L'ANTIQUITE GRECO-LATINE DANS LES HUNGER GAMES
de Suzanne Collins
Première partie de mémoire, Master 1
Sous la direction d'Anne BESSON et Jean-Marc VERCRUYSSE
Par Samuelle BARBIER
Université d'Artois
UFR de Lettres et Arts
Sommaire
Page
I. Katniss,entre Antiquité et
modernité...........................................................4
Introduction................................................................................................
4
1.1. Katniss, fille d'Abraham? Une revisitation du sacrifice
d'Isaac selon Arcade Fire... 5
1.2. Diane chasseresse: «Bows and arrows are my
weapon».............................................12
1.3. Entre Thésée et Spartacus: aux sources du
personnage selon Suzanne Collins....19
1.4. Le mythe de l'Androgyne: de Platon à
Collins................................................21
Conclusion.................................................................................................28
Bibliographie..............................................................................................30
I. Katniss, une figure ambivalente: entre
Antiquité et Modernité.
Introduction:
«Toute histoire d'aventures célèbre un
héros jeune, maladroit et naïf». C'est par ces mots que
débute l'article de Margaret Bruzelius intitulé Un
héros femme est il pensable? 1(*)A cette question, Suzanne Collins
répondrait sans aucun doute par l'affirmative, car elle a
décidé de faire de Katniss Everdeen l'héroïne de sa
trilogie, les Hunger Games.
Lorsque la trilogie commence, Katniss a seize ans et elle n'a
jamais échangé de baiser avec un garçon. Elle
préfère passer son temps à chasser dans les bois avec son
meilleur ami Gale. Bien qu'elle ait dû grandir trop vite car elle a pris
sa famille en charge après la mort de son père, mort dans un
accident minier, elle reste extremement naïve et interprète
très mal les signes qu'elle voit. D'ailleurs Peeta s'en rend compte, el
le dit à leur mentor:
«Peeta lève les yeux au ciel puis se tourne
vers Haymitch.
--Elle ne se rend pas compte. De l'effet qu'elle peut
produire.»2(*)
Katniss est extrêmement crédule : elle est mal
à l'aise avec la nudité et, jusqu'à Peeta, elle ne voit
les garçons que comme des camarades de chasse (Gale) ou des
connaissances ( Darius)
Katniss est une jeune femme aux multiples facettes, et nous
allons tenter de les définir en abordant ce personnage sous plusieurs
angles différents: Tout d'abord en nous appuyant sur la chanson
«Abraham's daughter» d'Arcade Fire, nous verrons en quoi Katniss peut
être rapprochée de la figure de la «fille d'Abraham»
mentionnée dans la chanson, et nous établirons quelques
rapprochements entre le personnage de Katniss et ceux de plusieurs autres
figures féminines de la littérature de jeunesse; puis nous nous
pencherons sur un possible rapprochement entre Katniss et la figure
mythologique de Diane Chasseresse, et nous étudierons les limites de ce
parallélisme, avant de nous pencher sur les parallèles
établis par Suzanne Collins elle-même, entre Katniss et deux
grands personnages antiques, à savoir Thésée et Spartacus,
pour enfin terminer sur la possible androgynie du personnage grâce
à une comparaison entre le «Geai Moqueur» et la figure de
l'androgyne telle qu'elle est décrite dans Le Banquet de
Platon.
1.1 Katniss, fille d'Abraham? Une revisitation du Sacrifice
d'Isaac selon Arcade Fire
Les paroles de la chanson «Abraham's daughter»;
interprétée par le groupe «Arcade Fire» présente
dans la bande originale de l'adaptation cinématographique du premier
opus des «Hunger Games», offrent un thème
d'interprétation du personnage de Katniss qui diffère largement
de ce que nous avons vu dans l'introduction. Les paroles reprennent
l'épisode biblique racontant le sacrifice d'Isaac par son père
Abraham. Abraham , sur ordre de Dieu, emmena son fils Isaac, l'enfant de la
promesse, au sommet du mont Moriah et se prépare à le sacrifier.
Dans la bible, juste au moment où Abraham se prépare à
obéir à la volonté de Dieu, un ange apparaît et
arrête son bras, lui signifiant que comme il a prouvé qu'il
craignait Dieu, celui ci était satisfait.
A la place d'Isaac , Abraham sacrifiera à Dieu un
bélier qui s'était pris les cornes dans un buisson. La chanson
d'Arcade Fire propose une autre interprétation de l'histoire, dans
laquelle Abraham aurait, en plus d'Isaac, une fille qui n'est pas
nommée. Dans la chanson, l'ange appelle la fille d'Abraham, qui
déterminera de cette manière le destin d'Isaac:
«Just as an angel cried for the slaughter,
Abraham's daughter raised her voice.
Then the angel asked her what her name was,
She said, "I have none."
Then he asked, "How can this be?"
"My father never gave me one."
And with his sword up, raised for the slaughter,
Abraham's daughter raised her bow.
How darest you, child, defy your father?
You better let young Isaac go.»3(*)
La fin de cette chanson, réellement moderne , n'est
pourtant pas sans rappeler une chanson gospel «Go down moses», qui
est inspirée de l'ancien testament (exode 5:1 et 8:1 «l'Eternel
dit à Moïse « Va vers Pharaon et tu lui diras «ainsi
parle l'Eternel : laisse aller mon peuple, afin qu'il me serve» ). Sa
version la plus célèbre est sans aucun doute celle
enregistrée à New York en 1958 par Louis Amstrong.
Cette chanson dont les deux derniers couplets se rapprochent
d'une manière étonnante de ce que les rebelles auraient pu
chanter lors de leur guerre contre le Capitole:
We need not always weep and mourn,
Let my people go,
And wear these slavery chains forlorn,
Let my people go.4(*)
La fille d'Abraham élève la voix, et lève
son arc contre son père, tout comme Katniss protestera contre
l'opression du capitole et lèvera son arc contre toute forme de
dictature.
Tout comme le capitole demande à ses districts de
sacrifier chaque année deux de leurs enfants, Dieu demande à
Abraham de sacrifier son fils, son Unique. La fille d'Abraham se lèvera
et résistera à son père, rompant son
obéissance pour assurer la survie de son frère
Isaac; tout comme Katniss rompra avec la tradition et se portera volontaire
pour sauver sa petite soeur Primrose.
Il convient de souligner que dans la chanson d'Arcade Fire, la
fille d'Abraham n'a pas de nom, parce que son père ne lui en a pas
donné, certainement à cause du peu de statut accordé aux
femmes à l'époque, cependant on peut également penser que
si la fille d'Abraham n'a pas de nom, c'est parce que l'important ce sont ses
actes et pas son nom, qui ne change rien à son courage. Le fait que l'on
ne nomme pas la fille d'Abraham permet également à n'importe
quelle jeune fille qui écouterait la chanson de s'identifier à
cette fille d'Abraham. De même Katniss a beaucoup de mal à se
trouver elle même car dans son enfance elle a manqué de
modèles à suivre, son père étant mort et sa
mère étant là sans réellement y être.
