FACULTE DE PHILOSOPHIE
SAINT PIERRE CANISIUS
Kimwenza-Commune de Mont-Ngafula
B.P. 3724 KINSHASA-GOMBE
R.D.CONGO
LA QUESTION TECHNOLOGIQUE À LA GENÈSE DU
DISCOURS ÉTHIQUE DE HANS JONAS
Une lecture du Principe
Responsabilité
Par : KENGELE MILAU Bertin Samuel,cicm
Mémoire
Présenté pour l'obtention du Grade
de
Bachelier en Philosophie
Directeur : Prof. Dr. MBUNGU MUTU
Joseph,cmf
Kimwenza, Juillet 2013
EPIGRAPHE
L'homme est le seul être connu de nous qui puisse avoir
une responsabilité. En
pouvant l'avoir, il l'a. Être capable de responsabilité
signifie déjà être placé sous le commandement de
celle-ci : le pouvoir même entraîne avec lui le devoir. Je
suis responsable de mon acte en tant que tel (de même que de son
omission), et peu importe en l'occurrence qu'il y ait là quelqu'un pour
me demander d'en répondre maintenant ou plus tard.
(Hans Jonas, Pour une éthique du futur)
"Agis de façon que les effets de ton action soient
compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre."
(Hans Jonas, Principe
Responsabilité)
Je dédie ce travail à tous ceux et toutes celles
qui militent pour la justice, la paix et l'intégrité de la
création. Je pense surtout à ceux et celles qui, par leur action,
luttent pour l'existence des générations futures.
Il serait pour moi une ingratitude notoire, si je ne
remerciais pas, au terme de ce cycle d'études philosophiques, tous ceux
et toutes celles qui m'ont aidé de loin ou de près pour la
réalisation de ce travail.
Je pense en premier lieu au Seigneur Dieu de l'Univers pour
la vie qu'il ne cesse de me donner. "Si le Seigneur ne bâtit la
maison, les bâtisseurs travaillent en vain ; si le Seigneur ne garde la
ville, c'est en vain que veillent les gardes." [Psaume 127(126)]
En deuxième lieu, je pense à ceux par qui je
suis venu au monde : MILAU NKENGELA Joseph et NKITABUNGI TSHIMBILA
Thérèse, pour l'éducation, l'attention et surtout pour
l'affection témoignée à mon égard.
Je remercie, en troisième lieu, les autorités
académiques de la Faculté à travers le professeur
père MBUNGU MUTU Joseph pour s'être montré disponible
à diriger ce travail et surtout pour ses précieux conseils.
Je ne peux pas ne pas remercier la Congrégation du
Coeur Immaculé de Marie (CICM-Scheut) à travers le T.R.P. Tym
ATKIN (Supérieur général), R.P. Louis NGOY (Provincial
Kin), R.P. François-Xavier N'SAPO (Provincial AFA), R.P. Justin
MWENGAMOTI (Recteur), P. Herman Ndeko COENRATS (Accompagnateur spirituel),...
pour leur contribution à ma formation tant académique que
missionnaire et religieuse.
A vous mes confrères prénovices, novices et
postnovices cicm, mes frères et soeurs, mes cousin(e)s, mes ami(e)s, mes
oncles et tantes, mes camarades étudiants, mes co-séminaristes de
Hans Jonas,..., j'exprime ma reconnaissance pour vos conseils, vos
encouragements et votre soutien à ma personne.
A toutes et tous, je dis sincèrement merci.
INTRODUCTION GÉNÉRALE
2.4.1. 1. Problématique
La question du bien et du mal, c'est-à-dire la question
de la morale est aussi vieille que l'histoire de l'homme. Ce dernier est au
centre de toute éthique. Dans toutes les sociétés, ont
existé des pratiques morales, des sagesses, des manières de faire
qui, non seulement s'intéressaient à la question du bien et du
mal, mais aussi visaient le plein épanouissement de l'homme et sa
réalisation en tant qu'être humain. Cette éthique qui met
l'homme au centre de tout, est ce que Hans Jonas1(*) appellera « éthique traditionnelle ou
classique » en opposition à l' « éthique
de la responsabilité ». Celle-là s'occupait uniquement
de l'homme et des relations interhumaines. Ce qui n'a pas commerce entre homme
et homme, c'est-à-dire les choses extrahumaines ne pouvaient faire objet
de l'éthique de n'importe quelle manière que ce soit.
L'homme, depuis son apparition sur la terre, a toujours
usé de la technique, d'une manière ou d'une autre, pour subvenir
à ses besoins de survie. Plus l'homme évolue, plus sa technique
devient de plus en plus performante et sophistiquée. L'humanité
est passée de la technique traditionnelle ou prémoderne à
la technique moderne. Celle-ci est devenue technologie, et comme tel
inséparable de la science. Raison pour laquelle le concept
`technoscience' semble suffire pour designer l'agir de l'homme. La technologie
est presque présente dans tous les domaines de la vie de l'homme
contemporain et s'avère d'ailleurs inévitable. La mondialisation
ou la globalisation sont l'une des expressions du progrès
technoscientifique.
Cependant, comme l'affirme Hans Jonas dans Le
Principe responsabilité, « (...) la promesse de la
technique moderne s'est inversée en menace »2(*). La menace vis-à-vis non
seulement de la nature, mais également de l'homme inventeur de la
technique. L'exemple typique est celui du réchauffement
planétaire causé par l'homme et susceptible de
générer de nombreuses conséquences sur l'homme
lui-même et sur d'autres espèces.
Avec la technologie, il s'est opéré un
changement au niveau de la manière de faire des hommes. Les hommes
autrefois dominés par la nature sont devenus maîtres de celle-ci
et la manipulent comme bon leur semble. Cette maîtrise de la nature et de
l'homme a commencé à poser de nombreuses questions auxquelles
l'éthique du passé ne pouvait répondre. Il s'est
créé un vide éthique. Pour ce faire, l'idéal serait
de transformer le discours éthique ou de mettre au point un nouveau
discours éthique. C'est ce nouveau discours que notre auteur
appelle : éthique de la responsabilité. Celle-ci n'est pas
anthropocentrique. Elle veut la sauvegarde de l'humanité et de la nature
devant les menaces du danger lié au progrès technoscientifique,
non seulement hic et nunc, mais aussi dans l'avenir. D'où
l'impératif jonassien : « Agis de façon que les
effets de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie
authentiquement humaine sur terre »3(*).
2.4.2. 2. Intérêt du
sujet
Les effets de la technoscience sur la nature sont
irréversibles. Devant cette irréversibilité, notre
attitude ne doit pas consister à développer une technophobie,
mais à utiliser la technique de manière sage,
modérée et prudente. Notre intérêt consiste ainsi
à éveiller notre propre conscience et celle de nos contemporains
en ce sens, car la menace est réelle et nécessite de notre part
une préservation de la nature, c'est-à-dire une
responsabilité envers elle, étant donné que seuls nous les
hommes sommes des êtres capables de porter une responsabilité. Ce
travail pourrait s'avérer une invitation à nos frères et
soeurs de penser aux générations futures, c'est-à-dire
à l'avenir de l'humanité et de la nature.
2.4.3. 3. Division du travail
Ce travail se veut une réflexion de prime abord sur la
technoscience en tant qu'elle sert de genèse et d'émergence
à l'éthique de la responsabilité. Il est divisé en
trois chapitres. Le premier intitulé `technologie : source de
l'éthique de la responsabilité' met en exergue la technologie en
tant qu'elle est à la base du mutisme de l'éthique du
passé et de la reforme de cette même éthique, à
cause de nouvelles questions posées par celle-là (technologie).
Face à cette technologie -- qui a changé la nature de l'agir
humain --, il s'avère nécessaire de mettre sur pied un nouveau
discours éthique. Notre deuxième chapitré intitulé
`la sollicitation d'une éthique appropriée à la
technologie : éthique de la responsabilité' viendra
élucider le concept de responsabilité ; définir la
fondation, la méthode et les paradigmes de l'éthique de la
responsabilité. Enfin le troisième chapitre consacré
à `Hans Jonas et la situation d'Afrique' mettra en vedette le fait que
le problème de la crise écologique est général et
même les africains sont concernés.
CHAPITRE PREMIER : LA
TECHNOLOGIE : SOURCE DE L'ÉTHIQUE DE LA RESPONSABILITÉ
2.4.4. 1.0. INTRODUCTION
La technique est contemporaine à l'homme. Nul n'est
censé ignorer les bienfaits et les méfaits de la technique qui
est devenue à nos jours un sujet de réflexion philosophique
à cause des dommages qu'elle ne cesse d'infliger à la nature tant
humaine qu'extrahumaine. En fait ce n'est pas la technologie en soi qui est
à l'origine de l'éthique de la responsabilité, mais
l'usage que l'on en fait. Le mal, comme disaient les médiévaux,
ne réside pas dans la chose, mais dans l'usage que l'on fait de cette
chose. Nous ne ferons pas, dans ce chapitre, une espèce de
« technodicée », c'est-à-dire un
procès contre la technique.
Dans ce chapitre, il est donc question de montrer comment la
technologie, par le biais de l'homme, est devenue source de l'éthique de
la responsabilité de Hans Jonas. Le point de départ est la
transformation de l'agir humain. Ce dernier s'est transformé depuis que
l'homme s'est doté de nouvelles techniques. L'homme, par sa technique, a
exercé son emprise et sur la nature et sur lui-même ce qui
n'était pas le cas à l'époque. C'est cette transformation
qui nous invite à revoir ou à rénover le discours
éthique, étant donné que l'homme se trouve de plus en plus
devant le danger qu'il a lui-même créé. Ce changement de la
nature de l'agir humain est susceptible de causer ou a déjà
causé des dégâts irréversibles à
l'environnement. Les dommages causés sont une réalité
à laquelle l'homme doit être attentif en dépit du fait que
nul discours éthique n'envisageait cela. Le nouveau discours
éthique l'éthique de la responsabilité s'avère
mieux placée pour pouvoir prendre en compte le domaine entier de la
technè, l'homme, la nature...
2.4.5. 1.1. LA TRANSFORMATION DE LA NATURE
DE L'AGIR HUMAIN : CONSTAT
Depuis que l'homme existe sur la terre, il a toujours
usé des outils, c'est-à-dire de la technique. Cette
dernière peut s'avérer être un existential,
c'est-à-dire une modalité d'être du dasein en tant
qu'il est un être-jeté-dans-le-monde. La nature de l'agir humain
s'est transformée : tel est le constat que fait Hans Jonas dans
Le Principe Responsabilité. Avec la technique moderne, des
nouvelles questions apparaissent et exigent la transformation de
l'éthique. Car celle-ci devient de plus en plus inefficace ou muette. La
manière de faire de l'homme moderne devient de plus en plus
différente de celle de l'homme antique. Le pouvoir ou la liberté
qu'a l'homme lui a permis d'avoir de l'emprise et sur les êtres humains
et sur les êtres extrahumains. Cette liberté humaine qui consiste
pour l'homme à agir comme bon lui semble est susceptible de prendre deux
voies : celle du bien et celle du mal. La voie du bien doit être
comprise dans le sens des avantages que nous offre ou que peut nous procurer la
technique moderne, et la voie du mal dans le sens contraire,
c'est-à-dire des inconvénients.
Se situant dans la voie du bien, il convient de dire que nul
n'est censé ignorer les bienfaits de la technique moderne ou de la
technologie moderne ou encore de la technoscience. Avec cette dernière,
l'homme a une idée sur les lois de la nature. Ces lois sont connues par
l'expérience ou par d'autres méthodes mises au point par les
scientifiques. Elles permettent de prévoir certaines catastrophes
naturelles ou d'agir sur certains phénomènes naturels. A titre
illustratif, avec la technoscience, il y a moyen de prédire
l'éclipse solaire, les inondations, la température, la
tempête, le tremblement de terre, afin de permettre à l'homme de
prendre des précautions. Il y a aussi moyen de contourner une
fusée, considérée comme dangereuse, vers la mer afin
qu'elle ne cause des dégâts matériels ou des pertes en vies
humaines. Les bienfaits de la technoscience sont visibles dans tous les
domaines de la vie de l'homme.
Cependant, « la promesse de la technique moderne
s'est inversée en menace »4(*). Ceci, comme l'affirme Jonas, est la thèse
liminaire du Principe Responsabilité. Jonas renchérit en
disant que « la soumission de la nature destinée au bonheur
humain a entrainé par la démesure de son succès, qui
s'étend maintenant également à la nature de l'homme
lui-même, le plus grand défi pour l'être humain que son
faire ait jamais entrainé »5(*). La technique moderne est utilisée par l'homme
pour son bien, mais l'excès est susceptible d'engendrer des
dégâts énormes. Avoir la nourriture est une chose, et la
façon d'en avoir en est une autre. A l'époque, l'homme
travaillait avec sa houe, le boulanger pouvait produire autant de pains par
jour. Mais aujourd'hui, l'homme a mis à sa disposition des tracteurs qui
travaillent à sa place. Le boulanger de ce jour peut, à l'aide
des machines, fabriquer des milliers de pains par heure ce qui a des
conséquences très néfastes sur la nature. Pour avoir la
nourriture en quantité industrielle, il faut abattre les arbres,
utiliser des engrais chimiques. Bref, détruire l'environnement6(*).
L'homo sapiens, étant de par sa nature
homo faber, est parvenu, grâce à la technique bien
entendue, à se construire une demeure fixe, un logis7(*). Dans ce dernier entraient
toutes les autres inventions. La question qu'il faut se poser est celle de
savoir comment l'homme peut concilier la recherche du bonheur et des moyens de
survie avec une technique non destructrice de l'environnement.
Outre le pouvoir oppressant de l'homme vis-à-vis de la
nature, il sied d'évoquer aussi le savoir qu'il se donne lui-même.
En d'autres termes, non seulement l'homme viol la nature, mais s'éduque
lui-même, se forme lui-même. Il envisage même une
autocréation, c'est-à-dire il cherche à créer un
être qui lui ressemble, un autre homme nous en parlerons plus tard.
« L'homme est le créateur de sa vie en tant que vie
humaine ; il plie les circonstances à son vouloir et à son
besoin et, sauf contre la mort, il n'est jamais dépourvu des
ressources »8(*).
Le pouvoir de l'homme contient aussi des limites. Il n'est plus aisé de
dire que l'homme, par le biais de la technique, peut tout faire. Ce
`pouvoir-tout-faire' se trouve, certes, impuissant devant la mortalité.
L'homme peut bien et beau fabriquer des médicaments ou des
remèdes contre les maladies, mais devant la mort il ne peut rien
faire.
« Tout ceci vaut parce qu'avant notre époque
les interventions de l'homme dans la nature, tel que lui-même les voyait,
étaient de nature superficielle et sans pouvoir d'en perturber
l'équilibre arrêté »9(*). C'est avec la technique devenue
technologie et mariée à la science pour donner naissance à
la technoscience, que l'agir de l'homme a commencé à infliger des
plaies non cicatrisables à la nature. Celle-ci, autrefois
considérée comme sacrée, divine, est aujourd'hui
désacralisée, profanée. Par conséquent, elle est
devenue vulnérable ce qui n'était pas le cas à
l'époque et nécessite ou exige une science de l'environnement
qu'est l'écologie10(*), étant donné que « la nature
de l'agir humain s'est modifiée de facto »11(*). Devant cette
vulnérabilité, la nature nous interpelle et nous invite à
être responsable d'elle, à vivre avec elle comme dans une relation
de `je-tu' en la considérant comme un alter ego, un
« partenaire dont on a toujours besoin pour vivre
heureux »12(*).
2.4.6. 1.1.1. L'HOMME EN TANT QU'OBJET DE
LA TECHNIQUE
Nous allons ici évoquer quelques cas précis
à travers lesquels nous pouvons bien percevoir que l'essence de l'agir
humain s'est transformée. Nous parlerons successivement de la
prolongation de la vie, de la manipulation génétique, de
l'euthanasie et de la fécondation in vitro. Ces cas prouvent
non seulement combien la nature de l'agir humain s'est transformée, mais
également combien l'homme inventeur de la technique est devenu
lui-même objet de la technique. Alors que celle-ci était jusque
là envisagée « dans son application au domaine non
humain »13(*).
Avec la technologie, affirme Jonas, « l'homo faber applique
son art à lui-même et s'apprête à inventer une
nouvelle fabrication de l'inventeur et du fabricateur de tout le
reste »14(*).
1.1.1.1. La prolongation de la vie
La mort était jadis considérée comme
l'affaire de Dieu. Seul lui était considéré comme l'auteur
de la vie et de la mort. Nul homme ne pouvait se prononcer sur sa mort, ne
pouvait s'éterniser sur la terre, étant donné que la mort
faisait partie et continue à faire partie des étapes de la vie.
