonie, Léopold Sédar Senghor estime que l'on peut
réhabiliter ces cultures en les intégrant dans la Civilisation de
l'Universel, car elles ont du potentiel à offrir au monde
1001 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
2, op. cit., pp. 195-196
1002 À ce propos Amadou Hampâté BÂ a
dit qu' « en Afrique quand un vieillard meurt, c'est toute une
bibliothèque qui brûle. », un extrait de son discours,
prononcé en 1960 à l'UNESCO
1003 Sylvie COLY, « Littérature, vers une
Civilisation de l'Universel », Éthiopiques, numéro
spécial : Senghor, d'hier à demain, n°81, mai 2012 (Elle dit
que « Senghor reconnaît le fait que l'identité culturelle
africaine peut et doit être préservée sans que cela nuise
aux échanges avec les autres cultures, car c'est dans ces relations que
le monde s'enrichit. »)
282
de la raison discursive. C'est pourquoi, il se donne pour
tâche de présenter les caractéristiques de la culture
africaine.
Cette culture se préoccupe de la personne humaine en
tant que multiplicité intérieure (âme, corps,
pensée, esprit), inachevée, appelée à s'ordonner et
à s'unifier au sein des unités plus vaste que sont la
communauté humaine et l'ensemble du cosmos.1004 Mieux, la
culture africaine honore et respecte l'homme considéré comme
synthèse de l'univers et carrefour des forces de vie, réceptacle
de tous les éléments qui l'environnent, et communion
d'âmes. Autrement dit, la culture africaine cherche à restaurer
l'homme, car il est la clef de cette culture.1005 En tant que tel,
l'homme est appelé à devenir le point d'équilibre
où pourront se conjoindre, à travers lui, les diverses dimensions
dont il est porteur ; mieux à être le carrefour des cultures. La
particularité de la culture africaine est son humanisme.
Cet humanisme s'appréhende également par
l'émotion, qui, pour Senghor, est une raison intuitive. Cette raison
intuitive permet au Négro-africain d'être uni aux êtres, aux
phénomènes et aux choses de son environnement et du cosmos,
c'est-à-dire faire corps avec ces éléments, «
ainsi toute la nature [sera] animée d'une présence humaine
»1006. À travers ces éléments, le
Négro-africain a une conception de l'univers, de l'homme, mieux de
lui-même. En fusionnant ces éléments, il découvre
l'essence même de ce qu'il est. La raison intuitive permet au
Négro-africain de se réaliser en tant qu'homme et de participer
à l'édification de l'autre et de soi. Elle consiste à
sauver le monde et à restituer l'homme à son humanité
totale. Elle est au coeur de la renaissance du monde. Dans ce sens, «
l'émotion n'est en définitive qu'une façon de
participer au dialogue des cultures et à la Civilisation de
l'Universel. »1007 Cette participation nécessite
une redécouverte de la culture africaine, et une connaissance de sa
propre culture. Senghor préconise, alors, le retour aux sources,
l'enracinement en sa propre culture. Et Sylvie Coly de le confirmer en disant
« Sans l'enracinement dans ses valeurs de culture, l'Afrique ne pourra
pas construire un développement socio-économique viable. Elle
sera de même incapable d'apporter une contribution valable à
l'édification de la Civilisation de l'Universel, ce qui ferait d'elle un
réceptacle d'idées et de valeurs, le problème de
l'aliénation risque, de ce fait, de se poser de nouveau.
»1008 Cependant, Amilcar Cabral pense que « le
`'retour aux sources» n'est donc pas une démarche volontaire, mais
la seule réponse viable à la
1004 Amadou Hampâté BÂ, Aspect de la
Civilisation africaine, Paris, Présence Africaine, 1972, p. 17
1005 Antoine de SAINT-EXUPÉRY, « Il faut restaurer
l'homme », Civilisation contemporaine, Paris, Hatier,
1976, p. 265 ; Textes choisis, classés et
présentés par M. A. Baudouy et R. Moussay. (Antoine de
Saint-Exupéry,
Pilote de guerre, Paris, Gallimard, 1943)
1006 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
1, op. cit., p.24
1007 René GNALÉGA, Senghor et la Civilisation
de l'Universel, op. cit., p. 104
1008 Sylvie COLY, op. cit.
283
contradiction irréductible qui oppose la
société colonisée à la puissance coloniale, les
masses populaires exploitées à la classe étrangère
exploitante. »1009
Tout peuple qui ne fait rien pour la survie de sa culture
entretient les germes de sa propre destruction. Le temps de la promotion de la
culture africaine a sonné. Si les Africains veulent que leur continent
soit culturellement émancipé et respecté des autres
peuples, ils doivent prendre leur destin en main, c'est-à-dire leur
culture. Pour cela, ils ont « un devoir urgent de revenir en [eux], de
prendre conscience de [leur] situation pour s'élever aux valeurs
universelles les plus humanistes de [leur] culture et en puiser la source de
[leur] être. »1010 Cela porte à croire que ceux dont la
voix a une résonnance significative doivent cesser d'être
complices de l'aliénation culturelle de leurs peuples. Senghor a fait sa
part en invitant les Négro-africains à l'enracinement en leur
culture afin qu'au rendez-vous du donner et du recevoir ils ne viennent pas les
mains vides pour recevoir uniquement des autres, mais qu'ils aient de quoi
donner. Pour Senghor, il s'agit de montrer que l'homme est un, que
l'humanité ne doit pas être l'apanage de l'Occident, mais de tous
les hommes, parce qu'ils ont des droits égaux et sont faits pour
s'entendre1011 et s'entraider.
L'essence de la culture africaine est son humanisme
panthéiste, (l'homme est au coeur de la nature, du cosmos et participe
de la nature et du cosmos, et tous forment un). L'humanisme africain implique
un moi qui est obligatoirement sujet à un besoin permanent de se
rapporter à l'autre, de se faire connaître à l'autre et
d'accepter l'idée généreuse de l'échange comme
manière de vivre et de s'enrichir spirituellement.
Senghor a la ferme conviction que cette culture peut
également façonner l'homme et participer à
l'établissement du nouvel humanisme. Cela est possible si nous accordons
une importance à l'ouverture culturelle. Celle-ci est au centre
également de sa poésie, et a été le fer de lance
dans la promotion de la Francophonie. L'enracinement ne saurait correspondre,
pour Léopold Sédar Senghor, au repli sur soi ; il se conjugue,
à contrario, avec l'ouverture, comme le stipule Sylvie Coly :
« L'enracinement rend aussi possible l'affirmation de
l'identité tout en préparant l'Africain à une meilleure
ouverture au monde. Il doit être fier de ce qu'il est avant de s'ouvrir
aux autres. »1012Qu'en est-il de l'ouverture culturelle
dans la poésie senghorienne ? Comment ses textes poétiques
expriment-ils l'ouverture culturelle ? Quel rapport existe-t-il
1009 Amilcar CABRAL, « La culture et le combat pour
l'indépendance », Civilisation contemporaine, op.
cit., p.
263 (Amilcar Cabral, Courrier de l'UNESCO, novembre 1975).
1010 Deli ZRA, op. cit
1011 Samba DIAKITÉ, Philosophie et contestation en
Afrique, Bouaké, IRDA, 2014, p. 289
1012 Sylvie COLY, op. cit.
284
entre l'ouverture culturelle et la Francophonie ? Nous
répondons à ces questions au point suivant.
285
2. L'OUVERTURE CULTURELLE
« Il n'existe pas de culture ni de civilisation
universelle en soi »1013, car toute culture ou
civilisation est l'aboutissement de cultures multiples, parfois
contradictoires.1014 En plus, aucune culture ne se développe
et ne s'épanouit de manière autarcique, car elle risquerait de
disparaître. Autrement dit, toute culture est métissée,
partage avec les cultures voisines des caractéristiques communes (la
langue, la religion, des modes de vie, une partie de son
histoire)1015. Également, l'affirmation de sa culture n'est
pas un but en soi, mais un moyen de s'ouvrir à l'autre. Pour cette
raison, Léopold Sédar Senghor propose l'ouverture culturelle
comme la seconde étape pour aboutir à la Civilisation de
l'Universel, estime Sylvie Coly :
L'ouverture est, dans la perspective senghorienne,
l'étape seconde qui doit mener
à la Civilisation de l'Universel qui serait le
résultat de la symbiose entre les races et cultures de la
fécondation mutuelle qui enrichit l'humanité1016.
L'ouverture culturelle est le fait d'établir la
communication avec d'autres cultures, d'aller vers les autres cultures pour y
puiser la sève fécondante, comme le dirait Senghor, utile
à la construction d'un nouvel humanisme, d'une Civilisation de
l'Universel. Cette ouverture culturelle s'apparente au dialogue des cultures.
Dans cette optique, la Francophonie est un humanisme qui puise sa sève
nourricière culturelle à tous les coins du monde1017,
et un instrument de dialogue mutuel entre les peuples et cultures. On peut
appréhender, ici, la culture comme étant l'ensemble des solutions
qu'une communauté humaine hérite, adopte et invente pour trouver
des solutions aux crises de son époque ; c'est pourquoi, Senghor asserte
que la Francophonie est une façon rationnelle de poser les
problèmes et d'en rechercher les solutions par référence
à l'homme.1018 Ce qui laisse entrevoir que le projet
senghorien de la Francophonie est de refaire, pour ainsi dire, l'humanisme
contre une conception abstraite de l'homme.1019
1013 Pathé DIAGNE, « Renaissance et problèmes
culturels en Afrique », Introduction à la culture
africaine, op.
cit., p. 285
1014 Olga BALOGUN, « Formes et Expressions dans les arts
africains », idem., p. 54
1015 Jean-François DORTIER, Identité. Des
conflits identitaires à la recherche de soi, Disponible sur
https://www.scienceshumaines.com/identite-des-conflits-identitaires-a-la-recherche-de-soi_fr_12390.html
1016 Sylive COLY, op. cit. (voir p. 283)
1017 Ibrahim DIOP, Senghor entre Francophonie et dialogue
interculturel, op. cit., p. 12
1018 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie
comme culture », op. cit., p. 136
1019 Nadia Yala KISUDIKI, « L'influence vivante du
personnalisme de Mounier sur la philosophie esthétique et
la poésie de Léopold Sédar Senghor »,
disponible sur
http://contextes.revues.org/5592
286
Cette volonté de redéfinition de l'humanisme
amène Senghor à l'option de l'ouverture culturelle : «
Son idéal humaniste, son amour du prochain et sa conception
universaliste l'ont poussé, sans doute, à s'ouvrir aux autres
peuples et cultures. »1020En fait, Senghor prône
l'ouverture en vue d'un dialogue fécond des civilisations, pour dire la
Civilisation de l'Universel, qu'il appelle de tous ses voeux. Cette
civilisation doit émerger du dialogue des cultures : « La voie
est donc ouverte au dialogue pour construire ce que Teilhard de Chardin
annonçait : cette Civilisation de l'Universel qui serait celle du
21e siècle. »1021 Parce que les cultures
peuvent dialoguer1022, Senghor invite les cultures à s'ouvrir
les unes aux autres pour un enrichissement mutuel. Il s'agit, pour les
cultures, de donner et de recevoir. Ceci est l'ouverture culturelle. Elle est
au centre de la poésie senghorienne, voire l'essence de cette
poésie. La Francophonie est l'expression du modèle d'ouverture
culturelle que l'Afrique veut tisser avec les autres cultures, puisqu'il s'agit
de dialogue des cultures avec le concept de Francophonie. Et, Senghor a
passé toute sa vie à prôner ce dialogue culturel. Sa
production littéraire en témoigne. Sa Négritude l'a
illustré. Sa Francophonie le confirme. La poésie senghorienne
n'envisage pas un repli sur soi culturellement mais, plutôt une ouverture
culturelle. Elle est l'absolue recherchée dans son oeuvre
poétique, dans sa vie de l'homme ordinaire et de l'homme politique.
Senghor se présente comme un extraverti, une personne
tournée vers le monde extérieur, ouverte à toutes les
cultures :
Mon âme aspire à la conquête du monde
innombrable et déploie ses ailes, noir et rouge
Noir et rouge, couleurs de vos étendards !
Ma tâche est de reconquérir le lointain des terres
qui bornaient l'Empire du Sang
Où jamais la nuit ne recouvrait la vie de ses cendres,
de son chant de silence
Ma tâche, de reconquérir les perles extrêmes
de votre sang jusqu'au fond des océans glacés
Et des âmes. Entendez le chant de son âme sous son
toit de paupières sarrasines. (Po : 43)
Ou encore,
Je vivrai ouvert à la mer, mère nourricière
de l'esprit.
[...]
L'esprit ouvert comme une voile, mobile comme une palme. (O. Po :
271-272)
1020 Ibrahim DIOP, op. cit., p. 15
1021 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
3, op. cit., p. 10
1022 Selon Senghor, « [deux] cultures peuvent dialoguer,
deux idéologies ne peuvent pas dialoguer. », Entretien
accordé par Senghor à Guy Allix pour Normandie-Magazine,
septembre 1983.
287
Il a même voulu faire du Sénégal le centre
et le modèle de l'ouverture culturelle. Et cela s'appréhende au
travers du troisième et quatrième couplet de l'hymne national
sénégalais :1023
(3ème couplet)
Sénégal, nous faisons nôtre ton grand dessein
: Rassembler les poussins à l'abri des milans Pour en faire de l'est
à l'ouest, du nord au sud Dressé, un même peuple, un peuple
sans couture Mais un peuple tourné vers tous les vents du monde.
(4ème couplet)
Sénégal, comme toi, comme tous, nos héros,
Nous serons durs sans haine et des deux bras ouverts L'épée, nous
la mettrons dans la paix du fourreau Car le travail sera notre arme et parole
Le Bantou est un frère, et l'Arabe et le Blanc.
L'idée de l'ouverture s'appréhende
aisément dans ces deux couplets. Senghor invite le Sénégal
à s'ouvrir à tous les vents du monde, c'est-à-dire
à toutes les cultures du monde, et à accepter le Bantou, l'Arabe
et le Blanc comme un frère. Dans tous les cas, ces deux couplets nous
disent ce que l'ouverture culturelle, chez Léopold Sédar Senghor,
implique, et ce que celui-ci veut du Sénégal. Néanmoins,
nous retenons que l'ouverture dont il est question dans ces deux couplets va de
pair, également, avec la fraternité. Au-delà du
Sénégal, Senghor convie le monde, l'humanité à
l'ouverture culturelle et à la fraternité pour sauver la nature
et la personnalité humaine. Il se présente aussi comme un homme
ouvert à toutes les cultures. Cette volonté d'ouverture est mise
en exergue dans L'aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane, par le
biais du papa de Samba Diallo.
Je souhaite cette ouverture, de toute mon âme. Dans la
cité naissante, telle doit être
notre oeuvre, à nous tous, Hindous, Chinois,
Sud-Américains, Nègres, Arabes ; nous tous, [...]1024
De tels propos, peut-on les attribuer à Léopold
Sédar Senghor. Comment se présente-t-il ainsi que l'ouverture
culturelle au travers de ses poèmes ?
Pour répondre à la question ci-dessus, il est de
notre intérêt de scruter les poèmes de Senghor, et voir si
ce qu'ils disent confirme ou infirme ce que nous avons avancé comme
arguments. Pour ce faire, quinze poèmes nous serviront de substrat
à l'analyse, à savoir « New York », « Chaka
», « Épitres à la princesse »
(Éthiopiques), « Chants pour signare », «
Élégie
1023 L'hymne sénégalais est écrit par
Léopold Sédar Senghor. Voir annexe IX, pp. 486-487. 1024 Cheikh
Hamidou KANE, op. cit, p. 93
288
de minuit », « Élégie des saudades
», « Élégie des eaux », «
Élégie pour Aynina Fall » (Nocturnes), «
Retour de Popenguine », « Ta lettre ma lettre », « Vertige
», « Car je suis fatigué », « Toujours
`'miroirs» » (Lettres d'hivernages), «
Élégie de Carthage » (Élégies
majeures) et « Intérieur » (Poèmes
perdus) :
(New York)
Harlem Harlem ! voici ce que j'ai vu Harlem Harlem ! Une brise
verte de blés sourdre des pavés labourés par les pieds nus
de danseurs Dans. (Po : 114)
(Chaka)
CHAKA
Mais je ne suis pas le poème, mais je ne suis pas le
tam-tam
Je ne suis pas le rythme. Il me tient immobile, il sculpte
tout mon corps comme une statue du Baoulé [...] (Po :
126)
(Épitres à la princesse)
Belborg Belborg ! Belborg Belborg ! Ainsi murmurait
ma
mémoire, et dans le paquebot
Qui m'emportait, les machines rythment ton nom Princesse,
et l'Afrique nocturne.
[...]
Bien plus loin que Gambie, plus loin que
Sénégal.
[...]
Et mon pays de sel et ton pays de neige chantent à
l'unisson.(Po : 132-136)
(Chants pour signare)
Et ton sourire s'est levé sur les brouillards qui
flottaient
monotones sur mon Congo
[...]
Et nous baignerons mon amie dans une présence
africaine.
Des meubles de Guinée et du Congo, graves et polis
sombres
et sereins
[...]
Des paroles classiques ; loin, des chants alternés comme
les
pagnes du Soudan
[...]
J'ai consulté les blancs vieillards tout fleuris de
sagesse
J'ai consulté Kotye Barma et les
Maîtres-de-science
J'ai consulté les devins du Benin, au retour du voyage
où
leur chair est subtile
J'ai consulté les Grands-Prêtres du
Poèré aux États du
Mogho-Naba
J'ai consulté les Initiés de Mamangètye au
Sanctuaire des
serpents
[...]
Et il me faut tout l'art des Peuples-de-la Mer, il me faut la
puissance des canons.
[...]
Depuis, comme un qui cherche la fumée d'un songe, j'ai
promené ma quête inquiète
Aux sables du Levant à la Pointe-du-Sud, chez les
Peuples-
de-la-Mer-verte
Et chez les Peuples d'Outre-mer. Et la conque au loin dans
Tes rêves, c'était moi.
[...]
289
Qui le dirait ? Irons-nous à Belborg où les
hommes
nourrisent de glace ?
Ou bien à Moussoro tu te rappelles ! où les paons
fleurissent sauvage ?
Et les femmes y ont quatre coudées ; leurs seins
mûrissent au soleil
Leurs jambes lentes paraissent et disparaissent sous les nuages
comme des Crétoises. (Po : 169-188)
(Élégie de minuit)
Dans mes yeux le phare portugais qui tourne, oui vingt-
quatre heures sur vingt-quatre
Une mécanique précise et sans répit,
jusqu'à la fin des temps.
[...1
Je suis debout, lucide étrangement lucide
Et je suis beau, comme le coureur de cent mètres, comme
l'étalon noir en rut de Mauritanie
Je charrie dans mon sang un fleuve de semence à
féconder
toutes les plaines de Byzance.
Et les collines, les collines austères. (Po : 196-197)
(Élégie des saudades)
J'ai bu - murs blancs collines d'oliviers - un monde
d'exploits d'aventures d'amours violents et de cyclones. Ah !
boire tous les fleuves : le Niger le Congo et le Zambèze,
l'Amazone et le Gange
Boire toutes les mers d'un seul trait nègre sans
césure non sans accents
Et tous les rêves, boire tous les livres les ors, tous les
prodiges de Coïmbres.
[...1
Je ne dirai exploits ni royaumes conquis sur les Indiens des deux
horizons. (Po : 201-204)
(Élégie des eaux)
Feu ! Feu ! murs ardents de Chicago, Feu ! Feu ! murs
ardents de Gomorrhe
Feu sur Moscou. Dieu est égal pour les peuples sans
dieu,
qui ne mâchent pas la Parole
? O neige manne aux Esquimaux, vous tornades mains
fraîches au front des forêts vierges.
L'Occident l'Orient les peuples extrêmes sont
couchés sur
le sable, proues de pierres terrassées par
l'Athlète.
C'est Pharaon d'Égypte par la barbe et le bâton
de
Moïse.
Seigneur, pitié pour les dix justes, mais pitié
pour la Chine
pour qui l'enfant j'ai tant prié
Pitié pour toi qui fais fleurir le Verbe, qui ornes de
guirlandes
l'avènement de Mai comme une gorge noble.
[...1
Il pleut sur New York sur Ndyongolôr sur
Ndyalakhâr
Il pleut sur Moscou et sur Pompidou, sur Paris et banlieue,
sur Melbourne sur Messine sur Morzine
Il pleut sur l'Inde et sur la Chine - quatre cent mille
Chinois
sont noyés, douze millions de Chinois sont sauvés,
les
bons et les méchants
Pleut sur le Sahara et sur le Middle West, sur le désert
sur
les terres à blé sur les terres à riz
Sur les têtes de chaume sur les têtes de laine.
Et renaît la Vie couleur de présence. (Po :
205-206)
290
(Élégie pour Aynina Fall)
LE CORYPHÉE
Elle unit Saint-Louis à Bamko, Abidjan à
Ouagadougou Niamey à Cotonou, Fort-Lamy à Douala, Dakar à
Bazza-ville.(Po : 211)
(Retour de Popenguine)
Et là-bas le Cap-Vert constellé d'îles,
frangé d'écume et
d'anses
[...1
Mais demain le Cap-Vert dressera, il dresse ses buildings
blancs bourdonnant de puissance
[...1
Sur la mer d'or vermeil, quand au soleil s'allument les
maisons de Gorée
Pareilles à tes yeux les soirs de réception. (Po :
226)
(Ta lettre ma lettre)
Ta lettre ma lettre, et si c'était impossible
Si Hitler si Mussolini, si Rhodésie l'Afrique du Sud, le
cousin portugais (Po : 231)
(Vertige)
Dix-huit mille pieds à la verticale de Marrakech
L'Afrique me salue, je dis adieu à l'Europe.
D'abord j'ai salué l'Afrique dessus le parallèle de
Bordeaux,
et bien auparavant
Quand montaient à ma mémoire à mes narines
vibrantes,
Les peaux brunes odeur couleur de musc.
[...1
Laissant à tribord Las Palmas, à l'ombre de ses
collines
neigeuses
Nous avons foncé droit sur Bir Mougrein, le fort où
je liai
amitié
Avec un jeune palmier du Trarza, d'ambre sous ses boucles
polies. (Po : 232)
(Car je suis fatigué)
Et je suis triste, vers Nagasaki la triste vers Valparaiso la
belle Oui vers Rio de Janeiro, où les mulâtresses sont
orchidées odorantes. (Po : 238)
(Toujours `' miroirs»)
Prêtresse de Tanit, nourricière de Carthage
l'opulente la
stérile
Grand prêtre d'Amon-Râ, à Thèbes aux
cent portes, qui
donne sève et soleil aux vivants.
[...1
- Il te faut brûler la Sorbonne, mon Athlète de
nuit. (Po : 243-244)
(Élégie de Carthage)
Les Gétules et les Libyens, les Numides et Nasamons, les
Massyles et Massaesyles, les Maures
Les Garamantes à la peau de daim noir et de soleil,
à l'ex-
trême Occident les Éthiopiques, compagnons
fidèles d'atlas Tu les as tous reconnus de ta race. Et les Ibères
avec les
Berbères. Que ne t'eût imité Carthage ? (O.
Po : 309)
(Intérieur)
291
Nous baignerons dans une présence africaine
Des tapis étincelants et doux de Tombouctou
Des coussins maures,
Des parfums fauves,
Des meubles de Guinée et du Congo,
Sombres et lourds
Des nattes bien épaisses de silence
Des masques primitifs et purs aux murs. (O. Po : 348)
En parcourant de façon minutieuse les extraits
proposés ci-dessus, nous voyons que la plume de Léopold
Sédar Senghor explore tous les continents et pays du globe terrestre :
de l'Afrique à l'Europe en passant de l'Asie et l'Océanie pour
l'Amérique ; de Dakar à Moscou ; du Nord au Sud ; de l'Est
à l'Ouest. Les réseaux associatifs, qui peuvent se lire à
travers ces quinze extraits proposés, sont :
- Afrique : les pieds nus de danseurs Dans, une
statue du Baoulé, l'Afrique nocturne, mon pays de sel, Gambie,
Sénégal, mon Congo, des meubles de Guinée et du Congo, les
pagnes du Soudan, les devins du Benin, États du Mogho-Naba, Kotye Barma,
les Grands-Prêtres du Poère, les Initiés de
Mamagètye, l'étalon noir en rut de Mauritanie, le Niger le Congo
et le Zambèze, Pharaon d'Égypte, Ndyongolâr, Sahara,
Ndyalaklôr, Saint-Louis, Bamako, Abidjan, Ouagadougou, Niamey, Dakar,
Daoula, Brazzaville, Fort-Lamy, Cotonou, Cap-Vert, Gorée,
Rhodésie, l'Afrique du Sud, Marrakech, l'Afrique, Trarza, Bir Mougrein,
Nagaski, Valparaiso, Carthage, Amon-Râ, Gétules et les Libyens,
les Numides et Nasamons, les Massyles et Massaesyles, les Maures, les
Garamantes, les Éthiopiens, Berbères, des tapis
étincelants et doux de tombouctou, des coussins maures, la terre
d'Afrique.
- Europe : les blancs vieillards, des
Peuples-de-la-Mer, la puissance des canons, chez les Peuples-de-la-Mer-vert,
chez les Peuples d'Outre-mer, Belborg, Crétoises, la phare portugais,
les plaines de Byzance, Messine, Moscou, Paris, Pompidou, l'Occident, Hilter,
Mussolini, le cousin portugais, Europe, Bordeaux, Sorbonne, Thèbes,
Ibères, l'extrême occident, les prodiges de Coïmbre.
- Amérique : New York, Harlem Harlem !
Amazone, murs ardents de Chicago, le Middle West, Esquimaux, Las Palmas, Rio de
Janeiro, les mulâtresses.
- Asie : Gange, les Indiens, Gomorrhe,
Moïse, Moraine, l'Orient, Chine, Chinois. - Océanie
: Melbourne.
Nous pouvons simplifier ces réseaux. Ce qui nous donne
à nouveau Afrique : Côte d'Ivoire
(les pieds nus des danseurs de Dans, une statue du
Baoulé, Abidjan), Guinée (des meubles de Guinée),
Congo (Meubles [...] du Congo, mon Congo, Brazzaville), Soudan
(les pagnes de Soudan), Benin (les devins du Benin), Burkina
Faso (États du Mogho-Naba, Ouagadougou), Mauritanie
(l'étalon noir en rut de Mauritanie, Maures), Égypte
(Pharaon d'Égypte), Mali (Bamako, des tapis
étincelants et doux de Tombouctou), Niger (Niamey),
Cameroun (Douala), Maroc (Marrakech),
Zimbabwé/Zambie (Rhodésie), Tchad (Fort-Lamy),
Tunisie (Carthage), Éthiopie (éthiopien),
Libye (Libyen), Sénégal (Dakar, Saint-Louis,
Gorée), Gambie, Cap-Vert,
292
Afrique du Sud ; Europe : France
(Paris, Pompidou, Sorbonne, Bordeaux), Crète
(Crétoises), Russie/URSS (Moscou), Italie
(Mussolini), Grèce (Thèbes, Ibères),
Portugal (Phare portugais, le cousin portugais), Allemagne
(Hitler). Amérique : USA (Chicago, New
York, Harlem, Las Palmas), Canada (Esquimaux), Brésil
(Rio de Janeiro, les mulâtresses) ; Asie : Inde
(Indiens), Chine (Chinois), Israël/Palestine
(Moïse, Gomorrhe) ; et Océanie :
Australie (Melbourne).
L'évocation des continents ou des pays et des villes
est très significative dans l'oeuvre poétique de Senghor. On peut
parler d'une poétique de l'espace dans la poésie senghorienne.
Chaque espace évoqué ou référent convoque une
histoire, un trait particulier, une caractéristique, voire un
événement significatif et marquant chez le poète Senghor.
Autrement dit, les espaces évoqués couvrent l'univers de son
vécu.1025 En effet, Senghor est un voyageur culturel qui
cherche à comprendre les autres cultures, à entrer en dialogue
avec les autres. Après la connaissance de sa propre culture par un
enracinement, il cherche à connaître la puissance des canons
et boire tous les livres des autres cultures par l'ouverture.
Ainsi, il entreprend un voyage poétique, pour ne pas dire une
quête de connaissance culturelle, invitant à découvrir avec
lui les cultures des autres contrées. Il a soif de découvrir afin
d'enrichir sa propre culture. Chaque continent évoqué a une
particularité qui lui est propre, mais qui l'unit aux autres continents
: l'histoire, une histoire faite de rencontres de différents peuples. De
façon involontaire, par ces espaces évoqués, Senghor
étale au grand jour l'histoire de l'humanité, faite de chocs et
de rencontres, donnant naissance à des peuples, des races et des
civilisations métissés. C'est une manière pour lui de
mieux avoir une certaine connaissance de l'identité et de la culture des
peuples afin de faire siennes cette identité et cette culture. Chez lui,
il n'est pas question de conquérir l'identité culturelle de ces
pays mais d'accepter les nouvelles valeurs culturelles que peuvent apporter les
autres sans se nier dans le but d'un dialogue culturel. L'ouverture culturelle
signifie chez Senghor, d'abord, voyage. En voyageant, en allant vers les
autres, il y a effectivement ouverture et on s'universalise.1026 On
y va avec sa culture et on communique avec l'autre culture, car
La culture n'est pas une fin en soi, c'est un capital qu'il
s'agit de mettre en circulation, une expérience de la qualité qui
n'a de valeur que si elle vous rend plus libre, plus assuré de vos
incertitudes, plus grand pour triompher des erreurs. La culture doit seulement
vous préparer vers tous les « peut-être ».1027
1025 Gaston BACHELARD, La poétique de l'espace,
PUF, Paris, 1967, p. 39
1026 Toader SAULEA, « Pour une identité de rencontre
: Senghor, l'Afro-Européen », op. cit., p. 23
1027 Gaston BERGER, « La culture de demain »,
Civilisation contemporaine, op. cit., p. 228 (Gaston BERGER,
« Le monde en devenir », Encyclopédie
française, T. XX, 1959)
293
Nous comprenons à présent les raisons de
l'évocation des continents.
Les textes senghoriens sont alors colorés d'apports
culturels des autres contrées1028, car ils voyagent à
travers le monde à la recherche des valeurs culturelles pour
édifier le poète et ses lecteurs dans une Civilisation de
l'Universel. L'idée d'ouverture culturelle est l'essence même de
la poésie senghorienne. En fait, rares sont les poèmes qui ne
mentionnent pas le nom d'un espace habité ou non habité. La
poétique de l'espace participe de l'ouverture culturelle. Sa
poésie est une sorte d'invitation à l'ouverture, au voyage pour
s'enrichir des apports fécondants de tous les peuples, d'abord ceux de
l'Afrique, puis des peuples méditerranéens et enfin des peuples
de l'atlantique sans oublier ceux de l'océan indien, voire des
contrées lointaines et inconnues. Du simple fait que sa poésie
dépasse le cadre africain pour aborder d'autres cadres, que sa plume
enjambe la culture négro-africaine pour d'autres cultures, suffit pour
dire qu'il y a une poétique de l'espace impliquant le sème de
voyage. L'apport des autres cultures, loin de tuer l'identité culturelle
des pays, peut l'exprimer, le révéler au monde afin de permettre
le dialogue nécessaire des cultures de se réaliser et de
s'universaliser.
L'ouverture culturelle se veut également chez Senghor
un rendez-vous du donner et du recevoir :
Il appelait mon père « Tokor » ; ils
échangeaient des énigmes que portaient des lévriers
à grelots d'or
Pacifiques cousins, ils échangeaient des cadeaux sur les
bords du Saloum
Des peaux précieuses des barres de sel, de l'or du
Bouré de l'or du Boundou
Et de hauts conseils comme des chevaux du Fleuve. (Po : 30)
Dans l'entendement de Senghor, ce rendez-vous est simplement
la Francophonie. À ce rendezvous, les Africains doivent rendre au
génie méditerranéen une partie au moins de ce que ce
génie leur a donné1029 :
Je n'ai pas haï les Roses-d'oreilles. Nous les avons
reçus
comme les messagers des dieux
Avec des paroles plaisantes et des boissons exquises.
Ils ont voulu des marchandises, nous avons tout donné :
des ivoires de miel et des peaux d'arc-en-ciel
Des épices de l'or, pierres précieuses perroquets
et singes
que sais-je ?
Dirai-je leurs présents rouillés, leurs poudreuses
verroteries ? (Po : 123)
1028 Adou BOUATENIN, La poétique de la
Francophonie, op. cit., p. 85 1029 Jacques CHEVRIER, «
Senghor, militant de la Francophonie », op. cit.
294
La Francophonie est un outil d'ouverture culturelle sur autres
aires culturelles. Pouvons retenir des propos de Thérèse Djilane
Diob :
[...] La longue « marche » de l'armée de
« l'Empereur Congo-Moussa » vers « l'Orient » est
comparée à la procession que les peuples doivent effectuer, pour
aller les uns vers les autres, afin que ce rêve du poète
sérère se réalise. C'est d'ailleurs dans ce souci
d'accomplir ce dialogue des cultures qu'il crée avec d'autres
compagnons, la Francophonie1030.
La Francophonie semble être l'expression de
l'intégration des valeurs culturelles dans une culture, dite
universelle, qui demeure par ailleurs ouverte à tous les courants de
pensée du monde contemporain. L'ensemble des valeurs culturelles de
chaque individu, voire de chaque continent, constitue la contribution que l'on
doit apporter à la Civilisation de l'Universel, par le biais de
l'ouverture culturelle ou du dialogue des cultures afin que chaque personne ou
chaque continent puisse se réaliser et s'épanouir, comme le
souhaite Léopold Sédar Senghor :
Ce qui s'impose donc, en ce dernier quart du vingtième
siècle, c'est le Dialogue des Cultures [...]. Ce mouvement de
révolution culturelle, né dans les douleurs des conquêtes,
des massacres et des déportations ; grandi par le hasard des voyages,
des partages, des traités, il s'agit maintenant de l'organiser de
façon rationnelle, et humaine en même temps : dans un dialogue
où chaque race, chaque nation, chaque civilisation recevant et donnant
en même temps, chaque homme pourra, en se développant,
s'épanouir en personne.1031
L'extrait ci-dessus vient à point nommé
confirmer notre argumentation. L'évocation des espaces implique
l'idée de voyage ; le voyage engendre le partage et le dialogue. Et tout
cela se résume à l'ouverture culturelle. De cet extrait, nous
pouvons également suggérer que la Francophonie est l'organisation
rationnelle et humaine du dialogue des cultures et de l'ouverture
culturelle.
En plus, par les réseaux associatifs, nous voyons se
tracer non seulement le profil d'une Civilisation de l'Universel, mais aussi
l'image d'un homme de culture ouvert à tous les apports
fécondants des autres peuples, et désireux de rapprocher les
peuples par leur connaissance mutuelle.1032 Sans connaissance de sa
propre culture, comment peut-on connaître la culture des autres ?
L'ouverture culturelle est aussi, chez Senghor, la connaissance de sa propre
culture, puis la connaissance de celle des autres. Il s'agit, en quelque sorte,
de connaître la culture, en
1030 Thérèse Djilane DIOB, L'expression de
l'amour dans « Chants d'ombre » de Léopold Sédar
Senghor, Mémoire de Maîtrise, Sénégal,
Université Gaston Berger de Saint-Louis, UFR Lettres et Sciences
Humaines, 2005/2006, p. 68 [sous la direction du Professeur Mwamba Cabakulu]
1031 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
3, op. cit., p. 10
1032 Charte de la Francophonie (OIF), Titre I : Des objectifs,
Article 1 : objectifs
295
général, et sa propre culture, en particulier,
car les cultures sont toutes reliées les unes aux autres. Conscient de
cette dimension, Senghor convie les cultures à s'ouvrir afin d'apporter
ce qu'on possède, et emprunter ce qu'on n'a pas. Autrement dit, la
poésie senghorienne invite à accepter les apports
étrangers tout en restant soi-même sans oublier de donner ce qu'on
a aux autres.
La Francophonie serait le lieu privilégié de
cette ouverture. Senghor fait d'elle un espace unifié1033 de
dialogue et d'ouverture en montrant comment une culture peut apporter à
une autre ce que celle-ci n'a pas ou n'attendait pas. En effet, la Francophonie
est l'expression de la contribution de tous à la Civilisation de
l'Universel.1034 Pour réaliser cette civilisation, il ne
s'agit pas de jeter par-dessus bord le vieux passé culturel qui a
été la raison d'être d'un peuple, mais de laisser ce vieux
passé culturel se rajeunir par les apports des autres cultures. Ainsi,
l'Afrique des chants et des danses aura besoin de la rationalité
scientifique, technique et politique occidentale et orientale ; tandis que
l'Europe et l'Asie auront besoin, à leur tour, de la rationalité
émotive ou intuitive de l'Afrique. C'est ce que Senghor appelle le
rendez-vous du donner et du recevoir. On comprend, dès lors,
que la Francophonie est à la fois ouverture culturelle et un rendez-vous
du donner et du recevoir :
Et, à ce « rendez-vous du donner et du recevoir
», pour parler comme Aimé
Césaire, les Africains ne viendront pas les mains
vides. Ils apportent, ils ont déjà commencé d'apporter
leur culture.1035
Autrement dit, d'après Senghor,
La francophonie s'incarne donc dans l'ensemble des pays qui
ont la langue française comme instrument de communication et
d'échanges non seulement économiques, mais surtout
socio-culturels. Et c'est un fait que, dans ces échanges, les cultures
du tiers monde ne viennent pas les mains vides.1036
Mieux, au rendez-vous du donner et du recevoir, l'Afrique a
commencé d'apporter ses chants, ses danses1037 et ses
masques. En d'autres termes, l'Afrique apporte l'émotion nègre,
c'est-à-dire son humanisme. De ce fait, il convient de dire que la
Francophonie permet également de sortir de son univers culturel, par le
contact avec d'autres cultures qui ont des aspects autres
1033 Nous faisons allusion aux continents et pays
évoqués dans sa poésie. C'est la réunion de ces
espaces qui
donnera l'espace unifié, qui est la Francophonie.
1034 Nous faisons référence à
Liberté 3.
1035 Léopold Sédar SENGHOR, « La culture
africaine », op. cit., p. 1
1036 Léopold Sédar SENGHOR, « Pour un
humanisme de la francophonie », Liberté 3, op.
cit., p. 280
1037 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
1, op. cit., p. 97
296
que sa propre culture, pour assimiler (et non être
assimilé) tout l'apport qu'elles peuvent donner, comme le souligne
à nouveau Léopold Sédar Senghor :
Il s'agit, en somme, qu'en assimilant les vertus de
l'Occident, en s'engageant, avec lui, dans la mondialisation des sciences, des
sciences exactes, des sciences humaines et des techniques comme des Arts, les
Nègres donnent, à la civilisation du XXe
siècle, son universalité mais surtout son caractère
générique d'humanisme.1038
Une telle ouverture culturelle peut engendrer des chocs.
Conscients du fait que toute culture ne peut supporter et absorber le choc des
cultures, Senghor préconise le métissage des cultures, car,
« en cette fin du XXe siècle, tous les continents,
toutes les nations, voire toutes les races, à quelques exceptions
près, sont métissés. »1039
Le métissage, dont parle Senghor, est le fait d'aller
vers les autres cultures et leur offrir des services, leur donner ce qu'on a de
meilleurs chez soi et de recevoir en retour ce qu'il y a de meilleurs chez
l'autre et les intégrer à sa culture. À cet effet,
René Gnaléga dit que la Francophonie se présente comme une
auberge espagnole où chacun apporte ce qui lui est
propre.1040 Autrement dit, la Francophonie scelle
définitivement l'intégration des cultures dans une
communauté de culture qui exclut tout complexe de frustration, toute
forme de surenchère, toute politique de bascule ou de mendicité,
et qui favorise les échanges d'idées en respectant la
personnalité originaire de chaque culture et nation. Car, estime
Senghor,
Il s'agit, dans la nouvelle entreprise de la francophonie,
d'allier le goût à la force,
la sensibilité à l'émotion,
l'intelligence à l'intuition. Pour être, encore une fois, un homme
ultra-humain parce qu'intégralement humain.1041
La Francophonie est la conception d'un poète, «
d'un penseur qui croit à la rencontre des cultures, à leur
symbiose, bref au métissage »1042 des cultures.
C'est un projet de rencontre, de communication des cultures, capable de
construire et de façonner l'homme. En effet, selon Moustapha Samb,
Senghor est convaincu que l'homme intégral ne se
réalisera que lorsqu'il
parviendra à faire la synthèse des cultures de
toutes les races [...]. Chez Senghor, loin
1038 Léopold Sédar SENGHOR, « L'humanisme
d'Alioune Diop », Ethiopiques, n°24, octobre 1980.
Disponible
sur
www.ethiopiques.refer.sn/spip.php
?article762
1039 Léopold Sédar SENGHOR, « La culture
africaine », op. cit., pp. 1-2
1040 René GNALÉGA, Senghor et la Civilisation
de l'Universel, op. cit., p. 122
1041 Léopold Sédar SENGHOR, « Pour un
humanisme de la Francophonie », Liberté 3, op.
cit., p. 284
1042 Toba MISUZU, op. cit., p. 111
297
d'être un drame, l'adoption de cultures différentes
est une source d'équilibre, facteur de rapprochement des
peuples1043.
L'idée de rapprochement des peuples semble être
au centre de la poésie senghorienne. En effet, la poésie de
Senghor se veut unificatrice des peuples, des races et des cultures. Elle est
une poésie qui rassemble, parce qu'elle est ouverte à tous les
apports culturels des nations et des peuples. Nous pouvons, dès lors,
affirmer que la poésie senghorienne, loin d'être l'expression de
la Négritude, est l'expression vivace de la Francophonie « en
tant qu'idéal de dialogue et de solidarité, et pour chanter cette
grande fraternité qui annonce la civilisation universelle à venir
»1044. Dans ce cas précis, la Francophonie
proposée par Léopold Sédar Senghor est censée
consolider les racines culturelles et l'histoire des nations, et établir
une relation plus riche et plus puissante avec les autres aires culturelles.
Pour un besoin de solidarité et de diversité,
une nécessité du dialogue entre les cultures, la plume
poétique de Senghor brise les frontières entre les nations, car
la culture n'a pas besoin de passeport ni de visa : « Que je rompe le
barrage des scandales »1045. Sa poésie est celle du
voyage, et elle transgresse les frontières ; elle nous mène en
Afrique, en Amérique, en France, en Asie et en Océanie ; elle
permet un va-et-vient entre tous les continents. C'est cela la culture. Elle
est voyage vers toutes les races et nations. Telle devrait être
également la Francophonie voulue par Senghor ; elle devrait briser les
frontières entre les cultures et les nations, et permettre le
libre-échange, la libre circulation des personnes, le dialogue entre les
Francophones. L'ouverture culturelle est le libre-échange que les
cultures doivent contracter afin de s'enrichir mutuellement.
Quant à la Francophonie, expression de cette ouverture
culturelle, est une manière d'entrer en contact avec les autres (sans
visa) et de montrer ce que l'on ressent ou ce que l'on a, en vue d'un
échange fructueux entre les cultures, surtout sur le plan humain. Ainsi,
la Francophonie telle que conçoit Senghor est un idéal qui doit
animer les peuples en marche vers une solidarité d'esprit et qui ont le
sentiment d'appartenir à une communauté des nations libres pour
qui les valeurs de la Francité, de l'Africanité (la
Négritude), de l'Arabité, de la Canadiénité, de la
Québécité, de la Belgité... sont partagées.
Et qu'au « rendez-vous du donner et du recevoir » que
constitue la Francophonie, chaque nation puisse apporter sa pierre à
l'édifice de la Civilisation de l'Universel tout en préservant
son identité culturelle sans nuire au
1043 Moustapha SAMB, « Le métissage multidimensionnel
de Senghor : Une stratégie de communication universaliste »,
Les deux Senghor : l'homme de lettres et l'homme de pouvoir, Cahier
Senghor, n°2, 2011, p. 47, (sous la direction de Ndiaga Loum).
1044 Stélio FARANDJIS, « Repères dans
l'histoire de la Francophonie », Hermes la Revue3/2004
(n°40), p. 52 1045 Cf. « Totem », Chants d'ombre,
op. cit., p. 22
298
dialogue des cultures. Aucune culture n'est en retard à
ce rendez-vous, chacune y va à son rythme. L'ouverture culturelle
devrait engendrer un nouveau type d'homme : L'homme culturel. Cet homme
culturel marquerait de la sorte l'avènement d'une nouvelle
humanité, celle de la Civilisation de l'Universel.
Une culture qui se replie sur elle-même,
s'étiole, voire meurt. Pour la survie des cultures, Léopold
Sédar Senghor préconise l'ouverture culturelle. Cette ouverture
est d'abord une sorte de dialogue entre les cultures, car Senghor a la
certitude qu'au lieu d'un choc culturel, les cultures peuvent dialoguer. Par
conséquent, il faut un outil permettant de rendre ce dialogue possible.
La Francophonie serait cet outil, le lieu de rencontre des cultures, des
nations et peuples. Ainsi, à travers la Francophonie, les nations et les
peuples auront plus de chance de faire connaître leurs cultures. La
connaissance des cultures autres que les siennes est un enrichissement pour
soi. En plus, la culture est un facteur déterminant pour le
développement des peuples1046 et pour la réalisation
de l'individu en tant qu'être humain. La valorisation de sa culture hors
de son pays est une fierté pour soi.
Cependant, aucune culture ne peut se vanter le mérite
d'être la meilleure ou la supérieure des cultures. La meilleure
culture, selon Senghor, est celle qui est ouverte aux cultures et qui accepte
de dialoguer avec les autres. Cette culture n'est rien d'autre que la
Francophonie. Elle est culture par essence. Elle est un idéal, un
concept de dialogue entre les cultures, de solidarité entre les nations.
Elle est également l'instrument des échanges des
différentes cultures et de leur fécondation. Cette Francophonie
implique aussi le rendez-vous du donner et du recevoir des cultures. À
ce rendez-vous, la raison intuitive (la culture intuitive), c'est-à-dire
l'émotion, est autant nécessaire que la culture rationnelle et
technicienne. Il n'y aura pas de choc culturel à ce rendez-vous, puisque
les cultures accepteront d'être métisses. Le métissage est
d'ordre culturel, une sorte d'assimilation des valeurs culturelles
reçues au rendez-vous du donner et du recevoir. En fait, le
métissage culturel chez Senghor sera la Civilisation de l'Universel.
La Francophonie est le point d'intersection entre l'ouverture
culturelle et le métissage culturel (la Civilisation de l'Universel).
Dès lors, nous comprenons que la Civilisation de l'Universel est «
une civilisation qui serait composée des apports
complémentaires, de tous les continents et toutes les races, sinon de
toutes les nations. »1047 Ce qui signifie que la
civilisation n'a pas de coloration raciale et culturelle. Dans son organisation
et sa structure fondamentales,
1046 René GNALÉGA, Senghor et la Civilisation
de l'Universel, op. cit., p. 120 1047 Cf. Léopold
Sédar SENGHOR, « La culture africaine », op. cit.
elle est partout et toujours civilisation, c'est-à-dire
le résultat des apports des cultures de chaque race. Cette Civilisation
de l'Universel n'est pas une donnée, mais elle est à construire.
« Il ne s'agit pas d'abstraire la Civilisation de l'Universel mais de
la construire et ce, en oubliant aucun particularisme.
»1048 C'est pourquoi, Léopold Sédar Senghor
la définit comme étant un enracinement et une ouverture afin de
construire l'universel, ce qu'il a de plus commun dans tous les êtres, ce
qui se vérifie dans chacun d'eux sans aucune exception. Elle est «
[l'oeuvre] commune de tous les continents, de toutes les races, de toutes
les nations. [Elle] ne saurait être d'abord que la compréhension
de tous les apports de chaque continent, de chaque race, voire chaque nation.
»1049 La Civilisation de l'Universel à construire
est sans faux-fuyant la culture francophone. Elle est une culture de
l'affranchissement de l'être humain et de l'affirmation identitaire
défendant des valeurs humanistes. Cette culture doit être
bâtie par toutes les ethnies, dans le cas contraire elles périront
ensemble.1050 Elle est une culture essentialiste,
c'est-à-dire qu'elle modèle une personnalité individuelle
typique, un comportement, des idées et une mentalité. À
cet effet, Bruno Bourg-Broc avance que « la Francophonie, c'est
l'affirmation d'une façon d'être et d'agir dont les valeurs
dépassent le sens commun et s'imposent aux hommes quelle que soit leur
origine, leur race, leur nationalité. »1051 Pour
mieux appréhender cette culture, il convient de nous replonger dans la
poésie senghorienne, puisque « la vie en commun avec un esprit
de dialogue ou de métissage, cet idéal symbiotique, [cette
Civilisation de l'Universel est] une réalité vivante
»1052 dans les oeuvres poétiques de Léopold
Sédar Senghor.
299
1048 Guy ALLIX, op. cit.
1049 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
3, op. cit., p. 153
1050 Idem., p. 563
1051 Bruno BOURG-BROC, « Une Francophonie parlementaire
», loc. cit., p. 28
1052 Stélio FARANDJIS, « Repère dans
l'histoire de la Francophonie », op. cit., p. 50 (Propos
complété par
nous).
300
3. L'ÉLOGE DE LA CIVILISATION DE
L'UNIVERSEL
Pour parler de la Civilisation de l'Universel, il importe de
savoir d'abord ce qu'impliquent la civilisation et l'universel.
Le mot « civilisation » fait son apparition au milieu du
XVIIIe siècle au moment où paraît
l'Encyclopédie, exactement en 1756 dans le traité, «
L'Ami des hommes » du Marquis Mirabeau1053. Ce mot ne
désignait pas seulement un état, mais un acte, et exprimait
à sa façon l'idée du progrès humain, voire la
progression de l'humanité toute entière. Aujourd'hui, le mot
« civilisation » semble difficilement définissable, car il est
un mot défini en fonction du domaine de compétence de celui qui
veut le définir. Autrement dit, il est un mot qui se définit en
fonction des disciplines. Il n'a pas la même définition en
histoire et en philosophie. Sa définition diffère,
également, en sociologie, en anthropologie et en ethnologie.
En dehors de toute préoccupation d'analyse et
d'approfondissement, lorsque nous parlons de civilisation, nous entendons par
ce mot un certain nombre d'acquisitions qui a influencé la vie
culturelle d'un peuple donné dans un contexte socio-économique et
politique dans lequel se déploie celui-ci. Mieux, la civilisation porte
la marque d'une présence ou d'une intervention humaine. C'est à
cette intervention humaine au sens large, nous dit Georges Bastide, que nous
pensons, aujourd'hui, lorsque nous prononçons le mot de
civilisation.1054 Puis d'ajouter que
La civilisation nous apparaît donc comme une sorte de
monde où tout est à l'échelle humaine en ce sens que tout
y porte la marque de cette intentionnalité fondamentale par laquelle
l'homme s'affranchit des servitudes naturelles par le jeu d'un accroissement
quantitatif et qualitatif de ses désirs ainsi que les moyens de les
satisfaire.1055
André Maurois, quant à lui, affirme que «
la civilisation est une somme de connaissances et de souvenir
accumulés par les générations qui nous ont
précédés. »1056 Ce qui sera
confirmé par Georges Balandier et Jacques Maquet qui assertent que
« la civilisation est constituée d'objets
1053 Grand Larousse Encyclopédique, Tome III, 1960
1054 Georges BASTIDE, « Idée de civilisation
», Civilisation contemporaine, op. cit., p. 30 (Georges
BASTIDE, Mirages et certitudes de la civilisation, Paris, Privat,
1953)
1055 Idem., p. 31
1056 André MAUROIS, « Des livres et des
bibliothèques », Civilisation contemporaine, op.
cit., p. 180 (André MAUROIS, Le courrier de l'UNESCO, mai
1961).
301
faits par l'homme, de comportements
institutionnalisés, de représentations collectives alors qu'une
culture est l'héritage d'une société globale
déterminée. »1057 De ce fait, chaque nation
aurait sa propre civilisation. Ce qui suppose qu'il n'y a donc pas de
civilisation universelle.
Quant au mot « universel », en tant
qu'adjectif, désigne tout ce qui a une portée
générale, qui s'étend à tout, à tous et qui
est partout. Peut-on parler de civilisation universelle ? Si oui, comment
caractériser cette civilisation universelle ?
Il existe bel et bien une civilisation universelle. En effet,
aujourd'hui, nous assistons à une uniformisation inéluctable du
logement, du vêtement, de transport, de loisir, de bien-être et
d'information. En plus, dès qu'une invention est apparue en quelque
point du monde ou une découverte en un endroit quelconque du monde, elle
est promise à la diffusion universelle. Aussi, on peut rester chez soi
et savoir ce qui se passe de l'autre côté du monde. Enfin, se
développe un genre de vie de caractère universel qu'on peut
appeler mondialisation, et qui consiste à imposer un modèle de
vie à tous. Selon Paul Ricoeur, cette civilisation universelle se
caractérise par le caractère technique (l'esprit scientifique),
le développement des techniques (la technologie), l'existence d'une
politique rationnelle (la démocratie comme modèle de
gouvernance), l'existence d'une économie rationnelle universelle (le
capitalisme comme modèle de gestion financière et
économique), et l'uniformisation d'une culture de consommation et de
vie.1058 Il faut comprendre par-là que la civilisation
universelle, selon Paul Ricoeur, crée une morale très
éloignée de la fraternité des hommes, et nous invite
à une seule conception de vie, celle de l'Europe ou des
États-Unis d'Amérique, parce que la plus civilisée, en
présentant les autres conceptions de vie comme mauvaises et inhumaines,
voire barbares.
Le danger de cette civilisation universelle est le fait que la
culture ou la civilisation de chaque nation risque de disparaître, car
elle n'a de projet que pour les choses et non pour les hommes. En fait, cette
civilisation chosifie les hommes et personnifie les choses. Elle ne respecte
pas les particularités des autres cultures et civilisations. Elle ne
crée pas un monde d'aménité, de fraternité et
d'équité1059, mais un monde attrait de violences, de
crimes, d'inimitié et d'iniquité misant sur les machines. Elle
met, également, l'accent sur les moyens que sur son objectif ultime qui
est la réalisation de l'humanité. Elle ne se soucie pas de rendre
le monde plus humain ni du devenir de l'homme, mais elle le transforme en un
simple objet androïde ou objet-marchand. Et dans cette civilisation,
l'homme place toute son ambition dans
1057 Georges BALANDIER et Jacques MAQUET, Dictionnaire des
civilisations, op. cit., p. 27
1058 Paul RICOEUR, « Caractères de la civilisation
universelle », Civilisation contemporaine, op. cit., pp.
51-53 (Paul RICOEUR, Esprit, octobre 1961)
1059 François DE CLOSETS, « La civilisation
technicienne n'est encore qu'un pseudo-civilisation », Civilisation
contemporaine, op. cit., pp. 186-187 (Fançois DE
CLOSETS, Le bonheur en plus, Paris, Denoël, 1974)
302
l'accumulation des richesses et matériels au profit des
solutions qui puissent humaniser le monde.
Le mot « universel », employé comme
nom, renvoie à ce qu'il y a de commun dans les individus, dans tous les
êtres ; ce qui se vérifie dans chacun d'eux sans aucune exception.
Dans ce cas, ce qui est universel chez les humains est le sang. Il est rouge
tant chez les Blancs que chez les Noirs et les Jaunes. Tous les hommes, voire
tous les êtres, ont la même couleur de sang dans leurs veines et
artères. Et cela est vérifiable. Nous trouvons également
sur les quatre coins du globe les mêmes groupes sanguins et les
mêmes rhésus.
Parler d'une Civilisation de l'Universel revient à
parler d'une civilisation faite par tous les hommes de la terre ; d'une sorte
de monde où tout serait à l'échelle humaine. En ce sens,
tous les hommes seront frères, et « tous les fils de la
même Terre-Mère »1060. Elle est
l'unité finale vers quoi tout converge, et qui prend en compte toutes
les singularités et particularités de l'individu et des cultures.
Cette civilisation diffère de la civilisation universelle, car elle est
à construire.
La Civilisation de l'Universel, doit-on le rappeler, est une
notion de Teilhard de Chardin.1061 Elle est une sorte de
cosmogénèse dans laquelle s'intègre la
biogénèse, puis l'humain, l'hominisation et la noosphère
pour atteindre à l'arrangement social. Pour être plus explicite,
nous dirons qu'elle est l'évolution de l'homme vers un monde plus
humanisé. Elle est, également, l'union de tous les hommes en une
collectivité où les consciences s'illumineraient par leur
convergence. Mieux, elle est une sorte de totalisation sans
dépersonnaliser, d'union dans la diversité, d'acceptation des
différences et des identités propres inhérentes aux
différentes composantes de l'humanité tout en s'ouvrant aux
autres sans se dissoudre dans l'universel. Cette Civilisation de l'Universel
est une sorte de panthéiste et de complémentarité des
civilisations pour une unité dans la diversité afin d'humaniser
ou d'hominiser le monde terrestre.
Léopold Sédar Senghor emprunte la notion de
Civilisation de l'Universel à Teilhard de Chardin pour en faire le fer
de lance de la Francophonie. C'est à travers une trilogie qu'il
développa sa pensée sur la Civilisation de l'Universel :
Liberté 3, Ce que je crois, et Liberté
5. Cependant, on retrouve la même idée (sa pensée sur
la Civilisation de l'Universel) dans son oeuvre poétique. Abdoulaye
Diawara ne dit pas le contraire. Selon lui,
1060 Cf. « Élégie pour Martin Luther King
», Élégies majeures, op. cit., p. 302
(loc. cit.)
1061 Léopold Sédar SENGHOR, Pierre Teilhard de
Chardin et la politique africaine, Paris, éd. du Seuil, 1962, 102
p.
303
Senghor a beaucoup parlé de la Civilisation de
l'Universel. Nous l'avons dit, à travers ses `' Liberté», on
ne trouve pas moins de 50 fois le terme. Dans l'oeuvre poétique, la
même idée revient plusieurs fois sous des noms différents :
`'la conquête du monde innombrable», `'l'assemblée des
peuples», `'l'égalité des peuples fraternels», `'la
plaine ouverte à mille ruts» ; c'est de cela encore qu'il parle
quand il dit : `'bénis...tous les peuples d'Europe, tous les peuples
d'Asie, tous les peuples d'Afrique et tous les peuples
d'Amérique.1062
Chez Léopold Sédar Senghor, la Civilisation de
l'universel se veut métissage culturel fécond, qui assurerait une
intégration pacifique et parfaite des différents peuples, et qui
se situerait exactement au carrefour des valeurs complémentaires de
toutes les civilisations particulières.1063 Ce qui signifie
que la Civilisation de l'Universel devrait être la somme des apports
complémentaires de l'Afrique, de l'Europe, de l'Asie et de
l'Amérique.1064 En d'autres termes, la Civilisation de
l'Universel est la somme de la civilisation de la rationalité, de la
technicité, de la sensibilité et de l'émotivité.
Elle est une civilisation métisse, nous renseigne Marcien Towa :
La civilisation idéale, la Civilisation de l'Universel
dont il rêve « ne saurait être que métisse »,
synthèse « des beautés réconciliées de toutes
les races ». Le métissage culturel repose sur le métissage
biologique, puisque, selon notre auteur, les races produisent les civilisations
tout comme les arbres produisent des fruits : le manguier les mangues, le
pommier, les pommes.1065
Cette civilisation, selon Senghor, doit fonder un nouvel
humanisme : « Senghor a rêvé d'une Civilisation de
l'Universel qui passerait par un métissage biologique et culturel et qui
fonderait un nouvel humanisme. »1066 Ce nouvel humanisme
n'est rien d'autre que la Francophonie. Elle est définit par Senghor
comme étant « un Humanisme intégral, qui se tisse autour
de la terre », « une communauté spirituelle, une
noosphère autour de la terre ».
Fraternité universelle, métissage culturel et
biologique, enracinement dans ses propres valeurs culturelles et ouverture aux
autres cultures, dialogue des cultures, donner et recevoir,
complémentarité, union... tant de termes pour désigner
à la fois la Civilisation de l'Universel et la Francophonie. Il s'agit
de bâtir « le nouvel humanisme [qui ne] peut croître que
cette union »1067, c'est-à-dire l'union de toutes
les cultures. En fait, toute culture doit être
1062 Abdoulaye DIAWARA, « Le thème de l'unité
dans l'oeuvre poétique de L. S. Senghor », Mémoire de
Maîtrise, Université de Côte d'Ivoire, Faculté
des Lettres et Sciences Humaines, [sous la direction de Bernard Zadi Zaourou],
juin 1981, p. 34
1063 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
1, op. cit., p. 318
1064 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
3, op. cit.
1065 Marcien TOWA, Léopold Sédar Senghor :
Négritude ou Servitude ?, op. cit., p. 109
1066 Hamidou DIA, « Senghor et le sénégal : un
destin paradoxal », Dossiers thématiques, AFI, 2006, p.
357 1067 Gaston BERGER, « La culture de demain », Civilisation
contemporaine, op. cit., p. 227 (Gaston BERGER, « Le monde
en devenir », Encyclopédie Française, T. XX,
1959).
304
simultanément fécondée par les autres et
fécondante pour les autres. Senghor dit le nouvel humanisme naîtra
de l'apport de l'Africanité (la Négritude) et de la
Francité sans oublier les autres nations.
Intéressons-nous à présent aux textes
poétiques pour voir dans quelle mesure la Civilisation de l'Universel se
déploie dans la poésie senghorienne, et ce qu'elle implique. Quel
sens la poésie senghorienne donne alors à la Civilisation de
l'Universel ? Pour l'analyse, nous avons choisi quinze textes-extraits. Ce sont
« Pour Emma Payelleville l'infirmière », « Le retour de
l'enfant prodigue » (Chants d'ombre), « Poème
luminaire », « ÉTHIOPIE/À l'appel de la race
de Saba », « Prière des tirailleurs sénégalais
», « CAMP 1940/ Au Guélowar », «
Prière de paix » (Hosties noires), « Messages »,
« Chaka » (Éthiopiques), « Chants pour signare
» (Nocturnes), « Élégie des alizés
», « Élégie pour Jean-Marie », «
Élégie pour Philippe-Maguilen Senghor », «
Élégie pour Martin Luther King », «
Élégie pour Georges Pompidou » (Élégies
majeures).
Nous commençons l'analyse avec la superposition de deux
textes-extraits, à savoir « Le retour de l'enfant prodigue »
et « Chants pour signare ».
(Le retour de l'enfant prodigue)
Servante fidèle de mon enfance, voici mes pieds
où colle la boue de la Civilisation. (Po : 46)
(Chants pour signare)
Et je reposerai longtemps sous une paix bleu-noir Longtemps je
dormirai dans la paix joalienne
Jusqu'à ce que l'Ange de l'Aube me rende à ta
lumière
À ta réalité brutale et si cruelle, ô
Civilisation ! (Po : 172)
À travers ces deux textes-extraits superposés,
nous voyons s'accuser un réseau singulièrement sombre, celui
d'une civilisation méprisée (ou rejetée)
: la boue de la Civilisation, à ta
réalité brutale et si cruelle, ô Civilisation
!. Ce réseau associatif nous révèle qu'il y a une
abjection, un avilissement de la civilisation. Elle cherche à dominer ou
anéantir l'homme. Dans ce cas de figure, elle est brutale et cruelle. En
plus, elle établit des frontières entre les peuples et les races
:
Vous ignorez les restaurants et les piscines, et la noblesse au
sang noir interdite
Et la Science et l'Humanité, dressant leurs cordons de
police aux frontières de la négritude. (Po : 81)
Cette civilisation est rejetée par Senghor, car elle
est hostile à l'homme. Le rejet de cette civilisation s'explique du fait
que Senghor cherche à fonder une autre civilisation qui conduira
305
les hommes, noirs et blancs, vers de nouvelles relations
fraternelles ; une nouvelle civilisation qui permettra la réalisation de
toute la condition humaine, puisqu'un certain homme se profile et qui s'oppose
à cet homme écartelé entre les cultures, et de
surcroît est le résidu (la boue) de la brutale et cruelle
civilisation. Ce nouvel homme qui se profile doit être capable
d'assimiler les différentes cultures, mieux de les synthétiser.
Pour cela, Senghor doit saper la vieille civilisation, qui est, à ses
yeux, brutale et cruelle.
Il rejette cette civilisation considérée comme
abjecte, avilissante pour une Civilisation de l'Universel. Pour nous en
rassurer, nous superposerons le reste des textes-extraits.
(Pour Emma Payelleville l'infirmière)
Tu rompis les remparts décrétés entre toi et
nous, les faubourgs indigènes.
Ignorante de la technique des bureaux, sans livre sans
dictionnaire
Sans interprète aigu, tes yeux surent percer
l'épaisseur des remparts
Tes yeux le mystère lourd des corps noirs
Tes yeux pour leurs seuls yeux transparents de pure eau Tes
mains, sous la douceur charnelle des corps noirs Fraternelle douceur pour toi
seule
Tes mains découvrir, tes mains extirper les noeuds de
leurs misères
Que des génies hostiles séculairement n'avaient pu
faire si durs. (Po : 18-19)
(Poème liminaire)
Je sais que ce peuple de feu, chaque fois qu'il a
libéré ses mains
A écrit la fraternité sur la première page
de ses monuments Qu'il a distribué la faim de l'esprit comme de la
liberté À tous les peuples de la terre conviés
solennellement au festin catholique (Po : 54)
(ÉTHIOPIE/ À l'appel de la race de
Saba)
La Marseillaise catholique.
Car nous sommes là tous réunis, divers de teint -
il y en
a qui sont couleur de café grillé, d'autres bananes
d'or
et d'autres terre des rizières
Divers de trait de costumes de coutumes de langue, mais
au fond des yeux la même mélopée de
souffrances à
l'ombre des longs cils fiévreux
Le Cafre le Kabyle le Somali le Maure, le Fân le Fon le
Bambara le Bobo le Mandiago
Le nomade le mineur le prestataire, le paysan et l'artisan
le boursier et le tirailleur
Et tous les travailleurs blancs dans la lutte fraternelle.
Voici le mineur des Asturies le docker de Liverpool le
Juif chassé d'Allemagne, et Dupont et Dupuis et tous
les
gars de Saint-Denis. (Po : 59)
(Prière des tirailleurs sénégalais)
Que l'enfant blanc et l'enfant noir - c'est l'ordre
alphabétique -, que les enfants de la France
confédérée
306
aillent main dans la main
« Tel que les prévoit le Poète, tel le couple
Bemba-Dupont
sur les monuments aux Morts
« Que l'ivraie de la haine n'embrasse pas leurs as
dépé-
trifiés
« Qu'ils progressent et grandissent souriants, mais
terribles
à leurs ennemis comme l'éclair et la foudre
ensemble. (Po : 69)
(CAMP 1940/Au Guélowor)
« Il s'agit bien du nègre ! il s'agit bien de l'homme
! non !
quand il s'agit de l'Europe. »
Guélowâr !
Ta voix nous dit l'honneur l'espoir et le combat, et ses
ailes s'agitent dans notre poitrine
Ta voix nous la République, que nous dresserons la
Cité dans le jour bleu
Dans l'égalité des peuples fraternels. Et nous nous
répon-
dons : « Présents, ô Guélowâr !
» (Po : 71)
(Prière de Paix)
O bénis ce peuple qui rompt ses liens, bénis ce
peuple aux abois qui fait front à la meute boulimique des puissants et
des tortionnaires
Et avec lui tous les peuples d'Europe, tous les peuples d'Asie,
tous les peuples d'Afrique et tous les peuples d'Amérique
Qui suent sang et souffrances. Et au milieu de ces millions
de vagues, vois les têtes houleuses de mon peuple.
Et donne à leurs mains chaudes qu'elles enlacent la
terre
d'une ceinture de mains fraternelles
DESSOUS L'ARC-EN-CIEL DE TA PAIX. (Po : 94)
(Messages)
Et les discours exacts rythmés dans les hautes
assemblées circulaires ; et ce fut parmi les guelwârs de la
paroles. (Po : 105)
(Chaka)
LE CORYPHÉE
Là-bas le soleil au zénith sur tous les peuples de
la terre. (Po : 131)
(Élégie des alizés)
C'est en l'honneur des hommes rassemblés. (O. Po : 263)
(Élégie pour Jean-Marie)
Durant les douze et une lunes, nous l'avons tous pleuré
Seize si longues nuits, nous l'avons tous veillé, les
Blancs
Les Noirs
Dans la cire et l'encens, dans l'alcool et la graine de kola.
[...1
Tu as fait l'homme unique à l'image du Dieu unique
Tu t'es fait Nègre Jean-Marie parmi les Nègres.
[...1
Dans la communion des hommes des âmes, des nations et
des confessions
Et il n'y a plus, sur toute la surface de la terre, une seule
terre ignorée. (O. Po : 275-279)
(Élégie pour Philippe-Maguilen Senghor)
Et tout comme des frères, le maitre-de-terre et
l'aveugle aux mains d'antennes, le mendiant chassieux
307
Le Noir et le Toubab tout blanc, les hommes du Soleil
levant
L'Arabe et le Berbère, le Maure, mon petit-Maure
Mon Bengali, comme nous t'appelions, le Tousti, le Houttou. (O.
Po : 290)
(Élégie pour Martin Luther King)
Alors je reconnus, autour de sa Justice sa Bonté,
confondus
les élus, et les Noirs et les Blancs
Tous ceux pour qui Martin Luther avait prié.
Confonds-les donc, Seigneur, sous tes yeux sous ta barbe
blanche :
Les bourgeois et les paysans paisibles, coupeurs de canne
cueilleurs de coton
Et les ouvriers aux mains fiévreuses, et ils font rugir
les
usines, et le soir ils sont soûlés d'amertume
amère.
Les Blancs et les Noirs, tous les fils de la même
Terre-Mère. (O. Po : 302)
(Élégie pour Georges Pompidou)
Ainsi qu'à ceux qui aimèrent leur terre : leur
peuple
Et tous les peuples, toutes les terres de la terre dans un
amour oecuménique
Et qui tinrent fidélité à leurs amis. Ami,
quand tu seras au
Paradis
Avec saint Georges, je te prie de prier pour moi
Qui suis un pécheur d'avoir tant aimé : amabam
amare. (O. Po : 319)
Les groupes qui peuvent se former à partir de ces
extraits nous renvoient à une seule réalité, celle
d'être ensemble ou de vivre ensemble avec nos différences. Cette
réalité est le sème qui se lire à travers les
groupes d'idées et d'images qui se manifestent dans les extraits
superposés. Ce qui n'a pas été une aisance pour nous
d'établir les réseaux associatifs que la superposition des
extraits souligne. En dépit de tout ceci, nous essayons de mettre en
relief les réseaux associatifs qu'accuse la
superposition.1068 Nous avons, à cet effet :
- Le rapprochement : rompis les remparts
décrétés, percer l'épaisseur des remparts, extirper
les noeuds, l'enfant blanc et l'enfant noir, aillent main dans la main,
progressent et grandissent, rompt, enlacent la terre d'une ceinture,
conviés solennellement
- Le rassemblement (communauté) : tous
réunis, le Cafre, le Kalyle le Somali le Maure, le Fân, le Fon, le
Bambara, le Bobo, le Mandiago, le nomade, le mineur, le prestataire, le paysan
et l'artisan, le boursier et le tirailleur, tous les travailleurs, le mineur
des Asturies, le docker de Liverpool, le Juif chassé d'Allemagne, Dupont
et Dupuis et tous les gars de Saint-Denis, les enfants de la France
confédérée, ensemble, la République, la
Cité, tous les peuples d'Europe, tous les peuples d'Asie, tous les
peuples d'Afrique et tous les peuples d'Amérique, les hautes
assemblées circulaires, tous les peuples de la terre, des hommes
rassemblés, les Blancs, les Noirs, la communion des hommes des
âmes, des nations et des confessions, sur toute la surface de la terre,
une seule terre ignorée, le maître-de-terre, l'aveugle, le
mendiant
1068 Vous verrez qu'il y a une répétition de la
même idée sous une autre forme. Vous nous permettez, cependant, de
faire avec, car c'est ce qui fait la psychocritique.
308
chassieux, le Noir, le Toubab, les hommes du soleil levant,
l'Arabe, le Berbère, le Maure, mon petit Maure, le tousti, le houttou,
les élus, les Noirs et les Blancs, tous ceux, les bourgeois et les
paysans paisibles, coupeurs de canne, cueilleurs de coton, les ouvriers aux
mains fiévreuses, les Blancs et les Noirs, tous fils de la même
Terre-Mère, tous les peuples, toutes les terres de la terre.
- La fraternité : fraternelle douceur,
la fraternité, la lutte fraternelle, égalité des peuples
fraternels, des mains fraternelles, comme des frères.
- L'unité : tous réunis, main dans
la main, L'ARC-EN-CIEL DE TA PAIX, confondus, confonds-les donc, leurs amis,
ami.
- La connaissance (naturelle) de l'autre :
ignorante de la technique des bureaux, sans livre, sans interprète aigu,
des génies hostiles [...] n'avaient pu faire si durs
- L'altruisme : que l'ivraie de la haine
n'embrasse pas leurs pas, un amour oecuménique, un pécheur
d'avoir tant aimé
- L'universalité : au festin
catholique, la Marseillaise catholique, oecuménique.
Par ces différents réseaux, nous pouvons dire que
la Civilisation de l'Universel chez
Senghor se caractérise par le rapprochement, le
rassemblement, la fraternité, l'unité, la connaissance de
l'autre, l'amour et l'universalisation. D'après la lecture de ces
réseaux associatifs, pour s'universaliser, il faut que les individus,
les peuples et les nations se rapprochent, se rassemblent, fraternisent,
s'unissent et se connaissent mutuellement et s'aiment davantage. C'est le sens
même de la Civilisation de l'Universel chez Léopold Sédar
Senghor. Elle entrevoit de nouveaux rapports entre les peuples et les nations,
appuyés sur la volonté de vivre ensemble sans heurts, et sur la
participation sans faille de tout un chacun, dans le but de se
développer ensemble, comme le souligne-t-il :
Pour se développer, les civilisations doivent se
respecter, s'enrichir de leurs
différences pour converger vers l'Universel que Teilhard
de Chardin annonçait à l'aube du troisième
millénaire.1069
Nous voyons, également, que Senghor prône une
communauté où toutes les races seront égales en
dignité, où les frontières seront brisées entre les
nations, où les barrières raciales seront détruites. Une
communauté imaginaire et idéale est bâtie. Et Michel
Guillou de dire que cette communauté est la Francophonie :
[...] bâtir la francophonie, c'est donner vie à
une communauté imaginaire, inventée par le Président
Léopold Sédar Senghor, voulue par les mouvements associatifs.
[...] Dès 1955, Léopold Sédar Senghor, alors
Secrétaire d'État dans le gouvernement Edgar Faure, proposait, en
concertation avec Habib Bourguiba en résidence surveillée en
France, d'établir un `' Commonwealth à la
française» qui
1069 Léopold Sédar SENGHOR, Allocution lors de
l'inauguration de l'Espace culturel qui porte son nom, Verson, 18 mars 1995,
op. cit.
309
regrouperait les nations employant le français comme
langue nationale, langue officielle ou langue de culture.1070
La communauté idéale voulue par Senghor doit
converger vers la Civilisation de l'Universel. En effet,
La Civilisation de l'Universel est, selon lui, d'une grande
importance et nécessité, car elle surmonte les barrières
et frontières nationales et enclenche une communication, un dialogue
productif entre les peuples et cultures. Par ce concept, Senghor appelle
à franchir les barrières culturelles et linguistiques et à
mettre en oeuvre un échange mutuel et fécond entre les peuples
à travers leurs particularités et valeurs
culturelles1071.
Cela sous-entend que la Civilisation de l'Universel doit
permettre aux peuples de tous les pays du monde de pouvoir regarder
au-delà des frontières et exprimer leur désir de vivre
ensemble, de conforter leurs valeurs, de valoriser leur langue, leurs coutumes
et leurs cultures, en considérant que désormais leur pays est la
communauté des hommes unis dans toute leur diversité. Ce qui
signifie qu'aucune civilisation ne peut s'ériger en civilisation
universelle du fait que toutes les civilisations, selon Senghor, doivent
construire la Civilisation de l'Universel. En d'autres termes, la Civilisation
de l'Universel est la symbiose de toutes les civilisations différentes,
puisque ce sont toutes les nations, tous les peuples qui doivent y prendre
part. Et Ibrahim Diop d'asserter que
La Civilisation de l'Universel est à proprement parler
l'expression d'une humanité nouvelle qui résulte du
métissage culturel et du triomphe des différences ethniques et
culturelles. Senghor présente la Civilisation de l'Universel comme
l'expression de la diversité dans l'unité, c'est-à-dire
que tous les peuples, toutes les nations prennent part à un
échange transnational, universel1072.
La définition donnée à la Francophonie
dans la revue Esprit par Senghor s'apparente à celle de la
Civilisation de l'Universel mise en évidence par ses oeuvres
poétiques. En effet, ses efforts pour la mise en oeuvre du concept de
Francophonie se justifient par sa volonté et sa quête d'un facteur
de rapprochement entre les peuples et les civilisations.1073 Avec la
Francophonie, il envisageait d'édifier une communauté culturelle
à laquelle vont prendre part tous les pays, tous les peuples et toutes
les races pour articuler des valeurs linguistiques et culturelles communes.
Dans cette communauté, aucune nation ne dominera et ne donnera le ton ;
il
1070 Michel GUILLOU, Francophonie-Puissance,
l'équilibre multipolaire, Paris, Éditions Ellipses,
Collection
« Mondes-réels », 2005, p. 7 et p. 18.
1071 Ibrahim DIOP, « Senghor entre Francophonie et dialogue
interculturel », op. cit., p. 15
1072 Idem., p. 16
1073 Ibidem., p. 12
310
n'existera pas de frontières entre les nations ni de
barrière raciale entre les peuples. Cette communauté sera
francophone, et « leur véritable pays c'est la langue
française dans toute sa diversité. »1074 La
Francophonie est, au sens senghorien, cette Civilisation de l'Universel qui
n'est qu'un projet d'humanisation du monde face aux répercussions de la
mondialisation de la civilisation universelle. Elle a une fonction
unificatrice, et oeuvre pour un dialogue fructueux, un échange
enrichissant d'idées, de valeurs linguistiques et culturelles entre les
peuples et les nations. Dans cette logique, Senghor affirme que « la
Francophonie est un merveilleux instrument de plein épanouissement,
liberté, participation à la civilisation humaine
»1075, c'est-à-dire la Civilisation de l'Universel.
Il s'agit pour le poète d'organiser le monde à partir d'un
dialogue interculturel dans le sens d'un échange égalitaire et
d'une appropriation libre et volontaire des valeurs d'autrui. Pour Senghor, il
est question de s'enrichir de nos différences pour converger vers
l'universel, de contribuer au dialogue des cultures, facteur de relations
pacifiques entre les communautés et les composantes de la
société. De ce fait, la Francophonie est, chez lui, un projet de
rencontre, de communication des cultures, capable de construire l'homme,
autrement dit la civilisation humaine. Cette civilisation est le fait que
chaque individu apporte un peu de ce qu'il a, et qui diffère de l'autre
pour l'équilibre, l'harmonie de l'humanité.
Léopold Sédar Senghor a voulu que son oeuvre
poétique soit l'expression de la Civilisation de l'Universel, mieux de
la Francophonie. À ce fait, il a accordé une grande valeur au
dialogue enrichissant, fécond, libre et égalitaire entre les
peuples et cultures sans pour autant occulter ou ignorer les
particularités culturelles, les différences identitaires de
certains peuples, dans sa poésie. La culture est d'une grande importance
dans son oeuvre poétique, parce que conscient du fait « qu'il
n'y a pas de civilisation sans culture car l'effort culturel est lui-même
la principale valeur de la civilisation ».1076 Nous
pouvons dès lors affirmer que la Civilisation de l'Universel est la
culture francophone.1077 Nous comprenons à présent
pourquoi la Civilisation de l'Universel doit être faite des valeurs
complémentaires de tous les continents, de tous les peuples et de toutes
les cultures.
1074 Jean-Pierre ASSELIN DE BEAUVILLE et al., « Les
identités francophones », Rue Descartes 2009/4
(n°66), p. 85
1075 Léopold Sédar SENGHOR, Allocution lors de
l'inauguration de l'Espace culturel qui porte son nom, Verson, 18 mars 1995,
op. cit.
1076 Idem.
1077 Jean-Pierre ASSELIN DE BEAUVILLE et al. estiment qu'il n'y a
pas de culture francophone : « Un minimum de réalisme s'impose si
l'on veut prendre au sérieux la Francophonie comme pôle
identitaire significatif et crédible puisque l'on ne saurait parler au
sens propre d'une culture francophone qui pourrait constituer une
matrice commune. Dès lors, le seul fondement possible de la
Francophonie comme projet culturel et donc identitaire, c'est le pluralisme
culturel comme choix délibéré de valoriser le fait de la
diversité culturelle de ce regroupement volontaire ».
(Jean-Pierre ASSELIN DE BEAUVILLE et al., « Les identités
francophones », op. cit., p. 70)
311
L'universalisation est, chez Senghor, ce que présentent
les cultures de chaque nation avec toutes leurs différences et
particularités. Elle doit converger vers une même perception du
monde et de l'homme sans affrontement, sans barrières et sans
frontières. Avec la poésie, Senghor a voulu conduire les hommes,
Noirs et Blancs, vers de nouvelles relations fraternelles dans une vision
humaniste de partage et d'échange mutuels. Son but était le
rapprochement et la réconciliation sur les fondements d'une civilisation
intégrée, et l'attention mutuelle de la dignité de la
personne humaine. En fait, l'éloge de la Civilisation de l'Universel
fait par Senghor, à travers sa poésie, était dans le but
de nous préparer à accepter ce qui devrait être le seul fer
de lance de ses actions poétiques et politiques : la Francophonie, car
elle est un humanisme de synthèse de toutes les énergies
spirituelles et culturelles, à la fois, unies et diverses,
répandues sur toute la terre ; une sorte de noosphère à
construire.
La Civilisation de l'Universel est un concept emprunté
par Léopold Sédar Senghor à Teilhard de Chardin pour
désigner la civilisation humaine et culturelle qui sera faite par la
conjugaison de tous les peuples et toutes les cultures d'horizon divers. Cette
civilisation ne réduit pas l'homme à un simple objet-marchand ou
une simple machine. Au contraire, elle a pour rôle de rendre le monde et
les hommes plus humains. En fait, il ne faut pas confondre cette civilisation
avec la civilisation universelle qui s'apparente à la mondialisation. En
effet, la civilisation universelle piétine les cultures et
l'identité de chaque peuple. Elle consiste à imposer une seule
culture, une seule manière de vivre et de voir les choses. Mieux, elle
est la culture d'un seul peuple ou d'une seule nation qui s'érige en une
civilisation universelle en imposant aux autres peuples et nations ses valeurs
culturelles et techniques dans le but de demeurer la civilisation dominante.
Elle dicte aux autres ce qu'ils doivent faire.
Pour que la civilisation demeure universelle, elle doit
phagocyter les autres civilisations et cultures, et ignorer les valeurs
humanistes qu'elle inhume. Cette civilisation est rejetée par Senghor,
car elle cherche à dominer, à anéantir et corrompre
l'homme. Pour Senghor, cette civilisation est avilissante, abjecte, car elle
détourne l'homme de ce qui devrait être son but principal,
c'est-à-dire de l'homme lui-même. Le rejet de cette civilisation
par Senghor s'explique du fait qu'il veut restaurer l'Homme, car il est
l'essence de toute culture.1078 Pour cela, il faut un autre type de
civilisation qui conduirait tous les hommes vers de nouvelles relations
fraternelles, plus humaines afin de réaliser toute la condition humaine.
Au lieu d'une
1078 Antoine de SAINT-EXUPÉRY, « Il faut restaurer
l'homme », Civilisation contemporaine, op. cit., p. 265
(Antoine de SAINT-EXUPÉRY, Pilote de guerre, Paris, Gallimard,
1943)
312
aliénation culturelle, il faut plutôt une
symbiose culturelle, une parfaite cohabitation culturelle, qui ne
néglige aucune particularité culturelle de chaque peuple, de
chaque nation, de chaque race et culture. Senghor propose à la place de
la civilisation universelle la Civilisation de l'Universel.
La question fondamentale en cette moitié du
21ème siècle est celle de montrer comment et en quel
sens un peuple peut s'ouvrir sur l'extérieur sans perdre son âme,
son identité et sa culture. Il n'est plus question de
réfléchir ou de spéculer, mais d'agir, car la
réponse à toutes les préoccupations est sous nos yeux : il
s'agit, selon Senghor, de construire la Civilisation de l'Universel, qui est
une civilisation humaine, au lieu de faire la propagande de la civilisation
universelle. La participation sans faille de chaque peuple, de chaque race et
nation est requise, et nécessaire. Cette participation implique le
rapprochement des cultures et des peuples. Ce rapprochement va à son
tour engendrer une communauté, une communauté fraternelle et
humaine dans laquelle chaque individu apprend à se connaître et
à connaître l'autre, à s'aimer et à aimer l'autre,
à s'unir et à vivre ensemble avec les différences.
D'où la Civilisation de l'Universel. Toutes les cultures doivent
converger vers cette communauté idéale, qui se définit
comme une communauté métisse, une noosphère, un Humanisme
intégral où dans une vibrante unanimité, toutes les races
mêlées, Noirs, Arabes, Berbères, Européens,
Américains, Asiatique, clament leur appartenance à une
communauté capable de valoriser leur différente culture. Cette
communauté n'est rien d'autre que la Francophonie. Elle est la
communauté de ces peuples « si dissemblables et si semblables
f...] ces peuples rassemblés pour le même combat
»1079, celui de la culture et de la langue
francophones.
Les termes pour désigner la Civilisation de l'Universel
ou les valeurs véhiculées par la Civilisation de l'Universel sont
celles que la Francophonie défend et promeut. La Francophonie est
l'expression de la Civilisation de l'Universel. Elle invite les nations
à briser les frontières et les barrières de
méfiances et raciales afin de permettre aux hommes de vivre ensemble et
d'être des partenaires égaux. La Civilisation de l'Universel qui
se lit dans la poésie senghorienne est plutôt la culture
francophone. Cette culture, fidèle à ses origines et en
état de créativité sur le plan de l'art, de la
littérature, de la philosophie, de la spiritualité, est capable
de supporter la rencontre des autres cultures, non seulement de la supporter,
mais de donner un sens à cette rencontre1080, à la
participation de toutes les cultures.
1079 Léopold Sédar SENGHOR, « Prière
des tirailleurs sénégalais », Hosties noires,
op. cit., p. 69
1080 Paul RICOEUR, « Comment est possible une rencontre
des cultures diverses », Civilisation contemporaines, op.
cit., p. 248 (Paul RICOEUR, Revue Esprit, octobre 1961)
313
La culture francophone peut se définir comme
étant l'unité culturelle dans la diversité culturelle.
Elle est une culture métisse que partage un groupe de personne de
cultures ou de civilisations différentes. Elle est aussi une culture qui
emprunte à toutes les races, à toutes les cultures, à
toutes les civilisations et à tous les continents. Cette culture se veut
préserver l'identité culturelle de chaque peuple et de chaque
nation dans un monde, sujet d'uniformisation, où l'on cherche à
imposer une seule culture, une seule conscience à tous les hommes comme
modèle. Ce qui explique les crises, les guerres aujourd'hui est
l'universalisation d'une seule culture, d'une seule religion, d'une seule
doctrine, d'une seule opinion. La culture francophone, au contraire, se veut
l'apport de cultures, de religions, de doctrines et d'opinions diverses, dans
le respect des particularités et de l'identité de chaque
composante. La Civilisation de l'Universel, chez Senghor, est tout simplement
la Francophonie, mieux la culture francophone.
Notre troisième chapitre a mis en évidence les
raisons culturelles de Léopold Sédar Senghor dans le choix de la
Francophonie. Ce sont la culture africaine, l'ouverture culturelle et
l'éloge de la Civilisation de l'Universel. Parlant de la culture
africaine, nous avons vu qu'elle a été
désintégrée par la colonisation. Conscient de ce fait,
Senghor estime la nécessité de réhabiliter les cultures
propres aux Négro-africains en les intégrant dans un mouvement de
la révolution culturelle, car elles ont le droit d'y participer. Ayant
découvert les potentialités des cultures africaines et les
richesses dont elles regorgent, il s'est convaincu qu'elles peuvent
façonner l'homme et participer à l'établissement du nouvel
humanisme. En fait, elles sont caractérisées par une sorte
d'humanisme panthéiste où la primauté est accordée
à la raison intuitive, qui selon Senghor, doit être la
panacée de l'humanité, et doit réinventer un humanisme
moderne. Il a voulu ériger la raison intuitive en mode de connaissance
participant pleinement de la rationalité discursive. Pour cela, il nous
faut nous dépayser dans notre propre origine, c'est-à-dire
revenir à nos sources culturelles d'origine, nous enraciner pour
être un interlocuteur valable dans le grand débat des cultures,
comme le dit Paul Ricoeur1081, et qui est chez Senghor, l'ouverture
culturelle.
Quant à l'ouverture culturelle, elle est une sorte de
dialogue des cultures dans lequel chaque culture en interaction donne sa
particularité et reçoit de l'autre sa particularité.
Senghor a appelé cette interaction le rendez-vous du donner et du
recevoir. À ce rendez-vous, l'Afrique
1081 Idem., p. 248
314
viendra avec sa culture, autrement dit avec la raison
intuitive ou émotive qui est autant nécessaire que la raison
technicienne et la raison discursive (rationnelle). Au lieu d'un choc culturel
comme l'envisage Samuel Huntington1082, l'ouverture culturelle
permettra l'assimilation des valeurs culturelles reçues sans faire
perdre l'âme et l'identité des cultures, des pays et nations. Elle
facilitera le libre-échange et la libre circulation des personnes et des
cultures. En fait, par l'ouverture culturelle, Senghor voulut faire
l'éloge d'une culture francophone, d'une culture qui doit être
construite par l'apport complémentaire de toutes les cultures. En
réalité, il faisait allusion à la Civilisation de
l'Universel.
La Civilisation de l'Universel est un concept emprunté
à Teilhard de Chardin par Léopold Sédar Senghor pour
mettre en évidence sa vision d'un monde plus humain. Elle ne doit pas
être confondue avec la civilisation universelle, qui existe bel et bien.
Elles ne disent pas la même chose. La civilisation universelle est une
sorte de mondialisation qui consiste à anéantir les cultures pour
ériger une seule culture comme modèle de la civilisation
idéale sans se soucier du sort de l'humanité qui décline.
Quant à la Civilisation de l'Universel, nous disons qu'elle est une
union dans la diversité et elle consiste à rassembler toutes les
cultures en vue d'un échange mutuel dans lequel aucune culture ne
prétend être la supérieure, mais partenaire égale.
Cette civilisation met l'accent sur le rapprochement des cultures et la
participation de chaque peuple et chaque nation. Elle est une civilisation
métisse, présentée par Senghor comme la civilisation
idéale, car elle n'anéantit pas les cultures et n'altère
pas l'identité culturelle des peuples et des nations. En plus, l'homme
est au centre de ses préoccupations ; il est l'essence de cette
civilisation. La Civilisation de l'Universel est, également, une
civilisation où les cultures convergent vers une communauté
idéale et humaine, de valeurs culturelles et humanistes, vers un
Humanisme intégral. Cette communauté idéale et humaine est
la Francophonie.
Léopold Sédar Senghor rejette la civilisation
universelle pour prôner la Civilisation de l'Universel qui favorise le
rapprochement, le rassemblement, la fraternité, l'unité, la
connaissance de soi et de l'autre, et l'amour de soi et de l'autre. Avec la
Civilisation de l'Universel, il ne devrait plus exister de frontières
entre les nations, plus de barrières entre les cultures et les peuples.
Avec la Francophonie, les francophones devraient regarder au-delà des
frontières et exprimer leur désir de vivre ensemble. La
Civilisation de l'Universel et la Francophonie sont l'expression de
l'unité culturelle dans la diversité. En fait, pour parler de la
Civilisation de l'Universel, il a fallu que Senghor découvre d'abord la
civilisation africaine, et
1082 Samuel HUNTINGTON, Le choc des civilisations, O.
Jacob, Paris, 1997, 545 p.
315
puis la civilisation occidentale.1083 La
Civilisation de l'Universel résulte de la conjugaison de ces deux
civilisations puisqu'elles doivent converger ensemble vers une civilisation
intégrale et participer ensemble à la construction d'un nouvel
humanisme. Pour parler de civilisation, il faut qu'il y ait une culture, c'est
la raison pour laquelle la Civilisation de l'Universel n'exclut aucune culture,
et que l'on parle de culture francophone.
La culture francophone qui sous-tend la Civilisation de
l'Universel est la symbiose des valeurs culturelles données et
reçues au rendez-vous du donner et du recevoir. Cette culture se veut
préserver l'identité culturelle de chaque peuple et de chaque
nation tout en brisant les frontières entre les nations, et les
barrières entre les cultures et les peuples pour prévenir les
dérives que peut engendrer la civilisation universelle. Elle est la
manifestation concrète de deux humanismes : l'humanisme nègre et
l'humanisme occidental pour un Humanisme intégral qui nous invite, par
nos différents apports et sans complexe, à participer à la
communauté culturelle qui est la Francophonie.1084 À
vrai dire, la Civilisation de l'Universel est une de ces nombreuses
métaphores pour désigner la Francophonie qui est l'aboutissement
d'un long processus, qui se veut apport d'émotion et supplément
d'âme, et d'intuition à la rationalité et à la
technicité occidentale, et asiatique. La Civilisation de l'Universel et
la Francophonie sont donc les deux faces d'une même pièce d'argent
chez Léopold Sédar Senghor. La rencontre des cultures, des
civilisations, des peuples, des nations et des races doit aboutir à la
Francophonie. Désormais, il n'est plus question de parler de
Civilisation de l'Universel chez Senghor, mais de la Francophonie, car elle est
cet Humanisme intégral de demain qui se tisse autour de la terre. Elle
est aussi cette Civilisation de l'Universel à laquelle aspirait
Senghor.
Les raisons qui ont précédé la
résurgence de la Francophonie chez Léopold Sédar Senghor
sont de trois ordres : d'abord des faits historiques, mis en évidence au
chapitre un ; puis des raisons personnelles, vues au chapitre deux ; et enfin
les raisons culturelles, mises en relief au chapitre trois.
Le chapitre un a permis d'appréhender les faits
historiques. À travers ce chapitre, nous avons su qu'il existe une
filiation historique entre l'Afrique et l'Europe, voire la France. Cette
filiation est qualifiée d'historique, parce qu'elle a été
tissée depuis la traite négrière en passant par la
colonisation et son instrument l'école (la politique d'assimilation).
L'étude de ces faits
1083 Abdoulaye DIAWARA, op.cit., p. 34
1084 René GNALÉGA, Senghor et la Civilisation
de l'Universel, op. cit., p. 123
316
historiques montre qu'ils n'ont pas été de
véritables oeuvres civilisatrices, mais des crimes contre
l'humanité, car ils sont marqués par des massacres et la vente
des peuples noirs. Cependant, Senghor voit en ces oeuvres des canaux de contact
entre deux civilisations permettant à deux races de se rapprocher et de
se connaître. En fait, bien qu'il en dénonce, Senghor sublime la
brutalité, l'hostilité de cette rencontre historique entre
l'Afrique et l'Europe pour retenir le caractère positif de cette
rencontre, qui, pour lui, est une rencontre enrichissante de part et d'autre.
Cette rencontre brutale et hostile, aussi qu'elle soit, a eu des doses de
fraternité qui lient les Africains et les Européens dans une
possible communauté de destins historiques. Cette communauté de
destins historiques est appelée la France
confédérée par Senghor, car il s'agit des colonies
françaises liées à la France. Plus tard, cette
communauté a pris l'appellation de la Francophonie.
Les faits historiques sont, aussi, mis en évidence par
la participation des Africains aux différentes guerres mondiales,
surtout à la deuxième guerre mondiale à laquelle Senghor a
pris part. Pendant la guerre, les Noirs et les Blancs étaient des
frères d'armes, et se sont unis pour défendre la
République, c'est-à-dire la France. Senghor recherche ou veut
valoriser cette unité et cette fraternité, lorsqu'il rappelle
cette participation sanglante. La participation des Noirs aux
différentes guerres est un sacrifice dans le seul but de sauver
l'humanité comme le Christ. En fait, ce sacrifice dont parle Senghor
à partir de la participation des Noirs aux différentes guerres
est le sacrifice de la Négritude. Il sacrifie la Négritude pour
annoncer l'avènement d'un monde de fraternité et de paix. Ce
monde de fraternité et de paix sera traduit par la volonté de
vivre ensemble sans haine comme des enfants de la France
confédérée, des enfants de la communauté des
francophones.
Pour vivre ensemble sans haine, il faut qu'il y ait le pardon.
La volonté de pardonner l'amène à la réconciliation
et à l'acceptation de l'autre. Pour cela, les Africains doivent
pardonner pour donner une chance à l'avènement du monde de
fraternité et de paix où les races et les nations vivront en
harmonie. Le pardon auquel Senghor invite les Africains est celui de leur
humanisme. Cet humanisme se veut redéfinir la race humaine. Il est plus
humain et sait vaincre la haine, et sait pardonner pour s'ouvrir aux autres.
Nous retenons, du chapitre un, que Senghor voulait à tout prix conserver
de façon vivace les liens qu'une histoire et des
références historiques communes avaient créés avec
la France.
Le chapitre deux nous a permis de mettre en relief les raisons
personnelles de Léopold Sédar Senghor. À cet effet, nous
avons relevé trois raisons : la dilection de la langue française,
la volonté d'africaniser le français et le choix du peuple
noir.
317
Ce sont la clarté et la logique du français qui
ont influé sur Senghor à tel point qu'il qualifie la langue du
colonisateur de gentillesse et d'honnêteté, voire la langue des
dieux. Il désigne, également, cette langue de langue humaniste et
universaliste qui structure la pensée et développe l'esprit
critique. Bien qu'imposée par la colonisation à travers la
politique de l'assimilation dont l'instrument fut l'école, Senghor l'a
choisie pour exprimer sa pensée et transmettre son message au monde. Et
à force de la pratiquer, il s'est ancré dans la langue
française au point de la faire sienne. Remarquant qu'elle n'est plus la
propriété exclusive de la France, Senghor invite ses locuteurs
à s'unir et à s'organiser pour la valoriser. L'idée de
fonder une communauté et celle de la Francophonie est ainsi née.
Cependant, cette langue n'est pas apte à exprimer les
réalités africaines. Pour qu'elle soit apte à le faire, il
faut qu'elle soit insufflée de vocables africains, voire d'autres
contrées. Cette volonté d'africaniser le français a
engendré un type de français appelé français
africanisé.
Le français africanisé est l'expression de la
diversité linguistique et de la double culture de ses locuteurs dans la
mesure où cette langue est fécondée par l'apport des
langues africaines et par l'influence des autres langues auxquelles elle a
emprunté et calqué des formes, des images et des expressions.
Cette langue n'oblitère pas la logique et la clarté de la langue
française. Au contraire, elle l'enrichit et la valorise. En fait, elle
assure la survie du français et donne la preuve que ses locuteurs
maîtrisent à la fois le français et la leur. Le
français étant une langue essentielle (abstraite) et les langues
négro-africaines des langues existentielles (concrètes), la
rencontre ou le contact de ces langues a engendré une langue hybride,
métisse. Il s'agit d'un français métissé avec le
français africanisé. Cette langue mérite que des
spécialistes s'y intéressent, car elle est la langue de la
Francophonie.
Dans la marche vers la Civilisation de l'Universel, Senghor
refuse que le peuple noir reste à la traine. Pour cette raison, il a
endossé plusieurs fonctions ou missions pour restituer à l'homme
noir et sa culture la place et le rôle essentiels qu'il a dans l'histoire
et dans cette marche. Il voulut réaliser l'homme noir, valoriser l'homme
noir et sa culture et sa civilisation, revendiquer son droit à
l'existence et à la liberté, réécrire son histoire
déformée, défendre les valeurs humanistes de sa culture et
l'unir aux autres hommes. Il est convaincu que la Francophonie est capable de
libérer le peuple noir et de l'aider à l'ouverture et à
entrer dans une civilisation qui favorise la fraternité universelle.
Le dernier chapitre a abordé les raisons culturelles de
Léopold Sédar Senghor. La véritable raison de la
renaissance de la Francophonie, selon lui, est d'ordre culturel. En effet, la
Francophonie est culture par essence. Pour parler d'une culture francophone, il
faut parler des autres cultures ou de sa propre culture. Senghor ne se
dérobe pas. Il commence par l'éloge de
318
la culture africaine, puis de l'ouverture culturelle pour
aboutir enfin à la Civilisation de l'Universel.
Il présente la culture africaine comme un humanisme qui
ne dissèque pas l'homme, mais considère chaque individu comme une
médiation de l'autre. La culture africaine appréhende l'homme
dans son entièreté, dans son intégralité. Elle est
un humanisme intégral et intuitif (émotif). Il invite
l'humanité à s'approprier cette culture, surtout les Africains,
par un enracinement. Ayant la ferme conviction que cette culture peut
façonner l'humanité et participer à la réalisation
d'un nouvel humanisme, Senghor opte pour l'ouverture culturelle. La culture ne
doit pas être un but à soi mais un moyen d'ouverture à
l'autre.
L'ouverture culturelle implique le dialogue des cultures et le
rendez-vous du donner et du recevoir. En effet, à travers le dialogue et
les échanges d'idées et de cultures, chacun trouve une place, se
sent écouté, accepté et valorisé. L'ouverture
culturelle doit permettre à tout un chacun d'être un interlocuteur
valable dans le grand débat des cultures, d'avoir des connaissances des
cultures autres que les siennes. Ce qui constitue une richesse ; car elle
permettra l'assimilation des valeurs culturelles sans oblitérer
l'identité culturelle de tout un chacun. En fait, il s'agit d'apporter
et de donner ce qu'on a, et de recevoir de l'autre ce qu'on n'a pas. Ce qui
fait dire que l'ouverture culturelle est une communication et un échange
entre les cultures ; mieux, c'est une symbiose de cultures. Cette symbiose dans
les poèmes de Senghor se veut universel, ce qui signifie que l'ouverture
culturelle présentée par Senghor a pour finalité la
Civilisation de l'Universel.
Cette civilisation résulte de l'apport de toutes les
cultures en dialogue, autrement dit, la symbiose des différentes
civilisations, puisque ce sont toutes les nations, tous les peuples et toutes
les races qui doivent la construire. En fait, la marche vers une Civilisation
de l'Universel suppose au préalable, non seulement, un retour vers soi,
sans quoi aucune participation à l'universel n'est possible, mais
également une ouverture à l'autre, inscrivant ainsi les cultures
dans la diversité. De ce fait, la Civilisation de l'Universel serait une
sorte d'unité dans la diversité qui, pour Senghor, mettra en
évidence sa vision d'un monde plus humain. Cette civilisation s'oppose
carrément à la civilisation universelle. La civilisation
universelle valorise une langue, une culture, une religion et une pensée
uniques. La Civilisation de l'Universel, quant à elle, est l'expression
d'un Humanisme intégral, puisqu'elle valorise les langues, les cultures,
les religions et les pensées diverses. Avec cette civilisation, il ne
devrait plus avoir de frontières et de barrières entre les
peuples et les nations, les races et les cultures. La Civilisation de
l'Universel peut être réduite à la culture. Dans ce cas, il
s'agit de la culture francophone. Cette culture est l'ensemble des valeurs
culturelles que se partagent les locuteurs de la langue
319
française. C'est en ce sens que nous avons dit que
l'aboutissement de la Civilisation de l'Universel est la Francophonie. La
Civilisation de l'Universel et la Francophonie sont deux faces d'une même
médaille chez Léopold Sédar Senghor. La Civilisation de
l'Universel n'est rien d'autre que la Francophonie.