Cependant, cette conception de la Femme n'aurait pas pu
être présente dans la Bible, car ce n'est que très
récemment que la vision de la Femme a changé, et que les femmes
sont représentées comme étant aussi courageuses, fortes et
intelligentes que les hommes. Donc le fait d'interpréter
différemment l'épisode biblique de la ligature d'Isaac se borne
à suivre une certaine tendance à la sacralisation des femmes: il
suffit de voir les romans pour adolescents qui mettent en scène une
héroïne féminine qui commencent à fleurir sur les
étalages des libraires: Twilight, de Stephenie Meyer;5(*) où la jeune
héroïne Bella passe d'un monde à l'autre: de celui des
humains à celui des vampires . Dans Divergente6(*); de Veronica Roth ; la
jeune Tris, qui a seize ans, tout comme Katniss, grandit dans un monde
divisé en «factions» ce qui rappelle les districts ou
grandissent les adolescents de Panem. Leur monde à toutes les deux est
très organisé, ou tout le monde a une place très
précise, par rapport à leurs capacités dans
Divergente, par rapport à l'endroit ou l'on est né dans
Hunger Games, mais comme Tris se révèle
être une divergente, et donc n'avoir sa place nulle part . Dans
La selection7(*) de
Kiera Cass, la jeune America Singer est sélectionnée pour
participer à un jeu de téléréalité dans
lequel 35 jeunes filles s'affrontent pour conquérir le prince Maxon, ce
qui n'est pas sans rappeler le «bachelor» diffusé actuellement
sur nos chaînes, avec quelques petites allusions à une rebellion
dans le nord et dans le sud dans les deux premiers tomes, rebellion qui prendra
de l'ampleur dans le tome 3. Si je compare cette trilogie à Hunger
Games, c'est parce que tout d'abord dans l'une comme dans l'autre le
côté télévisuel est primordial. Gale le dit
d'ailleurs à Katniss avant la moisson dans le tome 1: «What if no
one watched?» mettant ainsi en avant que sans public, les Hunger Games
n'existeraient pas, puisqu'au départ ils n'ont été
crées que pour faire un exemple, en étouffant ainsi toute
idée de rébellion dans les districts, tout en laissant un petit
espoir grâce au vainqueur des Hunger Games, qui sera couvert de gloire et
de fortune; tout comme dans l'oeuvre de Kiera Cass, l'espoir est
représenté par la possible princesse d'Ilea, le pays imaginaire
dystopique qui remplacera les Etats-Unis. Panem, comme Ilea, est régi
par un système de castes, de 1 à 8, les 1 étant les plus
privilégiés, et les 8 étant considérés comme
des «rebuts». Un système contre lequel se battront Katniss et
les rebelles du district 13 dans les Hunger Games; une révolte
qui sera symbolisée par le personnage, féminin lui aussi, de
Kriss, ainsi que par les rebelles du nord et du sud dans La Selection
de Kiera Kass. Toutes ces oeuvres ont en commun la mise en scène
d'une héroïne féminine à la fois forte et
indépendante, capables de tenir tête aux hommes et a la
société dans laquelle elles vivent pour gagner leur
liberté et le droit de vivre comme elles l'entendent, en prenant le
contre-pied des livres comme Harry Potter8(*) de J.K Rowling; ou encore Percy
Jackson9(*) de Rick
Riordan, dont le héros est un jeune garçon et ou les personnages
féminins, bien que présents (Hermione pour Harry Potter
et Annabelle pour Percy Jackson) ne sont somme toutes que des
seconds rôles.
Tout comme dans les religions gréco-latines, il existe
dans la Bible toute une tradition du sacrifice d'animaux et de
végétaux. L'épisode biblique de la ligature d'Isaac semble
être le pendant Chrétien du myhe de Thésée
présent dans la mythologie Grecque; comme le sacrifice d'enfants, et
principalement celui des fils premiers-nés, pour apaiser la
colère d'un dieu jaloux du bonheur des hommes, était monnaie
courante dans la société cananéenne de l'époque,
l'histoire de la ligature d'Isaac, qui paraît au départ barbare
pour un Dieu supposé n'être qu'amour , est là pour
condamner fermement le sacrifice humain, surtout le sacrifice des enfants, au
nom de la religion. De la même manière que Dieu a refusé
qu'Abraham sacrifie Isaac, il en va logiquement de même pour tous les
Chrétiens.
A la place du sacrifice humain , les Chrétiens
sacrifieront plus volontiers un agneau. Ce qui nous ramène à
nouveau à Katniss, dont le plat préféré lorsqu'elle
va au capitole est «le ragoût d'agneau». Est-ce un hasard?
Signifierait-ce que , finalement, Katniss «déguste» le
sacrifice? De même lorsque Peeta et Katniss sont bloqués dans la
grotte; lors de leurs premiers jeux, Haymitch leur envoie un repas chaud
constitué d'agneau, mais aussi de pommes, avec toute la symbolique
chrétienne reliée à ce fruit:
Avant que je puisse l'arrêter, il sort sous la pluie
et me tend quelque chose par le trou. Un parachute argenté fixé
à un panier. J'ouvre celui-ci sans attendre et je découvre un
véritable festin : des petits pains, du fromage de chèvre, des
pommes et... une soupière de cet incroyable ragoût d'agneau au riz
sauvage ! Ce plat à propos duquel j'ai dit à Caesar Flickerman
qu'il représentait pour moi ce qu'on trouvait de mieux au
Capitole.10(*)
Force est de constater que dans le troisième tome,
Suzanne Collins s'éloigne des arènes et des traditions
gréco-latines pour passer à une autre époque sanglante de
l'histoire du monde: la seconde guerre mondiale, avec le district 13
entièrement constitué de Boomkers, une véritable
cité souterraine, ou règne le bien commun et le partage
équitable des ressources, ce qui n'est pas sans rappeler le communisme
théorisé par Karl Marx; ce qui tranche avec l'atmosphère
riche et décadente des banquets du Capitole.
Notre jeune héroïne, Katniss est née un 8
mai. Impossible de croire à la coïncidence.
Le 8 mai 1945 avait lieu la victoire des alliés sur les
forces de l'axe. Le 8 mai 1945 a également lieu la révolte de
Sétif, dans le département de Constantine, en Algérie
Française, qui commence par le meurtre d'un jeune homme par un policier,
ce qui déclenchera des émeutes. Pour fêter la fin des
hostilités de la seconde guerre mondiale et la victoire des
Alliés sur les forces de l'Axe , un défilé est
organisé. Les partis nationalistes algériens, profitant de
l'audience particulière donnée à cette journée,
décident par des manifestations d'abord pacifiques de rappeler leurs
revendications patriotiques. Mais à Sétif un policier tire sur un
jeune scout musulman tenant un drapeau de l'Algérie et le
tue, ce qui déclenche une émeute meurtrière des
manifestants, avant que l'armée n'intervienne. Nous trouverons un rappel
de cette émeute dans la mort de Rue, qui apparaîtra comme une
telle injustice qu'elle déclenchera des émeutes dans son district
d'origine, le district 11.
