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Une approche socio-historique de la violence au XIXème siècle: le cas d'une conspiration à  Lyon en 1817

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par Nicolas Boisson
Université Pierre Mendès France Grenoble - Master recherche 2008
  

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    Nicolas BOISSON

    Année universitaire 2007/2008

    UNIVERSITE PIERRE MENDES FRANCE

    INSTITUT D'ETUDES POLITIQUES DE GRENOBLE

    MEMOIRE DE MASTER 2ème ANNEE

    Une approche socio-historique de la violence au XIXème siècle :

    le cas d'une conspiration à Lyon en 1817

    Sous la direction d'Olivier IHL

    Master Politiques Publiques et Changement Social, spécialité « Sciences de gouvernement comparées »

    REMERCIEMENTS

    Mes premiers remerciements s'adressent à mon professeur, Olivier Ihl. Je lui suis, en premier lieu, reconnaissant de m'avoir orienté vers ce thème passionnant qu'est celui de l'action politique clandestine au XIXème siècle. Je lui dois de m'avoir fermement épaulé durant la troisième année de mon cursus à l'IEP. Sans son soutien et ses suggestions, il est clair que je n'aurais jamais produit une étude sur le conspirateur grenoblois Joseph Rey, travail qui m'aura séduit et convaincu d'approfondir l'analyse des mises en scène du complot sur la Restauration française, avec cette fois pour espace ma ville d'origine, Lyon. Partageant comme moi la même curiosité pour cette période trouble de l'histoire de France et pour ces acteurs anonymes ou oubliés, j'espère qu'il trouvera au fil de ces pages l'expression complice de ma gratitude. J'en profite aussi pour saluer l'ensemble des professeurs et personnels de l'IEP qui m'auront supporté toutes ces années. Je pense en particulier aux professeurs qui m'ont marqué : Roland Lewin, Herr Brandewinder, Yves Schemeil, Christophe Bouillaud, Jean-Pierre Bernard pour son cours sur les utopies, Philippe Veitl qui m'aura convaincu qu'il n'y a pas de « petits » sujets en histoire, Stéphanie Abrial qui s'est réellement impliquée dans l'exercice préalable des questions de méthode pour cette étude, Chantal Dufresne, Jacques Lockwood et Maryline Clémente pour leur soutien durant une année difficile à Dublin et enfin à Nicole Scarpelli pour sa gestion « de fer » du master. Pardon à ceux que j'ai pu oubliés.

    Ensuite, il me faut remercier ma famille. Je pense à ma mère, qui aura cru plus que moi à l'aboutissement de ce travail, travail qu'elle aura financé et facilité en échangeant avec moi sur les nombreuses zones d'ombre entourant son objet...Merci à son compagnon Michel de veiller sur elle et de la rendre heureuse...Un grand merci à ma plus jeune soeur Nana et à son compagnon Kola pour leur soutien et de continuer de partager de bons moments avec moi à chaque retour à Lyon. Je remercie aussi ma grande soeur Frédo, de m'avoir accueilli à Paris et donc permis l'accès aux archives nationales. Tous mes voeux de bonheur pour sa fille Jade et son conjoint Jean-Marc. Une pensée chaleureuse pour l'autre moitié de ma famille, Lara ma « demie »soeur, Pierre Stéphane mon « demi » frère et leur mère Marie. Merci à Nansa pour ces cadeaux de Noël toujours à la hauteur de son affection et merci d'une manière générale à toute la famille Burlet.

    Enfin, merci à mes amis, les vrais se reconnaîtront...et à toutes ces rencontres d'un soir ou plus, où dans la chaleur de l'alcool partagé s'adoucissent les peines et les inquiétudes.

    A Nana, Kola et Lara.

    SOMMAIRE

    Introduction.................................................................................7

    - Présentation des faits par un quotidien de l'époque.....................................7

    - Présentation des sources relatant ce complot.............................................10

    - Premier cadrage historique des évolutions politiques à Lyon de la Révolution à ce complot de 1817....................................................................................... 28

    - Les différentes formes de violences collectives qu'a connues la ville...............29

    - Le poids des épisodes de « Terreur » dans la mémoire et la constitution de l'identité politique de la ville de Lyon ....................................................................................41

    - Justifications théoriques de cette étude................................................... .43

    - Objet et objectifs de ce travail...............................................................44

    - Présentation rapide des ouvrages et des sources sollicités................................49

    Mise en place du contexte historique national et local

    1793-1817

    Retour essentiel sur l'épisode de la Terreur révolutionnaire à Lyon en 1793 : la naissance d'un martyrologe lyonnais..................................................................53

    De la Terreur blanche des années 1795-1798 à celle de l'été 1815 : lassitude et effritement de l'Empire au profit de l'infiltration des ultras au sein de la société française...54

    I- La France sous Louis XVIII : situation politique et économique...............59

    I-1. De grandes tensions politiques au niveau national et local : constitutionnels contre ultras......................................................................................65

    I-1.1 La question du phénomène des droites sous la Restauration en France : la nécessité d'une approche globale incluant la perspective culturelle..............................65

    I-1.2 Sur le plan national, la question du respect de la Charte, pomme de discorde entre modérés et ultras.........................................................................72

    I-1.3 Un climat de tensions politiques exacerbées par l'occupation des troupes autrichiennes et le succès du retour de Napoléon, notamment à Lyon............................78

    I-1.4 La déconsidération croissante des élites royalistes à Lyon.................79

    I-1.5 La multiplication des rumeurs de complots avec Napoléon en toile de fond, et la montée en puissance des élites constitutionnelles lyonnaises comme Camille Jordan......................................................................................................80

    Transition vers une lecture sociale d'un contexte politique anxiogène

    I-2. L'état économique et social de la région Rhône-Alpes en 1810-1820 et la crise des subsistances de 1817..................................................................86

    I-2.1 Bref tableau des difficultés de la France du Sud-Est sous la Restauration..87

    I-2.2 La crise des subsistances de 1817..............................................90

    La conspiration du 8 juin 1817

    II- Le complot bonaparto-républicain et la question de la violence politique.....94

    II-1. Conspiration ou insurrection ?................................................95

    II-1.1 Retour sur les faits : la question des acteurs et de leur rationalité.......97

    II-1.2 Une conspiration provoquée.................................................105

    II-2. Les explications possibles du soulèvement de 1817.......................107

    II-2.1 Une crise alimentaire source de tensions populaires....................108

    II-2.2 Un contexte pré-électoral d'affrontements entre modérés et ultras...109

    II-2.3 Les spécificités de l'histoire lyonnaise....................................111

    II-3. Un événement politisé: la presse de l'époque................................112

    II-3.1 Diabolisation et rumeurs......................................................112

    II-3.2 La propagande ultra............................................................114

    II-4. Le plan des conjurés : quelle version croire ?................................115

    II-4.1 La discordance des voix.....................................................115

    II-4.2 Les querelles au sein même des royalistes, les luttes d'influences.....118

    II-4.3 La thèse de la provocation policière........................................121

    II-5. Une « affaire » dépassant le camp des ultras.................................123

    II-5.1 Le constat des manipulations des fonctionnaires ultras..................123

    II-5.2 L'embarras du roi : la mutation de tous les fonctionnaires concernés.124

    Analyse des usages de la violence et de la Justice en 1817

    III- La violence des conjurés et des forces de la répression.......................128

    III-1. La conspiration : une entreprise secrète et « sacralisée »..................128

    III-1.1 Les rites de passage : le serment du couteau, la loi du silence et le sort des traîtres.............................................................................................129

    III-1.2 Le récit de ces codes par des conjurés du 8 juin 1817..................132

    III-2. La répression policière et judiciaire..........................................133

    III-2.1 Les arrestations des suspects : la théorie des circonstances exceptionnelles..........................................................................................133

    III-2.2 Une instruction de l'affaire des plus floues : illustration par quelques interrogatoires...........................................................................................139

    III-2.3 La sévérité des condamnations : les nouvelles dispositions pénales au regard de la justice des conspirations...............................................................143

    III-2.4 L'analyse de François Guizot et son Des conspirations et de la justice politique ...............................................................................................148

    III-3. Le complot comme forme de violence émancipatrice.....................154

    III-3.1 L'action politique clandestine :unique recours sous un régime de plus en plus policier.............................................................................................155

    III-3.2 Créer un climat pré-insurrectionnel : allier le secret à la violence.....157

    Conclusion..............................................................................159

    - Un événement local dont la dimension prise par la répression révèle la grande crainte et la fragilité du régime de Louis XVIII...............................................................

    - Le début de nombreuses entreprises politiques secrètes à venir.........................

    - Le complot comme forme légitime des luttes sociales et politiques au sein d'une France « verrouillée » par les Bourbons...............................................................

    - La constitution et l'affirmation de l'identité politique de Lyon au XIXème siècle : la question du « modérantisme »............................................................................

    - Lyon comme vivier de forces politiques émancipatrices, les convergences d'intérêts entre les camps bonapartistes, modérés et révolutionnaires..........................................

    - La nostalgie bonapartiste.............................................................

    - La force des symboles révolutionnaires lors de l'insurrection..................

    - L'assimilation de cette conspiration à la lutte libérale naissante suite à la défense des conjurés par certaines élites du camp constitutionnel et doctrinaire....................................

    - Une conspiration qui illustre les résonances entre luttes politiques et luttes sociales au XIXème siècle..........................................................................................

    Bibliographie............................................................................162

    Table des annexes.......................................................................168

    INTRODUCTION

    « Les troubles du département du Rhône ont eu aussi les subsistances pour prétexte ; mais la malveillance, qui s'en était habilement servie, n'a pas eu à se féliciter du résultat de ses criminelles tentatives. La révolte, commencée à six du soir le dimanche 8 de ce mois, était comprimée partout le lundi à midi, sur un rayon de près de cinq lieues. A Lyon, ces événements se rattachent à des antécédents dont la police tenait les fils, et qui éveillaient son attention. Instruite que des tentatives d'enrôlements avaient eu lieu, elle avait fait arrêter deux chefs de ces intrigues, les nommés Chambouvet et Cormeau ; ce dernier officier en retraite, et une vingtaine de leurs complices avaient été arrêtés vers le mois d'avril, et se trouvaient en présence des tribunaux.(...) Le mouvement commença à six heures à Brignais ; le tocsin fut sonné ; le maire était absent. Diverses communes suivirent le même exemple ; mais l'autorité avait été avertie au moment même, et dans peu d'heures les détachements envoyés de Lyon par M. le lieutenant général Canuel, d'après une connaissance exacte des localités, eurent dispersé tous les rassemblements.(...) Cinquante prisonniers sont entre les mains de la justice. (...) Les nommés Oudin, ex-capitaine des dragons, Garlon, simple soldat retraité et s'intitulant lieutenant général des insurgés, Colin, officier en non activité, sont les chefs les plus marquants de cette rébellion... ».

    Cet extrait du numéro 166 du journal Le Moniteur du Dimanche1(*), daté du 19 juin 1817, relate, avec mépris, les tentatives « criminelles » d'une poignée de conspirateurs, d'enrôlement et d'excitation des classes les plus populaires du Rhône, avec pour fin, de renverser Lyon puis le royaume. Nous sommes en 1817, au début du règne de Louis XVIII, en pleine période de réaction envers les libertés publiques les plus fondamentales, et de crises politiques et économiques récurrentes. En effet depuis la déroute de Napoléon en 1815, la France s'est installée dans une période de réaction encore plus trouble que fut celle de l'Empire. L'historien Jean-Pierre Chaline observe avec justesse à propos de la Restauration : « C'est peu dire que la Restauration, dans notre mémoire collective, fait partie des périodes mal aimées. Le rapprochement établi parfois avec le régime de Vichy ne souligne que trop l'origine d'un pouvoir né de la défaite et, sinon imposé par l'ennemi, du moins permis par le désastre militaire. »2(*).

    Cette dépêche évoque donc un phénomène politique redevenant fréquent sous ce régime étouffant qu'est la Restauration : un complot à visée insurrectionnelle. Mais avant d'aborder ce cas lyonnais de 1817 et la problématique de son étude, rappelons brièvement le fil historique du basculement de la France au profit de l'ancienne monarchie des Bourbons et la redécouverte de l'usage de la conspiration comme mode de résistance.

    L'acte final du Congrès de Vienne le 9 juin 1815 puis la cinglante défaite de Napoléon à Waterloo au soir du 18 juin 1815 scellent définitivement la fin de l'Europe napoléonienne et le retour des derniers Bourbons en exil. L'Europe dans ce nouveau contexte de réaction devient le théâtre d'entreprises révolutionnaires secrètes. Pour saisir les motivations de ces dernières, il nous faut garder à l'esprit le mélange de lassitude et de nostalgie qu'éprouvent les élites libérales françaises3(*), progressistes, du moins en opposition plus ou moins ouverte au régime restauré et souvent associées à ces mouvements d'action politique clandestine comme les Carbonari en Italie et la Charbonnerie4(*) en France. En effet, en France, Louis XVIII, frère aîné de Louis XVI, accède au trône dans un pays partagé entre la fatigue des guerres impériales et le désir maintenu de voir se concrétiser les principes de respect du citoyen, arrachés violemment par le peuple de 1789 à 1793. Ainsi, entre 1815 et 1820, l'enjeu principal des élites modérées françaises sera dans un premier temps de pousser le roi à accepter une Charte devant limiter ses prérogatives, et dans un second temps d'exiger son respect par les royalistes ultras. Cette fameuse Charte, mais surtout sa ratification et son respect par le roi seront la pomme de discorde entre modérés et ultras, et même au sein du camp ultra, souvent plus monarchiste que le monarque... La violence en France des royalistes ultras donne une idée assez nette de ce que sera le phénomène de la réaction politique tout au long du XIXème siècle : ignorance des assemblées, mépris des libertés, ordre moral et policier. Dés juin 1815, éclate donc dans toute la France, le triste épisode « contre-révolutionnaire » de la Terreur blanche. Cet épisode a son importance quant à notre étude locale de cette conspiration de 1817, car il est indéniable et nous le verrons, que le souvenir des violences des ultras a aussi nourri ce projet à visée libératrice. Durant tout ce mois de juin 1815, des royalistes organisés en bandes partent massacrer des populations civiles réputées jacobines ou bonapartistes. En effet, durant ce mois, Napoléon avait confié le pouvoir à son fils, appelé l'Aiglon. Pendant ce temps, on se hâte à la Chambre de discuter les articles d'une nouvelle Constitution plus libérale. Cependant, le 8 juillet, alors que le projet est presque voté, Louis XVIII entre dans Paris avec l'appui de la garde nationale. Le nouveau pouvoir restauré en la personne de Louis XVIII ignore la Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 et inaugure une période de profonde réaction dont nous verrons les caractères au cours de cette étude, notamment sa composante policière et judiciaire extrêmement dure. C'est donc dans ce climat d'incertitudes politiques qu'éclatent en France des conspirations libérales et/ou bonapartistes contre le pouvoir royal et dans le but de restaurer la République et/ou l'Empire. Elles apparaissent comme un mode secret, parfois amateur comme ce sera le cas de cette conspiration lyonnaise, de protestation au sein d'un régime doucement verrouillé.

    J'ai choisi, pour introduire ce travail, un extrait de cette courte dépêche du fait de son ton alarmiste, reflétant parfaitement la crainte du régime de Louis XVIII, régime jeune mais pourtant déjà affaibli sur le plan de sa légitimité. En effet, comme je l'ai déjà évoqué précédemment, le phénomène politique des conspirations ou du moins des entreprises souvent présentées de manière abusive comme telles par la police de l'époque, se développera en France sans commune mesure sous la Restauration. Multiplication d'un phénomène qui inquiète le pouvoir mais interpelle aussi nombre d'observateurs de l'époque, comme un modéré François Guizot qui seulement quatre ans après l'affaire de notre « complot » lyonnais publiera une analyse de la question des conspirations et de la justice qui leur est réservée. Ce texte, Des conspirations et de la justice politique, publié en 1821, revêt un intérêt précieux pour notre étude car non seulement il nous éclaire sur les abus d'une justice partiale, mais surtout son auteur sera indirectement un des défenseurs des conjurés de l'affaire de Lyon en 1817. Nous l'utiliserons donc largement au sujet de l'analyse des usages faits de la violence et de la justice lors de cet épisode5(*). Revenons-en aux faits.

    Cette insurrection, présentée par les autorités comme une conspiration, éclate dans le département du Rhône, surtout à partir des communes entourant la ville de Lyon qui devait être son point d'aboutissement, le 8 juin 1817. Une première remarque au sujet de l'affaire de Lyon est le peu d'écrits d'historiens entretenant la mémoire d'un événement oublié ou inconnu pour la plupart des observateurs du phénomène des conspirations sous la Restauration, fussent-ils même lyonnais... La découverte ainsi pour moi de ce « cas » est tributaire de trois études principales et d'époque différentes relatant le mieux cet épisode.

    La première étude disponible à la bibliothèque municipale de Lyon est celle de Sébastien Charléty, « Une conspiration à Lyon en 1817 », long article publié en 1904 dans La revue de Paris6(*). Elle offre une bonne présentation générale des faits mais surtout elle retranscrit bien les manipulations des fonctionnaires ultra puis leur discrédit face aux critiques des jeunes libéraux, forts de leurs victoires aux scrutins locaux de l'automne 1817.

    La seconde étude à consulter est celle de Georges Ribe, « L'opinion publique et la vie politique à Lyon lors des premières années de la seconde Restauration », sous titrée La réaction ultra et l'expérience constitutionnelle (17 juillet 1815-9 janvier 1822), publiée en 1957 dans les Annales de l'Université de Lyon7(*). Il s'agit de l'étude la plus dense et la plus complète. C'est l'auteur qui analyse le mieux les luttes d'influences au sein des ultras et la question de la provocation policière et donc de la réalité des intentions premières des meneurs des insurgés. Elle nous sera aussi précieuse pour comprendre les mécanismes des manipulations des ultras via notamment leur usage de la propagande.

    La dernière contribution « d'initiation » à cette affaire est celle de l'historien lyonnais Bruno Benoit, contenue dans son ouvrage publié en 1999 sur l'identité politique de la ville de Lyon, L'identité politique de Lyon, entre violences collectives et mémoire des élites (1786-1905)8(*).Cet ouvrage sera notre outil de référence pour la présentation du cadre historique local, à savoir l'état des mentalités du peuple de Lyon en ce retour imposé de Louis XVIII. Bruno Benoit y décrit comme nul autre la lente maturation républicaine des Lyonnais, suivant le cours douloureux de l'histoire des violences révolutionnaires puis de celles des ultras avant de concentrer au sein de leur ville, des forces divergentes comme des bonapartistes et des libéraux, unis pour un temps contre le despote et l'asservissement moral et économique du régime de Louis XVIII. La réflexion de Bruno Benoit sur l'affirmation paradoxale de l'identité « modérantiste » de la ville de Lyon, devenant foyer libéral, car concentrant tous les extrémismes politiques, nourrira notre propre réflexion sur l'usage de la violence de conspirateurs, récupérés, mais parfois aussi sincèrement soutenus par le camp libéral. Lyon y apparaîtra comme le prisme des luttes clandestines du début du XIXème siècle, avec pour réponse du camp de la réaction, la violence moderne d'Etat : une justice dissuasive à l'attention des adeptes du complot et une police infiltrant toujours plus les groupes marqués du sceau de la suspicion.

    Ces trois contributions principales à l'histoire de la conspiration du 8 juin 1817 furent élaborées autour d'un travail d'archives rigoureux. En effet, pour mener à bien ce travail, j'ai moi-même consulté pratiquement l'ensemble des archives relatives à ce complot. Une première remarque est qu'elles sont dispersées entre différents services, sans la moindre cohérence. Je me suis rendu sur trois lieux : le fond ancien de la bibliothèque municipale Lyon Part Dieu, les archives départementales du Rhône, et enfin les archives nationales à Paris. Essayons de présenter sommairement le contenu des dossiers relatifs à ce complot pour chaque point d'archives.

    Le fond ancien de la bibliothèque municipale Lyon Part Dieu ne contient que des recueils d'imprimés relatifs à cette conspiration. Ces recueils se divisent en trois ensembles :

    -1er ensemble : « Conspirations de Grenoble et de Lyon 1816-1817 ». Cet ensemble contient trois tomes9(*). Le tome 1, cote IF 436/T1, contient notamment un long texte sur Paul Didier, conspirateur grenoblois de 1816, et deux correspondances de fonctionnaires de l'armée relatives au complot de Lyon. Le tome 2, cote IF 436/T2, plus intéressant pour le cas de Lyon, recèle en autres les appréciations du général Canuel, en charge de l'affaire, celles du préfet du Rhône Chabrol, des mémoires et des correspondances sur l'affaire de Lyon, et surtout un document de l'opposition constitutionnelle : la « Réponse de M. Camille Jordan à un discours sur les troubles de Lyon ».Enfin, le tome 3, cote IF 436/T3, contient, entre autres, les appréciations du colonel Fabvier sur la situation de Lyon en 1817, le compte rendu des événements de Lyon par le lieutenant de Police Charrier-Sainneville, personnage capital qui défendra jusqu'au prix de son poste, la thèse de l'exagération des moyens et des buts des insurgés. Dérangeant grandement le camp ultra, nous verrons comment il tentera de projeter un peu de lumière sur une affaire obscurcie par les manipulations des fonctionnaires ultras.

