UNIVERSITE JEAN MOULIN LYON III
MASTER 1 Mention Science Politique - Relations Internationales
spécialité Sécurité et Défense,
nicolas.le-guillou@univ-lyon3.fr,
9147230
La politique chinoise de l'administration Bush
après la répression place Tiananmen : l'interdépendance
peut-elle apaiser les tensions politiques ? 1989-
1993
Mémoire de recherche en Science Politique
présenté par Nicolas Le Guillou
Sous la direction de Monsieur François David,
Maître de conférences à Lyon III
2014-2015
UNIVERSITE JEAN MOULIN LYON III
MASTER 1 Mention Science Politique - Relations Internationales
spécialité Sécurité et Défense,
nicolas.le-guillou@univ-lyon3.fr,
9147230
La politique chinoise de l'administration Bush
après la répression place Tiananmen : l'interdépendance
peut-elle apaiser les tensions politiques ? 1989-
1993
Mémoire de recherche en Science Politique
présenté par Nicolas Le Guillou
Sous la direction de Monsieur François David,
Maître de conférences à Lyon III
2014-2015
Remerciements
Je tiens tout d'abord à adresser mes remerciements les
plus chaleureux à Monsieur François David qui m'a permis de
bénéficier de son encadrement. Les conseils, la patience et la
liberté de confiance qu'il m'a témoignés ont
été un facteur d'encouragement permanent tout au long de la
réalisation de ce travail de recherche.
Je souhaite aussi étendre mes remerciements aux
enseignants que j'ai côtoyés durant mon cycle universitaire. Plus
particulièrement les professeurs d'histoire des relations
internationales contemporaines qui m'ont transmis les connaissances et le
goût pour l'étude des politiques étrangères
américaine et chinoise.
Enfin, je remercie ma mère qui a contribué
à la clarification de ce mémoire par ses corrections et ses
relectures.
Liste des sigles et des acronymes
AIEA : Agence Internationale de l'Energie Atomique
APEC : Association de coopération économique de
l'Asie-Pacifique
CSNU: Conseil de Sécurité de l'ONU
GATT: General Agreements on Tariffs and Trade
MFN : Most Favoured Nation, Clause de la Nation la
plus favorisée
ONU : Organisation des Nations Unies
RPC : République Populaire de Chine
RTCM : Régime de Contrôle des Technologies de
Missiles
TNP : Traité de Non-Prolifération
URSS : Union des Républiques Socialistes
Soviétiques
1
INTRODUCTION
« Même des années plus tard, f...]
Tiananmen demeure pour les Etats-Unis dans leur relation bilatérale avec
la Chine, un objet de litige sanctionné de mesures économiques,
de critiques sur le non-respect des droits de l'Homme et de
commémorations régulières. Une analyse de l'impact de
Tiananmen sur la politique chinoise américaine nécessite donc une
étude sur plusieurs niveaux de prise de décision politique.
»1
Alors que les relations sino-américaines avaient
atteint un degré de stabilité inespéré depuis des
décennies, les massacres du 4 Juin 1989 place Tiananmen firent basculer
les rapports dans un climat de tension et de rupture inédit depuis le
1er Octobre 1949. La situation d'apaisement prometteur qui avait
été gagnée au prix d'un travail diplomatique
acharné commencé en 1972, et à laquelle ont
succédé quinze ans d'échanges
économiques2, furent balayés en seulement quelques
semaines. Un nouveau cycle s'enclencha dans l'histoire sino-américaine :
celui d'une lente et laborieuse guérison3. Et pour cause,
Tiananmen a directement affecté la formulation de la politique chinoise
américaine en la forçant brutalement à s'adapter et
à développer sur un temps très court, une nouvelle ligne
de conduite cohérente. Par conséquent, la difficulté fut
double pour l'administration Bush encore fraîchement au pouvoir en Juin
1989 : répondre par des décisions viables et avec un temps de
réaction alerte à une crise sino-américaine sans
précédent.
C'est précisément cet intervalle de temps
succinct, coïncidant avec le mandat de George Bush père (Janvier
1989 - Janvier 1993) dans lequel chaque prise de position impacta directement
l'avenir des relations sino-américaines, qui intéressera notre
recherche. Cet espace temporel constituera le support de nos interrogations
auxquelles nous tenterons de répondre tout au long de notre analyse.
Comment les décisions post-Tiananmen ont-elles été prises
? Quels domaines de la relation sino-américaine ont été
privilégiés pour apaiser les tensions politiques? Comment ces
décisions ont-elles déterminé les paramètres de la
relation sino-américaine pour les premières décennies du
XXIème siècle4 ?
Si la période post-Tiananmen soulève autant
d'interrogations, (bien que l'histoire sino-américaine ait fait l'objet
d'intenses études), c'est justement parce que la politique chinoise
1 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen : The Politics of
US-China relations 1989-2000, Washington D.C., Brookings Institution
Press, 2003, p. 85: « Even years later f...] the United States
maintains Tiananmen as an ongoing issue in the bilateral relationship through
economic sanctions, frequent criticism of human rights abuses that trace to
1989, and regular commemoration of the event. An evaluation of Tiananmen on
American policy toward China needs to look at several different levels of
political decision-making. »
2 PERRY Susan, La politique chinoise des
Etats-Unis 1989-1997, Thèse de doctorat en Etudes chinoises, Paris
: Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, soutenue en 1998, p. 3.
3 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the
politics of US-China relations 1989-2000, op. cit., p. 88: «
Chapter four: The Slow Road to Recovery 1989-92 ».
4 PERRY Susan, La politique chinoise des
Etats-Unis 1989-1997, op.cit., p. 1.
2
américaine, au lendemain de ces
événements, reste hélas trop souvent effleurée. A
juste titre, il existe quelques ouvrages de référence dans la
production scientifique anglo-saxonne, mais la documentation française
demeure quant à elle partielle et relativement pauvre sur le sujet.
Certaines thèses, articles traitent bien des relations
sino-américaines dans les années 1990 mais se servent du mandat
de G. Bush comme d'une introduction ou d'une étude préalable pour
aborder plus en détail la politique chinoise des mandats de Bill
Clinton. Ces recherches présentent l'avantage d'être plus riches
sur le plan factuel (strictement sino-américain) et centrées sur
des problématiques géostratégiques ou géopolitiques
plus avenantes pour le lecteur : troisième crise du détroit de
Taïwan (1995-1996)5, bombardement de l'ambassade chinoise
à Belgrade le 30 Juin 19996. Une autre raison plus
évidente est que la présidence de Georges H. Bush souffre d'une
abondance d'événements internationaux tous plus
déterminants les uns que les autres pour l'équilibre mondial,
reléguant de ce fait Tiananmen à un fait secondaire. Son mandat
concorde effectivement avec la fin de la Guerre froide, l'effondrement du mur
de Berlin, la fin des démocraties populaires d'Europe de l'Est, la
dissolution de l'URSS, la réunification de l'Allemagne mais aussi la
première guerre du Golfe ou la première crise en Yougoslavie.
Tiananmen finit donc par s'effacer derrière cette toile de fond pleine
de bouleversements et se résume alors à un « printemps
» vite essoufflé et sans suite. S'en tenir à se vague
a priori serait toutefois éminemment réducteur surtout
à l'heure où les analyses sur le « pivot »
américain dans le Pacifique prolifèrent, et où de plus en
plus d'observateurs tentent d'analyser les relations sino-américaines
comme l'un des défis majeurs du XXIème
siècle7. Notre recherche sur la politique chinoise
américaine post-Tiananmen ambitionne justement de proposer une grille de
lecture historique et théorique sur ce qui constitue à notre
sens, un des fondements de la relation sino-américaine actuelle.
Dans cette perspective, à titre introductif et
très brièvement, nous nous proposons de mettre en lumière
l'histoire sino-américaine pour comprendre les forces qui animent ces
liens séculaires et dégager les tendances lourdes de cette
histoire commune. Cette étude préalable permettra d'aborder notre
analyse dans les meilleures conditions puisque comme le remarque Juliette
Bourdin dans la première partie de sa thèse : « la
nature des premiers contacts sino-américains f...] ouvre des pistes de
réflexion sur la politique chinoise de Washington au
XXème siècle »8.
Ainsi, depuis le XIXème siècle,
l'histoire américano-chinoise montre une alternance de cycles où
se mêlent méfiance, pragmatisme, visions positives ou
négatives de l'autre. Les contacts entre
5 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the
politics of US-China relations 1989-2000, op. cit., p. 200.
6 Ibid., p. 369. Evénement dont la relation
sino-américaine aurait le plus souffert depuis Tiananmen selon le
jugement avisé de Robert Suettinger.
7 BOURDIN Juliette, Les relations
sino-américaines de Tiananmen à la présidence de George W.
Bush (1989-2006) : une analyse des enjeux économiques et
stratégiques à la lumière de l'Histoire, Thèse
de doctorat en civilisation américaine, Paris : université
Sorbonne-nouvelle, soutenue en 2007, p. 15.
8 Ibid., p. 36.
3
les deux pays ont donc longtemps été tributaires
de ces oscillations ce qui explique en grande partie les phases d'ouverture et
de fermeture qui ont structuré chacune des deux politiques
étrangères. Le XIXème siècle est ainsi
parcouru de contradictions et d'ambivalence entre les deux diplomaties si bien
que c'est l'incompréhension du côté américain et le
sentiment de trahison du côté chinois qui ont
caractérisé les relations de ces deux pays tout au long du
siècle9.
Au XXème siècle, plusieurs
événements vont installer la relation sino-américaine dans
un climat de méfiance et de distance. D'abord, la Première Guerre
mondiale, particulièrement marquante pour les Chinois parce que la
protection des Américains se révéla inconsistante
concernant les 21 demandes présentées par le Japon en
191510. Le traité de Versailles acheva ainsi de
développer le nationalisme chinois, alimenté par la
déception et la désillusion. De nouveau, au début de la
guerre sino-japonaise en 1937, les Américains restèrent
impassibles. Il fallut attendre l'année 1938 pour que l'administration
américaine participât plus activement à la défense
de la Chine contre son voisin japonais. Quant à la guerre civile
chinoise entre les nationalistes de Chiang Kai-Shek et les communistes de Mao
Zedong, là encore les Américains s'efforcèrent d'afficher
une fausse neutralité car leurs intentions se portèrent davantage
vers le généralissime plutôt que vers le leader
communiste11.
L'après guerre fut compliqué pour la Chine et
les Américains s'en rendirent assez rapidement compte. Washington
décida de continuer à ne soutenir que Chiang Kai-shek, le
Guomindang étant reconnu par la communauté
internationale12. Malheureusement pour les Américains, la
proclamation de la République Populaire de Chine par Mao le
1er Octobre 1949 amorça une longue et chaotique
période de rupture diplomatique. Dans la foulée, la guerre de
Corée éclata dès 1950. Sans que la RPC ne déclare
officiellement son entrée dans le conflit, celle-ci, avec ses 800 000
volontaires, prouva au monde entier que même en temps de faiblesse, elle
était capable de défendre ses intérêts face à
la superpuissance nucléaire américaine. Une leçon pour les
deux diplomaties qui éviteront par la suite, le choc frontal. Pour
autant, l'hostilité demeura entre les deux pays, exemple pris des deux
crises de Taïwan (1954 et 1958). Les années 1960, sans apaiser
les
9 Ibid., p. 36. Les Américains,
prétextant une attitude paternaliste et protectrice à
l'égard de l'Empire du milieu ont finalement fait jouer leurs
intérêts au détriment de ceux des Chinois qui parlent d'une
période d'humiliation. C'est la politique de la « Porte ouverte
» entreprise par les Américains à la fin du
19ème siècle qui a longtemps entretenu le mythe selon
lequel les Américains se seraient érigés en protecteurs de
la Chine.
10 MURACCIOLE J.-F, Cours magistral «Les
relations internationales de la Première à la Seconde guerre
mondiale», Université Paul-Valéry Montpellier III,
Semestre 5, 2013. Revirement du Président Woodrow Wilson concernant les
21 demandes économiques du Japon à la Chine
présentées dès le printemps 1915. Le Japon obtient ainsi
les îles allemandes du Pacifique. Les Chinois quittent la
conférence et ne signent pas le traité. Cette période est
donc vécue par les Chinois comme une trahison des Américains
qu'ils accusent d'avoir vendu leur pays au Japon.
11 En effet, le nationaliste chinois
bénéfice d'un allié de choix en la personne d'Henry Luce,
l'influent éditeur du Time, Life et Fortune qui contribue à faire
passer Chiang comme l'homme fort, le seul capable de relever la Chine.
12 Pourtant, pendant la guerre, un certain nombre
d'experts dépêchés en Chine pour étudier la
situation avaient conclu que les communistes gagneraient la guerre civile.
L'attitude américaine est donc jugée hasardeuse et dangereuse par
certains diplomates qui désapprouvent le fait de ne soutenir qu'un seul
camp en sachant que l'issue du conflit n'est pas jouée.
4
relations sino-américaines, stoppèrent au moins
la dynamique de conflit qui les avait animées jusque-là :
l'Europe redevint le théâtre d'affrontement
privilégié de la Guerre Froide, le schisme sino-soviétique
s'accentua profondément, les Américains s'enfoncèrent dans
le bourbier vietnamien et la RPC s'enferma dans la révolution culturelle
rompant pratiquement tous liens diplomatiques avec le reste du monde. Mais
alors que les relations sino-américaines semblaient loin d'être
prioritaires pour les deux politiques étrangères encore
antagonistes, un changement majeur se profila pourtant. Le 21 Février
1972, après les voyages diplomatiques secrets de Kissinger, Nixon se
rendit officiellement en Chine, à Pékin, plaçant ainsi les
rapports sino-américains sur la voie de la normalisation. Ici se
dégage d'ailleurs une autre caractéristique majeure de la
relation héritée du XXème siècle : la
présence d'un tiers menaçant pour la Chine mène à
un rapprochement entre les deux pays. Ce fut le Japon jusqu'à la Seconde
Guerre mondiale, puis l'Union des Républiques Socialistes
Soviétiques jusqu'à sa dissolution. En 1974 des bureaux de
liaison ouvrirent à Pékin et à Washington. Le futur
Président américain George Herbert Bush devint chef du bureau des
représentations en Chine, d'Octobre 1974 à Août 1975. Au
cours de ces mois passés à Pékin comme ambassadeur
officieux, il développa des contacts étroits avec quelques
dirigeants chinois.
Avec la fin des années 1970, les relations
s'intensifièrent. Deng Xiaoping accéda au pouvoir en 1977 et
procéda à l'ouverture forcée de l'économie chinoise
vers une économie mixte qualifiée d'« économie de
marché socialiste ». La normalisation des rapports
sino-américains fut effective le 1er Janvier 197913.
Dès lors, une timide interdépendance économique naquit
à la faveur de la décision de l'administration Carter de
céder le statut « Most-Favoured-Nation »14
(MFN) aux Chinois. Rapidement, les échanges économiques et
commerciaux commencèrent à se développer. Adoptant une
politique de « porte ouverte »15 dès 1978,
Pékin bénéficia d'une quantité importante
d'investissements directs de l'étranger dont les Américains
prirent une part importante16. Simultanément, les liens
culturels, scientifiques, académiques progressèrent. Ce mouvement
en apparence mal engagé au moment de l'investiture de R. Reagan, aboutit
finalement à l'accélération du processus de normalisation.
Un communiqué commun fut signé le 17 Août 1982 dans lequel
la Chine et les Etats-Unis réaffirmèrent les principes
fondamentaux qui guidaient leurs relations. Signe que la confiance mutuelle
prospérait, en 1983 l'administration Reagan prit l'initiative d'ouvrir
la
13 Au moment de l'établissement des
relations, Pékin et Washington signèrent un accord commercial
garantissant au partenaire des tarifs commerciaux préférentiels :
GUO Baogang, GUO Sujian, Thirty years of China-U.S. relations: analytical
approaches and contemporary issues, Lanham, Lexington Books, 2010,
p.102.
14 Statut de la Nation la plus favorisée.
Sans ce statut, les exportations chinoises étaient soumises à
d'importants tarifs douaniers conformément au Smoot-Hawley Act
de 1930. Voir: HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United
States and China since 1972, Washington, D.C., The Brookings Institution,
1992, p. 95.
15 « Open Door Policy », GUO Baogang, GUO
Sujian, Thirty years of China-U.S. relations: analytical approaches and
contemporary issues, op. cit. p. 103.
16 De 1979 à 2008 les Etats-Unis ont
été les premiers investisseurs en Chine.
5
Chine aux ventes d'armes et de technologies
américaines17. Dans le prolongement, le deuxième
mandat de R. Reagan inaugura « l'ère des bons sentiments
» qui caractérisa les liens américano-chinois tout au
long de la décennie 1980. Néanmoins, malgré cette
apparente euphorie, des éléments de désaccord et de
méfiance subsistaient. Il fallut ainsi quelques années à
R. Reagan pour limiter son soutien à Taïwan18, et les
modèles politiques sino-américains demeuraient
profondément antagonistes. Le commerce bilatéral évoluait
certes largement mais sur une souche instable. Quoiqu'il en soit, quand George
Bush fut investi de la présidence des Etats-Unis, les échanges
entre les deux pays avaient été amplement
bénéfiques19. Ces années en or,
qualifiées ainsi par James Mann,20
caractérisèrent donc les liens américano-chinois
jusqu'à la répression brutale menée place Tiananmen le 4
Juin 1989.
Cet épisode central dans l'histoire
sino-américaine constitua le point de rupture inattendu d'une crise
profonde de la relation bilatérale, devenu fondateur pour la politique
chinoise des Etats-Unis. Tiananmen a en effet cristallisé les
antagonismes et dissout les affinités au point de ne laisser comme seul
dénominateur commun, qu'un commerce sino-américain fébrile
de son immaturité. C'est en cela que réside d'ailleurs toute
l'importance de la politique américaine chinoise post-Tiananmen : il a
fallu préserver cet ultime facteur de rapprochement tout en donnant de
nouveaux fondements stratégiques à la relation, le tout, dans un
contexte international bouleversé.
Ce mémoire a donc pour objet l'étude de la
relation sino-américaine post-Tiananmen, sous l'angle de la politique
étrangère américaine, et propose d'analyser les ressorts
de cette politique à la lumière de la théorie de
l'interdépendance complexe ; laquelle nous permettra d'identifier les
paramètres nouveaux de cette relation. Nous ferons coïncider
précisément notre analyse sur la période du mandat de
George Bush père s'étalant de Janvier 1989 à Janvier
1993.
Compte tenu du choix de notre lentille
conceptuelle21 nous nous appuierons donc prioritairement sur
l'ouvrage de R. Keohane et J. Nye, Power and Interdependence : World
Politics in Transition paru en 1977. Ces spécialistes des relations
internationales sont connus pour avoir
17 MANN James, About Face: A History of
America's Curious Relationship with China, From Nixon to Clinton, New
York, Vintage Books, 2000, p. 139.
18 Ibid., pp. 144-145.
19 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Market Access
in China - May 1989 », Digital National Security Archive, China and
the U.S., 3p. Une autre note dresse ainsi le bilan de la décennie
1980 : en mai 1989 les Etats-Unis étaient le troisième partenaire
commercial de la RPC, réciproquement, Pékin était
passé de la 15ème place en 1981 à la
12ème soit 2% du commerce global américain. Les
tendances à cette période étaient en hausse : en 1988 les
exportations américaines en direction de Chine avaient augmenté
de près de 45% (soit 5 milliards de dollar), contre 30% d'augmentation
pour les exportations chinoises : U.S. DEPARTMENT OF STATE, « US China
Trade Trends - 10th of May 1989 », Digital National
Security Archive, China and the U.S., 2p. Voir Annexe 3 : Etat du commerce
sino-américain peu de temps après l'arrivée au pouvoir de
G. H. Bush (Mai 1989), p. 96.
20 Chapitre 7: « Reagan and the Golden
Years », MANN James, About Face: A History of America's Curious
Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. pp. 134-154.
21 Pour emprunter les termes anglais « conceptual lens
» de Graham Allison et de Philipp Zelikow dans leur ouvrage «
Essence of decision : explaining the cuban missile crisis », New
York, Longman, 1999, 416 p.
6
développé dans les années
197022 le courant théorique néolibéral qui se
caractérise par une critique du stato-centrisme des relations
internationales et une focale sur le phénomène
d'interdépendance. Selon eux, la vue classique de la politique
internationale a laissé la recherche en relations internationales
insuffisamment attentive aux phénomènes transnationaux
grandissants depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Proposant une
alternative théorique à l'approche réaliste ou
néoréaliste dominante, R. Keohane et J. Nye questionnent ainsi la
compréhension classique des acteurs non-étatiques, le rôle
des techniques étatiques non militaires, et celui des variables
économiques au sein du système international23.
L'interdépendance complexe qu'ils définissent comme un
système dans lequel tout acteur est sensible et vulnérable aux
comportements des autres acteurs, est ainsi la première théorie
à postuler que les Etats ne sont pas seulement dépendants au
niveau diplomatique ou stratégique, mais aussi dans les domaines
relevant du commerce, des droits de l'homme, des questions sanitaires,
environnementales24 etc.
Toutefois, avançons d'emblée quelques
précisions. D'une part, si l'interdépendance et les conflits sont
étroitement liés, et que les études prouvent qu'il y a
effectivement moins de tensions lorsque le commerce grandit, des analyses
poussées rappellent que ces considérations valent pour les
conflits militaires et non politiques25. Tiananmen est justement une
crise de politique étrangère26, elle n'est donc pas
prise en compte dans ce type d'études statistiques. De plus, si l'effet
pacificateur de l'interdépendance économique a été
démenti par la Première Guerre mondiale, l'étude de son
influence en période post-crise demeure non-évaluée. Cette
absence nous laisse légitimement le champ libre pour étudier
l'impact de l'interdépendance sur les tensions politiques
sino-américaines post-Tiananmen. D'autre part, les théories de
l'interdépendance ne se présentent pas comme une contestation
radicale du réalisme. Au contraire, leur objet vise à adapter la
doctrine réaliste à un mode plus complexe27. Le cadre
d'analyse de R. Keohane et J. Nye nous ramène obligatoirement à
l'Etat, c'est pourquoi dans notre étude nous nous plaçons
à l'échelle de la politique étrangère
américaine : les Etats demeurent donc les principaux acteurs de la vie
internationale. L'angle théorique de l'interdépendance complexe
viendra souligner simplement que leur pouvoir de
22 Robert Keohane et Joseph ont également
publié le célèbre « Transnational Relations and
World Politics » en 1972.
23 BALDWIN David A., « Review: «Power and
Interdependence: World Politics in Transition» by Robert O. Keohane and
Joseph S. Nye », The American Political Science Review, Vol. 72,
No. 3 (Sep., 1978), p. 1165. URL:
http://www.jstor.org/stable/1955253,
consulté le 26/02/2015
24 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and
Interdependence, Harvard University, Second Edition, Harper Collins
Publishers, 1989, pp. 248-249.
25 ONEAL R. John, RUSSET Bruce, BERBAUM L. Michael,
« Causes of Peace: Democracy, Interdependence, and International
Organizations, 1885-1992 », International Studies Quarterly, Vol.
47, No. 3 (Sep., 2003), p. 375. URL:
http://www.jstor.org/stable/3693591,
consulté le 26/02/2015.
26 « A foreign policy crisis » selon les
propos de Brecher et Wilkenfeld dans « A study of crises »,
Ann Arbor, University of Michigan Press, 2000, p. 11.
27 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and
Interdependence, op. cit., p. 248: «but it was only in Power and
Interdependence that we explicitly addressed the conditions under which the
assumptions of realism were sufficient or needed to be supplemented by a more
complex model of change.»
7
contrainte est moindre ou s'exprime différemment que
par le passé, que la menace d'un recours à la force n'occupe pas
une place aussi centrale que chez les réalistes et qu'il faut prendre en
considération d'autres acteurs. Cependant, la théorie demeure une
vue de l'esprit et ne fait que rattacher des conséquences à des
principes. Comme toute théorie digne de ce nom, elle doit donc
être soumise à la fois au contrôle du raisonnement et de la
critique expérimentale (l'aller-retour entre les idées et les
faits)28. Nous évaluerons donc la valeur explicative de la
théorie de l'interdépendance complexe appliquée à
l'évolution de la relation sino-américaine post-Tiananmen,
évolution observée sous le prisme de la prise de décision
américaine. Notre étude soutiendra que la politique
américaine chinoise post-Tiananmen s'est affairée à
développer une relation d'interdépendance (qui avait timidement
émergé entre 1979 et 1989), afin d'apaiser les tensions
politiques générées par Tiananmen.
Muni de cet outil théorique, nous tenterons finalement
de répondre à la question centrale qui guidera notre recherche:
la politique chinoise de l'administration Bush, dont l'élaboration a
été profondément affectée par la crise politique de
Tiananmen, est-elle parvenue à développer une relation
d'interdépendance étroite avec la Chine au point d'apaiser les
tensions politiques ?
Ceci nous amènera à définir plus
précisément notre grille de lecture théorique et le
néolibéralisme de manière générale. Ce
passage apparaît indispensable si l'on veut identifier et comprendre
empiriquement les effets politiques (notamment) de l'interdépendance
dans les rapports sino-américains post-Tiananmen. Ce cadre conceptuel
directeur devrait nous aider à répondre à plusieurs
questions subsidiaires qui participeront du cheminement de notre réponse
à la problématique. Comment la nation américaine, qui a
elle-même condamné les massacres de Tiananmen, est-elle parvenue
à développer des liens très forts, de toutes natures avec
une puissance émergente qui cherche pourtant à briser son
leadership ? Le commerce a-t-il une réelle vertu pacificatrice en
situation de désescalade (post-crise) ? Ces interrogations secondaires
guideront par conséquent notre recherche et nous mèneront
à circonscrire de la manière la plus exacte et précise
possible, notre réponse à la problématique
posée.
Quant à notre matériau de recherche, celui-ci
sera composé de documents officiels, d'archives historiques
déclassifiées sur la politique étrangère et
militaire américaine provenant du site de la Digital National
Security Archive (plus spécifiquement du dossier China and the
US) et des sites de premières mains tels que celui du bureau du
recensement des Etats-Unis (United States Census Bureau
dépendant du département du Commerce) ou du National
Security Strategy Archive. Parmi les sources secondaires, citons un
certain nombre d'articles scientifiques provenant du site
28 DE MONTBRIAL Thierry, « Réflexions sur la
théorie des relations internationales », Politique
Etrangère, n°3, 1999, pp. 467-490. URL :
/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342x_1999_num_64_3_4876,
consulté le 11 mars 2015.
8
Jstor ainsi que plusieurs ouvrages de
références, pour la plupart américains et écrits
par des groupes de pensée (« think tank ») et des
spécialistes des affaires asiatiques ou d'anciens acteurs de la
politique américaine chinoise : Michel Oksenberg, Harry Harding, Robert
Suettinger, David Lampton, James Mann entre autres.
Ainsi, dans un premier développement nous
procéderons à une véritable dissection de notre support
théorique, Power and Interdependence de R. Keohane et J. Nye.
Cette opération sera l'occasion de revenir aux fondements du
libéralisme afin de replacer la théorie choisie dans la
discipline des relations internationales. Après ce détour
conceptuel, nous tenterons de définir aussi précisément
que possible l'interdépendance complexe dans le but d'en identifier les
caractéristiques principales et d'en dégager les outils
théoriques les plus pertinents. Le tout devra mettre en lumière
les concepts clés qui la structurent, essentiels à la lecture des
rapports étatiques internationaux.
A cette première partie largement théorique
succédera un développement nettement plus factuel, qui traitera
des implications stratégiques immédiates de Tiananmen sur la
relation sino-américaine. Il s'agira dans un premier temps de faire une
analyse historique de la crise de Tiananmen : ses origines, son
déroulement, son dénouement. Dans cette lecture à la
lumière de l'histoire nous examinerons ensuite les premières
prises de décision de l'administration Bush. Ceci nous permettra
d'introduire quelques mots sur l'appareil décisionnel américain
en exercice à cette époque, d'évaluer la réaction
américaine ainsi que la position du Président. Ensuite, nous
traiterons de l'après-Tiananmen et de la difficulté pour la
relation sino-américaine de trouver un nouveau cadre stratégique.
Nous évoquerons alors le challenge de la « renormalisation
» des rapports et l'influence du contexte international afin de
dégager les paramètres nouveaux de la relation
sino-américaine.
Enfin, et selon la logique de notre raisonnement qui consiste
à rapprocher les faits de la théorie, nous procéderons
à une critique expérimentale de l'analyse de la relation
sino-américaine post-Tiananmen à l'aune de
l'interdépendance complexe. Dans cette ultime partie il s'agira
d'appliquer les concepts clés, précédemment retenus, aux
rapports interdépendants sino-américains. Par cette
méthode nous apprécierons successivement les débuts
discrets de l'interdépendance complexe sino-américaine puis les
rapports de puissance qui s'y développent. A cette occasion nous
analyserons la structure du commerce entre Washington et Pékin, les
échanges secondaires qui en découlent et la manipulation
politique dont ceux-ci peuvent faire l'objet. Alors, nous pourrons juger du
degré d'asymétrie qui caractérise la relation
sino-américaine et de la rivalité qui en résulte.
L'ensemble facilitera l'élaboration de notre conclusion partielle dans
un dernier chapitre.
9
Partie 1 : L'interdépendance complexe comme cadre
analytique
Tel que nous venons de l'introduire, Power and
Interdependence de R. Keohane et de J. Nye constituera le corps
théorique dominant de notre étude. A titre d'avant-propos nous
débuterons notre recherche en situant l'école de
l'interdépendance complexe dans la discipline des relations
internationales. Cet exercice préliminaire nous permettra d'introduire
cette école de pensée plurielle et multiforme finalement
difficilement classable. A cette occasion, il s'agira de disséquer la
théorie des deux universitaires américains afin de la
définir, d'en faire une interprétation personnelle et d'en
identifier les caractéristiques. Cette vaste réflexion
conceptuelle s'achèvera par une appréciation plus empirique qui
s'appliquera à déterminer les concepts clés de
l'interdépendance complexe au regard de notre étude
sino-américaine post-Tiananmen.
Titre 1 : Power and Interdependence dans la
théorie des relations internationales
La manoeuvre peut sembler anodine mais elle répond
pourtant à la logique de ce mémoire que nous avons
préalablement définie : donner une clé de lecture
théorique et historique sur l'évolution de la relation
sino-américaine après Tiananmen. Par conséquent, replacer
Power and Interdependence dans l'histoire des idées revient
à livrer un avant-propos essentiel sur la dialectique
générale de notre mémoire.
Chapitre 1 : Aux fondements du libéralisme
Le libéralisme classique puise ses racines dans toute
une pensée philosophique de la paix dont le socle idéologique
repose sur la croyance en la possibilité de moraliser les relations
entre Etats.
Section 1 : Le libéralisme classique, fils de la
philosophie libérale : Erasme, Locke, Montesquieu
De manière chronologique, Frédéric
Charillon rappelle que le postulat selon lequel « la guerre ne paie
pas » est le fruit de la pensée d'Erasme
(1469-1536)29. Toutefois, lorsqu'Erasme écrit Complainte
de la paix en 1517, son discours demeure fortement imprégné
d'une idéologie
29 BLOM Amélie, CHARILLON
Frédéric, Théories et concepts des relations
internationales, Paris, Hachette Supérieur, 2001, p. 30.
10
chrétienne. La guerre est avant tout décrite
comme l'antithèse des préceptes des
évangiles30. On est donc encore loin de la philosophie
libérale. C'est avec John Locke, (1632-1704) que les premiers jalons du
libéralisme sont posés. Celui-ci est effectivement
considéré comme le père de l'idéologie
libérale et de la doctrine des droits de l'homme31. Ses
idées telles que le consentement du peuple comme assise du pouvoir ou le
droit naturel des individus à la propriété posent les
principes originels de la philosophie libérale et le spectre d'une toute
autre pensée : l'économie politique32. Toutefois, dans
la doctrine de John Locke, la sphère économique ne peut subsister
sans institution politique laquelle trouve sa raison d'être dans la
préservation de la propriété face aux dangers et
désordres inévitables que génère l'état de
nature. En ce sens, Locke conserve un point de vue clairement
hobbesien33. Ce détail est fondamental puisqu'il signifie que
même dans les profondeurs de la philosophie libérale, des
interpénétrations avec l'approche réaliste existent
déjà.
Montesquieu (1689-1755) à son tour développe une
pensée riche sur le plan des relations internationales. Il
s'intéresse ainsi au processus de pacification internationale, et
souligne aussi le poids des échanges34, soutenant la
thèse du « doux commerce » selon laquelle «
l'effet naturel du commerce est de porter la paix »35.
Bien que Montesquieu n'emploie pas directement l'expression de « doux
commerce » (c'est Albert Hirschman qui l'a répandue), il
reconnaît la capacité du commerce à réguler les
passions violentes (passions politiques notamment) et établit ainsi une
relation entre douceur et commerce: « c'est presque une règle
générale, que partout où il y a des moeurs douces, il y a
du commerce, et que partout où il y a du commerce, il y a des moeurs
douces »36. Les effets pacificateurs du commerce
décrits par Montesquieu s'appuient sur l'idée qu'en multipliant
les échanges, les gens se rapprochent et multiplient les comparaisons,
favorisant par conséquent la tolérance et l'adoucissement des
moeurs permettant de « guérir des préjugés
destructeurs »37. Très vite la thèse de
Montesquieu est reprise par Jérémy Bentham (1748-1832) qui la
popularise en Grande-Bretagne au XIXème siècle
affirmant que « tout commerce est par essence avantageux et toute
guerre par essence désavantageuse »38. Quelques
temps plus tard, John Stuart Mill s'inscrira dans le prolongement de ces
idées en soulignant que le commerce rend la guerre
contre-productive.39
30 RAMEL Frédéric, Philosophie des
relations internationales, Paris, SciencesPo Les Presses, 2011, p. 72.
31 Ibid., p. 176.
32 MANENT Pierre, Histoire intellectuelle du
libéralisme, Paris, Fayard, 2012, p. 104.
33 Ibid., p. 107.
34 RAMEL Frédéric, Philosophie des
relations internationales, op. cit. p. 244.
35 BATTISTELLA Dario, Théories des
relations internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2006, p. 186.
36 LARRERE Catherine, « Montesquieu et le
« doux commerce » : un paradigme du libéralisme »,
Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique, n°123, 2014, pp
21-38. URL :
http://chrhc.revues.org/3463.
Consulté le 18 mars 2015.
37 Ibid.
38 Jeremy Bentham cité par Dario Battistella
dans Théories des relations internationales, op. cit. p.
186.
39 RAMEL Frédéric, Philosophie des
relations internationales, op. cit. p. 309.
11
Section 2 : La paix kantienne
Au demeurant, dans la tradition libérale et pour les
internationalistes, le Projet de paix perpétuelle en Europe
(1795) de Kant demeure l'oeuvre la plus connue. Ce projet qui a
inspiré la Société des Nations et les théoriciens
de la paix démocratique40 est devenu depuis en Occident une
vision archétypale qui ne retient que la finalité du projet
kantien sans s'interroger sur les restrictions que le philosophe allemand
s'était fixées. Frédéric Ramel rappelle à
juste titre que Kant n'ignorait aucunement la réalité, ses
propositions n'ont d'ailleurs rien de radicales ni de révolutionnaires
et ne préconisent nullement l'établissement d'un gouvernement
mondial41. Assez paradoxalement Kant participe même aux
théories de la guerre nécessaire, postulant que parce qu'elle
suscite la peur entre les Etats, ceux-ci renoncent à la violence. Par
conséquent, comme Hobbes et Rousseau, Kant relève que
l'état de nature est « plutôt un état de guerre :
même si les hostilités n'éclatent pas, elles constituent
pourtant un danger permanent »42. Ainsi, Kant finit-il par
limiter volontairement son propos en définissant trois conditions
à la paix : dans tout Etat, la constitution doit être
républicaine (démocratique dirait-on aujourd'hui), le droit
cosmopolite incarné dans le libre-échange et
l'interdépendance économique et le droit des gens fondé
sur un fédéralisme d'Etats libres43.
Section 3 : Une thèse nuancée
Assez largement réfutée depuis, Kant émet
l'hypothèse de la nature intrinsèquement pacifique des
démocraties fondée sur l'idée que puisque les citoyens
décident et subissent les coûts d'une guerre, ils n'ont aucun
intérêt à voter en ce sens. Le décalage d'une telle
thèse à la réalité a forcé les chercheurs
à nuancer et étoffer leurs études pour s'émanciper
de la naïveté de la tradition kantienne. Ainsi, intégrant
des variables supplémentaires, des études tentent malgré
tout de réactualiser le champ empirique de la paix kantienne. Dans
l'article «Causes of Peace: Democracy, Interdependence, and International
Organizations, 1885-1992» les auteurs évaluent les effets de la
nature du régime interne, de l'interdépendance, de l'implication
ou non dans des organisations internationales et dans les cadres de discussion
multilatéraux, sur la probabilité que deux Etats soient
impliqués dans un conflit militaire. Sur ces bases-là et une
échelle de temps s'étalant de 1885 à 1992, la conclusion
tirée par les auteurs est la suivante : la probabilité qu'un
conflit éclate entre deux Etats diminue de 86% si ces derniers sont
dotés d'instances démocratiques, ont développé
une
40 Thème amplifié par les travaux de
Michael Doyle en 1983 dans son article Kant, Liberal Legacy and
Foreign Affairs, cité par ROCHE Jean-Jacques, Théories
des relations internationales, Paris, Montchrestien, 2004, p. 95.
41 RAMEL Frédéric, Philosophie des
relations internationales, op. cit. p. 285.
42 Emmanuel Kant cité par Dario Battistella
dans Théories des relations internationales, op. cit. p.
563.
43 ONEAL R. John, RUSSET Bruce, BERBAUM L. Michael,
« Causes of Peace: Democracy, Interdependence, and International
Organizations, 1885-1992 », International Studies Quarterly, art.
cit. p. 375.