Lorsque l'on a annoncé qu'une chanson nommée
«Abraham's daughter» figurerait sur la bande originale de Hunger
Games, certains fans se sont demandés s'il s'agissait de la chanson de
Septimus Winner, également intitulée «Abraham's
daughter», écrite pendant la guerre civile américaine , cela
aurait semblé plausible, car la chanson de Septimus Winner parle d'une
personne qui, fatiguée de la ville et de ses déboires, aspire
à la liberté. Voici le refrain:
«i'm going down, to Washington, to fight for
Abraham's daughter»11(*)
Cette chanson s'accorde parfaitement avec la thématique
du tome 3 de Hunger Games, où l'armée rebelle marche sur le
Capitole, exacerbés par l'exemple du Mockingjay, Katniss, symbole de la
rébellion. D'ailleurs l'on pourrait établir un parallèle
entre le Mockingjay des Hunger Games et le To kill a Mockingbird
12(*)d'Harper Lee qui se
déroule pendant la grande dépression de 1930 aux Etats-Unis, et
dans lequel le héros Atticus Finch, un avocat, élève seul
ses deux enfants, Jem et Scout, dans l'amérique sudiste remplie de
préjugés. Ce roman, qui n'a a priori rien à voir avec
Hunger Games , si ce n'est la thématique de la perte de l'innocence de
l'enfance, à cause des préjugés liés au racisme
ainsi qu'à l'agression dont sont victimes Jem et Scout, qui fait
réaliser aux enfants que les adultes ne sont pas infaillibles et qui
leur fait définitivement perdre le sentiment de sécurité
inhérent à l'enfance. C'est un sentiment que Katniss ressent
à son tour à la mort de son père, qui la fait brusquement
basculer de l'enfance à l'âge adulte. De même, les paroles
d'Atticus Finch pourraient s'appliquer à Katniss, qui a mené une
rebellion qui n'avait que peu de chances d'aboutir, et qui à la fin a
gagné :
«Je voulais que tu comprennes quelque chose, que tu
voies ce qu'est le vrai courage, au lieu de t'imaginer que c'est un homme avec
un fusil à la main. Le courage, c'est de savoir que tu pars battu, mais
d'agir quand même sans s'arrêter. Tu gagnes rarement mais cela peut
arriver.»13(*)
1.2. Diane chasseresse: «Bows and Arrows are my
weapon»
Nous developperons dans la partie suivante le fait que Suzanne
Collins s'est inspirée de l'antiquité latine dans de nombreux
passages de son oeuvre: le mythe de Thésée, les triomphes, les
banquets, voire la numérologie. Mais elle ne s'est pas
arrêtée là, et l'on peut également rapprocher
Katniss de la figure de Diane, la chasseresse, fille de Jupiter et de
Latone.
Selon la mythologie Romaine, Diane vint au monde quelques
minutes avant son frère jumeau Apollon (dieu de la musique et du
soleil), sur l'île d'Ortygie, et en étant témoin des
douleurs maternelles, elle en conçut un véritable
dégoût pour le mariage, décidant de ce fait de rester
chaste, et rejoignant Minerve parmi les «déesses vierges»
Katniss refuse également tout mariage, non pas par
dégoût de l'institution en elle même, mais pour ne jamais
avoir d'enfants, qu'elle refuse d'offrir en sacrifice durant les Hunger Games,
en cessant d' »alimenter» la société en enfants, on
cessera de soutenir les Hunger Games.
«-- Je n'aurai jamais d'enfants, dis-je.
-- Moi, j'aimerais bien. Si je vivais
ailleurs, répond Gale.
-- Sauf que tu vis ici.
-- Laisse tomber.»14(*)
L'occupation favorite de la déesse Diane est la chasse,
tout comme celle de Katniss, mais si Diane chasse par plaisir, Katniss chasse
par nécessité. L'une comme l'autre ne se séparent que
rarement de leur arc, leur arme de prédilection. D'ailleurs, le nom de
«katniss» vient d'une plante, «katniss» en anglais
désigne la plante du «sagittaire» en francais, une plante
d'eau aisément reconnaissable à ses feuilles en forme de...pointe
de flèche. Katniss semble donc être prédestinée
à la chasse à l'arc depuis le berceau. Elle avoue elle même
sa préférence pour cette arme dans le tome 1, alors qu'elle est
dans le train en direction du capitole en compagnie de Peeta et Haymitch:
«l'arc reste mon arme de prédilection. Mais je
me suis pas mal entraînée à lancer le couteau,
également. Parfois, quand on blesse un animal avec une flèche, il
vaut mieux lui planter un couteau dans la couenne avant de s'approcher, je
réalise que si je veux impressionner Haymitch, c'est le moment ou
jamais»15(*)
Le domaine de Diane est les forêts, les
clairières et les sources, et, en règle générale,
tous les lieux de marge entre deux univers, entre la sauvagerie et la
civilisation. C'est elle qui effectue le passage d'un monde à l'autre.
Katniss a
également, en elle, cette ambivalence entre sauvagerie
et civilisation: née d'un père mineur, de la Veine (sauvagerie)
et d'une mère pharmacienne (de la ville); elle a grandi entre nature et
civilisation; son père lui apprenant à chasser, et sa mère
leur apprenant, à Prim et elle, les rudiments du savoir vivre. C'est
d'ailleurs une plante comestible qui lui a donné son prénom,
plante d'apparence peu gracieuse, mais utile; tandis que Primrose tire son
prénom d'une fleur, jolie mais peu utile. D'ailleurs Katniss n'insiste
pas sur le côté esthétique de la plante mais sur son
côté pratique lorsqu'elle dit:
«-- Des katniss, ai-je dit à voix haute. C'est
la plante qui m'a donné mon prénom. J'entendais encore mon
père me dire en riant : « Tant que tu arrives à te trouver,
tu ne mourras pas de faim ! » J'ai passé plusieurs heures à
gratter le fond de l'étang avec mes orteils et un long bâton, et
à rassembler les tubercules qui remontaient à la
surface.»16(*)
Une fois rentrée victorieuse des Hunger Games, on lui
attribuera une maison dans le village des vainqueurs, en essayant de la faire
entrer dans la civilisation, cependant elle semble être restée
nostalgique de la forêt, et, bien qu'elle n'en ait plus la
nécessité, elle s'y rend dorénavant par plaisir, essayant
de conserver intacte la jeune fille qu'elle était avant sa participation
aux Hunger Games, sans jamais y parvenir.
