II-1-b Approche historico-politique de la naissance du
tourisme en Haïti
Parler du tourisme en Haïti demande la prise en compte de
l'influence de la sphère politique sur ce type d'activité. Ainsi,
l'activité touristique évolue au rythme de la vie politique du
pays. D'ailleurs, le tourisme haïtien a souvent fait face à des
périodes d'instabilité non favorables à son
véritable épanouissement, et la majeure partie de ces
instabilités était principalement d'origine politique. La
période douloureuse de l'histoire d'Haïti avec le
débarquement des troupes militaires américaines, qui imposaient
au pays une occupation qui a duré près d'une vingtaine
d'année, précède les grands débuts du tourisme
haïtien.
De gros montants ont été débloqués
pour assurer le financement des activités économiques
d'Haïti portant principalement sur l'agriculture, l'industrie et les
services. L'investissement financier était passé de 4 millions de
dollars EU en 1913 à 14 millions en 1930126 à
l'époque de l'occupation, ce qui a fait d'Haïti au début des
années 30 un pays d'une certaine prospérité
économique remarquable grâce au succès de la production de
la banane, du sisal, et du début de la construction immobilière
dans l'aire métropolitaine.
Après la deuxième guerre mondiale,
l'activité des croisiéristes a débuté. Haïti
est placé idéalement proche de Cuba au moment où des
paquebots traversaient les côtes de la Caraïbe. C'est bien à
ce moment que l'hôtel « la villa créole » a vu le jour
avec la propriétaire Mme Lina Wienar Assad, ce qui a occasionné
par la suite en 1951 la naissance de l'ATH (Association Hôtelière
et Touristique d'Haïti).A ce moment, en 1947, la pauvreté
était déjà présente mais il n'y'a pas eu cette
misère de masse. Ainsi, après le départ des
américains, la classe moyenne s'est portée au pouvoir ayant
critiqué pour la plupart l'incapacité des
élites127.
En termes d'administration du tourisme en Haïti, cela n'a
commencé que suite au départ des américains en 1938 sous
la Présidence de Sténo Vincent. Peu de temps après, avec
la montée du Président Elie Lescot, un nouveau régime
autoritaire instauré soulevait le mécontentement d'une large
couche de la population haïtienne. Il y'a eu des crises
révolutionnaires dont la
126 Manigat, L. (1995a) La crise haïtienne
contemporaine. Port-au-Prince : Éditions des Antilles S.A
cité par Hugue Séraphin.
127 Hugue Séraphin. Op.cit.
69
grève des lycéens et des étudiants en
janvier 1946 qui a poussé le Président Elie Lescot à la
démission.
Tout de suite après, c'était l'arrivée du
Président Dumarsais Estimé qui malgré la crise
financière que le pays était en train de vivre va donner au
tourisme son statut glorieux en Haïti avec un certain leadership. Ainsi,
il a procédé à l'exposition internationale de
Port-au-Prince en 1949 qui, selon plus d'un, marquait de son sceau la
destination Touristique d'Haïti comme la plus prisée à
l'époque dans la Caraïbe devançant Cuba jusqu'à la
montée de François Duvalier en 1957. Haïti était
surnommé par certains visiteurs « perle des Antilles » et les
visiteurs américains à l'époque le qualifiaient de «
pleasure world »128 , ce qui signifiait destination de plaisir
et beaucoup de touristes de croisières visitaient Haïti.
Selon Anthony George Pierre129, le Président
Dumarsais Estimé a fait preuve d'un grand leadership par le fait qu'il
s'est doté d'une vision de long terme pour le développement. Il
y'a eu de l'éthique et de la compétence dans le mode de
fonctionnement des dirigeants de l'époque, et cela d'autant plus que les
projets n'étaient jamais improvisés mais bien
méthodiquement préparés. En dernier lieu, sous la
présidence d'Estimé, il était remarqué une
volonté collective de changement et d'aspiration au progrès. Sous
cette présidence, le pays a connu un bon climat démocratique,
dans l'un de ses ouvrages l'historien Georges Corvington mentionnait que
l'Exposition Internationale de Port-au-Prince en 1949
« a été un bienfait pour Haïti, eu
égard à l'embellissement et à l'assainissement d'un
immense quartier de la capitale qu'elle entraîna, à l'essor
économique qu'elle propulsa et surtout au développement de
l'industrie touristique qu'elle provoqua » 130
Plus tard avec l'arrivée de François Duvalier au
pouvoir, la dictature qui prenait naissance a apporté un coup dur au
tourisme en Haïti. Suite à la mort de François Duvalier,
animé d'un autre esprit, son fils le succédait et tentait de
reconstituer le tissu touristique haïtien dans un
128 Zendegui, G., Muschkin. S. (1972) Images of Haiti.
Americas, 24(3): 1-24, cité par Hugue Séraphin.