12
interdépendance étroite et sont impliqués
dans des organisations internationales44. Notre étude quant
à elle s'attachera à évaluer l'influence de
l'interdépendance sino-américaine sur l'apaisement des tensions
politiques.
Largement inscrit dans l'histoire de la philosophie politique
des idées, le libéralisme constitue donc un concept
théorique incontournable des relations internationales. Au sein de cette
école libérale d'importants courants se sont
développés mais tous restent liés à la même
volonté d'appliquer aux relations internationales les principes
hérités de la philosophie du même nom.
Chapitre 2 : Le libéralisme en relations
internationales, une doctrine hétérogène
Alex Mcleod et Dan O'Meara tentent cependant d'identifier les
dénominateurs communs des multiples théories libérales
à commencer par les postulats ontologiques et
épistémologiques qui les structurent.
Section 1 : Ontologie et épistémologie des
libéraux
Le postulat ontologique de départ est finalement assez
proche de celui des réalistes : la structure du système
international est anarchique, composée d'Etats souverains agissant de
manière égoïste ce qui conduit parfois à des
conflits45. Initialement, l'absence de coopération demeure
donc prédominante dans ce schéma. En revanche, celle-ci demeure
possible et un but à atteindre afin de remplir les conditions de
prospérité auxquelles les Etats aspirent. Au contraire, c'est
parce que le système international est anarchique que la
coopération est nécessaire. C'est parce que l'action d'un autre
Etat dans la poursuite de ses intérêts propres entrave mon
acheminement tendant vers le même but, qu'une association devient une
option à envisager. A ce titre, le commerce constitue un facteur
essentiel de réduction des risques de conflit puisqu'il renforce
l'interdépendance entre ces acteurs. Leur comportement étant
guidé par un calcul coûts-bénéfices, celui-ci
apparaît effectivement comme un moyen rationnel de parvenir à
l'objectif de prospérité. Deuxièmement,
conformément aux idées maîtresses de la philosophie
libérale classique qui place l'individu et ses aspirations
élémentaires au premier plan, l'Etat est au centre des
préoccupations des libéraux car il est le plus à
même de représenter ces intérêts46. Mais
contrairement aux réalistes ou aux néolibéraux, fermement
stato-centrés, les libéraux admettent l'existence d'une
pluralité d'acteurs47. Le libéralisme repose
44 Ibid.
4545 MACLEOD Alex, O'MEARA Dan, Théorie des
relations internationales, contestations et résistances, Paris,
Athéna Editions, 2007, p. 93.
46 Ibid., p. 93.
47 Ibid.
13
donc sur une conception philosophique optimiste de l'Histoire
ce qui n'en fait pas pour autant une théorie purement idéaliste.
Les libéraux contemporains s'appuient en effet sur une
épistémologie empiriste48. Fondée sur
l'observation et l'expérience, leur démarche demeure
scientifique. Nous le verrons avec R. Keohane et J. Nye, il y a dans la
description des phénomènes, une volonté de rechercher les
relations de cause à effet et d'y trouver une explication à
l'aide d'indicateurs observables et quantifiables49. Cette relation
cohérente entre la raison, l'observation et l'interprétation,
fait du courant théorique libéral une approche largement reconnue
dans la discipline des relations internationales.
Section 2 : Le libéralisme, deuxième
approche générale principale des relations
internationales50
Le terme libéral est soumis à un usage
régulier, que ce soit dans le domaine politique ou économique,
pour désigner les demandes de liberté d'une société
civile refusant toute tutelle publique abusive.51 Dans le champ des
relations internationales sa signification est autre puisqu'il « remet
en cause la centralité de l'Etat tout en offrant une
représentation du monde où la force n'est plus
omniprésente. »52. De ce fait, l'approche
libérale, se présentant comme l'antithèse réaliste,
a été la principale concurrente du réalisme, et, comme le
souligne justement Dario Battistella, a même précédé
le réalisme dans la naissance de la discipline. Au
XXème siècle, les deux courants ont donc dominé
l'étude des relations internationales. Dans son ouvrage, l'auteur se
livre d'ailleurs à un brillant plaidoyer de la thèse
libérale en réfutant un certains nombres d'idées
reçues sur ce concept notant que le libéralisme en relations
internationales souffre d'une « connotation normative, sinon d'une
charge sémantique idéologique »53
très forte qui fragilise son image en tant que paradigme.
Section 3 : Les principaux courants libéraux
Malgré l'effort de synthèse des auteurs, il n'y
a pas une seule véritable théorie libérale, ce qui
explique la multitude de courants qui la composent. Nous suivrons ici les
contours de la liste dressée par Alex Mcleod et Dan O'Meara mais avec un
ordre différent : du plus au moins ancré dans la philosophie
libérale classique. Au sommet de celle-ci figure le
républicanisme qui s'appuie
48 Ibid., p. 94.
49 Ibid., p. 93.
50 BATTISTELLA Dario, Théories des relations
internationales, op. cit. p. 179.
51 ROCHE Jean-Jacques, Théories des
relations internationales, op. cit. p. 94.
52 Ibid.
53 BATTISTELLA Dario, Théories des
relations internationales, op. cit. p. 180.
14
sur le modèle de la Paix perpétuelle de
Kant54. Au deuxième rang, se trouve le pacifisme commercial
partagé par des économistes tels qu'Adam Smith (1804-1865),
Richard Cobden (18041865) et d'autres qui, s'appuyant sur les idées de
Montesquieu et de Kant, perçoivent le commerce comme un facteur de
bien-être et de paix. Ensuite, l'institutionnalisme libéral de
l'entre-deux-guerres ou internationalisme libéral dont l'origine remonte
aux 14 points du Président Wilson. Ce courant qui s'opposera aux
réalistes verra cependant leur victoire après la Seconde Guerre
mondiale, à l'issue du premier débat
inter-paradigmatique55. Parallèlement, le fonctionnalisme
émergera à l'initiative de David Mitrany (1888-1975) qui
s'intéressera aux processus d'intégration56.
Successivement, Ernst Haas, principale figure du néofonctionnalisme sera
d'ailleurs le professeur de J. Nye et R. Keohane57. Enfin,
apparaissent le transnationalisme et l'interdépendance complexe dont J.
Nye et R. Keohane sont les plus importants représentants et auquel
succédera le courant théorique
néolibéral58.
Cette longue parenthèse sur le libéralisme et
ses variantes consiste, dans le cadre des préliminaires de notre
étude, à situer Power and Interdependence dans la
discipline des relations internationales. L'ouvrage de R. Keohane et de J. Nye
pose en effet un certain nombre de difficulté et clive les chercheurs
quand il s'agit de le ranger dans une catégorie théorique des
relations internationales. Conclure sur cet aspect présentera l'avantage
d'introduire notre grille de lecture théorique et d'en circonscrire le
champ d'étude.
Chapitre 3: Conclusion
Par nos propos introductifs, nous venons de tracer les
contours du cadre analytique dans lequel s'inscrit Power and
Interdependence de R. Keohane et J. Nye. Néanmoins, par les
hypothèses qu'il suggère, les conclusions qu'il tire, les
postulats qu'il adopte (que nous mentionnerons plus tard), cet ouvrage scinde
les avis des spécialistes des relations internationales.
Concentrons-nous donc sur les analyses dont il fait l'objet afin de
dégager notre propre réflexion.
54 MACLEOD Alex, O'MEARA Dan, Théorie des
relations internationales, contestations et résistances, op. cit.
p. 97.
55 L'échec du système de
sécurité collective avec la SDN a démenti la
théorie libérale classique selon lequel le droit international
serait capable de régler les rapports de force.
56 MACLEOD Alex, O'MEARA Dan, Théorie des
relations internationales, contestations et résistances, op. cit.
p. 96.
57 Ibid., p. 97.
58 En effet, on reprochera aux deux concepts
centraux des relations internationales de s'attacher aux systèmes
plutôt qu'aux acteurs, aux mécanismes plutôt qu'aux valeurs.
De nouvelles pistes de recherche voient le jour, libéralisme et
réalisme apparaissent alors dans leurs versions néo
revisitées.
15
Section 1 : Les différents efforts de
classification
Dario Battistella note que l'oeuvre de R. Keohane et J. Nye
relève de deux approches, l'approche transnationale ou pluraliste.
Nuançant son propos, l'auteur admet que la perspective transnationaliste
se voit souvent nier le statut de paradigme à part entière des
relations internationales à cause de ses affinités avec le
libéralisme et pour cause reconnaît-il « les passerelles
sont nombreuses entre libéraux et transnationalistes contemporains
»59. Pour autant, d'après Dario Battistella ce qui
caractérise la perspective transnationaliste c'est qu'elle
s'émancipe de la tradition libérale tout en accentuant la remise
en cause du réalisme en voyant dans les individus et la
société de réels acteurs de la politique mondiale dont les
liens d'interdépendance peuvent être étatiques ou
non-étatiques60. Plutôt que de le considérer
comme une variante du libéralisme Dario Battistella range donc Power
and interdependence dans un courant qui a toute sa place au sein de la
discipline des relations internationales. Jean-Jacques Roche de son
côté inscrit les travaux de R. Keohane et J. Nye dans la
succession des institutionnalistes libéraux de l'entre-deux-guerres, en
qualifiant cette approche d'institutionnalisme néolibéral. Dans
la même optique, Andrew Moravcsik et Helen V. Milner considèrent
qu'une des trois caractéristiques de l'institutionnalisme
néo-libéral est sa description du système international
reposant sur l'idée d'anarchie et d'interdépendance61.
Sans parler de courant théorique à part entière,
Jean-Jacques Roche fait de l'interdépendance complexe une école
des relations internationales. Le programme de recherche lancée par les
deux auteurs américains en réaction au néo-réalisme
de Kenneth Waltz se présente selon lui comme un perfectionnement de
l'analyse stato-centrée par la prise en compte des besoins et des
capacités d'action de la société civile62. On
retrouve ici le même argument que Dario Battistella sous une
étiquette théorique différente. Plus surprenante est la
conception de Frédéric Charillon et Amélie Blom qui
rangent Power and Interdependence dans le néo-réalisme.
D'après eux en effet, R. Keohane et J. Nye rapprochent le
réalisme de certaines libérales se synthétisant alors en
une approche que les auteurs qualifient de pluraliste parce qu'elle tient
compte d'une pluralité d'acteurs63. Mais dans l'ensemble
jugent les théoriciens des relations internationales, le travail de R.
Keohane et J. Nye reprend les lignes directrices du néo-réalisme
: l'incapacité des institutions internationales à lutter contre
l'anarchie de la scène mondiale, l'existence d'une compétition
entre les Etats dans un jeu à somme nulle et l'importance des questions
de sécurité, de
59 BATTISTELLA Dario, Théories des
relations internationales, op. cit. p. 218.
60 Ibid., p. 220.
61 MORAVSCIK Andrew, MILNER Helen V., Power,
Interdependence, and Nonstate Actors in World Politics, Princeton,
Princeton University Press, 2009, p. 15: «A third characteristic of
neoliberal institutionalism is its description of the international system as
one embodying both anarchy and interdependence.»
62 ROCHE Jean-Jacques, Théories des
relations internationales, op. cit. p. 90.
63 BLOM Amélie, CHARILLON
Frédéric, Théories et concepts des relations
internationales, op. cit. p. 68.
16
quête de puissance. Pour A. Mcleod et D. O'Meara,
l'interdépendance complexe de R. Keohane et J. Nye est avant toute chose
une évolution de l'approche transnationaliste dont ils sont
eux-mêmes à l'origine64. Comme nous l'avons
détaillé précédemment à partir du catalogue
dressé par les deux auteurs canadiens, le transnationalisme et par voie
de conséquence Power and Interdependence, sont une variante
autonome du libéralisme.
Section 2 : L'avis nuancé de R. Keohane et J.
Nye
Un trait commun se dégage de toutes ces classifications
différentes : on peut avec certitude rapprocher Power and
Interdependence de la philosophie libérale. Relevons que les
premiers intéressés par la question affirment que leur
théorie de l'interdépendance partage des hypothèses
clés avec le libéralisme65 sans y être
profondément ancrée non plus. Les deux auteurs américains
précisent d'ailleurs que leur théorie prend pleinement en compte
la distribution de la puissance militaire, économique et le rôle
des Etats66. Mais en se focalisant sur les acteurs
non-étatiques et les contacts transfrontaliers, Keohane et Nye
s'éloignent du néo-réalisme et étoffent l'approche
libérale. Finalement les deux professeurs d'Harvard concluent avoir
voulu chercher à intégrer le réalisme et le
libéralisme en s'appuyant sur une conception de l'interdépendance
centrée sur la notion de négociation67. En fait
concluent Charles-Philippe David et Afef Benessaieh, Keohane et Nye ont
tellement sophistiqué leur concept qu'ils n'ont pas répondu
réellement, comme tout libéral l'aurait fait, au questionnement
du lien entre interdépendance et paix.
Section 3 : Interprétation
Nous conclurons donc de la sorte : Power and
Interdependence est au carrefour de plusieurs courants de la
théorie libérale ; le néofonctionnalisme (qui
s'intéresse aux processus d'intégration et aux régimes
internationaux), le transnationalisme qui intègrent d'autres acteurs aux
côtés de l'Etat ; et aux frontières de certains postulats
réalistes, l'Etat demeurant central dans les rapports,
égoïste et à la recherche de son intérêt. C'est
justement cette subtile association et ce caractère hybride qui font
tout l'intérêt de cette théorie. Parce qu'il s'appuie sur
des concepts réalistes, libéraux, transnationalistes, qu'il
s'intéresse aux processus de pacification, de coopération et
d'intégration au même titre que les rapports de force, Power
and Interdependence propose des hypothèses et des
64 MACLEOD Alex, O'MEARA Dan, Théorie des
relations internationales, contestations et résistances, op. cit.
p. 99.
65 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and
Interdependence, op. cit. p. 248: «our analysis was clearly rooted in
interdependence theory, which shared key assumptions with liberalism».
66 Ibid., p. 248.
67 Ibid., p.251: «In Power and
Interdependence, we sought to integrate realism and liberalism by using a
conception of interdependence that focused on bargaining.»
17
concepts pluriels applicables à différentes
échelles du système international. L'ensemble favorise ainsi la
compréhension des enjeux globaux et facilite l'interprétation des
rapports inter- et transnationaux.
A présent, il s'agit logiquement d'étudier cet
ouvrage fondateur de l'école de l'interdépendance complexe qui
constituera le support théorique principal de notre recherche. En effet,
puisque nous avons précisé que l'épistémologie des
libéraux à laquelle appartiennent en partie Keohane et Nye repose
sur des instruments de mesures astucieux, vérifions-en la
validité.
Titre 2 : La théorie de l'interdépendance
complexe de Robert O. Kehoane et Joseph S. Nye
Signalons d'emblée que nous disposons de la
deuxième édition de Power and Interdependence et
qu'à ce titre, les propos de R. Keohane et J. Nye ont été
parfois remaniés. La première édition date en effet de
1977, la seconde de 1989, l'invasion du Cambodge par le Vietnam, la guerre
Iran-Iraq, l'invasion de l'Afghanistan par l'URSS sont entre-temps
passés par là. Conséquemment, des nuances ont
été ajoutées dans leur travail que nous allons maintenant
analyser.
Chapitre 1: Définition de
l'interdépendance complexe
Afin d'appréhender la globalité de la
théorie de l'interdépendance complexe, il apparaît
nécessaire dans un premier temps de la distinguer des concepts qui s'en
rapprochent.
Section 1 : La nécessité de développer
le concept d'interdépendance
R. Keohane et J. Nye débutent le premier chapitre de
Power and Interdependence par une vague accroche : « We live
in an era of interdependence »68. Mais ce constat
émerge dès leurs premiers travaux avec Transnational
Relations and World Politics qui, dès 1972 tente de
démontrer les limites du paradigme réaliste. Les deux
théoriciens observent effectivement que la mondialisation et
l'intégration économique sont les traits dominants de la seconde
partie du XXème siècle69. Les processus
économiques transnationaux s'accélèrent à mesure
que le commerce et les investissements internationaux augmentent. En
découle une perméabilité des frontières, favorisant
l'ouverture des sociétés sur l'extérieur et l'estompement
de la frontière entre politique intérieure et
68 Ibid., p. 3.
69 DAVID Charles-Philippe David, BENESSAIEH Afef,
« La paix par l'intégration? Théories sur
l'interdépendance et les nouveaux problèmes de
sécurité », Études internationales, vol. 28,
n° 2, 1997, p. 227.
18
extérieure. Dès lors, l'Etat ne peut plus se
présenter comme l'acteur unique de la vie internationale. Le postulat de
départ est donc le suivant pour les auteurs: le paradigme
stato-centré est insuffisamment adapté pour étudier la
politique mondiale en transformation et ne décrit pas les configurations
complexes de coalitions entre acteurs de type différent70. Il
faut donc décentrer l'étude des relations internationales par
rapport à la figure de l'Etat et intégrer l'idée qu'il
existe des acteurs transnationaux autonomes menant leur propre politique
étrangère. Or si on veut accéder à une
compréhension globale du monde contemporain, l'étude des effets
réciproques entre relations transnationales et système
interétatique est indispensable71. Sur ces bases, R. Keohane
et J. Nye ont alors développé leur concept
d'interdépendance complexe, qu'ils ont enrichi de leurs observations et
de leurs réflexions depuis 1977 et sa première édition.
Section 2 : Définitions
Le terme interdépendance fait l'objet de nombreux
usages notamment dans le domaine économique pour désigner une
situation de sensibilité économique réciproque,
symétrique ou non72. Plus généralement, la
notion d'interdépendance est utilisée pour décrire une
« simple caractéristique relationnelle de l'environnement
international »73 caractérisant l'existence d'un
monde transnational et recouvrant une situation de dépendance
économique mutuelle avec un degré de réciprocité
plus ou moins important. Pour les auteurs, plusieurs distinctions doivent
être faites : il y a l'interdépendance qui fait
référence à une situation de dépendance mutuelle,
la dépendance qui désigne le fait d'être subordonné
ou considérablement affecté par des forces extérieures et
l'interdépendance qui, en politique mondiale, correspond à une
situation caractérisée par des effets réciproques entre
pays ou acteurs de pays différents74. Enfin, quand il y a
interaction mais sans effet de réciprocité, on parlera simplement
d'interconnexion75 : ainsi lorsque le bien partagé n'est pas
nécessaire au bien-être économique d'une
société (tel que les objets de luxe)76.
L'interdépendance complexe correspond donc à une influence
mutuelle entre deux Etats, résultant du grand nombre d'interactions qui
se sont tissées entre eux. Logiquement, le degré
d'interdépendance dépend de la qualité et de l'importance
des transactions : « il y a interdépendance là où
il y a des transactions
70 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S.,
Transnational Relations and World Politics, Harvard University Press,
Cambridge, 1972, p. 386.
71 Ibid., p. 336.
72 DAVID Charles-Philippe David, BENESSAIEH Afef,
« La paix par l'intégration? Théories sur
l'interdépendance et les nouveaux problèmes de
sécurité », art. cit. p. 231.
73 Ibid. p. 231.
74 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and
Interdependence, op. cit. p. 8.
75 Ibid. p. 9.
76 LETOURNEAU Jean-François, « Les
conséquences pacificatrices de l'interdépendance
économique et la montée des tensions entre la Chine populaire et
Taïwan au tournant du 21ème siècle »,
Mémoire de Master en science politique, Montréal,
Université du Québec à Montréal, 2009, p. 33.
19
significatives et réciproques
»77. Il s'agit donc d'une situation dans laquelle les
décisions et les actions d'un Etat ont un impact sur les autres acteurs
du système. Nous l'avons évoqué
précédemment, la théorie de l'interdépendance
complexe est plurielle et peut difficilement se limiter à une
définition classique. Moravcsik et Milner relèvent d'ailleurs que
l'interdépendance complexe recouvre plusieurs dimensions que l'unique
aspect économique. Nous en détaillerons les
caractéristiques dans les prochaines sections. La réflexion et
l'interprétation doivent donc succéder à la simple
explication lexicale du concept.
Section 3 : Interprétation
Pour prendre une image souvent utilisée,
l'interdépendance peut être représentée comme une
« toile d'araignée ». En ce sens, elle doit
être comprise comme une mesure dans laquelle des événements
survenant dans une partie du monde ou dans une composante du système
mondiale affectent chacune des autres composantes du système. Ainsi deux
conditions sont nécessaires pour qualifier une relation
d'interdépendante : d'une part les deux économies doivent
dépendre de l'une de l'autre et d'autre part, une partie des
échanges doit être essentielle au bien-être
économique ou à l'intérêt national78.
Pour aborder en avance une notion que nous
développerons dans cette partie, dans la structure internationale
décrite par R. Keohane et J. Nye, tout acteur est sensible et
vulnérable aux comportements des autres acteurs du système.
Cependant, R. Keohane et J. Nye s'éloignent de la vision des
institutionnalistes libéraux de l'entre-deux-guerres et du pronostic
selon lequel l'interdépendance créé un monde où la
coopération est susceptible de supplanter les conflits
internationaux79. En effet, leur théorie établit des
relations entre de multiples intervenants qui sont fondamentalement
inégaux. Cette inégalité des acteurs génère
en conséquence de cause une relation fondée sur une
réciprocité imparfaite. D'où la conclusion des auteurs :
« rien ne garantit que les relations considérées comme
interdépendantes soient caractérisées par un
bénéfice mutuel »80. La coopération
n'implique donc pas l'absence d'antagonisme dans le monde interdépendant
dépeint par R. Keohane et J. Nye même si en situation
d'interdépendance ceux-ci admettent que le recours à la force
pour résoudre le conflit est peu probable81.
L'interdépendance complexe recouvre des
77 MACLEOD Alex, O'MEARA Dan, Théorie des
relations internationales, contestations et résistances, op. cit.
p. 99.
78 LETOURNEAU Jean-François, « Les
conséquences pacificatrices de l'interdépendance
économique et la montée des tensions entre la Chine populaire et
Taïwan au tournant du 21ème siècle », op.
cit. p. 33.
79 BATTISTELLA Dario, Théories des
relations internationales, op. cit. p. 229.
80 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and
Interdependence, op. cit. p. 10: « Nothing guarantees that
relationships that we designate as «interdependent» will be
characterized by mutual benefit. »
81 Ibid., p. 25. Leur propos est toutefois
nuancé puisqu'ils admettent dans le même ouvrage que
l'asymétrie dans une relation entre deux acteurs étatiques peut
générer des tensions : p. 11 : « asymmetries in
dependence that are most likely
20
dimensions sociales, politiques, économiques,
environnementales, humanitaires, sanitaires etc., et s'appuie sur des notions
variées ce qui favorise la compréhension des rapports
internationaux. En fait, la théorie de l'interdépendance complexe
permet avant tout d'étudier empiriquement les relations mutuelles des
Etats, des rapports de puissance qui peuvent s'y développer et d'avoir
une vision complète et globale des négociations qui peuvent
s'exercer entre ces acteurs et ceux qui leur sont liés.
Chapitre 2: Les caractéristiques de
l'interdépendance complexe
R. Keohane et J. Nye ont construit leur modèle
d'interdépendance complexe en contradiction avec le réalisme afin
de dégager les différences entre les deux courants et de prouver
que l'interdépendance se rapproche davantage de la
réalité. Les deux théoriciens défient donc les
trois principales hypothèses de la théorie réaliste
à savoir que les Etats sont les seuls acteurs importants du
système international, que l'utilisation de la force demeure un outil
efficace en politique internationale laquelle est caractérisée
par une hiérarchisation des priorités, les questions militaires
et de sécurité étant les deux dominantes82.
Mais, comme nous l'avons évoqué précédemment, leur
théorie ne se veut pas une contestation radicale du réalisme. Par
conséquent, pour les auteurs, si dans certaines situations les
hypothèses réalistes seront exactes, dans la plupart,
l'interdépendance fournira une interprétation plus précise
de la réalité. Gardons à l'esprit également que le
réalisme et l'interdépendance ne reflètent pas la
réalité de la politique mondiale et restent des
idéaux83.
L'interdépendance complexe part de trois
hypothèses dont les auteurs estiment qu'elles s'appliquent assez bien
à certaines questions d'interdépendance économique
mondiale et parviennent à appréhender de manière globale
les relations entre certains pays. Ce sera l'objet de ce présent
travail, évaluer la théorie de l'interdépendance complexe
appliquée aux relations sino-américaines post-Tiananmen.
to provide sources of influence for actors in their
dealings with one another. Less dependent actors can often use the
interdependent relationship as a source of power in bargaining over an issue
and perhaps to affect other issues ». Les auteurs rejoignent alors
sur ce point l'interprétation réaliste de
l'interdépendance selon laquelle elle produit plus de tensions que de
stabilité car les entités étatiques seront soucieuses de
préserver leur autonomie. Pour plus de précision sur
l'interprétation réaliste de la théorie de
l'interdépendance complexe voir DAVID Charles-Philippe David, BENESSAIEH
Afef, « La paix par l'intégration? Théories sur
l'interdépendance et les nouveaux problèmes de
sécurité », op. cit. pp. 232-237.
82 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and
Interdependence, op. cit. p. 24.
83 Ibid.
21
Section 1 : Existence de relations interétatique,
transgouvernementale et transnationale84
La première hypothèse défendue par R.
Keohane et J. Nye postule que la politique mondiale contemporaine est
désormais caractérisée par des réseaux multiples
qui relient les sociétés entre elles. Ces réseaux incluent
des acteurs de différentes sortes ? gouvernementaux, non-gouvernementaux
(Dario Battistella parle d'acteur sub-étatique), et transnationaux ?
ainsi que plusieurs types de relations, interétatique,
transgouvernementale et transnationale. R. Keohane et J. Nye reprennent donc le
postulat réaliste avec le niveau interétatique, le nuancent en
admettant que l'Etat n'est pas la seule unité avec l'échelle
transgouvernementale et transnationale85.
Pour les deux auteurs, l'existence de plusieurs acteurs et de
niveaux de relations est directement observable notamment dans les pays
industrialisés. Les bureaucrates sont en contact permanent via les
télécommunications, les réunions internationales. Les
élites non-gouvernementales quant à elles sont fréquemment
en relation, par le biais des différents marchés, des
organisations telles quel la Commission Trilatérale ou des
conférences privées86. Enfin, au niveau transnational,
les firmes multinationales et les banques affectent largement les relations
interétatiques et les Etats. Ces acteurs pour R. Keohane et J. Nye,
jouent le rôle de courroie de transmission87 rendant les
politiques gouvernementales des pays plus sensibles à celles des
autres.
La conséquence c'est que ces acteurs et ces
différents niveaux de relation créent un tissu d'interaction qui
fait que les politiques intérieures empiètent les unes sur les
autres, les politiques économiques étrangères affectent
davantage les activités économiques d'un pays qu'auparavant. Les
politiques étrangères doivent donc élargir leur domaine
d'action. Ce qui nous amène à la deuxième
hypothèse.
Section 2 : Absence de hiérarchie dans la
sphère de la politique mondiale88
Celle-ci s'inscrit dans la continuité de la conclusion
de la première : l'agenda des politiques étrangères,
devenu plus large, plus varié n'est désormais plus simplement
subordonné aux questions militaires et sécuritaires. La force de
cette idée est qu'elle reprend un constat de H. Kissinger,
réaliste par excellence, sur les évolutions de l'agenda
diplomatique89. Celui-ci considère dès 1975 que les
problèmes liés à l'énergie, les ressources,
l'environnement, la population, l'utilisation de l'espace et des mers ont
rejoint les questions traditionnelles relevant de la high politics
(militaire,
84 Ibid., pp. 24-25: les auteurs parlent de «
Multiple channels » that « can be summarized as
interstate, transgovernmental, and transnational relations ».
85 Ibid., p. 25.
86 Ibid., p. 26.
87 Ibid. « they act as transmission belts
».
88 Ibid., p. 25: « Absence of Hierarchy among
Issues ».
89 Ibid.
22
sécuritaire, idéologique, territoriale). La
multitude de questions à traiter renforce la difficulté
d'élaboration et d'adaptation d'une politique étrangère
mais brouille les frontières de la low et de la high
politique au point de ne plus avoir de hiérarchie entre les
différents domaines de la politique mondiale. La priorité reste
la défense de l'intérêt général et
potentiellement, dorénavant celui-ci peut être atteint par tous
les domaines. En 1975, c'était le secteur de l'énergie qui
portait ainsi atteinte à l'intérêt
général.
Section 3 : Diminution du rôle de la force
militaire90
Enfin, et c'est là une hypothèse que R. Keohane
et J. Nye relativisent en partie dans leur seconde édition, celle du
rôle de la force militaire. Entre 1977 et 1989, les actions militaires se
sont multipliées dans les enjeux régionaux et internationaux. Les
théoriciens de l'interdépendance complexe prennent donc la
précaution de signifier que la force reste prépondérante
en tant que source de pouvoir dans biens des cas parce que la survie demeure
l'objectif primitif d'un Etat, et la force sa nécessaire garantie dans
les pires situations. Réserve faite, R. Keohane et J. Nye
perçoivent cependant qu'entre les puissances industrialisées en
particulier, le sentiment de sécurité, la perception de la menace
ainsi que les stratégies de défense ont évolué. La
force selon eux peut paralyser la réalisation d'autres objectifs devenus
tout aussi importants (économique notamment) et dans la plupart des cas,
l'utilisation de la force militaire engendre un coût dont les profits
sont incertains et en conséquence, elle est devenue de moins en moins
adéquate pour obtenir satisfaction. Toutefois, sur ce point R. Keohane
et J.Nye tempèrent largement leur propos. La probabilité qu'une
guerre interétatique éclate entre puissances
industrialisées existe : en ce sens les deux auteurs se détachent
d'un des fondements de la philosophie libérale à savoir, la paix
kantienne. D'autre part, le pouvoir militaire domine le pouvoir
économique dans le sens où les moyens économiques seuls
sont probablement inefficaces contre l'utilisation sérieuse de la force
militaire91. En revanche, quand l'interdépendance complexe
entre deux Etats prévaut, les gouvernements ont moins de chance de
recourir à la force.
A partir de ces hypothèses, Keohane et Nye
s'intéressent aux conséquences de cette interdépendance et
pour ce faire, élaborent deux instruments de mesure.
90 Ibid., p. 26: « Minor Role of Military
Force ».
91 Ibid., p. 26.
23
Chapitre 3: Les instruments de mesure de
l'interdépendance : «Sensitivity and vulnerability»
Effectivement, pour comprendre l'interdépendance et
notamment le rôle de la puissance, Keohane et Nye distinguent deux
dimensions : la « sensitivity » et la «
vulnerability »92 (sensibilité et
vulnérabilité).
Section 1 : La sensibilité
Le premier aspect de l'interdépendance, pour reprendre
les termes exacts des auteurs, « sensitivity » est
définie comme suit : « la sensibilité correspond au
degré de réactivité et à l'ampleur d'un changement
induit par un premier Etat dans un second pays »93. La
sensibilité dans une relation d'interdépendance se mesure par les
effets et changements qu'elle génère au sein d'une
société ou d'un gouvernement. Cette « sensitivity
» en situation d'interdépendance peut être sociale,
politique ou économique. R. Keohane et J. Nye prennent ainsi l'exemple
de l'effet de contagion social qui a frappé certains pays à la
fin des années 1960. La sensibilité renvoie à
l'idée qu'un événement isolé survenant dans un lieu
quelconque peut avoir des répercussions ailleurs94. Pour
certains théoriciens, il conviendrait de faire une distinction que la
sensibilité interdépendante décrite par R. Keohane et J.
Nye n'évoque pas mais que Hirschman et K. Waltz ont relevée
à travers le concept de dépendance. Pour David Baldwin il
conviendrait donc de parler plutôt de sensibilité
mutuelle95. Les deux auteurs américains admettent toutefois
que le mot interdépendance, rattaché au concept de
sensibilité, peut effectivement occulter certains aspects politiques de
la dépendance mutuelle. Ainsi, en termes de coûts de
dépendance la sensibilité correspond à subir des effets
dommageables provenant de l'extérieur avant même de pouvoir
modifier ses politiques internes pour faire évoluer la situation
initiale. Pour synthétiser, la sensibilité correspond aux
coûts immédiats encourus par l'effet d'une action
extérieure. Comme il est difficile d'adapter sa politique rapidement,
les conséquences directes d'un changement extérieur sont
facilement observables. Les effets produits dépendant alors de la
vulnérabilité du pays affecté.
92 Ibid., p. 12.
93 Ibid.
94 DAVID Charles-Philippe David, BENESSAIEH Afef,
« La paix par l'intégration? Théories sur
l'interdépendance et les nouveaux problèmes de
sécurité », art. cit. p. 236.
95 BALDWIN David A., « Interdependence and
Power: A Conceptual Analysis », International Organization, Vol.
34, n°4 (Autumn, 1980), p. 492. URL:
http://www.jstor.org/stable/2706510,
consulté le: 23/03/2015
24
Section 2 : La vulnérabilité
La « vulnerability » correspond au
deuxième instrument de mesure de l'interdépendance. Elle peut
être définie comme la possibilité offerte à un
acteur B de résister aux changements provoqués par un acteur
A96. Elle indique finalement les coûts d'une suspension de la
relation d'interdépendance97. La vulnérabilité
peut donc seulement être mesurée grâce aux coûts
qu'implique le réajustement de sa politique aux changements induits. En
ce sens, elle est particulièrement importante pour étudier la
structure politique d'une relation d'interdépendance98. La
vulnérabilité considère que ce sont les acteurs qui fixent
les règles du jeu et qu'en cela, ils sont les définisseurs de la
clause ceteris paribus99. A ce titre, la
vulnérabilité semble pour R. Keohane et J. Nye plus pertinente
que la sensibilité dans l'analyse des échanges. La clé
pour déterminer la vulnérabilité est d'évaluer
comment une politique forcée au changement peut efficacement
réagir et rétablir la situation et à quel prix. Elle
s'applique aussi bien aux relations sociopolitiques qu'aux relations
politico-économiques. En somme, la « vulnerability »
de R. Keohane et J. Nye représente les coûts d'ajustement
associés à un changement de politique afin d'abaisser le niveau
de sensibilité. En pratique, un pays plus vulnérable que son
partenaire sera plus facilement affecté structurellement par les
changements intervenus chez son voisin que l'inverse.
Une relation d'interdépendance soulève donc de
véritable stratégie d'équilibre de puissance,
l'idée étant de maintenir son seuil de
vulnérabilité et de sensibilité à un degré
plus faible que son partenaire.
Section 3 : Conclusion
Ainsi, pour R. Keohane et J. Nye, les acteurs du
système international, bien qu'indépendants, demeurent sensibles
et vulnérables aux comportements de chacun. Dario Battistella note en
effet que le comportement de tout acteur, dans le monde
d'interdépendance décrit par les deux auteurs américains,
« est affecté structurellement et réciproquement par le
comportement de tout autre acteur »100. Joseph Nye prend
ainsi l'exemple de la crise du pétrole de 1973 dont la rapide
flambée des prix du pétrole sur le sol américain a
révélé que les Etats-Unis étaient sensibles
à l'embargo sur l'Arabie Saoudite. En revanche, le degré de
vulnérabilité des Américains a été largement
compensé par le fait que 85% de l'énergie consommée
était produite sur
96 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and
Interdependence, op. cit. p. 13.
97 DAVID Charles-Philippe David, BENESSAIEH Afef,
« La paix par l'intégration? Théories sur
l'interdépendance et les nouveaux problèmes de
sécurité », art. cit. p. 236.
98 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and
Interdependence, op. cit. p. 15.
99 Ibid.
100 BATTISTELLA Dario, Théories des relations
internationales, op. cit. p. 228.
25
leur sol101. La vulnérabilité est
donc déterminée par le fait d'avoir des alternatives ou non dans
une situation de changement donnée.
Les deux termes ont donc pour point commun d'évoquer
les conséquences coûteuses éventuelles en cas
d'interruption des échanges entre des partenaires commerciaux. La
distinction réside dans le raisonnement suivant102 :
lorsqu'un Etat se retrouve confronté aux problèmes d'interruption
des échanges et n'aura que pour seule solution l'adoption d'une
politique nouvelle et différente (donc sur le long terme), celui-ci est
alors en situation de vulnérabilité. A l'inverse, si ce
même Etat a la capacité de substituer ce contact interrompu ou
qu'il se contente d'en supporter les dommages alors c'est qu'il sera en
situation de sensibilité.
C'est là l'un des points forts de la théorie de
l'interdépendance complexe : la nécessaire prise en compte du
changement. Ces deux instruments de l'interdépendance revêtent une
dimension stratégique primordiale lorsqu'une asymétrie
apparaît dans la relation: la connaissance de la sensibilité et de
la vulnérabilité de son partenaire ou rival peut en effet amener
à manipuler les déséquilibres pour prendre l'avantage dans
la relation. Au coeur de la théorie de l'interdépendance complexe
se trouvent donc un certains nombres de notions clés pour
appréhender la logique des rapports de force mondiaux.
Titre 3 : Des concepts clés pour l'étude
empirique des rapports sino-américains post-Tiananmen
Alex Mcleod et Dan O'Meara le rappellent,
l'interdépendance complexe « représente un état
du système international, plus idéal que réel
»103. Néanmoins, la théorie de R. Keohane et
J. Nye fournit des clés de lecture intéressantes pour notre
étude de la relation sino-américaine post-Tiananmen.
Chapitre 1: L'interdépendance dans la politique
mondiale
Au premier rang de ces concepts clés figure la
pertinence d'une observation plus en adéquation avec la
réalité du système international en constante
évolution.
101 NYE Joseph S., « Independence and Interdependence
», Foreign Policy, n°22 (Spring, 1976), pp. 133-134. URL:
http://www.jstor.org/stable/1148075,
Consulté le : 03/03/2015
102 LETOURNEAU Jean-François, « Les
conséquences pacificatrices de l'interdépendance
économique et la montée des tensions entre la Chine populaire et
Taïwan au tournant du 21ème siècle », op.
cit. p. 34.