La déesse Diane est également
considérée comme la protectrice de l'enfance, rôle qui
semble également incomber à Katniss qui est également une
représentation parfaite de la Coutrophobe: elle prend en charge tous les
petits, ceux des animaux comme ceux des humains. Elle commence par prendre en
charge sa petite soeur Prim, lorsqu'après la mort de leur père
mineur, tué dans un coup de grisou, sa mère sombre dans la
dépression. Lorsqu'elle entre dans l'arène, après
s'être portée volontaire pour sauver sa petite soeur Prim,
tirée au sort, elle se retrouve seule, et il semble qu'elle reporte ce
besoin de protéger sur la petite Rue du district 11. D'ailleurs elle ne
peut s'empêcher de comparer Primrose la timorée avec Rue la
sauvage, et le dit elle même dans le second tome des Hunger Games,
lorsque, lors de la tournée de la victoire, elle passe dans le district
de Rue et prononce un discours pour lui rendre hommage:
»J'ai l'impression d'avoir connu Rue, par contre, et son
souvenir ne me quittera jamais. Je la retrouve dans tout se qui est beau. Je la
vois dans les fleurs jaunes qui poussent dans notre Pré devant chez
moi,dans les geais moqueurs qui chantent dans les arbres. Mais surtout je la
revois dans ma petite soeur, Prim.»17(*)
Puis, à la mort de Rue, elle sauve Peeta et commence
à le protéger, comme si ce rôle de protectrice
définissait toute son identité. Les deux petites filles
périront , mais elle réussira à protéger Peeta.
Voulant être celle qui les sauve, elle sera, en définitive, celle
qui mènera Rue et Primrose à leur perte.
Son rapport aux animaux est également
intéressant: lorsqu'elle achète une chèvre à sa
petite soeur Prim, elle choisit une chèvre blessée, Lady, que
Prim, la guérisseuse, réussira à soigner.
Le rapport qu'elle entretient avec Buttercup, le chat de Prim,
est également ambivalent. Elle prétend le haïr et le menace
régulièrement des pires sévices; cependant, après
l'explosion du district 12 elle retourne sur place le chercher (officiellement,
pour Prim) et, à la fin de la trilogie, elle s'appuiera sur lui:
« quelques heures plus tard, quand je me réveille dans mon lit, je
le vois dans le clair de lune. Assis à côté de moi, ses
yeux jaunes en alerte, qui me protègent contre les dangers de la
nuit»18(*). Il
veillera sur elle, et inversera de ce fait leur relation: il devient son
protecteur, elle devient sa protégée.
Bien que Diane ne soit pas, intrinsèquement, une
déesse guerrière, elle n'hésite pas à intervenir
lorsqu'un conflit lui semble trop injuste ou trop sauvage. De la même
manière, Katniss n'est pas non plus une guerrière, au sens strict
du terme. Si elle devient le symbole de la rébellion, c'est par
accident. En voulant sauver Primrose, puis Peeta, elle déclenche une
guerre qui tuera des centaines, voire des milliers de personnes; et même
si elle est présentée comme le symbole de la rebellion , elle
n'est en réalité guère plus qu'une marionnette,
manoeuvrée habilement par Haymitch, puis par Coin et Plutarch. Et, bien
qu'elle ait l'impression de prendre seule ses décisions , elle est en
réalité toujours influencée par une manipulation
quelconque, souvent de la part d'Haymitch, qui la connaît bien et est
toujours capable de prévoir ses réactions; de même; elle
est très souvent la dernière à comprendre ce qui se trame,
car elle a une nette tendance à réfléchir avant d'agir, et
ce sont les autres, qui, souvent, doivent lui révéler la trame
cachée des événements; souvent ce sont Finnick, Peeta,
Primrose ou même Rue; des personnages qui possèdent une grande
sensibilité, qui est totalement absente chez Katniss, qui est plus une
sensuelle qu'une cérébrale. Elle se fie à des sensations
physiques pour décrypter ce qu'elle ressent.
Paradoxalement, même si elle ne fait preuve d'aucune
sensibilité, elle fait souvent preuve de sensiblerie : la souffrance
physique, les blessures, les malades et les mourants la répugnent, alors
que la douce Primrose fait, à ces occasions, preuve de plus de force que
sa soeur aînée. On le ressent notamment lors de la flagellation de
Gale dans le tome 2, alors que Primrose garde la tête froide, Katniss
panique et est victime d'une crise nerveuse.
Mais revenons à notre parallélisme de
départ, entre Katniss et Diane. La déesse tue souvent de ses
traits des jeunes femmes ,ou des hommes qui l'ont vue en position de faiblesse
ou de nudité:Lorsqu'Actéon surprend Diane
dans son bain, elle le métamorphose en cerf et le fait
dévorer par ses propres chiens ; Katniss, au cours de ses Hunger Gales,
semble tuer principalement des filles (Glimmer,du district 1, ainsi que la
fille du district 4) . Si elle tue Marvel, le tribut du district 1, c'est pour
se défendre et venger Rue. De même quand elle achève Cato,
le tribut du district 2, c'est par pitié, grâce à son
instinct de chasseresse, comme on achèverait un animal blessé
pour l'empêcher de souffrir. Dans le tome 3 elle met un terme aux
souffrances de Finnick Odair en faisant exploser le tunnel où il est en
train de se faire dévorer par les mutations génétiques.
D'ailleurs le plus souvent elle établit une
différence nette entre les hommes et les femmes, elle redoute les hommes
pour leur force physique et leur détermination et les femmes pour leur
intelligence et leur habileté : Clove ne manque jamais sa cible avec ses
couteaux, Foxface est la plus intelligente des tributs, Rue vole d'arbre en
arbre comme un écureuil. On a l'impression que Katniss, malgré
son statut de jeune femme, s'apparente plutôt aux tributs masculins, car
elle compare sa force physique à celle de ses adversaires, mais jamais
elle ne mentionne son intelligence, non pas qu'elle en soit totalement
dépourvue, mais elle pense que gagner les Hunger Games est
avant tout une question de force physique, et elle sous estime la ruse, qui
sera représentée grâce à «la renarde».
De même au début du tome 1, elle maudit, depuis
son arbre, l'»imbécile» qui a allumé un feu à la
nuit tombée, sachant que ça risque de la faire repérer.
Elle suppose automatiquement que c'est un garçon et ne se rend compte
que c'est une fille qu'à ses cris d'agonie.