129 Georges-Pierre, A. (2012) Dumarsais Estime. L'homme,
l'oeuvre et les idées. Port-au-Prince : L'Imprimeur
130Corvington dans George-Pierre, 2012.
70
climat de stabilité politique. Il plaçait le
tourisme en position prioritaire et tendait à articuler le
développement du territoire par le biais du développement de
l'activité touristique. A cette époque, l'accent était mis
sur la protection du patrimoine et à ce titre l'ISPAN a
été mis sur pied en 1979, et en 1982, au rang de patrimoine
mondial était placée la Citadelle Sans-souci et Ramier. A ce
moment, certaines infrastructures touristiques ont été mises sur
place dont l'Hôtel « la Jacmélienne » puis le club Med,
appartenant à des étrangers, s'est installé en Haïti
en 1981.Malheureusement, le dénigrement d'Haïti sur le plan
publicitaire mondial au moment de voir dans les haïtiens les agents
humains de propagation du virus du SIDA en 1983131 a
éloigné certains touristes des côtes d'Haïti.
Il faut souligner qu'en termes de stratégie et de
politiques en matière d'organisation touristique de 1950 à 1985,
la principale politique de l'Etat était centrée sur la promotion
en vue d'assurer une très forte présence du pays sur les
marchés internationaux. Avec le départ en exil de Jean-Claude
Duvalier associé au déchoucage en 1986, l'instabilité
politique battait son plein sur la république avec la succession de
plusieurs présidents dans un laps de temps au pouvoir, ce qui a fait
chuter le nombre de visiteurs passant de 149655 en 1985 à 111661 en 1986
pour les touristes de séjour. Le nombre de touristes a chuté
considérablement passant entre 1987 et 2004 de 239200 visiteurs à
108868132.
Mentionnons que l'image d'Haïti a connu une certaine
remontée mondiale durant la présidence de Jean Bertrand Aristide
en l'an 1990. Cette situation n'allait pas durer avec le coup d'Etat, suivi
d'un embargo politico-économique en 1991. Ce climat politique de
l'époque n'a fait qu'entrainer l'arrêt presque complet des
arrivées touristiques. L'insécurité qui régnait a
fait d'Haïti l'endroit le moins visité. En 1993, Haïti n'a
reçu que 120000 touristes. L'année d'après, le nombre de
touristes ayant visité Haïti n'était que 70260.Ce
déclin a empêché la mise en place des nouvelles bases
nécessaires en vue de relancer le secteur touristique. A ce moment, la
république voisine a reçu près de 1.9 millions de
tourisme.133 Le trafic aérien commercial était
interdit, et les entreprises étrangères liées au tourisme
quittent le pays dont le
131 MTIC. Ulrick Emmanuel Noel. Septembre 2015.Les
opportunités pour le tourisme dans la bande Nord.
132 Hugues, op .cit.
133 Ministère du tourisme.dec.2003.Elaboration du
DRSP, première esquisse.
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Club Med, Holiday Inn, Air France, sauf, le tourisme
d'affaires qui y demeure notamment avec le plein d'ONG. L'activité
touristique qui a connu une hausse remarquable au cours de la tranche de
période 1985-2001, c'est celle des croisiéristes qui est
passée de 80000 en 1985 à 357442 en 2001, mais rechutait à
342088 en 2002134
Sous la présidence de René G. Préval, le
nombre de visiteurs était passé à 150147135 en
1996. Le niveau d'endettement d'Haïti s'est considérablement accru
et représentait près de 35 % du PIB à la fin des
années 2000. A cette époque, le président ne croyait pas
surtout dans l'activité touristique comme pouvant décoller le
développement d'Haïti à un point tel qu'il qualifiait le
projet du club indigo comme étant non viable136.