    -2nd ensemble : « Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure ». Ce volume rouge, cote 35 41 64 à 35 41 66, est le document nous concernant le plus intéressant du fond ancien de la BM Lyon Part Dieu. Comme son sous-titre l'indique, il s'agit du « Procès des vingt-huit individus, prévenus d'avoir participé aux mouvements insurrectionnels qui ont éclaté dans le département du Rhône, dés les premiers jours de juin 1817 ». Il s'agit des interrogatoires de la Cour prévôtale réunie pour cette affaire, dans lesquelles nous puiserons pour comprendre les motivations des insurgés, mais aussi pour illustrer l'instruction manipulée de la Cour de justice.

    -3ème ensemble : « Des conspirations de 1817 à 1823 », cote SJ IF 436/52.Cet ensemble comprend quatre pièces, dont notamment une « Note secrète exposant les prétextes et le but de la dernière conspiration », datée de 1818, 58 pages10(*). C'est aussi dans cet ensemble que l'on retrouvera le Des conspirations et de la justice politique de François Guizot, 3ème édition, 1821, 132 pages.

    Venons-en maintenant aux sources des archives départementales du Rhône.

    L'ensemble des documents relatifs à l'affaire de Lyon en 1817, archivés par le département du Rhône, est stocké dans la série M, Evénements politiques locaux, Police politique. On y trouve cinq dossiers volumineux, allant des débuts de l'affaire jusque à ses suites quelques années après, 1817-1820. Ces dossiers contiennent essentiellement les correspondances entre les autorités durant les événements comme par exemple les correspondances des maires des communes affectées par la révolte, au préfet du Rhône. Ils nous permettront d'apprécier l'affolement et la déroute des maires, lors de ces petits soulèvements les prenant souvent pour cibles directes, du fait de la crise des subsistances. Ces cinq dossiers suivent donc l'ordre chronologique de l'affaire :

    - 4 M 203 Evénements de 1817 : prémices

    - 4 M 204 idem : déroulements des opérations

    - 4 M 205 idem : comportement des communes

    - 4 M 206 idem : rapport sur les factieux (juillet-août 1817)

    - 4 M 207 idem : suites, frais, circulaires ministérielles (1817-1820)

    Nous en arrivons à notre dernière source d'archives : les archives nationales (Paris).

    Les documents relatifs à notre complot sont stockés dans la série F7. On compte trois cartons importants, constitués des rapports de police sur les insurgés, de correspondances et de déclarations du maire de Lyon, dont les conjurés voulaient la mort, un ultra, le comte de Fargues avec le ministère de la Police, des rapports de surveillance interne sur le lieutenant de la police de Lyon, le « dissident » Charrier-Sainneville mais aussi sur le préfet du Rhône, Chabrol, qui en 1815 ne cachait pas ses vues bonapartistes...inquiétantes pour les ultras en 1817 ! En bref, nous y retrouverons toutes les luttes intestines entre fonctionnaires ultras, autorités locales et autorités nationales. Nous pourrons aussi dresser des portraits de ces différentes figures citées, à partir d'un dictionnaire de la Révolution et de l'Empire, consultable aux archives nationales11(*).

    Les trois cartons contenant chacun plus de mille pages de correspondances et de rapports s'intitulent :

    - 2 cartons : F7 9695 et F7 9696 Situation des départements 1815-1830

    - F7 4352 A, Police générale Rhône en 1817-1818

    Nous venons de présenter les rares études existantes sur cette conspiration de 1817 et ses archives relatives. Nous le voyons, les documents d'archives constituent donc la source majeure de cette étude. Cependant, nous solliciterons les analyses de Sébastien Charléty, de Georges Ribe et de Bruno Benoit pour comprendre le déroulement et les enjeux de cette affaire. Affirmons le d'emblée, au regard du désordre et de la complexité des documents que nous ont légués les acteurs de cet épisode, les études de ces trois historiens précédemment cités me furent indispensables.

    Nous en arrivons bientôt à la présentation de l'objet, de sa justification théorique, de la problématique et du découpage de ce travail. Cependant par souci de clarté, je nous propose avant cela de présenter sommairement les événements du début du mois de juin 1817 dans le Rhône, puis de les resituer dans le cadre local de l'histoire des violences collectives à Lyon depuis 1793. Ce cadre posé, je présenterai les ambitions modestes de ma contribution à l'étude de cette conspiration, dans une problématique plus générale sur la violence émancipatrice et clandestine face à la violence d'Etat, à savoir la police et la justice du camp ultra.

    Première présentation des événements du 8 juin 1817 dans le département du Rhône

    « Un grand attentat vient d'être commis. Il l'a été dans la ville de Lyon et sur plusieurs points du département du Rhône. Ce n'était rien moins qu'une exécrable tentative pour détruire ou changer le Gouvernement, pour exciter les Français à s'armer contre l'autorité de leur Roi, pour porter la dévastation, le meurtre et le pillage dans tous lieux où l'insurrection se serait manifestée. Depuis longtemps, on ne peut se le dissimuler, l'exécution en était projetée et ténébreusement préparée (...) »12(*).

    Monsieur Reyre, procureur du Roi en la Cour prévôtale du département du Rhône, en charge de l'affaire de Lyon, introduit de ces propos déjà sans appels pour les inculpés, ses conclusions pour la Cour de justice. Cette Cour aura retenu 155 inculpations pour 248 arrestations au sein de la ville de Lyon et pas moins de 300 pour les campagnes13(*). En effet, comme nous le précise Georges Ribe : «  Le 9 juin 1817, les Lyonnais apprirent, par une proclamation du lieutenant-général Canuel, que leur ville avait échappé la veille, grâce à la vigilance des autorités, à une insurrection. Elle devait éclater à Lyon même, ayant pour but de mettre Marie-Louise et son fils sur le trône de France. Les campagnes devaient faire leur mouvement une heure avant la ville sur laquelle elles se seraient portées. »14(*).

    Ces événements interviennent dans un contexte de grandes tensions autour des orientations politiques du roi. En réalité, depuis l'ordonnance du 5 septembre 1816, déclarant que la Charte ne serait pas révisée et que la Chambre serait dissoute, les ultras s'inquiètent grandement des élections à venir, et à juste titre, au regard de la montée en puissance des modérés et des libéraux. Louis XVIII doit en effet faire face d'une part, aux pressions d'un parti ultra de plus en plus délégitimé suite aux excès de la terreur royaliste (la Terreur blanche), qui sévissait de la défaite de Napoléon à Waterloo au retour du roi au pouvoir, aux excès de la « terreur légale » des royalistes au sein de la Chambre désormais qualifiée « d'introuvable »15(*) tant le camp ultra, fort de sa majorité, la monopolise en légiférant massivement contre toutes les libertés publiques soi disantes garanties par la Charte, et contre les derniers Bonapartistes et Jacobins accusés de « régicides », et d'autre part, à la multiplication de complots souvent militaires, composés d'ancien membres de l'armée napoléonienne, et/ou de libéraux amorçant les conspirations à venir de la Charbonnerie française, cette grande milice secrète libérale.

    Précisons sommairement, car nous y reviendrons grandement, les enjeux que constituait cette Charte pour les royalistes. Elle fut promulguée par le roi le 4 juin 1814 après son entrée dans Paris le 3 mai, permise par le départ de Napoléon pour l'île d'Elbe le 28 avril. Nous nous situons dans la période que les historiens appellent la première Restauration. Louis XVIII régnera une première fois jusqu'à l'épisode des Cent-Jours (20 mars 1815-8 juillet 1815), dernier épisode napoléonien, puis remontera sur le trône le 8 juillet, jusqu'à sa mort le 16 septembre 1824. A partir de la fin des Cent-Jours et jusqu'en 1830, la France vit ce que l'on appelle la seconde Restauration.

    Depuis son retour au pouvoir le 3 mai 1814, suite au départ de Napoléon pour l'île d'Elbe, Louis XVIII doit représenter la France royaliste, mais il sait qu'il ne pourra jamais régner sans et à fortiori contre la France nouvelle issue de 1789. Comme le note l'historien Patrice Gueniffey : « Louis XVIII préfère régner constitutionnellement plutôt que de ne pas régner du tout. La Charte octroyée par le roi « la dix-neuvième année de son règne » et proclamée le 4 juin 1814 est le manifeste de cette volonté de réconcilier les deux France sans rien sacrifier de la légitimité. »16(*).

    Qu'en est-il des dispositions de cette Charte ?

    Max Tacel énumère les plus marquantes : « La Charte proclame solennellement l'origine divine et dynastique du pouvoir royal et condamne les « funestes écarts » des 25 dernières années, c'est-à-dire la Révolution et l'Empire (...) La première partie de la Charte garantit, en effet, les libertés publiques, liberté individuelle, liberté de la presse, sous réserve d'abus, la liberté de culte, bien que le catholicisme soit déclaré religion d'Etat, le droit de pétition, l'égalité devant la loi, les situations acquises dans la fonction publique, civile et militaire...(...) Le roi détient la totalité du pouvoir exécutif. Il nomme et révoque les ministres que l'article 13 déclare responsables (...) Le roi dispose seul de l'initiative des lois et les amendements ne sont recevables que revêtus de son approbation... »17(*).

    Cette Charte assure donc le caractère constitutionnel de la monarchie, mais dans la pratique elle ne se révèle qu'un pâle compromis de moins en moins respecté. Nous l'avons déjà évoqué, quelques mois après la remontée sur le trône du roi après l'épisode des Cent-Jours, les ultras vont faire pression sur le roi, laissant s'installer au sein de la Chambre introuvable une « terreur légale », véritable réaction antirévolutionnaire. Jean-Claude Caron rappelle ainsi que les ultras votèrent successivement d'octobre 1815 à juillet 1816 : une loi de sûreté générale (29 octobre), une loi contre les cris et les écrits séditieux (9 novembre), une loi organisant des cours prévôtales (27 décembre) dont donc la cour du Rhône, et une loi d'amnistie bannissant les régicides (2 janvier 1816), Jacobins et Bonapartistes, avec notamment de lourds procès contre les généraux ou maréchaux ralliés à Napoléon durant les Cent-Jours18(*). Il est clair que cette Charte ne fut donc qu'un leurre non du fait de sa portée mais bien précisément parce que les députés ultras l'ont rendue inopérante.

    Dés lors, la décision royale par ordonnance du 5 septembre 1816, de ne pas réviser la Charte mais par contre de dissoudre la Chambre ne pouvait qu'effrayer le camp ultra, se sentant menacé dans ses marges d'action légale. Cette décision peut surprendre de la part de Louis XVIII, choisissant ainsi d'assouplir son régime face aux critiques des modérés et des libéraux, et à la pression populaire. Chateaubriand résuma la nouvelle situation dans une formule terminant sa brochure La Monarchie selon la Charte : « Sauvez le Roi, quand même ! »19(*) .C'est-à-dire malgré lui. Les ultras de Lyon firent de cette formule leur cri de ralliement. En cette fin d'année 1816, la stratégie du camp ultra était donc simple. Il fallait convaincre le roi que l'ordonnance avait été une faute grave. Pour y parvenir, la méthode était d'exciter les peurs relatives aux conspirations et autres attentats... Comme le note Sébastien Charléty : « Il fallait donc représenter (les ennemis du roi) comme en état de conspiration permanente et d'insurrection toujours possible. »20(*). Le général ultra Canuel était le chef désigné de cette manoeuvre. Charléty relève ainsi que : « dés la fin de septembre 1816, ce fut, chaque jour un nouvel incident : propos séditieux, annonce du retour de l'Empereur, découverte d'emblèmes bonapartistes qui provoquent des allées et venues de gendarmes. »21(*).

    Canuel excite donc les autorités locales : « On conspire, répète Canuel au préfet (le préfet du Rhône : le comte de Chabrol) ; la conspiration est dans les esprits, dans l'air, partout. »22(*). Dés lors, il règne dans ces années 1816-1817 un inquiétant climat d'excitation, généré tant par les rigueurs d'une crise des denrées alimentaires que par les rumeurs conséquentes de soulèvements éclatant soit dans le Rhône, soit dans les départements voisins.

    Sébastien Charléty rapporte ainsi un passage d'un rapport nourri et alimentant ces rumeurs, daté du 4 octobre 1816, sur la situation des campagnes du Rhône : « Une agitation extraordinaire se manifeste dans les campagnes des environs de Lyon. On dit qu'il sera mis des droits extraordinaires sur les pommes de terre et les autres denrées qui servent de nourriture aux paysans. On leur fait croire que le moment est favorable pour secouer le joug. Un complot est, dit-on, formé. (...) Le projet des conspirateurs est de mettre le feu dans plusieurs endroits de la ville et de se porter ensuite sur les prisons pour délivrer les coquins qu'elles renferment. Ils doivent massacrer les prêtres et les royalistes, et proclamer le fils de Bonaparte. (...) Les conjurés disent qu'ils ne redoutent rien de la police qui les favorise. »23(*).

    Huit mois nous sépare de l'affaire de Lyon du 8 juin 1817, et déjà se multiplient de « petites » affaires comme celle-ci, dont on ne sait si elles relèvent de l'imagination populaire, de manipulations du camp ultra, ou d'agents provocateurs au service des Bonaparte... Une réalité apparaît déjà clairement, c'est celle de l'efficience de la rumeur et donc de son usage politique. Nous y reviendrons dans le développement de l'analyse de la conspiration du 8 juin 1817 (partie II). Plus encore, il semble bien que la rumeur soit pour le camp ultra l'alibi systématique appuyant ses investigations policières. Pour en finir avec cette « petite affaire » précédant celle du 8 juin 1817, Charléty raconte la précipitation policière d'événements fondés sur des bruits...Le 22 octobre 1816, le général Maringonné assistant Canuel dans le Rhône, fait arrêter huit individus et livre au préfet un volumineux dossier. On peut y apprendre que parmi les chefs du complot se trouvent des bonapartistes avérés comme Alix, chef d'escadron en retraite et maire de la commune d'Oullins pendant les Cent-Jours, ou Dupont, officier en retraite. Cette présence d'anciens membres de la garde impériale est une réelle constante au sein des entreprises politiques clandestines sous la Restauration. Nombreux seront les bonapartistes à rejoindre la lutte des libéraux au sein de la Charbonnerie française, évoquée précédemment. Pourtant, cette présence suffit-elle toujours à prouver l'existence d'une réelle conspiration, dans le sens d'une entreprise politique secrète, concertée, avec un but politique précis, ou n'apparaît-elle encore pas comme un autre prétexte visant à stigmatiser du mot maudit, en ces temps de réaction, de « conspiration » un événement avorté qui relèverait alors tout autant de l'imaginaire ? Cette question de la portée réelle du projet secret est centrale. Tout au long de cette étude se posera la question, que se sont posés tous les historiens s'intéressant aux questions de l'action politique clandestine, de la mesure réelle du projet secret et donc de sa dénomination en des termes lourds de « conspiration », « complot » et même plus intense encore de « conjuration ». Il s'agit bien là encore de la question de la représentation de l'événement, de sa mise en scène, souvent de son instrumentalisation, pouvant lui donner dés lors une portée symbolique bien plus grande que les intentions plus pragmatiques de ses acteurs. Dés lors nous n'aurons de cesse de nous interroger sur la question de l'envergure de la provocation policière. Loin de nier toute réalité du complot en ces années, il s'agira bien plus de saisir comment s'articule le triptyque Rumeurs-Manipulations-Conspiration et d'essayer de restituer au mieux la juste mesure d'un événement diabolisé, alors que tout en ayant son existence propre, il fut souvent provoqué, facilité en quelques sortes, par l'infiltration policière.

    Revenons aux prémices de l'affaire de Lyon.

    Si déjà lors de cette « petite » affaire lyonnaise d'octobre 1816, on retrouve en effet les éléments classiques d'un complot bonaparto-libéral : culte de l'Aiglon et de Marie-Louise, réunion à la loge maçonnique de Pilata24(*)... on y descelle aussi la « main » des ultras. Sainneville, le même lieutenant de police de Lyon, homme intègre, qui sera en charge de l'affaire du 8 juin 1817 puis destitué, se vit avoué lors de ses interrogatoires des suspects arrêtés, que l'un se dit avoir agi pour le compte du général Maringonné, qu'un autre se verrait même récompensé de la Légion d'honneur...Le lieutenant Sainneville dénoncera déjà ces manipulations ultras opérées par le biais des forces de l'ordre. Il écrit au ministre Decazes le 12 octobre 1816 : « Tout ce qui se passe ici est le résultat d'un plan dont le but paraît être de prouver que le gouvernement représentatif ne convient point à la France, que le ministère perd le Roi et l'Etat...On va jusqu'à dire que le Roi n'est plus en état de gouverner et qu'il devrait résigner sa couronne. »25(*).

    Cependant, une fois classée sans suite, l'affaire de ce complot semi-imaginaire car provoqué, le calme ne semble par pour autant régner pour les ultras lyonnais, en cette fin d'année 1816.Toujours à Lyon, le 24 décembre 1816, le général Canuel découvrit rue Saint Georges des placards séditieux sur lesquels on pouvait lire : « Prenez courage. Napoléon revient et nous aurons le pain à quatre sols »26(*). Face à ce climat d'incertitudes, se multiplient les dénonciations et les arrestations. Un climat de grande tension politique mêlé à la peur « économique » due à la crise alimentaire rendent la ville et ses campagnes de plus en plus sujets à la surveillance policière. Et le préfet du Rhône, le comte de Chabrol, débordé, pourra tant bien que mal rassurer le ministre Decazes, chacun s'accorde à penser qu'un soulèvement populaire peut surgir prochainement. Reste aux ultras à penser l'instrumentalisation de ce climat...

    Il y eut aussi dans la région d'autres précédents inquiétant les pouvoirs locaux. A Grenoble en 1816, une petite affaire encore de conspiration militaire, très vite déjouée, vint alimenter la campagne d'excitation des ultras locaux envers tous les ennemis du régime. Le leader de l'entreprise secrète, Paul Didier, drômois d'origine né en 1758, avocat de formation, recrutait depuis 1814 à Lyon et à Grenoble des militaires licenciés de l'armée impériale, dans le but d'amener le duc d'Orléans au pouvoir ! Orléaniste dans son but mais bonapartiste dans ses moyens, le complot devait aboutir le 4 mai 1816, sur le même mode opératoire que notre conspiration lyonnaise du 8 juin 1817, c'est-à-dire, en partant des campagnes pour converger le soir sur Grenoble. L'entreprise était en réalité infiltrée depuis longtemps par la police, et fut donc vite déjouée. Paul Didier fut exécuté peu de temps après27(*).

    Dés lors, le début de l'année 1817 en Rhône-Alpes est rythmé par les bruits et les rumeurs de complots en tout genre. Sébastien Charléty relève le climat de désinformation régnant alors : « Le bruit court en février 1817, que l'Isère est en insurrection, tandis qu'on dit à Grenoble que Lyon s'agite. »28(*). Il apparaît donc clairement, que grâce à ce contexte « parasité » par la désinformation générale, les ultras locaux n'auront pas de mal à instrumentaliser la journée du 8 juin 1817 dans le Rhône, durant laquelle, nous y venons, se mobiliseront bien plus de ressources humaines tant du côté des conspirateurs et des insurgés que du côté des forces de la répression.

    Reprenons une partie du récit des événements par monsieur le procureur du Roi de la Cour prévôtale du Rhône, récit par lequel j'ai débuté précédemment cette première présentation des faits.