Cependant Katniss n'est pas le seul personnage des Hunger
Games à entretenir une ressemblance avec un dieu du panthéon
Romain. On pense notamment à Finnick et à son trident, symbole du
dieu Poséidon qui a été offert au dieu lors de la
titanomachie par les Cyclopes , et qui a été offert à
Finnick par ses admiratrices dans l'arène, et qu'il manie à la
perfection, ce que d'ailleurs Katniss ne manquera pas de remarquer:
«Le district Quatre vit de la pêche. Finnick
avait passé toute son enfance à bord d'une barque. Le trident est
devenu une extension naturelle de son bras.»19(*)
Dans les deux cas, le trident a été offert par
des «monstres», au sens propre pour Poséidon, au sens
figuré pour Finnick, dans un combat rude qui était presque perdu
d'avance, et dans les deux cas, c'est le trident qui a certainement permis leur
victoire. Pour finir, Haymitch, le mentor de Katniss et Peeta, ancien gagnant
des Hunger Games , est un parfait double de Dionysos ; Dionysos est un dieu
solitaire, qui ne se mêle pas à ses semblables et qui
préfère vivre parmi les hommes, bien qu'il ait pris part à
la gigantomachie il ne siège pas sur l'olympe avec les douze autres
dieux. Le fait qu'à la fin de la trilogie Haymitch élève
des oies est très représentatif. Les oies sont des volailles qui
ne demandent que peu d'entretien, mais surtout ce sont des animaux hargneux
quand on ne les a pas apprivoisés jeunes, on peut donc les
considérer comme une représentation animale d'Haymitch, mais
également un clin d'oeil de la part de l'auteur au fameux épisode
dit des «oies du Capitole» relaté par Tite-Live:
[...] in summum saxum evaserunt tanto silentio ut non
solum custodes fallerent, sed ne canes quidem, sollicitum animal, excitarent.
Anseres non fefellere, quibus in summa inopia Romani abstinuerant, quia aves
erant Junoni sacrae ; quae res Romanis saluti fuit. Namque clangore anserum
alarumque crepitu excitus, Manlius, vir bello egregius, ceteros ad arma vocans,
Gallos ascendentes dejecit. Unde mos iste incessit ut solemni pompa canis in
furca suffixus feratur ; anser vero velut triumphans in lectica
gestetur.»20(*)
1.3. Entre Thésée et Spartacus
Suzanne Collins a reconnu dans son interview avec Scholastic,
s'être largement inspirée de l'antiquité
gréco-latine dans les Hunger Games, tout d'abord du mythe de
Thésée:
A significant influence would have to be the Greek myth of
Theseus and the Minotaur. The myth tells how in punishment for past deeds ,
Athens periodically had to send seven youths and seven maidens to Crete , where
they were thrown in the Labyrinth and devoured by the monstruous
Minotaur.
Even as a kid , I could appreciate how ruthless it was .
Crete was sending a very clear message: «Mess with usand we'll do
something worse than kill you. We'll kill your children». And the thing
is, it was allowed; the parents sat by powerless to stop it. Theseus, who was
the son of the king, voulounteered to go. I guess in her own way, Katniss is a
futuristic Theseus.21(*)
Dans le mythe de Thésée, le roi de l'île
de Crête, Minos, remporte en effet une guerre contre Athènes et
exige ensuite qu'à chaque période de neuf ans, la ville conquise
lui envoie sept garçons et sept filles qui seront lâchés
dans un labyrinthe pour être dévorés par le Minotaure, un
monstre au corps d'homme et à tête de taureau. Le héros
Thésée avait finalement réussi à tuer la
créature avec l'épée de son père,
Égée. Le lecteur repère aisément en quoi Katniss
peut s'apparenter au personnage de Thésée.
Cependant, l'on pourrait également considérer
Katniss comme un Spartacus moderne: Spartacus, un gladiateur, est obligé
de se battre contre d'autres esclaves dans une arène, un spectacle pour
divertir l'élite politique et pacifier les masses. Mais Spartacus refuse
d'être utilisé pour ces jeux horribles. Il conduit ses compagnons
d'esclavage dans une rébellion contre l'Empire romain au premier
siècle avant notre ère, son nom devenant un cri de ralliement
pour la liberté. D'ailleurs, l'auteur le dit elle-même très
clairement:«Katniss is in a gladiator game»22(*)
Collins, dans l'interview accordée à James
Blasingame23(*), revient
sur ce parallélisme entre Katniss et Spartacus:
I also drew apon one of my favourite movies, Spartacus,
and the historical figure apon which the movie is based. Because Spartacus was
a slave, he was never the direct subject of Roman Writers but his general story
can be found in Plutarch's work, The life of Crassus. I researched not only the
historical Spartacus and the popular media about him, but many of the
historical gladiators from pre-Christian times 24(*)
Ce mélange entre culture antique et culture populaire
contemproraine rend assez nébuleux le déchiffrage des sources
mobilisées par Suzanne Collins lors de la rédaction de la
trilogie. Cependant le gladiateur romain Spartacus avait des motivations
d'ordre politique, ce qui ne semble pas, au départ tout au moins, le cas
de Katniss.
En effet, voici comment Suzanne Collins définit
l'engagement; ou plutôt le non-engagement politique de Katniss:
«The interesting thing about Katniss is when the
story begins, she doesn't have much political awareness. There are things she
knows about her world to be true and untrue. But no one has ever educated her
in that area. It is not in the Capitol's interest that she know anything about
politics. And there's only the one TV channel, which is completely controlled
by the Capitol. And so she is struggling to put things together as she goes
through the series, and it's quite difficult, because no one seems to think
it's in their interest to educate her»25(*)
1.4 Le mythe de l'Androgyne: de Platon à Collins
De par ses caractéristiques à la fois
féminines et masculines, on ne peut s'empêcher de se demander si
l'on ne pourrait pas établir un parallélisme entre le personnage
de Katniss et le mythe de l'androgyne tel qu'il nous est raconté par
Platon, à travers le personnage d'Aristophane, dans Le
Banquet:
«Notre nature était autrefois
différente : il y avait trois catégories d'êtres humains,
le mâle, la femelle, et l'androgyne. De plus, la forme humaine
était celle d'une sphère avec quatre mains, quatre jambes et deux
visages, une tête unique et quatre oreilles, deux sexes, etc. Les humains
se déplaçaient en avant ou en arrière, et, pour courir,
ils faisaient des révolutions sur leurs huit membres. Le mâle
était un enfant du soleil, la femelle de la terre, et l'androgyne de la
lune. Leur force et leur orgueil étaient immenses et ils s'en prirent
aux dieux»26(*)
La famille de Katniss, au départ, présente une
structure traditionnelle: son père, mort dans une explosion,
était mineur, tandis que sa mère restait à la maison. Ce
n'est que plusieurs mois après la mort de son mari qu'elle se remet
à exercer sa profession de pharmacienne et de soigneuse , qu'elle
exercait avant son mariage. Le pouvoir dans Panem est détenu par les
hommes, le chef du district 12 est un homme, qui se trouve être le
père de Madge, la meilleure (et seule) amie de Katniss et le pays est
dirigé par le président Snow . Par contraste, dans le
troisième tome on découvre que le district 13 est dirigé
par une femme, qui sera également le chef de la rébellion contre
le Capitole, dont Katniss sera le symbole.