La Francophonie est aujourd'hui un des concepts de la
diversité culturelle, un des outils de ce dialogue des civilisations
à construire, un des espaces de cohabitation indispensables pour
éviter la prophétie du choc des civilisations. Cette Francophonie
dans la poésie de Léopold Sédar Senghor est d'abord
Apports complémentaires de toutes les civilisations ; puis
Enracinement culturel et Ouverture culturelle ; ensuite Dialogue
des cultures ; et enfin Unité et Fraternité. Elle
se veut aussi Rapprochement et Rassemblement des peuples,
Communauté fraternelle (la communauté des francophones),
Connaissance de soi et de l'autre, et Amour et Respect de soi et
de l'autre. Elle est également Humanisme intégral
(considération de l'homme dans son intégralité).
Cette Francophonie fait la promotion d'une langue commune (le
français africanisé) et d'une culture commune (la
culture francophone). Elle est à construire et à rechercher selon
Senghor. C'est pourquoi, nous estimons que l'Organisation Internationale de la
Francophonie (OIF) qui n'est qu'une représentation concrète du
concept de Francophonie doit poursuivre l'oeuvre de Senghor, celle de la
réalisation de la Francophonie (la Civilisation de l'Universel), telle
que présentée dans sa poésie. En fait, l'OIF s'est
lentement éloignée de la Francophonie senghorienne. Aussi,
sommes-nous en mesure d'affirmer que la poésie de Senghor est le
manifeste de la Francophonie, cette Francophonie définie et
présentée, par lui, dans la revue Esprit de 1962, et
mise en évidence dans la première partie de notre travail. Il n'y
a point de différences entre la Francophonie de la revue et celle de sa
poésie. Elle est une somme de liens tissés entre
différents peuples, librement acceptés par tous, et
décidés de converger tous ensemble vers un même
idéal. Et la poésie senghorienne est portée par l'espoir
de créer une civilisation, fédérant les cultures
par-delà leurs différences, et cela a été
conceptualisé par la Francophonie. Autrement dit, la Francophonie, selon
lui et au travers de sa poésie, est de s'enraciner dans sa culture pour
s'ouvrir à la culture française qui est méthode et
rationalité. Mieux, la Francophonie, chez Senghor, est le fait de puiser
en sa culture les ressources nécessaires pour enrichir
l'humanité, et ce, à travers la langue française
fécondée des autres langues, en particulier celles de
l'Afrique.
À l'issue de cette deuxième partie, nous
retenons que Senghor défend l'idée d'une Francophonie qui
conduirait à la Civilisation de l'Universel. Cependant, les
réseaux associatifs étudiés dans cette partie
révèlent l'image d'une personne résignée à
l'idée d'une mission civilisatrice universelle de la langue et de la
culture françaises capables de féconder les langues
320
et les cultures africaines. Et l'expression de cette
résignation est la Francophonie. Par la Francophonie, il entend
concilier à la fois l'homme noir et l'homme blanc dans une parfaite
harmonie. Pour cette raison, il la définie comme un Humanisme
Intégral. Mieux, il la conçoit comme enracinement en soi,
confirmation de soi et ouverture à l'autre, comme un instrument de
contribution à l'humanisme. Cependant, l'enjeu du débat en cette
moitié du 21ème siècle est de montrer comment
et en quel sens un peuple peut s'ouvrir sur l'extérieur sans perdre son
identité, sachant que l'identité se construit et se transforme
tout au long de l'existence ; sachant également que la revendication
identitaire a été pour chaque peuple la délivrance de leur
condition humiliée et aliénée. Dans le cas de la
Francophonie, pour que vive le français africanisé, il faut qu'il
soit pour celui qui le parle l'expression possible de son identité,
quelle que soit son origine. Cela veut dire qu'il s'agit à travers la
Francophonie d'exprimer ou de trouver son identité. De ce fait, nous
pensons que la Francophonie est une problématique identitaire chez
Léopold Sédar Senghor. Pour s'en assurer, il faut à
nouveau interroger ses oeuvres poétiques pour voir s'il existe une
identité francophone.
PARTIE III :
LA FRANCOPHONIE, UNE PROBLÉMATIQUE IDENTITAIRE CHEZ
LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR
322
La question identitaire est plus que jamais
d'actualité. Parler de l'identité peut être sujet à
caution, voire controverse, car cette notion, loin d'être aussi simple,
est complexe, contradictoire et paradoxale. En effet, l'identité d'une
personne ne se limite pas à ses caractéristiques biologiques,
elle s'acquiert à travers un processus d'ordre symbolique dans lequel
une personne se construit comme être social en devenir, comme sujet et
non comme un simple atome1085, comme le disent également Jean
Tardif et Joëlle Farchy :
Contrairement à une acceptation courante
l'identité n'est jamais donnée, elle n'est pas réductible
aux caractéristiques biologiques ou physiques d'un individu, à ce
qui en lui est stable ou invariant, pas plus qu'aux indications
consignées sur une carte d'identité administrative
délivrée par l'État. L'identité s'acquiert à
travers un processus subjectif, dynamique et ouvert, par lequel une personne se
construit dans un contexte historique et social complexe et changeant.
L'identité est le mode interaction propre à chaque individu et
par lequel il se définit comme être social en devenir, comme sujet
et non comme atome social1086.
Comme on le voit, il y a une identité biologique,
physique et une identité qui s'acquiert. Ce qui signifie que la notion
d'identité se rapporte à plusieurs paramètres allant de la
manière dont l'individu se perçoit et s'inscrit dans le temps
jusqu'aux multiples modalités permettant la reconnaissance de
celle-ci.1087 L'identité est de plus floue, fugace, multiple,
mobile et dé-corporalisée. Autrement dit, elle est un processus
évolutif, adaptatif, régulateur, pluriel, qui n'est jamais stable
et acquis une bonne fois pour toute.1088 Elle n'est pas une
donnée stable et définitivement acquise, mais le produit
d'histoire dans laquelle elle s'inscrit.1089 Cependant, chaque
individu possède quelque chose d'unique qui lui permet de se
définir et de s'identifier par rapport aux autres. Elle est unique.
Chacun possède sa propre identité : « Mon
identité, c'est ce qui fait que je ne suis identique à aucune
autre personne »1090, mais elle se construit par rapport
aux autres. Elle ne peut également se séparer de
l'altérité : « L'identité se construit,
se
1085 Jean-Pierre Asselin de BEAUVILLE et al., « Les
identités francophones », Rue Descartes 2009/4
(n°66), p.68
1086 Jean TARDIF et Joëlle FARCHY, Les enjeux de la
mondialisation culturelle, édition Hors Commerce, Paris, 2006, p.
50
1087 Assa Syntyche ASSA, Migration et Quête de
l'identité chez quatre romanciers francophones : Malika MOKEDDEM, Fawzia
ZOUARI, Gisèle PINEAU et Maryse CONDE, Thèse, Montpellier,
Université Paul Valery - Montpellier III, 2014, 415 p. [Sous la
direction du Professeur Guy DUGAS], p.10
1088 Samira BOUBAKOUR et Amina MEZIANI, « Des rives et
des langues : Identités et appartenances chez des auteurs francophones
» Synergies Algérie, n° 17 - 2012, p. 133
1089 Albert CHRISTIANE, « Introduction », in
Francophobie et identité culturelles, Karthala, Paris, 1999, p.
8 1090 Amin MAALOUF, Les identités meurtrières, Grasset,
Paris, 1998, p. 18
323
définit, s'étudie dans le rapport à
l'autre ; elle est indissociable du lien social et de la relation à
l'environnement. »1091 Elle oscille entre
l'altérité et la similarité, nous le dit Marc Edmond :
L'identité se propose ainsi, au niveau même de sa
définition, dans le paradoxe
d'être à la fois ce qui rend semblable et
différent, unique et pareil aux autres. Elle oscille entre
l'altérité radicale et la similarité totale.1092
Toutefois, l'identité, chez Paul Ricoeur, est
définie à la fois comme étant la mêmeté et
l'ipséité, et impliquant l'unicité, l'identique, la
continuité, la permanence, la pluralité, la différence, la
discontinuité et la diversité.1093 Salman Rushidie,
dans son ouvrage Les Patries imaginaire, affirme à la
conclusion que l'identité est une donnée à la fois
plurielle et individuelle.1094 Quant à Édouard
Glissant, il parle de multiplicité,
d'hétérogénéité et de pluralité avec
sa théorie du rhizome.1095
En plus, étymologiquement dans le mot identité,
il y a l'idée d'unicité et d'unité. Dans tous les cas,
l'identité implique des notions telles que l'évolution, la
pluralité, l'expérience personnelle. Elle n'est ni figée
ni unilatérale ; elle est, par nature, un chantier jamais achevé,
processus par essence composite. L'identité peut être aussi
collective et culturelle. Dans ce cas, l'individu est identifié par des
traits culturels et par rapport à un groupe qu'il soit familial,
ethnique, national, sexuel, linguistique, religieux ou artistique.
De tout ce qui précède, nous voyons qu'il y a
une quasi impossibilité de dire avec certitude ce que l'identité
est exactement. Néanmoins, il ressort qu'elle est à la fois
unique et plurielle. Unique, par les traits physiques et physionomiques (c'est
ce qui fait qu'on n'est identique à aucune autre personne). Plurielle,
du fait qu'elle relève du sentiment, du moral, du mental, de la
psychologie, du social, du statut professionnel, de l'état civil.
Cependant, ce que nous remarquons est que l'identité n'est pas
permanente, car les éléments qui peuvent constituer la permanence
sont changeants, variables. Cela veut dire qu'à côté de la
langue, du nom, de la filiation, de la région, du pays, de la nation, de
l'appartenance à une communauté sociale et religieuse, de
l'opinion, il y a d'autres facteurs à prendre en considération
dans la définition de l'identité. À cet effet, Myriam
Louviot laisse entendre que « [...] l'identité est
désormais conçue
1091 Lucy BAUGRET, L'identité sociale, Dunod,
Paris, 1998, p. 17
1092 Marc EDMOND, Psychologie de l'identité : soi et
le groupe, Dunod, Paris, 2005, p. 26
1093 Cf. Paul RICOEUR, « L'identité narrative »,
Esprit, n°7-8, 1998, pp. 295-314
1094 Cf. Salman RUSHIDIE, Patries imaginaires, Christian
Bourgeois, Paris, 1993
1095 Cf. Édouard GLISSANT, Traité du
Tout-Monde, Poétique IV, Gallimard, Paris, 1997
324
comme un récit complexe, en perpétuelle
évolution, et, non plus comme une donnée de base.
»1096
Parler de l'identité chez Léopold Sédar
Senghor revient à montrer la façon dont il se construit l'image
qu'il a de lui-même en fonction des contextes sociaux dans lesquels il a
fréquentés et des apprentissages sociaux dans lesquels il est
impliqué. Senghor fait de l'identité une préoccupation
fondamentale et un thème majeur dans son oeuvre poétique : «
L'identité est, en effet, un thème majeur et revêt des
formes diverses dans l'oeuvre poétique de Senghor »1097.
L'identité est intimement liée à l'idée de
quête dans le discours poétique. C'est la raison pour laquelle,
Hamidou Dia dit que « tout poème d'une certaine manière
est une quête »1098. Chez Senghor, la quête
identitaire est une aventure ambiguë, car « cette quête
part de la prise de conscience d'un vide existentiel à la volonté
de le combler par le processus du retour »1099 sans
vraiment la réaliser. La quête identitaire chez Senghor
s'opère alors comme une métaphore obsédante. Il refuse de
renier son être, son origine tout en assimilant la langue et les valeurs
de l'Occident. Il ne peut également pas se réclamer une
identité unique et précise, car son existence est marquée
du sceau du métissage, qu'il soit biologique, culturel ou linguistique.
Il oscille entre deux cultures ; il se construit une identité qui se
vit, se pense et s'écrit dans l'entre-deux.
Obsédé par la recherche d'une identité,
« la quête identitaire dans [son] oeuvre poétique [...]
s'impose comme un parcours fondamental qui [le] conduit vers des horizons
toujours nouveaux »1100. En effet, dans l'oeuvre
poétique de Senghor, il s'agit d'une identité dynamique, car on
assiste à une véritable quête identitaire. Cette
quête identitaire s'accompagne d'un retour aux essences, aux sources, et
d'une ouverture à d'autres essences et à d'autres sources. Il se
donne le devoir de se créer, de s'inventer, de se forger une
identité, dite identité francophone. Qu'est-ce que
l'identité francophone ? Quelles sont les origines de la quête
identitaire chez Léopold Sédar Senghor ? Comment se
conçoit l'identité francophone dans sa poésie ?
La question identitaire en Francophonie est également
d'actualité, et cela s'explique du fait de la modernité, de la
mondialisation, des déplacements, des nouvelles technologies de
l'information et de la communication. Elle est une problématique, et les
points de vue sont partagés.
1096 Myriam LOUVIOT, Poétique de l'hybridité
dans les littératures postcoloniales, Thèse de doctorat,
Strasbourg, Université de Strasbourg, UFR de Lettres
Modernes, Littérature comparée, 17 septembre 2010, 948
p. [Sous la direction de François-Xavier Cuche], p.7
1097 René GNALÉGA, Senghor et la Civilisation
de l'Universel, op. cit., p. 92
1098 Préface de À mi-chemin de
Véronique TADJO, L'Harmattan, Paris, 2000, p. 7
1099 René GNALÉGA, Senghor et la Civilisation
de l'Universel, op. cit., p. 85
1100 Idem., p.83
325
Henri Lopès et Daniel Maximin estiment qu'il n'y a pas
d'identité francophone.1101 Pour Henri Lopès, «
la langue serait l'un des éléments caractéristiques de
l'identité », or il n'y a pas de langue francophone, donc,
pour lui, il ne peut pas exister une identité francophone. Autrement
dit, personne ne parle le francophone, ni écrit en francophone. La
Francophonie, dans ce sens, est de la lumière d'étoile morte,
elle n'a plus le droit à la parole et à l'existence.1102 Quant
à Daniel Maximin, les Francophones « sont différents,
ils sont distincts ; il n'y a donc pas une identité francophone, et on
ne peut être qu'un dictateur si on essaie de la fabriquer dans un but
politique. » Jean Tardif pense qu'il existe une identité
francophone, mais elle « ne se confère pas, elle se construit
et peut même être délaissée. Ce qui importe donc
réellement, ce sont ceux qui se considèrent comme
parlants-français et qui se comportent comme tels autrement que de
façon purement occasionnelle ou marginale ».1103
Ken Bugul affirme que tout le monde est Francophone, et que personne ne se
situe à la périphérie :
J'entends par Francophonie l'usage et le vécu d'une
langue commune à des pays
qui ont en partage la langue française. Il n'y a donc
pas d'auteurs `'français». Tout le monde est francophone et
personne ne se situe à la périphérie.1104
Michel Guillou définit le Francophone comme
étant celui qui parle la langue de l'autre et qui refuse
l'uniformisation linguistique et culturelle ; c'est celui qui est ouvert en
conservant sa spécificité.1105 Quant à Alain
Mabanckou, être Francophone, c'est être dépositaire de
culture, d'un tourbillon d'univers, bénéficier certes de
l'héritage des lettres françaises, mais apporter surtout sa
touche dans un grand ensemble, et cette touche brise les frontières,
efface les races, amoindrit la distance des continents pour ne plus
établir que la fraternité par la langue et
l'univers.1106 Tahar Ben Jelloun affirme qu' « est
considéré comme francophone l'écrivain
métèque, celui qui vient d'ailleurs et qui est prié de
s'en tenir à son statut légèrement décalé
par rapport aux écrivains français de souche.
»1107 Le Tchadien Nimrod nous invite à bannir
l'épithète « francophone » de notre vocabulaire, car il
n'y a pas d'écrivains francophones.1108
1101 Jean-Pierre Asselin de BEAUVILLE et al., « Les
identités francophones », op. cit., p.74 et p.79
1102 C'est dans cette logique que s'inscrit le manifeste «
Pour une littérature-monde en français », paru dans Le
Monde des livres du 16 mars 2007 ou Pour une
littérature-monde, publié chez Gallimard sous la direction
de
Michel Le Bris et Jean Rouaud, en mai 2007. Ils se veulent l'acte
du décès de la Francophonie.
1103 Jean-Pierre Asselin de BEAUVILLE et al., « Les
identités francophones », op. cit., p.70
1104 Ken BUGUL, Magazine littéraire de mars 2006
(cité également par Jean Foucault, « Parler le
francophonais », op. cit., p. 20)
1105 Michel GUILLOU, Francophonie : Demain, il sera trop
tard, p.3
1106 Alain MABANCKOU, « La Francophonie, oui, le ghetto, non
! » Le Monde|18.03.2006 à 13h57. Mise à jour
le 18.03.2006 à 13h57
1107 Tahar Ben JELLOUN in Pour une
littérature-monde, Paris, Gallimard, 2007, p. 117
1108 Bena Djangrang NIMROD, in Pour une
littérature-monde, idem., p. 234
326
Comme le dit Josefiana Bueno Alonso, «
l'identité francophone se présente comme une configuration
d'éléments multiples »1109 qui «
émerge à partir de la déconstruction d'une
littérature dominante et d'une langue dominante et elle est
marquée par l'hétérogène
».1110 Elle est l'affirmation d'une façon
d'être et d'agir dont les valeurs dépassent le sens commun et
s'imposent aux hommes quelle que soit leur origine, leur race et leur
nationalité. C'est-à-dire qu'être Francophone, c'est
reconnaître et valoriser une langue et une culture
fécondées et fécondantes. Selon Dominique Wolton, «
cinq caractéristiques permettent de cerner l'identité
francophone : linguistique, géographie et spatiale, civilisationnelle,
politique.[...] Par conséquent l'identité repose sur le fait
d'appartenir à une communauté de langue ou bien, de s'y rattacher
en parlant français »1111. Il poursuit ses propos
en disant que
L'identité est une réalité dont chaque
francophone est dépositaire, qu'il ressent et
vit de façon particulière, mais dont chacun
n'est propriétaire et qui ne répond pas à une conception
unique.1112
Si nous comprenons très bien, le fait d'appartenir
à une communauté de langue, de surcroît la langue
française, fait de l'individu un Francophone. Et, à juste titre,
il ajoute en affirmant que « toute identité est d'abord un
patrimoine en commun, que l'on accepte, que l'on subit, auquel on adhère
ou non, mais qui existe ».1113 Cela suppose que dans
l'appréhension de l'identité francophone, la langue y joue un
rôle central, et que la question identitaire se pose partout où le
français est parlé ou (et) enseigné. Dans tous les cas,
tous les critiques s'accordent pour dire que l'identité francophone est
dynamique et plurielle et qu'elle est à construire avec les autres.
En ce qui nous concerne, nous avançons que
l'identité francophone est, à la fois, une identité-refuge
et une identité culturelle relationnelle. En effet, c'est la langue
française qui a établi un lien de solidarité entre les
peuples. Cette langue reflète l'identité de tous ces peuples
unis. Elle est le symbole d'identité des Francophones. Cette
identité ne va-t-elle pas faire perdre (ou renoncer à)
l'identité spécifique de chaque parlant-français ? Senghor
estima que
La francophonie ainsi présentée dans ses
dimensions géographiques et humaines, nous devons évoquer le lien
unit ces quarante-deux pays : la langue française. Mais il est moins
question de cette langue que de la civilisation dont elle est le
véhicule, plus exactement de son esprit : de la culture
française. Cependant, s'il n'était question que
1109 Josefina Bueno ALONSO, Francophonie plurielle :
L'expression d'une nouvelle identité Culturelle, p. 689. Disponible
sur http ://
www.dialnet.unirioja.es/descarga/articulo/1011658.pdf
1110 Idem., p. 687
1111 Dominique WOLTON, « L'identité francophone dans
la mondialisation », Cellule de réflexion stratégique de
la Francophonie (CRSF), Décembre 2008 (collaboration avec
Cathérine Mandigon et Aurélien Yannic), p. 17
1112 Idem., p. 33 1113 Ibidem., p. 33
327
de cela, comment pourrions-nous l'accepter sans renoncer
à notre identité, nous Négro-Africains, nous
Arabo-Berbères, Indochinois, Papous et Polynésiens, voire nous
Belges, Suisses, Canadiens ? Si nous acceptons comme objectif majeur de la
francophonie la défense et réalisation de la
francité, c'est qu'elle est liée, dans notre esprit,
comme dans la réalité historique, à la défense et
réalisation de nos cultures respectives.1114
Selon lui également, l'identité francophone ne
permettra pas le renoncement de l'identité propre de chaque
parlant-français. Alors comment Léopold Sédar Senghor
conçoit-il l'identité francophone sachant que sa Francophonie
présente une langue et une culture qui ne sont pas tout à fait
françaises ? Si chaque langue est intimement liée à
l'identité du peuple qui la parle, alors chez Senghor l'identité
francophone ne serait plus conditionnée par le critère de la
géo-spatiale, car il n'a jamais été question chez lui de
définir un espace, mais une communauté, une culture et une
langue. Le Francophone serait celui qui appartient à la
communauté, qui accepte la culture et la langue que Senghor a
définies avec sa conception de la Francophonie.
Chez Senghor, l'identité francophone serait
métissage et ouverture, car elle se construit à partir des
apports de tout un chacun, peut-on en déduire des propos de René
Gnaléga.
Il faudrait voir ici l'idée selon laquelle le point
culminant de l'identité
senghorienne dépasse des clivages pour s'ouvrir au
métissage qui est le nom d'un nouvel humanisme1115.
Nous retenons que l'identité francophone est une
identité métisse, unique et plurielle, c'est-à-dire une
identité définie comme une unité dans la diversité
ou dans la pluralité. Mieux, elle est une configuration
d'éléments multiples.1116
Il est question de voir comment Léopold Sédar
Senghor définit l'identité francophone dans sa poésie. Il
s'agit, également, de procéder à une approche nouvelle
d'analyse pour élucider la problématique de l'identité
dans la Francophonie.1117 Quatre chapitres permettent d'emprunter le
chemin périlleux de la quête identitaire dans la poésie
senghorienne afin de montrer que la Francophonie est l'expression de
l'identité-refuge de toutes les personnes se considérant
métisses linguistiquement, biologiquement et culturellement. Le premier
chapitre met en évidence l'identité rhizomique de Léopold
Sédar Senghor. Dans ce chapitre, nous montrons que Senghor cherche des
origines ataviques pour justifier son identité métisse
1114 Léopold Sédar SENGHOR, « Pour un
humanisme de la francophonie », Liberté 3, op.
cit., p. 277 1115 René GNALÉGA, Senghor et la
Civilisation de l'Universel, op. cit., p. 92
1116 Albert CHRISTIANE, « Introduction », in
Francophobie et identité culturelles, op. cit., p. 9
1117 Plusieurs critiques ont utilisé des approches structuralistes,
sémiologiques ou sémiotiques, voire linguistiques, diachroniques
ou synchroniques pour appréhender les identités. Quant à
nous, nous voulons procéder autrement en nous servant de la
psychocritique.
328
(identité multiple). « Il faut ajouter que la
quête identitaire touche aux racines de l'être puisqu'elle va
donner une place particulière aux liens de sang.
»1118 Pour cela, il fait appel à la thèse de
l'ancêtre portugais et des sangs mêlés. Le deuxième
chapitre donne les explications de la démarche entreprise par Senghor
pour se constituer une identité. Car, selon Toader Saulea,
[la] triple filiation identitaire : portugais,
sérère (Sédar, « qu'on ne peut humilier »),
chrétienne-impériale (Léopold), fait de lui le
métis exemplaire. Au carrefour des cultures et carrefour lui-même,
Senghor confirme, par son sang, sa parole et sa plume, aussi bien le mot de
Charles de Gaulle- « l'avenir est au métissage »- que celui du
sociologue Edgar Morin : « le métis doit être l'homme de
demain. C'est l'homme qui peut fonder son identité directement sur la
notion d'humanité »1119.
Nous voyons dans ce chapitre l'identité de l'entre-deux
et l'identité acculturée de Senghor. Le troisième
chapitre, quant à lui, vient corroborer l'identité francophone de
Léopold Sédar Senghor, qui pour, celui-ci, découle de
l'appréhension de l'homme dans l'univers.
Il reste que, pour les poètes francophones
d'aujourd'hui, ce qui compte d'abord,
c'est l'objet du poème, qui est une vision ontologique
de l'univers : de l'homme dans l'univers.1120
Cette identité francophone est une identité,
à la fois, humaniste et culturelle qui se fonde sur la notion
d'humanité. Dès lors et déjà, nous pouvons avancer
comme hypothèse, à partir de ces trois chapitres, que
l'identité francophone est une identité métisse,
fondée sur des valeurs humanistes et culturelles. Le quatrième
chapitre est le lieu où nous exposons une plausibilité de
définition de la poésie francophone. Il s'agit de donner les
contours et les caractéristiques de cette poésie, et si possible
ceux de la littérature francophone. Mieux, nous allons essayer de
construire une poétique de la poésie francophone au regard de
Léopold Sédar Senghor.
Avec la psychocritique de Charles Mauron, et peut-être
avec l'énonciation de Catherine Kerbrat-Orecchioni, nous allons
décrypter les différentes articulations ci-mentionnées. En
plus, cette partie se veut la synthèse des deux premières
parties. Nous nous efforçons, dans cette partie, de déceler le
mythe personnel de Léopold Sédar Senghor.
1118 René GNALÉGA, Senghor et la Civilisation
de l'Universel, op. cit., p.91 1119 Toader SAULEA, « Pour
une identité de rencontre : Senghor, l'Afro-Européen »,
Identité et multiculturalisme, Revue Roumaine d'Études
Francophones, n°.1/2009, p.37 1120 Léopold Sédar SENGHOR,
« Lettre à trois poètes de l'Hexagone », Dialogue
sur la poésie francophone, op. cit. (loc. cit.),
p. 379
329
CHAPITRE I : LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR ET LA
QUÊTE D'UNE IDENTITÉ RHIZOMIQUE
La poésie est une expression de la quête
identitaire. En effet, les poèmes permettent de se réfugier dans
ses rêves, de se créer un monde imaginaire, de transfigurer le
réel dans la perspective d'une vision du monde dans lequel le
poète se conçoit, se définit. Les poèmes deviennent
alors le lieu de réflexion et de questionnement identitaire pour le
poète, évidemment de son affirmation identitaire dans la
dialectique de l'altérité. La poésie,
l'expression de la quête identitaire, s'édifie
sur une perpétuelle hésitation (qui est à la fois tension)
entre l'extérieur et l'intérieur, le parcours et le repli,
l'absence et la présence, le réel et l'illusion, le départ
et le retour, le lieu d'origine et le lieu d'exil, le fermé et l'ouvert,
l'immobilité et le mouvement, le proche et le lointain, la parole et le
silence, le moi et l'autre, moi qui souvent se superpose à un
nous1121.
Autrement dit, le poète se met à
découvert dans sa poésie, et son écriture est porteuse
d'une identité multiple. Chaque individu, ayant en lui un vide
existentialiste, doit combler ce vide à sa
manière.1122 Tel est le cas du poète avec sa
poésie. La poésie devient ainsi une construction inconsciente de
l'identité, traduisant "un moi" qui sans cesse cherche à se
définir, à mettre en évidence « des contenus de
représentations de ce que l'on est, de ce que l'on devrait être et
de ce que l'on voudrait être, dans la durée, l'espace et les
diverses circonstances de la vie sociale »1123 afin de
combler le néant qu'il porte en lui.
L'oeuvre poétique se conçoit comme un journal
intime dans lequel le poète décrit sa propre identité et
évoque souvent ses souvenirs. Affirmer alors son identité n'est
point constant ni fixe, cela semble vouloir dire rechercher une
légitimité dans et par ses racines, dans et par sa
généalogie ou sa filiation.1124 La poésie
devient alors l'instrument de légitimation de l'identité
plurielle.
1121 Liliane FOALU, Identité et altérité
dans la poésie francophone contemporaine. Hypastases belges, [en
ligne], p. 276. Disponible sur
www.diacronia.ro/indexing/details/A5771/pdf
1122 d'Arcy HAYMAN, « L'art dans la vie de l'homme
», L'art dans la vie de l'homme, la science dans la vie de
l'homme, Unesco, Le Courrier, XIVe Année, numéro 7-8,
Juillet-Aout 1961, p. 13
1123 Geneviève VINSONNEAU, « Le
développement des notions de culture et d'identité : un
itinéraire ambigu », Carrefours de l'éducation
2002/2 (n°14), p.4.
1124 Muriel PLACET-KOUASSI, « Identité,
Légitimité et Rhizome dans Les deux fins d'Orimita Karabegovic de
Janine Matillon », Chimères, p.2
330
La poésie et la quête identitaire sont intimement
liées, à telle enseigne que la poésie est pour le
poète le terreau d'affirmer son moi comme il le conçoit ou le
vit. René Gnaléga laisse entendre, à ce propos, que «
[l]e vrai poète est sans cesse en quête de lui-même, de
ses origines ».1125 Léopold Sédar Senghor ne
déroge pas à cette logique. La notion d'identité est une
problématique dans sa poésie, et elle l'est tout autant pour la
communauté Francophone envisagée par lui. Ne se demandait-il pas
?
Ne suis-je pas fils de Dyogoye ? Je dis bien le Lion
affamé. (Po : 194)
Cet extrait de « Chant de l'initié »
révèle que la quête identitaire (la recherche de ce qu'il
est) est au centre même des préoccupations de Léopold
Sédar Senghor et de sa poésie. Il en a fait un thème
majeur de sa poésie. Cette quête est une obsession qui se lit
à travers l'emploi récursif des formules existentialistes et
identitaires (des formules permettant de parler de soi ou de son existence) :
Je suis, Je ne suis pas, ne suis-je pas...ainsi que
des formules de possession : J'ai,... renforcés par des
adjectifs possessifs : mon, ma, nos, mes... De sa quête, il
découvre que son père est, à la fois, Sérère
et Malinké, que sa mère est Sérère et Peule, et
qu'il avait « probablement une goutte de sang portugais ».
À cet effet, il dit :
Pour moi, c'est tout aussi complexe. Encore que je sois,
culturellement enraciné dans la sérénité,
mon père, sérère, était de lointaine origine
malinké avec un nom et probablement une goutte de sang
portugais, tandis que ma mère, sérère, était
d'origine peule.1126
Cette découverte montre bien qu'il a une
identité sérère, malinké, peule et portugaise. De
ce fait, Senghor se trouve « au croisement de trois ethnies africaines
»1127 et d'une européenne. Il s'agit bien d'une
identité rhizomique (d'une identité-rhizome), dans le cas de
Léopold Sédar Senghor. Qu'est-ce qu'une identité
rhizomique ?
Au lieu d'une racine principale donnant naissance à des
racines secondaires, le rhizome, quant à lui, est un ensemble de petites
racines sans racine principale qui se créent juste sous la surface de la
terre. Appliqué au concept de l'identité, l'on admet une
identité multiple, révélée par Deleuze et Guattari,
à travers leur ouvrage Mille plateaux. Capitalisme et
schizophrénie
1125 René GNALÉGA, Regard
kaléidoscopique sur la poésie ivoirienne écrite,
Paris/Abidjan, Doxa/PUMCI, 2018, p. 137
1126 Léopold Sédar SENGHOR, « Lettre à
trois poètes de l'Hexagone », op. cit., p. 370
1127 Idem., pp. 369-370
331
21128, que Glissant explicite mieux en l'opposant
à l'identité-racine dans Introduction à une
Poétique du Divers.1129 Pour Deleuze et Guattari, «
un rhizome comme tige souterraine se distingue absolument des racines et
radicelles. [...] Le rhizome en lui-même a des formes très
diverses, depuis son extension superficielle ramifiée en tous sens
jusqu'à ses concrétions en bulbes et tubercules
»1130, et fonctionne en principe de connexion et
d'hétérogénéité, de multiplicité, de
rupture asignifiante, et de cartographie et de décalcomanie. Le rhizome
est une extension biologique d'une plante vivace. Ce n'est pas une racine ; il
ne cherche pas à descendre profondément dans la terre, il n'y a
pas de verticalité. Il est composé de lignes qui
s'étendent horizontalement, et chaque ligne a sa propre vue et sa propre
indépendance, mais reliées les unes aux autres. Les lignes se
propagent par multiplication et par déterritorialisation. En d'autres
mots, le rhizome possède des formes multiples qu'on ne peut pas
réduire à la racine principale et à l'arbre. Il a
plusieurs racines indépendantes qui s'étendent dans toutes les
directions. Ainsi, le rhizome est hétérogène, parce que
composé d'éléments autonomes et différenciés
les uns des autres.
Édouard Glissant va alors appliquer ce concept à
l'identité. En fait, il emprunte le concept de rhizome à Gilles
Deleuze et Félix Guattari pour qualifier sa conception d'une
identité plurielle1131 qui s'oppose à
l'identité unique. À ce propos, il affirme :
Quand j'ai abordé la question [de l'identité],
je suis parti de la distinction opérée par Deleuze et Guattari
entre la notion de racine unique et la notion de rhizome. Deleuze et Guattari,
dans un des chapitres de Mille Plateaux (qui a été
publié d'abord en petit volume sous le titre le Rhizome),
soulignant cette différence. Ils établissent du point de vue du
fonctionnement de la pensée, la pensée de la racine et la
pensée du rhizome. La racine unique est celle qui s'étend
à la rencontre d'autres racines. J'ai appliqué cette image au
principe d'identité.1132
Par opposition au modèle des cultures ataviques, la
figure du rhizome, chez Glissant, place l'identité en capacité
d'élaboration des cultures composites, par la mise en réseau des
apports extérieurs. L'identité rhizomique, chez Glissant,
échappe à toutes les catégorisations, et prend
différentes formes, elle est mobile, hétérogène,
multiplicité. Elle est un modèle de circulation, d'interaction et
de fusion. Elle n'est pas contraire à l'enracinement ni au refus de la
racine-lieu-origine, mais opposition à l'exclusivité de cette
racine. Parler d'une quête identitaire
1128 Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, Mille plateaux.
Capitalisme et Schizophrénie 2, Éditions de Minuit,
Paris, 1980, pp. 13-20
1129 Édouard GLISSANT, Introduction à une
Poétique du Divers, Gallimard, Paris, 1996, p. 60
1130 Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, Mille plateaux.
Capitalisme et Schizophrénie 2, op. cit., p. 13
1131 Chez DESPESTRE, c'est plutôt une
identité-banian, faisant allusion à l'arbre sacré du
bouddhisme. (René
DESPESTRE, Le métier à métisser,
Paris, Stock, 1998, pp. 196-210).
1132 Édouard GLISSANT, op. cit., p. 60
332
rhizomique, chez Senghor, revient à montrer qu'il va
à la recherche de ses multiples racines identitaires pour justifier son
identité métisse.
La poésie senghorienne exprime l'état d'un sujet
« je » qui prend conscience de son identité mutilée par
la guerre, l'esclavage, la colonisation et le séjour en Europe, et qu'en
lui se mêlent, s'entremêlent et se démêlent plusieurs
cultures. Il est issu d'un peuple dont le passé est stigmatisé
par la colonisation. Ce sujet sait qu'il y a une distance entre son peuple et
lui ; qu'il est écartelé entre l'appel de l'Afrique et l'appel de
l'Europe. Il reconnaît qu'il est lui-même carrefour de plusieurs
cultures et identités. Le problème qui se pose est celui de la
justification de ce que ce « je » est au juste. Autrement dit, le
problème est de dire comment Senghor conçoit sa propre
identité ou explique son identité rhizomique.
Pour justifier son identité rhizomique, nous voyons
qu'il va s'octroyer des origines ataviques diverses, surtout une origine
européenne avec la thèse de l'ancêtre portugais. Il est
resté convaincu toute sa vie qu'il a une origine portugaise. Ce n'est
pas seulement par la thèse de l'ancêtre portugais qu'il se
définit comme métis ou ayant une identité plurielle, mais
aussi par la thèse des sangs mêlés. De ce fait, il prouve
que son inclinaison au métissage trouve des explications non seulement
dans sa propre famille, mais également ailleurs, c'est-à-dire
chez l'autre. Par ces théories, Senghor peut affirmer que le
métis est « un homme poreux, ouvert à toutes les
civilisations du monde »1133, qui se constitue une
identité avec les apports extérieurs, dite identité
rhizomique. Cette identité reflète l'image d'une personne qui
reconnaît avoir plusieurs identités et qui les exprime de
façon disparate, car estime-t-elle que ces identités sont
autonomes, indépendantes. Ce chapitre un permet de mieux
appréhender la thèse de l'ancêtre portugais et celle des
sangs mêlés. Pour mener à bien notre réflexion, nous
recourons à la psychocritique.
1133 Hans Jürgen LÜSEBRINK, « "Metissage",
contours et enjeux d'un concept carrefour », Études
littéeaires, vol.25, n°3, 1993, pp. 93-106
333
1. LA THÈSE DE L'ANCÊTRE PORTUGAIS
L'ancêtre est celui ou celle de qui l'on descend par son
père ou par sa mère. Lorsque Senghor parle de l'ancêtre
portugais, il insinue qu'il est descendant d'un portugais de par son
père. Ce qui signifie qu'il a une origine portugaise, voire occidentale.
Comment cela est-il possible ? N'est-il pas le fils d'un traitant ? Son
père n'est-il pas Dyogoye ? Avant d'interroger ses textes
poétiques, nous nous permettons de citer longuement Bernard Magnier qui
nous donne une tentative de réponses à nos différentes
questions susmentionnées.
LÉOPOLD, prénom chrétien qui fut aussi
celui du roi des Belges, alors « propriétaire » du Congo, et
qui trouva sa racine avec le mot « lion », tout comme Diogoye, le nom
porté par son père ; SÉDAR, prénom
sérère qui marque l'ancrage dans l'univers culturel de ses
parents eux-mêmes métis (« Culturellement enraciné
dans la sérénité, mon père, sérère,
était de lointaine origine malinké, tandis que ma mère,
sérère était d'origine peule ») ; et enfin SENGHOR,
« un nom et probablement, une goutte de sang portugais », une
déformation du mot « senhor », « maître » ou
« monsieur », comme l'on voudra... Ainsi déjà, par son
nom, Léopold Sédar Senghor est métis, Senghor est
multiple. Il ne convient donc pas de réduire à une seule image
celui qui n'a cessé d'être perçu comme trop africain pour
le continent européen, trop occidental pour ses
compatriotes1134.
Selon Bernard Magnier, Léopold Sédar Senghor,
par son nom, se révèle avoir plusieurs identités ou
plusieurs origines. Par son nom, Senghor se présente, également,
comme métis. Cependant, si Senghor est convaincu qu'il a un
ancêtre portugais, c'est qu'il est d'une assurance qu'il a des
ancêtres qui viennent de la Haute Guinée Portugaise (actuelle
Guinée Bissau). Son nom « Senghor » qu'il tient de son
père, dérivé d'un mot portugais, aurait une origine en
Haute Guinée Portugaise, porté soit par un aïeul, soit par
un pur Portugais. Si cela s'avérerait, ce qui signifie qu'il a
évidemment un ancêtre, soit Africain qui a pris un nom portugais,
soit Portugais de souche.
Pour confirmer ces hypothèses, passons à la
superposition de ses poèmes, tels que « Le message », «
Le totem », « Que m'accompagnent koras et balafong » (Chants
d'ombre) et « Prière des Tirailleurs sénégalais
» (Hosties noires).
(Le message)
Le Prince a répondu. Voici l'empreinte exacte de son
discours
1134 Bernard MAGNIER, « Léopold, Sédar,
Senghor », Mémoire Senghor, 50 écrit en hommage aux 100
ans du poète-président, Édition UNESCO, 2006, p.
105
334
« Enfants à tête courte, que vous ont
chanté les koras ?
« Vous déclinez la rose, m'a-t-on dit, et vos
Ancêtres les Gaulois. (Po : 17)
(Le totem)
Il me faut le cacher au plus intime de mes veines
L'Ancêtre à la peau d'orage sillonnée
d'éclairs et de foudre Mon animal gardien, il me faut le cacher
Que je ne rompe le barrage des scandales. (Po : 22)
(Que m'accompagnent koras et balafong)
Mais je vous laisse Pharaon qui m'assis à sa droit et
mon arrière-grand-père aux oreilles rouges. (Po : 33)
(Prière aux Tirailleurs sénégalais)
« Sur la terre que chantèrent en l'étape
perdue de mémoire nos ancêtres océaniens
La béatitude bleue méditerranéenne. »
(Po : 69)
La superposition de ces extraits nous donne le réseau
associatif suivant :
- Ancêtre occidental (Blanc) : vos
Ancêtres les Gaulois, l'Ancêtre à la peau d'orage
sillonnée d'éclairs et de foudre, mon animal gardien, mon
arrière-grand-père aux oreilles rouges, nos ancêtres
océaniens.
Par ce réseau, nous voyons que la quête identitaire
conduit Senghor en d'autres lieux. Il cherche
ses origines dans d'autres continents. Il se rend ainsi en
France (Ancêtre Gaulois...), en Océanie (Ancêtres
océaniens...). Dans tous les cas, ce n'est pas en Afrique qu'il cherche
d'abord ses origines, et cela suppose que ses origines sont soit
européennes soit océaniennes. Ce qui laisse croire que les
ancêtres en question ne sont pas de la race noire, mais, plutôt de
la race blanche ou métisse. Senghor estime que son ancêtre a
des oreilles rouges et une peau d'orage sillonnée
d'éclairs et de foudre. Il y a une dose d'incertitude à
telle enseigne qu'il refuse de propager la bonne nouvelle : « Il me
faut le cacher au plus intime de mes veines ». Il décide de
poursuivre sa quête identitaire afin de mieux appréhender celui
dont il prétend être descendant. En effet, l'identité est
ce qui caractérise l'homme, le distingue des autres, sa
spécificité, ce qui le particularise. En perdant son
identité, l'Africain a perdu son monde tel qu'il devrait être. Il
a besoin de se retrouver, se définir, se rencontrer, se
réapproprier son monde et ses représentations. Il a besoin de
récupérer sa culture, ses dieux, son être, sa
spiritualité, en un mot son identité. Cela passe par un retour
aux sources, ce que fit Senghor.
Cette quête identitaire l'emmène en Afrique
primitif. En Afrique, il fit une découverte, qui bouleversa toute sa vie
: l'origine de son nom « Senghor », et en même temps de son
« identité primordiale ».1135 Notre seconde
superposition permet de mieux expliciter la découverte de Senghor. Il
s'agit de « Élégie/Élégie de minuit »,
« Élégie des Saudades »
1135 Léopold Sédar SENGHOR, « Je lis
`'miroirs» », Lettres d'hivernages, op. cit., p.
242
335
(Nocturnes), « Sur la plage bercé », «
À quoi comment » et « Ta lettre ma lettre » (Lettres
d'hivernage).
(Élégie/Élégie de minuit)
Dans mes yeux le phare portugais qui tourne, oui vingt
quatre heures sur vingt-quatre
Une mécanique précise et sans reprit,
jusqu'à la fin des temps. (Po : 196)
(Élégie des Saudades)
J'écoute au fond de moi le chant à voix d'ombre des
sau-
dades.
Est-ce la voix ancienne, la goutte de sang portugais qui
Remonte du fond des âges ?
Mon nom qui remonte à sa source ?
Goutte de sang ou bien Senhor, le sobriquet qu'un capitaine
donna autrefois à un brave laptot ?
J'ai retrouvé mon sang, j'ai découvert mon nom
l'autre
année à Coïmbre, sous la brousse des
livres
[...]
Mon sang portugais s'est perdu dans la mer de ma Négri-
tude. (Po : 201-204)
(Sur la plage bercé)
Or je songe à la foi furieuse, à la tendresse
portugaise.
Saudades des temps anciens, et la brise était
fraîche et l'hiver-
nage humide
Saudades de mes nostalgies, je pense à l'Africaine,
à la Peule
d'or sombre
À toi. Ta goutte de sang ibérique, douceur et
ferveur comme
une fourrure.
Comme un plain-chant, non ! comme une berceuse
malinké. (Po : 229)
(À quoi comment)
Je vis la vague vis le bleu, et la blondeur du sable blanc
Et la rougueur rose du cap de Nase comme le nez du cousin
portugais
Tout gravelé de blockhaus désuets. (Po : 231)
(Ta lettre ma lettre)
Ta lettre ma lettre, et si c'était impossible
Si Hitler si Mussolini, si la Rhodésie l'Afrique du sud,
le cousin portugais (Po : 231)
De cette superposition, plusieurs réseaux associatifs se
dégagent. Ce sont entre autre :
- Le lien de sang : la goutte de sang portugais,
goutte de sang, mon sang, mon sang portugais, ta goutte de sang
ibérique...
- Le lien avec le Portugal : le phare portugais,
tendresse portugaise, le nez du cousin portugais, le cousin portugais, la
goutte de sang portugais, mon sang portugais, ton sang ibérique...
- Le lien patronyme : mon nom, senhor, le
sobriquet...
- Le lien avec l'Afrique : un brave laptot, ma
Négritude, l'Africaine, la Peule d'or sombre, une berceuse
malinké,...
336
- La source primordiale : la fin des temps, la
voix ancienne, fond des âges, sa source, un capitaine, autrefois, un
brave laptot, l'autre année, sous la brousse des livres, des temps
anciens, désuets...
Les réseaux associatifs issus de cette seconde
superposition montrent clairement le choix
identitaire de Léopold Sédar Senghor. Il a un
sang portugais, ce qui signifie que son ancêtre est originaire du
Portugal. Et ce, depuis l'Afrique primitif. Cependant, la couleur de la peau
pose problème. Il n'est pas blanc ni brun, il est noir. Alors, le doute
s'installe : « Goutte de sang ou bien senhor, le sobriquet qu'un
capitaine donna autrefois à un brave laptot ? » Non, il refuse
cette hypothèse, car le nom « Senghor » doit avoir
probablement une origine portugaise. Ainsi, pour s'en assurer, il affirme que
son « sang portugais s'est perdu dans la mer de [sa] Négritude
».
En fait, Senghor ne nie pas ses origines africaines. Il sait
que ses origines africaines sont visibles et indéniables, voire une
évidence. Par contre, ses soi-disant origines portugaises, quant
à elles, ne sont pas visibles. Après les avoir découvertes
« sous la brousse des livres », Senghor décide de ne
pas « cacher au plus intime de [ses] veines, l'Ancêtre à
la peau d'orage sillonnée d'éclairs et de foudre, [son] animal
gardien », qui est, ici, l'ancêtre portugais. Par ce fait, il
affirme être un descendant biologique de l'ancêtre portugais. Ce
qui signifie que Senghor est également Portugais ; d'où le lien
patronyme dans les réseaux associatifs. Le nom n'est que la
conséquence immédiate. Cette découverte faite «
sous la brousse des livres » est hilarante ; cependant, il avait
autrefois honte de le dire, et d'affirmer son hybridité biologique
auprès de ses amis : « Je vous avoue que ce métissage
biologique qui nous caractérise au départ, ne me
déplaît pas, encore que j'aie commencé par le cacher
lorsque j'étais jeune »1136. Au départ,
c'était avec une certaine prudence qu'il se prononçait sur la
question du sang qui l'identifie et le rattache à l'ancêtre
portugais : « J'ai probablement une goutte de sang portugais, car je
suis du groupe sanguin `'A», qui est fréquent en Europe, mais rare
en Afrique » 1137. Il ressort également que
l'arrière-grand-père aux oreilles rouges était
un capitaine, et le grand-père un brave laptot,
c'est-à-dire un matelot ou tirailleur. Nous optons pour matelot. En
effet, Laptot est le nom donné au Sénégal
dès le XVIIème siècle aux piroguiers, matelots
et débardeurs. Aussi, parce que les ancêtres africains de Senghor
venaient de Gâbou, une région du Nord-Est de la Guinée
portugaise (Guinée-Bissau) d'où les Mandingues partirent pour
créer, au cours des XIVème et XVIème
siècles, les royaumes du Sine et du Saloum au Sénégal,
comme le confirme Léopold Sédar Senghor :
1136 Léopold Sédar SENGHOR, Dialogue sur la
poésie francophone, op. cit., p. 370 1137 Léopold
Sédar SENGHOR, La Poésie de l'Action, Paris, Stock,
1980, p. 32
337
Mon père m'a dit que ses ancêtres venant du
Gâbou qui est une région de la haute
Guinée portugaise. Les Senghor se trouvent surtout en
Casamance, à la frontière de l'ancienne Guinée portugaise
(...)1138.
Au cours des explorations portugaises sur les côtes
africaines, précisément en Guinée Bissau un des
explorateurs a, peut-être, contracté une relation sexuelle avec
une Signare. Ainsi est né le grand-père de Senghor. C'est ce
grand-père qui est, en réalité, le lien de sang entre
l'ancêtre portugais et Senghor.1139 Les Signares sont, en
effet, des Africaines qui vivaient maritalement avec les Occidentaux, et leurs
enfants étaient des métis. En découvrant la source
primordiale de ses origines, Senghor ne découvre non pas seulement qu'il
a un lien de sang avec un Portugais, mais que son père est
également métis. De ce fait, il peut alors brandir la preuve
tangible et concrète d'une ascendante lusitanienne.
La thèse de l'ancêtre portugaise ne devrait pas
être objectée par ses critiques qui l'accusent de renier ses
origines africaines. En effet, les relations sexuelles entre les colons et les
négresses n'étaient pas rares sur les côtières
africaines pendant l'exploration et la colonisation. À cet effet,
Laurier Turjeon dit
« Le métissage » était une
réalité coloniale biologique en Amérique latine comme dans
les colonies française des Caraïbes et de l'Afrique de l'Ouest,
surtout dans les villes comme Saint-Louis du Sénégal où
les métisses et les « mulâtres » formaient une classe
moyenne africaine qui obtenaient facilement la citoyenneté
française depuis le 19ème siècle.1140
Cela est aussi valable dans le cas de Senghor avec
l'ancêtre portugais, car les premiers explorateurs en Afrique
étaient les Portugais. Aussi, le patronyme « Senghor »
participe, à la fois, de la culture africaine et de la culture
européenne. Dans « Senghor », nous avons « ngor »
qui en ouolof signifie « honneur », et s'emploie comme titre
honorifique ; et puis ce nom, comme explicité, pourrait être
d'origine portugaise. En plus, Joal, la ville au sud de Dakar, où
Senghor passa son enfance avait été en contact avec les Portugais
au milieu du XVème, car elle est située sur les bords
de l'Atlantique. Tout porte à croire qu'il y a eu réellement une
fusion entre la race noire et la race blanche qui a donné une nouvelle
race hybride, métisse. Cela
1138 Idem., p. 32
1139 On peut considérer ces propos comme des
hypothèses, cependant ce qui est certain, c'est qu'il y a eu des
rapports sexuels entre les colons et les indigènes.
1140 Laurier TURJEON (dir.), Regards croisés sur le
métissage, Les Presses de l'Université Laval, Québec,
2002, p. 28
338
corrobore la thèse de l'ancêtre avancée
par Léopold Sédar Senghor. Où veut en venir Senghor avec
cette thèse ?
L'aventure humaine est par essence rythmée par des
rencontres avec l'autre. Ces rencontres participent de la construction et de
l'enrichissement de l'identité sans cesse en mouvant. Et, de la
rencontre avec l'autre, différent de soi, est né le métis.
Pour ainsi dire qu'aujourd'hui, nous naissons tous métis.1141
La découverte de sa propre identité ne signifie pas une
élaboration dans l'isolement, mais négociation par le dialogue,
partiellement extérieur, partiellement intérieur, avec
d'autres.1142 Senghor, à la recherche de ses origines
ataviques, trouve la réponse en l'autre, l'ancêtre portugais. Et,
il conclut qu'il est le résultat, le produit d'une prodigieuse suite de
métissages ethniques et raciaux dont nous ne saurons jamais ni mesurer
l'ampleur ni doser exactement les éléments, faute d'un test
ADN.
Le métis est un autre ; il est multiple et pluriel. En
effet, génétiquement parlant, il possède la moitié
des gènes de son père et la moitié des gènes de sa
mère ; culturellement, il est aussi moitié-moitié, par
conséquent il est distinct des cultures d'origine de ses parents.
Antionette Liechti affirme que
Le métis est donc autre, nouveau, et sa
nouveauté constitue à la fois sa force et sa faiblesse car c'est
une condition nouvelle parfois difficile à assumer. Sans entrer dans les
détails de l'histoire de l'humanité et en particulier des
différentes conquêtes qui l'ont ponctuée depuis toujours,
puisque c'est à ces occasions que les métissages de populations
apparaissent, rappelons seulement combien des individus issus de ces
croisements culturels ont payé un lourd tribut. Ils représentent
l'incarnation, au sens propre du mot, d'une réalité souvent
rejetée, [...].1143
Cela peut justifier l'attitude de Senghor dans sa jeunesse :
la honte de dévoiler son identité rhizomique. En fait, il
s'agissait d'une peur d'être la risée de son entourage. Parler de
son identité, c'est dire ses origines, or les origines de Senghor sont
multiples. Il est vraiment inadéquat de définir une
identité sans payer un lourd tribut. Avec le temps, Senghor comprend
qu'être métis est une richesse pour soi et pour les autres.
Être métis signifie être dans une situation dynamique, une
condition où l'on est à la fois de là-bas et d'ici. Ne pas
l'assumer veut dire renier certains éléments de ses origines.
Avec Senghor, on comprend que l'identité rhizomique n'a pas un socle
immuable, mais une construction dynamique se devant d'intégrer la somme
des appartenances et de s'enrichir au fur et à mesure des
expériences. Le métis a la
1141 Antionette LIECHTI, « Aujourd'hui, on naît tous
métis », Itinéraire, notes et Travaux, n°60,
pp. 11-16 1142 Charles TAYLOR, Multiculturalisme, différence et
démocratie, Aubier, Paris, 1994, p. 97
1143 Antionette LIECHTI, op. cit., p. 13
339
possibilité de se détacher de ses appartenances
originaires, territoriales ou culturelles, et de s'en créer de
nouvelles. Pouvons retenir des propos de Virgilio Elizondo lorsqu'il dit que
Le métis ne peut pas être adéquatement
défini dans les catégories de l'un ou de
l'autre de ses groupes d'origines. Son identité ne
rentre pas dans une seule histoire ou un seul type de normes [...].1144
Cependant, Senghor, mûr d'esprit, n'avait plus peur,
plus honte de s'affirmer, de parler de son identité multiple. Et, c'est
avec sans gêne, il dit qu'il est métis ; il cherche des preuves
pour arguer ses dires. L'une des preuves tendues est la thèse de
l'ancêtre portugais. Cette filiation avec l'ancêtre portugais est,
à la fois, biologique et patronyme. Dans sa prise décisionnelle,
il fut influencé par le général de Gaulle, par les
historiens et les biologistes. En effet, ces derniers pensent que l'avenir est
au métissage.1145 Convaincu, il décide d'assumer son
identité métisse et de parler de son ancêtre portugais.
Puisqu'il a pu apprécier ce qui est bon et ce qui est mauvais dans ses
racines multiples, le métis peut se donner pour mission de construire
quelque chose de nouveau. Senghor conclut que le métissage est un
enrichissement. Pour cette raison, après avoir découvert le
secret de son être, l'essence de son identité et de ses origines,
il s'engage à prôner le métissage racial comme «
un antidote vital de l'ethnocide et du repli de soi
»1146, laissant ainsi entrevoir les premières
palpitations d'une Civilisation de l'Universel. Il manifeste également
la volonté d'assumer, au plan théorique et conceptuel, sa
thèse sur le métissage biologique et patronyme, car estime-t-il
que le métissage est l'avenir des hommes. Pour mieux justifier sa
théorie de métissage, Senghor, par la thèse de
l'ancêtre portugais, marque son désir de dépassement des
antinomies raciales. Et, René Gnaléga de dire que
L'identité senghorienne n'est pas restreinte. Car, au
moment où il évoque son sang noir, va surgir son sang
ibérique. [...] Il faudrait plutôt voir ici l'idée selon
laquelle le point culminant de l'identité senghorienne dépasse
des clivages pour s'ouvrir au métissage qui est le nom d'un nouvel
humanisme.1147
La Civilisation de l'Universel, un nouvel humanisme, renvoie
à un seul concept chez Senghor : la Francophonie.
Avec la thèse de l'ancêtre portugais, Senghor
pose le problème du métissage à la Francophonie. Il a
tenté d'élucider cette problématique avec sa poésie
et le concept de
1144 Virgilio ELIZONDO, L'avenir est au
métissage, Mame-Éditions Universitaires, Paris, 1987, p. 156
1145 Léopold Sédar SENGHOR, Dialogue sur la poésie
francophone, op. cit., p.370
1146 Abib SENE, « Enracinement et ouverture : une vision
ithyphallique d'un métissage civilisationnel dans OEuvre
poétique de Senghor », op. cit., p.174
1147 René GNALÉGA, Senghor et la civilisation
de l'universel, op. cit., p. 92
340
Francophonie. Dès lors, nous pouvons émettre
l'hypothèse que le métissage est l'expression de
l'identité francophone.1148 Senghor souhaite que ce
métissage soit réel au sein de la communauté francophone.
Dans sa poésie, le métissage est naturelle, voire
génétique, avec les liens de sang, puisqu'il fait constamment
référence au sang, aux gènes, pour dire que les liens de
sang occupent une place particulière dans l'appréhension de son
identité plurielle, dans la compréhension de son concept de
métissage. Il est évident que Senghor mise sur le
métissage biologique à la Francophonie, car, selon lui, le monde
idéal est celui du métis. En affirmant avoir un ancêtre
occidental, il insinue être un Francophone. Il se sent très
à l'aise d'affirmer sa double identité : Africain et
Européen. Il fait du métissage biologique le fondement de
l'identité francophone. Il montre ainsi qu'être Francophone, ce
n'est plus seulement communiquer en français (même si cela
était la condition nécessaire, elle paraît insuffisante),
mais être métis. À l'instar de tous ses contemporains qui
ont eu à en souffrir dans leur âme de leur exclusion et du
racisme, Léopold Sédar Senghor a été
confronté à la nécessité impérieuse
d'affirmer son soi en tant que métis, et de faire de cela le fondement
même de sa quête identitaire, et de son concept de Civilisation de
l'Universel. Autrement dit, Senghor a choisi de vivre son métissage sans
se soucier du regard critique de ses contemporains. Et cela l'a conduit vers la
formulation d'une exigence fondamentale : celle de la Francophonie. Nous
pouvons affirmer que la thèse de l'ancêtre portugais était
une manière pour lui d'expliquer son concept de métissage.
Une étude superficielle peut confirmer que Senghor a le
complexe, comme la plupart des Noirs d'être noirs.1149 En
effet, dans sa poésie, on peut saisir aisément les attributs
appellatifs du Blanc (Toubab, seigneur). Attribuer à un Noir ces
appellatifs est de lui signifier qu'il n'agit plus comme le ferait un Noir (pas
par la peau, mais par sa manière d'être), mais agit comme le
ferait un Blanc. Ces images de « blanchitude », dans la poésie
de Senghor, révèlent que celui-ci se considère ou l'on le
considère comme un Européen. Et le comble, il affirme avoir un
ancêtre portugais par le lien de sang. Sans le lire posément, on
peut conclure en disant qu'il délire et qu'il ne sait plus quoi dire.
Cependant, le lire tranquillement avec les yeux d'une personne qui cherche
à découvrir, comme le recommande la psychocritique, on voit
que
1148 Nous allons expliquer l'identité francophone au
chapitre trois de cette partie. Cependant, retenons que le métissage est
l'un des critères définitionnels de l'identité
francophone.
1149 Emmanuel MOUNIER, Les oeuvres, Tome 3, Seuil,
Paris, 1944-1950, 268 p (Il dit que la plupart des Noirs ont honte d'être
noirs, une honte qu'ils ne font pas la leur, mais qui hante jusqu'à leur
fierté.)
341
Senghor a voulu insinuer qu'il est universel, ouvert à
toutes les cultures du monde. C'est un rêve traduit en poésie, et
aussi son phantasme. Il rêve d'un monde métissé.
Quand on se sait avoir plusieurs origines et ne pas les
affirmer, c'est rejeter certains éléments, voire nier une partie
de soi. On appelle cela de l'irresponsabilité. Il faut affirmer sans
gêne ses identités. Tel est le cas de Léopold Sédar
Senghor. Il assume ses dires, et affirme avec fierté ses origines. Il
n'est ni Africain, ni Européen. Il est les deux à la fois. Il est
métis. Pour faire accepter ce fait, il faut qu'il ait des preuves
tangibles et concrètes. Pour avoir ces preuves, il entreprit des
recherches et des études. À la suite de ses recherches, il
découvrit que son nom patronyme a une origine portugaise, et qu'il a
probablement une goutte de sang ibérique dans ses veines, car il est du
groupe sanguin `'A». Ce groupe sanguin est très répandu en
Europe qu'en Afrique. Rassuré par le général de Gaulle, et
confirmé par les biologistes, il peut désormais faire de cette
découverte une conviction et la base fondamentale de sa théorie
du concept de métissage.
L'un des postulats de sa théorie est le
métissage biologique. Il est pour le métissage biologique, car
convaincu que cela est le fondement de la Civilisation de l'Universel,
c'est-à-dire de la Francophonie. Il pense que l'identité
francophone est une identité rhizomique (métisse, plurielle). En
fait, avec la thèse de l'ancêtre portugais, il voulait en venir
à l'identité universelle du Francophone. Il affirme,
également, par cette thèse, que tous les hommes ont une
identité rhizomique, parce que l'identité est par essence une
notion en constante mobilité dans le temps et l'espace, et qui se
construit dans le brassage des races et des sangs. Ce brassage permet de penser
l'identité comme une multitude d'appartenance dont les unes sont plus
mouvantes (visibles), changeantes que les autres (cachées ou
souterraines), adaptables en fonction des défis et des
opportunités du moment. L'identité est une catégorie en
constante construction dans un processus d'interaction enrichissante et
féconde.1150
Parlant du brassage des races et des sangs, Senghor parle
constamment de sangs mêlés. Ce qui est le second postulat de sa
théorie sur le métissage biologique pour appréhender
l'identité francophone, et confirmer ainsi son identité
rhizomique. Si le premier postulat, c'est-à-dire la thèse de
l'ancêtre portugais, est objecté ou fort discutable ; le second,
quant à lui, doit conférer une légitimité à
sa théorie. Le sang permet d'identifier l'individu et la race. Il est
consubstantiellement une donnée commune à l'humanité sans
considération raciale.1151 La théorie des liens du
sang ou des sangs mêlés est indiscutable, et permet aussi de
dévoiler
1150 Fulgence MANIRAMBONA, « De l'identité
`'rhizome» comme perspective de la mondialisation de la
littérature africaine diasporique », Synergies Afrique des
Grands Lacs, n° 6 - 2017 p. 29
1151 René GNALÉGA, Senghor et la civilisation
de l'universel, op. cit., p. 44
342
l'origine cachée de l'individu. On parle de sang
mêlé des personnes issues de l'union différente, en
particulier des races blanche et noire, autrement dit dont le père et la
mère sont, de couleur de peau, différents. L'idée de sang
mêlé dans la poésie de Senghor peut se lire à
travers ces expressions « Négresse-blonde », « vous
masques blanc-et-noir », « des peaux d'arc-en-ciel », « le
double de mon double »,... Cependant, notre tâche consiste à
mettre en évidence comment se manifeste le sang dans la poésie
senghorienne pour déterminer l'identité rhizomique. Il s'agit,
également, de saisir ce qu'implique la thèse des sangs
mêlés dans la quête identitaire de Senghor. Il n'est pas
question d'étudier la représentation ou le symbole du sang dans
la poésie senghorienne, mais de montrer que Senghor fait appel à
la thèse des sangs mêlés pour définir son
identité rhizomique et défendre sa théorie du
métissage.
343
2. LA THÈSE DES SANGS MÊLÉS
« Nous sommes des sang-mêlés
»1152, affirmaient François Crouzet et Lucien
Febvre pour dire qu'il n'y a pas de Français pure en France, comme
l'avait déjà souligné Onésime Reclus
auparavant.1153 À vrai dire, nous sommes tous des sangs
mêlés depuis la création du monde. Les hommes sont partis
d'une même racine, et par multiplication, ils sont devenus nombreux et
divers, répandus sur toute la terre. Et cette racine mère est
Adam et Ève, comme nous pouvons l'appréhender dans la Bible de
Jérusalem.
Dieu créa l'homme à son image, il le créa
à l'image de Dieu, il créa l'homme et la femme. Dieu les
bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez
la terre, et l'assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les
oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. [...] Alors
l'Éternel Dieu fit tomber un profond sommeil sur l'homme, qui
s'endormit, il prit une de ses côtes, et referma la chair à sa
place. L'Éternel Dieu forma une femme de la côte qu'il avait prise
de l'homme, et il l'amena vers l'homme. [...] Voici le livre de la
postérité d'Adam. Lorsque Dieu créa l'homme, il le fit
à la ressemblance de Dieu. Il créa l'homme et la femme, il les
bénit, et il les appela du nom d'homme, lorsqu'ils furent
créés. [...] Car Adam a été formé le
premier, Ève ensuite.1154
Tous les hommes ont une seule origine, selon la
chrétienté, et de cette origine sont parties les races, les
ethnies et les peuples de couleurs de peau différente.1155
Senghor dit ainsi que tous les hommes sont tous fils de la même
terre-mère. Ce qui sous-entend que les hommes ont le sang
mêlé à ceux d'Adam et Ève dans leurs veines. De ce
fait, on peut insinuer que les hommes ont une identité rhizomique, car
la conception de leur identité ne dépend plus de celle d'Adam et
Ève. Nous sommes des sangs mêlés, car nous sommes issus
d'un père et d'une mère qui n'ont rien en commun tant au niveau
du groupe sanguin que de la culture, de l'ethnie, voire de la race. Nous sommes
des sangs mêlés, car l'histoire de l'humanité est
marquée par le nomadisme, et lors de ces déplacements des
peuples, il y a eu des rencontres à la fois culturelles et sexuelles.
1152 François CROUZET et Lucien FEBVRE, Nous sommes
des sang-mêlés : Manuel d'histoire de civilisation
français, Albin Michel, Paris, 2012, 400 p.
1153 Cf. page 43 de cette présente étude, note
67
1154 Genèse 1, verset 27-28/ Genèse 2, verset
21-22/ Genèse 5, verset 1-2/ 1 timothée 2, verset 13, la
Bible de Jérusalem.
1155 Michael HAMMER, à ce propos dira «
L'étude des gènes montre que nos ancêtres se sont
métissés avec les espèces humaines archaïques qu'ils
ont rencontrées. Cette hybridation a sans doute contribué
à l'expansion d'homo sapiens. » Disponible sur
http://www.pourlasciences.fr/web_pages/a/article-le-metissage-des-especes-humaines-31751.php
344
Nous sommes des sangs mêlés, car un individu de
groupe sanguin de type quelconque peut donner et recevoir d'un individu de
même type de groupe sanguin ou parfois différent. Ce n'est pas par
hasard si Senghor s'appuie sur la thèse des sangs mêlés
pour justifier son identité rhizomique et argumenter sa conception du
métissage biologique. Que disent alors ses textes poétiques sur
la question des sangs mêlés ?
Pour y répondre, passons au peigne fin sa poésie
par une étude psychocritique. De ce fait, nous superposons d'abord
« Éthiopie/À l'appel de la race de Saba », « Chant
de printemps » (Hosties noires), « Épitre à la
princesse » (Éthiopique) et « Chants pour signare »
(Nocturnes).
(Éthiopie/À l'appel de la race de Saba)
Qu'ils m'accordent, les génies protecteurs, que mon
sang
ne s'affadisse pas comme un assimilé comme un
civilisé. (Po : 57)
(Chant de printemps)
Et mon sang complice malgré moi chuchote dans mes veines.
(Po : 83)
(Épitres à la princesse)
Je séjournais chez les hôtes
héréditaires, la moitié de mon sang et la plus claire
certes. (Po : 139)
(Chants pour signare)
Me poursuit mon sang noir à travers foule, jusqu'à
la clairière où dort la nuit blanche.
[...1
Me poursuit mon sang noir, jusqu'au coeur solidaire de la nuit.
[...1
Je romprai tous les liens du Sang, je dressai une garde d'amour
(Po : 186-191)
De cette superposition, nous voyons s'accuser un réseau
simple. Celui de Sang pur (authentique) : mon sang ne
s'affadisse pas comme un assimilé comme un civilisé, mon
sang complice malgré moi, la moitié de mon sang et la
plus claire certes, me poursuit mon sang noir, je romprai tous les
liens du sang,... Par ce réseau associatif, nous remarquons que
Senghor refuse d'avoir du sang impur. Nous voyons la volonté tenace de
celui-ci de demeurer un Africain pur, authentique. Il ne veut pas,
également, être un assimilé, un civilisé. En fait,
Senghor refuse et dément la condition du colonisé. Il n'est pas
« Peau noire masque blanc ».1156 Il veut être et
demeurer Africain par son être et par sa manière d'être ou
d'agir, car le sang noir coule dans ses veines. Il se définit
comme un Africain non corrompu.1157 À ce stade, on peut
affirmer que la thèse de l'ancêtre portugais est fausse, parce que
ce réseau montre bel et bien
1156 Allusion au titre de l'oeuvre de Frantz FANON, Peau
noire, masque blanc, Paris, Seuil, 1952, 240 p 1157 Il est
considéré surtout par Houphouët Boigny comme « un
Français peint en Noir », d'après Djian Jean Michel, in
Léopold Sédar Senghor, genèse d'un imaginaire
francophone, Gallimard, Paris, 2005, p. 146. (Peut-être c'est cette
idée qu'il récuse.)
345
un Senghor qui refuse d'être métis en
réclamant l'authenticité de son identité au travers de son
sang noir. Cependant, même si le sang noir le poursuit,
la moitié de son sang n'est que claire et pure. Qu'en est-il de l'autre
moitié de son sang ?
Il aura beau crié sur tous les toits de Paris qu'il est
un Africain authentique, il ne saura se mentir, car il est un sang
mêlé. Il s'agit, dans la seconde superposition, de
déterminer que l'autre moitié de son sang fait de lui un sang
mêlé. À cet effet, nous avons à superposer « In
memoriam », « Que m'accompagnent koras et balafong » (Chants
d'ombre), « Poème liminaire », « Tyaroye » (Hosties
noires), « À New York » (Éthiopiques), «
Élégie des saudades » (Nocturnes), « Je lis
`'miroirs» » (Lettres d'hivernage), « Je viendrai »
(Poèmes perdus) et « Élégie pour Philippe-Maguilen
Senghor » (Élégies majeurs).
(In memoriam)
Tous mes rêves, le sang gratuit répandu le long des
rues, mêlé au sang des boucheries. (Po : 7)
(Que m'accompagnent koras et balafong)
J'étais moi-même le grand-père de mon
grand-père J'étais son âme et son ascendance, le chef de la
maison d' Elissa du Gâbou
[...]
Tu es son épouse, tu as reçu le sang
sérère et le tribut de sang peul.
O sangs mêlés dans mes veines, seulement le
battement nu des mains !
Que j'entende le choeur des voix vermeilles des sangs
mêlé ! (Po : 30-32)
(Poème liminaire)
Qui pourra vous chanter si ce n'est pas votre frère
d'armes, votre frère de sang ? (Po :53/54)
(Tyaroye)
Et votre sang n'a-t-il pas ablué la nation oublieuse de sa
mission d'hier
Dites votre sang ne s'est-il mêlé au sang lustral de
ses martyrs ? (Po :88)
(À New York)
New York ! je dis New York, laisse affluer le sang noir dans ton
sang
Qu'il dérouille tes articulations d'acier, comme une huile
de vie Qu'il donne à tes ponts la courbe des croupes et la souplesse des
lianes. (Po : 115)
(Élégie des saudades)
Mon sang portugais s'est perdu dans la mer de ma Negri-
tude. (Po : 204)
(Je lis `'miroirs»)
Je dis bien cette terre partagée qui me déchire, et
cette ville
Comme un parfum subtil : tous les mélanges de sang
Tous les quartiers de la ville, qui chantent à plusieurs
voix. (Po : 242)
346
(Je viendrai)
Ton amour m'est chose si intime, si dense,
Que je le sens en moi net comme couteau de jet
Mais mêlé à mon moi
Mais confondu désormais avec le sang de mes veines. (O. Po
: 242)
(Élégie pour Philippe-Maguilen Senghor)
Voici donc notre enfant, souffle mêlé de nos
narines, qui s'étend, ha ! (O. Po : 286)
Les réseaux qu'une telle superposition souligne sont les
suivants :
- Sang mêlé : mêlé au
sang des boucheries, tu as reçu le sang sérère et le
tribut de sang peul, o sang mêlé dans mes veines, des
sang-mêlé, et votre sang n'a-t-il pas ablué la nation,
dites votre sang ne s'est-il mêlé au sang lustral de ses martyrs
?, laisse affluer le sang noir dans ton sang, mon sang portugais s'est perdu
dans la mer de ma Négritude, tous les mélanges de ton sang,
mêlé à mon moi, mais confondus désormais avec le
sang de mes veines, souffle mêlé de nos narines,...
- Consubstantielle : J'étais
moi-même le grand-père de mon grand-père, j'étais
son âme et son ascendant, votre frère de sang,...
Ces différents réseaux montrent que Senghor ne peut
pas nier le fait d'avoir le sang noir mêlé
à d'autres sangs. Il approuve le fait que du sang
mêlé coule dans ses veines. En effet, de la princesse, le
poète reçoit le sang sérère et le tribut de sang
peul. Ces deux sangs, en lui, confirment la thèse du sang
mêlé. Ce qui signifie qu'il a hérité de la princesse
l'identité, à la fois, sérère et peule.
Africainement, Senghor est un sang mêlé. En plus, il y a
le sang portugais qu'il n'oublie pas, mais qui se confond dans sa
Négritude, l'expression de son être africain, de son sang noir. Du
coup, il se rend bien compte qu'il est le résultat de trois types de
sang mêlé : sang sérère, sang peul et sang
portugais. Mieux, il reflète l'unité et l'identité de
trois personnes comme la sainte trinité dans la théologie
chrétienne : Dieu le père, Dieu le fils, Dieu l'esprit saint. Ces
trois réalités de Dieu expriment une et une seule nature de Dieu
: Dieu trois en un. C'est la même conception chez Senghor qui se
conçoit trois en un : il est petit-fils, grand-père et
arrière-grand-père de son grand-père. On appelle ce fait
la consubstantialité. Cette consubstantiation implique une relation
d'interdépendance exprimant une sorte de symbiose en ces trois
réalités. Voilà sa découverte : il est un
pur-sang-mêlé. Il est « débout dans [sa] triple
fierté de sang-mêlé », comme l'a su bien dire
Léon-Gontran Damas.1158 Mieux, Senghor pouvait dire comme son
ami Damas
Au pied de ton pardon Je dis ni sang ni eau mais sang et eau
mêlées
1158 Léon-Gontran DAMAS, Pigments -
Névralgies, Présence Africaine, Paris, 1972, 2003 et 2005,
p. 122
347
Car tous deux confondus nous ne sommes
qu'une même somme
qu'un seul et même sang.1159
Se croyant être un Africain authentique, il
découvre qu'il est métis biologiquement par le mélange de
trois sangs, qu'il est la racine qui s'étend à la recherche
d'autres racines comme le dit Édouard Glissant, le parfait trait d'union
entre la race noire et la race blanche, « le café au lait »
comme on le dit en Côte d'Ivoire. Il peut alors s'autoproclamer le «
frère de sang » de l'Africain et de l'Européen :
Et le sang de mes frères blancs bouillonne par les
rues,
plus rouge que le Nil - sous quelle colère de Dieu ?
Et le sang de mes frères noirs les Tirailleurs
sénégalais, dont
chaque goutte répandu est une pointe de feu à mon
flanc. (Po : 84)
Marcien Towa corrobore notre argumentation en ces termes :
Revenons un moment aux « deux mondes antagonistes »,
le monde blanc et le monde noir. On voit maintenant qu'aux yeux du
poète, cet antagonisme doit être tenu pour largement fictif,
puisque bon nombre de soi-disant nègres étant en fait
métissés de sémito-kamites, de blanc donc, le monde noir
s'avérerait finalement bien moins noir qu'on ne le pense
communément. L'importance de ce point découle surtout la
thèse de Senghor selon laquelle la race humaine détermine la
culture. Il insiste d'autant plus sur le métissage qu'il pense
lui-même posséder non seulement du sang peulh, mais même du
sang portugais1160.
Genevière Vinsonneau affirme, à juste titre, que
« l'identité se réalise donc comme un processus
dialectique, au sens d'intégrateur des contraires.
»1161 Comme nous le voyons, l'identité senghorienne
est une intégration parfaite et harmonieuse de sangs
irréductibles de plusieurs personnes : son père, sa mère,
l'ancêtre portugais. Ce qui signifie qu'il est Africain, Européen
et Métis à part entière, car il est le fruit d'une union
entre trois sangs africains (mandingue, peul et sérère) et d'un
sang portugais. De facto, Senghor, par son identité portugaise
qui se perd dans son identité sérère et peule, voire
malinké, est le frère noir de langue et cultures
françaises. Il est également le frère blanc de langue et
de cultures africaines.
Avec lui, le sang prend (souvent) la signification des
origines : le sang qui « chuchote » dans ses veines est celui de ses
ancêtres africains, de l'Afrique ; et le sang qui coule dans ses veines
est celui de l'Europe, de l'ancêtre portugais. La thèse des sangs
mêlés est pour Senghor
1159 Idem., p. 150
1160 Marcien TOWA, Léopold Sédar Senghor :
Négritude ou Servitude ?, op. cit., p. 37
1161 Geneviève VINSONNEAU, « Le
développement des notions de culture et d'identité : un
itinéraire ambigu », op. cit., p. 15.
348
la justification incontestable de son identité
rhizomique. Cette justification confirme également qu'il est
biologiquement métis. Il dépasse son identité, comme le
dit Henri Lopès, originelle1162 pour s'octroyer une identité,
à la fois, complexe et homogène. Cela ne veut pas dire qu'il nie
carrément son identité africaine, même si, on a
l'impression que Senghor se dédit. En effet, selon Liliane
fo°alãu,
La quête de soi, de son identité, se constitue en
un cheminement « en marge d'un
chemin qui n'existe pas », un chemin sans destination
précise mais qui traverse l'être comme une obsession, qui est
aussi principe structurant/déstructurant.1163
Affirmer son identité comme le cas senghorien
relève sans conteste du courage et de la responsabilité, mais
aussi de l'intériorisation et de l'extériorisation.
Réfléchir sur son identité, surtout quand elle est
plurielle, c'est apprendre à se connaître soi-même et se
donner les outils nécessaires pour pouvoir ensuite se tourner vers les
autres pour l'affirmer et l'assumer. Rien d'étonnant ce va-et-vient de
Léopold Sédar Senghor pour définir son identité
rhizomique. L'identité rhizomique n'est pas statique, mais mobile,
insaisissable. Senghor part du principe qu'il est pur Africain comme l'Africain
de souche, et qu'il est également un Européen au même titre
que l'Européen de souche, pour affirmer sa vraie identité, issue
du sang mêlé. Il est ni Africain ni Européen, il est les
deux à la fois. Il est multiple, pluriel, voire universel. Nous pouvons
affirmer d'ores et déjà que l'identité francophone
caractérise les sangs mêlés.
Senghor est conscient que la thèse de l'ancêtre
portugais est sceptique, et qu'elle ne peut convaincre. Pour cela, il fait
appel à la thèse des sangs mêlés pour justifier sa
théorie du métissage biologique ou de l'identité
rhizomique, parce que « le sang est la meilleure carte
d'identité ».1164 D'abord, il admet qu'il est
Africain authentique et pur. Cependant, il se rend-compte que ce n'est qu'une
moitié de son sang noir qui chuchote dans ses veines, qui le
relie encore à l'Afrique. L'autre moitié de son sang est celle de
la goutte de sang portugais. Admettant avec une sérénité
et une certitude cartésienne qu'il est Africain authentique, Senghor se
dédit aussitôt pour ainsi dire, parce qu'il est le fruit de deux
parents issus de sangs mêlés. Ce qui fait de lui un sang
mêlé pur, authentique. Le père est sérère et
mandingue ; la mère est sérère
1162 Henri LOPÈS : « Il faut dépasser
l'identité originelle », in « Les identités
francophones », op. cit., p. 74 1163 Liliane FOALU,
Identité et altérité dans la poésie francophone
contemporaine. Hypastases belges, op. cit., p. 278
1164 Selon le Parisien, ce propos est de Jean-Marie ADIAFFI.
Disponible sur
http://www.citation-celebre.leparisien.fr/citation/etre-humain
349
et peule ; l'ancêtre est portugais. Le fils est alors
sérère, mandingue, peul et portugais. Ce qui signifie que Senghor
est la somme de trois ethnies africaines et d'une européenne. Peut-on
encore douter de sa théorie du métissage biologique ? Non. Le
métissage tel que le conçoit Senghor doit être
effectivement biologique. Il est également favorable pour le
métissage racial. Le métissage, à la fois, biologique et
racial, doit caractériser l'assemblée de tous les peuples de la
terre, unis par la Francophonie. Avec la thèse des sangs
mêlés, nous voyons Senghor dépasser tous les antagonismes
pour nous offrir une nouvelle identité : celle du métissage. Chez
lui, ce métissage se veut biologique, génétique, et
unité dans la diversité raciale et ethnique. On peut en
déduire que toute personne métisse possède une
identité rhizomique.
Dans le cas de la Francophonie, toute personne ayant une
identité rhizomique et s'exprimant dans la langue française
africanisée, comme le cas senghorien, est Francophone. L'identité
francophone peut être comprise comme un patrimoine en commun que l'on
accepte, auquel on adhère, du fait que tous les hommes sont des sangs
mêlés. Cependant, « ni OIF, ni personne, n'a le monopole
ou le dernier mot d'une réflexion sur l'identité francophone
»1165, car, comme toute identité, elle est dynamique et
évolutive. À cet effet, Léopold Sédar Senghor
propose des pistes de réflexions, et l'une d'entre elles est celle du
métissage biologique. En effet, être Francophone est loin
d'être toujours, chez un individu, l'identité dominante autour de
laquelle les autres s'organisent.1166 En plus, il est difficile de
fonder l'identité francophone sur la langue dans la mesure où son
imaginaire varie selon les époques. Aussi, l'identité francophone
se présente comme une configuration d'éléments multiples.
Dans tous les cas, la thèse des sangs mêlés confirme
l'identité rhizomique de Léopold Sédar Senghor, et
justifie par-là qu'il est un métis, donc ouvert à toutes
les cultures et qu'il n'a pas une origine unique, mais plurielle. Il est
universel.
L'homme ne peut pas avancer sans s'interroger sur ses origines
et sur soi. Il prend davantage conscience du chemin parcouru, il en mesure la
portée pour mieux se projeter vers l'avenir1167 et se situer
par rapport à l'autre. Toute sa réflexion sur soi se
ramène à la seule question : Qui suis-je ? La question
identitaire, voire existentialiste, est plus que jamais d'actualité en
Francophonie, puisque l'on parle de plus en plus de multiculturalité,
d'ouverture
1165 Dominique WOLTON, « L'identité francophone dans
la mondialisation », Cellule de réflexion stratégique de
la Francophonie (CRSF), Décembre 2008, p. 15
1166 Josefina Bueno ALONSO, Francophonie plurielle :
L'expression d'une nouvelle identité culturelle, op. cit.,
p 687
1167 René GNALÉGA, Senghor et la civilisation
de l'universel, op. cit., pp. 146-147
350
vers d'autres espaces d'expérience et de connaissance.
Interroger l'identité dans cette pluralité constitue un fait
incontestable de nos jours. En plus, l'identité de chaque personne est
constituée d'une foule d'éléments qu'il est difficile de
l'appréhender et la définir. La Francophonie sera pour Senghor le
lieu de questionnement sur sa propre identité. Ce qui signifie qu'
« il y a donc à l'origine de la francophonie [...] une
identité ».1168
Dans sa quête identitaire, il découvre une
identité rhizomique. Il va alors tenter d'appréhender cette
identité. Il évoque, ainsi, la thèse de l'ancêtre
portugais et celle des sangs mêlés pour élucider cette
identité. Il s'agit, avec cette identité, de la défense
d'une identité mixte, c'est-à-dire une identité
métisse, difficile à accepter dans ou à son époque.
Il se présente comme le fruit d'un métissage au premier
degré, en d'autres termes, d'un métissage biologique, car il est
né de parents qui appartiennent à des ethnies différentes
: ils sont eux-aussi métis. Il est également convaincu d'avoir un
ancêtre portugais. Il corrobore ses dires avec la théorie
sanguinolente : une goutte de sang portugais dans mes veines, o sangs
mêlés dans mes veines. Le sang serait le lien consubstantiel
d'identification de l'individu chez Senghor. Le sang permet d'identifier ou de
définir l'identité de l'individu.
Avec sa théorie sanguinolente, Senghor veut en venir au
métissage. Pour lui, « le métissage comme proposition
souligne qu'il est désormais inopérante de glorifier une origine
`'univoque» dont la race serait gardienne et continuatrice.
»1169 En d'autres termes, avec le métissage, il n'y
a plus une identité unique, mais une identité plurielle, une
identité rhizomique. Par identité rhizomique, on entend avec
Senghor le processus biologique correspondant à la naissance d'une
nouvelle identité mixte. Mieux, cet agrégat sanguinolent est une
richesse pour la Francophonie. Il s'agit maintenant d'accepter cette
identité rhizomique qui caractérise le Francophone.
Chez Léopold Sédar Senghor, l'une des
données principales de la Francophonie est le métissage. Il se
décline dans sa poésie en deux temps : biologique et culturel.
Nous venons de voir le métissage biologique avec la thèse de
l'ancêtre portugais et celle des sangs mêlés. Nous allons
voir le métissage culturel dans les autres chapitres. Si Senghor est
à la croisée de trois ethnies africaines et d'une
européenne, cela signifie également qu'il est à la
croisée de quatre cultures. De ce fait, nous pouvons affirmer qu'il est
écartelé entre plusieurs cultures, et qu'il n'appartient
véritablement à aucune d'entre elles. En effet, Senghor se
révèle être lui-même un mélange de
différentes influences culturelles. Pour cela, il doit se constituer une
identité propre
1168 Dominique WOLTON, « L'identité francophone dans
la mondialisation », op. cit., p. 15 1169 Édouard
GLISSANT, Le discours antillais, Seuil, Paris, 1981, p. 250
351
à lui. On voit que Senghor est condamné à
une quête incessante d'une identité. Il y a chez lui une
véritable problématique identitaire. Étant donné
que l'identité d'une personne ne se limite pas à ses
caractéristiques biologiques, nous essayons d'appréhender comment
Senghor tente de se constituer sa propre identité, ici culturelle, dans
le chapitre suivant.
352
CHAPITRE II : LA PROBLÉMATIQUE D'UNE
IDENTITÉ CONSTITUÉE
La quête identitaire est déclenchée chez
Senghor par la confrontation de plusieurs cultures. Il a beau cherché
à cacher les traces de son passé, ses racines demeurent, son
être devient le théâtre de confrontation de plusieurs
visions du monde. En effet, la Francophonie porte l'empreinte d'une quête
identitaire, parce que le Francophone est cette personne qui est toujours
déchirée entre deux ou plusieurs cultures, et qui cherche
à se réconcilier avec son moi écartelé,
divisé. C'est aussi le cas de Léopold Sédar Senghor. Il
reconnaît qu'il est écartelé entre la culture
négro-africaine et la culture occidentale1170 : « Ah ne suis-je
pas assez divisé ? »1171 Il a connu l'errance :
Perdu dans l'Océan Pacifique, j'aborde l'île
Heureuse mon coeur est toujours en errance, la mer illimitée. (Po :
203°
Sur ma faim, la poussière de seize année d'errance,
et
l'inquiétude de toutes les routes d'Europe.
Et la rumeur des villes vastes ; et les cités battues de
vagues de mille passions dans ma tête. (Po : 45)
Reçois l'enfant toujours enfant, que douze ans d'errance
n'ont pas vieilli. (Po : 35)
Il a été en l'exil :
Et cet autre exil plus dur à mon coeur, l'arrachement
de soi à soi
À la langue de ma mère, au crâne de
l'Ancêtre, au tam-tam de mon âme [...] (Po : 136)
Il a même effectué des voyages sans retour :
Je suis parti
Pour d'étranges voyages, [...]
1170 Armand GUIBERT, Léopold Sédar Senghor :
L'homme et l'oeuvre, op. cit., pp. 143-144 1171 Cf. «
Poème liminaire », Hosties noires, op. cit., p.
54
353
Je suis parti
Vers des pays bleus
Vers des pays larges
Vers des pays de passions tourmentés de tornades
Vers des pays gras et juteux
Je suis parti pour toujours
Sans pensée de retour. (O. Po : 341-342)
Il a fait aussi l'expérience de la solitude :
Et la foule des boulevards, les somnambules qui ont
renié leur identité d'homme
Caméléon sourds de la métamorphoses, et
leur honte vous fixe dans votre cage de solitude (Po : 81)
Et finalement, il s'est senti fatigué d'aller nulle part
:
Et je suis fatigué d'aller nulle part :
De n'aller nulle part quand me déchire le désir de
partir. (Po : 238)
Tout cela prouve l'instabilité dans la quête
identitaire de Senghor. René Gnaléga affirme à juste titre
que « cette quête part de la prise de conscience d'un vide
existentiel à la volonté de le combler par le processus du
retour. »1172 Au fond, toutes ces
pérégrinations montrent la volonté de Senghor de se
constituer une identité homogène. En dépit de ses nombreux
voyages à la recherche d'une identité propre à lui, il est
dans l'incapacité et l'impossibilité de se définir une
identité. Eugène Tavares ne dit pas le contraire :
Toute au long de sa vie, Senghor a cherché son
identité dans différentes aires culturelles du monde. Il a
expérimenté tour à tour la négritude, la
lusitanité et la francophonie pour finir par réunir tout cela
dans son concept fétiche : la Civilisation de l'Universel. Ces
pérégrinations culturelles, qui cachent une recherche ineffable
d'identité, expriment aussi un déchirement de l'homme,
déchirement qui remonte à son enfance.1173
Le déchirement, qu'a connu Senghor durant son enfance
et qui a encore des répercussions sur sa vie adulte dont parlent sans
cesse Armand Guibert, Eugène Tavares (et Senghor lui-même), est le
fait qu'il soit pris dans le piège de l'entre-deux culturel. Ce
piège traduit son déracinement, la cause même de sa
quête identitaire.
1172 René GNALÉGA, « La quête
identitaire dans l'oeuvre poétique de Senghor », op. cit.,
pp. 84-85
1173 Eugène TAVARES, « Négritude, Lusitanie et
Francophonie chez Léopold Sédar Senghor ou la recherche ineffable
d'identité », op. cit., p. 103
354
Depuis la colonisation, les Africains sont nourris de la
sève riche et sédimentée de la culture européenne,
faisant d'eux des déracinés culturels, car ils ont perdu leur
identité culturelle d'origine. Ils ignorent totalement leurs
différentes cultures et ont une parfaite connaissance de la culture
européenne. Sachant que l'origine des maux de l'humanité
réside dans la perte de l'identité culturelle, Senghor va essayer
de dépasser ce déchirement pour acculturer une nouvelle
identité. Cette nouvelle identité sera le fruit de ces
différentes cultures qui l'écartèlent. En effet, pense
Jean-Pierre Biondi,
La démarche de Senghor consiste
précisément à dépasser le « déchirement
» pour
atteindre la « symbiose » mais une symbiose
perçue comme le fruit savoureux des contradictions.1174
La quête identitaire chez Senghor est une aventure
identitaire ambigüe, et cette aventure caractérise le Francophone
dans la recherche de sa propre identité. Il procède par une
déculturation pour aboutir à une acculturation. Il y a un
phénomène d'une perte de l'identité et une appropriation
d'une nouvelle identité, soit par négociation, soit par
coercition, soit par assimilation ou par intégration, soit par
séparation, soit par acculturation. Cependant, John Berry nous informe
qu'il y a quatre types d'acculturation : l'Assimilation, la Séparation,
l'Intégration et la Marginalisation. À cet effet, il dit
From the point of view of non-dominant group. When individuals
do not wish to maintain their cultural identity and seek daily interaction with
other cultures, the Assimilation strategy is defined. In contrast,
when individuals place a value on holding on to their original culture, and the
same time wish to avoid interaction with others, then the Separation
alternative is defined. When there is an interest in both maintaining
one's original culture, while in daily interaction with other groups,
Integration is the option ; here, there is some degree of culture
integrity maintained, while at the same time seeking to participate as an
integral part of the larger social network. Finally, when is little possibility
or interest in cultural maintenance (often for reasons of enforced cultural
loss), and little interest in having relations with others (often for reasons
of exclusion or discrimination) then Marginalisation is
defined.1175
1174 Jean-Pierre BIONDI, Senghor ou la tentation de
l'universel ; Denoël, Paris, 1993, 218 p. (À la
quatrième page de couverture)
1175 John W. BERRY, « Immigration, acculturation, and
adaptation », Applied Psychology : An International Review, 46
(1), 1997, p. 9 (Nous n'allons pas le traduire, cependant ce qui faut retenir
est que la classification de Berry met à nu quatre types d'acculturation
définis comme suit :
- L'Assimilation : c'est l'abandon de la culture d'origine au
profit de l'adoption d'une nouvelle culture. - La Séparation :
L'individu évite les interactions avec la culture d'accueil ; il
valorise sa culture identitaire, celle de son origine.
- L'Intégration : elle inclut le maintien de
l'héritage culturel tout en adoptant les valeurs de la
société d'accueil.
- La Marginalisation : l'individu acculturé se sent
rejeté par la culture d'accueil et il n'a aucun désir à
maintenir sa culture d'origine.)
355
Senghor a toujours rejeté l'assimilation de l'individu,
mais pas l'assimilation de la culture : « Assimiler non être
assimilés. » L'assimilation senghorienne est
l'intégration chez John Berry. En effet, l'assimilation implique le
melting-pot, une sorte de brassage des peuples à la vinaigrette ou de
cultures qui n'a rien à voir avec le métissage. Pour John Berry,
ce type d'acculturation est mauvais. Pareil avec la séparation et la
marginalisation. Selon lui, ce type de brassage peut occasionner la
ségrégation. Il soutient, à ce propos, que
Most clearly, people may sometimes choose the Separation
option ; but when it is required of then by the dominant society, the situation
is one of Segregation. Similarly, when people choose to Assimilate, the nation
of the Melting Pot may be appropriate, but when forced to do so, it becomes
more like a Pressure Cooker. In the case of Marginalisation, people rarely
choose such an option ; rather they usually become marginalised as a result of
attempts at forced assimilation (Pressure Cooker) combined with forced
exclusion (Segregation) ; thus no other term seems to be required beyond the
single notion of Marginalisation.
Integration can only be `'freely» chosen and successfully
pursued by non-dominant groups when the dominant society is open and inclusive
in its orientation towards cultural diversity. Thus, a multual accommadation is
required for integration to be attained, involving the acceptance by both
groups of the right of all groups to live as culturally différent
peoples.1176
Dans le cas de Léopold Sédar Senghor,
l'acculturation se réfère à l'identité d'une
personne qui veut à la fois maintenir sa culture et son identité
d'origine, et avoir des contacts avec la société d'accueil. Elle
participe ainsi à la vie sociale dans la société d'accueil
tout en conservant sa culture. Senghor, étant le dépositaire d'un
héritage culturel inestimable grâce à la rencontre de deux
cultures, a un grand besoin de les acculturer.
Pour élucider nos propos, nous allons mettre à
nu l'identité de l'entre-deux, et l'identité acculturée de
Léopold Sédar Senghor. Nous allons voir, au cours de l'analyse,
que Senghor se constitue une identité qui se veut métisse. Nous
voulons aussi en venir sur la question du métissage dans
l'appréhension de l'identité francophone, et sur l'image que
Senghor bâtit de lui-même, puisque l'identité participe de
l'image que l'individu construit de lui-même1177,
c'est-à-dire son image de soi.1178
1176 Idem., p. 10 (En donnant les dérives des
différents types d'acculturation, John Berry nous fait comprendre que la
bonne acculturation est l'intégration, car elle permet la bonne attente
entre les peuples et d'expérimenter la différence des cultures
sans rejeter l'une d'entre elles. Avec l'intégration, il y a une
ouverture et une inclusion des valeurs culturelles de chaque individu. Chaque
personne exprime sa culture et vit la culture de l'autre. On ne se sent pas
exclu par la société d'accueil. C'est donc ce type
d'acculturation que recherchent les individus lorsque la société
d'accueil est ouverte à la diversité culturelle.)
1177 Méo Guy DI, « L'identité : une
médiation essentielle du rapport espace / société »,
Géocarrefour, vol. 77, n°2, 2002, p. 176
1178 Cathérine KERBRAT-ORECHIONNI,
L'énonciation : de la subjectivité dans le langage,
Armand-Colin, Paris, 1997, p. 20
356
1. UNE IDENTITÉ DE L'ENTRE-DEUX
L'identité de l'entre-deux est l'identité que
l'on se constitue ou se construit lorsqu'on est sujet de la rencontre de deux
cultures. Elle est également « l'identité
intermédiaire » de l'individu se trouvant être le fruit
de deux cultures. Autrement dit, elle est « l'identité
adaptation », car elle permet à l'individu de s'adapter aux
réalités identitaires et culturelles de ses deux cultures.
L'appartenance de l'entre-deux permet à l'individu de ne pas exclure les
éléments de sa double origine et de se situer entre
l'identité d'origine et l'identité d'adoption. En d'autres mots,
l'individu n'est ni l'un ni l'autre, son identité est à cheval
entre les deux. Cette identité de l'entre-deux est un prodigieux
potentiel de créativité, estime Virgilio Elizondo :
[...] Nous sommes ceux de `'l'entre-deux» (the
in-between-people) car notre existence inclut des éléments de
notre double origine sans que nous ne soyons pleinement ni l'un ni l'autre. Cet
entre-deux offre aussi un prodigieux potentiel de
créativité1179.
En fait, l'identité de l'entre-deux est la double
appartenance culturelle de l'individu. Cette identité implique un
caractère rhizomique et un caractère d'hybridité,
c'est-à-dire l'individu est conscient qu'il a plusieurs
identités, et qu'il est la somme de ses identités réunies.
Cependant, il décide de les assumer concomitamment. Faisant cela, il ne
sait plus où se placer pour définir son identité, il est
au milieu. C'est pourquoi, cette identité se construit à travers
des rapports d'opposition et de complémentarité. Mais, Kameni
Alain Cyr Pangop affirme que la notion de l'entre-deux n'a pas une
définition univoque :
La notion de l'entre-deux résiste aux définitions
univoques, sans doute parce
qu'elle caractérise, de par sa nature, l'insaisissable,
l'indicible, ce qui est présent et voilé à la fois. Au
fond, l'entre-deux identitaire échappe à toute
systématisation1180.
À bien comprendre Kameni Alain, l'identité de
l'entre-deux serait insaisissable du fait de sa complexité, autrement
dit, du fait qu'elle soit constituée de plusieurs
éléments. À ce propos,
1179 Virgilio ELIZONDO, op.cit., p.156
1180 Alain Cyr Pangop KAMENI, « Utopies et angoisses de
l'entre-deux identitaire chez les exilés/migrants africains : La
Traversée nocturne d'Isaac Bazié », Alternative
Francophone, vol.1, 2, 2009, p. 3
357
Mariana Ionescu affirme qu'elle échappe à toute
définition, construite sur des oppositions binaires.
Associé à l'instabilité et à
l'insaisissable, mais aux liens et contacts multiples, le
concept de l'entre-deux semble donc échapper à
toute définition construite sur des oppositions
binaires1181.
Nous pouvons dès lors avancer comme hypothèse
que l'identité de l'entre-deux est une métaphore pour penser
l'identité d'une personne écartelée entre plusieurs
identités culturelles. Alors, pour pouvoir saisir cette identité
de l'entre-deux, il faut d'abord appréhender les différentes
identités qui écartèlent cette personne, et si possible
les étudier une par une.
Concernant Léopold Sédar Senghor, il est
question de voir comment se présente son identité de
l'entre-deux, et d'appréhender les différents
éléments culturels constituant cette identité de
l'entre-deux, et de mettre en relief son implication dans la définition
de l'identité francophone. À cet effet, nous allons superposer
six poèmes, à savoir, « In memoriam », « Tout le
long du jour », « Joal », « le retour de l'enfant prodigue
» (Chants d'ombre), « Élégie des alizés »
(Élégies majeurs), et « Le portrait » (Poèmes
divers).
(In memoriam)
Jusqu'en Sine jusqu'en Seine, et dans mes veines fragiles mon
sang irréductible (Po : 8)
(Tout le long du jour...)
Tout le long du jour, durement secoué sur les bancs du
train de ferraille et poussif et poussiéreux
Me voici cherchant l'oubli de l'Europe au coeur pastoral du Sine
(Po : 11)
(Joal)
Je me rappelle, je me rappelle...
Ma tête rythmant
Quelle marche lasse le long des jours d'Europe où
parfois
Apparaît un jazz orphelin qui sanglote sanglote sanglote.
(Po : 14)
(Le retour de l'enfant prodigue)
Demain je reprendrai le chemin de l'Europe, chemin de
l'ambassade
Dans le regret du Pays noir. (Po : 50)
(Élégie des alizés)
Nuit alizéenne élyséenne Nuit joalienne,
Nuit qui me rends à la candeur de mon enfance (O. Po : 267)
(Le portrait)
Voici que le Printemps d'Europe
1181 Mariana IONESCU, « L'Entre-deux dans les
littératures d'expression française », Les Cahiers du
GRELCEF, n° 1, mai 2010, pp. 12
358
Me fait des avances
M'offre l'odeur vierge des terres,
Le sourire des façades au soleil
Et la douceur grise des toits
En douce Touraine.
Il ne sait pas encore
L'entendement de ma rancoeur aiguisé par l'Hiver
Ni l'exigence de ma négritude impérieuse... (O. Po
: 219-220)
Lorsqu'on lit les six extraits ci-dessus, on se rend bien
compte que Senghor est entre le marteau et l'enclume. L'Europe lui fait des
avances d'un côté en lui proposant la vie féérique
dans un cadre doux et paisible, et l'Afrique le séduit également
de l'autre côté avec sa négritude impérieuse. Il y a
aussi sa mémoire qui lui joue des tours entre Sine et Seine
du fait de la similitude homophonique. Il vit donc une situation paradoxe.
En Europe, il se rappelle de Joal ou de Sine, et veut oublier
la vie paisible européenne au coeur pastoral de Sine. Et,
lorsqu'il est en Afrique, il veut vite reprendre le chemin de l'ambassade
d'Europe dans le regret du Peuple noir. Sans une lecture psychocritique, on
peut conclure que Senghor est indécis et reflète l'image d'une
personne de l'entre-deux. Il ne sait où se situer. Entre l'Europe et
l'Afrique, Senghor est nulle part, mais appartient aux deux continents. De ce
constat, nous pouvons en déduire que l'identité de l'entre-deux
est l'identité de l'écartèlement, d'une personne
divisée, écartelée par des identités fort
opposées. Nous voyons se former à l'issue de la superposition les
groupes d'idée suivants :
- Afrique (Sénégal) : Sine, coeur
pastoral de Sine, le regret du Peuple noir, Nuit joalienne, ma négritude
impérieuse...