L'homme, à l'instar d'autres vivants, est appelé à
naître, à croître et à mourir. Jonas affirme que
« sa limite supérieure (celle de la mort bien entendue), les
soixante-dix ans et dans le meilleur des cas `quatre-vingts' ne faisait pas
l'objet d'un choix »15(*). En d'autres termes, l'homme de l'époque
subissait la mort. La mort apparaissait, sans doute, comme un existential,
c'est-à-dire une modalité de l'être, un caractère
essentiel de l'homme. L'homme est un être dans les termes
heideggériens voué à la mort, un
être-toujours-et-déjà-en-vue-de-sa-mort.
Cependant, avec l'avènement de la biomédecine,
la biotechnologie, la technologie génétique, « la mort
n'apparaît plus comme une nécessité faisant partie de la
nature du vivant, mais comme un défaut organique évitable,
susceptible au moins en principe de faire l'objet d'un traitement, et pouvant
être longuement différé »16(*). En fait, l'homme moderne
cherche, à tout prix, à éviter le vieillissement ou
à vivre à perpétuité ce qui n'est pas toujours
possible.
De ce qui précède, trois conséquences
éthiques dues à la prolongation de la vie peuvent être
évoquées selon la perspective jonassienne :
(i) le surpeuplement de la surface terre par un nombre
pléthorique d'individus.
(ii) la présence d'un monde composé des vieux,
sans jeunes. Un monde constitué d'individus déjà
connus, sans la surprise de ceux qui n'ont jamais existé.
(iii) le manque d'innovations et de rénovation,
étant donné qu'il n'y a pas d'hommes nouveaux capable de
voir le monde autrement, avec des yeux nouveaux, capable de s'étonner et
d'aider les adultes (vieux) à s'étonner.17(*)
Pour Jonas, « la mortalité n'est que l'envers
de la source permanente de `natalité' »18(*). Si on ne veut pas mourir, on
doit ipso facto accepter de ne pas procréer. L'immunisation de
l'homme contre la mort par la science peut paraître comme un cadeau qui
« tourne au désavantage de l'homme »19(*). Ainsi donc, à ce
sujet, la thèse de Jonas est : « simplement que rien que
la perspective du cadeau soulève déjà des questions qui
jamais auparavant n'étaient pas posées dans l'espace du choix
pratique et qu'aucun principe de l'éthique d'autrefois, qui acceptait
les constantes humaines comme allant de soi, n'est à la hauteur de leur
discussion »20(*). L'éthique traditionnelle est devenue muette
face à cette question. Puisque nous venons de parler de la prolongation
de la vie comme refus de la mortalité, il s'avère aussi
nécessaire de parler de l'euthanasie qui consiste à donner la
mort douce à une personne vu sont état critique ou sa maladie
c'est ce qui fera objet du point suivant.
1.1.1.2. L'euthanasie
Avec le progrès des technologies médicales,
c'est-à-dire de biomédecine, et d'autres technologies nouvelles y
afférentes, il s'avère aujourd'hui possible de maintenir en vie
une personne au stade final d'une maladie, pendant un moment plus ou moins
long, alors que cette personne devrait normalement mourir de façon
naturelle. Faut-il maintenir en vie ou provoquer/donner la mort ou laisser
mourir un « patient conscient qui souffre, au stade final d'une
maladie comme le cancer, et le patient inconscient de manière
irréparable dans un coma irréversible » 21(*)?
Le mot `euthanasie' a été créé par
Roger Bacon à partir du grec : eu (bien) et
thanatos (mort). L'euthanasie est alors, partant de cette
étymologie, une « mort s'effectuant dans des bonnes
conditions » ; « mort heureuse » ;
« bonne mort, douce et sans souffrance ». Chez la plupart
des personnes, l'euthanasie renvoie à « une mort
accélérée par des interventions destinées à
atténuer la douleur ; ou même une mort provoquée pour
mettre fin à une existence trop douloureuse ». Elle peut aussi
être pensée comme « une théorie selon laquelle,
il est légitime de supprimer les sujets tarés ou de
précipiter la mort des malades incurables, pour leur épargner les
souffrances de l'agonie ».22(*)
En méditant sur le droit de mourir, Jonas se trouve
devant deux questions : faut-il laisser mourir une personne qui souffre ou
faut-il provoquer sa mort ? Faut-il permettre de mourir ou aider au
suicide ? En d'autres termes, à quoi ça servirait de
« contraindre le malade qui souffre
désespérément à continuer de se soumettre à
une thérapie de conservation lui procurant une existence qu'il estime
indigne de la vie ? »23(*)
« Toutefois, affirme Jonas, ce n'est pas avec le
suicide, avec le geste d'un sujet actif, qu'a affaire le `droit de mourir'
agitant aujourd'hui les esprits, mais avec le patient atteint d'une maladie
mortelle, qui est passivement livré aux techniques de la médecine
visant à retarder la mort »24(*). Cette question sur le `droit de mourir'
évoquée par Jonas peut paraître troublante pour beaucoup,
étant donné que l'homme doit normalement avoir droit à la
vie. La vie a été et est dans la plupart des cas
souhaitée, promue et préservée, et la mort
évitée. Ce `droit de mourir' dont Jonas fait allusion ici
concerne une catégorie de personnes : les malades. Quel type de
malade ? C'est d'abord le patient conscient, incurable, parvenu au stade
terminal ; puis le patient au stade du coma irréversible.
Malgré ces deux moments extrêmes, on ne peut pas d'emblé
dire que le patient a droit à la mort. L'hôpital et le
médecin sont tenus à promouvoir la vie. Au cas où
l'hôpital et le médecin décident d'arrêter le
traitement chez un patient sachant que l'arrêt du traitement va causer
la mort , ils commettent l'homicide. Au cas où c'est le malade qui
refuse le traitement, il s'agit du suicide.25(*)
Pour Jonas, le médecin n'a pas le droit de
précipiter la mort d'un malade incurable. Il doit suivre l'avis de ce
dernier s'il est conscient. Si le malade conscient souffrant d'une maladie
incurable et étant au stade final, juge bon de mourir afin d'adoucir la
souffrance, d'apaiser la douleur, le médecin doit l'aider à
mourir. La bonne mort doit être voulue et choisie par le malade et ne
doit pas émaner d'une décision unilatérale du
médecin. Même s'il s'agissait d'un patient au stade du coma
irréversible, « il ne peut être question d'un droit de
mourir au sens strict »26(*). Néanmoins, si quelqu'un est dans un coma
irréversible, voire profond par conséquent identifiable à
un cadavre , il serait mieux de cesser de le maintenir en vie de manière
superficielle, pense Jonas. Le `cesser' est une obligation étant
donné que le « gaspillage de précieuses ressources
médicales au profit d'un cadavre ne saurait se
justifier ».27(*) Jonas s'appuie sur la décision papale selon
laquelle : « lorsqu'on a conclu à la permanence d'une
inconscience profonde, l'emploi des moyens extraordinaires pour maintenir la
vie n'est obligatoire. On est autorisé à les arrêter pour
permettre au patient de mourir »28(*). En fait, il faut laisser quelqu'un mourir quand il
s'agit de cas extrêmes que le retenir en vie. Permettre au patient de
mourir est, pour Jonas, un impératif ou une obligation et non une
permission. Il le dit en ces termes :
(...) Non seulement ces moyens exceptionnels peuvent
être arrêtés, mais il faut qu'ils le soient pour l'amour du
patient auquel on doit permettre de mourir ; l'arrêt du maintien en
vie artificiel ne relève pas de la permission, mais de l'obligation. Car
on peut finalement construire quelque chose comme un « droit de
mourir » au nom de la personne à protéger que fut
autrefois le patient, elle dont le souvenir est affaibli par la
dégradation d'une telle « survie ». Ce droit
à la mémoire « posthume » (extralégale
en soi) s'érige en commandement pour nous qui sommes devenus par notre
toute-puissance unilatérale sur ce bien juridique, les gardiens de son
intégrité et les mandataires de sa revendication.29(*)
1.1.1.3. La manipulation génétique
L'homme est, de par sa nature, une créature divine et
ne peut jamais à l'état actuel de nos connaissances
créer une vie et fabriquer un autre homme. Avec la technologie, nous
courons le risque de réifier l'homme, de considérer l'homme tout
simplement comme une machine composée d'une tète, d'un tronc et
des membres. Par son savoir et son autoéducation, l'homme se trouve
à même de faire un contrôle génétique des
hommes à venir, lequel pouvant permettre d'avoir des renseignements
sûrs sur l'évolution du foetus comme de l'embryon.
La question relative à la manipulation
génétique a connu et connaît des controverses. Il n'y a
jamais eu unanimité à ce sujet, car les hommes vivent dans la
société avec des convictions et des philosophies tout à
fait différentes. Il y en a qui s'appuient sur la religion et la morale,
et il y en a d'autres qui sont naturalistes. Les défenseurs des
manipulations génétiques pensent manipuler le foetus et l'embryon
et considèrent ces derniers comme des objets d'expérimentation
scientifique en vue d'améliorer la vie des hommes. Pour eux, avec ces
manipulations, il y a moyen d'éradiquer plusieurs maladies
génétiques dont souffrent les hommes. A ce sujet, Jonas veut
tirer notre attention sur le « rêve ambitieux de l'homo
faber qui est résumé dans le slogan que l'homme veut prendre
en main sa propre évolution, dans le but non seulement de conserver
l'espèce en son intégrité mais de son amélioration
et de sa transformation conformément à son propre
projet »30(*).
La question qu'il faut se poser et que se pose Jonas, est de
savoir si nous avons le droit de prendre en main notre propre évolution,
si nous sommes habilités à faire des expérimentations sur
des personnes potentielles. Prendre en main sa propre révolution serait
une auto-appropriation du rôle du créateur ou une
auto-identification à celui-ci. « Savoir si nous sommes
qualifiés pour ce rôle démiurgique, c'est la question la
plus grave qui puisse se poser à l'homme qui se découvre
subitement en possession d'un tel pouvoir destinal (...). La question du droit
moral d'expérimenter avec les êtres humains à venir se pose
également ici »31(*), renchérit Hans Jonas.
1.1.1.4. La fécondation in vitro et le transfert
d'embryon
Généralement, la fécondation in
vitro et le transfert d'embryon (FIVETE) correspondent à une
nouvelle méthode de traitement de certains états de
stérilité. Elle consiste à contourner un obstacle au
niveau de trompes de Fallope, en prélevant des ovules pour pouvoir les
inséminer et les cultiver in vitro, c'est-à-dire en
dehors de l'organisme (du ventre) pendant quelques dizaines d'heures. Une fois
qu'ils sont devenus embryons de quelques cellules, ils peuvent être
insérés dans l'utérus par voie vaginale, avec l'espoir que
l'un d'eux, au moins, parviendra à s'y implanter.32(*)
La FIVETE fait partie des méthodes inhérentes
à la procréation médicalement assistée (PMA), au
même titre que l'insémination sexuelle artificielle qui est une
pratique consistant à prélever les spermes d'un homme, afin de
les introduire dans l'utérus d'une femme sans qu'il y ait au
préalable un rapport sexuel. Un couple recourt à cette pratique
lorsqu'il découvre que l'un des conjoints surtout l'homme est
stérile. Il existe actuellement des donneurs de semence. Outre
l'insémination artificielle, il existe aussi le cas de
«mères porteuses». On a recourt à une mère
porteuse lorsque la femme, pour des raisons diverses, n'est en mesure de porter
l'enfant dans son sein pendant neuf mois. Face à ces pratiques, se pose
une question fondamentalement éthique: Peut-on parler d'une personne
humaine ou tout simplement d'un objet matériel biologique monté
de toute pièce par l'homme ?
Au demeurant, avec l'avènement de la technique moderne,
devenue technologie et mariée à la science pour donner naissance
à la technoscience, « notre pouvoir d'agir nous entraîne
au-delà des concepts de n'importe qu'elle éthique
d'autrefois »33(*). En d'autres mots, le nouvel agir
« soulève déjà des questions qui jamais
auparavant n'était posées dans l'espace du choix pratique et
qu'aucun principe de l'éthique d'autrefois, qui acceptait les constances
humaines comme allant de soi, n'est à la hauteur de leur
discussion »34(*). Nous constatons avec Jonas que la transformation de
l'agir humain exige la transformation de l'éthique. Celle-ci est devenue
inefficace et muette devant toutes les questions évoquées plus
haut. Donc, face aux multiples questions qui se posent actuellement,
l'éthique traditionnelle ou classique s'est révélée
vide. La crise écologique, à travers les signes qu'elle
présente au monde, est devenue une réalité et a
cessé d'être un mythe : c'est la thèse qui sera
soutenue dans le point qui suit.
2.4.7. 1.2. LA CRISE
ÉCOLOGIQUE : UNE RÉALITÉ
Dans les lignes précédentes, il a
été question de montrer dans quelle mesure la nature de l'agir
humain s'est transformée. Non seulement la nature est devenue objet de
la technique, mais aussi l'homme. L'homme, par sa technique, maîtrise la
nature et par son savoir, il se maîtrise lui-même et veut devenir
un petit dieu. Nous partirons, pour ce point, de la métaphore de la
grenouille dans la marmite d'Al Gore pour pouvoir déboucher sur les
signes de la crise écologique. Cette métaphore montre en fait
combien les dégradations écologiques sont lentes et notre
responsabilité de sauver la planète y est mise en vedette.
2.4.8. 1.2.1. La
métaphore de la grenouille dans la marmite d'Al Gore
Imaginer une marmite remplie d'eau froide dans laquelle nage
tranquillement une grenouille. La marmite est déposée sur le feu
et le thermostat tourné de Off à On. L'eau
chauffe doucement. Elle est bientôt tiède. La grenouille trouve
cela plutôt agréable et continue à nager. Le thermostat est
maintenant réglé à sept et la température continue
à monter. L'eau est maintenant chaude. C'est un peu plus que
n'apprécie la grenouille, ça la fatigue un peu, mais elle ne
s'affole pas pour autant. L'eau est cette fois vraiment chaude. La grenouille
commence à trouver cela très désagréable et
s'affaiblit davantage. La température prend de l'ascenseur
jusqu'à tel enseigne que la grenouille va finir par cuire et mourir. Si
la même grenouille avait été plongée dans l'eau
chaude, elle aurait immédiatement donné le coup de pattes
adéquat qui l'aurait éjectée aussitôt de la marmite.
Il faut sauver la grenouille avant que l'eau ne devienne chaude.35(*)
La figure de la grenouille utilisée par Al Gore dans
son documentaire représente, à notre avis, l'homme menacé
par le réchauffement planétaire. La crise écologique
s'avère une réalité pour Al Gore. Elle exige plus de
vigilance, dans la mesure où les dégradations écologiques
sont lentes et progressives. Notre action faite ici et maintenant même
si elle est la mieux intentionnée qui puisse exister aura certes des
répercussions, même pas brusquement, mais progressivement sur
notre environnement. Il se trouve aussi derrière cette métaphore
l'idée de protection des générations futures, car ce sont
nos enfants probablement qui payeront les prix des plaies infligées par
nous à la nature.
2.4.9. 1.2.2. Les
signes de la crise écologique
Bien sûr nous pouvons dire que le changement est lent,
mais il y a déjà eu des catastrophes naturelles dues au mauvais
usage des moyens technologiques. Signalons quelques-unes :
On pourra se rappeler ici les grandes catastrophes ayant
atteint l'environnement proche des grandes industries : Seveso en Italie,
la dioxine en 1977 ; les explosions nucléaires à Three
Miles Island aux États-Unis (1979), les
conséquences de l'événement Tchernobyl en 1986 (...). En
fin parmi les grands désastres écologiques, on peut encore citer
la destruction massive de la forêt équatoriale (...).36(*)
Outre les cas signalés, il faut aussi ajouter les
inondations qui ont lieu régulièrement en Occident et dans
beaucoup d'autres villes du monde. Ces inondations sont sans doute dues
à la fonte des glaces dans les mers. C'est cette fonte de glaces qui
provoque le débordement des eaux et est à son tour due au
réchauffement climatique dont les causes seront signalées plus
loin.
Beaucoup de penseurs ont toujours cru que les choses en soi
sont bonnes et ne posent pas de problèmes. Le mal va alors, comme
l'avons déjà signalé plus haut, se situer dans l'usage que
l'on fait de la chose. Prenons ici l'exemple du couteau. Le couteau en soi est
bon, car il nous aide dans bien des choses. Mais il devient mauvais lorsqu'il
sert à l'extermination d'une espèce, d'un groupe de gens. Il en
est de même avec la technologie. Celle-ci a fait des merveilles, à
permis à l'humanité de se réaliser dans plusieurs
domaines, à rendre le monde un village planétaire. Cependant, les
promesses de la technologie sont devenues une menace pour l'humanité.