Katniss se caractérise dès le début du
premier tome par le fait qu'elle sort des rôles traditionnels. Elle ne le
fait pas de manière délibérée, ou consciente, mais
parce que c'est dans son caractère mais surtout que la mort de son
père ne lui laisse pas le choix. A la mort de son père, sa
mère s'enfonce dans une profonde dépression et n'assume donc pas
son nouveau rôle de chef de famille. Ce rôle échoira
à Katniss, du haut de ses onze ans, qui devra protéger sa
mère et sa soeur et les nourrir. Elle prend donc en charge la survie de
sa famille, tout d'abord en vendant leurs affaires, puis en allant
illégalement chasser dans les bois, comme le lui avait appris son
père. Elle acquiert une grande habileté au tir à l'arc et
remplace donc dorénavant son père comme chef de famille.
La mort de son père a également forgé son
caractère , la rendant courageuse et déterminée, mais
froide et dure, comprenant qu'elle ne pouvait se permettre aucune
sentimentalité car cela mettrait l'équilibre et la survie de sa
famille en danger. Tout au long de la trilogie, Katniss n'est guidée que
par son instinct de survie, tandis que Peeta a plutôt tendance à
se laisser guider par ses sentiments. Pourtant elle se sent
«inférieure» à lui.
Cependant, une fois dans l'arène, il n'y a aucune
distinction de genre, garçons et filles se trouvant, a priori à
égalité. Pourtant, d'instinct, Katniss parierait plus sur les
garçons forts physiquement que sur les autres.
Pourtant, à partir du moment de la Moisson, sa
condition de femme est sans
cesse rappelée à Katniss: dans sa
préparation physique tout d'abord : à peine arrivée au
centre de préparation elle est épilée, maquillée ,
et donc féminisée: «je me tiens là, nue comme un
ver, pendant qu'ils tournent autour de moi , à traquer les poils
récalcitrants avec leurs pinces à épiler»27(*)
Ce rappel de la féminité n'est pas
présent que dans sa préparation physique, en effet, elle subit
une pression constante de la part de ses mentors , Haymitch et Effie, pour
apparaître désirable , afin d'être repérée par
des sponsors une fois dans l'arène. S'agissant d'une obligation pour
survivre, elle se plie au jeu. Obéissant à Cinna, elle envoie des
baisers au public lors de sa présentation au public. Elle
s'entraîne pendant toute une journée afin de charmer les sponsors,
alternant marche en talons hauts et cours afin d'apprendre «comment»
sourire; journée qui s'achèvera sur ce constat d'échec de
la part d'Haymitch: «pour l'instant, tu as à peu près
autant de charme qu'une limace crevée.»28(*)
Pour l'interview précédent les jeux, toutes les
concurrentes portent une robe , alors que pour leur entrée dans
l'arène , garçons comme filles revêtent le même
uniforme, sans aucune distinction de genre.
Le corps tient une place centrale dans les Hunger Games :
affamé, blessé, torturé, dans le district 12; il est, lors
de la présentation des Tributs au public, modifié,
manipulé, exhibé, afin de plaire au plus grand nombre. On ne
retrouve pas dans le roman les thèmes habituels liés à
l'adolescence et à la puberté: la modification du corps, la
maladresse... Katniss pense à son corps en matière de survie
uniquement. Elle se préoccupe de ses blessures, et non pas de l'aspect
esthétique.
Cependant, par opposition aux corps décharnés
des districts, ce sont les habitants du Capitole , vêtus de couleurs
criardes et bien nourris, qui choquent le plus les lecteurs, car ils vivent
dans le luxe et la débauche au détriment des populations pauvres
qui s'amassent dans des districts aux allures de bidonvilles.
Outre les tenues, Katniss est brutalement rappelée
à sa condition de femme lors des interviews par la déclaration
d'amour publique et télévisuelle que lui fait Peeta. Alors que
Katniss est furieuse, car elle pense que cela la met en fâcheuse position
face aux autres Tributs, Haymitch lui fait la leçon, en lui expliquant
que loin de l'avoir rendue faible cela l'a rendue désirable,
(littéralement «an object of love») ce qui «ne peut pas
lui faire de mal»:
«--Il t'a rendue désirable ! Voyons les choses
en face : tu avais besoin d'un
sérieux coup de main, dans ce domaine.
Tu étais aussi attirante qu'une motte de terre
jusqu'à ce qu'il déclare t'aimer.
Maintenant, ils t'aiment tous. On ne parle plus que de
vous. Les amants maudits du district Douze ! crache Haymitch.»29(*)
Et en effet, le public ne se laisse pas impressionner par sa
force mais par le simulacre d'histoire d'amour tragique que jouent Peeta et
Katniss, montrant
ainsi à Katniss que les sentiments ne sont pas
forcément une preuve de faiblesse, la forçant à laisser un
peu de côté ses caractéristiques masculines. D'ailleurs,
c'est étonnant de voir à quel point le côté
«homme» de Katniss trouve son parfait équilibre avec le
côté «féminin» un peu sentimental de Peeta.
L'un des points forts de cette trilogie ne serait il pas
justement sa mise à distance des notions de «genre», vues et
vécues par Katniss dans ce roman à la première personne
comme ce qu'elles sont, c'est à dire des constructions et non des
caractéristiques naturelles, innées? Le genre
masculin/féminin serait donc un ensemble de contraintes et de normes ,
et non pas une donnée biologique inhérente. Katniss transcende
cette notion de genre , et ne se laisse pas aliéner par elle.
Cependant dans ces trois tomes, Katniss passe petit à
petit du statut d'enfant à celui de femme, puis de mère, tout
d'abord grâce à son hésitation constante entre les deux
«hommes» de sa vie, Gale, celui qui est là pour elle depuis
leur enfance, et avec lequel elle partage la même haine et les
mêmes ambitions. De l'autre côté il y'a Peeta , qui est son
exact opposé, sensible et rempli de gentillesse. Les deux jeunes hommes
sont parfaitement au courant du dilemne qui anime la jeune femme, comme le
prouve d'ailleurs ce passage du tome 3 des Hunger Games, lorsque tous deux en
discutent, croyant Katniss endormie:
«Après un long silence, Peeta reprend la
parole.
-- C'était drôle, ce qu'a dit Tigris. Comme
quoi personne ne savait quoi faire d'elle.
-- Regarde nous, on n'a jamais su, dit Gale.
Ils rient tous les deux. C'est étrange de les
entendre discuter comme ça. Presque comme deux amis. Ce qu'ils ne sont
pas. Et n'ont jamais été. Même s'ils ne sont pas
précisément ennemis.
-- Elle t'aime, tu sais, dit Peeta. Elle me l'a plus ou
moins avoué après ta flagellation.
-- Ne crois pas ça, réplique Gale. Sa
façon de t'embrasser pendant l'Expiation... Je peux te dire qu'elle ne
m'a jamais embrassé comme ça.