103 MACLEOD Alex, O'MEARA Dan, Théorie des
relations internationales, contestations et résistances, op. cit.
p. 110.
26
Section 1 : La prise en compte d'une pluralité
d'acteurs et de dimensions relationnelles
Power and Interdependence est ouvertement né
d'une réaction au réalisme en perte de vitesse à la fin
des années 1970. Le rôle croissant des individus, des acteurs
transnationaux, des organisations internationales, des questions
économiques, la remise en question de l'efficacité du recours
à la force (impact de la défaite américaine du Vietnam
notamment) ont ainsi amené R. Keohane et J. Nye à
développer leur théorie. Par conséquent, l'Etat bien
qu'acteur principal du système international n'est plus tout seul, les
rapports internationaux ne sont plus seulement intergouvernementaux,
l'intérêt national et le comportement des Etats ne sont plus
homogènes et unitaires104. Il faut désormais prendre
en ligne de compte le rôle politique des mouvements
révolutionnaires, des fondations privées, des
sociétés multinationales, des acteurs gouvernementaux et
non-étatiques. Dans notre étude nous nous intéresserons
ainsi à l'influence de l'intégration de la Chine et des
Etats-Unis dans les organisations internationales multilatérales, au
poids du commerce sino-américain, les acteurs que celui-ci fait
intervenir, aux processus économiques transnationaux entre les deux
pays, le commerce des armes par exemple.
Section 2 : Organiser la politique extérieure dans un
monde interdépendant
D'autre part, penser l'interdépendance complexe du
monde c'est reconnaître que la traditionnelle distinction entre politique
extérieure et intérieure s'estompe parfois. Il faut donc offrir
un traitement particulier aux interconnections entre politique
étrangère et politique interne. C'est ce qui justifie notre angle
d'attaque du sujet : l'étude de la relation sino-américaine
post-Tiananmen au travers de la prise de décision américaine.
Nous nous situerons donc à deux échelles de politique
décisionnelle. D'après les auteurs, la politique
étrangère n'est en effet plus guidée (comme les
réalistes le préconisent) par le seul sens de
l'intérêt national, mais par une conception pluraliste de ce
dernier impliquant un processus d'ajustement permanent entre pressions internes
et contraintes externes105. Qui plus est, si la
sécurité nationale doit continuer d'occuper une place de premier
ordre dans la définition de la politique étrangère,
celle-ci ne doit plus forcément être perçue seulement sous
l'angle militaire. Dans un monde d'interdépendance complexe, l'agenda
diplomatique n'est donc plus dominé uniquement par les questions de
sécurité militaire, la hiérarchie des enjeux s'articule
autour de problématiques plus variées. La distinction entre
high et low politics se gomme progressivement, les
échiquiers non politico-militaires tels que le commerce, la finance,
l'énergie, la
104 Ibid. p. 99.
105 BATTISTELLA Dario, Théories des relations
internationales, op. cit. p. 230.
27
recherche technologique et spatiale s'insérant aux
côtés de l'échiquier
militaro-stratégique106. Notre travail s'intéressera
autant aux enjeux politico-stratégiques qu'économiques ou
perceptuels de la relation sino-américaine.
Section 3 : Penser l'interdépendance complexe du monde
: s'intéresser au processus de coopération
L'interdépendance complexe de R. Keohane et J. Nye
dépeint les conflits dans un monde de coopération sans y voir
cependant un facteur potentiel de dépassement de l'anarchie
interétatique107. Dorénavant, le recours à la
force est limité selon les auteurs par 4 conditions que sont : le risque
d'escalade nucléaire, la résistance des petits Etats, les effets
incertains ou négatifs que cela peut avoir sur les objectifs
économiques et les oppositions de l'opinion publique aux coûts
humains potentiels d'un conflit armé108. Ces propos sont
toutefois largement nuancés par les auteurs dans la seconde
édition et admettent que la guerre demeure une option pour un certain
nombre d'acteurs. De plus, pour les deux théoriciens, dans un monde
interdépendant, les Etats perdent de leur « contrôle sur
les résultats »109 ce qui les incite à
développer des actions collectives dans le cadre de la diplomatie
multilatérale. Cette idée, nous le verrons, est tout à
fait pertinente appliquée au cas de la dimension relationnelle
sino-américaine à l'ONU au moment de la Guerre du Golfe.
Néanmoins, plus que l'interdépendance en tant
que telle c'est l'évolution de la puissance en situation
d'interdépendance qu'analysent R. Keohane et J. Nye110.
Chapitre 2: La notion de puissance et d'influence au
coeur de l'interdépendance
Grâce aux deux instruments de mesure qu'ont
développés les auteurs, les rapports de puissance sont au centre
de l'analyse de l'interdépendance complexe.
Section 1 : L'interdépendance
asymétrique
La notion de puissance, que R. Keohane et J. Nye
définissent comme la capacité d'un acteur à obtenir des
autres ce qu'il désire, peut être dégagée en
situation d'interdépendance au moyen de
106 Ibid., pp. 226-227.
107 Ibid., pp. 230.
108 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and
Interdependence, op. cit. p. 246.
109 « Power over outcomes », NYE Joseph S.,
« Independence and Interdependence », art. cit. p. 147.
110 BATTISTELLA Dario, Théories des relations
internationales, op. cit. p. 230.
28
deux instruments de mesures précédemment
définis : « sensitivity » et «
vulnerability »111. Ces deux concepts permettent
effectivement de comprendre le rôle de la puissance dans une situation
d'interdépendance. L'idée s'inscrit dans la continuité des
autres hypothèses développées par les auteurs: dès
lors que le rôle militaire diminue, les acteurs s'appuient sur d'autres
outils pour défendre leur position telle que la manipulation d'une
situation d'interdépendance asymétrique. En effet, puisque les
acteurs sont sensibles et vulnérables au comportement des autres,
l'interdépendance est rarement symétrique. C'est
précisément cette asymétrie qui est source d'influence
entre les unités du système international112. Quelque
soit la nature de l'interdépendance (interétatique,
transnationale, intergouvernementale, sub-étatique...), celle-ci
mène potentiellement à une relation d'influence dont la
réciprocité est imparfaite. Si la sensibilité jette les
bases de ce jeu d'influence, la vulnérabilité de l'acteur la rend
effective. Pour les auteurs, un différentiel de sensibilité
conférera donc moins de pouvoir qu'un différentiel de
vulnérabilité.
Section 2 : L'exemple de Keohane et Nye
R. Keohane et J. Nye prennent l'exemple du commerce agricole
américano-soviétique entre 1972 et 1975. Initialement les
Etats-Unis ont été extrêmement sensibles aux achats de
céréales par les Soviétiques : les prix ont alors
grimpé. De même, en URSS l'absence de stock de
céréale américain pouvait avoir des répercussions
politiques ou économiques. En revanche, en termes de
vulnérabilité, l'URSS était nettement plus exposée
que les Américains : eux avaient plusieurs alternatives : stocker ces
céréales, baisser les prix sur leur territoire pour en favoriser
l'achat tandis que les Russes n'en avaient qu'une seule. Par conséquent,
le commerce de céréales constituait un levier dans les
négociations américano-soviétiques. La conséquence
d'une asymétrie dans une relation d'interdépendance est donc de
ne pas déboucher sur un partage équitable des
bénéfices, lequel peut être manipulé pour parvenir
à des fins de domination politique ou stratégique.
Section 3 : Une dimension stratégique
éloquente dans le cas de la relation sino-américaine
L'interdépendance en ce sens, recouvre une dimension
stratégique parce qu'elle peut faire l'objet d'une manipulation à
des fins politiques. En ce qui concerne notre étude nous verrons
notamment que la délivrance du statut de la nation la plus
favorisée (MFN Status) par les Américains aux Chinois
constituera à la fois un moyen de négociation efficace dans la
relation mais aussi un facteur de dissension interne au sein de l'élite
politique américaine. Cependant, manipuler
111 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and
Interdependence, op. cit. p. 11.
112 Ibid., p. 18.
29
les vulnérabilités économiques ou
sociopolitiques d'un acteur n'est pas sans risque. Cela peut porter
préjudice à la relation sur le long terme parce c'est source
d'affront. Les auteurs nous rappellent d'ailleurs que cela peut
générer des représailles militaires.
Une interdépendance asymétrique peut donc
être source d'influence lorsque sur les deux Etats
interdépendants, l'un manipule l'avantage comparatif qu'il
possède dans un domaine précis sur son rival. La question, en ce
qui nous concerne, sera de savoir si l'interdépendance
sino-américaine post-Tiananmen a renforcé les
intérêts communs et apaisé les tensions ou bien à
l'inverse conduit à la permanence de celles-ci. Effectivement,
l'interdépendance sino-américaine était imparfaite, des
deux côtés. Une Chine en montée en puissance pour l'un, un
leadership américain usant de sa suprématie pour l'autre. Notre
analyse vérifiera si l'aspect vital et stratégique de
l'interdépendance l'a emporté sur le sentiment de crainte et de
méfiance.
Chapitre 3: Les régimes internationaux et leur
importance dans le cas sino-américain
Le troisième concept majeur de Power and
Interdependence concerne les régimes internationaux. Bien que
l'ouvrage ne soit pas à l'origine de cette notion, il montre en revanche
comment celle-ci peut être utilisée pour une analyse empirique des
relations de toute nature113.
Section 1 : Un concept éclairant pour comprendre
l'interdépendance
Pour R. Keohane et J. Nye, l'étude des régimes
internationaux éclaire concrètement la compréhension du
concept d'interdépendance. Ils empruntent la notion à John G.
Riggie qui l'a développé en 1975 et qui y voit « un
ensemble d'anticipations communes, de règles et de régulations,
de plans, d'accords et d'engagements f...] qui sont acceptés par un
groupe de pays. »114. Nos deux auteurs, eux, le
définissent comme un ensemble de normes, d'ententes, d'arrangements et
de règles qui gouvernent les relations
d'interdépendance115. Ainsi, bien que la politique mondiale
entre les Etats demeure assez largement anarchique (compte tenu de l'absence de
normes juridiques telles qu'il peut y en avoir en politique interne), il existe
quelques cadres institutionnels internationaux. Si les Etats sont
égoïstes par essence, l'idée sous-jacente de R. Keohane et
J. Nye c'est qu'ils peuvent être amenés à la
coopération au sein de structure dont ils eux-mêmes établis
les règles pour encadrer leur rapport. Pour les auteurs, même si
l'intégration globale reste faible, que la plupart des organisations
internationales ou normes fixées sont
113 Ibid. p. 257.
114 John G. Riggie cité par BATTISTELLA Dario,
Théories des relations internationales, op. cit. p. 450.
115 « We refer to the sets of governing arrangements
that affect relationships of interdependence as international regimes
», KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and
Interdependence, op. cit. p. 257.
30
insignifiantes, des régimes internationaux
spécifiques peuvent avoir des effets importants dans des situations
d'interdépendance invitant quelques pays à coopérer sur
des domaines précis116 : « paix et
sécurité internationales (ONU), échanges commerciaux
(GATT, OMC), relations monétaires et financières (FMI et BIRD),
course aux armements (TNP, ABM) »117. Les régimes
internationaux sont donc perçus par R. Keohane et J. Nye comme des
intermédiaires entre la structure du pouvoir dans le système
international et les négociations politiques et économiques qui
s'y exercent118. L'Accord général sur les tarifs
douaniers et le commerce (GATT) constitue le premier exemple de prototype de
régime international. Derrière cette étude sur les
régimes internationaux, R. Keohane et J. Nye questionnent avant tout les
conditions auxquelles les Etats sont prêts à se soumettre à
des normes, des procédures pour faciliter la coopération.
Section 2 : Les effets des régimes internationaux sur
la coopération
Bien évidemment, le degré d'efficacité de
ces régimes varie, si bien que ces derniers peuvent changer. A cet
égard, les deux auteurs proposent quatre explications à l'origine
de ces changements de régimes internationaux : la première relie
les changements de régimes aux évolutions technologiques et
économiques, les deux autres sont structurelles : l'une s'appuie sur la
structure globale du pouvoir, l'autre se concentrant sur la répartition
des pouvoirs au sein du système international. Enfin, la dernière
repose sur un modèle d'organisation internationale qui postule qu'au
sein des réseaux de relations, de normes, d'institutions, il existe des
facteurs indépendants qui permettent d'expliquer ces changements de
régime119. Il faudra donc porter un regard attentif sur les
processus d'intégration des organisations internationales lesquelles
constituent la porte d'entrée des régimes
internationaux120. Tout bien considéré, le
résultat de ces postulats est de tester la validité de la
théorie de la stabilité hégémonique. Finalement, il
s'agira, nous concernant, de s'intéresser aux effets des régimes
internationaux sur le comportement de la Chine et des Etats-Unis. En 1986, la
RPC entame son protocole d'accession au GATT et puis signe le Traité de
Non-prolifération en 1992. Ces deux procédures sont loin
d'être anodines dans le contexte sino-américain post-Tiananmen.
Nous évaluerons donc la portée de ces actions sur la relation
afin de déduire la valeur explicative de la théorie de
l'interdépendance complexe.
116 Ibid., p. 21.
117 BATTISTELLA Dario, Théories des relations
internationales, op. cit. p. 450.
118 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and
Interdependence, op. cit. p. 21.
119 Ibid. chapitre 3 : « Explaining international regime
change » pp. 38-60.
120 KENT Ann, « China, International Organizations and
Regimes: The ILO as a Case Study in Organizational Learning », Pacific
Affairs, Vol. 70, n°4 (Winter, 1997-1998), p. 519. URL:
http://www.jstor.org/stable/2761321
Consulté le 03/03/2015.
31
La dissection théorique que nous venons d'opérer
a permis de dégager les concepts forts de notre ouvrage de
référence. Qu'il s'agisse des hypothèses
spécifiques de R. Keohane et J. Nye (existence de plusieurs niveaux de
relations interétatique, absence de hiérarchie des enjeux), des
instruments de mesure à notre disposition (variables sensible et
vulnérable), tous ces éléments permettront de mettre en
évidence l'évolution de la relation sino-américaine
après Tiananmen. Nous venons de voir qu'effectivement l'école de
pensée développée par R. Keohane et J. Nye, de par son
caractère hétéroclite, assure une compréhension
globale des enjeux internationaux. L'étude factuelle, objet de notre
deuxième partie, consistera par conséquent, à s'appuyer
sur ces bases théoriques pour faire une lecture approfondie des rapports
sino-américains post-Tiananmen. L'ensemble permettra dans un dernier
temps de valider ou d'infirmer les suppositions de Power and
Interdependence. D'abord, intéressons-nous concrètement
à la crise de Tiananmen et ses répercussions immédiates
sur la prise de décision américaine.
32
Partie 2 : L'importance stratégique de
l'après-Tiananmen dans les fondements de la relation
sino-américaine
Après l'administration Nixon, chaque Président
américain nouvellement élu s'efforça de modifier le style
ou le contenu de la politique américaine chinoise. A l'inverse, lorsque
George Herbert Bush fut élu et investi le 20 Janvier 1989, celui-ci
avait bien l'intention de prolonger la politique de ses
prédécesseurs121. Son discours d'investiture s'acheva
ainsi : « Je vois l'histoire comme un livre fait de nombreuses pages
que nous remplissons chaque jour d'actes, d'espoir et de raison. Une nouvelle
brise souffle, une page se tourne et l'histoire suit son cours.
»122. Paradoxalement, c'est le Président
américain qui dut faire face aux changements les plus brutaux de
l'ère contemporaine sino-américaine. Sans qu'il ne le sache
encore, la relation sino-américaine allait tourner les pages de son
histoire, plus rapidement que prévu.
Titre 1 : Tiananmen, point de rupture d'une crise
politique sino-américaine
Le 4 Juin 1989, la répression chinoise place Tiananmen
allait en effet précipiter une des plus graves crises politiques
sino-américaines depuis 1949. Tel que l'énonce Robert Suettinger,
une étude de l'impact de Tiananmen implique une analyse sur plusieurs
niveaux de prises de décision. Dans ce premier titre il s'agira
d'étudier les ressorts du soulèvement populaire chinois, son
déroulement et ses conséquences immédiates.
Chapitre 1 : L'arrivée au pouvoir de George Bush
et l'émergence de la crise de Tiananmen
Dès son arrivée à la Maison-Blanche,
George Bush prêta une attention particulière à la politique
à adopter à l'égard de la RPC. Ayant oeuvré
directement au rapprochement sino-américain dans les années 1970,
il comptait cultiver sa réputation d'« inveterate china lover
».
Section 1: G. Bush, «an inveterate China
lover»123
Par son parcours et sa politique à l'égard de la
Chine, on retient de George Bush un homme d'Etat qui a constamment
cultivé des liens étroits avec l'Empire du milieu. Pourtant, ce
ne fut pas
121 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 175.
122 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, Los Angeles, University of California
Press, 2001, p. 17: « I see history as a book with many pages, and
each day we fill a page with acts of hopefulness and meaning. The new breeze
blows, a page turns, the story unfolds. »
123 MANN James, About Face: A History of America's Curious
Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p. 175.
33
toujours le cas. Cependant que Nixon et Kissinger tentaient de
placer les Etats-Unis et la Chine sur la voie de la normalisation, Bush lui,
avait oeuvré à conserver le siège de membre permanent de
Taïwan au Conseil de Sécurité de l'ONU. De même,
lorsque Jimmy Carter établit officiellement des relations avec
Pékin, George Bush était devenu l'un des leaders
républicains les plus critiques à l'égard des
démocrates sur la politique chinoise adoptée124. En
réalité, ce n'est qu'une fois que les liens diplomatiques furent
solidement forgés que George Bush se fit l'ardent défenseur du
caractère stratégique de la relation sino-américaine.
Déjà, au cours de son expérience en tant que chef du
bureau des représentations en Chine d'Octobre 1974 à Août
1975, George Bush entretint des rapports privilégiés avec
certains des hauts dirigeants chinois. Ce vécu lui servit lors de sa
campagne présidentielle au cours de laquelle il reçut le soutien
de Deng Xiaoping qui rappela combien Bush avait travaillé à la
normalisation de la relation en occupant ce poste125. Plus parlante
encore fut la visite de G. Bush à l'ambassadeur Chinois Han Xu en
Décembre 1988, qui révélait les intentions du futur
Président américain dans sa politique à l'égard de
Pékin126.
Section 2 : Une fragile interdépendance
sino-américaine
Dès lors qu'il fut investi de la présidence,
George Bush, sous les recommandations de son conseiller à la
sécurité nationale Brent Scowcroft, envisagea donc très
vite un voyage diplomatique en Chine. D'abord pour rencontrer les leaders
chinois, évaluer et améliorer la relation mais aussi pour
anticiper un potentiel rapprochement sino-soviétique127. Le
prétexte fut vite trouvé : l'empereur japonais Hirohito
décéda le 7 Janvier 1989, les funérailles nationales
furent programmées pour le 24 Février. Le lendemain, le
Président américain se rendit à
Pékin128. Dans le même temps, le 26 Janvier 1989
paraissait un premier mémorandum sino-américain concernant le
commerce international et les services de lancement spatiaux
commerciaux129, signe que la relation sino-américaine
s'installait sous les meilleurs auspices. Qui plus est, près de 15 ans
après la normalisation, les économies chinoise et
américaine commençaient à s'engager sur la voie de la
mutualisation des intérêts économiques130. Pour
les dirigeants des deux pays, ce mouvement était perçu comme une
alternative fiable dans l'évolution de la relation. Une
complémentarité émergeait
124 Ibid., p. 175.
125 Ibid., p. 176.
126 Ibid., p. 176.
127 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 17.
128 Ibid.
129 OFFICE OF THE US TRADE REPRESENTATIVE, « Memorandum of
agreement between the
Government of the United States of America and the Government
of the People's Republic of China regarding International Trade in Commercial
Launch Services - 26th of January 1989 », Digital
National
Security Archive, China and the U.S., 26p.
130 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 215.
34
progressivement entre la puissance la plus
développée de la planète et le plus puissant pays en
développement. Chacun y trouvait son compte : les Etats-Unis, un
marché étranger prometteur pour ses exportations, un
marché de l'investissement en expansion, la Chine, un accès
à la technologie et au vaste marché américain qui, friand
de ses biens de consommation, constituait une source non négligeable de
revenu131. Enfin, pour les Américains, cette économie
de marché socialiste exponentielle nourrissait l'espoir de voir à
terme leur modèle capitaliste et démocratique remplacer les
institutions léninistes et maoïstes chinoises.
Section 3: Les premiers signes de crise
Cependant, la réalisation des espoirs américains
dépendaient largement des réformes chinoises qui demeuraient
encore bien loin des idéaux américains. G. Bush s'en
aperçut dès la planification de son voyage à Pékin
en Février à l'occasion duquel il constata également une
nouvelle donne concernant l'opinion publique américaine. En effet, lors
de son séjour, un banquet fut proposé, regroupant des
businessmen, des cadres politiques ainsi que Fang Lizhi, astrophysicien,
opposant connu du régime chinois et défenseur de la
démocratie dans son pays. La liste des invités du banquet,
proposée par l'ambassadeur américain en Chine Winston Lord, fut
donc soumise aux dirigeants chinois qui décidèrent
secrètement et unilatéralement de bloquer l'accès de Fang
le jour du banquet132. Depuis Nixon et deux décennies de
réunion au sommet, jamais un tel incident diplomatique n'avait eu lieu
entre les délégations américaine et chinoise.
L'ambassadeur américain fut blâmé pour cette
déconvenue mais surtout, cet épisode alerta les Américains
sur la situation interne en Chine. Un rapport de la CIA publié le
même mois fait ainsi écho de l'état du régime
chinois et étudie les possibilités d'un renversement du
secrétaire général du parti de l'époque, Zhao
Ziyang. La note des services secrets américains indique effectivement
que si le leader du parti ne parvenait pas à réguler
l'économie chinoise en surchauffe (importance de l'inflation), les
risques de déstabilisation politique seraient nombreux133. A
l'occasion de son voyage, G. Bush prit également conscience que
l'opinion américaine attendait de sa diplomatie une conduite exemplaire
sur le plan moral134. Or les excuses de l'administration G. Bush
adressées au régime chinois après l'incident diplomatique
firent défaut à cette exigence. La crise politique de Tiananmen
allait à nouveau mettre l'administration américaine à
l'épreuve.
131 Ibid.
132 Ibid., p. 19.
133 U.S. CENTRAL INTELLIGENCE AGENCY, « China: Potential
for Crisis - 9th of February 1989 », Digital National
Security Archive, U.S. Intelligence and China: Collection, Analysis, and Covert
Action, 10p.
134 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 18.
35
Chapitre 2 : Le 4 Juin 1989, point de non retour
Après dix ans de réforme, Pékin montra
d'importants signes de déstabilisation politique. La crise politique de
Tiananmen qui pointait dangereusement allait porter un coup très dur au
régime et au statut international de la RPC. Intéressons-nous
donc aux faits qui ont mené à cette crise politique
inouïe.
Section 1 : Les origines du soulèvement populaire
chinois
Les dirigeants chinois allaient bientôt se heurter aux
tensions inhérentes au programme de réformes
présidé par Deng Xiaoping, Hu Yaobang et Zhao
Ziyang135. Dès 1977, la voie empruntée par Deng fut
effectivement celle d'un changement brutal qui porta très vite ses
fruits sur le bien-être général de la population
chinoise136. Un vent de libéralisation politique souffla
même quelque temps avant d'être très vite stoppé. A
la fin de la décennie 1980 en revanche, les effets indésirables
des réformes devinrent plus prégnants : corruption,
inégalité, inflation croissante137. L'insatisfaction
du peuple chinois sur ces conséquences négatives se fit de plus
en plus ressentir. A plusieurs reprises au cours de la décennie des
mouvements sporadiques éclatèrent, révélant le
malaise latent au sein de la société chinoise : en 1985, en
réaction au « nouvel impérialisme économique
japonais », en soutien à la politique réformiste de Hu
Yaobang fin 1986, en faveur d'une libéralisation politique en 1987 et
à la mi-1988138. Les choses s'accélèrent
à la mort de Hu Yaobang le 15 avril 1989139,
secrétaire général du parti, écarté du
pouvoir en 1986 lorsque les conservateurs lui reprochèrent ses
indécisions face aux mouvements étudiants140. Alors
qu'une manifestation regroupant des étudiants et des intellectuels
était déjà prévue à l'occasion du
70ème anniversaire du mouvement du 4 Mai, la contestation
s'organisa dès le 16 avril, lorsque les admirateurs de Hu
déposèrent des gerbes au pied du héros du peuple de la
place Tiananmen141.
135 KISSINGER Henry, De la Chine, Paris, Fayard, 2012,
p. 397.
136 Ibid. pp. 395-396.
137 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 217.
138 BERGERE Marie-Claire, « Tian'Anmen 1989 »,
Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n°27,
juillet-septembre 1990, p. 4. URL :
/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1990_num_27_1_2257,
consulté le 1er avril 2015.
139 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 28.
140 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 398.
141 Ibid., p. 29.
36
Section 2 : L'escalade de la crise
Parallèlement, alors que commençait à se
planifier la rencontre des délégations soviétiques et
chinoises prévue pour le 15 Mai 1989, les événements
s'intensifièrent142. Après les premières
commémorations de Hu en Avril, les étudiants à
Pékin et dans d'autres villes exprimèrent leur
mécontentement devant la corruption, l'inflation, et la restriction de
la presse. Le 19 Avril, des confrontations violentes éclatèrent
entre les manifestants et les représentants des forces de
l'ordre143. Tandis que les commémorations à la
mémoire de Hu devaient avoir lieu le 22 Avril à 10h, le
gouvernement chinois prévit de fermer l'accès à la place
Tiananmen deux heures avant le début de celles-ci. Anticipant les
décisions des dirigeants, 100 000 étudiants se rendirent sur la
place la veille au soir144. Les sujets d'indignation disparates
mutèrent bientôt en révolte: l'occupation de la place
initialement temporaire, devint permanente. Le soulèvement se propagea
à d'autres grandes villes, les trains, les écoles et les
principales voies de la capitale furent bloquées145.
Dès le mois de Mai, un premier rapport des services secrets
américains rendaient compte de l'état des protestations en Chine
et de ses évolutions potentielles, révélant une
étonnante connaissance de la situation de soulèvement en Chine et
des inquiétudes américaines à cet
égard146. La rencontre sino-soviétique qui devait
avoir lieu au sommet147 dut se tenir loin de Tiananmen, hors de la
présence du public, la place étant assiégée de
manifestants. Le 19 Mai 1989, Zhao Ziyang fit une ultime visite de la place
Tiananmen148. Le 20, Deng donna l'ordre de regrouper 150 à
200 000 soldats de l'Armée Populaire de Libération dans des camps
en dehors de la ville149. Face aux fractures au sein du parti quant
à la politique à adopter par rapport aux manifestants, le 22,
Zhao Ziyang fut relevé de ses fonctions. Le 2 Juin, la décision
finale des leaders communistes chinois étaient enterrées,
après plusieurs semaines d'hésitations et de graves divisions,
Tiananmen devait être dégagée de ses
manifestants150.
142 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 223.
143 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 30.
144 Ibid., p. 31.
145 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 399.
146 U.S. CENTRAL INTELLIGENCE AGENCY, « Perspectives on
Growing Social Tension in China - May 1989 », Digital National
Security Archive, U.S. Intelligence and China: Collection, Analysis,
and Covert Action, 21p.
147 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « The USSR and China at the
Summit: Common Goals, Enduring Differences - 14th of May 1989
», Digital National Security Archive, China and the U.S., 12p. :
le rapport indique qu'il n'y avait pas eu de telle rencontre entre dirigeants
soviétiques et chinois depuis 30ans. La note du département
d'Etat livre un bilan particulièrement intéressant de Gorbatchev
et Deng Xiaoping.
148 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 49.
149 Ibid., p. 54.
150 Ibid., p. 58.
37
Section 3 : La répression place Tiananmen
Selon H. Kissinger, les manifestations
réveillèrent chez Deng Xiaoping la peur historique du chaos et de
la Révolution culturelle151. C'est donc la répression
qui prévalut dans les options politiques des dirigeants chinois. Ainsi,
dans la nuit du 3 au 4 Juin 1989, près de deux semaines après que
la loi martiale fut appliquée, 10 à 15 000 soldats de l'APL
intervinrent aux environs de la place Tiananmen pour lever les barricades
(à 5 à 6 km selon le rapport du département
d'Etat)152. Les premiers coups de feu furent tirés sur la
foule à quelques kilomètres à l'ouest de la place
Tiananmen aux alentours de 22 heures153. Vers une heure du matin, le
4 Juin, les premières unités de l'APL atteignirent la place
Tiananmen. La foule, évaluée entre 3 000 et 5 000 personnes,
défia l'armée chinoise qui engagea des tirs contre
elle154. Vers 5h30, la sanglante répression place Tiananmen
était terminée. Néanmoins, les trois jours qui suivirent
cette opération installèrent un climat de guerre civile dans la
capitale chinoise155 : la répression se poursuivit, les
mouvements insurrectionnels aussi156. L'évacuation des
Américains s'organisa rapidement157. Les journalistes
étrangers, présents à l'origine pour la rencontre
sino-soviétique les deux semaines précédentes,
captèrent des images stupéfiantes pour l'occident de
l'insurrection et de la répression brutale menée par le
régime.
Le bilan en termes de victimes reste à l'heure actuelle
toujours difficile à chiffrer : les autorités chinoises
annoncèrent dans un premier temps un total de 300 tués et de 7
000 blessés158. Dès le 4 Juin, le département
d'Etat estima le nombre de morts entre 180 et 500 et des milliers de
blessés159. Le lendemain, un autre rapport du
département d'Etat annonça que 2 600 civils auraient
été tués160. La dernière estimation des
leaders chinois fait état de 200 victimes civiles, 3 000
blessés,
151 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 400.
152 C'est la première estimation délivrée
par le département d'Etat américain : U.S. DEPARTMENT OF STATE,
« SITREP No. 28 Ten to Fifteen Thousand Armed Troops Stopped at City
Perimeter by Human and Bus Barricades - 3rd of June 1989 », Digital
National Security Archive, China and the U.S., 2p.
153 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 60.
154 Télégramme envoyé de Pékin par
l'ambassadeur américain sur place, James Lilley U.S EMBASSY IN CHINA,
« SITREP No. 32 The Morning of June 4 - 4th of June 1989
», Digital National Security Archive, Digital National
Security Archive, China and the U.S.,9p.
155 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « China Tense Standoff
Continues; Asia Speaks Softly - 6th of June 1989 », Digital
National Security Archive, China and the U.S., 5p.
156 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « TFCH01--SITREP No. 34
June 5, 1900 Hours - 5th of June 1989 », Digital National
Security Archive, China and the U.S., 25p.
157 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « TFCH01--SITREP No. 35
June 6, 0500 Hours - 5th of June 1989 », Digital National
Security Archive, China and the U.S., 18p.
158 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 60.
159 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « China Troops Open Fire -
4th of June 1989 », Digital National Security Archive,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p.
160 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « China After the
Bloodbath; Worldwide Reaction to Massacre - 5th of June 1989 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 6p.
38
6 000 soldats et policiers blessés dont dix d'entre eux
seraient morts161. Vraisemblablement le chiffre varierait entre 700
et 2700 victimes selon James Mann162 et entre 4 500 et 10 000
arrestations selon Harry Harding163. Quoiqu'il en soit, la crise
politique de Tiananmen eut des conséquences indéniables sur la
relation sino-américaine à long et court terme.
Chapitre 3 : Les conséquences directes de la
répression chinoise
La répression place Tiananmen eut des
répercussions à plusieurs niveaux de la relation
sino-américaine. Compte tenu de l'importante présence
médiatique au moment des événements, la crise affecta en
priorité l'opinion américaine, relayée par le
Congrès. Sur le plan intérieur, Tiananmen généra
des divisions au sein du parti communiste chinois.
Section 1 : L'impact émotionnel de Tiananmen aux
Etats-Unis
Nous l'évoquions en introduction, Tiananmen cristallisa
les antagonismes sino-américains et dissolut les affinités. Pour
Robert Suettinger, la crise de Tiananmen suscita en effet des
interprétations parfaitement contradictoires dans les deux camps. Tandis
que les Etats-Unis virent dans le printemps de Pékin les prémices
d'une révolution démocratique exprimée par la jeunesse
chinoise contre un Etat autoritaire dominé par un Parti communiste
cynique, les leaders politiques chinois l'interprétèrent comme
une tentative de coup d'Etat et de désordre mené par un
groupuscule politique alimenté par des forces politiques
extérieures prêtes à subvertir la RPC164. Quoi
qu'il en soit, les images d'étudiants chinois en sang secourus ou
emmenés à l'hôpital de manière improvisée sur
des véhicules de fortune, horrifièrent
l'Amérique165. L'effondrement de la « Déesse
de la Liberté et de la Démocratie » (Goddess of
Freedom and Democracy), cette statue réalisée par des
étudiants de l'école nationale des beaux-arts de Pékin le
29 Mai 1989, ou la vidéo éminemment célèbre de
l'étudiant chinois bloquant le passage de plusieurs tanks de l'APL
eurent un impact émotionnel considérable aux
Etats-Unis166. Cependant note Robert Suettinger, parce que
l'accès des reporters étrangers aux différents sites
stratégiques de Pékin fut particulièrement limité
pendant cette période chaotique (compte tenu de la loi martiale),
l'information retransmise aux Etats-Unis
161 U.S. EMBASSY IN CHINA, « TFCH01 SITREP No. 69, July
1, 1700 Local - 1st of July 1989 », Digital National
Security Archive, China and the U.S., 8p.
162 MANN James, About Face: A History of America's Curious
Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p. 192.
163 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United
States and China since 1972, Washington, D.C., op. cit. p. 222.
164 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 13.
165 Ibid., p. 86.
166 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 223.
39
fut souvent inexacte ou fondée sur des rumeurs
imprécises167. Aucune caméra de
télévision n'eut d'ailleurs accès à l'ouest de la
place Tiananmen où le gros des exécutions de l'APL pris place. Ce
caractère imparfait de l'information des journaux américains,
associé au refus des autorités chinoises de divulguer des
estimations crédibles et fongibles, contribua ainsi à diffuser
une vision d'horreur et de massacre auprès du public américain.
Loin de nous l'idée de sous-estimer l'ampleur insurrectionnelle de la
crise Tiananmen, mais simplement d'alerter sur l'influence qu'ont pu exercer
les médias américains sur la représentation collective de
la répression du régime communiste.
Section 2 : Changement de regard sur le régime
communiste chinois
Le public américain fut donc abreuvé d'images de
l'étouffement du soulèvement par les autorités chinoises.
En quelques jours, la sympathie, l'enthousiasme, la complaisance qu'avait
suscitée la RPC depuis ses réformes, se dissipèrent de
manière quasi-irrévocable au sein de l'opinion publique
américaine168. Le revirement de celle-ci fut aussi brutal que
la répression chinoise : alors qu'avant le 4 Juin 1989, 65 à 72%
des américains interrogés étaient jugés favorables
à la RPC, ils n'étaient plus que 16 à 34% après
Tiananmen169. Tout au long des années 1980, les
Américains avaient observé la Chine avec un oeil attentif et
bienveillant, la considérant bien différente des autres
régimes communistes. Selon les propres mots du Président Reagan,
la RPC était un pays prétendument communiste (« a
so-called communist country »)170. La répression
place Tiananmen révéla donc aux yeux des Américains que la
Chine n'était pas moins léniniste que les autres
républiques populaires d'Europe et certainement pas moins brutale. La
RPC de Deng Xiaoping qui avait été applaudie pendant la
décennie 1980, apparut alors comme un Etat autoritaire et
arbitraire171.
167 Un télégramme de l'ambassadeur
américain en Chine James Lilley, relève les restrictions que la
loi martiale chinoise impose aux journalistes étrangers : pas de
reportage vidéo ou photographique sur la place Tiananmen, au palais de
l'assemblée du peuple (the Great Hall of the People), ni d'interview
dans les bureaux, hôtels ou propriété privée. De
manière générale, les journalistes étrangers sont
contraints de respecter toutes les interdictions imposées en termes de
communication par la loi martiale chinoise U.S. EMBASSY IN CHINA, « From
James Lilley to the U.S. Department of State, Reiteration of Press Restrictions
Under Martial Law - 1st of June 1989 », Digital National
Security Archive, China and the U.S., 3p.
168 MANN James, About Face: A History of America's Curious
Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p.192.
169
http://www.americans-world.org/digest/regional_issues/china/china1.cfm,
consulté le 1 Février 2015: « Is your overall opinion
of...China...very favorable, mostly favorable, mostly unfavorable, or very
unfavorable?" In March 1989, a strong majority of 72% had a "very favorable" or
"mostly favorable" impression of China. [...]By August 1989, another Gallup
survey revealed that favorable responses had bounced back some, but to less
than half of the pre-Tiananmen level (31%). »
170 MANN James, About Face: A History of America's Curious
Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p. 193.
171 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 401.
40
Section 3 : Le Parti communiste chinois en proie aux
divisions
Tiananmen eut aussi des répercussions aux plus hauts
niveaux de l'Etat chinois. Une note de la section renseignement du
département d'Etat rédigée le 9 Juin, rappelle ainsi qu'au
coeur de la crise de Tiananmen résidait une lutte de succession entre
réformateurs et conservateurs pour succéder à Deng
Xiaoping172. Pour les conservateurs, Tiananmen constituaient
l'accomplissement de leurs prédictions et le manque d'attention que les
réformateurs prêtèrent à leurs
avertissements173. La réforme selon eux était
allée trop vite, il était donc urgent de rétablir le
contrôle du gouvernement central sur les activités
économiques174. Afin de mettre un terme aux rivalités
factionnelles, le 24 Juin 1989 fut organisée la quatrième session
du Comité centrale du parti, au cours de laquelle Zhao Ziyang et 3 de
ses soutiens furent purgés sous le prétexte d'avoir commis des
erreurs sérieuses et d'avoir soutenu le soulèvement
populaire175. Jiang Zemin fut nommé secrétaire
général du Parti, Li Peng, maintenu premier
ministre176. Après une apparition publique le 9 Juin, Deng
Xiaoping disparut pendant 3 mois, âge de 85 ans, fatigué des
réunions, des décisions urgentes et des changements de pouvoir au
sein du parti. Malgré tout, personne n'osa défier la position
centrale de Deng dans le dispositif chinois. Celui-ci alerta aussi ses
homologues sur la nécessité de ne pas se diviser en des temps
aussi cruciaux pour l'avenir de la RPC. Deng mourut trois ans plus tard en 1992
après avoir continuer de dominer quelques débats
politiques177.