- Europe (France) : Seine, l'oubli de l'Europe,
le long des jours d'Europe, Nuit alizéenne élyséenne, le
printemps d'Europe...
Par ces réseaux associatifs, nous constatons que Senghor
accorde le même intérêt ou le même
degré d'appartenance à l'Afrique et à
l'Europe. Mieux, il est écartelé entre l'identité
sénégalaise et l'identité française. En lui, se
foisonnent les caractéristiques identitaires du Sénégal
(de l'Afrique) et de la France (de l'Europe). Aucun continent n'est au-dessus
de l'autre. Ils occupent les mêmes places et les mêmes
considérations chez Senghor. Ces réseaux correspondent
également aux états d'âme de Senghor, d'un être
divisé et de l'entre-deux, qui a du mal à se situer tout en
cherchant à trouver l'attitude la plus appropriée à sa
situation.1182 En effet, il est lié à l'Afrique par
des souvenirs (je me rappelle...), parce qu'étant loin de ce
continent. À vrai dire, il a passé plus de temps en Europe
(France) qu'en Afrique (Sénégal). Il a vécu au
Sénégal, précisément à Joal jusqu'à
quatorze ans. À partir de cet âge, il fut venu en France pour
1182 Papa Samba DIOP, Léopold Sédar Senghor,
Poésie, op. cit., p. 35
359
poursuivre ses études grâce à l'obtention
d'une demi-bourse d'études littéraires.1183 Il a
même pris la nationalité française pour pouvoir passer
l'agrégation de grammaire.1184 Par ce rappel, nous voulons
justifier que Senghor est autant plus proche de la France que du
Sénégal. Son corps et son être sont à l'Europe
tandis que son esprit et son âme sont à l'Afrique. C'est un
Senghor partagé entre l'Europe et l'Afrique. L'Afrique est le continent
de ses parents, et l'Europe, le continent où il a longtemps vécu.
Du coup, il se présente comme un Européen (Français) et un
Africain (Sénégalais). Trop Européen pour le continent
africain, trop Africain pour le continent européen.1185
Finalement, il n'est ni l'un ni l'autre. « Qui suis-je ? »,
« Suis-je Africain ? », « Suis-je Européen ?
», se demandait-il peut-être. Il est de l'entre-deux,
c'est-à-dire un être écartelé. Peut-être,
est-il simplement un Francophone ?1186
Pour avoir la certitude, nous recourons à d'autres
poèmes. Il s'agit de « Que m'accompagnent koras et balafong »,
« Par dela Éros/C'est le temps de partir » (Chants d'ombre),
« Chaka » (Éthiopiques), « Chants pour Signare »
(Nocturnes) et « Et le sursaut soudain » (Lettres d'hivernage).
(Que m'accompagnent koras et balafong)
Choisir ! et délicieusement écartelée entre
ces deux mains amies (Po : 28)
(Par dela Éros/ C'est le temps de partir)
Et ne m'écartent pas les chambres d'hôtel ni la
solitude retentissante des grandes cités. (Po : 36)
(Chaka)
CHAKA
[...]
Mais ces longues années, cet écartèlement
sur la roue des années, ce carcan qui étranglait toute action (Po
: 119)
(Chants pour Signare)
Ce doux déchirement des coeurs, ce long sifflement au
départ des gares (Po : 188)
(Et le sursaut soudain)
Et me voici déchiré calciné, entre la peur
de la mort et l'éprouvante de vivre. (Po : 226)
1183 En 1914, il fut élève à
l'école secondaire des Pères du Saint Esprit (Liberté 1).
1928, il arriva à Paris pour les études supérieures.
Après ses études supérieures et universitaires, il prit
fonction en France comme enseignant, et ce, à partir de 1935
1184 Il obtint la nationalité française en 1933, et
cette année-là son père mourut, il fut donc obligé
de rentrer au Sénégal pour les obsèques. Après les
obsèques, il dut rentrer en France jusqu'à 1960, l'année
de l'indépendance du Sénégal. Il devint le
président dudit pays. Ayant mis fin à sa carrière
politique, il se retira en France et il y resta jusqu'à 2001 (date de sa
mort).
1185 Bernard MAGNIER, op. cit., p. 105
1186 Nous allons approfondir la question de l'identité
francophone dans le chapitre trois de cette partie.
360
Les réseaux associatifs que la seconde superposition
affiche sont Un homme écartelé
(écartelé, m'écartent, cet
écartèlement, ce doux déchirement, me voici
déchiré...), Un homme souffrant (carcan,
étranglait, calciné...), et Un homme heureux
(délicieusement, doux...).
Ces différents réseaux soulignent
l'instabilité identitaire de Senghor. En effet, il vit
l'expérience de l'entre-deux à l'intérieur de
lui-même à cause du conflit identitaire dont il est le sujet et
l'objet. Il se sait un homme écartelé, et veut assumer cette
situation. Cependant le regard de l'extérieur, tant du côté
de l'Afrique que de l'Europe, le déstabilisait. Convaincu du prodigieux
potentiel de créativité, il veut faire l'expérience des
deux identités, c'est-à-dire être à la fois Africain
et Européen. Il y a une véritable crise identitaire chez Senghor
due au conflit entre l'acceptation de ce qu'on est et le refus de ce qu'on est.
L'incapacité de prendre une décision le taraude également
; et du coup, nous voyons un Senghor étranglé, souffrant de la
situation de l'entre-deux, qui auparavant s'enorgueillissait. Il se trouve pris
entre l'appel de l'Afrique et l'appel de l'Europe, entre les exigences de la
culture négro-africaine et les exigences de la vie moderne, entre la
famille de son père et la famille de sa mère, entre
l'éducation familiale et les disciplines scolaires importées
d'Europe, entre la culture et la politique. Ce qui signifie que toute sa vie,
il a été un sujet écartelé, divisé, et
instable. En d'autres mots, il est de l'entre-deux. C'est le cas du
Francophone.
Il y a là un affrontement qui empêche celui-ci
d'exprimer son identité. En effet, le Francophone n'est ni
Français, ni Africain, ni Canadien, ni Arabe..., il est à la
lisière. Il est de l'entre-deux. En fait, il n'est personne, il doit se
façonner une identité en opérant un choix cornélien
et intelligible afin d'exprimer son identité multiple, mieux une
identité stable, pouvons-nous dire. La troisième superposition
permet de saisir le choix opéré par Senghor. Les poèmes
choisis pour cette énième superposition sont « Porte
dorée », « Que m'accompagnent koras et balafong », «
Vacances » (Chants d'ombre), « Chant de printemps » (Hosties
noires), « Je repasse », et « Toujours `'miroirs» »
(Lettres d'hivernage).
(Porte dorée)
Je l'ai choisie entre la Ville et la plaine, là
où
S'ouvre la Ville à la fraicheur première des bois
et des rivières. (Po : 8)
(Que m'accompagnent koras et balafong)
Choisir ! et délicieusement écartelé
entre ces deux mains amies
- Un baiser de toi Soukeïna ! - ces deux mondes
antagonistes
Quand douloureusement - ah ! je ne sais plus qui est ma soeur
et qui ma soeur de lait
De celles qui bercèrent mes nuits de leur tendresse
rêvée, de leurs mains mêlées
361
Quand douloureusement - un baiser de toi Isabelle ! - entre ces
deux mains
Que je voudrais unir dans ma main chaude de nouveau. Mais s'il
faut choisir à l'heure de l'épreuve
[...]
J'ai choisi mon peuple noir peinant, mon peuple paysan, toute la
race paysanne par le monde. (Po : 28)
(Chant de printemps)
Et le sang de mes frères blancs bouillonne par les rues
plus rouge que le Nil - sous quelle colère de Dieu ?
Et le sang de mes frères noirs les Tirailleurs
sénégalais, dont
chaque goutte répandue est une pointe de glaive de feu
à mon flanc. (Po : 84)
(Je repasse)
Où est donc la fille de mon espoir défunt, Isabelle
aux yeux clairs ou Soukeïna de soie noire ? (Po : 224)
(Toujours `' miroirs»)
Ah ! j'ai choisi. Elle m'a distingué pour être son
prince-servant, ou son faux eunuque qu'importe ? (Po : 243)
Nous voyons se former, dans la nouvelle superposition, les
groupes suivants :
- Afrique : un baiser de toi Soukeïna, mon
peuple noir, mes frères noirs les Tirailleurs
sénégalais, Soukeïna de soie noire...
- Europe : un baiser de toi Isabelle, mes
frères blancs, Isabelle aux yeux clairs...
- Opposition : ces deux mondes antagonistes, ma
soeur et qui ma soeur de lait, Isabelle
aux yeux clairs ou Soukeïna de soie noire...
- Choix : Je l'ai choisie, choisir, s'il faut
choisir, J'ai choisi, j'ai choisi...
- Unité : leurs mains
mêlées, ces deux mains, je voudrais unir, mes frères
blancs, mes
frères noirs...
- Douleur : douloureusement, ah !, Ah !...
Ces groupes d'image présentent un Senghor hésitant.
On saisit par là une hésitation de sa part,
car il donne l'impression de choisir, et pourtant il ne
choisit pas. Entre la volonté d'unir ces deux identités, ces deux
mondes antagonistes, et celle de choisir une parmi les deux, Senghor est
tenaillé. Une tension cruciale, un conflit identitaire, un dilemme
cornélien se vit sous nos yeux, et Senghor voit cela comme un
déchirement, une dilacération de tout son être, de tout son
moi. L'adverbe « douloureusement » et les interjections
« ah ! Ah ! » traduisent bel et bien ce conflit, cet
écartèlement et la douleur de Senghor. Soumis à
l'heure de l'épreuve du choix entre son identité africaine
et son identité européenne, entre Isabelle et Soukeïna,
entre ces deux mondes antagonistes, Senghor choisit, en plus du peuple noir et
de toute la race paysanne, de ne pas choisir, mais de proposer une nouvelle
option : celle d'unir ses deux mondes
362
antagonistes, ses deux identités, parce qu'il est le
frère des frères d'Isabelle et le frère des frères
de Soukeïna les Tirailleurs sénégalais.1187 En
fait, il se donne un quatrième choix :
Je n'avais que trois choix : le travail la débauche ou le
suicide
J'ai choisi quatrième, de boire tes yeux souvenir
Soleil d'or sur la rosée blanche, mon gazon tendre. (Po :
234)
De ce fait, il dit que l'identité d'une personne est un
choix individuel. L'individu est le seul qui choisit d'être ce qu'il veut
être, et de l'assumer. Son identité ne doit pas être
octroyée. Lorsque Senghor décide de proposer une nouvelle option,
il asserte le fait que l'identité est une affaire personnelle. Il
choisit de vivre ce qu'il est, c'est-à-dire son identité de
l'entre-deux, et de l'assumer. Il ne se présente pas comme un Africain
ni Européen, mais comme celui qui unit les deux mondes antagonistes. Il
affirme son appartenance aux deux continents : l'Afrique et l'Europe. Il
enrichit les deux continents en ouvrant l'un aux possibilités de
l'autre. À cet effet, prêtons les propos d'Amin Maalouf à
Senghor :
Je réponds invariablement : « L'un et l'autre !
» Non par quelque souci d'équilibre ou d'équité, mais
parce qu'en répondant différemment, je mentirais. Ce qui fait que
je suis moi-même et pas un autre, c'est que je suis à la
lisière de deux pays, de deux ou trois langues, de plusieurs traditions
culturelles. C'est précisément cela qui définit mon
identité. Serai-je plus authentique si je m'amputais d'une partie de
moi-même ?1188
L'identité de l'entre-deux se manifeste chez Senghor
dans les rapports entre l'Afrique et l'Europe. De ce fait, l'entre-deux n'est
pas seulement identitaire, mais également culturel et spatial (espace).
Il n'est pas question de nier les cultures et l'identité de chaque
peuple, de chaque continent ou de chaque pays, mais de les vivre en soi en
parfaite harmonie et symbiose.
Le choix de Senghor est cette identité qui ne devrait
en aucun cas nier l'existence d'une quelconque identité, mais qui
devrait exprimer l'unification des deux. Le refus de choisir de Senghor
signifie qu'il n'a pas plusieurs identités, mais une seule
identité faite de tous les éléments de ses
différents milieux de son existence. C'est son identité
constituée.
1187 Celina SCHEINOWITZ, « La poésie de Senghor et
l'Afrique », Éthiopique, Littérature, philosophie
et art, 2ème semestre 2004, n°73 ( Elle dit que Soukeïna
symbolise l'Afrique et Isabelle l'Europe).
1188 Amin MAALOUF, Les identités
meurtrières, op. cit., p. 9
363
La question identitaire est ambigüe chez Léopold
Sédar Senghor. En effet, il ne sait où se situer pour
définir sa propre identité. En fait, il n'a pas plusieurs
identités ou une multiple identité, mais une seule. Cette
identité est l'identité de l'entre-deux. Les critères
définitionnels de cette identité sont équivoques. Chez
Senghor, elle est à la fois africaine et européenne. Lorsqu'il
décide d'être africain, il se rend bien compte qu'il lui manque
quelque chose d'autre, c'est-à-dire qu'il n'est pas totalement
lui-même. Il est conscient qu'il existe une partie de lui-même ou
une autre de lui-même qui n'est pas africaine. Dans le cas contraire,
où il se considère comme Européen, il remarque
également qu'il existe une partie de lui-même qui n'est pas
européenne. Au bout du compte, il constate qu'il n'est ni totalement
Africain ni tout à fait Européen. Il reflète les deux. Il
est de l'entre-deux.
Pour saisir l'identité de l'entre-deux chez Senghor,
nous avons procédé au discernement des éléments
constitutifs de cette identité. À cet effet, nous avons vu
qu'elle est constituée d'un ensemble de traits et de
caractéristiques culturels africains et européens, voire de la
culture sérère, peule, malinké et française. En
fait, pour saisir cette identité, nous avons, également, dû
montrer que Senghor est un individu écartelé. Cela a permis de
comprendre le fonctionnement de cette identité dans la poésie
senghorienne. L'entre-deux identitaire est l'identité d'une personne
prise entre deux cultures, deux langues, deux continents. Cette personne est
confrontée à un dilemme identitaire, voire à une crise
identitaire. Elle va essayer chaque identité qui est à sa
disposition sans vraiment choisir une qui reflèterait sa
personnalité, parce que chaque identité est inhérente et
nécessaire à la construction de sa propre identité. Elle
est le résultat de ces deux identités. Tel est le cas de
Léopold Sédar Senghor.
Voulant se définir comme un Africain et se
reconnaître comme un Européen, il constate que ce qui fait son
identité est qu'elle résulte de l'identité africaine et de
l'identité européenne. Ces deux identités sont
intrinsèquement liées à sa personnalité, à
son être et à sa nature, pour ainsi dire. L'ensemble des traits et
des caractéristiques de ces deux identités définit
identité senghorienne, et fait de celui-ci un individu à part
entière, parce qu'il est de l'entre-deux. Senghor choisit de vivre et
d'exprimer sa situation identitaire de l'entre-deux. Cette identité est
une identité qui unit deux mondes antagonistes dans un seul individu. Ce
qui signifie que l'individu de l'entre-deux est un conciliateur, un trait
d'union, un passeur, un médiateur entre deux cultures. C'est sa mission,
puisqu'il a pu apprécier ce qui est bon et ce qui est mauvais dans ses
deux cultures.
L'identité de l'entre-deux est appelée à
se façonner, à se moduler afin de définir une nouvelle
identité acceptée et acceptable de tous qui n'élimine pas
l'identité et la culture originelles ni l'identité et la culture
artificielles, mais qui les enrichit en ouvrant les unes aux
possibilités des autres.1189 Mieux, elle devrait être
une expérience enrichissante et féconde, si l'individu se sent
encouragé à assumer toute sa diversité, à
l'inverse, son parcours peut s'avérer traumatisant si chaque fois qu'il
s'affirme Européen, certains le regardent comme un traite, voire comme
un renégat, et si chaque fois qu'il met en avant ses attaches avec
l'Afrique (avec son pays d'origine), son histoire, sa culture, sa religion, il
est en butte à l'incompréhension, à la méfiance ou
l'hostilité.1190 Tel fut le cas de Senghor, à telle
enseigne de faire un choix bouleversant et déchirant. Cependant, il
abdiqua son projet, et décide de vivre sa nouvelle identité,
parce qu'il a voulu qu'elle soit trait d'union, passerelle, médiatrice
entre les diverses communautés et cultures.
Chez Senghor, l'identité de l'entre-deux dépasse
le cadre même de l'entre-deux pour revêtir d'autres
caractéristiques. Elle se meut en une identité acculturée.
Comment se présente alors cette identité dans la poésie de
Léopold Sédar Senghor, sachant que « l'identité
ne se compartimente pas, elle ne se répartit ni par moitiés, ni
par tiers, ni par plages cloisonnées » ?1191
364
1189 Virgilio ELIZONDO, L'avenir est au
métissage, op. cit., p. 156 1190 Amin MAALOUF, Les
identités meurtrières, op. cit., pp. 11-12 1191
Idem., p. 10
365
2. UNE IDENTITÉ ACCULTURÉE
L'acculturation est un processus culturel impliquant quatre
facteurs, selon John Berry, l'Assimilation, la
Séparation, l'Intégration et la
Marginalisation. Deux parmi ces facteurs peuvent être
appréhendés pour expliquer l'identité acculturée
chez Léopold Sédar Senghor : l'Assimilation et
l'Intégration. Le processus d'acculturation découle
également du contact avec un autre peuple. Cependant, nous ne pouvons
vraiment pas parler d'assimilation chez Senghor dans le sens de John Berry.
La conception de l'assimilation de John Berry implique la
renonciation totale de sa culture d'origine, tandis que chez Senghor, elle est
d'une sorte de négociation. La seule possibilité
d'appréhender l'identité acculturée de Senghor
réside dans la conception de l'intégration. Il semblerait qu'en
débusquant le grand nombre d'éléments de son
identité sans renier aucun, et en les assemblant et les alignant,
l'individu se fait une identité acculturée. C'est,
peut-être, en cherchant la réponse à la question comment
assimiler la culture de l'autre sans renier ma propre culture que celui-ci a eu
l'idée de l'identité acculturée. De ce fait,
l'acculturation chez tel individu serait le fait de s'imprégner de la
culture de l'autre pour pouvoir s'imprégner de sa propre culture.
Autrement dit, il ne s'agirait pas d'ingurgiter sans discernement les cultures
des autres et d'abandonner radicalement sa propre culture. Cela semble
justifier l'identité acculturée chez Senghor. Ce sont encore des
hypothèses. Cependant, il ne faut pas écarter l'hypothèse
que l'acculturation en Afrique est due à la colonisation.
L'identité acculturée est une identité
perçue comme la somme des différents éléments et
traits culturels issus de la rencontre de deux cultures diamétralement
opposées. En fait, elle ne peut être qu'une identité de
relation se construisant sans cesse à partir des liens qu'elle
entretient avec d'autres identités.1192 Selon René
Makounkolo et Daniel Pasquier, « la première théorie de
l'acculturation a été proposée en 1918 par Thomas et
Znaniecki »1193. À la suite des deux, Redfield
Robert, Linton Ralph et Herskovits J. Melville ont défini
l'acculturation en ces termes :
1192 Myriam LOUVIOT : Poétique de l'hybridité
dans les littératures postcoloniales, op. cit., p. 80
1193 René MOKOUNKOLO, Daniel PASQUIER, «
Stratégies d'acculturation : cause ou effet des caractéristiques
psychosociales ? L'exemple de migrants d'origine algérienne »,
Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale 2008/3
(Numéro 79), p. 57
366
Acculturation comprehends those phenomena which result when
groups of
individuals having different cultures come into continous
first-hand contact, with subsequent changes in the original cultural parterns
of either or both groups.1194
Hormis les deux théories susmentionnées, celle
de John Berry est la plus référencée.
L'acculturation chez Léopold Sédar Senghor
consiste à maintenir les éléments de sa culture d'origine
tout empruntant ceux de la culture de l'autre. John Berry a appelé cela
l'intégration. Dans le sens senghorien, l'intégration est
plutôt l'assimilation culturelle et non l'assimilation individuelle. Il
faut assimiler la culture de l'autre sans se laisser assimiler, telle est la
devise de Senghor. Avec lui, il faut comprendre que l'acculturation est une
modification de sa propre culture, due au contact avec une autre culture.
L'identité acculturée serait ainsi une identité comprise
entre deux identités culturelles en contact, mieux une identité
de relation, d'arrangement, surtout de concession.
Cependant, l'étude de l'acculturation est en grande
partie liée au phénomène de l'immigration, ce qui signifie
que l'identité acculturée est étudiée chez les
sujets de l'immigration ou chez les auteurs de l'exil ou immigrants. Peut-on
parler d'immigration chez Senghor ? Sans toutefois écarter
l'hypothèse de l'immigration ou de l'exil, nous allons chercher à
comprendre la manifestation de l'identité acculturée dans sa
poésie. Pour ce faire, nous procédons à la superposition
de quelques poèmes, à savoir « Porte dorée »,
« Tout le long du jour », « Le message », «
Prière aux masques », « Que m'accompagnent koras et balafong
» (Chants d'ombre), « Prière des Tirailleurs
sénégalais », « Ndessé » (Hosties noires),
et « Chants pour Signare » (Nocturnes).
(Porte dorée)
Mes regrets, ce sont les toits qui saignent au bord des eaux,
bercés par l'intimité des bosquets
Moi dont le plus modeste taxi roule et chavire le coeur sur les
hautes vagues de l'Atlantique
Qu'une seule cigarette fait tituber comme le marin à
l'escale sur le chemin du port
Qui dis toujours aussi mal que le lointain écolier de
brousse « Bonjour, Mademoiselle...Comment allez-vous ? (Po : 8)
(Tout le long du jour...)
Tout le long du jour, tout le long de la ligne
Par les petites gares uniformes, jacassantes petites
négresses à la sortie de l'École et de la volière
(Po : 11)
(Le message)
1194 Robert REDFIELD, Ralph LINTON et Melville J. HERSKOWITS,
« Memorandum for the study of Acculturation », American
Anthropologist, 38, 1936, p. 149 (L'acculturation est un ensemble de
phénomènes qui résultent d'un contact permanent avec des
groupes d'individus de cultures différentes et qui entraînent des
changements dans les modèles culturels originaux de l'un ou de l'autre
groupes (ou des deux groupes).)
367
« Vous êtes docteurs en Sorbonne, bedonnants de
diplômes « Vous amassez des feuilles de papier - si seulement des
louis d'or à compter sous la lampe, comme feu ton père aux doigts
tenaces ! (Po : 17)
(Prière aux masques)
Masques aux visages sans masque, dépouillés de
toute fossette
comme de toute ride
Qui avez composé ce portrait, ce visage mien penché
sur
l'autel de papier blanc
A votre image, écoutez-moi ! (Po : 21)
(Que m'accompagnent koras et balafong)
Je ne fus pas toujours pasteur de têtes blondes sur les
plaines
arides
Pas toujours bon fonctionnaire, déférent envers ses
supé-
rieurs
Bon collègue poli élégant - et les gants ? -
souriant riant
rarement
Vieille France vieille Université, et tout le chapelet
déroulé.
[...1
Lave-moi, de toutes mes contagions de civilisé.
[...1
Je n'amène d'Europe que cette enfant amie, la
clarté de ses
yeux parmi les brumes bretonnes. (Po : 29-35)
(Prière des Tirailleurs sénégalais)
« Que nous goûtions la douceur de la terre la France
« Terre heureuse ! où l'âpreté libre du travail
devient lumineuse douceur. (Po : 68)
(Ndessé)
Ah ! me pèse le fardeau pieux de mon mensonge
Je ne suis plus le fonctionnaire qui a autorité, le
marabout
aux disciples charmes.
L'Europe m'a broyé comme le plat guerrier sous les
pattes
pachydermes des tanks
Mon coeur est plus meurtri que mon corps jadis, au retour
des lointaines escapades aux bords enchantés des Esprits.
(Po : 79-80)
(Chants pour Signare)
Depuis longtemps civilisé, je n'ai pas encore
apaisé le Dieu
blanc du Sommeil.
Je parle bien sa langue, mais si barbare mon accent !
[...1
Mon amour campagne rasée et quadrillée, pays blanc
dont
je ne suis qu'un usager
[...1
Hier à l'église à l'Angélus, ont
brillé ses yeux cierges mor-
dorant
Sa peau de bronze. Mon Dieu ! mon Dieu ! mais pourquoi
m'arracher mes sens païens qui crient ? (Po : 171-187)
Les huit textes ci-dessus ne laissent aucune trace de doute,
car ils sont empreintes affectives du poète. Mieux, ils sont bien
chargés d'affects.
Prenons pour point de départ des réseaux
associatifs issus de la superposition, l'instruction occidentale, qui a
été mise en évidence au chapitre un de la deuxième
partie de ce
368
travail, pour mieux expliciter l'identité
acculturée chez Léopold Sédar Senghor. En effet,
l'école occidentale n'avait qu'un seul but, celui de l'assimilation
totale du Noir, celui d'assimiler totalement les Africains par la diffusion de
la langue française et de faire d'eux les consommateurs de la culture
française. L'instruction occidentale est, comme les missions
chrétiennes et médecines, au nombre des moyens d'action
essentiels de la politique assimilatrice de la colonisation et de la domination
française ; et l'un des objectifs de cette instruction était,
comme déjà dit, l'assimilation totale des peuples
colonisés, car « assimiler une culture, c'est d'abord assimiler
sa langue ».1195 À l'époque coloniale, on a
instauré le symbole pour punir celui qui était pris en train de
parler une autre langue à part le français, laisse entendre
Mamadou Cissé :
En 1928, était promulgué un arrêté
qui stipulait que le français est la seule langue en usage dans les
écoles. Il est interdit aux maîtres d'utiliser des « idiomes
» du pays entre eux ou avec les élèves, en classe ou en
récréation. On instaura le « symbole » ou « signal
» afin d'humilier les contrevenants.1196
Nous avons choisi les huit textes ci-dessus, du fait qu'ils
ont une chance de laisser affleurer les processus inconscients qui permettent
de mieux comprendre l'ambiguïté chez Senghor. En négligeant
les liens syntaxiques et considérant les mots s'agréger
d'eux-mêmes, selon leurs nuances affectives, nous obtiendrons des huit
textes ce qui suit :
- L'instruction occidentale : le lointain
écolier de brousse, à la sortie de l'École et de la
volière, docteurs en Sorbonne, bedonnant de diplômes, des feuilles
de papier, l'autel de papier blanc, arides de vos livres, bon fonctionnaire,
bon collègue poli élégant, vieille Université,
disciples charmés...
- L'assimilation (le civilisé) : une
seule cigarette, qui dis toujours aussi mal que le lointain écolier,
vieille France, les gants, mes contagions de civilisé, je n'amène
d'Europe que cette enfant amie, la douceur de la terre de France, l'Europe m'a
broyé, longtemps civilisé, je ne suis qu'un usager, je parle bien
sa langue, pays blanc, à l'église, l'Angélus, sa peau de
bronze...
- Le refus de l'assimilation : mes regrets, pas
toujours pasteur, pas toujours bon fonctionnaire, lave-moi de toutes contagions
de civilisé, Ah ! me pèse le fardeau pieux de mon mensonge, je ne
suis plus le fonctionnaire, mon coeur est meurtri, mais pourquoi m'arracher ses
sens païens qui crient ?
Ces réseaux associatifs groupant les idées
suivantes : l'instruction occidentale, l'assimilation et
le refus de l'assimilation, montrent que Senghor a bel et bien
vécu et expérimenté à la fois
1195 Jean-Paul WARNIER, La mondialisation de la culture,
La Découverte, Paris, 2008, p. 8
1196 Mamadou CISSÉ, « De l'assimilation a
l'appropriation : essai de glottopolitique senghorienne »,
Sudlangues, n°7, pp. 131-132
369
l'assimilation linguistique et culturelle françaises.
Mamadou Cissé s'inscrit dans cette logique, lorsqu'il dit :
Mais loin des lieux communs et cette image d'Épinal qui
lui colle à la peau comme un cliché, la trajectoire du personnage
vers « la défense et illustration de la langue française
» est concomitante à une quête identitaire et à une
recherche effrénée de repères. Il en est ainsi d'ailleurs
de toutes les personnes de sa génération ayant vécu et
expérimenté l'assimilation linguistique et
culturelle1197.
Cette assimilation linguistique et culturelle est due à
l'instruction occidentale. En effet, arraché trop tôt à son
terroir natal, Senghor n'a pas eu d'éducation traditionnelle
complète et notamment pas connu l'initiation traditionnelle
ancestrale.1198 Il fut nourri à la sève
nourricière de l'éducation et de l'initiation modernes
européennes. Cependant, conscient de ce déracinement, selon nos
réseaux associatifs, il refuse l'assimilation afin de préserver
sa culture d'origine. Ce qui ne corrobore pas ses propos. En tant qu'homme
ordinaire, il semble être favorable à l'assimilation à
travers l'école occidentale. Pour lui, l'école occidentale ou
coloniale avait pour rôle
[...] de former non des « Français moyens »,
mais des Négro-français, des hommes
modernes. Il est question d'assimilation active, de partir de
l'Afrique noire pour y revenir enrichis de technique et de l'expérience
de France1199.
Du point de vue senghorienne, l'assimilation dont il est
question est de former des Négro-français, c'est-à-dire
des hommes qui ne sont ni Africains ni Français, mais des Francophones.
Ce type d'assimilation prête une confusion totale, raison pour laquelle,
Daniel Kemajou, représentant du Cameroun à l'Assemblée de
l'Union Française avait dit que
Le projet de M. Senghor prend hardiment parti, si j'ose dire,
pour l'assimilation, quoi qu'il écrive le contraire. La moindre logique
nous autorise à affirmer que cette assimilation est inévitable
car celle des programmes d'enseignement et des méthodes entraîne
fatalement une assimilation intégrale de l'individu.1200
Senghor lui répond indirectement en disant qu'«
On pose, implicitement que l'enseignement public n'a d'autre que de former
d'actif producteurs et de bons petits fonctionnaires soumis à leurs
maîtres. »1201 En fait, Senghor y dénonce
l'assimilation excessive, et prône une
1197 Idem., p. 131
1198 Étienne SMITH, « Senghor voulait qu'on soit tous
des Senghor ». Parcours nostalgiques d'une génération de
lettrés, Vingtième Siècle. Revue
d'histoire 2013/2 (N° 118), p. 95
1199 Rapport de M. Senghor, grand conseiller de l'AOF,
député du Sénégal, 3 juin 1949, CAC 550641/8
1200 Journal officiel de l'Assemblée de l'Union
Française, session du juillet 1948.
1201 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
1, op. cit., p. 10
370
assimilation partielle. L'assimilation senghorienne veut que
l'on soit, à la fois, plus assimilé à la culture
française et plus enraciné dans sa culture d'origine. Il s'agit
d'assimiler et non de se laisser assimiler : « trop assimilés
et pas assez assimilés ? Tel est exactement notre destin de métis
culturels ».1202
Pour exprimer concomitamment l'assimilation et l'enracinement,
il faut adopter une nouvelle stratégie. Cette nouvelle stratégie
consiste à une construction et une déconstruction du discours
colonial fondé sur l'assimilation totale et intégrale. Il ne
s'agit pas de se distinguer du reste de l'humanité au nom d'une
illusoire authenticité nègre, au nom d'une identité
figée, intangible et absolue, mais d'approprier les valeurs culturelles
françaises et les intégrer aux valeurs culturelles africaines,
car l'identité est par nature un chantier jamais achevé, un
processus par essence composite, riche de plusieurs affluents et
confluents.1203 Léopold Sédar Senghor asserte qu'elle
est la greffe de celles-ci sur celles-là.1204
L'identité senghorienne est toujours question
d'appropriation, d'adaptation, d'intégration et d'ouverture. Cette
identité reflète ce que John Berry appelle intégration. En
quête de cohérence et de l'affirmation de soi, Senghor y recherche
les repères utiles dans sa culture d'origine et celle de l'autre (ici de
la France) : « J'ai `'assimilé'' ceux-ci à
ceux-là, `' acculturé'', comme vous le dites, ceux-là
à ceux-ci. »1205 Pour lui, le Français doit
se faire Nègre parmi les Nègres ; et le Nègre doit
également se faire Français parmi les Français : «
Tu t'es fait Nègre Jean-Marie parmi les Nègres
»1206. En fait, il nous invite à nous construire
une identité acculturée qui reflètera notre situation de
métis culturel, pour dire juste, notre situation de Francophone (notre
identité francophone/ identité négro-française).
L'identité acculturée senghorienne est le fait d'assimiler sans
être assimilé, le fait d'acculturer sans perdre notre
spécificité. Dans l'entendement de Senghor, nous pouvons
assimiler et demeurer nous-mêmes, authentiques, sans être
forcément une copie de l'Occident. Nous devons être capables de
nous accommoder des réalités culturelles, différentes des
nôtres. Tel est le sens de l'identité acculturée chez
Léopold Sédar Senghor : assimilation et adaptation d'une culture
autre que la sienne tout en maintenant sa culture et son identité
d'origine. Avec l'identité acculturée, Senghor veut en venir au
métissage culturel. Ce qui semblerait une ambiguïté au
départ n'est en réalité qu'une stratégie
dialectique identitaire chez Léopold Sédar Senghor.
1202 Idem., p. 103
1203 David GAKUNZI, « le poète et la cité :
Léopold Sédar Senghor », France-Fraternités,
op. cit.
1204 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 1,
op. cit., p. 103
1205 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 388
1206 Cf. « Élégie pour Jean-Marie »,
Élégies majeurs, op. cit., p. 279
371
L'individu, dans une situation d'acculturation, utilise
plusieurs stratégies pour s'adapter à la nouvelle culture tout en
maintenant sa culture d'origine. Parmi ces nombreuses stratégies,
Senghor a opté pour une stratégie dialectique identitaire. La
stratégie dialectique identitaire est un processus de
réciprocité et d'échange des cultures en contact
permettant à l'individu de conserver son identité et sa culture
d'origine et de s'accommoder de la culture et de l'identité de l'autre.
Mieux, elle est un processus aboutissant à l'expression de ses multiples
identités en une seule identité. En fait, comme le souligne
Edmond-Marc Lipiansky,
L'identité se construit dans une dialectique entre
l'autre et le même, la similitude
et la différence. Cette dialectique se retrouve au plan
de l'interaction entre les tendances à l'assimilation et les tendances
à la différenciation.1207
De ce fait, l'identité acculturée chez Senghor
relève d'un caractère dialectique, car il n'y a pas de rupture
entre l'identité africaine et l'identité européenne, entre
l'identité sérère et l'identité française.
Ce sont plutôt deux pôles identitaires de la même personne.
Cette identité acculturée, pour dire vrai, est l'identité
francophone. En effet, cette identité francophone est la seule
identité capable de traduire et d'exprimer, à la fois,
l'identité africaine et l'identité européenne avec une
tendance à l'assimilation et à la différenciation.
La stratégie dialectique identitaire consiste à
faire un tri pour ne choisir que les valeurs occidentales que l'Afrique
assimilera et en tirera profit, comme nous pouvons l'appréhender dans
les propos de Senghor, ci-dessous :
En vérité, loin de rejeter brutalement,
stupidement les valeurs de l'Occident européen, il fallait faire un tri
par elles pour ne choisir que celles que nous pouvons assimiler, dont nous
pourrions tirer profit. D'où ma formule : « Assimiler, non
être assimilé »1208.
La stratégie dialectique identitaire, à cet
effet, conduit à une identité acculturée, qui n'est rien
d'autre qu'une assimilation dite partielle, et pour être juste une
intégration, comme l'expose John Berry. Pour Senghor, cette
identité doit justifier sa thèse de métissage. Ce qui
caractérise l'identité acculturée et l'identité
francophone, selon Senghor, est, bien sûr, le métissage :
L'idée est la même : au-delà d'un possible
métissage biologique - qui était réel à
Gorée et Saint-Louis du Sénégal, mais
là n'est pas l'important - il est question,
1207 Edmond-Marc LIPIANKSY, «Identité subjective
et interaction», Stratégies identitaires. Paris, PUF,
1990, p. 188.
1208 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français et les langues africaines », Liberté 5,
Paris, Seuil, 1993, p. 243
372
essentiellement, d'un métissage culturel. C'est ce
sentiment communautaire qui prévaut dans toutes les rencontres
francophones1209.
Et d'ajouter que la Francophonie réalise cette valeur
du métissage culturel1210, que permet l'identité
acculturée. Par l'identité acculturée, Senghor affirme
être un métis culturel, car il s'est abreuvé à la
fois à la culture africaine et à la culture française,
autrement dit, un Négro-français. Pour être plus juste,
nous disons que Senghor affirme, par l'identité acculturée, qu'il
est Francophone. Il s'est acculturé les différentes cultures qui
l'écartèlent, par une stratégie dialectique identitaire,
pour se construire une nouvelle identité culturelle, ici, une
identité francophone.
Deux facteurs ont permis d'expliquer l'identité
acculturée chez Léopold Sédar Senghor : l'école
coloniale et l'immigration (son séjour d'étude en France). En
fait, l'élucidation de cette identité a mis l'accent sur
l'instruction occidentale. Qu'elle soit en Afrique ou en France, l'instruction
occidentale est en corrélation avec le séjour d'étude chez
Senghor. Ce qui signifie qu'il s'agit en réalité d'un seul
facteur dans l'appréhension de l'identité acculturée chez
Senghor : l'instruction occidentale. Cette instruction a entraîné
des changements dans la vie et dans la culture des colonisés à
telle enseigne qu'ils ont pratiquement abandonné leurs valeurs
culturelles, voire renié leur propre identité, estime Senghor
:
Et la foule des boulevards, les somnambules qui ont
renié leur identité d'homme
Caméléons sourds de la métamorphose, et
leur honte vous fixe dans votre cage de solitude. (Po : 81)
Emmanuel Mounier confirme les propos de Senghor en disant que
« la plupart des Noirs ont une honte d'être noirs, une honte
secrète qu'ils ne font pas la leur, mais qui hante jusqu'à leur
fierté. »1211 Cette honte d'être noir,
Senghor l'a ressentie à un moment de sa vie, et cela s'explique, par le
fait, que les Noirs ne savent plus ce qu'ils sont au juste. En effet, l'Afrique
ne sait ce qu'elle est devenue depuis sa rencontre avec des peuples de
civilisations différentes, surtout sa rencontre avec l'Europe. Elle n'a
plus de cultures propres à elle, car la civilisation européenne a
tout chamboulé plongeant l'Africain dans une déculturation
totale.
1209 Léopold Sédar SENGHOR, « Pour un
humanisme de la francophonie », Liberté 3, Paris, Seuil,
1977, p. 547 1210 Léopold Sédar SENGHOR, « De la
Francophonie », op. cit.
1211 Emmanuel MOUNIER, Les oeuvres, Tome 3, Seuil,
Paris, 1944-1950, p. 268
Les Africains ne savent plus s'ils doivent se
considérer tantôt comme des Européens, tantôt comme
des Africains. Ils ont une identité ambiguë. Ils cherchent,
à cet effet, des stratégies identitaires pour exprimer leur
situation de déculturation. Senghor, ayant compris, décide de
revenir en Afrique, puiser les valeurs culturelles africaines et les
intégrer aux valeurs culturelles occidentales. Il use de la
stratégie dialectique identitaire pour se construire une identité
acculturée. Avec l'identité acculturée, il n'était
pas question d'un abandon, d'un rejet total des normes culturelles africaines
et occidentales, mais d'une assimilation parfaite et partielle. Il s'agit
d'incorporer la culture de l'autre dans sa culture. En fait, l'assimilation
chez Senghor s'apparente à l'intégration chez John Berry. Il
consiste à maintenir les valeurs culturelles de soi tout en empruntant
celles de l'autre susceptibles d'être assimilées sans être
assimilé.
Avec l'identité acculturée, Senghor justifie
ainsi sa thèse de métissage, et asserte être non seulement
biologiquement métis, mais de l'être culturellement. Cette
identité acculturée va également corroborer sa
thèse sur l'identité francophone. En effet, ce qui fonde
l'identité francophone est le métissage, et Senghor veut qu'il
soit biologique et culturel. Au-delà de ces considérations ou de
ces assertions, Senghor affirme être un Francophone.
L'identité francophone est ce qui permet, selon
Senghor, d'exprimer « notre authenticité de métis
culturel »1212, ou de manifester notre identité
culturelle et notre singularité pour communier avec l'universel sans
jamais nous renier. Il n'est plus question pour un peuple quelconque, au sein
de la Francophonie, d'exprimer son identité par le concept
d'authenticité, mais par le concept d'acculturation, comme le veut
Léopold Sédar Senghor : le dépassement de ses complexes
pour s'approprier les valeurs culturelles de l'autre sans renier ses propres
valeurs culturelles. L'identité acculturée, chez Senghor, est le
fait d'exprimer son identité sérère, voire
sénégalaise dans une identité française. Il est
Négro-français, c'est-à-dire Francophone.
373
1212 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, la langue de culture », op. cit. (loc.
cit.), p. 843
374
Après avoir découvert qu'il est un métis
par les liens sanguinolents (liens sanguins) à travers la thèse
de l'ancêtre portugais et des sangs mêlés, Senghor se veut
une identité propre à lui. Pour cette raison, il se constitue une
identité. Il adopte ainsi une stratégie dialectique identitaire
pour se construire cette identité. En effet, il se rend-compte qu'il est
au carrefour de deux cultures : la culture africaine et la culture
européenne. Il se découvre être, à la fois, Africain
et Européen. Il a également une parfaite connaissance des deux
cultures. Il voulait vivre ces deux cultures et demeurer lui-même. Ce qui
renvoie à l'identité de l'entre-deux.
L'identité de l'entre-deux est l'identité qui
reflète la situation conflictuelle d'une personne à multiples
identités, qui revendique son appartenance à toutes ses
identités. Une personne de l'entre-deux est un métis culturel.
Pour cette évidence, elle devient une conciliatrice, un trait d'union,
une médiatrice entre deux cultures, entre plusieurs identités.
Cependant, l'identité de l'entre-deux dépasse le cadre même
de l'entre-deux culturel pour revêtir d'autres caractéristiques.
Elle se meut en une identité acculturée.
L'identité acculturée, loin d'être un
processus de déculturation ou l'identité d'une personne
déculturée, est l'identité d'une personne
décomplexée qui assume sa situation de l'entre-deux culturelle et
qui l'exprime sans renier ni l'une ni l'autre. Avec l'identité
acculturée, Senghor ne peut plus prétendre être un Africain
ni un Européen dans un sens univoque. Senghor, c'est l'Afrique et
l'Europe, et aussi la culture africaine et la culture européenne. Son
identité reflète sa situation, celle de métis culturel.
Cette identité lui permet d'exprimer son identité multiple,
surtout de manifester son identité culturelle et sa singularité
pour communier avec l'universel. Il ne s'agit pas d'exprimer de façon
disparate ses multiples identités, mais de les focaliser, les
concrétiser et les concentrer en un point pour que la diversité
ne soit pas choquante. Il est question d'un accord, d'une diversité dans
un accord harmonieux, d'une identité issue de plusieurs
éléments identitaires de différentes cultures en contact.
En se constituant une identité, Senghor exprime l'unité d'un
sujet divisé1213, écartelé. Ce qui signifie que
Senghor se retrouve non plus écartelé entre deux cultures ou deux
identités aussi différentes que complémentaires. Son
identité est l'unification de ce qui était divisé en lui
ou de ce qui l'écartelait. D'où l'identité
constituée.
L'identité constituée est le résultat
complexe de la combinaison entre des cultures hostiles, dont l'une se veut
supérieure à l'autre, et qui brise les barrières de la
supériorité
1213 Dominique COMBE, Poétiques francophones,
Paris, Hachette, 1997, pp. 134-135
375
culturelle. Aucune culture n'est supérieure, toutes se
valent et sont nécessaires à l'affirmation de soi. Senghor se
présente alors comme un individu de l'entre-deux qui a une
identité acculturée, poreux à toutes les cultures
susceptibles d'être assimilées sans qu'il soit assimilé.
L'identité constituée chez Léopold
Sédar Senghor est la face visible de l'identité francophone.
Cette identité francophone est multiple, car elle est le résultat
d'une rencontre culturelle, d'un facteur historique, linguistique et
psychologique. En effet, l'identité francophone permet d'unir les
éléments identitaires disparates de l'individu pour en faire un
tout, par le biais d'un sentiment de continuité historique vécue.
La langue dont parle l'individu n'aura rien à voir avec le
français standard ; elle est une langue enrichie et
fécondée. Cette langue est du français
métissé, et le dénominateur commun, le trait culturel du
Francophone. De façon psychologique, le Francophone n'est ni
Français ni Africain, il est, à la fois, soi et l'autre. Il
manifeste sa singularité et sa pluralité.
En s'appuyant sur l'identité acculturée de
Senghor, nous pouvons affirmer que le Francophone est celui qui exprime la
conciliation entre les valeurs culturelles africaines et les valeurs
culturelles occidentales, et qui le manifeste peu importe sa nationalité
ou d'où il vient. Mieux, le Francophone est ce métis biologique
ou culturel qui parle français enrichi de particularismes linguistiques,
et qui assimile la culture de l'autre sans jamais renier sa culture d'origine.
Cette ébauche de notre part permet d'aborder la question
véritable de l'identité francophone chez Léopold
Sédar Senghor dans le chapitre suivant.
376
CHAPITRE III : L'IDENTITÉ FRANCOPHONE
CHEZ LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR
La plupart des personnes qui se disent Francophones sont
celles qui pensent que le fait de parler français leur octroie le droit
de posséder l'identité francophone, nous disent Laurence Arrighi
et Annette Boudreau : « La plupart des francophones du monde ont
été et sont encore aux prises avec l'idéologie du
français unique »1214. Ces personnes oublient que
l'identité francophone ne se limite pas seulement à la langue
française. Le sentiment de parler la langue française sans
particularismes fait qu'on a du mal à cerner l'identité
francophone. À cet effet, elles affirment que
Le terme francophone peine encore plus à
recouvrir une certaine acceptation de la diversité quand on en vient
à traiter des particularismes linguistiques effectives des locuteurs.
Face à celles-ci, la question de la pluralité achoppe. En effet,
la conception de la langue unique est très forte dans la conscience des
gens si bien que les différentes pratiques linguistiques des
francophones ont tendance à être occultées au profit d'un
discours visant à promouvoir une « saine »,
homogénéité, souvent subsumée à travers le
vocable français international, versant incarné et
contemporain de l'idéologie du standard.1215
En fait, elles oublient qu'il n'est plus question du
français standard en Francophonie, mais d'un français
fécondé et fécondant, et métissé. Dans le
cas de cette étude, il s'agit du français africanisé.
Le problème de l'identité francophone se pose
également à chaque fois que l'on demande : Pourquoi
écrivez-vous en français ? Pourquoi parlez-vous français ?
Vous n'êtes pas Français et puis vous vous exprimez bien en
français ? Selon Laurence Arrighi et Annette Boudreau, ce sont des
questions symptomatiques du fossé entre les locuteurs du français
hors de France et les Français. Ces questions ont tendance à
mettre d'un côté les Français, c'est-à-dire les
authentiques, et de l'autre côté les voleurs de
langue1216, les métèques, les non-Français.
C'est pourquoi, l'identité francophone est autant questionnée,
voire rejetée, puisqu'elle est
1214 Laurence ARRIGHI et Annette BOUDREAU, « La construction
discursive de l'identité francophone en Acadie ou comment être
francophone à partir des marges ? », Minorités
linguistiques et société 3 (2013) : 80-92, p. 89
1215 Idem., p. 85
1216 Cf. Jean-Louis JOUBERT. Allusion au titre de son ouvrage
Les voleurs de langue. Traversée de la Francophonie
littéraire, Éditions Philippe Rey, Paris, 2006, 190 p.
377
toujours suspectée de mettre d'un côté les
Français, locuteurs légitimes, et de l'autre côté
les autres qui le sont moins1217.
Le Francophone est l'autre qui n'est pas Français et
qui parle français ; le Francophone est également l'autre et le
Français qui font usage commun de la langue française. Confusion
totale. Et, l'identité francophone devient source de discrimination.
Léopold Sédar Senghor n'a pas échappé aux questions
symptomatiques. Avoue-t-il en ces termes :
Mais on me posera la question : « Pourquoi, dès
lors, écrivez-vous en français ? » Parce que nous sommes des
métis culturels, parce que si nous sentons en nègres, nous nous
exprimons en français, parce que le français est une langue
à vocation universelle, que notre message s'adresse aussi aux
Français de France et aux autres hommes, parce que le français
est une langue « de gentillesse et d'honnêteté. »1218
D'après les dires de Senghor, le Francophone serait un
métis culturel. Le métissage est le fondement même de
l'identité francophone. Métissage qui, pour Senghor, doit
être, à la fois, biologique, culturel, voire linguistique. N'y
a-t-il pas d'autres paramètres à prendre en compte dans
l'appréhension de l'identité francophone chez Senghor ? Si oui,
quels sont alors ces nouveaux paramètres ?
L'identité francophone est une valeur à garder
contre le danger menaçant de l'uniformisation, puisqu'elle est
unité dans la pluralité. Elle est, également, une force
organisatrice de l'être, une chance vers la connaissance de l'autre et
aux autres, parce que le moi devient inséparable de l'autre. Elle est
aussi ontologique, car elle concerne le sens de l'être. Elle est
instrumentale, dans la mesure où elle fournit au Francophone les moyens
de s'adapter au monde. Elle n'a rien de figé dans sa manière.
Mieux, l'identité francophone ne se fige jamais autour de
caractères et de valeurs échappant complètement aux enjeux
sociaux du moment. Elle est une conscience de soi en tant que parlant
français. Nous pouvons dire que l'on acquiert l'identité
francophone lorsque l'on prend conscience que cette identité est la
volonté de faire concilier l'ipséité et
l'altérité chez soi.
Cependant, nous sommes également conscient qu'il y a
une diversité de français. En fait, les Francophones parlent tous
la même langue qui est le français, mais avec des particularismes
propres à chaque Francophone. Cette langue est en constante
reproduction, car en se renouvelant, elle se réinvente et se transforme.
Comme elle, l'identité francophone se renouvelle en se construisant
à travers l'action, elle n'est pas statique. Elle est
l'identité-refuge.
1217 Laurence ARRIGHI et Annette BOUDREAU, « La construction
discursive de l'identité francophone en Acadie ou comment être
francophone à partir des marges ? », op. cit., p. 85
1218 Léopold Sédar SENGHOR, Postface
d'éthiopiques, op. cit. (loc.cit.), p. 164
378
En effet, l'identité francophone semble être
l'identité de ces nombreuses personnes qui ne savent pas ce qu'elles
sont au juste. Prises entre deux cultures qu'elles ne veulent point abandonner
ni nier, qu'elles veulent valoriser, ces personnes sont obligées de se
résigner en se réfugiant à travers une identité
capable de traduire sans complexe cet entre-deux identitaire. Senghor le
confirme en disant que
Déjà, le 15 avril 1789, dans les
Très-humbles Doléances et Remontrances des habitans (sic) du
Sénégal aux citoyens français tenant les états
généraux, des Négro-Africains se proclamaient, sans
complexe, « Nègres » et « Français ». Nous
disons aujourd'hui francophones.1219
Selon Senghor, le Francophone est celui qui proclame à
la fois être Nègre et Français. Cette appréhension
de l'identité francophone de notre part peut être sujet à
caution, cependant elle reflète la situation identitaire de
Léopold Sédar Senghor. D'ailleurs, il nous dit avec certitude
qu'il est francophone : « [...] je suis francophone [...]
».1220 L'identité-refuge est l'identité qui
permet d'unifier les différents traits et caractéristiques
identitaires chez un individu écartelé et divisé.
L'identité francophone, c'est plus que la langue
française fécondée et fécondante. Ce sont des
valeurs qui fondent cette identité. Senghor a donné ces valeurs
à travers les définitions de la Francophonie. Lorsqu'il dit que
la Francophonie est un Humanisme intégral, il insinue par-là que
le Francophone est un humaniste. Et, quand il affirme également que la
Francophonie est culture, il acquiesce le fait que le Francophone est un homme
de culture. Ce sont des valeurs certes, mais qui participent grandement de
l'identité Francophone. Nous tentons de les mettre en évidence,
dans ce chapitre, pour apporter notre modeste contribution au débat
déjà entamé sur l'identité francophone. Cela
signifie qu'au travers de la poésie senghorienne, nous allons aborder la
question identitaire humaniste d'une part, et culturelle d'autre part.
La lecture des poèmes de Senghor montre que le
poète ne se dissocie pas de l'homme, et qu'il développe les
notions telles que la solidarité, la tolérance (le pardon), le
respect de la personne humaine, l'attachement à la diversité des
cultures. En plus, il a tendance à se définir poète.
Aussi, semblerait-il que l'identité culturelle est, sans doute, le
leitmotiv de Senghor, comme le souligne Adou Bouatenin :
De ce fait, nous pouvons affirmer que la question de
l'identité culturelle a été le
leitmotiv de la poésie senghorienne [...]
L'identité culturelle francophone a toujours
1219 Léopold Sédar SENGHOR, « Pour un
humanisme de la francophonie », op. cit., p. 280 1220
Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 3, op. cit.
(loc. cit.), p. 183
été le leitmotiv de Senghor, et ses
poèmes ne sont que le support adéquat et manifeste pour
matérialiser son concept aussi cher.1221
Comme toute identité, l'identité francophone se
conçoit à partir de l'autre, du regard de l'autre. On est
Francophone, parce que l'autre nous préoccupe, parce que l'autre est un
homme comme nous, parce que l'autre n'est pas Francophone, parce qu'on veut
s'identifier à l'autre. L'homme est le centripète de la
Francophonie, selon Léopold Sédar Senghor :
En Francophonie, il s'agit toujours de l'Homme : à
sauver et à perfectionner,
intellectuellement avec Descartes, moralement avec Pascal,
intégralement avec Teilhard.1222
Mieux, dit-il, pour connaître l'autre, il faut s'identifier
à lui. Il dit à cet effet que
Vouloir la justice pour les autres, c'est auparavant, penser
dans les pensées des
autres pour s'identifier aux autres. Ce qui est un moyen
efficace de connaissance réciproque.1223
Chez lui, l'homme équivaut à la culture. En
fait, il dit : « J'ai l'habitude de dire que, comme chef
d'État, j'ai toujours pensé que l'Homme, c'est-à-dire la
Culture, était au commencement et à la fin du
Développement. »1224
Dans l'imaginaire francophone chez Senghor, l'homme et la
culture en sont des préoccupations. Ils en sont la raison même de
la conception senghorienne de la Francophonie. Pour mettre à nu
l'identité francophone chez Senghor, le plan de notre réflexion
se dessine de lui-même, de tout ce qui est dit ci-dessus ; ainsi nous
allons nous pencher successivement sur l'identité humaniste et sur
l'identité culturelle. Pour cette présente analyse, nous
recourons à la psychocritique.
379
1221 Adou BOUATENIN, La poétique de la
Francophonie, op. cit., p. 12 et p. 14
1222 Léopold Sédar SENGHOR, « La francophonie
comme culture », loc. cit., p. 139
1223 Léopold Sédar SENGHOR, « Pour un
humanisme de la francophonie », Liberté 3, op.
cit., p. 284 1224 Léopold Sédar SENGHOR, Notre
librairie, n°81, op. cit., p. 106
380
1. UNE IDENTITÉ HUMANISTE
Qu'est-ce qu'une identité humaniste ? Qu'est-ce qu'un
humaniste ? Pour répondre à ces questions, nous devons prendre le
temps de regarder si nous nous accordons sur la définition de l'humain
ou sur la conception de l'homme, car dans le mot humaniste on y voit
homme, humain. La question serait alors qu'est-ce que l'homme ? À cette
question, Odile Hardy répond en disant qu'
En effet, la définition de l'homme n'a jamais
été uniforme : cette définition n'appartient pas à
une catégorie de penseurs ou à un champ exclusif de la recherche
- même si certains en revendiquent parfois l'exclusivité. Aucune
discipline ne fait le tour de la question de l'homme, mais avec
l'hyperspécialisation des domaines aujourd'hui, certains
prétendent à une vérité sur l'homme - au risque de
réduire ce dernier à certaines caractéristiques.1225
En fait, chaque personne a une conception de l'homme et
entretient une relation spécifique avec lui. Notre rapport avec
l'être humain (l'homme) nous confère l'identité humaniste.
À cet effet, un humaniste est une personne préoccupée par
tout ce qui concerne l'homme. Il lutte pour que l'homme puisse
s'épanouir dans toutes ses dimensions : physiques, affectives,
intellectuelles et spirituelles. Dans le même ordre d'idée, Irina
Bokava dit qu'
Être humaniste aujourd'hui, c'est adapter la force d'un
message ancestral aux exigences du monde moderne. Repenser les conditions de
compréhension mutuelle et de l'édification, de la paix. Repenser
la protection de la dignité humaine, et les moyens de réaliser
pleinement le potentiel de chaque individu.1226
Autrement dit, être humaniste, c'est se soucier de
l'avenir de l'homme peu importe la couleur de sa peau, sa race et sa religion.
De ces appréhensions, que pouvons-nous dire de l'identité
humaniste en Francophonie ? Que représente l'homme chez Senghor ? Quelle
relation Senghor entretient avec l'autre ?
1225 Odile HARDY, « Comment penser l'humain pour refonder un
humanisme ? Regard sur la crise anthropologique contemporaine », Quel
humanisme pour demain ? l'avenir de l'homme dans nos
sociétés, Colloque 2015-2016, p. 3 .Disponible sur
http://www.grep-mp.com/wp-content/uploads/2016/12/2015-Hardy-Colloque-Humanisme.pdf
1226 Irina BOKAVA, « Repenser l'humanisme au
21ème siècle », International Review of
Education, volume 60, issue 3, 2014, p. 307
381
Senghor a défini la Francophonie comme étant un
Humanisme intégral. Cela sous-entend que la Francophonie se veut la
solution des problèmes de l'humanité ou se soucie du devenir de
l'homme. Ce qui signifie qu'il s'agit toujours de l'homme en Francophonie, et
qu'elle mène ses actions et ses activités en faveur de l'homme,
et toujours par référence à l'homme.1227 De ce
fait, l'humaniste en Francophonie est celui qui pose de façon
rationnelle les problèmes et recherche les solutions par
référence à l'homme, et qui tend ou tente à le
rendre plus vraiment humain. Selon Jacques Dufresne,
En utilisant l'expression humanisme intégral, Senghor
rattache la francophonie à un humanisme chrétien aux contours
bien dessinés, celui de Jacques Maritain, le philosophe catholique qui,
au cours de la première moitié du XXème
siècle, a réhabilité la tradition aristotélicienne
et thomiste et contribué à la conversion de nouveaux
intellectuels au catholicisme. Il a publié en 1936 un ouvrage,
l'humanisme intégral. [...] Senghor fait toutefois figure de penseur
solitaire. Le courant dominant va dans l'autre sens. Le mot humanisme, tel
qu'il est généralement utilisé pour caractériser la
francophonie, désigne un humanisme neutre dont les tenants sont avant
tout soucieux d'éviter de marquer leur appartenance l'humanisme
théocentrique ou l'humanisme anthrocentrique. L'humaniste est en ce sens
celui qui tend à rendre l'homme plus vraiment humain1228.
Dire à une personne d'être humain signifierait
que cette personne ait de l'amour, de la dilection et de la
commisération à l'égard de l'autre. Les humanistes veulent
que l'on ait un sentiment souciant de la condition humaine de l'autre.
Être humaniste, avoir une identité humaniste, c'est
éprouver, apprécier en chaque individu la valeur de l'humain, la
rareté sans prix de ce qui existe d'unique en chacun et qui, à ce
titre, est digne d'un infini respect.1229 Être humaniste est
une manière d'être qui associe la dignité, la
sociabilité et l'empathie. Dans cette logique, Jean-Jacques Rousseau
nous exhorte à demeurer humains :
Hommes, soyez humains, c'est votre premier devoir ; soyez-le
pour tous les états,
pour tous les âges, pour tout ce qui n'est pas
étranger à l'homme. Quelle sagesse y a-t-il pour vous hors de
l'humanité ?1230
Nous voulons également faire remarquer qu'il y a un
abus de langage, lorsque nous disons à une personne d'être, en
fait, humain, car, avant tout, cette personne est déjà humaine.
Cependant, l'expression être humain est utilisée pour
désigner l'attitude de l'homme à l'égard de l'autre. Il
faut comprendre l'identité humaniste en ce sens, puisqu'elle
reflète un individu
1227 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie
comme culture », op. cit., p. 136 et p. 139 1228 Jacques
DUFRESNE, « Un humanisme à définir ». Disponible sur
http://www.agora-2.org/francophonie.nsf/Documents/Humanisme--Un_humanisme_a_definir_par_Jacques_Dufresne
1229 Odile HARDY, « Comment penser l'humain pour refonder un humanisme ?
Regard sur la crise anthropologique contemporaine », op. cit., p.
39
1230 Jean-Jacques ROUSSEAU, Émile ou De
l'éducation, Paris, Garnier, 1762, p. 429
382
épris d'une dilection pour son prochain. À
présent, abordons les poèmes senghoriens pour appréhender
l'attitude de Senghor à l'égard de l'autre afin de
déterminer l'identité humaniste.
Pour la première superposition, nous allons faire appel
à huit poèmes. Ce sont « In memoriam », « Neige
sur Paris », « Le retour de l'enfant prodigue » (Chants
d'ombre), « Camp 1940/Au Guélowar », « Lettre
à un prisonnier » (Hosties noires), « Chaka », «
Épitres à la princesse » (Éthiopiques) et
« Élégie des alizés » (Élégies
majeurs)
(In memoriam)
J'ai peur de la foule de mes semblables au visage de pierre.
[...1
Que de ma tour dangereusement sûre, je descende dans la rue
Avec mes frères aux yeux bleus
Aux mains dures. (Po : 7-8)
(Neige sur Paris)
Il est doux à mes ennemis, à mes frères aux
mains blanches
sans neige
À cause aussi des mains de rosée, le soir, le long
de mes
joues brûlantes. (Po : 20-21)
(Le retour de l'enfant prodigue)
Que j'ai rêvé d'un monde de soleil dans la
fraternité de mes
frères aux yeux bleus. (Po : 48)
(Camp 1948/Au Guélowar)
Dans l'égalité des peuples fraternels. Et nous nous
répondons : « Présents, ô Guélowar ! » (Po
: 71)
(Lettre à un prisonnier)
Je ne reconnais plus les hommes blancs, mes frères Comme
ce soir au cinéma, perdus qu'ils étaient au-delà du vide
fait autour de ma peau. (Po : 81)
(Chaka)
CHAKA
[...1
Je dis qu'il n'est pas de paix armée, de paix sous
l'oppression
De fraternité sans égalité. J'ai voulu tous
les hommes frères. (Po : 123)
(Épitres à la princesse)
Tu m'ouvres le visage de mes frères les hommes blancs
Car ton visage est un chef-d'oeuvre, ton corps un paysage. (Po :
137)
(Élégie des alizés)
O mes frères dans la jubilation de la joie
O que vous chantiez avec moi, ô que nous dansions la gloire
des athlètes des amants. (O. Po : 270)
Lorsque nous observons les extraits ci-dessus, nous constatons
que le thème abordé par Senghor est la fraternité. Ce qui
signifie qu'il est conscient de la présence de ce thème.
Admettons que « toutes les répétitions
thématiques que l'on peut constater dans une oeuvre ne sont pas
383
inconscientes. »1231 Ce qui semble
vouloir dire que Senghor, de façon consciente, s'inscrit dans son
énoncé pour se définir. Par des faits énonciatifs,
il présente une image de lui-même.1232 Il ne dit pas ce
qu'il est au juste, car cela doit découler de l'interprétation du
thème abordé par lui. Cependant, la remarque faite est que
Senghor, en abordant le thème de fraternité, ne songeait pas
à une parenté utérine ou consanguine, ou bien à
l'image d'un humaniste. En effet, de façon inconsciente, il se
révèle comme un humaniste ou comme le frère utérin
ou consanguin de tous les hommes. Il considère chaque homme comme membre
d'une même famille biologique. On comprend, dès lors, sa
thèse de sangs mêlés, élucidée dans le
premier chapitre de cette troisième partie.
Pour Senghor, l'homme, qu'importe sa race ou sa religion, est
un frère : « J'ai voulu tous les hommes frères
»1233, nous dit-il dans Chaka. Autrement dit,
« Que vous soyez musulman, chrétien, juif n'a pas d'importance.
Si vous croyez en Dieu, vous devriez penser que chaque être humain fait
partie d'une seule et même famille. »1234 Un tel
propos peut corroborer la conception senghorienne de l'homme. Il suffit de
jeter un regard sur le réseau associatif, issu de la superposition des
extraits, ci-dessous, pour saisir la portée :
- La fraternité : mes semblables au
visage de pierre, mes frères aux yeux bleus, à mes frères
aux mains blanches, la fraternité de mes frères aux yeux bleus,
l'égalité des peuples fraternels, les hommes blancs mes
frères, de fraternité sans égalité, tous les hommes
frères, le visage de mes frères les hommes blancs, mes
frères...
Ce réseau offre des termes de parenté, qui, selon
Catherine Kerbrat-Orecchioni, sont des termes
relationnels.1235 Lorsqu'on dit
frère, cela suppose un lien consanguin ou utérin avec
celui qui est appelé frère, car le terme
frère signifie nécessairement mon frère.
C'est-à-dire quand il est employé sans
prédétermination, frère renvoie toujours au
frère d'une tierce personne. C'est de façon inconsciente, selon
Catherine Kerbrat-Orecchioni, que l'on dit mon frère ou mes
frères. Cela relève d'un abus de langage, fait
inconsciemment. Ce processus d'inconscient implique le degré de
parenté ou le degré relationnel que l'on veut avoir avec celui
qu'on appelle frère, et ce degré sera accentué
par une prédétermination de possession, comme l'illustre le
réseau associatif.
1231 Charles MAURON, Des métaphores obsédantes
aux mythes personnels, op. cit., p. 211
1232 Les faits énonciatifs, selon Catherine
Kerbrat-Orecchioni, sont les traces linguistiques de la présence du
locuteur au sein de son discours, les lieux d'inscription et les
modalités d'existence. (L'énonciation : De la
subjectivité dans le langage, p. 31)
1233 Léopold Sédar SENGHOR,
Éthiopiques, loc. cit., p. 123
1234 Ce propos est de Mohammed Ali, un boxeur
Afro-Américain, selon le Parisien. Disponible sur
http://www.citation-celebre.leparisien.fr/citation/etre-humain
1235 Catherine KERBRAT-ORECCHIONI, L'énonciation : De
la subjectivité dans le langage, p. 54
384
Senghor considère tous les hommes comme des
frères d'une même maison, d'une même famille, qui est, selon
Henri Lopès, la Francophonie.1236 Cette idée
sous-entend, chez Senghor, qu'
Il s'agit [...] de faire communier l'homme avec des hommes,
tous les hommes
avec toutes les forces de la nature, de renforcer les liens,
qui, soutenant et sustentant l'homme, le font plus libre en lui permettant de
se réaliser.1237
Cette idée est également le postulat de sa
pensée poétique ainsi que de sa conception de la Francophonie,
comme nous le disent Adama Samaké et Kouamé Kouamé, «
le postulat de la pensée de Senghor est la fraternité
».1238 Senghor rêve d'un monde où tous les
hommes se sentiront des frères, où « les Blancs et les
Noirs [se considéreront] tous les fils de la même
Terre-Mère »1239, comme le souhaite Voltaire :
« Puissent tous les hommes se souvenir qu'ils sont frères
»1240. À ce stade, il faut reconnaître que
l'humanisme senghorien est influencé par la philosophie des
Lumières.
Le philosophe de Lumières est un homme de Lettres avec
une fonction sociale qui exerce sa raison dans tous les domaines pour guider
les hommes, prôner des valeurs et militer dans les problèmes
d'actualité. Il est un humaniste qui ne se dissocie pas de l'homme ; il
vit l'autre, il se l'approprie, car il aime l'homme. Nous sommes loin de
portraiturer Senghor ; il suffit de faire un saut dans sa vie pour se rendre
compte qu'il a été poète (homme de Lettres), enseignant et
politicien (une fonction sociale), et que toute sa vie, il a lutté pour
la réalisation de l'homme.
La seconde superposition des textes de Senghor permet de
mettre à nu l'amour qu'il a pour l'autre. Pour ce faire, nous avons
à superposer sept poèmes, à savoir « Que
m'accompagnent koras et balafong » (Chants d'ombre), « Poème
liminaire », Aux Tirailleurs sénégalais morts pour la France
», « Luxembourg 1939 » (Hosties noires), «
Élégie pour Aymina Fall » (Nocturnes), «
Élégie pour Jean-Marie » et « Élégie pour
Georges Pompidou » (Élégies majeurs).
(Que m'accompagnent koras et balafong)
Mes agneaux, vous ma dilection avec ces yeux qui ne verrons pas
ma vieillesse (Po : 29)
1236 Adou BOUATENIN, La poétique de la
Francophonie, op. cit., p. 91
1237 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
2, op. cit., p. 185
1238 Adama SAMAKÉ et Kouamé KOUAMÉ, «
Léopold Sédar Senghor, théoricien du roman : l'exemple
du
roman africain », Éthiopiques, n°91,
2è semestre, 2013, p. 65
1239 Léopold Sédar SENGHOR,
Élégies Majeurs, loc. cit., p. 302
1240 VOLTAIRE, Traité sur la tolérance,
Bibebook, Paris, 1763, p. 117
385
(Poème liminaire)
Ah ! ne dites pas que je n'aime pas la France - je ne suis pas
la France, je le sais - (Po : 54)
(Aux Tirailleurs sénégalais morts pour la
France)
Ah ! puissé-je un jour d'une voix couleur de brousse,
puissé-je
chanter
L'amitié des camarades fervente comme des entrailles et
délicate, forte comme des tendons. (Po : 63)
(Luxembourg 1939)
Vaincus mes rêves désespérément mes
camarades, se peut-il ? (Po :63)
(Élégie pour Aymina Fall)
TOUS ENSEMBLE
Nous voici tous unis, comme les dix doigts de la main. (Po :
213)
(Élégie pour Jean-Marie)
Voilà Paul voilà Léopold, deux compagnons
deux frères deux vases communiants dans la communion de la même
foi
Du même appel de la même réponse - mais si
petite ma part dans la Communion des saints ! (O. Po : 281)
(Élégie pour Georges Pompidou)
Si je te chante ami, c'est pour bercer mon enfant blanc dans
son savoir et sa puissance
Sa solitude élyséenne. Il a besoin d'un camarade,
qui lui
tienne compagnie
[...1
J'ai rêvé d'un ciel d'amour, où l'on vit deux
fois en une seule,
éternelle
Où l'on vit d'aimer pour aimer. N'est-ce pas qu'ils iront
au
Paradis
[...1
Ainsi qu'à ceux qui aimèrent leur terre : leur
peuple
Et tous les peuples, toutes les terres de la terre dans un
amour oecuménique
[...1
Qui suis un pécheur d'avoir tant aimé : amabam
amare. (O. Po : 316-319)
Senghor est reconnu pour être un humaniste. On a
même consacré des études sur l'humanisme senghorien. Ainsi
la première étape du travail de la psychocritique telle que la
conçoit Charles Mauron - la superposition des textes et la recherche des
éléments obsédants - a déjà
été franchie en ce qui concerne Senghor par des critiques. Pour
plus de crédibilité, nous allons répéter le
processus de la psychocritique mot à mot afin qu'on puisse saisir
aisément ce qui caractérise l'identité humaniste chez
Senghor. Avec la nouvelle superposition, nous avons l'altruiste
(ma dilection, Ah ! ne dites pas que je n'aime pas la France, un ciel
d'amour, où l'on vit d'aimer pour aimer, aimèrent leur terre :
leur peuple, un amour oecuménique, avoir tant aimé, amabam
amare...), et l'unité/la solidarité
(l'amitié des camarades, fervente comme des entrailles,
délicates, fortes comme des tendons, mes camarades, nous voici tous
unis, comme les dix doigts
386
de la main, deux compagnons, deux frères, deux vases
communiants, la communion de la même foi, du même appel de la
même réponse, la Communion des saints, ami, il a besoin d'un
camarade, qui lui tienne compagnie, tous les peuples, toutes les terres de la
terre...) comme réseaux associatifs.
De ces différents réseaux associatifs, nous
pouvons dire que, ce qui caractérise l'identité humaniste, chez
Senghor, est l'amour, l'unité et la solidarité. Ces
réseaux mettent à nu l'image d'un altruiste solidaire, soucieux
du devenir et du bien-être de l'autre : « Il a besoin d'un
camarade, qui lui tienne compagnie ». En effet, Senghor se
définit comme une personne qui aime tant son peuple, tous les peuples et
toutes les terres de la Terre d'un amour oecuménique, et comme une
personne qui rêve d'un monde où l'on vit d'aimer pour aimer sous
un ciel d'amour. En d'autres mots, il se définit comme un humaniste
intégral et universel, car son amour pour l'homme n'a pas de borne.
Là où est l'homme, le coeur de Senghor palpite pour le
bien-être de celui, car « l'homme reste [son] dernier souci ; il
constitue [sa] mesure. »1241 Il a une foi aveugle en
l'homme. L'homme, quelle que soit son origine, est un frère à qui
on offre l'hospitalité, à qui on vient en aide lorsqu'il est dans
le besoin. Ce n'est pas un hasard s'il fut surnommé l'humaniste
africain par le roi Hassan II du Maroc. Plus on lit Senghor, plus on
découvre qu'il existe plusieurs aspects de sa personnalité. C'est
la raison pour laquelle Abdoul Diouf affirme que « Senghor
était un être ambigu, un humaniste, un universaliste.
»1242 Cependant, l'aspect de sa personnalité le plus
appréhendé dans sa poésie est ce Senghor humaniste.
Certes, certains de ses poèmes présentent un Senghor rempli de
haine, de rancoeur et de révolte, accusant la race blanche de tyrannie
et d'inhumaine. Mais, il a aussitôt refoulé cette haine qui
brûle le coeur : « Seigneur, je ne sortirai pas ma
réserve de haine »1243, pour emprunter la voie de
l'entente, de la paix, du pardon, de l'amour, de la solidarité et de la
fraternité de tous les peuples : « Il est doux à mes
ennemis, à mes frères aux mains blanches sans neige
»1244. L'identité humaniste est l'un des postulats
de l'identité francophone.
La Francophonie doit, dans ce sens, réaliser l'homme en
se fondant sur l'homme.1245 Il s'agit pour Senghor d'une
Francophonie dont la fin est l'homme intégral, communiant avec ses
frères, les autres, dont les valeurs, partout, seront les valeurs de la
Négritude intégrées dans les apports fécondants des
autres continents, et d'abord, les sciences et les techniques de
1241 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
4, Paris, Seuil, 1983, p. 270 1242 Abdoul DIOUF, Patchwork : des
fragments de vie, op. cit., p. 16 1243 Cf. « Neige sur Paris
», Chants d'ombre, op. cit., p. 20
1244 Idem., p. 20
1245 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
4, op. cit., p. 17
387
l'Europe1246, et tendent essentiellement à
rendre plus vraiment l'homme humain.1247 Cela sous-entend qu'il
faudra prendre en considération les études littéraires,
l'art, la technique et la science dans la conception de la Francophonie comme
humanisme, car ils sont dignes de rendre l'homme plus humain. Le Francophone,
selon Senghor, est l'homme intégral et universel qui prône
l'unité, la solidarité et l'amour du prochain. En d'autres mots,
le Francophone prône un humanisme teinté de social, d'altruisme et
de fraternité. De ce fait, l'humanisme intégral dont il est
question en Francophonie est pour Senghor une condition spirituelle d'un monde
nouveau qui se veut la solution idoine à l'humanité de l'homme,
à l'unité de l'humanité, à la place et à la
finitude de l'homme, c'est-à-dire à la réalisation de
l'être humain. Être Francophone, chez Senghor, signifie être
un humaniste intégral et universel, car « la Francophonie,
c'est cet Humanisme intégral qui se tisse autour de la terre
»1248, écrivit-il poétiquement. Autrement
dit, un humaniste, selon lui, est cette personne qui met une graine de
l'humanité dans le coeur des hommes afin de compenser ce que la
société a enlevé en eux comme humain et dignité.
L'étude des poèmes senghoriens
révèle que Senghor se définit comme un humaniste
intégral et universel. Avec lui, la fraternité, l'amour,
l'unité, la solidarité, le don de soi à l'autre et
l'acceptation de l'autre sont à valoir pour un devenir de l'homme
pleinement humain. « En définitive, il s'agit de retrouver le
goût de l'autre »1249 pour vivre l'autre et avec
l'autre. En réalité, l'identité humaniste est une
forteresse avec une brèche derrière laquelle s'abrite un
moi, un je qui accepte l'autre et les autres comme
frères, des frères. Elle est une réponse à la
difficulté à accueillir l'autre, au déni de
l'altérité, à la peur de l'autre ou à la peur de
vivre avec l'autre. En d'autres termes, elle est une réponse à
« l'allophobie ».1250 L'identité humaniste
est une sorte d'allocentrisme.
L'homme est au centre de toutes les préoccupations,
mais celles-ci relèvent plutôt de l'inquiétude, parce que
nous sommes dans un temps de crise, dont la cause est le refus d'accepter la
diversité, accrue par le sentiment de dominer l'autre. On n'a pas besoin
de violence pour que l'homme soit révélé à
lui-même comme être capable de compassion et d'humanité.
1246 Idem., p. 90
1247 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
2, op. cit., pp. 29-30
1248 Léopold Sédar SENGHOR, « Lz
français, langue de culture », loc.cit., p. 844
1249 Odile HARDY, « Comment penser l'humain pour refonder un
humanisme ? Regard sur la crise anthropologique contemporaine », op.
cit.
1250 Nous désignons par allophobie, toutes les
tendances qui conduisent à la peur de l'autre ou à la peur de
vivre avec l'autre. Mieux, c'est une aversion envers l'altérité
ou un comportement hostile à l'égard des personnes appartenant
à une autre culture ou une religion. À ne pas confondre avec la
phobie sociale qui est une pathologie psychologique.
388
Être humaniste, c'est vouloir rendre plus humain l'homme
en commençant par accepter sa différence au niveau de la
religion, de la race, de l'ethnie, de la politique et du sexe. L'humaniste
admet la différence dans une coexistence pacifique, parfois hostile, et
l'enrichir dans la fraternité, la solidarité, l'amour, la
tolérance et la patience. Il accepte également, comme l'affirme
le Pape François, de « regarder l'étranger, le migrant,
celui qui appartient à une autre culture comme un sujet à
écouter, considérer et apprécier
»1251, comme un frère. La Francophonie doit aider
à découvrir que l'autre est un frère. Elle demeure un
programme à réaliser, exigeant, difficile et complexe.
La Francophonie est née d'un désir
irrépressible d'une urgente nécessité de repenser et de
refonder la condition humaine de l'homme et du monde.1252 Il ne
s'agit pas de limiter la Francophonie au partage d'une langue, mais de rappeler
que, ce qui en fait le ciment de la Francophonie, est les droits de l'Homme, la
liberté, l'égalité, la solidarité, la
fraternité, et le souci d'affirmer l'unité dans la
diversité. En d'autres termes, ce qui fait le socle de la Francophonie
est son humanisme. Il incombe, dorénavant, au Francophone de refuser la
haine et la violence afin de maintenir son humanisme universel au service de
l'acceptation de l'autre, de la paix et du vivre ensemble dans le respect des
différences. La Francophonie est un projet permettant de façonner
l'homme, car elle doit accorder la première place, dans ses actions, au
devenir de l'homme. Elle est, pour ce 21ème siècle,
l'une des solutions de préservation de la dignité humaine,
puisque son humanisme intégral renvoie à l'amour
général de l'humanité, et l'un des défis à
relever pour définir l'Humanisme intégral et universel.
La poésie senghorienne est « la manifestation
de l'amour pour l'humanité ».1253 Ce qui signifie
que la poésie senghorienne est l'expression de l'humanisme et de
l'identité francophones. En fait, sa poésie exprime les valeurs
intrinsèques de l'humanisme, qui, à partir de 1765,
désignait déjà l'amour général pour
l'humanité. Elle est la manifestation de l'humanisme intégral et
universel, car elle met en évidence deux humanismes qui résultent
des valeurs de la Négritude et de la Francité. Les valeurs de la
Négritude sont l'hospitalité, la solidarité, la
sociabilité, la communauté, l'entraide et la fraternité.
Quant aux valeurs de la Francité, elles sont la liberté,
l'égalité et la fraternité.
Senghor, au travers de sa poésie, s'est livré en
tant qu'un humaniste intégral et universel qui veut que la France vit en
parfaite fraternité avec ses ex-colonies. Sa poésie est un
livre
1251 Pape François, « Je rêve d'un nouvel
humanisme européen ». Disponible sur
http://www.lacroix.com/Religion/Pape/Pape-Francois-Je-reve-nouvel-humanisme-europeen-2016-05-06-1200758310
1252 Michaëlle JEAN, Le nouvel humanisme se dit en
français, op. cit.
1253 Sana CAMARA, « Aimé Césaire et
Léopold Sédar Senghor face à l'historicité
nègre », op. cit., p. 186
389
ouvert sur sa propre personnalité afin de mieux
appréhender l'autre. Jacqueline Sorel argue, à cet effet, que
Dans un entretien datant de 1976, année de ses
soixante-dix ans, Léopold Sédar Senghor confiait à un
autre poète, Édouard Maunick, les secrets de son inspiration :
« dans mes poèmes, j'ai chanté ma vie ». On y
découvre ainsi la toile de fond de sa poésie. [...] la
poésie est et demeure son jardin secret1254.
Des propos de Jacqueline Sorel, nous comprenons que la toile
de fond de la poésie senghorienne est Senghor lui-même : «
rien n'est plus vrai. Senghor s'est habillé de poésie, il en
a fait sa raison d'être. Il a écrit toute sa vie sans jamais
remettre en question son emprise sur sa vie »1255, affirme
Véronique Tadjo. En parlant de lui-même, Senghor se fait proche de
chacun, et à travers lui, on peut atteindre l'autre. Son lyrisme renvoie
l'autre à ses propres expériences. Son je est un
autre, comme la théorie rimbaldienne. Ce je est la
conscience de soi en tant qu'une personne qui vit les valeurs de la
Négritude et de la Francité pour soi, pour les autres et pour les
faire vivre par les autres tout en les actualisant et les fécondant au
besoin avec l'apport de tout un chacun. Senghor est habité, à
proprement parler, de culture.
Cependant, il y a une caractéristique identitaire non
négligeable à prendre en compte dans l'appréhension de
l'identité francophone. Selon Senghor, la véritable raison de la
naissance de la Francophonie est d'ordre culturel. Ce qui signifie qu'il existe
une identité culturelle en Francophonie. Dès lors, nous pouvons
nous demander comment Senghor appréhende ou se définit son
identité culturelle. La réponse à cette question partielle
est l'objet de réflexion au point suivant.
1254 Jacqueline SOREL, « Esquisse d'un portrait du
poète », Mémoire Senghor : 50 écrits en hommage
aux 100 ans du poète-président, Paris, Éditions
UNESCO, 2006, pp. 165-167
1255 Véronique TADJO, « Senghor ou la force de
croire », Mémoire Senghor : 50 écrits en hommage aux 100
ans du poète-président, Paris, Éditions UNESCO, 2006,
p. 170
390
2. UNE IDENTITÉ CULTURELLE
Ce que nous sommes dépend de la culture dans laquelle
nous naissons et évoluons, pour dire tout simplement que la culture
permet à l'homme de se réaliser. Notre identité culturelle
dépend de ce que nous sommes culturellement. Cependant,
l'identité culturelle est le grand malentendu. « Pourquoi y
a-t-il malentendu sur cette question de l'identité culturelle ? Parce
qu'on entend deux choses à son propos, deux discours f...]
».1256 François Jullien s'inscrit dans ce malentendu,
lorsqu'il dit qu'il n'y a pas d'identité culturelle :
Quand je dis « il n'y a pas d'identité culturelle,
ce n'est pas une provocation. Une culture n'a pas d'identité pour une
raison élémentaire : c'est qu'elle ne cesse de se transformer.
Comme c'est le cas pour les langues : quand une culture, une langue, ne se
transforme plus, elle est morte.1257
En fait, François Jullien fait une grande confusion
entre identité culturelle et identité de la
culture.
L'identité de la culture suppose que la culture a une
identité, c'est-à-dire qu'elle a quelque chose qui fait qu'elle
soit dite culture. Autrement dit, ce qui permet de définir l'essence
même de la culture est ce qui est appelé son identité. Dans
ce sens, nous pouvons dire que la culture n'a pas d'identité pour la
simple raison qu'elle est un des facteurs qui détermine
l'identité et l'altérité. Elle contribue ainsi à la
découverte de l'identité, mais elle donne également une
manière de voir le monde, de penser l'autre, celui qui est
différent, et de se situer par rapport à eux. En d'autres mots,
la culture n'a pas d'identité, parce qu'elle est le substrat permettant
d'acquérir une identité. Cette identité, qui s'acquiert
par la culture, est l'identité culturelle. En effet, elle est ce
sentiment d'appartenir à un environnement naturel, culturel et à
un groupe social qu'on reconnaît comme seins, et dans lesquels on se
reconnaît et on se sent reconnu.1258 Toute culture est
également récit, construction et transmission de systèmes
sémiotiques permettant à chaque personne de pouvoir se
repérer dans la trame sociopolitique et
1256 Patrick CHARAUDEAU, « L'identité culturelle : le
grand malentendu », Actes du colloque du Congrès des SEDIFRALE,
Rio, 2004., 2004, consulté le 20 août 2017 sur le site de
Patrick Charaudeau - Livres, articles, publications. URL:
http://www.patrick-charaudeau.com/L-identite-culturelle-le-grand.html
1257 François JULLIEN, « La culture n'a pas
d'identité », interviewé par Anastasia Vécrin pour le
compte du journal Libération, 30 septembre 2016, Disponible sur
http://www.liberation.fr/debats/2016/09/30/francois-jullien-une-culture-n-a-pas-d-identite-car-elle-ne-de-se-transformer_1516218
1258 Assane SECK, « De l'identité culturelle »,
Éthiopiques, n°27, juillet 1981
391
communiquer avec l'autre. De ce fait, l'identité
culturelle est ce qui nous permet de nous repérer, de nous identifier
culturellement dans une société donnée.
L'identité de la culture est, également, ce qui
permet de spécifier la culture propre, naturelle d'un peuple, d'une
nation. En ce sens, nous pouvons parler de la culture française (la
Francité), la culture ivoirienne (l'Ivoirité), la culture Abron
ou la culture Akan. Le faisant ainsi, la culture ne devient plus un facteur
d'acculturation, mais de ségrégation, donc dangereuse pour la
cohésion sociale. En plus, il n'existe plus de culture naturelle, propre
et spécifique à un peuple ou à une nation du fait du
phénomène de la migration. Ces migrations, ces rencontres des
peuples de civilisations et de cultures différentes ont donné
lieu à des mutations profondes dans la manière de faire, d'agir,
de parler, de s'habiller, de vivre et de croire. Dans une telle situation, il
convient de dire que la culture n'a pas une identité, car elle est
hétérogène.
La définition de l'identité de la culture est
complexe. Par contre l'identité culturelle est ce qui permet de
définir un individu au plan culturel dans ses aspects intellectuels et
artistiques. C'est en ce sens que nous pouvons dire que nous sommes
poètes, musiciens, médecins, avocats, peintres, sculpteurs,
danseurs... De ce fait, peut-on parler de l'identité culturelle en
Francophonie ?
La Francophonie n'est pas seulement définie comme un
Humanisme intégral, mais aussi comme culture, par Léopold
Sédar Senghor : « f...] c'est qu'avant tout, pour nous, la
Francophonie est culture »1259 ou « [...] la
culture reste le problème essentiel de la Francophonie
»1260. En définissant la Francophonie comme
culture, qu'est-ce qu'il veut insinuer ? En définissant la Francophonie
comme culture, Senghor affirme certes que la Francophonie a des valeurs
culturelles que partagent des personnes et des peuples unis par une langue
enrichie de différents particularismes, mais qu'elle prend en compte les
domaines d'activités humaines tels que les Arts, la Technique et la
Sciences. Le Francophone qui s'identifie à ces valeurs et à ces
activités humaines se constitue une identité culturelle. Ces
valeurs et ces activités ne sont pas spécifiques à une
seule nation et à un seul peuple. Ce qui signifie qu'il n'y a pas une
identité de la culture en Francophonie.
Donner une identité à la culture, c'est
spécifier que ces valeurs et ces activités sont propres à
une nation et à un peuple. L'identité de la culture n'existe pas,
selon nous, pour la simple raison que la culture n'est pas l'apanage d'une
seule nation et d'un seul peuple. La culture est l'affaire de tous. Chacun a
une identité culturelle propre à lui en tenant compte du contexte
sociopolitique, car cette identité s'opère du choix culturel que
l'on fait. Cette identité
1259 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie
comme culture », op. cit., p. 131 1260 Léopold
Sédar SENGHOR, « De la Francophonie », op. cit.
392
culturelle n'est pas statique, elle évolue, se
construit, et se laisse influencer par des modèles. «
L'identité culturelle, par contre, porte sur les ressemblances, avec
les autres membres du groupe et l'intégration harmonieuse dans la
société », nous dit Assane Seck.1261 La
culture est, par ailleurs, et en ce sens, un ensemble de savoirs et de valeurs
qui s'acquièrent permettant de se construire son identité
culturelle. Intéressons-nous à l'identité culturelle de
Léopold Sédar Senghor pour pouvoir définir celle du
Francophone.
L'identité culturelle de Senghor est singulière.
Il suffit de lire ses poèmes pour s'en apercevoir. En effet, il est
obsédé par sa carrière poétique et culturelle,
à telle enseigne qu'il renonça à la carrière
politique le 31 décembre 1980 pour se consacrer entièrement
à ses poèmes et à la culture (Négritude,
Civilisation de l'Universel et Francophonie). Il vit ses poèmes. Il fait
corps et âme avec eux. Il fait la poésie, et la poésie le
fait, pour parler ainsi. L'essentiel de sa vie est ses poèmes : «
Mes poèmes. C'est, là, l'essentiel.
»1262 Pour être plus explicite dans nos propos, nous
disons que Senghor est, à la fois, le sujet et l'objet de la
poésie. La poésie est sa passion1263 :
C'est pourquoi je vis mes poèmes un jour, des jours,
des semaines, des mois, parfois des années, comme l'élégie
pour la reine de Saba - en attendant que me rende visite `'la pure grâce
du dire», pour employer l'expression de Pierre Emmanuel.1264
Nous voyons que Senghor est habité par la
poésie. Avec une certaine assurance, nous pouvons avancer comme argument
que Senghor se définit comme un poète. C'est à cette
identité culturelle qu'il s'identifie.
Pour appréhender l'identité culturelle de
Senghor, nous allons procéder à la superposition de vingt-deux
poèmes.1265 Ce sont « L'ouragan », « Que
m'accompagnent koras et balafong », « Chant d'ombre », «
Par dela Éros », « Le retour de l'enfant prodigue »
(Chants d'ombre), « Lettre à un prisonnier » (Hosties noires),
« Teddungal », « L'absente », « Chaka », «
D'autres chants... » (Éthiopiques), « Chants pour signare
», « Élégies/Élégie de minuit »,
« Élégie des circoncis », « Élégie
des eaux », « Élégie pour Aymina Fall »
(Nocturnes), « Je repasse », « Sur plage bercé »
(Lettres d'hivernage), « Élégie des alizés »,
« Élégie pour Martin Luther King », «
Élégie de Carthage », « Élégie pour la
reine de Saba » (Élégies majeurs) et « Perceur de
tam-tam » (Poèmes divers).
1261 Assane SECK, « De l'identité culturelle »,
op. cit.
1262 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 378
1263 Cf. « Je repasse », Lettres d'hivernage,
op. cit., p. 225
1264 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p.388
1265 Nous avons choisi ces poèmes, parce qu'ils mettent
davantage l'identité culturelle de Senghor. Néanmoins, il
faut avouer que cette identité traverse toute la
production poétique de Senghor.
393
(L'ouragan)
Embrasse mes lèvres de sang, Esprit, souffle sur les
cordes de ma koras
Que s'élève mon chant, aussi pur que l'or du Galam.
(Po : 9)
(Que m'accompagnent koras et balafong)
Elé-yâye ! De nouveau je chante un noble sujet ;
que
m'accompagnent kôras et balafong !
Princesse, pour toi ce chant d'or, plus haut que les abois
des pédants ! (Po : 31)
(Chant d'ombre)
Écoute ma voix singulière qui te chante dans
l'ombre
Ce chant constellé de l'éclatement des
comètes chantantes
Je te chante ce chant d'ombre d'une voix nouvelle
Avec la vieille voix de la jeunesse des mondes. (Po : 40)
(Par dela Éros)
Je saisis l'écho du nombril qui rythme leur chant (Po :
42)
(Le retour de l'enfant prodigue)
Il n'a pas besoin de papier ; seulement la feuille sonore du
dyâli et le stylet d'or rouge de sa langue. (Po : 46)
(Lettre à un prisonnier)
À Samba Dyouma le poète, et sa voix est couleur de
flamme et son front porte les marques du destin (Po : 81)
(Teddungal)
Et leur tête était d'or, la lune éclairait le
poème à contre-jour [...1
Ah ! ce coeur de poète, ah ! ce coeur de femme et de lion,
quelle douleur à le dompter. (Po : 106-107)
(L'absente)
Je dis bien : je suis Dyâli.
[...1
Ma gloire est de chanter le charme de l'Absente
Ma gloire de chanter le charme de l'Absente, ma gloire
Est de chanter la mousse et l'élyme des sables
[...1
Ma gloire est de chanter la beauté de l'Absente
[...1
Je dis chantez le diamant qui naît des cendres de la
Mort
O chantez la Présente qui nourrit le Poète du lait
noir de
l'amour.
[...1
Mais le poème est lourd de lait et le coeur du
Poète brûle
un feu sans poussière. (Po : 108-113)
(Chaka)
LA VOIX BLANCHE
[...1
Toi le grand pourvoyeur des vautours et des hyènes, le
Poète du Vallon-de-la Mort.
[...1
LA VOIX BLANCHE
Ma parole Chaka, tu es poète... ou beau parleur... un
poli
ticien !
394
CHAKA
[...1
Un politicien tu l'as dit - je tuai le poète - un homme
d'action seul
[...1
LE CORYPHÉE
Je dis le fort je dis bien le généreux de ton
sexe
L'amant de la Nuit aux cheveux d'étoiles filantes, le
créateur
des paroles de vie
Le poète du Royaume d'enfance.
LE CHOEUR
Bien mort le politique, et vive le Poète ! (Po :
118-128)
(D'autres chants...)
[...1
Seront-ce les prémices de mon chant dans l'ablution de mon
orgueil ?
Dis seulement les paroles propices.
[...1
« Puisse mon poème de paix être l'eau calme sur
tes pieds et ton visage (Po : 145-147)
(Chants pour signare)
[...1
Ah ! peut-être demain à jamais se taira la voix
pourpre de
ton dyâli.
Voilà pourquoi mon rythme se fait si pressant, que mes
doigts saignent sur mon khalam.
[...1
Ton rempart si mobile ne saurait résister à
l'assaut subulé
de mon coeur de dyâli.
[...1
Des maîtres de Dyong, j'ai appris l'art de tisser des
paroles
plaisantes
Paroles de pourpre à te parer, Princesse noire d'Elissa
[...1
Je ne puis chanter ton plain-chant sans swing aucun ni
le
danser
[...1
Je romprai tous les liens d'Europe pour filer le poème
sur
cuisses de sable.
Que m'importe ce nom qui chante sur la porte du tabernacle ? (Po
: 172-189)
(Élégies/Élégie de minuit)
[...1
Plus ne peut m'apaiser la musique d'amour, le rythme
sacré
du poème
[...1
Et si c'était cela l'Enfer, l'absence de sommeil ce
désert du
Poète
[...1
Je dormirai à l'aube, ma poupée rose dans les
bras
Ma poupée aux yeux vert et or, à la langue si
merveilleuse
La langue même du poème. (Po :197-198)
(Élégie des circoncis)
Le poème se fane au soleil de midi, il se nourrit de la
rosée
395
du soir
Et rythme le tam-tam le battement de la sève sous le
parfum des fruits mûrs.
[...1
Le chant n'est pas que charme, il nourrit les têtes
laineuses de mon troupeau.
Le poème est oiseau-serpent, les noces de l'ombre et de la
lumière à l'aube
Il monte Phénix ! il chante les ailes
déployés, sur les carnages des paroles. (Po : 200)
(Élégie des eaux)
[...1
? Le poème fait transparente toutes choses
rythmées.
[...1
Seigneur, vous m'avez fait Maître-de-langue
Moi le fils du traitant, qui suis né gris et
chétif
Et ma mère m'a nommé l'Impudent, tant j'offensais
la
beauté du jour
Vous m'avez accordé puissance de parole en votre
justice
Inégale (Po : 206)
(Élégie pour Aynima Fall)
CHOEUR DES JEUNES FILLES
Quel champion quel athlète, quel cavalier chanterons-nous
? Mais pour qui nos poèmes ? Quelle voix désormais rythmeront les
tam-tams ?
Pour qui l'éloge et l'épopée ? (Po : 210)
(Je repasse)
Car elle existe, la fille Poésie. Sa quête est ma
passion (Po : 225)
(Sur la plage bercé)
[...1
Mais les visions du poète, nous les bâtirons dans la
pierre de
Rufisque.
[...1
Comme un plain-chant, non ! comme une berceuse
malinké. (Po : 229)
(Élégie des alizés)
[...1
Moi le Maitre-de-langue, j'ai en exécration : ce sang
chaud
monotone et ce pullulement fétide
[...1
J'ai besoin de vos palmes pour continuer mon chant, refroi-
dir ma poitrine la gorge.
Je chante dans mon chant tous les travailleurs noirs, et tous
les paysans pêcheurs pasteurs
Qui déchantent au chant de la moisson.
[...1
Je chante la jeunesse qui ne se suffit pas de cueillir pagnes
et
poèmes aux arènes sonores.
Que je te chante de mon mètre d'argent, mesure ton
flanc
indigo
[...1
Que je chante pour qui je chante.
Je chante l'oriflamme de l'Afrique aux forces essentielles.
[...1
Par la voix du tam-tam, louange à l'accord trinitaire :
le poème s'est fait trois langues. (O. Po : 262-270)
396
(Élégie pour Martin Luther King)
[...1
Je chante Malcolm X, l'ange rouge de notre nuit
Par les yeux d'Angela chante George Jackson, fulgurant
comme l'Amour sans ailes ni flèches
Non sans tourment. Je chante avec mon frère
La Négritude débout, une main blanche
dans sa main vivante
Je chante l'Amérique transparente, où la
lumière est poly-
phonie de couleurs
Je chante un paradis de paix. (O. Po : 303-304)
(Élégie de Carthage)
[...1
N'empêche. Que baveuses débouchent de ma bouche
les
paroles, comme l'écume semence de Cumes
Qu'importe ? Je dis je suis rythmé par la loi du
tam-tam.
Je me rappelle, Didon, le chant de ta douleur qui charmait
mon enfance
[...1
Je ne chante pas ton courage : en lettre d'or et sur le
marbre
Noir Hannibal, je rythme ta passion aux yeux de lynx. (O. Po :
308-310)
(Élégie pour la reine de Saba)
[...1
Moi je te chante, comme le roi blond Salomon, faisant
danser
dansant les cordes légères de ma kôra.
[...1
Mouvement musique harmonie, que je vous chante de la voix
d'or vert du dyâli !
[...1
« Que tu es beau lorsque tu danses ! Tu virevoltes comme
le
papillon
[...1
« O mon Poète, ô qui danses penché
sur les cordes hautes
de ta kôra !
[...1
« O mon Sage ô mon Poète, ô ! faisant
danser tes doigts
sur les cordes de ta kôra. »
[...1
Chantant le chant qui m'ébranle à la racine de
l'être :
« Dis-moi mon Sage mon Poète, ô dis-moi les
paroles
d'or
« Qui font poids et miracle dans mon sein.
« Que ton rythme et la mélodie en disposent les
sphères
dans le charme du nombre d'or ! »
[...1
Lors je crée le poème : le monde nouveau dans la
joie pascale. (O. Po : 326-332)
(Perceur de tam-tam)
[...1
Mes paroles de silex, dures et tranchantes
Te frapperont ;
Ma danse et mon rire, dynamite délirante,
Éclateront
Comme des bombes
[...1
Perceur de tam-tam (O. Po : 224)
397
Les réseaux associatifs qu'une telle opération
accuse sont les suivants :
- Le chanteur : que s'élève mon
chant, de nouveau je chante un sujet noble, pour toi ce chant d'or,
écoute ma voix singulière qui te chante, chant constellé,
je te chante ce chant d'ombre, leur chant, ma gloire est de chanter le charme,
de chanter la mousse et l'élyme des sables, ma gloire est de chanter la
beauté, je dis chantez le diamant, o chantez la Présente, les
prémices de mon chant, je puis chanter ton plain-chant, la musique
d'amour, ce nom qui chante, le chant n'est que charme, il chante les ailes
déployées, quel cavalier chanterons-nous ?, comme un plain-chant
! comme une berceuse malinké, mon chant, je chante dans mon chant, au
chant de la moisson, je chante la jeunesse, que je te chante, que je chante,
pour qui je chante, je chante l'oriflamme de l'Afrique, je chante Malcolm X,
chante Georges Jackson, je chante avec mon frère, je chante
l'Amérique transparente, je chante un paradis de paix, le chant de ta
douleur, je ne chante pas ton courage, Moi je te chante, musique harmonie, que
je vous chante, chantant le chant, ton rythme et la mélodie...
- Le danseur : danser, faisant danser, tu
danses, tu virevoltes comme un papillon, ô qui danses penché,
faisant danser les doigts, ma danse...
- L'instrumentiste : les cordes de ma
kôra, que m'accompagnent kôra et balafong, que mes doigts saignent
sur mon khalam, et rythme le tam-tam, les tam-tams, par la voix du tam-tam, par
la loi du tam-tam, les cordes hautes de ta kôra, les cordes de ta
kôra, les cordes légères de ma kôra, peurceur de
tam-tam...
- Le parolier : le stylet d'or et rouge de sa
langue, beau parleur, le créateur des paroles de vie, les paroles
propices, la voix pourpre, j'ai appris l'art de tisser des paroles plaisantes,
paroles pourpres, les carnages des paroles, Maître-de-langue, puissance
de parole, Moi le Maître-de-langue, dis-moi les paroles d'or, mes paroles
de silex...
- Le poète : la feuille sonore du
dyâli, Samba Dyouma le poète, la lune éclairait le
poème, ce coeur de poète, je dis bien : je suis le dyâli,
le Poète, le poème est lourd, le coeur du Poète, le
poète du Vallon-de-la-Mort, tu es poète, je tuai le poète,
le poète du Royaume d'enfance, et vive le Poète, mon poème
de paix, la voix pourpre du dyâli, mon rythme se fait si pressant, mon
coeur de dyâli, le poème, le rythme sacré du poème,
ce désert du Poète, la langue même du poème, le
poème se fane au soleil de midi, le poème est oiseau-serpent, le
poème fait transparente toutes choses rythmées, pour qui
l'éloge et l'épopée ?, la fille poésie, les visions
du poète, poèmes aux arènes sonores, le poème s'est
fait trois langues, la voix d'or vert du dyâli, o mon Poète,
ô mon Poète, mon Poète, je crée le
poème...