Ceci est une question d'ambivalence des effets technologiques.37(*) L'homme puise du
pétrole pour son énergie, pour sa circulation ou son
déplacement avec l'automobile bien entendu , le consomme sans
inquiétude et produit par conséquent du gaz carbonique
(CO2), qui se trouvant de manière excessive dans
l'atmosphère, nuit à sa santé.38(*)
Il convient de signaler qu'à l'heure actuelle plus de
43% de la surface de la planète se trouve désertifiés et
rien ne peut y être produit. On assiste à une diminution
considérable des terres fertiles et à la disparition de beaucoup
d'espèces animales. La faune est tellement détruite que beaucoup
d'espèces animales sont en voie de disparition ou éteintes pour
du bon. Le réchauffement planétaire a conduit non seulement
à l'évaporation de la terre cause de la désertification
d'une grande partie du monde , mais aussi à l'évaporation
exagérée des eaux de mers susceptibles d'entrainer des
précipitations abondantes qui sont cause d'inondations
enregistrées dans plusieurs parties du monde. Les forêts, n'en
parlons pas, sont irrémédiablement détruites à plus
de 70%. Nos forêts connaissent presque chaque année un
déboisement excessif. Les forêts sont une source intarissable et
très importante de l'oxygène. Le manque de forêts conduit
à l'appauvrissement en oxygène dans l'atmosphère.39(*)
Pour Hans Jonas, c'est à cause de la recherche accrue
des moyens de subsistance en abondance que les forêts sont
détruites, qu'il y a des érosions, qu'il y a changement du
climat.40(*)
Nul ne peut ignorer ce que c'est l' «effet de
serre». La question d'effet de serre est aussi d'actualité que
celles évoquées plus haut. En fait, il s'agit d'un
phénomène normal permettant une protection de la planète.
Concrètement, ce sont des gaz naturels qui font en sorte que la chaleur
produite par le soleil ne retourne dans l'atmosphère. Cependant,
l'augmentation du gaz carbonique (CO2) issu des émissions
industrielles et automobiles, des incendies de savanes et de forêts, fait
de l' « effet de serre » une source
d'inquiétude. La présence pléthorique de gaz à
« effet de serre » dans l'atmosphère conduit
à la destruction de la couche d'ozone. Et celle-ci, suite à un
trou, va faire passer les ultra-violets. Ceci a des conséquences
multiples dans la vie de tout vivant. Le monde humain sera exposé
à une forte multiplication du taux de cancers de la peau.41(*)
La question qu'il faut enfin se poser et que Hans Jonas s'est
déjà posée est celle de savoir « comment la
nature réagira-t-elle à cette attaque
intensifiée »42(*) ? A cette question, Jonas avait
déjà fait voir que « (...) la terre qui montre
déjà aujourd'hui des signes de surcharge ne pourra probablement
pas supporter une telle agression
démultipliée »43(*). La thèse selon laquelle la nature est
menacée cesse d'être un mythe ou une légende, mais devient
une réalité. Car les réactions de la terre deviennent de
plus en plus visibles. Ces réactions sont issues d'une surcharge
d'attaques non supportées, laquelle est due à la
prolifération exorbitante des hommes sur la terre, aux pollutions
industrielles et automobiles. Le problème démographique est
très important, surtout pour le continent noir. Plus les gens deviennent
nombreux, plus il faut chercher la nourriture en abondance, plus il faut encore
construire un nombre considérable d'habitat. L'homme, par sa technique,
demeure, in summa, le premier responsable des dégâts
causés à la nature tant humaine qu'extrahumaine.
2.4.10. 1.3. VIDE ÉTHIQUE
Comme souligné dans le dernier paragraphe du premier
point de ce chapitre, la technique moderne pose déjà des
questions auxquelles l'éthique antérieure, appelée
autrement éthique classique ou traditionnelle, ne pouvait
répondre. Hans Jonas affirmait déjà que « (...)
la transformation de la nature de l'agir humain rend également
nécessaire une transformation de l'éthique »44(*). L'éthique doit
être transformée, car elle s'avère déjà
inefficace, muette et incapable.
Hans Jonas constate que « la technique moderne a
introduit des actions d'un ordre de grandeur, tellement nouveau, avec des
objets tellement inédits et des conséquences tellement
inédites, que le cadre de l'éthique antérieure ne peut
plus contenir »45(*). L'éthique antérieure, comme nous le
montrerons plus loin, s'occupait en fait de ce qui a commerce entre homme et
homme. Ce qui sortait de ce champ humain ne pouvait faire objet de
l'éthique. Celle-ci était anthropocentrique. Cependant, des
questions d'un type nouveau, allant au-delà de
l'intersubjectivité, jamais posées et dues à la
transformation de l'agir humain se posent aujourd'hui.
Un petit saut dans le domaine juridique s'avère
nécessaire pour cerner davantage cette notion du vide éthique. Le
juge recourt, devant un procès bien entendu, à plusieurs sources
du droit : la constitution, la jurisprudence... Disons qu'il se pose la
question du mariage pour tous dans un pays tel que la République
Démocratique du Congo. Le juge commencera par interroger la
constitution, c'est-à-dire cherchera en premier lieu ce que la
constitution dit là-dessus. Si la constitution ne dit rien, le juge dira
qu'elle est « muette » et aura recourt à d'autres
sources du droit. Nous pouvons, à notre avis, dire qu'il y a dans ce cas
un vide constitutionnel ou vide juridique. Cette question qui a fait que la
constitution soit déclarée muette servira de paradigme dans le
prochain jugement. Pour Jonas, « des questions qui jamais auparavant
ne faisait objet de la législation entrent dans le cadre des lois que la
cité globale doit se donner pour qu'existe un monde pour les
générations futures »46(*). Dans le cas qui nous concerne ici, nous dirons,
à la manière des juristes, que l'éthique traditionnelle
est « muette », étant donné qu'elle ne dit
rien sur les rapports que l'homme entretient avec le monde extrahumain ;
sur les générations futures ; sur les nouvelles questions
rendant l'homme lui-même objet de la technique.
Ce vide éthique ou ce mutisme éthique est d'une
importance capitale, dans la mesure où il permet de refonder
l'éthique. Une nouvelle question dans le domaine juridique permet
d'enrichir la constitution, laquelle ne peut prévoir toutes les
questions relatives au vécu humain. Il y a vide éthique
lorsqu'apparaît un décalage considérable entre
l'éthique traditionnelle et les nouvelles manières de faire,
c'est-à-dire l'agir moderne. Ce dernier pose des problèmes
tellement colossaux que l'éthique traditionnelle ne peut donner une
solution palliative.
Eu égard à ce qui vient d'être dit, il est
tout à fait clair que l'éthique doit exister. Hans Jonas plaide
pour son existence :
(...) Il faut dire de l'éthique qu'elle doit exister.
Elle doit exister parce que les hommes agissent et l'éthique est
là pour ordonner les actions et pour réguler le pouvoir d'agir.
Elle doit donc exister d'autant plus que les pouvoirs de l'agir qu'elle doit
réguler sont plus grands ; et de même qu'il doit être
ajusté à l'ordre de grandeur, le principe de l'ordre doit
également être ajusté au type de ce qui doit être
ordonné. C'est pourquoi des facultés d'agir d'un type nouveau
réclament de nouvelles règles de l'éthique et
peut-être même une éthique d'un type nouveau.47(*)
2.4.11. 1.4. ÉTHIQUE CLASSIQUE VERSUS ÉTHIQUE
DE LA RESPONSABILITÉ
2.4.12. 1.4.1. De l'éthique traditionnelle ou
classique48(*)
L'éthique traditionnelle, qualifiée par Jonas de
muette ou d'inefficace dans la mesure où elle ne prend pas en charge des
nouvelles questions posées par le progrès technoscientifique, est
caractérisée par :
(i). La neutralité face au monde extrahumain.
(ii). La prédominance de l'anthropocentrisme.
(iii). La stabilité du monde et l'immuabilité
de l'identité humaine.
(iv). L'action et sa dimension
d'immédiateté.49(*)
Dans l'éthique du passé, « la
répercussion sur les objets non humains ne formait pas un domaine de la
signification éthique »50(*). En d'autres termes, tout ce qui avait commerce avec
le monde extrahumain n'était pas pris en charge par l'éthique ou
ne pouvait pas faire objet d'éthique. Jonas se focalise sur le
« domaine entier de la technè
(art) »51(*). Il
sied de signaler que tout ce qui établissait un rapport avec la
technè était neutre sur le plan éthique, la
médecine exceptée. En d'autres mots, nous dirons que l'homme, par
sa technique pouvait beau manipuler, maîtriser la nature comme bon lui
semble. Cela ne posait pas problème et « n'entrait pas dans
les préoccupations des théories
éthiques »52(*), dans la mesure où la technique ne pouvait
causer des dommages à la nature extrahumaine et n'était pas, par
ailleurs, la vocation de l'homme. La nature était, dans ce cas,
conçue comme quelque chose sujette à l'auto-préservation,
c'est-à-dire la nature pouvait se protéger contre toute sorte de
menace.
Dans le paragraphe précédent, nous avons
montré que pour Jonas, le monde extrahumain était neutre sur le
plan éthique. Cependant, le monde humain n'était pas
neutre ; il faisait partie des préoccupations éthiques.
C'est pourquoi Jonas qualifie l'éthique classique d'anthropocentrique,
dans la mesure où elle met l'homme au centre de ses
réflexions : « la signification éthique faisait
partie du commerce direct de l'homme avec l'homme, y compris le commerce avec
soi-même »53(*). Les éthiques du passé, même si
elles ont été différentes au niveau de leurs principes et
représentations, elles se focalisent sur l'homme : nous avons la
crainte de Dieu chez les juifs, l'éros chez Platon,
l'eudémonisme chez Aristote (hédonisme chez Aristippe de
Cyrène), la charité chez les chrétiens, le amor dei
intellectualis chez Benedictus de Spinoza, le respect chez Kant,
l'intérêt chez Kierkegaard, la jouissance de la volonté
chez Nietzsche, sont des doctrines ayant en commun la gravitation autour de
l'intersubjectivité.54(*)
Dans l'éthique antérieure, on estimait que le
monde était stable et que l'identité humaine était
inchangeable. Étant donné l'anthropocentrisme dans cette
éthique, l'homme était caractérisé par la
permanence et la constance dans son essence et son agir. En d'autres termes,
l'homme « reste le même à travers le temps et l'espace.
Il vit dans la conviction selon laquelle « ce qu'il a fait hier, peut se
répéter encore aujourd'hui et demain et que les moyens pour y
arriver demeurent et demeureront identiques» »55(*). Avec cette
inchangeabilité ou cette constance, il n'y a pas de
créativité ou d'inventivité et par conséquent le
monde va demeurer stable et statique.
« Le bien-être et le mal-être dont
l'agir devait s'occuper étaient proches de l'action, soit dans la praxis
elle-même, soit dans sa portée immédiate et ils
n'étaient pas affaire de planification à long
terme »56(*).
L'éthique traditionnelle était une éthique
d'immédiateté, de proximité et de
simultanéité. Elle s'occupait de ce qui était proche dans
le temps comme dans l'espace, et aucune prévision d'une action à
long terme n'était envisagée. Les conséquences d'une
action présente ou immédiate dans un avenir lointain
n'étaient pas envisagées et étaient souvent une affaire
des divinités et du hasard. Les générations futures se
trouvent sacrifiées dans cette éthique. Jonas, à ce
propos, affirme :
L'éthique avait affaire à l'ici et au
maintenant, aux occasions telles qu'elles se présentent entre les
hommes, aux situations répétitives et typiques de la vie
privée et publique(...). Tous les commandements et toutes les maximes de
l'éthique traditionnelle, quelle que soit la différence de leurs
contenus, présentent cette restriction à l'environnement
immédiat de l'action. (...) ce sont les vivants actuels et qui, d'une
façon ou d'une autre, ont commerce avec moi qui ont droit à mon
comportement pour autant qu'il les affecte par le faire ou par l'omission.
L'univers moral se compose de contemporains et son horizon d'avenir se limite
à leur durée de vie prévisible.57(*)
2.4.13. 1.4.2. De l'éthique de la
responsabilité
Dans les lignes précédentes, notre effort
consistait à montrer, à la lumière de Hans Jonas, comment
les nouvelles questions posées par la technologie ont rendu
l'éthique traditionnelle inefficace. Tout est parti de la transformation
considérable au niveau de l'agir humain. L'homme pouvait utiliser la
technique, mais celle-ci n'affectait pas la nature des choses. La technique
moderne a tenu des promesses, lesquelles se sont transformées en menace
contre la nature et contre l'homme lui-même. Ceci étant, Jonas
pense la nécessité de revisiter, de refonder l'éthique.
Puisque l'éthique traditionnelle ne prenait pas en charge les questions
relatives au monde extrahumain, aux générations futures, il
s'avère nécessaire de mettre au point une éthique du type
nouveau que Jonas nomme : « éthique de la
responsabilité », laquelle rend le « je »
responsable non seulement du « tu », mais également
de la nature extrahumaine et des générations futures.
Une grande révolution s'opère avec
l'éthique de la responsabilité. L'intervention technique de
l'homme dans la nature a rendu celle-ci vulnérable. Pour ce faire, la
nature devient un objet pour lequel nous devons être responsables. Elle
nous interpelle et nous invite à être responsables d'elle. La
responsabilité jusque-là visait seulement
l'intersubjectivité : on est responsable de l'autre, de son
semblable. « (...) la nature de l'agir humain s'est modifiée
de facto et qu'un objet d'un type entièrement nouveau,
rien de moins que la biosphère entière de la planète,
s'est ajouté à ce pour quoi nous devons être responsables
parce que nous avons pouvoir sur lui »58(*). Avec Jonas, nous
découvrons que la responsabilité est appelée à
transcender l'intersubjectivité. Elle doit prendre en charge la nature.
Celle-ci, affirme Jonas, « en tant qu'objet de la
responsabilité humaine est certainement une nouveauté à
laquelle la théorie éthique doit
réfléchir »59(*).
Outre cette transcendance vis-vis de
l'intersubjectivité, la responsabilité est appelée
à s'étendre dans l'avenir. Cette responsabilité n'est pas
tenue à s'enkyster dans le présent, dans le hic et nunc,
ou à aller se perdre dans un futur lointain. Nous sommes responsables
d'abord de nos actions présentes et immédiates, puis de nos
actions futures. Le nouveau discours éthique ne veut pas rompre avec la
tradition, mais vient par contre l'enrichir. Il prend en compte la
rationalité technologique dans toute sa complexité et ses
conséquences lointaines.
L'éthique de la responsabilité vient certes
combler le vide (les lacunes) laissé par l'éthique du
passé. Elle ne vise pas, vu l'accent mis sur les
générations futures, à développer chez les hommes
une certaine technophobie, une privation ou un renoncement. Elle veut que la
technologie soit utilisée rationnellement, avec modération et
avec précaution. Nous pouvons dire de l'éthique de la
responsabilité qu'elle est non seulement une éthique du futur,
mais aussi une éthique de conservation, de la préservation, de
l'empêchement, de la modération, de la précaution.
Étant donnée la critique jonassienne de l'éthique
traditionnelle, il s'avère nécessaire d'opérer un
dépassement au niveau de celle-ci. Lequel mettra en lumière le
nouveau discours éthique.
2.4.14. 1.4.3. Dépassement de l'éthique
traditionnelle
Plus haut, nous avons souligné que l'éthique de
la responsabilité vient opérer une révolution. Celle-ci
n'est rien d'autre qu'un dépassement des faiblesses relevées par
Jonas dans l'éthique traditionnelle. Ces faiblesses sont de quatre
ordres.60(*)
L'éthique classique était
caractérisée, comme évoqué plus haut, par
l'immédiateté (la proximité, la
simultanéité). Face à cette dimension spatio-temporelle
étroite que revêt l'éthique traditionnelle, Jonas
opère un dépassement dans l'éthique en y instaurant la
notion de la responsabilité. Cette dernière ne se limite pas
seulement dans le présent, mais s'étend dans le temps et dans
l'espace. L'éthique de la responsabilité, étant
donné qu'elle n'est pas anthropocentrique, prend en charge et l'homme et
la nature. La responsabilité doit s'étendre dans le temps et dans
l'espace parce que « les conséquences des actions produites
par la liberté humaine à travers les manipulations technologiques
vont loin dans le temps et dans l'espace »61(*).
A titre illustratif, la bombe atomique lancée par les
américains à Hiroshima et à Nagasaki a produit des effets
néfastes non seulement au moment du bombardement, mais aussi
jusqu'à nos jours. La présence des rayonnements issus des
radioactifs avait non seulement tué les gens, mais avait fait que les
hommes puissent, la longue, donner naissance à des mongoles ou des
monstres. La bombe atomique devenue anatomique avait affecté outre
Nagasaki et Hiroshima, d'autres villes du Japon, d'autres pays d'Asie, voire le
monde entier. Nous découvrons que les conséquences de cette bombe
sont allées loin dans l'espace et dans le temps.
L'éthique du futur est celle qui s'occupe de
l'aujourd'hui tout en prenant en compte les préoccupations du futur.