Cependant que les conséquences de Tiananmen n'avaient
pas produit encore tous leurs effets, l'administration américaine dut
formuler dans le même temps ses premières réponses à
la crise politique chinoise.
Titre 2 : Les premières prises de
décision américaines dans l'immédiat
après-Tiananmen
Avant d'aborder en détail les premières prises
de position américaines, nous avons jugé nécessaire de
dresser le portrait du cabinet G. Bush, son fonctionnement, ses
personnalités les plus importantes (s'agissant des affaires asiatiques),
sa gestion du processus décisionnel.
172 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Current Situation in
China Background and Prospects- 9th of June 1989 », Digital
National Security Archive, China and the U.S., 4p.
173 FEWSMITH Joseph, China since Tiananmen: from Deng
Xiaoping to Hu Jintao, New York, Cambridge University Press, 2008, page
35.
174 BERGERE Marie-Claire, « Tian'Anmen 1989 », art.
cit. p. 3.
175 U U.S. DEPARTMENT OF STATE, « China The Central
Committee Acts; Zhao's Out; Keeping the Door Open - 25th of June
1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S.,
3p.
176 Ibid.
177 FEWSMITH Joseph, China since Tiananmen: from Deng
Xiaoping to Hu Jintao, op. cit. p. 36. Pour qui voudrait approfondir sur
la politique interne chinoise post-Tiananmen, le chapitre 1 de l'ouvrage de
Joseph Fewsmith offre une brillante synthèse : voir pp. 21-48.
41
Chapitre 1 : L'appareil décisionnel sous George
H. Bush
George Bush succéda à Ronald Reagan en Janvier
1989, perpétuant ainsi l'influence de l'idéologie
républicaine au sommet de la Maison-Blanche. Pourtant, face aux
brûlants changements internationaux qu'il dût affronter, ce
Président, par son comportement et ses décisions, parvint
à imposer sa singularité.
Section 1 : Le Président
Son profil note Charles-Philippe David, était
comparable à celui d'un Kennedy, Johnson ou Nixon, qui ont passé
la plus grande partie de leur carrière au service du Congrès ou
du gouvernement178. Diplômé de l'université de
Yale, aviateur de la marine pendant la Seconde Guerre mondiale, élu au
Congrès pour la première fois en 1966 puis successivement
ambassadeur des Nations Unies sous Nixon, chef du bureau des
représentations en Chine, directeur des services de renseignements sous
Ford, enfin vice-Président sous Reagan, George Bush était un
professionnel de la politique. Maître stratège, formé
à l'école de Kissinger, l'homme fort des années 1970 aux
Etats-Unis, le style de sa présidence fut dominé par une
diplomatie personnelle basée sur les relations humaines au plus haut
niveau de l'Etat179. Pendant les 24 premiers mois de son mandat, il
visitera ainsi près de 29 Etats, soit davantage que Reagan en
8ans180. Son action présidentielle fut donc conçue en
fonction des rapports personnels afin de maintenir des communications
étroites et permanentes avec ses homologues étrangers mais aussi
les membres de son administration, les législateurs ou les
électeurs181. A cet égard, le Président
américain, dès le début de son mandat, exprima son
désir d'établir de bonnes relations avec Deng Xiaoping,
d'où son voyage diplomatique en Chine dès le mois de
Février. La vision de G. Bush comme celle de son conseiller Scowcroft
sur la relation sino-américaine restait néanmoins
stratégique dans ses fondements parce que basée sur leurs
préoccupations mutuelles au sujet des intentions et des capacités
militaires de l'URSS. Mais G. Bush croyait aussi que la relation
sino-américaine, en particulier l'interdépendance grandissante
entre les deux pays, était importante et nécessaire pour le
développement d'un système politique chinois plus
démocratique et plus ouvert182.
178 DAVID Charles-Philippe, Au sein de la Maison-Blanche,
la formulation de la politique étrangère des Etats-Unis,
Québec, Presses de l'université Laval, 1994, p. 412.
179 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 63.
180 DAVID Charles-Philippe, Au sein de la Maison-Blanche,
la formulation de la politique étrangère des Etats-Unis, op.
cit. p. 413.
181 Ibid., p. 414.
182 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 63.
42
Section 2 : Son entourage
L'équipe de politique étrangère de G.
Bush fut l'une des plus expérimentées de l'histoire
américaine : « elle constitua la plus collégiale et la
plus rôdée des équipes de sécurité nationale
de l'après-guerre »183. Son fils en sera d'ailleurs
le premier bénéficiaire. George Bush s'entoura d'une
équipe de conseillers (dont des amis personnels) professionnels et
prudents, à son image, qu'il divisera en deux groupes : ceux
responsables de la politique étrangère et des affaires
intérieures. Ceci expliquera la tendance au statu quo, à
l'uniformité et l'absence de frictions entre conseillers et
bureaucrates184. Au final le cabinet Bush se composera de plusieurs
membres de l'administration Ford et Carter. Ainsi Richard Cheney deviendra
secrétaire à la Défense, James Baker, secrétaire
d'Etat, Brent Scowcroft repris son poste de conseiller à la
sécurité nationale, Robert Gates, adjoint à Scowcroft puis
directeur des services de renseignement, Carla Hills, représentante en
matière de commerce international pour ne citer que les grands postes de
politique étrangère185. Plus spécifiquement, au
département d'Etat, Lawrence Eagleburger fut nommé
secrétaire adjoint, Richard Salomon, assistant-secrétaire pour
les questions économiques, Richard Armitage, assistant-secrétaire
pour l'Asie186. S'agissant de l'équipe dédiée
à la politique chinoise, celle-ci fut remaniée après la
déconvenue liée à l'invitation de Fang Lizhi au banquet.
Par conséquent, en Avril 1989, un mois après cet incident, George
Bush monta une équipe plus expérimentée : le sinologue
Richard Salomon, initialement assistant-secrétaire pour les affaires
économiques fut nommé assistant du secrétaire d'Etat pour
les questions d'Asie de l'Est et du Pacifique187 ; James Lilley,
né en Chine, responsable de la CIA à Pékin quand G. Bush
était à la tête des bureaux de liaison dans les
années 1970188 fut affecté ambassadeur
américain à Pékin dès la mi-Mai 1989 ; Douglas Paal
qui avait travaillé à la CIA et au département d'Etat pour
les affaires asiatiques fut nommé directeur principal des affaires
asiatiques pour le Conseil à la Sécurité
Nationale189. Par conséquent, dès Mai 1989, son mandat
à peine amorcé, le Président américain était
doté d'un personnel particulièrement au fait des affaires
chinoises. Avant même la crise de Tiananmen, George Bush avait donc
développé une vision à long terme de la relation
sino-américaine, une appréciation aiguisée du
caractère stratégique de l'économie, de la position
internationale et des questions militaires chinoises.
183 DAVID Charles-Philippe, Au sein de la Maison-Blanche,
la formulation de la politique étrangère des Etats-Unis, op.
cit. p. 417.
184 Ibid., p. 418.
185 Ibid., p. 417.
186 Ibid.
187 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 20.
188 MANN James, About Face: A History of America's Curious
Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p.184.
189 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 20.
43
Section 3 : La gestion des rapports et du processus
décisionnel
La structure décisionnelle du cabinet Bush
refléta la personnalité du Président ainsi que ses
habitudes de travail190. Son approche fut un mélange de celle
de Carter et de Reagan dont le résultat fut particulièrement
productif191. Le Président cultiva un esprit de
collégialité au sein de son équipe de laquelle il exigea
une grande loyauté. Concernant la politique chinoise, chacun des membres
du cabinet concerné savait parfaitement que le Président serait
son propre chef dans le cadre de la ligne de conduite à mener à
l'égard de la Chine192. George Bush préféra
travailler avec de petits groupes de collaborateurs afin de renforcer le
sentiment de confiance, d'effriter les rivalités et les
personnalités et de minimiser les conflits, les divergences d'opinion ou
autres sources de dissensus. Sur le plan décisionnel cela se traduisit
par une approche étapiste, harmonieuse, sans querelle bureaucratique.
George Bush parviendra à faire fonctionner ce système de gestion
tout en imposant ses préférences et supervisant ses choix.
C'est donc avec cette équipe et cette méthode
décisionnelle que le Président américain forgera chacune
de ses décisions vis-à-vis de la RPC. C'est également
autour des réflexions de cette administration que s'articuleront les
premières prises de position publiques américaines.
Chapitre 2 : La réaction américaine
A mesure que la situation se détériorait
à Pékin et dans les autres grandes villes chinoises aux mois
d'Avril et de Mai, la nécessité de réagir aux tourments
qui agitaient la RPC se fit de plus en plus sentir au sein de l'administration
américaine193.
Section 1 : La mesure du soulèvement chinois par
l'administration américaine
La position initiale des Etats-Unis fut de soutenir avec
prudence le droit de parole, de manifestation, (à condition que celle-ci
soit non violente) et d'inviter le gouvernement chinois à faire preuve
de retenue envers les manifestants194. Dès le 31 mai 1989, le
Sénat passa une résolution allant en ce sens afin de convaincre
le gouvernement chinois que la reconnaissance des Droits de l'Homme n'aurait
que des effets positifs pour le développement de la relation
sino-américaine. Ce
190 DAVID Charles-Philippe, Au sein de la Maison-Blanche, la
formulation de la politique étrangère des Etats-Unis,
op. cit. p. 415.
191 Ibid.
192 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 20.
193 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « TFCH01 Draft Whitehouse
[sic] Statement on Situation in China - 5th of June
1989 », Digital National Security Archive, China and the
U.S., 2p.
194 U.S. DEPARTMENT OF STATE, BUREAU OF EAST ASIA AND PACIFIC
AFFAIRS, « Student Demonstrations - 10th of May 1989 »,
Digital National Security Archive, Digital National Security
Archive, China and the U.S., 2p.
44
même texte du Sénat américain avertissait
néanmoins qu'en cas de répression armée par les
autorités, les Etats-Unis seraient dans l'obligation de réajuster
leur politique à l'égard de la RPC195. De
manière plus générale, jusqu'au point culminant de la
répression le 4 Juin 1989, le département d'Etat, le Pentagone et
les fonctionnaires de la Maison-Blanche ne virent pas dans les manifestations
chinoises d'Avril et de Mai les racines d'un soulèvement plus grand.
James Mann rapporte une conversation pertinente à cet égard entre
le Président Bush et son ambassadeur dépêché sur
place. Lorsque le Président américain lui demanda si le mouvement
devait être pris au sérieux, James Lilley demeura hésitant,
affirmant que bien que les manifestations avaient peu de chance de
dégénérer, celles-ci pouvaient constituer une
sérieuse menace pour le régime. Jusqu'à la
répression place Tiananmen dans la nuit du 3 au 4 Juin 1989, la position
américaine resta donc calquée sur ce constat
frileux196 ce qui n'empêcha pas l'émergence d'un
sentiment pessimiste sur l'issue des événements en Chine au sein
de l'administration américaine197.
Section 2 : L'élaboration de la prise de
décision
Au matin du 4 Juin 1989, les choses
s'accélérèrent. En bon réaliste, le
Président Bush était parfaitement conscient que sa
réaction à la crise politique de Tiananmen aurait des
implications complexes sur d'autres domaines de la politique mondiale. S'il
répondait avec trop d'indulgence à la répression, il
aurait encouragé les pays communistes d'Europe de l'Est de plus en plus
faibles à en faire autant contre leurs opposants. Il aurait aussi
donné du grain à moudre à ses détracteurs sur la
scène intérieure. Par effet miroir, s'il réagissait trop
durement à la crise, il aurait renforcé le nationalisme chinois,
l'anti-américanisme et brisé les liens qu'il avait tissés
lors de son premier voyage à Pékin en
Février198. Qui plus est, Washington avait besoin de
Pékin notamment pour ramener la paix au Cambodge et maintenir
l'équilibre stratégique face à l'URSS. N'oublions pas que
dans les premiers mois de son mandat, l'administration Bush continuait de
percevoir le monde à partir des postulats de la Guerre
froide199. En somme, le Président Bush devait trouver un
équilibre subtil pour exprimer à la fois son indignation,
sincère, tout en sauvegardant la relation, capitale à ses yeux.
L'élaboration de la réponse du Président américain
nécessita préalablement quelques tractations au sein de
l'administration. Le samedi 5 Juin au matin, le vice-secrétaire d'Etat
aux affaires asiatiques et pacifiques William Clark, présida un groupe
de travail d'urgence du
195 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Senate Passes Resolution
on China - 1st of June 1989 », Digital National Security
Archive, China and the U.S., 2p.
196 MANN James, About Face: A History of America's Curious
Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p. 186.
197 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 65.
198 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 21.
199 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 403.
45
département d'Etat, regroupant plusieurs membres de la
communauté du renseignement ainsi que quelques membres de
l'exécutif200. Aux termes du travail, le groupe recommanda de
prendre des décisions secondaires telles que la déprogrammation
de réunions prévues plus tard dans l'année notamment la
Commission commune du commerce, ou la commission commune des sciences et des
technologies ainsi que la suspension du « Peace Corps Program
» dont l'ouverture prévue en Juillet fut jugée
inappropriée dans un pays à la situation interne
chaotique201. Du côté du département de la
défense, Dick Cheney, son sous-secrétaire Paul Wolfowitz et le
vice-secrétaire aux affaires de sécurité internationale,
Carl Ford, se mirent d'accord pour que leur département supporte la plus
grande partie des sanctions appliquées à la RPC. Leur
raisonnement était le suivant : puisque l'APL était la grande
coordinatrice de la répression, il fallait logiquement suspendre tous
les liens qui auraient pu la renforcer. Concentrer les efforts sur un seul
département présentait aussi l'avantage de pouvoir maintenir la
relation dans les autres domaines (économiques,
commerciales...)202.
Section 3 : Les sanctions appliquées
Sur ces bases, le Président Bush élabora une
déclaration prudente. Déplorant l'utilisation de la force par le
gouvernement chinois et les victimes qui en résultèrent, le
Président américain veilla toutefois à mettre en garde
contre une réponse trop émotive qui irait à l'encontre de
la raison et de la mesure qu'imposait l'urgence de la situation. La note du
Président invitait donc à la fois les Américains à
apprécier la relation sino-américaine au travers d'une vision
à long terme tout en exhortant les leaders chinois à
rétablir l'ordre par la non-violence203. Les premières
sanctions annoncées furent les suivantes : la suspension de la vente et
du commerce des armes, des échanges militaires, la prolongation des
séjours des étudiants chinois sur le sol américain et une
offre humanitaire et médicale à travers la Croix-Rouge pour les
blessés de Tiananmen204. Dans le même temps, le
secrétaire d'Etat James Baker décida que Fang Lizhi,
l'astrophysicien dissident chinois, pourrait temporairement prendre refuge
à l'ambassade américaine à Pékin. Pour
l'administration Bush ces premières décisions visaient à
tester la réaction des dirigeants communistes chinois en espérant
que la situation politique progresse. Cependant, les jours qui
succédèrent au 4 Juin effacèrent définitivement ces
espoirs. Le 9 Juin, Deng Xiaoping fit une apparition publique au cours de
laquelle il accusa les manifestants de vouloir remplacer le système
socialiste par une République
200 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 65.
201 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « List of Bilateral
Cooperative Agreements and Our Recommendations », Digital National
Security Archive, 5 Juin 1989, 3p.
202 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 66.
203 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Statement by the President:
June 5, 1989 - 6th of June 1989 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S.,
4p.
204 Ibid.
46
bourgeoise occidentale205. Le 15 Juin, trois
ouvriers furent condamnés à mort à Shanghai et trois jours
plus tard 8 manifestants à Pékin subirent le même
sort206 au motif d'avoir participé à ce que le
régime se mit à baptiser une « émeute
contre-révolutionnaire »207. Après la
répression, Pékin renforça effectivement son
autorité. Des images de détenus aux crânes rasés,
aux corps blessés prises avant leur condamnation ou leurs
exécutions, circulèrent aux Etats-Unis208. Ces
retransmissions effacèrent les espoirs de l'administration de voir la
réaction passionnée des Américains se dissiper. Face
à la détérioration continuelle de la situation en Chine,
l'administration Bush annonça une seconde vague de sanctions le 20 Juin.
Deux recommandations avaient été proposées au
Président par son secrétaire d'Etat Baker : geler les prêts
américains accordés à la Chine via la Banque mondiale et
suspendre tout échange sino-américain au plus haut
niveau209. Les deux recommandations furent acceptées ce qui
entraîna l'annulation de plusieurs visites diplomatiques prévues :
celle du secrétaire du Commerce, Robert Mosbacher, et du
secrétaire au Trésor Nicholas Brady, qui avaient
été programmées plus tard dans
l'année210. La deuxième proposition fut
néanmoins remaniée par le Président qui la limita aux
échanges cérémoniaux au niveau des secrétaires. A
la fin du mois de Juin, les sanctions américaines s'harmonisèrent
avec celles de la Communauté européenne, du Japon, de l'Australie
et de la Nouvelle Zélande, lesquelles étaient soutenues par les
condamnations exprimées par les gouvernements du monde
entier211. Le tout contribua non seulement à mettre en
péril, au moins temporairement, le développement
économique chinois mais surtout à l'isoler sur la scène
diplomatique mondiale.
Dans le même temps, on le remarque aisément,
Tiananmen plaça le Président Bush dans une situation
délicate où la nécessité de prendre des sanctions
pour répondre à l'indignation du Congrès et des
Américains devait être compensée par une diplomatie
suffisamment astucieuse pour maintenir le cadre stratégique de la
relation.
205 U.S. FOREIGN BROADCAST INFORMATION SERVICE, «
Translation of Deng Xiaoping's 9 June Speech - 20th of June 1989
», Digital National Security Archive, China and the U.S., 4p.
206 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « China Swift Justice;
Deng's New Balancing Act - 21st of June 1989 », Digital
National Security Archive, China and the U.S., 5p.
207 U.S. FOREIGN BROADCAST INFORMATION SERVICE, «
Translation of Deng Xiaoping's 9 June Speech », Digital National
Security Archive, 20 Juin 1989, 4p.
208 MANN James, About Face: A History of America's Curious
Relationship with China, From Nixon to Clinton, op.cit. p. 205.
209 U.S. OFFICE OF THE WHITE HOUSE, OFFICE OF THE PRESS
SECRETARY, « Statement by the Press Secretary - 20th of June
1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S.,
2p.
210 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 226.
211 U.S. DEPARTMENT OF STATE, BUREAU OF INTELLIGENCE AND
RESEARCH, « China Aftermath of the Crisis - 27th of July 1989
», Digital National Security Archive, China and the U.S., 13p.
47
Chapitre 3 : Le dilemme de George H. Bush : condamner la
répression chinoise et préserver la relation
Tel que le décrivent William Gates et David Skidmore
dans leur article212, une lutte autour de la politique chinoise
à adopter après Tiananmen se propagea entre le Congrès et
l'exécutif. Isolé, le Président Bush dût subir
d'intenses pressions.
Section 1 : Les pressions du Congrès et de l'opinion :
préserver le contrôle sur la conduite de la politique
américaine chinoise
Avant Tiananmen, les Américains s'étaient en
effet familiarisés avec les questions de politique
étrangère relatives au rôle de la diplomatie dans le
progrès des Droits de l'Homme et de la démocratie213.
S'agissant de la Chine, à une vaste majorité, l'opinion
américaine préférait que les valeurs démocratiques
l'emportent. La question était de savoir quelle politique
opérationnelle déployer pour y parvenir. Chez les
républicains comme chez les démocrates il y avait deux
écoles : l'une consistait à s'opposer à toutes les
attitudes contraires aux valeurs américaines (démocratie,
violation des Droits de l'Homme) en refusant les avantages que
l'Amérique pouvait dispenser au pays concerné214. A
l'inverse, certains pensaient qu'il était du devoir des Etats-Unis de
promouvoir des avancées en matière de Droit de l'Homme par une
politique d'engagement. Une fois que l'interdépendance (en particulier)
économique serait suffisamment grande, la préservation des
intérêts communs pourrait alors servir de monnaie d'échange
à la recommandation de changements dans le domaine des libertés
publiques. Tiananmen eut précisément pour effet de jeter à
nouveau ce débat sur la scène publique américaine. En
réponse à la déclaration du 5 Juin du Président
Bush, le Congrès, qui reflétait l'opinion publique, réagit
donc en appelant l'exécutif à prendre des mesures plus drastiques
telles que la suspension du commerce et des investissements ou l'interdiction
de l'exportation de biens de hautes technologies215. Tel que l'a
théorisé Robert Putnam dans sa théorie des jeux à
deux niveaux (« two level games »), le Président
américain devait donc à la fois satisfaire les exigences des
pressions chinoises pour une amélioration de la relation tout en
s'acquittant de ses
212 GATES William, SKIDMORE David, « After Tiananmen: the
Struggle Over U.S. Policy Toward China in the Bush Administration »,
Presidential Studies Quaterly, Vol. 27, n°3, Summer 1997, pp.
514-539.
213 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 402.
214 Ibid. p. 403.
215 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 66.
48
obligations devant le Congrès216. Pour
anticiper les effets du Sénat américain, Baker soumit donc une
seconde vague de sanction le 20 Juin qui ne suffit pas à faire taire
l'opposition démocrate. En effet, peu de membres du Congrès
soutenait la politique du Président relativement
isolé217. Sous l'impulsion du leader démocrate au
Sénat, Mitchell, un amendement fut voté pour instauré en
loi les sanctions déjà adoptées par le Président
Bush. Ce même amendement ajouta à la liste des punitions la
suspension des «Overseas Private Investment Corporation»
(une assistance pour la promotion des investissements américains en
Chine), l'annulation des activités du programme de développement
pour le commerce en Chine («Trade Development
Program»)218 ainsi que la suspension de la
délivrance d'autorisation d'exportation pour des satellites
américains qui devaient être lancés à partir de
fusées de lancement chinoises et de la mise en place d'une
coopération nucléaire programmée par un accord de
1985219.
Finalement, Tiananmen eut également des
conséquences directes sur le processus d'élaboration de la
politique américaine chinoise. Durant les deux décennies
précédant le drame, elle relevait quasi exclusivement de
l'exécutif américain. Les Présidents américains
successifs et leurs conseillers à la Maison-Blanche, au Pentagone et au
département d'Etat ayant en effet bénéficié de la
part de l'opinion publique et du Congrès, d'une marge de manoeuvre assez
large concernant la politique chinoise. Après la répression du 4
Juin 1989, les dynamiques changèrent. Dorénavant, le
Congrès et l'opinion ne laisseraient plus la politique américaine
chinoise être dictée par les seules volontés de
l'administration en place.
Section 2 : Garder le contact avec les hauts dirigeants
chinois
En entretenant des relations personnelles avec les hauts
dirigeants chinois, le Président Bush remplissait deux de ses objectifs
: tenter de conserver sa prééminence dans la formulation de la
politique chinoise tout en essayant de sauvegarder les rapports
sino-américains220. George Bush entendait surtout rester en
contact avec Deng Xiaoping qui, selon un télégramme du
département
216 PUTNAM, Robert D., 1988, « Diplomacy and Domestic
Politics: The Logic of Two-Level Games », International
Organization, 1988, pp. 427-60.
217 GATES William, SKIDMORE David, « After Tiananmen: the
Struggle Over U.S. Policy Toward China in the Bush Administration »,
Presidential Studies Quaterly, Vol. 27, n°3, Summer 1997, p. 519.
D'après les auteurs une large partie des plus influentes
personnalités de l'exécutif ont été formée
à l'école Kissinger. Fortement imprégnés d'une
pratique réaliste de la politique (realpolitik), Scowcroft, Eagleburger,
G. Bush s'opposèrent aux leaders du Congrès pour lesquels cette
culture politique apparaissait éloignée des valeurs
démocratiques américaines. L'article offre de manière
générale une excellente synthèse sur la lutte
idéologique, institutionnelle, partisane entre le Congrès et
l'exécutif.
218 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 66.
219 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 226.
220 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 22.
49
d'Etat, n'aurait pas pris part à la décision
d'intervenir dans la nuit du 3 au 4 Juin221, mais surtout demeurait
le seul interlocuteur crédible du moment (compte tenu de la lutte de
pouvoir au sein du parti) qu'il connaissait personnellement. Comme les
dirigeants chinois rejetèrent les tentatives de dialogue du
Président Bush notamment après que les Américains eurent
accepté d'héberger le dissident Fang Lizhi dans leur ambassade,
celui-ci, agissant en parfait homme d'Etat, prit l'initiative de rédiger
une lettre à l'intention de Deng Xiaoping222. Cette
dernière témoigna d'une amitié sincère et d'un
profond respect pour la Chine de Deng. Le Président Bush y évoqua
sa vision des choses ainsi que la situation interne dans laquelle il se
trouvait. La pudeur des écrits du Président américain
révélait avec éclat sa connaissance aigüe de
l'exercice du pouvoir en Chine. Son expérience lui permettait de
comprendre effectivement que des pressions de l'étranger
apparaîtraient insignifiantes aux yeux d'un dirigeant « qui
avait participé à la Longue Marche, survécu dans les
grottes de Yan'an et affronté simultanément les Etats-Unis et
l'Union soviétique dans les années 1960
»223. Cette lettre fut donc transmise à Deng le 20
Juin par le biais de Brent Scowcroft et de l'ambassadeur chinois Han Xu,
guidés par les consignes du Président américain souhaitant
que le tout se fasse sous le sceau de la plus haute confidentialité.
George Bush et ses conseillers savaient pertinemment qu'autrement, de tels
agissements auraient été condamnés par le Congrès
et l'opinion. Le 24 Juin, l'administration américaine reçut une
réponse personnelle de Deng Xiaoping qui acceptait l'idée
d'envoyer un émissaire secrètement224.
Section 3 : Le voyage secret de l'administration Bush
Après cette réponse, la rencontre s'organisa.
Scowcroft fut choisi par le Président pour le représenter, pour
des raisons évidentes : sa proximité avec George Bush et sa
familiarité avec les enjeux chinois225. James Baker insista
pour que son secrétaire-adjoint Lawrence Eagleburger soit du voyage et
que le département d'Etat bénéficie d'une place
d'importance dans cette rencontre. Afin que le voyage se fasse dans la plus
grande confidentialité, le cercle restreint de l'administration Bush
prit des dispositions d'exception. L'ambassadeur James Lilley reçut
l'ordre de ne pas envoyer de télégramme via le département
d'Etat. Robert Kimmit, sous secrétaire d'Etat aux affaires politiques
fut écarté de la confidence. La programmation ultime du voyage
eut lieu dans le bureau
221 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « TFCH01 Scenario for a Way
Out - 6th of June 1989 », Digital National Security
Archive, China and the U.S., 12p.
222 Une grande partie de la lettre traduite en français
est à lire page 114 à 116 dans l'ouvrage BUSH George, SCOWCROFT
Brent, A la Maison-Blanche : 4 ans pour changer le monde, Paris, Odile
Jacob, 1999, 618 p.
223 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 402.
224 BUSH George, SCOWCROFT Brent, A la Maison-Blanche : 4 ans
pour changer le monde, op. cit. p. 117.
225 Ibid., p. 118 : Brent Scowcroft avait rencontré
Deng à plusieurs reprises au cours de sa carrière : en 1975 lors
de la visite en Chine du Président Ford, de nouveau en 1981 et enfin en
Février 1989.
50
ovale de la Maison-Blanche réunissant Baker,
Eagleburger, Robert Gates (adjoint de Scowcroft) et Lilley. Tous se mirent
d'accord sur le message à transmettre aux dirigeants chinois :
l'Amérique souhaitait à tout prix s'engager à maintenir la
relation sino-américaine tout en invitant la RPC à comprendre la
situation interne américaine et les décisions qui suivirent. La
finalité étant d'amener la RPC à comprendre qu'elle devait
de son côté travailler à restaurer la
relation226. Le 30 Juin 1989, dans le plus grand secret, à
bord d'un avion cargo de l'US Air Force, Eagleburger et Scowcroft partirent
à destination de Pékin. Arrivés le 1er juillet,
ils furent reçus par Deng Xiaoping en personne227.
Après la première entrevue, Scowcroft conclut que Tiananmen avait
creusé un fossé entre les deux cultures américaine et
chinoise. Les Chinois éprouvaient de la rancoeur contre ce qu'ils
percevaient comme une ingérence dans leurs affaires intérieures.
La sécurité et la stabilité leur importaient plus qu'autre
chose tandis que les Américains s'attachaient à la défense
de la liberté et aux Droits de l'Homme228. Toutefois, le
message principal avait été entendu et accepté des deux
côtés : les Etats-Unis et la Chine s'engageraient à
sauvegarder leur relation. Un autre objectif de cette rencontre confidentielle
était de vérifier l'état du pouvoir communiste chinois.
Une des inquiétudes de George Bush était de savoir qui dirigeait
précisément la RPC et en conséquence, avec qui
communiquer. A cet égard, le voyage de Scowcroft et d'Eagleburger
rassura le chef d'Etat américain : Deng apparaissait comme un
interlocuteur crédible mais ce dernier précisa toutefois à
Scowcroft que les Américains à l'avenir, devraient traiter avec
Li Peng pour résoudre les problèmes de leur
relation229. Ceux-ci n'étaient pas des moindres et toute la
suite du mandat de Bush fut de s'efforcer à redéfinir le cadre de
la relation sino-américaine.
Titre 3 : Redéfinir la relation
sino-américaine : à la recherche d'un nouveau cadre
stratégique
La crise déclenchée par Tiananmen eut pour
conséquence première, comme toute crise d'ailleurs, de rompre
l'ordre antérieur et ses facteurs d'équilibres
caractéristiques, au profit d'un climat d'incertitude et
d'instabilité. Toute la difficulté de l'administration
américaine était donc de travailler à instaurer une
nouvelle balance dans les rapports. Ce défi lancé à
l'administration américaine était d'autant plus épineux
qu'au même moment le système international subissait ses plus
profondes modifications depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
226 Tout le paragraphe précédent p. 66.
227 Tous les détails et anecdotes du voyage et de la
rencontre sont finement décrits et racontés dans BUSH George,
SCOWCROFT Brent, A la Maison-Blanche : 4 ans pour changer le monde,
op. cit. pp. 119-124.
228 Ibid., p. 124.
229 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 83.
51
Chapitre 1 : Le challenge de la « renormalisation
» des rapports
En 1979, les Etats-Unis sous Carter, et la RPC menée
par Deng Xiaoping, normalisèrent officiellement leur relation sept ans
après la visite historique de Nixon à Shanghai. Cette
normalisation entraîna au passage l'interruption des relations
américaines avec Taïwan et le retrait de leur force de l'île.
Signe que Tiananmen causa une importante rupture, il fallut procéder
à la « renormalisation ».
Section 1 : Le « problème » Fang
Lizhi
Dans ce climat tendu avec le Congrès, toute la
difficulté pour le Président Bush était de reconstruire
une relation avec la Chine à laquelle n'était pas favorable son
pays. Pour tenter d'apaiser l'hostilité grandissante du parlement
américain, G. Bush en appela à la défense de
l'intérêt national américain230. L'enjeu
était double car simultanément, la tension entre les deux pays
continuait de s'accentuer. Cette animosité s'aggrava autour de la
polémique concernant Fang Lizhi, devenu le symbole de la division entre
les deux pays à l'automne 1989231. A cet égard, bien
qu'aucun des deux gouvernements ne souhaitaient la rupture, aucun
n'était en mesure non plus de pouvoir l'éviter. Effectivement,
immédiatement après le 4 Juin 1989, Fang et sa femme se
réfugièrent à l'ambassade des Etats-Unis232.
Quelques jours plus tard, celui-ci fut accusé par les autorités
chinoises de propagande contre-révolutionnaire233. Dès
lors, cette affaire constitua une source de tension entre les deux diplomaties
: l'une réclamant son censeur le plus célèbre pour le
condamner, l'autre, obligée de l'accueillir dans son ambassade.
Après le voyage de H. Kissinger, un compromis fut trouver pour
démêler ce noeud diplomatique : Fang serait autorisé
à quitter l'ambassade pour gagner les Etats-Unis ou un pays tiers ; en
échange, les Etats-Unis devraient lever les sanctions publiquement,
conclure des projets de coopération économique et enfin, inviter
Jiang Zemin en visite officielle dans le but de sortir la Chine de son
isolement international234. Ce fut l'objet du second voyage de
Scowcroft et d'Eagleburger. Cependant, face aux bouleversements en Europe de
l'Est, aucun camp ne se trouvait en mesure de s'écarter de ses
positions. Un accord ne fut trouvé qu'en Juin de l'année suivante
(1990)235.
230 Ibid., p. 93.
231 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 414.
232 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Embassy Refuge [Excised]
- 7th of June 1989 », Digital National Security Archive,
China and the U.S., 3p.
233 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « [China: Fang Lizhi as
Scapegoat] - 12th of June 1989 », Digital National Security
Archive, China and the U.S., 3p.
234 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 419.
235 Ibid., p. 422.
52
Section 2 : Le maintien des efforts de communication
Le Président Bush, privilégiant une approche
réaliste des relations internationales au-delà des
considérations idéologiques, humanitaires ou éthiques,
préférait conserver les intérêts stratégiques
et commerciaux des Etats-Unis dans une relation stable avec la
Chine236, ce qu'il entreprit de faire dès l'été
1989. Après un séjour en Europe au mois de Juillet, George Bush
écrivit une autre lettre à Deng pour le convaincre d'aller vers
une forme d'ouverture237. Deng lui répondit le 11 Août
affirmant à nouveau que la Chine demeurait souveraine et rappelant
à son homologue américain que des sanctions contre son pays
étaient encore en cours238. Parallèlement, George Bush
saisissait toutes les occasions qui lui étaient offertes pour maintenir
le contact avec les hauts dirigeants chinois. Ainsi James Baker rencontra Qian
Qichen à la conférence de Paris sur le Cambodge en Juillet et de
nouveau à l'Assemblée Générale des Nations Unies en
Septembre239. George Bush envoya aussi des émissaires
personnels (son frère Prescott Bush et l'ancien secrétaire d'Etat
Alexander Haig) sans forcément délivrer des messages
spécifiques mais davantage pour montrer ses intentions d'apaisement de
la relation. A la fin du mois d'Octobre l'ancien Président Richard Nixon
s'envola pour Pékin pour une réunion formelle avec les hauts
dirigeants chinois prévue bien avant les événements de
Tiananmen240. Néanmoins, cette visite revêtit un
caractère stratégique en cette période tourmentée.
A l'issu de cette semaine à Pékin, Nixon proposa d'ailleurs
à l'administration Bush de faire le premier pas dans la reprise d'un
contact officiel241. A peu près à cette époque,
Kissinger, ancien secrétaire d'Etat et conseiller à la
sécurité nationale de Nixon, accepta à son tour une
invitation des dirigeants chinois en Novembre242. A l'issue de cette
entrevue les conditions d'un retour à la normale furent transmises par
Deng : la résolution du problème Fang Lizhi et ensuite viendrait
une visite de Jiang Zemin aux Etats-Unis243. Dans cette perspective,
G. Bush prit l'initiative d'envoyer Lawrence Eagleburger et Brent Scowcroft une
seconde fois à Pékin pour un nouveau voyage
secret244.
236 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 247.
237 BUSH George, SCOWCROFT Brent, A la Maison-Blanche : 4 ans
pour changer le monde, op. cit. p. 173.
238 Ibid. page 174.
239 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 97.
240 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « President Nixon's Visit -
26th of October 1989 », Digital National Security Archive,
China and the U.S., 3p.
241 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 98.
242 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 409.
243 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 98.
244 U.S. EMBASSY IN CHINA, « Schedule for Chinese Visit
of General Scowcroft and Deputy Secretary Eagleburger - 8th of
December 1989 », Digital National Security Archive, China and the
U.S., 3p.
53
Section 3 : L'hostilité vigoureuse du
Congrès
L'hostilité du Congrès allait de pair avec
l'animosité sino-américaine. Le Congrès et l'opinion,
depuis le 4 Juin 1989, manifestaient leur empressement pour des sanctions plus
lourdes. Tandis que G. Bush plaidait pour une vision réaliste des
relations internationales le Congrès penchait davantage pour une
perspective idéaliste, plus proche des valeurs américaines telles
que la liberté, la démocratie et les Droits de
l'Homme245. La formulation et la conduite de la politique chinoise
faisait l'objet d'intenses rivalités au plus haut sommet de l'Etat
américain. Derrière les résolutions et les
déclarations sur la Chine et les réponses de l'administration
Bush, le Congrès commença à considérer des mesures
plus autoritaires pour supplanter l'exécutif dans la politique
chinoise246. Le 21 Juin 1989, une représentante
démocrate, Nancy Pelosi, proposa une loi pour faciliter le
renouvellement des visas étudiants chinois : celle-ci prévoyait
également de permettre aux étudiants chinois de travailler aux
Etats-Unis deux ans sans avoir à retourner en Chine247.
Initialement anodine, sa loi prit une ampleur inattendue et devint très
vite une priorité du Congrès. Après être
passée à la Chambre des Représentants le 31 Juillet, elle
fut votée à l'unanimité au Sénat le 19 Novembre. Le
lendemain elle fut présentée au Président248.