Léopold Sédar Senghor est d'un monde où la
parole se fait poème plaisant au coeur et à
l'oreille1266, dès que l'homme est
ému ; et comme on lui a confisqué ses instruments en les
remplaçant par du papier blanc quadrillé, il ne lui reste que la
parole pour dire la poésie qui n'est pas, tout à fait, d'Europe
sur ce papier blanc quadrillé.1267 Il s'est approprié
les objets culturels qu'on lui a proposés pour définir sa
poésie, se définir et se faire une identité culturelle.
1266 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 389/397
1267 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les
lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 155
398
En fait, l'identité culturelle est l'ensemble des
éléments de culture par lesquels une personne ou un groupe se
définit, se manifeste et souhaite être reconnu(e). En fait,
Senghor se reconnaît comme poète authentique, voire naturel.
C'est-à-dire qu'il se définit comme un poète
Négro-Africain. Cependant, cette revendication de poète
Négro-Africain, authentique, naturel va être altérée
par les influences occidentales.1268 Peut-il se définir comme
un poète occidental ? Non ! Car il se trouve qu'il est les deux,
c'est-à-dire poète Négro-Africain et poète
Occidental. Il devient alors un poète accompli, intégral et
universel. Pour ce faire, il va revêtir les images du chanteur, du
danseur, de l'instrumentiste, du parolier, du dyâli et du poète,
car il veut définir sa propre poésie. On comprend dès lors
ce qu'il veut dire par ceci : « Je persiste à penser que le
poème n'est accompli que s'il se fait chant, parole et musique en
même temps »1269. En le paraphrasant, nous disons
que le poète n'est accompli que s'il se fait chanteur, danseur,
instrumentiste, parolier, musicien en même temps. Il doit être le
dyâli, c'est-à-dire celui qui transmet une parole, qui vient du
passé et qui demeure puissance de vie pour les auditeurs ou lecteurs
présents. Il ne s'agit pas seulement pour le poète de
maîtriser le pouvoir de la parole, mais aussi et surtout de porter aux
oreilles du monde la parole retrouvée, propice de son peuple.
Senghor s'inspire du chant incantatoire dont les mots et
rythmes se lient à la pensée et au corps. Mieux, il emprunte ses
rythmes et ses intonations à la poésie orale africaine et
à la musique qui l'accompagnent tout en s'inscrivant dans la tradition
poétique occidentale. Ayant appris à tisser des paroles
plaisantes auprès des maîtres dyongs, puis ayant été
enraciné dans la terre sérère et bercé par ses
trois Grâces, Senghor peut alors, avec la maîtrise de la langue
française, se faire appeler « Maître-de-langue »,
c'est-à-dire le griot, le dyâli, le troubadour, le poète.
Il se définit comme un griot qui a lu Saint-John Perse, Paul Claudel...
Il se présente également comme un poète africain et
français possédant ainsi la double culture. Son art
poétique s'enracine dans la forêt africaine en y puisant sa
sève nourricière sous le badigeon d'une culture européenne
étonnamment assimilée. Il rompt tous les liens d'Europe pour
filer le poème comme il le conçoit.1270 Son
poème est proche de l'incantation, de la litanie, de l'oraison
religieuse, de l'imagination voire du symbolisme.
Sa conception du poème est un poème ouvert aux
éléments culturels de tous les peuples de la terre, un
poème qui se fait trois langues, et qu'il définit comme une
poésie francophone.
1268 Idem., p. 155
1269 Ibidem., p. 166
1270 Cela signifie que la France n'est plus le centre de la
littérature, qu'il n'y a plus une relation de centre et de
périphéries..., et qu'il n'y a plus de modèles
occidentaux. Paris n'influence plus les auteurs ou les poètes. La
littérature est universelle et elle n'est pas l'apanage d'un peuple.
Sa poésie, en ce sens, n'est ni africaine ni
française, mais les deux à la fois. Saïda Belouali atteste
que
La poésie senghorienne [...] s'ancre dans un dire
processionnal proche de la production orale africaine et se réalise en
même temps dans une langue étrangère. [...] Une alliance
qui se fait sous l'effet d'un apprivoisement du verbe français à
cette forme « dyaliique » qui se situe aux alentours de procession du
chant.1271
Ce qui veut dire que Senghor pratique une poésie, dite
poésie francophone.1272 Mieux, il s'identifie comme un
poète francophone. Cela est son identité culturelle. Ce ne sont
pas nos attitudes culturelles qui déterminent ce que nous sommes, ce
sont plutôt nos différents choix culturels qui déterminent
notre identité culturelle. Les choix culturels de Senghor (l'image du
poète africain traditionnel et oraliste, et du poète
français) font de lui un poète francophone. Pour lui, le
poète francophone est un poète accompli, intégral et
universel possédant une double culture. Cette identité est
également la métaphore obsédante qui se dégage des
réseaux associatifs. Nous pouvons asserter que l'identité
culturelle est son mythe personnel. Autrement dit, au travers de ses
écrits, Senghor se bâtit l'image d'un poète francophone.
Le mythe personnel est « l'expression de la
personnalité inconsciente [de l'écrivain] et de son
évolution »1273 dans son texte. En d'autres termes,
le mythe personnel est l'image que l'écrivain se construit de
façon inconsciente dans son oeuvre ou dans son texte, et qui permet de
saisir sa personnalité (qui laisse transparaître la nature de sa
personne)1274. À ce stade, nous pouvons dire que
l'écriture poétique est le manifeste inconscient de
l'identité du sujet écrivant, ici, de Léopold Sédar
Senghor. À travers sa poésie, Senghor ne cherchait que la bonne
attitude pour dire son identité. Et l'identité francophone est
l'invariant qui se dégage au travers de sa poésie.
399
1271 Saïda BELOUALI, « Senghor : Habiter
l'interparole », op.cit.
1272 Nous donnons les caractéristiques de la poésie
francophone dans le chapitre suivant. 1273 Charles MAURON, Psychocritique
du genre comique, José Corti, Paris, 1964, p. 141 1274 Adou
BOUATENIN, La poétique de la Francophonie, op. cit.,
p. 80
400
Léopold Sédar Senghor a voulu ainsi choisir
l'art poétique pour s'exprimer et affirmer son identité
culturelle. En effet, la poésie senghorienne est un art complet, car
elle se fait chant, danse, voire musique en s'accompagnant d'un instrument de
musique. À cet effet, il soutient que
[...] la poésie est chant sinon musique [...]. Le
poème est comme une partition de jazz, dont l'exécution est aussi
importante que le texte [...] Tout d'abord, on peut réciter le
poème selon la tradition française, en soulignant l'accent majeur
de chaque groupe de mots. [...] On peut encore réciter le poème
en s'accompagnant d'un instrument de musique [...]. On peut psalmodier le
poème sur un fond musical : avec les mêmes instruments ou, de
préférence, des flûtes, des orgues ou un orchestre de jazz.
[...] On peut, enfin, chanter vraiment le poème sur une partition
musicale. [...] Je persiste à penser que le poème n'est accompli
que s'il se fait chant, parole et musique en même temps. [...] Il faut
restituer celle-ci à ses origines, au temps qu'elle était
chantée - et dansée.1275
De ce fait, le poète devient à son tour un
artiste complet. Cependant, la particularité de la poésie
senghorienne est qu'elle est empreinte de la poésie orale africaine et
de la poésie française : « Notre ambition est modeste :
elle est d'être des précurseurs, d'ouvrir la voie à une
authentique poésie nègre, qui ne renonce pas, pour autant,
à être française. »1276, nous dit
Senghor. Cette poésie, qui veut être une authentique poésie
nègre sans renoncer pour autant à être française,
est appelée par Senghor poésie francophone.1277 De ce
fait, Senghor se présente, comme un poète francophone.
La véritable raison du choix de Senghor en tant que
poète francophone réside dans le fait que la poésie, dite
francophone, a une vision ontologique, c'est-à-dire l'homme dans
l'univers. C'est ce qui sous-entend de ses propos, lorsqu'il dit :
Il reste que, pour les poètes francophones
d'aujourd'hui, ce qui compte d'abord,
c'est l'objet du poème, qui est une vision ontologique
de l'univers : de l'homme dans l'univers.1278
Cela suppose que la véritable raison du choix de
Senghor est le fait que la poésie francophone est une poésie
humaine, c'est-à-dire elle a pour sujet et objet l'homme, la
réalisation pleinement de l'homme. Quant au poète francophone, il
est le nouvel Orphée - musicien et poète - qui doit
1275 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les
lamantins vont boire à la source », op. cit. (loc.
cit.), p. 165 1276 Idem., p. 163
1277 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 357/377
1278 Idem., p. 379
401
soumettre à sa volonté minéraux,
végétaux, animaux et hommes par son art poétique. La
parole du poète, dit Senghor, a une vertu démiurgique : elle est
verbe, elle est création, elle est poïésis. Il lui
suffit de nommer les choses pour les faire surgir du chaos primordial. Le
poète francophone doit être un créateur ; il doit
créer une nouvelle poésie.
L'autre raison peut plausible est que la poésie est la
forme suprême de tous les arts, de la littérature, et l'apanage
des vrais artistes, des maîtres-de-langue, des créateurs de formes
poétiques. En se définissant comme poète francophone,
Senghor se dit être un vrai artiste, un chantre, un
maître-de-langue, voire un créateur. Il est également le
chantre et le précurseur de la poésie francophone. Une
poésie qui se veut lieu d'une rencontre des cultures.
Le poète francophone est, par ailleurs et ainsi, celui
qui exprime la conciliation ou la rencontre des valeurs africaines et des
valeurs occidentales, des cultures d'ici et d'ailleurs1279, et dont
sa création poétique manifeste cette symbiose, peu importe sa
nationalité, du fait qu'il soit maître de sa parole
poétique.1280 Est Francophone toute personne appartenant ou
se considérant appartenir au moins à deux cultures d'au moins de
deux peuples dont la langue française enrichie par de particularismes de
ses cultures est la langue nationale ou la langue de communication. Toute
personne s'identifiant en cette identité francophone fait
également de cette identité son identité culturelle. Cette
identité devient alors un patrimoine que l'on accepte, que l'on subit,
auquel on adhère ou non, mais qu'il existe, comme le souligne Dominique
Wolton.1281
L'identité francophone est ce que l'on ressent et vit
culturellement de façon particulière, et ne répondant pas
à une conception culturelle unique. Elle est une réalité
dont chaque personne, chaque Francophone est dépositaire. Être
Francophone, c'est acquérir les instruments de la culture occidentale
(ici française) tout en puisant dans sa culture d'origine les fondements
théoriques pour la réalisation de sa propre identité. Ce
qui signifie qu'il existe une culture francophone impliquant une
identité francophone dans laquelle un sujet se reconnaît et
s'identifie, parce que la culture est ce qui détermine notre
identité et notre personnalité.
1279 Adou BOUATENIN, La poétique de la
Francophonie, op. cit., p. 108
1280 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 407 1281 Dominique
WOLTON, loc. cit., p. 33
402
Senghor, par sa poésie, infirme toutes les approches
définitionnelles de l'identité francophone qui ont tendance
à rattacher cette identité à l'usage de la langue
française. Pour lui, l'identité francophone se doit être
définie à partir de ce qui fonde réellement la
Francophonie : l'Humanisme intégral et la culture. Ce qui signifie que
l'identité francophone est intrinsèquement liée à
l'identité humaniste et à l'identité culturelle. Pour
l'appréhender, dans sa poésie, nous avons procédé
à mettre au jour ce que sont celles-ci.
En partant du postulat que la Francophonie est un Humanisme
intégral, nous avons argué que Senghor se définit comme un
humaniste intégral et universel, parce qu'il place l'être humain
comme valeur et préoccupation centrales dans son projet francophone et
dans sa poésie. Il affirme l'égalité de tous les
êtres humains, et reconnaît la diversité personnelle et
culturelle. Il développe la connaissance au-delà de ce qui est
accepté comme vérité absolue. Il approuve,
également, la liberté d'opinion et de croyance tout en rejetant
la violence, et prône l'amour fraternel envers tous les êtres
humains.1282 Par l'identité humaniste, Senghor se
présente comme une personne soucieuse du devenir et de l'être de
la personne humaine. Il montre que l'homme est un, et que l'humanité ne
doit pas être seulement l'apanage des Occidentaux, mais des hommes qui
ont des droits égaux et qui sont faits pour s'entendre, s'entraider et
s'aimer. Il invite les êtres humains à s'accepter comme des
frères d'une même famille. Cela signifie que le Francophone doit
être au service des hommes, s'efforcer à rendre les hommes plus
humains. L'identité francophone ne se limite pas seulement au
caractère humaniste, mais aussi au caractère culturel.
Nous sommes également parti du fait que la Francophonie
est culture pour déterminer l'identité culturelle chez
Léopold Sédar Senghor. L'identité culturelle d'une
personne est le fait de se reconnaître ou de s'identifier en une culture
- en ses valeurs - dans laquelle elle veut que les autres la reconnaissent. De
ce fait, l'identité culturelle de Senghor est l'identité dans
laquelle il souhaite être reconnu, identifié ; et cette
identité est liée à une culture. Dans son cas, il veut se
reconnaître, s'identifier, se manifester et être reconnu dans la
culture francophone. Cette culture n'est ni africaine ni française, elle
est les deux à la fois. Par conséquent, Senghor est un
Francophone. Ce qui signifie qu'il existe bel et bien une culture francophone,
faite de différents apports de ceux qui se considèrent
Francophones en tant que tels.
1282 Adama OUANE, « Vers un nouvel humanisme : la
perspective africaine », International Review of Education,
volume 60, issue 3, 2014, p. 386
403
L'identité culturelle comme la culture francophone se
construit à partir des éléments culturels français
et des éléments culturels africains, voire d'autres continents et
peuples. Celle de Senghor se construit à partir des
éléments culturels sénégalais et des
éléments culturels français. Par cette identité,
Senghor confirme qu'il est Francophone, car il puise les éléments
culturels de l'Afrique et ceux de l'Europe pour faire sa poésie, qui a
une vision ontologique, et qui se fait chant, parole et musique en même
temps. Pour arriver à cette identité francophone, il a dû
prendre des cours de poésie auprès de Marône, la
poétesse de son village ; de l'art à tisser les paroles
plaisantes auprès des Maîtres-de-langue, les Dyong ; et imiter les
poètes occidentaux, des troubadours à Paul Claudel, les
poètes de la rigueur dans la forme, de la liberté, voire du
délire dans l'imaginaire1283. Cela suppose que
l'identité francophone est en perpétuelle construction. Quant
à la culture francophone, elle est de Verlaine, d'Hugo, de Claudel, de
Senghor, de Césaire, des griots, des poétesses, du troubadour, de
dyâli, les us et coutumes d'ici et d'ailleurs. C'est ce mélange de
cultures qui fait la culture francophone.
L'identité francophone est un lien qui se tisse entre
des personnes qui peuvent communiquer en français métissé,
même si elles viennent de contrées du monde les plus
éloignées ou bien se trouvent loin d'une région
quelconque. Elle est également le sentiment de se savoir proche de
l'autre, de se faire comprendre, entendre et échanger des idées
en matière de sciences, techniques, littératures, arts et
musiques. Cela signifie qu'en Francophonie, il s'agit de retrouver le
goût de l'autre pour vivre l'autre avec l'autre.
La Francophonie occupe ainsi une place importante dans
l'oeuvre senghorienne. Elle est intimement liée à la
réflexion sur la culture française et négro-africaine dont
il s'est abreuvé. De ce fait, nous avons affirmé que
Léopold Sédar Senghor est le précurseur de la
poésie francophone. Si tel est le cas, alors il se pourrait qu'il ait eu
à donner les préceptes ou les caractéristiques de cette
poésie. Par conséquent, les préceptes et les
caractéristiques de cette poésie seraient perceptibles dans ses
oeuvres poétiques. Cependant, J. Tshisunguwa Tshisungu affirme que
Senghor n'a pas eu le temps de théoriser la Francophonie, car
une opinion courante attribue à L. S. Senghor un effort
théorique de thématisation du concept de la francophonie.
L'examen des faits ruine cette opinion malheureusement répandue.
Affirmer que Senghor n'a jamais élaboré de manière
systématique une théorie de la francophonie n'est pas une
hypothèse d'école, mais un constat empirique.1284
1283 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 370
1284 J. Tshisunguwa TSHISUNGU, « la conception senghorienne
de la francophonie », op. cit.
404
L'absence d'une théorie ne signifie pas qu'il faut
renoncer à la proposition d'une théorie. Il est bien vrai qu'il y
a eu des propositions de théorie de la Francophonie, mais ces
propositions n'ont pas pris en compte les dires de Léopold Sédar
Senghor, à part J. Tshisunguwa Tshisungu, qui a analysé de
façon diachronique et synchronique les cinq tomes de Liberté pour
déceler une soi-disant théorie de la Francophonie.1285
Dans un entretien en date de 1985, publié dans
Notre Librairie, Senghor promettait de consacrer un essai
théorique à la Francophonie.1286 Malheureusement, il
ne l'a pas fait. Il est temps de penser à théoriser le concept de
Francophonie, voire dans la mesure du possible, à donner les contours et
les caractéristiques de la poésie francophone, à partir
même des oeuvres poétiques de Senghor, si possible de ses
allocutions, de ses entretiens et de ses préfaces, afin de mettre fin,
pour ainsi dire, à une polémique entre les différents
écrivains francophones (Français et non-Français).
Les oeuvres des poètes francophones tracent les
contours d'un français pluriel qui fait le lien entre l'Europe et
l'Afrique, la France et leur pays d'origine. Ils n'appartiennent pas
forcément à la France, mais sont les artisans d'une Francophonie
qui transcende les frontières des pays. L'écriture
poétique francophone se repère par sa réappropriation
subversive d'une langue, de représentations, de codes
génériques dans lesquels elle marronne pour élaborer par
dérivation une nouvelle identité culturelle (identité
francophone) ainsi qu'une nouvelle littérature (littérature
francophone)1287, voire une nouvelle poésie (poésie
francophone). Nous allons donc emboiter les pas aux devanciers (F. Provenzano,
M. Beniamino, C. Riffard, J.T. Tshisungu, J. M. Moura, D. Combe, R. Jouanny)
pour appréhender la poésie francophone : Qu'est-ce que la
poésie francophone ?
1285 Idem. (Son article date de 1988)
1286 Léopold Sédar SENGHOR, « Poète et
francophone », La littérature sénégalaise,
Notre librairie, n°81, op. cit.
1287 Cyrille FRANÇOIS, « Le débat
francophone », Recherches & Travaux [En ligne], 76 | 2010,
mis en ligne le 30 janvier 2012, consulté le 30 septembre 2016, p. 137.
URL :
http://recherchestravaux.revues.org/413
405
CHAPITRE IV : LA POÉSIE FRANCOPHONE : ESSAI
DE DÉFINITION
Au départ, nous avons intitulé ce chapitre
« Vers une théorisation de la Francophonie ». Les conclusions
des chapitres précédents nous ont permis de faire un rebours de
chemin afin d'ajuster notre argumentaire. Pour rester dans la logique des
autres chapitres, nous avons préféré intituler celui-ci
« La poésie francophone : essai de définition ». En
fait, nous avons étudié un poète : Léopold
Sédar Senghor ; un genre littéraire : la poésie ; et un
thème : la Francophonie. Le bon sens et la logique réflexive nous
contraignent d'aborder la poésie francophone. La poésie
francophone fait partie d'un ensemble de littérature(s) qu'on appelle
littérature (s) francophone(s), qui sont un objet
problématique.1288 Pourquoi la littérature francophone
est-elle un objet problématique ? Avant d'y répondre, rappelons
de façon succincte la genèse de cette littérature sans
oublier de dire ce qu'elle implique ou signifie au juste.
La littérature francophone a manifesté son
existence et sa vitalité en même temps que s'affirmait la
Francophonie dans les années 1960. Au moment où l'on a pris
conscience du fait que la langue française n'était plus la
propriété exclusive des seuls Français et qu'elle pouvait
dire les valeurs et les rêves des peuples les plus divers, l'on a
commencé à nommer la littérature d'expression
française - faite par des auteurs non Français -
littérature francophone1289. Pour être plus juste,
disons qu'à partir de 1962 avec la revue Esprit, l'appellation de la
littérature d'expression française fut substituée par
littérature francophone.
En réalité, l'on a commencé à
s'intéresser à la littérature d'expression
française à partir de 1958 sous l'initiative de Raymond
Queneau.1290 En effet, c'est à son initiative que le
troisième volume de l'Histoire des littératures
publiée en 1958 s'intéresse aux Littératures
françaises, connexes et marginales, avec la contribution d'Auguste
Viatte, sur « Littérature d'expression française dans la
France d'Outre-mer et à l'étranger ». Cependant, Claire
Riffard estime que le terme francophonie littéraire est apparu en 1973
dans l'ouvrage de Gérard Tougas, Les écrivains d'expression
française et la France, et depuis lors il est
réutilisé avec succès que
1288 Charles BONN et Xavier GARNIER : « Les
littératures francophones : un objet problématique »
(introduction générale de Littérature
francophone, tome 1, le roman, Paris, Hatier/AUPELF-UREF,1997), Disponible
sur
http://www.limag.refer.org/Cours/Francoph/IntroManHatRevue.htm
1289 Encyclopédie Universelle.
http://www.universalis.fr/encyclopedie/litteratures-francophones/
1290 Sophie CROISET et Anne-Rosine DELBART, «
Marginalité, identité et diversité des
`'littératures francophonies» : présentation du dossier
», Le langage et l'Homme, vol XXXXVI, n°1 juin 2011, p. 3
406
l'on sait, notamment par Michel Beniamino avec son essai de
1999, La Francophonie littéraire. Essai pour une
théorie1291. Selon Michel Beniamino, la
littérature francophone existait bien avant les décolonisations,
car le premier roman francophone en Afrique occidentale est de Félix
Couchoro en 1920 ; en Haïti, elle date de 1904 ; pour la Belgique,
dès les débuts des années 20 ; pour ce qui est de la
littérature antillaise, elle est étudiée dès
1913.1292 Il y a, en effet, une littérature francophone de la
Belgique et de la Suisse, et une autre du Québec. D'une part, ces
littératures sont plus anciennes que la littérature africaine
d'expression française, d'autre part leurs caractéristiques ne
s'expliquent pas par la colonisation et la décolonisation, sauf
peut-être le Québec qui appartenait à la France jusqu'en
1763. La Suisse n'a jamais dépendu de la France. La Belgique n'a
été française que de 1795 à 1815 ; et sa
littérature a commencé bien avant 1920 avec le mouvement jeune
Belgique (1880-1920).
À vrai dire, avant toutes ces littératures,
l'appellation de la littérature francophone n'existait pas. En fait, ces
différentes littératures étaient désignées
par littérature d'expression française. À partir
de 1935, selon nous, on a pris effectivement conscience de l'existence d'une
littérature francophone avec la naissance du mouvement de la
Négritude, car ses auteurs se réclamaient être, à la
fois, poète nègre et français1293
jusqu'à ce qu'un colloque fut organisé le 3 octobre 1975 à
Hautvillers sur la thématique « Rencontre des poètes
francophones ».1294 Ce fut ainsi que l'on a commencé
à désigner les écrivains de langue française, autre
que Français, d'écrivains francophones, puisqu'il existait
déjà le concept de Francophonie, et ce depuis 1962. À
cette date-là (1962), la littérature francophone était
définie comme une littérature « faite hors de la France,
le plus souvent par des auteurs originaires d'anciennes colonies
françaises »1295. Paul Drezet nous apporte plus de
précision en disant que
La littérature francophone, qui avait, dès 1926,
pris conscience de sa vitalité et de sa richesse en créant
l'Association des écrivains de langue française, s'écrit
sur tous les continents : elle est riche et multiple [...]. Cette
littérature francophone s'est développée sur le continent
africain et la langue française s'y enrichit d'un phrasé, d'un
rythme et de sources d'inspiration typiquement africaines, traduisant par
là une
1291 Claire RIFFARD, « Francophonie Littéraire :
quelques réflexions autour des discours critiques »,
Item[En ligne], Mis en ligne le : 05 février 2008. Disponible
sur
http://www.item.ens.fr/index.php?id=207602
1292 Michel BENIAMINO, L'histoire de la Francophonie et son
intérêt pour l'enseignement de littérature (et de
l'histoire ?), Disponible sur
http://
www.ph.ludwigsburg.de/html/2b-fmz-s-01/overmann/baf4/Francophonie/BesoindeFrancophonieHistoirelitteratureEnseignementM.Beniamino%5B1%5
D.pdf
1293 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les
lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 163
1294 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 369
1295 Niels PLANEL, « Que la décolonisation
littéraire commence ! Essai sur Pour une littérature-monde paru
chez Gallimard en 2007 », Sens-public, Article publié en
ligne : 2007/11, Disponible sur
http://www.sens-public.org/article.php3?id_article=493
407
revendication culturelle : cela avait débuté,
notamment, avec une revue prémonitoire, « Présence Africaine
», créée en 1947 par M. DIOP.1296
À l'origine de la littérature francophone
étaient des écrivains non Français qui utilisaient la
langue française pour écrire. À cet effet,
Mihaela-Alexandra Acartrinei affirme que
La dénomination « Littérature francophone
» désigne l'ensemble des créations littéraires en
français, autres que celles de la région hexagonale, et
réunit les manifestations littéraires du Québec, de
l'Afrique, et de l'Europe-belge francophone, Luxembourgeoise ou romande.1297
Ces propos sont renforcés par Charles Bonn et Xavier
Garnier en ces termes :
Si nous partons d'une définition en extension de cette
littérature nous rencontrerons deux critères. Un critère
linguistique (usage de la langue française) et un critère
territorial (auteurs non français) [...]. La définition la plus
courante de la littérature spécifie en effet «
littérature de langue française écrite par des
écrivains non français »1298.
On peut aussi comprendre par littérature francophone
l'ensemble des oeuvres écrites en français, dans ce cas, elle
s'écrirait au singulier. Au pluriel, elle renverrait aux oeuvres
écrites en français par des auteurs non Français.
Il y a, dans tous les cas, en fait, une hésitation pour
désigner la littérature francophone regroupant toutes les oeuvres
en français sans exception, nous disent également Charles Bonn et
Xavier Garnier :
Hésitation compréhensible devant l'objet dont
les contours ne sont pas encore nettement définis, à supposer
qu'ils puissent l'être un jour. Hésitation qui nous mène en
tout cas à commencer par nous interroger sur les limites d'une
définition de l'objet : littérature, ou littératures
francophone(s).1299
Il y a aussi hésitation à nommer cette
littérature. On l'a d'abord nommée littérature
régionale, littérature périphérique,
littérature d'Outre-mer, littérature d'expression
française, littérature de langue française, puis
littérature francophone pour aboutir finalement à d'autres
nominations, comme le souligne Claire Riffard :
1296 Paul DREZET, Les enjeux de la Francophonie : D'une
communauté de langue à une communauté de destin,
p. 36
1297 Mihaela-Alexandra ACATRINEI, « Le discours onirique
chez Anne Hébert comme quête identitaire », Dire /
Écrire / Enseigner La / Les francophonie(s), Revue Roumaine
d'Études Francophones n°. 5, 2013, p. 15 1298 Charles BONN et
Xavier GARNIER : « Les littératures francophones : un objet
problématique », op. cit. 1299 Idem.
408
Le discours critique sur la francophonie littéraire
éprouve quelque embarras à définir son objet. Tout comme
le cadre académique de l'université à le nommer, puisqu'on
change régulièrement d'appellation : « littérature
d'expression française », « littératures francophones
», actuellement « littératures du sud, émergentes,
nouveaux espaces littéraires1300.
Sophie Croiset et Anne-Rosine Delbart sont plus explicites dans
leur propos :
La marginalisation de la francophonie littéraire
s'accroît encore du fait de son indéfinition même. L'univers
des littératures francophones, on l'a dit, est assurément
disparate. Dans son acceptation originelle, il comprend les littératures
d'expression française sur des territoires où la langue
française a été importée par la colonisation,
auquel on intègre avec mille précautions les écrivains des
départements d'Outre-Mer.1301
Le problème ne réside pas seulement au niveau de
la définition ou de l'appellation, mais également au niveau de la
théorie (un ensemble de règles ou de canons, voire de
propriétés permettant de définir de façon exacte la
littérature francophone une fois pour tout), de la politique et du
centre-périphérie. Parce que la Francophonie manque d'une
théorie, d'une véritable théorie, les débats sont
récurrents, qui, sans doute, sont liés aux origines politiques de
la Francophonie d'après les indépendances des ex-colonies
françaises. Et cela incombe Léopold Sédar Senghor qui
avait promis de consacrer un essai théorique à la Francophonie
face à la Négritude :
Pourquoi Francophonie ? C'est l'une des raisons pour
lesquelles j'ai donné ma démission de Président de la
république. Je veux écrire deux livres avant de mourir et je veux
m'occuper en particulier de la Civilisation de l'Universel en commençant
par la Francophonie.1302
Le manque de théorie, selon nous, ne devrait en aucun
cas être sujet à caution dans l'appréhension de la
littérature francophone, si elle est en corrélation avec le
concept de Francophonie, qui englobe tous les parlants français du
monde. Le débat de savoir ce qu'est la littérature francophone
est un non-lieu. Cependant, « [...] l'enjeu de ce débat [sur la
littérature francophone] est tout autant, sinon plus, politique que
culturel »1303. Ce débat politique autour
1300 Claire RIFFARD, « Francophonie Littéraire :
quelques réflexions autour des discours critiques », op. cit.,
p. 2
1301 Sophie CROISET et Anne-Rosine DELBART, «
Marginalité, identité et diversité des
`'littératures francophonies» : présentation du dossier
», op. cit., p. 2
1302 Léopold Sédar SENGHOR, « Poète et
francophone », La littérature sénégalaise,
Notre librairie, n°81, op. cit., p. 106
1303 Véronique PORRA, « Malaise dans la
littérature-monde (en français) : de la reprise des discours aux
paradoxes de l'énonciation », Recherches & Travaux [En
ligne], 76 | 2010, mis en ligne le 30 janvier 2012, consulté le 30
septembre 2016, p. 124. URL :
http://recherchestravaux.revues.org/411
409
de la littérature francophone a pour corollaire
l'identité nationale de la France. La France qui veut préserver
sa langue et son identité nationale, et sa littérature
authentiques, perpétue l'approche coloniale reclusienne de la
Francophonie et s'exclut de la communauté dont parlait Senghor avec son
concept de Francophonie.
Pour la France, « la francophonie littéraire
représente un ensemble flou à l'intérieur de la
République mondiale des Lettres »1304. Ce qui
signifie que pour les Français, la littérature francophone est
une littérature mineure, et elle est la littérature des autres
qui utilisent leur langue pour écrire. Cette présomption de la
France implique alors le problème de centre et de
périphérie. La France et sa capitale Paris sont le centre
(littérature française, dite littérature majeure) et les
autres pays qui utilisent le français en sont les
périphéries (littérature francophone, dite
littérature mineure). Face à cette attitude, des écrivains
de nationalités diverses vont s'inviter dans le débat pour dire
que la littérature française est avant tout une
littérature francophone, semble bien dire Alain Mabanckou :
Lorsqu'on parle de littérature francophone, il nous
vient naturellement à l'esprit l'idée d'une littérature
faite hors de la France le plus souvent par des auteurs originaires d'anciennes
colonies françaises [...] La littérature francophone est un grand
ensemble dont les tentacules enlacent plusieurs continents. [...] La
littérature française est une littérature nationale. C'est
à elle d'entrer dans ce grand ensemble francophone. Ce n'est qu'à
ce prix que nous bâtirons une tour de contrôle afin de mieux
préserver notre langue, lui redonner son prestige et sa place
d'antan1305.
Cependant, François Cyrille affirme que le
problème réside dans l'emploi de l'épithète «
francophone » :
L'épithète « francophone » est comme un
tissu malmené que l'on déchire, distend,
rétrécit. Ce n'est pas une querelle
d'érudits pointilleux : les écrivains s'y mêlent
régulièrement avec un ton plus assuré et à grand
renfort de propos généraux1306.
Pour Christian Vandendorpe, « l'étiquette `'
francophone» serait acceptable si elle désignait effectivement
l'ensemble des littératures d'expression française, comme ce
devrait être le cas en théorie »1307, pour
cela « Paris doit modifier son appareil éditorial et critique
»1308 et
1304 Lise GAUVIN, « L'écrivain francophone et ses
publics. Vers une nouvelle poétique romanesque », Le Bulletin
de l'Académie Royale de langue et littérature françaises
Belgique, Tome LXXXVII-N°1-2-3-4-Année 2009 ; p. 69 (La France
se présente comme la République Mondiale des Lettres).
1305 Alain MABANCKOU, « La Francophonie, oui, le ghetto, non
! » Le Monde|18.9.2006, op. cit.
1306 Cyrille FRANÇOIS, « Le débat francophone
», Recherches & Travaux [En ligne], 76 | 2010, mis en ligne
le 30 janvier 2012, consulté le 30 septembre 2016, p. 131. URL :
http://recherchestravaux.revues.org/413
1307 Christian VANDENDORPE, « De la francophonie à la
littérature-monde »,@nalyses[En ligne], Comptes rendus,
Francophonie, mis à jour le 01/09/2009. Disponible sur
http://
www.revue-analyses.org/index.php?id=858
1308 Jacques GODBOU, in Pour une
Littérature-monde, op. cit., p. 107
410
accepter d'entrer dans ce grand ensemble francophone, dont
parle Alain Mabanckou, et qui est la littérature francophone. Même
si, on réservait les vocables « francophonie » et «
francophone » à la sphère diplomatique et
géopolitique en prenant l'habitude de dire « écrivains de
langue française », en évitant de fouiller leurs papiers,
leurs bagages, leurs prénoms ou leur peau, comme le recommande Amin
Maalouf1309, il y aura toujours cette distinction entre
écrivain de langue française et écrivain français.
D'ailleurs, nous avons encore une périphrase avec «
écrivains de langue française ».
Pour éviter toute confusion et abolir les
frontières entre la littérature française et les autres
littératures d'expression française, des écrivains se sont
rassemblés autour de Michel Le Bris et Jean Rouaud pour annoncer la mort
de la littérature francophone par la littérature-monde en
français. À y voir de près, la littérature-monde
n'est qu'une périphrase de la littérature francophone car «
cette dernière a elle-aussi pour dénominateur commun, pour
élément de cohésion, le français.
»1310 Il est un fait bien connu, la littérature
francophone est difficile à définir et à délimiter.
Néanmoins, il n'en demeure pas moins que la langue française est
en soi un facteur commun et un élément essentiel dans la
définition de la littérature francophone : Protection et
affirmation d'une culture de langue française forte et rayonnante. La
particularité de ce français est qu'il est évidé de
ses connotations hexagonales et chargé de connotations nouvelles et
propres au milieu d'implantation, nous disent Charles Bonn et Xavier
Garnier1311. Les fondements idéologiques et les moyens
à mettre en oeuvre pour y parvenir divergent fondamentalement, comme
l'affirme également Véronique Porra.1312 En effet, la
littérature francophone est une expression qui divise
énormément.
Aujourd'hui, nous pouvons dire que les contours de la
littérature francophone sont les véritables problèmes que
l'on rencontre dans l'appréhension de cette littérature. Elle n'a
pas de contours. Elle ne peut pas être délimitée. En effet,
elle est une littérature de carrefour où des langues et des
cultures se rencontrent en une symbiose harmonieuse entre le français et
les autres langues pour les réalités sociopolitiques et le
vécu quotidien de l'écrivain et de ses lecteurs. Cette
littérature brise les frontières, efface les races, se moque des
nationalités des écrivains, amoindrit la distance des continents
pour ne plus établir que la fraternité par la langue qui
nécessite, pour être comprise, un lecteur capable de s'ouvrir sur
la culture de l'autre et de
1309 Amin MAALOUF, « ...et les égarements de la
Francophonie ». Disponible sur
http://www.aminmaalouf.net/fr/2009/07/et-les-egarements-de-la-francophonie/
1310 Véronique PORRA, « Malaise dans la
littérature-monde (en français) : de la reprise des discours aux
paradoxes de l'énonciation », op. cit., p. 121
1311 Charles BONN et Xavier GARNIER : « Les
littératures francophones : un objet problématique »,
op. cit 1312 Véronique PORRA, « Malaise dans la
littérature-monde (en français) : de la reprise des discours aux
paradoxes de l'énonciation », op. cit., p. 125
411
se voir lui-même avec les yeux de l'autre. Elle est
l'expression de la Civilisation de l'Universel qui prend en compte la tradition
littéraire française qui viendra enrichir les autres traditions
littéraires, et vice-versa. Elle prend, également, en compte les
nouveaux changements perpétuels de la vie des langues et des humains, de
la vie des valeurs et des patrimoines où la place de la culture et le
devenir de l'homme demeurent la seule préoccupation des
écrivains.
Comme tous les outils, un concept doit être manié
à bon escient, sinon il endommage plus qu'il ne répare, et peut
se révéler dangereux.1313 Pour cette raison, puisque
la Francophonie d'aujourd'hui n'est plus celle d'Onésime Reclus, ni de
l'époque coloniale, ni celle de la revue Esprit, ni celle des
fondateurs de la Francophonie moderne, nous devons nous accorder pour cheminer
ensemble vers le même but, celui de la culture, de la langue
française, jalonnée d'histoires rayonnantes pour les uns,
douloureuses pour les autres.
Nous croyons, pour mieux cerner la littérature
francophone, qu'il serait intéressant et souhaitable d'étudier
séparément les composants de cette littérature,
c'est-à-dire les différents genres littéraires qui la
constituent : la poésie, le roman et le théâtre
francophones.1314 Chaque genre littéraire a ses propres
particularités, ses propres spécifiques et
caractéristiques. Notre étude s'inscrit dans cette logique. Nous
voudrons appréhender la poésie francophone à partir de
Léopold Sédar Senghor, c'est-à-dire construire une
poétique de cette poésie au regard de celui-ci.
Nous savons que la poésie s'est constamment
renouvelée au cours des siècles avec des orientations
différentes selon les époques, les civilisations et les
individus. Les sempiternelles réponses rattachent la poésie
à la rime, à la versification, voire au rythme. Ce qui semble
obsolète de nos jours, puisque d'autres éléments rentrent
en compte dans la définition de la poésie. En fait, la
poésie ne se définit pas seulement par des thèmes, mais
aussi par le soin majeur apporté au signifiant pour qu'il
démultiplie le signifié. Autrement dit, la poésie dit les
sentiments, les choses de tous les jours avec des mots imagés,
eux-mêmes déroutés de leurs sens. Ce qui signifie que la
poésie réinvente la langue quotidienne : « Les mots que
j'emploie, ce sont les mots de tous les jours, et ce ne sont point les
mêmes ! ».1315 Elle est en ce sens un artisanat du
langage, dont la réalisation nécessite des techniques
précises, concrètes,
1313 Amin MAALOUF, « ...et les égarements de la
Francophonie », op. cit.
1314 Claire Riffard, Charles Bonn et Xavier Garnier estiment
qu'il faut une étude comparative pour appréhender la
littérature francophone, alors que Claude Caitucoli affirme «
qu'il faut donc renoncer à définir la francophonie
littéraire sur des critères formels objectifs : il n'y a dans les
textes aucune propriété concrète simple qui unisse
l'ensemble des oeuvres qualifiées de francophones ». (Claude
CAITUCOLI, « L'écrivain africain francophone, agent glottopolitique
: l'exemple d'Ahmadou Kourouma », Glottopol, n°3-Janvier
2004, p.10)
1315 Cf. Paul CLAUDEL, Cinq grandes odes, NRF/Gallimard,
Paris, 1948, 184 p.
412
descriptibles et une maîtrise parfaite des ressources
langagières. En réalité, ce n'est pas le langage qui fait
la poésie, c'est plutôt la poésie qui fait le langage, la
langue. Mieux, « la poésie met le langage en état
d'émergence. »1316 Définir la poésie
n'est pas une entreprise aisée. Chaque auteur, chaque poète a sa
propre conception de la poésie.1317
Pour définir la poésie, il faut partir du regard
d'un poète-cible, car la poésie est régie par les valeurs
esthétiques d'une personne, d'une tradition poétique et d'une
culture.1318 Notre poète-cible est Léopold
Sédar Senghor. La poésie, pour lui, est une relation du sujet
à l'objet :
Qu'est-ce que la poésie ? C'est un sujet de
dissertation que j'avais donné autrefois à mes
élèves du lycée. La plupart y répondaient par une
définition subjective, qui ne pouvait s'appliquer qu'au lyrisme. La
poésie, répondaient-ils en substance, est l'expression d'un
sentiment personnel. Je rétorquais que la définition
n'était pas complète, que la poésie était sujet
et objet à la fois, objet plus que sujet, qu'elle
était la relation du sujet à l'objet.1319
Cette conception de la poésie est-elle applicable
à la poésie francophone ? Qu'est-ce que la poésie
francophone ? Qu'en sont ses contours et ses caractéristiques ? Comment
Senghor appréhende-t-il cette poésie ?
S'interroger sur la poésie francophone, c'est chercher
à savoir ce qu'elle signifie et implique, à comprendre son
fonctionnement et à déceler ses caractéristiques.
D'où pour nous de réunir les éléments d'une
définition possible de la poésie francophone. Après avoir
réuni les éléments définitionnels de cette
poésie, nous passons en revue ses composantes sans occulter ses origines
pour aboutir enfin à la caractérisation (les contours et les
caractéristiques) de la poésie francophone. Tel est notre
démarche pour comprendre et appréhender la ou les
spécificité(s) de la poésie francophone. Mieux, nous
essayons de saisir la conception senghorienne de cette poésie dont il se
réclame être un des précurseurs.
1316 Gaston BACHELARD, La poétique de
l'espace, Les Presses universitaires de France, 3ème
édition, 1961, p. 17
1317 « Les définitions de tous genres et de tous
styles ont alors proliféré, souvent sous la plume de
poètes, eux-mêmes engagés dans une démarche
littéraire personnelle ; il s'agissait donc de manifestes ou de
programmes, dont le caractère ouvertement polémique conduisait
à exagérer les oppositions et les ruptures, au détriment
des permanences profondes qui cachent, bien souvent, le changement de
vocabulaire et l'ombre envahissante des enjeux idéologiques du moment.
», nous dit Alain Vaillant. (Alain VAILLANT, La
poésie, Armand Colin, Paris, 2005, p. 10)
1318 Paul FRIEDRICH, « Mythes, poésie et musique
(dans les grands mythes-poèmes) », Anthropologie et
Sociétés 292 (2005), p.100
1319 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
1, op. cit., p. 30
413
1. QU'EST-CE QUE LA POÉSIE FRANCOPHONE
?
La poésie francophone comme la littérature
francophone est parfois contestée, voire méconnue. Elle
représente, en effet, pour les Français les autres parlants
français, c'est-à-dire les oeuvres poétiques
écrites par les non Français. Elle est la poésie faite
hors de l'Hexagone. La situation de cette poésie est paradoxale,
puisque, premièrement, la définition de la poésie ne fait
pas l'unanimité de tous, et deuxièmement, l'adjectif «
francophone » semble vouloir dire que le français n'est pas la
langue première ou maternelle du poète, et cela établit
une nette distinction entre poète Français et poète non
Français.
Pour mieux dire ce que la poésie francophone signifie
ou ce qu'elle est, voire ce qu'elle implique, il faut que nous nous accordons
sur ce à quoi renvoie l'épithète « francophone
». Nous sommes d'accord que l'épithète « francophone
» implique la langue française. Ce qui signifie que la
poésie francophone est une poésie de langue française.
Autrement dit, toute poésie faite ou écrite en français
est ou relève de la poésie francophone. Cependant, «
cette poésie n'est pas tout à fait d'Europe [...J
»1320 ni française, c'est-à-dire elle
n'obéit pas, souvent, à la prosodie et à la
métrique françaises. Elle ne s'adresse pas seulement aux
Français de France, mais également aux Français d'Afrique
et aux autres Français du monde. « La poésie dont il est
question, ici, est née dans les années 1930
»1321 et elle a pour précurseurs Aimé
Césaire, Léon Gontran Damas et Léopold Sédar
Senghor. Nous justifions nos propos avec celle de Senghor :
Notre ambition est modeste : elle est d'être des
précurseurs, d'ouvrir la voie à une authentique poésie
nègre, qui ne renonce pas, pour autant, à être
française. [...] Il est question, je le répète, dans cette
étude, de montrer les différences de situation, et que, si
l'essence de la poésie est partout la même, les
tempéraments et les moyens des poètes sont divers. Reprocher
à Césaire et aux autres, leurs rythmes, leur « monotonie
», en un mot leur style, c'est leur reprocher d'être nés
« nègres » antillais ou africains [...]1322.
À en croire Léopold Sédar Senghor, la
poésie francophone n'est pas seulement tributaire des traditions
littéraires françaises, mais aussi des traditions
négro-africaines. Il s'agit, en quelque sorte, d'une poésie
fortement métissée, née de deux grands modes de
pensée : la Négritude et
1320 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les
lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 155
1321 Makhily GASSAMA, « Des sources négro-africaines
de la poésie africaine de langue française »,
Éthiopiques, numéro 26, avril 1981
1322 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les
lamantins vont boire à la source », op. cit., p.163
414
la Francité. Elle a hérité de deux
traditions de poésie : la poésie française et la
poésie traditionnelle africaine. En fait, la poésie francophone
est une poésie qui a pour leitmotiv l'utilisation de la langue
française et les références positives de la culture
française mêlées aux sujets historiques et
éléments culturels africains, dans le cas de Senghor ;
martiniquais pour Césaire ; et antillais ou guyanais pour Damas.
La poésie francophone est le nouvel habit de la
poésie française. En effet, elle a acquis ses lettres de noblesse
quand naquit la poésie de langue française.1323 Cette
poésie francophone « rompt avec la tradition de la
poésie française, héritée de la Renaissance. Elle
remonte au-delà, pour s'enraciner dans la vieille tradition grecque,
plus exactement méditerranéenne, ou elle rencontre l'Afrique.
»1324 Cette rencontre avec l'Afrique engendre l'irruption
des mots africains dans la poésie française. Peut-on retenir des
propos de Senghor, ci-dessous :
J'ai montré, à Hautevillers, pour illustrer la
proposition et prenant l'exemple des Nègres, que si ceux-ci avaient
« bouscule » cette vieille dame de langue française, ils ne
l'avaient pas maltraitée. Ils ont inséré leurs
néologismes, pas toujours exotiques, leurs images folles et leurs
rythmes syncopés dans le génie de la langue française, qui
est, en poésie, moins dans la logique, la précision, la
clarté que dans l'économie des moyens.1325
Cette idée est partagée par Jean-Paul Sartre,
lorsqu'il dit
Le poète européen d'aujourd'hui tente de
déshumaniser les mots pour les rendre à la nature ; le
héraut noir, lui, va les défranciser ; il les concassera, rompra
leurs associations coutumières, les accouplera [...]. C'est seulement
lorsqu'ils ont dégorgé leur blancheur qu'il les adopte, faisant
de cette langue en ruine un super langage solennel et sacré, la
Poésie.1326
Des dires de Senghor et de Sartre, on comprend que la
poésie francophone fait intervenir d'autres langues dans la
poésie française, et Senghor d'ajouter qu'
En effet, depuis leur Re-naissance, aux XVIè
et XVIIè siècles, les lettres et arts français,
et singulièrement la poésie, ont reçu et
digéré, non seulement les « matériaux », comme
le souligne Maulnier, mais encore les valeurs des autres civilisations. Ce
furent, d'abord, des apports européens - méditerranéens,
germaniques et slaves -, puis des apports asiatiques - arabes, iraniens et
indiens, chinois et japonais -, maintenant des apports
négro-africains.1327
1323 Makhily GASSAMA, « Des sources négro-africaines
de la poésie africaine de langue française », op.
cit.
1324 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 379
1325 Idem. (op. cit.), p. 372
1326 Jean-Paul SARTRE, « Orphée noir », op.
cit., p. XX
1327 Ibidem., p. 371- 372
415
La poésie francophone est très marquée
par la situation de dualité culturelle. Elle est la résultante
d'une assimilation poétique faite par la poésie française.
Et Léopold Sédar Senghor de le justifier en ces termes :
C'est sur les valeurs nègres, oubliées par
Thierry Maulnier, comme sur celles des autres civilisations, que je voudrais
m'arrêter pour montrer comment elles ont été
assimilées par la poésie française moderne : sur le
rythme, mais d'abord, sur le sens des « correspondances » et «
symboles » dont parlait Baudelaire.1328
Elle est une poésie en langue française,
greffée des autres langues ; une poésie qui veut être
française tout en exprimant les différentes situations qui sont
pour la plupart africaines, antillaises, martiniquaises. Ce qui sous-entend que
la poésie francophone a été beaucoup influencée ;
et les poètes francophones en sont également, nous dit à
nouveau Senghor :
Pourquoi le nierai-je ? Les poètes de l'Anthologie ont
subi des influences, beaucoup d'influences : ils s'en font gloire. Je
confesserai même, - Aragon m'en donne l'exemple - que j'ai beaucoup lu,
des troubadours à Paul Claudel. Et beaucoup
imité1329.
Mieux, poursuit-il,
Quant aux autres convergences, culturelles celles-ci, ce qui
m'a d'abord frappé, ce sont nos lectures communes sinon les principales
influences que nous avions subies quand nous avons commencé
d'écrire. Bien sûr, il y a les poétesses populaires de mes
villages d'enfance, Djilôr (pour employer la nouvelle orthographe
officielle) et Joal, mes trois Grâces. Il reste que, si
celles-ci ont été mes premières audiences, avant
l'âge de dix ans, elles n'ont pas été mes premières
lectures. Mes premiers auteurs, je les ai partagés - c'est une
manière de dire - avec vous trois. En me référant à
vos biographes, ce furent, entre autres Hugo, Baudelaire, Rimbaud,
Mallarmé, Valéry, Claudel, Saint-John Perse. Des poètes de
la rigueur dans la forme, de la liberté, voire du délire dans
l'imaginaire1330.
C'est, ajoute-il,
Pour quoi, dans les années 1930, nous les militants de
la Négritude, appelions Claudel et Péguy : « Nos
poètes nègres ». Ils nous ont, avec les surréalistes,
influencés - moins au demeurant qu'on ne l'a dit - parce qu'ils
écrivaient en français et qu'ils ressemblaient, par leur style,
à nos poètes populaires.1331
Puis, de conclure en disant :
1328 Ibid., p. 372
1329 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les
lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 155 1330
Léopold Sédar SENGHOR, « Discours sur la poésie
francophone », op. cit., p. 370
1331 Idem, p. 377
416
Dans mes premiers recueils de poèmes, Chants
d'ombre et Hosties noires, je me suis laissé presque
uniquement guider par l'inspiration, formant les versets selon une
espèce d'inspiration ou d'impulsion naturelle. À partir
d'Éthiopiques, je commençai à organiser ce qui
est était naturel. Je cherchai à fonder ma poésie sur la
prosodie française, en respectant ses principes naturels,
c'est-à-dire l'esprit de la langue française.1332
En particulier, Léopold Sédar Senghor a
été plus influencé, hormis Hugo, Baudelaire, Rimbaud,
Mallarmé, Valéry, Claudel, Saint-John Perse, Ismäyl Urbain,
par Maurice Barrès. Il affirme à ce propos :
Maurice a eu une très profonde influence sur moi. Je
crois que c'est la première fois que j'ai eu la sensation d'une oeuvre
complète, et que toutes mes facultés ont été
éveillées et comblées, car il y'avait le style, le style
qui était un enchantement. Et il y'avait cette passion. [...] dans ma
conception de la Nation et de la Négritude, je crois que je la dois
à Maurice Barrès.1333
Nous pouvons dire que Maurice Barrès est le vrai
précurseur de la poésie francophone. Cependant, au dire de
Césaire, c'est à Rimbaud et à Lautréamont, bien
davantage qu'à Breton ou à Éluard que doit la naissance de
cette poésie :
Je n'ai pas voulu être disciple. J'ai seulement
apprécié Breton et Éluard. Ma grande découverte a
été Lautréamont et Rimbaud. Autrement dit les
surréalistes n'ont pas été mes pères,
j'étais plutôt leur compagnon attardé mais nous avons les
mêmes pères, à savoir Lautréamont et Rimbaud.1334
À vrai dire, la poésie française a
été influencée par la Révolution nègre,
c'est-à-dire la Négritude, selon Senghor :
Emmanuel Berl, pensant à l'influence de l'art
nègre sur l'École de Paris, a parlé de «
Révolution nègre ». J'ai toujours pensé qu'elle avait
été plus profonde qu'on ne l'a dit. [...]. Paradoxalement et
à long terme, c'est, peut-être, en poésie plus que dans les
arts plastiques que la révolution nègre aura eu l'influence la
plus profonde.1335
Autrement dit,
1332 Sylvia Washington BÂ, The concept of Negritude in
the Poetry of Léopold Sédar Senghor, Princeton University
Press, 1973, p. 131 (Lettre personnelle de Senghor à l'auteure.)
1333 Extrait de l'émission « En toute lettres »,
INA ; 15 avril 1969
1334 Georges NGAL, Aimé Césaire, un homme
à la recherche d'une patrie, Abidjan-Dakar, NEA, 1975, p. 200 1335
Léopold Sédar SENGHOR, « Discours sur la poésie
francophone », op. cit., p. 371
417
C'est donc sous la révolution culturelle de 1889 que ce
qu'on appelle l'Art nègre,
qui est, plus véritablement, l'art africain, a
commencé d'influencer l'art français, mais aussi l'art
américain, et, par ces deux voies, l'art mondial.1336
La Révolution nègre, dans la poésie
française, a été introduite, bien sûr, par des
poètes français, surtout par Arthur Rimbaud, voire Charles
Baudelaire, à en croire Léopold Sédar Senghor. Ce sont eux
les vrais précurseurs de la poésie francophone :
Avant d'aller plus loin, pour aborder le problème de ce
dernier quart du XXe siècle, je voudrais parler de la
révolution introduite dans la poésie française par Arthur
Rimbaud, bien sûr, mais, auparavant, on ne l'a pas dit assez, par Charles
Baudelaire. Il ne reste, cependant, que cette révolution fut surtout
préparée par le grand Hugo. [...] Or donc, après le
Parnasse, qui reprenait la tradition du discours français en
poésie, vint Charles Baudelaire. Le premier à chanter la «
Venus noire », il fit entrer la poésie française dans la
forêt noire des « correspondances », des « symboles
», où Arthur Rimbaud fit exploser la bombe de son délire
lucide.1337
Il faut comprendre, dans les propos de Léopold
Sédar Senghor, que la poésie francophone est le résultat
des opérations syntaxiques et sémantiques intervenues dans la
poésie française.
Les modifications opérées, dans cette
poésie, ont été l'oeuvre de quelques poètes
français célèbres, appréciés tels que Victor
Hugo, Charles Baudelaire et Arthur Rimbaud. Ce sont eux les vrais
précurseurs de la poésie francophone. Écoutons Arthur
Rimbaud qui dit avoir inventé un verbe poétique nouveau
accessible à tous les sens, voire par tous les peuples de la terre.
J'inventai la couleur des voyelles ! - A noir, E blanc, I
rouge, O bleu, U vert. - Je réglai la forme et le mouvement de chaque
consonne, et avec des rythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe
poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens.1338
La poésie française, en assimilant l'art
nègre, et les valeurs culturelles des autres civilisations et des autres
peuples, est devenue poésie francophone, un verbe poétique
accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens et par tous les peuples
d'expression française. Et cette poésie s'est laissé
bercer par l'intuition et l'imaginaire, nous dit Senghor :
La vérité est que les précurseurs, les
révolutionnaires eux-mêmes, en tournant le
dos au « stupide XIXe siècle
», au scientisme, au réalisme, voire à l'exotisme, ont
rencontré les Nègres aux sources de l'intuition, de
l'imaginaire1339,
1336 Léopold Sédar SENGHOR, « La culture
africaine », op. cit., p. 8
1337 « Dialogue sur la poésie francophone »,
Idem., pp. 370-371
1338 Arthur RIMBAUD, « Délires II. Alchimie du verbe
», Une saison à l'enfer, Bruxelles, Alliance
Typographique (M. - J. Poot et compagnie), 1873, p. 30
1339 Cf. Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur
la poésie francophone », p. 376
418
et ont donc écrit une poésie pas tout à
fait française, mais une poésie capable de dire autres
réalités.
Cette poésie affichait un mépris précoce
et définitif pour les formes régulières et
traditionnelles, comme le vers et l'alexandrin ou le sonnet, pour s'orienter
résolument vers des formes inédites dans un élan de
liberté, dans lequel elle serait une langue absolument neuve avec un
pouvoir d'incantation, où l'objet nommé disparait au profit du
mot qui le nomme.1340 Et Senghor de dire que le sceau de cette poésie
est l'incantation qui fait accéder à la vérité des
choses essentielles.1341 Mieux, la poésie francophone est la
suppression fréquente des mots-outils, le refus de l'explication, le
refus des normes traditionnelles de la poésie française. Elle est
également la recherche de l'obscurité par des associations
(correspondances) des images hétéroclites. Illustrons nos propos
avec un extrait d'« Élégie des circoncis » de
Léopold Sédar Senghor :
Ah ! mourir à l'enfance, que meure le poème se
désintègre la syntaxe, que s'abîment tous les mots qui ne
sont pas essentiels.
Le poids du rythme suffit, pas besoin de mots-ciment pour
bâtir sur le roc la cité de demain. (Po : 199)
Nous pouvons considérer cette poésie francophone
comme un rejeton de la poésie française à laquelle Arthur
Rimbaud et Stéphane Mallarmé, voire Charles Baudelaire et Victor
Hugo, ont donné naissance. En effet, par les libertés qu'ils ont
prises et la créativité qu'ils ont manifestée, ils ont
donné une certaine image de la poésie qui convenait aux
poètes de langue française. Elle est une poésie qui se
manifeste par la liberté du langage, le génie de la suggestion et
le sens du rythme et des sonorités (de la musicalité), et
l'incantation en accordant une grande place à l'imagination et au
symbole. En fait, cette poésie est née après la
Révolution de 1889, affirme Senghor :
L'année 1889 est [...] une date importante dans
l'histoire de la philosophie, des lettres, mais aussi des arts. C'est celle de
deux oeuvres majeurs : L'Essai sur les données immédiates de
la conscience d'Henri Bergson et Tête d'or de Paul Claudel,
auxquelles j'ajouterai l'oeuvre d'Arthur Rimbaud, intitulée Une
saison en enfer, qui les annonçait, pour ainsi dire, dès
18731342.
1340 Cf. Stéphane MALLARMÉ.
1341 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les
lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 164
1342 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
5, op. cit., pp. 192-198 (Voir également Dialogue sur
la poésie Francophone, op. cit., p. 381)
419
Cette poésie peut également se réclamer
d'André Breton avec le surréalisme, car elle cherche à
libérer l'Homme du réalisme, de la culture française,
jugée étouffante et obsolète. Comme le surréalisme,
la poésie francophone est une poésie révolutionnaire, qui
devait se tenir à l'écart de toute règle et de tout
contrôle de la raison. À ce propos, Senghor affirme que
Césaire a failli perdre la raison en écrivant cahier d'un
retour au pays natal.1343
Il fallait également révolutionner la
poésie française, parce qu'elle est incapable de chanter tous les
héros et martyrs morts pour la République française ;
parce que
[...] les poètes chantaient les fleurs artificielles des
nuits de Montparnasse
Ils chantaient la nonchalance des chalands sur les canaux de
moire et de simarre
Ils chantaient le désespoir distingué des
poètes tuberculeux Car les poètes chantaient les rêves des
clochards sous l'élé-gance des ponts blancs
Car les poètes chantaient les héros, et votre rire
n'était pas sérieux, votre peau noire pas classique. (Po : 53)
Il fallait du sang nouveau dans la poésie
française, de nouveaux matériaux qui puissent la transmuter afin
qu'elle devienne une poétique intégrale et universelle,
accessibles à tous les sens et par tous les peuples, sans distinction de
races et de couleurs de peau, de langue française. Si de part et
d'autre, il y a eu des influences, cela sous-entend que la poésie
francophone est une poésie métissée et plurilingue, voire
d'influences.
Nous voulons en venir, avec cet argumentaire, sur le fait que
la poésie francophone est avant tout une poésie française
reflétant l'influence poétique de tout bord, et surtout des
anciennes colonies, des Outre-mers de la France, ainsi que de ceux qui ont
choisi le français comme langue de leurs créations
littéraires. Ces influences ont infléchi, « bousculé
» les canons esthétiques et les objectifs fixés par la
poésie française, et avaient pour précurseurs
Mallarmé, Rimbaud, Lautréamont, Claudel, Baudelaire, Hugo,
Breton, Senghor, Césaire et Damas.
La poésie francophone est aussi un humanisme, car, elle
veut libérer les Hommes de la servitude politique et culturelle, et se
joindre à toutes les poésies, à toutes les civilisations
pour participer à l'édification de la Civilisation de
l'Universel. À ce propos, Senghor laisse entendre que
C'est là que nous nous rencontrons, vous et moi, vous
et nous, poètes noirs de langue française. Nous avons, bien
sûr, usé du « stupéfiant image », nous l'avons
dépassé pour informer le « bien dire » : l'accord
harmonieux du rythme et de la mélodie.
1343 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les
lamantins vont boire à la sources », op. cit., p. 154
420
Pour quoi le problème majeur de cette fin de
siècle n'est pas le « nouvel ordre économique international
» comme on le clame depuis quelques années, qui ne sera pas
réalisé si l'on ne rend, auparavant, leur parole à tous
les hommes de tous les continents, de toutes les races, de toutes les
civilisations. Je parle d'une parole poétique, qui crée
un nouvel ordre économique - il faut bien manger, bien sûr - parce
qu'un nouvel ordre culturel mondial. Je parle d'une parole comme vision neuve
de l'univers et création panhumaine en même temps : de la
Parole féconde, une dernière fois, parce que fruit de
civilisations différentes, créée par toutes les nations
ensemble sur toute la surface de la planète Terre.1344
La poésie francophone a un rôle social et
politique à jouer. Elle veut donner la parole à tous les hommes,
car elle prône la liberté politique et culturelle, la
liberté pour l'Homme, la justice pour l'Homme et la dignité pour
l'Homme. Elle assume une fonction révolutionnaire et libératrice
pour l'être humain ainsi que pour son épanouissement. Cette
poésie est également un outil esthétique, car l'accent est
mis sur le rythme, l'image et la mélodie.1345 Cette
poésie est une poésie révolutionnaire et humaine
(humaniste) à l'encontre de la poésie française dont elle
tire en grande partie sa substance poétique et sa sève
nourricière. Elle est une poésie française
transmuée par des poètes de divers horizons utilisant la langue
française évidée de ses accents hexagonaux.
« La poésie ne doit pas périr. Car
alors, où serait l'espoir du monde ? »1346 Cette
question de Léopold Sédar Senghor est adressée à
toutes les personnes qui cherchent à dissocier la poésie
française de la poésie francophone ou à ces personnes qui
estiment que la poésie francophone est la poésie faite par des
auteurs non Français qui utilisent le français en introduisant
des mots, des expressions, une syntaxe et un rythme nouveaux
infléchissant ainsi les canons esthétiques de la poésie
française.
La poésie francophone, bien qu'elle reflète
cela, est une poésie française transmutée. Certes, qu'il y
a eu des mots, des expressions, une syntaxe et un rythme nouveaux, la
poésie française n'a pas été
dénaturée. Son prestige n'a pas été
également oblitéré. Au contraire, l'irruption de ces mots
et expressions l'ont portée au rang de poésie intégrale et
universelle. Elle est la poésie française accomplie et
établie dans toute sa grandeur. Pour Senghor, il faut renoncer aux
débats oiseux qui n'apportent rien et qui n'édifient point, car
la poésie francophone, en fait, continue l'oeuvre qu'ont entreprise
Victor Hugo, Charles Baudelaire,
1344 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 407- 408
1345 Nous reviendrons lorsque nous aborderons la question de
contours et caractéristiques de la poésie francophone.
1346 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les
lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 166
421
Stéphane Mallarmé, Lautréamont, Arthur
Rimbaud, Paul Claudel, Charles Péguy, André Breton. Il n'est plus
question d'une poésie française à part, et d'une
poésie francophone de l'autre, voire d'une poésie africaine,
antillaise, belge, martiniquaise, etc. de langue française. La
poésie francophone est tout cela. Elle est une poésie de langue
française faite par des poètes dont les tempéraments et
les moyens utilisés sont divers. Elle est une poésie poreuse
à tous les apports civilisationnels et culturels de toutes les
civilisations et de toutes les cultures, parce qu'elle se veut métisse.
Elle est également une symbiose, un métissage entre le vers
français, la prosodie française structurée par la
succession syllabique et exposée à la faiblesse de la
densité émotionnelle, et, surtout, la métrique africaine,
antillaise ou martiniquaise, tramée par l'alternance et la succession
des accents, attentive à la musicalité interne de la syllabe
sonore et exposée à l'ambiguïté du
message.1347 Cette poésie s'élabore au fil du temps,
s'informe, s'enrichit et s'épanouit aux dimensions des cinq continents
et des civilisations différentes : aux dimensions de
l'Universel.1348 Mieux, elle est une poésie universelle
ouverte aux pollens culturels de toutes les civilisations du monde au service
du rayonnement de la langue française.
Il ne faut pas se cacher la face. La poésie francophone
est la résultante de diverses idéologies poétiques, voire
d'origines différentes ; c'est-à-dire elle a plusieurs origines,
comme le reconnaît Senghor :
Je voudrais, maintenant, essayer de montrer comment, à
partir d'origines
différentes, nous avons, à peu près
à la même époque, conçu, sinon
élaboré, la même poétique, mais surtout fait la
même - et pourtant diverse - poésie francophone.1349
Elle doit son existence à partir d'origines et
d'idéologies différentes. Elle est une poésie
hétéroclite, hétérogène, composée
d'éléments de nature différente. Elle revêt
plusieurs réalités, plusieurs natures. Ce sont, peut-être,
ces différentes natures qui complexifient son appréhension. Nous
savons qu'elle est une poésie française transmutée par sa
rencontre avec d'autres cultures, surtout la culture africaine. Ce qui signifie
que l'une des composantes de cette poésie est non seulement la
poésie française, la culture française, mais
également la culture africaine. Cependant, il n'en demeure pas qu'on
puisse exclure la possibilité de rechercher avec exactitude l'origine
diverse, voire les différentes composantes de la poésie
francophone.
1347 Edgar FAURE, « Réponse au discours de
réception de Léopold Sédar Senghor », le 29 mars
1984. Disponible sur
http://www.academie-francaise.fr/reponse-au-discours-de-leopold-sedar-senghor
1348 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie
francophone », op. cit., p. 408
1349 Idem., p. 377
422
2. LA POÉSIE FRANCOPHONE : DE LA DIVERSITÉ À
L'UNITÉ
Les différentes poésies d'expression
française qu'englobe la poésie francophone fait dire qu'elle est,
à la fois diverse et unique. En observant de près, et de
façon synchronique et diachronique, on voit qu'elle n'est pas seulement
composée de la poésie française et de la poésie
traditionnelle africaine, mais également d'autres poésies. De
façon synchronique, elle est composée de la poésie
française (Hugo, Baudelaire, Mallarmé, Lautréamont,
Rimbaud, Claudel, Péguy et Breton) et de la poésie
négritudienne (la poésie africaine d'expression française
avec Léopold Sédar Senghor, la poésie antillaise et
martiniquaise d'expression française avec Aimé Césaire et
Léon-Gontran Damas). De façon diachronique, on peut citer entre
autre la poésie française (Pierre Emmanuel), la poésie
africaine (Léopold Sédar Senghor) et la poésie mauricienne
(Édouard Maunick). Senghor écrit, à cet effet, ceci :
Chers Poètes, chers Amis,
En répondant à vos messages, je ne fais, au
fond, que continuer le dialogue des poètes francophones, relancé,
à Hautvillers, le 3 octobre 1975, par Pierre Emmanuel et Édouard
Maunick : un Français et un Mauricien. Ils avaient intitulé leur
colloque modestement, Rencontre des poètes francophones. [...]
J'essayerai de dire la symbiose que nous avons voulu réaliser ensemble,
à partir de nos différences1350.
Aux dires de Senghor, la poésie francophone est une
symbiose réalisée à partir des différences
poétiques. Elle est une diversité poétique en une seule
poétique. Autrement dit, elle est l'unité dans la
diversité, la symbiose dans la différence. En fait, chaque
poésie représente ou illustre une culture. De façon
synchronique, nous avons, avec la poésie française, la culture
française, autrement la Francité, et avec la poésie
africaine, martiniquaise ou antillaise, la Négritude. Il fallait que
chaque poète s'enracine dans sa culture avant de s'ouvrir à
l'autre culture. Ce processus d'enracinement et d'ouverture caractérise
la poésie francophone. Cette poésie est issue synchroniquement de
la rencontre de deux grands modes de pensée, à savoir la
Francité et la Négritude. Pour en saisir la portée, voyons
ce que dit Senghor à propos de son ami Alain Bosquet, qu'il qualifie
d'écrivain francophone :
Né, métis, en Russie, « grandi », en
Belgique, et ayant vécu aux États-Unis
d'Amérique, Bosquet est, pour moi, comme certains
écrivains antillais, le type
1350 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 369
423
exemplaire de l'écrivain « francophone ». Ce
qui ne l'empêche pas d'être intégralement «
français », tout au contraire.1351
Il ajoute ensuite que
Ce qui caractérise les images du poète et marque
sa francité, comme chez Bosquet au demeurant, c'est la symbiose des mots
concrets et les mots abstraits, qui provoque, autant que l'éloignement
des deux termes, le court-circuit poétique. [...] D'autant que j'y vois,
chez Bosquet, l'effet, à distance, de la slavitude et, chez
Emmanuel, de la Méditerranée, pour ne pas dire de
l'occitanité. [...] Ce n'est pas hasard, en effet, mes Amis, si
enracinés dans nos ethnies et cultures différentes, nous
chantons, pourtant les mêmes substances et de manière, je ne dis
pas identique, mais convergente1352.
L'idée qui ressort est que la poésie francophone
se caractérise par un processus d'enracinement et d'ouverture.
Enracinement dans la Francité et ouverture à la Négritude
pour certains, et enracinement dans la Négritude et ouverture à
la Francité pour d'autres. À la Francité et à la
Négritude, composantes de la poésie francophone, et de
façon diachronique, s'ajoutent la Créolisation, la
Créolité, voire la Littérature-monde.1353 En
effet,
Elle se caractérise par des stratégies propres
à chacune de ses composantes qui
vont de la créolisation de la langue [française]
à l'abandon pur et simple du français dans des zones
géographiques où il était naguère
florissant.1354
Nous estimons, pour mieux appréhender cette
poésie francophone, qu'il faut passer en revue ses différentes
composantes : la Francité, la Négritude, la Créolisation,
la Créolité et la Littérature-monde.
Notre objectif n'est pas une étude exhaustive de
celles-là, mais de montrer comment elles font partie inhérente de
la poésie francophone. Il s'agit de montrer comment elles participent de
cette poésie. Mieux, il est question d'appréhender de
façon succincte ce qui fait la spécificité de chacune des
composantes de la poésie francophone, sans oublier les objectifs que
vise chacune d'elles (chacune des composantes).
1351 Idem., p. 399
1352 Ibidem., pp. 405-406
1353 À cette énumération, il faut ajouter la
Belgité (Belgitude), la Canadanéïté
(Québétude)... Nous avons préféré
appréhender les plus manifestes selon notre propre vision des choses. Ce
qu'il faut retenir est que la poésie francophone est une
diversité. Cependant, sachons que la Belgité est un sentiment
positif et décomplexé de l'appartenant à la Belgique. Elle
s'oppose au néologisme belgitude forgé par le sociologue belge
Claude Javeau sur le modèle de la négritude en 1976. La
Canadanéïté ou la Québétude serait
l'expression de Léopold Sédar Senghor pour parler de la culture
canadienne et québécoise. Néanmoins, on emploie
aujourd'hui Canadianité ou Québécité pour parler de
la littérature canadienne. L'histoire de cette littérature
démontre en fait qu'elle a d'abord été française,
puis s'est voulue canadienne pour finalement se prétendre
québécoise, et ce depuis 1960. Dans tous les cas, ces courants
littéraires ont un point commun : la langue française enrichie
par des apports et créations personnels de ceux qui en font usage pour
exprimer la réalité de leur peuple.
1354 Albert CHRISTIANE, « Introduction », in
Francophobie et identité culturelles, op. cit., p.
5
424
La poésie francophone est une manière autre que
française d'exprimer la Francité. En effet, la Francité
est la qualité de ce qui est français ou reconnu comme
étant français. Mieux, elle est l'éloge de la culture
française et de la langue française. Si son apparition date vers
ou de 1963, elle était bel et bien manifeste au XVIe
siècle avec le règne de la Pléiade.
Le XVIe siècle est le siècle de la
révolution littéraire, « car il s'agit de laver les
textes originaux de leurs mal-façons et de leurs gloses. Cette
découverte est inséparable de la poésie
»1355. Il fallait exposer des idées neuves,
révolutionner la poésie et faire l'apologie de la langue
française contre ceux qui s'en servent, mais la servent mal, ce qui les
conduit à la juger inférieure aux langues anciennes qu'ils
vénèrent et croient plus dignes de leur art. Le groupe de la
Pléiade a estimé ainsi que leurs prédécesseurs
n'ont pas été capables de faire croître et embellir la
langue française. Pour cette raison, il se doit de renouveler et
d'enrichir cette langue. Il envisage de composer des mots en imitant la syntaxe
latine et grecque, pourvu qu'ils soient beaux et significatifs.
La poésie était le terreau consacré
à la formation de la nouvelle langue. À la suite de ce
siècle révolutionnaire, les poètes français ne
cesseront de réformer la langue française et la poésie,
sans oublier la culture française, pour ainsi dire. La réforme
poétique a commencé bien avant François Malherbe, voire
Arthur Rimbaud. Les auteurs de la Pléiade s'étaient
souciés du rayonnement de la langue et de la culture française.
À cette époque (le XVIe siècle), la
Francité renvoyait à la symbiose culturelle des Celtes, Germains
et Latins. En fait, cette symbiose donna naissance aux Francs (Peuple
germanique qui donna son nom à la France). Les siècles suivants
seront la continuité du XVIe siècle. Le
XVIIe siècle avec le Classicisme. Le XVIIIe
siècle, celui des Lumières. Le XIXe siècle est
le siècle où la France s'est dotée d'une idéologie
de l'assimilation, une justification morale pour préserver le
rayonnement de sa culture et de sa langue. C'était la troisième
République, Onésime Reclus propose la francisation des colonies.
La politique culturelle s'amplifie à la Ve République
avec la création d'un ministère des Affaires culturelles
confié à l'écrivain André Malraux. Nous sommes au
XXe siècle. L'esprit français, c'est-à-dire la
Francité, est à son paroxysme, et à cette époque,
on l'employa comme concept. Et ce, en 1963 par Senghor, qui, dans son
entendement, devrait désigner l'ensemble des cultures, aussi
différentes soient-elles, dont le point commun est la langue
française, de même que l'expression d'une langue et d'une
pensée dans toutes leurs variantes et leur diversité. En ce sens,
il utilisa, le plus souvent, Francité au lieu de Francophonie pour
parler de l'éloge du
1355 Robert SABATIER, Histoire de la poésie
française : La poésie du seizième siècle,
Éditions Albin Michel, Paris, 1975, p. 10
425
français comme langue universelle. Cependant, il joint
la Négritude à la Francité pour exprimer la
Francophonie.
Des étudiants Négro-Africains vont user de la
poésie pour affirmer la culture négro-africaine à travers
un mouvement à la fois culturel, politique et littéraire : la
Négritude. Elle vit le jour en 1935 par le biais d'une rencontre entre
un Africain, un Martiniquais et un Guyanais. Ce sont Léopold
Sédar Senghor, Aimé Césaire et Léon-Gontran
Damas.
L'oeuvre inaugurale de la Négritude est Pigments
de Léon-Gontran Damas, en 1937 ; et l'article d'Aimé
Césaire, « Conscience raciale et révolution sociale »,
publié en 1935 dans L'Étudiant noir, en est le
manifeste. La Négritude est avant tout un mouvement poétique
illustrant la culture de tous les peuples bafoués, colonisés.
Césaire dit « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont
point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au
cachot du désespoir. »1356 Et Senghor de dire
« J'ai choisi mon peuple noir peinant, mon peuple paysan, toute la
race paysanne par le monde »1357. Ils ont
été influencés par la culture française, et leur
Négritude est fortement marquée par la poésie
française. À cet effet, Michel Hausser en a à dire :
Partageant la culture et les lectures de leurs homologues
français, les poètes de la
négritude utilisent, dans leur majorité, les
mêmes interprétants que la poésie française «
de la période correspondante »1358.
Il va plus loin en disant « Loin d'éprouver de
la haine pour le français, la négritude lui manifeste, au plus,
un attachement, au moins, une acceptation résignée.
»1359 À en croire Michel Hausser, la Négritude
s'exprime en accord avec la langue et la tradition littéraire
française. La Négritude présente une image et un
modèle du poète et de sa poésie admettant que le
français soit greffé aux langues indigènes tels que les
langues africaines, le créole et bien d'autres langues.
Nous avons une Négritude africaine avec Léopold
Sédar Senghor qui, dans ses oeuvres, évoque le royaume d'enfance,
Joal, l'enracinement aux valeurs culturelles de l'Afrique, la
dénonciation de l'aliénation culturelle et politique ; et une
Négritude antillaise avec Aimé Césaire et
Léon-Gontran Damas. Leur contact avec Senghor permit de découvrir
la composante africaine de leur identité. En évoquant la
Martinique et la Guyane, ils manifestent leur colère et leur
indignation. Leurs oeuvres étaient des cris de révolte contre les
Puissances et l'assimilation.
1356 Aimé CÉSAIRE, Cahier d'un retour au pays
natal, op. cit., p. 22
1357 Léopold Sédar SENGHOR, « Que
m'accompagnent Koras et Balafong », Chants d'ombre, op.
cit., p. 28 1358 Michel HAUSSER, Pour une poétique de la
négritude, Tome II, Éditions Nouvelles du sud, 1991, p. 409
1359 Idem., p 412
426
Pour eux, les Antillais sont originaires de l'Afrique. Leur
Négritude consistait à aller à la découverte de
leurs origines et à rejeter les modèles politiques et culturels
français ainsi que le capitalisme, le colonialisme et l'assimilation.
Ils se découvrent étrangers sur une terre qui leur est largement
hostile ou du moins indifférente. Des siècles d'esclavage,
l'aliénation de l'Afrique, la souffrance des contradictions du
métissage... En réaction à l'oppression culturelle du
système colonial français, Césaire et ses amis vont
proclamer haut et fort les valeurs de civilisation du monde noir à
travers la Négritude. Elle est un mouvement d'écrivains issus en
grande majorité des colonies françaises d'Afrique subsaharienne,
des Antilles et de Guyane, qui émerge au milieu de brassage
d'idées que provoquent en Europe les séquelles de la
deuxième guerre mondiale, le mouvement surréaliste
influencé par l'oeuvre de Rimbaud, la naissance de l'idéologie
marxiste et les revendications des pays colonisés. Ces écrivains
(la plupart des poètes) se découvrent alors une cause commune :
le refus du dénigrement dont la race noire fait l'objet depuis les
premiers contacts de l'Europe avec l'Afrique.1360 Cause à
laquelle adhèrent Jean-Paul Sartre, André Breton, Robert Desnos,
et quelques écrivains français et d'autres nationalités,
légitimant ainsi la poésie négritudienne comme une
poésie française faites par des Nègres.
La présence de ces écrivains va
réorienter la Négritude, elle sera désormais la
poésie de tous les hommes opprimés vivant aux quatre horizons de
la terre. À partir de cette poésie qu'apparue la notion de
poésie nègre d'expression française, et ce jusqu'en 1962,
date à laquelle fut remployé le terme Francophonie par
Léopold Sédar Senghor. Et à cette date déjà,
les poètes de la Négritude clamaient leur appartenance à
la double culture, c'est-à-dire ils affirmaient également leur
Francité (des poètes qui sont à la fois Africains,
Martiniquais ou Guyanais et Français), comme jadis Arthur Rimbaud qui
proclamait sa Négritité (il se disait être
poète nègre bien qu'il ait des ancêtres
gaulois)1361. Ils se disaient être poètes francophones
tout simplement. Commençaient ainsi à se dessiner les contours de
la poésie francophone ; et cette poésie, dont l'embryon
était une Négritude fortement marquée par la
Francité, regroupait non seulement les Africains, les Antillais, les
Martiniquais, mais également les Français. Et l'accent fut mis
sur le renouvèlement de la langue française et l'accord
conciliant des cultures diamétralement opposées.
1360 Frano VRANÈIÆ, « La négritude dans
cahier d'un retour au pays natal d'Aimé Césaire »,
Études Romanes de Brno, 36/2015/1, p. 196
1361 Arthur RIMBAUD, « Mauvais sang », Une saison
à l'enfer, op. cit., pp. 5-12
427
À la suite de la Négritude,
précisément celle d'Aimé Césaire, Édouard
Glissant va créer l'Antillanité, voire la
Créolisation.1362 Elle s'impose comme appropriation
réciproque, et création culturelle et sociale entre des segments
de populations, opposés sur le plan civil et social. Elle se veut
ouverte et plurielle.
À l'instar de la Négritude césarienne, la
Créolisation admet, certes, la part africaine dans l'histoire et la
culture antillaises, mais non pas à la prôner comme exclusive, car
cette histoire et cette culture se sont construites à partir de
plusieurs apports divers et hétérogènes. Ce qui signifie
que l'Antillais n'a pas une identité stable, immobile ; elle se
définit à chaque moment par de nouveaux apports. Qu'est-ce que la
Créolisation ? Édouard Glissant y répond en disant que
La Créolisation, c'est un métissage d'art ou de
langage qui produit l'inattendu. C'est une façon de se transformer de
façon continue sans se perdre. C'est un espace où la dispersion
permet de se rassembler, où les chocs de culture, la disharmonie, le
désordre, l'interférence deviennent créateurs. C'est la
création d'une culture ouverte et inextricable, qui bouscule
l'uniformisation par les grandes centrales médiatiques et artistiques.
Elle se fait dans tous les domaines, musiques, arts plastiques,
littératures, cinéma, cuisine, à une allure
vertigineuse...1363
Autrement dit, « J'appelle Créolisation la
rencontre, l'interférence, le choc, les harmonies et les disharmonies
entre les cultures, dans la totalité réalisée du
monde-terre. »1364
Comme le définit son concepteur, elle désigne
bien l'imprévisible, née de l'élaboration d'entités
culturelles inédites, à partir d'apports divers. Elle se
différencie du métissage, prôné par la
Négritude qui est prévisible, et nécessite certaines
conditions d'épanouissement. Selon Alain Ménil, nous devons ce
terme à l'historien Jamaïquain E. K. Brathwaite.1365
Cependant, avec Édouard Glissant, il sera connu comme une
poétique. Il s'agit d'intégrer le français et le
créole à une poétique de relation afin de prôner la
création d'un « langage à partager par-delà les
langues employées, en relation avec la réalité d'une
antillaise plurilingue ».1366
Le terme de Créolisation est l'expression de la
rencontre, du mouvement du monde qui se fait dans une société qui
se métisse au gré des circonstances de l'histoire de
l'humanité. La Créolisation est la façon de comprendre
l'évolution du monde qui est en perpétuel changement.
1362 Cf. Édouard GLISSANT, Le discours antillais,
Paris, Seuil, 1981, 503 p.
1363 Le Monde, « Pour l'écrivain Édouard
Glissant, la créolisation du monde est irréversible »,
propos recueillis par Frédéric Joignot. Disponible sur
http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2011/02/04/pour-l-ecrivain-edouard-glissant-la-creolisation-du-monde-était-irreversible_1474923_3382.html
1364 Édouard GLISSANT, Traité du
Tout-Monde, Gallimard, Paris, 1997, p. 194
1365 Alain MÉNIL, « La créolisation, un
nouveau paradigme pour penser l'identité ? », Rue Descartes
2009/4 (n°66), p. 10
1366 Édouard GLISSANT, Le discours antillais,
op. cit., p. 282
428
De gré ou de force, nous devons accepter, comme l'exige
Édouard Glissant, la créolisation du monde1367, car
les rencontres des peuples, des cultures, des langues se font chaque jour, et
pas toujours de manière pacifique, parfois de façon brutale. Pour
cette raison, il invite également la littérature française
à se créoliser, c'est-à-dire à accepter les apports
aussi divers des autres parlants français, au lieu de se renfermer sur
elle-même. L'acceptation des apports divers n'altérera pas la
spécificité de chacun. D'ailleurs, selon Senghor, Saint-John
Perse aurait emprunté son style poétique au parler
antillais.1368 La Créolisation vient renforcer les contours
de la poésie francophone, définis par la Francité et la
Négritude.
Le 22 mai 1988, en Seine Saint Denis (France), une
conférence est prononcée sur l'Éloge de la
créolité donnant ainsi naissance à la
Créolité. Trois personnes furent à la base. Ce sont
Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant, Jean Bernabé. Ils
revendiquent leur concept comme un projet littéraire et culturel
susceptible de s'adresser à tout le monde.
La Créolité prétend étendre et
amplifier la Créolisation (l'Antillanité) d'Édouard
Glissant. En fait, elle est un syncrétisme original de tous les
éléments venus des quatre coins du monde ; un processus culturel
correspondant à la naissance d'une civilisation mêlant les apports
européens, africains, amérindiens et asiatiques. Les concepteurs
affirment, à ce propos, que
La Créolité est l'agrégat interactionnel,
ou transactionnel, des éléments culturels
caraïbes, européens, africains, asiatiques et
levantins, que le joug de l'histoire a réunis sur le même
sol1369.
À en croire Jean Bernabé, l'un des auteurs
d'Éloge de la Créolité, elle accomplit les
promesses de la Négritude et de la Créolisation que ne l'ont fait
celles-ci :
La Créolité, qui est apparue après
l'antillanité comme une critique de la négritude, remplit en fait
les promesses et le programme de la négritude mieux que ne l'a fait la
négritude elle-même, tant sur le plan de la construction du
langage poétique que sur celui de l'exploration de l'imaginaire.1370
Ce qui signifie que la Créolité s'inscrit dans
la filiation de la Négritude et de la
Créolisation1371, et procède à une
fécondation du français par le créole en intégrant
le vécu et la culture créole
1367 Le Monde, « Pour l'écrivain Édouard
Glissant, la créolisation du monde est irréversible »,
op. cit.
1368 Léopold Sédar SENGHOR, Dialogue sur la
poésie francophone, op. cit., p. 377
1369 Patrick CHAMOISEAU, Raphaël CONFIANT et Jean
BERNABÉ, Éloge de la créolité, Paris,
Gallimard,
1993, p. 26
1370 Jean BERNABÉ, « De la négritude à
la créolité : éléments pour une approche
comparée », Études
françaises, 282-3 (1992), p. 23
1371 Idem., p. 35
429
dans la culture française, c'est-à-dire dans la
Francité. Jean Bernabé estime que la langue française est
redevable à la rhétorique antillaise :
Une langue française redevable à la
rhétorique antillaise profonde plus qu'au champ des interférences
syntaxiques ou lexicales fait de prose de Glissant un outil de recherche
original en constante subversion par rapport au français et en
perpétuelle méfiance vis-à-vis des séductions
faciles du créole. Nul doute que l'antillanité ne soit, à
cet égard une transition vers la créolité, qui, comme
concept et comme mouvement, entend non seulement formuler le vécu
antillais sur le mode la désaliénation et de
réappropriation, mais encore intégrer à sa dynamique. La
logique profonde qui a présidé à la créolisation,
phénomène universel, singulièrement
concrétisé dans la configuration spécifique dont se
réclame l'antillanité1372.
En réalité, à bien comprendre, la
Créolité est un éloge du métissage culturel. Elle
est une façon d'interroger et de comprendre l'univers qui se
métisse, c'est-à-dire le monde qui nous entoure : la nature, les
gens, les animaux, les végétaux, les événements.
Elle est aussi la façon dont ces événements s'influencent
pour former une nouvelle race qui n'appartient ni à l'Afrique, ni
à l'Europe, ni à l'Amérique, ni aux pays orientaux.
Alain Ménil, dans Les voies de la
créolisation : essai sur Édouard Glissant, affirme que la
Créolité nie la Francité et la Négritude, et qu'il
y a une totale contradiction entre la Créolisation et la
Créolité.1373 Nous constatons qu'il y a une grande
antinomie entre les dires de Jean Bernabé et ceux d'Alain
Ménil.1374 Dans tous les cas, la Créolité, pour
s'affirmer, devrait prendre ses distances vis-à-vis de la
Négritude et de la Créolisation dont elle se réclame,
comme l'a fait la Négritude de la Francité. Cependant, ce qu'il
faut retenir est qu'elle annonce ce que devrait être la poésie
francophone, c'est-à-dire une poésie métisse.
Abordons la dernière composante de la poésie
francophone, qui pense donner un coup de massue à cette poésie,
or, pourtant, elle la rehausse. Il s'agit de la Littérature-monde. En
effet, elle est, dans sa forme idéologique, un contre-courant à
la littérature francophone, voire à la poésie francophone.
Elle regroupe tous les écrivains qui refusent d'être
étiquetés d'écrivains francophones pour se réclamer
comme des écrivains du monde de langue française.
L'initiative est partie de Michel Le Bris et Jean Rouaud en
2007 avec le manifeste Pour une littérature-monde en
français, paru à Le Monde du 16 mars 2007,
apposé de quarante-quatre signatures. Dans la même année
apparaît un ouvrage collectif Pour une littérature-monde
sous la direction de Michel Le Bris, Jean Rouaud et Eva Almassy. En fait,
le terme est
1372 Ibidem., p. 29
1373 Alain MÉNIL, Les voies de la créolisation
: essai sur Édouard Glissant, Paris, Murmure, 2011, p. 352
1374 Nous nous refusons d'accéder au débat, car
l'objectif de cette étude n'est pas d'appréhender minutieusement
la Créolité, mais de montrer qu'elle est l'une des composantes de
la poésie francophone.
430
apparu plutôt en 1992 dans un autre ouvrage collectif
Pour une littérature voyageuse aux dires de Michel Le Bris. Ce
terme désigne les oeuvres écrites en français par des
écrivains dont la langue maternelle n'est pas française ou dont
la nationalité n'est pas française.
Avec la Littérature-monde, il n'est pas question de
transiger ou de tergiverser sur l'intégration de la littérature
française dans la littérature francophone ; au contraire, elle
est la littérature des auteurs qui écrivent en français et
qui ne dépendent pas de la France. Les auteurs réclament la fin
de la relation centre-périphérie, et revendiquent
l'universalité d'un art qui ne sera plus seulement l'apanage de la
France, mais du monde. Ce qui semble rejoindre le concept d'Édouard
Glissant : Traité du Tout-Monde. Ils veulent récréer la
langue française, car elle n'est plus une propriété
privée française. Selon Isabelle Constan,
On comprend la volonté des écrivains de la
littérature-monde de se constituer comme mouvement d'émancipation
et de décolonisation de la langue française. Puisque les mots
conditionnent, déterminent la pensée, ces écrivains
d'ailleurs veulent s'émanciper de la pensée française. Ils
suggèrent qu'il existe de nouvelles manières de penser en
français.1375
La littérature francophone qui semble désigner
la littérature des auteurs d'ailleurs n'est pas loin de la conception de
la Littérature-monde qui renvoie également à la
littérature des auteurs d'ailleurs qui utilisent le français pour
écrire. Cette similitude rend ambigüe la notion même de la
Littérature-monde. Elle n'est qu'une périphrase parmi tant de la
littérature francophone. Cette ambigüité confirme la
méconnaissance de la Francophonie senghorienne.
En voulant mettre fin au débat de
centre-périphérie, elle n'a fait que le déplacer vers
d'autres domaines relevant de la politique. Au fond, la question y demeure
toujours : Qui est et qui n'est pas auteur francophone ? Ou qui est et qui
n'est pas auteur du monde ? Toujours est-il que la Littérature-monde
« a elle aussi pour dénominateur commun, pour
élément de cohésion, le français
».1376 Elle se veut aussi ouverte et plurielle abordant
des thèmes aussi divers que les régions, les expériences
et la création littéraire de ses auteurs. Raison pour laquelle,
Niels Planel affirme qu'elle est un lieu refuge pour tous les auteurs qui
refusent la dominance culturelle :
En clair, la littérature-monde en français est un
lieu de refuge pour ceux qui fuient
toute forme d'impérialisme culturelle. La
littérature-monde, c'est pouvoir
1375 Isabelle CONSTAN, « Littérature-monde :
paradoxes et ambiguïtés », Les littératures
francophones : pour une littérature-monde ?, 7, 2011, p. 72
1376 Véronique PORRA, « Malaise dans la
littérature-monde (en français) : de la reprise des discours aux
paradoxes de l'énonciation », op. cit., p. 121
431
s'approprier une réalité ou une conception qui
n'est pas la mienne, sans intermédiation1377.
En observant de façon minutieuse, méticuleuse la
Littérature-monde, nous ne pouvons que dire qu'elle est une copie
conforme de la Littérature francophone, et voire de la poésie
francophone. En fait, cette littérature, se voulant un contre-courant, a
plutôt mis en exergue les objectifs que s'est fixés la
poésie francophone.
Plusieurs démarches pour aboutir à un même
résultat, à une même poésie, tel en est de la
poésie francophone. Cette poésie se veut diversité dans
l'unité, symbiose par complémentarité. Elle est la
diversité des expériences, d'univers culturels dont le
dénominateur commun est la recherche inlassable d'une poétique
universelle dans une langue française qui ne cesse de se transformer, de
se métisser, voire d'être fécondée par la
création personnelle des poètes.
La poésie est un genre universel, elle n'est pas
l'apanage d'un peuple ou d'une race ; et l'écriture poétique ne
tient pas compte de la langue, de la nation, de la race, de la culture, car le
poète est le seul maître de sa langue et de son univers.
L'écriture poétique est l'univers où le poète se
démarque des autres pour exprimer ce qu'il ressent, voire ce qu'il sent
et voit ; il peut même s'inventer une langue. Dans le cas de la
poésie francophone, la langue française subira l'alchimie du
verbe de la part des poètes. Le poète francophone est celui qui
doit créer sa propre langue d'écriture, et ce dans un contexte
culturel multilingue et métis. Raison pour laquelle, la poésie
francophone est un mélange exquis de poésies en français
africanisé, créolisé, voire en français
métissé. Cela sous-entend que la poésie francophone est
une poésie métisse qui témoigne d'une influence culturelle
à la fois française, africaine, antillaise, belge,
québécoise..., qui implique une langue française
évidée des connotations hexagonales et qui contribue à
l'avènement d'une nouvelle civilisation, celle de la symbiose et de la
complémentarité, celle de l'unité dans la
diversité, et qui est, chez Senghor, la Civilisation de l'Universel.
Elle est le point de jonction entre la Francité, la Négritude, la
Créolisation, la Créolité et la Littérature-monde,
la Belgité, la Québécité...
Cependant, les fondements idéologiques et les moyens
mis en oeuvre pour y parvenir divergent fondamentalement. Autrement dit, la
poésie francophone est un ensemble de
1377 Niels PLANEL, « Que la décolonisation
littéraire commence ! Essai sur Pour une littérature-monde paru
chez Gallimard en 2007 », op. cit., p. 9
432
différentes littératures appartenant à
des espaces géographiques très variés, mais avec un
dénominateur commun, la langue française enrichie par des
particularismes linguistiques de chaque espace comme moyen d'expression. Ce qui
fait la particularité de la poésie francophone est la
diversité de poésie en langue française et des influences
culturelles. Une oeuvre poétique qui ne témoigne d'aucune
influence culturelle et qui n'implique pas une langue française
modelée n'est pas digne de faire partie de la poésie
francophone.
Depuis le XVIe siècle jusqu'au temps
contemporain (de nos jours), les poètes n'ont point cessé de
modeler à leur guise la langue française, se démarquant
parfois des prédécesseurs, et qui ne sont pas forcément de
nationalité française.1378 Ce long cheminement de
façonner la langue française par les poètes afin qu'elle
soit une langue universelle a abouti, aujourd'hui, à la poésie
francophone. Ce qui veut dire que les poètes francophones poursuivent
l'oeuvre des poètes jadis en faveur de la langue française.
Défendre et illustrer la langue française est la
préoccupation de tous les poètes écrivant en
français.
Avec la poésie francophone, c'est l'évolution,
l'invention permanente de la langue française accordant la
primauté à la relation du sujet à l'objet, où
chaque poète se rencontre tout en exprimant sa propre
authenticité. Autrement dit, en lisant Senghor, nous devons avoir
l'impression de lire Paul Claudel, John Perse, Rimbaud ou un quelconque
poète d'expression française. Il n'est plus question d'imitation,
mais de se nourrir des autres et de les restituer dans une nouvelle tradition
grâce au génie du poète et à celui de la langue.
Cela veut dire que les poètes doivent imiter en créant,
procéder à la transmutation. La poésie francophone devient
ainsi une poésie de l'intersection de toutes les poésies de
langue française où les poètes s'expriment d'un accord
conciliant sur le même sujet et le même objet, car l'essentiel est
d'élaborer une même poésie francophone et pourtant
diverse.
À chaque siècle, une conception
particulière de la poésie, car « [il] n'existe pas
plusieurs espèces de poésie [...] mais seule existe la
poésie, dont les aspects et les formes varient à l'infini selon
les époques de l'histoire. »1379 Le XXIe
siècle est celui de la poésie francophone. La conception de cette
poésie fut la réflexion de Léopold Sédar Senghor.
Elle ne parle pas par concepts ni par préceptes. Elle se veut
unité dans la diversité, car « `'Toute maison
divisée contre elle-même'Ç tout art ne peut que
périr. La poésie ne doit pas périr, car alors, où
serait l'espoir du monde ? »1380
1378 Robert SABATIER, Histoire de la poésie
française : La poésie du seizième siècle, op.
cit., p. 133 (Référence à l'Éclaircissent
de la langue française de l'anglais John Palsgrave, 1530). Voir
également Dictionnaire des étrangers qui ont fait la
France, Paris, Robert Laffont, 2013, 955 p. [Sous la direction de Pascal
ORY] 1379 Jean-Louis BÉDOUIN, La poésie
surréaliste, Paris, Édition Segher, 1964, p. 11
1380 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les
lamantins vont boire à la source », op. cit. (loc.
cit.), p. 166
433
Avec la poésie francophone, il ne doit point exister de
relation entre littérature et nation, c'est-à-dire on ne doit
plus parler de poésie nationale. Cette poésie reflète les
expériences concrètes d'une double culture. Il y a une
implication avec d'autres univers culturels. En fait, Senghor a commencé
d'écrire les poèmes en imitant les poètes français.
Avec la Négritude, il a préconisé la défense et
l'illustration des valeurs civilisatrices du monde noir avec le
pèlerinage aux sources. Le retour aux sources lui permit de
découvrir les poésies orales ouolof et sérère,
ainsi que la poésie négro-africaine.
La découverte de la poésie
négro-africaine et de sa vocation de poète est due aux
poétesses populaires de ses villages, Djilôr et Joal, ainsi que
ses trois Grâces, comme il les appelle Koumba Ndiaye, Marône Ndiaye
et Siga Diouf. Ce sont elles qui, par leurs poèmes-chants et leurs
commentaires, l'ont révélé les caractères
essentiels de la poésie sérère, ouolof, et partant de la
poésie négro-africaine. Cette découverte lui permit,
également, de cerner les différences entre la poétique
française et la poétique négro-africaine. Il eut ainsi
l'idée et l'ambition de créer ce qu'il appelle « une
authentique poésie nègre qui ne renonce pas, pourtant, à
être française », autrement dit une poésie
nègre de langue française.1381 Il va alors substituer
la dénomination de cette poésie par la poésie francophone,
qui, pour lui, est une poésie à la fois intuitive et rationnelle,
une poésie à la fois nègre et française, afin
d'être en conformité avec sa conception de la Francophonie.
Dès lors une question se pose, à savoir, quels sont les contours
et les caractéristiques de cette poésie francophone.
1381 À ce propos, Senghor dira « C'est à
mon arrivée à Tours que j'ai brûlé tous mes
poèmes écrits jusque là et suis repartis à
zéro. Dans mes premiers poèmes, j'avais trop subi l'influence de
la poésie française. Je me suis donc mis à l'école
de celles que j'appelle `' MES TROIS GRÂCES», poétesses de
mon bourg natal. »
434
3. LES CONTOURS ET LES CARACTÉRISTIQUES DE LA
POÉSIE FRANCOPHONE
La poésie francophone est un champ poétique
vaste, divers, aux contours difficilement cernables. Elle se constitue de la
Francité, de la Négritude, de la Créolisation, de la
Créolité, de la Belgité, de la Canadaneïté, de
la Québécité et de la Littérature-monde... Cette
diversité ne permet pas de la définir correctement. Il faut
auparavant appréhender les contours des différentes composantes
de cette poésie afin de définir ses propres contours. Or, il
ressort que la poésie francophone est d'une unité dans la
diversité qui permet à chacun de préserver son
caractère individuel.
Cependant, pour chaque individu, civilisation, époque,
la poésie prendra une signification différente suivant les
nécessités de chacun et le courant de son histoire. Il est
également exact qu'une oeuvre poétique qui, à une
époque donnée, répond à un certain besoin humain,
peut agir tout autrement dans une civilisation
différente.1382 La poésie, comme tout art ou toute
identité, ne cesse de changer ; elle est en constante évolution
et en perpétuel devenir, toujours nouvelle. Tel est le cas de la
poésie francophone. Elle est un ensemble de contours,
d'expériences, de vécus et de visions difficiles à
définir. La comprendre et la délimiter pose toujours un nouveau
problème : il faut nous placer dans une perspective qui nous permettra
de saisir plutôt ses caractéristiques.
Pour dire simplement que les contours de la poésie
francophone sont difficiles à appréhender, parce qu'elle exige de
nouveaux critères d'estimation et de jugements. Définir les
contours reviendrait à établir une sorte de canevas dans lequel
s'inscrira la poésie francophone, or elle annihile tout critère
géolinguistique, et elle n'est ni figée ni limitée,
puisqu'elle se veut ouverte, plurielle et unique. Il est, certes, difficile
d'établir les contours de cette poésie, mais beaucoup plus facile
de définir ses caractéristiques, car Léopold Sédar
Senghor l'a déjà fait. En fait, il existe bien une théorie
d'éléments de la conception de la poésie francophone qui
est exposée dans ses oeuvres poétiques, et qui permet de cerner
les caractéristiques de cette poésie. Il s'agit de faire une
synthèse. Les caractéristiques de cette poésie
données par Senghor se résument en quatre points : une
poésie ontologique (une poésie humaine), une poésie
1382 d'Arcy HAYMAN, « L'art dans la vie de l'homme
», L'art dans la vie de l'homme, la science dans la vie de
l'homme, Unesco, op. cit., p. 9
435
symbolique (de symboles), une parole poétique (rythme,
musique, mélodie) et une poésie mythopoétique (de mythes).
Par ces caractéristiques, où veut en venir Senghor ?