    Monsieur Reyre illustre le climat d'agitation dominant dans le Rhône à cette époque, avant de fustiger le plan avorté des conjurés : « Depuis ce temps là c'est une agitation marquée, une sorte d'inquiétude vague qui a sans cesse régné autour de nous, et que la cherté des subsistances donnait le moyen d'exciter, d'entretenir. C'étaient des bruits populaires, des annonces plus ou moins alarmantes qu'on faisait circuler chaque jour, et dans la ville de Lyon et dans les campagnes qui l'entourent. (...) lorsque dimanche dernier, 8 juin, a éclaté subitement le grand attentat qui avait été si horriblement projeté. Ce jour-là, entre quatre et cinq heures de l'après-midi, l'insurrection des campagnes commença tout à coup et presque au même instant, sur deux points très éloignés l'un de l'autre : d'un coté, dans la commune de Charnay, et de l'autre, dans celle de Saint-Genis Laval. (...) Partout, et en chaque lieu où on s'insurgeait, le tocsin fut sonné. Des chefs plus ou moins audacieux prirent en chaque endroit le commandement des séditieux, cherchant, soit par des menaces, soit par de fallacieuses illusions, à égarer, à entraîner la multitude. (...) il leur fut aisé de se faire suivre par tout ce qu'il y avait autour d'eux, d'hommes pervers, dissolus, que la pauvreté ou leur corruption rendaient avides de pillage. Ceux-là, pour la plupart, avaient été avertis ; on les avait secrètement enrôlés : ils se tenaient prêts à marcher au premier signal. On avait distribué au plus grand nombre d'entre eux des armes, des munitions ; et des fourches, des faulx tenaient lieu d'armes à ceux qui n'avaient pu en recevoir. Par tout donc où l'explosion éclata, on vit se former subitement des bandes d'hommes armés qui ne dissimulaient pas leur véritable dessein. C'était le Gouvernement qu'ils déclaraient vouloir renverser. Presque tous portaient des cocardes tricolores. Dans certaines communes, leur premier acte de révolte fut d'abattre, d'arracher les armes de France qui se trouvaient placées au dessus du portail de la Mairie. Vive l'Empereur, vive Marie-Louise, vive Napoléon II, c'étaient là les cris que poussaient toutes ces bandes sacrilèges ; cris qui n'étaient réellement de leur part que des cris d'anarchie, de pillage et de dévastation ; et eux-mêmes ne déguisaient pas du tout le vrai sens qu'ils y attachaient : car, à Saint-Andéol en particulier, on les entendit qui avaient l'audace d'ajouter à leur cris : Les Bourbons ont régné leur temps, Buonaparte le sien ; c'est aujourd'hui notre tour. Leur tour, c'était, si on leur laissait le temps, de s'abandonner à tous les crimes auxquels une populace déchaînée peut être poussée par l'esprit de révolte. On les vit, à Charnay, arracher leur pasteur du lieu saint, et le traîner à leur suite en le terrifiant par leurs menaces et leurs imprécations. On vit de même le curé d'Irigny, saisi par les insurgés de sa commune, et traduit au milieux d'eux sur la place de Saint-Genis, où quelques misérables poussèrent l'indignité, la fureur, jusqu'à lui mettre le pistolet sur la gorge. A Chessy, le curé vit aussi sa vie menacée, et échappa au péril par une prompte fuite ; mais toute sa maison fut saccagée, dévastée, et une autre maison du voisinage fut pillée comme la sienne. Partout, l'autorité des maires était méconnue, et plusieurs furent, comme les curés, insultés, brutalement traités, emmenés même en otage. En un mot, les révoltés portaient partout l'épouvante sur leur passage. (...) Du reste, il est constant que les révoltés de la campagne, au moment où ils s'insurgèrent, et dans tous les lieux où leurs bandes se formèrent, annonçaient très hautement leur dessein de marcher sur Lyon, où ils avaient, disaient-ils, une armée de complices prêts à les joindre, et des généraux prêts à les commander. Il est trop vrai en effet que les trames ourdies pour l'exécution de l'horrible complot, s'étendaient dans la ville comme dans les campagnes ; et que c'était à la même heure, au milieu de l'après-midi, pendant les cérémonies religieuses de la fête du jour, qu'il devait éclater simultanément, au milieu de nous. Tel était l'aveuglement, la confiance des conjurés subalternes, que, pendant toute la matinée, ils laissèrent percer leur joie féroce, et qu'ils s'entretenaient presque ouvertement dans les rues, dans les places publiques, de l'affreux événement auquel ils s'attendaient. De là l'espèce d'agitation générale, extraordinaire, qui ce jour là régna dans toute la cité ; et on ne peut songer qu'en frémissant, aux scènes de carnage, de désolation, dont les monstres avaient projeté d'en faire le théâtre. Mais les Autorités veillaient : elles avaient été averties, le danger était connu ; les mesures étaient prises. Lyon avait dans son sein un général (M. Canuel) dont chacun connaît l'énergie et les talents militaires ; un préfet (M. le comte de Chabrol), un maire (M. le comte de Fargues) dont la vigilance est aussi éclairée qu'infatigable ; une garde nationale animée du plus généreux dévouement ; une garnison, une gendarmerie aussi braves que fidèles. Lyon en particulier n'éprouva donc aucune commotion, aucune secousse. Le complot, l'attentat ne purent pas y éclore ; les conspirateurs s'y trouvèrent paralysés, enchaînés. Lyon, mis en sûreté au-dedans comme au dehors, put même envoyer de prompts secours sur les divers points où les bandes de la campagne s'étaient répandues. Cependant, l'extrême audace de certains conjurés que Lyon recelait était telle, qu'au commencement de la nuit il y eut de leur part des excès, des violences, et même un crime particulier qu'on n'avait pu aucunement prévoir. On eut, vous le savez, on eut à déplorer la mort d'un des officiers de la légion de l'Yonne, qui lâchement assassiné dans la rue Mercière, expira peu d'instants après le coup (un coup de feu) qu'on venait de lui porter ; officier : M. le capitaine Ledoux, que ses moeurs douces, ses qualités militaires rendaient cher à tous ses frères d'armes ; qui a laissé une veuve inconsolable : et ce fut un cri d'amour pour son Roi qui sortit de sa bouche lorsqu'il rendit son dernier soupir. Ses meurtriers ne purent être saisis. On ne put qu'arrêter beaucoup d'individus soupçonnés d'avoir agi antécédemment pour y participer. On se hâta de faire, soit sur eux, soit dans leurs domiciles, d'exactes perquisitions. On trouva en effet, chez le plus grand nombre d'entre eux, des armes, des balles, des cartouches ; objets dont très évidemment ils n'avaient pu se pourvoir dans une telle circonstance qu'avec des intentions coupables ; et ce sont là autant de preuves matérielles qui manifestent comment le complot existait dans la ville, où les moyens manquèrent pour l'exécuter, aussi bien que dans les communes rurales, où on le mit ouvertement à exécution. (...) Voilà le tableau trop fidèle des principales circonstances qui caractérisent ce grand attentat dont la connaissance vous est attribuée. (...) Le trône de nos Rois relevé, raffermi sur ses antiques fondements, n'a et n'aura jamais pour véritables ennemis que les artisans du crime, du brigandage, les ennemis de tout principe, de toute vertu et de toute sociabilité. Ce sont eux, oui eux seuls, qui ont été auteurs ou complices du grand attentat qui vient d'être commis, et c'est la société entière qui demande vengeance, justice. Les temps de la clémence sont passés : il n'y a plus aujourd'hui que la loi à suivre, à appliquer dans toute sa rigueur. C'est la seconde ville du royaume, c'est toute la population d'un département qui ont été en péril : bien plus, c'était contre l'Etat, c'était pour renverser l'autorité du Roi, pour changer ou détruire le Gouvernement légitime, que des conjurés avaient pris les armes. Il faut qu'en pareil cas la loi atteigne les coupables avec la rapidité de la foudre. Voilà, Messieurs, voilà le but de votre redoutable institution. Mais nous avons la douleur de le dire, les prévenus sont en grand nombre ; chaque jour, à chaque instant, les autorités locales en désignent de nouveaux, les livrent à la justice ; et il faut du temps pour discerner l'innocent du coupable, pour mesurer à l'égard de chacun le degré de culpabilité... »29(*). Que ressort-il de ce tableau de la justice royale cinq jours après les premières arrestations relatives à cette insurrection dans le Rhône ?

    Tout d'abord, nous pouvons souligner l'obsession des autorités à stigmatiser ce soulèvement dans les termes d'une conspiration, une conspiration longuement organisée antérieurement, et dont les buts auraient été des plus condamnables puisqu'il s'agissait pas moins : « d'exciter les Français à s'armer contre l'autorité de leur Roi, pour porter la dévastation, le meurtre et le pillage dans tous les lieux où l'insurrection se serait manifestée. ». Nous observons là les premiers éléments typiques du discours des ultras sur ce genre d'affaires : l'exagération et la caricature. Nous verrons dans le développement comment ces éléments participent de la stratégie des royalistes de manipulation de l'opinion au sein d'un climat parasité par les rumeurs. L'usage politique de la rumeur par les ultras, allié à leurs manipulations policières, sera leur réponse à l'usage politique du secret des conjurés. Nous le verrons notamment au moment de la répression judiciaire de cette affaire, en observant l'usage diabolisant du mythe de la conspiration, visant à légitimer sa condamnation la plus ferme.

    A cette assimilation de l'événement à un complot, s'ajoute immédiatement le mépris des autorités en réduisant les dits « conjurés » aux éléments les plus « bas » de la population, voire à des déclassés : « Tous n'appartenaient qu'aux dernières classes de la société... ». Nous verrons que la réalité fut plus complexe et que notamment la composante bonapartiste prononcée de l'entreprise impliqua indirectement des anciens militaires de l'Empire.

    De même, le discours des autorités insiste le caractère « rural » de l'événement. Seul Lyon, ville où devait converger l'insurrection, sortit réellement indemne. Ce qui ne surprend guère au regard de la surveillance policière établie depuis longtemps au sein de la seconde ville du royaume... En effet, c'est en fin d'après midi du dimanche 8 juin 1817 que le mouvement éclata dans les campagnes entourant Lyon pour se propager vers la ville. Les autorités notent à juste titre la rapidité des déplacements et l'organisation relative de ceux-ci. Les « violences » éclatent toutes à peu près au même moment, ce qui confirme les ultras dans leur idée d'une entreprise concertée. Notons déjà à ce sujet les caractères politiques de celle-ci. Il se mélange de manière paradoxale pour le néophyte en matière de complots sous la Restauration, les attributs bonapartistes d'une part, et républicains ou révolutionnaires plus précisément, d'autre part. Ceci explique que je qualifierai le long de cette étude cet événement, de conspiration bonaparto-républicaine. Conspiration provoquée, nous verrons comment et pourquoi, mais nous verrons aussi pourquoi le caractère de la provocation par l'infiltration policière n'enlève rien aux intentions secrètes réelles des conspirateurs, qui de plus ont usé du rituel de l'action politique clandestine, légitimant par là même au regard de l'historien le qualificatif de conspiration. Les manifestations révolutionnaires de cet journée du 8 juin sont : le tocsin, qui sonna dans chaque commune pour marquer le soulèvement, la Marseillaise chantée par les insurgés, les cocardes et autres drapeaux bleu blanc rouge accrochées aux mairies royalistes, les coups de feu et autres symboles rappelant le 14 juillet 1789... Mais surtout prédomine le caractère bonapartiste de l'entreprise. Les séditieux crient Vive l'Empereur, Vive Marie-Louise, Vive Napoléon II (l'Aiglon, le fils de Napoléon Bonaparte), les insurgés sont armés de tout ce qu'ils ont pu récolté, des armes à feu conservées par les anciens militaires après les déroutes de l'Empereur, jusqu' aux fourches et autres outils agricoles. On ne peut que souligner déjà le caractère « laïc », voire ouvertement anti-clérical du soulèvement, soulignant encore sa force républicaine. A plusieurs reprises, les curés sont pris à partie. On va jusqu'à leur mettre le pistolet sous la gorge et les sommer de crier la gloire de l'Aiglon...Il en va de même pour les maires ultras, qui eux ont prêté serment de fidélité au roi... Le choix du jour de l'insurrection, un dimanche, n'est donc peut-être pas anodin. Illustrons le caractère révolutionnaire, anti-cléricale de cette journée. Encore au lendemain de celle-ci, les autorités craignent un reflux de violences. En témoigne cette lettre du Ministère de la Police générale au préfet du Rhône (le comte de Chabrol), lettre du 9 juin 1817 :

    « M. de Sainneville (le lieutenant de police en charge de l'affaire dans le Rhône) part sur le champ pour Lyon, faites diriger des troupes, et particulièrement de la cavalerie sur tous les points qui sont menacés. Il faut « repousser la force par la force », il faut faire des exemples et déployer la plus grande rigueur. Il serait prudent de s'assurer des clochers et d'ôter même les battants des cloches dans toutes les paroisses qui sont menacées, mais cet ordre doit être donné avec discrétion... »30(*).

    Les maires sont pris d'affolement, car ils sont les premières cibles des insurgés. Citons pour exemple le maire de St-Andéol, M. Bourliez, demandant secours au préfet du Rhône le 9 juin 1817 :

    « Mr ma commune est en pleine Révolte. J'ai voulu m'opposer, je n'ai pu, ils sont armés, sonnent le tocsin. Je vous prie de m'envoyer main forte, je ne quitte pas ma porte. J'attends vos instructions et vous salue le coeur. Ils sont tous affublés d'une Cocarde tricolore. »31(*).

    Et malgré les mots d'apaisement du préfet, considérant le soulèvement éteint, les violences se poursuivent et terrifient les maires. Toujours le maire de St-Andéol au préfet du Rhône, le 10 juin 1817 :

    « J'ai reçu votre lettre du 9 réponse à la mienne de même date, je m'attendais à recevoir du secours pour faire arriver et punir les coupables, il est quatre heures du matin et personne n'a encore passé. Vous comptez sur mon zèle. Certes on ne me blâmera pas de l'avoir déployé, mais seul j'ai été contraint de céder à quatre baïonnettes qui m'ont été appliquées sur la poitrine. Reconduit dans mon domicile où j'ai été gardé à vue. Le tocsin a sonné pendant deux heures environ (...) environ soixante hommes armés, deux tambours à leurs têtes sont partis de la commune pour rejoindre d'autres rassemblements... Un détachement de la cavalerie est absolument indispensable si vous voulez que je fasse arrêter les coupables qui me sont parfaitement connus. »32(*).

    Voilà pour quelques illustrations des violences du 8 juin dans les communes des environs de Lyon. Nous aurons l'occasion d'en présenter d'autres dans la seconde partie de ce travail, partie consacrée entièrement à la question de la « réalité » cette conspiration. Pour l'heure, il faut noter que le fait le plus « médiatisé » de cette journée du 8 juin concerne la ville de Lyon, où nous l'avons vu, les violences furent moindres. Il s'agit même d'une « affaire dans l'affaire », tant les ultras stigmatiseront ce crime d'un jeune officier de la légion de l'Yonne, abattu d'une balle rue Mercière à Lyon. Cet officier, le capitaine Ledoux, deviendra pour les ultras locaux le symbole à exhiber de cette journée de violences33(*).

    Les autorités, nous avons pu le voir au travers par exemple du récit du procureur du Roi, retiennent le caractère prémédité de l'entreprise et donc la rangent du côté des conspirations contre le royaume. Notre tâche sera donc d'examiner ce caractère, et ce notamment en s'interrogeant sur le rôle de la police dans le déclenchement du dit complot. Cet examen devra s'accompagner de l'analyse des facteurs structurels de l'événement, à savoir le climat politique de plus en plus délétère de luttes exacerbées entre modérés et ultras, avec à l'approche : des élections, et le contexte social, économique et culturel de la région Rhône-Alpes en ces années 1810-1820, avec comme nous l'avons déjà évoqué une grave crise alimentaire rendant le prix du pain trop élevé en 1817, mais aussi d'autres blocages sur le plan de la continuité brisée de la scolarisation dans la région, au sein d'une France qui pourtant sous la Restauration continue de témoigner d'un réel bouillonnement intellectuel, prolongeant les Lumières avec les écoles philosophiques de l'éclectisme d'un Victor Cousin, du sensualisme ou encore de l'utilitarisme d'un Jérémie Bentham, déjà lu en France pour les sciences économiques.

    Observons une remarque importante quant à la question de la dénomination de ces événements du 8 juin 1817. Nous n'aurons de cesse de travailler la question de la « réalité » de ceux-ci sous le terme générique de conspiration, dans le sens d'une entreprise politique secrète, organisée, donc avec un plan et un but politique précis, opérant selon un mode secret autonome, et dont les membres obéissent à des rites de passage et d'élimination si il y a lieu...

    Cependant, il est clair que la seule qualification de cette insurrection sous le terme de conspiration, qualification des ultras amplifiée de plus par leur propagande anti-libérale, avec notamment la diabolisation par la presse et les affiches de l'événement réduit à tort à la lutte des libéraux, lui donne une première existence, certes représentative mais effective. La représentation politique de l'événement en termes de complot, conjuration ou conspiration lui offre une existence, peut-être que symbolique mais à valeur de statut, au sein de l'histoire des actions politiques clandestines. De plus, la persistance de la qualification de ces événements du 8 juin dans l'histoire locale ou nationale lui assure la pérennité de ce statut de conspiration, même si peut-être pour certains observateurs, la réalité du caractère secret de l'entreprise doit nous inciter à douter du choix de ce vocable. Nous verrons les différentes thèses, toutes valables. Restons pour le moment sur l'acception du statut de conspiration de l'événement permise par la représentation pugnace de celui-ci en ce terme, aussi bien sous la Restauration que durant son historiographie postérieure, lui conférant bien une existence indubitable.

    Sans trop dévoiler le développement à venir sur la conspiration même du 8 juin, nous pouvons esquisser les objectifs politiques et les méthodes des conspirateurs. Sébastien Charléty rapporte une lettre du maire de Lyon au préfet du Rhône, présentant le plan d'attaque des conjurés :

    « Les campagnes devaient faire leur mouvement une heure avant la ville sur laquelle elles se seraient ensuite portées. Les conjurés de l'intérieur étaient partagés en six brigades :

    La première était chargée de s'emparer de l'Arsenal et de faire conduire aussitôt des pièces d'artillerie, soit au faubourg de Serin, soit à Pierre-Scize, pour bloquer les Suisses dans leur caserne. La seconde, de tenir la ligne du pont de l'Archevêché à celui de la Guillotière. La troisième, de maîtriser la troupe casernée à la Nouvelle-Douane. La quatrième, de contenir les Suisses dans leur caserne, de tenir la ligne depuis la poudrière jusqu'au pont de Serin et d'occuper la tête de ce pont du côté de Vaise. La cinquième, de l'attaquer par la barrière de Serin. La sixième, de se porter sur l'Hôtel de Ville et la caserne de gendarmerie. »34(*).

    On observe donc déjà une certaine organisation visant par la simultanéité des brigades à créer un effet de surprise. Selon les sources policières, mais peut-on les croire ?, les conjurés disposaient de ressources énormes en armes et en munitions. Pour ce qui est de l'effectif de l'entreprise, rappelons la fourchette de 500 à 1000 hommes pour l'ensemble des événements du 8 juin. Nous nous basons là sur l'étude sérieuse de Georges Ribe, qui précise : « Le désarmement et l'arrestation des suspects semblent s'être faits quelque peu à la légère. Rien que pour Lyon, 248 individus furent enfermés dans les caves de l'Hôtel de Ville sans autre motif que de très vagues présomptions. Pour les campagnes, des colonnes mobiles les parcoururent et ramenèrent 300 personnes. Les insurgés s'étant hâtés de disparaître, il ne s'agissait là, le plus souvent, que de leurs parents ou de leurs comparses. »35(*).

    Pour ce qui est de la ville de Lyon, nous l'avons vu, l'événement le plus marquant pour les ultras, fut l'assassinat du capitaine Ledoux, le jeune officier de la Légion de l'Yonne.

    C'est dans les campagnes que l'agitation fut la plus vive. Le tocsin sonna dans onze communes : six au nord-ouest de Lyon, Charnay, Chazay, Anse, Ambérieux, Chessy et Châtillon ; cinq au sud-ouest : Saint-Genis-Laval, Irigny, Millery, Brignais et Saint-Andéol.

    Ces deux groupes étaient séparés par une distance de vingt à vingt cinq kilomètres. Pour ce qui était des revendications des insurgés, nous les avons déjà bien présentées, il s'agissait d'obtenir le pain à trois sous la livre, et de mettre au pouvoir l'Aiglon. Pour certains qui portaient la cocarde tricolore, cela devait aller de paire avec la République. On retiendra surtout pour le moment, la direction des violences vers les maires ultras et les curés.

    Il nous faudra tout au long de ce travail insister sur le caractère régional de cette insurrection, en illustrant le foyer de violences libératrices que constituait la ville de Lyon en ces années. Pour comprendre en effet pourquoi c'est dans cette ville et d'une manière générale au sein de la région Rhône-Alpes, que naquirent nombre de conspirations contre le royaume restauré, il nous faut déjà aborder la question de la formation l'identité politique de cette ville depuis la Révolution. L'enjeu sera de comprendre la spécificité de l'histoire lyonnaise, clef de la compréhension des formes prises par cette insurrection. Comme le précise l'historien Roger Chartier, la méthode sera de : « restituer à l'événement sa radicale et irréductible singularité, et, de l'autre, identifier les continuités occultées et paradoxales, qui l'ont rendu pensable »36(*).

    Premier cadrage historique des évolutions politiques de la ville de Lyon de la Révolution à ce complot de 1817

    La ville de Lyon est l'espace de notre étude. Il est donc primordial de revenir sur la formation de son identité politique en essayant de comprendre le poids joué par les différentes vagues de violences qui jalonnent son histoire. En effet, Lyon, ville romaine par excellence, va constamment oeuvrer pour s'émanciper du carcan de la centralité de l'Etat à partir de la Révolution française. Comme le note Bruno Benoit : « A partir de la Révolution, les violences en étant libératrices, émancipatrices, révolutionnaires deviennent véritablement collectives. »37(*). Notre étude de cas prend donc son sens dans une analyse du contexte post-révolutionnaire. Néanmoins pour le lecteur soucieux d'acquérir une vue d'ensemble de l'histoire des mentalités lyonnaises, nous lui conseillerons le petit ouvrage de l'historien Jean-Pierre Gutton, Histoire de Lyon et du Lyonnais38(*).

    Pour la période que nous retenons, de la Révolution aux années 1814-1817, la ville de Lyon va connaître cinq temps de violences collectives que l'on peut répertorier, selon la classification de Bruno Benoit39(*), de la manière suivante :

    1. 1786 : la révolte des « deux sous » : une révolte ouvrière, des violences annonciatrices.