Elle veut que les hommes vivent bien ici et maintenant en vue de garantir le
futur ou l'avenir. Il nous paraît important d'évoquer ici la
question que le professeur Mbungu s'est toujours posée et à
laquelle il nous invite tous à nous poser : `comment vivre dans une
chambre de telle sorte qu'elle soit habitable par d'autres personnes
après autant d'années ?' Dans l'éthique du futur, il
n'est pas question de se priver pour le bien des générations
futures, mais d'agir maintenant de telle façon que la vie soit
permanente sur la terre. Nous devons avoir conscience du futur en respectant le
principe ou le commandement selon lequel : « Que
l'humanité soit »62(*).
« L'éthique du futur » ne
désigne pas l'éthique dans l'avenir une éthique future
conçue aujourd'hui pour nos descendants futurs , mais une éthique
d'aujourd'hui qui se soucie de l'avenir et entend le protéger pour nos
descendants des conséquences de notre action présente. La
nécessité s'en est imposée parce que notre action
d'aujourd'hui, sous le signe d'une globalisation de la technique, est devenue
si grosse d'avenir, au sens menaçant du terme, que la
responsabilité morale impose de prendre en considération, au fil
de nos décisions quotidiennes, le bien de ceux qui seront
ultérieurement affectés par elles sans avoir été
consultés. La responsabilité nous en incombe sans que nous le
voulions, en raison de la dimension de la puissance que nous
exerçons quotidiennement au service de ce qui est proche, mais que nous
laissons involontairement se répercuter au loin. Cette
responsabilité doit être du même ordre de grandeur que cette
puissance, et, comme celle-ci, englobe donc tout l'avenir de l'homme
sur terre. Jamais une époque n'a disposé d'une telle
puissance de surcroît constamment et nécessairement
active , ni porté une telle responsabilité.63(*)
In summa, l'éthique jonassienne transcende et
comble les trous laissés par l'éthique antérieure,
c'est-à-dire l'éthique traditionnelle. C'est la
responsabilité qui caractérise l'éthique ainsi
réorientée, revisitée et refondée. La
répercussion sur la nature tant humaine qu'extrahumaine forme un domaine
de signification éthique dans l'éthique de la
responsabilité. Celle-ci est appelée à réguler la
liberté et le savoir humain par lesquels la nature est devenue
vulnérable par le truchement de l'intervention technique de l'homme et
l'homme lui-même, un objet de la technique. L'éthique de la
responsabilité se veut enfin une éthique d'ici et maintenant
ayant une visée tournée vers l'avenir : la
responsabilité a affaire aux générations présentes
d'abord puis aux générations futures qui étaient autrefois
oubliées par l'éthique du passé et qui constituent une
nouveauté (innovation) de l'éthique de la
responsabilité.
2.4.15. 1.5. CONCLUSION PARTIELLE
Notre effort dans ce chapitre a consisté à
élucider la véritable source de l'éthique de la
responsabilité qu'est la technologie. Par le biais de cette
dernière l'essence de l'agir humain s'est modifiée et a
donné naissance à de nouvelles questions auxquelles
l'éthique d'autrefois ne pouvait répondre, étant
donné que ce sont des questions qui n'étaient jamais
envisagées dans la réglementation des conduites humaines.
Nous avons affirmé, avec Jonas, que l'agir humain a
changé. L'homme de l'Antiquité a usé d'une technique
rudimentaire. Celle-ci ne pouvait perturber l'ordre cosmique. Au temps moderne,
avec l'avènement de la technique moderne, l'homme a commencé
à travailler la nature de manière abusive, à
maîtriser la nature : l'homo faber a pris le dessus sur
l'homo sapiens. Il y a eu automatisation du processus
industriel : les travaux qui étaient jadis faits par l'homme, sont
aujourd'hui faits par les machines (automates ou robots). Cette intervention
technique de l'homme dans la nature a rendu celle-ci vulnérable. La
technique moderne a promis au monde des merveilles qui se sont
transformées en danger. Le drame git dans ce que l'homme ne s'est pas
limité à maîtriser la nature, mais à se
maîtriser lui-même.
La nature ainsi devenue vulnérable par l'usage excessif
de la technique, a réagi et continue à réagir. D'où
notre affirmation selon laquelle `la crise écologique est une
réalité' à laquelle tout le monde est appelé
à être responsable. Vus les nouveaux problèmes qui se
posent, l'éthique traditionnelle caractérisée surtout par
la prédominance de l'anthropocentrisme, la neutralité
vis-à-vis de la nature extrahumaine, et l'immédiateté, est
devenue inefficace et muette : il s'est alors créé un vide
éthique. Pour combler ce vide éthique, Hans Jonas a eu recourt
à l'éthique de la responsabilité qui englobe et la nature
humaine et la nature extrahumaine. L'éthique de la responsabilité
ne se limite pas seulement à l'ici et au maintenant, mais s'étend
dans le temps et dans l'espace. C'est cette responsabilité se trouvant
au centre de l'éthique jonassienne qui fera certes objet de notre
deuxième chapitre.
CHAPITRE
DEUXIÈME : LA SOLLICITATION D'UNE ÉTHIQUE APPROPRIÉE
À LA TECHNOLOGIE : ÉTHIQUE DE LA RESPONSABILITÉ
2.4.16. 2.0. INTRODUCTION
Dans les dernières lignes du chapitre
précédent, nous disions que la responsabilité se trouve au
coeur du nouveau discours éthique de Hans Jonas. Ce nouveau discours
éthique s'avère pertinent, car l'éthique du passé a
fait preuve de certaines insuffisances. La responsabilité n'est pas une
notion nouvelle, bien qu'elle ait eu des connotations différentes au
cours de l'histoire et selon tel ou tel penseur. Selon Bernard Sève,
« L'ancien concept de responsabilité, c'était avoir
à répondre de ses faits et gestes, en subir les
conséquences, réparer le tort causé à autrui ;
l'ancienne responsabilité est donc mesurée sur ce qui a
été fait, sur l'action effective »64(*). En fait la
responsabilité était anthropocentrique et rétrospective.
Comme nous le disions dans le chapitre précèdent, une
révolution s'est opérée avec Jonas, dans la mesure
où la responsabilité s'étend jusqu'au monde extrahumain et
comporte en elle une dimension futurologique, c'est-à-dire elle porte
sur l'avenir : on devient responsable des actions susceptibles de
détruire l'humanité même dans un futur lointain. La
responsabilité est, en un mot, devenue prospective.
Nous allons dans ce chapitre, à la lumière de
Jonas, chercher à élucider le concept de responsabilité
dans ses différentes acceptions. L'éthique jonassienne de la
responsabilité, contrairement à d'autres éthiques trouve
sa source dans la métaphysique. La méthode que propose est
l'heuristique de la peur. Cette peur qui n'est pas une pathologie, mais qui est
de nature bénéfique dans ce sens qu'elle nous renseigne sur
quelque chose. Une analyse des paradigmes éminents de la
responsabilité sera faite dans ce chapitre et une dimension tout
à fait futurologique de l'éthique de la responsabilité
qui fait certes sa nouveauté vaudra la peine d'être mise en
évidence.
2.4.17. 2.1. RESPONSABILITÉ, QU'EST-CE À
DIRE ?
Le concept de « responsabilité »
vient du mot latin respondere qui signifie
« répondre ». Etymologiquement et juridiquement, la
responsabilité signifie « se porter garant ou caution de
quelqu'un ou de quelque chose ». Ainsi se dégage deux types de
responsabilité : la responsabilité subjective et la
responsabilité objective. Objectivement, être responsable, c'est
savoir assurer un résultat, c'est être chargé d'une
certaine organisation ou d'une certaine tâche (responsabilité
prospective), c'est avoir à répondre de quelqu'un ou de quelque
chose, de suite de ses actes ou des actes de ceux dont on répond,
c'est-à-dire en assumer des conséquences (responsabilité
rétrospective). Pour la responsabilité rétrospective, on
se base sur l'acte déjà consommé, sur une action effective
ayant peut-être entrainé des conséquences fâcheuses
pour lesquelles l'auteur est tenu de réparer ou d'en subir la peine. Au
sens subjectif, être responsable, c'est agir avec une connaissance et une
liberté suffisantes, pour que ses actes puissent être
considérés comme sien et qu'il doive en répondre. A ce
niveau, on se base sur le pourquoi de l'acte, sur ce qui a poussé
l'acteur à agir d'une manière ou d'une autre. On ne voit plus
l'acte en soi indépendamment du sujet. La responsabilité
présuppose la liberté65(*) du sujet agissant. Etre responsable, c'est aussi
être à l'origine d'une chose ou en être la cause.66(*)
Dans le code civil français, comme dans le code civil
congolais, tout homme est responsable non seulement de son propre acte, mais
également de l'acte causé par toute personne ou toute chose se
trouvant dans la sphère de son pouvoir (il peut s'agir des personnes
considérées comme incapables juridiquement ou des animaux, etc.).
Ce code le dit en ces termes : « on est responsable, non
seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui
qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou
des choses que l'on a sous sa garde »67(*).
Jonas s'inscrit dans la même perspective que celle
évoquée plus haut, car il part des conceptions
générales et juridiques. Il affirme que « la condition
de la responsabilité est le pouvoir causal. L'acteur doit
répondre de son acte : il est tenu pour responsable de ses
conséquences et le cas échéant on lui en fait porter la
responsabilité »68(*). La responsabilité comme imputation causale
des actes commis a, de prime abord, une signification juridique et non morale.
Etre responsable dans ce sens c'est être auteur d'un acte, être sa
cause active. « Le dommage commis doit être
réparé même si la cause n'était pas un
méfait, même si la conséquence n'était ni
prévue ni voulue. Il suffit que j'aie été la cause
active »69(*).
En fait dans le domaine juridique, la responsabilité objective prime et
c'est sur elle que les décisions importantes sont prises. Le coté
subjectif qui aurait un sens moral est quelque peu oublié. L'accent
est beaucoup plus mis sur l'acte que sur le sujet agissant.
Outre la responsabilité juridique appelée
communément responsabilité légale et se fondant sur la
responsabilité objective, il existe aussi la responsabilité
morale, laquelle se fonde et sur la responsabilité objective et sur la
responsabilité subjective. En effet, pour qu'un acte soit moralement
répréhensible ou condamnable, il ne suffit pas de se limiter
à l'acte lui-même, mais il faut remonter aux intentions de
l'acteur. Il s'avère très nécessaire d'ajouter ce
coté subjectif au mélange qui s'est effectué entre
l'idée de punition et la compensation juridique, lesquelles pourraient
donner lieu à une condamnation morale. On n'est plus seulement
responsable de l'extérieur, mais aussi de l'intérieur. C'est
cette responsabilité juridique qui a marqué toutes les
éthiques du passé.
Or il y a encore un tout autre concept de
responsabilité qui ne concerne pas le calcul ex post facto de ce qui a
été fait, mais la détermination de ce qui est à
faire ; un concept en vertu duquel je me sens donc responsable non en
premier lieu de mon comportement et de ses conséquences, mais de la
chose qui revendique mon agir.70(*)
L'ancien concept de responsabilité est
rétrospectif, dans la mesure où la responsabilité se
laissait mesurées par ce qui s'est déjà fait, par une
action effective ou déjà accomplie : je suis responsable
d'un fait déjà consommé par moi et je ne suis pas
responsable d'un fait non encore réalisé. Toute l'éthique
traditionnelle était caractérisée par cette
responsabilité rétrospective. On était responsable de
l'autre hic et nunc et dans la plupart des cas, on était
responsable de ce dont on était la cause, l'origine, de ce qui
s'était réellement accompli ou réalisé. Le futur ou
l'être-tel futur n'était pas envisagé. Le nouveau concept
de responsabilité transcende l'ancien concept, dans ce sens qu'il offre
une certaine ouverture vers des choses non encore effectives : je suis
responsable de tout ce qui se présente à mes organes sensoriels,
de l'autre (sujet ou objet) tel qu'il se présente à moi, voire
des générations futures. Le nouveau concept de
responsabilité est prospectif.
Dans la responsabilité se trouve une relation entre
d'une part le sujet de la responsabilité et d'autre part l'objet de la
responsabilité. Ce dernier doit être. Face à ce
devoir-être, un devoir-faire responsable du sujet s'avère
très nécessaire. Le sujet de la responsabilité peut
être responsable même des actes considérés comme les
plus irresponsables. Jonas prend, pour ce faire, l'exemple d'un capitaine de
bateau. Celui-ci pendant ses fonctions est maître du navire et des vies
humaines. Il peut arriver que parmi les passagers à bord du navire, se
trouve un passager pas comme tous les autres ayant un pouvoir plus grand que
celui du capitaine dans la compagnie, c'est-à-dire son employeur. Le
capitaine, pendant la conduite, ne peut recevoir aucun ordre venant de son
employeur. Cet ordre peut compromettre la vie des milliers de personnes
à bord du navire. Au cas où il obéissait aux ordres en
provenance de son employeur indépendamment de sa volonté ou de
son avis, il agirait de manière irresponsable. Jonas pense que le
capitaine doit désobéir même s'il doit être puni
après, pourvu qu'il agisse de façon responsable, car c'est lui
qui porte la responsabilité. Ainsi pour Jonas, « exercer le
pouvoir sans observer l'obligation est irresponsable, c'est-à-dire une
rupture dans le rapport de confiance de la
responsabilité »71(*). Au moment où on a quelqu'un ou quelque chose
dans la sphère d'influence de son pouvoir comme dans le cas du navire
où le capitaine a pouvoir , on est responsable. Le bien-être, le
sort, l'intérêt d'autrui sont remis entre mes mains du fait des
circonstances ou d'une convention. Ce pouvoir m'oblige à assumer ma
responsabilité jusqu'au bout.72(*)
En d'autres mots, le décalage entre l'exercice du
pouvoir et l'observance de l'obligation mène à un comportement
irréfléchi ou à l'irresponsabilité. Etre
responsable dans ce cas, consiste à exercer le pouvoir et à
observer l'obligation concomitamment. Le joueur du casino, dont Jonas a fait
allusion, a le pouvoir d'utiliser son argent comme bon lui semble, mais a
aussi l'obligation de remplir ses devoirs en tant que père de famille.
Ce joueur agit de façon irresponsable ou irréfléchie
lorsqu'il exerce son pouvoir en ignorant qu'il a des obligations à
observer. Il en est de même pour le capitaine d'un navire qui a le
pouvoir de multiplier les vitesses du navire comme bon lui semble, et qui a en
même temps l'obligation de ne pas mettre en danger les vies.
2.4.18. 2.2. DU FONDEMENT MÉTAPHYSIQUE DE
L'ÉTHIQUE DE LA RESPONSABILITÉ
Contrairement aux éthiques du passé qui prennent
leur source dans l'éthique elle-même, l'éthique de la
responsabilité trouve sa source ou se fonde dans la métaphysique.
En fait, l'éthique jonassienne a besoin de la métaphysique pour
sa fondation. Pour ce faire, il serait nécessaire de tenir compte de
tout ce qui a été dit dans le premier chapitre sur les deux
éthiques : éthique traditionnelle et éthique de la
responsabilité.
Se voulant une éthique du futur, l'éthique de la
responsabilité a son premier principe. Ce dernier « ne se
trouve pas lui-même dans l'éthique en tant que doctrine
du faire (dont font par ailleurs partie toutes les obligations à
l'égard des générations futures), mais dans la
métaphysique en tant que doctrine de l'être, dont
l'idée de l'homme forme partie »73(*). Le premier principe de cette
éthique du futur est que « l'humanité soit ».
Alors la question métaphysique doit être celle de savoir
« pourquoi l'humanité doit exister ». C'est
seulement la métaphysique qui permet de se poser une telle question.
Cette question considérée par Jonas de métaphysique part
de la question leibnizienne qui consistait à savoir « pourquoi
y'a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ». Cette question
peut être reformulée autrement : « pourquoi
l'humanité doit être plutôt que la
détruire ? ».
Avec l'avènement des sciences de la nature et du
positivisme, tout discours métaphysique commence à être
considéré comme dénué de sens. Auguste Comte
distinguait trois états : état théologique,
état métaphysique et état positif. Ce dernier est
considéré par ailleurs comme le meilleur état,
l'état qu'il faut atteindre. Nous voyons dans ceci un dédain
vis-à-vis de la métaphysique. Il sied de signaler qu'avec Jonas,
la problématique de la métaphysique revient sur la scène
philosophique : « (...) je m'avance avec une certaine
allégresse sur le terrain devenu désert, prêt à y
rencontrer la métaphysique déjà si souvent
déclarée morte »74(*). « Philosophiquement, la
métaphysique est tombée de nos jours en disgrâce, nous ne
saurions nous en passer (...) »75(*), constate Jonas.
Déjà dans la préface du Principe
Responsabilité, Jonas montrait la nécessité de la
métaphysique dans l'éthique qu'il veut fonder.