Il convient d'ajouter qu'un ministère du tourisme a vu
le jour en 2002 sous la présidence de Mr Jean Bertrand Aristide avec la
loi du 6 juin 2002. Les différentes attributions de ce ministère
étaient : «élaborer la politique touristique nationale
et en assurer le suivi, assurer la promotion d'Haïti sur le plan
touristique tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du
pays, définir le plan de formation aux divers métiers du
Tourisme, de l'Hôtellerie et de la Restauration »137
.
En termes de politiques liées à cette
période pour le développement des activités touristiques
de 1996 à 2003, il existait surtout un certain consensus au niveau du
gouvernement, avec la secrétairerie du tourisme qui élabora le
plan directeur du tourisme. L'activité touristique était
centrée autour de deux grands axes stratégiques ;
premièrement le naturel avec l'option d'écotourisme, les
découvertes marines, les sports nautiques, les parcs naturels et
randonnées, et après le culturel lié à l'histoire
tenant compte des monuments, des traditions, des croyances et des productions
artistiques. Il y'a eu promotion de trois types de touristes à
l'époque « tourisme balnéaire, tourisme de croisière,
tourisme intérieur ».A cela s'ajoute le fait que des zones
touristiques ont été identifiées dans plusieurs
départements .Enfin le gouvernement
134 Idem
135 Idem
136 Hugues Séraphin, citant Jacques Marie (PDG club
indigo) dans un entretien qu'il lui a accordé.
137 Le Moniteur, jeudi 6 juin 2002, directeur
général Emile Jean-Baptiste, Loi portant sur la création
du ministère du tourisme.
72
haïtien en mars 2001 a adopté une stratégie
de développement du secteur articulé autour des axes suivants
:
- l'investissement touristique, notamment l'amélioration
du cadre normatif, la
recherche de partenaires investisseurs, le développement
des infrastructures d'accueil, la mise en valeur du patrimoine touristique,
- la promotion, notamment pour la réhabilitation et la
restauration de l'image
d'Haïti,
- l'éducation pour améliorer le savoir-faire en
matière de gestion du tourisme,
- la gouvernance avec le renforcement
institutionnel.138
Durant le deuxième mandat du président
René Préval, un processus de tertiarisation de l'économie
débutait et le secteur tertiaire représentait à
l'époque 60% du PIB139. Avec le tremblement de terre du 12
janvier 2010,il était constaté la destruction des infrastructures
touristiques à Port-au-Prince et à Jacmel identifiés comme
dotés de fortes potentialités touristiques avec deux plans de
développements touristiques mis en place en 1996 puis en 2006.Il y'a eu
de pertes considérables en matière hôtelière soient
848 chambres détruites sur 1621 existant, ce qui a diminué d'un
coup la capacité d'hébergement. Le tableau140 suivant
témoigne des dommages et pertes subis par le secteur hôtelier dans
la zone de Port-au-Prince.
Source : Ministère du Tourisme d'Haïti (mars 2010)
138 Ministère du tourisme.dec.2003.Elaboration du
DRSP, première esquisse.p.4
139 Idem
140 Ministère du Tourisme d'Haïti. Mars, 2010.
73
L'arrivée au pouvoir du président Martelly est
marquée par un rebondissement des activités touristiques en
raison du grand dynamisme dont a fait preuve la ministre du tourisme
Stéphanie Balmir Villedrouin. Le nombre de visiteurs a atteint un total
de 348.800141.Avec elle, l'ère du renouveau du secteur
était annoncée et hissait Haïti au rang des destinations
touristiques sur la carte de tourisme à travers le monde et la ministre
s'est fixée comme objectif de faire du tourisme une activité
épanouie au lieu d'une activité contrariée.
En termes de contribution du secteur touristique à la
croissance et au développement, il est possible d'avancer que les
dépenses des touristes représentaient entre 1985 et 1991
près de 4.3% du PIB, 38.85% des recettes d'exportations, et 22% des
recettes d'importations. Entre 1992 et 1995, ces taux étaient
passés à 2,8%,61.5% des recettes d'exportations et 16.3% des
recettes d'importations142. Entre 2000 et 2002, les revenus
touristiques ne représentaient que 1% du PIB alors que dans la
Caraïbe la moyenne était de 20%143.
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