    2. 1789/1790 : les violences révolutionnaires, des violences libératrices.

    3. 1793 : les violences en réaction à la Terreur jacobine, des violences émancipatrices.

    4. 1795-1798 : les violences de la Terreur blanche (royaliste), des violences réactionnaires.

    5. 1814-1817 : les violences liées au retour des Bourbons, des violences émancipatrices issues de deux traditions locales : bonapartiste et « libérale-révolutionnaire », se rejoignant dans une lutte commune contre ces deux Restaurations. Violences auxquelles répondent les royalistes par de sévères vagues de répression.

    Passons brièvement en revue ces différents épisodes de violences collectives à Lyon.

    Retenons déjà qu'à chaque fois, ces violences collectives donnent lieu à une violence répressive, variant selon la légitimité ou la dangerosité que le pouvoir accorde ou n'accorde pas à ces violences.

    1786 reste dans la mémoire lyonnaise le premier épisode de violences sociales de l'histoire contemporaine de la ville. Un lundi 7 août 1786, sur fond d'agitation sociale, une sédition des ouvriers de la soie se déclenche, aux cris de « Il n'y aura pas de navette sans les deux sols », pour réclamer une augmentation du prix de façon de deux sous par aune pour les unis, c'est-à-dire l'application du tarif promis depuis deux mois et qui avait déjà donné lieu à des heurts en 1744. Très vite, le mouvement entraîne dans son sillage le ralliement des chapeliers qui réclament une augmentation du prix de la journée de travail. Notons au passage que l'on retrouvera nombre de chapeliers au sein de la conspiration du 8 juin 1817. A l'origine, la protestation se veut pacifique mais très vite les violences naissent avec des jets de pierre au niveau de la place des Terreaux, occasionnant, au cours d'affrontements avec la maréchaussée, un mort et huit blessés40(*). Nous nous situons encore sous l'Ancien Régime et la Cour reste insensible aux revendications sociales des canuts et des chapeliers, jugés source de trouble à l'ordre public... Malgré l'intervention des chanoines-comtes41(*) de Lyon en tant que médiateurs entre les « séditieux » et les autorités, le travail ne reprend pas et poussent donc ces dernières à dissoudre le mouvement. Cela se traduit par la pendaison de trois ouvriers, dont Pierre Sauvage, un des meneurs du groupe des chapeliers, et d'un ouvrier piémontais, place des Terreaux le 12 août 1786. Cette révolte, qui appartient à l'histoire de la Fabrique lyonnaise, illustre parfaitement la rupture entre les autorités et la population. Elle est un parfait exemple des violences collectives à venir, et comme le note Bruno Benoit : « Ces luttes violentes de 1786 sont plus des combats de demain que d'hier. »42(*).

    Les violences libératrices de 1789/1790 sont le fait de l'agitation politique révolutionnaire mais sont aussi liées, comme ce sera encore le cas en 1817, à la crise des subsistances et au combat pour une juste fiscalité. En effet, un « état de foule » gagne les Lyonnais lorsqu'ils apprennent à la fin du mois de juin 1789, les premiers bouleversements politiques dans la capitale liés à la Révolution. Dés le 30 juin, de nombreux Lyonnais envahissent les rues et crient : « Vive le Tiers-Etat ; point de gabelles, point d'aides, point de capitulation, point de droits d'entrée, tous libres ! »43(*). Des heurts éclatent, des manifestants molestent des agents des octrois et saccagent leurs bureaux, situés aux entrées de la ville. Leur but est d'empêcher la taxation des produits entrants dans la ville, taxes ou octrois qui renchérissent les denrées de première nécessité mais aussi le vin, au détriment du peuple. Ces violences contraignent le Consulat à faire intervenir l'armée. Le 5 juillet 1789, l'ordre sera rétabli avec la reprise des octrois. Quelques émeutiers, rapporte Bruno Benoit, seront condamnés à la potence, aux galères ou au bannissement44(*).

    Mais le calme ne durera qu'une année45(*). Début juillet 1790, la situation économique et sociale ne s'améliorant pas dans la région, les révoltes anti-octrois redémarrent. Le 8 juillet en fin de journée, pas moins de 20 000 personnes envahissent la place des Terreaux. Quelques individus parviennent même à pénétrer dans l'Hôtel de Ville pour scander : « Point d'octrois, point de barrières, à bas les gapians, nous ne voulons plus payer, à bas les barrières où nous les brûlons... »46(*). Le mouvement de foule est telle, que la Garde nationale intervient. Les autorités municipales capitulent, les octrois sont supprimés le 10 juillet. Cependant, le roi impose le rétablissement de ceux-ci à la fin du mois, le retour d'affrontements encore plus violents devient inévitable. Le 26 juillet 1790, 2000 personnes partent de la place Bellecour marcher sur l'Hôtel de Ville, molestent sur place le maire et quelques officiers municipaux.

    Cette fois la Garde nationale sera secondée d'un renfort du régiment suisse de Sonnenberg. Mais malgré, la démonstration de force, les émeutiers tiendront le siège au cri de « Vaincre ou mourir » jusqu'au 20 août où le calme semble revenu. Naturellement, les octrois seront maintenus mais qu'au prix de l'installation de troupes de lignes au coeur de Lyon !

    C'est peu dire que ces 2000 insurgés lyonnais symbolisent la résistance à l'Etat central par des violences libératrices, politiques certainement mais avant tout motivées par leur refus d'une misère économique et sociale croissante. Comme le remarque avec justesse Bruno Benoit : « Il y a dans les violences collectives anti-octrois un face à face social entre ceux qui veulent plus de liberté et d'égalité et ceux qui ne veulent pas que les choses changent. »47(*).

    Elles sont les colères de la soif et de la faim de tous ceux qui vivement difficilement au sein de la seconde ville de France, qui compte alors 150 000 habitants. L'ampleur quasi-extraordinaire de ces violences collectives de 1789/1790 caractérise désormais irrémédiablement l'identité politique complexe des Lyonnais, forte d'une grande capacité de résistance à la répression, de toute nature soit-elle.

    Vient ensuite la terrible année 1793, spécialement pour la ville de Lyon qui va manifester son refus du jacobinisme par des violences émancipatrices. En effet, suite à la chute du roi à la mi-août 1792, s'exacerbent les tensions entre patriotes locaux, avec d'un coté les camarades de Joseph Chalier, dits les « Chalier », des montagnards exagérés partisans d'un gouvernement populaire, et de l'autre les modérés menés par Jean-Marie Roland et Louis Vitet, proches de la Gironde. Nous allons bientôt présenter le personnage de Joseph Chalier, présentation incontournable tant il aura marqué par réaction à ses excès idéologiques, la mémoire révolutionnaire lyonnaise. Notons déjà que l'on observe, avec la chute du roi, renaître le conflit « centre » contre « périphérie », Paris contre Lyon, sous la forme de l'affrontement doctrinal jacobins/montagnards contre girondins/libéraux. Tout l'enjeu de cet affrontement réside dans leur conception différenciée du recours à la violence. Sans surprise, le camp des « durs », les « Chalier » pour qui la Révolution et la République exigent tous les sacrifices, fussent-ils souvent en réalité de l'ordre du « défouloir », feront de la violence physique et verbale le moteur de leur cause. En effet, les « Chalier » veulent imiter les formes prises par les événements dans la capitale. Bruno Benoit rapporte les propos de Dodieu, un « Chalier » président de la section de la Juiverie le 27 août 1792 : « Imitons la cité de Paris et souvenons-nous que si la vie d'un seul particulier peut sauver le général et la patrie, nous avons le droit de l'immoler. »48(*). Cette question du recours à la violence va donc devenir la véritable « ligne de fracture », selon les termes de Bruno Benoit, entre les deux camps révolutionnaires lyonnais, avec pour paroxysme l'année 1793.

    Jouissant du climat de grandes tensions régnant à Lyon suite aux violences extrêmes, que nous avons déjà présentées, de l'été 1790, les « Chalier » vont exciter la scène politique locale de septembre 1792 à mai 1793. La République naît officiellement le 25 septembre 1792, et dés lors les « Chalier » feront tout pour monopoliser son contrôle local, pour ce qui concerne le niveau de la ville de Lyon. Présentons la figure de Joseph Chalier.

    D'origine sarde, né en 1747, Joseph Chalier a migré à Lyon pour y faire ses études puis s'y est installé comme négociant en soieries49(*). Chalier voyage beaucoup en Europe, puis finit par s'implanter à Lyon, en s'associant en affaires avec le représentant d'une famille de marchands-fabricants, Antoine-Marie Bertrand, futur « Chalier ». Elu comme notable au printemps 1790 dans la première municipalité lyonnaise, celle de Palerne de Savy, il devient officier municipal, en novembre 1790, aux côtés de Jean-Marie Roland dans l'équipe Vitet50(*). Suspendu de ses fonctions par le directoire du département de Rhône-et-Loire en janvier 1792, à la suite de plaintes de citoyens pour visites domiciliaires abusives, il se rend à Paris où la fièvre clubiste s'empare de lui après avoir rencontré Marat, l'homme qu'il admire et qu'il veut être à Lyon. Quand il rentre à Lyon le 24 août 1792, blanchi de toute accusation par Roland, ministre de l'Intérieur, il retrouve ses fonctions au sein de l'équipe municipale conduite par Vitet, puis par Nivière-Chol, lorsque Vitet devient député à la Convention. Il est encore plus convaincu qu'en 1790, n'avait-il pas alors écrit que Lyon est « une ville ingrate, une ville perfide qui renferme plus que tout autre les ennemis jurés de la plus heureuse, comme de la plus étonnante des révolutions »51(*), par l'idée que Lyon est une ville réactionnaire, voire contre-révolutionnaire, un repaire pour les ennemis de la Révolution. Pour Chalier, observe Bruno Benoit, il faut nettoyer Lyon de tous ses aristocrates, de tous ses riches, de tous ses « mangeurs d'hommes »52(*). Alliant la violence verbale à la violence physique, Joseph Chalier et ses comparses vont s'atteler à pousser à l'élimination de tous les ennemis lyonnais de la Révolution. La population lyonnaise rejettera leurs méthodes et mettra fin à leur radicale entreprise, en jugeant Joseph Chalier, guillotiné à Lyon le 16 juillet 1793, au terme d'un long procès. Revenons rapidement sur l'épisode Chalier pour comprendre l'inclinaison des Lyonnais au rejet de l'oppression.

    Les « Chalier » vont annoncer leurs méthodes dés le procès du roi. Leur arme favorite, remarque toujours Bruno Benoit, est la « parole assassine », le  « discours violent ». Bruno Benoit rappelle, par exemple, la séance du Club central des « Chalier », le 6 février 1793, où leur leader préconise l'installation de guillotines sur le pont Morand afin que les têtes tombent directement dans le Rhône. Le 9 mars 1793, Antoine-Marie Bertrand, l'associé de Chalier, accède à la mairie de Lyon, sous la pression de la Convention...parisienne. Les « Chalier » ont alors les mains libres pour mettre en oeuvre leur programme municipal :

    -création d'un tribunal révolutionnaire condamnant les aristocrates, royalistes, accapareurs, prêtres réfractaires, rolandins...

    - création d'une armée révolutionnaire.

    - taxation des riches.

    Les « Chalier » s'appuient sur la Société lyonnaise des Jacobins et sur le Comité lyonnais de Salut public. Cependant la résistance au « Chalierisme », cette dictature révolutionnaire inspirée du jacobinisme parisien, ne va pas tarder à s'organiser. Le 29 mai 1793, un soulèvement sectionnaire et majoritaire éclate contre cette politique dangereuse pour l'existence même de la ville. En effet, comme le remarque à juste titre Jean-Pierre Gutton : « Ceux que l'on nomme les « Chalier » appartiennent à des milieux modestes, mais rarement populaires. »53(*). Cette réaction à la Terreur révolutionnaire des « Chalier » intervient donc dans une ville où, est-il besoin de le rappeler, les rapports marchands de confiance dans le négoce structurent profondément les hiérarchies sociales locales. Le commerce et son esprit ont façonné l'identité tenace de la ville de Lyon, une identité faite à la fois de libéralisme politique et économique, et de tradition catholique. Cette identité, bourgeoise aux yeux des « Chalier », fédère les Lyonnais, et nous le voyons, durant tous les épisodes de répression de ses éléments. Ainsi comme le note Bruno Benoit : « Le 29 mai, quand Lyon dit non à Chalier, la majorité de la population lyonnaise refuse son discours anti-riches, amalgamant marchands-fabricants et chefs d'atelier, qui vise directement la prospérité de la ville, même si celle-ci n'est, en 1793, guère brillante. »54(*). En réalité, Joseph Chalier va échouer dans sa politique de jacobinisation forcée, précisément parce que le fonctionnement des rapports sociaux à Lyon n'est le même que celui de Paris, et que tenter d'opposer le monde de la Fabrique à celui du « Capital » relève de la simplification idéologique, même pour les travailleurs lyonnais...

    Dés lors, les « Chalier », en essayant de détruire ce traditionnel syncrétisme professionnel et ce notamment dans les métiers de la soie, vont provoquer un soulèvement armé le 29 mai 1793, dont les combats font plus de 40 morts, et conduisent à l'arrestation de Chalier et de la plupart de ses amis. Se met alors en place à Lyon une municipalité provisoire, républicaine mais libérale, ce qui coûtera la vie à son maire, le chirurgien Jean-Jacques Coindre, exécuté en novembre 1793. Revenons au mois de juin 1793. Comme l'indique Bruno Benoit, une fois encore la ville de Lyon s'inscrit à contre courant des événements parisiens du 2 juin qui voient les Montagnards et les sans-culottes prendre le pouvoir aux dépens de la Gironde. Les Lyonnais rejettent ce coup de force jacobino-montagnard et déclarent le 9 juin : « qu'ils regardent la ville de Paris comme étant en état de révolte contre l'égalité politique, la République une et indivisible et la souveraineté nationale, tant qu'elle retiendra dans ses fers une partie des représentants du peuple... »55(*). Le 8 juillet, les autorités provisoires lyonnaises vont même jusqu'à solliciter l'aide d'un royaliste, le colonel Précy, pour organiser et commander l'armée lyonnaise. Paris voit dans cette résistance, un acte contre-révolutionnaire, en confirmant l'opinion de ses ennemis la qualifiant de ville blanche. Les représailles du pouvoir central ne tardent pas. La Convention déclare le 12 juillet, la ville de Lyon comme étant en état de rébellion contre-révolutionnaire. Cette déclaration est de plus motivée par l'exécution à Lyon de Joseph Chalier, le 16, au terme d'un procès de ses violences. Paris, convaincue par l'idée que Lyon est redevenue un foyer royaliste, organise son siège avec l'aide de l'armée des Alpes, commandée par le général Kellermann. Lyon résiste tout de même 60 jours. Mais le 12 octobre 1793, la ville est officiellement « destituée » par le décret de la Convention : « Lyon fit la guerre à la liberté, Lyon n'est plus. »56(*).

    Comme le note Bruno Benoit : « Ce décret donne le coup d'envoi à une période de répression d'une rare violence à l'égard de Lyon qui a acquis, aux yeux du pouvoir central, une réputation de ville royaliste, de ville contre-révolutionnaire, ce qui sera une des conséquences longtemps indélébiles de son soulèvement et de sa résistance. »57(*). Les acteurs principaux de cette répression sont Couthon, Collot d'Herbois et surtout Fouché qui restera le symbole de cette Terreur révolutionnaire à Lyon dans la mémoire de ses habitants. Bruno Benoit, toujours, nous livre un aperçu de ses violences inouïes : « Prés de 1900 personnes, jugés sommairement, sont guillotinées place des Terreaux ou mitraillées dans la plaine des Brotteaux entre octobre 1793 et avril 1794, soit 1,5% de la population de la ville. Toutes les catégories sociales versent le tribut de sang à cette régénération physique... »58(*).

    Plus symbolique, les jacobino-chaliéristes s'en prennent aux façades de la place Bellecour, rebaptisée place de la Fédération, et privée depuis août 1792 de sa statue équestre de Louis XIV. La ville n'est plus que le chef-lieu d'un département « croupion », celui du Rhône, et elle perd son nom pour celui de Ville-Affranchie, pour retrouver un maire « Chalier » : monsieur Bertrand. De même, on assiste à un déchaînement anti-clérical, fort logique de la part des Jacobins qui vise là habilement une ville plutôt dévote. Une fête de l'âne est organisée le 8 novembre 1793, où un âne coiffé de la mitre pontificale traîne les saintes écritures attachées à sa queue...

    On assiste bien à la mise en scène d'une punition de l'Etat central, de Paris, sur Lyon, caricaturée sous les traits de la réaction royaliste chrétienne contre la jeune République jacobine et laïque. On comprend mieux, dés lors, le rôle moteur joué par la peur dans le déclenchement de ces vagues de répression. Comme le note l'historien Jean-Pierre Gutton : « L'histoire de Lyon est une succession de réactions, de gauche ou de droite, qui manifestent la peur que la ville inspire aux différents gouvernements. Pour l'heure, il s'agit d'une Terreur jacobine. »59(*). Pour Bruno Benoit, ces violences collectives des années 1793-1794 sont une véritable guerre civile, d'abord lyonno-lyonnaise puis entre la Convention et Lyon. Comme il le remarque judicieusement : « Deux visions de la République/Révolution s'affrontent, le centralisme contre le pouvoir local, le pouvoir des sociétés populaires contre celui des sections où dominent les citoyens responsables, la Terreur contre la Liberté. »60(*).

    En ces années marquées donc par les excès révolutionnaires, Lyon fait figure de ville martyre car elle concentre en elle trois camps aux motivations différentes :

    - Les « exagérés » dont nous avons vu qu'avec les partisans de Chalier, même minoritaires, en usant et abusant de la violence, ils ont profondément meurtri les Lyonnais, auxquels ils voulaient imposer la face la plus obscure de la Révolution.

    - Les « modérés », majoritaires à Lyon, plus enclin au dialogue qu'à la force, ce sont les véritables hommes de 1789, épris du principe de liberté et de respect de la religion. Ils formeront les libéraux sous la Restauration.

    - Les royalistes, qui de façon discrète, ont pu infiltré les « modérés » dans leur résistance à la Terreur jacobine.

      C'est ce dernier camp, qui exploitant les divisions locales entre révolutionnaires lyonnais, va prendre le relais des violences collectives. La ville de Lyon, à peine remise de la Terreur rouge des « Chalier » et autres Montagnards et Jacobins, va connaître à nouveau des violences réactionnaires de 1795 à 1798, celles royalistes de la Terreur blanche, véritable réaction aux violences de la Terreur révolutionnaire.

    Cette quatrième vague de violences au sein de la ville de Lyon, selon notre fourchette retenue, est d'une grande importance car c'est en partie « elle », ou plutôt son souvenir ambivalent d'un potentiel extraordinaire d'affirmation par cette ville de son autonomie et de sa liberté par les armes, qui va réveiller encore plus tard l'esprit de résistance des Lyonnais sous la Restauration.

    Avec la chute de Robespierre en août 1794 et le recul des Montagnards et des Jacobins, victimes de leurs excès de violences, la Convention renouvelée décide, le 7 octobre 1794, d'accepter d'annuler le fameux décret du 12 octobre 1793, qui bannissait littéralement la ville de Lyon et ses habitants. Très vite, le désir de vengeances de certains Lyonnais à l'égard des « Terroristes » chalieristes et de leurs méfaits, prend le pas sur le retour au calme et à la modération politique, et une Terreur blanche se développe durant le premier semestre de 1795. En effet, suite à la Terreur rouge, nombreuses sont les familles de Lyonnais à déplorer la perte d'un de leurs membres et la haine pour les « mathevons », terme local désignant les jacobins et les terroristes sans-culottes, s'accompagne du désir de vengeance.

    Les royalistes, présents en nombre considérable à Lyon, profitent de ce climat de règlement de comptes pour amorcer leur projet de reconquête de la ville. Ils excitent les esprits et organisent des chasses aux mathevons. Dés novembre 1794, des chants contre-révolutionnaires emportent des bandes de royalistes et de Lyonnais assoiffés de vengeance.

    Les violences blanches éclatent en février 1795 à Lyon, ce qui est un peu plus tôt que dans le reste de la France, cette dernière touchée dans son ensemble par un reflux royaliste. Dans le Rhône, cette Terreur blanche est menée par les Compagnons de Jésus, qui était, selon Jean-Pierre Gutton : « une société secrète dont, à dire vrai, on ignore tout. »61(*). Ses membres, de jeunes royalistes obsédés par leur dévouement à Dieu et au Roi, traquent les derniers « Chalier » et autre Montagnards et Jacobins reclus au sein de la ville. Selon les recherches de Bruno Benoit, ils égorgeaient massivement leurs victimes62(*).