Au même moment l'administration américaine et le
département d'Etat, prenant conscience qu'une telle loi renforcerait
l'animosité entre les deux pays, ruinerait les efforts de
médiation du Président et annulerait définitivement les
échanges étudiants sino-américains (si importants pour
l'administration pour diffuser les valeurs américaines), tenta de
pourfendre cette mesure249. Le 30 Novembre, le Président
Américain posa son veto250 en sachant pertinemment que
dorénavant, sa politique chinoise serait scrutée dans les
moindres détails. Le voyage de Scowcroft et d'Eagleburger le 11
Décembre 1989 fut d'ailleurs vivement dénoncé par la
presse et le Congrès et des représentants
religieux251.
Malgré les efforts de l'exécutif pour maintenir
les liens tout en les reconfigurant, les pressions sur la scène
intérieure mirent en péril l'exercice de la politique chinoise de
l'administration Bush. Pour ne pas améliorer la situation, le cadre
géopolitique mondial allait bientôt s'écrouler, quelques
mois après la répression place Tiananmen.
245 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 94.
246 Ibid., p. 95.
247 MANN James, About Face: A History of America's Curious
Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p. 211.
248 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 96.
249 BUSH George, SCOWCROFT Brent, A la Maison-Blanche : 4 ans
pour changer le monde, op. cit. p. 176.
250 THE WHITE HOUSE, OFFICE OF THE PRESS SECRETARY, «
Statement by the President - 30th of November 1989 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p.
251 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « [Protest of Scowcroft and
Eagleburger Trip to Beijing] - 12th of December 1989 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p.
54
Chapitre 2 : George H. Bush et la Chine face à
un contexte international bouleversé
Dans le cadre de ce chapitre, il sera question de l'influence
des événements extérieurs sur la relation
sino-américaine et son processus de redéfinition post-Tiananmen.
Dans un premier temps, il apparaît nécessaire d'introduire
quelques propositions concernant l'approche systémique.
Section 1: Définition de l'approche
systémique
L'école systémique compte parmi ses soutiens,
des réalistes tels que Robert Gilpin ou Kenneth Waltz. Pour autant, ce
choix conceptuel n'est pas dépourvu de liens avec notre cadre
théorique principal. En effet, l'approche systémique explique le
phénomène d'interdépendance (notamment sur le plan
économique) par l'analyse des liens de dépendance mutuelle et des
politiques de coopération ou de protectionnisme qui peuvent en
découler. Selon cette approche la « structure du système
international, elle-même déterminée par une série
d'éléments telle la nature de l'équilibre entre les
puissances, détermine le champ d'action diplomatique des Etats.
»252. Ce postulat émet donc l'idée que toute
politique étrangère est soumise à des pressions
politico-stratégiques et économiques. Dans le même temps,
le processus décisionnel est lui, affecté par les modifications
structurelles qui peuvent surgir dans le système international. Nous
concernant, il s'agit ici d'évaluer l'impact des
événements en Europe de l'Est et celui de la Guerre du Golfe sur
le cadre stratégique de la relation sino-américaine.
Section 2 : Les événements en Europe de
l'Est et leur impact sur la relation sino-américaine
Le socle de la relation qui avait été
justifié en 1972 par la présence d'un ennemi commun, l'URSS,
commença à s'écrouler avec les crises politiques en Europe
de l'Est. La désintégration successive des Etats communistes au
cours de l'année 1989 renforça l'antagonisme des perceptions
sino-américaines. A Washington, les bouleversements marquants en
République Démocratique Allemande (chute du mur de Berlin le 9
Novembre 1989), en Bulgarie et en Tchécoslovaquie annonçaient
l'effondrement imminent de la RPC253. Du même coup, le
caractère stratégique de la relation perdait de sa raison
d'être à mesure que le bloc soviétique s'agitait. La
nécessité de maintenir la RPC hors de portée de
l'influence soviétique, apparaissait désormais de plus en plus
252 DAVID Charles-Philippe, Au sein de la Maison-Blanche,
la formulation de la politique étrangère des Etats-Unis, op.
cit. p. 14.
253 BUSH George, SCOWCROFT Brent, A la Maison-Blanche : 4
ans pour changer le monde, op. cit. p. 170.
55
anachronique aux yeux de certains acteurs politiques
américains254. Pour George Bush en revanche, rien ne
changeait : l'empreinte stratégique de la relation
sino-américaine à long terme lui paraissait toujours aussi
pertinente. En bon réaliste cela créait même une situation
d'interdépendance asymétrique en faveur des Américains qui
triomphaient enfin. A Pékin le sentiment d'isolement devenait
dangereusement effectif. La chute sanglante du dirigeant communiste de la
Roumanie Ceausescu eut des effets encore plus importants sur le Parti
communiste chinois255. D'un côté, les leaders se
réjouirent de la disparition de l'adversaire soviétique et se
confortèrent dans l'idée qu'ils ne devaient pas se compromettre
avec des activistes pro-démocrates. La répression menée
place Tiananmen leur apparaissait d'autant plus pertinente dorénavant.
Dans un autre sens, la crainte était vive de voir se reproduire ces
schémas dans leur pays. A cet égard, le débat entre les
conservateurs et les réformateurs se réouvrit une nouvelle fois,
auquel Deng mit fin assez vite : la Chine devait continuer sa construction
économique, poursuivre ses réformes et sa politique de
porte-ouverte256. Dans cette recherche d'un nouveau cadre
stratégique, la Guerre du Golfe fit office de sursaut temporaire.
Section 3 : La guerre du Golfe : un partenariat
stratégique ?
Effectivement, la Guerre du Golfe offrit aux Etats-Unis et
à la Chine une occasion de coopérer stratégiquement sur
une crise internationale d'envergure. Les deux pays avaient parfaitement
conscience que leurs intérêts géopolitiques mutuels
avaient, au cours de leur histoire, joué le rôle de facteur de
rapprochement257. Par conséquent, aux mois d'Août et de
Septembre 1990, la Chine vota toutes les résolutions du Conseil de
Sécurité condamnant l'Iraq et appelant à son retrait
immédiat du Koweït, la restauration du gouvernement koweïti et
la mise en place de sanctions économiques contre Bagdad258.
Mais en Novembre 1990, les USA, constatant l'inefficacité des sanctions
économiques, cherchèrent à obtenir de l'ONU une
autorisation pour recourir à la force armée. Dès lors, le
droit de veto chinois au CSNU représenta un enjeu stratégique
pour la diplomatie américaine259. Washington s'empressa
d'envoyer son secrétaire d'Etat adjoint Richard Salomon à
Pékin pour discuter de la crise260. Mais la dernière
résolution adoptée en ce sens étant celle qui avait
autorisée les Etats-Unis à intervenir pendant la Guerre de
Corée, il était donc difficile pour Pékin de céder
son vote. Ainsi, lors des rencontres avec le secrétaire d'Etat James
254 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 103.
255 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 422.
256 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 106.
257 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 269.
258 Ibid., p. 270.
259 Ibid.
260 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Question and Answer for
A-S Solomon's Trip to Beijing - 4th of August 1990 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 3p.
56
Baker, d'abord au Caire, puis à New-York le 28 Novembre
1990261, le ministre des Affaires Etrangères chinois Qian
Qichen laissa entendre qu'un vote affirmatif était possible en
échange d'un abaissement des sanctions. Au Caire, Baker assura que les
Américains n'oublieraient pas le soutien des Chinois, et pour être
sûr que Pékin ne mette pas son veto, l'administration
américaine proposa d'inviter Qian Qichen à Washington une fois la
résolution votée. Finalement, la Chine s'abstint. L'accord
n'était pas respecté mais malgré tout, le Président
Bush accepta de recevoir Qichen262. Lors de cette rencontre, le
ministre chinois demanda avec insistance aux Américains d'approfondir la
relation et de renforcer le dialogue bilatéral. G. Bush accepta mais
insista pour que la Chine s'engage dans deux domaines importants aux yeux des
américains : les Droits de l'Homme et la non-prolifération des
armes nucléaires et des armes conventionnelles263. Qian
demanda à ce que les Américains adoptent une position plus souple
au sein de la Banque mondiale, que G. Bush conditionna si les besoins humains
fondamentaux étaient davantage respectés264. Au final,
les Chinois remportèrent une grande partie des négociations :
sans faire d'évidente concession ils s'étaient assurés
d'un assouplissement des sanctions américaines. Baker lui-même
questionna les résultats de la stratégie de l'administration
américaine à ne faire que des concessions. Malgré tout, la
fulgurante victoire américaine dans la guerre du Golfe fit craindre aux
Chinois que la bipolarité céderait le pas à un monde
unipolaire dominé par le leadership américain. Un sentiment
anti-américain resurgit au sein de la classe dirigeante chinoise.
La crise du golfe eut donc des effets ambigus sur la relation
sino-américaine. Retrouvant temporairement une dimension
stratégique, très vite celle-ci fut rattrapée par ses
antagonismes latents. Les premiers fondements de la relation
sino-américaine se posèrent dans cette première
période post-Tiananmen : la nécessité de traiter avec
l'autre s'adjoignait d'une méfiance sous-jacente.
261 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « [Announcement of
Intention of China's Minister of Foreign Affairs to Attend U.N. Security
Council Meeting and to Pay Official Visit to U.S.] - 27th of
September 1990 », Digital National Security Archive, China and the
U.S., 4p.
262 Pourtant la note du département d'Etat : U.S.
DEPARTMENT OF STATE, « PRC FM Qian's Trip to New York and Washington -
25th of November 1990 », Digital National Security Archive,
China and the U.S., 5p., conditionne clairement la programmation du voyage
de Qian Qichen sur un vote de consensus autour de la résolution.
263 Toutes les notes du département d'Etat du mois de
Novembre 1990 traitent effectivement de ses deux thématiques à
plusieurs reprises.
264 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Meeting with Chinese
Foreign Minister Qian, November 30, The Deputy Secretary's Conference Room,
11.00 a.m. - 29th of November 1990 », Digital National
Security Archive, China and the U.S., 26p: l'intégralité des
pourparlers et des reclamations chinoises sont compiles dans ce rapport du
department d'Etat (pp 11-26).
57
Chapitre 3 : L'émergence d'enjeux
hétéroclites au coeur de la relation
Au cours de ce premier cycle post-Tiananmen un certain nombre
d'éléments de la relation sino-américaine contemporaine
s'installèrent solidement. Evoluant vers des intérêts
communs, les deux nations depuis Juin 1989, progressaient simultanément
dans leurs contradictions. En somme, un subtil mélange de
coopération et de méfiance commença à
caractériser la relation.
Section 1 : Droits de l'Homme
Prioritairement, et bien que George Bush soit davantage un
pragmatique qu'un idéaliste, la question des Droits de l'Homme prit une
ampleur considérable après le séisme Tiananmen et les
réactions de l'opinion publique. C'est précisément dans
cette optique que le Président Bush s'engagea dans ce qu'il baptisa
l'« engagement constructif »265 reflétant
ses préoccupations en matière de Droits de l'Homme. Toutefois
nuancent Clair Apodaca et Michael Stohl, la politique étrangère
de George Bush en matière de Droits de l'Homme était
teintée d'élans moraux tant que ceux-ci ne se
révélaient pas nuisibles à des préoccupations plus
fondamentales266. Ainsi, nous le verrons plus en détail par
la suite, tandis que les démocrates voulaient conditionner le
renouvellement de la clause de la nation la plus favorisée contre des
avancées chinoises dans le domaine des droits humains, G. Bush mit
à deux reprises son veto pour que les lois ne passent pas.
Privilégiant une approche plus pragmatique des droits de l'homme,
celui-ci préférait un engagement constructif afin de maintenir
les contacts sino-américains, espérant que la future
génération de leaders chinois serait plus encline à
coopérer avec les Etats-Unis267. Cette approche fut donc
adoptée jusqu'à la fin de sa présidence et la
problématique demeura centrale dans la relation jusqu'à
aujourd'hui268. H. Kissinger offre à cet égard une
explication lucide : « La motivation fondamentale de la politique
étrangère américaine sur les droits de l'homme repose
profondément sur la tradition américaine. [...]
L'expérience américaine imprègne sa politique
étrangère d'une qualité missionnaire unique. [...] pour la
plupart des Américains, l'intérêt national ne peut pas
être séparé
265 «Constructive engagement», GELATT, Thomas A,
ORENTLICHER Diane F, « Public Law, Private Actors: The Impact of Human
Rights on Business Investors in China Symposium: Doing Business in China
», Northwestern Journal of International Law & Business, Vol.
14, 1993, p. 73.
266 APODACA Clair, STOHL Michael, « United States Human
Rights Policy and Foreign Assistance », International Studies
Quarterly, Vol. 43, n° 1 (Mar., 1), p. 194. URL :
http://www.jstor.org/stable/260070,
Consulté le : 26/02/2015.
267 CARNEY Christopher P, « Human Rights, China, and U.S.
Foreign Policy: Is a New Standard Needed? », Asian Affairs, Vol.
19, No. 3 (Fall, 1992), p. 131. URL:
http://www.jstor.org.ezscd.univ-lyon3.fr/stable/30172157,
consulté le 09/04/2015.
268 GELATT, Thomas A, ORENTLICHER Diane F, « Public Law,
Private Actors: The Impact of Human Rights on Business Investors in China
Symposium: Doing Business in China », art. cit. p.74.
58
de la question des droits de l'homme
»269. La question des dissidents et des prisonniers
représentait à ce titre, les problématiques les plus
brûlantes de l'après-Tiananmen, en témoigne l'affaire Fang
Lizhi détaillée plus haut.
Ceci témoigne aussi d'un estompement dans la
hiérarchie des enjeux de politique étrangère globaux, tel
que l'ont hypothétiquement théorisé R. Keohane et J. Nye.
Presque à égalité avec les problématiques
économiques ou sécuritaires, la question des Droits de l'Homme
faisait désormais partie intégrante des enjeux de la relation
sino-américaine.
Section 2 : Une interdépendance complexe croissante,
résultat de la politique engageante de George Bush
La deuxième caractéristique majeure
héritée de la période post-Tiananmen est
l'interdépendance complexe grandissante entre les deux pays,
résultat de la politique chinoise engageante de George Bush. Celle-ci
s'orienta prioritairement vers les intérêts économiques.
Dans un premier temps l'administration tenta donc d'apaiser discrètement
les mesures qu'elle avait elle-même passées. En Octobre 1989
l'administration chercha par exemple à atténuer l'impact des
sanctions militaires270. Effectivement, la relation après les
sanctions essuya d'importants revers dans son commerce
bilatéral271. Alors que les Américains exportaient
637,7 millions de dollars de biens à la Chine en Juillet 1989, en
Novembre, le chiffre était divisé par deux272. Mais
très vite, le commerce bilatéral sino-américain subit une
importante progression. De 13,5 milliards de dollar en 1988, le volume des
échanges économiques atteignit 20 milliards en 1990. Dans le
même temps, le surplus commercial de la Chine avec les Etats-Unis passa
de 6 milliards de dollar en 1989 à 10 milliards en 1990 créant
ainsi le plus important déficit américain par rapport à
tous ses autres partenaires273. La Chine renforça son
économie après Tiananmen et compte tenu du gel d'un certain
nombre de prêts, le pays fut obligé de maîtriser son
inflation tout en consolidant ses exportations274.
Si l'interaction économique sino-américaine
généra dans l'ensemble une coopération gagnante-gagnante,
celle-ci n'empêcha pas l'apparition d'une méfiance
réciproque.
269 KISSINGER Henry, « A Constructive, Long-terme
Chinese-U.S. Relationship », International Herald Tribune, 28
mars 1994, p. 7.
270 MANN James, About Face: A History of America's Curious
Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p. 218.
271 « The second Bush strategy », HARDING
Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972,
op. cit. pp. 280-283.
272 Site du bureau du recensement des Etats-Unis :
https://www.census.gov/foreign-trade/balance/c5700.html,
consulté le 09/04/2015. Voir Annexe 1: Evolution du déficit
commercial américain avec la Chine pp. 93-94.
273 XINGHAO Ding, « Managing Sino-American Relations in a
Changing World », Asian Survey, Vol. 31, n°12 (Dec., 1991),
p. 1162. URL:
http://www.jstor.org/stable/2645396,
consulté le : 26/02/2015
274 CONABLE Barber B., LAMPTON David M., « China: The
Coming Power », Foreign Affairs, Vol. 71, n° 5, 1992, p.
137. URLl:
http://www.jstor.org/discover/10.2307/20045408?sid=21105942571611&uid=4&uid=2&uid=3738016,
consulté le 09/04/2015.
59
Section 3 : Les questions de sécurité
C'est un autre trait dominant de la relation actuelle
fixé dans la période post-Tiananmen. Une chose frappe à la
lecture des archives déclassifiées provenant du site
DNSA, la prolifération des armes et son commerce par la Chine
furent scrutés de près par les services de renseignement
américains, d'autant plus après Tiananmen. A cet égard, un
rapport des services de renseignement de l'armée américaine
inspecte en détail la politique de défense chinoise (son
organisation, ses organes de contrôle) et son complexe
militaro-industriel afin d'analyser les évolutions à venir de
l'APL275. Un des aspects les plus troublants de l'émergence
de la Chine post-Tiananmen pour les Américains concernait sa politique
exportatrice agressive de matériel et de technologie nucléaire
vers les autres nations en voie de développement276. Ses
relations avec les pays arabes étaient à cet égard,
observées de près par les services secrets
américains277 car beaucoup des destinataires des exportations
chinoises étaient impliqués dans des conflits régionaux,
la Syrie ou le Pakistan notamment. Le problème n'était pas la
concurrence dans le domaine du commerce des armes pour les Américains
mais celui de la sécurité mondiale. La vente de technologie
nucléaire ou de système de missile balistique entrait
effectivement en contradiction avec la stratégie
américaine278. Le contrôle des armements revêtit
donc un enjeu crucial sous G. Bush face aux exportations chinoises aux Etats
qualifiés de « parias ». Concernant la vente de
missiles à la Syrie et au Pakistan, en échange d'une levée
des sanctions, Pékin fit de vagues promesses et sur la
non-prolifération, la RPC déclara s'engager contre la
prolifération dans la péninsule coréenne279. La
Chine finit par signer le Traité de Non-prolifération le 9 mars
1992 mais la rivalité dans le domaine des missiles balistiques se
poursuivit jusqu'à très récemment, encore en
2007280.
La fracture qu'a provoquée Tiananmen dans la relation
sino-américaine demanda des prises de décision urgente de la part
de l'administration Bush. Agissant en véritable homme d'Etat et
275 U.S. ARMY INTELLIGENCE AGENCY, « Chinese Force
Planning for the Year 2000 The Strategic Rationale for Scientific and
Technological Modernization - 20th of March 1990 », Digital
National Security
Archive, China and the U.S., 21p.
276 RAND CORPORATION, « Chinese Arms Production and Sales to
the Third World - 1991 », Digital
National Security Archive, China and the U.S., 60p.
277 Plus particulièrement ses relations avec le Maroc,
l'Iran, les monarchies du Golfe (Koweït, Oman,
Bahreïn, l'Arabie Saoudite) ou encore la Jordanie et
l'Algérie : cf. U.S. DEPARTMENT OF DEFENSE, « [Excised] China's
Relationship with Arab Nations - 29th of March 1990 »,
Digital National Security Archive,
China and the U.S., 4p.
278 Un rapport du mois de Mai 1990 atteste de la vente de
trois réacteurs nucléaires à la Syrie dans le domaine de
la recherche et du développement : U.S. JOINT CHIEFS OF STAFF, «
China-Syria Nuclear Cooperation - 16th of May 1990 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p. Une autre
note témoigne de la vente de missile SRBM M-11 au Pakistan : U.S.
CENTRAL INTELLIGENCE AGENCY, « Ballistic Missiles in [Excised] Pakistan
[Excised] - July 1990 », Digital National Security Archive, Weapons of
Mass destruction, 19p.
279 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 131.
280 ZAJEC Olivier, Cours Magistral «Politique et
Stratégie Nucléaires», Université Jean Moulin
Lyon 3, semestre 8, 2015.
60
privilégiant une approche pragmatique des relations
internationales, le Président Américain favorisa le maintien de
la relation et le contact avec Deng Xiaoping. Face aux réactions de
l'opinion catalysées par le Congrès, la nécessité
de prendre des sanctions fut inévitable. Cependant, afin d'éviter
toute rupture diplomatique, George Bush orienta très vite la politique
chinoise des Etats-Unis dans un « engagement constructif »
pour redéfinir la relation. A cet égard, cette politique
contribua à poser les fondements et les problématiques de la
relation sino-américaine contemporaine. Le cadre théorique de
l'interdépendance complexe invite à prendre en compte les
paramètres sécuritaire, humain, économique de cette
relation. Cette section constitue donc en elle-même notre transition pour
aborder le dernier chapitre de notre travail qui se consacrera à faire
une lecture théorique globale des rapports sino-américains
post-Tiananmen.
61
Partie 3 : La théorisation de la relation
sino-américaine post-Tiananmen par l'interdépendance complexe :
étude critique expérimentale
Tel que le résume Juliette Bourdin dans sa
thèse, « la répression des manifestations sur la place
Tiananmen, en Juin 1989, marque un tournant radical dans la poursuite des
relations sino-américaines et l'embellie progressive des années
1980 cède la place à une décennie marquée à
la fois par de sérieuses crises diplomatiques et par une
interdépendance économique grandissante entre les deux pays.
»281. Maintenant que le cadre historique est défini
et les bases théoriques sont jetées, concentrons-nous donc sur
les modalités de l'interdépendance sino-américaine
post-Tiananmen.
Titre 1 : Les débuts d'une
interdépendance économique prometteuse
Comme nous venons de l'introduire dans la dernière
partie, la configuration contemporaine de la relation sino-américaine
commença après les événements place Tiananmen. De
même, le défi chinois de Washington dans sa forme actuelle
hérita de la politique chinoise de George Bush : malgré le
maintien d'une relation étroite, l'absence d'unanimité demeure au
sein des classes dirigeantes américaines. En dépit de ces
divisions, la Chine est devenue aujourd'hui le principal partenaire
économique et commercial des Etats-Unis. Cette situation découle
justement des premières politiques menées après
Tiananmen.
Chapitre 1 : Un commerce bilatéral
sino-américain croissant
Au sein de la relation d'interdépendance
sino-américaine qui se tissait progressivement (se désectorisant
insensiblement à plusieurs niveaux de politique), l'économie et
le commerce prirent une ampleur particulière.
Section 1: Un commerce nécessaire avec les
Etats-Unis
Après les sanctions prises par les Occidentaux contre
la Chine après Tiananmen, les dirigeants communistes se
retrouvèrent isolés sur la scène internationale. Au cours
de l'année 1990, la Chine fut le seul marché important dans
lequel les exportations américaines déclinèrent par
281 BOURDIN Juliette, Les relations
sino-américaines de Tiananmen à la présidence de George W.
Bush (1989-2006) : une analyse des enjeux économiques et
stratégiques à la lumière de l'Histoire, op. cit. p.
156.
62
rapport au niveau de 1989282. A l'inverse, durant
la même période, les importations chinoises augmentèrent de
27%283 ce qui contribua à accroître le déficit
de la balance commerciale des Etats-Unis avec la Chine. Entre 1989 et 1992 le
déficit tripla, passant de 6 milliards de dollar à
18284. Cependant, pour nourrir son économie croissante,
l'expansion commerciale était devenue une condition critique pour la
modernisation de l'économie chinoise285. Or pour maintenir un
niveau d'exportations suffisamment haut, la Chine avait radicalement besoin des
Etats-Unis, devenu déjà son plus grand marché
d'exportation avec environ 25 à 30% de ses produits destinés au
marché américain286. Une note d'information de Richard
Salomon spécifie clairement que le commerce et les investissements
sino-américains ont favorisé l'apaisement des
relations287. A cette occasion l'assistant-secrétaire
rappelle que des efforts doivent être fournis, d'autant plus du
côté chinois compte tenu de sa situation économique
(rappelant que la réduction de l'inflation a fait plonger la croissance
industriel de 15-20% à 5% en 1990) et de l'engagement américain
(premier marché pour les exportations chinoises, plus gros investisseurs
en Chine, Japon inclus)288.
Section 2 : Le commerce au coeur de la coopération
stratégique
Si la normalisation fut à l'origine le résultat
de besoins stratégiques, très vite c'est donc le commerce qui
devint dans un premier temps le moteur de cette coopération
stratégique. Celui-ci servit effectivement de passerelle entre les deux
pays pour compenser les fluctuations politiques. C'est ce qui se produisit
après Tiananmen. Avec George Bush père, les Etats-Unis
encouragèrent le développement des conditions d'une Chine plus
stable, plus prospère, plus apaisée, au nom de la défense
des intérêts économiques et sécuritaires
américains. Il apparaît ici que les questions de
sécurité, dès la période post-Tiananmen, ne
dominèrent plus intégralement la relation, désormais
centrée sur des problématiques touchant aux besoins de
l'économie. Le commerce sino-américain jusqu'à
aujourd'hui, connut deux périodes d'importantes croissances : les
quelques années après
282 PERRY Susan, La politique chinoise des Etats-Unis
1989-1997, op. cit.32.
283 Ibid.
284 Bureau du recensement des Etats-Unis:
https://www.census.gov/foreign-trade/balance/c5700.html,
consulté le 07/05/2015.
285 XIAOXIONG Yi, « Chinas U.S. Policy Conundrum in the
1990s: Balancing Autonomy and Interdependence », Asian Survey,
Vol. 34, n°8 (Aug., 1994), p. 676. URL:
http://www.jstor.org/stable/2645257,
Consulté le 26/02/2015.
286 Ibid.
287 Richard Salomon précise d'ailleurs l'ensemble des
mesures que le Président Bush s'est efforcé de prendre depuis
Tiananmen: maintien des prêts accordés par la banque
d'Import-Export, vente de technologie avancée à Pékin,
soutien américain à la Banque mondiale, soutien à son
adhésion au GATT
etc. cf U.S. DEPARTMENT OF STATE, «
Meeting with Chinese Foreign Minister Qian, November 30, The Deputy Secretary's
Conference Room, 11.00 a.m. », Digital National Security Archive,
29 Novembre 1990, 26p.
288 Ibid.
63
1979, et l'ère post-guerre froide289. Une
raison principale est la complémentarité de ces deux pays dans le
domaine commercial. Tandis que la RPC constitue une réserve
considérable de biens de consommation et de produits bons marché
pour les Américains, à l'inverse pour la Chine, les Etats-Unis
représentent une source vitale en équipement290.
Section 3 : Les premières phases d'expansion du
commerce sino-américain
Une interdépendance économique se tissa assez
rapidement entre les Etats-Unis et la RPC, à la faveur du nouvel ordre
mondial. En plus de maintenir un contact étroit au niveau gouvernemental
(dont nous avons détaillé les modalités dans notre
deuxième partie), l'administration américaine et les dirigeants
communistes chinois s'orientèrent vers l'ouverture économique et
commerciale. Le développement du commerce bilatéral
sino-américain démarra donc sur des bases fiables et solides.
Parallèlement à la croissance chinoise exponentielle, (9 à
10% de croissance par an pendant les années 1980)291, le
commerce bilatéral sino-américain s'envola de 20 milliards de
dollar en 1978 à 115 en 1990, soit 15% de croissance par an. En
supplément de ce commerce prometteur, l'investissement américain
en Chine augmenta considérablement et particulièrement dans les
zones économiques spéciales et dans les villes
côtières ouvertes292. En effet, après avoir
ouvert son marché en 1979, la RPC attira l'attention de bien des
investisseurs293. Le rêve d'un « marché du
milliard » naquit à cette période294 et
l'immense marché que représentait la Chine fit rêver nombre
d'Américains. Par conséquent dès 1979, les Etats-Unis
devinrent les plus importants investisseurs en Chine après Hong-Kong, et
Tiananmen n'empêcha pas la dynamique de progresser : de 271 millions de
dollars d'investissement en 1987, les Américains investirent plus de 2
000 millions de dollar en 1993 surpassant ainsi les Japonais (1 300 millions de
dollar en 1993)295. De multiples canaux, tel que le définit
la théorie de l'interdépendance complexe, commencèrent
ainsi à se développer entre les deux pays. Les questions
militaires et sécuritaires sans s'effacer complètement
s'intégrèrent finalement aux enjeux commerciaux. Le total des
investissements étrangers en Chine,
289 GUO Baogang, GUO Sujian, Thirty years of China-U.S.
relations: analytical approaches and contemporary issues, Lanham,
Lexington Books, 2010, op. cit. p. 103.
290 Ibid.
291 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 336.
292 TAN Rosalina, « Foreign Direct Investment Flows To
and From China », Philippine Apec Study Center Network, n°
99-21, 1996, p. 18. Table I.6.
293 GUO Baogang, GUO Sujian, Thirty years of China-U.S.
relations: analytical approaches and contemporary issues, op. cit. p.
103.
294 JIWEN Yu, CHAUDIERE Hélène, JIUSHI Niandai,
« Le "marché du milliard" est ouvert », Perspectives
chinoises,
n°3, 1992, pp. 26-29. URL :
/web/revues/home/prescript/article/perch_1021-9013_1992_num_3_1_1476 Consulté
le 03 Février 2015.
295 TAN Rosalina, « Foreign Direct Investment Flows To
and From China », Philippine Apec Study Center Network, n°
99-21, 1996, p. 17.
64
quasi-inexistant en 1978 s'élevait à 20
milliards de dollar en 1990296. La Chine seulement
20ème pays commerçant au monde en 1982, passa au
13ème rang en 1992297. Le solde du commerce
extérieur devint positif de 1990 à 1992 et le montant de ses
échanges extérieurs représenta environ 20% de son
PNB298. Les surplus accumulés par la Chine avec les
Etats-Unis furent multipliés par 7,2 entre 1987 et 1992299.
En 1992, les statistiques économiques chinoises plaçaient
Pékin juste derrière les nations industrialisées.
Ces contacts réguliers et étroits
démontrèrent que le recours à la force serait davantage
contre-productif que bénéfique. Un autre facteur de renforcement
de cette interdépendance fit irruption dans la période
post-Tiananmen : il s'agit de l'implication progressive de la Chine dans les
organisations internationales.
Chapitre 2 : L'émergence progressive de la Chine
dans un monde interdépendant
Il sera ici question de plusieurs cas de figures, exemples et
cas concrets mettant en évidence cette émergence progressive de
la Chine dans les sphères intergouvernementales les plus importantes de
la politique mondiale. Effectivement, dès les années 1980 la
Chine participa plus activement aux institutions internationales.
L'intégration de la Chine dans ces organisations, dont certaines
représentant symboliquement les valeurs classiques américaines,
démontra que la politique extérieure chinoise devenait plus
multilatérale, plus coopérative, et s'inscrivait dans un monde
économique mondial libéral.
Section 1 : Le protocole d'accession au GATT et ses
enjeux
Les préparatifs de Pékin pour devenir membre du
GATT débutèrent assez tôt en 1982 lorsqu'elle devint
observatrice300. En 1986, la Chine soumit sa candidature au
Secrétariat du GATT ce qui impliqua de rendre son économie
conforme aux règles du régime de l'organisation301.
Cette arrivée potentielle au sein du GATT ne passait pas
inaperçue et bien que la Chine ne fût pas encore
296 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 336.
297 JUDET Pierre (sous la direction de Claude Aubert, Jean-Pierre
Cabestan et Françoise Lemoine), « La Chine après
Deng. La Chine monte en puissance »,
Tiers-Monde, 1996, tome 37 n°147, p. 483. URL :
/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1996_num_37_147_5054,
Consulté le 03 Février 2015. L'article offre d'ailleurs un
état des lieux assez synthétique des évolutions de
l'économie chinoise au début des années 1990 jusqu'en
1995.
298 FUNABASHI Yoichi, OKSENBERG Michel, WEISS Heinrich, An
emerging China in a world of interdependence: a report to the Trilateral
Commission, 1994, The Trilateral Commission, New York, p. 35.
299 JUDET Pierre (sous la direction de Claude Aubert,
Jean-Pierre Cabestan et Françoise Lemoine), « La Chine après
Deng. La Chine monte en puissance », art. cit. p. 484.
300 PERRY Susan, La politique chinoise des Etats-Unis
1989-1997, op. cit. p. 157.
301 Ibid., p. 158.
65
en 1986 l'économie la plus puissante, elle deviendrait
le pays à économie dirigée le plus
important302. Son accession fut cependant vivement discutée
dès le début notamment par les Américains. L'enjeu
était en fait de pousser la Chine sur la voie des réformes de son
marché pour ouvrir complètement l'économie
chinoise303. C'est exactement ce que le monde des affaires
souhaitait. De plus, et nous le verrons dans la section suivante, une
intégration de la Chine dans le GATT (devenu OMC en 1995) impliquait de
lui promettre le statut de la nation la plus favorisée de manière
inconditionnelle et permanente304. Or, depuis Tiananmen, ce statut
était particulièrement contesté par le Congrès et
fit l'objet d'intenses discussions. Le groupe de travail qui se réunit
à Pékin en Décembre 1989, six mois après les
massacres, tira ses premières conclusions en Février 1992. Les
progrès avaient été faits mais la procédure ne
reprit qu'en mars 1993305. Tiananmen avait produit ses effets mais
tout n'était qu'une question de temps. La communauté
internationale et particulièrement les dirigeants américains
avaient conscience que l'adhésion de la Chine au GATT contribuerait
à l'intégrer encore davantage dans l'économie mondiale et
à poursuivre ses réformes structurelles dans le sens d'un
marché plus libre. En adoptant les standards du GATT, les
bénéfices économiques seraient mutuels. Après les
discussions sur l'Uruguay Round en 1994, les discussions reprirent
entre Américains et Chinois, mais il fallut attendre Novembre 2001 pour
que son entrée à l'OMC soit effective.
Bien que l'entrée de la Chine au GATT fût encore
loin d'être concrète pendant le mandat de G. Bush, les
débuts de négociation en Décembre 1989 montrèrent
néanmoins une volonté de la part des Chinois de se fondre dans le
circuit économique libéral. D'autant que cette initiative
n'était pas isolée.
Section 2 : Les institutions financières et
commerciales internationales
Après avoir rejoint le système de Bretton Woods
en intégrant la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire
International en 1980, Pékin devint en 1992 le plus important
bénéficiaire des fonds de la Banque Mondiale306. De
même, à la fin des années 1980 la RPC rejoignit la
Banque
302 Ibid., p. 160.
303 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « PRC GATT Accession -
10th of May 1989 », Digital National Security Archive,
China and the U.S., 4p.
304 Un rapport du Congrès américain de Juin 1992
définit le statut MFN et spécifie les conditions de son
application. A ce titre, l'article 1 du GATT est rappelé p. 5 : celui-ci
oblige en effet à accorder d'importants privilèges commerciaux
aux pays membres : cf : U.S. LIBRARY OF CONGRESS, « Most-Favored-Nation
Status of the People's Republic of China - 17th of June 1992 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 17p.
305 PERRY Susan, La politique chinoise des Etats-Unis
1989-1997, op. cit. pp. 170-171.
306 BOTTELIER Pieter, « China and the World Bank: How a
Partnership », Stanford Center For International Develoment,
Working Paper n° 277, Avril 2006, p. 3.
66
asiatique de Développement et l'Association de
coopération économique de l'Asie-Pacifique (APEC) en
1991307. S'agissant de la Chine, adhérer à ces
organisations présentaient deux avantages de taille : gagner la
reconnaissance de la communauté internationale et maximiser l'apport de
ressources internationales afin de moderniser sa propre
économie308. Mais à bien des égards, ces
développements eurent aussi des effets bénéfiques pour les
Américains. Une Chine prospère, efficiente et active dans
l'économie internationale était d'abord plus à même
de satisfaire les besoins essentiels des Etats-Unis qu'une Chine dont
l'économie était à la traîne et
désorganisée. D'autre part, sur le plan des intérêts
vitaux américains, une Chine dont la réussite se faisait par
l'intégration économique paraissait moins dangereuse qu'une Chine
dont les succès résultaient de son autarcie. De manière
plus pragmatique, l'ouverture de la Chine à l'économie mondiale
offrait des possibilités de commerce intéressantes et profitables
pour les investisseurs américains pour les raisons
évoquées plus haut (deux économies
complémentaires). A ne pas négliger non plus, l'adhésion
de la Chine à ces organisations cultivaient l'espoir chez les classes
dirigeantes américaines qu'à termes, Pékin s'ouvrît
à la libéralisation politique309.
Section 3 : Les accords et régimes de maîtrise
des armements
Un autre aspect peut être moins évident mais tout
aussi important pour les intérêts américains concerne les
accords et régimes de contrôle des armements. N'oublions pas
qu'une des raisons principales d'adhésion des Etats à ce type de
régime répond à un besoin de préservation de leurs
intérêts par anticipation des actions des autres acteurs, et jouer
un rôle de contrainte sur les comportements des acteurs de la
scène internationale310. Au cours des années 1980 et
1990, Pékin s'engagea donc progressivement dans les régimes
internationaux de maîtrise des armements : l'Agence Internationale de
l'Energie Atomique (AIEA) en 1984, la convention sur les armes biologiques la
même année, une autre convention sur les armes chimiques en 1993,
et surtout le Traité de Non Prolifération en 1992311.
Entre 1992 et 1994, Pékin déclara ses intentions de respecter les
normes et directives du régime de contrôle de la technologie des
missiles créé en Avril 1987 (RTCM)312. Les Chinois et
les Américains comprirent en effet que ces ratifications pouvaient
contribuer à réduire les tensions internationales tout en
augmentant la stabilité du système,
307 FUNABASHI Yoichi, OKSENBERG Michel, WEISS Heinrich, An
emerging China in a world of interdependence: a report to the Trilateral
Commission, op. cit. pp. 42-45.
308 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 162.
309 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 336.
310 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 162.
311 U.S. EMBASSY IN CHINA, « Chinese Views on NPT
Extension - 25th of November 1992 », Digital National
Security Archive, Weapons of Mass Destruction, 5p.
312 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 83.