-- C'était seulement pour la caméra, lui dit
Peeta d'une voix où perce tout de même une pointe de doute.
-- Non, tu as su la gagner. Tu as tout sacrifié
pour elle. C'est peut-être la seule manière de la convaincre qu'on
l'aime. (S'ensuit un long silence.) J'aurais dû me porter volontaire pour
prendre ta place dans les premiers Jeux. Je l'aurais protégée.
-- Tu ne pouvais pas, lui rappelle Peeta. Elle ne te
l'aurait jamais pardonné. Tu devais prendre soin de sa famille. Elle y
attache plus d'importance qu'à sa propre vie.
-- Bah, tout ça n'aura bientôt plus
d'importance. Il y a peu de chances que nous
survivions tous les trois à cette guerre. Et quand
bien même, ce sera le problème de Katniss. Savoir qui choisir.
(Gale se met à bâiller.) On ferait mieux de dormir.
-- Oui. (J'entends les menottes de Peeta glisser au bas du
barreau tandis qu'il s'allonge.) Je me demande quels seront ses
critères.
-- Oh, ça, je le sais. (J'entends à peine
les derniers mots de Gale à travers ses fourrures.)
Elle choisira celui qu'elle estimera le plus
nécessaire à sa survie. «30(*)
Les deux jeunes hommes, par ce dialogue prouvent qu'ils
connaissent mieux Katniss qu'elle ne se connaît, ce qui n'est en rien
étonnant car elle ne prendr que peu de temps pour
réfléchir à ses sentiments et à sa vie future.
D'ailleurs, entendant cette conversation à leur insu, Katniss pense que
si elle devait choisir à cet instant, elle n'en choisirait aucun des
deux. Cependant à la fin , elle décide de vivre avec Peeta,
prenant peut-être conscience pour la première fois que la
discussion des deux jeunes hommes dans la cave de Tigris comportait une grande
part de vérité:
"...je comprends que tout cela ne pouvait pas se terminer
autrement. Que pour survivre, je n'ai pas besoin de la flamme de Gale, nourrie
par sa rage et sa haine. J'en ai déjà bien assez en moi. Ce qu'il
me faut c'est le pissenlit au printemps. Le jaune qui évoque la
renaissance plutôt que la destruction. La promesse que la vie continue,
en dépit de nos pertes. Qu'elle peut être douce à nouveau.
Peeta est le seul à pouvoir m'offrir ça."31(*)
Si Katniss choisit Peeta, c'est parce qu'il la
complète, et, tout comme dans le mythe platonicien, les deux parties
d'un tout sont réunies. Nous pouvons noter également la
récurrence de l'image du «pissenlit au printemps» , qui
était déja, dans le premier tome de la trilogie, le symbole de la
survie de la famille de Katniss, qui leur avait permis, associé au pain
que leur avait donné Peeta, d'être enfin rassasiées. Le
pissenlit était donc déja, indirectement certes, associé
au personnage de Peeta.
Ce mythe de l'androgyne sera mis à l'honneur dans le
livre Salmacis-L'Elue, écrit par Emmanuelle De Jesus, grande
gagnante du tremplin d'écriture organisé par les éditions
Blackmoon, qui a basé la trame de son roman sur le personnage
d'Andréa, dont la famille est victime d'une malédiction
condamnant les enfants à passer sans cesse d'un corps d'homme à
un corps de femme, jusqu'à ce qu'ils trouvent leur élu(e) , ce
qui fera cesser les transformations. Cependant, si il se trompe
d'élu(e), il (ou elle) sera condamné à errer entre le
statut d'homme et de femme toute sa vie, sans jamais trouver sa place.
En trouvant sa «moitié», Peeta, Katniss met
un terme aux hésitations qui ont ponctué sa vie. En devenant la
femme de Peeta, et la mère de ses deux enfants, elle choisit d'assumer
pleinement sa condition de femme, sans plus chercher à s'en
défendre. Le fait de devenir mère, une chose qu'elle refusait
catégoriquement au début de la trilogie, prouve qu'elle a
définitivement tiré un trait sur son passé et sa crainte
de voir ressurgir les Jeux. De plus, elle a un garçon et une fille,
parfaite représentation des tributs «mâles» et
«femelles» qui étaient envoyés dans les jeux chaque
année, mais loin de se battre, ses enfants jouent ensemble sur ce qu'ils
ne savent pas être un cimetière. Les adultes ne leur diront pas,
probablement afin de conserver leur innocence intacte, comme le dit Katniss
dans les dernières lignes de la trilogie:
« Mes enfants, qui ne savent pas qu'ils jouent sur un
cimetière.
Peeta dit que tout ira bien. Nous sommes ensemble. Et nous
avons le livre. Nous saurons leur expliquer d'une manière qui les rendra
plus courageux. Mais un jour, il faudra bien leur parler de mes cauchemars.
D'où ils me
viennent. Pourquoi ils ne s'effaceront jamais
complètement.
Je leur apprendrai comment je survis. Je leur dirai que
certains matins, je n'ose plus me réjouir de rien de peur qu'on me
l'enlève. Et que ces jours-là, je dresse dans ma tête la
liste de tous les actes de bonté auxquels j'ai pu assister. C'est comme
un jeu. Répétitif. Un peu lassant, même après plus
de vingt ans.
Mais j'ai connu des jeux bien pires.»32(*)
Conclusion:
Les trois tomes des Hunger Games nous permettent de suivre,
non seulement le déroulement de l'intrigue, mais aussi les
différents changements qui s'opèrent chez Katniss, qui passe
d'adolescente frondeuse à femme, de garçon manqué à
mère, tout cela dans une période troublée de l'histoire de
son «monde», Panem. Inspiré de l'antiquité, mais une
antiquité modifiée, détournée, transposée
dans un avenir dystopique ou règne la terreur et l'injustice, les
héros de Hunger Games se battent pour ce qu'ils croient être
juste: la liberté d'être qui ils veulent, et de vivre comme ils
l'entendent. Ce thème immuable a traversé les siècles pour
arriver jusqu'à nous, et c'est à travers cet idéal que
Katniss, personnage intemporel, appartenant à la fois à l'avenir
et au passé; réussit à toucher les lecteurs de notre
époque.
Dans son article, «Un héros femme est-il
pensable»33(*);
Margaret Bruzelius classe les femmes selon trois catégories: les femmes
sauvages, les femmes «mariables mais entêtées» car elles
veulent partager le pouvoir avec les hommes; et les femmes
«mariables». Difficile de classer Katniss dans une de ces trois
catégories. Elle évolue tout au long des trois tomes, passant de
la femme «sauvage», à la femme «mariable», et
d'ailleurs à la femme mariée, et mère de famille, ce qui
insiste sur le fait qu'en tant qu'adolescente, il n'est pas étonnant
qu'elle évolue plus que ne le ferait un personnage adulte.