Le poète est un homme qui prend son inspiration dans le
monde qui l'entoure, il exprime la réalité du monde sensible
(terrestre). Il fait de la poésie une « arme chargée de
future »1383, « une arme miraculeuse
»1384, une insurrection (Pablo Neruda) et s'engage pour
que les lendemains soient meilleurs. Pour cette raison, il se fait voyant
(Arthur Rimbaud), un prophète (Pierre de Ronsard/Victor
Hugo), un porte-parole du peuple1385 pour montrer la
réalité profonde et faire devenir le monde
insoupçonné qui se cache derrière le mur de la
rationalité, pour guider les hommes vers des idées ou un
engagement. Il n'est point indifférent de la situation humaine, il prend
parti, et son parti est le devenir de l'homme, parce que l'art est l'essence
même de ce qui est humain, comme le souligne Hayman d'Arcy :
Tout enfant, tout homme, toute civilisation donne forme
à ses sentiments et à ses idées par l'intermédiaire
de l'art. L'art est l'essence même de ce qui est humain, il incarne
l'expérience de l'homme et ses aspirations. Depuis que l'homme s'est
affirmé en tant qu'homme, l'art a été son signe
distinctif, et il n'a cessé d'être un créateur d'art.
L'acte artistique et son objet sont l'expression et le témoignage
constants de l'acte et des objectifs humains1386.
La poésie étant un art ne peut qu'être
l'essence même de ce qui est humain. Quant à Léopold
Sédar Senghor, il veut que la poésie francophone soit une oeuvre
humaine qui exige de l'homme son adhésion totale à une action
constructive : « Bien sûr, il s'agit toujours de l'homme -
comment pourrait-il en être autrement ? - mais surtout, peut-être,
de l'au-delà de l'homme. »1387 Mieux, elle doit
être l'essence de vie de l'homme1388, parce qu'elle est une
vision ontologique de l'univers, de l'homme dans l'univers1389.
Cette poésie traduit non seulement l'expérience personnelle du
poète, mais aussi celle de l'humanité toute entière. Elle
devient l'instrument à la fois universel et personnel par lequel les
hommes se protègent et se libèrent. Elle est un sentiment global,
capable d'unir les hommes tout en préservant à chacun son
1383 Gabriel CALAYA, « La poesia es un arma de cargada de
futuro », De `' Cantos iberos», Turner, Madrid,
1976, (96 p.), pp. 57-58
1384 Aimé CÉSAIRE, Les armes miraculeuses,
Gallimard, Paris, 1946, 161 p.
1385 C'est à juste titre qu'Aimé Césaire dit
« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche,
ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot
du désespoir. », Cahier d'un retour au pays natal, op.
cit.,
p. 22
1386 d'Arcy HAYMAN, « L'art dans la vie de l'homme »,
L'art dans la vie de l'homme, la science dans la vie de
l'homme, Unesco, op. cit., p. 6
1387 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 378
1388 Idem., p. 378
1389 Ibidem., p. 379
436
caractère d'individu. Elle est une source dynamique qui
satisfait le besoin d'expression de l'homme et manifeste ses
possibilités.
Senghor revendique pour la poésie francophone la
capacité de permettre à chaque humain de prendre connaissance de
la particularité esthétique de ce qui l'entoure, de puiser
l'inépuisable ressource des formes et des couleurs, de la splendeur
d'une matière, de la puissance du rythme, du son, de toute
création qui unit la poésie de la nature et celle de l'homme.
Elle doit être, également, médiatrice entre le monde humain
et le monde objectif et spirituel afin que les objets se fassent
connaître à ou de l'homme.1390 Autrement dit, elle est
« un cosmos dynamique, fait de relations entre les forces vitales :
entre la terre, les astres et l'univers, les plantes, les animaux, les hommes
et Dieu. »1391 Telle est la mission de la poésie
francophone, n'est-ce pas celle de tout art ? Hayman d'Arcy de nous
répondre en ces termes :
La mission de l'art est d'enflammer et d'intensifier, de
provoquer un puissant élan
affectif et intellectuel, que vient rejoindre celui qui anime
l'être humain dans ses relations avec la nature et avec ses
semblables1392.
De ce fait, la poésie francophone est liée au
sacré, ici, dans le sens de voir le monde de façon spirituelle,
car cette poésie doit être capable de parler au coeur et aux sens
de l'homme, de lui apporter un enrichissement émotionnel et
spirituel.
Dans l'expérience humaine, la poésie est
l'activité expressive ; elle est l'expression de la propre
personnalité de l'homme. Elle caractérise un individu aussi bien
qu'une civilisation. En fait, le sujet et l'objet de la poésie
francophone demeurent l'homme, car elle lui permet de se connaître et de
communiquer avec lui-même et avec son semblable. C'est dire qu'elle
établit une sorte de communication, comme l'illustre l'extrait
ci-dessous :
Et je redis ton nom : Dyallo !
Ta main et ma main qui s'attarde ; et nos pensées se
cher-
chèrent dans la mi-nuit de nos deux langues soeurs
[...]
Et je redis ton nom : Dyallo !
Et tu redis mon nom : Senghor ! (Po : 60-61)
Par son lyrisme, le poète francophone, en exprimant les
sentiments et les émotions qui l'étreignent, doit se fait plus
proche de l'homme. Sa poésie est un lyrisme qui renvoie
1390 A. Kibédi VARGA, « L'objet en poésie
», <i>WORD</i>, 23:1-3, 1967, p. 559
1391 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 381
1392 d'Arcy HAYMAN, « L'art dans la vie de l'homme
», L'art dans la vie de l'homme, la science dans la vie de
l'homme, Unesco, op. cit., p. 12
437
l'« Hypocrite lecteur - [son] semblable, - [son]
frère ! »1393 à ses propres
expériences et sensations. La poésie devient alors la voix de la
personnalité intime de l'homme. Elle est un engagement, le
témoignage et le symbole de l'énergie humaine. Elle
éclaire et vivifie, également, l'expérience humaine.
Le sceau de cette poésie est le devenir de l'homme. En
effet, elle chante les substances essentielles, les êtres qui
sous-tendent les apparences sensibles et qui ont cette vertu majeure de se
transmuter en transcendant leur être pour parvenir au plus-être, en
devenant intégralement humain.1394 Pour Senghor, cette
poésie est une vision neuve de l'univers et une création
panhumaine en même temps.1395 Le poète francophone
prend les visions et les valeurs ordinaires des hommes, et les re-forme, nous
dit également Senghor :
Le poète, pour prendre cet exemple, se «
convertissant » en Dieu par la force de sa
parole, fait plus que reproduire le cosmos par la force du
verbe divin, mais aussi par sa maîtrise de la langue, il le
re-crée1396.
Le poète francophone fait appel à la
totalité de l'homme, son corps, sa sensibilité, son intelligence
; il les intègre en un seul acte, en un moment donné de l'homme.
Au-delà de toute spéculation, il faut comprendre Senghor. Chez
lui, la poésie francophone se veut un humanisme, puisque l'essence
même de cette poésie est l'homme. Il en est le sujet et l'objet
d'un monde nouveau et plus panhumain. C'est pour l'homme et autour de l'homme
que s'orchestre la poésie francophone. Le poète francophone, par
ses textes, doit donner vie à un nouveau monde à l'aide d'images,
de symboles qui créent des visions ontologiques de l'univers. Il doit
chercher à appréhender l'Homme à partir du langage
poétique. Autrement dit, pour parler de la réalité
profonde du monde, pour rapprocher des réalités, pour en
créer une autre, le poète dispose d'autres outils tels que les
symboles.
L'une des caractéristiques de la poésie
francophone définie par Senghor est l'utilisation des symboles. C'est,
en effet, pour mieux communiquer que les hommes ont inventé des
symboles, et le plus beau de tous est sans doute les lettres. Hayman d'Arcy
renforce nos propos en ces termes :
[...] c'est pour communiquer que les hommes ont inventé
des symboles, et la création des symboles est l'une de leurs
activités premières. En fait, c'est l'acte fondamental de
l'esprit humain et il l'accomplit constamment. Il oriente les efforts de
l'homme et stimule son imagination, il lui donne le sens des valeurs, aiguise
ses
1393 Charles BAUDELAIRE, Les fleurs du mal, Librairie
Générale Française, Paris, 1972, p. 7 1394 Léopold
Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone »,
op. cit., p. 407
1395 Idem., p. 408 1396 Ibidem., p. 380
438
perceptions et nourrit son enthousiasme. [...] Il faut que
l'homme exprime par symboles ce qu'il a vécu et ressenti pour pouvoir le
communiquer à d'autres hommes1397.
En ce qui concerne l'utilisation des symboles, nous pouvons
dire que la poésie ne lésine pas sur les symboles. Le mot y est
plus qu'image analogique sans même le secours de la métaphore ou
de la comparaison dans cette poésie. Tout y est signe et sens en
même temps, comme l'illustre l'extrait ci-dessous :
Tu es Zoulou par qui nous croissons dru, les narines par quoi
nous buvons la vie forte
Et tu es le doué-d'un-large dos, tu portes tous les
peuples à peau noire. (Po : 127)
Pour Senghor, la forme et la couleur constituent
également un langage suffisant pour exprimer une émotion et la
communiquer. Dans la poésie senghorienne, nous pouvons citer «
Négresse blonde », « Aube blanche »,
« le Poète du lait noir de l'amour », « le
regard noir du mamba », « au parfum d'oranger »,
« la verte lumière », « Hosties noires
», « Le Lion noir », « sang noir
», etc. pour exemplifier nos propos. À cet effet, Senghor
asserte que
Le mot y est plus qu'image, il est image analogique sans le
secours de la métaphore ou de la comparaison. Il suffit de nommer la
chose pour qu'apparaisse le sens sous le signe. Car tout est
signe et sens en même temps [...] : chaque être, chaque chose, mais
aussi la matière, la forme, la couleur, l'odeur et le geste et le rythme
et le ton et le timbre, la couleur du pagne, la forme de la kôra, le
dessin des sandales de la mariée, les pas et les gestes du danseur, et
le masque, que sais-je ?1398
Il envisage la poésie francophone comme la forme la
plus élevée de l'expérience symbolique qui ne s'appuie pas
sur la raison discursive, mais sur l'instinct, c'est-à-dire l'intuition,
la puissance d'imagination symbolique où tous les sens - les sons, les
odeurs, les saveurs, les touchers, les formes, les couleurs, les mouvements -
entretiennent de mystérieuses correspondances et donnent naissance aux
images analogiques complexes, ambivalentes, multivalentes.1399 Nous
devons entrer en contact avec le sens caché de l'univers par
l'intermédiaire du symbole avec tout notre être,
Parce que les paroles, [estime Senghor,] pour charmer
au sens étymologique du
mot, pour « incanter » doivent être
exprimées en images analogiques, qui cachent et
1397 d'Arcy HAYMAN, « L'art dans la vie de l'homme
», L'art dans la vie de l'homme, la science dans la vie de
l'homme, Unesco, op. cit., p. 14
1398 Léopold Sédar SENGHOR, « Comment les
lamantins vont boire à la source », op. cit., pp. 156-157
1399 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie
francophone », op. cit., p. 375
439
dévoilent en même temps, non des idées
pures ou des sentiments, mais des idées-sentiments, qui
cachent, en dévoilant, le signifié sous le signifiant.1400
La vraie poésie serait aux dires de Senghor celle qui
met l'accent sur l'utilisation des symboles, comme nous pouvons le voir dans
l'extrait ci-dessous :
La sève d'Avril en mes veines chante,
Des pirogues de passion sur leurs rapides dansent, Les sveltes
Négresses décochent leur fougue, Flammes dansantes de clairs
boubous,
Cavales du Fleuve au plein galop. (O. Po : 339-340)
Dans l'extrait, nous avons des symboles tels que « La
sève d'Avril », « Des pirogues de passion
», « Flammes dansantes », « Cavales du
Fleuve »... Ces symboles donnent sens au texte et l'enrichissent.
Nous avons également des images : « La sève d'Avril en
mes veines chante », « Des pirogues de passion sur leurs
rapides dansent »... C'est une suite d'images analogiques. Ces images
intensifient la valeur des symboles dans le texte poétique, nous voulons
dire, leurs sens.
Les symboles sont un caractère essentiel de la
poésie. Jean-Marie Guyau ne dit point le contraire :
Le symbolisme est un caractère essentiel de la vraie
poésie : ce qui ne signifie et ne représente pas autre chose que
soi-même n'est pas vraiment poétique. S'il y a une sorte
d'égoïsme des formes qui fait qu'elles vous disent seulement moi,
sans vous faire rien penser au-delà d'elles-mêmes, il y a aussi
une sorte de désintéressement et de libéralité des
formes qui fait qu'elles vous parlent d'autre chose qu'elles-mêmes et,
par-delà leurs contours, vous ouvrent des horizons sans limites. C'est
alors seulement qu'elles sont poétiques. Alors aussi elles ne sont plus
purement matérielles : elles prennent un sens intellectuel, moral et
même social, en un mot, elles deviennent des symboles. Pour leur donner
ce caractère, il n'est pas besoin d'introduire dans le style
l'allégorie précise des anciens, ni le vague de certains modernes
qui croient qu'il suffit de tout obscurcir pour tout poétiser, ou de
supprimer les idées pour avoir des symboles. C'est par la profondeur de
la pensée même et de l'émotion qu'on donne au style
l'expression symbolique, c'est-à-dire qu'on lui fait suggérer
plus qu'il ne dit et qu'il ne peut dire, plus que vous ne pouvez dire
vous-même1401.
Ce que nous retenons de Jean-Marie Guyau est que le symbole
exprime la profondeur de la pensée et de l'émotion,
et suggère plus qu'il ne dit. Le symbole imprime sa marque de
suggestion à la poésie. Senghor, en s'inscrivant dans la logique
de Jean-Marie Guyau, dit que le symbole n'est pas seulement objet de
connaissance, mais objet de pratique. Pas besoin de
1400 Idem., p. 389
1401 Jean-Marie GUYAU, L'art au point de vue
sociologique, Paris, Alcan, 1889, p. 300
440
métaphore, un seul mot, « à travers des
forêts de symboles »1402, pour nommer les choses
afin de prophétiser la Cité de demain, qui renaîtra des
cendres de l'ancienne1403, participant, ainsi, à l'expression
d'une vision intuitive, voire ontologique.1404 Cependant, le pouvoir
de l'image analogique - du symbole - est libéré sous l'effet du
rythme. Et Senghor de le confirmer en ces termes :
Mais le pouvoir de l'image analogique ne se libère que
sous l'effet du rythme. Seul le rythme provoque le court-circuit
poétique et transmue le cuivre en or, la parole en verbe. [...] Nombril
même du poème, le rythme, qui naît de l'émotion,
engendre à son tour l'émotion.1405
Aux dires de Senghor, l'émotion naît de la
vibration sonore - c'est-à-dire le rythme - et non de l'image
poétique. De ce fait, la poésie francophone doit être
capable d'émotionner l'homme par le biais du rythme. En
conséquence, le rythme serait aussi une des caractéristiques de
la poésie francophone.
Le rythme est bel et bien l'une des caractéristiques de
cette poésie. En effet, il est un phénomène universel,
puisqu'on le retrouve dans toutes les activités humaines. En plus, il
est la clef de toute poésie, car, c'est lui qui crée la
mélodie, la musique, l'émotion, voire le langage poétique.
Mieux, il n'y a pas de rythme sans mélodie, et l'accord harmonieux,
entre ces deux, donne naissance à la parole poétique. Autrement
dit, le rythme préside à la naissance du poème, à
en croire Léopold Sédar Senghor :
Nous sommes d'accord que si, dans la poésie,
l'élan créateur ou la puissance mythique doit avoir la
primauté, la priorité revient à la maîtrise du
langage, mais aussi de la langue. Sans quoi, il ne peut y avoir de parole
poétique. Surtout lorsqu'il s'agit de la langue
française1406.
La parole poétique tient une place importante dans
l'élaboration du poème, et est liée essentiellement au
rythme et à la mélodie. Il faut partir du rythme pour
appréhender la parole poétique, qui engendre non seulement la
mélodie, mais aussi l'image par son élan itératif et,
partant, suggestif et créatif.1407
1402 Charles BAUDELAIRE, « Correspondances », Les
fleurs du mal, Paris, Librairie générale française,
1972, p.
16
1403 Léopold Sédar SENGHOR, « Comment les
lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 158
1404 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 390
1405 Léopold Sédar SENGHOR, « Comment les
lamantins vont boire à la source », op. cit., pp.
158-162
1406 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 388
1407 Idem., p. 394
441
Le rythme est sur quoi repose la poésie francophone.
Cette poésie se veut parole poétique neuve. Dans cette
poésie, le rythme n'est pas seulement dans les accents du
français, mais également dans les répétitions des
mots, voire dans les timbres, les intensités et les durées,
estime Senghor :
Je dis que le rythme demeure le problème. Il n'est pas
seulement dans les accents du français moderne, mais aussi dans la
répétition des mêmes mots et des mêmes
catégories grammaticales voire dans l'emploi - instinctif - de certaines
figures de langue : allitérations - assonances,
homéotéleutes, etc...1408
Le rythme n'est pas une répétition en tant que
tel, mais il se saisit dans des contrastes complémentaires, des
allitérations et des assonances, plus subtilement, dans le jeu des
sémantèmes et des morphèmes, qui renforce celui des signes
et des sens : des images analogiques.1409 À cet effet, il
affirme qu'
Il reste que le rythme du poème [...] n'est pas
seulement dans la succession, ordonnée, des syllabes accentuées
et atones, il est aussi dans la répétition qui ne se
répète pas de certaines expressions, de certains mots, voire
de certains syllabes ou voyelles.1410
Nous pouvons appréhender cette définition du
rythme dans les poèmes de Senghor, en occurrence dans «
Poème liminaire » d'Hosties noires :
Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères
noirs à la main chaude sous la glace et la mort
Qui pourra vous chanter si ce n'est votre frère d'armes,
votre frère de sang ?
[...]
Qui pourra vous chanter si ce n'est votre frère d'armes,
votre frère de sang
Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères
noirs à la main chaude, couchés sous la glace et la mort ? (Po :
53-54)
Le rythme, dit Léopold Sédar Senghor,
Ce n'est pas une « répétition monotone
» d'un vers, d'une expression, d'un mot,
d'un son. C'est la reprise d'une idée-sentiment pour
intensifier l'expression par effet de surprise - qu'on attendait et n'attendait
pas1411.
1408 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les
lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 161
1409 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 396
1410 Léopold Sédar SENGHOR, « La culture
africaine », op. cit., p. 6
1411 Léopold Sédar SENGHOR, « La
Négritude métisse », Postface à Poème
d'Édouard Maunick, Présence
Africaine, Paris, 2001, p. 323
442
Il est l'élément vital du langage quotidien, et
la condition première de la parole poétique. C'est un
révélateur de la langue.
Le rythme, selon toujours Senghor, est construit par la
présence de trois accents à intervalles réguliers ou non
sur des syllabes, des mots ou des phonèmes d'un énoncé
(rythme ternaire). Cette idée est mise en évidence dans l'un de
ses poèmes intitulé « LE KAYA-MAGAN » :
Car je suis les deux battants de la porte, rythme binaire de
l'espace, et le troisième temps
Car je suis le mouvement du tam-tam, force de l'Afrique future.
(Po : 103)
Cependant, il préconise le rythme asymétrique.
Ce rythme n'est ni binaire ni ternaire, mais les deux à la fois. Il est
un élément de caractérisation de la poésie
francophone. Dans cette poésie, les mots doivent danser ensemble au
rythme du tam-tam, du hautbois ; ils doivent faire l'amour, reins contre reins,
pour devenir parole poétique, voire musique, estime Senghor1412 :
[La parole poétique] possède une vertu magique,
mais aussi dans la seule mesure où elle est rythmée, devient
poème. Or, toute parole sociale, toute parole solennelle est
rythmée [...] et toute parole rythmée devient musique,
s'accompagnant souvent d'instrument de musique [...]. La musique ne peut
être dissociée de la parole. Elle n'en est pas qu'un aspect
complémentaire, elle lui est consubstantielle [...]. La musique ne peut
non plus se concevoir sans le geste, sans danse [...]. Ni la danse sans la
peinture et la sculpture.1413
Nous comprenons ici que le rythme doit être le «
fruit de l'intuition et de l'expérience plus que la raison
discursive »1414, puisqu'il engendre la musique, et la
musique à son tour la poésie. Par conséquent, la
poésie francophone doit être chantée. Elle devient ainsi
chant, sinon musique1415. Et Senghor avance également que
Le rythme, pour y revenir, est l'élément le plus
vital du langage : il en est la condition première, et le signe [...].
Le rythme explique que la plupart des poèmes soient faits pour
être déclamés ou chantés [...]. Sa seule loi est
d'être un accompagnement à l'émotion comme la batterie d'un
jazz [...]1416.
La poésie francophone, soutient Senghor, doit
être de la vraie musique engendrée par l'emploi escient du rythme.
En cela, il rejoint Eustache Deschamp (L'Art de dictier,
XVIe siècle), Pierre
1412 Léopold Sédar SENGHOR, « La
Négritude métisse », op. cit., p. 305
1413 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
I, op. cit., p. 241
1414 Idem., p. 165
1415 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les
lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 165
1416 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
I, op. cit., pp. 111-112
443
de Ronsard (L'abrégé de l'art
poétique, XVIe siècle), Victor Hugo
(Préface de Cromwell, 1827, XIXe siècle),
Paul Verlaine (« Art poétique », Jadis et
Naguère, 1884, XIXe siècle), Stéphane
Mallarmé (Quart au livre, 1895, XIXe siècle),
Henri Bremond (La poésie pure, 1925, XXe
siècle) et Paul Claudel (Réflexions et propositions sur le
vers, 1925, XXe siècle).
La poésie, sans les voix, n'est nullement
agréable, non plus que les instruments sans être animés de
la mélodie d'une plaisante voix (Pierre de Ronsard). À en croire
Senghor, la poésie francophone est « de la musique avant toute
chose »1417, et la grande règle veut qu'elle soit
agréable avec des paroles plaisantes au coeur et à l'oreille. La
poésie - et surtout la poésie francophone - est liée
à la musique ; elle doit être chantée, car elle est une
clameur. À cet effet, Léo Ferré dit que
La poésie est une clameur, elle doit être
entendue comme la musique. Toute poésie destinée à
n'être que lue et enfermée dans sa typographie n'est pas finie ;
elle ne prend son sexe qu'avec la corde vocale tout comme le violon prend le
sien avec l'archet qui le touche1418.
C'est cela la poésie du XXIe siècle,
et Senghor n'affirme pas le contraire, car chez lui le poème n'est
accompli que s'il se fait chant, parole et musique en même temps. De ce
fait, nous pouvons dire que le poète francophone est héritier
d'une longue tradition poétique qui privilégie la
musicalité et le rythme. Il accorde de l'importance au rythme qui donne
la mélodie à son poème où l'allitération,
l'assonance, la répétition jouent un rôle majeur, comme
dans les anciennes poésies celtiques, germaniques et
négro-africaines, dans la parole poétique qu'il crée, afin
que son poème soit parole plaisante au coeur et à l'oreille.
Autrement dit, le rythme est au centre de la poésie francophone. Et ce
rythme est issu des traditions orales africaines, de la transe des tams-tams,
et de la métrique française.
Le rythme est métissé et se caractérise
par la nomination, des procédés sonores (assonances,
allitérations), la répétition et des images analogiques
(personnification, allégorie, rejet...). La nomination sera
illustrée par un extrait de « L'homme et la bête » :
Je te nomme Soir ô Soir ambigu, feuille mobile je te nomme
Et c'est l'heure des pleurs primaires, surgies des entrailles d'ancêtres.
(Po : 97)
Pour les procédés sonores, le rythme est
assuré par l'emploi de l'assonance et de l'allitération. Nous
avons pour l'assonance cet extrait de « Que m'accompagnent koras et
balafong » :
1417 Paul VERLAINE, « Art poétique », Jadis
et Naguère, 1884, p. 16
1418 Léo FERRÉ, « À l'école de
la poésie », Poète...vos papiers, 1956
(Préface, oeuvre musicale)
444
Mais toutes les hymnes chantés, toutes les
mélopées déchirées par la trompette
bouchée
Toutes les joies dansées oh !toute l'exultation
criée. (Po : 33)
L'allitération, quant à elle, sera mise en
évidence par cet extrait de « L'absente » :
Les mots s'envolent et se froissent au souffle du Vent d'Est
comme les monuments des hommes sous les bombes soufflantes
Mais le poème est lourd de lait et le coeur du
Poète brûle un feu sans poussière. (Po : 113)
La répétition, dans la poésie francophone,
en particulier chez Senghor, crée une sorte de parallélisme
asymétrique, voire d'oppositions binaires ; elle est également
une sorte d'anaphore, de palillogie, d'antépiphore et de
polysyndète. Nous avons, par exemple, pour : - Le
parallélisme/oppositions binaires (un extrait de « LE KAYA MAGAN
») :
Je dis KAYA MAGAN je suis ! Roi de lune, j'unis la nuit
et le jour
Je suis Prince du Nord du Sud, du Soleil-levant
Prince du Soleil-couchant (Po : 102)
- La construction symétrique (un extrait de « Au
gouverneur Éboué ») :
Ébou-é !tu es le Lion au cri bref, le
Lion qui est debout et qui dit non !
Le Lion noir aux yeux de voyance, le Lion noir
à la crinière d'honneur (Po : 72)
- L'anaphore : répétition des mêmes mots en
tête de vers ou de verset (un extrait de « Chant de printemps
») :
Écoute le bruissement blanc et noir des cigognes
à l'extrême de leurs voiles déployées
Écoute le message du printemps d'un autre
âge d'un autre continent
Écoute le message de l'Afrique lointain et le
chant de ton sang ! (Po : 83)
- La palillogie : répétition des mots sans
conjonction de coordination (un extrait de « Luxembourg 1939 ») :
Sans flâneurs sans eaux, sans bateaux
sur les eaux, sans enfants sans fleurs. (Po : 63)
445
- L'antépiphore : répétition de la
même formule ou du même vers dans les positions variées, par
exemple, au début du poème et à la fin du poème ou
d'une période ou d'une strophe. (un extrait de « Poème
liminaire ») :
Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères
noirs à la main chaude sous la glace et la mort
[...]
Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères
noirs à la main chaude, couchés sous la glace et la mort ? (Po :
53-54)
- La polysyndète (un extrait de « Lettre à un
prisonnier ») :
Vous ignorez les restaurants et les piscines, et la
noblesse au sang noir interdite
Et la science et l'Humanité, dressant leurs cordons de
police aux frontières de la négritude. (Po : 81)
Quant aux images analogiques, nous verrons seulement la
personnification. Celle-ci est mise en évidence dans l'extrait
ci-dessous :
New York ! je dis New York, laisse affluer le sang noir dans
ton sang
Qu'il dérouille tes articulations d'acier, comme une huile
de vie Qu'il donne à tes ponts la courbe des croupes et la souplesse des
lianes. (Po : 115)
Dans cet extrait, nous y trouvons, également, la
comparaison, le rejet, et l'allégorie. C'est un ensemble, une symbiose
d'images analogiques.1419 Cette symbiose d'images montre que «
toute parole [chez Senghor] est enceinte d'images analogiques
»1420, et ceci donne du rythme au poème
élaboré, c'est-à-dire son sens et sa signification. Sans
vouloir être exhaustif, nous nous permettons de nous arrêter sur
ces quelques caractéristiques du rythme chez Senghor. L'art subtil avec
lequel il introduit les éléments rythmiques de la poésie
négro-africaine dans son écriture, l'habilité avec
laquelle il les mêle aux éléments rythmiques de la
poésie française, montre que le rythme participe de fort
manière à l'élaboration du poème, et il est celui
également qui fait du poème musique. Il est une organisation du
sens dans le discours poétique.
La poésie francophone est, par conséquent, une
poésie authentique, parce que « la poésie, dans son
essence même, n'est pas seulement liée à la musique, mais
fait corps avec elle. »1421 Elle renvoie aux
catégories du son, des structures grammaticales, syntaxe y compris.
1419 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 390
1420 Idem., p. 392
1421 Paul FRIEDRICH, « Mythes, poésie et musique
(dans les grands mythes-poèmes) », op. cit., p. 106
446
Elle devient la musique de la langue, un artéfact
rendant la langue poétique, autrement dit un langage rythmé qui
nous ramène aux mythes - parce que le mythe est un ensemble, une
symbiose d'images analogiques1422 -, soit en créant de
nouveaux, soit en reprenant les anciens ; mais toujours est-il qu'elle les
charge de nouvelles images et, partant, de nouvelles significations. Le rythme
produit l'image poétique, « [...] fait la parole verbe et
image, je veux dire symboles, les phénomènes prosaïques de
notre vie quotidienne »1423 des mythes.
La poésie francophone, c'est aussi son aspect mythique.
Les mythes sont également l'une des caractéristiques de cette
poésie-vision, comme la désigne Léopold Sédar
Senghor. Elle est l'expression d'un mythe ancien ou actuel :
De nouveau, ce qui me frappe, chers Amis, dans nos vies, dans
nos consciences, dans nos âmes parallèles, c'est, avec
l'inspiration, dont je vais parler maintenant, notre commune
fidélité à nos idées-sentiments, à ces
images archétypes surgies de l'expérience personnelle
comme de la conscience ancestrale, que l'on nomme « mythe ».1424
En réalité, Senghor ne conçoit pas la
poésie comme un mythe. Il ne dit pas que la poésie est un mythe,
au contraire, il dit comment le poète a recours au mythe pour dire sa
poésie. Voyons à présent sa définition du mythe
:
Mais qu'est-ce qu'un mythe ? Pour les dictionnaires,
c'est d'abord, un « récit fabuleux d'origine populaire »,
faisant vivre des êtres - dieux, hommes, animaux, plante,
phénomènes - qui symbolisent des forces de la nature ou des
aspects de la condition humaine. Mais n'oublions pas de noter qu'il y a des
mythes modernes, voire contemporains, qui ont pour objets un homme vivant, un
fait actuel : la Deuxième guerre mondiale, de Gaulle, Churchill, la
Bombe atomique, Carter, Brejnev, etc.1425
De cette définition, nous voyons que Senghor affirme
qu'il existe des mythes contemporains qui diffèrent par leur conception
définitionnelle des mythes définis par les dictionnaires. Pour
lui,
[...] si l'on prend le mot au sens étymologique du mot,
au sens grec, et non pas au sens du XXe siècle [...], le
mythe était une histoire symbolique traduisant une réalité
essentielle, tandis que, pour les modernes, le mythe, c'est seulement une
apparence et, pour dire, une illusion.1426
1422 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 390
1423 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
1, op. cit., p. 176
1424 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 385
1425 Idem., p. 382
1426 Daniel GARROT, Léopold Sédar Senghor
critique littéraire, NEA, Dakar, 1978, p. 148 (Réponse de
son
excellence monsieur le président Léopold
Sédar Senghor au questionnaire que lui avait adressé
l'auteur).
447
Ce qui signifie qu'il y'a une différence entre mythe en
tant que récit fabuleux, histoire symbolique et mythe en tant que
moderne. À l'en croire, le poète doit être capable de
rendre les événements ou les phénomènes, voire les
êtres vivants en mythe, c'est-à-dire en histoire symbolique
traduisant une réalité essentielle. En d'autres mots, il
préconise que le poète se doit de fabriquer des mythes, parce
que, selon lui, un poète authentique est celui qui chante les
mythes.1427 La poésie devient ainsi le lieu
privilégié pour l'expression et l'utilisation du mythe. C'est
pourquoi, chez lui, les mythes s'orchestrent autour des figures de la Reine de
Saba, de Chaka, de Kaya-Magan, de Taga de Mbaye Dyob, des Tirailleurs
sénégalais, d'Aynina Fall, de Martin Luther King, de Georges
Pompidou, de la princesse de Belborg...
Cependant, il existe une opposition entre les deux,
c'est-à-dire entre la poésie et le mythe, comme l'affirme
Irène Gayraud :
À première vue, mythe et poésie
s'opposent sur des points déjà maintes fois analysés par
les structuralistes, anthropologues ou sémioticiens de tous pays. Tout
d'abord, le mythe est avant tout un récit, une narration, alors que la
poésie s'affranchit souvent du narratif au profit d'une dimension
beaucoup plus verticale. Ensuite, le poème est immuable, un objet
parfait dans sa forme, et difficilement traduisible dans une autre forme, alors
que le mythe n'a pas de forme (il n'a que des structures), il change sans
cesse, n'est pas fixé dans un seul texte primordial. La poésie
est dépendante du langage, alors que le mythe est sens pur, symbole, qui
se détache d'un texte figé.1428
Bien qu'elle montre la différence qui existe entre la
poésie et le mythe, elle affirme que le mythe est symbole, or chez
Senghor, la poésie se veut aussi symbole. Ce qui suppose qu'il y a, en
fait, une relation de complémentarité, de correspondance entre la
poésie et le mythe, car tous deux sont un discours symbolique,
codé, qui doit être déchiffré pour être
entendu. Si en théorie, le mythe et la poésie diffèrent
radicalement l'un de l'autre, c'est sur un seul aspect, celui de la
musicalité.1429 En fait, la poésie est musique, et le
mythe ne l'est pas. En pratique, le mythe comme la poésie aborde,
explicitement ou implicitement, et rend plus intelligibles, les ramifications
de la vie sociale et psychologique, engage des problèmes sociaux
profonds et souvent irrémédiables, l'inconnu, l'étrange et
la métaphysique, ainsi que des protagonistes surhumains. De ce fait, le
mythe a un lien avec la poésie, car des héros mythiques ont
été utilisés par les poètes dans leur
création poétique. Jean-Louis Joubert ne dit pas le contraire
:
1427 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 383
1428 Irène GAYRAUD, « Pourquoi des mythes en
poésie ? », Pupilles d'encre, 28 juin 2010. Disponible sur
https://irenegayraud.wordpress.com/2010/06/28/pourquoi-des-mythes-en-poesie/
(Consulté le 03/08/2018)
1429 Paul FRIEDRICH, « Mythes, poésie et musique
(dans les grands mythes-poèmes) », op. cit., p. 100 et p.
106
448
Mythe et poésie semblent présenter des
affinités plus constantes. Toutes les collectivités humaines
recourent à des mythes, c'est-à-dire, au sens propre, à
des récits fabuleux, histoires de dieux ou de héros
légendaires, qui sont tenus pour vrais par les sociétés
qui racontent bien que leur caractère de fiction éclate aux yeux
de tous.1430
Partons d'une autre définition du mythe pour mieux
mettre en évidence le rapport de correspondance entre la poésie
et le mythe. C'est celle de Sandra Glatigny :
Suivant les travaux de Mircéa Eliade et du formaliste
André Jolles, on peut définir le mythe comme un récit,
à l'origine oral et anonyme, universel et atemporel qui répond
aux interrogations humaines de telle sorte qu'il admet plusieurs niveaux de
lecture, du plus concret et littéral au plus abstrait et
symbolique1431.
».1433
Qu'en est-il de la poésie, dans ce cas présent ?
La poésie comme la prose poétique se distingue par la
densité et l'intensité des figures et des images, par son grand
pouvoir figuratif. Elle s'interroge sur la condition humaine et admet
également plusieurs niveaux de lectures. Pour nous convaincre, prenons
comme exemple l'épopée. L'épopée est, à la
fois, un poème et un récit fabuleux où le merveilleux se
mêle au vrai, la légende à l'histoire et dont le but est de
célébrer un héros ou un grand fait afin d'éduquer
l'homme. Raison pour laquelle, Sandra Glatigny laisse entendre que «
l'épopée est un vecteur du mythe qui s'en nourrit et prolonge
les archétypes »1432, puisque
l'épopée peut être appréhendée comme un
poème (épique). En d'autres mots, cela sous-entend que la
poésie est un porteur de mythes. Paul Friedrich affirme, à juste
titre, que « [...] tous les grands poèmes sont informés
et régis par les mythes [...]
On comprend que le mythe donne une forme, une structure, une
signification à la poésie, détermine la grandeur de la
poésie ou ce que devrait dire la poésie. Pierre Renauld corrobore
nos propos en ces termes :
Pour les romantiques allemands, la poésie est
mythologique en son essence, et
Frédéric Schlegel réclamait la formation
d'une nouvelle mythologie comme condition préalable au renouvellement de
la poésie1434.
Léopold Sédar Senghor s'inscrit dans la
même logique que Frédéric Schlegel en disant que la mission
du poète est de refaire et de parfaire la création
poétique avec des images symboliques, archétypes ou actuelles,
c'est-à-dire avec des mythes.1435 En fait, Senghor affirme
que la poésie
1430 Jean-Louis JOUBERT, La Poésie, Paris, Armand
Colin, 2006, p. 16
1431 Sandra GLATIGNY, « Le mythe comme forme du
poétique persien », Questions de style, n° 4, 2007,
p. 14
1432 Idem., p. 14
1433 Paul FRIEDRICH, « Mythes, poésie et musique
(dans les grands mythes-poèmes) », op. cit., p. 113
1434 Pierre RENAULD, « Mallarmé et le mythe »,
Revue d'Histoire Littéraire de la France, 73e
Année, No. 1
(Jan. - Feb. 1973), p. 48
1435 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 386
449
francophone est mythopoétique1436, autrement
dit une fabrique de mythes, qui n'est autre que le caractère
sacré de la parole poétique. Cette poésie doit être
comprise ici comme un mécanisme de transposition
(réécriture, mention, allusion) intégrant, à la
fois, des formes discursives et des formes de pensée tout en incorporant
dans le texte des mythes archétypes ou actuels qui serviront à
façonner l'être humain moralement, spirituellement et
intellectuellement. Senghor argue que le mythe participe à une vision
ontologique :
Le mythe, lui, est un ensemble, une symbiose d'images
analogiques - de comparaisons, encore plus, de métaphores -,
liées par leurs qualités, je veux dire leurs sens, parce que
participent toutes à l'expression d'une vision intuitive :
ontologique1437.
L'apport des mythes dans la poésie est d'arriver
à l'expression, non pas la plus expressive, mais la plus parfaite, parce
que la plus humaine, qui plaise, à la fois, au coeur et à
l'oreille, afin de dire l'indicible d'une vision neuve de l'univers et d'une
création panhumaine. C'est la raison pour laquelle, il exige la
présence des mythes dans la poésie francophone ou que cette
poésie soit une fabrique de mythes. Autrement dit, il n'y a pas de
poésie francophone s'il n'y a pas d'absolue création de
mythes.
Léopold Sédar Senghor n'a pas
présenté les contours de la poésie francophone, parce que
cette poésie se nourrit de tous les apports poétiques venant de
tous les horizons du monde. Cependant, il nous en a fourni ses
caractéristiques, qui se résument en quatre : Une
poésie ontologique (poésie humaine), Une poésie
rythmique (la parole poétique), Une poésie symbolique
(l'utilisation de symboles et d'images analogiques), Une poésie
mythopoétique (dans le sens de fabrique de mythes). De ce fait,
nous disons que la poésie francophone est essentiellement symbolique, et
fondée sur le chant de la parole incantatoire, et construite sur
l'espoir de créer une Civilisation de l'Universel,
fédérant les traditions poétiques et culturelles
par-delà leurs différences. Elle est parole imagée, parole
sensible, voire sensuelle et concrète, parole musicale et rythmique dans
une harmonie, dans l'accord établi entre le symbole, la musique et le
mythe pour l'éducation et le bien-être de l'espèce humaine.
Ces quatre caractéristiques sont inhérentes à la
poésie francophone. Elles s'imbriquent les unes des autres,
1436 Véronique GÉLY, Pour une
mythopoétique : quelques propositions sur les rapports entre mythe et
fiction. Disponible sur
http://www.vox-poetica.org/sflgc/biblio/gely.html
(Consulté le 03/08/2018)
1437 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 390
450
et forment un tout indissociable créant ainsi un
langage si nouveau et agréable à l'ouïe. Elles en sont
l'empreinte indélébile. Cependant, elles sont laissées
à la portée du poète.
C'est le poète qui choisit ou qui détermine ce
qui doit être rythme, symbole, mythe dans sa poésie, et il ne doit
pas oublier que son objectif est l'homme. Ce qui est rythme, symbole ou mythe
dans la poésie senghorienne n'est pas le même chez Césaire
ou chez Alain Bosquet. Néanmoins, tous les poètes se rencontrent,
parce qu'ils font la même poésie qui se veut ontologique,
rythmique, symbolique et mythopoétique. En fait, la poésie
francophone use de la stupéfiante image dans un accord harmonieux du
rythme et de la mélodie tout en s'imprégnant du mythe. La verve
poétique francophone doit revêtir une fonction unificatrice,
créatrice, et de synthèse des traditions africaine et
européenne. Elle est identifiée à une vaste dynamique
d'éléments significatifs.
Le poète francophone, parce qu'il fait partie de la
société et héritier de plusieurs traditions
poétiques, est appelé, par son oeuvre, à parler au coeur
et aux sens (sensoriels et sensuels) de l'homme en lui apportant un
enrichissement émotionnel et spirituel tout en prenant en charge
l'Histoire du peuple. Il est celui qui doit faire danser également les
mots entre eux, faire chanter la phrase (vers ou verset) selon un rythme, les
redonner leurs sonorités et leur beauté en créant ou en
actualisant des mythes dans un langage poétique, qui doit aller vers
l'inconnu, rechercher l'inédit afin d'élargir la pensée et
la faire naître. Par son art, il doit être proche des dieux et des
hommes afin d'ouvrir les yeux de ses compatriotes sur le monde qui les entoure
pour qu'ils agissent. C'est le rôle du poète francophone, et la
caractéristique première de son art (la poésie
francophone). Ainsi, la poésie francophone, selon Senghor, est hautement
humaine.
Appréhender la poésie francophone reste encore
un sujet à caution et complexe. Nous avons, à travers la
poésie senghorienne, essayé de mettre à nu quelques
éléments définitionnels de cette poésie. Pour
Senghor, la poésie francophone est tributaire de plusieurs traditions
poétiques (littéraires) des pays qui font un usage habituel du
français sans être forcément de culture ou de
nationalité françaises, sans même les accepter. Elle est
élaborée par des individus qui veulent apporter leur expertise au
service d'une langue qui leur est en partage. Elle s'enracine également
dans la tradition poétique française du XVIe
siècle avec la Pléiade pour s'ouvrir aux autres traditions
poétiques, telles que la poésie traditionnelle
négro-africaine, antillaise. Elle est une poésie métisse,
et elle a pour précurseurs Mallarmé, Rimbaud,
451
Lautréamont, Claudel, Péguy, Baudelaire, Hugo,
Breton, Perse, et viennent Césaire, Damas et Senghor avec ses amis
Bosquet, Renard, Pierre Emmanuel et Édouard Maunick. Cette poésie
est la forme achevée et accomplie de la poésie française.
Elle est aussi une poésie universelle et humaniste, ouverte aux pollens
culturels de toutes les civilisations du monde au service du rayonnement de la
langue française, et soucieuse du sort de l'humanité. Elle doit
son existence à des origines et idéologies différentes.
Elle est également une poésie hétérogène,
composée d'éléments de natures différentes.
Pour répondre à la question qui nous est
posée, à savoir qu'est-ce que la poésie francophone, nous
disons qu'elle est tout simplement une poésie française
transmutée par sa rencontre avec d'autres cultures différentes de
la culture française. Ce qui implique l'idée de la
diversité dans l'unité. Cela veut dire que la poésie
francophone est la symbiose, voire la rencontre d'un ensemble
d'expériences, de concepts, d'univers culturels disparates et divers :
la Francité, la Négritude, la Créolisation, la
Créolité, la Littérature-monde, etc. Elle est le reflet de
l'unité poétique dans la diversité poétique. Le
dénominateur commun de ces différents concepts est la quête
inlassable d'une poétique universelle dans une langue française
qui ne cesse d'être fécondée par la création
personnelle des poètes, influencés eux-aussi par divers cultures.
Ce qui signifie que la poésie francophone est une poétique
universelle à la réalité diversifiée (contours
diversifiés) qui se veut un creuset poétique dans lequel on y
trouve des apports culturels de tous les horizons.
En parlant de la diversité, nous faisons allusion
à la capacité qu'a cette poésie de se nourrir des grandes
poétiques des siècles et des générations
passées tout en les restituant dans une nouvelle tradition
poétique qui se veut universelle, grâce au génie du
poète et à celui de la langue française qui ne cesse
d'être façonnée à la guise des poètes. La
poésie francophone devient ainsi le lieu de rencontre de tous les
poètes de langue française de tous les pays qui font usage du
français. Elle est un espace, espace d'expression de soi, d'accueil du
monde et de l'autre ; mieux, elle est dialogue interculturel. Elle se veut
également jeu de renvoi à d'autres textes en refusant tout
plagiat. La spécificité de cette poésie est d'être
un tout en un. En fait, elle est due à l'ambition des
négritudiens qui voulaient une poésie authentiquement
nègre sans qu'elle ne renonce pas, pour autant, à être
française. Elle est une poésie, à la fois, nègre et
française dont les bases furent jetées par Arthur Rimbaud au
travers de son oeuvre poétique Une saison à l'enfer.
Elle est également une poésie humaine, musicale, symbolique et
mythique.
L'élaboration de cette poésie doit mettre
l'accent sur le devenir de l'homme, le rythme, la mélodie, le symbole et
le mythe. Le poète francophone doit être un artisan de la parole
poétique, une parole enrichie de symboles et de mythes, et plaisante au
coeur et à l'oreille. Bien
452
que la poésie francophone soit une poésie
éducative et révolutionnaire, elle est aussi une combinaison de
sonorités, de rythmes, de mots dans le but d'évoquer des images,
d'exprimer des sensations, des émotions, des réflexions, des
visions, de créer une expérience sensorielle, sensuelle et
ontologique. Elle est une poésie didactique, lyrique, mythologique,
symbolique et ontologique. Elle est apte à produire quelque chose de
fondamentale, émouvante, et par conséquent, à
métamorphoser tout ce qu'elle atteint. Elle se veut parole, signe de
reconnaissance entre les êtres et les choses, qui ne sépare pas la
pensée de l'action, l'esprit de l'âme, ni celle-ci du corps. Le
but de cette poésie est de posséder la vérité dans
une âme et un corps. Elle est cette symbiose de l'âme et du corps,
cette greffe du verbe dans la chair et le sang.1438 Elle est une
poésie mystique. La poésie francophone est dite mystique, car
elle est susceptible d'établir un lien entre l'invisible et le visible.
Elle a donc une fonction de cacher en révélant. En effet, «
[c]acher n'est pas une fin en soi et contient, implique le fait de
révéler. La parole fonde ainsi l'initiation dans la
nécessité. »1439
En définissant la poésie, en montrant qu'elle
est unité dans la diversité, et en présentant ses
caractéristiques, nous sommes arrivé à la conclusion
qu'elle est une poésie hautement symbolique, parce qu'elle est tout
simplement une vision du monde. Elle ne se conçoit que dans la saisie
d'une vision ontologique, car elle engage tout l'homme et tout l'univers. Elle
exprime toute forme de vie intérieure à l'homme et toute forme de
vie extérieure à l'homme. En exploitant toutes les ressources de
la langue française, le poète francophone invente sans cesse et
chaque jour un nouveau langage accessible à tous les sens, où les
mots ont plus de sens et densité que dans leur usage habituel ;
où les mots sont des symboles, des images analogiques qui surgissent
sous l'effet du rythme de l'incantation, afin d'établir la communication
avec autrui, mais aussi de se libérer.
La poésie francophone serait une vraie poésie,
car elle fait référence à la création
poétique qui prend en compte les mythes ; au langage poétique
où parole, chant, musique s'identifient et se rencontrent ; à
l'homme, parce que le poète a une connaissance aiguë du monde et
des hommes pour créer un nouvel univers et pour forcer ses compatriotes
à réagir. Elle est une poésie métisse et pleinement
ontologique. Mieux, elle est une poésie « [...] qui se veut une
poésie en action, verbe agissant, libérateur ».1440
1438 Gaston BACHELARD, La poétique de l'espace,
op. cit., p. 13 (La poésie est une âme inaugurant une
forme).
1439 Cf. Dialogue sur la poésie francophone (op.
cit.), p. 389
1440 Bekir TAHAR, « Le poème digne et fraternel
», Cultures Sud. Poésie, grandes voix du sud, n° 164,
Paris, Janvier-Mars 2007, p. 9
453
La Francophonie dans son acceptation ne peut être qu'une
conception répondant à la problématique identitaire chez
Léopold Sédar Senghor. Il a toujours été question
d'identité chez lui avec le concept de Francophonie, car il fallait
exprimer et affirmer ce qu'il était réellement : métis
culturel. Pour mettre cela à nu, nous avons d'abord montré
l'existence d'une quête identitaire rhizomique, puis
révélé la volonté de se constituer une
identité, et pour finir, nous avons abordé la question même
de l'identité francophone. Une telle démarche nous a
forcément amené à nous interroger sur la poésie
francophone. Tels sont les points abordés dans cette dernière
partie du travail.
Pour élucider l'identité rhizomique chez
Senghor, nous avons fait appel à la thèse de l'ancêtre
portugais et des sangs mêlés. Il est ressorti que Senghor se
révèle être lui-même un mélange de
différentes influences sanguines, du fait qu'il soit un métis
biologique. En fait, il argue qu'il a, à la fois, des ancêtres
originaires d'Europe et d'Afrique. Son argumentaire est basé sur les
liens sanguinolents. Chez lui, le sang est l'élément palpable et
consubstantiel à l'identification de l'individu. Autrement, le sang est
la meilleure carte d'identité de l'individu. Il permet de
déterminer la filiation génétique et biologique de
l'individu, d'établir des relations parentales et des liens affectifs
entre des personnes de la même famille, et de produire un mélange
de race. L'identité rhizomique chez Senghor est un processus biologique
correspondant à la naissance d'une nouvelle identité mixte,
métisse. Cette identité mixte est basée sur une relation
consanguine. Au travers de l'identité rhizomique, Senghor justifie
par-là que l'identité d'une personne n'est pas unique, mais
plurielle, composée d'éléments divers parmi lesquels le
sang serait un composant indubitable.
Ayant découvert ses origines rhizomiques (des
ancêtres à la fois en Europe et en Afrique), il se voit être
au carrefour de deux cultures : la culture africaine et la culture
européenne. Il est de l'entre-deux. Pour exprimer sa propre
identité, il s'en constitue une, en procédant à
l'acculturation. Il se révèle également être un
mélange de différentes influences culturelles. Ce qui signifie
qu'il se dit être un métis culturel, car l'identité de
l'entre-deux est l'identité d'une personne métisse. Elle est
moitié-moitié. Autrement dit, Senghor se considère comme
le trait d'union entre la race blanche et la race noire. Avec l'identité
de l'entre-deux, il se présente comme celui qui unit deux mondes
antagonistes, et par ailleurs, affirme son appartenance à l'Afrique et
à l'Europe. Il enrichit les deux continents en ouvrant l'un aux
possibilités de l'autre. En fait, l'identité de l'entre-deux est
aussi l'identité d'une personne écartelée entre deux
cultures, deux langues, deux continents. Elle est également
l'identité
454
résignée ou refuge. Cependant, chez Senghor,
cette identité dépasse le cadre même de l'entre-deux,
puisqu'il s'agit pour lui de s'acculturer, de se construire une
identité. C'est cette identité que nous avons appelée
identité acculturée. Cette identité reflète la
situation d'une personne décomplexée qui assume sa situation de
l'entre-deux culturel en l'exprimant sans renier l'une ni l'autre. Il s'agit
d'exprimer une identité dans un accord harmonieux de plusieurs
éléments identitaires de différentes cultures en contact.
Dans le cas de Senghor, il est question d'exprimer sa situation de l'entre-deux
culturel, mieux de métis culturel. En d'autres termes, Senghor accepte
d'assumer son identité francophone. Cette identité francophone ne
se conçoit que dans la saisie des valeurs humanistes et culturelles de
la Francophonie.
Pour expliciter l'identité francophone, nous avons mis
en évidence l'identité humaniste et culturelle de Léopold
Sédar Senghor. L'humanisme en Francophonie est une conscience de soi en
tant qu'une personne qui vit les valeurs de la Négritude et de la
Francité pour soi, pour les autres et pour les faire vivre par les
autres tout en les actualisant au besoin avec l'apport de tout un chacun. Ce
qui signifie que la Francophonie est un projet permettant de façonner
l'homme. Autrement dit, être Francophone, c'est se soucier de l'homme,
être un humaniste.
L'identité humaniste du Francophone est une sorte
d'allocentrisme, une sorte de réponse à l'allophobie. Il s'agit
de vouloir rendre plus humain l'homme en commençant par l'acceptation
des différences tant au niveau de la religion, de la race, de l'ethnie,
de la politique que du sexe. C'est-à-dire, accepter l'autre dans sa
différence et dans sa diversité pour converger vers la
Civilisation de l'Universel, vers une société panhumaine. Le
Francophone doit manifester son amour pour l'humanité sur tous les
plans. Il doit se préoccuper du bien-être de l'homme dans tout ce
qu'il fait, mieux de sa communauté.
Le Francophone n'est pas seulement un humaniste, il est aussi
un homme de culture. Il a une identité culturelle, acquise par l'essence
de la conception senghorienne de la Francophonie. Cette identité n'est
pas à confondre avec l'identité de la culture, car la culture n'a
pas d'identité. En effet, elle est le substrat d'une identité
culturel. Cette identité culturelle est d'ailleurs le mythe personnel de
Senghor. D'ailleurs, il se définit comme un homme de culture, voire un
poète francophone. Le Francophone est toute personne appartenant ou se
considérant appartenir au moins à deux cultures d'au moins de
deux peuples dont la langue française enrichie par des particularismes
de ces cultures en dialogue est la langue nationale ou la langue de
communication. Mieux, le Francophone est ce métis biologique ou culturel
qui parle français fécondé par des apports linguistiques
d'autres aires culturelles et linguistiques, et qui assimile la culture de
l'autre sans pour autant renier sa propre culture.
455
L'identité francophone est une identité de
compromise. Elle est également le sentiment de se savoir proche de
l'autre, de se faire comprendre, entendre et échanger des idées,
se savoir accepter comme humain sans être taxer d'étranger. C'est
ce sentiment d'être uni en soi comme un être complet et d'affirmer
l'unité de son moi divisé auparavant, et de fraterniser avec de
milliers de personnes répandues à travers le monde par le biais
de la culture et de la langue.
Avec notre dernier chapitre, nous avions abordé la
poésie francophone. Il s'agissait de définir cette poésie
et de donner ses contours et ses caractéristiques voire de construire
une poétique de la poésie francophone au regard de Senghor. Il
est ressorti qu'il est difficile de délimiter cette poésie dans
la mesure où ses composantes sont multiples et diverses. Cependant, il
est à noter que cette poésie est élaborée par des
poètes de nationalités différentes qui veulent apporter
leur contribution à la poésie et à la langue
françaises. Raison pour laquelle, Senghor a dit que cette poésie
s'enracine dans la tradition poétique française pour s'ouvrir aux
autres traditions poétiques. Mieux, elle est avant tout une
poésie faite par des poètes de tempéraments
différents, et de diverses nationalités.
La poésie française, vers d'autres traditions
poétiques, va alors rencontrer la poésie traditionnelle
négro-africaine. Ce n'est pas seulement la poésie africaine
qu'elle rencontre, mais aussi la poésie antillaise, martiniquaise, et
bien d'autres poésies. Autrement dit, elle rencontre la
Négritude, la Créolisation, la Créolité, la
Littérature-monde. Cette poésie se conçoit dès lors
comme l'assemblage de différentes aires poétiques et culturelles,
chacune porteuse de ses spécificités, et participant à
l'édification d'un modèle francophone, voire d'un exotisme
francophone, dans le but d'une création d'une société
panhumaine. Cette poésie est conforme à la poésie
française. Elle se veut également une poésie universelle
qui ne soit pas organisée seulement à la française, mais
aussi, selon les tempéraments de chacun. Chaque poète francophone
doit être enraciné dans sa culture, et chanter les mêmes
substances et de manière identique, voire convergente. Ce que nous
retenons de la poésie francophone est le fait qu'elle soit une
poésie métisse et pleinement ontologique.
Au terme de notre argumentaire, nous pouvons dire que
l'identité francophone est complexe et ambivalente, voire plurielle.
Elle reflète la situation des personnes qui sont à la
croisée de plusieurs cultures : des personnes de l'entre-deux, des
personnes métisses, à la fois, biologiques et culturelles ; des
personnes qui font une comprise entre l'identité culturelle d'origine et
celle de leur pays d'accueil ; des personnes qui ont choisi d'écrire en
français ; des personnes solidaires qui ont choisi de partager les
mêmes passions avec d'autres personnes par le biais de la culture et de
la langue. N'oublions pas également que l'identité francophone
repose sur des valeurs d'ordre humaniste et culturel. Quant à la
poésie francophone, elle est
456
ontologique, rythmique, symbolique et mythopoétique ;
et elle porte l'empreinte d'une quête identitaire, parce qu'elle est
faite par des poètes qui sont à la croisée de deux ou
plusieurs cultures. En d'autres mots, elle hautement humaine.
457
CONCLUSION
Les différentes définitions et le manque de
théorie réelle en Francophonie autorisent les
interprétations diverses, et les usages les plus multiples, permettant,
ainsi, une méconnaissance de ce que devrait être exactement la
Francophonie. De nombreuses études ont tenté de la
légitimer, voire de la rendre plus explicite, sans vraiment convaincre.
Elle cherche à se doter d'un véritable fondement théorique
qui fera l'unanimité de tous ; et pourtant il continue d'exister un
désaccord chez les personnes censées être Francophones. Les
avis et les conceptions sont partagés. Il fallait de nouvelles pistes de
réflexions ou actualiser celles déjà faites pour mieux la
cerner. C'est dans cette logique que s'est inscrite notre étude dont le
thème est « La Francophonie et son expression dans la
poésie de Léopold Sédar Senghor ». Comme le
mentionne le thème de notre étude, il était question
d'observer comment la poésie de Senghor met en évidence le
concept de Francophonie. Mieux, il s'agissait d'étudier son
fonctionnement dans l'oeuvre de celui qui l'a plus plébiscitée.
Par ailleurs, il s'agissait, également, de savoir qui peut être
appelé Francophone, et, aussi, de définir les
caractéristiques de la poésie francophone.
Pour cela, il fallait avoir une définition exacte de la
Francophonie ou dire ce qu'elle représente vraiment depuis son emploi
premier par Onésime Reclus, en passant par la revue Esprit de
1962 et par Senghor pour arriver aux oeuvres poétiques de celui-ci. Nous
nous sommes dit qu'elles (les oeuvres poétiques) sont les mieux
placées pour mettre en lumière le concept de Francophonie. De ce
fait, nous sommes parti du constat, selon lequel le concept de Francophonie,
créé par Onésime Reclus fut réinventé par
Léopold Sédar Senghor pour en faire une vision humaniste, et un
concept de partage et d'échange culturel. Partant également de
l'hypothèse que Senghor renouvelle la Négritude en vue de forger
la Francophonie, comprise comme un instrument au service du dialogue
interculturel, nous avons décidé de mener la réflexion
autour de trois grands points, à savoir La Francophonie, un concept
sauvé de ses cendres ; La Francophonie dans la poésie de
Léopold Sédar Senghor ; et La francophonie, une
problématique identitaire chez Léopold Sédar
Senghor.
Dans la première partie, nous avons tenté de
comprendre le fonctionnement de la Francophonie chez Onésime Reclus,
dans la revue Esprit et sans oublier chez Léopold Sédar
Senghor. Nous avons montré qu'elle est un concept d'enracinement et
d'ouverture. Trois chapitres ont donc meublé cette partie.
Il est ressorti que la Francophonie, chez Onésime
Reclus, était la solution idoine au déclin de la langue
française dans le monde, et une communauté de colonies
françaises sur laquelle la France devrait compter pour le rayonnement et
l'universalité de sa langue, par le biais de l'assimilation des
colonies. Avec Onésime Reclus, la Francophonie était l'expression
de l'expansion française, c'est-à-dire de sa culture et de sa
langue.
458
Dans la revue Esprit, les auteurs manifestaient leur
volonté de construire une communauté culturelle, linguistique et
politique, incluant la France, le Canada et la Belgique ainsi que les anciennes
colonies françaises et belges, pour la défense et l'illustration
de la langue française, car cette langue n'était plus la
propriété exclusive de la France, mais de tous les pays, voire de
tous les peuples, qui en font usage quotidien.
Chez Senghor, elle n'était qu'un concept
résultant de la symbiose entre la Francité et la
Négritude, né sur les cendres de la Communauté
française, dont le but était de valoriser la fécondation
du français par les langues africaines ainsi que l'échange
fraternel entre les cultures. Ce qui signifie que la Francophonie chez lui est
la valorisation de la langue française, dans la diversité de ses
expériences et cultures qu'elle porte. Senghor va sauver la Francophonie
d'Onésime Reclus de ses cendres et la recarder selon sa vision de la
Civilisation de l'Universel. Par ce concept, Senghor appelle toutes les nations
qui font usage du français à réaliser la communauté
voulue par la revue Esprit.
De cette partie, nous retenons que la Francophonie, depuis son
origine reclusienne, était une invitation à l'enracinement et
à l'ouverture. Elle nous invite à avoir une base culturelle
solide chez soi pour mieux s'ouvrir à l'autre. Qu'elle soit
d'Onésime Reclus ou de la revue Esprit ou bien de Senghor, la
Francophonie était donc, à la fois, un concept et une
communauté de défense et d'illustration de la langue
française, voire un concept de métissage et de symbiose, et
complémentarité.
La deuxième partie a été le lieu de
déterminer les raisons plausibles qui ont fait basculer Senghor de la
Négritude à la Francophonie, mais surtout de cerner les
caractéristiques de la Francophonie dans la poésie senghorienne
afin de confirmer que celle-ci était le manifeste ou l'expression de la
Francophonie. Il a été, également, question de montrer que
la Francophonie est l'expression de la Civilisation de l'Universel. Trois
chapitres ont permis d'appréhender la Francophonie senghorienne.
Le choix senghorien de la Francophonie était non
seulement d'ordre historique, mais aussi personnel et culturel. Parce que la
France (l'Europe) et les autres pays où le français est
parlé (l'Afrique) ont une histoire commune, des impositions culturelles
propres, des modalités d'expression de leurs identités cousines,
ceux-ci ont décidé de se mettre ensemble. Mieux, parce qu'ils ont
eu le même type d'affirmation de ce qu'était la
réalité de leur identité, c'est-à-dire le
métissage, ils ont envisagé de former une communauté
culturelle de parlants français. La Francophonie est ainsi née.
Elle est une somme de liens tissés entre différents peuples,
librement acceptés par tous, au cours d'une rencontre historique, et qui
ont décidé de converger tous, ensemble, vers un même
idéal. Par la Francophonie, Senghor entendait concilier l'homme noir et
l'homme blanc dans une parfaite harmonie, parce que l'histoire l'a voulu
ainsi.
L'autre raison avancée par Senghor était d'ordre
personnel, et cela concernait la langue française. Bien que la langue
française soit une langue de clarté et de précision,
Senghor a voulu en faire une langue rationnelle et intuitive. Pour cela, il a
fallu qu'il introduisît des vocables de son terroir dans la langue
française. Nous avons appelé ce nouveau type de langue le
français africanisé, et il devrait être la langue des
francophones, puisqu'il est une langue non française non africaine,
459
mais les deux à la fois. Sur le plan culturel, la
Francophonie, voulue par Senghor, était cette Négritude
conciliable avec une hybridité culturelle qui fait des valeurs
spécifiques dont était porteur le peuple noir une alliance avec
les valeurs occidentales pour une donnée positive. Elle était une
version de la Négritude senghorienne qui s'était élargie
avec le temps au métissage des cultures par sa rencontre avec la
Francité, pour aboutir à la Civilisation de l'Universel. Cette
Civilisation de l'Universel est le fruit de l'union des civilisations africaine
et occidentale qui ont donné toutes leurs contributions afin que cette
civilisation se transmute en Francophonie. Pour cela, elle doit briser les
remparts de la différence, de la supériorité, les
frontières entre Nations, États et peuples pour n'établir
que l'égalité, la complémentarité, le rapprochement
et l'unité dans la diversité.
La Francophonie est le fait d'accepter la civilisation des
Blancs tout en l'adaptant aux réalités africaines. De ce fait,
nous pouvons dire que le choix de la Francophonie est dû au constat que
les Noirs (les Africains) peuvent apporter leur contribution à la
Civilisation de l'Universel. Cette contribution serait l'apport de leur rythme,
de leur chaleur émotionnelle, de leur culture et de leur intuition. Pour
construire la Civilisation de l'Universel, c'est-à-dire la Francophonie,
il faut à la raison discursive (la Francité) la contribution de
la raison intuitive (la Négritude). Le mélange de la
Francité et de la Négritude était souhaitable pour faire
advenir une humanité renouvelée, une civilisation panhumaine.
Nous notons aussi que Senghor a ressenti le besoin, au plus
profond de lui-même, de fonder une assemblée de tous les peuples
de la terre, voire de toutes les races ; une communauté à la fois
composite et homogène ; une communauté où tous les hommes
seront frères ; une communauté organisée et
structurée, en vue de défendre et d'illustrer une langue
française fécondée par les apports linguistiques divers
afin de la rendre plus universelle. Elle était le résultat d'une
histoire, celle de la France et ses colonies et protectorats ; de
l'idéal d'un homme, celui de Léopold Sédar Senghor ; d'une
symbiose culturelle et d'une langue métisse. En d'autres mots, la
Francophonie senghorienne désignait tous les locuteurs de la langue
française, qui en ont hérité par l'histoire, qui l'ont
choisi ou plus simplement l'aiment sans pour autant le maîtriser, et qui
l'enrichissent chaque jour de leurs apports linguistiques et culturels sur les
cinq continents, et qui ont décidé, également, de partager
ensemble des valeurs humanistes héritées de la Francité et
de la Négritude. La Francophonie senghorienne consiste à
s'enraciner dans les valeurs de la Négritude et de la Francité et
à s'ouvrir à d'autres valeurs par
complémentarité.
La dernière partie de la réflexion est
portée sur la question identitaire chez Léopold Sédar
Senghor et sur la poésie francophone. Pour répondre à nos
préoccupations dans cette partie, nous avons reparti l'analyse en quatre
chapitres.
Abordant la question identitaire chez Senghor, nous avons mis
en évidence son identité rhizomique, son identité
constituée et son identité francophone. Parlant de
l'identité rhizomique, nous avons mis au jour que le sang était
pour lui la meilleure preuve justificative de son identité. Par le sang,
il se trouvait être le descendant d'un ancêtre portugais.
Cependant, il reconnaissait avoir aussi du sang nègre dans ses veines.
Ce qui sous-entend qu'il était un sang-mêlé, autrement dit
un métis biologique. Par l'identité rhizomique, Senghor avouait
avoir une multiple identité. Pour cette raison,
460
il se devrait se constituer sa propre identité. C'est
ainsi, il fit l'expérience de l'identité de l'entre-deux, et
découvrit qu'il était à la fois écartelé
entre plusieurs cultures (sérère, peule, mandingue,
sénégalaise, africaine, portugaise, française,
européenne), entre la race blanche et la race noire. Il décida
d'assimiler les cultures qui l'écartelèrent, sans être
lui-même assimilé. Ce processus d'acculturation reflète la
situation d'une personne décomplexée et résignée
à accepter ce qu'elle est, et de vivre en elle ces cultures dans un
accord harmonieux. Ce processus convoque l'identité
acculturée.
Chez Senghor, l'identité acculturée ne pouvait
qu'être l'identité francophone, parce que le Francophone est ce
métis culturel qui exprime une identité dans un accord harmonieux
de plusieurs éléments identitaires de différentes cultures
en contact. Par contre, il estimait que l'identité francophone doit se
fonder sur deux valeurs, à savoir une valeur humaniste et une valeur
culturelle. En épinglant l'humanisme et la culture à
l'identité francophone, Senghor invitait les Francophones à
accepter l'autre et sa culture dans sa différence et dans sa
diversité pour converger tous, ensemble, vers la Civilisation de
l'Universel, vers une société panhumaine, faite des apports de
chaque locuteurs du français. Pour lui, l'identité francophone
est caractérisée par l'amour des hommes et par la culture. L'on
acquiert donc l'identité francophone lorsque l'on prend conscience que
cette identité est la volonté de faire concilier
l'ipséité et l'altérité chez soi dans la langue
française enrichie des apports linguistiques autres que français.
Mieux, le Francophone est aussi celui qui s'abreuve dans sa culture d'origine
et s'ouvre à la culture de l'autre. Il est celui qui est au service de
l'autre, de l'homme en vue de le rendre plus humain. N'oublions pas, cependant,
qu'il est également de l'entre-deux culturel. Chez Senghor, le
Francophone est à la fois celui qui enrichit la langue française
avec ses apports linguistiques, et qui parle une autre langue à
côté du français.
Léopold Sédar Senghor affirme sans complexe son
identité francophone, et qualifie sa poésie de poésie
francophone. D'où notre intérêt de mettre au jour les
caractéristiques de cette poésie. Cette poésie est
élaborée par des poètes qui veulent apporter leur
contribution à la langue et à la poésie françaises.
Elle est, selon Senghor, une poésie française accomplie et
intégrale, universelle, ouverte aux pollens culturels de toutes les
civilisations et aux différentes idéologies. Mieux, elle est une
poésie française enrichie par des apports divers de chaque usager
de la langue française. Elle a pour leitmotiv l'utilisation de la langue
et les références culturelles françaises
mêlées aux sujets historiques et éléments culturels,
autres que français. C'est pourquoi, Senghor affirme qu'elle est une
poésie nègre qui ne renonce pas d'être française.
Autrement dit, la poésie francophone est à la fois une
poésie nègre et une poésie française. Cette
conception de la poésie francophone a eu des précurseurs, et a
pris ses racines au 16ème siècle pour trouver
écho favorable chez Arthur Rimbaud, Charles Baudelaire avant d'avoir ses
lettres de noblesse chez les poètes négro-africains. Elle est
également une poésie métisse. Cette poésie aux
contours difficiles à déterminer, puisqu'elle est
traversée par des courants poétiques divers, se veut une
poésie hautement humaine, parce qu'elle concourt à rendre l'homme
intégralement humain.
Nous disons que la poésie francophone, selon la vision
senghorienne, est une poésie ontologique, symbolique, rythmique et
mythopoétique, et qu'elle porte le sceau d'une quête
461
identitaire, car elle est écrite par des personnes qui
sont à la croisée de deux cultures ou par des personnes
influencées culturellement. De ce fait, toutes les oeuvres
poétiques qui revendiquent un double héritage culturel, (dans le
cas de Senghor, la Négritude et la Francité), doivent se
comprendre comme relevant de la poésie francophone.
Pour mener à bien notre réflexion, nous avons
recouru à la psychocritique de Charles Mauron. Il s'agissait de relever
les faits et les relations issus de la personnalité inconsciente de
Léopold Sédar Senghor afin de mettre au jour les
éléments de réponse ou les motivations qui ont
préludé au concept de Francophonie. Nous avons utilisé,
par moment -tel n'a toujours pas été le cas dans cette
étude-, la théorie de la subjectivité de Catherine
Kerbrat-Orecchioni afin d'apporter des explications à notre analyse. Ces
deux méthodes sont en fait complémentaires. Elles ont permis de
rechercher les mécanismes scripturaux qui ont mis en évidence le
concept de Francophonie dans la poésie senghorienne, et de
déduire que Senghor a bel et bien tracé les grandes lignes de son
projet panhumain dans sa poésie.
Ce projet n'est rien d'autre que la Francophonie, l'expression
de deux grands humanismes, à savoir la Francité et la
Négritude. Nous avons, aussi, retenu que sa poésie est non
seulement une poésie de la Négritude, mais également de la
Francophonie. Elle est, chez lui, la réponse au problème
identitaire des locuteurs en situation de l'entre-deux culturel. Cette
Francophonie annihile toute frontière géolinguistique pour
devenir un élément unificateur des peuples et des nations de
diverses cultures et civilisations au service de la langue française.
Par ailleurs, la poésie francophone, loin d'être
une poésie faite par des auteurs non Français, est une
poésie française transmutée, une poésie intuitive,
rationnelle, métisse et hautement humaine. Ce qui fait cette
poésie et la Francophonie est la langue française
fécondée des particularismes linguistiques divers. Elle (la
langue française) appartient à tous ceux qui en font usage et qui
l'enrichissent de leurs apports et créations personnels sans
altérer sa logique et sa clarté. Cette langue partagée est
une langue intuitive et rationnelle (émotion et raison).La
psychocritique veut que l'on termine l'étude par la comparaison des
résultats obtenus à la biographie de l'auteur. Ce qui est
facultatif, puisque la vie de l'écrivain n'est relatée
qu'à titre de contrôle. Cependant, elle mérite d'être
abordée dans une telle étude. Nous avons dit que Senghor se
présente comme un Francophone (poète francophone). Cette image
est son mythe personnel. Elle est l'invariant qui structure toute sa
création poétique. En fait, le poète francophone est ce
métis culturel et linguistique, et dont sa poésie revendique ce
double héritage. En nous référant à la biographie
de Senghor, on constate qu'il est considère comme un poète,
écrivain et homme politique franco-sénégalais. D'ailleurs,
il obtint la nationalité française en 1933 afin de passer
l'agrégation de grammaire. Il est, également, élu, le 5
septembre 1960, Président de la République du
Sénégal. Par ailleurs, il est né au Sénégal
(Joal), le 9 octobre 1906, et est mort en France (Verson) le 20 décembre
2001. Devons-nous rappeler les fonctions occupées dans les
différents gouvernements français de 1955 à 1959. Il se
présente comme un poète africain et français. Il est aussi
un métis culturel et linguistique. Tout ceci permet d'affirmer que
Senghor est le parfait poète francophone, et par ailleurs confirme nos
résultats.
462
La Francophonie senghorienne, appelée la seconde
Francophonie, est née après la deuxième guerre mondiale
dans le contexte de la décolonisation et des jeunes nations
indépendantes. Elle se voulait le lien entre ces jeunes nations
indépendantes et la France dans une relation égalitaire et
fraternelle. Elle a mis cinquante ans, c'est-à-dire la moitié du
20ème siècle, à se construire et à
devenir une véritable communauté à la fois culturelle et
politique, et à se doter d'une organisation bien structurée.
Cependant, elle reste encore incomprise, surtout dans le contexte de la
mondialisation qui se confond à celui de la Civilisation de l'Universel.
Raison pour laquelle, nous avons interrogé ses oeuvres poétiques
pour mieux appréhender sa conception de la Francophonie afin de faire
lumière sur les apories de la poésie francophone. À partir
des résultats obtenus, nous affirmons de façon exacte que trois
idées-forces définissent la Francophonie senghorienne. Ce sont
la culture francophone (l'unité dans la diversité
culturelle), l'identité francophone (identité
métisse) et la Civilisation de l'Universel (la participation de
toutes les races, de tous les peuples et de toutes les civilisations à
la réalisation de l'être humain). En plus, nous disons que
l'écriture poétique senghorienne relève de la
poésie francophone. Ce qui sous-entend que la poésie senghorienne
confirme le concept de Francophonie, parce qu'elle est une poésie
métisse. Par ailleurs, il faut noter également qu'il y a eu trois
grands moments dans l'histoire de la Francophonie :
- 1880 (19ème siècle), ce fut la
Francophonie reclusienne. Elle était un concept géolinguistique,
- 1962 (20ème siècle), la Francophonie senghorienne.
Elle est définie à la fois comme une
communauté partageant des valeurs de liberté, de
solidarité, d'égalité, de diversité et de
dialogue ; et un concept (un idéal) humaniste et de
métissage,
- 2005 (21ème siècle/de nos jours),
cette Francophonie est dite la troisième francophonie. Elle est une
évolution progressive de la Francophonie senghorienne dans un contexte
de la mondialisation. Elle est aussi géolinguistique, institutionnelle,
militante et ouverte.
Un seul concept est dit, présenté,
développé et exfolié dans toute la production
poétique de Léopold Sédar Senghor. Un seul
intérêt domine son écriture : la Francophonie, son projet
panhumain ou la Civilisation de l'Universel. Ce projet hante sa plume,
malgré les formes variées de son expression. Il en est sans doute
son mythe personnel. Son projet était de voir tous les hommes des
frères égaux à l'aube du monde nouveau. Il nourrissait
depuis longtemps l'idée de rassembler tous les hommes de la terre, de
faire tous les hommes des frères. Et, sa poésie fut un artifice
du langage du concept de Négritude pour mettre au-devant de la
scène la Francophonie, son projet panhumain. La Francophonie est, ainsi,
un choix partagé, une histoire partagée et assumée, un
imaginaire et une passion communs. L'objectif de ce projet est de créer
une Civilisation de l'Universel en métissant les cultures
française et africaine. Autrement dit, il s'agissait pour lui de mettre
en avant la Civilisation de l'Universel en intégrant les deux grandes
cultures que sont la Négritude (symbiose, complémentarité
des valeurs de l'africanité et des valeurs de l'arabité) et la
Francité (complémentarité des valeurs de la
francité, de la belgité et de la québécité).
Il envisageait donc le métissage culturel, voire le métissage de
ces deux grandes cultures.
Le phénomène de métissage chez lui
revêt plusieurs aspects : biologique, culturel et linguistique. Il en est
centrifuge et centripète de ses oeuvres poétiques. Que l'on
s'éloigne de ses
463
oeuvres ou que l'on s'y rapproche, est-il toujours question de
métissage chez Senghor. Faute du métissage biologique au sein de
la Francophonie, il recommande à la communauté francophone le
métissage culturel et linguistique. L'idéal serait le
métissage biologique ; ceci n'est possible que si les peuples et les
races se rencontrent effectivement sans être obstrués par le
racisme et la xénophobie ou l'allophobie. La Francophonie doit
participer à la construction d'une nouvelle race et d'une nouvelle
civilisation (celles du métissage) faites de tous les apports de chaque
locuteur du français aussi divers que soient-ils.
Parler une même langue est un atout pour la
Francophonie, puisque la langue rassemble. Ce qui n'est pas le cas avec la
Francophonie (OIF). En fait, il n'y a pas de rassemblement véritable :
l'imposition des visas à tous les Francophones, surtout par la France,
et pourtant elle (la Francophonie - concept senghorien -) prétend rompre
les frontières entre les peuples et les nations. Pour la libre
circulation des biens et des Francophones ; pour le libre échange
culturel, artistique et intellectuel ; pour voyager librement dans l'espace
francophone sans visas ; pour prôner l'égalité, la
solidarité, l'unité, l'entente et la fraternité ; pour
former une véritable communauté d'esprit...; il faut, tout
simplement, revenir à la Francophonie conforme à l'esprit de
Senghor en l'actualisant dans le contexte de mondialisation afin de permettre
la réalisation effective du métissage biologique, culturel et
linguistique pour l'avènement du nouvel ordre panhumain : la
Civilisation de l'Universel. La Francophonie senghorienne brise et
élimine les frontières et « les murs racistes
» de nos coeurs, de nos esprits, de nos pays, nations et
États. Elle est une maison commune dans la diversité des peuples
ayant en commun et en partage la langue française enrichie par les
apports linguistiques de chaque Francophone.
Notre tâche n'a pas été facile. En effet,
la documentation a été le plus grand défi à
relever. Nous savons que Senghor est, du reste, le poète africain auquel
fut consacré le plus grand nombre d'articles, d'essais
littéraires et de thèses portant, à la fois, sur la
Négritude, la symbiose des cultures, le rythme, la musique, la
Civilisation de l'Universel, sa vie dans ses oeuvres poétiques et ses
divers écrits. Cependant, la Francophonie n'a véritablement pas
fait l'objet d'étude ou de recherche en tant que tel dans ses oeuvres
poétiques. Il nous était difficile d'avoir une documentation
littéraire et suffisante pour appréhender le concept de
Francophonie dans sa poésie, et de mener à bien la recherche.
Aussi, les informations sur Senghor rendaient notre tâche difficile. En
fait, il est arrivé que le travail psychocritique s'est laissé
guider par les informations disponibles sur Senghor, au lieu de faire un tri
pour travailler sur celle qui convenaient au cadre d'étude. Cela
s'explique du fait de vouloir tout dire sur la Francophonie et sur Senghor.
Cependant, nos attentes dans cette étude furent comblées, puisque
la psychocritique nous a permis de comprendre l'homme et sa conception de la
Francophonie.
Au cours de cette étude, nous avons remarqué que
la poésie senghorienne prône une relation entre l'Afrique et la
France. Nous avons étudié la Francophonie, ne pouvons-nous pas le
faire, également, pour la Françafrique ? Cela est simplement une
hypothèse. En fait, la Francophonie et la Françafrique sont deux
concepts différents ayant un dénominateur commun : la France,
à telle enseigne qu'elles sont souvent confondues dans leur
manière de fonctionner.
464
La Françafrique peut être définie comme
l'ensemble des relations, des mécanismes politiques, économiques,
militaires et culturels de la France avec l'Afrique. L'économiste
Français François-Xavier Verschave, avec son livre La
Françafrique. Le plus long scandale de la République, est
celui qui a forgé le mot en parodiant l'expression France-Afrique
de Félix Houphouët Boigny, en 1955, alors ministre de
gouvernement français. L'expression France-Afrique fut
employée pour qualifier la mission civilisatrice de la France et le
souhait des pays africains de conserver des relations étroites et
privilégiées avec la France. Elle a été
créée en réponse au terme soit Eurafrique, soit
Francophonie de Léopold Sédar Senghor. La
Françafrique de François-Xavier Verschave possède comme la
Francophonie un volet économique, un volet politique et un volet
culturel. Le volet militaire le différencie d'avec la Francophonie. Au
travers de la Francophonie et de la Françafrique, la France compte sur
l'Afrique et ses ex-colonies pour bien véhiculer sa culture, sa langue
ainsi que sa civilisation, mais surtout préserver ses
intérêts économiques.
Cependant, la Francophonie, qui devrait rassembler, sert avant
tout les intérêts de la France. En effet, elle est pour la France
une stratégie politique pour éviter l'uniformisation et
l'hégémonie de l'anglais dans le monde, et pour demeurer une
puissance culturelle. N'est-ce pas ce qui explique, peut-être, la
présence des pays dont la langue française n'est point la langue
officielle ou co-officielle à l'Organisation International de la
Francophonie (OIF) ?
Il s'avère nécessaire d'entreprendre une
étude approfondie, voire une étude comparatiste afin de mettre au
jour les réalités stratégiques de la Francophonie et de la
Françafrique pour savoir si la Francophonie est une rhétorique de
la Françafrique. On pourra étudier la Françafrique, en
tant que concept, dans les oeuvres poétiques de Léopold
Sédar Senghor afin de comprendre son fonctionnement ou sa
dénonciation. On peut aussi chercher à savoir ce qu'implique chez
Senghor l'Eurafrique, mieux s'il ne s'agit pas d'un avatar de la Francophonie.
Dans tous les cas, il est temps de faire une nette distinction entre la
Francophonie et la Françafrique afin de mettre fin au débat sur
la Francophonie. La Francophonie, quant à elle, a sa carte de jeu
à jouer.
Pour représenter un avenir commun, et une
communauté d'esprit, la Francophonie devrait plutôt contribuer
à démanteler le système mis en place par la politique
française, au lieu d'être l'instrument qui sert à
paupériser les anciennes colonies ou à diviser. Il va de
l'intérêt de la France à y jouer un franc jeu au sein de la
Francophonie (OIF) en collaborant franchement et sincèrement, car nous
sommes à l'ère des changements sur tous les plans :
mentalité, intellectuel, social, politique, technologique, scientifique,
climatique...
Il est aussi intéressant d'appréhender le
panafricanisme dans la poésie senghorienne. Le panafricanisme est
l'expression de la solidarité entre les peuples africains et d'origine
africaine, et la volonté d'assumer la liberté du continent
africain et son développement à l'égal des autres parties
du monde. De cette définition du panafricanisme, peut-on dire que la
poésie de Senghor s'inscrit dans la logique panafricaine ? Autrement
dit, comment Senghor, en disant choisir le peuple noir et toute la race
paysanne par le monde, s'inscrit dans le dynamisme du panafricanisme ? Quel
rapport existe-il entre la négritude et le panafricanisme ?
465
On ne peut pas prétendre avoir épuisé
tout le contenu des oeuvres poétiques de Senghor, puisqu'elles suscitent
encore beaucoup de questions. Les différentes propositions faites ou les
différentes questions posées dans cette conclusion ne sont que
des pistes de réflexions pour une éventuelle étude sur la
poésie de Léopold Sédar Senghor. Comme, on le voit, le
travail mené dans cette thèse porte pour une bonne part sur la
Francophonie senghorienne, et il consistait à comprendre comment Senghor
a orienté le concept qu'il a récupéré chez
Onésime Reclus dans sa poésie afin de mieux définir la
poésie francophone et d'avoir une idée claire de ce qu'implique
réellement le concept de Francophonie. De ces nombreuses questions que
l'on peut se posées, notre étude n'a fait que répondre
à la question, relative à la Francophonie senghorienne, avec des
méthodes qui nous ont semblé adéquats pour les
perspectives vers lesquelles nous avons souhaité orienter notre
réflexion. Cependant, nous sommes conscient qu'il y a des questions qui
n'ont pas été vraiment abordées dans le cadre d'une
étude scientifique et universitaire, et qui attendent des
réponses.
466
ANNEXES
I- Annexe 1
Charte de la Francophonie
adoptée par la Conférence
ministérielle de la Francophonie (Tananarive, le 23 novembre
2005)
Préambule
La Francophonie doit tenir compte des mutations historiques et
des grandes évolutions politiques, économiques, technologiques et
culturelles qui marquent le XXIe siècle pour affirmer sa
présence et son utilité dans un monde respectueux de la
diversité culturelle et linguistique, dans lequel la langue
française et les valeurs universelles se développent et
contribuent à une action multilatérale originale et à la
formation d'une communauté internationale solidaire.
La langue française constitue aujourd'hui un
précieux héritage commun qui fonde le socle de la Francophonie,
ensemble pluriel et divers. Elle est aussi un moyen d'accès à la
modernité, un
outil de communication, de réflexion et de création
qui favorise l'échange d'expériences.
Cette histoire, grâce à laquelle le monde qui
partage la langue française existe et se développe, est
portée par la vision des chefs d'État et de gouvernement et par
les nombreux militants de la cause francophone et les multiples organisations
privées et publiques qui, depuis longtemps, oeuvrent pour le rayonnement
de la langue française, le dialogue des cultures et la culture du
dialogue.
Elle a aussi été portée par l'Agence de
coopération culturelle et technique, seule organisation
intergouvernementale de la Francophonie issue de la Convention de Niamey en
1970, devenue l'Agence de la Francophonie après la révision de sa
charte à Hanoi, en 1997.
Afin de donner à la Francophonie sa pleine dimension
politique, les chefs d'État et de gouvernement, comme ils en avaient
décidé à Cotonou en 1995, ont élu un
Secrétaire général, clé de voûte du
système institutionnel francophone, de même que la
Conférence ministérielle, en 1998 à Bucarest, a pris acte
de la décision du Conseil permanent d'adopter l'appellation «
Organisation internationale de la Francophonie ».
À Ouagadougou, en 2004, réunis en Xe
Sommet, les chefs d'État et de gouvernement ont approuvé les
nouvelles missions stratégiques de la Francophonie et ont pris la
décision de parachever la réforme institutionnelle afin de mieux
fonder la personnalité juridique de l'Organisation internationale de la
Francophonie et de préciser le cadre d'exercice des attributions du
Secrétaire général.
Tel est l'objet de la présente Charte, qui donne
à l'ACCT devenue Agence de la Francophonie, l'appellation d'Organisation
internationale de la Francophonie.
Titre I : Des objectifs
Article 1 : Objectifs
La Francophonie, consciente des liens que crée entre
ses membres le partage de la langue française et des valeurs
universelles, et souhaitant les utiliser au service de la paix, de la
467
coopération, de la solidarité et du
développement durable, a pour objectifs d'aider : à
l'instauration et au développement de la démocratie, à la
prévention, à la gestion et au règlement des conflits, et
au soutien à l'État de droit et aux droits de l'Homme ; à
l'intensification du dialogue des cultures et des civilisations ; au
rapprochement des peuples par leur connaissance mutuelle ; au renforcement de
leur solidarité par des actions de coopération
multilatérale en vue de favoriser l'essor de leurs économies ;
à la promotion de l'éducation et de la formation. Le Sommet peut
assigner d'autres objectifs à la Francophonie.
La Francophonie respecte la souveraineté des
États, leurs langues et leurs cultures. Elle observe la plus stricte
neutralité dans les questions de politique intérieure.
Les institutions de la présente Charte concourent, pour
ce qui les concerne, à la réalisation de ces objectifs et au
respect de ces principes.
Titre II : De l'organisation institutionnelle
Article 2 : Institutions et opérateurs
Les institutions de la Francophonie sont :
1. Les instances de la Francophonie :
- La Conférence des chefs d'État et de
gouvernement des pays ayant le français en partage, ci-après
appelée le « Sommet » ;
- La Conférence ministérielle de la
Francophonie, ci-après appelée «Conférence
ministérielle» ; - Le Conseil permanent de la Francophonie,
ci-après appelé « Conseil permanent ».
2. Le Secrétaire général de la
Francophonie.
3. L'Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
4. L'Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF),
qui est l'Assemblée consultative de la Francophonie.
5. Les opérateurs directs et reconnus du Sommet, qui
concourent, dans les domaines de leurs compétences, aux objectifs de
la Francophonie tels que définis dans la présente Charte :
- l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF) ;
- TV5, la télévision internationale francophone
;
- l'Université Senghor d'Alexandrie ;
- l'Association internationale des maires et responsables des
capitales et des métropoles
partiellement ou entièrement francophones (AIMF).
5. Les Conférences ministérielles permanentes :
la Conférence des ministres de l'Éducation des pays ayant le
français en partage (Confémen) et la Conférence des
ministres de la Jeunesse et des Sports des pays ayant le français en
partage
(Conféjes).
Article 3 : Sommet
Le Sommet, instance suprême de la Francophonie, se compose
des chefs d'État et de gouvernement des pays ayant le français en
partage. Il se réunit tous les deux ans.
Il est présidé par le chef d'État ou de
gouvernement du pays hôte du Sommet jusqu'au Sommet suivant.
Il statue sur l'admission de nouveaux membres de plein droit, de
membres associés et de membres observateurs à l'OIF.
468
Il définit les orientations de la Francophonie de
manière à assurer son rayonnement dans le monde.
Il adopte toute résolution qu'il juge nécessaire
au bon fonctionnement de la Francophonie et à la réalisation de
ses objectifs.
Il élit le Secrétaire général,
conformément aux dispositions de l'article 6 de la présente
Charte. Article 4 : Conférence ministérielle
La Conférence ministérielle se compose de tous
les membres du Sommet. Chaque membre est représenté par le
ministre des Affaires étrangères ou le ministre chargé de
la Francophonie, ou son délégué. Le Secrétaire
général de la Francophonie siège de droit à la
Conférence ministérielle, sans prendre part au vote.
La Conférence ministérielle est
présidée par le ministre des Affaires étrangères ou
le ministre chargé de la Francophonie du pays hôte du Sommet, un
an avant et un an après celui-ci.
La Conférence ministérielle se prononce sur les
grands axes de l'action multilatérale francophone (FMU).
La Conférence ministérielle prépare le
Sommet. Elle veille à l'exécution des décisions
arrêtées par le Sommet et prend toutes initiatives à cet
effet. Elle adopte le budget et les rapports financiers de l'OIF ainsi que la
répartition du Fonds multilatéral unique.
La Conférence ministérielle nomme le Commissaire
aux comptes de l'OIF et du FMU. Sur saisine d'un État membre ou d'un
gouvernement participant, la Conférence ministérielle demande au
Secrétaire général de fournir toute information concernant
l'utilisation du Fonds. La Conférence ministérielle
définit les conditions dans lesquelles les commissaires aux comptes des
opérateurs sont appelés à coopérer avec le
Commissaire aux comptes de l'OIF et du FMU.
La Conférence ministérielle recommande au Sommet
l'admission de nouveaux membres et de nouveaux membres associés ou
observateurs, ainsi que la nature de leurs droits et obligations.
La Conférence ministérielle fixe les barèmes
des contributions statutaires à l'OIF. La Conférence
ministérielle peut décider de déplacer le siège de
l'OIF.
La Conférence ministérielle nomme les
liquidateurs.
La Conférence ministérielle crée tout
organe subsidiaire nécessaire au bon fonctionnement de l'OIF.
Les modalités de fonctionnement de la Conférence
ministérielle sont précisées dans son Règlement
intérieur.
Article 5 : Conseil permanent de la Francophonie
Le Conseil permanent est l'instance chargée de la
préparation et du suivi du Sommet, sous l'autorité de la
Conférence ministérielle.
Le Conseil permanent est composé des
représentants personnels dûment accrédités par les
chefs d'États ou de gouvernements membres du Sommet.
Le Conseil permanent est présidé par le
Secrétaire général de la Francophonie. Il se prononce sur
ses propositions et le soutient dans l'exercice de ses fonctions.
469
Le Conseil permanent de la Francophonie a pour missions :
- de veiller à l'exécution des décisions
prises par la Conférence ministérielle ;
- d'examiner les propositions de répartition du FMU ainsi
que l'exécution des décisions
d'affectation ;
- d'examiner les rapports financiers et les prévisions
budgétaires de l'OIF ;
- d'examiner et d'adopter l'ordre du jour provisoire des
réunions de la Conférence
ministérielle ;
- de faire rapport à la Conférence
ministérielle sur l'instruction des demandes d'adhésion ou de
modification de statut ;
- d'exercer son rôle d'animateur, de coordonnateur et
d'arbitre. Il dispose à cet effet des commissions suivantes : la
commission politique, la commission économique, la
commission de coopération et de programmation, et la commission
administrative et financière. Ces commissions sont
présidées par un représentant d'un État ou d'un
gouvernement membre, qu'il désigne sur proposition de la commission
concernée ;
- d'adopter le statut du personnel et le règlement
financier ;
- d'examiner et d'approuver les projets de programmation ;
- de procéder aux évaluations des programmes des
opérateurs ;
- de nommer le Contrôleur financier ;
- de remplir toute autre mission que lui confie la
Conférence ministérielle.
En tant que de besoin, le Secrétaire général
réunit le Conseil permanent.
Les modalités de fonctionnement du Conseil permanent
sont fixées par son Règlement intérieur.
Article 6 : Secrétaire général
Le Secrétaire général de la Francophonie
préside le Conseil de coopération. Il est
représenté dans les instances des opérateurs. Il dirige
l'Organisation internationale de la Francophonie.
Le Secrétaire général est élu pour
quatre ans par les chefs d'État et de gouvernement. Son mandat peut
être renouvelé. Il est placé sous l'autorité des
instances.
Le statut du Secrétaire général a un
caractère international. Le Secrétaire général ne
demande ni ne reçoit d'instructions ou d'émoluments d'aucun
gouvernement ni d'aucune autorité extérieure.
Il est responsable du Secrétariat de toutes les
instances de la Francophonie, aux sessions desquelles il assiste.
Il préside le Conseil permanent, dont il prépare
l'ordre du jour. Il ne prend pas part au vote. Il veille à la mise en
oeuvre des mesures adoptées, dont il rend compte.
Le Secrétaire général est le
représentant légal de l'OIF. À ce titre, il engage
l'Organisation et signe les accords internationaux. Il peut
déléguer ses pouvoirs.
Le Secrétaire général rend compte au Sommet
de l'exécution de son mandat.
Le Secrétaire général nomme le personnel
et ordonne les dépenses. Il est responsable de l'administration et du
budget de l'OIF dont il peut déléguer la gestion.
Le Secrétaire général est chargé
de l'organisation et du suivi des conférences ministérielles
sectorielles décidées par le Sommet.
Article 7 : Fonctions politiques
Le Secrétaire général conduit l'action
politique de la Francophonie, dont il est le porteparole et le
représentant officiel au niveau international.
470
Il exerce ses prérogatives dans le respect de celles du
président en exercice du Sommet et du président de la
Conférence ministérielle.
Le Secrétaire général se tient
informé en permanence de l'état des pratiques de la
démocratie, des droits et des libertés dans l'espace
francophone.
En cas d'urgence, le Secrétaire général
saisit le Conseil permanent et, compte tenu de la gravité des
événements, le président de la Conférence
ministérielle, des situations de crise ou de conflit dans lesquelles des
membres peuvent être ou sont impliqués. Il propose les mesures
spécifiques pour leur prévention, leur gestion et leur
règlement, éventuellement en collaboration avec d'autres
organisations internationales.
Article 8 : Fonctions en matière de
coopération
Le Secrétaire général propose aux
instances, conformément aux orientations du Sommet, les axes
prioritaires de l'action francophone multilatérale. Il le fait en
concertation avec les opérateurs.
Il propose la répartition du FMU et il ordonne les
décisions budgétaires et financières qui y sont
relatives.
Le Secrétaire général est responsable de
l'animation de la coopération multilatérale francophone
financée par le FMU.
Dans l'accomplissement de ces fonctions, il nomme,
après consultation du CPF, un Administrateur
chargé d'exécuter, d'animer et de gérer la
coopération intergouvernementale multilatérale, ainsi que
d'assurer, sous son autorité, la gestion des affaires administratives et
financières. L'Administrateur propose au Secrétaire
général les programmes de coopération de l'OIF qui sont
définis dans le cadre des décisions du Sommet. Il est
chargé de leur mise en oeuvre. Il participe aux travaux des instances.
Il contribue à la préparation de la Conférence des
organisations internationales non gouvernementales, ainsi qu'à
l'organisation et au suivi des conférences ministérielles
sectorielles décidées par le Sommet et confiées à
l'OIF. L'Administrateur est nommé pour quatre ans et sa mission peut
être renouvelée. Il exerce ses fonctions par
délégation du Secrétaire général.
Le Secrétaire général évalue
l'action de coopération intergouvernementale francophone, telle que
décidée. Il veille à l'harmonisation des programmes et des
actions de l'ensemble des opérateurs directs reconnus.
À cette fin, il préside un Conseil de
coopération, qui réunit l'Administrateur de l'OIF, les
responsables des opérateurs ainsi que de l'APF. Il exerce ces fonctions
avec impartialité, objectivité et équité. Le
Conseil de coopération assure, de manière permanente, la
cohérence, la complémentarité et la synergie des
programmes de coopération des opérateurs.
Article 9 : Organisation internationale de la
Francophonie
L'Agence de coopération culturelle et technique
créée par la Convention de Niamey du
20 mars 1970 et devenue l'Agence de la Francophonie, prend
l'appellation « Organisation internationale de la Francophonie ».
L'Organisation internationale de la Francophonie est une
personne morale de droit international public et possède la
personnalité juridique.
L'OIF peut contracter, acquérir, aliéner tous
biens mobiliers et immobiliers, ester en justice ainsi que recevoir des dons,
legs et subventions des gouvernements, des institutions publiques ou
privées, ou des particuliers.
471
Elle est le siège juridique et administratif des
attributions du Secrétaire général.
L'OIF remplit toutes tâches d'étude,
d'information, de coordination et d'action. Elle est habilitée à
faire tout acte nécessaire à la poursuite de ses objectifs.
L'OIF collabore avec les diverses organisations
internationales et régionales sur la base des principes et des formes de
coopération multilatérale reconnus.
L'ensemble du personnel de l'OIF est régi par son
propre statut et règlement du personnel, dans le respect du
règlement financier. Le statut du personnel a un caractère
international.
Le siège de l'Organisation internationale de la
Francophonie est fixé à Paris.
Article 10 : États et gouvernements membres,
membres associés et observateurs
Les États parties à la Convention de Niamey sont
membres de l'OIF. En outre, la présente Charte ne porte pas
préjudice aux situations existantes en ce qui concerne la participation
d'États et de gouvernements tant aux instances de l'Organisation
internationale de la Francophonie qu'aux instances de l'Agence de la
Francophonie.
Tout État qui n'est pas devenu partie à la
Convention dans les conditions prévues aux articles 4 et 5 de celle-ci,
devient membre de l'OIF s'il a été admis à participer au
Sommet.
Dans le plein respect de la souveraineté et de la
compétence internationale des États membres, tout gouvernement
peut être admis comme gouvernement participant aux institutions, aux
activités et aux programmes de l'OIF, sous réserve de
l'approbation de l'État membre dont relève le territoire sur
lequel le gouvernement participant concerné exerce son autorité,
et selon les modalités convenues entre ce gouvernement et celui de
l'État membre.
La nature et l'étendue des droits et obligations des
membres, des membres associés et des observateurs sont
déterminées par le texte portant statut et modalités
d'adhésion.
Tout membre peut se retirer de l'OIF en avisant le
gouvernement du pays qui exerce la présidence du Sommet ou le
gouvernement du pays où est fixé le siège de l'OIF, au
moins six mois avant la plus proche réunion du Sommet. Le retrait prend
effet à l'expiration du délai de six mois suivant cette
notification.
Toutefois, le membre concerné demeure tenu d'acquitter
le montant total des contributions dont il est redevable.
Article 11 : Représentations permanentes de
l'OIF
Sur proposition du Secrétaire général, la
Conférence ministérielle peut établir des
représentations dans les diverses régions géographiques de
l'espace francophone et auprès d'institutions internationales, et
décider de manière équilibrée du lieu, de la
composition, ainsi que des fonctions et du mode de financement de ces
représentations.
Titre III : Des dispositions diverses
Article 12 : De la Conférence des organisations
internationales non gouvernementales et des organisations de la
société civile
Tous les deux ans, le Secrétaire général
de la Francophonie convoque une conférence des organisations
internationales non gouvernementales, conformément aux directives
adoptées par la Conférence ministérielle.
472
Article 13 : Langue
La langue officielle et de travail des institutions et
opérateurs de la Francophonie est le français. Article
14 : Interprétation de la Charte
Toute décision relative à l'interprétation
de la présente Charte est prise par la Conférence
ministérielle de la Francophonie.
Article 15 : Révision de la
Charte
La Conférence ministérielle a compétence
pour amender la présente Charte.
Le gouvernement de l'État sur le territoire duquel est
fixé le siège de l'OIF notifie à tous les membres ainsi
qu'au Secrétaire général toute révision
apportée à la présente Charte.
Article 16 : Dissolution
L'OIF est dissoute :
- soit si toutes les parties à la Convention,
éventuellement sauf une, ont dénoncé celle-ci ;
- soit si la Conférence ministérielle de la
Francophonie en décide la dissolution.
En cas de dissolution, l'OIF n'a d'existence qu'aux fins de sa
liquidation et ses affaires sont liquidées par des liquidateurs,
nommés conformément à l'article 4, qui procéderont
à la réalisation de l'actif de l'OIF et à l'extinction de
son passif. Le solde actif ou passif sera réparti au prorata des
contributions respectives.
Article 17 : Entrée en vigueur
La présente Charte prend effet à partir de son
adoption par la Conférence ministérielle de la Francophonie.