La fondation d'une telle éthique, qui ne reste plus
liée au domaine immédiatement intersubjectif des contemporains,
doit s'étendre jusqu'à la métaphysique, qui seule permet
de se demander pourquoi des hommes doivent exister au monde : donc
pourquoi vaut l'impératif inconditionnel de préserver leur
existence pour l'avenir. L'aventure de la technologie, avec ses risques
extrêmes, exige ce risque de la réflexion extrême. Une telle
fondation est tentée ici, à l'encontre de la résignation
positiviste-analytique de la philosophie contemporaine. Du point de vue
ontologique sont déployées à nouveau les vieilles
questions du rapport de l'être et du devoir, de la cause et de la
finalité, de la nature et de la valeur, afin d'enraciner dans
l'être, par-delà le subjectivisme des valeurs, le nouveau devoir
de l'homme qui vient d'apparaître.76(*)
Le recourt à la métaphysique de la part de Jonas
n'est pas sans raison et se justifie. Pour Jonas, la métaphysique permet
de retourner au principe premier fondateur de l'éthique. Il s'agit de
partir du devoir pour remonter à l'être. Avec la
métaphysique, on s'intéresse au pourquoi de l'être, au
pourquoi du pourquoi de l'être, ainsi de suite. Il y a une ascension vers
la cause première de ce qui est. La nécessité de la
métaphysique se justifie pour Jonas à partir deux
arguments :
(...) il faut remonter jusqu'à l'ultime (la
première) question de la métaphysique, n'admettant plus de
réponse, pour ensuite tirer du sens de l'être de
« quelque chose comme tel », qui lui-même ne se
laisse plus fonder, peut-être, malgré tout, un renseignement
relatif au pouvoir du devoir de l'être déterminé, et en
second lieu, que l'éthique qui se laisse éventuellement fonder de
cette matière ne peut plus s'arrêter à l'anthropocentrisme
brutal qui caractérise l'éthique traditionnelle, en particulier
l'éthique grecque-juive-chrétienne de l'Occident.77(*)
Pour Jonas, comme nous le savons bien, le premier
impératif est que l' « humanité
soit »78(*). Cet
impératif s'avère catégorique et intransigeant.
« Qu'une humanité soit » sous-tend l'exigence de
l'existence d'une vie. Ce qui est, ce qui existe ou ce qui doit exister, c'est
la vie. Cette vie implique la supériorité de l'être sur le
non-être. Dans ce cas, l'éthique se fonde sur le oui
`inconditionnel' à l'être ou sur le non `inconditionnel' dit au
non-être. La métaphysique vient faire montre comment cet
impératif, cette exigence de l'existence d'une humanité future
provient certes de l'être. C'est seulement cette métaphysique qui
peut nous dire le pourquoi d'une existence, du devoir-être de
l'être-tel futur.79(*)
Le bien-fondé de la métaphysique gît dans
le fait qu'elle se fonde sur la raison. C'est ce niveau rationnel qui
diffère la métaphysique de la foi. Celle-ci, comme le dit Jonas,
« peut donc très bien procurer à l'éthique le
fondement, mais elle-même n'est pas disponible sur commande et même
en y mettant l'argument le plus fort de l'obligation, on ne peut pas faire
appel à celle qui est absente ou
discréditée »80(*). La métaphysique par contre « a
été depuis toujours une affaire de la raison et celle-ci se
laisse mobiliser quand il le faut »81(*). Et la religion (la foi), et la métaphysique,
toutes, peuvent prôner (réclamer) l'existence impérative et
inconditionnelle de l'homme, cependant elles ne le feront pas de la même
manière. La métaphysique mettra en exergue la rationalité,
mais la religion mettra la révélation divine.
2.4.19. 2.3. DE LA MÉTHODE : HEURISTIQUE DE LA
PEUR
Après avoir recouru à la métaphysique
pour fonder l'éthique de la responsabilité qui se veut une
éthique du futur, Hans Jonas se donne une méthode susceptible de
nous aider à nous faire une idée sur les éventuelles
catastrophes écologiques pouvant conduire l'humanité tout
entière à son extinction. En d'autres termes, cette
méthode nommée par Jonas « heuristique de la
peur », nous donne un savoir anticipé, lequel nous permettrait
de prendre des précautions sur les éventuels dangers auxquels
notre monde peut être exposé. Nul n'est censé ignorer les
méfaits de la technologie. Celle-ci a fait des promesses colossales
à l'humanité, mais elle est devenue un couteau à double
tranchant : elle aide et nuit simultanément. Devant cette
ambivalence, l'éthique de la responsabilité s'avère la
mieux placée pour pouvoir prendre en charge toutes les questions
posées par la technologie.
La première obligation de l'éthique du futur
consiste à se procurer une idée des effets lointains de la
technoscience pouvant mettre en danger l'existence de l'être-tel futur.
La mobilisation du sentiment adéquat aux effets que la technoscience
pourrait infliger à l'humanité dans l'avenir est certes la
seconde obligation. Il s'agit de partir de la prévision de la menace que
peut connaître l'homme à cause des plaies infligées
à la nature. Face à ce savoir prévisionnel ou
anticipé de l'éventuel danger, l'idéal serait de prendre
des précautions, de mobiliser un sentiment adéquat pour ne pas
tomber dans le mal. Ce sentiment est de prime abord un sentiment de crainte.
N'ayant aucune idée sûre sur ce que sera demain, l'homme doit
développer un sentiment de crainte. Il doit craindre pour le bien de
l'humanité. C'est une peur bénéfique qu'il s'agit de
développer ici. La question que Jonas se pose est celle de savoir
comment nous pouvons craindre ce que nous n'avons jamais éprouvé
et qui n'a aucune analogie dans l'expérience actuelle ou
passée ? Comment se le représenter ?82(*)
Pour Jonas, « le malum imaginé doit
donc assumer le rôle du malum éprouvé et cette
représentation ne s'impose pas automatiquement, mais il faut se la
procurer »83(*).
Il renchérit en disant que « n'étant pas le mien, ce
malum imaginé ne provoque pas la crainte de la même
façon automatique que le fait le malum que j'éprouve et
qui me menace moi-même »84(*). Connaissant les conséquences de la crise
écologique ayant eu lieu dans le passé, nous pouvons nous faire
une idée sur les conséquences que peut avoir la crise
écologique dans l'avenir. Ce savoir prévisionnel doit installer
en nous -- pas de manière automatique -- la crainte : nous
craignons que ce qui s'est passé dans le temps ne puisse se
répéter et que d'autres dégâts plus grands et non
encore connus ne puissent se produire. Face à l'idée d'une
disparition de l'humanité, la crainte que nous devions éprouver
ne doit pas être de type pathologique, mais une sorte d'attitude
spirituelle que nous sommes tenus d'adopter.
Cependant, il convient de dire que le malum a plus
d'attrait chez l'homme que le bonum. En d'autres mots, de
manière automatique, le mauvais pronostic se laisse vite apercevoir que
le bon ce qui est avantageux à notre avis. Il faut
« davantage prêter l'oreille à la prophétie de
malheur qu'à la prophétie de bonheur »85(*). La première est
« faite pour éviter qu'elle ne se
réalise »86(*), elle est une sonnette d'alarme, un avertissement
auquel il faut prêter plus d'attention.
(...) la reconnaissance du malum nous est infiniment
plus facile que celle du bonum ; elle est plus immédiate,
plus contraignante, bien moins exposée aux différences d'opinion
et surtout qu'elle n'est pas recherchée : la simple présence
du mal nous l'impose alors que le bien peut être là sans se faire
remarquer et peut rester inconnu en l'absence de réflexion (celle-ci
réclamant des raisons spéciales). Par rapport au mal nous ne
sommes pas dans l'incertitude ; la certitude par rapport au bien nous ne
l'obtenons en règle générale que par le détour de
celui-ci.87(*)
2.4.20. 2.4. DE L'ANALYSE DES PARADIGMES ÉMINENTS DE
LA RESPONSABILITÉ : PARENTS ET HOMME POLITIQUE
« L'homme est le seul être connu de nous qui
puisse avoir une responsabilité »88(*). Pour notre auteur, les
parents et l'homme politique sont des paradigmes éminents de la
responsabilité. Il existe biens des paradigmes, mais ces deux sont
très nécessaires pour élucider le concept de
responsabilité. En effet, Jonas veut justifier sa conception de la
responsabilité à travers ces paradigmes.
Ces deux modèles de responsabilité parents et
homme politique ont plus de ressemblances que des différences pouvant
nous permettre de savoir ce qu'est être responsable. D'une manière
générale, les deux paradigmes se différent l'un de l'autre
au niveau de la naturalité et l'artificialité. Voici, dans un
tableau, les points de démarcation entre ces deux paradigmes89(*) :
Responsabilité parentale
|
Responsabilité politique
|
Elle est l'affaire de tout le monde
Son objet est formé par les quelques individus que
nous avons-nous-même engendré et qui sont les plus
étroitement reliés entre eux, valant chacun dans son
identité individuelle, mais encore immatures.
Son origine est le « fait d'être
soi-même immédiatement l'auteur volontaire ou involontaire de
l'acte de procréation »
Elle est élémentairement naturelle.
Elle est exercée dans le commerce intime direct
L'objet est ici charnellement présent au
responsable.
Elle ne dépend d'aucun consentement préalable.
Elle est irrévocable et non résiliable
|
Elle est l'affaire d'un individu.
Son objet est formé par les nombreux individus
anonymes de la société déjà existante, dont chacun
a déjà atteint son autonomie, et qui sont pourtant
méconnus précisément dans leur identité
singulière.
Son origine est « la prise en charge
spontanée de l'intérêt collectif, pouvant seulement
conduire le cas échéant au fait d'en devenir l'auteur, en lien
avec la concession plus ou moins librement consentie de la part des
intéressés ».
Elle est artificiellement artificielle
Elle est exercée par le moyen et dans la distance des
instrumentalités organisationnelles.
L'objet est ici de façon idéelle.
Elle dépend du consentement préalable de
l'homme politique, elle est révocable et résiliable.
|
Dans ce tableau, c'est la différence entre la
responsabilité parentale et la responsabilité politique qui est
mise en évidence. En dépit de leur caractère
éminent dans la conception jonassienne de la responsabilité, ces
paradigmes ont des points de divergences que nous avons
énumérés dans le tableau ci-haut. Ils ne divergent pas
seulement, mais ils convergent aussi. Leurs points de ressemblance sont
indiqués par notre auteur à travers trois concepts :
« totalité »,
« continuité » et « avenir ».
2.4.1. La
totalité de la responsabilité
De toutes les façons, la responsabilité est
appelée à s'exercer de manière tout à fait totale.
La totalité apparaît comme l'une des propriétés que
les deux paradigmes de la responsabilité ont en commun. Les
propriétés que la responsabilité parentale et celle de
l'homme d'État ont en commun révèlent par
conséquent l'essence de la responsabilité dans sa forme la plus
complète. Cette totalité veut sans doute dire que ces
responsabilités s'occupent de tous les aspects des objets de
responsabilité. Ceci va « de la simple existence jusqu'aux
intérêts les plus élevés »90(*).
En effet, les parents, en faisant venir l'enfant au monde,
veulent qu'il soit le meilleur des enfants qui puisse exister. Comment ils y
parviennent ? Ils commencent naturellement par subvenir (satisfaire) aux
besoins les plus élémentaires, les plus vitaux de l'enfant, pour
s'occuper par la suite de son
éducation prise dans tous les sens : les
aptitudes, les relations, le comportement, le caractère, le savoir, dont
la formation doit être surveillée et encouragée ; et
ensemble avec tout cela si possible également le bonheur. En un
mot : le pur être comme tel et ensuite le meilleur être de ces
êtres est ce que le souci parental a in toto en vue.91(*)
A l'instar de la responsabilité parentale, la
responsabilité politique vise la promotion de l'existence d'une vie
humaine, une existence continue. La promotion de l'existence d'une vie non dans
sa singularité, mais dans sa totalité, c'est-à-dire la vie
de la collectivité toute entière qui n'est rien d'autre que la
res publica ; est ce qui doit être visée par l'homme
d'État. « L'objet de la responsabilité (politique) est
la res publica »92(*). Le souci de tout homme d'État est de
s'occuper de tous les aspects de cet objet. C'est ainsi que Jonas
déclare que « l'homme d'État au sens plénier du
terme porte pendant la durée de son mandat ou de son pouvoir la
responsabilité pour la totalité de la vie de la
collectivité, ce qu'on appelle le bien public »93(*).
Au niveau de l'éducation, nous pouvons découvrir
que les responsabilités parentale et politique se complètent et
s'interpénètrent. L'une est du domaine privé et l'autre du
public. La première est obligée à s'ouvrir au public, car
elle est incluse dans la seconde. Cependant, « dans le cas d'une
collectivisation extrême, la totalité du coté public peut
l'amener à se substituer intégralement à la
responsabilité privée et à abolir la responsabilité
parentale en même temps que son pouvoir »94(*). L'État peut s'immiscer
dans les affaires privées ou familiales. Au cas où les parents
n'assument pas la totalité de leur responsabilité, l'État
peut le contraindre à le faire ou les en dépouiller.
Les parents éduquent les enfants pour faire d'eux des
bons citoyens ce qui est avantageux pour l'État. D'où la
tâche de l'éducation n'est pas seulement l'affaire des seuls
parents, mais aussi de l'État qui a une grande part de
responsabilité, pour ne pas dire la totalité. Devenu mature,
l'enfant devient totalement citoyen.
Il se trouve chez les parents un sentiment d'amour envers la
personne dont ils sont eux-mêmes géniteurs ou auteurs. Un
sentiment d'amour analogue à celui des parents se trouve aussi chez
l'homme politique envers la communauté dont il n'est pas
géniteur, avec laquelle il a des liens de fraternité. A l'instar
des parents, se crée chez l'homme d'État une
« identification émotionnelle avec l'ensemble, `la
solidarité' ressentie qui est analogue à l'amour à
l'égard de l'individu »95(*).
2.4.2. La
continuité de la responsabilité
Dans le point précédent, il a été
question de montrer que les responsabilités parentale et politique
s'exercent de manière totale. En effet, la continuité de la
responsabilité dont il est question dans ce point émane certes de
la nature totale de la responsabilité. En d'autres mots, la
responsabilité des parents et de l'homme politique qui s'exerce de
manière totale ne doit pas connaître une interruption, mais doit
plutôt être continue. « Pourquoi cette
continuité » est une question qui mérite d'être
posée. Il doit y avoir continuité, selon notre auteur, parce que
la vie de l'objet étant sous la responsabilité ne doit pas
s'arrêter. L'objet de la responsabilité est le
« périssable en tant que
périssable »96(*), est « l'existence d'une vie »
pour laquelle les parents et l'homme d'État sont appelés à
continuer à préserver et à se préoccuper sans se
fatiguer.
Ni la charge parentale ni celle de gouvernement ne peuvent se
permettre de prendre vacances, car la vie de l'objet se poursuit sans
s'interrompre et elle réengendre ses requêtes d'un instant
à l'autre. Mais plus importante encore est la continuité de cette
existence elle-même dont on s'occupe en tant que préoccupation que
les deux responsabilités ici envisagées doivent avoir
présentes sous les yeux lors de chaque occasion particulière de
leur actualisation.97(*)
La responsabilité d'un capitaine de bateau comme celle
d'un médecin est appelée à commencer à un moment et
à s'arrêter à un autre, malgré le fait que ce qui
est visé ici, c'est la continuité de l'existence. Le capitaine,
dans l'exemple de Jonas, est responsable de ses passagers dès le moment
où ils sont à bord du bateau jusqu'à la destination.
Savoir ce qu'ils ont fait avant de s'embarquer et ce qu'ils feront après
le débarquement n'intéresse pas le capitaine. La
responsabilité du médecin commence dès que le malade
commence à suivre le traitement et s'étend jusqu'à la
guérison. Ces deux types de responsabilité sont temporels.
Cependant, pour Jonas,
La responsabilité totale en revanche doit toujours se
demander : « qu'est-ce qui vient après ? A quoi cela
mènera-t-il ? » et en même temps aussi
« qu'est-ce qui venait avant ? Comment ce qui arrive s'unit-il
à l'ensemble de l'être devenu cette existence ? ».
En un mot : la responsabilité totale doit procéder
« historiquement », saisir son objet dans son
historicité, et cela le véritable sens de ce que nous
désignons ici avec l'élément de la
continuité.98(*)
Eu égard à ce qui vient d'être dit dans la
citation qui précède, la responsabilité politique
s'avère la mieux placée pour aller dans les deux directions du
temps : passé et futur. La responsabilité parentale ayant
pour objet l'enfant dans son individuation unique, s'occupe du
« devenir individuel » de ce dernier ayant lui-même
son « historicité personnelle », et par
conséquent trouve son identité historique. Ce « devenir
individuel » de l'enfant va toujours de paire avec la socialisation
ou l'enculturation, de telle sorte que la responsabilité
éducative des parents ne peut s'empêcher de se confondre avec la
responsabilité politique : il s'agit de
l'interpénétration de ces deux paradigmes dont nous avons
déjà fait allusion plus haut.99(*)
2.4.3. L'avenir de
la responsabilité
Après avoir montré que la responsabilité
doit s'exercer de manière totale et continue, il convient de dire
qu'elle doit aussi se tourner vers l'avenir. Pour Jonas, « avant tout
c'est l'avenir auquel la responsabilité pour une vie, qu'elle soit
individuelle ou collective, a affaire »100(*).