Mais les meilleurs mots pour décrire Katniss sont ceux
de Lizzie Skurnick, dans le très serieux Times du 29 avril 2010
«Triumphant but not arrogant, prized but not vain,
Katniss takes two whole books and assurances from two suitors to accept that
the crowds love her»34(*).
Mais nous concluerons sur ces mots de Margaret Bruzelius, dont
l'article nous aura accompagné tout au long de cet étude du
personnage de Katniss.
«le héros représente une chimère
fascinante dans la mesure où tout Homme, aussi moyen et
inintéressant soit-il, peut être un personnage particulier, pourvu
d'un destin splendide qui n'appartient qu'à lui, et à lui
seul».35(*) Le destin
de Katniss, jeune femme insignifiante du district 12 qui devient, bien
malgré elle, le symbole de tout un peuple et l'emblème d'une
révolution, prouve que tout est possible pour celui qui se trouve au bon
endroit, au bon moment.
BIBLIOGRAPHIE
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sorciers, ed. folio junior, 29 septembre 2011
.SALLES Catherine, 73 a.v. J.C: Spartacus et la
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.SIGANOS André, Le minotaure et son mythe ed.
PUF, novembre 1993
Pages Internet:
http://www.scholastic.com/teachers/article/qa-hunger-games-author-suzanne-collins
http://www.lizzieskurnick.com/2010/05/22/suzanne-collins-the-2010-time-100/
* 1 Margaret Bruzelius
«un héros femme est-il pensable?»
* 2 Hunger Games, tome
1, Suzanne Collins, ed.Pocket jeunesse, P106
* 3 Traduction:»Au moment
où un ange pleura pour le sacrifice
La fille d'Abraham éleva la voix
Alors l'ange lui demanda quel était son nom
Elle dit "je n'en ai pas"
Puis il lui demanda "comment est-ce possible"
"Mon père ne m'en a jamais donné"
Et quand il la vit se lever pour le sacrifice
La fille d'Abraham leva son arc
Comment, mon plus cher enfant, défies-tu ton
père
Tu ferais mieux de laisser le jeune Isaac s'en aller»
* 4 Trad: «Nous n'avons pas
besoin de toujours pleurer et porter le deuil
Laisse partir mon peuple,
Et porter ces tristes chaînes d'esclavage,
Laisse partir mon peuple»
* 5 Twilight, Stephenie
Meyer, ed. livre de poche
* 6 Divergente, Veronica Roth,
ed.Nathan
* 7 La Selection, Kiera Cass,
ed. r-jeunes adultes
* 8 Harry potter à
l'école des sorciers, J.K Rowling, ed. folio junior
* 9 Percy Jackson, le voleur de
foudre, Rick Riordan, ed.livre de poche
* 10Hunger Games, tome
1, Suzanne Collins ed pocket jeunesse P349
* 11 trad. «Je pars
à Washington, me battre pour la fille d'Abraham»
* 12 To Kill a Mockingbird,
Harper Lee, ed. livre de poche
* 13 To Kill a
Mockingbird, Harper Lee
* 14 Hunger Games,
tome 1, Suzanne Collins; ed. pocket jeunesse P10
* 15 ibid. P 67
* 16 ibid. P 60-61
* 17 Hunger Games,
L'embrasement, Suzanne Collins, 6 mai 2010, trad. Guillaume Fournier chap 4 P
189-190
* 18 Hunger Games, la
révolte, Suzanne Collins, ed. Pocket jeunesse P220
* 19 Hunger Games,
l'embrasement, Suzanne Collins, ed pocket jeunesse, 2009, P 624
* 20 « Ils parvinrent en
haut du rocher dans un tel silence que non seulement ils trompèrent les
gardes, mais ils ne firent pas même se lever les chiens, animal inquiet.
Mais ils n'abusèrent pas les oies, que les Romains avaient
épargnées malgré l'extrême disette, parce que
c'étaient des oiseaux consacrés à Junon. Et c'est ce qui
sauva les Romains. En effet, réveillé par le cri et le battement
d'ailes des oies, Manlius, remarquable combattant, précipita les Gaulois
qui montaient, en appelant les autres à prendre les armes. C'est de
là que vient la coutume de porter dans une procession solennelle un
chien fixé à une fourche, tandis qu'une oie est portée,
comme pour un triomphe, sur une litière munie d'une couverture. »
(trad. par Lhomont)
* 21 «A conversation with
Suzanne Collins- Planning the trilogy » Scholastic
* 22 ibidem
* 23 «An interview with
Suzanne Collins». James Blasingame and Suzanne Collins, in «Journal
of Adolescent & Adult Literacy, Vol. 52, No. 8 (May, 2009), pp. 726-727
* 24 trad:«Je me suis
également inspirée d'un de mes films
préférés, Spartacus, et de la figure historique sur qui le
film est basé. Parce que Spartacus était un esclave, il n'a
jamais été le sujet direct des écrivains romains mais son
histoire générale se trouve dans l'oeuvre de Plutarque, La
vie de Crassus. J'ai fait des recherches non seulement sur le Spartacus
historique et sur les médias populaires sur lui, mais sur la plupart des
gladiateurs historiques de l'époque
pré-chrétienne»
* 25 La chose
intéressante à propos de Katniss est que quand l'histoire
commence, elle n'a pas beaucoup de prise de conscience politique. Il ya des
choses qu'elle sait au sujet de son monde être vrai et faux. Mais
personne ne l'a jamais éduquée dans ce domaine. Il n'est pas dans
l'intérêt du Capitole qu'elle connaisse la politique. Et il n'y a
que la chaîne de télévision un, qui est entièrement
contrôlée par le Capitole. Et elle aura du mal à mettre les
choses ensemble, ce sera le cas tout au long de la trilogie, et c'est assez
difficile, parce que personne ne semble penser que c'est dans leur
intérêt de l'éduquer "
* 26 Le Banquet,
Platon, ed. poche
* 27 Hunger Games, Tome 1,
Suzanne Collins, ed. Pocket Jeunesse P.72
* 28 Hunger Games, Tome 1,
Suzanne Collins, ed. Pocket Jeunesse, P.138
* 29 Hunger Games, tome 1,
Suzanne Collins, ed. Pocket jeunesse, P.157
* 30 Hunger Games, la
révolte, Suzanne Collins, ed. Pocket jeunesse, P190
* 31 Hunger Games, la
révolte, Suzanne Collins, ed. Pocket jeunesse P.222
* 32 Hunger Games, la
révolte, Suzanne Collins, ed.Pocket jeunesse, P223
* 33 Le Héros dans
les productions littéraires pour la jeunesse, ed Harmattan, P65
* 34 Trad: «Triomphante
mais pas arrogante, méritante mais pas vaniteuse, Katniss a besoin de
deux livres entiers et des assiduités de deux prétendants pour
accepter le fait que l'on puisse l'aimer»
* 35 Le héros dans les
productions littéraires pour la jeunesse, ed. Harmattan, P.65
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