67
favorable au développement du commerce. Dans chacune
des deux politiques étrangères, bien que la hiérarchie des
enjeux se dissipait, les questions de sécurité
conservèrent de leur importance car directement liées à la
prospérité de leur économie. Une nouvelle configuration
dans les rapports s'organisa, retraçant les contours de la
théorie de l'interdépendance complexe. Au-delà de ces
enjeux mais répondant à la même complexification des
rapports, les relations s'animèrent autour de domaines jusque-là
inexistants.
Chapitre 3 : La complexification des
échanges
Au-delà des problématiques habituelles autour
desquelles les relations bilatérales s'articulent souvent, nous allons
ici traiter des enjeux alternatifs que la Chine et les Etats-Unis ont peu
à peu placés au coeur de leur rapport pendant la période
post-Tiananmen. L'interdépendance complexe qui se développa dans
cette période fit apparaître de nouvelles facettes de la
relation.
Section 1 : Les échanges touristiques,
académiques et culturels
Dans un premier temps, Tiananmen affecta un autre domaine
économique de la relation sino-américaine : celui des
échanges touristiques. En Octobre 1989, le nombre de touristes
américains était 55% inférieur au même mois de
l'année précédente313. Cependant, le secteur
rebondit assez vite puisqu'en mai 1990 le nombre d'Américains en Chine
était aux deux tiers le même que celui de l'année
passée. A la fin de l'année 1990, environ 230 000
Américains s'étaient rendus en Chine pour visiter le pays, contre
300 000 en 1989314. Dans le domaine culturel, la relation
sino-américaine récupéra de Tiananmen seulement à
la fin de l'année 1991. Après un déclin en 1990, le nombre
de chinois participant à des échanges culturels et
académiques officiels avec les Etats-Unis fut
restauré315. Bien que les Etats-Unis aient suspendu leurs
échanges académiques via l'arrêt temporaire des
activités de la National Academy of Science et de la
National Science Foundation en 1989-1990, celles-ci
réactivèrent leurs programmes avec la Chine dès la fin de
l'année 1990. Quoique cet aspect puisse paraître largement
secondaire au regard de tout ce qui a pu être explicité
précédemment, les échanges académiques participent
largement de la stabilité de la relation entre deux
sociétés. La meilleure connaissance de l'autre contribue en effet
à briser les « préjugés destructeurs »
dénoncés par Montesquieu. Pour les Américains,
c'était aussi un facteur de promotion de la modernisation et des
réformes en Chine. Les deux gouvernements et plus
313 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 286.
314 Ibid.
315 Ibid., p. 287.
68
particulièrement les leaders chinois prirent conscience
de l'avance des Américains dans le domaine des technologies de pointe.
Pour s'en approprier la connaissance, Deng Xiaoping réalisa dès
1978 que les échanges universitaires constitueraient le vecteur de cette
transmission de connaissance. 100 000 étudiants et universitaires
chinois étaient ainsi venus aux Etats-Unis depuis la
normalisation316. Dans une proportion beaucoup moins importante,
quelques milliers d'Américains participèrent à des
programmes d'échanges dans le domaine scientifique pur ou celui des
sciences sociales, enseignant parfois dans des institutions chinoises. Une
relation durable sino-américaine passait donc aussi par une meilleure
connaissance du pays à tous les niveaux de la société.
En plus des contacts maintenus dans les hautes sphères
de la politique, la reprise des échanges à des niveaux
sub-gouvernementaux contribua à développer une politique chinoise
américaine dotée d'une meilleure compréhension du
système politique et économique chinois.
Section 2 : L'émergence de questions transnationales
dans l'agenda diplomatique
Dans l'agenda diplomatique des Etats américain et
chinois s'ajouta au fil de la période post-Tiananmen et plus encore par
la suite, des questions transnationales d'ordre environnemental notamment.
Dès le début des années 1990, les leaders chinois,
portés par la volonté de regagner la reconnaissance de la
communauté internationale, inscrivirent leur pays dans la construction
d'un régime international de contrôle de pollution de l'air. Dans
deux discours à l'Assemblée Générale des Nations
Unies en Septembre 1990 puis en Septembre 1991, le ministre chinois des
Affaires Etrangères Qian Qichen, souligna les ambitions de Pékin
de coopérer dans le domaine environnemental. En effet, à mesure
que son développement s'accéléra, la Chine prit conscience
de son impact sur la pollution. En Juin 1991, Pékin accueillit une
conférence ministérielle des pays en voie de développement
sur les liens entre environnement et développement. En 1991, la RPC
ratifia le protocole de Montréal sur la diminution de l'ozone de 1987
(les Etats-Unis le signèrent en 1993)317, en 1992 elle fut
l'une des premières nations à signer la convention pour la
diversité biologique, créée dans le sillage du sommet de
la Terre à Rio318. Toutefois, nuançons d'emblée
les positions chinoises dans ce domaine, Pékin ne s'engagea dans les
traités que lorsque le coût des mesures impliquées ne
portait pas préjudice à ses ambitions économiques. Parmi
les autres problématiques transnationales figurent la maîtrise des
armements que nous avons détaillés précédemment.
316 Ibid., p. 350.
317 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 165.
318 Ibid.
69
Section 3 : Les implications sur la relation
sino-américaine
La diversification et la multiplication des chaînes de
contact entre les Etats-Unis et la Chine apaisa la relation et renforça
les intérêts mutuels. Alors qu'en 1977 la RPC était membre
de 21 organisations internationales gouvernementales, et de 71 organisations
internationales non-gouvernementales, en 1995 Pékin avait rejoint 49 OIG
et 1013 ONG319. Si cette montée en puissance fulgurante
pouvait susciter des inquiétudes légitimes dans le camp
américain, dans le même temps, elle montrait que Pékin
aspirait à jouer un rôle constructif dans le système
international. Ce mouvement d'intégration chinois concourut à
complexifier l'interdépendance croissante entre les deux pays : la
relation sino-américaine impliquait désormais plusieurs niveaux
de prises de décision sur de multiples enjeux globaux (armements,
environnement, commerce, tourisme...), le tout faisant intervenir une palette
d'acteurs de différente nature : touristes, étudiants,
investisseurs privés américains et chinois, organisations
internationales gouvernementales, non-gouvernementales, diplomates et
ambassadeurs, haute sphère politique de l'Etat (contact entre le cercle
restreint de l'administration Bush et les hauts dirigeants chinois),
entreprises pour ne citer que les plus importants.
L'interdépendance semble donc instaurer un cadre en
apparence stable et figé, favorable à l'apaisement des tensions
politiques. Si cela peut être effectivement le cas dans certaines
situations, l'interdépendance telle que la décrivent J. Nye et R.
Keohane peut produire des configurations bilatérales
asymétriques, ouvertes à la manipulation et vecteur de tensions
politiques.
Titre 2 : L'apparition des premières
asymétries dans la relation commerciale
sino-américaine
Comme le soutient Dario Battistella, plus que
l'interdépendance en elle-même, ce sont les rapports de puissance
dans l'interdépendance qui intéressent J. Nye et R. Keohane.
Tandis que Pékin et Washington renforçaient leurs liens
d'interdépendance en s'engageant sur la voie de la coopération,
simultanément, cette même interdépendance posait les jalons
de la rivalité actuelle.
Chapitre 1 : La manipulation politique de
l'interdépendance sino-américaine
En effet, avec la fin de la Guerre froide et le leadership
américain s'installant, le Congrès, en réponse à la
répression Place Tiananmen, résolut de profiter de cette
suprématie pour sanctionner Pékin.
319 Ibid. p. 163.
70
Section 1 : Le premier débat sur le Statut de la
Nation la plus Favorisée
Lorsque le Statut de la Nation la Plus
Favorisée320 est conféré à un pays,
celui-ci n'est pas sujet à des discriminations d'ordre tarifaire
à l'encontre de ses exportations aux Etats-Unis321. Chaque
année de 1990 à 1992 le Congrès et le Président se
déchirèrent sur les conditions d'application du statut MFN
à la Chine322. En 1951, le Congrès vota le Trade
Agreements Extension Act (les Accords sur l'extension du Commerce) qui
stipulait qu'il revenait au Président de suspendre le statut MFN pour
l'Union soviétique et tous les pays du bloc communiste, ce qui incluait
autrefois la RPC323. En 1974, le Congrès émit un
amendement à cette loi via le Trade Act qui conditionna la
procédure de délivrance du statut MFN aux économies
planifiées, si bien qu'en 1979 J. Carter décida d'attribuer le
statut MFN à Pékin324. Après Juin 1989 et
malgré l'impact émotionnel des images de la répression aux
Etats-Unis, le retrait du statut MFN ne fut pas inclus dans le lot de
sanctions. Mais en 1990, au moment de renouveler le statut à la RPC,
Bush subit des pressions intenses du Congrès, des avocats des Droits de
l'Homme, des éditorialistes et des représentants
d'étudiants et d'universitaires chinois aux Etats-Unis325. On
reprocha à sa politique chinoise trop de concessions sans finalement de
réelles avancées sur la situation des droits humains en
Chine326. La question du traitement des dissidents demeurait une
pierre d'achoppement des associations de défense et les ventes d'armes
chinoises à la Libye, au Moyen-Orient continuait d'alimenter
l'idée d'un retrait du statut MFN. La classe politique se fractura donc
sur l'éventuel retrait du statut MFN, certain le percevant comme un
levier potentiel pour obtenir de la Chine plus de compromis, d'autre comme
l'unique moyen d'envenimer la situation327. Face au débat qui
s'ouvrit au Congrès, un compromis entre les pros et les antis MFN
émergea prudemment : on conditionnerait l'extension du MFN
c'est-à-dire qu'on renouvellerait le statut MFN en 1990 en imposant des
normes plus strictes à Pékin pour l'année suivante.
Là aussi, deux approches, une modérée, une autre plus
radicale328. Les trois propositions, retrait, conditionnement avec
les deux approches, furent soumises au vote à la chambre basse en
Octobre 1990. L'administration Bush s'opposa à chacune d'entre elles,
préférant maintenir le cap de son engagement constructif :
depuis
320 Most Favoured Nation Status, désormais
désignée sous le nom de Statut de Relations Commerciales Normales
Permanentes, Permanent Normal Trade Relations Status.
321 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 107.
322 GATES William, SKIDMORE David, « After Tiananmen: the
Struggle Over U.S. Policy Toward China in the Bush Administration », art.
cit., pp. 514-539.
323 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 107.
324 WANG Yangmin, « The Politics of U.S.-China Economic
Relations: MFN, Constructive Engagement, and the Trade Issue Proper »,
Asian Survey, Vol. 33, n°5 (May, 1993), p. 442. URL :
http://www.jstor.org/stable/2645312.
Consulté le : 26/02/2015
325 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 265.
326 Ibid., p. 265.
327 Ibid., p. 267.
328 Ibid., p. 268.
71
les années 1970 rappelle le sinologue Michel Oksenberg,
la garantie MFN avait largement contribué à la normalisation des
rapports329. Dès lors que le veto présidentiel
était appliqué, le vote devait obtenir une majorité aux
deux-tiers dans chacune des deux chambres du Congrès330. Le
retrait fut votée à la Chambre basse (247 voix contre, 174 pour)
mais la majorité ne fut pas suffisante pour l'emporter sur le veto
Présidentiel331. Alors que la session parlementaire prit fin
en Décembre, le vote concernant le renouvellement du statut MFN n'eut
pas le temps d'être soumis au Sénat et par conséquent, le
statut MFN fut maintenu, au moins temporairement.
Section 2 : Le deuxième débat sur le statut de
la nation la plus favorisée
Dès la fin de l'année 1990 la majorité
favorable à une révocation ou au moins à un
conditionnement du statut MFN attribué à Pékin
s'était dessiné. Bien que maintenu, l'administration savait son
renouvellement l'année suivante en danger. Le débat reprit donc
à la mi-1991 avec une intensité encore plus forte que
l'année précédente compte tenu du renforcement des liens
bilatéraux332. Les inquiétudes demeuraient à
l'égard de la situation interne chinoise : l'ampleur des réformes
n'était pas celle du début des années 1980,
l'autorité de l'Etat se maintenait sur les universités, les
médias, les institutions de recherche et les ventes d'armes, de missiles
et de technologies continuaient d'inquiéter les Américains. Les
missiles M-9 de moyenne portée prévoyaient d'être
délivrés à la Syrie. Plus alarmant encore pour les
Etats-Unis, la Chine aidait l'Algérie à construire un
réacteur nucléaire333. Une infime partie des
exportations de biens chinois étaient produits par des prisonniers ce
qui constituait aux yeux des Américains une violation évidente
des Droits de l'Homme334. Tous ces éléments
amenèrent l'administration à envisager que le Congrès
déciderait de monnayer le statut MFN pour contraindre Pékin
à plus de souplesse. Le retrait n'était plus à l'ordre du
jour mais on décida de le conditionner une fois de plus.
329 OKSENBERG Michel, « The China Problem »,
Foreign Affairs, Vol. 70, n°3 (Summer, 1991), p. 3, URL:
http://www.jstor.org.ezscd.univ-lyon3.fr/stable/20044815,
consulté le 07/05/2015. Une note du département d'Etat de Juin
1991 rappelle également qu'en cas d'interruption du statut MFN à
la Chine, celle-ci aurait mis en place des tarifs douaniers plus contraignants.
L'inquiétude des Américains dans ce cas-là mentionne le
mémorandum, n'était pas l'arrêt des exportations
américaines (seulement 4 milliards en 1990) mais le fait qu'un retrait
américain donnerait l'avantage à l'Europe et au Japon pour
reprendre des parts de marché en RPC : cf U.S. DEPARTMENT OF STATE,
« President's Report on MFN Status for China - 17th of June
1991 », Digital National Security Archive, China and the U.S.,
4p.
330 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 26.
331 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 268.
332 WANG Yangmin, « The Politics of U.S.-China Economic
Relations: MFN, Constructive Engagement, and the Trade Issue Proper »,
art. cit. p. 443.URL :
http://www.jstor.org/stable/2645312.
Consulté le : 26/02/2015
333 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Algeria and China -
Nuclear Reactor Cooperation - 10th of June 1992», Digital
National Security Archive, China and the U.S., 3p.
334 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Chinese Prisons and
Forced Labor - 25th of April 1991 », Digital National
Security Archive, China and the U.S., 6p.
72
L'administration Bush s'y opposa vivement, le Président
accusant ses opposants au Congrès d'adopter une position isolationniste
et de réduire de fait, les chances de promouvoir la paix et la
stabilité en Asie. Une fois de plus les votes ne suffirent pas à
contrer le veto présidentiel. Les effets du lobbying pro-MFN de la part
d'organisations et d'entreprises du secteur privé avaient produit ses
effets. Sans surestimer le rôle du business pro-Pékin, celui-ci
contribua, par son effet marginal à contrer une éventuelle
compensation du veto présidentiel335.
Section 3 : Les concessions chinoises à l'engagement
constructif du Président Bush
Si les volontés de l'administration Bush de maintenir
le statut MFN eut des échos dans l'opinion de Deng Xiaoping, au sein de
la classe politique chinoise, ces débats les obligèrent à
faire des concessions. S'agissant de la Chine, cela rima de fait comme une
ingérence étrangère intolérable. En effet,
cependant que les débats animaient le Congrès américain,
à Pékin, l'éventualité d'un retrait apparaissait
comme une fatalité à éviter impérativement. La RPC
chercha donc à donner des gages de bonne volonté au dépend
de son autonomie politique. Le 10 Janvier 1990, la Chine annonça le
retrait de la loi martiale à Pékin336. Le 18, les
leaders annoncèrent la libération de 573 manifestants de
Tiananmen337. En Mai 1990, de nouveau Pékin libéra 211
dissidents338, afin de témoigner d'un retour à la
normal sur le plan politique interne. Début Juin, 97 dissidents furent
à nouveau libérés. Dans la foulée, Pékin
promis l'acquisition de Boeing 747 à hauteur de 2 milliards de dollar
avec une option d'achat de même ampleur à court terme. A la fin du
mois, Fang Lizhi quitta l'ambassade américaine à Pékin
pour rejoindre la Grande-Bretagne339. A l'occasion du
deuxième débat, Deng Xiaoping décida que la RPC devait
à nouveau se préparer à conserver le statut MFN
américain en faisant de nouvelles concessions340. Au
printemps 1991, Pékin annonça l'arrêt de la production de
biens chinois par les prisonniers ainsi que le transport illégal de
produit textile aux Etats-Unis341. De même, la RPC s'engagea
à placer la construction du réacteur nucléaire
algérien sous contrôle de l'AIEA et à signer le TNP
l'année d'après. En Juin
335 GATES William, SKIDMORE David, « After Tiananmen: the
Struggle Over U.S. Policy Toward China in the Bush
Administration », art. cit. pp. 514-539.
336 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 101.
337 Ibid.
338 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 264.
339 Ibid., p. 265.
340 Ibid., p. 279.
341 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Measures Taken and To Be
Taken by the Chinese Government to Prohibit Illegal Transshipment of Textiles -
4th of June 1992 », Digital National Security Archive,
China and the U.S., 8p.
73
1991, le Premier ministre chinois Li Peng déclara que
la Chine ne pouvait pas donner davantage de concessions342.
Ainsi, bien qu'en apparence les deux Etats semblassent
s'orienter sur la voie de l'ouverture, de la « renormalisation
» et de l'interdépendance harmonieuse, ces mouvements
accentuaient simultanément le caractère de plus en plus
asymétrique de la relation.
Chapitre 2 : Interdépendance et pouvoir : la
dissymétrie nourrit les antagonismes
Comme nous l'avons expliqué en première partie,
la théorie de R. Keohane et J. Nye présente la faculté de
pouvoir étudier les rapports de puissance en situation
d'interdépendance. L'étude critique expérimentale ayant
pour objet l'aller-retour entre la théorie et les faits,
intéressons-nous aux effets de l'orientation asymétrique de la
relation d'interdépendance sino-américaine.
Section 1 : La prise de conscience de la
vulnérabilité chinoise
Effectivement, à l'occasion de ces débats et des
compromis forcés qui en découlèrent, Pékin prit
conscience de sa vulnérabilité à l'égard de son
partenaire commercial principal. Les potentiels changements aux Etats-Unis
concernant le renouvellement du statut MFN pouvaient affecter structurellement
la Chine. En conséquence de cause, Pékin dut réajuster sa
politique étrangère pour éviter ces amendements.
Typiquement cela correspond à une relation d'interdépendance
où les changements intervenant chez l'acteur A affecte l'acteur B
sensiblement vulnérable aux comportements de l'autre. A cet
égard, les débats sur le statut MFN sont particulièrement
éclairants. Certes, il était dans l'intérêt des
Américains de maintenir ce statut sans quoi la relation commerciale
aurait été probablement rompue et les deux pays auraient vu leurs
exportations mutuelles s'interrompre. Mais la Chine était bien plus
vulnérable : les Etats-Unis étaient un de leur principaux
partenaires ce qui n'était pas le cas des Américains avec le
Japon comme partenaire particulier. Le ministère chinois des relations
économiques et commerciales extérieures évaluait le
retrait du statut MFN à une perte de revenu en termes d'exportations de
près de 10 milliards de dollar343. Le U.S.-China Business
Council, lui, prévoyait une réduction des exportations
chinoises aux Etats-Unis de près de 50% soit une perte de 6 milliards de
dollar. Quoi qu'il en soit la société chinoise aurait souffert
à plusieurs niveaux si ce statut lui avait été
retiré. Les provinces, municipalités et entreprises qui
recherchaient la technologie ou les investissements américains auraient
été
342 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 279.
343 Ibid., p. 260.
74
profondément affectées d'un tel changement. Le
nombre d'étudiants chinois à séjourner aux Etats-Unis,
nettement plus important que l'inverse aurait été grandement
réduit.
Conscient de ce différentiel de
vulnérabilité et des concessions faites sous le poids de
celui-ci, l'antagonisme sino-américain pointait dangereusement. Une
méfiance s'installa chez les dirigeants chinois.
Section 2 : Le poids des perceptions dans ces
déséquilibres de puissance
Nous l'avions évoqué en introduction, l'histoire
sino-américaine fut rythmée de perceptions différentes,
parfois erronées, entre les deux pays. Tiananmen contribua à
cristalliser à nouveau cette dialectique dans un format en revanche
nouveau : l'interdépendance complexe. Cette théorie ne prenant
pas en compte les facteurs cognitifs de la relation, nous allons ici
très brièvement les effleurer car importants selon nous dans un
contexte de tension politique et pour la relation contemporaine.
Avec Tiananmen les Chinois eurent très clairement le
sentiment que les Américains étaient davantage
préoccupés par des problématiques économiques et
sécuritaires qu'humanitaires. Les protestations morales des dirigeants
américains permettaient selon les Chinois, d'exercer des pressions plus
à même de défendre leurs intérêts
économiques et sécuritaires. David Lampton recense ainsi les
suppositions faites par les observateurs chinois sur l'Amérique
après 1989 : les Etats-Unis cherchent à maximiser leur
intérêt national et à dominer le monde.
Deuxièmement, il apparaissait plus aisé pour les Chinois de
traiter avec les Etats-Unis et de coopérer avec eux quand leur pouvoir
était en déclin. Enfin, parce que les Américains croient
à « la loi de la jungle », sont de parfaits
réalistes, ils ne voient pas les autres nations comme des partenaires
mais comme puissances dont ils doivent enrayer la montée en puissance
pour assurer leur suprématie. Cette analyse rejoint celle de J. Wang et
Z. Lin qui relèvent trois perceptions chinoises sur les Etats-Unis
après la Guerre froide. La première est idéologique :
parce que pendant près d'un demi-siècle les Américains ont
lutté contre le socialisme, leur politique à l'égard de la
Chine, malgré la fin de l'affrontement Est-Ouest demeure hostile. Au
niveau géopolitique, cette période était propice au
développement de la stratégie américaine globale visant sa
seule suprématie. D'où la stratégie chinoise
contradictoire recherchant la multipolarité. Enfin, plus
généralement la période post-Guerre froide appelait
à changer la vision de l'ordre international davantage du point de vue
des relations d'interdépendance que d'un jeu à somme
nulle344.
344 LIN Zhimin, WANG Jianwei, « Chinese Perceptions in
the Post-Cold War Era: Three Images of the United States », Asian
Survey, Vol. 32, n°10 (Oct., 1992), pp. 904-915, URL:
http://www.jstor.org/stable/2645048,
consulté le 12/04/2015.
75
Du côté américain, historiquement deux
représentations de la Chine subsistent : l'une, chaleureuse et
constructive, l'autre malveillante et menaçante. Aux Etats-Unis se
mêlent donc l'espoir qu'en tant qu'ami, les efforts fournis avec la Chine
contribueront à renforcer les bénéfices commerciaux et
économiques mutuels et à libéraliser son régime et
l'idée qu'en tant qu'ennemi, Pékin représente un facteur
d'insécurité dont il ne faut rien attendre345. Ces
conceptions durablement antagonistes caractérisèrent une large
partie de la période post-Tiananmen, post-guerre froide jusqu'à
aujourd'hui. Les masses médias dans le même temps ont
favorisé la large diffusion de ces perceptions aux opinions publiques
américaine et chinoise.
Section 3 : Les limites de la coopération
sino-américaine
La prise de conscience du déséquilibre
sino-américain post-Tiananmen associé au poids de ces perceptions
pondéra largement la coopération avec les Etats-Unis. La
collaboration nous l'avons évoqué, n'empêcha pas l'absence
d'antagonisme. Au final la vulnérabilité face aux Etats-Unis eut
pour effet de forcer Pékin à diversifier ses positionnements et
muscler son économie. Les dirigeants chinois souhaitant désormais
bénéficier d'une marge de manoeuvre plus large pour
négocier avec les Etats-Unis entreprirent une politique qualifiée
de « différentes nations, différentes relations
»346. Entre Juin 1989 et Août 1992 la Chine
restaura, normalisa ou établit des relations avec l'Arabie Saoudite,
l'Inde, l'Indonésie, Singapour, le Vietnam, Israël, la Corée
du Sud et la Russie347. De même, son implication dans les
grands forums mondiaux s'accentua (détaillé plus haut) et plus
particulièrement au niveau régional en intégrant l'APEC.
Plus signifiant encore, Pékin parvint avec succès à
détacher les nations du G7 de l'étau américain en
restaurant ses relations avec les pays occidentaux et le Japon348.
Logiquement, cette politique étrangère chinoise active dans la
région ranima les vieilles craintes et méfiances
américaines qui s'étaient endormies. Sur le plan
intérieur, la croissance économique chinoise redoubla
après Tiananmen de 7,1% en 1991 à 12,8% en 1992 jusqu'à
13,4% en 1993349. L'amélioration du bien-être
général, la meilleure gestion de l'inflation, la hausse des
salaires apaisa les tensions au point que Pékin parvint à
supplanter les revendications politiques par un relèvement
économique.
Dans cette relation d'interdépendance
asymétrique la Chine chercha donc des garanties supplémentaires
pour sa sécurité économique et politique ce qui raviva
logiquement les craintes et
345 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 260.
346 « Different nations, different relations
», XIAOXIONG Yi, « Chinas U.S. Policy Conundrum in the 1990s:
Balancing Autonomy and Interdependence », Asian Survey, Vol. 34,
n°8 (Aug., 1994), page 681. URL:
http://www.jstor.org/stable/2645257,
Consulté le 12/04/2015.
347 Ibid. pp. 681-682.
348 Ibid. p. 682.
349 DITTMER Lowell, « Chinese Human Rights and American
Foreign Policy: A Realist Approach », The Review of Politics,
Vol. 63, n°3 (Summer, 2001), p. 439. URL :
http://www.jstor.org/stable/1408878,
Consulté le 12/04/2015
76
méfiances américaines apaisées depuis la
normalisation. Tel un cercle vicieux renforcé par le poids d'une
complexe interdépendance, chaque action de l'un affecta
négativement le comportement et les perceptions de l'autre. Ce
modèle d'interdépendance pervers contribua à poser les
premiers éléments de la rivalité sino-américaine
contemporaine.
Chapitre 3 : Les premiers éléments de la
rivalité sino-américaine
Cette dernière section répond à un besoin
de revenir aux sources historiques de la relation sino-contemporaine actuelle
tant étudiée. A notre humble avis la période
post-Tiananmen, riche de complexité, a posé les principaux jalons
de la relation actuelle. La crise ayant généré un climat
d'incertitude, il fallut instaurer un nouvel équilibre dans les
rapports. Par conséquent, étudier les premières
années post-guerre froide des rapports sino-américains c'est
quasiment anticiper les futures pierres d'achoppement des décennies 1990
à 2010. Du même coup cela permet de mettre en lumière ce
que théorise l'interdépendance complexe à savoir l'absence
de hiérarchie des enjeux et leur diversification dans les politiques
globales.
Section 1 : L'éternelle problématique des
Droits de l'Homme
Bien que G. Bush n'y portât pas suffisamment attention
aux yeux des représentants du Congrès américain, la
problématique devint un écueil durable de la relation dès
les premières années post-Tiananmen. En réalité la
question était traitée par l'administration Bush mais de
manière assez secondaire, une fois que l'objectif de préservation
des intérêts vitaux était atteint350. Pour les
Américains, deux considérations précèdent leur
intérêt à défendre cette cause : morale et
pragmatique. En défendant moralement les principes des Droits de l'Homme
les Américains défendent et diffusent leurs valeurs. De
façon plus réaliste, une Chine en proie à la
répression n'est pas profitable aux investisseurs
américains351. Conjoncturellement, avec la fin de la Guerre
froide la défense des Droits de l'Homme s'est présentée
aux Etats-Unis comme le successeur de l'anti-communisme dans l'arsenal
idéologique américain352. Nous l'avons vu, cette
problématique sera d'ailleurs reliée aux enjeux commerciaux avec
les volontés du Congrès de conditionner le statut MFN à
l'amélioration des droits humains en Chine353. La question se
posera de nouveau sous le
350 Un certain nombre de rapports du département d'Etat
témoignent de l'importance de la problématique des droits de
l'Homme dans la politique chinoise de l'administration Bush. Cf U.S. DEPARTMENT
OF STATE, « Human Rights Issues - 23rd of April 1991 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 3p.
351 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 340.
352 DITTMER Lowell, « Chinese Human Rights and American
Foreign Policy: A Realist Approach », art. cit., p. 422.
353 Une note du Congrès rappelle ainsi les conditions
d'attribution du statut ainsi que ses bénéficiaires dans le camp
des pays communistes. S'agissant de la RPC, le rapport indique des conditions
plus précises (notamment plus de liberté et
77
mandat de Clinton. Tout au long des années 1990 les
Etats-Unis teinteront donc leur politique chinoise d'une dimension humanitaire
via deux approches : une engagée (engagement constructif sous George
Bush père), une autre plus punitive, procédant d'une manipulation
du caractère asymétrique de l'interdépendance afin
d'intimider Pékin354. La RPC elle-même se servira d'un
assouplissement dans ce domaine pour donner du crédit à ses
ambitions. Ainsi en 2000, fut libéré un dissident connu, Wei
Jingshen juste avant que Pékin dépose sa candidature pour
accueillir les futurs jeux olympiques355. Le spectre des Droits de
l'homme s'élargira progressivement356, du niveau individuel
avec la question des dissidents, très présente pendant les
années 1990357, à un niveau plus large, celui des
groupes (cas du problème des exportations chinoises produites à
partir du travail forcé) jusqu'à plus récemment concernant
une zone géographique entière avec le Tibet.
Section 2 : La structure du commerce sino-américain en
question
Un autre facteur d'inquiétude devenu aujourd'hui un
réel défi pour les Américains concerne la structure du
commerce bilatéral sino-américain dont la balance commerciale est
nettement déficitaire du côté américain. Cette
situation émergea timidement dès le tournant des années
1990. En effet entre 1987 et 1991 le commerce bilatéral
sino-américain progressa considérablement : les indications
chiffrées chinoises affichant une augmentation de 7,8 milliards de
dollar à 14,2 milliards et les chiffres américains une expansion
de 10,4 milliards à 25,3 milliards soit un accroissement de
143%358. Parallèlement, les exportations de chacun des deux
pays augmentèrent (réserve faite de l'année 1990 dû
aux sanctions américaines). Alors que la balance commerciale
était quasi nulle en 1985, entre 1989 et 1992 le déficit
commerciale américain tripla passant de 6,2 milliards de dollar de
déficit à 18 milliards en 1992. La Chine devenait le plus
important marché américain à l'export dans le monde
totalisant près de 200 000 emplois américains359.
Washington souleva assez rapidement la question du déficit commercial
avec la Chine très vite devenu le plus important après
de respect des droits de l'Homme) : U.S. LIBRARY OF CONGRESS,
« MFN Trade Status Who Has It and Why ? - June 1992 », Digital
National Security Archive, China and the U.S., 4p. Voir Annexe 4 : Les
conditions d'attribution du statut de la Nation la plus favorisée par
les Américains, p. 97.
354 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. pp. 135136.
355 DITTMER Lowell, « Chinese Human Rights and American
Foreign Policy: A Realist Approach », art. cit. p. 439.
356 M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing U.S.-China
Relations, 1989-2000, op. cit. p. 140.
357 JACQUET Raphaël, « Trois ans après
Tian'anmen ... La situation des dissidents en Chine et à
l'étranger trois ans
après les événements de Juin 1989 »,
Perspectives chinoises, n°4, 1992, pp. 22-29. URL:
/web/revues/home/prescript/article/perch_1021-9013_1992_num_4_1_1498,
consulté le 12 avril 2015.
358 WANG Yangmin, « The Politics of U.S.-China Economic
Relations: MFN, Constructive Engagement, and the Trade Issue Proper »,
art. cit. p. 456.
359 DITTMER Lowell, « Chinese Human Rights and American
Foreign Policy: A Realist Approach », art. cit. p. 439.
78
le Japon dans la section 301 du U.S. Trade
Act360 qui invitait la Chine à élargir son
marché afin de le rendre plus libre tout en achetant plus de biens
américains. Pékin répondit en envoyant des
délégations et en baissant ses tarifs d'importation sur 225
produits, ainsi qu'en ouvrant son secteur industriel à l'investissement
étranger, et de manière général le secteur des
banques, assurances et des finances361. Pour autant, en 1992
quelques mois avant l'élection, l'administration Bush réclama
davantage de garanties d'ouverture de la part des Chinois.
En dépit de ces négociations, le déficit
de la balance commerciale américaine avec la RPC ne cessa de
s'approfondir pour atteindre des montants records : 342 milliards de dollar en
2014362.
Section 3 : Le retour de l'enjeu taïwanais
A cela s'ajouta dans les derniers moments du mandat de George
Bush le retour de l'enjeu taïwanais, préfigurant la future crise du
détroit de Taïwan dans la seconde moitié des années
1990. Alors que Reagan avait limité le commerce des armes avec
l'île par la signature du communiqué conjoint du 17 Août
1982 et que Taïwan avait été marginalisé par la
suite, le Président Bush, renversa 10 ans de politique américaine
taïwanaise. A l'été 1992, l'administration américaine
annonça en effet la vente à Taïwan de 150 avions de combat
F-16 pour un montant de 6 milliards de dollar363. Plus qu'une simple
vente d'armes, cette opération eut de profondes implications sur la
relation sino-américaine. Un rapport de Robert G. Sutter
(spécialiste de politique internationale) et de Wayne Morrison (analyste
financier) datant du 1er Septembre 1992 dresse ainsi la liste de
pour et de contre la vente de ces chasseurs. Parmi les arguments
avancés, les négociations de ventes françaises du Mirage
2000 avec Taïwan, l'importance du déficit commercial avec
Pékin, la perte d'emploi dans l'industrie de
défense364. Sur ces recommandations d'experts, la
coopération sino-russe se renforçant, attaqué sur sa
politique chinoise conciliante, accusé de coopérer avec des
dictateurs communistes pendant la campagne présidentielle, George Bush
prit la décision de vendre ces F-16. Cela renforça assez
logiquement l'antagonisme sino-américain : cette vente montra à
Pékin que les Américains ne leur accordaient plus l'importance
stratégique qu'ils concédaient auparavant. Immédiatement
le ministère chinois des affaires étrangères Qian Qichen
réagit en
360 WANG Yangmin, « The Politics of U.S.-China Economic
Relations: MFN, Constructive Engagement, and the Trade
Issue Proper », art. cit. p. 457.
361 Ibid.
362
https://www.census.gov/foreign-trade/balance/c5700.html,
consulté le 12/04/2015.
363 MANN James, About Face: A History of America's Curious
Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p. 268.
364 Tous les arguments pour et contre la vente de F-16
à Taïwan sont analysés par les deux experts
mentionnés : cf. U.S. LIBRARY OF CONGRESS, « Taiwan U.S. Advanced
Fighter Aircraft Sales--Pro and Con - 1st of September 1992 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 10p. Voir
Annexe 5: Expertise sur la vente des chasseurs américains F-16 à
Taïwan, p. 100.
79
menaçant les Etats-Unis qu'il y aurait de
sérieuses conséquences. Pour autant, il n'y eut pas de sanctions
immédiates. D'abord parce que l'administration Bush s'assura de
compenser cet incident en ravivant la commission commune du commerce suspendue
en 1989. D'autre part, parce que les dirigeants chinois étaient trop
surpris d'un tel échange pour savoir comment y répondre et
surtout, ils ne souhaitaient pas l'arrivée des démocrates, bien
plus critiques à l'égard des Droits de l'Homme, à la
tête des Etats-Unis. Selon les services secrets, Pékin
réagit très probablement discrètement en vendant des
missiles M-11 au Pakistan365.
Ce revirement diplomatique replaça donc Taïwan au
coeur de la relation sino-américaine annonçant à l'avance
la prochaine crise du détroit de Taïwan de 1995-1996. Bien que la
liste ne soit pas exhaustive, ces trois éléments, Droits de
l'Homme, balance commerciale et Taïwan, constituèrent des
composantes majeures de la relation sino-américaine à venir, dont
certains vestiges demeurent encore aujourd'hui. Ceci nous rappelle aussi
combien les enjeux sino-américains se sont diversifiés sur la
période post-Tiananmen au point de recouvrir des domaines de la
politique mondiale extrêmement hétéroclites. Evaluons
justement maintenant quel rapport entretient notre théorie
précédemment explicitée au regard des faits qui viennent
d'être énoncés.
Titre 3 : Conclusion partielle :
l'interdépendance complexe, un juste équilibre entre la
théorie et l'empirique ?
Ce dernier titre a vocation à livrer une
synthèse partielle sur l'applicabilité de notre théorie
choisie au regard de l'ensemble des faits qui ont été
détaillés. Au cours de ces trois derniers chapitres nous
relèveront donc ce qui nous a semblé le plus pertinent dans la
méthode de R. Keohane et J. Nye tout en dégageant ses limites les
plus frappantes. Enfin, les ultimes sections donneront une vision
réactualisée de leur théorie.
Chapitre 1 : La pertinence des questions
d'asymétrie de puissance
Il s'agit, selon nous, d'un des paramètres les plus
intéressants de la théorie de l'interdépendance complexe
de J. Nye et R. Keohane car ancré dans la réalité des
rapports internationaux et plutôt loin de l'idéalisme
libérale.
365 Ibid. Tout ce qui précède dans ce paragraphe
est issu de l'ouvrage de MANN James, About Face: A History of America's
Curious Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. pp.
268-271.
80
Section 1 : Un modèle de théorie
empirique
En effet, R. Keohane et J. Nye dresse le portrait d'un monde
interdépendant où finalement la coopération est peu
susceptible de supplanter les conflits internationaux. A la lumière de
ce qui vient d'être dit sur la relation sino-américaine
post-Tiananmen, la conclusion des auteurs prend du sens : « rien ne
garantit que les relations considérées comme
interdépendantes soit caractérisées par un
bénéfice mutuel »366. De cette
réciprocité imparfaite découle une asymétrie de
puissance porteuse d'une rivalité quasi inévitable entre les deux
Etats. Dès lors, l'interdépendance devient le cadre
d'évolution d'une relation où l'acteur vulnérable est en
quête de puissance sur son partenaire. Les frontières entre
politique intérieure et extérieure s'obscurcissent sur plusieurs
domaines de la politique mondiale, les questions de politique interne affectant
les enjeux internationaux. A cet égard, les deux instruments de mesure
de la puissance dans l'interdépendance, la vulnérabilité
et la sensibilité, apparaissent à même d'évaluer
l'intensité des rapports de force entre les deux acteurs. Par le
réajustement permanent de leur politique extérieure et
intérieure aux comportements des autres acteurs du système, les
Etats fournissent des données tangibles de leur degré de
vulnérabilité aux changements externes.