    Mais les violences les plus marquantes ne sont pas le fait directement des Compagnons de Jésus. Elles interviennent en réalité lors des procès d'anciens « Chalier ». Ainsi, dans l'après midi du 14 février 1795, lors du transfert de Joseph Fernex, un ancien « Chalier » membre de la Commission révolutionnaire de Lyon, vers la prison dite de Joseph, des passants le reconnaissent, parviennent à le soustraire de ses gardes et après l'avoir tabassé, le jette dans le Rhône. Deux mois plus tard, en mai 1795, des massacres éclatent dans les prisons. Ainsi, le 4 mai 1795, doit comparaître devant le tribunal criminel, Etienne Bonnard, membre du comité révolutionnaire de Vaise. Lorsqu'il regagne la prison de Roanne, une foule immense, de 30 000 à 40 000 personnes63(*), réclame sa tête ainsi que celles d'autres « mathevons ». La foule envahit la prison et tue les prisonniers. Le lendemain, elle s'attaquera à d'autres prisons. Une partie du peuple lyonnais, excitée par les royalistes, a donc décidé de se rendre justice elle-même, en ce qui concerne les anciens bourreaux de la Terreur rouge.

    Ainsi selon Bruno Benoit : « Le bilan des massacres de Floréal (mai 1795) avoisine la centaine de morts et le total des mathevons tués durant ce semestre de Terreur blanche tourne autour de 400 personnes. »64(*). Comme l'observe Jean-Pierre Gutton : « Ce qui pouvait apparaître le plus inquiétant dans la réaction lyonnaise était en effet son aspect anti-républicain. »65(*). Cependant, il faut garder en mémoire que ce reflux royaliste suivi par certains Lyonnais intervient à peine deux années après les massacres de la Terreur rouge, et que la rancoeur des Lyonnais à l'égard de la Convention n'est dés lors qu'un juste retour face l'oppression subie de la part de cette dernière. De plus, ces violences collectives réactionnaires sont facilitées par le travail d'enveniment de la situation par des royalistes à Lyon, menés notamment par Imbert-Colomès, qui ont depuis 1790 infiltré différents rouages administrativo-politiques.

    Assez tardivement, la Convention inquiète de la tournure que prennent les événements en province et surtout à Lyon, se décide à réagir. Le 24 juin 1795, pour éteindre la Terreur blanche à Lyon, la Convention pousse à la mise en place d'une nouvelle équipe municipale, et ce afin d'éviter que ne s'installe encore durablement un climat de guerre civile. En effet, c'est bien toujours le spectre de la guerre civile à Lyon qui inquiète le pouvoir central. Comme le note à juste titre Jean-Pierre Gutton : « Désormais, l'histoire de Lyon est entièrement dépendante des décisions de Paris qui la surveille d'ailleurs soigneusement. »66(*). En effet, en cette année 1795, la ville de Lyon, affaiblie de plus par les difficultés économiques, est un enjeu important pour les royalistes locaux comme Imbert-Colomès que l'on retrouve à la tête de complots voués à l'échec en novembre. Ce climat de tensions insufflé par le retour des royalistes sur la scène politique local incite les Jacobins du pouvoir central à redoubler la surveillance de la ville. Le 1er juillet 1796, le Directoire autorise le commandement militaire de Lyon à proclamer l'état de siège de la ville si la situation le réclame, ce qui arrivera le 2 février 1798. Cependant malgré, et peut-être à cause, de cet encadrement tout droit organisé par l'Etat central, les Lyonnais, lors d'élections d'avril 1797 pour le Conseil des Cinq-Cents, élisent, au suffrage censitaire, deux royalistes locaux : Imbert-Colomès et Camille Jordan, ce dernier rejoindra les libéraux plus tard... Pour Bruno Benoit, ce choix de ces deux royalistes : « prouve que les élites lyonnaises refusent la violence, mais préfèrent le royalisme à la République. »67(*).

    Cette analyse est pertinente dans le sens où effectivement, au travers de ces violences réactionnaires royalistes, une partie des Lyonnais a manifesté son refus de la République autoritaire et sanguinaire des « Chalier » et des Jacobins. Mais peut-on pour autant en conclure que Lyon en ces années s'affirme à nouveau comme une ville blanche ? La réalité semble complexe. Depuis que la ville vit depuis juillet 1796 sous la menace d'un état de siège par la main de Paris, les élites locales manifestent à nouveau leur « distinction », pacifiquement par la voix des urnes, en réaction aux couleurs politiques de la capitale jacobine, donc en se tournant à nouveau vers les royalistes. Ces velléités provinciales inquièteront toujours Paris qui finira par déclarer la ville de Lyon, en état de siège le 2 février 1798.

    Les violences diminuent dés cette date et les Lyonnais réincarneront le salut de leur ville dans la personne de Napoléon Bonaparte, qui de retour d'Egypte viendra inquiéter Paris en faisant étape à Lyon, où il y manifestera une ferveur particulière pour ses habitants, ces derniers lui rendront amplement en lui assurant une certaine fidélité à venir...

    En effet, en cette fin du XVIIIème siècle, les Lyonnais, las de toutes ces violences, révolutionnaires ou royalistes, voient dans Napoléon, le « Sauveur » face à l'oppression centrale. Le 13 octobre 1799, Napoléon fait étape à Lyon. Ses habitants illuminent et l'acclament quand il paraît au théâtre où l'on joue une pièce improvisée Le Héros de retour. C'est depuis cette étape que s'enracine le Bonapartisme lyonnais qui nourrira les insurrections à venir à l'encontre des ultras...

    Essayons de faire un bilan de l'état des forces politiques à Lyon suite à ces différentes vagues de Terreur, rouge puis blanche. Bruno Benoit résume parfaitement le tiraillement du peuple de Lyon entre trois forces politiques en cette fin d'année 1799 : « A Lyon, les prétendants au pouvoir sont au nombre de trois : les partisans d'une République sociale, minorité qui cultive l'héritage des « Chalier », les partisans d'un régime modéré qui sont des libéraux qui se souviennent du 29 mai, du fédéralisme et de l'esprit de résistance lyonnais, et enfin les partisans de la monarchie, ceux qui veulent le règne du Roi et de Dieu. Quant à la majorité de la population, elle suit les élites modérées quand celles-ci lui montrent le chemin, ce qui a été le cas en 1793. En revanche, quand ces élites ne maîtrisent plus la situation, comme en 1795, la majorité de la population peut-être tentée par les extrêmes. Les ingrédients d'une guerre civile permanente sont bien réunis à Lyon et les violences collectives ne peuvent qu'entraîner à leur tour d'autres violences... »68(*).

    Nous en arrivons à la cinquième vague de violences collectives des Lyonnais amenant notre conspiration du 8 juin 1817. Ces violences émancipatrices des années 1814-1817 se manifesteront par la singulière rencontre du Bonapartisme avec la tradition révolutionnaire. Cette fois l'ennemi est le royaume ou plutôt l'inertie des royalistes face à la crise économique, et leur despote en privant les citoyens redevenus sujets, de leurs libertés publiques fondamentales.

    Pour comprendre, ce retour à l'usage de la violence des Lyonnais sous la Restauration de Louis XVIII, donc qui plus est contre la monarchie alors que tous voyaient cette ville acquise à la cause du roi suite à la Terreur blanche, il faut garder à l'esprit le changement de paramètres induit par le retour de Napoléon et l'Empire.

    Le Directoire avait laissé la ville démographiquement diminuée, matériellement défigurée, socialement désorganisée, économiquement exsangue et politiquement déchirée69(*).

    Sous l'Empire, Lyon retrouve sa population ou presque, Bellecour ses façades, ses élites traditionnelles, son dynamisme textile et commerciale. Elle bénéficie d'un maire nommé par le pouvoir central, Fay de Sathonay, ancien royaliste modéré rallié pourtant à Napoléon. Comme le suggère Bruno Benoit à propos de ces nouvelles années pacifiées à Lyon: « Napoléon n'est-il pas le meilleur garant, en attendant une éventuelle Restauration, de l'ordre social, trop souvent perturbé sous la Révolution, de la prospérité économique et de la réconciliation religieuse ! »70(*). Et en effet, si l'on passe outre quelques complots monarchistes à l'encontre de Napoléon71(*), tous déjoués, l'Empire est une période de modernisation importante du pays et surtout de son Etat. Mais à partir de l'année 1810 resurgissent les difficultés économiques fragilisant ainsi le régime.

    Le commerce recule et la misère refait son apparition chez les canuts, ce qui laisse présager de nouveaux troubles politiques locaux au regard du fonctionnement socio-politique de la ville, déjà présenté précédemment. Ces inquiétudes expliquent le fait que les Lyonnais n'offrent pas d'avantage de résistance, ils ont déjà payé un lourd tribut, à l'entrée des Autrichiens dans leur ville le 21 mars 1814. Pourtant, on ne peut conclure à l'abandon de la ville aux Bourbons.

    Certes la municipalité lyonnaise reconnaît le 8 avril 1814 cette première Restauration en la personne de Louis XVIII, mais le peuple de Lyon ne semble pas suivre ses élites au regard de l'accueil triomphal qu'il réserve à l'Empereur de retour de l'île d'Elbe.

    Le 13 mars 1815 est un symbole important dans l'histoire de l'identité politique lyonnaise. Ses habitants accueillent en effet l'Empereur, canuts en tête, aux cris de : « Vive l'Empereur ! Mort aux royalistes ! A bas les prêtres ! »72(*). On observe bien là un sursaut jacobino-républicain de la population, prête à oublier les violences subies hier par les « Chalier », pour mieux combattre celles présentes des ultras. Comme le remarque Bruno Benoit : « Les élites royalistes sont déconsidérées à l'image du comte de Fargues, le maire ultra de Lyon, et les élites bourgeoises ne savent plus à quel régime se vouer, les exagérés imposent leurs vues à la population et la peur s'empare alors de la ville. »73(*). En réalité, un climat de grande confusion politique et idéologique règne à Lyon après la défaite finale de Napoléon à Waterloo. L'ordre ancien semble être revenu durablement en France alors qu'à Lyon se cultive l'idée de ramener la République avec l'Empereur. Bruno Benoit résume parfaitement la situation politique locale : « Malgré le royalisme affiché par une partie de ses élites, Lyon est une ville à surveiller, car depuis mars 1814, les descendants des « Chalier » ayant épousé la cause napoléonienne, seule manière de résister à l'ordre ancien, s'est alors opérée à Lyon, aux yeux du pouvoir central, la confusion entre bonapartisme et tradition révolutionnaire. »74(*).

    Nous en arrivons donc enfin aux années 1815-1817, présentées précédemment, ces années marquées par les rumeurs de complots divers, toujours à l'encontre de Louis XVIII qui règne sans grand soutien populaire et entouré d'ultras manipulant le sentiment de peur à leur seuls profits personnels. Les ennemis officiels du « nouveau » régime restauré une seconde fois en la personne de Louis XVIII sont désormais les Bonapartistes ligués avec les Jacobins.

    On ne compte plus les rumeurs de complots bonapartistes, alimentant un climat de peur, marqué par les lettres anonymes et les délations en tout genre. Ce climat trouve son paroxysme avec l'échec des ultras à convaincre le roi de ne pas dissoudre la Chambre. La Chambre dissoute le 5 septembre 1816, cela signifie concrètement l'organisation prochaine d'élections, élections que redoutent les ultras locaux au regard de la montée en puissance des royalistes constitutionnels (des modérés) et pire encore pour les ultras, de celle des libéraux.

    En cette fin d'année 1816 et début de 1817, l'enjeu des ultras lyonnais est donc d'effrayer à nouveau la population en réveillant ses souvenirs des violences collectives subies et longuement exposées précédemment. Le spectre de « la guerre civile », mal qui a tant meurtri Lyon, est donc l'arme des ultras au service de leur despote. Multiplier la propagande autour de complots, parfois réels, souvent exagérés... Infiltrer les groupes de dissidents...Provoquer parfois l'émeute puis diaboliser les desseins des conspirateurs...Tels sont quelques éléments de la stratégie ultra.

    C'est donc dans ce climat fait, tout à la fois de résistance réelle au régime restauré que d'exploitation par les ultras d'entreprises secrètes naissantes, que va éclater la grande affaire lyonnaise de la conspiration du 8 juin 1817.

    Ces années 1814-1817 à Lyon sont, en réalité, plus marquées par les peurs que par les violences collectives ouvertes décrites précédemment. Ces peurs sont peut-être même plus le syndrome des ultras locaux voyant dans la montée en popularité des royalistes constitutionnels incarnés par Camille Jordan, et entraînant avec lui les élites libérales, un danger imminent à l'approche des élections d'octobre 1818. En effet, cette maturité politique que le peuple de Lyon va manifester à partir de 1817, en soutenant notamment les insurgés de juin, fussent-ils même accusés d'avoir comploté contre le royaume, puis en se tournant vers les voix « modérés » lors des élections de 1818, résulte de l'assimilation mentale de ces différentes périodes de « Terreur » subies depuis 1786.

    Avant de présenter notre protocole d'étude de l'affaire du 8 juin 1817, essayons brièvement de retenir les grands traits de la mentalité politique lyonnaise, et ce afin d'orienter cette recherche sur les formes de sa réception et de sa réaction à la violence économique et politique du régime de Louis XVIII. Bruno Benoit conclue son analyse de cette mentalité politique lyonnaise par le qualificatif de « modérantiste ». Nul n'ignore en effet comment la notion de « centre » sur l'échiquier politique français a trouvé au XXème siècle son expérimentation à Lyon, des municipalités d' Edouard Herriot à celle de Raymond Barre. Cependant ce processus de maturation politique amenant cette ville à une certaine stabilité politique au XXème siècle s'est réalisé, nous l'avons vu et il le fallait, au prix de cycles de violences collectives particulièrement aigus. Cette stabilité est certes l'oeuvre des élites libérales locales, mais ces dernières ont réussi leur entreprise car elles seules ont compris et respecté les spécificités du fonctionnement socio-politique de cette ville. Ces élites se sont appuyées sur l'événement fondateur de la mémoire politique « modérantiste » lyonnaise : le martyrologe de 1793, suite au décret de la Convention qui excluait Lyon de la République : « Lyon n'est plus ». Cet épisode ancre en effet dans la mentalité politique lyonnaise son exigence d'une identité politique consensuelle75(*), en refusant à partir de 1905 les extrémismes politiques... Pour cerner les réalités des événements du 8 juin 1817 et notamment celle de la portée du complot au regard de la propagande des ultras, il nous faudra garder à l'esprit le poids de ce martyrologe, et surtout la complexité de sa transmission. En effet, si les Lyonnais ont résisté aux « Chalier » et à leur Terreur rouge, était ce vraiment le signe de la réaction royaliste ou n'était ce pas plutôt à la fois un refus de leur part de violences injustifiées déstabilisant les équilibres socio-économiques fragiles de la ville, un refus d'une conception centralisée de la République niant le libéralisme politique de la Révolution, un refus peut-être aussi de l'anti-cléricalisme jacobin, enfin en somme un refus de la politique de division de la société lyonnaise, accompagnant nécessairement ces vagues de Terreur et menant irrémédiablement à des guerres civiles récurrentes. Bruno Benoit confirme ce constat que nous devrons mémoriser comme clef de l'histoire des violences à Lyon : « Depuis 1793, Lyon a été secoué par la révolution, la réaction et l'anarchie. Le rouge, le blanc et le noir sont donc les trois couleurs symboliques du tableau des violences historiques lyonnaises, tableau que Lyon voudrait effacer définitivement, car à chaque manifestation de ces violences, sa mémoire politique étant là pour l'enregistrer mais aussi pour le rappeler, la guerre civile, la mort et l'appauvrissement soufflent entre Saône et Rhône. »76(*).

    Ainsi les excès de la Terreur  blanche ne sont pas le fait d'un ensemble représentatif du peuple lyonnais mais plutôt d'une minorité excitée de royalistes locaux saisissant l'opportunité d'une réaction d'un autre ensemble plus important de victimes de la Terreur rouge précédente, réglant ses comptes avec les derniers « Chalier » et autre mathevons, pour user du terme local. Lyon est une ville profondément libérale qui n'accepte en réalité pour « chefs » que les garants de sa prospérité économique. Dés lors, le rejet de Louis XVIII par les Lyonnais s'inscrit pleinement dans ce cadre de leur défiance face à l'inertie de son régime concernant la crise économique que connaît la région dans ces années 1815-1817. Ils ont apprécié la place accordée à leur ville par l'Empire. Pour s'en convaincre, on retient l'accueil chaleureux qu'ils manifestent pour Napoléon en mars 1815. La nostalgie bonapartiste va alors se mêler à l'espoir d'un retour à la République pour les libéraux et les révolutionnaires lyonnais, Napoléon pouvant alors étrangement incarner ce retour... Pour Bruno Benoit : « En 1815, le non aux Bourbons est un refus de revenir à l'Ancien Régime, tandis que le oui à l'Empereur est fait à l'homme qui a reconstruit la ville et non à son régime. »77(*). L'historien prouve à nouveau la réalité des attentes progressistes de ses habitants en rapportant le constat d'un voyageur anglais de passage à Lyon en septembre 1815 : « Aucune population n'est plus sensible que les Lyonnais aux grands avantages qu'a produits la Révolution et nulle ne fait plus de voeux pour ne pas revenir à l'Ancien Régime. »78(*).

    Face à cet esprit de méfiance du peuple lyonnais envers le pouvoir central, les royalistes en cette année 1817, désastreuse sur le plan économique, surveillent d'autant plus grandement la deuxième ville du royaume restauré. Nous avons vu comment ils usèrent de la manipulation, notamment par le biais de la rumeur, pour installer un climat de suspicion envers les bonapartistes et les libéraux dés l'année 1816. Nous pouvons dés lors nous lancer dans l'étude de cette affaire du 8 juin 1817 en présentant ces différentes réalités, et surtout en exposant les usages faits de la violence et de la justice.

    Justifications théoriques de cette étude

    La première justification théorique de cette étude que je tiens à exposer, est celle de la méconnaissance ou de l'oubli de ces événements au niveau de l'histoire nationale, intervenus pourtant à la périphérie et au coeur de la deuxième ville de France. Cette remarque a d'autant plus de sens si l'on observe que cette conspiration lyonnaise de 1817 sera suivie d'autres entreprises de ce genre, dans la région mais aussi à Paris, réactualisant ainsi le mode secret d'organisation et de contestation politique en Europe. Les périodes de Restaurations en Europe ne seront pas les seuls espaces à connaître nouveau la pratique politique du complot, mais bien l'ensemble du XIXème siècle sera concerné, où les violences collectives spontanées seront souvent appuyées des techniques du secret. Ce travail s'inscrit donc dans une démarche contributive. Contribuer à la (re)découverte de la singularité de ces événements, dans le cadre de l'histoire locale de la ville, mais aussi dans le cadre des études des formes variées de la lutte républicaine en France au XIXème siècle. Cette contribution est le fait d'un Lyonnais d'origine, tenu par le goût de comprendre l'histoire de la construction identitaire de sa ville natale. Une ville qui, le lecteur l'aura déjà réalisé, pâtit d'une réputation erronée d'immobilisme politique. Modifier ce regard infondé faisait aussi parti de mes intentions lorsque j'ai découvert par hasard l'existence de cette affaire politique lyonnaise...

    Sur le plan académique, l'enjeu de ce travail est donc de contribuer à l'étude des usages et des formes de la violence émancipatrice à partir d'un cas précis. Etude de cas donc, dans le champ plus général des recherches sur la thématique du secret en politique79(*) et de sa mise en oeuvre au sein d'entreprises politiques, plus ou moins bien organisées selon les acteurs, que sont les complots bonapartistes et/ou républicains sous la Restauration en France.

    Ces périodes de Restauration en Europe sont tout autant marquées du poids de l'oppression des royalistes que du souffle de résistance qu'incarne le jeune mouvement libéral, notamment par son soutien ou sa participation directe aux actions clandestines des Carbonari en Italie, suivies rapidement de celles de la Charbonnerie en France. Au terme de cette étude, nous réaliserons comment le soutien des parties les plus « modérées » de la société française de 1817, royalistes constitutionnels et élites libérales, aux accusés de cette « conspiration-insurrection » fera de cette dernière un élément repère dans l'histoire politique du mouvement libéral lyonnais mais aussi dans l'histoire sociale de la ville, du fait de la force du caractère économique des revendications des insurgés. Cependant, du fait du caractère politique singulier de l'entreprise, mêlant des individus se réclamant du bonapartisme, des révolutionnaires souhaitant le retour à la République, des éléments anti-cléricaux et de simples « insurgés de la faim », nous ne pourrons conclure à une appartenance directe aux oeuvres de la Charbonnerie française, la grande milice secrète libérale. Venons-en à l'objet et aux objectifs de ce travail.