En fait les deux caractères de la responsabilité
précédemment exposés promeuvent d'une part la
totalité de l'existence d'une vie, et la continuité de
l'existence de cette même vie d'autre part. Pour le caractère que
nous exposons ici, ce qui est envisagé qui découle certes de
deux susexposés c'est l'avenir de l'existence, lequel devient un objet
susceptible de rendre complet un acte de responsabilité. C'est ainsi que
Jonas déclare qu' « ici l'avenir de l'existence
entière, par-delà l'influence directe du responsable et, par le
fait, par-delà la possibilité d'un calcul concret, devient un
objet complémentaire de tous les actes individuels de
responsabilité qui à chaque fois se soucient de l'immédiat
le plus proche »101(*). Il ajoute encore pour dire que « le
caractère futurible propre de ce dont on a la responsabilité est
le véritable aspect d'avenir de la
responsabilité »102(*).
La responsabilité parentale s'avère elle aussi
limitée dans le temps. Dès que l'enfant grandit et devient lui
aussi parent, la responsabilité sous laquelle il se trouvait cesse dans
une certaine mesure. En est-il de même avec la responsabilité
politique ? Celle-ci n'est pas limitée dans le temps : un
homme d'État peut mourir, il y aura, par après et de toutes les
façons, son remplaçant. Cette responsabilité est
permanente. C'est pourquoi Jonas n'a pas hésité de dire que
« l'une des responsabilités de l'art de gouverner consiste
à veiller à ce que l'art de gouverner reste encore possible dans
l'avenir »103(*). Ceci apparaît comme un impératif, chez
l'homme d'État, consistant à éduquer ou à former,
c'est-à-dire à préparer les hommes d'État futurs,
les remplaçants, « les candidats possibles à la
répétition de son rôle ». C'est avec cet esprit
qu'il peut encore y avoir « la possibilité d'un agir
responsable dans l'avenir »104(*).
2.4.4. 2.5. DE LA
DIMENSION FUTUROLOGIQUE OU DE L'OBLIGATION POUR LES GÉNÉRATIONS
FUTURES DANS L'ÉTHIQUE DE LA RESPONSABILITÉ
Dans le premier chapitre de notre travail, nous avons
évoqué la critique que Jonas formule à l'égard de
l'éthique classique, notamment celle relative à son
caractère d'immédiateté ou de la
simultanéité. Cette éthique avait affaire à l'ici
et maintenant. Une planification à long terme n'y était jamais
envisagée. Le tout se limitait à l'environnement immédiat.
Pour ce faire Jonas a préféré réorienter le
discours éthique en y intégrant la possibilité de penser
aux générations futures. C'est une nouveauté que nous
offre l'éthique de la responsabilité. Car avec cette
dernière, la responsabilité s'étend même dans le
futur lointain, se projette dans le temps et dans l'espace. Les effets de la
technoscience ne se produisent pas du jour au lendemain. Ils sont lents. Raison
pour laquelle l'éthique jonassienne se projette dans le futur.
Plus haut nous parlions de la responsabilité politique
et de la responsabilité parentale. Ces deux types de
responsabilité sont pour notre auteur des paradigmes éminents de
la responsabilité. La responsabilité parentale, d'ailleurs non
réciproque, est de prime abord une responsabilité à
l'égard de la postérité, c'est-à-dire à
l'égard des enfants qu'on a engendré. On est responsable des
enfants du fait qu'on est auteur. Ce comportement est d'ordre instinctuel ou
naturel. C'est à partir de cette obligation à l'égard de
la postérité que le nouveau discours éthique va chercher
comment dépasser ce niveau plus restreint de la responsabilité.
Il est question de dépasser l'obligation à l'égard de la
postérité pour penser à une obligation plus
générale, celle à l'égard de l'humanité
future. Penser à l'être-tel futur renvoie à penser à
plusieurs choses, notamment à la nature extrahumaine (l'environnement)
qui doit demeurer propice à la survie de l'être-tel futur, qui
doit être protégé des plaies qui peuvent lui être
infligées par la technologie moderne.
L'éthique de la responsabilité, en se voulant
une éthique du futur, promeut « l'existence d'une
humanité future »105(*). Celle-ci englobe même l'existence d'une
postérité. « Que l'humanité soit » est
un impératif, mieux un devoir pour les êtres vivants actuels
à agir et à poser des actes en faveur de l'avenir de
l'humanité. Polluer la nature et penser à l'existence d'une
humanité future est une attitude certes contradictoire. Avec
l'éthique de la responsabilité, l'existence des
générations futures devient une préoccupation
première de la responsabilité. C'est pourquoi Jonas, à
travers son impératif catégorique, lequel est une adaptation
à partir du modèle kantien, ne cesse de prôner l'existence
de l'humanité future. Voici comment est formulé positivement ou
négativement cet impératif :
« Agis de façon que les effets de ton action
soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur
terre » ou pour l'exprimer négativement :
« Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas
destructeurs pour la possibilité future d'une telle
vie » ; ou simplement : « Ne compromets pas les
conditions pour la survie indéfinie de l'humanité sur
terre » ; ou encore formulé de nouveau
positivement : « inclus dans ton choix actuel
l'intégrité future de l'homme comme objet secondaire de ton
vouloir ». 106(*)
2.4.5. 2.6.
CONCLUSION PARTIELLE
Face au danger du progrès technoscientifique, une
éthique appropriée à la technologie qu'est
l'éthique de la responsabilité s'avère très
nécessaire. Celle-ci, contrairement à l'éthique
traditionnelle, est censée prendre en charge la nature tant humaine
qu'extrahumaine, les générations futures, la technologie... En
fait, elle est venue combler le vide laissé par l'éthique
traditionnelle. L'éthique jonassienne met en exergue la
responsabilité. Celle-ci envers la nature, les hommes, les
générations futures. Bref, envers la vie, c'est-à-dire
l'existence.
Dans le premier point de ce chapitre, nous avons
cherché à élucider le concept de responsabilité,
lequel a été appelé à transcender la conception
juridique ou générale qui est objective, pour déboucher
sur la conception morale qui est à son tour subjective. Le nouveau
concept de responsabilité transcende aussi le temps : je suis non
seulement responsable de mon acte, mais aussi de ce qui est à faire, de
ce qui réclame mon agir. Dans la conception juridique ou légale
ou encore objective, c'est la valeur de l'acte qui est visée. Tandis que
dans la conception morale, et l'acte et l'acteur sont visé. Un
décalage, nous l'avons dit, entre l'exercice du pouvoir et l'observance
de l'obligation conduit à l'irresponsabilité.
L'éthique de la responsabilité, chez notre
auteur, a un fondement métaphysique. La métaphysique ainsi
considérée comme doctrine de l'être en tant qu'être.
Elle est par conséquent capable d'expliciter le pourquoi de l'existence
de l'humanité. C'est avec Jonas que la métaphysique revient sur
la scène philosophique, étant donné qu'elle était
menacée par les sciences de la nature et le positivisme. L'heuristique
de la peur est certes la méthode que propose notre auteur. Elle nous
permet à avoir un savoir anticipé sur le danger que peut courir
notre monde. Cette méthode consiste à susciter en nous la peur
non pathologique de voir disparaître un jour notre humanité.
L'analyse des paradigmes éminents de la
responsabilité a été bénéfique, car elle
nous permet de cerner comment les responsabilités parentale et politique
s'interpénètrent, se ressemblent et se démarquent. Les
points de ressemblance entre ces deux responsabilités se laissent
apercevoir à partir de leur caractère total, continu et
futurologique. Cette responsabilité est asymétrique,
c'est-à-dire non-réciproque et s'étend aux
générations futures. La question pour finir est celle de savoir
comment vivre ici et maintenant pour que le monde soit toujours habitable et
qu'il y ait une vie en permanence, car il faut que la vie soit, que
l'être soit, qu'il existe à travers les âges.
CHAPITRE
TROISIÈME : HANS JONAS ET LA SITUATION ÉCOLOGIQUE DE
L'AFRIQUE
2.4.6. 3.0.
INTRODUCTION
Après avoir reconstruit les grandes thèses de
Jonas en rapport avec l'origine de l'éthique de la
responsabilité, nous voici maintenant amorcer le troisième et
dernier chapitre de notre travail, lequel se veut une tentative de
contextualisation de la pensée de notre auteur. Ce chapitre met aussi en
exergue certaines croyances proprement africaines, notamment celles relatives
à la conception africaine de la nature ou du cosmos. En fait, il est
question de voir la situation de l'Afrique avec des lunettes tout à fait
jonassiennes. Toutefois, contextualiser la pensée de Jonas n'est pas
chose facile ou n'est pas aisée, et cela pour deux raisons :
(i) (...) le principe jonassien a été
conçu pour des sociétés occidentales très
industrialisées dans lesquelles le problème technologique et la
crise écologique aiguillonnent les consciences individuelles. (ii) Hans
Jonas dans l'ouvrage principal, n'évoque le contexte de l'Afrique que de
façon marginalisée, c'est-à-dire comme espace encore
possible (et obligatoire) pour `la lutte de classe' prônée par la
théorie marxiste, dans la mesure où elle n'a plus de sens dans
plusieurs pays européens.107(*)
Dans ce chapitre, nous parlerons d'abord de la conception
africaine de la nature ou du type de relation que l'Africain entretient avec la
nature. Ensuite, du double visage ou de l'ambivalence des technosciences,
ambivalence devant laquelle l'Africain doit avoir un esprit de discernement
pouvant lui permettre de prendre dans ces dernières ce qui lui convient.
Un troisième point mettra en exergue les inconvénients de la
technologie qui ont créé des problèmes de divers ordres,
notamment la crise écologique dont souffrent le monde en
général et l'Afrique en particulier. D'où une
éducation adaptée à cette crise s'avère très
nécessaire. C'est cette éducation qui fera l'objet du
cinquième point. Le quatrième point mettra en évidence le
problème des générations futures dans le contexte
africain. Comment concilier chez l'Africain la tradition et la
modernité ? Comment la nature peut-elle réagir aux
agressions liées à multiplication exagérée de la
technologie sur la planète ? Comment penser aux
générations futures en Afrique pendant qu'il y a des guerres, des
famines, la lutte de survie ? Qui prêcherait volontiers la
préservation de la nature à des populations
affamées ?
3.1. LA NATURE ET L'AFRICAIN
Dans ce point il est question de parler de la place qu'occupe
la nature chez l'africain en général et en particulier chez le
négro-africain. Que représente la nature pour l'africain ?
Il est important de souligner à la suite de Bujo que le concept de
`nature' n'est pas d'origine africaine ou n'a pas existé en Afrique. Il
est d'origine occidentale.108(*)
Dans la société occidentale, mieux dans la
philosophie grecque-occidentale, la nature était
considérée comme quelque chose de sacré pouvant jouir du
respect. Les premiers philosophes grecs (milésiens,
éléates...) étaient d'ailleurs considérés
comme des physiologues parce qu'ils se préoccupaient plus de la
physis qui était certes quelque chose de sacré. C'est
avec les modernes qu'il y a eu beaucoup de révolutions, notamment sur
les plans scientifique, théologique et philosophique. Il y a eu une mise
au point d'une vision du monde tout à fait nouvelle. De ce fait, la
nature avait cessé d'être sacrée.
En Afrique ou chez l'africain, la nature était aussi
considérée comme quelque chose de sacré. D'ailleurs,
« pour le négro-africain, l'homme est un tout qu'il ne faut
pas disséquer »109(*). L'africain a une vision holistique de l'homme. Dans
l'homme, il s'avère difficile de séparer le profane du
sacré : les deux cohabitent en lui et entretiennent des relations
de complémentarité. « Le négro-africain se
conçoit dans sa relation avec la nature comme un
tout »110(*).
L'africain ne peut vivre sans la nature. Le salut du premier
est certes lié à celle-ci. Au cas où il y a
équilibre dans l'ordre cosmique, il y aussi équilibre dans
l'homme : il ne peut se sauver qu'en sauvant le monde. Ce cosmos dont nous
parlons est quelque peu divinisé, dans la mesure où il dit la
vie. Ses éléments permettent de guérir certaines maladies.
Le tradi-praticien use des objets de la nature pour soigner. Ainsi, l'africain
« ne peut être en bonne santé au sens holistique que
s'il vit en harmonie avec toute la création »111(*). L'homme peut agir comme bon
lui semble, mais jamais en contradiction avec l'ordre cosmique.
Pour le professeur Nketo,
L'Africain vit en symbiose avec la nature. Nature qui est pour
lui, un milieu de vie, son « élément »
plutôt qu'une matière objectivée ou un ensemble de choses
à dominer (...). L'homme et la nature forment une même chair, un
même tissu vital. Leur rapport d'appartenance participative n'est ni de
confusion ni de domination. (...) Bref, dans la mesure où le
négro-africain ne considère pas la nature comme une simple
matière à dominer et donc comme un objet, mais où il
l'approche comme un partenaire dont on a toujours besoin pour vivre heureux, il
fait preuve d'une sensibilité
phénoménologico-écologique évidente. En ce sens la
nature est ce sans quoi son existence s'engage dans des multiples impasses et
des dérèglements de toute sorte.112(*)
Certes, c'est le fait de prendre la nature pour sacré
qui permettait de maintenir en elle l'ordre et épargnait des multiples
catastrophes. En effet, il est très bénéfique de
considérer la nature comme sacrée, car étant
sacrée, elle ne peut pas être à la merci de l'homme.
Cependant, cette conception a perdu de valeur du fait de la rencontre de
l'africain avec l'homme blanc. Aujourd'hui, sous l'influence de l'urbanisation
et du capitalisme, l'africain doit abattre les arbres en désordre, en
vue d'avoir de l'argent et du profit. Nous ne pouvons plus à nos jours
affirmer que la nature est du domaine du sacré chez l'africain. Elle est
actuellement désacralisée et n'est pas à l'abri des
technosciences, étant donné que nous sommes dans un monde qui,
sous l'influence des technologies, est réduit à un village
planétaire où les cultures les plus puissantes s'imposent et
véhiculent leurs visions du monde.
3.2. LA TECHNOLOGIE ENTRE LES BIENFAITS ET LES
INCONVÉNIENTS
Nul n'est censé ignorer qu'en Afrique, parler du
développement équivaut à parler de la mise sur pied des
technologies de pointe. C'est au moment où l'on est suffisamment
industrialisé que l'on peut se dire développé. La
technologie est bien sûre une des voies inévitables pour atteindre
un développement harmonieux, intégral et durable.
L'Afrique traditionnelle a connu des techniques. Celles-ci
étaient rudimentaires et ne pouvaient pas causer des dommages
considérables à la nature113(*). Ces techniques équivalent aux techniques
traditionnelles ou antiques de l'Europe dont notre auteur a fait allusion dans
Le Principe Responsabilité.
La technologie a un double visage, c'est-à-dire elle
est un couteau à double tranchant. Elle aide au même moment
qu'elle détruit. En Afrique, la technologie occidentale a aidé et
continue à aider, a détruit et continue à détruire.
Grâce à la technologie, nous avons aujourd'hui sur le continent le
courant électrique, les vêtements, les appareils
électroménagers, les ordinateurs, les téléphones...
qui sont bons pour le développement de l'Afrique. La technologie
occidentale qui a promis à l'africain un développement harmonieux
s'est inversée en menace contre l'africain lui-même. L'usage de la
technologie est bon et diminue le travail de l'homme -- automatisation du
processus industriel. Il crée par conséquent l'oisiveté
chez l'africain et permet de produire en grande quantité : pour
produire en quantité considérable, il faut polluer, couper les
arbres... En bref, il a corrompu les moeurs africaines.
« La technologie est toujours portée par une
culture. D'abord celle qui la produit -- l'occident -- et celle qui l'accueille
-- l'Afrique »114(*). Le plus souvent les africains ne se retrouvent pas
dans la technologie occidentale. Elle s'avère ne pas être
adaptée à leur culture. A titre illustratif, la plupart des
industries au Congo-Kinshasa n'ont pas pu survivre après le
départ des blancs ou après ce qu'on a appelé
`zaïrianisation'. Il en est de même actuellement avec des
appareils qui sont affectés aux travaux publics en R.D.Congo. Ils
s'abiment et ne servent que pour un petit temps. Pouvons-nous évoquer
là le problème du mauvais usage ? Pas nécessairement.
Il y a là non seulement un problème d'adaptation, mais aussi de
la plupart des produits transférés en Afrique qui sont d'une
qualité légère et dérisoire. Ceci revient
à considérer l'Afrique comme étant une espèce de
poubelle où les européens, les américains voire les
japonais jettent les choses qu'ils ne savent plus garder. Toutefois, la
présence de ces produits sur le continent est aussi favorisée par
les africains eux-mêmes vu parfois la petitesse de leur pouvoir
d'achat : on préfère acheter même ce qui est
usé, parce qu'on n'a pas assez d'argent.