Section 2 : Eloquent dans le cas de la relation
sino-américaine
L'exemple sino-américain constitue à ce titre un
exemple parfaitement éloquent. De la crise politique de Tiananmen aux
ventes des F-16 américains à Taïwan dans les derniers
instants du mandat de Bush, la stabilité de l'interdépendance
sino-américaine n'a cessé d'être remise en cause. Si dans
un premier temps elle apporta de l'équilibre à leur rapport et
constitua un moyen détourné d'apaiser les tensions politiques,
dans le même temps elle posa des éléments cardinaux de la
rivalité actuelle. Qui plus est, par son caractère
asymétrique, elle souleva des antagonismes et réveilla des
perceptions malveillantes. C'est toute l'ambigüité d'un rapport
interdépendant : la proximité apporte à la fois un
sentiment de sécurité - l'acteur est visible, ses actions
à priori prédictibles, sa promiscuité dissipant les
suspicions d'agissement secret - et de méfiance, la
contigüité accentuant l'impact et l'imminence des décisions
du partenaire rival ainsi que la nécessité d'en contrer les
effets. Dans le cas sino-américain tout débuta avec Tiananmen :
après que les Etats-Unis, alors en situation de leadership, prirent des
sanctions contre la Chine, Pékin, devenu vulnérable, tenta de
fournir des garanties pour obtenir un retour à la normale et recouvrir
son commerce avec son associé principal. Du même coup les leaders
chinois, conscients de leur vulnérabilité aux
366 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and
Interdependence, op. cit. p. 10: « Nothing guarantees that
relationships that we designate as «interdependent» will be
characterized by mutual benefit. »
81
changements sur la scène intérieure
américaine avec les débats sur le statut MFN, tentèrent
d'élargir la marge de manoeuvre de la RPC en renforçant ses
positions à l'échelle internationale. Dès lors, le cercle
vicieux fut enclenché, les démarches des Chinois
alimentèrent un sentiment de vulnérabilité potentiel chez
les Américains. Le tout posa les jalons de la rivalité
sino-américaine actuelle.
Section 3 : La nécessité de distinguer
toutefois plusieurs contextes d'interdépendance
Ici nous pointons donc une faiblesse conceptuelle de la
théorie de J. Nye et de R. Keohane. Pour dénouer ce
caractère ambigu de l'interdépendance où la
coopération est étroitement mêlée à la
rivalité, il conviendrait en effet de délimiter plusieurs
catégories d'interdépendance et d'en dégager les processus
politiques. Cette solution est proposée par Stanley
Michalak367 qui en définit 5 types. Le premier est
caractérisé par une interdépendance importante mais
équilibrée, symétrique et largement
bénéfique aux deux parties malgré l'impact que peuvent
avoir les fluctuations de l'un sur l'autre. C'est notamment le cas des
relations commerciales entre pays développés. Le second cas de
figure détermine une situation où le degré
d'interdépendance est élevé, raisonnablement
asymétrique et où les conflits peuvent donc provenir d'un partage
des bénéfices modérément inéquitable. Cas de
certains pays du Tiers monde. Un autre type d'interdépendance
caractériserait des situations problématiques résultant
d'externalités négatives, fruit de la politique domestique de
certains pays et imposant des coûts importants pour grand nombre de pays.
L'auteur prend le cas du déversement des déchets toxiques dans
les océans. Un quatrième contexte considère qu'au sein de
l'interdépendance proviennent des problèmes de dépendance.
Ainsi, le cas de certains Etats à ambitionner d'établir des
relations avec les pays de l'OPEC pour réduire leur dépendance.
Enfin, un dernier cas de figure qui relève moins de la situation
d'interdépendance concerne des situations de dépendance
internationale, telle que les questions de famine368.
S'agissant de la relation sino-américaine
post-Tiananmen, celle-ci correspondait davantage au deuxième cas de
figure ce qui n'enlève pas des perspectives d'évolutions. Ainsi
aujourd'hui, celle-ci coïnciderait davantage au premier type
d'interdépendance. Les questions d'asymétrie de puissance
facilitent donc la compréhension des rapports globaux
sino-américains post-Tiananmen mais caractériser et ordonnancer
plus précisément la notion d'interdépendance comme Stanley
Michalak le propose permettrait de chasser l'ambigüité et le flou
qui l'entoure.
367 MICHALAK Stanley J., « Review: Theoretical
Perspectives for Understanding International Interdependence », World
Politics, Vol. 32, n°1 (Oct., 1979), pp. 141-143. URL:
http://www.jstor.org/stable/2010085,
consulté le: 13/04/2015.
368 Ibid.
82
Chapitre 2 : Une conception adaptée aux
évolutions des structures du système politique mondial
Néanmoins, la théorie de
l'interdépendance complexe de Nye et Keohane demeure adaptée
à la lecture des rapports de force mondiaux et à leur
évolution dans le système international.
Section 1 : La validation d'une partie des hypothèses
posées
Rappelons très brièvement les hypothèses
posées par R. Keohane et J. Nye que nous avons détaillées
précédemment. Les deux auteurs postulent trois caractères
nouveaux des relations internationales : l'existence de relation
interétatique, transgouvernementale et transnationale, l'absence de
hiérarchie des enjeux dans la politique mondiale et la diminution du
rôle de la force militaire. Sur ces trois critères
répondons d'emblée qu'au terme de notre étude nous en
avons vérifié deux. Effectivement, au sein de la relation
sino-américaine entre 1989 et 1993, les domaines se sont
diversifiés, d'une borne idéologique avec la question des Droits
de l'Homme à une extrémité sécuritaire avec les
enjeux du commerce et de la prolifération des technologies balistiques.
Les objectifs de politique étrangère sont ainsi devenus à
leurs tours interdépendants, la défense des droits humains
permettant aux Américains d'obtenir de la Chine une ouverture plus
grande de son marché aux investissements étrangers. Les questions
sécuritaires, économiques, commerciales, environnementales ont
fraternisé et la défense de l'un peut contribuer à la
promotion de l'autre. Le tout répondant à la logique
inébranlable de la défense de l'intérêt national.
Conjointement, les réseaux de chaîne de communication et de
contact se sont multipliés entre la RPC et les Etats-Unis validant la
première hypothèse de J. Nye et R. Keohane. Du plus haut niveau
de l'Etat entre Deng Xiaoping et Washington jusqu'à l'étudiant
chinois séjournant aux Etats-Unis en passant par les investisseurs
privés, les entreprises ou l'envoi de délégation
ministérielle, les rapports se sont complexifiés à tout
les niveaux au cours de la période post-Tiananmen. En revanche, cette
étude ne nous aura pas permis de confirmer l'hypothèse d'une
diminution du rôle de la force militaire. Certes, les deux Etats n'y
eurent pas recours l'un contre l'autre mais aujourd'hui, le renforcement et le
maintien d'un arsenal nucléaire et conventionnel ne préfigurent
ni d'un abandon de la force militaire ni d'un renoncement à son
éventuel usage. Qui plus est, la Guerre du Golfe contribua largement
à nourrir l'effort de défense chinois conscient après la
réussite de l'opération américaine, de son retard en la
matière. Les auteurs eux-mêmes nuancent largement cet aspect dans
leur seconde édition.
83
Section 2 : Les effets des régimes
internationaux
Dans la conception de l'interdépendance complexe, R.
Keohane et J. Nye portent une attention méticuleuse aux effets des
régimes et des institutions internationaux sur le comportement des
Etats. Bien qu'admettant que le degré d'efficacité de ces
régimes peut varier, les deux spécialistes concèdent que
l'existence de cadres institutionnels internationaux amène les Etats
à coopérer. Pour cela, il faut reconnaître que
l'implication progressive de la RPC dans les régimes financiers
commerciaux ou de l'armement internationaux a en effet contribué
à la restauration de sa reconnaissance internationale après
Tiananmen. Son protocole d'accession au GATT, sa ratification du TNP, son
intégration au sein de l'APEC ont adouci son image et rassurer au moins
sur la forme les Américains. Dans le même temps, et c'est tout le
paradoxe de l'interdépendance déjà cité, cela
alerta les Etats-Unis sur les réelles motivations chinoises. Son
intégration au sein de l'APEC notamment suscita des interrogations :
simple volonté de reconnaissance internationale ou renforcement de son
dispositif de sécurité régionale ?
Section 3 : Nuancer l'aspect coopératif de la
relation d'interdépendance : le comportement des Etats dominés
par la peur du déséquilibre
Cela nous amène donc à relativiser l'aspect
coopératif de la théorie de l'interdépendance complexe.
L'ambigüité qui se dégage dans la relation conduit les Etats
à prendre parfois des mesures contre les objectifs de coopération
et pour leurs intérêts. Tel fut le cas lors de la vente des F-16
américains à Taïwan. D'autre part, même les
démarches en apparence coopératives peuvent parfois relever d'une
toute autre logique. Ainsi, lorsque Pékin entreprit de recouvrir son
statut à l'international après Tiananmen par son insertion dans
les forums et régimes régionaux ou internationaux, sa conduite
était davantage dictée par la nécessité de
renforcer sa vulnérabilité que par une réelle
volonté de coopération. Et pour cause, Pékin siégea
auprès de Taïwan au sein de l'APEC, signe qu'elle fut davantage
guidée par le pragmatisme que par des aspirations solidaires.
Finalement, d'après nous, Power and Interdependence revisite la
conceptualisation réaliste selon laquelle le comportement des Etats est
sans cesse dominé par la peur d'un conflit armé369.
Appliqué au cas de la relation sino-américaine post-Tiananmen,
Power and Interdependence conjecture en dernier ressort que les Etats
sont en réalité dominés par la peur d'un
déséquilibre dans leur relation d'interdépendance. Cette
présupposition exige alors de maintenir perpétuellement dans les
rapports
369 NYE Joseph S., KEOHANE Robert O., « Power and
Interdependence Revisited », International Organization, Vol. 41,
n°4 (Autumn, 1987), p. 727. URL:
http://www.jstor.org/stable/2706764,
consulté le 13/04/2015.
84
un équilibre contradictoire : entretenir les liens de
coopération tout en réajustant en permanence sa politique face
aux avancées de l'autre afin de contrebalancer l'asymétrie
latente. Tout en manifestant une volonté coopérative, l'acteur
doit parfois conjointement agir à l'encontre des objectifs du rival.
Cette délicate combinaison guiderait selon nous la politique
extérieure et intérieure des Etats en situation
d'interdépendance.
Chapitre 3 : La réactualisation de la
théorie, signe d'un besoin d'adaptation
Nous venons de l'observer, la théorie de R. Keohane et
J. Nye fonctionne à bien des égards dans le cas de la relation
sino-américaine. Cela étant, il existe quelques limites dont nous
avons commencé à tracer les premiers contours.
Section 1: «Power and Interdependence
revisited»
Le trait peut-être le plus frappant qui met en
lumière le mieux les limites de la théorie provient des auteurs
eux-mêmes qui, au fil des années, ont réactualisé
leur concept. Ainsi, dix ans après la parution de Power and
Interdependence, R. Keohane et J. Nye revisitent leur théorie dans
un article intitulé « Power and Interdependence revisited
» édité en 1987. A l'occasion de ce travail, les
auteurs se prêtent au jeu de l'explication et de l'autocritique. Ainsi,
à demi-mot les théoriciens admettent nuancer leur
hypothèse concernant la diminution du recours à la force
armée370. Le contexte de l'époque remit effectivement
en cause ce bien-fondé : invasion de l'Afghanistan par la Russie, guerre
Iran-Iraq et même l'opération Tempête du Désert
menée par les Américains. Les auteurs reconnaissent
également la lacune de leur théorie sur les liens entre la
politique intérieure et international371. A ce titre, le cas
sino-américain représente un parfait contre-exemple avec les
débats politiques américains sur le statut MFN qui avaient
affecté directement la politique étrangère chinoise.
Enfin, Nye et Keohane annoncent dans cet article de 1987 vouloir se concentrer
davantage sur les contraintes et les possibilités du système
international, sa structure, ses modalités et la perception des
intérêts par les acteurs. Ayant lu l'article avant la
rédaction de ce travail de recherche, ces perspectives nous ont
orienté sur le caractère ambigüe et contradictoire de
l'interdépendance et nous ont amené à inclure une
sous-section sur le poids des perceptions et des facteurs cognitifs dans la
méfiance de l'autre. Ces éléments supplémentaires
éclairent en effet la
370 NYE Joseph S., KEOHANE Robert O., « Power and
Interdependence Revisited », art. cit., p. 727-728.
371 Ibid., p.753.
85
compréhension des rapports sino-américains sur
des points précis et importants qui facilite leur appréhension
globale.
Section 2: Un besoin nécessaire, des
réadaptations pertinentes
Bien que cette mise à jour constante démontre
les limites de cette théorie, chaque révision est finalement
l'occasion de les repousser pour étendre son applicabilité. La
seconde édition de Power and Interdependence de 1987, largement
le fruit de l'autocritique de 1987 présente ainsi un affinement de
certains des propos concernant le rôle de la force militaire. Notre
étude de la relation sino-américaine post-Tiananmen à la
lumière de l'interdépendance complexe aura participé de
cet effort d'adaptation. De la même manière que les auteurs
à plusieurs reprises nous en avons démontré la
validité, les limites et proposé de modestes modifications.
L'étude critique expérimentale de cette dernière section
était tout autant nécessaire qu'inévitable pour
évaluer le bien-fondé de cette théorie. Repenser leur
théorie est donc à la fois révélateur de ses
limites mais dénote une surprenante capacité de
réactualisation pour toujours être en phase avec les
réalités de l'évolution du système
international.
Section 3: «Power and Interdependence in the Information
Age»
En 1998, logiquement vingt ans après, R. Keohane et J.
Nye se livrent de nouveau à l'exercice de la réactualisation de
leur théorie. Ce travail est réellement surprenant par son
caractère actuel et son exactitude. Déjà, les deux auteurs
s'intéressent au cyberespace et à la mise en connexion des
sociétés via le World Wide Web (toile d'araignée
mondiale)372. R. Keohane et J. Nye dressent le constat que
l'apparition des nouvelles technologies dans les sociétés
bouleverse le concept d'interdépendance complexe en multipliant encore
plus les réseaux de chaîne de contact et de communication entre
les individus et les bureaucraties373. Cependant, en dépit de
cette révolution de l'information et de la communication (comme ils la
baptisent), celle-ci n'a pas affecté les deux autres
caractéristiques de l'interdépendance à savoir la
diminution du rôle de la force militaire et l'absence de
hiérarchie des enjeux374. Néanmoins, en plein dans la
RMA, J. Nye et R. Keohane reconnaissent une fois de plus que l'irruption des
technologies peut faciliter le recours à la force
372 KEOHANE Robert O. NYE Joseph S. « Power and
Interdependence in the Information Age », Foreign Affairs, Vol.
77, n°5 (Sep. - Oct., 1998), p. 83. URL:
http://www.jstor.org/stable/20049052,
consulté le 13/04/2015.
373 Ibid., p. 85.
374 Ibid., p. 84.
armée375. La structure du pouvoir dans cette
situation d'interdépendance a muté pour prendre des formes
évoluées distinguées entre le soft et le hard
power, résultat des travaux de J. Nye quelques années plus
tôt. Si ce travail de révision complexifie la théorie de
l'interdépendance complexe et lui fait perdre de sa pureté par
l'imbrication des travaux de J. Nye sur le soft power notamment, il n'en
demeure pas moins intéressant.
86
375 Ibid., p. 88.
87
CONCLUSION
Au cours de notre travail de recherche nous avons donc
interrogé les effets de l'interdépendance complexe sur la
relation sino-américaine post-Tiananmen. A la faveur de ce
questionnement essentiel, nous avons poursuivi deux réflexions
auxiliaires sur l'applicabilité de notre théorie par rapport aux
faits énoncés et sur les retombées de cette période
post-Tiananmen quant aux paramètres de la relation
sino-américaine contemporaine. Afin de circonscrire une réponse
soignée, nous avons développé plusieurs axes
d'études.
En premier lieu, il fut question de définir notre cadre
théorique. L'interdépendance complexe développée
par J. Nye et R. Keohane constitue, en effet, un objet d'étude
épineux dont il convient de délimiter précisément
les contours si l'on veut en dégager les ressorts principaux. Power
and Interdependence émet plusieurs hypothèses : d'une part,
l'existence de multiples chaînes de communication entre acteurs de
différentes natures, impliquant plusieurs niveaux de relation :
interétatique, intergouvernemental et transnational. D'autre part,
l'agenda diplomatique des Etats ne serait plus subordonné uniquement aux
enjeux sécuritaires et militaires mais bien à des logiques plus
variées telles que le commerce, l'économie, l'humanitaire,
l'écologie etc. Avec une extrême prudence, leur dernière
hypothèse, nuancée à plusieurs reprises, avance quant
à elle que le rôle de la force militaire
diminuerait376. A partir de ces trois assomptions, R. Keohane et J.
Nye définissent alors l'interdépendance complexe. Pour en saisir
le sens général, nous avons pris l'image d'une toile
d'araignée dans laquelle tout acteur se montre sensible et
vulnérable aux événements survenant dans une partie du
monde. Nous avons enfin déterminé les instruments de mesure de
cette théorie au regard de notre domaine de recherche. A ce titre, les
régimes internationaux et les questions d'asymétrie de puissance
(« sensitivity » et « vulnerability »)
nous étaient apparus particulièrement éloquents. En effet,
bien qu'elle favorise la coopération, la relation
d'interdépendance ne garantit pas que les bénéfices soient
mutuels. En cela Dario Battistella a détecté une
caractéristique essentielle de la théorie de R. Keohane et de J.
Nye : plus que l'interdépendance en tant que telle c'est
l'évolution de la puissance en situation d'interdépendance qui
intéresse les auteurs377. Dans la pensée des deux
universitaires, la puissance n'est donc pas simplement réduite à
un simple usage hiérarchique de la force ou de l'influence mais elle est
dotée d'une forte dimension relationnelle. Cette autre perspective
apporte dès lors une compréhension originale et facilitée
des rapports internationaux.
376 En effet, au cours de la lecture de la seconde
édition de Power and Interdependence mais également dans
les articles qui revisitent leur théorie, les auteurs nuancent largement
cette dernière supposition que le contexte stratégique
international de l'époque a passablement remise en cause.
377 BATTISTELLA Dario, Théories des relations
internationales, op. cit. p. 230.
88
En posant ces constatations théoriques nous avons
délimité la première étape de notre réponse
à la problématique. Incontestablement, pour apprécier le
rôle de l'interdépendance sino-américaine sur l'apaisement
des tensions politiques, nous devions fournir une idée claire de ce que
signifiait notre grille théorique. Ces conditions fixées, nous
avons abordé ensuite la description des faits, en deux temps : un
premier pan chronologique, s'affairant à l'analyse de l'immédiat
post-Tiananmen et un deuxième axe final plus thématique,
mêlant critique expérimentale théorique et factuelle.
La profusion de documents sur la crise de Tiananmen a
véritablement frustré notre recherche : nous avons dû faire
preuve de concision afin de livrer une analyse synthétique. De
l'arrivée au pouvoir du Président George Bush aux racines du
soulèvement populaire chinois jusqu'aux conséquences directes de
la répression menée par l'APL, les textes et documents officiels
de « première main » sont abondants. Pour autant, le
coeur de notre sujet n'était pas l'événement en
lui-même mais ses répercussions sur la relation
sino-américaine et les réponses de l'administration Bush qui en
ont résulté.
Assurément, Tiananmen a rompu la dynamique
relationnelle lancée en 1979. De surcroît, ce cataclysme
diplomatique a placé l'administration américaine dans une
situation critique confrontée à deux orientations
nécessaires mais contradictoires : répondre par des sanctions
tout en préservant la relation. A mesure que le Président Bush
donna ses réponses, la configuration actuelle de la relation se dessina
et une interdépendance délicate se tissa. Malmené sur la
scène intérieure378, forcé de prendre des
mesures contraignantes, le Président américain se livra à
un exercice diplomatique périlleux et délicat en tentant de
maintenir secrètement le contact avec les hauts dirigeants chinois et
spécifiquement Deng Xiaoping. De Baker à Nixon, en passant par
Kissinger, Eagleburger et Scowcroft, les voyages diplomatiques
constituèrent à cet égard le moyen
privilégié du Président pour maintenir un contact
étroit au plus haut niveau.
Evitant la rupture complète, surmontant les obstacles
du Congrès, le Président américain dut s'atteler
très vite au challenge de la « renormalisation » des
rapports. Le défi fut double pour l'administration américaine car
au même moment le socle de la relation qui avait été
justifié en 1972 par la présence d'un ennemi commun, l'URSS,
commençait à s'effondrer. La guerre du Golfe expérimenta
un nouveau rapprochement stratégique, en vain379. George Bush
tenta de compenser ces éléments compromettants par une politique
engageante qui contribua à poser les jalons de
378 L'opinion publique, catalysée par le Congrès
américain, exigeait de sa diplomatie des efforts en matière de
Droit de l'Homme. La lutte autour de la politique chinoise est assez bien
synthétisée dans l'article GATES William, SKIDMORE David, «
After Tiananmen: the Struggle Over U.S. Policy Toward China in the Bush
Administration », Presidential Studies Quaterly, Vol. 27,
n°3, Summer 1997, pp. 514-539.
379 Effectivement, après avoir voté toutes les
résolutions du Conseil de Sécurité aux mois d'Août
et de Septembre 1990 condamnant l'Iraq et appelant à son retrait
immédiat du Koweït, la Chine s'abstint lors du vote qui devait
autorisé le recours américain à la force armée.
89
l'interdépendance sino-américaine380.
Mais ce paravent ne faisait que laisser en suspend la question des Droits de
l'Homme et les préoccupations américaines sur les agissements
chinois en matière de prolifération des armes. Ainsi, au cours de
cette première phase post-Tiananmen se dessinaient les
éléments contemporains de la relation sino-américaine. Le
défi chinois de Washington dans sa forme actuelle hérita donc
directement de la politique chinoise du cabinet Bush et malgré le
maintien d'une relation étroite, l'absence d'unanimité demeurait
au sein des classes dirigeantes américaines.
Il fallut attendre la fin de l'année 1990, soit un an
après Tiananmen, pour que l'interdépendance
sino-américaine complexe telle que nous la connaissons aujourd'hui
apparaisse. En effet, résultat de la politique engageante de George Bush
et des efforts de la RPC pour rompre son isolement diplomatique, le commerce
sino-américain s'accrut rapidement. Malgré un ralentissement des
échanges en 1990, la Chine attira de nouveau les investisseurs
américains : de 271 millions de dollars en 1987, ils investirent plus de
2 000 millions de dollar en 1993381. Initialement économique,
cette interdépendance se désectorisa à la faveur du nouvel
ordre mondial et de l'implication progressive de la RPC dans les sphères
intergouvernementales les plus importantes de la politique et de la finance
mondiale382. En effet, la RPC prépara son accession au GATT
dès 1986 et devint en 1992 le plus important bénéficiaire
des fonds de la Banque Mondiale. De même, à la fin des
années 1980 la RPC rejoignit la Banque asiatique de Développement
et l'Association de coopération économique de l'Asie-Pacifique
(APEC) en 1991. Selon la stratégie de George Bush ces
développements présentaient un double bénéfice :
ils permettaient à la fois de satisfaire leurs intérêts
réciproques tout en cultivant l'espoir qu'à termes, Pékin
s'ouvrît à la libéralisation politique383. Qui
plus est, ce mouvement d'engagement de la RPC s'accompagna d'une
adhésion progressive aux régimes internationaux de
désarmement : l'AIEA en 1984, une convention sur les armes chimiques en
1993, et surtout le Traité de Non Prolifération en
1992384. Ainsi, lentement mais sûrement les tensions
héritées de Tiananmen commençaient à se dissiper. A
mesure que l'apaisement gagnait en importance, la relation se complexifia
progressivement. Les
380 Cette politique sera qualifiée d' « engagement
constructif ».
381 TAN Rosalina, « Foreign Direct Investment Flows To
and From China », Philippine Apec Study Center Network, n°
99-21, 1996, 55 p. Voir Annexe 2 : Evolution de la part de l'investissement
direct américain en Chine, 1987-1996 p. 95. C'est à cette
époque que le rêve d'un marché du milliard naquit,
l'immense marché chinois faisant battre les ambitions des investisseurs
américaines cf. JIWEN Yu, CHAUDIERE Hélène, JIUSHI
Niandai, « Le "marché du milliard" est ouvert », art. cit. pp.
26-29.
382 Observateur au GATT dès 1982, la RPC rejoignit le
système de Bretton Woods en intégrant la Banque mondiale et le
Fonds Monétaire Internationale en 1980. S'agissant du GATT, six mois
après la répression place Tiananmen, en Décembre 1989 un
groupe de travail se réunit pour tirer les premières conclusions
sur les efforts militaires. Malgré Tiananmen, le monde de la finance et
du commerce savait que son intégration n'était qu'une question de
temps.
383 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 336.
384 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 83. Ce mouvement
d'adhésion permit de rassurer les Américains inquiets des
agissements de Pékin en matière de prolifération des
armes. Ainsi, en apaisant les craintes la RPC contribua à stabiliser la
relation favorisant l'expansion du commerce avec les Etats-Unis, vital pour son
économie.
90
rapports sino-américains impliquaient désormais
plusieurs niveaux de prises de décision sur de multiples enjeux globaux
(armements, environnement, commerce, finance, tourisme...), le tout faisant
intervenir une palette d'acteurs de différentes natures : touristes,
étudiants, investisseurs privés américains et chinois,
organisations internationales gouvernementales, non-gouvernementales,
diplomates et ambassadeurs, haute sphère politique de l'Etat (contact
entre le cercle restreint de l'administration Bush et les hauts dirigeants
chinois) ou entreprises. En somme, l'interdépendance complexe
décrite par R. Keohane et J. Nye commençait à structurer
la relation sino-américaine.
En dépit de ces apparents signes d'équilibre,
celle-ci présenta dès ses débuts, une
réciprocité imparfaite. C'est à cet égard que la
théorie de l'interdépendance complexe nous a semblé la
plus intéressante. Elle offre effectivement une brillante grille de
lecture pour lire les rapports de puissance entre Etats en situation
d'interdépendance. Ainsi, dans le cas de Tiananmen le
déséquilibre apparut dès les premiers débats sur le
statut MFN385. Chaque année, de 1990 à 1992, le
Congrès et le Président se déchirèrent sur les
conditions d'application de ce statut. Bien que pour George Bush le maintien de
cette clause répondait à sa politique d'engagement
constructif386, vu de Chine, les débats qui opposèrent
le Congrès et le Président américain lui apparurent comme
un moyen d'obtenir de sa part des concessions. Ce qui fut effectivement le cas
: Deng Xiaoping jugeant nécessaire de fournir des gages de bonne
volonté pour maintenir cette préférence commerciale,
capitale pour son économie387. Le tout contribua à une
prise de conscience violente chez les dirigeants chinois : leur pays
était extrêmement vulnérable aux changements de la
scène intérieure américaine alors que l'inverse
n'était pas vrai. Une méfiance s'installa. Ce
déséquilibre était d'autant plus important que dans la
culture stratégique chinoise, les négociations doivent toujours
se faire sur un pied d'égalité. Si l'interdépendance
était croissante, la coopération sino-américaine
était donc largement pondérée par ce sentiment de
vulnérabilité. La RPC en profita pour muscler et diversifier son
économie, normaliser ses relations avec ses voisins ce qui par là
même, raviva les craintes américaines d'une montée en
puissance chinoise trop importante. A ce titre, le déficit progressif de
la balance commerciale américaine constituait un premier
élément d'inquiétude.
385 Most Favoured Nation Status, désormais
désignée sous le nom de Statut de Relations Commerciales Normales
Permanentes, Permanent Normal Trade Relations Status.
386 A chaque fois George Bush opposa son veto Présidentiel
contre le retrait de ce statut.
387 La plupart des concessions chinoises portèrent sur
la question des droits de l'Homme. Ainsi le 10 Janvier 1990, la Chine
annonça le retrait de la loi martiale à Pékin puis
s'ensuivit une série de remise en liberté de dissidents : le 18,
les leaders annoncèrent la libération de 573 manifestants de
Tiananmen. En Mai 1990, de nouveau Pékin libéra 211 dissidents,
début Juin, 97 dissidents furent à nouveau libérés.
A la fin du mois, Fang Lizhi quitta l'ambassade américaine à
Pékin pour rejoindre la Grande-Bretagne. A l'occasion du deuxième
débat, Deng décida que la RPC devait à nouveau se
préparer à conserver le statut MFN américain : au
printemps 1991, Pékin annonça l'arrêt de la production de
biens chinois par les prisonniers ainsi que le transport illégal de
produit textile aux Etats-Unis.
91
Cette situation d'interdépendance asymétrique,
telle que l'ont théorisé R. Keohane et J. Nye388,
initialement favorable aux Américains, favorisa l'émergence d'une
rivalité sino-américaine largement étudiée
aujourd'hui. Ainsi, au cours de la période post-Tiananmen, plusieurs
éléments de cette rivalité étaient
déjà identifiables : le spectre des Droits de l'Homme,
présent tout au long de la décennie 1990 jusqu'à encore
récemment (Tibet au moment des jeux olympiques de Pékin), l'enjeu
taïwanais389, et la structure du commerce
sino-américain, plus que jamais d'actualité. Ceci témoigne
aussi de l'élargissement des enjeux de politique étrangère
longtemps formatés par les questions de sécurité pendant
la Guerre froide.
Finalement, l'interdépendance sino-américaine
dans sa configuration complexe actuelle aura eu deux conséquences
principales après Tiananmen. D'une part, elle contribua à
supplanter une rupture éventuelle par une coopération
prometteuse. Le maintien des échanges à tous les niveaux,
l'accroissement du commerce, le renforcement des investissements et les
bénéfices qui en résultèrent encouragèrent
donc les deux Etats à poursuivre sur la voie de la collaboration, plus
fructueuse et profitable que l'incertitude et l'instabilité d'une
rupture. D'autre part, et c'est là un premier élément de
réponse quant au degré d'applicabilité de notre
théorie au regard des faits énoncés, cette
interdépendance sino-américaine dès ses débuts fut
asymétrique. De cette réciprocité imparfaite se
développa les prémices d'un antagonisme sino-américain
alimenté par un sentiment de méfiance mutuel. La
vulnérabilité du côté chinois, l'émergence
d'un concurrent direct chez les Américains participèrent de cette
appréciation réciproque. Par conséquent, si
l'interdépendance a permis l'évitement de la montée des
tensions, elle se caractérisa par la mise en place parallèle
d'une défiance symétrique au sein de laquelle se développa
un rapport de puissance pervers, chacun cherchant à obtenir des gages
stratégiques pour soulager sa vulnérabilité à
l'égard de l'autre. Assez paradoxalement, un équilibre instable
s'est donc installé à la faveur de la période
post-Tiananmen. Ces facteurs d'équilibre, nous les avons
identifiés au cours de notre réflexion en postulant qu'ils
constituaient l'essence contemporaine de la relation sino-américaine
actuelle. Droits de l'homme, balance commerciale, enjeux taïwanais,
question sécuritaire liée à l'influence grandissante de la
RPC dans son complexe régional sont autant d'éléments
vérificateurs de notre démonstration.
Pour tirer l'ensemble de ces conclusions, notre cadre
théorique s'est montré à bien des égards essentiel.
Par exemple, pour évaluer l'intensité des rapports de force entre
les deux acteurs, les deux instruments de mesure de la puissance dans
l'interdépendance (« sensibility », «
vulnerability ») se sont révélés de parfaits
indicateurs. Par le réajustement permanent de leur
388 « Rien ne garantit que les relations
considérées comme interdépendantes soit
caractérisées par un bénéfice mutuel
».
389 A l'été 1992, l'administration
américaine annonça en effet la vente à Taïwan de 160
avions de combat F-16 pour un montant de 6 milliards de dollar. Ce revirement
diplomatique replaça donc Taïwan au coeur de la relation
sino-américaine préfigurant ainsi la prochaine crise du
détroit de Taïwan de 1995-1996.
92
politique extérieure et intérieure face aux
comportements des autres acteurs du système, les Etats fournissent des
données tangibles de leur degré de vulnérabilité
aux changements externes. Les concessions chinoises au chantage du
Congrès américain sur le statut MFN sont, à ce titre,
évocateurs. D'autre part, la pertinence de notre outil théorique
s'est vérifiée à plusieurs reprises. En effet au cours de
notre étude, il s'est avéré que la plupart des
hypothèses de R. Keohane et J. Nye étaient valides390.
Qu'il s'agisse de l'existence de plusieurs niveaux de relations
(interétatique, transgouvernementale, transnationale) ou de
l'estompement d'une hiérarchie des enjeux en politique
étrangère, celles-ci sont assez nettement attestables dans notre
cas d'étude. Quant aux effets des régimes internationaux auxquels
J. Nye et R. Keohane prêtent une attention particulière dans leur
ouvrage, il faut reconnaître que l'implication progressive de la RPC dans
les régimes financiers, commerciaux ou de l'armement, a en effet
contribué à la restauration de la reconnaissance internationale
de cette dernière après Tiananmen. Son protocole d'accession au
GATT, sa ratification du TNP, son intégration au sein de l'APEC ont
adouci son image et rassuré, au moins sur la forme, les
Américains.
Nous avons cependant relevé plusieurs faiblesses
conceptuelles dans la lecture des rapports mondiaux au travers de ce prisme
théorique. D'abord, dans le cadre de notre conclusion partielle, nous
avons constaté qu'il faudrait distinguer plusieurs contextes
d'interdépendance. Cette solution est proposée par Stanley
Michalak391 qui en définit cinq types.
Précédemment cités, ceux-ci visent de manière
générale à circonscrire plusieurs natures et degrés
d'interdépendance (plus ou moins intense, plus ou moins
asymétrique). Une typologie des interdépendances permettrait en
effet d'envisager plus facilement et précisément des perspectives
d'évolution dans la relation entre deux Etats.
D'autre part, s'agissant d'une hypothétique diminution
du recours à la force militaire, il apparaît que l'effort
croissant dans le domaine de la défense aux Etats-Unis et en Chine
remettrait en cause ce postulat que les deux auteurs ont largement
nuancé par ailleurs. Enfin, et comme nous l'avons conclu à
l'instant, il faut relativiser l'aspect coopératif d'une relation
d'interdépendance. Dans le cas sino-américain post-Tiananmen,
l'adhésion chinoise aux institutions internationales et la
multiplication des niveaux de contact n'ont pas empêché
l'apparition d'une rivalité durable. Au regard de ces faiblesses
théoriques notons l'effort des deux auteurs pour réactualiser
leur thèse392,
390 Rappelons très brièvement ces
hypothèses détaillées dans la première partie :
selon les auteurs il y aurait trois caractères nouveaux des relations
internationales : l'existence de relation interétatique,
transgouvernementale et transnationale, l'absence de hiérarchie des
enjeux dans la politique mondiale et la diminution du rôle de la force
militaire.
391MICHALAK Stanley J., « Review: Theoretical
Perspectives for Understanding International Interdependence », art.. cit.
pp. 141-143.
392 A plusieurs reprises les auteurs se livrent à
l'exercice délicat de la réactualisation de leur thèse,
numéro d'équilibriste à double tranchant (besoin de
pallier des lacunes ou capacité de s'adapter à l'évolution
du système ?). Quoiqu'il en soit les différentes éditions
de leur ouvrage et leurs articles successifs sont éclairants. Voir : NYE
Joseph S., KEOHANE
93
exercice osé mais éclairant à bien des
égards car révélateur d'une faculté d'adaptation
surprenante. Tout en démontrant les limites de leur théorie R.
Keohane et J. Nye parviennent à en étendre
l'applicabilité. Ainsi en 1998, dans ``Power and Interdependence in
the Information age» les deux auteurs s'intéressent au
cyberespace et à la mise en connexion des sociétés via
le World Wide Web (toile d'araignée mondiale)393. R.
Keohane et J. Nye dressent le constat que l'apparition des nouvelles
technologies dans les sociétés bouleverse le concept
d'interdépendance complexe en multipliant encore plus les réseaux
de chaîne de contact et de communication entre les individus et les
bureaucraties394. Si de manière générale ce
travail de réflexion a tendance à complexifier davantage leur
théorie déjà difficile d'accès, il n'en demeure pas
moins intéressant et ouvre des pistes de recherche nouvelles.
Parmi les hypothèses développées par R.
Keohane et J. Nye, celle concernant le rôle de la force militaire s'est
révélée au fil du temps une supposition hasardeuse et
souvent contredite. Sur cette question, il conviendrait donc de prolonger
différemment la pensée des auteurs. Il pourrait par exemple
être intéressant de s'intéresser à l'influence de
l'interdépendance interétatique sur la pensée
stratégique et le recours à la force armée ; comment
finalement l'interdépendance peut agir sur le fonctionnement et
l'organisation d'une politique de défense. L'amiral Mahan supputait
déjà à la fin du XIXème siècle
que la puissance navale consistait à contraindre l'adversaire en
interrompant ses communications maritimes. L'histoire a montré
qu'effectivement toucher aux intérêts économiques
permettait d'affecter les intérêts vitaux de la population civile.
En conséquence, compte tenu du degré d'interdépendance de
plus en plus grand qui lie les Etats, ce sujet peut constituer une voie de
réflexion sur la façon dont les politiques et les militaires
envisagent la guerre : l'interdépendance les incite-t-elle à
préparer une guerre totale visant des objectifs limités ou
à l'inverse, les conduit-elle à envisager une guerre indirecte
devant permettre une victoire totale ?