    Objet et objectifs de ce travail

    L'objet cette étude est double, à la fois local et national. En effet, les faits étudiés se déroulent à Lyon et dans sa périphérie, mais l'ampleur que prend l'affaire est réellement nationale. Dés lors, l'analyse de cet événement qualifié de conspiration sera, d'une part une porte ouverte sur l'exploration de la construction d'une partie de l'identité politique complexe de la ville de Lyon, et d'autre part une piste de réflexion sur les usages faits de la violence et de la justice en 1817. Le fil conducteur de l'étude sera la question constante des réalités de l'événement sous le vocable de conspiration, conjuration ou complot. Des éléments de définition de ces termes suivent... Ainsi, mais nous l'avons déjà évoqué, cette question du caractère clandestin et surtout prémédité de l'insurrection devra être examinée au regard de la propagande des ultras, des formes de leurs manipulations, comme notamment celle de la provocation policière de l'événement par infiltration de l'entreprise. Dés lors, nous exposerons les divergences des thèses des historiens au sujet de l'affiliation de cette insurrection à une conspiration préexistante. Retenons, comme je l'ai déjà précisé antérieurement, que l'événement existe dans tous les cas sous le registre de la conspiration ou du complot, puisque il a été stigmatisé comme tel par les royalistes, que des accusés ont révélé avoir été « initiés » et surtout que l'histoire a donc retenu ces faits sous ce vocable. On observe bien là une existence symbolique indéniable de l'événement en tant que conspiration. Il nous restera à essayer d'entrevoir au-delà de la mise en scène politique de celui-ci, les réalités secrètes du projet des insurgés. De même, le thème de ce mémoire est tout autant le secret, l'action politique clandestine que le recours à la violence des conjurés et des insurgés, comme des forces de la répression : police et justice. Pour comprendre les usages faits de ces violences, il faudra assimiler leurs éléments déclencheurs, ou vectoriels, pour chacune des parties. Pour les insurgés, la crise des subsistances et le climat politique d'incertitudes liées à la Charte seront déterminants. Et du coté des ultras, la montée des « modérés » et surtout le discrédit frappant l'inertie politique du gouvernement, les amèneront à intensifier leurs investigations policières et à durcir grandement « leur » justice en matière des actes qu'ils assimilent à des conspirations, donc à des menaces directes à l'intégrité du royaume. Cette insurrection assimilée à une conspiration appartient au registre des violences collectives émancipatrices de l'histoire de la ville de Lyon, dont nous avons déjà exposé certaines précédemment. L'étude de cet épisode appellera l'observation des plans des conjurés, du déroulement du complot et de son échec. Mais surtout, cette analyse supposera la description minutieuse du contexte politique et surtout socio-économique de la ville de Lyon et de ses campagnes dans ces années troubles que sont les années 1815-1820 en France. Nous insisterons beaucoup sur le facteur socio-économique déclencheur d'un complot qui s'apparente beaucoup à une insurrection populaire. En effet, nous devrons décrire le climat de tension que génèrent tant la répression des libertés publiques par le régime de Louis XVIII, notamment lors de l'épisode dit de la « terreur légale » de l'automne 1815, que la crise des subsistances qui sévit dans la région en 1817. Ainsi, se posera rapidement la question de la nature politique de l'entreprise. Les insurgés se mobilisèrent-ils par simple nostalgie bonapartiste ? Ou réelle aspiration républicaine ? Ou encore ne s'agissait-il pas en réalité d'une conspiration « imaginaire »80(*) ?... La « réalité » est certainement complexe. C'est pourquoi, nous parlerons des réalités possibles de ces événements. La complexité humaine de nos sociétés rend leur histoire complexe également, pour reprendre un terme cher à l'historien, sociologue Edgar Morin81(*).

    Conspiration : complot secret tramé contre la chose ou les personnes publiques. Le nombre et la fréquence des conspirations attestent le mauvais état de la société ou la mauvaise conduite du gouvernement, ou l'un et l'autre ensemble. (Guizot). On conspire partout, et beaucoup plus contre les mauvais gouvernements que les bons. (Guizot). Tiré de Pierre Larousse82(*), Grand Dictionnaire Universel du XIXème siècle, tome IV, « C », Paris, librairie classique Larousse et Boyer, 1869, pages 1011 et 1012.

    Conspiration, conjuration : union de plusieurs personnes dans le dessein de nuire à quelqu'un ou à quelque chose. Tiré de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, tome IX, p.120.

    Conspiration : n.f (v.1165) est emprunté au latin classique conspiratio « accord » et surtout, en mauvaise part, « complot ». D'abord employé en parlant d'un complot politique, conspiration est également employé (1673) à propos d'une cabale dirigée contre une personne. Son autre sens de « concours de forces vers un même but » (1561) est archaïque. Tiré de Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, tome 1 « A à E », 1381 pages, p.863.

    En effet, une attention particulière devra aussi être prêtée au contexte politique troublé au sein duquel cette affaire intervient. Durant l'été 1815, la France connaît à nouveau une violente vague de Terreur blanche (royaliste), qui se transformera sous la main des députés ultras en une Terreur légale au sein de la Chambre introuvable, d'octobre 1815 jusqu'à la dissolution de la Chambre le 5 septembre 1816. Nous pouvons à présent énoncer la problématique de cette étude. Elle peut se résumer à la question suivante : Comment dans un contexte d'incertitudes sociales et politiques de montée des revendications économiques due à une crise des subsistances, peut s'organiser une « résistance » à un régime d'oppression morale et policière ? Il s'agira globalement de montrer comment la redécouverte de l'action politique clandestine est un mode de résistance singulier, peut-être même incontournable au sein de la société française sous la Restauration. Nous verrons pour cela comment les techniques du secret peuvent s'allier à une véritable culture de la violence que dispose de manière ambiguë le peuple de Lyon, tantôt victime de la violence, tantôt auteur de celle-ci, lorsqu'il décide de réagir à la réaction politique du pouvoir central.

    Cette problématique s'articule donc autour du couple Secret/Violence s'activant dans le contexte d'un régime verrouillant « sa » société, et du couple Police/Justice, « pilier », « gardien » de l'ordre des ultras. Dés lors, ces deux couples, d'une part le couple Secret/Violence, et d'autre part le couple Police/Justice, vont s'affronter. L'enjeu de cette étude sera donc l'analyse des formes de cet affrontement à partir du cas de cette conspiration dans le Rhône, le 8 juin 1817. Cette analyse nourrira de plus notre réflexion sur les usages faits de la violence par les deux « parties » : les insurgés et les ultras, dans le contexte de l'affirmation du réformisme politique, qu'incarnent les libéraux, les constitutionnels et les indépendants. Nous retrouverons là à nouveau la question traditionnelle des degrés de légitimité de l'action politique révolutionnaire clandestine face au légalisme des élites « modérées », qu'elles soient monarchistes constitutionnelles ou libérales. Cette question des formes légitimes de « résistance » politique prendra d'autant plus de sens dans une observation indispensable des mises en scènes politiques des événements du 8 juin 1817.

    Conspiration ou insurrection ? Nous ne pourrons vraiment trancher, mais plutôt démontrer comment son récit déformé par les manipulations de la propagande ultra viendra légitimer la répression aigue de toutes les entreprises politiques secrètes à venir... Cette stigmatisation/diabolisation du complot politique s'appuie sur des techniques, elles aussi, obscures de désinformation, comme celle de la propagation de rumeurs alimentant le climat de peur, satisfaisant les intérêts des ultras. C'est le triptyque déjà évoqué Rumeurs-Manipulations-Conspirations. Sans pour autant céder trop hâtivement à ce schéma, nous devrons donc nous interroger sur l'existence initiale de cette conspiration et le rôle de l'entreprise d'intimidation policière quant à son déclenchement. Si il est clair, nous le verrons, que l'entreprise secrète était déjà infiltrée, nous verrons dans quelle mesure la conspiration fut provoquée. Ce schéma de complots anti-ultra provoqués était d'ailleurs courant sous la Restauration. Ce qui ne remet par autant en cause l'existence initiale du projet de conspiration...

    L'instrumentalisation de ces tentatives « contrôlées » de mise en action d'un plan secret, d'une stratégie de résistance, de réaction à la réaction, se poursuivra naturellement pour le camp ultra par une légitimation dés lors simplifiée, l'affaire aura tellement été diabolisée avant même sa naissance, de sa politique de répression : policière et judiciaire.

    Venons-en à notre protocole d'étude, c'est-à-dire à la progression de celle-ci. Ce mémoire évolue selon trois thèmes qui correspondent aux trois temps de réflexion sur notre problématique. Le premier temps de ce travail consistera à la mise en place du contexte historique national et local (1793-1817) de ces événements. Ce premier thème de cadrage historique sera plus court que les autres au regard de la première bonne présentation détaillée et volontaire dés l'introduction de ces années, notamment pour l'histoire de la ville de Lyon. En réalité, ce premier point sera donc plus axé sur la situation politique et économique de la France mais surtout de Lyon et sa région, sous les premières années du second régime de Louis XVIII : 1815-1817 (I). Au cours de ce premier thème de mise en place de l'affaire, nous présenterons la détérioration sérieuse et précoce de la société française en ces années, avec d'une part de grandes tensions politiques nationales et locales entre « modérés » et ultras, et d'autre part un état dégradé et se dégradant de l'économie et de la société dans la région Rhône-Alpes durant ces années 1810-1820 et avec comme point d'orgue une grave crise des subsistances en 1817. Le constat du règne d'un ordre moral et policier mais d'un désordre politique, économique et social complet de la société de Louis XVIII, traversée en plus par la reprise du bouillonnement intellectuel du libéralisme, nous permettra d'aborder les réalités de l'affaire de cette conspiration du 8 juin 1817 dans le Rhône. Le deuxième thème de ce travail sera donc orienté sur la question du complot bonaparto-républicain, de son déclenchement et de ses suites immédiates. Il s'agira dans ce second temps d'aborder la question de la nature politique singulière de l'entreprise, en s'interrogeant notamment sur son affiliation directe à une conspiration, en présentant naturellement des explications possibles au soulèvement indéniable, sa mise en scène politique et médiatique par les ultras, et ce notamment au travers du « plan » rapporté des conjurés, pour enfin présenter les suites immédiates d'une affaire que le camp ultra ne maîtrise plus (II). L'analyse de ces différentes réalités de l'affaire du 8 juin 1817 nous aura convaincu qu'il s'agit à la fois d'un réel soulèvement populaire typique de l'histoire lyonnaise et d'un fait politique que les ultras peinent à définir et dés lors instrumentalise sous le registre du complot politique. En montrant comment la gestion de cette affaire échappe aux élites royalistes locales et crée ainsi l'embarras de la Cour, nous pourrons aborder une dernière réflexion sur les usages de la violence et de la justice en ces années. Le troisième et dernier thème de ce mémoire sera donc celui des usages de la violence et de la justice en 1817. Il s'agira de présenter les formes de recours à la violence par les conjurés comme par les forces de la répression, en montrant les aspects codifiés de la conspiration politique, une entreprise secrète particulière, les éléments de la répression policière et judiciaire avec notamment une observation critique de la justice des conspirations par François Guizot, et enfin pour finir une brève réflexion sur le complot comme forme légitime de violence émancipatrice (III). Nous pourrons alors conclure ce mémoire sur la dimension d'événements révélant tout autant la fragilité que l'opacité du régime de Louis XVIII. Nous évoquerons l'aspect annonciateur d'autres conspirations plus élaborées à venir de la part de sociétés politiques secrètes...Nous insisterons enfin sur la maturation en cette année 1817 de l'identité politique lyonnaise au travers des convergences politiques entre bonapartistes, libéraux et révolutionnaires. Des convergences qui illustrent tout l'enjeu de la construction mentale d'un duel culturel, politique et économique entre la capitale et la province. Une conspiration qui au-delà de sa réalité conceptuelle prouvera aussi les résonances entre luttes politiques et luttes sociales au XIXème siècle.

    Présentation rapide des ouvrages et des sources sollicités

    Nous avons déjà présenté les trois études principales utilisées, relatant directement les événements du 8 juin 1817 : à savoir les études de Sébastien Charléty, Georges Ribe et celle de Bruno Benoit. Elles nous seront encore très précieuses tout au long du développement de ce travail. De même, nous solliciterons les différents documents d'archives consultés et présentés précédemment. Sommairement, pour le second thème, celui de la conspiration même, nous illustrerons notre propos à l'aide de documents issus des archives nationales pour les rapports du préfet du Rhône, Chabrol, au ministère, pour les éléments d'appréciations de la situation par les autorités ultras et leur propagande, pour les rapports internes sur les personnages liés à l'affaire... Nous établirons des notices biographiques de ces derniers. Toujours pour le second thème, nous nous appuierons sur les correspondances des maires des communes en insurrection pour illustrer leur détresse et la nature politique singulière du mouvement. Ces correspondances proviennent des archives départementales du Rhône. De cette source d'archives, nous utiliserons des extraits d'interrogatoires conservés et un compte rendu de la Cour prévôtale. Ceci aura pour but d'éclairer la question de l'existence d'un plan des conjurés et surtout de présenter le flou de l'instruction de l'affaire (III). Dans le troisième temps, nous aurons recours aux documents des archives municipales de Lyon, également présentés antérieurement. Nous illustrerons les formes symboliques de la conspiration, rites des conjurés et représentations des autorités, par le volume rouge « Procédure », le plus épais document relatant le procès des conspirateurs arrêtés. Il offrira également une idée fidèle de l'instruction de l'affaire, et des condamnations prononcées. Enfin, toujours pour le troisième thème, nous utiliserons le texte des archives municipales de François Guizot sur les conspirations et la justice politique, et la réponse de Camille Jordan à un discours sur les troubles de Lyon pour illustrer la défense des conjurés par les élites « modérées ».

    Terminons par une présentation des principaux ouvrages requis.

    Essayons d'énoncer globalement les principaux dans l'ordre du développement de ce travail. Pour le premier thème, temps du cadrage historique des aspects de la Restauration sous Louis XVIII, nous utiliserons des ouvrages d'histoire, de type « manuels » comme ceux de Jean-Claude Caron83(*), Jean-Pierre Chaline84(*), Max Tacel85(*), J-L Robert86(*) (dir.), des ouvrages plus spécialisés comme ceux de Louis Girard87(*) ou d'André Jardin/A-J Tudesq88(*), René Rémond89(*), Jean-Fançois Sirinelli90(*), pour ne citer que les principaux... Nous aurons encore recours aux ouvrages d'histoire de la ville de Lyon, de Bruno Benoit91(*) et Jean-Pierre Gutton92(*), et aux trois études de l'affaire du 8 juin 1817. En ce qui concerne l'analyse socio-économique de la région dans les années 1810-1820, nous solliciterons l'ouvrage d'histoire sociale de la France au XIXème siècle de Christophe Charle93(*). Nous piocherons aussi dans d'autres ouvrages comme ceux de Tocqueville94(*) pour illustrer le phénomène de « libéralisation » de la presse que le régime bourbon peine à endiguer.

    Pour le second thème, celui de la conspiration même, nous nourrirons notre propos, entre autres, des travaux de Eric J. Hobsbawm95(*), Maurice Agulhon96(*), Alan B. Spitzer97(*), Raoul Girardet98(*) sur les mythes politiques, et des articles de contribution sous la direction de Bernard Gainot et Pierre Serna99(*), etc...

    Enfin, pour le thème des usages de la violence et de la justice, nous mettrons à contribution les ouvrages de René Girard100(*), P-A Lambert101(*) et de Frédéric Monier102(*) sur les rites du secret et la surveillance policière de ses entreprises... Enfin, nous aurons consulté aussi l'article d'Olivier Ihl103(*) consacré à François Guizot et à son Des conspirations et de la justice politique. Cette énumération n'est pas exhaustive. Le lecteur retrouvera l'ensemble des sources et ouvrages cités en bibliographie.

    Nous pouvons à présent entrer dans le premier thème de ce mémoire, qu'est celui de la situation politique et économique de la France, et plus spécialement de Rhône-Alpes, sous le régime de Louis XVIII.

    Mise en place du contexte historique national et local 1793-1817

    « La politique est l'art d'obtenir de l'argent des riches et des suffrages des pauvres, sous prétexte de les protéger les uns des autres. ».

    Jules Michelet, historien français (1798-1874)

    Bref retour sur l'épisode de la Terreur révolutionnaire à Lyon en 1793 : la naissance d'un martyrologe lyonnais

    Nous l'avons déjà fort bien démontré, l'événement fondateur de la mémoire politique moderne de la ville de Lyon est l'épisode des violences de la Terreur jacobine, puis celui de la résistance à cette dernière. L'année 1793 est une année déterminante quant aux comportements politiques à venir des Lyonnais, dans le sens où elle scelle définitivement dans leur esprit le refus de dirigeants politiques locaux imposés par le pouvoir central parisien. Depuis cette date, tous les gouvernements ne respectant pas cette volonté d'autonomie du peuple de Lyon, fera face à des troubles divers au sein de cette ville. C'est là tout le sens du martyrologe politique lyonnais, garant d'une exigence de gouvernance modérantiste de la ville. Souvenons-nous que, lors de cette épisode de Terreur révolutionnaire, la ville fut littéralement exclue des villes de la République française, par le décret de la Convention du 12 octobre 1793, stipulant : « Lyon fit la guerre à la liberté, Lyon n'est plus. »104(*). Les Lyonnais furent simplement victimes de leur résistance légitime aux « Chalier » et autres mathevons, en se débarrassant de leur meneur enragé, Joseph Chalier, guillotiné le 16 juillet 1793. Vingt cinq années précédant notre affaire de 1817, on observe déjà ce duel singulier entre le peuple lyonnais, parfois appuyé de ses élites, et le pouvoir central parisien. Mais ce duel n'est de la part des Lyonnais qu'une juste résistance aux violences de tous ceux qui déstabilisent l'équilibre socio-économique particulier de leur ville, et qui plus encore est une résistance à ceux qui vont jusqu'à faire couler massivement le sang de son peuple. Souvenons-nous, en effet, de la violente répression jacobine contre les Lyonnais, entre octobre 1793 et avril 1794, suite à leur résistance aux « Chalier ». Les jacobins en action à Lyon, comme Fouché, « jugeront » ennemis de la Liberté prés de 1900 personnes, soit près de 1,5 % de la population de la ville, guillotinées place des Terreaux ou mitraillées dans la plaine des Brotteaux105(*). Et précisons-le à nouveau, toutes les catégories sociales de la ville, et pas seulement les royalistes, seront victimes de cette Terreur rouge.

    C'est épisode de Terreur révolutionnaire visait à éliminer l'essence même, « libérale », de l'identité politique de la ville de Lyon. Mais on peut constater que paradoxalement, en voulant détruire les forces vives de cette ville, les révolutionnaires jacobins les ont réveillées pour plusieurs années. C'est ce qu'exprime Bruno Benoit en ces termes : « Au-delà de toutes les lectures et interprétations possibles de ces événements majeurs de l'histoire contemporaine lyonnaise que sont les violences collectives des années 1793 et 1794 subies à Lyon, il faut insister sur ces années, certes traumatisantes mais surtout synonymes d'émancipation. Entre 1793 et 1794, la ville de Lyon ne s'est elle pas appelée « Ville-affranchie » ? Les Lyonnais y ont vu une humiliation, il faut y voir un acte de naissance politique ! »106(*).

    Ce martyrologe de 1793 s'est donc construit sur le souvenir douloureux des violences révolutionnaires subies par les Lyonnais. Un souvenir douloureux certes, mais force est de constater qu'il devient rapidement mobilisateur, agissant comme un mythe politique au service de l'histoire personnelle de la ville de Lyon. Ce martyrologe se veut dés ces années garant du choix naturel des Lyonnais d'une identité politique singulière, « modérantiste », c'est-à-dire tenue à l'impératif de modération politique des dirigeants de la ville, en refusant les extrémismes politiques, et ce afin d'assurer notamment son fragile équilibre socio-économique, que nous avons du décrire précédemment.

    De le Terreur blanche des années 1795-1798 à celle de l'été 1815 : lassitude et effritement de l'Empire au profit de l'infiltration des ultras au sein de la société française

    Dés lors, pour bien comprendre le comportement politique à venir de la ville sous la Restauration, il nous faut revenir sur ce qu'il fut lors du reflux des violences réactionnaires des années 1795-1798, puis sous l'Empire.

    Essayons de montrer comment ces violences réactionnaires des années 1795-1798 ne peuvent suffire à reléguer la ville de Lyon au rang des villes contre-révolutionnaires. Nous avons déjà présenté cet épisode. Nous serons donc concis. La ville avait retrouvé son nom et son statut le 7 octobre 1794, par décret de la Convention. Cependant, très vite le désir de vengeance des victimes de la Terreur des « Chalier » les pousse, sous l'influence d'une minorité d'ultras, à se rendre justice elles-mêmes. S'organisent rapidement, dés février 1795, des « chasses aux mathevons »107(*) au sein de la ville. Très fréquemment, elles ont pour origine le climat local d'excitation vengeresse de jeunes royalistes, s'implantant au sein de la ville, comme ceux des Compagnons de Jésus. Ces derniers trouvent en effet un certain soutien de la population dans leurs appels aux violences à l'encontre des derniers jacobins présents en ville. Mais peut-on pour autant parler de retournement réactionnaire, anti-révolutionnaire, de la part des Lyonnais ? Ne devrait-on pas plutôt y voir une classique réaction de la foule à des violences révolutionnaires encore trop « fraîches » dans les esprits de certains Lyonnais ?

    Le bilan de ce semestre de Terreur blanche à Lyon, de janvier à juin 1795, fut lourd : environ 400 mathevons tués. Le lecteur retrouvera quelques pages précédemment le récit de ces violences. Ce qu'il nous faut retenir, c'est que ces dernières, certes hautement condamnables, ont plus pour origine les appels au meurtre de royalistes comme les Compagnons de Jésus que les Lyonnais dans leur majorité. Là encore, ces violences seront arrêtées dans les mois qui suivent, par le mode de l'institutionnalisation de celles-ci sous la forme de l'élection, au suffrage censitaire, de deux royalistes locaux : Imbert-Colomès et...Camille Jordan. Là encore, le spectre d'une nouvelle guerre civile pousse les élites lyonnaises au compromis, en incluant des éléments politiques royalistes108(*).