3.3. L'AFRIQUE ET LA CRISE ÉCOLOGIQUE
Nous commençons par affirmer qu'il est faux de penser
que l'Afrique serait à l'abri des menaces du danger des effets
technoscientifiques. Le continent africain est concerné par la crise
écologique. Cette dernière ne concerne plus que l'Occident,
considéré depuis des décennies comme grand pollueur. On ne
peut plus continuer à croire que l'Afrique subit la crise
écologique. Outre l'Occident, il y a aussi la Chine et le Japon qui sont
accusés de pollution. Tout le monde pollue et tout le monde est
concerné par cette crise. Ce n'est plus question d'incomber la faute
à l'un ou à l'autre.
L'Afrique connaît des problèmes de
réchauffement climatique. Avec ce dernier, il y a une évaporation
considérable de l'eau de mer et de la terre. Dans le sahel, par exemple,
il y a eu des sécheresses colossales, lesquelles seraient à
l'origine des famines, de la disparition importante des espèces
végétales et animales voire humaines. La désertification
prend de plus en plus de l'ampleur sur le continent. L'assèchement des
lacs mérite d'être signalé : le lac Tchad qui
était autre fois considéré comme l'un des grands lacs du
monde a perdu une grande partie de sa surface. La déforestation ne fait
que s'empirer dans cette société africaine dominée par le
capitalisme qui ne vise que le profit.
Puisque nous parlons de la crise écologique, il est
nécessaire d'évoquer le problème démographique en
Afrique. L'Afrique connaît une forte explosion démographique. Les
populations en Afrique augmentent en progression géométrique. Le
taux de natalité est toujours élevé. La nourriture quant
à elle augmente en progression arithmétique. Il se pose bien
sûr un problème, celui de nourrir les masses des hommes. Il y a
alors un besoin accru des moyens de subsistance en abondance. Comment avoir
cette nourriture en abondance ? Il faut se doter des machines et
détruire pour ce faire la nature : en utilisant des engrais
chimiques, des tracteurs ; en abattant les arbres... Il se pose aussi un
problème de l'habitat avec l'urbanisation.
Il est important de signaler que l'Afrique est
considérée comme une poubelle. Par manque d'endroits où
jeter les déchets, les occidentaux viennent souvent les jeter sur le
continent africain. Ces déchets sont de diverses natures et sont pour la
plupart toxiques. Des produits toxiques ont été d'ailleurs
jetés en Côte-d'Ivoire. La présence de ces déchets
pollue l'environnement et constitue un vecteur puissant de certaines maladies
chez les hommes.
Devant cette crise écologique qui menace l'Afrique,
l'idéal serait de « commencer par décoder le message
pressant que nous envoie aujourd'hui la nature »115(*). La nature en soi ne pose
pas de problèmes. C'est parce que l'homme veut, à tout prix,
dominer ou maîtriser la nature que celle-ci réagit de
manière violente. « Ce n'est pas la nature qui se
déchaine contre nous, comme nous le croyons à premier vue. C'est
plutôt l'homme qui s'entête et est aveuglé par l'illusion
actuelle de domination et de la maîtrise »116(*), pense Cléophas
Nketo.
3.4. L'AFRIQUE ET LES GÉNÉRATIONS FUTURES
Le continent africain est marqué de part et d'autre par
la misère, la famine, les guerres, la pauvreté... La question
majeure est ici celle de savoir comment penser aux générations
futures quand les générations présentes connaissent des
problèmes ?
La plupart des intellectuels et des hommes d'État
africains se sont intéressés au problème
écologique. Il existe dans la plupart des pays des campagnes de
sensibilisation, des colloques..., lesquels invitent l'homme à ne pas
trop polluer l'environnement, à ne pas abattre les arbres de
manière irrationnelle ou exagérée, à faire le
reboisement, à ne pas polluer les eaux. Il convient de signaler que la
déforestation entraine non seulement la carence de l'oxygène dans
l'air, mais aussi la disparition de la faune et d'autres plantes. Parmi ces
intellectuels africains, nous pouvons citer Wangari Muta MAATHAI qui a du,
comme notre auteur, recevoir un prix Nobel de la paix. Cette professeur d'une
célèbre renommée ne cessait jamais d'exhorter ses
compatriotes kényan, voire les africains en général et le
monde entier, à protéger la nature. Elle a initié
plusieurs projets de reboisement au Kenya.
La protection de la nature -- qui montre déjà
des signes aujourd'hui -- de la part des africains implique ipso facto
la préservation des générations futures. C'est puisque
qu'on veut que subsiste l'être-tel à travers les âges que la
nature est protégée. Le souci de protéger l'environnement
existe chez l'africain en dépit des diverses crises, des multiples
difficultés que connaissent les africains. Un effort d'être
responsable vis-à-vis des générations futures, est
consenti d'une manière ou d'une autre chez tout africain
acculturé. Cependant, lorsqu'on parle de l'écologie, beaucoup
d'africains ne se retrouvent pas, surtout ceux qui habitent les milieux ruraux.
D'où la nécessité d'une éducation et d'une
conscientisation en ce sens chez tous les africains en faveur de la protection
de l'environnement.
3.5. NÉCESSITE D'UNE ÉDUCATION
CONSCIENTISANTE ADAPTÉE A LA CRISE ÉCOLOGIQUE
L'Afrique connaît certes une crise d'éducation.
L'africain semble osciller entre d'une part la tradition et d'autre part la
modernité. Il s'avère un décalage important entre les
valeurs portées par les jeunes africains vivant dans les villes et ceux
qui vivent dans les villages. Il y a en Afrique une soif de changement et de
nouveauté. On donne aux étudiants des titres sans voir leur
capacité à résoudre certains problèmes posés
par la société. Les cadres formés trainent dans le
chômage par manque d'emploi. Le monnayage des points dans les
écoles s'avère un défi parmi tant d'autres. Devant cette
crise d'éducation, repenser et revoir les systèmes
éducatifs et la politique globale de la plupart des États
africains est une bonne chose.
L'homme devient homme à partir de l'éducation.
Le processus d'éducation dure toute la vie : on s'éduque et
on est éduqué d'une manière ou d'une autre. Pour Paulo
Freire, philosophe de l'éducation de nationalité
brésilienne, l'éducation doit toujours aller de pair avec la
conscientisation. Les deux ne peuvent être disjointes. Plus on est
éduqué, mieux on prend conscience de la situation dans laquelle
on vit. Freire parle de la situation d'oppression qu'a connue le
Brésil.117(*)
Cette façon de concevoir l'éducation peut s'étendre au
domaine écologique : éduquer les gens de telle sorte qu'ils
prennent conscience de la crise écologique que connaissent le monde et
l'Afrique.
Dans les sociétés occidentales, une
mentalité en faveur de la protection de la nature est inculquée
aux enfants dès leur jeune âge. En d'autres termes, dans le
programme d'enseignement primaire et secondaire, se trouvent des cours dans
lesquels les questions relatives à l'environnement sont traitées.
Nous pensons qu'une action d'une telle envergure vaut la peine d'être
entreprise dans nos pays africains. En d'autres mots, chercher à
introduire des cours dont le contenu met en exergue le problème
écologique, est très avantageux. Toutefois, l'éducation en
cette matière doit concerner tout le monde, les enfants comme les
adultes. L'éducation qu'il faut promouvoir en Afrique devant la menace
de la technoscience, mieux de la crise écologique, doit être une
éducation conscientisante, une éducation qui ne sait pas se
distinguer de la conscientisation, étant donné que
celle-là doit permettre aux africains de prendre conscience de la
situation et d'être prudents -- sans être ni technophile ni
technophobe -- devant l'ambivalence des technosciences. Car « compte
tenu de l'irréversibilité de certains processus
déclenchés, la prudence est la meilleure part du courage et elle
est en tout cas un impératif de
responsabilité »118(*), affirme Jonas.
Dans Une éthique pour la nature, Jonas propose
une méthode d'éducation : éduquer les masses à
partir des catastrophes ayant déjà eu lieu dans le passé.
En d'autres termes, il revient à l'éducateur de projecter devant
les élèves des images relatives aux catastrophes. Ceci leur
permettra de prendre conscience. Cette éducation doit susciter chez les
éduqués non seulement « la conscience
morale », mais aussi « la compétence
qualifiée en la matière ». Ainsi pour Jonas,
« l'éducation ne consiste en rien d'autre qu'à ouvrir
les yeux sur ce qu'ils (éduqués) voient déjà de
manière que chacun puisse à son tour voir la même
chose »119(*),
et « l'espoir réside dans l'éducation par
l'intermédiaire des catastrophes »120(*).
Pour le professeur Mbungu,
grâce à l'éducation et à la
conscientisation, on arrivera à voir dans le langage et la
rationalité technoscientifiques occidentales ce qui pourrait faire que
l'africain demeure encore lui-même. En d'autres termes, un travail
d'éducation et de conscientisation bien éclairé doit
arriver à trouver, au-delà de l'ambivalence des technosciences,
ce qui convient, ce qui peut s'adapter à sa culture et surtout ce qui
doit l'aider à prendre la responsabilité de l'avenir de
l'humanité et de la nature en Afrique.121(*)
En un mot, nous disons que cette éducation
conscientisante doit aider à développer la prudence, vu les
bienfaits et les inconvénients des technosciences et
l'irréversibilité (ou l'incicatrisabilité) des plaies
infligées à la nature par les technosciences.
CONCLUSION PARTIELLE
Le problème relatif au danger du progrès
technoscientifique est un problème planétaire. Nul État
n'en est épargné. Ce problème devrait faire objet d'une
philosophie ou d'une réflexion chez l'Africain, car l'Afrique a besoin
d'un développement durable. Cette réflexion est nécessaire
pour que le développement attendu par les africains ne soit pas un
pseudo-développement. La technoscience se trouve inévitable dans
le processus de développement, et surtout avec la mondialisation, le
monde est devenu un village planétaire où les cultures, opinions,
moeurs voire les technosciences des puissants s'imposent avec énergie.
La question est de savoir comment concilier le développement durable
dont l'Afrique a besoin et la préservation de la nature. Il y a
là aussi la question de la modernité et de la tradition :
comment concilier les deux ? Faut-il entrer dans la modernité tout
en mettant de coté la tradition qui traite la nature avec respect ?
Cette conciliation est très nécessaire pour affronter ou faire
face au problème écologique.
Beaucoup ont pensé qu'il faut dominer la nature pour
parvenir au progrès. La domination de la nature est une bonne chose qui,
cependant pousse la nature à réagir en défaveur de l'homme
et d'autres habitants de la terre. Le réchauffement climatique, les
érosions, la désertification, le manque d'oxygène dans
l'atmosphère, etc. sont sans doute les conséquences des menaces
de la technique sur la nature. Cette dernière, qui a lancé une
sonnette d'alarme, était du domaine du sacré chez l'Africain. Ce
caractère sacré de la nature était d'une importance
capitale, car il préservait la nature des multiples catastrophes.
A l'heure actuelle, nul ne peut échapper aux bienfaits
de la technologie. Celle-ci a aidé à réaliser des
merveilles, à avoir bien de choses que l'homme de l'époque
n'avait pas, à simplifier les choses. Cependant, elle présente un
double visage : elle aide et détruit en même temps. C'est ce
que nous avons appelé ambivalence des effets technologiques. Par le
biais de la technologie se fait passer toute une culture. Dans le cas de
l'Afrique, la technologie doit être adaptée à la culture
des Africains. Sinon, elle sera inefficace et aidera à la destruction
de la nature. L'Africain doit trier et sélectionner tout ce qui vient
de l'Occident pour ne pas l'accepter sans discernement, ni esprit critique.
L'Africain, à la lumière de Jonas, ne doit être ni
technophile, ni technophobe. Il doit, en revanche, utiliser rationnellement et
surtout de manière prudente la technologie et s'engager sur le chemin
d'une bonne éducation.
CONCLUSION
GÉNÉRALE
L'action de l'homme, même la mieux intentionnée
qui puisse exister, peut être porteuse de malheur. Le passage d'une
société où l'homme était dominé par la
nature à une société où l'homme domine la nature
est à la fois une bonne et mauvaise chose. Les bonnes intentions ne
suffisent pas, dit-on. Derrière chaque bonne intention doit se trouver
un esprit de discernement : évaluer le bon et le mauvais
coté de l'action qu'on veut entreprendre, car la fin ne peut pas
forcement justifier les moyens. L'humanité est devenue depuis un temps
un grand danger pour la nature. Elle est devenue un danger non seulement pour
la nature, mais aussi pour elle-même, à cause des bienfaits de la
technologie, de ses multiples réalisations qui sont
appréciées par elle. La dangerosité de l'humanité
peut être due à son savoir et à sa liberté. En un
mot nous dirions aux technosciences.
Qu'est-ce qui a incité notre auteur à mettre sur
pied un nouveau discours éthique ? Autrement dit, qu'est-ce qui est
à la genèse de l'éthique de la responsabilité de
Hans Jonas ? C'est la technologie qui serait le point de départ
à partir duquel notre auteur a ressenti le besoin de reformer le
discours éthique. Avec la technologie, il y a eu transformation au
niveau de l'agir humain : l'homme est devenu maître de la nature
tant humaine qu'extrahumaine. Des questions nouvelles auxquelles
l'éthique traditionnelle ne pouvait rien dire se sont posées.
Dans le premier chapitre, il a été certes
question de montrer comment la technologie est source active de
l'éthique de la responsabilité. En effet, nous avons
commencé par constater avec notre auteur qu'il y a eu transformation de
la nature de l'agir humain. Avec la technologie, l'homme a commencé
à avoir de l'emprise sur la nature, à désacraliser
celle-ci qui était autrefois du domaine du sacré, et est parvenu
à se faire un génie génétique en ajoutant l'homme
à ses objets d'expérimentation. Face à cette emprise sur
la nature et sur l'homme lui-même, il se pose de nouveaux
problèmes qui n'ont jamais existé. La nouvelle manière de
faire ou d'agir de l'homme pose des questions tellement colossales que
l'éthique du passé ne peut les prendre en charge, car le cadre de
cette dernière est restreint. Toutes les questions relatives à la
nature extrahumaine et aux générations futures n'étaient
envisagées dans cette éthique. Celle-ci se limitait à
l'intersubjectivité et à ce qui est immédiat.
Il faut la responsabilité pour prévenir ce
danger des technosciences qui guète l'humanité toute
entière. C'est sur ce concept de responsabilité qu'a
gravité notre réflexion dans le deuxième chapitre de ce
travail. Dans ce chapitre, notre effort a consisté à
dégager certaines acceptions que peut revêtir le concept de
responsabilité pour aboutir à la conception purement jonassienne.
Cette responsabilité présuppose la liberté, et comme tel
elle doit exister chez l'homme même s'il vit dans l'isolement. L'homme
est responsable de ce qu'il fait, de ce qu'il doit faire ou de ce qu'il devrait
faire. Cette responsabilité ne peut que rendre compte à la
conscience et non à un tribunal (céleste ou terrestre). Pourquoi
l'humanité pour laquelle on doit être responsable, doit
exister ? Pourquoi l'humanité doit être plutôt que la
détruire ? C'est là une question que seule la
métaphysique est habilitée à répondre. De là
nous avons dit que l'éthique de la responsabilité chez Jonas a un
fondement métaphysique. Deux paradigmes de la responsabilité,
c'est-à-dire la responsabilité parentale et la
responsabilité politique mettent au clair la conception jonassienne de
la responsabilité. Ces deux responsabilités s'exercent de
manière totale, continue et s'occupent de l'avenir de l'objet
étant sous responsabilité. Celle-ci est non-réciproque et
a un caractère futurologique.
La crise écologique est une réalité. Ses
effets sont lents, se sont manifestés et continuent à se
manifester à travers les catastrophes que les medias du monde entier ne
cessent de signaler. La question de la crise écologique est
d'actualité et fait partie des préoccupations de la plupart des
hommes de science. Récemment, il y a eu des explosions nucléaires
à Fukushima au Japon qui ont infligé des plaies à
l'environnement. Le problème de la crise écologique est un
problème global, dans la mesure où il concerne tout le
monde : et les sociétés industrialisées et le
Tiers-monde, étant donné que les effets des technosciences
transcendent le temps et l'espace. Même l'Afrique n'en est pas
épargnée. Pour notre auteur, les Africains doivent limiter leurs
naissances. C'est cette question de l'Afrique qui a fait objet de notre
troisième chapitre. L'Africain et l'homme en général ont
besoin d'une éducation adaptée à la crise
écologique. Cette éducation doit être conscientisante, doit
pousser l'homme à la responsabilité et doit l'aider à
acquérir une compétence en la matière. La question que
tout lecteur de ce travail qui aimera continuer cette recherche, peut se poser
et que nous nous posons est celle de savoir comment concilier la recherche du
bonheur et la protection de notre environnement. Cette question vaut pour tout
homme -- africain ou non-africain.