II- Annexe 2
473
XVIe Conférence des chefs
d'État et de gouvernement des pays ayant le français en
partage
Antananarivo (Madagascar), les 26 et 27 novembre 2016
Liste des 84 États et gouvernements membres de plein
droit, membres associés et observateurs de l'Organisation
internationale de la Francophonie
54 membres de plein droit
·
|
Albanie
|
·
|
Côte d'Ivoire
|
·
|
Maurice
|
·
|
Andorre
|
·
|
Djibouti
|
·
|
Mauritanie
|
·
|
Arménie
|
·
|
Dominique
|
·
|
Moldavie
|
·
|
Belgique
|
·
|
Égypte
|
·
|
Monaco
|
·
|
Bénin
|
·
|
ERY de Macédoine
|
·
|
Niger
|
·
|
Bulgarie
|
·
|
France
|
·
|
Roumanie
|
·
|
Burkina Faso
|
·
|
Gabon
|
·
|
Rwanda
|
·
|
Burundi
|
·
|
Grèce
|
·
|
Sainte-Lucie
|
·
|
Cabo Verde
|
·
|
Guinée
|
·
|
Sao Tomé-et-Principe
|
·
|
Cambodge
|
·
|
Guinée-Bissau
|
·
|
Sénégal
|
·
|
Cameroun
|
·
|
Guinée équatoriale
|
·
|
Seychelles
|
·
|
Canada
|
·
|
Haïti
|
·
|
Suisse
|
·
|
Canada/Nouveau-Brunswick
|
·
|
Laos
|
·
|
Tchad
|
·
|
Canada/Québec
|
·
|
Liban
|
·
|
Togo
|
·
|
Centrafrique
|
·
|
Luxembourg
|
·
|
Tunisie
|
·
|
Comores
|
·
|
Madagascar
|
·
|
Vanuatu
|
·
|
Congo
|
·
|
Mali
|
·
|
Vietnam
|
·
|
Congo (RD)
|
·
|
Maroc
|
·
|
Fédération Wallonie-
|
Bruxelles
4 membres associés
Chypre Ghana Qatar Nouvelle-Calédonie
26 observateurs
Argentine Estonie Pologne
Autriche Géorgie Serbie
Bosnie-Herzégovine Hongrie Slovaquie
Canada-Ontario Kosovo Slovénie
Corée du Sud Lettonie République tchèque
Costa Rica Lituanie Thaïlande
Croatie Mexique Ukraine
République dominicaine Monténégro Uruguay
Émirats arabes unis Mozambique
Direction de la communication et des instances de la Francophonie
http://www.francophonie.org
NB : Au XVIIe sommet à
Erevan (Arménie), l'OIF compte 88 États membres.
474
III- Annexe 3
STATUTS ET MODALITÉS D'ADHÉSION
À LA CONFÉRENCE DES CHEFS D'ÉTAT ET
DE GOUVERNEMENT DES PAYS
AYANT LE FRANÇAIS EN PARTAGE
adoptés par le IXe Sommet de la Francophonie
(Beyrouth, 18-20 octobre 2002) amendés
par le XIe Sommet de la Francophonie (Bucarest, 28-29
septembre 2006)
Le présent document portant « statuts et
modalités d'adhésion à la Conférence des chefs
d'État et de gouvernement des pays ayant le français en partage
», adopté par le Sommet de Beyrouth le 20 octobre 2002, se
substitue au document issu des travaux du Sommet de Cotonou et amendé au
Sommet de Hanoi. Il intègre les modifications adoptées par le
XIe Sommet de la Francophonie, tenu à Bucarest les 28 et 29
septembre 2006.
Chapitre I : STATUTS
A. Statut de Membre de plein droit
Les membres de plein droit participent pleinement à
l'ensemble des instances de la Francophonie, soit :
- Sommet de la Francophonie ;
- Conférence ministérielle de la Francophonie ;
- Conseil permanent de la Francophonie. Ils participent également aux
:
- Conférences ministérielles sectorielles de la
Francophonie ;
- Commissions du Conseil permanent de la Francophonie
(Commission politique, Commission économique, Commission de
coopération et de programmation, Commission administrative et
financière).
Les membres de plein droit sont seuls admis :
- à présenter des candidatures aux postes à
pourvoir dans les institutions de la Francophonie ;
- à se porter candidats pour accueillir les
réunions des instances (Sommet, Conférence
ministérielle
de la Francophonie et Conseil permanent de la Francophonie) ; -
à prendre part à un vote au sein des instances mentionnées
ci-dessus.
Les membres de plein droit s'acquittent obligatoirement d'une
contribution statutaire dont le montant est fixé par la
Conférence ministérielle. Ils contribuent volontairement au
financement de la coopération francophone dans le cadre du Fonds
multilatéral unique (FMU).
B. Statut de Membre associé
Les membres associés assistent aux instances suivantes
:
- au Sommet sans intervenir dans les débats ; toutefois,
après accord de la présidence, ils peuvent
présenter une communication ;
- à la Conférence ministérielle de la
Francophonie, dans les mêmes conditions.
Ils siègent à la table de façon
distincte.
Ils n`assistent pas aux séances à huis clos de ces
instances.
Les membres associés participent :
- au Conseil permanent de la Francophonie et à ses
commissions avec voix délibérative.
Ils ne participent ni n`assistent aux séances à
huis clos du CPF.
Les membres associés peuvent être invités
à participer aux autres manifestations de la
Francophonie : conférences ministérielles
sectorielles, colloques, réunions d`experts, etc.
Les membres associés reçoivent l`information et la
documentation non confidentielles diffusées par
le Secrétariat.
Les membres associés s'acquittent obligatoirement d'une
contribution statutaire dont le montant est
fixé par la Conférence ministérielle. Ils
sont appelés à contribuer volontairement au financement du
Fonds multilatéral unique (FMU).
Ils ne peuvent pas se porter candidats pour accueillir les
réunions des instances de la Francophonie
(Sommet, Conférence ministérielle de la
Francophonie et Conseil permanent de la Francophonie).
475
L`accès au statut de membre associé
répond à des conditions strictes. Il est réservé
à des États et des gouvernements pour lesquels le français
est d`ores et déjà l`une des langues officielles ou d`un usage
habituel et courant, et qui partagent les valeurs de la Francophonie.
C. Statut d'Observateur
Les observateurs assistent aux instances suivantes :
- au Sommet, sans intervenir dans les débats ;
- à la Conférence ministérielle, dans
les mêmes conditions. Ils peuvent toutefois, après accord de la
présidence, présenter une communication ;
- aux sessions du Conseil permanent de la Francophonie, sans
prise de parole et sans prise en charge. Les observateurs n`assistent pas :
- aux réunions des Commissions du CPF.
Ils n`assistent pas non plus aux huis clos de l`une quelconque
des instances de la Francophonie. Les observateurs siègent dans la salle
de façon distincte.
Les observateurs peuvent être invités à
assister aux autres manifestations de la Francophonie : conférences
ministérielles sectorielles, colloques, réunions d'experts,
etc.
Les observateurs peuvent contribuer volontairement au
financement de la coopération multilatérale francophone dans le
cadre du Fonds multilatéral unique (FMU). Ils sont tenus de s'acquitter
de frais de secrétariat en contrepartie de la documentation à
laquelle ils ont accès. Le montant des frais est fixé par le
CPF.
Ils ne peuvent pas se porter candidats pour accueillir les
réunions des instances de la Francophonie (Sommet, Conférence
ministérielle de la Francophonie et Conseil permanent de la
Francophonie). Les observateurs reçoivent l`information et la
documentation non confidentielles diffusées par le
Secrétariat.
Le statut d`observateur peut être accordé à
un État ou à un gouvernement.
Dans le souci de privilégier l`objectif
d`approfondissement de la communauté francophone, le statut
d'observateur est accordé à titre pérenne.
D. Statut d'Invité spécial
Le statut d`invité spécial vise les
entités ou collectivités territoriales non souveraines --
ressortissantes d'États non membres de la Francophonie -- qui en font la
demande, dès lors que ces entités ou collectivités
manifestent leur volonté d`engagement dans la Francophonie et que
l`usage de la langue française est attesté sur leur
territoire.
Ces dispositions sont applicables sous réserve de
l`accord de l'État dont relèvent ces entités ou
collectivités.
Le statut d`invité spécial ne concerne que le
Sommet. Il est accordé à l`occasion de chaque Sommet et n`est
donc pas reconductible automatiquement.
Les demandes formulées par les entités ou les
collectivités territoriales précitées sont
appréciées selon la procédure prévue dans le
présent document.
Les invités spéciaux assistent à la
séance inaugurale du Sommet ainsi qu'aux séances
consacrées au volet coopération. Ils n`ont pas voix
délibérative et siègent dans la salle de façon
distincte. Ils sont également invités à participer aux
manifestations sociales et culturelles.
Ils reçoivent les documents du Sommet.
L`OIF pourra développer avec leurs autorités des
contacts occasionnels et privilégiés, afin de contribuer à
mettre en oeuvre des programmes particuliers de soutien à la langue
française ainsi que pour favoriser leur participation, sur une base
volontaire, à certains programmes de coopération.
Chapitre II : PROCÉDURES D`ADHÉSION
Toute nouvelle demande d'adhésion en qualité
d'observateur ou de membre associé doit être introduite par une
lettre du chef de l'État ou du gouvernement intéressé,
adressée par les voies diplomatiques habituelles au Président en
exercice de la Conférence des chefs d'État ou de gouvernement,
c`est-à-dire au chef de l'État ou du gouvernement du dernier pays
ayant accueilli la Conférence. Cette demande, accompagnée d'un
dossier circonstancié de candidature, doit être
déposée au moins six mois avant la tenue du Sommet. Elle est
aussitôt communiquée au Secrétaire général de
la Francophonie pour instruction.
L`accession à un statut supérieur n`est pas de
droit.
476
Le passage du statut d`observateur au statut de membre
associé tout comme celui de membre associé à celui de
membre de plein droit nécessite une demande formelle adressée
directement au Secrétaire général de la Francophonie, en
sa qualité de Président du Conseil permanent de la Francophonie.
La demande, accompagnée d`un dossier circonstancié, doit
être déposée dans un délai de six mois avant la
tenue du prochain Sommet pour qu`elle puisse être instruite. La
procédure suivie est alors identique à celle des nouvelles
adhésions.
Le Secrétaire général de l`OIF, en sa
qualité de Président du Conseil permanent de la Francophonie,
soumet la demande et le dossier à l`examen du Conseil. Celui-ci
constitue en son sein un comité ad hoc (dit «
Comité sur les demandes d'adhésion ou de modification de statut
»), ouvert aux seuls membres de plein droit et chargé de
l'instruction des dossiers.
Ce comité établit un rapport
détaillé qu`il soumet au Conseil permanent de la Francophonie.
Celui-ci, après examen, adopte un avis destiné à la
Conférence ministérielle.
Le Comité ad hoc peut, en tant que de besoin,
compter sur le rapport d`une mission d`enquête nommée par le
Secrétaire général de la Francophonie, dans le but
d`évaluer sur le terrain le respect des critères
d`adhésion.
La Conférence ministérielle formule une
recommandation destinée au Sommet, qui est déposée par son
Président.
À l'ouverture de ses travaux, le Sommet, sur la base
des recommandations de la Conférence ministérielle,
délibérant à huis clos et à l'unanimité,
décide d'accueillir ou non le nouveau requérant. Aucun
État ou gouvernement ne peut accéder au statut de membre de plein
droit sans avoir été au préalable membre
associé.
Chapitre III : CONSTITUTION DES DOSSIERS
A. Pour l`obtention du statut d`Invité
spécial
Une demande motivée, adressée au
Secrétaire général de la Francophonie dans les conditions
prévues par les procédures d`adhésion du Chapitre II
ci-dessus, suffit.
B. Pour l`obtention du statut d`Observateur
La demande de candidature doit être
impérativement accompagnée d`un dossier comportant un
exposé des motifs.
Toute demande de participation en qualité
d`observateur doit se fonder sur une volonté de favoriser le
développement de l`usage du français, quel que soit son usage
effectif au moment de la demande. Cette demande doit aussi traduire un
intérêt réel pour les valeurs défendues par la
Francophonie, pour ses programmes dans le cadre de la coopération
multilatérale francophone, ainsi que pour les efforts
développés en faveur de la concertation francophone dans les
organisations intergouvernementales et les grandes manifestations
internationales.
C. Pour l`obtention du statut de Membre
associé
La demande doit être impérativement
accompagnée d`un dossier comportant un exposé des motifs et tous
les éléments d`information qui permettront d`en apprécier
la pertinence.
Toute demande d`accession au statut de membre associé
doit se fonder sur une démonstration détaillée d`une
situation satisfaisante au regard de l`usage du français dans le pays
concerné et traduire une réelle volonté d`engagement dans
la Francophonie, tant au plan national qu'international, en souscrivant
à ses valeurs, telles qu`affirmées par sa Charte et par les
Déclarations de ses Sommets et Conférences ministérielles
(reprise de l'acquis francophone). Par ailleurs, il sera tenu compte de la
présence d'établissements adhérents à l'AUF, ainsi
que de l'adhésion d'une section du Parlement à l'APF ou de
certaines villes à l'AIMF, ou encore de la participation des candidats
à la Confémen ou à la Conféjes.
Parmi les éléments d`information requis pour
l`instruction de la demande, il y a lieu de distinguer :
· dans l`espace linguistique
- le statut du français (langue nationale, officielle,
d`enseignement, seconde, étrangère la plus favorisée) ;
- les mesures éventuelles, législatives ou
réglementaires, concernant le français ;
- l`évolution concernant la place du français dans
le pays par rapport aux autres langues ; - le nombre et le pourcentage de
francophones estimés ;
- l`existence d`une structure spécifique
chargée de l`action en faveur du français ; - la présence
d`associations oeuvrant en faveur de la langue française ;
· dans l`espace pédagogique
-
477
la scolarisation en français (quand celui-ci n`est pas
langue première) ;
- le nombre total d`élèves et d`heures
d`enseignement du et en français aux niveaux primaire, secondaire et
supérieur ;
- la scolarisation dans d`autres langues internationales ;
- la présence de filières francophones dans
l`enseignement supérieur ;
- la présence de départements de langue
française ;
- l`estimation du nombre d`étudiants nationaux
poursuivant leurs études dans les pays francophones ;
- l`estimation du nombre d`enseignants et d`assistants de
français en provenance de pays francophones ;
- l`utilisation d`un enseignement francophone à
distance ;
- l`indication de réformes éducatives
concernant l`enseignement du français mises en application ou en passe
de l`être ;
- la situation de l`édition scolaire en
français ;
- l`existence de partenariats entre établissements
d`enseignement du pays et des établissements d`enseignement de pays
francophones ;
- le volume de bourses à destination
d'établissements francophones à l'étranger ou de bourses
de stages pour des formations courtes ;
· dans l`espace culturel
- les manifestations francophones les plus marquantes
(littérature, théâtre, musique, arts de la rue,
cinéma, multimédias, arts plastiques, rencontres d`auteurs et de
créateurs) ;
- l`existence de centres ou d`instituts culturels
francophones ;
- la circulation des spectacles et expositions francophones
;
- les programmes et projets de développement culturel
menés en bilatéral ou multilatéral francophone ;
- la collaboration avec des centres culturels francophones
étrangers ;
- l`existence d`un public consommateur d`activités
culturelles francophone ;
- la présence de réseaux d`éditeurs,
d`imprimeurs et de distributeurs dans le livre et la presse écrite en
français ;
- l`existence d`un statut des minorités linguistiques
et culturelles francophones (reconnaissance et promotion de la langue
française) ;
- l`expression et la présence de la langue
française dans l`espace public (médias, événements
culturels, débats de société) ;
- l`émergence d`auteurs écrivant directement en
français ;
· dans l`espace de communication
- les principaux titres de la presse écrite en langue
française importés dans le pays ;
- les principaux titres de la presse écrite
édités dans le pays ;
- l`indication des principaux points de vente (hôtels,
aéroports, librairies, kiosques) ;
- la vitalité de la presse francophone ;
- la captation de chaînes de radio en langue
française ;
- les programmes des chaînes n`émettant que
partiellement en français (contenu) ;
- l`évolution du paysage radiophonique francophone
;
- la réception de chaînes de
télévision en langue française ;
- le contenu des chaînes n`émettant que
partiellement en français ;
- les hôtels équipés pour la
réception de chaînes francophones (câble et satellite) ;
- les modifications majeures intervenues dans le paysage
audiovisuel (dans un sens favorable ou défavorable au
développement de la langue française et de la francophonie,
création ou suppression de programmes en langue française,
accès à de nouvelles chaînes) ;
- l`existence d`accords de coopération (formation du
personnel, aide technique et en matériel) et de coproduction avec des
pays francophones ;
- l`état de la législation du pays concernant
la liberté de la presse et de l`audiovisuel ;
· dans l`espace économique
- les investissements directs en provenance de pays
francophones ;
- les grands contrats signés récemment avec des
pays francophones ;
478
- les accords commerciaux et de protection des investissements
avec des pays francophones ; - les importations de pays francophones et
exportations vers des pays francophones ;
- l`organisation de la concertation dans le cadre de l`OMC avec
d`autres pays francophones ; - l`évolution de la pratique des langues
dans les entreprises ;
- la solidarité envers les pays en développement
;
· dans l`espace politique et juridique
- l`évolution de la démocratie et de l'État
de droit ;
- l`existence de services officiels chargés du suivi des
questions de droits de l`Homme ; - la signature ou ratification de
traités ayant le droit comme champ d`application ;
- les programmes importants de coopération juridique avec
des pays francophones ;
· pour le rayonnement de la
Francophonie
- l`initiative la plus réussie en matière de
promotion de la Francophonie ; - l'attachement à la promotion de la
diversité culturelle ;
- les manifestations centrées sur la Francophonie ;
· dans l`espace associatif
- la présence d`associations locales qui se
référent explicitement à la langue française ou
à la Francophonie (regroupements professionnels, associations de femmes
et de jeunes) ;
- l`affiliation de ces associations à des associations
internationales francophones ;
- les principales évolutions concernant la vie
associative francophone ;
- la présence du français dans les loisirs et sur
les lieux publics ;
· au plan international et
multilatéral
- la reprise de l`acquis francophone ;
- la participation effective et régulière
à la concertation francophone dans les organisations internationales ou
dans les grandes conférences ou sommets mondiaux et régionaux
;
- la participation à des groupes d`ambassadeurs
francophones auprès des organisations internationales ;
- l`engagement de principe d`utiliser la langue
française dans les enceintes internationales, lorsque la langue
nationale de l'État membre n`est pas reconnue comme langue de
travail.
D. Pour l`obtention du statut de Membre de plein droit
Le membre associé fera rapport annuellement au Conseil
permanent de la Francophonie en fonction des éléments
d`appréciation figurant sous la lettre C qui précède.
L`accès du membre associé au statut de membre
à part entière n`est pas de droit. La demande formelle de
changement de statut devra faire apparaître les progrès et les
avancées substantielles accomplis par rapport à la situation
présentée au moment de l`obtention du statut de membre
associé. Ces progrès et ces avancées devront
refléter un engagement accru du membre associé dans la
concertation et la coopération francophones, ainsi qu`un usage en
progrès de la langue française.
479
IV- Annexe 4
L'organigramme de l'OIF
V- Annexe 5
480
481
2.2 Chaque partie invitera l'autre à se faire
représenter, conformément à ses
procédures et pratiques en vigueur, aux conférences et
réunions qu'elle organise sur des questions d'intérêt
commun.
2.3 Les parties procéderont, chaque fois que
cela
sera souhaitable et utile, à des consultations portant sur
des questions d'intérêt commun ou des sujets relatifs à
leur coopération.
3. Mode de coopération
3.1 Les parties coopéreront dans le cadre de ce
mémorandum en conformité avec leurs actes
consultatifs et leurs politiques et critères respectifs en vigueur.
3.2 Chaque partie pourra soumettre à l'autre
toute
question pour laquelle l'assistance de celle-ci est
susceptible de renforcer les objectifs communs des deux Organisations.
3.3 Chacune des parties accepte de coopérer
avec
l'autre, chaque fois que cela est utile et dans toute la
mesure du possible, sous forme d'échange de personnels ou de prestation
de services. Les charges financières afférentes à ces
échanges et prestations feront l'objet d'ententes, cas par cas, entre
les deux organisations.
3.4 Dans l'intérêt de leurs Etats membres
communs,
les deux organisations acceptent, chaque fois que cela est
possible, de coordonner et d'harmoniser leurs programmes dans les domaines
analogues relevant de leurs activités.
3.5 Afin d'obtenir une meilleure efficacité dans
la
réalisation de leurs tâches respectives, les
deux parties acceptent de mettre l'accent, chaque fois que cela est possible,
sur la recherche et la mise en place de programmes ou de projets conjoints,
dont la conception et la réalisation bénéficieraient de
l'expérience et des ressources des deux organisations.
4. Questions diverses
4.1 Le présent mémorandum entrera en vigueur
à la
date de sa signature.
4.2 Les parties pourront réviser ou amender le
présent mémorandum et adopter tout arrangement
complémentaire approprié conforme à l'esprit de ce
mémorandum. Les amendements éventuels entreront en vigueur
après que chaque partie aura accompli les j;ormalités de
procédure requises.
Jean Louis Le Secrétaire
482
a ANY ·OKU
Le Secrétair- générai
4.3 Chacune des deux parties pourra dénoncer le
présent mémorandum par notification écrite
à l'autre partie avec un préavis de six mois.
En foi de quoi, les deux parties ont signé, le 26 juin
1992, à Londres, le présent mémorandum en deux
exemplaires, en français et en anglais, les deux textes faisant
également foi.
LE SECRETARIAT L'AGENCE DE COOPERATION
DU COMMONWEALTH CULTURELLE ET TECHNIQUE
VI- Annexe 6
ORGANISATION
ktimo) INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE Avenant Au Memoire
D'entente
Signé entre Commonwealth
Secretariat et L'Agence de Coopération Culturelle
et Technique
PREAMBULE
Le Secrétaire général du Commonwealth et
le Secrétaire général de l'Agence de Coopération
Culturelle et Technique (ACCT) ont signé un Mémoire d'entente le
26 juin 1992.
Le Secrétaire général du Commonwealth a
été informé que l'Organisation Internationale de la
Francophonie se substitue, dans ses droits et obligations, â l'Agence de
Coopération Culturelle et Technique qui devient "l'opérateur
principal" de l'Organisation.
Le Commonwealth et l'Organisation Internationale de la
Francophonie désirant que le texte du Mémoire d'entente originel
reflète ce changement.
En conséquence, aux ternies de l'article 4.2 dudit
Mémoire d'entente, il est agréé ce qui suit :
1. Toutes les références au terme "L'Agence de
Coopération Culturelle et
Technique" doivent être remplacées par le terme
"Organisation Internationale de la Francophonie".
Toutes les autres clauses dudit Mémoire d'entente
"demeurent inchangées".
En foi de quoi les parties ont signé cet avenant au
Mémoire d'entente, ce 15 juillet 1999, en français et en anglais,
les deux textes faisant foi.
Organisation Internationale de la
Francophonie
|
Commonwealth Secretariat
|
Boutros Boutros-Ghali
|
|
483
CABINET DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL
28, RUE DE BOURGOGNE - 75007 PARIS - TEL 33 (0}1 44 1 1 12 50 -
FAX 33 (0,)1 44 11 12 76
VII- Annexe 7
ORGANISATION
Lia)
INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE
Supplement to the Memorandum of Understanding between:
Commonwealth Secretariat
and
L'Agence de Cooperation Culturelle et Technique
PREAMBLE
The Secretary-General of the Commonwealth and the
Secretary-General of L'Agence de Cooperation Culturelle et Technique (ACCT)
entered into a Memorandum of Understanding on the twenty-sixth day of June
1992.
The Secretary-General of the Commonwealth has been advised
that l'Organisation Internationale de la Francophonie has assumed the rights
and obligations of L'Agence de Cooperation Cuiturelle et Technicque which has
become its "principal operating agency".
Both the Commonwealth and l'Organisation Internationale de la
Francophonie are desirous of the original Memorandum of Understanding
reflecting this change.
Accordingly, in terms of paragraph 4.2 of the said Memorandum
of Understanding, it is agreed as follows:
1. All references to the name, "L'Agence de Cooperation
Culturelle et
Technique" shall be replaced by the name, "l'Organisation
Internationale de la Francophonie".
All other clauses of the said Memorandum of Understanding remain
unchanged.
In witness whereof the parties hereto have signed this
Supplement to the Memorandum of Understanding on this 15th day of July 1999 in
the English and French languages, both equally authentic.
Emeka A aoku
Commonwealth Secretariat
L'Organisation Internationale de la Francophonie
A4 C, JA AL CIr )mos
i ·-!Boutros B uf GhaIi
484
CABINET DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL
28, RUE DE (BOURGOGNE - 75007 PARIS -TL 33 10)1 44 11 12 50 -
FAX 33 (0)1 44 11 12 76
485
VIII- Annexe 8
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1986
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1987
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1989
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1991
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1993
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1995
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1997
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1999
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2002
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2004
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2006
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2008
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2010
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LES SOMMETS DE LA FRANCOPHONIE
Ier Sommet Versailles (France)
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IIe Sommet Québec (Canada-Québec)
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Déclaration de Québec
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Déclaration de Dakar
Déclaration de Chaillot
IIIe Sommet Dakar (Sénégal)
IVe Sommet Paris (France)
Ve Sommet
Grand-Baie (Maurice)
VIe Sommet Cotonou (Bénin)
VIIe Sommet Hanoï (Viet Nam)
Déclaration de Maurice
Déclaration de Cotonou
Déclaration de Hanoï
VIIIe Sommet Moncton (Canada-Nouveau-Brunswick)
|
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Déclaration de Moncton
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IXe Sommet Beyrouth (Liban)
Xe Sommet Ouagadougou (Burkina Faso)
Déclaration de Beyrouth
Déclaration de Ouagadougou
XIe Sommet
Bucarest (Roumanie)
XIIe Sommet Québec (Canada-Québec)
XIIIe Sommet Montreux (Suisse)
Déclaration de Bucarest
Déclaration de Québec
Déclaration de Montreux
2012
|
XIVe Sommet
|
Déclaration de
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Kinshasa (RDC)
|
Kinshasa
|
2014
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XVe Sommet
|
Déclaration de
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Dakar (Sénégal)
|
Dakar
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2016
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XVIe Sommet
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Déclaration
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Antananarivo
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(Madagascar)
|
|
486
Nota Bene : Du 11 et 12 octobre 2018, la capitale de
l'Arménie, Erevan, a organisé le XVIIe Sommet de la
Francophonie. Ce Sommet avait pour thème « Vivre ensemble dans
la solidarité, le partage des valeurs humanistes et le respect de la
diversité : source de paix et de prospérité. »
Quant au XVIIIe Sommet, il sera organisé par la Tunisie en
2020, et l'OIF profitera de ce Sommet pour fêter ses 50 ans et rendre
hommage à Habib Bourguiba, l'un des pères fondateurs de la
Francophonie institution.
IX- Annexe 9
L'hymne national du Sénégal
Paroles officielles/ texte écrit par Léopold
Sédar SENGHOR
1er couplet :
Pincez tous vos koras, frappez les balafons.
Le lion rouge a rugi.
Le dompteur de la brousse
D'un bond s'est élancé,
Dissipant les ténèbres.
Soleil sur nos terreurs, soleil sur notre espoir.
Debout, frères, voici l'Afrique rassemblée
Refrain :
Fibres de mon coeur vert.
Épaule contre épaule, mes plus que
frères,
O Sénégalais, debout !
Unissons la mer et les sources, unissons la steppe et la
forêt !
Salut Afrique mère.
2e couplet :
Sénégal toi le fils de l'écume du lion,
Toi surgi de la nuit au galop des chevaux,
Rend-nous, oh ! rends-nous l'honneur de nos ancêtres,
Splendides comme ébène et forts comme le muscle
487
Nous disons droits - l'épée n'a pas une bavure.
(Refrain)
3e couplet :
Sénégal, nous faisons nôtre ton grand dessein
: Rassembler les poussins à l'abri des milans Pour en faire, de l'est
à l'ouest, du nord au sud, Dressé, un même peuple, un
peuple sans couture Mais un peuple tourné vers tous les vents du
monde.
(Refrain)
4e couplet :
Sénégal, comme toi, comme tous nos héros,
Nous serons durs sans haine et des deux bras ouverts. L'épée,
nous la mettrons dans la paix du fourreau, Car le travail sera notre arme et la
parole. Le Bantou est un frère, et l'Arabe et le Blanc.
(Refrain)
5e couplet :
Mais que si l'ennemi incendie nos frontières
Nous serons tous dressés et les armes au poing :
Un peuple dans sa foi défiant tous les malheurs,
Les jeunes et les vieux, les hommes et les femmes.
La mort, oui ! Nous disons la mort, mais pas la honte.
(Refrain)
488
X- Annexe 10
QUELQUES ARTICLES DE SENGHOR SUR LA FRANCOPHONIE ET SUR
LA CULTURE AFRICAINE
489
LEOPOLD SEDAR SENGHOR
toires » sous « tutelle ». C'est tout
juste si l'on n'appellera pas les futurs -- anciens -- colonisés
à légiférer à sa place sur ses propres affaires. En
un mot, les Négro-Africains continueront à être
sous la « domination » des Métropolitains et des
non-Africains.
Ce mépris non déguisé à
l'endroit de notre pays et de notre race perce dans les discours officiels et
dans les déclarations officieuses. II est encore plus perceptible
à certa'ns silences particulièrement éloquents. Nous le
retrouvonsjusque dans certains journaux de gauche et chez de courageux
anticolonialistes comme le colonel Bernard, qui écrit, dans
Combat du 22 avril 1945, qu'en A. O. F. la France n'a « à
résoudre que des problèmes élémentaires
». Et il poursuit : « Il s'agit simplement de faire vivre les
indigènes et de leur permettre de se multiplier. » Comme des vaches
laitières, n'est-ce pas ?
Les faits sont encore plus significatifs que,
les déclarations et les silences.
Pour toutes les colonies ou protectorats, des
réformes importantes ont été amorcées depuis la
Libération. Madagascar a été dotée d'un «
Conseil représentatif » qui a voix délibérative ;
les habitants de I'Océanie obtiennent la citoyenneté
française. Et je ne parle ni de l'Afrique du Nord ni de
l'Indochine.
Tout cela n'est que justice, et nous,
Négro-Africains, ne pouvons que nous en réjouir. On
ne fera jamais assez pour les peuples d'outre-mer : nous ne sommes pas
pour le nivellement par le bas.-Mais, si nous demandons la justice pour les
autres, nous la demandons également pour nous. Or qu'a-r-on fait pour
l'Afrique noire depu's 1942 -- pour certaines colonies, je devrais
dire : depuis 1940 ?
Certes, le gouverneur général
Eboué, dont on ne saurait ne pas faire l'éloge, a
réalisé des réformes politiques et sociales en A. E. F.
Mais, nous devons le dire, nous sommes encore bien loin du
compte si l'on songe à l'état de déchéance oii les
grandes compagnies concessionnaires avaient réduit l'A. E. F. ; nous
sommes loin du compte si l'on songe que ces colonies ont été,
avec le Cameroun, les premières à se rallier au
général de Gaulle et qu'elles n'ont, pour ainsi dire,
jamais cessé k combat.
En A. O. F., par contre, et au Togo -- ,le Cameroun
s'est quelque peu inspiré de l'A. E. F. -- aucune réforme
sérieuse. On n'y parle même plais d'épuration et
l'esprit de Vichy semble y régner toujours ; un esprit paternaliste,
pour ne pas dire raciste. Encore une fo's, les faits sont significatifs. Je
n'en signalerai que quelques-uns.
Et d'abord, le traitement infligé aux
prisonniers sénégalais. Tous ceux qui ont vécu dans des
camps de prisonniers coloniaux
238
490
DEFENSE DE L'AFRIQUE NOIRE
vous diront que les Noirs -- Antillais et
Sénégalais --- furent Ies plus imperméables à la
propagande nazie. J'entends encore un membre de la Gestapo me d.sant,
au Frontstalag 230: « Avouez que vous, Ies Noirs, vous êtes tous
gaullistes et communistes. » C'est de ce Frontstalag que les fils du
gouverneur général Eboué furent
déportés dans le Nord en raison de leur attitude
and-allemande. Après le débarquement allié, nombreux
furent les Séné-galais qui prirent le maquis et se battirent dans
les rangs F. F. I. Cependant, dès la Libération,
par une inconcevable discr.mination raciale, on rétablissait
l'inégalité dans les soldes des coloniaux -- et les
Négro-Africains étaient parmi les moins
favorisés. ils se pla'gnirent de cela et de bien d'autres choses encore-
En réponse, on employa contre eux la force -- c'est un
euphémisme -- et on les traita comme de vulgaires
collaborateurs. On alla jusqu'à les accuser d'être «
gangrenés par la propagande nazie » ! Il y a
des noms qui, depuis lors, sonnent le glas dans les consciences
négro-africaines : Morlaix ! Mont-de-Marsan ! Versailles ! Tiaroye
!...
. L'Enseignement en Afrique noire. On nous apprend
triom-phalement que, pour cette année, le budget de l'Enseignement en A.
E. F. a augmenté de 40 %. Bravo ! Mais on ne nous dit pas quel
pourcentage il représente sur le budget global de la
Fédéra-tion. Pour FA. O. F., c'est 8.000 nouveaux
élèves qu'on nous annonce. Mais on ne précise pas qu'il
n'y a pas plus-de 75.000 gar-çons et filles -- Enseignement
libre compris -- à fréquenter l'école ; et cela pour une
population scolaire d'environ 1.500.000 enfants.
C'est-à-dire qu'il y a moins d'élèves à
l'école que de sol-dats dans l'armée. Cette simple
proposition exprime tout le drame de l'Afrique noire française. Et
ce n'est pas tout. Pratiquement, il n'y a toujours pas de
bourses pour l'Enseignement secondaire -- la Libération n'y a rien
changé et les autor'tés locales continuent à
considérer le baccalauréat non comme un passeport pour
'.'Ensei-gnement supérieur, mais comme une fin en soi,
plut& comme un moyen de recruter des commis à bon marché.
Quant aux bôurses d'Enseignement supérieur pour la
métropole, il a fallu toute l'éner-gie du ministère des
Colonies pour que le gouvernement général consentît
à en accorder... quatre. On comprend dés lors qu'a Braz-zaville
les gouverneurs réunis aient demandé plus d'indépendance
pour eux-mêmes.
En quittant Brazzaville, Ies gouverneurs avaient
reçu des ins-tructions leur recommandant de ne pas attendre le vote
de la nou-velle Constitution française pour procéder à des
réformes -dans l'esprit de la conférence. Nous avons vu comment
le gouverneur général de Madagascar avait compris ces
instructions ; nous avons dit que Félix Eboué avait fait de
son mieux en A. E. F. En A.O.F.,
239
491
LEOPOLD SEDAR SENGHOR
par contre, et au Togo, à part quelques réformes
d'ordre économique et social -- qui n'ont pas toujours été
du goût des indigènes -- rien n'a été fait du point
de vue politique : aucune assemblée délibérative à
l'échelle de la colonie ou de la fédération, autune
assemblée consultative nouvelle. Hier encore, un décret refusait
aux seules Sénégalaises, parmi les citoyennes françaises,
le droit de vote. I1 a fallu l'énergique protestation de tout
un peuple pour que l'on se décidât à rapporter ce
décret.
Non seulement aucune réforme politique de
quelque importance n'a été réalisée en Afrique
noire, mais toute une série de mesures décrétées
par Vichy y ont été maintenues, mais l'esprit raciste n'y a pas
été éliminé. Ainsi la «
ségrégation » s'y pratique encore : il y a encore, dans les
queues, une file pour Blancs et une autre pour Noirs ; dans les banques, un
guichet pour gens à peau claire, et un autre pour gens à peau
sombre. Car ce n'est plus du racisme : c'est de l'«
épidermisme ». Plus grave : les fonctionnaires
indigènes ne touchent d'indemnités que pour les quatre premiers
enfants ; les enfants supplémentaires n'intéressent pas le
gouvernement ; et, quand un Européen ou un « non-Africain »
touche 100 francs, le Négro-Africain ne touche que 4 francs. Plus
grave encore : les fonctionnaires indigènes
révoqués comme « gaullistes.» n'ont pas encore
reçu réparation, alors que les autres ont
été réintégrés avec rappel et avancement.
J'entends les malins qui iront disant que les populations de
l'Afrique noire ne sont pas assez « évoluées ». Nous
reviendrons sur cette idée d'évolution, qui est une idée
fausse. Nous pouvons dire, dès maintenant, que c'est leur qualité
d'humains qui confère des droits aux hommes, non leur qualité
d'« évolués », de « civi-li,és ».
C'est l'absence de ce fondement qui fait la fragilité de
l'édifice de Brazzaville. Mais, même pour celui qui accepte
l'esprit de Brazzaville, les réformes préconisées par les
recommandations se fondent moins sur l'évolution des colonies que sur
les « services qu'ils ont rendus à la nation au cours de Cette
guerre ». Qui niera que les services rendus par l'Afrique noire aient
été de tout premier ordre ?
En effet, c'est le Tchad qui, sous la direction du
gouverneur noir Eboué -- un Guyanais de sang africain -- fut la
première colonie â se rallier au général de Gaulle,
le 26 août 1940. Bientôt après, le Cameroun et les autres
colonies de l'A. E. F. suivaient l'exemple du Tchad. Et, pendant deux ans --
jusqu'en novembre 1942 -- l'A. E. F. et le Cameroun devaient
constituer la force
240
492
DEFENSE DE L'AFRIQUE NOIRE
principale de la France Combattante, Brazzaville
étant la capitale de la France Libre. Nous avons vu quelle avait
été l'attitude des prisonniers sénégalais dans les
Frontstalags. Hors d'Europe, pendant deux ans, les troupes noires
formèrent une bonne partie des troupes françaises, la grosse
majorité des troupes indigènes. Et elles s'illustrèrent au
Fezzan, en Erythrée, en Sytie, à Bir-Hakeim. Depuis, elles n'ont
cessé le combat.
Mais l'A. O. F. ne restait pas inactive sous la
dictature du vichyssois Boisson. En octobre 1942, Lamine
Ceciaye, avocat à Dakar, me disait que Boisson avait fait
l'unanimité contre sa politique et que tous les noirs d'A. O. F.
regardaient vers le Sud, vers l'A. E. F. Des groupes d'indigènes
s'étaient organisés pour renseigner les Alliés sur les
mouvements des navires, et en particulier sur les cargaisons chargées.
En fait, seuls des Noirs furent condamnés â mort comme «
gaullistes », après débats contradictoires -- les
Européens ne le furent que par contumace --, seuls des noirs
furent exécutés.
Mais on nous répond invariablement que nous ne
sommes pas assez « évolués » et on nous offre, en
attendant, une « tutelle » généreuse. Un pécheur
de la banlieue de Dakar comparait le colonisateur paternaliste à un
homme puissant qui s'est emparé de l'héritage d'un adolescent,
fils de famille, et qui lui dit : « Quand tu seras instruit,
expérimenté, pondéré, je te déclarerai
majeur et te rendrai ton héritage. » Et notre bonhomme de
pêcheur de conclure : « Croyez-vous que l'homme puissant
s'empressera de proclamer la majorité de l'adolescent ? » Car on
peut s'étonner d'entendre justifier de flagrantes injustices par cette
idée d'évolution quand les autorités locales mettent tout
en oeuvre pour freiner cette évolution, singulièrement pour
empêcher la formation d'une élite capable de diriger la colon'e.
Pour prendre un exemple caractéristique, chaque fois qu'est
créé un nouvel établissement d'enseignement secondaire,
l'administrat'on locale déclare officieusement, sinon officiellement,
qu'il est réservé aux Européens et aux.« Non-Africans
». Bien mieux, depuis ta Libération, au lycée Faidherbe de
Saint-Louis-du-Sénégal, créé officiellement pour
récompenser les Sénégalais -des services rendus à
la France pendant la guerre de 1924-1918, les proviseurs successifs
se sont acharnés à décourager les
élèves. Quand ils n'y parvenaient pas, ils les renvoyaient sous
un prétexte ou un autre. On trouve toujours des « raisons » :
l'âge, l'indiscipline, étc. A tel point que la population
émue a dû adresser une protestation au gouverneur pour lui
rappeler les promesses de la métropote.
s
C'est à l'idée même
d'évolution qu'il faut s'attaquer. C'est une idée «
bourgeoise », donc intéressée, comme le
démontrent les faits
241
493
LEOPOLD SEDAR SENGHOR
que nous venons de signaler. C'est de plus
une idée faussement scientifique. Elle suppose, en effet, que
l'essence de la civilisation est d'évoluer, d'être dynamique. Nous
savons que la civilisation européenne occidentale, en l'espace de deux
mille cinq cents ans -- ce qui est bien peu dans l'histoire de
l'humanité -- n'a pas traversé moins de quatre crises dont
chacune a profondément transformé l'échelle des valeurs
humaines en Occident. Mais nous savons qu'il y a eu de grandes civilisations
qui sont restées statiques pendant des millénaires, telles les
civilisations égyptienne et chinoise. La fièvre de l'Occident
n'est donc pas` par elle-même un critérium de civilisation. Cette
idée d'évolution suppose également que la marche de chaque
civilisation doive se faire suivant le processus européen :
Grèce, Rome, moyen âge, temps modernes. Autrement dit : humanisme,
chrétienté, économisme. On pourrait cl ailleurs ajouter
d'autres séries selon d'autres points de vue. C'est là
la conception « linéraire » de l'évolution. Ce qui est
vrai, c'est que toute civilisation naît, se développe,
décline et renaît -- parfois plusieurs fois -- avant de
s'épuiser et de mourir, mais, dans chaque cas, su'vant
son rythme propre et ses traits singuliers. Même si nous
nous en tenons à la seule Europe, qui niera que k processus
d'évolution de l'Italie ait été différent de celui
de la Norvège ? Au fond, c'est le concept même de «
civilisation » qui est en jeu. L'Europe croit que seule la civilisation
occidentale moderne mérite ce nom; une civilisation fondée sur le
progrès technique et l'accroissement des richesses matérielles.
Or la civilisation est « un ensemble de relations morales
fondées sur le sentiment des devoirs récipr 'ques qu'ont les
hommes les uns envers les autres, et un ensc.oblc d'institutions et de
ménanismes qui de L'extérieur dirigent et gouvernent Ies
hommes ». (1) Ce qui fait objectivement la valeur d'une
civilisation, c'est donc : 1°, l'équ'Iibre,
l'harmonie entre Ies valeurs morales et les valeurs techniques ; 2° si
nous considérons séparément les deux aspects de
l'ensemble, le degré de sociabilité d'une part, le
degré de perfection des mécanismes d'autre part. Mais
qui ne voit que c'est le moral plus que la technique qui fait notre
supériorité sur les animaux ?
On nous rétorque que, même en partant de
cette déftn'tion, l'Afrique noire ne peut prétendre
â être civilisée, Car qu'est-elle pour le Français
moyen ? C'est, pour les uns, une forêt impénétrable et
inhumaine oui des bêtes féroces et des serpents
venimeux
(1) A. LtiBnzoLA, Le Crépuscule de
l'Occident,
242
494
DEFENSE DE L'AFRIQUE NOIRE
terrorisent Ies pauvres indigènes, qui vivent dans
une peur devenue congénitale. C'est, pour les autres, un pays
facile dont les habitants vivent dans 1 indolence. Quoi d'étonnant ? Des
bananes et d'autres fruits merveilleux leur tombent dans la bouche, tout
mûrs, tout pelés. Pour l'intellectuel, c'est un pays aux
moeurs barbares, un pays d'ignorance où les sens vivent trop
intensément pour qu'y vive l'esprit. Que l'on ne croie pas à une
charge. M. Pleven, l'ancien ministre des Colones du gouvernement provisoire,
préfaçant le numéro de Renaissance
consacré au problème colonial, parlait des « grands
fléaux qui ravagent les sociétés primitives, qu'ils
s'appellent la maladie, la superstition, l'ignorance, la tyrannie, la
corruption, l'exploitation, la cruauté ». Le malheur est que ce
n'est même pas de la propagande officielle, car M. Pleven est un homme de
bonne volonté et un ministre de grande classe. Et il n'était pas
non plus un imbécile -- loin de là ! -- cet agrégé
de l'Un versité qui me disait en toute candeur « humaniste
» « Comment pouvez-vous parler de civilisation en Afrique, chez des
peuples sans villes ni monuments, sans écriture ni littérature,
sans organisation politique ni sociale, sans rel'gion, sans art ? »
La phrase est bien cicéron;enne ; je crains qu'elle ne soit que
cela.
Les Négro-Africains sans villes ni monuments ? Mais les
Européens ne trouvèrent-ils pas, à la fin du moyen
âge européen, des villes de 100.000 à 200,000 habitants en
plein coeur de la Nigritie ? C'est Marcel Griaule qui écrivait l'autre
année, sous l'occupation : « Les Noirs n'ont attendu aucun colonial
de génie pour v'vre en collectivité : lorsque les Portugais sont
arrivés au Bénin, ils y trouvèrent à peu de chose
près ce que nous y voyons aujourd'hui. Dès la plus
haute antiquité. der cités énormes se sont
élevées là et ailleurs ; les ruines de la
Rhodésie nous édifient à 'ce point de vue. Il
faut se rendre à l'évidence : à une époque
où les villes de 100.000 habitants se comptaient avec les doigts sur le
pourtour de la Méditerranée, la Nigéria avait
déjà des municipalités monstres. » (Les Sao
légendaires.) C'est toujours moi qui souligne. Il semble
difficile, bien qu'on ait essayé de le faire, d'attribuer la
construction de ces villes à des « Aryens » qui auraient
disparu comme par enchantement. Les tradit'ons des indigènes s'y
opposent comme les récits des anciens voyageurs arabes, qui ignoraient
le racisme. Encore une fois, ces vestiges archéologiques se rencontrent
"lans toute l'Afrique noire, aussi bien à l'ouest qu'à
l'est. El Bekri, qui voyagea au soudan vers 1050, nous parle de «
monuments funéraires gigantesques », qui rappelaient les pyramides
égyptiennes; et, peu avant la guerre de 1939, on
découvrait au Gold Coast des sculptures d'une imposante
beauté que l'on ne pouvait non plus s'empêcher de
comparer à l'art égyptien. Mais cela n'est pas
243
495
LEOPOLD SEDAR SENGHOR
pour étonner ceux qui, avec Léo
Frobenius, croient à l'unité de style de toute
l'Afrique.
Les Négro-Africains sans écriture ni
littérature ? Je ne veux pas dénoncer ici le «
préjugé de l'écriture ». Ce serait pourtant une
tâche utile; cal il y eut de grandes civilisations sans
écriture, comme celle des Incas. En Afrique même, ces
civilisations ne furent pas les moins harmonieuses, les moins humaines -- elles
n'étaient pas d'ailleurs sans moyens mnémotechniques. Je ne
parlerai pas non plus de la littérature orale dont les ethnographes ont
signalé la richesse et la variété, et dont toute une
partie, celle des griots ou troubadours, peut être dite savante. Enfin,
je ne parlerai pas des vieillies civilisations négroïdes de l'Est,
quis épanouirent en Nubie et en Ethiopie. M. Griaule affirme que les
Ethiopiens firent oeuvre de Bénédictins aux vite et viir
siècles de l'ère chrétienne. je ne parlerai que de
l'Afrique occidentale, de celle qu'Elfe Faure appelle « la Grèce
Noire ». Il me faudrait d'abord évoquer les empires soudanais du
moyen âge --- Ghana, Mali, Songhoï -- qui furent parmi les plus
grands empires du monde d'alors. Et cela, non seulement par
l'étendue, les richesses et la puissance militaire, mais encore par la
vie de l'esprit. C'est qu'aussi bien, entre le x° et le xvie
siècle, le « Soudan » fut un des phis brûlants foyers
intellectuels et religieux de l'Islam. Les Universités de Tombouctou et
de Djenné se distinguaient alors et par la qualité de leur
enseignement, et par les oeuvres des maîtres. Ici encore les
témoignages des écrivains arabes sont formels et rejoignent ceux
des écriva'ns'soudanais. M. J. Béraud-Villars
écrit : « ... Les écrivains du Maghreb et du Levant
constataient eux-mêmes que les auteurs soudanais étaient
d'éminents théologiens et que leurs travaux ajoutaient à
la somme des sciences isla-rniques. » (L'Empire de Gad.) Les
Nègres ne se contentèrent pas d'avoir des
Universités et dés écrivains de langue arabe : en
adaptant les caractères arabes à leurs idiomes, ils
créèrent une littérature écrite en langue
indigène. Jusqu'à nos jours, des foyers de culture se
sont conservés au Fouta Sénégalais, au Fouta Djallon, dans
les pays Haoussas. Bien mieux, des peuples noirs -- au moins
deux -- ont inventé un système original
d'écrture.
Les Négro-Africains sans organisation politique
ni sociale? C'est là le thème fasciste et nazi de «
l'anarch'e nègre », repris par André Dema'son
depuis la guerre d'Ethiopie et développé sous l'occupation.
Laissons un Italien, Arturo Labriola, lui répondre : «
Pendant- cette énorme période (424 ans), l'Etat (du
Bénin) avait montré une étonnante stabilité. Il
n'avait eu que quatorze rois, avec une durée moyenne de
règne de trente années, cependant que le règne
moyen d'un roi anglais est de dix-huit ans.
Voilà
244
496
DEFENSE DE L'AFRIQUE NOIRE
qui suffit à montrer la prétendue
instabilité de la vie africaine (1) . » Le
même auteur voit dans le « const-tutionnalisme », qui est en
somme la forme la plus caractéristique de la démocratie, «
un arrangement social spontané des races africaines ». En effet,
à tous-les échelons du pouvoir, en Nigritie, depuis le
Conseil du Trône, jusqu'au Conseil de famille, en passant par le Conseil
du village, aucune décision ne peut être prise sans
l'avis favorable d'une assemblée-délibérative,
palabrante. Et, à tous les échelons, les chefs sont en
général élus par un système qui tient en
même temps de l'électorat et de l'héréd té.
En tout cas, ils peuvent toujours être déposés par Ieurs
subordonnés pour faute grave ou incapacité. Quant au
système social, il est fondé sur la subordination de l'individu
à la communauté et sur le travail considéré comme
unique source de richesse, les moyens de production étant la
propriété collective de la communauté.
Les Negro-Africains sans religion ? il suffit d'avoir entendu
une fois le Révérend Père Aupiais parler du « fond
religieux de l'âme africaine » pour découvrir dans l'Animisme
un dogme, des cadres et un cérémonial, enfin une morale. Le
fondement du dogme est celui de l'unité du monde : il n'y a pas
d'opposition entre l'homme, la nature et Dieu. De l'herbe à Dieu, en
passant par l'homme, les ancêtres et les génies, il n'y a pas de
solution de continuité, tous les objets, tous les êtres
n'étant que les mani-festat'ons de l'Etre. Les cadres sont formés
par des collèges de prêtres, préparés dans de
véritables séminaires et, d'autre part, par des lieux
sacrés ou temples. Le cérémonial, riche d'instruments
liturgiques, riche de symbolisme, de sens, consiste en prières,
sacrifices et actions de grâces, comme dans toute religion digne de ce
nom. Quant à la morale, elle est fondée sur l'ob -er-vation des
« lois positives », Le R. P. Aupiais constate
qu'elles « exercent la volonté pour l'affermir, en lui
faisant accomplir les actes difficiles dans un but spirituel, sous le
seul contrôle de la conscience individuelle ». En
un mot, la morale consiste à accomplir des actes qui nous
rapprochent, chaque jour davantage des ancêtres et de Dieu, qui nous
identifient à eux dans un élan d'abandon et d'amour. Je dis
« amour ». « Ma's c'est que j'aimais mon Dieu »,
répondait un noir converti, à un - missionnaire qui lui demandait
pourquoi il avait adoré les « idoles ».
Je n'insisterai pas sur l'art négro-africain. Aussi
bien les dons artistiques sont ce qu'on accorde le plus volont'ers aux
Nègres. Et Gobineau le premier. On sait quelle a été
l'influence de leur art sur le cubisme, sur un Picasso en particulier.
Et il ne
(I) Le Crépuscule de l'Occident.
245
497
LEOPOLD SEDAR SENGHOR
faudrait pas seulement parler de peinture et de
décoration, mais encore de mus que -- influence par le détour de
l'Amérique. C'est la sensibilité même de l'Occident qui en
a peut-étre été modifiée. 1] y a là-dessus
des pages très' suggestives, sinon justes, dans le Diagnostic de
l'Amérique et de l'Américanisme du comte de Keyserling.
Nous voilà bien loin des jugements sommaires et
méprisants de notre agrégé de l'Université. Il est
vrai cependant qu à la fin du xtxe siècle, au moment où
s'achevait le partage du continent entre les nations européennes,
l'Afrique offrait, trop souvint, un état lamentable de
dé:;olation et d'anarchie. Mais la vraie raison en est que, pendant plus
de trois siècles, l'Afrique Noire avait été, au dire du
français Dard, « un théâtre de pillage, de fraude,
d'oppression et de sang ». Pendant plus de trois siècles, les
négriers avaient exporté chaque année 60.000 à
80.000 esclaves pour les plantations du Nouveau Monde. Si l'on veut bien faire
un petit calcul, cela fait environ 20 millions d'hommes. Et, comme il faut
compter dix hommes tués pour un esclave exporté, c'est de plus de
200 millions d'individus que la traite priva l'Afrique. On
comprend,'maintenant, que pour justifier la traite comme les conquêtes
coloniales, l'Europe ait inventé « l'idée du Nègre
barbare ». Et ce n'est pas tout : « l'occupation »
européenne a été, dans ses débuts du moins
et en certaines régions, une terrible mangeuse d'hommes. M. Arturo
Labriola, s'appuyant sur des documents officiels, parle du «
dépeuplement systématique » pratiqué au Congo Belge
à la fin du 'axe 'siècle et qui a
coûté à la malheureuse région une perte sèche
calculable à son minimum... de vingt millions d'êtres humains en
vingt-trois années (1). On sait la féroce politique que les
blancs sud-africains ont toujours pratiqué à l'égard de
leurs noirs qui sont aujourd'hui les plus malheureux du monde. On sait
que, pendant des années (cf. Maran, André Gide, Albert Londres,
Marcel Sauvage. etc), I'A.E.i~., livrée aux puissances d'argent, a
été une terre de souffrances et de mort.
Cependant, malgré la traite, malgré Ies dures
années qui suivirent la conquête, l'Afrique Noire, si elle a perdu
dans la plupart des cas ses institutions, a du mons conservé son «
canon moral ». C'est dire la vigueur de sa civilisation passée. Le
R. P. Aupiais, parlant des Négro-Africains écrit dans Les
Noirs (Editions Univers) : « De sorte que nous les connaissons
pauvres. sans convoitises, intéressés sans avarice,
-malléables sans versatilité, dignes sans morgue, souples sans
hypocrisie, joyeux sans dissi-
(1) op. cit., p. 286. 246
498
DEFENSE DE L'AFRIQUE NOIRE
pation . » Frobénius avait déjà dit
: « Ce n'est pas une chose étonnante que-précisément
ici, dans cette Afrique tellement méprisée, se soient con.,erves
des germes de civilisation si imposants, et que, même aujourd'hui, ils
continuent à agir... Est-ce une chose si difficile de fa:re de ces
hommes si actifs et diligents, les collaborateurs d'une ouvre consciente de
civilisation I » (Und Afrika Sprach.)
Oui, est-ce une chose si difficile? Toute la question est
là. On nous demande notre coopération pour refaire une France qui
soit à la mesure de l'Homme et de l'universel. Nous acceptons, mais il
ne faut pas que la métropole se leurre ou essaye de ruser. Le « Bon
Nègre » est mort; les paternalistes doivent en faire leur deuil.
C'est la poule aux veufs d'or qu'ils ont tuée. Trois siècles de
traite, un siècle d'occupation n'ont pu nous avilir, tous les
catéch'smes enseignés --- et les rationalistes ne sont
pas les moins impérialistes -- n'ont pu nous faire croire à notre
infériorité. Nous voulons une coopération dans la
dignité et l'honneur, sans quoi ce ne serait que «
kollaboration », à la vichyssoise. Nous sommes rassasiés de
bonnes paroles -- jusqu'à la nausée -- de sympathie
méprisante ; ce qu'il nous faut ce sont des actes de justice. Comme le
disait un journal sénégalais : Nous ne
sommes pas des séparatistes, mais nous voulons
l'égalité dans la cité. Nous disons bien
: l'égalité.
Pratiquement, nous voulons, entre autres choses :
1° Que la Constituante complète la
déclaration des « Droits de l'Homme », en ajoutant à la
liberté et à l'égalité des individus celle des
peuples et des races;
2° Que la métropole, au lieu de s'appuyer, sans
consulter les intéressés, sur des coutumes dont on a brisé
les cadres et parfois vidé l'esprit, laisse les autochtones
eux-mêmes modifier leurs institutions. Car se sont eux-mêmes qui
doivent assimiler les éléments solubles de la civilisation
française;
3° Qu'à l'échelle de la Colonie et de la
Fédération, il y ait des assemblées
délibératives --- et non consultatives -- qui soient
obligatoirement consultées pour toutes les questions intéressant
la Colonie ou la Fédération;
4° Qu'un sérieux effort d'instruction et
d'éducat'on soit entrepris. Nous voulons, en particulier : A) Qu'un
lycée avec internat soit créé dans chaque colonie,
lycée largement ouvert aux autochtones par l'octroi de. bourses; B)
Qu'il soit créé 3 Dakar une Université avec Faculté
de médecine, Faculté de pharmacie, Faculté de droit, et
Ecole vétérinaire, dont les élèves sortiraient
247
499
LEOPOLD SEDAR SENGHOR
des lycées; C) Que des bourses d'Enseignement
supérieur pour la métropole soient accordées
généreusement pour les autres tacultés et les grandes
écoles;
5° Que les autochtones puissent, à titres
égaux, accéder à toutes les fonctions
administratives, et qu'à fonctions égales correspondent des
traitements égaux;
6° Que la justice soit la même pour les
autochtones comme pour les Européens et les « non-Africains ».
Qu'en particulier des magistrats de carrière soient à la
tête de tous les tribunaux et que les droits de la defense soient
sauvegardés pour tous -- ce qui implique la suppression du
« code de l'indigénat »;
7° Que le travail forcé, sous
quelque nom qu'on le déguise, soit supprimé, étant entendu
que l'Etat ne pourra obliger personne 3, travailler pour un quelconque
particulier.
Nous ne le dissimulons pas, c'est là un .
programme révolutionnaire. Mais la IVe République sera
l'héritière des Ire et IIe
Républiques, et elle sera révolutionnaire en
libérant tous les « colonisés » quels qu'ils soient; ou
bien, elle sera comme la III°, capitaliste, impérialiste, «
occupante », et la révolution risque de se
faire contre elle. -
Cette guerre n'a aucun sens si elle n'est anti-nazie,
L'Al-
· lemagne a été vaincue, le
nazisme ne l'a été ni en France, ni surtout en Afrique.
Ç'est ce que me disait tristement un congénère en ce soir
du 8 mai, en ce soir de Victoire, et nous ne par-
venions pas à rire, car notre joie était
inquiète nos morts n'étaient pas apaisés.
Un dernier mot. Les représentants des
trusts ne manqueront pas de nous traiter d'antifrançais, car la
France, pour eux, c'est la forteresse de leurs privilèges. Les mots ne
nous font pas peur. Nous connaissons la chanson, et aussi le proverbe : «
Qui veut noyer son chien... » Certes, nous sommes irréductiblement
fidèles à la terre de nos ancêtres. Mais
nous n'avons garde de confondre le peuple de France qui, aux élections
mun'cipales, vient de signifier au monde son horreur du nazisme raciste,
avec un capitalisme borné, haineux, tremblant clans l'enceinte
de ses privilèges -- et au demeurant ancien collaborationniste. Nous
croyons à la nécessité d'une coopération entre
l'A.O.F.-A.E.F. et la France, entre l'Afrique et l'Europe. Il ne s'agit pas,
cependant, de la « Icollaboration » du pot de terre et du pot de fer,
de l'Eur-Afrique des Déat et Demaison. Il ne peut être
question que d'une coopération dans la dignité et l'honneur.
C'est-à-dire dans l'égalité. Le peuple de France
a tout à y gagner -- non les puissances d'argent, bien
sûr.
Paris, te' mai 1945. Léopold
SfDAR-SENGHOR.
248
500
501
Sénégalaises, Sénégalais,
La République indépendante du
Sénégal achève la mise en place de ses institutions. M.
Mamadou Dia m'a remis la démission de son gouvernement. je l'ai
pressenti pour former le premier Gouvernement du Sénégal
indépendant, Son devoir était d'accepter. Il a accepté, et
je l'ai désigné. je l'ai fait, sûr que j'étais de
répondre à la volonté de l'Assemblée nationale, du
Parti dominant, du Peuple sénégalais.
C'est un redoutable honneur, pour moi, d'avoir
été placé, hier, par la confiance unanime des
représentants de la Nation, à la tête de l'Etat
sénégalais. Les Sénégalais ont prouvé, au
monde étonné. qu'ils savaient. à l'heure du péril
national, communier dans un commun vouloir de vie commune, en
oubliant les querelles SOUS le baobab. Cette vibrante unanimité, je l'ai
sentie, hier, dans les rues de notre capitale, où le Peuple, toutes
races mêlées -- noirs, arabes, berbères, européens
--, clamait sa foi dans le Sénégal indépendant, le suis
sensible -- pourquoi le cacher ? -- à cette affectueuse confiance.
Précisément à cause de cela, je suis profondément
conscient des graves devoirs de ma charge.
Jamais notre pays n'a été investi de
périls aussi réels ; jamais il n'a été tant
calomnié ; jamais il n'a été si nécessaire de
l'organiser et de le défendre.
Aux termes de notre Constitution, il appartient au
Président du Conseil désigné de définir la
politique de la Nation, et à l'Assemblée nationale de
l'approuver. Le Président du Conseil le fera, j'en suis convaincu, avec
lucidité et courage. Il m'appartient de garantir l'indépendance
nationale et l'intégrité du territoire de la République.
Je n'y faillirai pas. C'est de cela que je veux parler ce soir ; de
l'indépendance du Sénégal et de son rôle dans
l'édification de l'unité africaine.
Sénégalaises, Sénégalais. depuis
quinze ans, je vous ai souvent mis en garde contre une certaine maladie,
inoculée par le Colonialisme et que j'appelais la
sénégalite. C'était un complexe de
supériorité. Votre rôle n'était pas, n'est pas de
conduire, mais d'éclairer. Il n'est pas d'entrer dans la course au
leadership ; il est d'unir dans l'égalité, qui
est la condition sine qua non de la coopération. C'est
pourquoi l'affirmation de la personnalité, que dis-je ?
l'indépendance sénégalaise est une nécessité
africaine.
3
502
Mais elle est, d'abord, un fait. On ne peut traiter notre peuple
comme un quelconque clan de troglodytes : on ne peut l'effacer de l'Histoire
ni, d'un trait de plume. le rayer de la carte de l'Afrique. Le
Sénégal, vous le savez bien, est un vieux ps ils a
été le premier, dans l'Afrique noire moderne, a posséder
identité: un nom, un visage, une économie, des cadres techniques
et une vie politique. Cela compte. Je le verse au dossier,
Mais, surtout, un Sénégal indépendant est
nécessaire à l'unité africaine ; car cette unité
doit être un facteur de développement, non de stagnation. je le
sais, une autonomie sénégalaise eût suffi. C'est du moins
ce que nous pensions. Si nous avons trar ns
enfléeffor les es querelles de races et de castes, si nous
avons su, p
quinze ans sur nous-mêmes, nous débarrasser du
territorialisme, le drame de l'ex-Fédération du Mali prouve que
d'autres n'avaient pas fait le même effort. Nous en avons tiré la
leçon, qui est l'indépendance sénégalaise, comme
préalable à la coopération africaine.
En effet, les faits étant, aujourd'hui, ce qu'ils sont.
seule l'indépendance nationale peut permettre, au Sénégal,
de jouer son rôle naturel de trait d'union et de levain, de
répondre à sa vocation africaine et mondiale.
Trait d'union entre le monde noir et le monde
arabo-berbère, entre le Maghreb et l'Afrique Occidentale, le
Sénégal l'est depuis des siècles, pour ne pas dire des
millénaires. Vous savez quelles sont les relations religieuses,
culturelles, commerciales, qui l'unissent au Maroc. Celles-ci doivent
être renforcées et étendues à l'Algérie,
singulièrement à la Tunise, dont l'idéal et la
méthode politique sont si prés des nôtres.
Trait d'union, nous le sommes également entre l'Europe
et l'Afrique. Car, si nous avons acclimaté, ici, depuis trois cents ans,
avec la culture, l'humanisme de l'Occident, et d'abord de la France. nous avons
aussi, depuis quinze ans, greffé le socialisme européen sur le
vieux sujet du communialisme negro-africain, je dis : sur la
Négritude.
Par ses réformateurs religieux et politiques, comme par
ses écrivains et ses artistes, véritablement le
Sénégal a été, reste un des levains de l'Afrique.
De Biaise Diagne à Mamadou Dia, de Malick Sy et Cheikh Amadou Bamba
à Amadou Dème et joseph Faye, de Bakary Diallo à David
Diop -- je ne cite pas tous les noms --, toute une pléiade de
Sénégalais éminents ont jalonné la voie africaine
de la Libération. Pour ne m'en tenir au'à la politique et
à la culture, qu'il s'agisse des luttes, désormais historiques,
contre l'indigénat, contre l'assimilation ou contre la balkanisation,
pour la Négritude, pour l'autonomie, pour l'indépendance, pour
les Etats-Unis d'Afrique ou pour la Voie Africaine du Socialisme. on a toujours
trouvé des Sénégalais parmi les précurseurs
et francs-tireurs.
rancs-
tireurs.
|
4
503
ti
|
Satelliser le Sénégal sous prétexte
d'unité, comme on a tenté de le faire l'autre nuit,
étouffer la personnalité sénégalaise en cette
année de l'affirmation de l'Afrique noire, je le dis, c'est
perpétrer un crime contre l'Afrique. Nous n'avons pas le droit, personne
n'a le droit, par le monde, de s'associer à un tel crime,
Bien sûr, en défendant, aujourd'hui, le
Sénégal, nous nous défendons d'abord nous-mêmes :
notre terre et nos morts, qui dorment dessous, nos foyers et nos enfants, notre
honneur et notre dignité. Nous faisons plus, car nous défendons,
en même temps, la cause de la Liberté comme de la
Coopération en Afrique.
Que l'on ne s'y trompe pas, les Sénégalais sont,
certes, un peuple policé, qui répugne à la haine et
à la violence gratuite. Nous venons de le prouver, nous étant
libérés sans verser une seule goutte de sang ni contre la France
ni contre le Soudan. Jamais, nous ne nous livrerons à une agression.
Mais, puisqu'on menace d'envahir nos frontières ou de provoquer une
subversion intérieure, c'est bon qu'on le sache en Afrique et hors
d'Afrique : on ne prendra pas le Sénégal sans en avoir fait,
auparavant, un vaste cimetière sous le soleil, Au premier signe de
l'agression, tout le pays sera debout et sous les armes. On peut.
peut-être, supprimer le Sénégal de la carte politique de
l'Afrique ; on ne supprimera pas l'honneur de notre nom.
On parle, maintenant, de médiation, de conciliation,
d'association entre le Sénégal et le Soudan. l'en ai parlé
deux jours seulement après le coup d'Etat manqué contre le
Sénégal. Vous le savez, nul plus que moi n'a souligné les
liens qui nous unissent au peuple frère de l'autre côté de
la Falémé : la race, la langue, la culture, le voisinage. Et nous
avons un port, un chemin de fer, une université, qui devraient nous
être communs. Avec le concours du Président de la
Communauté ou d'un frère aîné, un Chef d'Etat
africain par exemple, nous sommes prêts à causer pour
élaborer eine association souple. A une seule condition ; c'est que
l'Indépendance du Sénégal soit d'abord constatée et
garantie.
Il faut profiter de l'occasion et aller plus loin. Tout le
monde, à commencer par nos frères soudanais, a reconnu les
difficultés d'un groupement à deux. Il faut profiter de
l'occasion et préparer un plus vaste regroupement, où entreront
tous les Etats de l'ancienne A.O.F., y compris la Guinée, mais toujours
sur la base de l'indépendance de chaque Etat. Encore une fois, il est
réaliste de tirer la leçon de l'éclatement du Mali.
L'idée de la Fédération n'est pas encore mûre dans
l'ancienne A.O.F. ; les micro-nationalismes ne sont pas encore
transcendés. Ce regroupement des Etats de l'ancienne A.O.F. ne serait
que le premier pas vers un regroupement plus large, qui aboutirait, un jour --
nous l'espérons du moins --, aux Etats-Unis d'Afrique. Il est entendu
que ces Etats-Unis n'empêcheraient l'appartenance ni à la
Communauté ni au Commonwealth.
|
|
5
|
504
505
La culture africaine
Léopold SÉDAR SENGHOR
Les biologistes actuels, s'appuyant sur la
caractérologie et les tableaux numériques des groupes sanguins,
concluent à l'unité culturelle du continent dit « noir
». Ce que confirme l'étude comparée des arts traditionnels
africains et de la philosophie africaine.
Pour les Grecs, créateurs de la philosophie
européenne, la philosophie consiste en la recherche de la Sophia ou
sagesse, « connaissance des premières causes et des principes des
êtres », étant entendu que Dieu est, au-delà de la
matière, « cause première et fin ultime ». Les
Africains ne posent pas autrement le problème, si ce n'est que Dieu est,
plus encore que l'Intelligence, la « Force des forces » qui anime la
vie de l'univers.
C'est en imitant Dieu, en animant la vie cachée sous
les signes sensibles du monde, que l'art africain remplit son rôle. En
témoignent la poésie, la musique et la sculpture qui
répondent à la définition de l'art africain : « une
image ou un ensemble d'images symboliques, mélodieuses et
rythmées ».
Depuis Bergson et la réhabilitation de la raison
intuitive, le dialogue des cultures s'est engagé, et la civilisation de
l'Universel a commencé de s'édifier, où l'Afrique joue un
rôle essentiel et déterminant.
*
* *
Si j'ai choisi de parler de la Culture africaine,
c'est qu'en ce dernier quart du XXe siècle, nous
achevons de bâtir, nolentes, volentes, cette «
Civilisation de l'Universel » que Pierre Teilhard de Chardin nous
annonçait pour l'aube du deuxième millénaire. Une
civilisation qui serait composée des apports, complémentaires, de
tous les continents et de toutes les races, sinon de toutes les nations. Et,
à ce « rendez-vous du donner et du recevoir », pour parler
comme Aimé Césaire, les Africains ne viendront pas les mains
vides. Ils apportent, ils ont déjà commencé d'apporter
leur culture.
Mais qu'est-ce que la Culture ? J'avais pris
l'habitude, quand j'enseignais, de la définir comme « l'esprit
d'une civilisation ». C'était là une définition trop
intellectualiste. À l'expérience et dans le contexte actuel du
dialogue des civilisations, je dirai que la culture est l'ensemble
des valeurs de création d'une civilisation.
Les grands biologistes du XXe siècle,
à commencer par mon ancien maître, le professeur Paul Rivet, ne
séparent pas la culture de la biologie. Au demeurant, Jacques
Ruffié, que vous avez entendu l'autre mois, a intitulé l'un de
ses ouvrages De la Biologie à la Culture. Nous commencerons par
montrer comment se pose ce problème en Afrique.
*
* *
I. DE LA BIOLOGIE À LA CULTURE AFRICAINE
Aujourd'hui, on divise le continent africain en « Afrique
blanche » et « Afrique noire ». Cette division est plus
politique que scientifique. Il reste que la plupart des ethnologues la
maintiennent, bien qu'affaiblie. On distingue, généralement, les
« Arabo-Berbères », les Chamites et les Noirs. La
vérité est qu'en cette fin du XXe siècle, tous
les continents, toutes les nations, voire toutes les races, à quelques
exceptions près, sont métissés. Il n'est que de consulter
leurs tableaux numériques des groupes sanguins. S'agissant de l'Afrique,
nous pouvons y voir un peu plus clair en remontant, brièvement, de la
Préhistoire à l'Histoire.
Remontons jusqu'au Néolithique, avant le
dessèchement du Sahara. On y trouvait deux races. Au Nord, vivait une
grande race, depuis la Méditerranée jusqu'à la forêt
tropicale dense. Plus on descendait vers le Sud, plus l'homme était
grand et noir. Au Sud donc, vivait, dans la forêt, un petit homme jaune
à la tête ronde. Ses descendants, plus ou moins
métissés, sont les Pygmées, Bochimans et autres
Hottentots, qui portent le nom général de
Khoïsans.
Cette situation a duré jusqu'à la
désertification du Sahara, qui a poussé les populations qui
habitaient cette région à émigrer, les unes vers le nord
du continent, les autres dans ns la forêt tropicale et sur les plateaux
de l'Afrique orientale, jusqu'en Afrique australe. C'est cette dernière
migration qui a favorisé le métissage entre Grands Nègres
et Khoïsans. La situation d'aujourd'hui résulte donc de la
Géographie et de la Préhistoire, mais aussi de l'Histoire,
c'est-à-dire des migrations asiatiques et européennes,
très exactement, sémitiques et indo-européennes.
Si l'on veut simplifier, les peuples d'Afrique se divisent,
aujourd'hui, en deux groupes : en Arabo-Berbères et en
Négro-Africains. Les premiers, qui habitent l'Afrique du Nord,
sont des métis de Noirs d'Afrique et de Blancs, Sémites et
IndoEuropéens ; les seconds le sont de Noirs, Africains, voire
Asiatiques, et de Khoïsans. En vérité, la
réalité, comme le prouvent les tableaux numériques des
groupes sanguins, est bien plus complexe. Ces tableaux des différents
peuples de notre continent, pour ne pas encore parler de « nations »,
prouvent l'unité biologique de l'Afrique, bien plus affirmée que
celle de l'Europe. En effet, dans tous les tableaux que j'ai eus sous les yeux,
le groupe O vient en tête, et de loin, comme en Europe, sauf quelques
exceptions, le groupe A. Mais, en Afrique du Nord, il y a un « mais
», représenté par l'Égypte. Son tableau est bien plus
semblable à ceux des pays soudano-sahéliens qu'à ceux du
Maghreb. Voici, par exemple, les tableaux comparés de la Tunisie, de
l'Égypte et du Sénégal.
506
Groupes
|
Tunisie Égypte Sénégal
|
|
O.
|
49,8
|
43,97
|
46,8
|
A
|
22,9
|
33,01
|
23
|
B .
|
23,4
|
18,17
|
24
|
AB
|
3,9
|
4,85
|
6,2
|
À la réflexion, la différence entre le
Maghreb, d'une part, l'Égypte et l'Afrique noire, d'autre part,
s'explique par les faits que voici. Au Maghreb les invasions
indoeuropéennes, singulièrement celle des Vandales et autres
Germains blonds, ont été plus fortes que celles des
Sémites.
De la Biologie, nous passerons à la Culture, dont la
langue est, très souvent mais pas toujours, le meilleur
témoignage, en tout cas, l'expression la plus fidèle. Si l'on
exclut les langues importées par les invasions que voilà et par
la colonisation ainsi que les « langues à clics » des
khoïsans, toutes les langues parlées en Afrique étaient ou
sont encore des langues agglutinantes, y compris l'ancien égyptien et le
berbère. Déjà, Lilias Homburger, qui, dans les
années 1930, enseignait les langues négroafricaines à
l'École pratique des Hautes Études, soutenait cette thèse.
Depuis lors, le professeur congolais Théophile Obenga a
démontré la parenté de l'égyptien ancien et de
certaines langues négro-africaines dans deux articles intitulés,
respectivement, Origines linguistiques de l'Afrique noire
(1441) et Égyptien ancien et Négro-Africain
(1442).
II. LA SAGESSE AFRICAINE
Selon la définition donnée du mot « culture
» au début de cet exposé, il s'agit de découvrir et
définir les valeurs actives qui, non seulement ont créé la
civilisation africaine, mais encore lui ont permis, depuis la
Révolution de 1889 -- j'y reviendrai --, de participer à
l'édification de la Civilisation de l'Universel. Ces valeurs on les
trouve, d'abord, dans sa philosophie. Je sais qu'on a nié qu'il
y eût une philosophie africaine, du moins « négro-africaine
», sinon une pensée. Je vous renvoie, pour vous confirmer cette
philosophie, à quatre ouvrages majeurs : Dieu d'Eau, par Marcel
Griaule, le grand ethnologue français, La philosophie bantoue
par le Belge Placide Tempels, La Philosophie bantu (sic)
comparée par le Rwandais Alexis Kagamé et La
Pensée africaine par le Sénégalais Alassane Ndaw.
La Philosophie, c'était, pour les anciens Grecs,
créateurs de la civilisation européenne, la recherche de la
sophia, de la sagesse. La sophia, c'est, d'abord, la
connaissance des principes premiers, qui, étant derrière les
phénomènes de la nature ou de l'univers, les produisent ou les
expliquent. Comme l'écrit Aristote dans La Métaphysique,
« la science nommée philosophie est généralement
connue comme ayant pour objet les premières causes et les principes des
êtres ». Telle est, cependant, la nature humaine que
l'épistêmê, la connaissance -- que l'on traduit,
aujourd'hui, par « science » --, ne se suffit pas à
elle-même. Pour être sophia, sagesse, elle doit passer
à son application. C'est ainsi que la philosophie se transforme en
morale.
Allons plus avant. Qui dit morale dit but, objet de
l'activité humaine. Il s'agit de transformer la vie humaine en
transformant, à la fois, l'homme et le monde dans lequel il vit en
interdépendance.
« Tout art, écrit Aristote dans
l'Éthique à Nicomaque, et toute investigation et
pareillement toute action et tout choix tendent vers quelque chose à ce
qu'il semble. Aussi a-t-on déclaré avec raison que le bien est ce
à quoi toutes les choses tendent ». C'est, précisons-le, le
« Souverain Bien », que le philosophe identifiait avec le «
bonheur » et, plus précisément, l'immortalité.
Retenons l'expression « tout art » ainsi que la notion d'«
immortalité ». Deux idées que nous retrouverons dans la
philosophie africaine.
Cependant, avant de l'aborder, nous reviendrons sur le but de
l'activité de l'homme, qui est, nous l'avons dit, de se transformer en
transformant le monde. Ce qui lui permettent, précise Aristote dans le
même ouvrage, trois facultés : « Or, il y a, dans
l'âme, trois facteurs prédominants qui déterminent l'action
et la vérité : sensation, esprit et volonté ». Je ne
suis pas, ici, la traduction de Tricot faite pour la Librairie Vrin. Si «
sensation » rend bien le mot grec aïsthésis, il faut
traduire noûs par « raison » et orexis par
« volonté ». Le noûs, ce n'est pas l'«
intellect », comme l'a traduit Tricot, mais la symbiose de la raison
discursive, dianoïa, et de la raison intuitive, thumos.
Quant à crexis, traduit généralement par
« désir », c'est, étymologiquement, une « tension
vers », que je renforce en « volonté ».
Si j'insiste sur la fameuse phrase, reprise, au demeurant, par
Descartes, c'est que je la considère comme la base solide de la
caractérisation ethnique. Il est donc entendu que les hommes de
tous les continents, races et nations possèdent, chacun, non pas les
trois, mais les quatre facultés que voilà. Il y a seulement que
chaque race ou nation a développé, le plus souvent, une, deux,
trois facultés au détriment des autres ou de l'autre. C'est ainsi
que les Africains ont développé surtout la sensation et la raison
intuitive. C'est de ce fait que je partirai pour exposer leur culture, en
mettant l'accent sur leur philosophie et sur les caractéristiques de
leur art. De leur part parce que c'est, avec la pensée, ce qui distingue
l'homme de l'animal.
1441 Mélanges Henri Frei.
1442 Université de Brazzaville.
507
La philosophie africaine, comme l'a démontré
Alassane Ndaw, répond parfaitement à la définition que lui
ont donnée les fondateurs grecs de la discipline. Elle se fonde sur les
grandes intuitions d'où l'homme a tiré « les
premières causes et les principes des êtres », qui lui ont
permis de connaître le monde et de le transformer. Comme la grecque, la
philosophie africaine est une connaissance ou un savoir : une
épistêmê. Au demeurant, pour parler comme les
Wolofs du Sénégal, le philosophe, dans la tradition africaine,
était appelé borom xamxam, c'est-à-dire «
maître-du-savoir ».
Or donc, comme les Grecs, nos sages ont fondé leur
philosophie sur les premiers éléments de la matière : la
terre, l'eau et l'air. Allant plus loin que les présocratiques, qui,
à ces éléments, avaient ajouté le feu et
l'éther, Aristote trouvera une substance immatérielle,
spirituelle, qui serait cause première et fin ultime : Dieu, «
l'Intelligence qui se pense elle-même en saisissant l'Intelligible
». C'est ici que la philosophie africaine, fondée, au
départ, sur des éléments similaires, se sépare de
la philosophie grecque, européenne, pour s'affirmer dans une
identité sur laquelle sera fondée, avec l'art, une
esthétique authentique.
Le premier trait de cette philosophie est qu'elle
privilégie la raison intuitive comme mode de connaissance. Que
l'intuition soit au début et à la fin du connaître, voire
de la science, c'est ce qu'affirment nombre de philosophes depuis Aristote
jusqu'à Bergson et Teilhard de Chardin, voire des mathématiciens
contemporains. Comme dit Bergson, par l'intuition, l'homme « s'installe
dans le mouvant et adopte la vie même des choses »(1443).
Les africanistes le savent bien, qui parlent de la « connaissance par
participation » des Négro-Africains.
Le deuxième trait est la dialectique. Qu'on ne
croie surtout pas que les langues africaines ignorent le concept, et qu'elles
n'ont pas de mots abstraits. Il reste que, le plus souvent, l'Africain
préfère désigner une chose, un être, un sentiment,
une idée par une image. C'est que, doué de sens éminemment
sensibles, il aime à leur faire parcourir les aspects divers de la
nature, qu'interprètera sa raison, qui se fera, tour à tour,
intuitive et discursive, sentiment, pensée, puis symbiose des deux.
Le troisième trait de la philosophie africaine est
qu'elle est pratique. Alassane Ndaw l'a bien montré dans le
chapitre où il va de la « pensée mythique » à la
« vie mystique ». Le mythe est le fondement et comme l'aliment de la
vie mystique : de la religion. Il s'agit, en définitive, non seulement
de connaître la vie de l'au-delà, mais encore, mais surtout de la
vivre pratiquement. Après les cours d'initiation, où le
maître-du-savoir donne à ses élèves un enseignement
qui a souvent recours au raisonnement et aux mots abstraits, il faut vivre,
dans la religion, dans la pratique, la vie mystique ainsi enseignée,
très précisément, dans les cérémonies du
rituel. C'est ici qu'intervient l'art africain avec ses caractéristiques
originales et ses différents genres : poésie, musique, danse,
peinture, sculpture, voire architecture.
Le quatrième trait qui caractérise la
philosophie africaine est l'humanisme. Un humanisme aux dimensions du
cosmos : de l'espace et du temps, de l'espace-temps. L'homme est le centre, le
microcosme du macrocosme qu'est le cosmos, mieux, son agent actif. C'est sur
son modèle que s'organise la société : la maison avec son
autel, le village, le royaume.
Qu'est-ce à dire encore ? C'est que l'homme est, non
pas un individu inséré, mais une personne intégrée
dans son groupe : sa famille, son clan, son ethnie. À la persona,
concept latin, enrichi par le christianisme, l'Africain oppose une notion,
c'est-à-dire une connaissance intuitive, plus complexe : plus sociale
qu'individuelle. Verticalement, l'homme est enraciné dans son lignage,
jusqu'à l'Ancêtre primordial, jusqu'à Dieu.
Horizontalement, il est lié à la société des hommes
: à son groupe, comme nous venons de le voir.
Quel est donc ce Dieu que nous rencontrons ? Contrairement
à ce que les explorateurs européens, voire les ethnologues, ont
dit pendant longtemps, il n'y a qu'un Dieu dans la philosophie et la
religion africaines, dont les ancêtres et les génies ne sont
que des émanations ou expressions. Aristote nous a dit, en son temps,
que Dieu était l'Être en soi, et l'Être, la « substance
», c'est-à-dire ce qui est permanent quand tout change. Dans la
philosophie africaine, cet être, cette substance, qui se trouve sous la
matière, sous les apparences du monde sensible, c'est la force.
Une force qui émane de Dieu et s'accomplit en Dieu. C'est pourquoi
Dieu est défini comme « la Force des forces ».
III. L'ART AFRICAIN
Revenons à l'Homme, centre actif de l'univers. Sa
fonction essentielle est de capter toutes les forces éparses qui
sous-tendent la matière, plus exactement, tous les aspects, les formes
et couleurs, odeurs et mouvements, sons et bruits de l'univers. Il lui
appartient de les animer au sens étymologique du mot, de
renforcer leur vie en renforçant leur force. Voilà
lâché le mot, Vie, qui, en dernière analyse,
explique la philosophie africaine, mais aussi la religion. C'est donc dans le
cadre de sa religion, l'Animisme, que l'Africain exerce sa fonction
d'animateur, de créateur de vie, car son art n'a pas d'autre fonction.
C'est dans le rituel des cérémonies religieuses, depuis la simple
prière jusqu'à l'initiation, que l'art africain s'accomplit en
accomplissant sa mission, en renforçant la force de Dieu, en
recréant Dieu. D'où l'adage selon lequel « Dieu a besoin des
hommes ».
Nous ne retiendrons, ici, pour ne pas être trop long,
que les principaux arts de l'Afrique : la poésie, la musique et la
sculpture, qui, souvent, vivent en symbiose pour former un art
intégral. Il est vrai que tous les arts sur notre continent, du
poème au théâtre, participent peu ou prou à cette
intégralité, sans oublier la sculpture. Ils expriment
1443 La Pensée et le Mouvant, P.U.F., p. 216.
508
la même esthétique, qui procède de la
philosophie que voilà et que j'ai définie : « une image ou
un ensemble d'images analogiques, mélodieuses et rythmées
».
Nous commencerons par la poésie, qui, dans
presque toutes les civilisations, est l'art majeur. Majeur surtout en Afrique
parce qu'elle capte les forces de l'univers et les exprime sous leur forme la
plus active, la plus créatrice, qui est la parole humide, comme l'a
montré Madame Calame-Griaule. Les Peuls du Sénégal
définissent le poème : « Des paroles plaisantes au coeur et
à l'oreille ». Et, de fait, nul art n'exprime mieux
l'esthétique que voilà. C'est ici que la distinction entre
Afrique du Nord et Afrique subsaharienne est le moins justifiée, si, du
moins, on remonte à l'Ur-Afrika, pour parler comme Leo
Frobenius. Je l'ai montré dans un texte sur la poésie africaine,
intitulé « Négritude et Berbéritude ».
Il y a, d'abord, que, dans le poème africain,
l'idée-sentiment se présente toujours sous la forme d'une image,
d'images analogiques, symboliques, comme dans les deux kim njom ou
chants gymniques -- mot à mot, « chants de lutte » -- de mon
village natal, que je vais vous dire. Il s'agit de courts poèmes de deux
à quatre vers, à la manière des haïkus
japonais.
Voici le premier, où une jeune fille chante
l'athlète son fiancé, Lang Saar, qui, « noir
élancé », exprime l'idéal de la beauté
sénégalaise :
Lang Saar a lipwa pay'baal
O fes o genox nan fo soorom,
« Lang Saar s'est drapé dans un pagne noir : Un
jeune homme s'est levé, tel un filao ».
Le filao est un conifère au feuillage sombre.
Dans le deuxième poème, une autre jeune fille,
qui a vu triompher son « champion » aux luttes, qui ont lieu le soir,
après le dîner, dit sa joie dans une belle métaphore :
`Daankim, ngel né m'feeka ;
Lam la mi caala a yuube,
« Je ne dormirai point, sur la place je veillerai ;
« Le tam-tam de moi est paré d'un collier blanc ».
Après les images analogiques, car tout est analogie
dans l'univers, voici l'harmonie, plus précisément, la
mélodie. Je précise qu'un gim njom -- c'est le
singulier -- peut être récité, psalmodié. Le
poète emploie l'assonance et, plus encore, l'allitération pour
faire ses vers « plaisants à l'oreille ». Plus subtilement, la
poétesse, dans le premier vers du premier poème et dans le second
du dernier, joue sur les voyelles des syllabes qui portent l'accent
d'intensité, et que j'ai soulignées en ne les soulignant pas. Je
signalerai, pour en terminer avec la mélodie, que la même voyelle
a exprime, là, la peau noire et, ici, la blancheur du
collier.
Le troisième élément de la beauté
poétique est le rythme. Je parle d'un rythme vivant, qui rompt
l'équilibre, la monotonie apparente du poème africain. Si le
rythme, qui techniquement définit la poésie, est indiqué
par le nombre des mètres comme dans les anciennes poésies grecque
et latine, il ne l'est pas, comme dans la poésie classique
française, par le nombre des syllabes, mais par celui des accents
d'intensité, c'est-à-dire des syllabes accentuées, qui,
ici, sont trois dans chaque vers. Je les ai notés, encore une fois, en
ne les soulignant pas. Mais le poème africain est souvent plus complexe,
avec des contretemps et des syncopes, que nous retrouverons dans le chant :
dans la musique.
Il reste que le rythme du poème en Afrique n'est pas
seulement dans la succession, ordonnée, des syllabes accentuées
et atones ; il est aussi dans la répétition qui ne se
répète pas de certaines expressions, de certains mots, voire
de certaines syllabes ou voyelles. C'est le cas d'un
poème-défi, composé par un champion wolof,
Pahté Diop, pour provoquer à la lutte ses adversaires. J'en
extrais ce vers, qui est un tétramètre :
Kuluxum lu jigeen aukë jur 1 --
Dëgë lë
« Béni soit ce que femme à genoux met au
monde ! -- C'est vrai. »
Les trois premières syllabes accentuées de ce
vers ont une voyelle u, qui revient dans d'autres syllabes.
Du poème psalmodié, nous passons au chant :
à la musique. En effet, si les poèmes peuvent être
récités, ils sont, le plus souvent, chantés. En
sérère, c'est le même mot, gim, « chant
», qui désigne le chant et le poème. Comme l'a écrit
André Gide, le chant en Afrique est traditionnellement polyphonique. Je
précise : avec accompagnement à la tierce, à la quinte ou
à l'octave.
Autrefois, ce chant polyphonique couvrait, non seulement le
« continent noir », mais encore tout le Bassin
méditerranéen. Un ami sarde et un ami corse m'ont signalé
cette polyphonie dans l'une et l'autre de leurs îles. Et le dernier le
fait venir d'Afrique : du Maghreb berbère, où les poèmes
sont chantés comme en Afrique noire (1444). Et j'ai entendu,
pendant ces vacances, des chants berbères polyphoniques, dont une sorte
de plain-chant, également polyphonique. Avant d'aller plus loin, je
souligne que cette musique est, comme la poésie, plus complexe qu'on ne
le croyait. Au lieu de la gamme européenne à sept tons ou
demi-tons, il y a, en Afrique, des modes plus subtils avec des tons, demi-tons
et quarts de ton.
Mais, plongeons au-dessous du chant, dans la musique
instrumentale, avant de revenir au gim. Écoutez, au Maroc, en
Algérie ou en Tunisie, ce qu'on appelle « de la musique andalouse
». Écoutez le rythme de base donné par une sorte de tam-tam
: 1234, 1234, 1234. Au-dessus de ce rythme monotone, despotique, vous
entendrez, s'appuyant sur lui, un autre plus léger, marqué par un
autre instrument à percussion et se livrant, comme librement, à
des contretemps et syncopes. C'est cette polyrythme,
singulièrement ces contretemps et syncopes qui constituent la
seconde caractéristique de la musique africaine. Il reste qu'il y a
encore, au-dessus de ces instruments à
1444 Cf. Jean Amrouche : Chants berbères de
Kabylie, Éditions Charlot, Paris, 1974.
509
percussion, des instruments à cordes ou à vent.
Sans parler des voix humaines qui chantent, et qui, elles aussi, soutenues par
le rythme profond de l'Afrique-Mère, peuvent se livrer, plus librement
encore, à leurs fantaisies créatrices : aux vibratos et autres
glissements expressifs.
On me demandera : « Où sont, dans tout cela, les
images analogiques ? » Je répondrai qu'elles sont dans les
éléments caractéristiques de cette musique : dans la
mélodie et le rythme ; plus précisément, dans la
polyphonie, les contretemps et syncopes. Elles sont surtout, outre le mode
employé, dans les altérations aussi bien des voix que des
instruments, qui expriment, qui suggèrent les images-sentiments
inspirent les oreilles, et le coeur avec : l'âme.
Si, maintenant, nous retournons à la poésie
psalmodiée, nous découvrirons qu'elle est, elle aussi, comme le
chant et la musique instrumentale, animée par des contretemps et
syncopes. Surtout quand elle est à plusieurs voix ou entrecoupée
de silences.
Nous finirons par les arts plastiques en nous arrêtant
sur la sculpture. Je prendrai, ici, comme exemples, deux sculptures en bois qui
ornent mon bureau.
Ce sont, au premier abord, des images analogiques. L'une
représente la tête d'un bovidé avec ses cornes ; l'autre,
un oiseau, une sorte de calao. Mais c'est moins simple. Nous voyons, d'une
part, alignés au milieu du front et des naseaux du bovidé, un
léopard, un oiseau et un petit ruminant ; d'autre part, sur les ailes
déployées du calao, deux tortues. Il y a là,
exprimée par une imagerie complexe, toute une philosophie, une
théologie. Traditionnellement, en effet, le calao et le bovidé
sont des images-symboles de la fécondité et de la force ; de la
Vie. Et celle-ci est, une fois de plus, animée aussi bien par la
mélodie des formes et des couleurs que par les mouvements du rythme.
La tête du bovidé est un masque dont la
mélodie des couleurs tient au fait que celles-ci sont
complémentaires : du jaune et de l'orange sur fond noir. Quant au calao,
dressé sur ses pattes et les ailes ouvertes, il est peint d'une couleur
d'ébène claire, uniforme en apparence, mais que le temps a
patinée, non sans nuances.
Le plus expressif, c'est, de nouveau, comme toujours en
Afrique, le rythme. Sur la tête du bovidé, il y a deux plans qui
se coupent. À l'horizontale se présentent des courbes
allongées : une corne, une joue, puis une corne, une joue. À la
verticale, ce sont successivement, de haut en bas : une pointe noire,
triangulaire, un léopard jaune, tacheté de noir, un oiseau noir,
jaune et orange, enfin, un ruminant jaune. Bref, des répétitions
qui ne répètent pas, et que nous allons retrouver sur la
sculpture du calao, mais sous les apparences, premières, de la
monotonie. Ici aussi, nous avons, d'abord, le plan horizontal des ailes,
déployées en carrés, que coupe un plan vertical,
formé de courbes, qui sont : l'excroissance cornée de la
tête, le bec, présenté comme en double, et le ventre. Il y
a mieux : sur chaque aile est sculptée une tortue, surmontée d'un
oiseau de paradis, les ailes également déployées et ayant,
pour ainsi dire, la même tête que la tortue. Qu'on y regarde plus
attentivement, et l'on verra, bientôt, qu'il s'agit d'une fausse
monotonie parce que d'une fausse symétrie. Le calao, de grande taille,
de plus d'un mètre, se présente avec un léger
déhanchement. C'est le coup de reins du contretemps, que l'on trouve,
ici, sur toutes les parties du corps : sur la tête, le bec, les pattes,
comme aux ailes, sur les deux tortues et les deux oiseaux de paradis.
Il est temps que je m'achemine vers ma conclusion.
*
* *
LA RÉVOLUTION DE 1889
C'est Pierre Teilhard de Chardin, qui, au milieu de ce
siècle, fut l'un des premiers paléontologues, après
Darwin, à conseiller de rechercher les origines de l'Homme en Afrique.
Il fut surtout, je le rappelle, le premier à annoncer, pour l'aube du
deuxième millénaire, « la Civilisation de l'Universel
». C'est que, comme il avait pu le constater lui-même, depuis ce que
j'appelle « la Révolution de 1889 », les emprunts des cultures
les unes aux autres et, partant, leur fécondation réciproque
avaient commencé.
1889, c'est une grande date, et double. C'est, en effet, cette
année-là qu'Henri Bergson a publié l'Essai sur les
Données immédiates de la Conscience. C'est cette même
année que Paul Claudel a écrit sa première pièce de
théâtre, Tête d'Or. Cette révolution, que je
vais définir, avait été préparée, sinon
annoncée, par La Saison en Enfer d'Arthur Rimbaud. Mais
revenons à Bergson et à Claudel, que nous expliquerons par
Rimbaud.
La philosophie d'Henri Bergson se présente,
essentiellement, comme « un retour conscient et réfléchi aux
données de l'intuition », dont nous avons fait la vertu majeure de
la philosophie négro-africaine. Quant à Paul Claudel, il avait
noté, pour la représentation de Tête d'Or sur
scène : « avec accompagnement de tambours ou de tam-tams ».
Mais c'est Arthur Rimbaud qui, pour ainsi dire, annoncera la couleur. En effet,
dans Une saison en Enfer, il n'hésite pas à se
présenter comme « un nègre ». Il fait mieux en
présentant une esthétique, que nous avons découverte quand
nous avons lancé le mouvement, comme l'esthétique même de
la Négritude. En effet, il préconise l'usage d'un «
verbe poétique accessible... à tous les sens ». Et cela,
grâce à un « dérèglement de tous les sens
», c'est-à-dire toutes barrières renversées, à
leur communication analogique, symbolique.
C'est donc sous l'influence de la révolution culturelle
de 1889 que ce qu'on appelle l'Art nègre, qui est, plus
véritablement, l'art africain, a commencé d'influencer l'art
français, mais aussi l'art américain, et, par ces deux voies,
l'art mondial.
Je partirai des arts plastiques, qui ont le plus fait parler
d'eux grâce à l'École de Paris. Quand, jeune
professeur, je fréquentais les peintres, Picasso m'a dit, un jour, en me
reconduisant à la porte de son atelier : « Il nous fait rester des
sauvages ». Ce n'était pas hasard. D'autre part et s'agissant de
littérature, singulièrement du Surréalisme,
510
je vous signale la thèse de doctorat de Jean-Claude
Blachère, un enseignant français de Dakar, sur le
Surréalisme, intitulée « Le Modèle nègre
» (1445). Enfin, last but not least, il y a
l'influence de la musique négro-américaine, héritée
de l'Afrique et qui s'étend de plus en plus sur le monde, comme en
témoigne la place qu'occupe le jazz dans les festivals organisés
en Europe pendant l'été.
Depuis la civilisation aurignacienne, la première du
Paléolithique supérieur, l'Afrique n'a cessé de jouer un
grand rôle dans la civilisation humaine. L'interruption, pendant deux
mille ans, de son influence -- depuis l'épanouissement de la
civilisation grecque, au Ve siècle avant J.-C.,
jusqu'à la Renaissance -- ne l'a pas fait disparaître pour autant.
C'est pourquoi je conclurai par la réflexion que m'a faite Pierre
Soulages, le grand peintre français, après avoir lu mon article
intitulé « L'Esthétique négro-africaine
»(6) : « C'est l'esthétique même du
XXe siècle ».
OBSERVATIONS présentées à la suite
de la communication de M. le président Léopold Sédar
Senghor
M. Jean CAZENEUVE dit d'abord son adhésion à la
communication de M. Léopold Sédar Senghor, notamment sur les
rapports de la philosophie africaine avec la philosophie grecque. Il rappelle
ensuite l'importance des ouvrages de Placide Tempels, tel que La
Philosophie bantoue, et de ceux de Pierre-Maxime Schuhl sur la
pensée grecque. Cependant c'est surtout chez Platon, que l'on peut
observer des analogies avec les traditions originaires de l'Afrique Noire dont
les conceptions philosophiques ont cheminé par l'Égypte et la
Crète, gagnant la Grèce naissante. N'y aurait-il donc pas lieu de
mettre la philosophie africaine en relation avec la philosophie platonicienne
plutôt qu'avec la philosophie aristotélicienne ?
*
* *
M. Jean STOETZEL, après s'être
félicité de l'audience recueillie par l'ouvrage d'Alassane Ndaw
qu'il a encouragé dans ses travaux, aimerait que le président
Senghor, de confession catholique et qui fut le président d'un pays
essentiellement musulman, lui explique pour quelles raisons le christianisme a,
semble-t-il, moins d'emprise que l'Islam dans les pays d'Afrique Noire. C'est
un problème qui lui paraît essentiel pour mieux appréhender
la nature profonde de la culture africaine.
*
* *
M. Pierre CHAUNU constate avec les préhistoriens
sondant les lointains obscurs de l'hominisation que de -- 2 millions
d'années à -- 10 000 ans la moitié des objets, des traces
relevées, des signes perçus... viennent du continent africain,
berceau de l'humanité.
Le premier biface lointain archétype d'un
outil et d'une arme, ancêtre donc du micro-ordinateur et de la
fusée thermonucléaire à têtes multiples, vient de la
vallée de l'Omo, de la Rift Valley en Afrique
orientale (peut-être hasard heureux, cadeau de la tectonique -- je
l'accorde).
D'autre part, depuis quinze ans, alors que la
fécondité des autres Tiers Mondes a reflué massivement
(d'un tiers en moyenne, de près de moitié en Chine), la
fécondité africaine s'est maintenue. Il s'en suit qu'après
une parenthèse de 10 millénaires à peine la part de
l'Afrique, sa part biologique, sera beaucoup plus considérable au
début du 3e millénaire, c'est une absolue certitude, le
coup est parti.
Un bien modeste verre d'eau à ce puissant fleuve
en simple témoignage de grande et respectueuse admiration. *
* *
M. Maurice LE LANNOU demande, au cas où l'on devrait
comparer négritude et celticité, s'il ne serait
pas préférable de choisir le terme de celtitude. Une analyse
affinée montre qu'il faut prêter à la désinence
udo une valeur exprimant l'intuition plus que l'analyse, tandis que le
suffixe itas serait plutôt abstrait. Dire celticité,
c'est donc attribuer au groupe celte des qualités rationalistes,
discursives, analytiques, opposées à l'intelligence africaine,
alors qu'on pouvait penser le contraire. Qu'en est-il de l'interposition de
l'humanisme rationaliste gréco-latin avec la berbéritude
et la négritude d'une part, et l'ensemble celte d'autre
part ? Cette celticité apparaît-elle très
différente des structures mentales africaines et des approches du
réel qui les caractérisent ?
*
* *
M. Jean FOURASTIÉ demande à M. le
président Senghor s'il estime que la poésie occitane populaire
présente une similitude avec la poésie sénégalaise
dans le domaine de la prosodie ? celle-ci est-elle par ailleurs
spécifique au Sénégal ou répandue dans toute
l'Afrique ? M. Fourastié serait également heureux si le
président Senghor donnait quelques indications sur la genèse des
langues africaines.
*
* *
1445 Les Nouvelles Éditions africaines, Dakar,
1981. 6 Revue Diogène, octobre 1956.
511
Le général Fernand GAMBIEZ tient à faire
part à M. le président Senghor de l'admiration qu'il avait
éprouvée lors d'un séjour au Sénégal, en
1963, organisé par le général de Gaulle, à
l'égard des structures sociales et économiques de ce pays.
L'image de la France y était toujours vivante et le
Sénégal était un modèle africain envié de
ses voisins. Mais quel contraste avec les autres pays d'expression
française ! Les chefs d'État vivaient dans
l'insécurité, dans l'angoisse d'un changement politique imminent,
favorisé par la prolifération des ethnies. La philosophie leur
a-t-elle apporté la sagesse ou le Sénégal demeure-t-il un
cas isolé ?
*
* *
M. François LHERMITTE tient à présenter
une remarque, à poser une question et à exprimer une conviction.
La remarque est la suivante : biologie et culture font ensemble l'individu, la
communauté, le peuple, le continent, l'humanité. Elles sont tout
à fait inséparables et l'on ne pourra jamais isoler le facteur
culturel du facteur biologique, aussi bien chez l'homme que chez les animaux.