Robert O., « Power and Interdependence Revisited »,
International Organization, art. cit. pp. 727-728.. Ou encore KEOHANE
Robert O. NYE Joseph S. « Power and Interdependence in the Information Age
», art. cit. p. 83.
393 KEOHANE Robert O. NYE Joseph S. « Power and
Interdependence in the Information Age », art. cit. p. 83.
394 Ibid., p. 85.
Table des Annexes
1. Evolution du déficit commercial américain
avec la Chine : 1989-1993395
94
395 Site du bureau du recensement des Etats-Unis
(consulté le 07/05/2015).
https://www.census.gov/foreign-trade/balance/c5700.html
95
2. Evolution de la part de l'investissement direct
américain en Chine, 1987-1996396
96
396 TAN Rosalina, « Foreign Direct Investment Flows To
and From China », Philippine Apec Study Center Network, n°
99-21, 1996, p. 17.
97
3. Etat du commerce sino-américain peu de temps
après l'arrivée au pouvoir de G. H. Bush (Mai
1989)397
397 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « US China Trade Trends -
10th of May 1989 », Digital National Security Archive,
China and the U.S., 2p
98
4. Les conditions d'attribution du statut de la Nation la
plus favorisée par les Américains398
398 U.S. LIBRARY OF CONGRESS, « MFN Trade Status Who Has
It and Why? - June 1992 », Digital National Security Archive, China
and the U.S., 4p.
99
MFN TRADE STATUS: WHO HAS IT AND Im
alleetax: An annual Jackson-vanik waiver was required
from 1978, when a trade agreement entered into force, until 1990, when Hungary
was found to comply fully with the Jackson-Vanik conditions. Title IV no longer
applies to Hungary because of Public Law 102-182 of December 4,
1991.
Mongolia_: The President executed Jackson-Vanik
waivers or: January 23 and June 3, 1991, and Mongolia received MFN
status on November 27, 1991.
pr}1.end: Although not subject to Title IV,
I4FN was
temporarily withdrawn in 1982 following the
declaration of martial law and crackdown on the Solidarity movement. MFN was
restored in 1987.
Yugoslav Republics: Each of the republics,
$1ovenia, Croatia, Elos113a., and 5erlaia/Montenegro, has
unconditional F ·IFN status. We currently have no trade with
Sarnia/Monteneajo because of the U.N.-sponsored trade embargo imposed
May 30, 1992.
wormer Soviet Republica: Eight of the 15 former
republics of the Soviet Union have MFN. Estonia, Latvia, and
14.j.2:111Allia were extended MFN as a result of their removal from Title TV's
Provisions. The 12 other former republics receive MFN on the same date
as entry into force of the required Title IV trade agreement. All twelve were
offered trade agreements modeled on the U.S.-Soviet trade agreement and advised
that we will not accept substantive changes. To date, only ?rlTeUia,
Kyroyast3n, Moidnva, Russia, and u kraine have ratified trade
agreements and receive ·:FN.
Kazakhstan has accepted the trade agreement's
text, but its parliament has not yet ratified the treaty. Taiik;stan and
Uabebistar1 have accepted the model text in principle, but not yet
signed agreements. Delar1 proposed unacceptable changes to the model
text and has not yet responded to cur rejection of its proposals.
iazerbai an, Geo.zaia, and Tlukatliatan have not yet
indicated whether they wish to sign trade agreements extending MFN.
Who does not receive MFN?
AfghanistLe : Afghanistan is not subject to
Title IV, bur its MFN status was suspended by Presidential proclamation
effective February 14, 1986.
Albania: Albania does not yet have AFN; the
U.S.-A?bania trade agreement was signed on May 14, 1992, and has been
submitted to Conaress for approval.
100
101
5. Expertise sur la vente des chasseurs américains F-16
à Taïwan (1992)399
[...]
- 399 U.S. LIBRARY OF CONGRESS, « Taiwan U.S. Advanced
Fighter Aircraft Sales--Pro and Con - 1st of September 1992 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 10p.
102
ARGUMENTS IN FAVOR OF TEE SALE
I°
U.S.-FRC relations--Beijing will be compelled
to accept the sale without major disruption of U.S.-PRC relations. Retaliation
in the form of military actions in the Taiwan Strait, boycott of U.S. aircraft,
wheat or other purchases, and/or a more pronounced effort to proliferate
weapons of mass destruction would probably damage PRO interests more than those
of the U.S. The U.S. Government could soften the impact, of the sales to Taiwan
on the PRO through such initiatives as stronger support for the PRO continuing
to receive MFN tariff treatment in the United States, for PRO entry into GATT,
more frequent U.S. official visits to Beijing or strong reaffirmation of the
U.S. adherence to a "one China" principle supported by Beijing. U.S. officials
could make' the case that U.S. sales of F-16 fighters are less provocative than
a possible sale of Mirage-2000e, with their longer range; that Beijing provoked
the U.S. response by acquiring the advanced Su-27 combat planes from Russia;
and that the United States remains consistent with its interpretation of the
1982 communique as it is replacing no longer operable aircraft with the
comparable planes now available.
U.S.-Taiwan--The sales would show support for
a longstandingfriend and former ally, maintain the air defense balance in the
Taiwan Strait, and encourage greater U.S. involvement in Taiwan's $303 billion
eix-year infrastructure program. On the latter point, press reports disclosed
that French wished to link its sale of Mirage-2000e to access to Taiwan's large
development projects--projects on which U.S. contractors are also bidding. In
addition, the sales could put a sizable dent in the U.S. trade deficit with
Taiwan (which stood at $9.8 billion in 1991).
U.S. domestic--The sales would support U.S.
jobs in the ailing defense industry and would also have a multiplier effect
throughout the rest of the economy." Politically, the sales would presumably
redound to the credit of the U.S. officials responsible for the economic
benefit.
'Note, there are no independent estimates of the
effects the F-16 sale would have on the U.S. economy.
1° The arguments were
reviewed at the CRS seminar on this issue, August 13, 1992.
<< The production of aircraft in the United
States affects a broad range of industrial sectors, directly and indirectly,
throughout the U.S. economy. See
Library of Congress, Congressional Research Service,
Airbus Industrie: An. Economic and Trade Perspective, by John W.
Fisher, et al. February 20, 1992, p. 43,
103
CRS-6
ARGUMENTS AGAINST THE SALE
U.S.-PRC relations Beijing may not
react "rationally,' from a U.S. perspective. Taiwan is a sensitive political
issue in Chinese domestic politics and Chinese Ieaders are in the midst
of a leadership struggle and are jockeying for power leading
up to the Chinese Communist Party's 14th Congress in late 1992. Under these
circumstances, Beijing might choose to resort to forceful measures in the
Taiwan Strait, retaliate against U.S. imports, downgrade diplomatic relations
with the U.S., or engage in human rights, proliferation'2 or other
practices antithetical to U.S. interests. Such behavior would alarm U.S. allies
and associates in Asia, who are more inclined to accommodate than confront
their giant neighbor. In addition, China might attempt to reduce economic and
trade ties with the United States, such as retaliating against U.S. exports and
investment. For example, China could reduce purchases of U.S. commercial
aircraft and turn to other foreign suppliers such as the European Airbus
Industrie. Some analysts predict that China will be the fourth largest
purchaser of commercial aircraft by the year 2010; hence, significant future
U.S. aircraft sales could be lost. China could also choose to cancel
its recently announced $1.2-billion joint production venture with McDonnell
Douglas Corporation. This would be a big blow to that company, which has been
financially strapped for cash. Over the longer term, the sale could be seen as
an egregious example of American duplicity aver an issue of strong national
interest among leaders of various political persuasions in China. As such, it
could sour U.S.-China relations for some time to come.
U.S.-Taiwan relations--The United
States can endeavor to keep the air defense balance in the Taiwan Straits by
pressing Beijing and Moscow against further sales of advanced fighters, by
strengthening U.S. support for Taiwan's troubled IDF program, and by upgrading
U.S. missiles, radars, and other air defense transfers to Taiwan. U.S.
officials can explain to Taipei that a possible arms race and
heightened tension in the Taiwan Straits appear not in their best interests.
U.S. access to Taiwan's large-scale infrastructure program can be assured
through means other than righter sales such as more higher level U.S. official
visits to Taiwan, increased resources for Government export promotion programs
to assist U.S. firms in exporting to Taiwan, greater U.S. support for Taiwan's
entry into GATT, and other means.
U.S. domestic--The short-term
decline in the U.S. defense industry can be offset to some degree by the
longer-term U.S. access to the emerging China market on both-sides
of the Taiwan Straits. PRC purchases of U.S. aircraft, autos, commodities, and
other products are likely to grow as Chinese businesses decide how to spend
their foreign exchange--Beijing is now the fifth largest holder of foreign
exchange. While decreases in defense spending in the United States are likely
to continue to lead to layoffs in the near future, the
12 U.S. officials have devoted strong efforts
recently to get China to sign agreements on missile, nuclear and other
proliferation issues. If the U.S. seems to back away from its commitments
regarding arms sales to Taiwan, according to the PRC perspective, Beijing may
be more inclined to back away from its commitments an proliferation and other
questions.
104
105
Documents, Bibliographie et sitographie
? Documents officiels
Année 1989 :
- OFFICE OF THE US TRADE REPRESENTATIVE, « Memorandum of
agreement between the Government of the United States of America and the
Government of the People's Republic of China regarding International Trade in
Commercial Launch Services - 26th of January 1989 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 26p.
- U.S. CENTRAL INTELLIGENCE AGENCY, « China: Potential
for Crisis - 9th of February 1989 », Digital National
Security Archive, U.S. Intelligence and China: Collection, Analysis, and Covert
Action, 10p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Market Access in China -
May 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S.,
3p.
- U.S. CENTRAL INTELLIGENCE AGENCY, « Perspectives on
Growing Social Tension in China - May 1989 », Digital National
Security Archive, U.S. Intelligence and China: Collection, Analysis,
and Covert Action, 21p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « PRC GATT Accession -
10th of May 1989 », Digital National Security Archive,
China and the U.S., 4p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, BUREAU OF EAST ASIA AND PACIFIC
AFFAIRS, « Student Demonstrations - 10th of May 1989 »,
Digital National Security Archive, Digital National Security
Archive, China and the U.S., 2p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « US China Trade Trends -
10th of May 1989 », Digital National Security Archive,
China and the U.S., 2p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « The USSR and China at the
Summit: Common Goals, Enduring Differences - 14th of May 1989
», Digital National Security Archive, China and the U.S., 12p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Senate Passes Resolution on
China - 1st of June 1989 », Digital National Security
Archive, China and the U.S., 2p.
- U.S. EMBASSY IN CHINA, « From James Lilley to the U.S.
Department of State, Reiteration of Press Restrictions Under Martial Law -
1st of June 1989 », Digital National Security Archive,
China and the U.S., 3p.
106
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « SITREP No. 28 Ten to
Fifteen Thousand Armed Troops Stopped at City Perimeter by Human and Bus
Barricades - 3rd of June 1989 », Digital National Security
Archive, China and the U.S., 2p.
- U.S EMBASSY IN CHINA, « SITREP No. 32 The Morning of
June 4 - 4th of June 1989 »,
Digital National Security Archive, Digital
National Security Archive, China and the U.S.,9p. - U.S. DEPARTMENT OF
STATE, « China Troops Open Fire - 4th of June 1989 »,
Digital
National Security Archive, Digital National
Security Archive, China and the U.S., 2p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « TFCH01--SITREP No. 34 June
5, 1900 Hours - 5th of June 1989 », Digital National
Security Archive, China and the U.S., 25p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « List of Bilateral
Cooperative Agreements and Our
Recommendations - 5th of June 1989 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 3p. - U.S.
DEPARTMENT OF STATE, « TFCH01--SITREP No. 35 June 6, 0500 Hours -
5th of June
1989 », Digital National Security Archive, China and
the U.S., 18p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « TFCH01 Draft Whitehouse
[sic] Statement on Situation in China - 5th of June 1989 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « China After the Bloodbath;
Worldwide Reaction to Massacre - 5th of June 1989 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 6p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « China Tense Standoff
Continues; Asia Speaks Softly - 6th of June 1989 », Digital
National Security Archive, China and the U.S., 5p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Statement by the President:
June 5, 1989 - 6th of June 1989 », Digital National
Security Archive, China and the U.S., 4p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « TFCH01 Scenario for a Way
Out - 6th of June 1989 », Digital National Security
Archive, China and the U.S., 12p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Embassy Refuge [Excised] -
7th of June 1989 », Digital National Security Archive,
China and the U.S., 3p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Current Situation in China
Background and Prospects- 9th of June 1989 », Digital
National Security Archive, China and the U.S., 4p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « [China Fang Lizhi as
Scapegoat] - 12th of June 1989 », Digital National Security
Archive, China and the U.S., 3p.
- U.S. FOREIGN BROADCAST INFORMATION SERVICE, «
Translation of Deng Xiaoping's 9 June Speech - 20th of June 1989
», Digital National Security Archive, China and the U.S., 4p.
- U.S. OFFICE OF THE WHITE HOUSE, OFFICE OF THE PRESS
SECRETARY, « Statement by the Press Secretary - 20th of June
1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S.,
2p.
107
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « China Swift Justice; Deng's
New Balancing Act - 21st of June 1989 », Digital National
Security Archive, China and the U.S., 5p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « China The Central Committee
Acts; Zhao's Out; Keeping the Door Open -25th of June 1989 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 3p.
- U.S. EMBASSY IN CHINA, « TFCH01 SITREP No. 69, July 1,
1700 Local - 1st of July 1989 », Digital National Security
Archive, China and the U.S., 8p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, BUREAU OF INTELLIGENCE AND
RESEARCH, « China Aftermath of the Crisis - 27th of July 1989
», Digital National Security Archive, China and the U.S., 13p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « President Nixon's Visit -
26th of October 1989 », Digital National Security Archive,
China and the U.S., 3p.
- THE WHITE HOUSE, OFFICE OF THE PRESS SECRETARY, «
Statement by the President - 30th of November 1989 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p.
- U.S. EMBASSY IN CHINA, « Schedule for Chinese Visit of
General Scowcroft and Deputy Secretary Eagleburger - 8th of December
1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S.,
3p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « [Protest of Scowcroft and
Eagleburger Trip to Beijing] - 12th of December 1989 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p.
Année 1990:
- U.S. ARMY INTELLIGENCE AGENCY, « Chinese Force Planning
for the Year 2000 The Strategic Rationale for Scientific and Technological
Modernization - 20th of March 1990 », Digital National
Security Archive, China and the U.S., 21p.
- U.S. DEPARTMENT OF DEFENSE, « [Excised] China's
Relationship with Arab Nations - 29th of March 1990 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 4p.
- U.S. JOINT CHIEFS OF STAFF, « China-Syria Nuclear
Cooperation - 16th of May 1990 », Digital National Security
Archive, China and the U.S., 2p.
- U.S. CENTRAL INTELLIGENCE AGENCY, « Ballistic Missiles
in [Excised] Pakistan [Excised] - July 1990 », Digital National
Security Archive, Weapons of Mass destruction, 19p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Question and Answer for A-S
Solomon's Trip to Beijing - 4th of August 1990 », Digital National
Security Archive, China and the U.S., 3p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « [Announcement of Intention
of China's Minister of Foreign Affairs to Attend U.N. Security Council Meeting
and to Pay Official Visit to U.S.] - 27th of September 1990 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 4p.
108
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « PRC FM Qian's Trip to New
York and Washington - 25th of November 1990 », Digital
National Security Archive, China and the U.S., 5p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Meeting with Chinese
Foreign Minister Qian, November 30, The Deputy Secretary's Conference Room,
11.00 a.m. - 29th of November 1990 », Digital National
Security Archive, China and the U.S., 26p.
Année 1991:
- RAND CORPORATION, « Chinese Arms Production and Sales
to the Third World - 1991 », Digital National Security Archive, China
and the U.S., 60p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Human Rights Issues -
23rd of April 1991 », Digital National Security Archive,
China and the U.S., 3p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Chinese Prisons and Forced
Labor - 25th of April 1991 », Digital National Security
Archive, China and the U.S., 6p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « President's Report on MFN
Status for China - 17th of June 1991 », Digital National
Security Archive, China and the U.S., 4p.
Année 1992:
- U.S. LIBRARY OF CONGRESS, « MFN Trade Status Who Has It
and Why? - June 1992 », Digital National Security Archive, China and
the U.S., 4p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Measures Taken and To Be
Taken by the Chinese Government to Prohibit Illegal Transshipment of Textiles -
4th of June 1992 », Digital National Security Archive,
China and the U.S., 8p.
- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Algeria and China - Nuclear
Reactor Cooperation - 10th of June 1992», Digital National
Security Archive, China and the U.S., 3p.
- U.S. LIBRARY OF CONGRESS, « Most-Favored-Nation Status
of the People's Republic of China - 17th of June 1992 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 17p.
- U.S. LIBRARY OF CONGRESS, « Taiwan U.S. Advanced
Fighter Aircraft Sales--Pro and Con - 1st of September 1992 », Digital
National Security Archive, China and the U.S., 10p.
- U.S. EMBASSY IN CHINA, « Chinese Views on NPT Extension
- 25th of November 1992 », Digital National Security
Archive, Weapons of Mass Destruction, 5p.
109
? Bibliographie
Ouvrages
- ALLISON Graham, ZELIKOW Philip, Essence of decision:
explaining the Cuban missile crisis, New York, Longman, 1999, 416 p.
- BATTISTELLA Dario, Théories des relations
internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2006, 588 p.
- BLOM Amélie, CHARILLON Frédéric,
Théories et concepts des relations internationales, Paris,
Hachette Supérieur, 2001, 192 p.
- BRECHER Michael, WILKENFELD Jonathan, A study of
crises, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2000, 322 p.
- BUSH George, SCOWCROFT Brent, A la Maison-Blanche : 4
ans pour changer le monde, Paris, Odile Jacob, 1999, 618 p.
- DAVID Charles-Philippe, Au sein de la Maison-Blanche, la
formulation de la politique étrangère des Etats-Unis,
Québec, Presses de l'université Laval, 1994, 521 p.
- FEWSMITH Joseph, China since Tiananmen: from Deng
Xiaoping to Hu Jintao, New York, Cambridge University Press, 2008, 336
p.
- FUNABASHI Yoichi, OKSENBERG Michel, WEISS Heinrich, An
emerging China in a world of interdependence: a report to the Trilateral
Commission, 1994, The Trilateral Commission, New York, 84 p.
- GUO Baogang, GUO Sujian, Thirty years of China-U.S.
relations: analytical approaches and contemporary issues, Lanham,
Lexington Books, 2010, 327 p.
- HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, Washington, D.C., The Brookings Institution, 1992,
458 p.
- KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and
Interdependence, Harvard University, Second Edition, Harper Collins
Publishers, 1989, 315 p.
- KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Transnational
relations and world politics, Harvard University Press, Cambridge, 1972,
428 p.
- KISSINGER Henry, De la Chine, Paris, Fayard, 2012,
563 p.
- LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, Los Angeles, University of California
Press, 2001, 497 p.
- MACLEOD Alex, O'MEARA Dan, Théorie des relations
internationales, contestations et résistances, Paris, Athéna
Editions, 2007, 515 p.
- MANENT Pierre, Histoire intellectuelle du
libéralisme, Paris, Fayard, 2012, 250 p.
110
- MANN James, About Face: A History of America's Curious
Relationship with China, From Nixon to Clinton, New York, Vintage Books,
2000, 437 p.
- MORAVSCIK Andrew, MILNER Helen V., Power, Interdependence,
and Nonstate Actors in World Politics, Princeton, Princeton University
Press, 2009, 299 p.
- RAMEL Frédéric, Philosophie des relations
internationales, Paris, SciencesPo Les Presses, 2011, 519 p.
- ROCHE Jean-Jacques, Théories des relations
internationales, Paris, Montchrestien, 2004, 160 p.
- SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, Washington D.C., Brookings Institution
Press, 2003, 556 p.
Documents universitaires
- BOURDIN Juliette, Les relations sino-américaines
de Tiananmen à la présidence de George W. Bush (1989-2006) : une
analyse des enjeux économiques et stratégiques à la
lumière de l'Histoire, Thèse de doctorat en civilisation
américaine, Paris : université Sorbonne-nouvelle, soutenue en
2007, 626 p.
- LETOURNEAU Jean-François, « Les
conséquences pacificatrices de l'interdépendance
économique et la montée des tensions entre la Chine populaire et
Taïwan au tournant du 21ème siècle »,
Mémoire de Master en science politique, Montréal,
Université du Québec à Montréal, 2009, 110 p.
- PERRY Susan, La politique chinoise des Etats-Unis
1989-1997, Thèse de doctorat en Etudes chinoises, Paris : Ecole des
Hautes Etudes en Sciences Sociales, soutenue en 1998, 350 p.
- MURACCIOLE Jean-François, Cours magistral
«Les relations internationales de la Première à la Seconde
guerre mondiale», Université Paul-Valéry Montpellier
III, Semestre 5, 2013.
- ZAJEC Olivier, Cours Magistral ``Politique et
Stratégie Nucléaires», Université Jean Moulin
Lyon 3, semestre 8, 2015.
Articles scientifiques
- APODACA Clair, STOHL Michael, « United States Human
Rights Policy and Foreign Assistance », International Studies
Quarterly, Vol. 43, n° 1 (Mar., 1), pp. 185-198. (consulté le
: 26/02/2015) URL:
http://www.jstor.org/stable/260070
111
- BALDWIN David A., « Review: «Power and
Interdependence: World Politics in Transition» by Robert O. Keohane and
Joseph S. Nye », The American Political Science Review, Vol. 72,
No. 3 (Sep., 1978), pp. 1165-1168, (consulté le 26/02/2015) URL:
http://www.jstor.org/stable/1955253
- BALDWIN David A., « Interdependence and Power: A
Conceptual Analysis », International Organization, Vol. 34,
n°4 (Autumn, 1980), pp. 471-506, (consulté le 03/03/2015) URL:
http://www.jstor.org/stable/2706510
- BERGERE Marie-Claire, « Tian'Anmen 1989 »,
Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n°27,
juillet-
septembre 1990, pp. 3-14, (consulté le 03
Février 2015) URL: /web/revues/home/prescript/article/xxs
0294-1759 1990 num 27 1 2257
- BOTTELIER Pieter, « China and the World Bank: How a
Partnership », Stanford Center For International Develoment,
Working Paper n° 277, Avril 2006, 29 p.
- CARNEY Christopher P, « Human Rights, China, and U.S.
Foreign Policy: Is a New Standard Needed? », Asian Affairs, Vol.
19, No. 3 (Fall, 1992), pp. 123-132, (consulté le 09/04/2015) URL:
http://www.jstor.org.ezscd.univ-lyon3.fr/stable/30172157
- CONABLE Barber B., LAMPTON David M., « China: The Coming
Power », Foreign Affairs,
Vol. 71, n° 5, 1992, pp. 133-149, (consulté le
09/04/2015) URL:
http://www.jstor.org/discover/10.2307/20045408?sid=21105942571611&uid=4&uid=2&uid
=3738016
- DAVID Charles-Philippe David, BENESSAIEH Afef, « La
paix par l'intégration? Théories sur l'interdépendance et
les nouveaux problèmes de sécurité »,
Études internationales, vol. 28, n° 2, 1997, pp.
227-254.
- DE MONTBRIAL Thierry, « Réflexions sur la
théorie des relations internationales », Politique
Etrangère, n°3, 1999, pp. 467-490, (consulté le 11 mars
2015) URL:/web/revues/home/prescript/article/polit 0032-342x 1999 num 64 3
4876
- DITTMER Lowell, « Chinese Human Rights and American
Foreign Policy: A Realist Approach », The Review of Politics,
Vol. 63, n°3 (Summer, 2001), pp. 421-459, (Consulté le 26/02/2015)
URL:
http://www.jstor.org/stable/1408878
112
- GATES William, SKIDMORE David, « After Tiananmen: the
Struggle Over U.S. Policy Toward China in the Bush Administration »,
Presidential Studies Quaterly, Vol. 27, n°3, Summer 1997, pp.
514-539.
- GELATT, Thomas A, ORENTLICHER Diane F, « Public Law,
Private Actors: The Impact of Human Rights on Business Investors in China
Symposium: Doing Business in China », Northwestern Journal of
International Law & Business, Vol. 14, 1993, pp 65- 129.
- JACQUET Raphaël, « Trois ans après
Tian'anmen ... La situation des dissidents en Chine et à
l'étranger trois ans après les événements de Juin
1989 », Perspectives chinoises, n°4, 1992, pp. 2229,
(consulté le 03 Février 2015) URL :
/web/revues/home/prescript/article/perch_1021-9013 1992 num 4 1 1498
- JIWEN Yu, CHAUDIERE Hélène, JIUSHI Niandai,
« Le "marché du milliard" est ouvert », Perspectives
chinoises, n°3, 1992, pp. 26-29, (consulté le 03
Février 2015) URL: /web/revues/home/prescript/article/perch 1021-9013
1992 num 3 1 1476
- JUDET Pierre (sous la direction de Claude Aubert,
Jean-Pierre Cabestan et Françoise Lemoine), « La Chine après
Deng. La Chine monte en puissance », Tiers-Monde, 1996, tome 37
n°147, pp. 473-492, (consulté le 03 Février 2015) URL:
/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356 1996 num 37 147 5054
- KENT Ann, « China, International Organizations and
Regimes: The ILO as a Case Study in Organizational Learning », Pacific
Affairs, Vol. 70, n°4 (Winter, 1997-1998), pp. 517-532,
(consulté le 03/03/2015) URL:
http://www.jstor.org/stable/2761321
- KEOHANE Robert O. NYE Joseph S. « Power and
Interdependence in the Information Age », Foreign Affairs, Vol. 77,
n°5 (Sep. - Oct., 1998), pp. 81-94, (consulté le 13/04/2015) URL:
http://www.jstor.org/stable/20049052
- LARRERE Catherine, « Montesquieu et le « doux
commerce » : un paradigme du libéralisme », Cahiers
d'histoire. Revue d'histoire critique, n°123, 2014, pp 21-38,
(consulté le 18 mars 2015) URL:
http://chrhc.revues.org/3463
- LIN Zhimin, WANG Jianwei, « Chinese Perceptions in the
Post-Cold War Era: Three Images of the United States », Asian
Survey, Vol. 32, n°10 (Oct., 1992), pp. 902-917, (consulté le
12/04/2015) URL:
http://www.jstor.org/stable/2645048
113
- MICHALAK Stanley J., « Review: Theoretical Perspectives
for Understanding International Interdependence », World
Politics, Vol. 32, n°1 (Oct., 1979), pp. 136-150, (Consulté
le: 03/03/2015) URL:
http://www.jstor.org/stable/2010085
- NYE Joseph S., « Independence and Interdependence
», Foreign Policy, n°22 (Spring, 1976), pp. 130-161,
(consulté le 03/03/2015) URL:
http://www.jstor.org/stable/1148075
- NYE Joseph S., KEOHANE Robert O., « Power and
Interdependence Revisited », International Organization, Vol. 41,
n°4 (Autumn, 1987), pp. 725-753, (consulté le 13/04/2015) URL:
http://www.jstor.org/stable/2706764
- OKSENBERG Michel, « The China Problem »,
Foreign Affairs, Vol. 70, n°3 (Summer, 1991), pp. 1-16,
(consulté le 07/05/2015) URL:
http://www.jstor.org.ezscd.univ-lyon3.fr/stable/20044815
- ONEAL R. John, RUSSET Bruce, BERBAUM L. Michael, «
Causes of Peace: Democracy, Interdependence, and International Organizations,
1885-1992 », International Studies Quarterly, Vol. 47, No. 3
(Sep., 2003), pp. 371-393, (consulté le 26/02/2015) URL:
http://www.jstor.org/stable/3693591
- PUTNAM, Robert D., 1988, « Diplomacy and Domestic
Politics: The Logic of Two-Level Games », International
Organization, 1988, pp. 427-60.
- TAN Rosalina, « Foreign Direct Investment Flows To and
From China », Philippine Apec Study Center Network, n°
99-21, 1996, 55p.
- WANG Yangmin, « The Politics of U.S.-China Economic
Relations: MFN, Constructive Engagement, and the Trade Issue Proper »,
Asian Survey, Vol. 33, n°5 (May, 1993), pp. 441-462,
(consulté le 26/02/2015) URL:
http://www.jstor.org/stable/2645312
- XIAOXIONG Yi, « Chinas U.S. Policy Conundrum in the
1990s: Balancing Autonomy and Interdependence », Asian Survey,
Vol. 34, n°8 (Aug., 1994), pp. 675-691, (consulté le 26/02/2015)
URL:
http://www.jstor.org/stable/2645257
- XINGHAO Ding, « Managing Sino-American Relations in a
Changing World », Asian Survey, Vol. 31, n°12 (Dec., 1991),
pp. 1155-1169, (consulté le : 26/02/2015) URL:
http://www.jstor.org/stable/2645396
114
? Sitographie
- Site du bureau du recensement des Etats-Unis (consulté
le 07/05/2015).
https://www.census.gov/foreign-trade/balance/c5700.html
- Site Americans & the World: American attitudes
(consulté le 1 Février 2015).
http://www.americans-world.org/digest/regional
issues/china/china1.cfm
115
Table des matières
INTRODUCTION 1
Partie 1 : L'interdépendance complexe comme cadre
analytique 9
Titre 1 : Power and Interdependence dans la
théorie des relations internationales 9
Chapitre 1 : Aux fondements du libéralisme
9
Section 1 : Le libéralisme classique, fils de la
philosophie libérale : Erasme, Locke,
Montesquieu 9
Section 2 : La paix kantienne 11
Section 3 : Une thèse nuancée 11
Chapitre 2 : Le libéralisme en relations
internationales, une doctrine hétérogène 12
Section 1 : Ontologie et épistémologie des
libéraux 12
Section 2 : Le libéralisme, deuxième approche
générale principale des relations
internationales 13
Section 3 : Les principaux courants libéraux
13
Chapitre 3: Conclusion 14
Section 1 : Les différents efforts de classification
15
Section 2 : L'avis nuancé de R. Keohane et J. Nye
16
Section 3 : Interprétation 16
Titre 2 : La théorie de l'interdépendance
complexe de R. O. Kehoane et J. S. Nye 17
Chapitre 1: Définition de l'interdépendance
complexe 17
Section 1 : La nécessité de développer
le concept d'interdépendance 17
Section 2 : Définitions 18
Section 3 : Interprétation 19
Chapitre 2: Les caractéristiques de
l'interdépendance complexe 20
Section 1 : Existence de relations interétatique,
transgouvernementale et transnationale 21
Section 2 : Absence de hiérarchie dans la
sphère de la politique mondiale 21
116
Section 3 : Diminution du rôle de la force militaire
22
Chapitre 3: Les instruments de mesure de
l'interdépendance : «Sensitivity and
vulnerability'' 23
Section 1 : La sensibilité 23
Section 2 : La vulnérabilité 24
Section 3 : Conclusion 24
Titre 3 : Des concepts clés pour l'étude
empirique des rapports sino-américains post-
Tiananmen 25
Chapitre 1: L'interdépendance dans la politique
mondiale 25
Section 1 : La prise en compte d'une pluralité
d'acteurs et de dimensions relationnelles 26
Section 2 : Organiser la politique extérieure dans un
monde interdépendant 26
Section 3 : Penser l'interdépendance complexe du monde
: s'intéresser au processus de
coopération 27
Chapitre 2: La notion de puissance et d'influence au
coeur de l'interdépendance 27
Section 1 : L'interdépendance asymétrique
27
Section 2 : L'exemple de Keohane et Nye 28
Section 3 : Une dimension stratégique éloquente
dans le cas de la relation sino-américaine
28
Chapitre 3: Les régimes internationaux et leur
importance dans le cas sino-américain 29
Section 1 : Un concept éclairant pour comprendre
l'interdépendance 29
Section 2 : Les effets des régimes internationaux sur
la coopération 30
Partie 2 : L'importance stratégique de
l'après-Tiananmen dans les fondements
de la relation sino-américaine 32
Titre 1 : Tiananmen, point de rupture d'une crise
politique sino-américaine 32
Chapitre 1 : L'arrivée au pouvoir de George Bush
et l'émergence de la crise de
Tiananmen 32
Section 1: G. Bush, «an inveterate China lover»
32
Section 2 : Une fragile interdépendance
sino-américaine 33
117
Section 3. Les premiers signes de crise 34
Chapitre 2 : Le 4 Juin 1989, point de non retour
35
Section 1 . Les origines du soulèvement populaire
chinois 35
Section 2 : L'escalade de la crise 36
Section 3 . La répression place Tiananmen 37
Chapitre 3 : Les conséquences directes de la
répression chinoise 38
Section 1 : L'impact émotionnel de Tiananmen aux
Etats-Unis 38
Section 2 . Changement de regard sur le régime
communiste chinois 39
Section 3 . Le Parti communiste chinois en proie aux
divisions 40
Titre 2 : Les premières prises de décision
américaines dans l'immédiat après-Tiananmen
40
Chapitre 1 : L'appareil décisionnel sous George H.
Bush 41
Section 1 . Le Président 41
Section 2 . Son entourage 42
Section 3 . La gestion des rapports et du processus
décisionnel 43
Chapitre 2 : La réaction américaine
43
Section 1 : La mesure du soulèvement chinois par
l'administration américaine 43
Section 2 : L'élaboration de la prise de
décision 44
Section 3 . Les sanctions appliquées 45
Chapitre 3 : Le dilemme de George H. Bush : condamner
la répression chinoise et
préserver la relation 47
Section 1 . Les pressions du Congrès et de l'opinion .
préserver le contrôle sur la conduite
de la politique américaine chinoise 47
Section 2 . Garder le contact avec les hauts dirigeants
chinois 48
Section 3 : Le voyage secret de l'administration Bush
49
Titre 3 : Redéfinir la relation
sino-américaine : à la recherche d'un nouveau cadre
stratégique 50
Chapitre 1 : Le challenge de la « renormalisation
» des rapports 51
Section 1 . Le « problème » Fang Lizhi
51
Section 2 . Le maintien des efforts de communication
52
118
Section 3 : L'hostilité vigoureuse du Congrès
53
Chapitre 2 : George H. Bush et la Chine face à un
contexte international bouleversé 54
Section 1: Définition de l'approche systémique
54
Section 2 : Les événements en Europe de l'Est
et leur impact sur la relation sino-américaine
54
Section 3 . La guerre du Golfe . un partenariat
stratégique ? 55
Chapitre 3 : L'émergence d'enjeux
hétéroclites au coeur de la relation 57
Section 1 : Droits de l'Homme 57
Section 2 . Une interdépendance complexe croissante,
résultat de la politique engageante de
George Bush 58
Section 3 . Les questions de sécurité
59
Partie 3 : La théorisation de la relation
sino-américaine post-Tiananmen par
l'interdépendance complexe : étude critique
expérimentale 61
Titre 1 : Les débuts d'une interdépendance
économique prometteuse 61
Chapitre 1 : Un commerce bilatéral
sino-américain croissant 61
Section 1. Un commerce nécessaire avec les Etats-Unis
61
Section 2 : Le commerce au coeur de la coopération
stratégique 62
Section 3 : Les premières phases d'expansion du
commerce sino-américain 63
Chapitre 2 : L'émergence progressive de la Chine
dans un monde interdépendant 64
Section 1 : Le protocole d'accession au GATT et ses enjeux
64
Section 2 . Les institutions financières et
commerciales internationales 65
Section 3 . Les accords et régimes de maîtrise
des armements 66
Chapitre 3 : La complexification des échanges
67
Section 1 . Les échanges touristiques,
académiques et culturels 67
Section 2 : L'émergence de questions transnationales
dans l'agenda diplomatique 68
Section 3 . Les implications sur la relation
sino-américaine 69
Titre 2 : L'apparition des premières
asymétries dans la relation commerciale sino-
américaine 69
119
Chapitre 1 : La manipulation politique de
l'interdépendance sino-américaine 69
Section 1 : Le premier débat sur le statut de la
nation la plus favorisée 70
Section 2 : Le deuxième débat sur le statut de
la nation la plus favorisée 71
Section 3 : Les concessions chinoises à l'engagement
constructif du Président Bush 72
Chapitre 2 : Interdépendance et pouvoir : la
dissymétrie nourrit les antagonismes 73
Section 1 : La prise de conscience de la
vulnérabilité chinoise 73
Section 2 : Le poids des perceptions dans ces
déséquilibres de puissance 74
Section 3 : Les limites de la coopération
sino-américaine 75
Chapitre 3 : Les premiers éléments de la
rivalité sino-américaine 76
Section 1 : L'éternelle problématique des
Droits de l'Homme 76
Section 2 : La structure du commerce sino-américain en
question 77
Section 3 : Le retour de l'enjeu taïwanais 78
Titre 3 : Conclusion partielle :
l'interdépendance complexe, un juste équilibre entre la
théorie et l'empirique ? 79
Chapitre 1 : La pertinence des questions
d'asymétrie de puissance 79
Section 1 : Un modèle de théorie empirique
80
Section 2 : Eloquent dans le cas de la relation
sino-américaine 80
Section 3 : La nécessité de distinguer
toutefois plusieurs contextes d'interdépendance 81
Chapitre 2 : Une conception adaptée aux
évolutions des structures du système politique
mondial 82
Section 1 : La validation d'une partie des hypothèses
posées 82
Section 2 : Les effets des régimes internationaux
83
Section 3 : Nuancer l'aspect coopératif de la relation
d'interdépendance : le comportement
des Etats dominés par la peur du
déséquilibre 83
Chapitre 3 : La réactualisation de la
théorie, signe d'un besoin d'adaptation 84
Section 1: «Power and Interdependence revisited»
84
Section 2: Un besoin nécessaire, des réadaptations
pertinentes 85
Section 3: «Power and Interdependence in the Information
Age» 85
120
CONCLUSION 87
Table des Annexes 94
Documents, Bibliographie et sitographie
105
Table des matières 115
|
|