    Il est important de retenir de cette période trouble, l'infiltration par les royalistes, depuis en réalité 1790, des différents rouages administrativo-politiques de la ville109(*). Des royalistes qui tenteront constamment d'exploiter les périodes d'incertitudes et de tensions politiques de cette dernière. En effet, Lyon et la vallée du Rhône en général, connaîtront à nouveau une seconde vague de Terreur blanche, plus longue encore, de l'été 1815 à septembre 1816. Cette Terreur blanche, qui sévit aussi dans beaucoup d'autres régions françaises, est la plus connue. Elle marque les débuts de l'entreprise des ultras d'intimidation du pays et de monopolisation du pouvoir au sein de la Chambre introuvable. Louis XVIII remonte sur le trône, en rentrant dans Paris le 8 juillet 1815, retour permis par l'échec de l'épopée napoléonienne des Cent-Jours et par un accord passé avec les Alliés. S'ouvre alors une seconde Restauration, conduite pour neuf années par Louis XVIII. En réalité, c'est bien toute l'Europe qui avec l'acte final du congrès de Vienne le 9 juin 1815 et la défaite de Napoléon à Waterloo le 18 juin 1815, rebascule au profit des anciennes dynasties royales. En effet, le 22 juin 1815, Napoléon abdique définitivement et confie le pouvoir à son fils, Napoléon II, aussi appelé l'Aiglon. Ce passage, cette transmission de pouvoir sera sans avenir. Les royalistes, désormais nombreux et déterminés, font régner dans toute la France un nouvel épisode de Terreur blanche, qui ne sera même pas apaisé par la reprise officiel du pouvoir par Louis XVIII, le 8 juillet 1815. L'Empire s'est écroulé définitivement au profit d'une nouvelle Restauration, qui débute par d'extraordinaires violences à l'égard des derniers bonapartistes et révolutionnaires.

    Nous allons revenir longuement sur les débuts du second règne de Louis XVIII dans les pages qui suivent. Mais pour l'heure, il nous faut attirer l'attention sur le caractère extrême des violences de cette seconde Terreur blanche. Des violences qui ont, dans un climat de règlements de comptes personnels, éloigné les libéraux et les modérés des élections législatives d'août 1815110(*).

    Je nous propose donc de dresser le portrait de ces violences royalistes de l'été 1815. Nous pourrons ensuite nous interroger sur leurs origines, en observant comment les « déroutes » de l'Empire ont facilité et enraciné au sein de la société française l'infiltration des groupes royalistes, parfois secrets, toujours violents, responsables de ces exactions.

    Comme le note à juste titre Jean-Claude Caron à propos de ce nouvel épisode de Terreur blanche : « Elle apparaît comme un appendice sanglant de la Révolution française, sorte de dernier règlement de compte exacerbés par les positions opposées prises durant les Cent-Jours »111(*). Les victimes désignées sont naturellement les derniers détenteurs du pouvoir, à savoir, les bonapartistes et les jacobins. Toute la France devient alors le théâtre de massacres organisés par des bandes royalistes. L'annonce de la défaite de Waterloo fut le signal de départ de la vengeance des ultras à l'égard de ceux qui s'étaient compromis avec le régime des Cent-Jours, et des populations réputées jacobines. Si l'Ouest demeura assez calme selon Jean-Claude Caron112(*), l'ensemble du Midi connut une situation très grave : Haute-Garonne, Provence, Languedoc et Gard. A Marseille, par exemple, selon les historiens A. Jardin et A.-J Tudesq, les massacres débutent le 24 juin 1815, et l'on compte déjà deux jours plus tard pas moins de 50 morts, 200 blessés et 80 maisons ou boutiques brûlées113(*). La vallée du Rhône, qui nous concerne plus particulièrement, fut aussi le cadre de nombreux massacres selon Caron. Très souvent, ces explosions de violences politiques se nourrissent d'un véritable réveil des guerres de religion. On devine alors aisément sans se tromper que les protestants, notamment ceux de la bourgeoisie qui ont souvent soutenu l'Empereur, sont pris à partie. Jean-Claude Caron rapporte que : « Dans le Gard, plus de 200 protestants seront tués, plusieurs milliers s'enfuiront. »114(*). Les historiens Jardin et Tudesq rapportent des faits analogues où rien que pour la ville de Nîmes, l'on compta 37 morts115(*). Comme le notent aussi ces derniers auteurs : « Cette explosion de haine prit le gouvernement au dépourvu : la dissolution des troupes, l'inattendu des émotions populaires provoquées par des bandes, la connivence fréquente de nobles et de bourgeois avec ces éléments, la lenteur des communications pouvaient lui servir d'excuse. Mais il eut par la suite beaucoup de peine à faire condamner quelques coupables... »116(*). En effet, parallèlement à ce déchaînement de violences royalistes, le gouvernement Talleyrand-Fouché prenait des sanctions contre les « complices » des Cent-Jours. Toujours selon Jardin et Tudesq, 17 généraux ou officiers furent traduits devant des conseils de guerre ; 37 personnes, dont 27 civils, furent placées en résidence surveillée en attendant la décision des Chambres117(*). Nous verrons comment très vite, les députés ultras, grands vainqueurs des élections législatives du mois d'août 1815 : 350 ultras sur 398 sièges118(*) ! , vont transformer cette Terreur blanche en une Terreur légale. Cette Terreur légale, par son dispositif législatif ultra répressif, caractérisera l'absence de maîtrise du roi et de son ministère sur leur Chambre « introuvable », selon le mot ironique de Louis XVIII, lui-même inquiet des excès des députés ultras. Nous verrons les aspects de cette Terreur légale au début du premier chapitre, avec la question de la Charte, de sa révision, et de la dissolution de la Chambre. Le rappel de ces épisodes de Terreur sous les débuts de la seconde Restauration vise à éclairer la mise en place d'un contexte politique d'oppression envers les éléments les plus « modérés » de la société française, contexte légitimant dés lors le recours à des actions politiques clandestines, qu'elles soient l'oeuvre d'amateurs ou de professionnels.

    Terminons sur ce nouvel épisode typiquement français de Terreur blanche, en retraçant brièvement sa lente « fermentation » sous l'Empire, par le développement des bandes secrètes royalistes.

    Nous avons pu présenter précédemment la relative stabilité politique de l'Empire jusqu'aux années 1810-1811, où la charge des efforts de guerre pèsera alors bien trop sur l'économie. Certes, comme j'ai pu le rappeler, les Français ont apprécié la modernisation du pays jusque dans ces années, et notamment les Lyonnais qui ont vu les troubles politiques s'atténuer dans leur ville pour cette période. Cependant, dés 1810-1811, l'Empire se fissure de l'intérieur, avec une crise économique qui prend la forme d'une crise des matières premières, crise des débouchés, crise du crédit, puis une crise des subsistances en 1812119(*). Une crise morale aussi. Comme le note l'historien G. de Bertier de Sauvigny : « Dans la classe qui pense et parle, on souffre enfin du despotisme militaire et policier, qui étouffe toute velléité d'expression indépendante, et censure jusqu'aux vers de Corneille et de Racine. »120(*). De même, le clergé est muselé, ce qui n'est pas sans créer une grogne secrète. Dés lors, comme le note de Sauvigny : « La France de 1814 n'est donc plus celle de 1804(...) Les voeux de l'Homme ne sont plus tout à fait les voeux de la Nation. Que souhaite t'il ? Une seule chose : la paix, la paix immédiate, la paix à tout prix. »121(*).

    La population de l'Empire est donc fatiguée des campagnes napoléoniennes et paie depuis trop longtemps un lourd tribut humain, notamment les jeunes revenants mutilés du champ de bataille. Ainsi, comme le remarque de Sauvigny, un petit groupe de royalistes, de fidèles, allaient à partir de 1810-1812, prendre de l'ampleur et inquiéter l'Empereur en s'activant secrètement pour le Pape122(*), enfermé. Ces royalistes ramenaient ainsi dans leur rang les éléments catholiques de la société, se sentant les plus brimés. Cependant, poursuit de Sauvigny, « le renouveau et l'initiative » allait venir de l'intérieur, vers 1810, avec la création d'un Ordre secret royaliste, un peu sur le modèle franc-maçon et ceux des ordres militaires et chevaleresques du Moyen Age123(*). Très vite, l'Ordre royaliste s'étendit sur tout le territoire de l'Empire, infiltrant secrètement ses rouages en s'adonnant notamment à une propagande clandestine, véritable travail de sape du régime de Napoléon... On comprend dés lors, comment la Terreur blanche de l'année 1815 a débuté si rapidement et pourquoi elle fut si violente. Elle remontait en réalité à une infiltration de la société depuis plusieurs années.

    Terminons sur ces mots enjoués de Bertier de Sauvigny, fin connaisseur de ses origines... : « Ainsi, à l'heure où l'édifice impérial se lézardait, à l'heure où la nation française par lassitude ou par instinct de conservation, s'éloignait du chef qu'elle avait accepté quelques années plus tôt, à l'heure où les Alliés hésitaient sur les conséquences politiques à tirer de leur victoire militaire, la carte royaliste allait pouvoir être jetée sur la table, non seulement par des princes isolés et sans prestige, mais par une minorité organisée agissant au sein même de la nation. Là se trouvait sans doute, au début de 1814, la meilleure chance d'une restauration des Bourbons. »124(*).

    I- La France sous Louis XVIII : situation politique et économique

    Comme le remarque à juste titre Patrice Gueniffey : « En 1814, le rétablissement des Bourbons sur le trône de leurs ancêtres fut le résultat d'une intrigue. Rien ne le laissait prévoir quelques semaines auparavant. »125(*). En effet, la première prise de pouvoir de Louis XVIII fut sans nul doute permise par les défaites militaires de Napoléon face aux Autrichiens. L'intrigue réside dans l'armistice franco-allié signé le 23 avril 1814, après des négociations entre Marmont, Talleyrand et les alliés, assurant le rétablissement des Bourbons et l'exil de Bonaparte. Napoléon, déchu par le Sénat le 3 avril 1814, embarque pour l'île d'Elbe le 28 avril 1814. La voie est libre pour Louis XVIII. Le 2 mai, ce dernier s'engage lors de la déclaration de Saint-Ouen à instituer un gouvernement représentatif, promet une amnistie générale, garantit les intérêts mais rappelle que sa légitimité étant de droit divin, aucun pouvoir ne peut lui imposer une Constitution. Le compromis sera une Charte... Le 3 mai, Louis XVIII fait son entrée dans Paris. Commence alors la première Restauration sous la direction de Louis XVIII, petit-fils de Louis XV, frère cadet de Louis XVI, il a 59 ans.

    Avant de présenter rapidement les éléments principaux de la réaction sous cette première Restauration, il apparaît opportun d'introduire le personnage de Louis XVIII.

    Né le 17 novembre 1755, il a longtemps occupé la position peu enviable de second. « Longtemps, confiera Louis XVIII, j'ai vécu assez retiré. » rapporte Patrice Gueniffey126(*). La Révolution fut pour lui, comme pour beaucoup d'autres de plus basse extraction, l'occasion de jouer enfin ce rôle auquel il aspirait. Appelé en 1787 à présider l'assemblée des notables, il se fit une réputation de prince patriote qu'il conforta encore à la fin de l'année suivante en se prononçant pour le doublement de la représentation du tiers aux Etats généraux. A dire vrai, là s'arrêta sa carrière politique. Officiellement du moins, car jusqu'à son départ pour l'émigration le 20 juin 1791, il trempa dans différentes intrigues plus ou moins propres, d'une alliance avec Mirabeau à la sombre affaire Favras, où il apporta la double preuve qu'il n'était pas meilleur politique que le roi Louis XVI et que tout lui était bon pour acquérir de l'influence, même si ses agissements devaient compromettre la position de son frère. Avec son autre frère Artois, qu'il avait rejoint en 1791 à Coblence, il suivit une ligne identique, sourd aux appels de Louis XVI, et Napoléon put dire avec raison que le futur Louis XVIII portait une lourde responsabilité dans l'exécution de son frère. Si Louis XVIII peut être décrit en un mot, c'est par l'égoïsme qui est le sien. Rien ne peut l'affecter qui ne concerne pas sa personne. C'est à cette complexion que l'on doit quelques mots justement passés à la postérité : en mars 1815, alors qu'il s'apprête à partir pour un nouvel exil et à laisser la place à Napoléon de retour de l'île d'Elbe, « on aurait dû m'épargner cette émotion » fut tout ce qu'il trouva à dire; en 1820, il dit au duc de Berry mourant qui, victime du poignard de Louvel, s'excuse d'avoir interrompu le sommeil du roi : « J'ai fait ma nuit. ». S'il a une qualité, c'est de n'avoir jamais cessé de croire en sa naissance, dans le rang qu'elle lui donne et dans les devoirs qu'elle lui impose. Du jour où il apprend la mort du dauphin (Louis XVII) au Temple (8 juin 1795), il est roi. Jamais il ne se départit de sa dignité au cours des longues années d'exil qu'il passe en Italie, en Allemagne, en Russie, en Pologne, enfin en Angleterre (1807-1814), au gré des intérêts et des humeurs des souverains qui l'accueillent. Il ne cède pas même devant le manque d'argent, fort cruel pour un homme chez qui l'enrichissement a toujours été une passion. Inoccupé, entouré de rares fidèles, avec pour tout loisir ce qu'il aime tant et que rien ne peut lui ôter-la lecture et la table-, il demeure roi. Même devenu obèse et à demi paralysé par la goutte, il garde un air royal qui sent « le maître et le commandement » et impressionne tous ceux qui le rencontrent, jusqu'aux maréchaux pourtant confrontés chaque jour à un homme d'une autre trempe. Il croit en sa légitimité.

    On comprend l'embarras des alliés en 1814. Les Bourbons sont peut-être la moins mauvaise des solutions...La proclamation de l'Empire en 1804 anéantit ses illusions. De ce jour, il sent qu'il ne pourra jamais régner sans et a fortiori contre la France nouvelle issue de 1789. Non qu'il aime celle-ci ou le gouvernement représentatif, non qu'il s'engage par conviction à entériner la vente des biens d'Eglise. Il devint monarque constitutionnel non par goût ou par conviction, mais par raison. Louis XVIII réfère régner constitutionnellement plutôt que de ne pas régner du tout. La Charte octroyée par le roi « la dix-neuvième année de son règne » et proclamée le 4 juin 1814 est le manifeste de cette volonté de réconcilier les deux France sans rien sacrifier de la légitimité. Au début, il semble qu'une nouvelle ère commence. Louis XVIII donne de nombreux gages à cette France qu'au fond il n'accepte ni n'aime. Le personnel politique révolutionnaire et impérial conserve ses places, les acquéreurs de biens nationaux reçoivent la garantie de leurs propriétés, les régicides mêmes ne sont pas inquiétés. Le climat ne tarde cependant pas à se détériorer. Il y a des décisions maladroites, tels l'ordonnance du 7 juin interdisant de travailler le dimanche ou le culte rendu aux victimes de la Révolution, de Louis XVI à Cadoudal ; des propos intempestifs, tel l'éloge de l'émigration fait par l'insipide Ferrand le 13 septembre ; des scènes grotesques, tel le dîner donné par la Ville de Paris le 29 août en l'honneur de la famille royale, où les magistrats de la capitale servent le roi et les princes une serviette sur le bras, comme des domestiques... La très rigoureuse, et nécessaire, politique financière du baron Louis contribue à la progression des sentiments hostiles vers la fin de 1814. Le maintien des droits réunis (ensemble des taxes sur les boissons), dont le comte d'Artois a imprudemment promis la suppression lors de son retour en France, la réduction des effectifs de l'armée et la mise à la retraite avec demi-solde de milliers d'officiers sont justifiés par la nécessité de combler l'énorme déficit budgétaire légué par l'Empire. Mais dans le même temps, le gouvernement rétablit les maisons militaires du roi et des princes, avec leurs mousquetaires, gardes suisses et gardes de la porte. On ajoute ainsi l'humiliation à l'inconséquence. Les imprudences gouvernementales ne sont cependant rien à côté de l'ardeur vengeresse des royalistes, des émigrés ou de ceux qui compensent par des excès de zèle la nouveauté de leurs sentiments monarchiques, et qui ne comprennent pas que la royauté victorieuse use de ménagements à l'égard de la France de 1789 vaincu, qui veulent que cette dernière expie ses « crimes » et qu'on revienne purement et simplement au monde qu'elle a détruit. Ce sont des appels à la restitution des biens nationaux à leurs anciens propriétaires, des cérémonies expiatoires, de petites humiliations infligées à la Cour et dans les salons à la noblesse impériale. Même si le roi n'y donne pas la main, il doit nécessairement s'y trouver associé dans l'esprit de tous ceux que blesse la morgue des vestiges de l'ancienne France que l'effondrement militaire de l'Empire a ramenés127(*).

    Jean-Philippe Guinle complète parfaitement le tableau de Louis XVIII, roi lâche et égoïste : « Il n'y a que peu de choses à ajouter au jugement que Chateaubriand porta sur celui qui l'avait disgracié, car il montre la neutralité (parfois efficace) d'un roi, qui, sans rien renier des traditions de la monarchie d'Ancien Régime, n'en refusa pas moins d'être « le roi de deux peuples », sans avoir eu cependant le courage de tenir tête jusqu'au bout aux ultras : « Egoïste et sans préjugés, Louis XVIII voulait sa tranquillité à tout prix : il soutenait ses ministres tant qu'ils avaient la majorité ; il les renvoyait aussitôt que cette majorité était ébranlée et que son repos pouvait être dérangé ; il ne balançait pas à reculer dès que, pour obtenir la victoire, il eut fallu faire un pas en avant. Sa grandeur était sa patience, il n'allait pas aux événements, les événements venaient à lui. ». »128(*).

    Nous avons décrit précédemment le délitement intérieur de l'Empire au profit des menées secrètes des royalistes. On comprend dés lors pourquoi il fut si aisé pour les Bourbons de « ramasser » le pouvoir lorsque Napoléon fut contraint à l'exil pour l'île d'Elbe le 28 avril 1814. Le peuple de France, lassé des guerres de l'Empereur, voyant notamment chaque jour d'avantage sa jeunesse meurtrie, ne peut opposer de résistance immédiate à cette première Restauration. Jean-Pierre Chaline exprime ce constat de l'effondrement inévitable, peut-être souhaité par les Français eux-mêmes, de l'Empire : « « Nous étions fatigués » fera dire Edmond Rostand à l'un des personnages de L'Aiglon, exprimant bien cette lassitude générale et cette usure profonde du pays. Poids devenu accablant des levées d'hommes, délabrement de l'industrie et du commerce maritime, charge très impopulaire d'impôts indirects peu à peu rétablis : autant de sources d'un mécontentement que les défaites successives n'ont pu qu'aggraver. En 1814, la France paraît à bout, sans ressort. (...) En fait, chez la plupart, la fin de ce conflit interminable est perçue comme un soulagement. Ni les masses paysannes qui, pour l'essentiel, en ont supporté le coût, ni les ouvriers souvent réduits au chômage, ni les notables avant tout soucieux de préserver leurs biens et leurs situations ne cherchent vraiment à défendre un régime, un souverain incarnant à leurs yeux la guerre. »129(*).

    Nous ne pouvons pour autant conclure à un basculement profond des Français pour une nouvelle monarchie de type d'Ancien Régime. Il semble bien que les excès de l'Empereur favorisent en 1814 un retour plus « légitime » de la royauté. Cependant ce revirement politique en faveur des Bourbons ne bénéficiera d'une certaine passivité populaire que de courte durée. Très vite, les maladresses de Louis XVIII mais surtout le flot de mesures réactionnaires des députés ultras à la Chambre, réveilleront le sentiment de « grogne » de citoyens, trop brusquement retransformés en sujets du roi.

    Le 2 mai 1814, Louis XVIII lors de la déclaration de Saint-Ouen s'engage sur le principe d'une monarchie constitutionnelle, mais avant tout toujours d'origine de droit divin... Comme le note Jean-Pierre Chaline, cette déclaration traduit d'emblée la volonté d'asseoir le nouveau régime sur « un compromis de raison  entre certains principes traditionnels sur lesquels on ne transige pas et de larges acquis de la Révolution ou de l'Empire qu'on ne remet nullement en cause » 130(*). Mais, ajoutons-le, il ne s'agit sûrement pas d'un compromis « de coeur ». Pour s'en convaincre, il suffit d'observer les formes de la naissance de ce « compromis », c'est-à-dire de la Charte, contrat illusoire entre le roi et son pays. Louis Girard rappelle que le 4 juin 1814 : « Octroyée désormais par le roi, la Charte n'avait rien d'un contrat. Louis XVIII affirmait sa souveraineté indépendamment de toute assemblée. La religion catholique était déclarée religion d'Etat. »131(*). Si les libertés civiles étaient reconnues et les intérêts révolutionnaires sauvegardés, en principe, par la Charte, ces garanties ne pouvaient dés l'origine survivre aux attaques des ultras au sein de la Chambre des députés. En effet, d'une part, la Chambre des députés était toujours soumise à la dissolution royale, d'autre part son mode d'élection extrêmement censitaire excluait la majorité de la population du vote et à fortiori d'entrer dans sa composition. Tout électeur devait être âgé de trente ans et payer un cens minimum de trois cents francs. Tout éligible devait être âgé de quarante ans et payer un cens de mille francs. On était électeur avec un revenu de 1200 à 2000 francs ; pour être éligible, un revenu de 5 à 6000 francs était nécessaire. Comme le dit Louis Girard : « Les députés devenaient un Sénat de l'âge et de la fortune. Il n'y avait en France que 16 000 éligibles et quelques 110 000 électeurs. On compense le libéralisme de la Charte par un régime très censitaire. Enfin les députés, élus pour cinq ans, sont renouvelés chaque année par cinquième. »132(*).