BIBLIOGRAPHIE
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éthique pour la civilisation technologique, Cerf, Paris,
19953. Traduction de Jean Greisch.
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· OUVRAGES SUR HANS JONAS
- HOTTOIS, G. -- PINSART, M.-G (CS), Hans Jonas. Nature et
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- MBUNGU MUTU, J., Ethique écologique et principe
de la responsabilité. La théorie éthique de Hans Jonas
face au progrès technoscientifique et à la crise
écologique, Peter Lang, Frankfurt am main, 2010.
· AUTRES OUVRAGES
- FREIRE, P., L'Education : Pratique de la
liberté, Cerf, Paris, 1973.
- HOTTOIS, G-- MISSA, J.-N, Nouvelle encyclopédie
de bioéthique : médecine, environnement,
biotechnologie, De Boeck Supérieur, Bruxelles, 2001.
- JACQUEMIN, D., Ecologie, éthique et
création. De la mode verte à l'éthique
écologique, Catalyses, Montréal, 1994.
· ARTICLES
- BUJO, B., « La conception négro-africaine
de la nature et le problème de l'écologie »,
in FUCHS, E. -- HUNYADI, M. (éd), Ethique et natures,
Genève, Labor et Fides, 1992, pp. 148-159.
- MBUNGU MUTU, J., « Le principe
responsabilité de Hans Jonas dans la perspective de l'éthique
écologique », in Revue Philosophique de
Kimwenza, 7 (Février 2012), pp. 37-51.
- NKETO LUMBA, C., « Les rapports homme-nature.
Approche phénoménologico-anthropologique », in
Respect de la nature et développement. Enjeux éthiques
du développement durable, actes de la XVIIIe semaine de Kinshasa,
du 20 au 24 Janvier 2009.
- SEVE, B., « Hans Jonas et l'éthique de la
responsabilité », in Esprit, 165 (octobre
1990), pp. 72-88.
· DICTIONNAIRES
- FOULQUIE, P., Dictionnaire de la langue
philosophique, PUF, Paris, 1978.
· DOCUMENTAIRES
- GORE, A., Une vérité qui
dérange, Paramount classics, 2006.
· SITES INTERNET
- www. Books.google.cd
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION GÉNÉRALE
5
1. Problématique
3
2. Intérêt du sujet
6
3. Division du travail
6
CHAPITRE PREMIER : LA
TECHNOLOGIE : SOURCE DE L'ÉTHIQUE DE LA RESPONSABILITÉ
7
1.0. Introduction
7
1.1. La transformation de la nature de l'agir
humain : Constat
7
1.1.1. L'homme en tant qu'objet de la technique
10
1.1.1.1. La prolongation de la vie
10
1.1.1.2. L'euthanasie
11
1.1.1.3. La manipulation
génétique
13
1.1.1.4. La fécondation in
vitro et le transfert d'embryon
14
1.2. La crise écologique : Une
réalité
15
1.2.1. La métaphore de la grenouille dans la
marmite d'Al Gore
15
1.2.2. Les signes de la crise écologique
16
1.3. Vide éthique
18
1.4. Ethique classique versus éthique de la
responsabilité
20
1.4.1. De l'éthique traditionnelle ou
classique
20
1.4.2. De l'éthique de la
responsabilité
22
1.4.3. Dépassement de l'éthique
traditionnelle
23
1.5. Conclusion partielle
25
CHAPITRE DEUXIÈME : LA
SOLLICITATION D'UNE ÉTHIQUE APPROPRIÉE À LA
TECHNOLOGIE : ÉTHIQUE DE LA RESPONSABILITÉ
26
2.0. Introduction
26
2.1. Responsabilité, qu'est-ce à
dire ?
27
2.2. Du fondement métaphysique de
l'éthique de la responsabilité
29
2.3. De la méthode : Heuristique de la
peur
32
2.4. De l'analyse des paradigmes éminents de
la responsabilité : Parents et Homme politique
33
2.4.1. La totalité de la
responsabilité
34
2.4.2. La continuité de la
responsabilité
36
2.4.3. L'avenir de la responsabilité
37
2.5. De la dimension futurologique ou de
l'obligation pour les générations futures dans l'éthique
de la responsabilité
38
2.6. Conclusion partielle
39
CHAPITRE TROISIÈME : HANS JONAS
ET LA SITUATION ÉCOLOGIQUE DE L'AFRIQUE
41
3.0. Introduction
41
3.1. La nature et l'Africain
42
3.2. La technologie entre les bienfaits et les
inconvénients
43
3.3. L'Afrique et la crise
écologique
44
3.4. L'Afrique et les
générations futures
46
3.5. Nécessite d'une éducation
conscientisante adaptée a la crise écologique
46
3.6. Conclusion partielle
48
CONCLUSION GÉNÉRALE
50
BIBLIOGRAPHIE
52
TABLE DES MATIERES
54
* 1 Hans Jonas est né
en Allemagne en 1903 et décédé en 1993 aux
États-Unis où il avait fini par s'établir après
avoir fui l'Allemagne hitlérienne. Il est allemand d'origine juive. Il a
été élève de Heidegger, de Bultmann et de Husserl.
Après son exil il devint professeur à Jérusalem, au Canada
(1949), à New York (de 1955 à 1976). Il est lauréat du
prix de la paix des libraires allemands. Son oeuvre majeure est le Principe
Responsabilité publié en 1979 (en Allemand). Pour ce
travail, nous utiliserons l'édition française de 1995 du
Principe Responsabilité traduit par J. Greisch.
* 2 H. JONAS, Le Principe
Responsabilité. Une éthique pour la civilisation
technologique, p. 13.
* 3 Ibid., p. 30.
* 4 Ibid., p. 13.
* 5 Ibid.
* 6 Cf. Ibid., pp.
251-252.
* 7 Cf. Ibid., p.
19.
* 8 Ibid., p. 19.
* 9 Ibid.
* 10 Ce mot a
été inventé par HAECKEL Ernst (1834-1919) en 1866
oekologie. Il apparaît pour la première fois dans une
note infrapaginale de Generelle Morphologie der organismen de E.,
Haeckel, comme substitut du mot biologie et prenant le sens de l'habitat. Il y
a eu aussi BORMIER qui, en 1890, a réfléchi sur le lien entre
l'organisme et l'environnement. Haeckel va peu après proposer une
définition : « Par oekologie nous entendons la
totalité de la science des relations de l'organisme avec
l'environnement, comprenant au sens large, toutes les conditions
d'existence ». Au fur et à mesure des années et de la
poursuite de ses travaux, le terme va se préciser et se charger des
connotations différentes : interrelation des organismes entre eux
et avec leur milieu. Les approches sont nombreuses et abondent toutes dans le
même sens et gravitent autour de l'environnement. (Cf. D., JACQUEMIN,
Écologie, Éthique et Création. De la mode verte
à l'éthique écologique, pp. 29-30.).
* 11 H., JONAS, Le
Principe Responsabilité, p. 24.
* 12 C., NKETO LUMBA,
« Les rapports homme-nature. Approche
phénoménologico-anthropologique », in
Respect de la nature et développement. Enjeux
éthiques du développement durable, actes de la XVIIIe
semaine de Kinshasa, du 20 au 24 Janvier 2009, p. 55.
* 13 H., JONAS, Le
Principe Responsabilité, p. 38.
* 14 Ibid.
* 15 Ibid., p.
39.
* 16 Ibid.
* 17 Ibid., p.
40.
* 18 Ibid.
* 19 Ibid.
* 20 Ibid.
* 21 H., JONAS, Droit de
mourir, p. 33.
* 22 Cf. P., FOULQUIE,
Dictionnaire de la langue philosophique, p. 250, s.v.
« euthanasie ».
* 23 H., JONAS, Droit de
mourir, p. 26.
* 24 Ibid., p.
18.
* 25 Ibid., p.
20.
* 26 Ibid., p.
53.
* 27 Ibid., p.
57.
* 28 Ibid., p.
62.
* 29 Ibid., p.
63.
* 30 H., JONAS, Le
Principe responsabilité, p. 42.
* 31 Ibid.
* 32 Cf. F. LEROY,
« Fécondation in vitro et transfert d'embryon
(FIVETE) », in G., HOTTOIS J.-N., MISSA, Nouvelle
encyclopédie de Bioéthique : médecine,
environnement, biotechnologie, pp. 455. Cet article, nous l'avons
trouvé sur : www.Books.google.cd.
* 33 H., JONAS, Le
Principe responsabilité, p. 43.
* 34 Ibid., p.
40.
* 35 Cf. Al GORE, Une
vérité qui dérange (documentaire). Lire aussi B.
MUHIGIRWA, « mot d'ouverture » in Capitalisme en
procès : Approches économique, sociale et
philosophique, actes de journées philosophique de Kimwenza, 2012,
pp. 10-11.
* 36 D. JACQUEMIN,
Écologie, éthique et création, p. 48.
* 37 Cf. J. MBUNGU Mutu,
Éthique écologique et le principe de la
responsabilité, p. 60.
* 38 Cf. D. JACQUEMIN,
Op. Cit., p. 32. Lire aussi H. JONAS, Le Principe
responsabilité, p. 253.
* 39 Cf. D. JACQUEMIN,
Op. Cit., p. 49.
* 40 Cf. H., JONAS, Le
Principe responsabilité, p. 252.
* 41 Cf. D. JACQUEMIN,
Op. Cit., pp. 50-51.
* 42 H., JONAS, Le
Principe responsabilité, p. 250.
* 43 Ibid., p.
244.
* 44 Ibid., p.
17.
* 45 Ibid., p.
24.
* 46 Ibid., p.
29.
* 47 Ibid., p.
45.
* 48 L'éthique
traditionnelle (classique, antérieure, du passé) est cette
réflexion éthique qui a eu lieu depuis l'antiquité
jusqu'à Kant ou à l'idéalisme allemand ou très
probablement jusqu'à la publication du Principe
Responsabilité. (Cf. J., MBUNGU Mutu, Éthique
écologique et Principe de la responsabilité, p. 227.
* 49 J., MBUNGU Mutu,
Éthique écologique et Principe de la
responsabilité, pp. 228-230.
* 50 H., JONAS, Le
Principe responsabilité, p. 22.
* 51 Ibid., p.
21.
* 52 J., MBUNGU Mutu,
Op. cit., p. 228.
* 53 H., JONAS, Le
Principe responsabilité, p. 22.
* 54 Cf. J., MBUNGU Mutu,
Op. cit., p. 227 (Notes infrapaginales). Lire à ce sujet H.,
JONAS, Le Principe responsabilité, p. 22. Ici Jonas
présente de manière succincte les commandements ou les maximes de
l'éthique traditionnelle. C'est à nous de deviner qui en sont les
auteurs. C'est le travail que le Prof. Mbungu a essayé de faire dans sa
dissertation doctorale. A titre d'exemple, Jonas critique ce
commandement : « Ne traites jamais ton prochain comme un simple
moyen, mais toujours également comme une fin en
elle-même ». Nous voyons bien que ceci vient de la morale
kantienne. Donc, quand Jonas parle de l'éthique traditionnelle, la
morale kantienne s'y trouve contenue.
* 55 J., MBUNGU Mutu,
Op. cit., p. 229.
* 56 H., JONAS, Le
Principe responsabilité, p. 22.
* 57 Ibid.
* 58 Ibid., pp.
24-25.
* 59 Ibid., p.
25.
* 60 Cf. le point 1.4.1. de
ce chapitre.
* 61 J., MBUNGU Mutu,
Op. cit., p. 244.
* 62 H., JONAS, Le
Principe responsabilité, p. 62.
* 63 H., JONAS, Pour une
éthique du futur, pp. 69-70.
* 64 B. SÈVE,
« Hans Jonas et l'éthique de la
responsabilité », in Esprit, octobre 1990.
Consulté sur
http://lyc-sevres.ac-versailles.fr/p_jonas_pub.eth.resp.php.
* 65 Selon Jonas,
« la responsabilité est (donc) complémentaire à
la liberté ». H., JONAS, Pour une éthique du
futur, p. 76. Lire aussi à la page 81.
* 66 Cf. P. FOULQUIÉ,
Dictionnaire de la langue philosophique, p. 636, sv
responsabilité.
* 67 Ibid. Voir
aussi le code civil français dans son article 1384 et pour le code civil
congolais, lire G. GOUBEAU, Code civil, pp. 1005-1006.
* 68 H. JONAS, Le
Principe responsabilité, p. 130.
* 69 Ibid.
* 70 Ibid., p.
132.
* 71 Ibid., p.
134.
* 72 Cf. Ibid.
* 73 Ibid., p.
70.
* 74 H., JONAS, Pour une
éthique du futur, p. 75.
* 75 Ibid., p.
90.
* 76 H. JONAS, Principe
responsabilité, p.14. Lire aussi H., JONAS, Pour une
éthique du futur, p. 90.
* 77 Ibid., p.
72.
* 78 Ibid., p.
69.
* 79 Cf. Ibid., p.
72.
* 80 Ibid.
* 81 Ibid.
* 82 Cf. H. JONAS, Le
Principe responsabilité, pp. 50-51.
* 83 Ibid., p.
50.
* 84 Ibid., p.
51.
* 85 Ibid., p.
54.
* 86 Ibid., p.
168.
* 87 Ibid., p.
49.
* 88 H., JONAS, Pour une
éthique du futur, p. 76.
* 89 H. JONAS, Le
Principe responsabilité, pp. 135-139.
* 90 Ibid., p.
145.
* 91 Ibid.
* 92 Ibid., p.
137.
* 93 Ibid., p.
145.
* 94 Ibid., p.
147.
* 95 H. JONAS, Le
Principe responsabilité, p. 148.
* 96 Ibid., p.
126.
* 97 Ibid., p.
150.
* 98 Ibid.
* 99 Cf. Ibid., p.
151.
* 100 Ibid.
* 101 Ibid.
* 102 H. JONAS, Le
Principe responsabilité, p. 152.
* 103 Ibid., p.
165.
* 104 Ibid.
* 105 Ibid., p.
66.
* 106 Ibid., pp.
30-31.
* 107 J., MBUNGU,
Éthique écologique et Principe de la
responsabilité, p. 376. Pour la deuxième raison qui
décourage de penser Jonas dans le contexte africain, Lire H. JONAS,
Le Principe Responsabilité, p. 240. (Note infrapaginale). Ces
deux raisons sont évoquées par notre auteur, explicitement ou
implicitement dans Une éthique pour la nature :
« (...) à qui s'adresse cet appel ? (...) Le `nous' en
question désigne d'abord les sociétés industrielles
avancées. Nous autres, qu'on désigne sous l'appellation
d'Occidentaux, avons créé le colosse technologique et nous
l'avons lâché de par le monde : nous sommes les principaux
utilisateurs de ses bienfaits et, de ce fait, les pécheurs les plus
invétérés de la terre » (p. 148). « Il
serait obscène de prêcher la protection de l'environnement en vue
d'un avenir meilleur aux parties de la terre qui sont affamées et
démunies. (...) Les pays concerné doivent eux-mêmes
contribuer de leur coté ne serait-ce qu'en limitant volontairement leur
taux de natalité » (pp. 148-149. Voir aussi p. 33).
* 108 Cf. B., BUJO, «
La conception négro-africaine de la nature et le problème de
l'écologie » in E. FUCHS -M. HUNYADI,
Éthique et Nature, p. 149. Article trouvé sur www.
Books.google.cd.
* 109 Ibid., p.
149.
* 110 J., MBUNGU, Op.
cit, p. 378.
* 111 B., BUJO, Op.
cit, p. 150.
* 112 C., NKETO,
« Les rapports homme-nature. Approche
phénoménologico-anthropologique », in
Respect de la nature et développement. Enjeux
éthiques du développement durable, actes de la XVIIIe
semaine de Kinshasa, du 20 au 24 Janvier 2009, pp. 53-55.
* 113 A ce sujet, le
professeur Nketo relève « le fait que de tout temps, des
arbres ont été abattus sagement dans nos forets pour la
fabrication mesurée des pirogues, tamtam, ustensiles de cuisine et tout
autre outils contribuant à la vie sans que cela n'entame outre mesure
les équilibre écologiques et biosphériques. Cette
technologie, si rudimentaire fut-elle, trouvait son fondement dans une
philosophie de la donation et de la sauvegarde de la vie dont les nouvelles
technologies doivent s'inspirer aujourd'hui ». Ibid., p.
54.
* 114 J., MBUNGU, Op.
cit, p. 377.
* 115 C., NKETO, Op.
cit., p. 54.
* 116 Ibid.
* 117 Cf. P. FREIRE,
L'éducation : Pratique de la liberté, p. 7-36.
* 118 H. JONAS, Le
Principe Responsabilité, p. 257.
* 119 H. JONAS, Une
éthique pour la nature, p. 150.
* 120 Ibid., p.
27.
* 121 J., MBUNGU, Op.
cit, pp. 380-381.
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