Limiter les phénomènes biologiques à quelques pourcentages
de groupe sanguin est trop simple. Nous avons en nous-mêmes des centaines
de milliers de gènes différents les uns des autres : au regard de
cette diversité, celle des groupes sanguins est une mince affaire. La
question : les analogies mythiques et esthétiques que l'on constate
entre différentes cultures s'expliquent-elles seulement par des
migrations ou n'ont-elles pas plutôt pour origine l'évolution
normale de tout homme et de toute collectivité de la naissance à
la maturité ? L'analogie est, en effet, un concept très dangereux
si l'on oublie de prendre en compte la réalité indiscutable des
différents stades de maturation et de structures psychologiques dans
l'évolution des groupes. Le président Senghor peut-il donner
quelques indications sur le poids respectif de ces deux facteurs : les
migrations d'une part, l'évolution de la collectivité africaine
d'autre part ? M. Lhermitte exprime enfin sa conviction qu'à
l'idéalisme du président Senghor, il convient malheureusement
d'opposer le poids des idéologies qui commandent les comportements
humains et qui relèguent loin derrière elles les comportements de
raison.
*
* *
Réponse de M. le président
Senghor
M. le président Léopold Sédar Senghor
admet avec M. Jean Cazeneuve que la philosophie platonicienne est plus proche
de la philosophie africaine que celle d'Aristote. En effet, même si
Aristote accorde la primauté à l'intuition, il symbolise l'esprit
européen d'organisation et de méthode, opposé à
l'esprit africain, intuitif et créatif, que l'on découvre chez
Platon. Les Européens font preuve de rationalité alors que les
Africains privilégient la sensibilité. Mais le plus important
n'est-il pas ce fond commun qui existe dans toute civilisation possédant
les quatre facultés primordiales, à savoir la sensation, la
raison discursive, la raison intuitive et la volonté ?
En réponse à la question de M. Jean Stoetzel, M.
le président Senghor précise que les musulmans et les
chrétiens sont en nombre sensiblement égal en Afrique, les
musulmans étant plus nombreux en Afrique du Nord et
soudan-sahélienne, alors que les chrétiens sont majoritaires en
Afrique tropicale et équatoriale. Toutefois il est évident que le
Christianisme et l'Islam africains sont également inspirés par
l'Animisme. Aussi, dans cette perspective, ne s'agit-il pas
d'interpréter le dogme chrétien mais de le vivre en Africain.
C'est ainsi qu'aujourd'hui, au Sénégal, des chants polyphoniques
et grégoriens s'élèvent pendant la messe.
M. le président Senghor s'accorde avec MM. Pierre
Chaunu et François Lhermitte, pour constater que le facteur culturel
l'emporte sur le facteur biologique. Le message de l'Afrique est, en effet,
fondé sur le sens de la vie et l'art, donnant naissance à une
esthétique de la vie, réconciliant religion, philosophie et
même politique. Il est évident que l'influence de la civilisation
française a été déterminante pour concilier
religion et culture.
Répondant à M. Maurice Le Lannou, M. le
président Senghor fait observer que l'existence d'un fond irrationnel
chez les Celtes ne crée pas d'opposition entre celtitude et
celticité : il y a une celtitude au sein même de la
celticité. C'est une erreur de croire que la langue anglo-saxonne est
vouée à la rationalité et à la
scientificité. On pourrait en trouver une preuve dans la
sensibilité des poètes celtes, le métissage faisant la
richesse de la celticité. Si l'on considère les tableaux
numériques des groupes sanguins, le groupe A est le plus
représenté en Europe occidentale. Cependant deux exceptions
apparaissent : en Grèce et en Angleterre. Chez les Grecs le
métissage fut méthodique avec le Proche-Orient et
l'Égypte, et les Celtes se sont métissés avec des
négroïdes méditerranéens refoulés dans les
îles britanniques. Ce métissage biologique et culturel fait la
richesse des Celtes.
M. le président Senghor, répondant à M.
Jean Fourastié, rappelle l'importance de Paul Rivet, fondateur de
l'anthropologie française, qui a mis en évidence la
Méditerranée comme terre privilégiée de
métissage. En effet, les populations méditerranéennes sont
parmi les plus métissées, et, à ces latitudes, de grands
foyers de civilisations se sont développés. Les
ethnocaractérologues mettent dans l'ethnotype du Fluctuant les
Méditerranéens, les Africains et les Japonais. Aussi bien
faudra-t-il distinguer plusieurs types de langues : d'une part, les langues
à flexions indo-européennes et sémitiques, d'autre part,
les langues agglutinantes de l'Afrique et du Sud de l'Asie, enfin, les langues
à tons des Chinois et les langues à clics des Khoïsans. Les
écritures des grandes civilisations noires sont l'égyptien
ancien, le sumérien et le dravidien de la vallée de l'Indus
(déchiffré récemment par Asko Parpola).
512
L'Afrique est le berceau des grandes civilisations depuis deux
millions sept-centmille ans jusqu'à l'Homo Sapiens.
Après la découverte de l'écriture par les
Égyptiens, les langues agglutinantes se sont répandues en
Afrique. Mais qu'est-ce qu'une langue agglutinante ? Le français est une
langue analytique, de logicien, présentant une syntaxe de subordination,
alors que le sénégalais est une langue fondée sur
l'intuition, la juxtaposition ou la coordination.
En français, nous dirions : « Comme j'allais
puiser à la fontaine, un jeune homme, m'ayant atteinte, me dit « je
t'aime ».
En sénégalais, on dira : « J'allais
à la fontaine, un jeune homme me suivit, il m'atteignit, il me dit
« je t'aime ».
Voilà un exemple de syntaxe de juxtaposition.
M. le président Senghor tient à rappeler que le
Sénégal a été la plus ancienne colonie
française et qu'elle s'est imprégnée, alors, des apports
de la métropole. C'est pourquoi l'enseignement, la justice, la
politique, avec le pluripartisme, n'ont pas échappé aux vertus du
métissage. Si la récente réforme scolaire a
privilégié les mathématiques et les langues classiques,
elle a, cependant, introduit l'enseignement de six langues nationales
sénégalaises, mais la civilisation sénégalaise
n'est pas figée dans le passé. Depuis l'indépendance, elle
s'est tournée résolument vers l'avenir, créant une
nouvelle littérature métisse de langue française, un
nouvel art plastique, une chorégraphie et une architecture basée
en particulier sur les parallélismes asymétriques. Le pouvoir
créateur du métissage serait-il encore à démontrer
?
En réponse à M. François Lhermitte, M. le
président Senghor cite l'exemple des Bantous, qui sont allés
jusqu'en Afrique du Sud au moment de la désertification. Au cours de
cette migration, ils se sont mêlés aux Pygmées et aux
Khoïsans. À cela s'ajoute le phénomène culturel : le
milieu de la forêt tropicale a produit d'autres mythes et d'autres
habitudes, alors que pourtant les Bantous conservaient leur langue, venue du
Nord, la migration facilite le métissage. Qu'on se rappelle la formule
de Paul Rivet « Quand deux peuples se rencontrent, ils se combattent
souvent, ils se métissent toujours ». Reste qu'à la longue,
c'est le métissage culturel qui est déterminant.
Séance du lundi 26 septembre 1983.
M. Léopold Sédar Senghor, premier
agrégé africain de l'Université, fut de 1939 à 1945
professeur de lettres à Tours puis à Paris. Après la
Libération, il est professeur à l'École nationale de la
France d'Outre-mer. Député du Sénégal en 1945,
Secrétaire d'État à la présidence du Conseil en
1955, plusieurs fois délégué de la France à
l'UNESCO et à l'O.N.U., député à l'Assemblée
législative du Sénégal, puis ministre et enfin de 1960
à 1980 premier président de la République du
Sénégal. Léopold Sédar Senghor est docteur
honoris causa des Universités de Paris, Strasbourg, Ibadan,
Louvain, Fordham, Howard, Laval, Beyrouth, Le Caire, Alger, Bordeaux, membre
associé étranger de l'Académie des Sciences morales et
politiques (1969) et membre titulaire de l'Académie française
(1983). Il est l'auteur de nombreux poèmes, d'une Anthologie de la
Nouvelle poésie nègre et malgache (P.U.F., 1948,
préface de J.-P. Sartre) et d'essais (Libertés I,
Négritude et humanisme, Seuil, 1961 ; Libertés II :
Nation et voie africaine au socialisme, Seuil, 1971).
513
Léopold Sédar
SENGHOR
Allocution de Monsieur le Président Léopold
Sédar Senghor lors de l'inauguration de l'Espace culturel qui porte
son nom
"Chers Amis,
Il y a 18 mois, lors de la pose de la première pierre
de ce magnifique ensemble, je vous disais combien ma femme et moi-même
ressentions, avec fierté, l'honneur qui m'était fait en
dénommant ce lieu : ESPACE LEOPOLD SEDAR SENGHOR.
En ce 18 mars 1995, c'est un Versonnais qui partage, avec
vous, cet événement qui fera date dans la vie de notre
cité.
En effet, dans ma retraite normande, le poète
sérère, qui chantait jadis son sine natal aux verts bolongs, vit
pleinement sa "normandité" aux verts pâturages.
Je serai bref. Je voudrais non pas faire un discours, mais
simplement délivrer deux messages à l'attention des jeunes qui
vont fréquenter cet Espace.
Le premier est celui de la Culture que votre
Municipalité a voulu matérialiser ici même. "La Culture,
c'est une certaine façon, propre à chaque peuple, de sentir et de
penser, de s'exprimer et d'agir. C'est un langage commun, qui rapproche et unit
les hommes, une prise de conscience et une expression de la complexité
du réel : elle est un style, une manière d'éclaircir les
choses et les évènements".
A travers ces définitions, vous percevrez, je n'en
doute pas, toute l'importance de la Culture, tout son poids, pour
véhiculer les idées, révéler les talents, unir les
hommes les uns aux autres.
La Culture est, en un mot, l'âme même de la
société. Et vous comprendrez peut-être mieux si je vous
explique qu'elle s'étend d'un auteur classique qui m'est familier,
Hérodote, jusqu'à un artiste que les jeunes connaîtront
mieux : M.C. Solar.
Pour ma part, j'ai essayé d'être le porte-parole
de la culture négro-africaine, que j'ai appelé la
Négritude, et de son expression dans la Poésie et dans les
Arts.
Je me veux également le chantre de la Langue et de la
Culture française. Je crois, pour l'avenir, à la Francophonie,
plus exactement à la Francité, intégrée dans un
grand ensemble, et par-delà, dans une civilisation de l'Universel.
La civilisation de l'Universel, voilà le second message
que je vous livre.
Aujourd'hui, les hommes se communiquent leurs idées,
leurs sentiments, leurs techniques, d'un bout à l'autre du monde, par
des moyens qui ignorent les distances.
Pour se développer, les civilisations doivent se
respecter, s'enrichir de leurs différences pour converger vers
l'Universel que Teilhard de Chardin annonçait à l'aube du
troisième millénaire.
Cependant, nous devons reconnaître qu'actuellement, pour
une grande partie de l'humanité, l'échelle des valeurs a perdu
toute signification. Il vous appartient, à vous les jeunes,
d'élaborer cette Civilisation de l'Universel, qui sera faite des valeurs
complémentaires de tous les continents et de tous les peuples. Gardez
à l'esprit qu'il n'y a pas de civilisation sans culture car l'effort
culturel est lui-même la principale valeur de la civilisation.
Je souhaite que cet Espace Léopold Sédar Senghor
(puisque c'est ainsi qu'il faut l'appeler à présent) soit un lieu
de rencontres, d'échanges, qui vous permette de trouver le bonheur
culturel et de vous ouvrir aux autres civilisations.
Je voudrais, en terminant, vous remercier sincèrement,
Monsieur le Maire, ainsi que tout votre Conseil Municipal du plaisir que vous
m'avez apporté aujourd'hui."
Léopold Sédar Senghor, 18 mars
1995.
514
LA FRANCOPHONIE COMME CULTURE Léopold
Sédar Senghor
Qu'est-ce que la Francophonie ? Ce n'est pas, comme d'aucuns
le croient, une «machine de guerre montée par l'Impérialisme
français». Nous n'y aurions pas souscrit, nous
Sénégalais, qui avons été parmi les
premières nations africaines à proclamer et pratiquer, nous ne
disons pas le «neutralisme positif», mais le non-alignement
coopératif. Voilà exactement 20 ans, qu'en 1946, je proclamais,
en France, notre volonté d'indépendance, au besoin «par la
force», mais, en même temps, notre volonté d'entrer dans une
communauté de langue française. Si nous avons pris l'initiative
de la Francophonie, ce n'était pas non plus pour des motifs
économiques ou financiers. Si nous étions à acheter, il y
aurait, sans doute, plus d'un plus offrant que la France. Et si nous avons
besoin de plus d'assistants techniques francophones de haute qualification,
c'est qu'avant tout, pour nous, la Francophonie est culture. C'est un mode de
pensée et d'action : une certaine manière de poser les
problèmes et d'en chercher les solutions. Encore une fois, c'est une
communauté spirituelle: une noosphère autour de la terre. Bref,
la Francophonie, c'est, par-delà la langue, la civilisation
française; plus précisément, l'esprit de cette
civilisation, c'est-à-dire la Culture française. Que j'appellerai
la francité. Je le rappelle avant d'aller plus avant, la Francophonie ne
s'oppose pas; elle se pose, pour coopérer. Nous avons été,
parmi les nations francophones d'Afrique noire, la première
république unitaire à rendre /'anglais obligatoire, dans
l'enseignement du second degré et dans les écoles techniques.
Comme langue et civilisation de complémentarité -- et pour ne pas
parler franglais. Pour en revenir à la Francophonie, le seul principe
incontestable sur lequel elle repose est l'usage de la langue française.
Vous le devinez, cependant, notre attachement à la langue ne serait pas
si tenace s'il ne signifiait pas attachement à la culture
française. Voilà les deux points que je me propose de traiter.
Attachement à la Langue française, pourquoi?
C'est, tout d'abord, pour deux raisons historiques : de fait.
La première est que, ne voulant pas nous renier, nous ne voulons rien I
renier de notre histoire, fût-elle «coloniale)), qui est devenue un
I élément de notre personnalité nationale. Si je prends
l'exemple de I mon pays, la présence française y date de plus de
300 ans. Pour I notre malheur, mais encore plus, en définitive, pour
notre bonheur I parce que pour notre efficacité dans l'action. Les
épreuves nous I ont trempés. Et puis, il y a le français,
qui est une langue inter- S nationale de communication. C'est notre
deuxième raison de fait. Il y a d'autres raisons, plus profondes, qui
tiennent aux qualités même de la langue. Qu'il s'agisse de
morphologie ou de syntaxe, le français nous offre, à la fois,
clarté et richesse, précision et nuance. Clarté du
vocabulaire, qui tient à la clarté des procédés de
dérivation et de composition, des procédés de
dérivation en particulier, à partir des mots grecs et latins. Ce
qui n'empêche pas des procédés plus populaires et, partant,
plus spontanés et vivants. Ce qui provoque, surtout, une prodigieuse
richesse de mots. Pour prendre un S exemple, on a discuté sur le point
de savoir si nous étions des I francophones ou des franco-lingues. On
s'est même disputé. Le peuple aurait pu nous mettre d'accord en
faisant, de nous, des parlant-français. On eût crié au
franglais. Mais le Dictionnaire Robert avait déjà consacré
l'usage en optant pour « francophone ». Parfois deux mots synonymes
nous restent, voire trois. Ce qui fait la richesse de la langue. D'où
vient sa précision et ses nuances. On a donc discuté, gravement,
sur la propriété du mot « francophone)); on ne risquait pas
de se blesser grièvement. Car les francophones --je ne dis pas les
« français » --, qui ont l'habitude de ces discussions
grammaticales, les poussent rarement jusqu'à la dispute, et jamais
jusqu'aux coups.
Les mots français sont clairs et précis. C'est
qu'ils ont tendance à /'abstraction, qui en fait un merveilleux outil du
raisonnement. Et il n'est pas vrai que l'abstraction ignore le réel;
elle le réduit à son squelette, à son réseau de
relations, qui est son essence. Du moins pour l'homme d'action. Il est temps de
revenir à Descartes. Car le concret et les détails dans lesquels
on nous noie, maintenant, trop souvent, s'ils nous font sentir la vie, nous
empêchent de la penser ; de seulement voir la forêt. À cause
des feuilles et des branches ...
Des formes du français, de la morphologie proprement
dite, je ne retiendrai que les formes verbales. M. Robert Le Bidois
écrit, dans le journal le Monde du 24 octobre 1962: «/.a gamme des
temps français est d'une étonnante richesse. Quand il s'agit
d'exprimer le passé, notre langue dispose, pour le seul mode indicatif,
de cinq temps principaux : imparfait, passé simple, passé
composé, passé antérieur et plus-que-parfait; à
quoi if faut ajouter trois < temps surcomposés > ». Nous
retrouvons, ici, associée à la richesse des formes, la même
tendance à l'abstraction : à la clarté plus qu'à la
précision. Il y a, en wolof -- une des langues du
Sénégal--, une vingtaine de formes correspondant à
l'indicatif imparfait du français. C'est dire que cette langue ne manque
pas de précision. Mais c'est une précision vécue. Le wolof
insiste, en le précisant, sur /'aspect ; la manière
concrète dont se fait l'action. D'où, parmi d'autres
singularités, l'existence de cinq sous-modes de l'indicatif. Tandis que
le français, lui, insiste sur fa notion abstraite de temps. //
s'intéresse moins à la manière dont se fait l'acte qu'au
moment exact où il s'accomplit, en s'insérant dans le
déroulement de /'action.
515
La syntaxe du français est, comme celle de la plupart,
mais plus que celle de la plupart des langues européennes, une syntaxe
de subordination; de logique. Grâce à ses nombreux mots-outils,
comme
disait mon maître Ferdinand Brunot, aux mots-gonds que
sont les conjonctions, le français lie les
propositions entre elles ou les subordonne l'une à
l'autre. Les propositions et, partant, les idées. C'est ainsi que la
phrase française présente un ensemble synthétique,
où nul élément n'est isolé, mais où les
conjonctions de coordination et de subordination, qui sont
signes de relation entre les idées, facilitent /'analyse. C'est ainsi
que, se faisant analyse et synthèse à la fois, elle se
présente comme l'instrument efficace du raisonnement. « On ne
raisonne justement qu'avec une syntaxe rigoureuse et un vocabulaire exact
», affirme Anatole France dans le Génie latin. «Je crois que
le premier peuple du monde est celui qui a la meilleure syntaxe. »
J'ai parlé de la phrase classique : de la
période. Depuis Descartes, la langue française s'est enrichie par
les procédés indiqués plus haut. Et elle s'est assouplie
jusqu'à faire jaillir la subordination d'une
simple juxtaposition. À la syntaxe de la subordination
et du continu, tend à se substituer une syntaxe de la coordination et de
la juxtaposition du discontinu, dont ont usé et abusé les
surréalistes. Cette évolution s'est réalisée
grâce au large clavier, à la souplesse que nous offre, à
côté des relatives circonstancielles, les phrases nominales,
surtout le jeu subtil des participes et des appositions ou celui des modes et
des temps. En voici un exemple, qui n'embrasse pas, j'en conviens, tous les
tours :
«En toi mouvante, nous mouvant, nous te disons Mer
Innommable: muable et meuble dans ses mues, immuable et même dans sa
masse; diversité dans le principe et parité de l'Être,
véracité dans le mensonge et trahison dans le message; toute
présence et toute absence, toute patience et tout refus -- absence,
présence; ordre et démence -- licence ! ...»
C'est un poète, me direz-vous. Mais voici le texte d'un
philosophe : «De notre libre choix? Qu'allons-nous donc choisir? Il y a
quatre attitudes possibles, nous dit le Père. La première, c'est
celle du
pessimisme. Tout est mauvais, l'être même est
mauvais, if faut résistera la vie, il faut résister à
l'évolution, maintenant précisément que
nous en comprenons la duperie. Comment le Père va-t-il juger les tenants
de cette opinion, ces traîtres à la vie? Laissons-les, dit-il.
Ceci est caractéristique -- et j'y
reviendrai tout à l'heure -- de l'attitude du
Père Teilhard. Ce n'est pas un discoureur, il ne va pas essayer
de démontrer, il veut faire prendre des attitudes, il
veut nous inviter à voir les choses dans une certaine perspective, et je
le redirai quand je montrerai la place que tient l'attitude
phénoménologique dans la
pensée de Teilhard de Chardin. Ces traîtres
à l'existence, ces hommes fatigués, qui sont infidèles
à la
vie et qui se détournent d'elle avec lassitude, il n'y
a qu'à les laisser, à prendre les autres et à
continuer». C'est entre ces extrêmes que se meut, actuellement, la
phrase française avec une extrême liberté. La
langue se plie à toutes les exigences de la
pensée et au sentiment, voire de la sensation, passant de la rigueur du
diamant aux troubles fulgurances de la tornade, du mouvement large et lent de
la mer à la brièveté soudaine du coup de poignard.
Je vous ai cité, tout à l'heure, le verset d'un
poète : il s'agit de Saint-John Perse. Et le paragraphe d'un philosophe
: il s'agit de Gaston Berger. Ce n'est pas hasard. Saint-John Perse est le plus
grand des
poètes français vivants, et Gaston Berger, mort
il y a quatre ans, a été Directeur de l'Enseignement
supérieur en France. Ce n'est pas hasard puisqu'ils sont tous les deux
d'outremer: le créole guadeloupéen et le métis
franco-sénégalais.
C'est dire que nous voilà au-delà de la
grammaire: dans la stylistique de la langue française. Née du
développement de la linguistique, la stylistique étudie, comme
vous le savez, d'une part, les rapports
de la pensée avec sa traduction, ceux de l'individu
avec son expression d'autre part. C'est un problème
de stylistique que pose Rivarol, à propos de la
clarté, dans son fameux Discours de l'universalité de la langue
française. Cette clarté de la langue, selon lui, servirait le
philosophe et le diplomate, mais
gênerait le poète et le musicien. Je ne le crois
pas, et je l'ai dit ailleurs. Relisez donc les poètes du XVIe
siècle : de la langue française encore dans la jeunesse de sa
maturation avant quelle n'eût atteint sa maturité. Les grands
poètes d'alors, ils sont tous musiciens: Maurice Scève et Louise
Labé, Joachim du Bellay et Pierre de Ronsard, Agrippa d'Aubigné
comme François de Malherbe. Est-il rien de plus musical que les vers que
voici:
Toute ma Muse, ma Charité Ma toute où mon
penser habite,
Toute mon coeur, toute mon rien,
Toute ma maistresse Marie, Toute ma douce
tromperie,
Toute mon mal, toute mon bien.
On dirait d'Aragon à moins que d'Éluard; ces
vers sont de Ronsard. Comment expliquer la beauté de la prose,
singulièrement de la poésie française quand nous n'avons
découvert, dans la langue, malgré sa richesse, que rigueur et
abstraction, clarté et précision. Certes sa beauté est
dans ses qualités
516
intellectuelles; je dis : encore plus dans ses qualités
sensibles, voire sensuel/es. Je me le rappelle, quand je découvris le
français, à sept ans, c'était, pour moi, musique et
charme. La beauté du français, sa poésie, ne vient pas du
pouvoir imaginant des mots, qui se sont dépouillés du concret de
leurs racines; elle vient de la musique des mots et des phrases, des vers et
des versets : de leur rythme et de leur mélodie.
Je le sais, la netteté des consonnes françaises,
si elle donne, aux mots, une mélodie plastique, provoquerait vite une
impression de pauvreté. Mais il y a le rythme des mots. Et le jeu
harmonieux des voyelles, nombreuses et nuancées: voyelles longues ou
brèves, orales ou nasales, ouvertes ou fermées ou moyennes, sans
parler des semi-voyelles, des diphtongues ni des triphtongues. Mais je parlerai
du jeu des e muets, qui achève de donner, au mot, à la phrase, au
vers, avec ses nuances, fa palpitation même de la vie.
Puissance d'expression de la musique parce que puissance de
suggestion. Originalité merveilleuse de l'ouïe. C'est le plus
abstrait des sens après la vue. Mais elle plonge encore dans le
sensible, bien qu'émergée du sensuel. Ce qui fait que la musique
n'exprime pas une pensée, comme certains l'ont affirmé à
tort, mais traduit des sentiments en évoquant des images. On a
parlé du «stupéfiant image » aux beaux temps du
Surréalisme. C'est le charme musique qui fait la beauté de la
langue, en tout cas de la poésie française. L'apport des
poètes ultramarins, dans ce domaine, a été remarquable:
d'Évariste-Désiré de Parny à Saint-John Perse. Plus
près des forces cosmiques, c'est par la puissance musicale de leurs vers
qu'ils font lever les images. Comme des colombes, comme des sauterelles, comme
d'ardentes laves. C'est la voix d'Aimé Césaire :
à même le fleuve de sang de terre à
même le sang de soleil brisé à même le sang d'un cent
de clous de soleil à même le sang du suicide des bêtes
à feu à même le sang de cendre le sang de sol le sang des
sangs d'amour, à même le sang d'incendie d'oiseau feu ...
Ce long arrêt à la Poésie. Pour dire que
la langue française est culture, c'est-à-dire esprit de
civilisation, fondement d'un humanisme qui ne fut jamais plus actuel
qu'aujourd'hui. Ce sera la seconde partie de mon propos.
Or donc, comme je le disais en commençant, la
Francophonie -- plus précisément, la francité --, c'est
une façon rationnelle de poser les problèmes et d'en rechercher
les solutions, mais toujours, par référence à l'Homme.
Comme j'aime à le dire à mes compatriotes, tout ce que j'ai
appris en France, au Quartier latin, c'est la méthode.
« Toujours votre rationalisme français, si
abstrait », m'a lancé un ami africain. «Nous, nous nous en
tenons au pragmatisme, qui est une méthode d'action ». Charmant ami
I... Comme si ce n'était pas le fondateur du rationalisme moderne qui
avait écrit le Discours de la Méthode.
Abstrait, le rationalisme cartésien ? Sans doute et
nous le soulignerons bientôt. Mais s'il n'est pas essentiellement, il
est, d'abord, enracinement dans le réel, du moins dans la vie. On
oublie, trop souvent, qu'avant de faire métier de la philosophie, Des
cartes s'était engagé dans l'armée et à
l'étranger. Au demeurant, le Discours commence par une
autobiographie.
Pas pratique, le rationalisme cartésien ? Mais
Descartes fait, de la physique, le fondement de sa métaphysique, qui,
retournant à ses origines, est bien l'au-delà de la physique, non
sa négation. Et puis les mathématiques ne sont-elfes pas, dans le
monde technocrate et pratique d'aujourd'hui, la base de la science et, partant,
de la puissance matérielle ? Or Descartes se signala, pour la
première fois, en découvrant les lois de la mathématique
universelle.
Ce souci de la pratique s'exprime dans l'objectif que
Descartes assigne à ses recherches philosophiques : « procurer, de
la sorte, le bien de ses semblables». Et voilà que
transparaît, en même temps, le souci éthique: le souci de
l'Homme.
Mais tout cela, j'en conviens, ne fait pas l'essence du
Cartésianisme. Celle-ci est, comme le dit Gaston Berger, dans la
recherche d'une «science absolue», fondée sur une
«certitude inébranlable ». Elle est dans la rigueur d'une
méthode de recherche, qui commence par douter de tout, qui n'accepte que
l'évidence et qui, d'évidence en évidence, aboutit
à la seule évidence incontestable: celle du cogito, qui voit,
«dans la subjectivité transcendantale, l'origine de
l'objectivité elle-même'* ». Il est donc vrai que Descartes
ne fonde la réalité ou, plus exactement, la vérité
que dans la raison discursive. Dans la logique, c'est-à-dire la
cohérence qui relie les évidences l'une à l'autre, comme
une chaîne de relations, mieux: les unes aux autres, comme un
réseau, une toile d'araignée, dont le centre est le cogito.
Démodé, le rationalisme cartésien ? Je le
crois plus actuel que jamais. C'est Gaston Berger, le philosophe de l'action,
l'inventeur de la Prospective, qui préconisait le retour à
Descartes. C'est Edmund Husserl, le créateur de la
Phénoménologie, qui disait, à celui-là, tout ce
qu'il devait à Descartes, comme en témoignent les
Méditations cartésiennes du philosophe allemand. Le Rationalisme
nous paraîtra encore plus actuel si nous l'étudions en relation
avec /'empirisme des uns et /'intuitionnisme des autres.
517
Empirisme ou pragmatisme, les tenants de cette philosophie se
sont toujours basés sur /'expérience. Mais, c'est
l'évidence, pour que l'action y soit possible, il faut que le monde de
l'expérience soit rationnel : il faut que la raison discursive y
découvre les structures des objets d'expérience,
c'est-à-dire leurs relations réelles. Il n'y a pas d'action sans
méthode: sans logique. Dans un article intéressant,
intitulé Idéologie et Expérience, Arthur Schlesinger
écrit: «Les abstractions ne sont pas nécessairement à
écarter. En fait, nous ne pourrions pas raisonner sans elles. » Et
comment agir d'une façon efficace sans raisonner ?
Quant aux relations du rationalisme et de /'intuitionnisme, ce
sera l'occasion, pour moi, d'essayer de montrer comment le rationalisme
cartésien s'est enrichi de la pensée de Pascal, qui est, en
réalité, une double symbiose de la théorie et de
l'expérience, de la raison discursive et de la raison intuitive. Et
cette symbiose est éminemment française, qui s'exprime,
aujourd'hui, dans l'oeuvre de Pierre Teilhard de Chardin.
Pascal est, incontestablement, un rationaliste. Qu'il s'agisse
des Provinciales ou des Pensées, ce qui frappe d'abord, c'est la force
parce que la rigueur du raisonnement. S'agissant des Provinciales, leur
originalité est, précisément, que, pour la première
fois en Europe, dans une oeuvre destinée à un large public, on ne
fasse appel qu'à la raison la plus commune: le bon sens. Quant à
l'Apologie de la Religion chrétienne, elle est d'une logique
serrée qui tend à démontrer que non seulement la religion
n'est pas contraire, mais qu'elle est conforme à la raison : qu'elle est
vraie.
Pourtant, l'originalité de Pascal n'est pas là.
Elle est dans ceci, qu'il ne se contente pas de la théorie et de
l'argument; il étaye son raisonnement par des faits. // ne se contente
pas de l'expérience ; expérimente. Comme Descartes il commence
par une oeuvre scientifique: non par la mathématique, qui fait
comprendre l'univers, mais par la physique, qui le démontre par les
faits. Dans les Pensées, les faits d'expérience, ce sont les
faits historiques: les faits sociaux, comme nous disons aujourd'hui. Cependant
Pascal est, également, /'homme de foi qui a, le plus vigoureusement au
siècle de Descartes, assigné des limites à la raison
discursive et fait appel à la foi, c'est-à-dire au coeur,
à /'intuition ; « c'est le coeur qui sent Dieu, non la raison
». Je souligne le mot. Sentir, c'est le mot clef de
l'épistémologie des peuples noirs : des peuples de raison
intuitive. Sautons trois siècles d'histoire de France, trois
siècles pendant lesquels les Français restent, malgré bien
des brassages, métissages et influences, des rationalistes
impénitents, qui défendront romantisme, symbolisme,
surréalisme, en définitive /'intuition, à coups de
raisonnement. Comme en témoignent les Manifestes d'André Breton,
tout de passion, mais de passion lucide. Partant donc de Pascal, sautons trois
siècles pour nous arrêter à Pierre Teilhard de Chardin. La
comparaison n'est pas hasardeuse, elle est nécessaire. Ce sont
même race celtique, même esprit scientifique, même foi
ardente, même style. Mais de Pascal à Teilhard, le rationalisme
français s'est élargi et approfondi grâce au progrès
de la science, au développement subséquent de la technique et de
l'industrie, à la multiplication des relations interraciales et
inter-continentales. La synthèse s'est faite symbiose entre
théorie et pratique, argumentation et expérimentation, raison
discursive et raison intuitive ; bref, la logique analytique est devenue
logique dialectique.
L'oeuvre de Pierre Teilhard de Chardin, qui marquera, de son
sceau, le XXe siècle, est le signe le plus manifeste de cette
révolution si nous partons de Descartes. Je préfère parler
d'évolution en partant de Pascal. La juxtaposition de l'argument et de
l'expérience, de la raison et du coeur chez Pascal est devenu, chez
Teilhard, pour résumer, conjonction de la raison discursive et de la
raison intuitive par-delà la dialectique marxiste. Mais distinguons le
dialogue de la raison discursive avec elle-même de cet autre dialogue
où elle s'est engagée avec la raison intuitive depuis la fin du
XIXe siècle.
Au niveau de la seule rationalité, l'oeuvre de Teilhard
repose sur les deux seuls critères irrécusables de la
vérité: la cohérence théorique et la
fécondité pratique. C'est une dialectique véritable parce
que non trahie par le dogmatisme qui n'est qu'un retour à la
linéarité de la logique classique. Toujours à ce niveau,
cette logique dialectique s'appuie sur une science totale, en quoi elle
achève d'être dialectique. Teilhard s'appuie non seulement sur les
mathématiques comme Descartes, sur la physique comme Pascal, mais aussi
sur les sciences naturelles et sociales comme Marx et Engels. Il fait encore
mieux, qui intègre, dans sa recherche, la chimie et la biologie, voire
la paléontologie et la préhistoire, qui sont,
précisément, ses spécialités. Car Teilhard, comme
Descartes et Pascal, est un savant avant que d'être un philosophe. Il le
précise dans son ouvrage le plus important, le Phénomène
humain, qu'il présente comme «un mémoire scientifique».
«Rien que le Phénomène. Mais aussi tout le
Phénomène », précise-t-il.
C'est ici que le rationalisme français se fait,
à la fois, intégral et universel. Teilhard part, en effet, de
«tout le phénomène»: d'une manière
matérielle, et non métaphysique, d'une «manière
totale», dont toutes les propriétés sensibles -- physiques
et chimiques, mécaniques et biologiques -- sont examinées et
mesurées avec les derniers instruments d'analyse scientifique. Eh bien,
c'est au cours de cette analyse que le savant perçoit les traces de
/'esprit. C'est alors que, dans une intuition géniale,
518
Teilhard, faisant un retournement dialectique audacieux,
introduit l'esprit comme hypothèse, non plus au bout, mais au
début, au centre même de la matière, animant la
matière d'une vie en expansion -- éternellement. L'intuition
avait permis la synthèse scientifique, qui est d'une
fécondité incommensurable puisqu'elle nous donne, au
XXe siècle, la seule vision du monde qui nous permette de
tout comprendre. Mais surtout de tout oser pour agir.
Découvrir l'esprit, c'est découvrir /'Homme
sinon Dieu. Le titre du Phénomène humain est significatif. En
Francophonie, il s'agit toujours de l'Homme : à sauver et à
perfectionner, intellectuellement avec Descartes, moralement avec Pascal,
intégralement avec Teilhard.
On m'objectera, à propos de ce dernier: il s'agit
toujours d'un théoricien. Je réponds: il s'agit d'un savant.
Doublé d'un philosophe, qui a révolutionné jusqu'à
l'économie. On ne se moque plus de l'économie française;
on parle du miracle du Plan français. Pourtant la planification
française répugne à /'économétrie pour
intégrer I'humanisme. Économie et Humanisme, c'est le mouvement
économique français du regretté Père Lebret, qui a
pour ambition de réaliser, non seulement par la «croissance
économique», mais par le développement intégral, le
plus-être que Pierre Teilhard de Chardin assigne à l'Homme comme
fin.
Je vais conclure. Encore une fois, si comme complément
et accomplissement de Descartes, j'ai choisi Pascal et Teilhard de Chardin, I
ce n'est pas hasard. J'ai choisi deux Auvergnats, qui ont gardé, Il
sinon le sang, du moins le tempérament des Celtes. J'ai défini,
il j y a quelques années, la culture française comme la greffe du
génie I latin sur le génie celtique; de la clarté
méditerranéenne sur la I passion alpine. J'ai été
frappé, l'autre année, en visitant /'Exposition d'Art gaulois,
des affinités de cet art et de l'Art nègre. Comment expliquer S
cette ressemblance si ce n'est par le substrat passionnel de la raison
intuitive ? J'ai fait ce jour-là deux découvertes. La
première S est que, si les Gaulois ne sont pas nos « ancêtres
», à nous, les S Nègres, ils sont nos cousins. La
deuxième est que, comme eux, I nous pouvons, au «rendez-vous du
donner et du recevoir» que I constitue la Francophonie, rendre, au
génie méditerranéen, une partie au moins de ce qu'il nous
a donné.
La Francophonie ne sera pas, ne sera plus enfermée dans
les limites de l'Hexagone. Car nous ne sommes plus des « colonies » ;
des filles mineures qui réclament une part de l'Héritage. Nous
sommes devenus des États indépendants, des personnes majeures,
qui exigent leur part de responsabilités : pour fortifier la
Communauté en l'agrandissant.
Je n'entrerai pas dans les détails de l'organisation de
la Francophonie. Les États membres en décideront dans une libre
confrontation. L'essentiel est que la France accepte de décoloniser
culturellement et qu'ensemble nous travaillions à la Défense et
expansion de la langue française comme nous avons travaillé
à son illustration. Et elle l'accepte si elle n'en a pas pris
l'initiative. Je sais combien cet éloge est au-dessous de son objet. Mon
excuse est que notre attachement à la langue et à la culture
française est au-dessus de tout éloge.
LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR Pour un
humanisme de la francophonie
Les difficultés avec lesquelles sont confrontés
les gouvernements et leurs peuples -- je l'ai souvent dit, ces dernières
années, en sentant
venir la crise actuelle -- sont moins d'ordre
économique que politique, et moins d'ordre politique que culturel. Il
s'agit d'une crise de civilisation. Et ce n'est pas hasard si, le 15 novembre
dernier, l'éditorialiste du Monde, parlant du succès de
M. Yasser Arafat à l'ONU, commençait ainsi : «
L'événement montre à quel point les différends
tenant à la race, aux nationalités et aux religions transcendent,
en quelque sorte, les querelles politiques. » J'aurais
entièrement souscrit à ces lignes si l'on avait terminé
l'énumération par la culture, en y mettant l'accent.
Qu'est-ce donc que la francophonie ?
Nombre d'esprits distingués ont trouvé le mot
laid. S'il s'est maintenu, c'est qu'il s'était imposé par sa
nécessité.
Il a été, d'abord, très
régulièrement formé, avec le suffixe -ie, pour
désigner une collection : l'ensemble des pays où l'on parle
français, c'est-à-dire une des grandes
réalités du monde contemporain, à côté des
mondes anglophone, russophone, sinophone, lusophone, hispanophone.
Examinons de plus près cette réalité, en
partant de l'extérieur. À l'ONU, par exemple, cette année,
c'est quelque trente délégations, sur cent trente-huit, qui
s'expriment en français. Et l'accession à l'indépendance
des anciennes colonies portugaises, comme des Comores et des îles
Seychelles, va en
519
augmenter le nombre. L'ambassadeur d'une démocratie
populaire m'en faisait la remarque, le phénomène n'a pas
été sans aider au maintien, voire à la diffusion du
français dans le monde.
Mais que représentent, réellement, ces chiffres
si l'on descend des gouvernements et des élites aux peuples qui sont
concernés ? Je parle des pays qui composent la francophonie. En Europe
ils sont quatre, vingt-six en Afrique, cinq en Amérique, sept en Asie.
Si l'on y comprend les peuples de la péninsule indochinoise, le
français est, aujourd'hui, la langue d'avenir de quelque 231 millions de
francophones en puissance, répandus sur les cinq continents.
Mais que signifient « francophones en puissance » et
« langue d'avenir » ? Cela signifie qu'actuellement seuls quelque 75
millions d'hommes ont le français, ou un patois français, comme
langue maternelle. Cela signifie surtout que, pour la majorité des
autres, le français est une langue officielle, une langue d'usage ou une
langue de communication internationale, je veux dire une langue de travail.
L'enjeu est de faire de cette dernière langue, de scientifique qu'elle
est, une langue d'expression : une
langue du coeur, mais aussi une langue littéraire, qui
exprime l'âme intégralement. Du moins, pour les 231 millions de
francophones en puissance.
La francophonie ainsi présentée dans ses
dimensions géographiques et humaines, nous devons évoquer le lien
qui unit ces quarante-deux pays : la langue française. Mais il est moins
question de cette langue que de la civilisation dont elle est le
véhicule, plus exactement de son
esprit : de la culture française. Cependant,
s'il n'était question que de cela, comment pourrions-nous l'accepter
sans renoncer à notre identité, nous Négro-Africains, nous
Arabo-Berbères, Indochinois, Papous et Polynésiens, voire nous
Belges, Suisses, Canadiens ? Si nous acceptons comme objectif majeur de la
francophonie la défense et réalisation de la francité,
c'est qu'elle est liée, dans notre esprit, comme dans la
réalité historique, à la défense et
réalisation de nos cultures respectives.
Il nous faut nous arrêter à ces cultures
diverses, mais complémentaires, avant d'examiner par quels moyens nous
devrons les défendre et les réaliser. Et d'abord la
francité. Je m'étonne que le mot soit, aujourd'hui,
moins employé que celui de francophonie. En effet, comme l'a dit Maurice
Piron dans une communication de 1970 intitulée Francophonie et
francité, le dernier mot daterait de 1943 tandis que le premier
serait de 1962. C'est encore très régulièrement que le mot
francité a été forgé avec le suffixe -
ité, qui provient du latin -itas. Comme le note une
étude de l'université de Strasbourg que m'a envoyée, en
son temps, le professeur Robert Schilling, le suffixe, qui est très
productif, « sert à former des substantifs exprimant une
qualité désignée par l'adjectif de base ». Je
préciserai : « une qualité » ou « des
qualités ». La francité, c'est donc
l'ensemble des qualités exprimées par la langue et, d'une
façon plus générale, par la culture française.
On aurait pu tout aussi bien dire « francitude », comme nous
disons négritude ; mais, précisait Robert Schilling, le
suffixe -itude introduit une nuance moins abstraite. Et cela justifie
le choix d'Aimé Césaire, qui, en forgeant le mot,
préféra « négritude» à «
négrité ».
Dans une conférence intitulée Anglophonie et
Francophonie, que j'ai prononcée, le 26 octobre 1973 à
l'université d'Oxford, j'ai essayé de définir, face
à l'anglais, les vertus de la langue et de la culture françaises.
Je me contenterai de résumer mes propos d'alors. Si tous --
Français, francophones, étrangers -- sont d'accord pour
reconnaître dans la clarté la principale vertu de la
langue française, ils divergent sur les causes de cette clarté.
D'aucuns, à commencer par Rivarol, invoquent le style direct »,
d'autres la « précision » du vocabulaire, d'autres encore la
« ponctuation ». Souvent les mêmes personnes avancent les
mêmes arguments. Et ils n'ont pas tort. À Oxford, j'ai
développé cette idée que la clarté du
français, langue intelligente s'il en fut, lui venait, essentiellement,
de son abstraction. Rappelons, avant d'aller plus avant, la
définition que le Robert donne du mot : « Fait de
considérer à part un élément (qualité ou
relation) d'une représentation ou d'une notion, en portant
spécialement l'attention sur lui et en négligeant les autres.
» On ne saurait mieux dire, sauf qu'on peut abstraire non pas une
seule qualité, mais quelques qualités, en nombre toujours
limité. La première preuve de l'abstraction du français
est non pas précisément la pauvreté, mais la richesse
tempérée de son vocabulaire, qui est d'environ 93 000 mots en
face des 347 720 mots de l'anglais. C'est ainsi que le français est
l'une des plus pauvres des langues romanes : parce qu'issu du latin, qui
était pauvre, il a reçu moins d'apports exotiques que ses
voisines ibériques.
Il est, cependant, l'une des langues les plus précises
qui soient. C'est d'abord que l'abstrait, étant plus pauvre en
qualités, est plus intelligible que le concret. C'est aussi que le
français, grâce à l'abondance de ces gonds de la
pensée que sont les conjonctions de subordination, insiste sur les
relations des êtres et des choses plus que sur leurs qualités
sensibles. C'est encore que le français est pourvu d'une grande
variété de préfixes et de suffixes, qui lui permet de
former des familles de mots parfois très étendues, mais surtout
que ces affixes, parce que venus, pour la plupart, du latin ou du grec, sont,
par là, plus intelligibles, même aux non-francophones pourvu
qu'ils aient une culture générale. C'est, enfin, que le
français, peu sensible aux aspects de l'action verbale qui
soulignent ses
520
modalités concrètes, a
préféré multiplier les temps, qui marquent les
relations temporelles, donc de causalité et, partant,
d'intelligibilité.
Je pourrais continuer l'énumération. Je m'en
tiendrai là pour en tirer une première conclusion. Langue
d'intelligence grâce à sa clarté et à
l'équilibre de sa phrase qui met toute chose à sa place, le
français est une langue tonique. C'est ce que je disais,
à Oxford, en ces termes : « Et pourtant, au risque de
paraître paradoxal, j'avancerai que ce qui me frappe, dans le
français, c'est moins la clarté que l'équilibre de la
langue. Je ne l'ai jamais autant senti que pendant ma captivité. Fait
prisonnier de guerre le 20 juin 1940, je vous laisse à deviner quel
devait être mon moral pendant ce sinistre été. Eh bien, mon
plus grand réconfort, je l'ai trouvé dans la lecture des
prosateurs français -- pas des poètes. Je parle de Bossuet et
Pascal, Stendhal et Flaubert, Gide et Colette. Cela me remettait dans mon
assiette.
»
Le français est aussi, quoi qu'on en ait dit, une
langue poétique. Bien sûr, il n'a pas les ressources
phonologiques de l'allemand ni surtout de l'anglais, mais l'absence des
laryngales, la richesse moyenne du vocalisme, la présence dans celui-ci
de Vu, de Ye muet et des nasales, en font une langue
harmonieuse. C'est cela surtout qui me frappait, à sept ans, quand j'ai
commencé de l'apprendre, et le mangeais, délicieusement, comme
une confiture.
En combinant toutes ces ressources dans une symbiose du
concret et de l'abstrait, du populaire et du précieux, en mêlant
l'inversion et la rupture de construction, la simple nomination et l'image,
l'assonance et l'allitération, les grands poètes français
du xx° siècle -- un Claudel, un Péguy, un Saint-John Perse
-- ont porté la poésie française au niveau des plus
grandes poésies du monde et des temps, sans lui faire perdre son
équilibre.
C'est cet équilibre qui résume les vertus de la
francité : entre la chair et l'intelligence, le coeur et l'esprit.
Descartes le disait déjà, notre raison, qui est la
marque propre de l'homme, se compose du « penser », du « vouloir
» et du « sentir ». Au moment que les passions, mais surtout les
appétits collectifs, se déchaînent, que les sciences et les
techniques se mettent à leur service au lieu de les freiner, risquant,
par là même, de nous conduire à la catastrophe finale,
jamais ces vertus que voilà de la francité n'ont
été si nécessaires au monde.
Mais aussi les vertus des autres civilisations
différentes : pour réaliser, au niveau de l'universel, un
équilibre supérieur. D'autres pourraient parler avec pertinence
des apports arabes, indiens, indochinois à la civilisation de
l'universel. Je pourrais moi-même décrire longuement les
apports de la civilisation négro-africaine, puisque je suis
négro-africain et que l'Afrique noire francophone comprend quelque 80
millions d'âmes. Je me résumerai, ici encore, en renvoyant aux
travaux des africanistes, des « négrologues » comme disent nos
jeunes gens, que furent, en France, Maurice Delafosse, Marcel Griaule et Lilias
Homburger, que sont, aujourd'hui, des professeurs comme Georges Balandier,
Louis-Vincent Thomas, Dominique Zahan et une cohorte de chercheurs, pour ne pas
les citer tous. Que, depuis cent ans, les Négro-Africains aient beaucoup
apporté à la civilisation humaine, c'est l'évidence, comme
l'ont montré, outre les négrologues, les écrivains, mais
surtout les artistes et critiques de l'Ecole de Paris. Parmi les
apports culturels, ceux de l'art nègre sont les plus connus. La
« révolution nègre », pour parler comme Emmanuel Berl,
n'a pas exercé son influence seulement sur les arts plastiques, mais
encore sur la musique, le chant et la danse, voire sur les moeurs. Hermann von
Keyserling le faisait remarquer, les Américains chantent et dansent,
marchent et rient maintenant comme les Nègres. Et le monde est en train
de s'américaniser. Pour son mal et son bien en même temps.
En attendant, les apports nègres à l'art
universel se sont révélés fécondants, en
développant chez l'artiste et l'écrivain le sens de l'image
analogique et d'un rythme dynamique parce que vital, fondé qu'il est sur
des parallélismes asymétriques. Cependant, si la contribution
négro-africaine est telle -- souvent, au demeurant, par le détour
des Amériques -- c'est que, derrière ces apports artistiques et
littéraires, il y a avec une philosophie tout un art de vivre.
C'est cette philosophie et cet art de vivre que nos jeunes chercheurs sont en
train de définir en coopération avec les négrologues
français. On peut dès maintenant en tracer les valeurs, qui se
résument dans l'unité des contraires. C'est l'opposition
et en même temps la complémentarité par symbiose du monde
visible et du monde invisible, de l'un et du multiple, de la matière et
de l'esprit, de la vie et de la mort, comme du mâle et de la femelle.
D'un mot, la pensée négro-africaine est dialectique comme la
réalité avec laquelle elle se confronte.
Ce qui explique son art de vivre dans une
société où l'individu s'intègre dans la
communauté, l'art dans la religion, la religion dans
l'appréhension d'un Dieu saisi aux dimensions de l'univers,
c'est-à-dire dans l'intégration de l'homme à Dieu. Et
réciproquement, car, pour prendre ce dernier exemple, Dieu dépend
aussi de nous, qui le faisons plus Dieu en l'humanisant. D'où une
société où la vérité est dans le dialogue,
la prospérité dans le travail communautaire, la beauté
dans les formes accordées.
J'évoque une négritude, comme je l'ai
fait de la francité, ramenée à ses valeurs
essentielles. Bien sûr, je n'ai pas la naïveté de croire que
ces deux cultures sont parfaites : l'une et l'autre ont leurs défauts et
leurs lacunes. Il en serait ainsi si, restant dans la francophonie, l'on avait
parlé de l'arabité ou de
521
Yindo-sinité. À la réflexion,
toute culture contient l'ensemble des valeurs humaines, mais chacune n'a mis
l'accent que sur telles valeurs, en négligeant les autres. D'où,
à la longue, une distorsion du visage humain sur chaque faciès de
la civilisation humaine. D'où encore la nécessité, pour
chaque culture, de se ré-humaniser en empruntant tel trait,
presque effacé chez elle, du visage humain. D'où, enfin, la
nécessité d'élaborer, s'étendant sur les cinq
continents, une symbiose culturelle comme celle de la francophonie,
qui est d'autant plus humaine, parce que d'autant plus riche, qu'elle unit les
valeurs les plus opposées.
La francophonie s'incarne donc dans l'ensemble des pays qui
ont la langue française comme instrument de communication et
d'échanges non seulement économiques, mais surtout
socio-culturels. Et c'est un fait que, dans ces échanges, les cultures
du tiers monde ne viennent pas les mains vides. Il reste que cette francophonie
ne serait pas réelle si elle n'était pas subjectivement
sentie comme telle. Or elle l'est, et plus longtemps et plus vigoureusement
qu'on ne le croit. Déjà, le 15 avril 1789, dans les
Très humbles Doléances et Remontrances des habitons
(sic) du Sénégal aux citoyens français tenant les
états généraux, des Négro-Africains se
proclamaient, sans complexe, « Nègres » et «
Français ». Nous disons aujourd'hui francophones. L'idée est
la même : au-delà d'un possible métissage biologique -- qui
était réel à Gorée et Saint-Louis du
Sénégal, mais là n'est pas l'important --, il est question
essentiellement d'un métissage culturel. C'est ce sentiment
communautaire qui prévaut dans toutes les rencontres francophones --
congrès, conférences, colloques, séminaires, biennales --,
et qui a tout simplement explosé cette année à la «
Superfrancofête » des jeunes à Québec.
Il y a aujourd'hui toute une littérature sur la
francophonie, dont je ne citerai ici que trois ouvrages parmi ceux qui m'ont
paru les plus importants-: la Francophonie par M. Auguste Viatte,
la Francophonie en marche par M. H. de Montera et la Francophonie
en péril par M. Gérard Tougas. Il y a surtout de nombreuses
associations, dont l'objet est de réunir, sur les cinq continents, les
francophones d'une même profession -- parlementaires, médecins,
juristes, etc. --, mais le but réel de défendre, avec la langue,
la culture française. Les plus actives et les plus significatives de ces
associations sont la Fédération du français universel, qui
groupe une quinzaine d'organismes, et le Conseil international de la langue
française. Je voudrais m'arrêter à celui-ci, non parce que
j'en suis membre, mais qu'il me permettra de poser, par-delà la
défense de la langue française, le problème de l'humanisme
contemporain. Le Conseil international de la langue française,
fondé en 1967 à l'initiative du président Georges
Pompidou, alors premier ministre, « a pour but la sauvegarde et
l'unité de la langue française dans le monde. Il rassemble,
à cet effet! des linguistes, des grammairiens, des chroniqueurs de
langage et, d'une manière générale, les défenseurs
du français, à l'oeuvre dans les divers Etats où le
français est langue nationale, officielle, de culture, de travail ou
d'usage ». Ainsi parle l'article premier des statuts du C.I.L.F. C'est
dire ses ambitions, mais aussi ses limites, car il ne s'agit, ici, que de la
seule langue française. Ces limites, le Conseil les a senties, qui
envisage d'organiser, en 1976, un colloque sur les « Relations entre la
langue française et les langues africaines ». Anticipons donc sur
ce futur colloque pour poser le problème globalement.
On a mis l'accent sur le renouvellement et
l'enrichissement de la langue. A juste titre. C'est une
singularité de ce temps, si fertile en paradoxes, que la langue la plus
claire et la plus précise, la plus scientifique, ait pu sembler
incapable de traduire la science moderne. Faute d'un vocabulaire
approprié. Un chef d'État africain me disait, l'autre
année, la consternation de chercheurs de son pays découvrant,
dans un laboratoire du C.N.R.S., que la liste des mots scientifiques
appropriés était dressée en anglais. Je donne
l'information pour ce qu'elle vaut, avec cette précision qu'en Afrique
les mots ont un pouvoir.
C'est encore dans le domaine du vocabulaire que la
Fédération, le Conseil, et l'Académie, avec qui il nous
faut compter, ont fait le travail le plus efficace. Je voudrais seulement
insister sur cette idée, chère au regretté Robert Le
Bidois, que les pires ennemis du français ne sont pas forcément
les mots venus de l'anglais, mais ceux-là, quelle que soit leur origine,
dont la forme ne permet pas de créer, au moyen d'affixes, une famille de
mots aux sonorités françaises parce que familières. Cette
dernière exigence ne doit pas s'appliquer seulement aux mots
scientifiques et techniques, notamment à ceux traduits de l'anglais.
Nous, les francophones d'au-delà l'Hexagone, nous devons être tout
aussi sévères pour les néologismes que nous sommes
amenés à inventer. À l'intérieur des limites ainsi
tracées, notre liberté doit être réelle, car nos
besoins sont réels, de forger, quand la nécessité s'en
fait sentir, des mots nouveaux, voire des expressions nouvelles, pour exprimer
des faits et des réalités nouvelles. C'est ainsi qu'au
Sénégal nous avons, pour les besoins de notre administration,
créé des mots comme primature, primatorial, gouvernance,
et qu'à côté des harpistes, guitaristes et pianistes
de France, nous avons nos koristes, khalamistes et balafongistes.
Cependant toute la grammaire ne se réduit pas à la
lexicologie, loin de là, surtout dans l'enseignement des premier et
second degrés, qui doivent en priorité retenir notre attention si
nous voulons édifier, sur des bases solides, un humanisme de la
francophonie. Dans le laxisme général qui sévit
actuellement, les enseignants ont tendance à sacrifier l'étude
raisonnée de la grammaire à la méthode audio-visuelle, qui
favorise intuition et spontanéité. Le mal s'est répandu
en
522
larges flots au delà de l'Hexagone, où les
commissions de réforme nous ont proposé 1'« essai
littéraire » de préférence à l'analyse de
texte et à la dissertation d'autrefois. Et il a inondé jusqu'aux
ministères et aux palais présidentiels. Il m'arrive souvent de
relire une page d'un rapport pour en comprendre le sens.
Le grave n'est pas, en effet, dans les fautes de syntaxe,
surtout si elles n'obscurcissent pas le sens de la phrase ; il est dans cette
fausse élégance où l'on abuse des clichés à
la mode, souvent formés de manière irrationnelle. Les Anglais
eux-mêmes la dénoncent sous le nom de genteelism. Comme
le français n'est pas notre langue maternelle et que, partant, nous n'en
avons pas l'intuition, l'on en arrive parfois, en Afrique et en Asie, à
dire le contraire de ce qu'on voudrait.
Que l'Europe, après deux mille ans de corset
rationaliste, s'ouvre à la spontanéité, sinon au
spontanéisme, rien de plus naturel, voire de plus nécessaire.
Mais nous, qui vivons sur la terre de l'intuition, de l'émotion, si nous
voulons éduquer nos enfants au sens étymologique du mot,
il nous faut chercher une autre voie. Il nous faut, après les moiteurs
et torpeurs de l'hivernage, les ouvrir à la fraîcheur des
alizés : à la règle et au compas, à l'esprit
d'organisation et de méthode. Je suis d'autant plus libre de
l'écrire qu'avec les philosophes grecs, qui ont fondé le
rationalisme européen, je crois la raison intuitive supérieure
à la raison discursive. Or donc au Sénégal -- ce n'est
qu'un exemple parmi d'autres --, nous avons réagi : des instructions ont
été données et une commission ministérielle
travaille, en ce moment même, à amender, avec les manuels, les
programmes du français pour l'enseignement du second degré. La
très grande majorité de nos enfants étant destinés
à exercer non pas des carrières littéraires ou
artistiques, mats des activités de recherche ou de production, on
commencera par favoriser l'étude de la grammaire. Dans cette
perspective, on mettra l'accent dans le premier cycle sur la lexicologie, la
morphologie et la syntaxe, tandis que dans le second on le fera sur la syntaxe
de nouveau et sur la stylistique. Encore une fois, dans ce monde livré
aux appétits collectifs, et qui vacille sur la faiblesse de ses jambes,
ce dont ont besoin les générations futures, c'est de savoir
penser réellement, en intégrant la logique dans la
dialectique de la vie ; c'est aussi de savoir s'exprimer clairement,
en mettant tout fait et toute idée à sa place : en
équilibre. Alors elles pourront vouloir refaire le monde. Pour l'homme.
Mais elles ne le pourront pas dans les limites étroites de l'Europe.
Pour élaborer un « humanisme intégral
», tel que le voulait Jacques Maritain, il faut comprendre toute notre
planète, avec ses cinq continents, ses ethnies et ses civilisations
différentes. C'est une chance qu'après les soldats, les colons,
les missionnaires, l'Université française ait, à son tour,
exploré les continents et les civilisations pour en extraire les «
substantifiques moelles ». C'est avec toutes celles-ci, rassemblées
et harmonieusement mêlées, que nous pourrons élaborer un
humanisme intégral. À quoi doit tendre le grand dessein de la
francophonie. Notre chance, c'est que l'Université, du moins la
pensée française, ait commencé l'entreprise depuis le XVII
e siècle : depuis Montesquieu et l'abbé
Grégoire. Et l'on compte, au XX e siècle, nombre de
Français parmi les plus grands spécialistes des civilisations non
européennes. J'ai cité quelques négrologues. Pour
continuer d'employer le même vocabulaire, je citerai maintenant, parmi
les arabologues, Massignon, Blachère, Pérès, Laoust,
Berque et Monteil ; parmi les sinologues et indianologues, Maspero et Granet,
Grousset, Renou et Lévi. Naturellement, j'en passe, et
d'éminents. Ce sont ces humanistes, puisqu'il faut les appeler par leur
nom, qui nous ont aidés à mieux connaître nos langues et
civilisations différentes. Je ne dirai jamais assez, par exemple, ce que
je dois à Lilias Homburger, qui enseignait à l'Ecole pratique des
hautes études. C'est grâce à elle que nous nous sommes,
aujourd'hui, engagés dans l'étude comparée des langues
négro-africaines et dravidiennes, qui se révèle
particulièrement féconde. Cependant, il ne faut pas se le cacher,
l'ethnologie et, plus généralement, la science française
des civilisations sont menacées. Après les indépendances
africaines de 1960, l'opinion publique française s'est, peu ou prou,
désintéressée des autres, et surtout de
l'Afrique. On s'est replié sur l'Europe ou, au mieux, sur
l'Euramérique, tandis que l'Amérique, elle, s'intéressait
de plus en plus à l'Afrique. Presque toutes les grandes
universités américaines ont chacune son African Studies
Center, où l'on enseigne la négritude dans ses
versions française et anglaise aussi bien qu'africaine. J'ai
interrogé le conservateur en chef des Archives nationales du
Sénégal. Il m'a répondu que la moitié des
chercheurs qui venaient y travailler étaient américains. Et de
fait, chaque année, les ouvrages sur l'Afrique publiés par les
universités américaines sont de plus en plus nombreux et
meilleurs.
Évidemment, nous nous en réjouissons tout en
regrettant la baisse des études africaines, asiatiques,
amérindiennes et océaniennes en France. J'ai, en son temps, saisi
les autorités françaises du problème, qui m'ont
écouté, je le reconnais, avec intérêt. Il s'agit
essentiellement dans le cadre de la francophonie de développer, en
France même, les études que voilà. Ce n'est pas seulement
une question budgétaire, encore que celle-ci soit primordiale ; c'est
aussi une question d'organisation et de coordination de toutes ces
études. Pourquoi n'organiserait-on pas, par exemple, des
séminaires et colloques sur les langues et civilisations ultramarines,
comme en a organisé le Centre d'études francophones de
l'université de
523
Paris-Nord sur les littératures nègres
d'expression française ? C'est une question de volonté politique.
Pas au sens de la politique politicienne, bien sûr, mais de la
politique culturelle.
Nous sommes en pleine crise mondiale. Je l'ai souvent dit
depuis un an, et même avant, derrière la crise économique
il y a une crise morale. En effet, dans la crise économique qui menace
de nous entraîner, tous ensemble, vers une troisième guerre
mondiale, ce qui est en question, ce ne sont pas des techniques, ni même
des théories économiques, mais un problème de justice
sociale, c'est-à-dire un problème de civilisation et, partant, de
culture. Il s'ensuit qu'en définitive les solutions ne peuvent
être que culturelles.
Vouloir la justice pour les autres, c'est,
auparavant, penser dans les pensées des autres pour
s'identifier aux autres. Ce qui est un moyen efficace de connaissance
réciproque. Ce sont les guerres de culture qui provoquent les guerres
économiques, qui, à leur tour, provoquent les guerres
d'autodestruction humaine.
Un humanisme comme celui de la francophonie est encore le
meilleur moyen de combattre celles-ci en s'enrichissant mutuellement. Dans
notre cas, il s'agit d'enrichir un humanisme déjà riche et qui
provient lui-même d'une «greffe», comme l'écrivait Paul
Valéry dans Images de la France.
Il n'y a rien de moins aristocratique que cet idéal
d'homme complet, puisque au fond il est celui de toutes les civilisations des
hautes époques, parvenues à la conscience de leur rôle. Et
d'abord de la Grèce ancienne, à laquelle il faut toujours
revenir. Comme on le sait, beaucoup des héros mythiques qui
fondèrent ses cités venaient, significativement, d'Afrique ou
d'Asie, comme Danaos et Cadmos. C'est Herbert Morrison, alors ministre des
Affaires étrangères, qui proclamait, à l'Assemblée
consultative du Conseil de l'Europe, que la civilisation britannique
était une civilisation de métissage. Et encore plus,
ajouterai-je, celle du Commonwealth. C'est pourquoi je ne vois pas une
ennemie dans l'anglophonie, mais une culture complémentaire de la
francophonie. Il s'agit, ici et là, dans une même
émulation, comme je l'ai dit à Oxford, de proposer un
idéal d'homme à la civilisation de l'universel. Nous pensons,
simplement, que le nôtre est plus complet.
Dans le dernier chapitre de son livre, chapitre
intitulé They know how to live, Gérard Tougas parle de
« cette alliance du goût, de la sensibilité et de
l'intelligence qui résume les manifestations les plus hautes de l'art
français ». Il s'agit, dans la nouvelle entreprise de la
francophonie, d'allier le goût à la force, la sensibilité
à l'émotion, l'intelligence à l'intuition. Pour
être, encore une fois, un homme ultra-humain parce
qu'intégralement humain.
LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR
de l'Institut
Contributions de Léopold Sédar Senghor
à la revue DE LA FRANCOPHONIE Léopold Sédar
Senghor Éthiopiques. Spécial centenaire. Contributions de
Léopold Sédar Senghor à la revue 1er semestre
2006
DE LA FRANCOPHONIE [1]
Je suis heureux de me retrouver, une fois de plus, au
Québec. Et j'ai la chance d'avoir été invité, de
nouveau, par l'Université Laval et pour vous parler de la Francophonie.
J'en suis, d'autant plus heureux que, Vice-président du Haut Conseil de
la Francophonie, c'est également l'occasion, pour moi, de participer,
comme conseiller, au Second Sommet des Chefs d'Etat et de Gouvernement. Last
but not least, comme disent vos compatriotes anglophones, j'arrive de
Normandie, où j'ai laissé ma femme, une Normande de vieille
souche. Et à vous entendre, avec vos noms et votre accent normands, j'ai
un peu l'impression d'être chez moi.
Or donc, je vais vous entretenir de la Francophonie, mais
surtout, de la Francité. Et pourtant, c'était l'objet de mon
discours quand, le 22 septembre 1966, vous m'avez fait Docteur honoris causa de
votre Université. C'est qu'avec le Second Sommet, nous sommes non
seulement au coeur du problème, mais encore à la dernière
étape, majeure, où il faut réussir ou renoncer. Et vous
savez bien que renoncer en succombant n'est pas français, non plus que
québécois. Et vous l'avez prouvé. C'est l'occasion, pour
moi, de rendre l'hommage qu'ils méritent aux premiers
québécois, singulièrement à René Levesque et
Pierre Eliott Trudeau, avec lesquels j'ai discuté, en son temps, du
problème. Je n'oublierai pas Jean Lesage ni Jean-Marc Léger, non
plus que Jean Drapeau, qui fut maire de Montréal, sans oublier le
524
Premier Ministre actuel Brian Mulroney. C'est que nous avons
reçu celui-ci à l'Académie française. En sa
présence, nous avons introduit, dans le Dictionnaire, le mot canadien
« foresterie », que j'ai défini. Et le Premier Ministre
canadien, qui est d'origine celtique, vous le savez, comme « nos
Ancêtres les Gaulois », a créé le « Grand Prix de
la Francophonie ».
Cela dit en manière d'introduction j'aborderai le
problème de la Francophonie en faisant, pas trop longuement, son
historique ou, plus précisément, sa préhistoire.
Ce n'est pas hasard, si nous avons été les deux
premiers, un Canadien et le Sénégalais que je suis, à
lancer le néologisme de francité. Il est vrai que, depuis quelque
100 ans, Onésime Reclus, un géographe français, avait
inventé les deux mots de « francophone » et «
francophonie ».
* *
*
On a souvent contesté, et la formation, et la
signification des deux derniers mots. A tort. En effet, comme le disait mon
maître Ferdinand Brunot, l'un des fondateurs de la Grammaire moderne, la
loi fondamentale de la Grammaire n'est pas la rationalité
cartésienne, mais l'analogie. D'où il résulte
qu'aujourd'hui, et pour les lecteurs francophones, la Francophonie peut
signifier :
- l'ensemble des Etats, des pays et des régions qui
emploient le français comme langue nationale, langue de communication
internationale, langue de travail ou langue de culture ;
- l'ensemble des personnes qui emploient le français dans
les différentes fonctions que voilà ;
- la communauté d'esprit qui résulte de ces
différents emplois.
Quant à la francité, on peut la définir
comme l'ensemble des valeurs de la langue et de la culture, partant, de la
civilisation française. Nous y reviendrons quand nous la comparerons
à la négritude. Mais pourquoi, me demandera-t-on, dire «
francité », comme « latinité », «
germanité », « arabité » et non pas «
francitude » comme « négritude », «
berbéritude », « slavitude », « sinitude ».
Qu'on se rassure. Ce n'est pas une question de supériorité ni
d'infériorité, mais de civilisation différente. Ce n'est
surtout pas un auto-mépris culturel chez les militants de la
Négritude que nous étions dans les années 1930, que nous
sommes toujours, Aimé Césaire et moi. C'est simplement que les
mots en-itude ont un sens plus concret ou, ad libitum, moins abstrait que les
mots en -ité, comme l'a prouvé un mémoire de diplôme
d'études supérieures soutenu à l'Université de
Strasbourg.
Je ne voudrais pas faire, ici, encore une fois, tout
l'historique de la Francophonie. Vous le trouverez dans l'ouvrage, remarquable,
du professeur Michel Tétu, intitulé « La Francophonie »
et que je viens précisément de préfacer. Je voudrais
rappeler, simplement, que nous avons été trois Africains, Habib
Bourguiba, Hamani Diori et moi, à lancer, plus que le mot, l'idée
de Francophonie. On oublie, trop souvent, le rôle, majeur, que joua le
Général de Gaulle dans la naissance et l'organisation de la
Francophonie. Il est vrai qu'homme de culture et de courtoisie, homme de pudeur
par excellence, Charles de Gaulle voulut, toujours, laisser les Africains
prendre les initiatives, après Brazzaville.
Or donc, après l'échec de Dakar, où le
Gouverneur général Boisson avait refusé de le suivre dans
la Résistance, en septembre 1940, le Général de Gaulle fut
plus heureux, quatre ans après, à la Conférence de
Brazzaville, en janvier 1944, où il prononça son fameux discours,
dont voici l'essentiel :
« Mais en Afrique française comme dans tous les
autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n'y
aurait aucun progrès si les hommes, sur leur terre natale, n'en
profitaient pas moralement et matériellement, s'ils ne pouvaient
s'élever, peu à peu, jusqu'au niveau où ils seront
capables de participer, chez eux, à la gestion de leurs propres
affaires. C'est le devoir de la France de faire en sorte qu'il en soit ainsi
».
C'est clair. C'est donc en janvier 1944, et par la
volonté de Charles de Gaulle, que survint non seulement l'idée,
mais surtout la volonté, de la Francophonie. Qu'on relise seulement la
fameuse phrase. De Gaulle aurait pu dire : « Où ils seraient
capables ». Il a préféré employer le futur de
l'indicatif pour bien marquer la possibilité, mieux, la certitude de la
Francophonie. C'est ainsi du moins que nous l'avions compris, Bourguiba, Diori
et moi. Et nous avons agi dans ce sens.
Après de Gaulle, j'arriverai à Hamani Diori,
l'ancien Président de la République du Niger, dont on ne parle
pas assez dans l'historique de la Francophonie, comme je l'ai dit au professeur
Tétu. Pour mieux faire comprendre son rôle, récapitulons
les étapes qui, depuis le Discours de Brazzaville, marquent la marche,
avec la France, des anciens peuples colonisés vers la Francophonie. Ce
fut, d'abord, l'Union française, en 1946, à laquelle
succède la Communauté, en 1958. Puis, au début de la
décennie des indépendances, en 1961, fut créée,
entre États africains, l'Union africaine et malgache (UAM), à
laquelle succéda l'Organisation commune africaine et malgache (OCAM).
525
C'est ici que, parmi d'autres étapes, vers la
Francophonie, se distingua tout particulièrement Hamani Diori.
C'était en mars 1968. C'est alors que l'OCAM, sous la Présidence
d'Hamani Diori, conçut le projet d'une Agence de Coopération
culturelle et technique, qui réunirait « les États utilisant
la langue française ». Il s'agissait, grâce à cette
agence, de « compléter et diversifier la coopération
existante et non pas de la remettre en cause ». C'est pourquoi Hamani
Diori adressa, entre autres, au Premier Ministre du Québec, Jean Jacques
Bertrand, une invitation, qui suggérait l'envoi, à Niamey, du
Ministre de l'Éducation nationale du Québec. L'initiative
d'Hamani Diori est d'autant plus importante que la culture reste le
problème essentiel de la Francophonie, comme nous allons le voir.
Quant au Président Habib Bourguiba, homme de culture
à la tête du pays maghrébin le plus moderne, le plus
francophone, il était tout désigné pour jouer un
rôle de premier plan dans la naissance de la Francophonie, comme
auparavant, dans le mouvement des indépendances. Il restera, avec le Roi
Hassan II, le chef d'État arabe qui a le mieux compris la valeur du
métissage culturel que la Francophonie nous permettrait de
réaliser. C'est ainsi que, pèlerin de la Francophonie, il
déclarait, en 1968, à Montréal : « Nous avons
conscience, non seulement d'avoir enrichi notre culture nationale, mais de
l'avoir orientée, de lui avoir conféré une marque
spécifique que rien ne pourra plus effacer. Nous avons conscience
d'avoir pu forger une mentalité moderne ».
On s'étonnera, sans doute, que le militant de la
Négritude, que j'ai été au Quartier latin, soit
tombé, par la suite, dans la Francophonie. Pourtant, j'ai souvent
signalé le fait. En même temps que certains militants, comme
Césaire et moi, suivaient des cours de français, latin et grec
à la Sorbonne, Léon Damas et encore moi nous intéressions
à ce que nous appelions « les Humanités
négro-africaines ». C'est que nous étions,
déjà, pour le métissage culturel, l'essentiel étant
qu'il fallait, d'abord, s'enraciner dans les vertus de la Négritude
avant de s'ouvrir aux apports fécondants des autres civilisations,
singulièrement de la civilisation française. Lecteurs assidus des
écrivains et théoriciens négro-américains, sans
oublier les Antillais, nous rappelions, souvent, cette phrase du poète
Claude Mac Kay : « Plonger jusqu'aux racines de notre race et bâtir
sur notre propre fonds, ce n'est pas retourner à l'état sauvage.
C'est la culture même ».
C'est cette fidélité à la
Négritude qui explique la double action que j'ai menée, pendant
les 35 ans - de 1945 à 1980 - où j'ai été, en
même temps ou successivement, professeur de Négritude à
l'École nationale de la France d'Outre-Mer et député du
Sénégal au Parlement français. Par « Négritude
», j'entends, ici, les langues et civilisations négro-africaines.
Je n'y reviendrai pas, mais sur la Francophonie.
Or donc, si, en 1945, « je suis tombé dans la
politique », comme j'aime à le dire, ce fut malgré moi. En
effet, le Parti socialiste du Sénégal cherchait un second
candidat, à côté du doyen Lamine Guèye, pour sa
liste aux élections à la Première Assemblée
nationale constituante. Et il porta son choix sur moi, alors que je ne briguais
aucune fonction politique. Je finis par accepter à la condition qu'on me
laissât poursuivre, en même temps, ma double oeuvre de professeur
et de poète. C'est ainsi que, pendant les quinze années de mon
mandat, renouvelé, j'ai continué à me battre, et pour la
Négritude, et pour la Francophonie.
Comme député du Sénégal, j'ai
appartenu aux deux commissions qui, en 1946 et en 1958, ont
préparé des constitutions pour la France. C'est ainsi, entre
autres, que mon amendement au texte qui allait devenir la Constitution de 1958
fut rejeté. Il proposait, pour les peuples colonisés, « le
droit à l'autodétermination », c'est-à-dire à
l'indépendance. Et c'est le Général de Gaulle qui, passant
outre à l'avis de la Commission de la Constitution, reprit l'amendement
dans le texte qui fut approuvé par référendum.
Après que le projet de Constitution eut été
approuvé par le Peuple de France et les peuples des Départements
et Territoires d'Outre-Mer, je fus le premier à demander, au
Général de Gaulle, l'indépendance de mon pays, le
Sénégal. Fait remarquable, l'entretien n'avait pas duré
une demi-heure quand le Président de la République, qui m'avait
écouté sans m'interrompre - c'était son habitude -, me
donna son accord.
Précisément, parce qu'il en avait
été ainsi et que je gardais intacte, au fond de mon âme, ma
passion pour la Négritude, j'apportai une nouvelle ardeur, avec de
nouveaux arguments, à l'autre combat, pour la Francophonie. C'est le
moment de rappeler que, depuis la Constitution de 1946, qui avait
créé « l'Union française », on avait beaucoup
avancé, et rapidement. Entre autres États, le Vietnam
était devenu indépendant en 1949, le Maroc et la Tunisie en 1956.
Enfin, la « Communauté », « rénovée »,
était créée en 1960. Et pendant toute cette
décennie, les différents peuples d'outremer, sauf les Antillais
et les Océaniens du Pacifique, avaient, à tour de rôle,
obtenu, chacun, son indépendance. C'est dans ce contexte d'espoir et,
partant, de coopération, que mourut Charles de Gaulle.
Quand Pompidou fut élu Président de la
République, le 15 juin 1969, un nouvel espoir, mêlé,
c'est-à-dire plus riche, se leva en moi. C'est que, depuis les bancs de
la « Première supérieure » du Lycée
Louis-le-Grand, dans les années 1920, jusqu'à sa mort, en 1974,
Pompidou fut toujours mon meilleur
526
ami en France, et le plus fidèle. Je lui dois
l'essentiel, non pas de mon éducation, mais de ma culture
française. Le jeudi ou le Dimanche, il m'emmenait souvent avec lui, non
pas à Montmartre, mais au théâtre ou aux expositions d'art,
plus rarement au cinéma. Surtout, nous lisions beaucoup, nous discutions
beaucoup, et sur tous les problèmes : depuis la poésie grecque
jusqu'à « l'Art nègre ».
Dès lors, on ne s'étonnera pas que, disciple
politique du « Grand Charles » et homme de culture, Pompidou se soit
intéressé à la Francophonie et, pour ainsi dire, de
l'intérieur, sous tous ses aspects. C'est ainsi qu'il créa une
nouvelle institution, si je puis m'exprimer ainsi : les «
Conférences franco-africaines ». Dans le cadre d'une Francophonie
de fait, celles-ci furent, en réalité, les premiers «
Sommets ». En effet, ces conférences réunissaient les chefs
d'État francophones ou leurs représentants. À la mort de
Pompidou, Monsieur Valéry Giscard d'Estaing, le nouveau Président
de la République française, eut le mérite de continuer la
Francophonie de fait que Pompidou avait créée.
Plus exactement, avec le Président Giscard d'Estaing,
on essaya, conférence après conférence, de cerner le
problème. C'est ainsi qu'en deux sessions, en 1979, puis 1980, je
parvins, comme rapporteur, à faire adopter un projet de Francophonie. Il
ne restait plus qu'à réunir un sommet de tous les chefs
d'État avec, si possible, chacun en personne. C'est alors que je fus
chargé de recevoir, à Dakar, en novembre 1980, une
Conférence des Ministres des Affaires étrangères, qui
préparerait le Premier sommet des Chefs d'État, par lequel serait
créée, officiellement, la Francophonie. Il était entendu
que le Président de la République française
réglerait, avec les gouvernements d'Ottawa et du Québec,
l'affaire dite « du Québec ». Mais voilà qu'en octobre,
je lus un communiqué du ministère français des Affaires
étrangères annonçant que la France ne serait pas
représentée à la Conférence de Dakar. Aux
journalistes qui se précipitèrent pour m'interroger, je
répondis simplement : « C'est une querelle entre Grands Blancs. _
Quand ils se seront mis d'accord, on tiendra le Sommet ».
Enfin, les « Grands Blancs » se sont mis d'accord,
après six ans de pourparlers, non seulement entre Paris et le
Québec, sans oublier Ottawa, mais aussi entre Paris et les anciens
territoires ou protectorats d'Outre-Mer, devenus États
indépendants. C'est dans ces conditions que fut réuni à
Paris, en février 1986, le Premier Sommet francophone des Chefs
d'État ou de Gouvernement. Ce Premier Sommet, ce n'est pas
étonnant, n'a pas beaucoup fait avancer le problème, les
problèmes. On s'est perdu dans les détails en parlant surtout
Économie, Finances et Techniques, sans oublier les ordinateurs ni les
minitels, alors qu'il fallait traiter des problèmes politiques, mais,
d'abord discuter le problème culturel majeur : la Francophonie, mais
sous son aspect culturel de francité. J'entends par là
l'enseignement et l'usage de la langue française dans tous les pays -
plus de 40 - qui feraient partie de la Francophonie.
Ne nous le cachons pas, le problème de fond, ce sont
les valeurs culturelles de la langue française, y compris leurs aspects
scientifiques et techniques. Il faut commencer par rappeler certains faits et,
pour cela, remonter au Moyen Age. Or donc, c'est au début du Moyen Age,
à la chute de l'Empire romain, mais surtout, avec Charlemagne, à
la création de l'Empire d'Occident, au début du IXe siècle
de notre ère. C'est alors que le français commence d'être
parlé dans toute l'Europe, hors des frontières françaises.
Ce fut, plus exactement, dans les cours et parmi la bourgeoisie.
Arrêtons-nous un moment sur ce fait pour en dire les raisons, qui
tiennent essentiellement à la francité.
Il y a, d'abord, que le français parlé, à
côté du latin, dans les universités, était une
langue savante, au vocabulaire riche et précis en même temps :
technique. C'est ainsi qu'au XIIIe siècle, sur 3.000 mots du
français élémentaire, 25 %, c'est-à-dire le quart,
étaient des mots savants, tirés du latin ou, mieux, du grec. Si
le français, depuis l'Empire d'Occident, mais surtout les XIIIe-XIVe
siècles est devenu, en Europe, la langue des cours, de la bourgeoisie et
de la diplomatie, c'est, bien sûr, pour les raisons politiques que
voilà. Elle l'est devenue surtout pour ses qualités propres, qui
tiennent au latin, mais surtout au grec. C'est la raison pour laquelle il a
fallu huit siècles ainsi que la puissance économique et spatiale,
financière et technique des États-Unis d'Amérique pour que
l'anglais remplaçât le français comme langue de
communication internationale, après la fin de la Seconde Guerre
mondiale. Last but not least, ce sont les mêmes États-Unis
d'Amérique, qui, après avoir redécouvert le latin, mais
surtout le grec, après la Deuxième Guerre mondiale, l'ont fait du
français depuis quelques années, depuis,
précisément qu'on parle de la Francophonie.
Il n'est que temps d'arriver aux valeurs de la
Francité, et d'abord de la langue française. Comme j'ai
l'habitude de le dire, le français est « le grec des temps modernes
». J'ai développé cette idée ici même, lorsque,
encore une fois, le 22 septembre 1966, j'ai été fait Docteur
honoris causa de l'Université Laval. Je la résumerai
aujourd'hui.
Bien sûr, la langue française est née de
la langue latine : du latin vulgaire ou, plus précisément, de
celui de la vulgate. Il reste que, depuis la Renaissance et l'enseignement des
Humanités gréco-latines en France, la langue de Descartes s'est
enrichie de nouveaux mots : de mots savants, empruntés au latin, mais
surtout au grec. Je vous renvoie à un document significatif du «
Ministère français de la Recherche et de l'Enseignement
supérieur », qui est intitulé : « Listes
terminologiques, relatives au vocabulaire de la
télédétection aérospatiale ». Ce qui frappe
d'abord, c'est que presque tous ces mots, scientifiques ou
527
techniques, sont formés sur des racines ou des mots
latins, mais, le plus souvent, grecs. Il est vrai que le latin avait,
lui-même, beaucoup emprunté à la langue d'Aristote.
Le premier avantage de ces nouveaux mots, outre leur
précision, est que l'homme de culture, qui a fait ses humanités
gréco-latines, les comprend sans peine. Il y a surtout qu'une fois qu'on
les lui a traduits, il n'en oublie plus les diverses significations. Quand j'ai
lu pour la première fois, dans un journal, le mot « Mirapolis
», j'ai compris : « Cité des merveilles ». En effet, la
racine mir signifie, en grec, « ville, cité ». De même,
quand l'autre mois, on m'a présenté une « orthophoniste
», j'ai, tout de suite distingué les trois éléments
grecs du mot : orthos, qui signifie « droit », phonè, «
langue », et - istos, qui est un suffixe indiquant le caractère ou
la fonction. Ce sont ces emprunts du français scientifique ou technique
qui expliquent, en partie, le retour en force des humanités
gréco-latines, non seulement en France, mais encore dans les autres pays
de la Francophonie, singulièrement en Afrique noire.
Il reste que le phénomène culturel va beaucoup
plus loin. Il dépasse le simple emprunt ou fabrication de mots savants :
scientifiques ou techniques. Au demeurant, comme on le sait, les deux tiers au
moins des mots de l'anglais, y compris l'anglo-américain des U.S.A.,
viennent du français, du latin ou du grec. Si paradoxal que cela puisse
être, l'apport majeur de la civilisation latine, mais surtout grecque
à la francité, on le trouve, non pas dans le vocabulaire, mais
dans la syntaxe et, par-delà, dans la stylistique de la prose
française. D'un mot, dans la littérature gréco-latine,
prose et poésie. Pourquoi je n'ai pas été
étonné en lisant, dans le Figaro du 14 août 1987, un
article intitulé « Le latin revient en force ». Et, de joie,
j'ai chanté l'introït du 15 août : « Gaudeamus, omnes in
Domino ». Je m'en suis d'autant plus réjoui que le
phénomène s'étend aux deux langues, car le sous-titre de
l'article précise : « Les effectifs des latinistes et des
hellénistes progressent chaque année ».
Mais pourquoi ce retour en France ? C'est, d'un mot, que les
vertus du latin, mais surtout du grec, dépassent le vocabulaire pour
s'étendre à la phrase et, par-delà, au paragraphe, au
poème, à toute l'oeuvre écrite. Ce qui mérite
explication. Quand, pour parler de ce que j'ai étudié et
enseigné, je compare les langues agglutinantes d'Afrique aux langues
à flexion d'Europe, ce qui me frappe le plus, c'est moins leurs
vocabulaires, voire leurs morphologies, que leurs syntaxes. A la syntaxe de
coordination ou de juxtaposition des langues africaines, si propre à la
poésie, s'oppose la syntaxe de la subordination des langues
européennes. C'est dire que celles-ci sont essentiellement des langues
scientifiques parce que de raisonnement - je ne dis pas de philosophie.
* *
*
Données ces précisions et à partir de mes
rapports faits aux conférences franco-africaines de 1979 et 1980, je
voudrais vous dire ce que pourraient être les structures politiques et la
vie de la Communauté organique de la Francophonie. Il est entendu que ce
dernier titre, que j'avais proposé en 1980, peut être
modifié sans inconvénient, et surtout les structures, mais pas
l'esprit de la Francophonie, c'est-à-dire la francité, pour les
raisons que je viens d'exposer. C'est dire que nous allons, maintenant, entrer
en politique, mais au sens le plus élevé.
La Francophonie couvrira donc les cinq continents. Mais
pourquoi faire exactement ? Je répondrai : « Pour réaliser
l'oeuvre que font les communautés culturelles que l'on désigne,
aujourd'hui, sous les noms d'Hispanophonie et de Lusophonie.
Précisément, il n'est pas indifférent qu'on n'ait pas pris
l'habitude d'appeler le « Commonwealth » « Anglophonie».
À cause des États-Unis d'Amérique, bien sûr, mais
surtout parce que le wealth, l'économie, caractérisé le
Commonwealth. Cela ne signifie pas que, dans la Communauté organique de
la Francophonie, les problèmes économiques ou financiers seront
négligés. Que non pas ! Cela veut dire qu'ils seront, non
même pas subordonnés à, mais conditionnés par la
solution humaniste des problèmes culturels. Cependant, ce ne sera pas
dans le sens de l'impérialisme, encore moins du colonialisme
culturel.
En effet, depuis le professeur Paul Rivet, qui était
à la fois un biologiste et un linguiste, c'est-à-dire un homme de
haute culture, l'option de la symbiose biologique et culturelle, pour ne pas
parler de « métissage », s'est confirmée en France et
dans les pays francophones. C'est ce que prouve, entre autres et sous le
Général de Gaulle, le fameux Rapport Jeanneney du 19 juillet 1963
sur « La Politique de Coopération avec les pays en Voie de
Développement ». Je n'en citerai que ces lignes :
« La France peut aussi attendre de sa coopération
des avantages économiques indirects et un enrichissement culturel... Que
la France imprègne d'autres pays de ses modes de pensées, elle
tisse des liens dont l'intimité les incitera à lui apporter,
à leur tour, le meilleur d'eux-mêmes. La culture française
s'est épanouie, au cours des siècles, grâce à des
apports étrangers constamment renouvelés. Si les pays qui auront
reçu d'elle une initiation à l'esprit scientifique lui font
connaître des modes
528
nouveaux d'expression artistiques ou des conceptions
philosophiques, sociales ou politiques originales, notre civilisation s'en
trouvera enrichie ».
Ce texte est essentiel. Il est d'autant plus important que,
même parmi les pays latins, il est rare d'entendre, non pas des
professeurs ou des écrivains, mais des hommes politiques ou officiels
tenir de tels propos. Sauf au Portugal, où j'ai présidé
précisément, en 1980, un « Colloque sur le Métissage
» à l'Université d'Evora.
Vous aurez noté : « Notre civilisation s'en
trouvera enrichie ». A la page précédente, le Rapport
Jeanneney avait présenté la culture française comme «
prétendant à l'universalité ». C'est là une
idée empruntée à Pierre Teilhard de Chardin, qui, dans une
vision globale et prophétique du monde, nous présentait les
différentes civilisations humaines multipliant leurs échanges
dans un dialogue réciproquement fécondant, pour aboutir à
« la Civilisation de l'Universel ». C'est dire qu'au «
rendezvous du donner et du recevoir » que constitue la Francophonie, pour
parler comme Aimé Césaire, les peuples des quatre autres
continents, non européens, ne viendront pas les mains vides. Ceux qui,
avec Césaire, ont, dans les années 1930, lancé le
mouvement de la Négritude ont beaucoup insisté sur ce dernier
point : il s'agit, pour chaque continent, pour chaque peuple, de s'enraciner
profondément dans les valeurs de sa civilisation propre pour s'ouvrir
aux valeurs fécondantes de la civilisation française, mais aussi
des autres civilisations, complémentaires, de la Francophonie. Ce que la
France nous a apporté d'essentiel, d'irremplaçable, plus qu'aucun
autre pays d'Europe, c'est « l'esprit de méthode et d'organisation
», comme j'aime à le dire, ou, pour parler comme le Rapport
Jeanneney, « un mode d'expression et une méthode de pensée
». Pour m'en tenir à l'Afrique, celle-ci a, depuis le début
du siècle, beaucoup apporté, singulièrement dans les
domaines des Arts plastiques, de la Musique et de la Poésie, sans
oublier la Danse, qu'a renouvelée Maurice Béjart, dont le
père, Gaston Berger, créateur de la Prospective, était un
métis franco-sénégalais.
C'est dire que, comme les pays du Maghreb, qui, dans ce
domaine, sont exemplaires, les pays d'Afrique noire, d'Asie et d'Océanie
commenceront par choisir, chacun, une ou plusieurs langues « originaires
» ou continentales pour en faire des « langues nationales ». Il
n'est pas question d'écarter le français, pas même d'en
faire une « langue étrangère », mais bien une «
langue officielle » ou de « communication internationale ».
C'est le cas au Sénégal. C'est dire qu'ici, les langues d'origine
authentiquement africaine y sont étudiées selon les
méthodes scientifiques les plus modernes, soit à l'Institut
Fondamental d'Afrique noire, qui est un vieil Institut de recherche, soit au
Centre de Linguistique appliquée de Dakar.
Ainsi justifiée la Francophonie, comme « un projet
de civilisation humaine » -, dixit le Rapport Jeanneney -, il est temps
d'en venir à sa réalisation au plein sens du mot, mais d'abord
à son organisation structurelle, politique.
Il nous faut partir de la « Conférence franco
africaine » tenue à Nice, du 8 au 10 mai 1980. Un projet
cohérent en était sorti, qui était une synthèse des
propositions du rapporteur que j'avais été, des apports des
experts et des amendements des chefs d'État ou de gouvernement. Il
s'agissait de créer une « Communauté organique de la
Francophonie ». Il reste que le titre importe peu. Ce qui compte, c'est le
nom, mais surtout la notion de Francophonie.
Tout en nous inspirant, parmi d'autres communautés, des
structures et du fonctionnement du Commonwealth nous entendions faire oeuvre
neuve, à la française. Il s'agissait, il s'agit toujours, en ce
dernier quart du XXe siècle, de préparer, pour notre ensemble
francophone, voire latinophone, nous allons le voir, une communauté de
peuples différents, mais solidairement complémentaires. Et
partant, une communauté solide pour la réalisation de la
Civilisation de l'Universel, qui sera celle du troisième
millénaire. Bref, une communauté créatrice parce que de
droit écrit, rationnellement organisée, à la
française, je le répète.
Voici ce que pourraient être les organismes de la
Francophonie :
- la Conférence des Chefs d'État ou de
Gouvernement,
- le Secrétariat général,
- les Conférences ministérielles,
- la Fondation internationale pour les Échanges
culturels.
Que tous ces organismes doivent avoir, chacun, leur
siège à Paris, cela va de soi. Parce que le modèle de la
langue française est celle parlée à Paris par les hommes
de culture, et non plus « par la bourgeoisie », comme on nous
l'enseignait en Sorbonne. Mais surtout pour cette raison majeure, que l'Europe
est devenue le centre de la civilisation humaine depuis 2.500 ans que l'Afrique
lui a passé le flambeau. Depuis lors, elle continue de s'enrichir des
apports de l'Asie et de l'Océanie à l'Est, des deux
529
Amériques à l'Ouest. Et voici, de nouveau, que
l'Afrique, en ce XXe siècle, est rentrée dans le jeu, et souvent
par le détour des deux Amériques.
La Conférence des Chefs d'Etat ou de Gouvernement sera
la plus haute instance. Elle se réunira à intervalles
réguliers, tous les deux ans par exemple, étant entendu qu'il y
aura, à l'occasion, des réunions extraordinaires. Il est entendu
également que ce sera, autant que possible, soit à Paris, soit,
à tour de rôle, dans une autre capitale. Ces réunions au
sommet seront toujours précédées, préparées
par une conférence des ministres des Affaires étrangères.
Il reste que la plus grande liberté les caractérisera, qu'en
particulier, au début de la Conférence, tout chef d'Etat ou de
gouvernement pourra la saisir de tout problème qu'il lui paraîtra
opportun de soulever. Il s'agira, en effet, pour faire de la Francophonie le
modèle et le moteur de la Civilisation de l'Universel, de favoriser les
échanges d'idées en respectant la personnalité originaire,
mais surtout originale de chaque nation.
Le Secrétariat général, comme l'indique
son nom, assurera des fonctions d'étude, de préparation
d'exécution, mais aussi de coordination. Encore que situé
à Paris, comme les autres organismes, son titulaire pourra ne pas
être français. Enfin, le Secrétariat général
sera chargé d'animer les divers organismes de la Francophonie.
Les Conférences ministérielles seront
générales, techniques ou régionales. Les ministres des
Affaires étrangères, qui auront un rôle
prépondérant, se réuniront au moins une fois par an. Ils
commenceront par un tour d'horizon des problèmes mondiaux, puis ils
examineront les rapports qui leur auront été soumis par les
ministres spécialisés, pour en retenir ce qui devra être
présenté aux chefs d'État ou de gouvernement.
Quant aux conférences des ministres
spécialisés, et d'abord des ministres de l'Éducation, de
la Culture, de la Jeunesse et des Sports, elles seraient ouvertes à tous
les États membres. Cependant, en dehors des ministres chargés de
l'Éducation ou de la Culture, la participation ne serait pas
obligatoire. Ainsi serait laissé plus de souplesse et, partant,
d'efficacité au système.
S'agissant, enfin, de la Fondation internationale pour les
Échanges culturels, elle commencera par absorber l'actuelle Agence de
Coopération culturelle et technique. C'est dire que les problèmes
scientifiques et techniques ne seront pas négligés, tout au
contraire. Ni les problèmes artistiques. La Fondation aura pour objectif
majeur de réaliser l'oeuvre culturelle de compréhension et
d'enrichissement réciproques qui est le but ultime de la Francophonie.
C'est ainsi que la Fondation aurait trois départements :
_- un Conseil des Langues et Cultures,
- une Agence de Coopération culturelle et technique, - un
Centre d'Information.
Le Conseil des Langues et Cultures aura pour tâche
essentielle l'identification, la protection, le développement et la
diffusion des différentes expressions culturelles de nos nations
respectives, voire des régions au sein d'une nation. Il serait utile d'y
créer diverses sections, dont :
- un section des Langues de Communication internationale (je
songe au français et à l'arabe entre
autres),
- une section du latin et du grec,
- une section des Langues africaines,
- une section des Langues asiatiques.
L'Agence de Coopération culturelle et technique existe
déjà. Elle serait élargie aux dimensions de la
Francophonie. Elle aura surtout, non pas un rôle d'études, comme
le Conseil scientifique, dont je propose la création, mais un rôle
concret d'exécution pour les initiatives et projets de
coopération culturelle.
Quant au Centre d'Information, sa fonction sera de favoriser,
voire, auparavant, d'organiser les communications entre les nations de la
Francophonie. C'est dire qu'il aura d'abord, un rôle d'information sur la
vie de la Francophonie. Il aura aussi à faire connaître les
travaux des différents organismes de la Communauté organique,
sans oublier les nombreuses associations francophones qui existent depuis
plusieurs années. Le centre, en outre, aidera à réaliser,
entre les pays intéressés :
_- la libre circulation des oeuvres des créateurs :
écrivains, artistes, professeurs, savants et techniciens
;
- les traductions ou reproductions d'oeuvres littéraires
ou artistiques, scientifiques ou techniques ;
- les échanges des expériences les plus
significatives en matière culturelle, scientifique et technique ;
530
- la participation francophone, enfin, à la vaste et
profonde révolution culturelle qui, en ce dernier quart du XXe
siècle, prépare la Civilisation de l'Universel.
Où en est-on aujourd'hui, me demanderez-vous, dans
l'édification de la Francophonie ? Comme je vous l'ai dit, un incident
juridique entre « Grands Blancs », entre les gouvernements canadien,
québécois et français, a fait renvoyer sine die la
conférence des ministres des Affaires étrangères que je
devais réunir à Dakar, en novembre 1980, pour préparer la
« Conférence des Chefs d'État ou de Gouvernement »,
qui, elle, aurait définitivement arrêté la charte de la
Francophonie. _Ce retard n'aura pas été inutile. Outre que,
depuis lors, le nombre des membres de l'A.C.C.T. s'est accru, le
Président François Mitterrand a prouvé, mieux
réalisé le mouvement en marchant. Il a, en effet,
créé, l'autre année, un Haut Conseil de la Francophonie,
qui est composé de 27 membres, « représentatifs des grandes
composantes de la Francophonie ». Il s'y est ajouté un Commissariat
général de la Langue française auprès du Premier
Ministre et un Comité consultatif de la Langue française, qui
remplace l'ancien « Haut Comité de la Langue française
». _Il y a surtout que le Président de la République
française a réuni, l'an dernier, du 17 au 19 février, le
Premier Sommet francophone des chefs d'État et de gouvernement
francophones. Pour une fois et par souci d'efficacité, on a
procédé à l'anglaise. Ce furent, en effet, des discussions
ouvertes où tous les problèmes ont été
abordés, mais surtout des problèmes économique et
financiers. Dès lors, n'est-il pas temps, aujourd'hui, d'aborder les
problèmes essentiels de la Francophonie, les problèmes culturels
? C'est d'autant plus nécessaire, et naturel, que, nommé Premier
Ministre après les élections du 16 mars 1986, Monsieur Jacques
Chirac a nommé, non seulement un Ministre de la Coopération en la
personne de Monsieur Michel Aurillac, un spécialiste des
problèmes africains, mais encore un Secrétaire d'État
à la Francophonie, Madame Lucette Michaux-Chevry, originaire des
Antilles.
Nous avons profité de ce sommet, Monsieur Stélio
Farandjis, le Secrétaire Général du Haut Conseil de la
Francophonie, et moi, le Vice-président, pour tenir une
conférence de presse au Grand Palais, dans le cadre d'Expolangue.
C'était, pour moi, l'occasion de proposer, pour la Francophonie, des
langues classiques à enseigner dans les collèges, lycées
ou facultés. Je proposai donc cinq langues : le latin, le grec, l'arabe
classique, l'égyptien ancien et le chinois. Le latin et le grec, langues
indo-européennes, pour le rôle qu'ils jouent encore dans
l'enseignement du français, comme nous l'avons vu tout à l'heure
; l'arabe classique parce que plus de la moitié des Arabes vont entrer
dans la Francophonie, l'égyptien ancien parce que c'est une langue
agglutinante et que, près de la moitié des langues africaines
sont construites sur son modèle : le chinois, enfin, parce qu'à
son tour, c'est le modèle des langues à tons d'Asie, comme le
vietnamien. _C'est l'occasion de vous parler de la Latinophonie. Il s'agirait
d'insérer la Francophonie dans un ensemble plus vaste, qui comprendrait
toutes les nations qui ont vocation à se servir d'une langue
néo-latine ou du grec comme langue nationale, langue classique ou langue
de communication internationale. Toutes ces nations réunies
représenteraient près d'un milliard d'hommes.
Il s'agirait donc, une fois réalisée la
Francophonie, de l'insérer, à son tour, dans une association des
pays ou groupes de pays de langue néo-latine. Je songe à
l'Espagne, à l'Italie, au Portugal et aux 22 pays d'Amérique
latine, sans oublier, naturellement, la Belgique, ni le Luxembourg, la Suisse
gardant... son isolement. Ce n'est pas hasard si, au « Premier
Congrès des Orthopédistes de Langue française », que
j'ai ouvert, à Monaco, le 26 mars 1986, on compta des
orthopédistes espagnols, italiens, voire latino-américains.
En vous exposant le projet de Francophonie version 1987, j'ai
presque toujours employé l'indicatif. J'aurais dû toujours
employer le présent du conditionnel, car le projet de 1980 sera
amélioré. Ce que je souhaite du moins.
*
* * _
Il reste qu'avant de conclure, il me faut répondre
à une question majeure, qu'on nous pose souvent. « C'est une belle
idée, et grandiose, votre projet de Francophonie, entendons-nous souvent
dire à l'étranger, parfois même en France. Mais pourquoi ne
pas adopter, simplement, l'anglais comme langue de communication
internationale, puisqu'il est, aujourd'hui, la langue la plus répandue
à travers tous les continents et dans tous les domaines ? Et puis, c'est
tellement plus facile à apprendre ! » Ce sont là, en effet,
deux faits que l'on ne peut nier. Cependant le problème est mal
posé. Celui-ci, en effet, est de savoir si, aujourd'hui que nous sommes,
nolentes volentes, poussés vers la Civilisation de l'Universel,
l'intérêt de l'humanité se trouve dans le choix du
français ou de l'anglais. Pour être plus précis, si, en
1986, deux ans après l'année où nous avons
fêté le bicentenaire du Discours sur l'Universalité de la
Langue française, les arguments de Rivarol, mais aussi du Professeur
Schwab, l'Allemand, sont toujours valables.
531
Le premier argument contre l'anglais est que, si, au
début du XXe siècle, après la Première Guerre
mondiale, il est devenu la première langue de communication
internationale, il ne le doit ni à l'étendue, ni au rôle du
Commonwealth sur notre planète, mais bien à la superpuissance
économique, militaire et politique des États-Unis
d'Amérique. C'est d'autant plus vrai qu'à côté de la
morphologie et de la syntaxe, qui sont simples, trop simples, la langue de
Shakespeare nous présente une orthographe et une prononciation qui ne le
sont pas. Je dis « trop simples », car le problème est de
choisir moins une langue de facilité que de ressources. Je parle d'une
langue qui soit la plus belle, tout en nous permettant de mieux exprimer toutes
les richesses, et de l'univers, et de la sensibilité comme de l'esprit
humain. C'était là le sens du concours organisé par
l'Académie de Berlin sous la forme des trois questions que voici :
- qu'est-ce qui a rendu la langue française universelle ?
_- pourquoi mérite-t-elle cette prérogative ? - est-il à
présumer qu'elle la conserve ?
Ainsi partait-on d'un jugement de fait pour aboutir à
un jugement de valeur, étant entendu que c'est ce dernier qui est le
fond du problème. C'est lui que nous allons examiner brièvement
avant de dire comment se présente, aujourd'hui, à nous
Francophones, le problème, non plus précisément de
l'universalité de la langue française, mais de la Francophonie.
Le professeur Schwab, dans son discours, nous a fait remarquer que, de toutes
les langues vivantes, la langue française était la plus
répandue, au Moyen Age, parmi les nations de l'Europe. Elle le fut,
comme je l'ai dit, dès le XIIIe siècle, et elle le resta
jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale. Il s'y ajoute, argument
majeur, que les qualités qui l'imposèrent à l'Europe
subsistent encore aujourd'hui.
Je ne reprendrai pas, ici, tous les arguments de Rivarol
contre les plus grandes langues européennes qu'étaient, que sont
encore, l'allemand, l'espagnol et l'italien. Tout en reconnaissant, à
chacun, ses mérites et il fait, en passant, l'éloge du
métissage biologique et culturel -ce que Rivarol leur reproche, c'est,
à l'allemand, sa « prononciation gutturale », à
l'espagnol, « l'enflure » du style et, à l'italien, « la
préciosité ». Naturellement, il a laissé l'anglais
pour la fin.
Pour l'anglais, plus qu'il ne l'a fait
précédemment, il note, avec les invasions, les emprunts culturels
faits aux Français et, par eux, aux Latins et aux Grecs. Encore que la
langue anglaise ait été ainsi adoucie et enrichie, précise
Rivarol, elle a gardé, dans sa prononciation, les rudesses de l'allemand
et, dans sa littérature, le désordre du génie germanique.
Il ne lui restait plus, il ne nous reste plus qu'à rappeler les vertus
de la langue et de la littérature : du « génie »
français. Je l'ai fait ici et je n'y reviendrai pas.
*
* * _
C'est pourquoi je voudrais m'acheminer vers ma conclusion en
vous disant quels me paraissent être nos devoirs pour la défense
et illustration de la langue française parce que de la francité
et, partant, de la Francophonie. Je vous renvoie, à ce propos, au volume
2, numéro 1 de Perspectives universitaires, la nouvelle revue de
l'Association des Universités partiellement ou entièrement de
Langue française. Ce numéro est significativement intitulé
Le français, langue internationale de la Communication scientifique et
technique. _Il s'agit de savoir comment, tout ensemble, les États de la
Francophonie, bien sûr, mais aussi les universitaires en
général, singulièrement les savants et chercheurs,
ingénieurs et techniciens, écrivains et artistes, nous
enrichirons la langue française. Ce qui est encore le meilleur moyen de
la défendre et de l'étendre sur toute notre planète Terre.
Aux suggestions que j'ai faites tout au long de cet exposé,
singulièrement pour le maintien ou la création d'une section des
langues classiques dans l'enseignement du second degré, j'ajouterai des
propositions pratiques.
Tout d'abord, dans les conférences internationales, en
commençant par l'ONU et ses organismes spécialisés, il
nous faut parler en français. Pour le moment, ce sont surtout les
francophones d'Outre-Mer qui respectent cette règle. Comme le souligne
l'incident que m'a raconté, l'autre année, le président de
l'Association des Professeurs africains de Mathématiques. Il rentrait
d'un congrès mondial de mathématiciens tenu à New York.
Présidant une séance, il s'était exprimé,
naturellement, en français. Et voilà que des Américains,
furieux, se répandaient dans les couloirs en vitupérant : «
Il a du culot, ce Nègre ! Présider en français quand les
Français eux-mêmes interviennent en anglais ! ».
La deuxième règle sera toujours dans les
conférences internationales, d'exiger, et la traduction
simultanée, et les documents, ronéotypés ou
imprimés, dans les langues officielles, dont le français. Ce que
font, au demeurant, les délégations francophones d'Afrique. La
troisième règle sera, au niveau des organisations internationales
francophones, dont l'AUPELF et l'ACCT, mais aussi au niveau de chaque
État ou région francophone, de faire porter notre effort sur la
publication en français d'ouvrages fondamentaux dans les domaines des
sciences et des techniques.
La quatrième, enfin, sera, dans la rédaction des
articles comme des ouvrages scientifiques et techniques en français, de
faire un autre effort. Celui-ci consistera à cultiver les vertus
majeures du
532
génie français, qui sont l'ordre logique dans la
clarté et la précision dans la nuance. C'est la raison pour
laquelle, dans la réforme de l'enseignement en Afrique francophone, nous
avons mis l'accent sur les deux disciplines traditionnelles de l'École
française : l'explication de texte et la dissertation.
Un mot d'espoir pour finir, car rien n'est perdu. L'Agence de
Coopération culturelle et technique de la Francophonie réunit,
aujourd'hui, quelque 40 États, et l'Association internationale des
Parlementaires de Langue française, autant de délégations.
Sans oublier qu'à l'Assemblée générale de
l'Organisation des Nations-Unies, 33 délégations soit plus de 20
%, s'expriment en français. Sans oublier surtout le nombre
d'États qui, aujourd'hui, participent dans la ville de Québec au
Second Sommet de la Francophonie. Non, rien n'est perdu. Tout dépend de
notre courage, mieux de notre esprit de méthode et d'organisation : de
notre Francité.
[1] Ethiopiques. Revue de culture négro-africaine,
n°50-51. Conférence prononcée à l'Université
Laval de Québec, le 2 septembre 1987.
533
534
L. S. SENGHOR
Comment expliquer cette faveur, cette ferveur,
singulièrement cette dissociation de la politique et de la culture
françaises ? C'est l'objet de mon propos.
Je ferai une première remarque. Cette dissociation
est plus apparente que réelle. La décolonisation, poursuivie avec
constance par le Général de Gaulle, achevée avec
éclat en Algérie, n'a pas été pour rien dans cette
faveur. En Afrique, l'esprit ne succombe pas à la dichotomie. On n'y
sépare pas, comme en Europe, la culture de la politique. Le conflit de
Bizerte a failli chasser le français des écoles
tunisiennes.
Donc, si on introduit ou maintient l'enseignement du
français en Afrique, si on l'y renforce, c'est, d'abord, pour des
raisons politiques. En Afrique anglophone plus qu'ailleurs. A la raison que
voilà, s'ajoute celle que voici : la majorité des Etats africains
sont francophones et, à l'O.N.U., le tiers des délégations
s'exprime en français. En 1960, après l'entrée massive de
nouveaux Etats africains dans l'Organisation internationale, Habib Bourguiba en
tira la conclusion Iogique : il faut renforcer l'enseignement du
français en Tunisie. Dans les faits, Hassan II n'a pas appliqué
une autre politique. Le Maroc, à lui seul, compte huit mille
enseignants français : plus de la moitié de ceux qui servent
à l'étranger.
04111.0
Cependant, la principale raison de l'expansion du
français hors de l'hexagone, de la naissance d'une Francophonie est
d'ordre culturel. C'est le lieu de répondre à la question que m'a
posée, personnellement, Esprit : a Que représente, pour
un écrivain noir, l'usage du français ? ». Bien
sûr, je ne manquerai pas d'y répondre plus loin. On me permettra
seulement d'élargir le débat : de répondre au nom de
toutes les élites noires, des politiques comme des écrivains. Ce
faisant, je suis convaincu qu'une partie de nos
838
535
LANGUE DE CULTURE
raisons vaudra, également, pour les
Maghrébins -- je songe, en particulier, au regretté Jean Amrouche
-- encore que ceux-ci soient mieux qualifiés que moi pour parler en leur
nom propre.
Il y a, d'abord, une raison de fait. Beaucoup,
parmi les élites, pensant en français, parlent mieux le
français que leur langue maternelle, farcie, au demeurant, de
francismes, du moins dans les villes. Pour choisir un exemple
national, â Radio-Dakar, les émissions en français sont
d'une langue plus pure que les émissions en langue vernaculaire. Il y
a mieux : il n'est pas toujours facile, pour le non initié, d'y
distinguer les voix des Sénégalais de celles des
Français.
Deuxième raison : la richesse du vocabulaire
français. On y trouve, avec l'a série des doublets --
d'origine populaire ou savante --, la multiplicité des synonymes. Je le
sais bien, contrairement à ce que croit le Français moyen, les
langues négro-africaines sont d'une richesse et d'une plasticité
remarquables. Là oit le Français emploie un mot latin pour
désigner un arbre, une périphrase pour désigner
une action, le Négro-africain emploie un seul nom ou un seul verbe
populaire. Comme l'écrit André Davesne, dans Croquis de
Brousse, on compte en wolof sept mots pour désigner la femme de
mauvaise vie quand e chercher se traduit par onze mots et
chanter par vingt D. Ainsi la version wolof
de l'Imitation de Jésus-Christ est plus nuancée, plus
belle, parce que plus rythmée, que la version française. Mais ce
qui, à première approximation, fait la force des langues
négro-africaines fait, en même temps, leur faiblesse. Ce sont des
langues poétiques. Les mots, presque toujours concrets, sont
enceints d'images, l'ordonnance des mots dans la proposition, des propositions
dans la phrase y obéit à la sensibilité plus qu'a
l'intelligibilité : aux raisons du coeur plus qu'aux raisons de la
raison. Ce qui, en définitive, fait la supériorité du
français dans le domaine considéré, c'est de nous
présenter, en outre, un vocabulaire technique et scientifique d'une
richesse non dépassée. Enfin, une profusion de ces mots
abstraits, dont nos langues manquent.
Troisième raison : la syntaxe. Parce que
pourvu d'un vocabulaire abondant, grâce, en partie, aux réserves
du latin et du grec, le français est une langue concise. Par le
même fait, c'est une langue précise et nuancée,
donc
839
536
L. S. SENGHOR
claire. Il est, partant, une langue discursive, qui place
chaque fait, chaque argument à sa place, sans en oublier un. Langue
d'analyse, le français n'est pas moins langue de synthèse. On
n'analyse pas sans synthétiser, on ne dénombre pas sans
rassembler, on ne fait pas éclater la contradiction sans la
dépasser. Si, du latin, le français n'a pas conservé toute
la rigueur technique, il a hérité toute une série de
mots-pierre d'angle, de mots-ciment, de mots-gonds. Mots-outils, les
conjonctions et locutions conjonctives lient une proposition à l'autre,
une idée à l'autre, les subordonnant l'une à l'autre.
Elles indiquent les étapes nécessaires de la pensée active
: du raisonnement. A preuve que les intellectuels noirs ont dû emprunter
ces outils au français pour vertébrer les langues vernaculaires.
A la syntaxe de juxtaposition des langues négro-africaines, s'oppose la
syntaxe de subordination du français ; à la syntaxe du concret
vécu, celle de l'abstrait pensé : pour tout dire, la syntaxe de
la raison à celle de l'émotion.
Quatrième raison : la stylistique française.
Le style français pourrait être défini comme une symbiose
de la subtilité grecque et de la rigueur latine, symbiose animée
par la passion celtique. Il est, plus qu'ordonnance, ordination. Son
génie est de puiser dans le vaste dictionnaire de l'univers pour, des
matériaux ainsi rassemblés .--- faits, émotions,
idées --, construire un monde nouveau : celui de l'Homme. Un monde
idéal et réel en même temps, parce que de l'Homme,
où toutes les choses, placées, chacune, à son rang,
convergent vers le même but, qu'elles manifestent solidairement.
C'est ainsi que la prose française -- et le
poème jusqu'aux Surréalistes -- nous a appris à nous
appuyer sur des faits et des idées pour élucider l'univers ;
mieux, pour exprimer le monde intérieur par dé-structuration
cohérente de l'univers.
Cinquième raison : l'humanisme
français. C'est, précisément, dans cette
élucidation, dans cette re-création, que consiste l'humanisme
français. Car il a l'homme comme objet de son activité. Qu'il
s'agisse du droit, de la littérature, de l'art, voire de la science, le
sceau du génie français demeure ce souci de l'Homme. Il exprime
toujours une
840
537
LANGUE DE CULTURE
morale. D'où son caractère
d'universalité, qui corrige son goût de l'individualisme.
Je sais le reproche que l'on fait à cet humanisme
de l' honnête homme : c'est un système fermé et
statique, qui se fonde sur l'équilibre. Il y a quelques années,
j'ai donné une conférence intitulée L'Humanisme de
l'Union française. Mon propos était de montrer comment, au
contact des réalités « coloniales »,
c'est-à-dire des civilisations ultra-marines, l'humanisme
français s'était enrichi, s'approfondissant en
s'élargissant, pour intégrer les valeurs de ces civilisations.
Comment il était passé de l'assimilation à la
coopération : à la symbiose. De la morale statistique
à la morale de mouvement, chère à Pierre Teilhard
de Chardin. Comme le notait Jean Daniel, à propos de l'Algérie,
dans l'Express du 28 juin 1962, colonisateurs et colonisés se
sont, en réalité, colonisés réciproquement : «
Il (le pays de France) s'est imprégné si fort des civilisations
qu'il a entendu dominer, que les colonisés lui font, aujourd'hui, un
sort à part, voyant, dans ce bourreau, une victime en puissance, dans
cet aliénateur, un aliéné, dans cet ennemi, un complice
D. Je ne veux retenir, ici, que l'apport positif de
la colonisation, qui apparaît à l'aube de l'indépendance.
L'ennemi d'hier est un complice, qui nous a enrichis en s'enrichissant à
notre contact.
gilbro
Mais il me faut, avant de finir, répondre à
la question qui m'a été, personnellement, posée. Car les
raisons que voilà sont, tout aussi bien, celles des politiques, qui
veulent mener de front le développement économique et le
développement culturel de leurs peuples respectifs pour, au-delà
du bien-être, leur assurer le plus-être.
Que représente pour moi, écrivain noir,
l'usage du français? La question mérite d'autant plus
réponse qu'on s'adresse, ici, au Poète et que j'ai défini
les langues négro-africaines « des langues poétiques
».
En répondant, je reprendrai l'argument de fait. Je
pense en français ; je m'exprime mieux en français que dans ma
langue maternelle.
841
538
L. S. SENGHOR
Il y a aussi le fait que n'importe quel enfant,
placé assez jeune dans un pays étranger, en apprend aussi
facilement la langue que les autochtones. C'est dire la placidité de
l'esprit humain et que chaque langue peut exprimer toute l'âme humaine.
Elle met seulement l'accent sur tel ou tel aspect de cette âme en la
traduisant, de surcroît, à sa manière.
Or il se trouve que le français est, contrairement
à ce qu'on a dit, une langue éminemment poétique. Non par
sa clarté, mais par sa richesse. Certes, il fut, jusqu'au XIXe
siècle, une langue de moralistes, de juristes et de diplomates : a une
langue de gentillesse et d'honnêteté ». Mais c'est alors que
Victor Hugo vint, qui, bouleversant la noble et austère ordonnance de
Malherbe, mit « ...un bonnet rouge au vieux dictionnaire ». Il
libéra, du même coup, une foule de mots-tabous :
pêle-mêle, mots concrets et mots abstraits, mots savants et mots
techniques, mots populaires et mots exotiques. Et puis vinrent, un
siècle plus tard, les Surréalistes, qui ne se contentèrent
pas de mettre à sac le jardin à la française du
poème-discours. Ils firent sauter tous les mots-gonds, pour nous livrer
des poèmes nus, haletant du rythme même de l'âme. Ils
avaient retrouvé la syntaxe nègre de la juxtaposition, où
les mots, télescopés, jaillissent en flammes de métaphores
: de symboles. Le terrain, comme on le voit, était
préparé pour une poésie nègre de langue f
rançaise.
Bien sûr, me dira-t-on, mais quel était
l'avantage du français pour ceux qui avaient la maîtrise d'une
langue négro-africaine. L'avantage, c'était, essentiellement, la
richesse du vocabulaire et le fait que le français est une langue d'une
audience internationale. Nous laisserons de côté ce dernier fait,
qui est assez patent pour ne pas mériter explication.
L'avantage du français était, est de nous offrir un
choix : « Le Noir, écrit André Davesne dans Croquis de
Brousse, est ainsi préparé, par ses traditions
verbales, à distinguer, dans les mots que lui présente la langue
française, deux valeurs : l'une abstraite et intellectuelle, la
signification ; l'autre concrète et sensuelle, la musicalité. Si
donc il aborde, sans précaution, l'apprentissage de notre langue, il y
puisera une double collection de mots : les uns, qui désignent quelque
chose de tangible, un objet, par exemple, et qui ne peuvent être
détournés de leur sens ;
842
539
LANGUE DE CULTURE
les autres d'un usage moins constant, dont la
signification est trop mystérieuse ou trop a intellectuelle
» pour devenir déterminante dans l'emploi qu'on en doit faire, mais
qui méritent d'être utilisés à cause de leur
tonalité et de leur résonance ».
De ce qui est instinctif chez les illettrés, nous
avons pu faire une polesis, une méthode délibérée
de création. Le problème, au demeurant, est plus complexe que ne
le dit Davesne, Ce sont tous les mots français qui, par viol et
retournement, peuvent allumer la flamme de la métaphore. Les mots les
plus a intellectuels », il suffit de les déraciner, en creusant
leur étymologie, pour les livrer au soleil du symbole.
Comme nous l'avons vu, le vocabulaire n'épuise pas
les vertus du français. La stylistique, en particulier, est occasion de
pêches miraculeuses. Pour en revenir à la musique des mots, le
français offre une variété de timbres dont on peut tirer
tous les effets : de la douceur des Alizés, la nuit, sur les hautes
palmes, à la violence fulgurante de la foudre sur les têtes des
baobabs. Il n'y a pas jusqu'aux rythmes du français qui n'offrent des
ressources insoupçonnées. Au demeurant, le rythme binaire du vers
classique peut rendre le halètement despotique du tamtam. Il suffit de
le bousculer légèrement pour faire surgir, au-dessus du ryhme de
base, contre-temps et syncopes.
.a.
Que conclure, de tout cela, sinon que nous, politiques
noirs, nous, écrivains noirs, nous sentons, pour le moins, aussi libres
à l'intérieur du français que de nos langues maternelles.
Plus libres, en vérité, puisque la liberté se mesure
à la puissance de l'outil : à la force de
création.
Il n'est pas question de renier les langues africaines.
Pendant des siècles, peut-être des millénaires, elles
seront encore parlées, exprimant les immensités abyssales de la
Négritude. Nous continuerons d'y pêcher les
images-archétypes : les poissons des grandes profondeurs. Il est
question d'exprimer notre authenticité de métis culturels,
d'hommes
843
540
L. S. SENGHOR
du XXe siècle. Au moment que, par
totalisation et socialisation, se constriut la Civilisation de l'Universel,
il est, d'un mot, question de nous servir de ce merveilleux outil,
trouvé dans les décombres du Régime colonial. De cet outil
qu'est la langue française.
La Francophonie, c'est cet Humanisme intégral, qui
se tisse autour de la terre : cette symbiose des « énergies
dormantes » de tous les continents, de toutes les races, qui se
réveillent à leur chaleur complémentaire. «
La France, me disait un délégué du F.L.N., c'est vous,
c'est moi : c'est la Culture française D.
Renversons la proposition pour être complets : la
Négritude, l'Arabisme, c'est aussi vous, Français de l'Hexagone.
Nos valeurs font battre, maintenant, les Iivres que vous lisez, la langue que
vous parlez : le français, Soleil qui brille hors de l'Hexagone.
Léopold Sédar SENGHOR.
XI- Annexe 11
LES AFRICANISMES DANS LA POÉSIE DE
SENGHOR
Pour le lexique (la signification des mots), nous vous prions
de vous référer au « Lexique de Senghor » donné
à la fin de son oeuvre poétique. À l'instar de ce lexique,
vous pouvez également consulter l'article de Jean-René Bourrel
(Lexique de L.S. Senghor : Chants d'ombre, Hosties noires, Éthiopiques,
Nocturnes, in : L'information Grammaticale, N.33, 1987, pp. 27-34) ou le
glossaire proposé par Sylvia Washington Bâ dans son travail sur
The concept of Negritude in the poetry of Léopold Sédar
Senghor.
Albiziazygia
Almadie
Almamy
Arfang de Siga
Askias (du Songhoï)
Atar
Bakel
Balangar
Balafong(s)
Bambara
Banakh
Bandafassy
Baobab(s)
Baol
Baoulé
Belborg
Beleup de Kaymôr
Bengali
Berre
Biram-Dénegn-ô
Biram Déguen
Bir Mougrein
Bobo
Bolong
Boundou
Bouré
Bour-Sine Salmonn
Cactées
Cafre
Caïcedrat (kaïcedrat)
Canas
Cassia(s)
Cauris
Cayor
Chaka
Chéchias
541
Combassou
Congo
Couscous
Dan(s)
Dang
Darbouka
Dargui
Demba-Dupont
Dêti
Diakhâw (Djakhâw)
Diombeutt Mbodj
Diogoye (Dyogoye)
Dior
Djenné
Dyâli
Dyallo
Dyêri
Dyilôr
Dyôbène
Dyônewâr
Dyong
Dyouf-le-Tutoyé
Dyoung-dyoung
Draa
Élé-yâye
Eléyâi bisimlâi
Eléyâye bisimlâye
Elissa
Fadyoutt
Fall
Fân
Fa'oye
Ferlo
Fimla
Fôn
Fongolimbi
Fouta
Fouta-Danga
Fouta-Djallong
Gâbou
Galam
Gandyol
Glasgow
Gongo
Gongo-Moussa
Gonolek
Gorong
Grand-Dyarâf
Gretas
Grimaldi
Griot(s)
Guélowâr
Guelwars (Guelwârs)
Guimm
Harmattan
Hivernage
Issanoussi
Joal
Kabyle
Kaïcedrat (Caïcedrat)
Kam-Dyamé
Kâna Mâyâi féla-x-am
Kaolack
Kaso faé nyapógma dyèganum
Katamague
Kaya-Magan
Kaymôr
Keïta
Khakhams
Khalams
Khasonkee
Kilimandjaro
Kintar
Kôba
Kola
Koli Ngom
Komenjahs
Kôra(s)
Kori
Kôriste
Kor Sanou
Kor Siga
Kotye-Barma
Koufountine
Koumba
Koumba-Betty
Koumba N'Dofène
542
Koumba Ndofène Diouf
Koumba Tam
Kouss
Koyaté
Kraals
Ksour
Lamarque
Lêlés
Lilanga
Mâbo
Mahé-kor
Malinké
Mamanguedj
Mamelles
Mandiago
Mângi
Maska
Maure
Mayâï
Mbalakhs
Mbaye Dyôb
Mbarodi
Mbissel
Mbogou
Méhari
Ming
Mithkals
Mogador
Mogho-Naba
Moundé
Moussoro
Mûsê-mbûban
Naï
Nânio
Ndeïsane
N'deissane
N'deïssane
Ndeundeus
Ndedâ'k tamâ'k sabar-ê
Ndessé
Ndialakhar
Ndiongolor
Ndyaga-bâss
Ndyaga-rîtî
Ndyâye
Ndyûlê mômé
Ngâ
Ngâbou
Ngal
Ngalam
Ngas-o-bil
Ngasobil
Ngom
Niombato
Niger
Nolivé
Nyaoutt Mbodye
Nydyulê mômé
Nyominka
Oud
Ouzougou
Paragnessés
Peul
Pobéguin
Poèré
Pongwé
Poto-poto (potopoto)
Poullo
Pulel hokku soko haraani
Quanoun
Rebabs
Rip
Rîti
Rokhaya
Saba
Sabars
Saïte
Sall
Saloum
Samba Dyouma
Saras
Satang
Saudades
Séco
Sérères
Sèvre-Babylone
Siga Diouf Guignane
Signares
Simal
Simoun
Sine
Siny
Sîra-Badral
Sitôr
Shiva
Somali
Soni Ali
543
Sopè
Sorong
Soyan
Tabalas
Taga
Tagant
Tâgu-gûtut
Taj Mahal
Talbé
Talmbatts
Tama(s)
Tamsir
Tamtam (tam-tam)s
Tanns
Tata(s)
Tar
Teddungal
Tening-Ndyaré
Tokor
Tokô'Waly
Tondibi
Toubab
Toubab-Djalaw
Toutankhamon
Trarza
Tyagoum-Ndyaré
Tyâné
Tyaroye
Tyédo
Viguelwar de Kolnodick
Waï
Wâlo
Wa-wa-wâ
Warf
Woi
Woï
Wôi
Wolof
Woy
Yâram bi
Yêlas
Yokohama
Zambèze
Zoulou
544
INDEX DES THÈMES
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322, 337, 338, 342, 349, 362, 383, 384,
|
385,
|
A
|
|
|
386, 459
|
|
Accueil · 11, 16, 17, 157, 356,
|
456
|
|
|
|
C
|
|
|
|
|
Acculturation · 215, 219, 355,
|
356,
|
366,
|
|
|
367, 372, 374, 392, 454, 460
|
|
|
Civilisation 16, 17, 18, 24, 25, 26, 29,
|
40,
|
Acculturée · 29, 116, 330, 356, 365, 366,
367, 368, 371, 372, 373, 374, 375, 376, 455, 460
Africanité · 86, 184, 299, 306, 463 Assimilation 42,
43, 47, 48, 50, 64, 65, 80,
|
41, 48, 61, 62, 67, 69, 70, 74, 76, 77, 78, 84, 87, 88, 89, 90,
91, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 104, 105, 108, 109, 111, 113, 114, 115, 116,
117, 122, 125, 130, 131, 132, 133, 136, 139, 140, 142, 143, 146, 147,
|
81, 87, 101, 109, 113, 1185, 129,
|
135,
|
163,
|
149,
|
157,
|
160,
|
164,
|
166,
|
167,
|
168,
|
172,
|
164, 169,
|
205,
|
213,
|
256,
|
259, 262,
|
283,
|
300,
|
173,
|
184,
|
186,
|
188,
|
189,
|
198,
|
199,
|
200,
|
316, 318,
|
319,
|
320,
|
355,
|
356, 366,
|
367,
|
369,
|
201,
|
202,
|
204,
|
208,
|
209,
|
212,
|
219,
|
221,
|
370, 371,
|
372,
|
374,
|
415,
|
425, 426,
|
427,
|
458
|
229,
|
230,
|
241
|
243,
|
244,
|
251,
|
254,
|
255,
|
Assimilé 43,
|
115,
|
120,
|
134, 161,
|
164,
|
176,
|
256,
|
257,
|
258,
|
259,
|
260,
|
261,
|
262,
|
263,
|
261, 297,
|
346,
|
356,
|
371,
|
372, 374,
|
375,
|
400,
|
264,
|
265,
|
266,
|
272,
|
277,
|
279,
|
283,
|
284,
|
416, 460
|
|
|
|
|
|
|
285,
|
287,
|
288,
|
294,
|
295,
|
296,
|
297,
|
299,
|
|
|
|
|
|
|
|
300,
|
301,
|
302,
|
303,
|
304,
|
305,
|
306,
|
310,
|
B
|
|
|
|
|
|
|
311,
|
312,
|
313,
|
314,
|
315,
|
316,
|
317,
|
318,
|
|
|
|
|
|
|
|
319,
|
320,
|
321,
|
322,
|
334,
|
341,
|
342,
|
343,
|
Barrière 126,
|
245,
|
311,
|
312, 313,
|
317,
|
321,
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
354,
|
373,
|
392,
|
393,
|
409,
|
412,
|
415,
|
418,
|
375
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
420,
|
421,
|
422,
|
427,
|
429,
|
432,
|
435,
|
436,
|
Blanc 43, 47, 60,
|
68,
|
95, 102,
|
104,
|
132,
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
437,
|
450,
|
451,
|
455,
|
458,
|
459,
|
460,
|
461,
|
150, 153,
|
156,
|
160,
|
161,
|
162, 163,
|
164,
|
165,
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
462,
|
463,
|
464,
|
465
|
|
|
|
|
166, 168,
|
172,
|
173,
|
178,
|
180, 181,
|
183,
|
185,
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Civilisation de l'Universel ·
|
17, 18, 24,
|
186, 189,
|
191,
|
192,
|
200,
|
201, 203,
|
204,
|
210,
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
25, 26, 26, 29,
|
41,
|
61, 67, 69,
|
70, 76, 77,
|
212, 214,
|
215,
|
216,
|
221,
|
222, 244,
|
257,
|
262,
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
78, 89, 91, 94,
|
95,
|
96, 97, 98,
|
99,
|
109, 114,
|
280, 289,
|
304,
|
306,
|
308,
|
309, 310,
|
313,
|
318,
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
115, 116, 122,
|
125, 130, 131,
|
132, 136,
|
139, 140, 142, 143, 146, 147, 149, 168, 188, 189,200, 201,
202, 204, 221, 229, 230, 241, 243, 244, 245, 251, 254, 256, 257, 258, 259, 260,
263, 264, 266, 272, 277, 283, 284, 285, 287, 288, 295, 297, 300, 301, 302, 304,
305, 306, 310, 311, 312, 313, 314, 315, 316, 317, 319, 320, 321, 322, 341, 342,
343, 354, 393, 409, 412, 420 432, 450, 455, 458, 459, 460, 462, 463, 464
Civilisation universelle · 24, 131, 279, 287,
296, 299, 303, 312, 313, 314, 316, 317, 320
Civilisé · 44, 128, 135, 161, 163, 303, 346, 368,
369
Colonisation · 13, 16, 17, 24, 28, 42, 51, 59, 61, 78,
79, 113, 117, 118, 127, 150, 151, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 164, 165,
166, 167, 168, 169, 184, 198, 203, 205, 206, 210, 214, 223, 227, 245, 256, 257,
259, 262, 315, 318, 319, 333, 339, 354, 366, 369, 407, 409
Colonisé · 48, 49, 54, 59, 60, 61, 62, 69, 71, 77,
78, 79, 80, 84, 86, 101, 127, 132, 153, 163, 164, 285, 346, 369, 373, 426,
427
Communauté · 11, 12, 14, 27, 28, 33, 35, 36, 39, 40,
41, 47, 48, 50, 52, 55, 56, 57, 58, 60, 62, 63, 64, 65, 66, 68, 70, 71, 76, 79,
80, 82, 83, 84, 85, 86, 88, 98, 98, 100, 111, 114, 133, 135, 138, 139, 148,
169, 175, 180, 184, 185, 186, 200, 203, 210, 221, 224, 225, 249, 258, 261, 266,
269, 270, 284, 287, 298, 299, 305, 309, 310,
545
311, 312, 314, 316, 317, 318, 319, 321, 325, 328, 329, 332, 342,
365, 390, 410, 455, 458, 459, 462, 463, 465 Complémentaire · 89,
92, 121, 122, 145, 200, 208, 231, 256, 304, 305, 357, 432, 448, 458, 459, 460,
463
Complémentarité · 40, 56, 62, 66, 75, 86, 89,
99, 111, 188, 202, 264, 279, 281, 300, 305, 313, 316, 321, 375, 442, 443, 457,
461
Concept · 9, 10, 11, 13, 14, 15, 17, 18, 19, 22, 23, 27, 30,
31, 34, 35, 36, 37, 39, 40, 50, 51, 58, 63, 66, 68, 69, 70, 72, 74, 75, 76, 78,
80, 101,107, 110, 113, 114, 117, 119, 120, 122, 123, 131, 135, 136, 139, 142,
146, 149, 150, 151, 168, 169, 172, 178, 185, 188, 200, 204, 207, 223, 227, 237,
245, 255, 261, 285, 300, 311, 313, 316, 321, 332, 333, 342, 343, 354, 358, 374,
379, 404, 407, 409, 410, 412, 425, 429, 439, 433, 452, 454, 457, 458, 462, 463,
464, 465
Conception · 10,11, 16, 19, 26, 27, 28, 35, 54, 66, 71, 72,
74, 84, 86, 87, 88, 90, 97, 98, 107, 109, 115, 116, 118, 127, 130, 131, 133,
134, 135, 136, 138, 148, 152, 167, 169, 180, 187, 188, 197, 204, 207, 213, 221,
222, 236, 242, 259, 260, 261, 263, 264, 266, 267, 269, 270, 271, 285, 287, 288,
303, 328, 329, 333, 345, 410, 413, 417, 431, 433, 434, 435, 447, 454, 455, 457,
461, 462
Culture · 11, 14, 16, 17, 18, 19, 24, 25, 26,
27, 28, 29, 33, 35, 39, 49, 54, 55, 56, 57,
546
58, 59, 60, 61,
72, 73, 74, 75,
90, 91, 92, 95,
|
62, 64, 65, 67,
76, 77, 84, 85,
96, 97, 98, 99,
|
68, 69, 70,
86, 88, 89,
100, 101,
|
Culture d'origine · 17, 28, 109,
139, 366, 367, 368, 371, 372, Culture française
· 51, 54, 55,
|
112, 121, 376, 402
56, 70, 76,
|
102,
|
103,
|
104,
|
105,
|
106,
|
107,
|
108,
|
109,
|
101, 104, 106,
|
109, 113, 115,
|
122, 124,
|
110,
|
111,
|
112,
|
113,
|
114,
|
115,
|
116,
|
117,
|
125, 138, 148,
|
164, 202, 203,
|
238, 322,
|
118,
|
119,
|
120,
|
121,
|
122,
|
123,
|
124,
|
125,
|
328, 369, 371,
|
373, 392, 404,
|
415, 419,
|
126,
|
127,
|
128,
|
129,
|
130,
|
131,
|
132,
|
133,
|
422, 423, 425,
|
426, 429, 452
|
|
134,
|
135,
|
136,
|
137,
|
138,
|
139,
|
140,
|
142,
|
Culturelle · 9,
|
10, 11, 16, 27,
|
29, 37, 40,
|
|
143,
|
146,
|
147,
|
148,
|
149,
|
153,
|
159,
|
160,
|
53, 56, 57, 58,
|
59, 61, 63, 64,
|
65, 67, 68,
|
161,
|
163,
|
164,
|
166,
|
168,
|
177,
|
180,
|
185,
|
69, 72, 73, 75,
|
77, 78, 79, 83,
|
84, 85, 86,
|
186,
|
187,
|
189,
|
199,
|
200,
|
202,
|
203,
|
204,
|
87, 88, 89, 90,
|
91, 92, 93, 94,
|
95, 96, 97,
|
207,
|
208,
|
209,
|
212,
|
218,
|
219,
|
221,
|
226,
|
98, 99, 100, 101, 102, 103, 105, 106, 108,
|
227,
|
228,
|
229,
|
230,
|
236,
|
238,
|
239,
|
240,
|
111, 112, 113,
|
114, 117, 118,
|
119, 120,
|
241,
|
245,
|
250,
|
251,
|
254,
|
255,
|
256,
|
257,
|
121, 122, 124,
|
125, 126, 127,
|
129, 132,
|
258,
|
259,
|
260,
|
261,
|
262,
|
263,
|
264,
|
265,
|
133, 134, 135,
|
136, 137, 138,
|
139, 140,
|
266,
|
267,
|
269,
|
270,
|
271,
|
272,
|
273,
|
275,
|
142, 143, 146,
|
147, 148, 149,
|
150, 164,
|
276,
|
279,
|
280,
|
281,
|
282,
|
283,
|
284,
|
285,
|
166, 167, 168,
|
172, 185, 186,
|
202, 205,
|
286,
|
287,
|
288,
|
289,
|
294,
|
295,
|
296,
|
297,
|
208, 209, 210,
|
220, 221, 222,
|
227, 230,
|
298,
|
299,
|
300,
|
301,
|
303,
|
304,
|
305,
|
307,
|
236, 240, 241,
|
245, 251, 254,
|
255, 256,
|
311,
|
312,
|
313,
|
314,
|
315,
|
316,
|
317,
|
319,
|
257, 258, 259,
|
262, 264, 266,
|
272, 281,
|
320,
|
321,
|
322,
|
325,
|
328,
|
329,
|
339,
|
353,
|
283 284, 286,
|
287, 288, 289,
|
294, 295,
|
355,
|
356,
|
361,
|
364,
|
366,
|
367,
|
369,
|
370,
|
296, 297, 298,
|
299, 300, 302,
|
305, 311,
|
371,
|
372,
|
373,
|
374,
|
375,
|
376,
|
380,
|
389,
|
312, 313, 314,
|
315, 316, 317,
|
318, 320,
|
391,
|
392,
|
393,
|
399,
|
402,
|
403,
|
404,
|
411,
|
321, 325, 327,
|
328, 330, 341,
|
345, 355,
|
412,
|
415,
|
419,
|
422,
|
423,
|
425,
|
426,
|
428,
|
354, 355, 356,
|
357, 358, 363,
|
367, 370,
|
429,
|
451,
|
452,
|
454,
|
455,
|
456,
|
458,
|
459,
|
371, 373, 374,
|
375, 376, 379,
|
380, 390,
|
460,
|
461,
|
462,
|
463,
|
464,
|
465
|
|
|
391, 392, 393,
|
399, 400, 402,
|
403, 405,
|
Culture africaine · 17, 24, 25, 29, 85, 1047,
|
406, 408, 415,
|
416, 418, 420,
|
425, 426,
|
115,
|
117,
|
118,
|
122,
|
131,
|
132,
|
138,
|
138,
|
427, 428, 431,
|
450, 454, 455,
|
458, 459,
|
147,
|
202,
|
227,
|
228,
|
238,
|
259,
|
260,
|
262,
|
460, 461, 462,
|
465
|
|
263,
|
264,
|
265,
|
266,
|
267,
|
269,
|
270,
|
272,
|
|
|
|
273,
|
275,
|
276,
|
279,
|
280,
|
281,
|
282,
|
285,
|
|
|
|
315,
|
320,
|
322,
|
339,
|
373,
|
374,
|
375,
|
422,
|
|
|
|
454
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
D
Décolonisation · 9,33, 34, 37, 80, 129, 138,
154, 163, 245, 407, 131, 462
Déculturation · 150, 215, 219, 355, 373, 375
Déculturé · 150, 164, 165, 223, 228, 375
Déraciné 113, 150, 228, 230, 272, 275, 355
E
Énonciation · 28, 144, 145, 152, 209, 214,
227, 246, 250 264, 330
Enraciné · 112, 116, 270, 271, 332, 335, 371, 399,
424, 456
Enracinement · 26,
98, 104, 105, 106, 107,
|
27, 35, 50, 91, 92, 97,
109, 110, 111, 112,
|
113,
|
114,
|
117,
|
119,
|
120,
|
121,
|
122,
|
123,
|
129,
|
139,
|
146,
|
281,
|
282,
|
283,
|
284,
|
285,
|
286,
|
294,
|
301,
|
305,
|
320,
|
321,
|
322,
|
333,
|
371,
|
423,
|
424,
|
426,
|
457,
|
458
|
|
|
Ethnie · 263, 269, 301,
|
332,
|
345,
|
350,
|
352,
|
389, 424, 455
|
|
|
|
|
Exil · 57, 58, 176, 177,
|
214,
|
215,
|
267,
|
331,
|
353, 367
|
|
|
|
|
F
|
|
|
|
|
Françafrique 467, 468
|
|
|
|
|
Français africanisé · 28,
|
29,
|
147,
|
224,
|
225,
|
226,
|
227,
|
230,
|
231,
|
232,
|
235,
|
236,
|
238,
|
239,
|
240,
|
241,
|
258,
|
259,
|
319,
|
321,
|
322,
|
377,
|
432
|
|
|
|
|
|
|
Francité · 18, 27, 34, 40, 69, 70, 74, 75, 77,
85, 86, 87, 89, 91, 93, 94, 95, 96, 98, 99,
109,
|
114,
|
115,
|
119,
|
129,
|
132,
|
136,
|
138,
|
139,
|
143,
|
146,
|
149,
|
299,
|
306,
|
328,
|
390,
|
392,
|
415,
|
423,
|
424,
|
425,
|
426,
|
427,
|
429,
|
430,
|
432,
|
435,
|
452,
|
455,
|
458,
|
459,
|
460,
|
461,
|
463
|
|
|
|
|
|
|
Francophone · 9, 10, 18, 29, 30, 32, 33, 36,
38, 39, 40, 43, 49, 50, 51, 53, 54, 57, 59,
61, 63, 64, 65, 66, 68, 73, 76, 78, 85, 90,
95, 105, 106, 107, 113, 115, 119, 121, 122,
|
123,
|
125,
|
126,
|
127,
|
129,
|
133,
|
134,
|
135,
|
136,
|
138,
|
148,
|
160,
|
169,
|
207,
|
208,
|
224,
|
230,
|
236,
|
239,
|
240,
|
242,
|
259,
|
263,
|
264,
|
299,
|
301,
|
312,
|
313,
|
314,
|
315,
|
316,
|
317,
|
318,
|
319,
|
320,
|
321,
|
322,
|
324,
|
326,
|
327,
|
328,
|
329,
|
330,
|
331,
|
342,
|
343,
|
350,
|
351,
|
352,
|
353,
|
355,
|
356,
|
358,
|
360,
|
361,
|
370,
|
371,
|
372,
|
373,
|
374,
|
375,
|
376,
|
377,
|
378,
|
379,
|
380,
|
387,
|
388,
|
389,
|
390,
|
392,
|
393,
|
400,
|
401,
|
402,
|
403,
|
404,
|
405,
|
406,
|
407,
|
408,
|
409,
|
410,
|
411,
|
412,
|
413,
|
414,
|
415,
|
416,
|
417,
|
418,
|
419,
|
420,
|
421,
|
422,
|
423,
|
424,
|
425,
|
427,
|
429,
|
430,
|
431,
|
432,
|
433
|
434,
|
435,
|
436,
|
437,
|
438,
|
439,
|
441,
|
442,
|
443,
|
444,
|
446,
|
447,
|
449,
|
450,
|
451,
|
452,
|
453,
|
454,
|
455,
|
456,
|
457,
|
459,
|
460,
|
461,
|
462,
|
463
|
|
|
|
|
|
|
|
Francophonie · 9,
|
10,
|
11,
|
12,
|
13,
|
14,
|
15,
|
16,
|
17,
|
18,
|
19,
|
22,
|
23,
|
26,
|
27,
|
28,
|
29,
|
30,
|
31,
|
32,
|
33,
|
34,
|
35,
|
36,
|
37,
|
38,
|
39,
|
40,
|
41,
|
42,
|
43,
|
47,
|
48,
|
49,
|
50,
|
51,
|
52,
|
53,
|
54,
|
55,
|
56,
|
57,
|
58,
|
59,
|
60,
|
61,
|
62,
|
63,
|
64,
|
65,
|
66,
|
67,
|
68,
|
69,
|
70,
|
71,
|
72,
|
73,
|
74,
|
75,
|
76,
|
77,
|
78,
|
79,
|
80,
|
82,
|
83,
|
84,
|
85,
|
86,
|
87,
|
88,
|
89,
|
90,
|
91,
|
92,
|
93,
|
94,
|
95,
|
96,
|
97,
|
98,
|
99,
|
100,
|
547
101,
|
102,
|
103,
|
104,
|
105,
|
106,
|
107,
|
108,
|
109,
|
110,
|
111,
|
112,
|
113,
|
114,
|
115,
|
116,
|
117,
|
118,
|
119,
|
120,
|
121,
|
122,
|
123,
|
124,
|
125,
|
126,
|
127,
|
128,
|
129,
|
130,
|
131,
|
132,
|
133,
|
134,
|
135,
|
136,
|
137,
|
138,
|
139,
|
140,
|
141,
|
142,
|
143,
|
144,
|
146,
|
147,
|
148,
|
149,
|
150,
|
151,
|
152,
|
153,
|
154,
|
155,
|
156,
|
157,
|
158,
|
159,
|
160,
|
161,
|
162,
|
163,
|
164,
|
165,
|
166,
|
167,
|
168,
|
169,
|
170,
|
171,
|
172,
|
173,
|
174,
|
175,
|
176,
|
177,
|
178,
|
179,
|
180,
|
181,
|
182,
|
183,
|
184,
|
185,
|
186,
|
187,
|
188,
|
196,
|
198,
|
199,
|
200,
|
201,
|
202,
|
203,
|
204,
|
205,
|
206,
|
207,
|
208,
|
209,
|
211,
|
212,
|
215,
|
216,
|
217,
|
218,
|
219,
|
220,
|
221,
|
222,
|
223,
|
224,
|
225,
|
226,
|
228,
|
229,
|
230,
|
235,
|
236,
|
237,
|
238,
|
239,
|
240,
|
241,
|
242,
|
244,
|
250,
|
252,
|
253,
|
254,
|
255,
|
256,
|
257,
|
258,
|
259,
|
260,
|
261,
|
262,
|
263,
|
265,
|
266,
|
276,
|
280,
|
282,
|
283,
|
285,
|
286,
|
287,
|
294,
|
295,
|
296,
|
297,
|
298,
|
299,
|
300,
|
303,
|
304,
|
310,
|
311,
|
312,
|
313,
|
314,
|
315,
|
316,
|
317,
|
318,
|
319,
|
320,
|
321,
|
322,
|
325,
|
326,
|
327,
|
328,
|
331,
|
340,
|
341,
|
342,
|
349,
|
350,
|
351,
|
352,
|
353,
|
372,
|
373,
|
376,
|
378,
|
379,
|
380,
|
381,
|
384,
|
386,
|
387,
|
388,
|
389,
|
391,
|
392,
|
401,
|
402,
|
403,
|
405,
|
406,
|
407,
|
408,
|
409,
|
410,
|
411,
|
424,
|
425,
|
426,
|
430,
|
433,
|
453,
|
454,
|
456,
|
457,
|
458,
|
459,
|
460,
|
461,
|
463,
|
464,
|
465
|
|
Fraternel · 68,
|
94, 149, 165, 166, 168,
|
170,
|
174,
|
177,
|
194,
|
195,
|
196,
|
220,
|
248,
|
304,
|
307,
|
309,
|
382,
|
402,
|
457
|
|
|
|
Fraternelle · 11, 28, 68,
|
168,
|
175,
|
180,
|
184,
|
185,
|
193,
|
195,
|
220,
|
276,
|
277,
|
281,
|
305,
|
306,
|
309,
|
312,
|
313,
|
320,
|
461
|
|
Fraternité · 24, 30,
95, 148, 149, 153, 164,
|
49, 61, 68, 69,
169, 173,
|
75, 86,
175, 179,
|
180,
|
182,
|
183,
|
184,
|
185,
|
186,
|
187,
|
189,
|
190,
|
191,
|
192,
|
194,
|
196,
|
200,
|
201,
|
203,
|
205,
|
216,
|
221,
|
260,
|
278,
|
289,
|
299,
|
303,
|
305,
|
307,
|
310,
|
316,
|
318,
|
320,
|
321,
|
327,
|
383,
|
384,
|
385,
|
387,
|
388,
|
389,
|
390,
|
411,
|
463
|
|
|
|
|
|
|
|
Frontière · 62, 105,
|
126,
|
299,
|
306
|
310,
|
312,
|
313,
|
314,
|
317,
|
321,
|
327,
|
403,
|
411,
|
459,
|
461,
|
463,
|
464
|
|
|
|
|
H
|
|
|
|
|
|
|
|
Humanisme · 29, 40, 56, 73, 74, 75, 76,
77, 78, 79, 84,
|
86, 88, 89, 90,
|
91, 92, 93,
|
94, 95, 97, 99,
|
101,
|
129,
|
130,
|
133,
|
139,
|
159,
|
186,
|
187,
|
199,
|
200,
|
204,
|
209,
|
212,
|
213,
|
216,
|
219,
|
221,
|
255,
|
257,
|
258,
|
259,
|
261,
|
263,
|
267,
|
270,
|
273,
|
276,
|
279,
|
281,
|
283,
|
284,
|
286,
|
287,
|
297,
|
298,
|
305,
|
306,
|
313,
|
314,
|
315,
|
316,
|
317,
|
319,
|
320,
|
321,
|
322,
|
329,
|
241,
|
342,
|
379,
|
382,
|
385,
|
386,
|
388,
|
389,
|
390,
|
392,
|
402,
|
420,
|
438,
|
455,
|
460,
|
461
|
|
|
|
|
|
|
Humaniste · 9, 79,
|
85, 90, 98,
|
99,
|
100,
|
111,
|
125,
|
133,
|
146,
|
164,
|
174,
|
222,
|
223,
|
256,
|
257,
|
258,
|
272,
|
285,
|
288,
|
301,
|
313,
|
316,
|
319,
|
320,
|
330,
|
379,
|
380,
|
381,
|
382,
|
383,
|
384,
|
385,
|
386,
|
387,
|
388,
|
389,
|
390,
|
402,
|
403,
|
421,
|
451,
|
455,
|
456,
|
459,
|
460,
|
462
|
|
|
|
|
|
|
|
548
I
Identité · 12, 16, 24, 29,
88, 90, 92, 94, 96, 101, 102,
|
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103, 105, 106,
|
108,
|
109,
|
113,
|
115,
|
116,
|
119,
|
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|
121,
|
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|
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|
139,
|
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|
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|
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|
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|
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|
168,
|
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|
202,
|
205,
|
206,
|
207,
|
225,
|
230,
|
231,
|
240,
|
242,
|
256,
|
259,
|
262,
|
283,
|
284,
|
286,
|
294,
|
295,
|
299,
|
304,
|
313,
|
314,
|
315,
|
316,
|
317,
|
320,
|
322,
|
324,
|
325,
|
326,
|
327,
|
328,
|
329,
|
330,
|
331,
|
332,
|
333,
|
334,
|
335,
|
336,
|
340,
|
341,
|
342,
|
343,
|
344,
|
345,
|
346,
|
347,
|
348,
|
349,
|
350,
|
351,
|
352,
|
353,
|
354,
|
355,
|
356,
|
357,
|
358,
|
359,
|
360,
|
361,
|
362,
|
363,
|
364,
|
365,
|
366,
|
367,
|
368,
|
371,
|
372,
|
373,
|
374,
|
375,
|
376,
|
377,
|
378,
|
379,
|
380,
|
381,
|
382,
|
383,
|
386,
|
387,
|
388,
|
389,
|
390,
|
391,
|
392,
|
393,
|
399,
|
400,
|
402,
|
403,
|
404,
|
405,
|
406,
|
409,
|
428,
|
454,
|
455,
|
456,
|
458,
|
460,
|
462
|
|
|
|
|
|
|
Identité acculturée · 29, 330, 356, 365,
366, 367, 368, 371, 372, 373, 374, 375, 376, 455, 460
Identité constituée · 29, 353, 363, 375, 460
Identité culturelle · 27, 79, 90, 94, 106, 113, 119, 120, 121, 230,
240, 256, 262, 283, 294, 295, 299, 316, 317, 320, 328, 355, 356, 373, 374, 375,
379, 380, 390, 391, 392, 393, 399, 400, 402, 403, 405,
406, 455, 456
Identité francophone · 29, 30, 242, 259, 322, 326,
327, 328, 329, 330, 342, 343, 350, 351, 356, 358, 371, 372, 373, 374, 375, 376,
377, 378, 379, 380, 387, 390,
400, 402, 403, 404, 405,
|
454,
|
455,
|
456,
|
460, 462
|
|
|
|
Identité humaniste · 380,
|
381,
|
382,
|
383,
|
386, 387, 388, 389, 402,
|
403,
|
455
|
|
Identité rhizomique · 29, 329,
|
331,
|
332,
|
333, 334, 340, 341, 343,
|
344,
|
345,
|
346,
|
349, 350, 351, 352, 454,
|
460
|
|
|
L
|
|
|
|
Langue · 9,
|
10,
|
111, 14, 15, 16, 18, 24, 27,
|
28,
|
30,
|
32,
|
33,
|
35,
|
36,
|
37,
|
38,
|
39,
|
40,
|
41,
|
42,
|
43,
|
44,
|
45,
|
46,
|
47,
|
48,
|
49,
|
50,
|
51,
|
52,
|
53,
|
54,
|
56,
|
57,
|
58,
|
59,
|
60,
|
61,
|
63,
|
64,
|
65,
|
69,
|
72,
|
73,
|
74,
|
76,
|
77,
|
78,
|
79,
|
83,
|
84,
|
85,
|
86,
|
89,
|
90,
|
91,
|
92,
|
93,
|
95,
|
96,
|
97,
|
98,
|
99,
|
100,
|
101,
|
102,
|
103,
|
104,
|
105,
|
106,
|
107,
|
109,
|
110,
|
111,
|
112,
|
113,
|
114,
|
115,
|
117,
|
|
119,
|
120,
|
121,
|
122,
|
124,
|
125,
|
126,
|
127,
|
128,
|
129,
|
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|
132,
|
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|
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|
135,
|
136,
|
138,
|
140,
|
142,
|
145,
|
146,
|
147,
|
148,
|
149,
|
150,
|
153,
|
158,
|
160,
|
161,
|
163,
|
165,
|
168,
|
185,
|
203,
|
205,
|
206,
|
207,
|
208,
|
209,
|
210,
|
212,
|
213,
|
214,
|
215,
|
216,
|
217,
|
218,
|
219,
|
220,
|
221,
|
222,
|
223,
|
224,
|
225,
|
226,
|
227,
|
228,
|
229,
|
230,
|
231,
|
232,
|
233,
|
234,
|
235,
|
236,
|
237,
|
238,
|
239,
|
240,
|
241,
|
245,
|
246,
|
249,
|
258,
|
259,
|
260,
|
264,
|
274,
|
287,
|
297,
|
307,
|
311,
|
312,
|
314,
|
319,
|
321,
|
322,
|
326,
|
327,
|
328,
|
329,
|
349,
|
351,
|
353,
|
369,
|
370,
|
375,
|
377,
|
378,
|
379,
|
392,
|
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|
398,
|
399,
|
400,
|
402,
|
406,
|
407,
|
408,
|
409,
|
410,
|
411,
|
412,
|
414,
|
415,
|
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|
418,
|
419,
|
420,
|
421,
|
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|
424,
|
425,
|
426,
|
427,
|
429,
|
430,
|
431,
|
549
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|
441, 442, 446,
458, 459, 461,
|
451,
462,
|
452,
463,
|
Langue française · 10,
|
14,
|
16,
|
18,
|
24,
|
27,
|
28,
|
33,
|
35,
|
38,
|
39,
|
40,
|
41,
|
42,
|
43,
|
44,
|
45,
|
46,
|
47,
|
48,
|
49,
|
50,
|
51,
|
53,
|
54,
|
56,
|
57,
|
58,
|
59,
|
60,
|
61,
|
63,
|
64,
|
65,
|
69,
|
72,
|
73,
|
74,
|
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|
77,
|
78,
|
79,
|
84,
|
85,
|
86,
|
88,
|
89,
|
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|
91,
|
92,
|
93,
|
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|
97,
|
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|
99,
|
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|
104, 105,
|
106,
|
110,
|
112,
|
113,
|
115,
|
119,
|
120,
|
121,
|
122,
|
124,
|
125,
|
126,
|
128,
|
129,
|
130,
|
132,
|
133,
|
134,
|
135,
|
136,
|
138,
|
142,
|
146,
|
147,
|
148,
|
149,
|
153,
|
185,
|
203,
|
205,
|
206,
|
207,
|
208,
|
209,
|
210,
|
212,
|
213,
|
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|
217,
|
218,
|
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|
220,
|
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|
222,
|
223,
|
224,
|
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|
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|
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|
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|
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|
245,
|
246,
|
258,
|
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|
312,
|
319,
|
321,
|
327,
|
328,
|
351,
|
369,
|
370,
|
377,
|
378,
|
379,
|
399,
|
402,
|
406,
|
407,
|
408,
|
409,
|
411,
|
412,
|
414,
|
415,
|
416,
|
419,
|
420,
|
421,
|
422,
|
424,
|
425,
|
427,
|
429,
|
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|
431,
|
432,
|
433,
|
434,
|
441,
|
451,
|
452,
|
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|
455,
|
456,
|
|
458,
|
459,
|
461,
|
462,
|
464,
|
465
|
|
|
Langue maternelle · 9, 73, 78,
|
79,
|
103,
|
122,
|
207,
|
208,
|
215,
|
216,
|
219,
|
223,
|
224,
|
227,
|
228,
|
230,
|
430
|
|
|
|
|
Langues africaines · 28, 61, 89, 91, 98, 99,
102,
|
104,
|
106,
|
115,
|
117,
|
121,
|
136,
|
205,
|
207,
|
208,
|
209,
|
210,
|
217,
|
226,
|
228,
|
229,
|
230,
|
231,
|
232,
|
236,
|
240,
|
241,
|
319,
|
426
|
M
|
|
|
|
|
|
|
|
Métis · 29, 40, 72, 105, 219, 220, 222, 239,
240, 241, 245, 257, 330, 334, 335, 339,
340,
|
341,
|
342,
|
343,
|
347,
|
348,
|
349,
|
351,
|
352,
|
371,
|
373,
|
374,
|
375,
|
376,
|
378,
|
423,
|
454,
|
455,
|
460
|
|
|
|
|
|
Métissage · 14, 30,
|
76, 88, 92, 93,
|
100,
|
107,
|
131,
|
133,
|
142,
|
149,
|
160,
|
172,
|
173,
|
186,
|
203,
|
241,
|
298,
|
300,
|
301,
|
305,
|
311,
|
326,
|
329,
|
330,
|
334,
|
338,
|
339,
|
341,
|
342,
|
343,
|
344,
|
346,
|
349,
|
350,
|
351,
|
352,
|
356,
|
372,
|
373,
|
374,
|
378,
|
421,
|
427,
|
428,
|
430,
|
458,
|
459,
|
463,
|
464
|
|
|
|
|
Musique · 73,
|
116,
|
117,
|
131,
|
163,
|
206,
|
212,
|
214,
|
218,
|
219,
|
223,
|
226,
|
244,
|
263,
|
273,
|
275,
|
276,
|
277,
|
278,
|
395,
|
397,
|
398,
|
399,
|
401,
|
403,
|
404,
|
428,
|
436,
|
441,
|
443,
|
444,
|
446,
|
448,
|
450,
|
453,
|
464
|
|
|
Mythe · 21, 22, 30, 116,
|
117,
|
142,
|
144,
|
150,
|
282,
|
330,
|
400,
|
436,
|
446,
|
447,
|
448,
|
449,
|
450,
|
451
|
452,
|
453,
|
455,
|
463,
|
464
|
Mythe personnel · 21,
|
22,
|
30,
|
144,
|
330,
|
400, 455, 463, 464
|
|
|
|
|
|
N
|
|
|
|
|
Négritude · 11, 12, 13,
|
17,
|
18,
|
27,
|
35, 63,
|
67, 70, 71, 72,
92, 93, 94, 95,
|
84, 85, 86, 87,
96, 97, 98, 99,
|
88, 90, 91,
102, 104,
|
105,
|
106,
|
109,
|
114,
|
115,
|
119,
|
120,
|
129,
|
130,
|
132,
|
133,
|
135,
|
136,
|
138,
|
139,140,
|
142,
|
143,
|
146,
|
149,
|
160,
|
172,
|
173,
|
174,
|
184,
|
186,
|
190,
|
191,
|
199,
|
204,
|
213,
|
226,
|
251,
|
254,
|
255,
|
256,
|
279,
|
280,
|
284,
|
288,
|
299,
|
306,
|
318,
|
338,
|
348,
|
354,
|
359,
|
387,
|
390,
|
393,
|
397,
|
407,
|
409,
|
415,
|
416,
|
417,
|
423,
|
424,
|
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|
427,
|
428,
|
429,
|
430,
|
432,
|
550
551
433,
459, Noir
|
435,
460,
13,
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|
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|
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|
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|
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|
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|
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|
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|
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|
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|
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|
175,
|
177,
|
178,
|
179,
|
180,
|
181,
|
182,
|
183,
|
184,
|
185,
|
186,
|
187,
|
189,
|
190,
|
191,
|
193,
|
195,
|
196,
|
197,
|
198,
|
199,
|
200,
|
201,
|
202,
|
203,
|
204,
|
205,
|
208,
|
209,
|
210,
|
211,
|
219,
|
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|
222,
|
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|
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|
242,
|
243,
|
244,
|
245,
|
246,
|
247,
|
248,
|
249,
|
250,
|
253,
|
254,
|
255,
|
256,
|
258,
|
259,
|
262,
|
263,
|
264,
|
304,
|
306,
|
308,
|
309,
|
310,
|
313,
|
314,
|
318,
|
319,
|
320,
|
322,
|
338,
|
342,
|
349,
|
359,
|
362,
|
369,
|
373,
|
385,
|
396,
|
420,
|
426,
|
442,
|
459,
|
466
|
|
|
|
Noosphère · 40, 76,
|
221,
|
304,
|
305,
|
313,
|
|
314
O
Ontologique · 255, 261, 273, 330, 378,
401, 403, 433, 436, 438, 441, 450, 451, 452, 453, 456, 461
Ouverture · 11, 24, 26, 27, 29, 35, 40, 49,
50, 55, 92, 97, 98, 99, 101, 104, 105, 107, P
109,
|
110,
|
112,
|
113,
|
114,
|
117,
|
119,
|
120,
|
121,
|
122,
|
123,
|
130,
|
139,
|
140,
|
146,
|
147,
|
168,
|
201,
|
205,
|
210,
|
248,
|
260,
|
261,
|
264,
|
283,
|
284,
|
286,
|
287,
|
288,
|
289,
|
294,
|
295,
|
296,
|
297,
|
298,
|
299,
|
300,
|
301,
|
305,
|
315,
|
316,
|
320,
|
321,
|
322,
|
326,
|
329,
|
341,
|
351,
|
356,
|
371,
|
423,
|
424,
|
458
|
|
|
|
|
Paix · 173, 180, 186, 189, 191, 192, 193,
194,
|
195,
|
196,
|
197,
|
235,
|
268,
|
289,
|
306,
|
308,
|
310,
|
318,
|
381,
|
383,
|
387,
|
389,
|
395,
|
397,
|
398
|
|
|
|
|
|
|
|
Panafricanisme 468
Pardon 142, 146, 149, 151, 187,
191, 192, 195, 196, 197, 198, 201,
204, 318, 379, 387
Poésie · 14, 15, 16, 17, 18, 19, 22,
|
189, 190,
202, 203,
23, 26,
|
28, 29, 30, 44,
|
68, 88, 93, 94,
|
117,
|
121,
|
140,
|
141,
|
142,
|
143,
|
145,
|
146,
|
148,
|
149,
|
150,
|
151,
|
189,
|
195,
|
197,
|
208,
|
209,
|
212,
|
|
214,
|
224,
|
226,
|
231,
|
232,
|
239,
|
242,
|
244,
|
246,
|
258,
|
266,
|
267,
|
286,
|
288,
|
294,
|
295,
|
296,
|
299,
|
301,
|
306,
|
312,
|
313,
|
315,
|
321,
|
322,
|
326,
|
329,
|
330,
|
331,
|
332,
|
334,
|
342,
|
343,
|
346,
|
352,
|
364,
|
365,
|
367,
|
379,
|
380,
|
387,
|
390,
|
393,
|
396,
|
398,
|
399,
|
400,
|
401,
|
402,
|
403,
|
404,
|
405,
|
406,
|
412,
|
413,
|
414,
|
415,
|
416,
|
417,
|
418,
|
419,
|
420,
|
421,
|
422,
|
423,
|
424,
|
425,
|
426,
|
427,
|
429,
|
430,
|
431,
|
432,
|
433,
|
435,
|
436,
|
437,
|
438,
|
439,
|
440,
|
441,
|
442,
|
443,
|
444,
|
446,
|
447,
|
448,
|
449,
|
450,
|
451,
|
452,
|
453,
|
454,
|
456,
|
457,
|
458,
|
460,
|
461,
|
462,
|
463,
|
464,
|
466
|
|
|
|
Poésie africaine 421, 423, 456
Poésie française · 415, 416, 417, 418,
419,
420, 421, 422, 423, 426, 446, 452, 456,
461, 462
Poésie francophone · 18, 29, 30, 148, 330,
400,
|
402,
|
403,
|
404,
|
405,
|
406,
|
412,
|
413,
|
414,
|
415,
|
416,
|
417,
|
418,
|
419,
|
420,
|
421,
|
552
422,
|
423,
|
424,
|
425,
|
429,
|
430,
|
431,
|
432,
|
433,
|
434,
|
435,
|
436,
|
437,
|
438,
|
439,
|
442,
|
443,
|
444,
|
446,
|
447,
|
450,
|
451,
|
452,
|
453,
|
454,
|
456,
|
457,
|
460,
|
461,
|
462,
|
463
|
|
Poésie humaine · 435, 450
Poésie mystique 453
Poésie mythopoétique 436, 450
Poésie négro-africaine · 433, 446
Poésie rythmique...450
Poésie senghorienne · 16, 17, 18, 19, 28,
29, 88, 140, 143, 149, 150, 151, 224, 226,
239,
|
266,
|
267,
|
286,
|
294,
|
296
|
(297), 299,
|
301,
|
306,
|
315,
|
333,
|
344,
|
346,
|
379, 390,
|
400,
|
401,
|
439,
|
450,
|
457,
|
458,
|
461, 463,
|
466
|
|
|
|
|
|
|
|
Poésie symbolique · 435,
|
450
|
|
|
Poète · 10, 15, 18, 19, 20,
|
24,
|
25,
|
28, 33,
|
43, 44, 45, 68, 77, 82, 93,
|
95,
|
99,
|
100, 142,
|
144,
|
145,
|
148,
|
150,
|
158,
|
168,
|
169,
|
171,
|
176,
|
177,
|
178,
|
185,
|
186,
|
189,
|
191,
|
200,
|
207,
|
210,
|
215,
|
218,
|
220,
|
222,
|
233,
|
234,
|
247,
|
249,
|
250,
|
251,
|
252,
|
255,
|
271,
|
279,
|
280,
|
294,
|
295,
|
296,
|
298,
|
307,
|
312,
|
330,
|
331,
|
348,
|
349,
|
368,
|
379,
|
385,
|
390,
|
392,
|
393,
|
394,
|
395,
|
396,
|
397,
|
398,
|
399,
|
400,
|
401,
|
402,
|
403,
|
404,
|
406,
|
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|
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|
414,
|
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416,
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|
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|
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|
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|
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|
433,
|
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|
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|
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|
444,
|
447,
|
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|
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|
450,
|
451,
|
452,
|
453,
|
455,
|
456,
|
461,
|
464
|
|
|
|
|
Psychocritique · 19, 20,
|
21, 22, 23,
|
28,
|
144,
|
145,
|
146,
|
150,
|
151,
|
186,
|
209,
|
246,
|
264,
|
330,
|
334,
|
346,
|
358,
|
359,
|
380,
|
386,
|
461,
|
464
|
|
|
|
|
|
|
R
Rythme · 26, 44, 73, 91,
|
93, 94, 107, 130,
|
194,
|
198,
|
200,
|
212,
|
214,
|
217,
|
218,
|
225,
|
226,
|
229,
|
234,
|
237,
|
241,
|
250,
|
251,
|
255,
|
256,
|
259,
|
275,
|
276,
|
277,
|
278,
|
279,
|
290,
|
299,
|
394,
|
395,
|
397,
|
398,
|
399,
|
408,
|
412,
|
414,
|
415,
|
416,
|
418,
|
419,
|
420,
|
421,
|
436,
|
437,
|
439,
|
441,
|
442,
|
443,
|
444,
|
446,
|
450,
|
451,
|
452,
|
453,
|
459,
|
464
|
|
|
|
Rythmique · 158, 253, 274, 276, 277, 446,
450,
|
451, 456, 461
|
S
|
|
|
|
Sang · 29, 151,
|
171, 172, 173, 174, 175,
|
179,
|
180,
|
181,
|
182, 183, 184, 186, 190,
|
191,
|
193,
|
194,
|
196, 210, 216, 217, 228,
|
229,
|
244,
|
269,
|
274, 275, 279, 288, 291,
|
304,
|
306,
|
308,
|
330, 332, 334, 335, 337,
|
338,
|
339,
|
341,
|
342, 343, 344, 345, 346,
|
347,
|
348,
|
349,
|
350, 351, 352, 358, 362,
|
374,
|
384,
|
393,
|
396, 420, 439, 442, 445,
|
446,
|
453,
|
454,
|
460
|
Stratégie · 11,
|
12, 13, 237,
|
255, 371, 372,
|
373, 374, 424,
|
465
|
|
|
|
|
|
Symbiose · 12,
|
13, 16,
|
18,
|
26,
|
40,
|
56,
|
69,
|
75, 77, 86, 89,
|
93, 94,
|
95,
|
98,
|
99,
|
114,
|
115,
|
129,
|
132,
|
142,
|
146,
|
187,
|
219,
|
221,
|
256,
|
263,
|
269,
|
270,
|
273,
|
278,
|
287,
|
298,
|
311,
|
314,
|
317,
|
320,
|
348,
|
355,
|
363,
|
402,
|
411,
|
421,
|
423,
|
424,
|
425,
|
432,
|
446,
|
450,
|
452,
|
458,
|
459,
|
463,
|
464
|
|
|
|
|
Symbiose culturelle · 69, 89, 93, 98, 142, 146, 314, 425,
459
Symbole · 16, 30, 74, 103, 245, 273, 328, 344, 369, 416,
418, 419, 436, 438, 439, 440, 441, 446, 448, 450, 452, 453 Symbolique ·
21, 83, 145, 205, 265, 324, 435, 439, 447, 448, 449, 450, 451, 452, 453, 456,
461
Unité · 26, 29, 38, 50, 62, 79, 93, 98, 103,
108, 127, 131, 132, 142, 150, 179, 180,
185,
|
190,
|
216,
|
224,
|
261,
|
284,
|
304,
|
310,
|
311,
|
315,
|
316,
|
317,
|
318,
|
320,
|
321,
|
325,
|
329,
|
348,
|
351,
|
362,
|
375,
|
378,
|
386,
|
387,
|
388,
|
389,
|
423,
|
434,
|
433,
|
435,
|
452,
|
453,
|
456,
|
459,
|
462,
|
463
|
|
|
|
|
V
|
|
|
|
|
|
|
|
Voyage · 282,
|
290,
|
294,
|
295,
|
296,
|
299,
|
353, 354, 463
U
553
INDEX DES AUTEURS
A
A. Kibédi Varga 439
Abdillahi Aouled 9, 32, 39, 46, 47, 49
Abdoul Diouf -- 11, 64, 100, 222, 252, 253, 254, 389, 436
Abdoulaye Diawara 26, 304, 305, 317
Abib Sene 342
Adama Ndao 24, 25, 171
Adama Ouane 199, 405
Adama Samaké 387
Adou Bouatenin - 13, 14, 16, 18, 22, 27, 61,
69, 88, 118, 142, 185, 187, 207, 239, 270,
295, 381, 387, 402, 404
Ahmadou Kourouma 93, 225, 269
Ahmed Sékou Touré 60, 61
Aimé Adopo Achi 227
Aimé Césaire -- 87, 88, 119, 157, 165, 169, 171,
185, 208, 243, 297, 390, 406, 417, 419, 422, 425, 428, 429, 430, 438, 453,
454
Aïssata Soumana Kindo - 6, 12, 90, 93, 207
Alain Juppé 64, 240 Alain Mabanckou --- 36, 100, 329,
412, 413
Alain Ménil 430, 432
Alain Vaillant 415
Alassane Ndwa 108
554
Albert Christiane 326 Albert Tevoedjré 118
Alexandra Aizier 12, 126
Alexis Kagamé 108
Alexis Vassilis 111
Alice Goheneix -- 27, 39, 41, 42, 47, 48, 52, 54, 79, 213,
214
Alioune Mbaye 226, 227, 232
Alioune Sall 163
Alioune Sène 91
Alpha Condé 169
Alpha Ibrahim Sow 108, 109, 117, 121
Amadou Hampâté Bâ 283, 284
Amadou Koné 62, 244, 245
Ambroise Kom 12, 69
Amilcar Cabral 285
Amin Maalouf 324, 363, 365, 411, 412
Amina Meziani 205, 324
André Malraux 263, 425
André Maurois 301
Anne Hamidou 198
Anne Judge 68, 160
Anne-Rosine Delbart ---- 53, 115, 229, 406, 409
Anne-Lisse Gallay 24, 25
Annette Boudreau 377, 378
Antionette Liechti 340
Antoine Rivarol 222
Antoine Saint-Exupéry 284, 314
Armand Guibert 209, 355, 356
Arnaud Bernadet 19
Arthur Rimbaud -- 417, 418, 419, 421, 425, 427, 436, 452, 461
Assa Syntyche Assa 324
Assane Seck 391, 393
Atsain François N'cho 233
Aude Béliveau 129
Aurélien Yannic 75, 134, 328
B
Babacar M'baye 172
Babacar Ndiaye 125
Babacar Sédikh Diouf 217
Bara Diouf 220
Béatrice Majza 33
Béatrice Turpin 9, 10, 34
Bégong-Bodoli Betina -- 12, 35, 36, 37, 70, 71, 78, 79,
133, 207
Bena Djangrang Nimrod 327
Bénézet Bujo 262, 265
Bernard Magnier 335, 360
Bernard Pöll 68
Bernard Wallon 36,39, 212, 236
Bernard Zadi Zaourou 206, 207
Bi Trazié Serge Bli 15
Birago Diop 269
Blaidy Dioum 96
Bruno Bourg-Broc --- 10, 55, 134, 189, 301
C
Camille Bourniquel - 34, 52, 53, 57, 59, 60, 63
Carmen S. Stoean 145
Catherine Coquery-Vidrovitch 154
Catherine Kerbrat-Orecchioni - 23, 28, 144,
145, 207, 210, 214, 227, 330, 384, 461
Cécile B. Vigouroux 35, 36
|
Cecile Dolisane-Ebosse
|
|
270
|
Cecile Thomas
|
|
|
164
|
Celina Scheinowitz
|
|
18,
|
263
|
Charles Baudelaire ----
|
-417, 418,
|
419,
|
421,
|
437, 441, 461
|
|
|
|
Charles Bonn
|
406, 408,
|
411,
|
412
|
Charles Mauron ---- 19,
|
20, 21, 22,
|
28,
|
143,
|
144, 146, 152, 330, 386, 400, 461
|
|
|
Charles Taylor
|
|
|
340
|
Cheikh Hamidou Kane
|
166,
|
215,
|
290
|
Christian Philip
|
|
110,
|
126
|
Christian Vandendorpe
|
|
|
410
|
Christophe Premat
|
|
|
11
|
Claire Riffard 112,
|
405, 406,
|
407,
|
408,
|
409, 412
|
|
|
|
Claire Tréan 13,
|
34, 40, 41,
|
153,
|
160
|
Claude Caitucoli
|
|
225,
|
412
|
Claude Morin
|
|
|
85
|
Claudia Moisei
|
|
10, 11, 14
|
Clément Mbom
|
|
|
62
|
D
|
|
|
|
Daniel Garrot
|
202, 260,
|
277,
|
447
|
Daniel Maximin
|
68, 148,
|
326,
|
327
|
Daniel Pasquier
|
|
|
366
|
D'Arcy Hayman -- 331,
|
435, 436,
|
437,
|
438,
|
439
|
|
|
|
David Adamou Dongo
|
|
|
144
|
|
|
|
555
|
David Gakunzi 223, 285, 371
Deli Zra 262, 285
Didier Lamaison 144
Djian Jean Michel 346
Djibril Tamsir Niane 176
Dominique Combe 103, 375, 405
Dominique Wolton 59, 101, 165, 328,
351, 402
Driss Khrouz 125
E
Ébénézer Njoh-Mouelle 41, 149
Edema Atibakwa-Boboya 100
Edgar Faure 80, 311, 421
Edmond-Marc Lipiansky 325, 372
Édouard Glissant 325, 332, 333, 349,
352, 427, 428, 429, 430, 431
Edward Tylor 261 Emmanuel Macron ---- --39, 135, 159, 166,
198, 229, 230,
Emmanuel Mounier 342, 373
Étienne Smith 370
Eugène Tavares 11, 12, 354
F
Félix Guattari 332, 333
Félix Houphouët Boigny - 62, 82, 167, 464
Fernando Lambert 18, 143
Fétigué Coulibaly 231
Florent Parmentier 133, 134
François Crouzet 345
François de Closets 303
556
François Hollande 125 François Fillon 166
François Pire 144
François Provenzano 10, 74, 127, 405
François-Xavier Verschave 464
Françoise Argod-Dutard 230
Fulgence Manirambona 342
G
Gabriel Calaya 436
Gabriel de Broglie 132, 212
Gaston Bachelard 294, 413, 453
Gaston Berger 266, 294, 305
Genevière Vinsonneau 331, 349
Georges Balandier 266, 302, 303
Georges Bastide 302
Gérard Dessons 19
Gilles Vigneault 105
Goly Mathias Irié Bi 235
Gustave Lanson 4
Guy Allix 288, 301
H
Hamidou Dia 304, 330
Henri Lopès 26, 105, 326, 349, 385
I
Ibrahim Baba Kake 261, 263
Ibrahim Diop-- --14, 16, 17, 34, 41, 67, 69,
90, 114, 132, 142, 207, 220, 221, 242, 287, 288, 311
Ingse Skattum 10
Irène Gayraud 448
Irina Bokava 381
Isabelle Constan 431
Issa Sangaré Yeresso 119
J
J. et M. J. Derive 119
J. Tshisunguwa Tshisungu -- 13, 15, 34, 72,
73, 77, 78, 89, 98, 132, 404, 405
Jacqueline Sorel 390
Jacques Barrat 10, 11, 14
Jacques Chevrier --- 49, 74, 77, 88, 92, 130, 155, 213, 265,
295
Jacques Dufresne 382
Jacques Godbou 410
Jacques Maquet 266, 302, 303
Jacques Rabemananjara - 96, 163, 187, 206, 207
Janet G. Vaillant 17, 67, 215, 251
Jean Bernabé 429, 430
Jean Bernard Kouadio 240, 241
Jean Foucault 224, 236, 327
Jean Lacouture 62
Jean Maisonneuve 149
Jean Michaëlle ---- -55, 101, 102, 103, 110, 124, 241
Jean Pruvost 45
Jean Tardif 324, 327
Jean-François Dortier 287
Jean-Georges Prosper 195
Jean-Jacques Konadjé 32, 103
Jean-Jacques Rousseau 382
Jean-Louis Joubert 377, 448
557
Jean-Louis Bédouin 433 Jean-Marc Léger-- -- 34, 36,
37, 53, 54, 55, 61, 62, 64, 69, 85
Jean-Marie Adiaffi 350
Jean-Marie Borzeix 36, 134
Jean-Marie Domenach -- 34, 52, 53, 57, 59, 60, 63
Jean-Marie Guyau 442 Jean-Nicolas de Surmont -- 36, 89, 90,
129, 133, 164, 379
Jean-Paul Pougala 272 Jean-Paul Sartre -- 185, 207, 209,
211, 414, 428
Jean-Paul Warnier 369 Jean-Pierre Asselin de Beauville 312,
313, 324, 326
Jean-Pierre Biondi 355
Jean-Pierre Hoss 36
Jean-Pierre Makouta-Mboukou 225
Jean-René Bourrel 87, 90, 91, 149
Joël Clerget 15, 16, 145, 150
Joëlle Farchy 324
John Kristian Sanaker 10
John W. Berry ---- 355, 356, 366, 367, 371, 372, 374
José Fontaine 69
Josefina Bueno Alonso 327, 351
Joseph Roger de Benoist 189
K
Kahiudi C. Mabana 256
Kameni Alain Cyr Pangop 357
Karim Holter 10
Karim Traoré 12
Katia Haddah
Ken Bugul
Kouamé Kouamé
Koutchoukalo Tchassim
114, 116, 129, 131
|
|
105,
|
49, 239 327 385 106, 113,
|
L
|
|
|
|
L. Duponchel
|
|
|
121
|
Laurence Arrighi
|
|
|
377, 378
|
Laurent Gbagbo
|
|
80, 84, 105
|
Laurier Turjeon
|
|
339
|
Léandre Sahiri
|
|
20
|
Léo Férré
|
|
444
|
Léon Nadjo
|
|
92
|
Léon-Gontran Damas
|
87,
|
348, 423, 426
|
Léopold Sédar Senghor ---
|
9,
|
10,
|
12, 13, 14,
|
15, 16, 17, 18, 19, 22, 23,
|
24,
|
25,
|
26, 27,
|
28, 29, 30, 32, 33, 34, 35,
|
37,
|
40,
|
41, 51,
|
53, 54, 55, 56, 59, 61, 62,
|
63,
|
64,
|
65, 66,
|
67, 68, 69, 70, 71, 72, 73,
|
74,
|
75,
|
76, 77,
|
78, 79, 80, 81, 82, 83, 84,
|
85,
|
86,
|
87, 88,
|
89, 90, 91, 92, 93, 94, 95,
|
96,
|
97,
|
98, 99,
|
100,
|
101,
|
102,
|
104,
|
106,
|
108,
|
109,
|
111,
|
113,
|
114,
|
115,
|
116,
|
117,
|
119,
|
119,
|
120,
|
121,
|
122,
|
126,
|
129,
|
130,
|
131,
|
132,
|
135,
|
136,
|
138,
|
139,
|
140,
|
141,
|
142,
|
143,
|
146,
|
147,
|
148,
|
149,
|
150,
|
151,
|
152,
|
153,
|
154,
|
155,
|
156,
|
157,
|
158,
|
159,
|
161,
|
164,
|
165,
|
166,
|
167,
|
168,
|
169,
|
170,
|
171,
|
172,
|
173,
|
174,
|
176,
|
177,
|
178,
|
180,
|
182,
|
184,
|
185,
|
186,
|
187,
|
189,
|
190,
|
191,
|
195,
|
197,
|
198,
|
199,
|
200,
|
201,
|
202,
|
203,
|
204,
|
205,
|
206,
|
207,
|
208,
|
209,
|
210,
|
212,
|
213,
|
214,
|
215,
|
558
216, 217, 218, 219, 220, 221, 222, 223, 224, 226, 227, 231,
233, 234, 236, 237, 238, 239, 240, 241, 243, 244, 245, 251, 253, 254, 255, 256,
258, 260, 262, 263, 264, 265, 267, 270, 272, 273, 276, 277, 278, 279, 280, 281,
283, 284, 286, 287, 289, 293, 297, 298, 299, 300, 301, 304, 305, 310, 311, 312,
313, 314, 315, 316, 317, 318, 319, 320, 321, 322, 323, 326, 329, 330, 331, 333,
335, 336, 338, 339, 340, 341, 342, 343, 347, 349, 350, 351, 352, 353, 354, 356,
358, 359, 363, 364, 365, 366, 367, 368, 370, 371, 372, 373, 374, 375, 376, 377,
378, 379, 380, 382, 384, 385, 387, 388, 390, 392, 393, 399, 400, 401, 402, 403,
404, 405, 406, 407, 409, 412, 413, 414, 415, 416, 417, 418, 419, 420, 421, 422,
423, 424, 426, 427, 429, 433, 435, 436, 437, 438, 439, 441, 442, 443, 446, 447,
449, 450, 451, 454, 455, 457, 459, 460, 461, 463, 464, 466, 468, 469
Liano Petroni 226
Liliane Fo°alãu 331, 349, 350
Lilyan Kesteloot ---- 18, 102, 208, 225, 226, 236, 237
Linton Ralph 366, 367
Lise Gauvin 154, 410
Loïc Depecker 16
Louis de Broglie 240
Louis Martin-Chauffer 224
Luc pinhas ---- -32, 33, 40, 42, 43, 48, 126, 128, 160
Lucien Febvre 345
Lucy Baugret
|
|
325
|
M
|
|
|
Magloire Somé
|
|
265
|
Makhily Gassama
|
93, 414,
|
415
|
Mamadou Bani Diallo 7,
|
17, 37, 67,
|
95,
|
142
Mamadou Cisse
|
|
208
|
Mamadou Cissé
|
369,
|
370
|
Mangoné Seck --- 91, 92, 93,
|
106, 107,
|
115,
|
116, 117
|
|
|
Marc Edmond
|
|
325
|
Marc Gontard
|
11, 12,
|
160
|
Marcien Towa ---- 167, 174,
|
176, 177,
|
197,
|
305, 349
|
|
|
Mariana Ionescu
|
|
358
|
Marie-Claire Gousseau
|
|
261
|
Mariétou Diongue
|
|
263
|
Maurice Druon
Méo Guy Di
|
38, 39,
|
167
356
|
Michael Hammer
|
|
345
|
Michel Beniamino 154,
|
225, 405,
|
407
|
Michel Dupouey
|
|
56
|
Michel Guillou 11,
|
124, 135,
|
136
|
Michel Hausser
|
88,
|
426
|
Michel Tétu
|
|
68
|
Mihaela-Alexandra Acatrinei
|
|
408
|
Moussa Fall
|
|
227
|
Moustapha Samb
|
|
298
|
Moustapha Tambadou
|
153,
|
256
|
Muriel Placet-Kouassi
|
|
330
|
Myriam Louviot
|
325,
|
366
|
N
|
|
|
|
Nadia Yala Kisudiki
|
|
142,
|
288
|
Nelson Mandela
|
|
|
5
|
Ngalasso Mwatha Musanji
|
|
|
15
|
Nicolas Sarkozy
|
|
16,
|
135
|
Niels Planels
|
|
407,
|
431
|
Nsame Mbongo
|
|
276,
|
280
|
O
|
|
|
|
Odile Hardy
|
381,
|
382,
|
388
|
Olga Balogun
|
|
116,
|
287
|
Onésime Reclus -- 9, 10, 14,
|
17, 27, 32,
|
33,
|
34, 35, 37, 38, 39, 41, 42, 43,
|
44,
|
45, 46,
|
47, 48, 49, 50, 51, 54, 58, 63,
|
65,
|
72, 99,
|
100, 101, 103, 106, 112, 113,
|
121,
|
122,
|
|
126, 127, 128, 129, 133, 135,
|
136,
|
138,
|
|
139, 140, 223, 245, 345, 410,
|
412,
|
425,
|
|
457, 458, 463
|
|
|
|
Oumar sankhare
|
|
|
251
|
P
|
|
|
|
Pabé Mongo
|
|
207,
|
224
|
Paola Puccini - 9, 15, 41, 52,
|
53, 56, 63, 75
|
Papa Gueye N'diaye
|
|
|
279
|
Papa Samba Diop --- 24, 25,
|
158,
|
171,
|
191,
|
359
|
|
|
|
Pape François
|
|
|
389
|
Passou Lundula
|
|
|
12
|
Pathé Diagne
|
|
113,
|
287
|
Patrick Chamoiseau
|
|
|
429
|
Patrick Charaudeau
|
|
|
391
|
Patrick Sultan
|
|
26, 37
|
|
|
559
|
Paul Claudel - 399, 404, 412, 421, 433, 443
Paul Drezet 407, 408
Paul Dumont 10, 11, 39, 89, 111, 226
Paul Friedrich 413, 446, 448, 449
Paul Ricoeur 303, 315, 316, 325
Paul Sabourin 84, 91
Paul Verlaine 443
Paulin Hounsounon-Tolin --- 106, 107, 108
Petr Vurm 36, 130, 143, 226 Philipe Lavodrama --- 7, 17, 34,
67, 68, 69, 142
Pierre Renauld 449
Pierre Soubias 217
R
Raphaël Confiant 429
Rebecca Ursula Brønnum Scavenius 101
Redfield Robert 366, 367
René de Lacharrière 81, 82, 83
René Despestre
|
|
|
|
333
|
René Gnaléga
|
-12,
|
18, 34, 67,
|
83,
|
131,
|
132, 171, 191, 207,
|
226,
|
238, 273,
|
276,
|
|
277, 278, 279, 280,
|
285,
|
298, 300,
|
317,
|
|
326, 329, 330, 332,
|
341,
|
344, 351,
|
354
|
|
René Makounkolo
|
|
|
|
366
|
Robert Chaudenson
|
|
|
|
7
|
Robert Sabatier
|
|
44, 46,
|
425,
|
433
|
S
|
|
|
|
|
Saïda Belouali
|
102,
|
208, 224,
|
229,
|
400
|
Salman Rushidie
|
|
|
|
325
|
Samba Diakité
|
|
|
|
286
|
Samira Boubakour
Samuel Huntington
|
205,
|
326
316
|
Sana Camara 26,
|
171,
|
390
|
Sandra Glatigny
|
448,
|
449
|
Serge Arnaud
|
|
11
|
Seydou Badian
|
|
272
|
Sigmund Freud
|
|
20
|
Slimane Benaïsa
|
230,
|
231
|
Snauwaert Maïte
|
|
145
|
Sophie Croiset 53, 115, 229,
|
406,
|
409
|
Stanislas Adotevi
|
132,
|
185
|
Stella M. A. Johnson
Stélio Farandjis 11, 13, 37,
|
13,
299,
|
129
301
|
Stéphane Mallarmé
|
418,
|
419
|
Sylvia Washington Bâ
|
|
416
|
Sylvie Coly 283, 285,
|
286,
|
287
|
T
|
|
|
Tahar Ben Jelloun
|
327,
|
453
|
Tanella Boni 10, 26, 36,
|
130
|
Thérèse Djilane Diob 93,
Thi Hoai Trang Phan 9, 101, 103,
|
295,
126,
|
296
127,
|
134, 149
|
|
|
Toader Saulea 273,
Toba Misuzu --- 79, 80, 101, 104,
|
294,
105,
|
330
131,
|
298
|
|
|
V
|
|
|
Véronique Gély
|
|
449
|
Véronique le Marchand
|
|
34
|
Véronique Porra 409,
|
411,
|
431
|
Véronique Tadjo
|
326,
|
390
|
Vihelmina Vitkauskienè
|
|
33
|
|
|
560
|
561
Victor Hugo
|
418,
|
419, 421, 436,
|
443
|
Virgilio Elizondo
|
|
341, 357,
|
364
|
Virginie Marie
|
|
33, 68, 128,
|
189
|
Voltaire
|
|
44,
|
385
|
X
|
|
|
|
Xavier Deniau
|
11,
|
12, 14, 33, 58,
|
106
|
Xavier Garnier 406, 408, 411, 412
Y
Yao Assogba 76, 86
Yves Benot 197
562
BIBLIOGRAPHIE
I- OEUVRE ÉTUDIÉE
SENGHOR Léopold Sédar : Poèmes,
recueil de poèmes contenant Chants d'ombre (1945), Hosties noires
(1948), Éthiopiques (1956), Nocturnes (1961),
Lettres d'hivernage (1972), Éditions du Seuil,
Collection Points,
Littérature, Paris, 1964 et 1973, 254 p.
OEuvre poétique, recueil de poèmes
contenant toutes les oeuvres poétiques, Éditions du Seuil,
Collection Points/Essai, Paris, 1964, 1973, 1979, 1984 et 1990, 430 p.
II- AUTRES OEUVRES ET ARTICLES DE L'AUTEUR (L. S.
Senghor)
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nouvelle poésie nègre et malgache de
langue française, Presses Universitaires de
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(9ème édition « Quadrige »,
2015, 227 p.)
Préface à « la langue du
français du Sénégal » de Blondé,
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Pierre Teilhard de Chardin et la politique africaine, Paris,
éd. du Seuil, 1962,
102 p.
« Ce que je crois », Négritude,
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La poésie de l'action, Stock, Paris, 1980
La rose de la paix, L'Harmattan, Paris, 2001
« Le français, langue de culture », Le
français, langue vivante, Esprit, n°311,
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1, Seuil, Paris, 1964
« Qu'est-ce que la Négritude ? »,
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« Nation et Voie Africaine du socialisme»,
Liberté 2, Seuil, Paris, 1971
« Négritude et civilisation de l'universel »,
Liberté 3, Seuil, Paris, 1977
« Socialisme et planification », Liberté
4, Seuil, Paris, 1983
« Le dialogue des cultures », Liberté
5, Seuil, Paris, 1993
La parole chez Paul Claudel et chez les
Négro-africains, NEA, Dakar, 1973,
55 p.
La belle histoire de Leuk-le-lièvre, Hachette,
Paris, 1953
« La négritude métisse », Postface de
Poèmes d'Édouard J. Maunick,
NEA, Paris, 2001
« La poésie parlée de Sourang »,
Préface de l'oeuvre d'Ibrahim SOURANG,
Aubade, Monte Carlo, coll « Poètes de notre
temps », n°318, 1964, pp. 11-13
« Bolamba », préface de Esanzo : chants pour
mon Pays d'Antoine-Roger
Bolamba, Présence africaine, Paris, 1955
« De la poésie bantoue à la poésie
négro-africaine », préface de l'oeuvre
Épitomé de Tchikaya U'TAMSI, P. J. Oswald,
1962
« Le Langage intégral des Négro-Africains
», Préface de l'Anthologie de la vie
563
africaine, Herbert Pepper, Paris, 1958
Préface de l'oeuvre de J. K. SYAD, Khamsime,
Présence Africaine, Paris, 1959
« Dialogue sur la poésie francophone »,
OEuvre poétique, Édition du Seuil,
1964, 1973, 1979,1984 et 1990
« Esthétique négro-africaine »,
Diogène, n°16, octobre 1956, pp.43-63
« L'esthétique négro-africaine »,
Revue d'esthétique, t. IX, fasc. I, jan-mars
1950, pp. 71-75
Les fondements de l'africanité,
Présence Africaine, Paris, 1967
Préface de l'oeuvre de Mario Corcuera
Ibáñez, Tradition et littérature orale en
Afrique noire, L'Harmattan, Paris, 2009, traduction
d'Alicia Bermolen, 148 p.
Préface de l'oeuvre de A. R. BOLAMBA, Esanzo, chant
pour mon pays,
Présence Africaine, Paris, 1955
« Malick Fall ou poésie à hauteur d'homme
», Préface de l'oeuvre de Malick
Fall, Relief, Présence Africaine, Paris,
1967
« De la francophonie », Éthiopiques,
numéro 50-51, Nouvelle série-2ème et
3ème trimestre 1988 - volume 5 n°3-4
« De la négritude », Anthologie des
écrivains congolais, Delroisse, Boulogne,
1969
« La Francophonie comme culture », Études
littéraires, vol. 1, n° 1, 1968,
p. 131-140. URI:
http://id.erudit.org/iderudit/500008ar
« Pour un humanisme de la Francophonie », pp.
276-284
« Pour un nouvel équilibre mondial »,
Éthiopique, n°7, 1976
« Culture et développement »,
Éthiopiques, Revue socialiste de culture
négro-africaine, n° spécial,
1976
« Vers un nouvel ordre économique mondial »,
Éthiopiques, n°9, 1977
« Les Noirs dans l'Antiquité
méditerranéenne », Éthiopiques, n°11,
1977
« Pour une philosophie négro-africaine et moderne
», Éthiopiques, n°23, 1980
The Collected Poetry, Editions Melvin Dixon,
University of virgina, 1991
« L'esprit de la civilisation ou les lois de la culture
négro-africaine », Présence
Africaine, 1er congrès
international des écrivains et artistes noirs, Présence
Africaine, n°8-9-10, juin-novembre 1956, pp. 51-65
« Défense de l'Afrique noire »,
Esprit, 1945, pp. 237-248
« Un Humanisme de l'union française »,
Esprit, 1949, pp. 1019-1035
« Poète et francophone », La
littérature sénégalaise, Notre librairie,
n°81,
[propos recueillis par Serges Bourjea],
octobre-décembre 1985, pp. 99-108
Paroles, Dakar, NEA, 1975
« La Culture africaine », Communication à
l'Académie des Sciences morales et
politiques, Revue des Sciences morales et politiques,
le 26 septembre 1983
Le dialogue des cultures, Seuil, Paris, 1993
Africanité-Universalité, L'harmattan,
Paris, vol.31, 2000
Allocution lors de l'inauguration de l'Espace culturel
portant son nom,
Verson, 18 mars 1995 (
www.ville-verson.fr/test/telechargerpdf.php5?id=40)
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1963, Dakar, Université de Dakar,
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Une lecture négro-africaine de
Mallarmé, Pierre Fanlac À Perigueux, Paris,
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1981, 30 p.
Pour une relecture africaine de Marx et d'Engels, NEA,
Dakar, 1976, 67 p. (Réédition NEA, Dakar, 1990, 72 p.)
« La révolution de 1889 et Leo Frobenius »,
Éthiopiques, Spécial centenaire, 1er semestre 2010
III- OUVRAGES ET ÉTUDES SUR LA POÉSIE
SENGHORIENNE OU SUR SENGHOR
Actes du colloque : Colloque sur la Négritude,
Dakar, avril 1971, Présence Africaine, Paris, 1972
ALIOU Fati : «Le triomphe de la "négritude
debout"», Éthiopiques, 1984, 2(2-3), pp.47-50 BÂ
Sylvia Washington: The concept of Negritude in the Poetry of Léopold
Sédar Senghor, Princeton University Press, 1973, 305 p.
BELOUALI Saïda : « Senghor et la légitimation de
la poésie », Éthiopique, 2004, n°73 BENOIST
Joseph Roger de : Léopold Sédar Senghor, Beauchesne,
Paris, 1998, 304 p. BIONDI Jean-Pierre : Senghor ou la tentation de
l'universel ; Denoël, Paris, 1993, 218 p. BOKIBA André-Patient
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BOSQUET Alain : « Les engagements de Léopold Sédar Senghor
», La nouvelle revue
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879-884
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« Grâce(s) noire(s). Au sujet de Baudelaire et Senghor »,
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BUATA B. Malela : « Mythe et poésie dans le discours
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603
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Léopold Sédar Senghor : De la Négritude
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Léopold Sédar Senghor : De la Négritude
à l'universel 2 ÈRE Partie, Disponible sur
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Léopold Sédar Senghor : De la Négritude
à l'universel 3 ÈRE Partie, Disponible sur
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2012, 592 p. [sous la direction de Pascal Mougin].
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Dictionnaires des civilisations, Paris, 1968
Dictionnaire des étrangers qui ont fait la France,
Paris, Robert Laffont, 2013, 955 p.
[Sous la direction de Pascal Ory]
Dictionnaire des oeuvres littéraires
négro-africaines de langue française, Edition Naamand,
ACCT, 1983, 671 p. [sous la direction de Ambroise Kom].
Dictionnaire de sociologie, Armand Colin, Paris, 1991
Dictionnaire Encyclopédique des sciences du langage,
Paris, 1995
Dictionnaire Historique de Langue française
Dictionnaire Larousse Encyclopédique, Tome III,
1960
Dictionnaire le Petit Robert, Paris, 1972
Dictionnaire Pratique du Français, Hachette,
Paris, 1987
Dictionnaire Universelle de Poche, Hachette, Paris,
1993
Encyclopédie Larousse
Grand Dictionnaire des lettres, Larousse, Paris, 1987
[sous la direction de Jacques
DEMOUGIN], 892 p.
Lexique de termes juridiques, 9ème
édition, Dalloz, 1993
Le dictionnaire du littéraire, Quadrige/Presses
Universitaires de France, Paris, 2014, 816 p.
(Troisième édition), [sous la direction de Paul
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Le Nouveau petit Robert : dictionnaire alphabétique et
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2010, 2837 p. [sous la
direction de REY-DEBOVE Josette et REY Alain]
604
TABLE DES MATIÈRES
Remerciement p. 5
Avant-propos pp. 6-7
Sommaire p. 8
Introduction pp. 9-30
Partie I : La Francophonie, un concept sauvé de ses
cendres pp. 31-140
Chapitre I : La Francophonie, d'Onésime Reclus à la
revue Esprit pp. 38-66
1- La Francophonie d'Onésime Reclus, une solution au
déclin
de la langue française pp. 42-51
2- La Francophonie de la revue Esprit, une
communauté naissante pp. 52-66
Chapitre II : Léopold Sédar Senghor et la
Francophonie pp. 67-99
1- La conception senghorienne de la Francophonie pp. 72-86
2- La Francophonie senghorienne, l'exaltation de la
Négritude pp. 87-99
Chapitre III : La Francophonie en débat pp. 100-140
1- Un concept d'enracinement et d'ouverture pp. 111-123
2- Une notion de dialogue des cultures pp. 124-140
Partie II : La Francophonie dans la poésie de
Léopold Sédar Senghor pp. 141-323
Chapitre I : Le projet de la Francophonie pp. 148-204
1- Une filiation historique avec la France pp. 153-170
2- Le sacrifice de l'Afrique pour l'Europe pp. 171-188
3- Le pardon des Noirs pour une renaissance du monde pp.
189-205
Chapitre II : Le choix définitif de Léopold
Sédar Senghor pp. 206-261
1- Le choix de la langue française pp. 212-225
2- Le choix du français africanisé ou «
négrifié » pp. 226-243
3- Le choix du peuple noir pp. 244-261 Chapitre III : La
renaissance des valeurs culturelles africaines et l'ouverture
culturelle pp. 261-322
1- L'éloge de la culture africaine pp. 265-286
2- L'ouverture culturelle pp. 287-301
3- L'éloge de la Civilisation de l'Universel pp.
302-323 Partie III : La Francophonie, une problématique identitaire
chez Léopold
Sédar Senghor pp. 324-460
Chapitre I : Léopold Sédar Senghor et la
quête d'une identité rhizomique pp. 333-355
605
La thèse de l'ancêtre portugais
pp. 337-346
|
2- La thèse des sangs mêlés
|
pp. 347-355
|
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Chapitre II : La problématique d'une identité
constituée
|
pp. 356-379
|
1- Une identité de l'entre-deux
|
pp. 360-368
|
2- Une identité acculturée
|
pp. 369-379
|
|
Chapitre III : L'identité francophone chez Léopold
Sédar Senghor
|
pp. 380-408
|
1- Une identité humaniste
|
pp. 384-393
|
2- Une identité culturelle
|
pp. 394-408
|
|
Chapitre IV : La poésie francophone : essai de
définition
|
pp. 409-460
|
1- Qu'est-ce que la poésie francophone ?
|
pp. 417-425
|
2- La poésie francophone : de la diversité
à l'unité
|
pp. 426-437
|
3- Les contours et les caractéristiques de la
poésie francophone
|
pp. 438-460
|
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Conclusion
|
pp. 461-470
|
Annexes
|
pp. 471-549
|
I. Charte de la Francophonie (OIF)
|
pp. 471-477
|
II. Liste des 84 États et gouvernements de l'OIF
|
p. 478
|
III. Statut d'adhésion à l'OIF
|
pp. 479-483
|
IV. L'organigramme de l'OIF
|
p. 484
|
V. Protocole d'accord entre OIF et Commonwealth
|
pp. 485-487
|
VI. Supplément à l'accord entre OIF et Commonwealth
(en français)
|
p. 488
|
VII. Supplément à l'accord entre OIF et
Commonwealth (en anglais)
|
p. 489
|
VIII. Les sommets de l'OIF
|
pp. 490-491
|
IX. L'hymne du Sénégal
|
pp.491-492
|
X. Quelques articles de Senghor sur la Francophonie et la
culture
|
pp. 493-546
|
XI. Les africanismes dans la poésie de Senghor
|
pp. 547-549
|
Index des thèmes
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pp. 550-559
|
Index des auteurs
|
pp. 560-567
|
Bibliographie
|
pp. 568-609
|
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