    Nous avons pu évoqué précédemment quelques aspects de la réaction sous cette première Restauration : poids important accordé à l'Eglise et à la religion catholique, « attaques » contre l'ancienne armée impériale, pratiquement démantelée (mise en demi-solde de 12 000 officiers !) au profit de la garde royale, culte ambigu de fêtes de l'Ancien Régime comme celui de la Fête-Dieu, élection de la Chambre selon un suffrage très censitaire...

    Dés le mois de juillet 1814, la réaction s'accentue. Ainsi le 5 juillet, le ministre de l'Intérieur Montesquiou présente un projet de loi d'encadrement de la presse préparé par Royer-Collard et Guizot, suscitant la polémique entre Benjamin Constant s'y opposant et Guizot étant favorable. Fin août, début septembre 1814, est discutée à la Chambre la loi de finances de 1815. L'heure est à la rigueur, sous le prétexte de combler les déficits laissés par l'Empire. Le budget de la guerre passe de 55% du total des dépenses prévues (548 millions) à 38%. La réduction des dépenses publiques implique la suppression de 15000 emplois civils, la mise en demi-solde de 12000 officiers... Ces attaques contre l'armée sont très imprudentes. Nous verrons comment d'anciens membres de celle-ci, souvent des demi-soldes, feront partis du « personnel » politique des complots à venir contre le Royaume. Enfin, pour finir avec ces éléments de la réaction sous le premier règne de Louis XVIII, évoquons le vote de la loi sur la presse. On observe, en effet, dés le 21 octobre 1814, le déni des engagements de la Charte de respect des libertés publiques. Ce 21 octobre est promulguée une loi définissant comme délit toute attaque contre le pouvoir royal, les autorités établies et l'ordre public. Elle rétablit l'autorisation préalable et le brevet pour les imprimeurs et les libraires. Cependant, la censure ne s'exerce que sur les journaux et les écrits de moins de 20 feuilles d'impression. Ce qui explique en partie l'absence de contre-propagande à la propagande des ultras de diabolisation des soulèvements à venir. Les contrevenants à cette loi sont passibles du tribunal correctionnel. 22 censeurs sont nommés le 22 octobre 1814133(*).

    Nous le constatons donc. Ce premier épisode de Restauration est teinté de mesures rances de réactions aux principes hérités de 1789, faussement garantis par une Charte devenue plus symbolique qu'effective face aux premières victoires législatives du parti ultra.

    La première Restauration, cette « anarchie paternelle » selon les mots de Jean-Pierre Chaline134(*), fut donc un échec. Echec de la réconciliation, mais était-elle réellement souhaitée ? , de deux France qui à nouveau s'affrontent. Comme le note Louis Girard : « Avec la Restauration, la Révolution recommença. L'empereur avait imposé trêve aux dissensions civiles ; il les avait détournées vers la lutte extérieure. La paix et le retour du roi firent rejouer les vieux conflits. Ils rejouèrent parce que la réapparition du roi faisait naître des prétentions qui, sous l'Empire, n'auraient pas été formulées. »135(*).

    Durant les Cent-Jours, nous l'avons déjà présentée, l'agitation royaliste ultra va prendre une ampleur incontrôlable, lors notamment de l'épisode très meurtrier de Terreur blanche dans le sud du pays durant l'été 1815. Ce dernier épisode rocambolesque napoléonien sera court car l'Empereur n'a pas pris la mesure des aspirations des « élites » françaises. En effet, si peu de Français regrettent le roi, qui a fui pour Gand en mars 1815, ces derniers se montrent prudents quant à leur accueil au retour de l'Empereur. Les élites sont encore plus méfiantes, comme les libéraux qui craignent tout autant une victoire des alliés qu'un retour immédiat au despotisme des dernières années de l'Empire136(*). La dernière défaite de l'Aigle à Waterloo mettra fin à ces incertitudes. Le 8 juillet 1815, Louis XVIII reprend possession de son trône.

    Nous venons de présenter les grands traits de la première Restauration de Louis XVIII. Cette présentation était nécessaire car on peut en retenir déjà les grands traits de la réaction de son second règne arrivant : un recul sur la promesse de respect des libertés publiques comme celle de la presse, un retour du religieux au sein de l'Etat, des règlements de comptes à peine dissimuler avec les anciens membres de l'Empire et plus encore avec les traîtres des Cent-Jours...

    Les caractères de la réaction vont être plus poussés sous cette nouvelle époque. Ce qui explique que l'on assistera à la montée politique des « modérés », des royalistes constitutionnels comme un François Guizot aux libéraux.

    I-1. De grandes tensions politiques au niveau national et local : constitutionnels contre ultras

    L'objectif de notre propos sera de montrer comment le « nouveau » régime de Louis XVIII se réinstalle dans un climat de violences démesurées en cet été 1815, un climat savamment entretenu par les activistes et les députés ultras à la Chambre, cette dernière devenant très vite le théâtre de leurs manipulations. Nous allons donc voir comment sur un épisode de Terreur blanche dont nous avons pu considéré l'extrême violence, va se greffer une Terreur blanche « légale », caractérisée par une inflation législative réactionnaire des députés royalistes ultras, reléguant les « garanties » de la Charte au domaine des illusions. Mais pour dresser ce tableau de la réaction des débuts de cette seconde Restauration (jusqu'à l'année 1817 de notre « affaire » lyonnaise), il apparaît souhaitable d'aborder la question des forces politiques en présence en ces années, c'est-à-dire essentiellement les  différentes droites s'affrontant.

    I-1.1 La question du phénomène des droites sous la Restauration en France : la nécessité d'une approche globale incluant la perspective culturelle

    On connaît la typologie classique des trois droites françaises, d'après René Rémond137(*), allant de la plus « dure » à la plus « moderne » : la droite légitimiste (celle des ultras de 1815 entre autres), la droite bonapartiste et la droite orléaniste. Cette typologie nous rappelle la diversité des courants animant ce que l'on appelle schématiquement « la droite », d'où la nécessité en réalité pour le politiste d'aborder son phénomène au pluriel en évoquant plutôt « les droites ». Comme le soulignent, en effet, Jean-François Sirinelli et Eric Vigne, une démarche rigoureuse implique « une approche globale du phénomène des droites. »138(*). Les auteurs précisent : « Penser l'identité des droites, comme des gauches, revient à penser en même temps le double legs révolutionnaire : la division de l'espace politique, au sens de sphère strictement institutionnel de la conquête et de l'exercice du pouvoir, et la séparation proclamée, et depuis lors jamais abolie, même par les diverses tentatives de restaurations monarchique ou impériale, de l'Etat et de la société. De fait, c'est bien par rapport à cet héritage révolutionnaire, aussi bien ses acquis que sa mémoire, que vont s'articuler, souvent, les luttes politiques et les enjeux idéologiques. »139(*). C'est donc bien le positionnement de chacune de ces droites par rapport à l'héritage révolutionnaire et à son devenir, qui détermine leurs spécificités entre elles et plus encore face aux différentes gauches. Dés lors ce marqueur constitué par 1789 façonne directement l'identité des droites sous la Restauration. Comme nous l'avions déjà remarqué précédemment, sous la Restauration se rejoue en réalité la Révolution.

    En 1815, au début de cette seconde Restauration française, deux droites déjà clairement affirmées s'affrontent, la droite légitimiste au service de la reprise sous les formes traditionnelles, entre autres selon le droit divin, du règne des Bourbons et la droite bonapartiste recluse dans une existence politique quasi-clandestine car désormais désignée ennemie ultime des ultras, et enfin une troisième droite réformiste qu'incarnent les royalistes constitutionnels, mais qui n'est pas celle à venir des Orléanistes. Quelles sont les représentations idéologiques de celles-ci ?

    La droite légitimiste organisée par les royalistes dont nous avons pu présenter quelques agissements, est animée par la théorie du complot. Le socle de l'idéologie ultra est en effet la conviction que la Révolution, vue comme une catastrophe, une ignominie, fut le fruit d'un complot, un complot organisé par les jacobins, les girondins et les montagnards, avec l'appui des premiers libéraux et des francs-maçons. Les légitimistes appuient leur lutte par des textes sinon fondateurs, certainement mobilisateurs, comme par exemple la brochure de Ferrand, Les conspirateurs démasqués, dirigée contre le duc d'Orléans, ou encore les célèbres Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme de l'abbé Barruel140(*), publiés en 1798, texte rencontrant un si sinistre succès qu'il sera repris par l'extrême droite...

    On comprend dés lors d'autant mieux l'intérêt d'une approche globale et culturelle des univers politiques de ces différentes droites. Comme pour les luttes progressistes des gauches, les droites et notamment la droite légitimiste, la plus réactionnaire, nourrissent leurs combats d'un imaginaire idéologique141(*), où circule, au sein des légitimistes, la théorie selon laquelle un complot depuis longtemps ourdi par les révolutionnaires, les francs-maçons et les financiers, est à l'origine de la chute de la couronne.

    Les ultras affectionnent le recours à la violence. Nous l'avons vu lors des épisodes de Terreur blanche. Pendant de nombreuses années, avant de parvenir à se structurer en parti sous la seconde Restauration, les royalistes ultras ont ruminé la stratégie du coup de force. Et même après, lorsque insatisfaits de la politique du roi, le débat autour de la question s'exprime sans gêne au sein du parti. Louis de Bonald, un des grands théoriciens français de la réaction, écrira en 1819 : « qu'il faudra incessamment finir par un coup d'Etat. »142(*).

    Le renouement de Louis XVIII avec un régime modéré par la Charte pousse et même contraint les royalistes ultras à se structurer en parti au sein de la Chambre, même si il ne s'agit pas bien sûr d'un parti au sens moderne du terme, mais plutôt d'un groupe politique très actif. Jean-François Sirinelli précise ainsi à propos des ultras: « Réunis en vertu de la Charte qu'il ne leur appartient pas de modifier, mis en présence d'un texte constitutionnel qui avalise nombre des acquis révolutionnaires, ils se trouvent, en effet, conduits à n'être qu'un parti : la politique l'emporte sur le politique. »143(*). En dehors de la Chambre, les royalistes ultras se réunissent au sein de clubs, comme le feront bientôt les libéraux. On peut mentionner le Club breton, dont Chateaubriand fut un des animateurs. Il comptait entre 80 et 150 membres. Cette forme de réunion politique au sein de clubs, de salons ou de cercles est une des formes modernes d'organisation politique qui va le plus se répandre au cours du XIXème.

    Maurice Agulhon dans un remarquable ouvrage mêlant histoire, sociologie et science politique étudie cette mutation de sociabilité et notamment sous l'angle de la réunion politique, même si l'auteur précise bien que ce sera sous la monarchie de Juillet et sous le Second Empire qu'elle s'affirmera144(*). Parmi les organisations politiques ultras sous la Restauration, on doit citer l'association plus ou moins secrète des Chevaliers de la Foi, fondée sous l'Empire par le vicomte Ferdinand de Bertier, et la Congrégation, dirigée par le duc de Montmorency. Le chef reconnu des ultras n'est autre que le frère du roi, le comte d'Artois. Le comte d'Artois est grand agitateur de royalistes influents qu'il reçoit au Louvre, dans le Pavillon de Marsan. Ces réunions inquiètent même le chef du ministère, Richelieu, qui accuse le comte d'Artois de constituer autour du roi un « gouvernement occulte ». Parmi les ultras célèbres, on compte des théoriciens comme Joseph de Maistre ou Louis de Bonald, des écrivains du romantisme naissant comme Victor Hugo et Lamartine, pour ces années. Ils disposent aussi de nombreux journaux assurant le lien entre eux. Citons Le Journal des Débats, le plus puissant organe de l'époque avec 27 000 abonnés, La Gazette de France, La Quotidienne, Le Drapeau blanc à partir de 1819, La Correspondance politique et administrative, ou encore Le Conservateur auquel a collaboré Chateaubriand.

    Le programme de la droite légitimiste se précise avec la dissolution de la Chambre introuvable le 5 septembre 1816. Il s'agit d'un retour aux sources, toujours marqué par l'obsession que nous avons expliquée du complot révolutionnaire. Louis de Bonald martèle sa conviction qu'avec la Révolution, « l'enfer fut sur la terre. »145(*). Les ultras, rapporte J-F Sirinelli, souhaitent donc un roi paternel mais ferme, rétablissant la constitution selon laquelle la monarchie a resplendi pendant quatorze siècles, un clergé retrouvant sa place et son influence, et une noblesse de nouveau opulente et au sommet de la hiérarchie sociale146(*). La grande préoccupation des royalistes est l'Eglise, qui doit selon eux être intimement liée à l'Etat et doit traverser la société. Ils obtiennent ainsi l'abolition du divorce. Toutes les survivances de l'Empire doivent être éliminées. Ainsi, une ordonnance du 6 mars 1815 avait déjà déclaré Napoléon « traître et rebelle ». Mais l'ennemi inquiétant le plus les ultras est la bourgeoisie montante, que les libéraux séduisent. Evoquons aussi l'influence de Chateaubriand sur le mode de gouvernement selon la Charte. Chateaubriand, dans De la monarchie selon la Charte, prône un parlementarisme fort, où les ministres ont une responsabilité qui est non seulement pénale mais aussi politique. Selon ses mots : « On peut tout examiner sans blesser la majesté royale, car tout découle d'un ministère responsable. »147(*). Pour l'auteur, ce sont bien les parlementaires royalistes qui sont les plus à même de défendre la couronne. Ce qui signifie pour Jean-François Sirinelli : « qu'il y a là l'amorce d'un libéralisme hors de la gauche libérale, et la preuve que la droite peut ne pas tout entière partager la vision figée et immuable des choses que tendent à imposer alors ses théoriciens les plus en vogue. »148(*).

     

    Abordons la seconde droite, vivement attaquée par les ultras sous la Restauration : la droite bonapartiste. Le bonapartisme, tel que nous l'avons déjà observé sous le Consulat et l'Empire, était un bonapartisme autoritaire, issu du jacobinisme. Selon Frédéric Bluche, spécialiste du bonapartisme, ce courant connaît un reclassement à gauche de l'échiquier politique sous la Restauration et les Cent-Jours, reclassement nécessaire, durable, marqué par une alliance inégale avec le libéralisme149(*). En effet, selon Frédéric Bluche, lors de la fin de l'expérience impériale, le bonapartisme s'est révélé être : « une forme de gouvernement autoritaire et d'administration centralisatrice. C'est l'ébauche d'une doctrine simple, mais ce n'est pas, ce n'est plus, un puissant courant politique. »150(*). Le bonapartisme va donc muter durant les Cent-Jours en devenant une forme de bonapartisme libéral et jacobin, selon Frédéric Bluche151(*). La notion d' « ordre » est toujours caractéristique mais la revendication du principe de « liberté » est mieux prise en compte. Selon Bluche, la liberté de la presse est totale sous les Cent-Jours152(*). Cette « libéralisation » du courant bonapartiste va s'affirmer encore après les excès de la Terreur blanche vers la fin des Cent-Jours, n'oublions que les bonapartistes figuraient parmi les cibles principales désignées par les ultras, par l'alliance objective de ces derniers avec les libéraux sous la Restauration. Cette alliance est d'autant plus objective que sur le plan électoral, le bonapartisme devient de plus en plus minoritaire sous la Restauration. Sous la seconde Restauration, le bonapartisme s'affirme donc comme un courant d'opposition, au point même que l'on retrouve nombre de ses adeptes s'impliquer dans les conspirations civiles ou militaires, de résistance aux ultras, comme durant l'affaire des « Patriotes de 1816 », la conspiration grenobloise de Didier (1816) évoquée dans l'introduction, dans notre affaire lyonnaise du 8 juin 1817 et aussi dans la conspiration de l'Union de Joseph Rey (1820). Ainsi, les bonapartistes, voyant leur autonomie politique rendue difficile, rejoignent souvent secrètement le camp libéral. Cela se confirmera avec la mort de Napoléon en 1821, signant le ralliement massif de bonapartistes vers la Charbonnerie française, appuyant ainsi solidement le souffle libéral. Retenons pour notre étude que l'Est de la France, nous avons pu le constater, est un foyer bonapartiste, souvent d'ailleurs d'un bonapartisme populaire de nostalgie de la prospérité de l'Empire. Frédéric Bluche précise ainsi : « Le Dauphiné, Lyon, la Bourgogne connaissent ainsi les prolongements d'un bonapartisme populaire né des Cent-Jours et de la réaction ultra, nourri de bimbeloterie napoléonienne et de cris séditieux. »153(*). En effet, en étant peut-être les plus grandes victimes de la seconde Restauration, les bonapartistes, ne pouvant s'exprimer librement, transmettent secrètement un culte de l'Empereur, notamment par les médailles, les gravures, les bustes de l'Aigle et en faisant circuler en cachette le journal Le Nain jaune. Coexiste donc à coté d'un bonapartisme libéral de soutien aux libéraux, un bonapartisme populaire qui s'exprimera dans les symboles et le personnel politique des séditions des années 1815-1820.

    Terminons ce tour d'horizon des droites sous la Restauration, par la présentation de la droite « modérée », c'est-à-dire celle des royalistes constitutionnels. Comme le précise à juste titre Louis Girard, il s'agit là de la droite du « compromis »154(*). C'est la droite qui soutient le plus l'existence et le respect de la Charte. Les constitutionnels forment un groupe composite, comptant peu d'élus en 1815. Comme le remarque Jean-Claude Caron : « les constitutionnels sont unis par leur hostilité conjointe à la Révolution et à la Contre-Révolution, et surtout par leur attachement à la Constitution »155(*). Ils sont conservateurs politiquement et socialement. Ils sont de plus en plus influents. On compte parmi leurs chefs, l'ancien préfet de police de Napoléon, Pasquier, chez qui le groupe se réunit depuis juin 1815. Au sein de ce groupe, on note la présence de Broglie, Serre, Molé, Laîné, Decazes, ministre très apprécié de Louis XVIII et régulièrement attaqué par la majorité ultra, le lyonnais Camille Jordan qui deviendra un des chefs des constitutionnels après avoir été élu député de l'Ain en 1816 et 1818, ou encore le jeune Charles de Rémusat. Du côté des théoriciens qui forment un groupe insolite que l'on nomme les « doctrinaires », dont Louis Girard estime qu'ils étaient « les intellectuels dans la politique »156(*), retenons des universitaires de renom comme Barante, Royer-Collard, Victor Cousin et François Guizot. Cette tendance centriste de la droite monarchiste milite pour un programme que l'on pourrait résumer par la formule du ministre Decazes en 1815 : « royaliser la nation et nationaliser les royalistes ». Les constitutionnels mènent, en effet, contre les ultras une lutte d'influence auprès du roi au sein de la Chambre introuvable. Ils sont victimes de la majorité ultra, et Royer-Collard dénoncera bruyamment la conception parlementariste et opportuniste d'un Chateaubriand, qui sert en réalité plus les aspirations des députés ultras que le régime de la Charte. Dés avril 1816, le roi manifeste clairement son positionnement en faveur des constitutionnels. Inquiet des excès des députés ultras à la Chambre, il déclare : « C'est une Chambre à dissoudre. »157(*). Louis XVIII annonce la dissolution de celle-ci le 5 septembre 1816, et après une campagne très axée sur la défense de leur ministère avec Richelieu comme chef et Decazes comme ministre de la Police, les constitutionnels obtiennent la majorité au sein de la nouvelle Chambre, avec 146 députés constitutionnels contre 92 députés ultras (septembre-octobre 1816). Comme le note Louis Girard : « Ces élections s'étaient faites pour ou contre Decazes, ministre favori du roi. »158(*). A partir de cette date, la Chambre étant désormais plus propice aux propositions du ministère, les constitutionnels vont imprégner leur conception de la monarchie dans la législation, notamment avec le projet d'une nouvelle loi électorale, qui sera votée au début de l'année 1817, en s'appuyant, de par la baisse du cens électoral, sur la classe moyenne. Mais paradoxalement, cette « libéralisation » du régime par les constitutionnels, qui demeurent des conservateurs, va favoriser, dés les élections de 1817, la montée d'une gauche indépendante : les libéraux de gauche, ou « indépendants », qui eux affirmeront clairement leur opposition au ministère et même au régime. Nous avons évoqué précédemment quelques théoriciens de la droite des constitutionnels, réunis sous le cercle des « doctrinaires ». En réalité, les doctrinaires, certes proches des constitutionnels, jouissent d'une autonomie de pensée propre. Longtemps, ils soutiendront politiquement les constitutionnels. Les doctrinaires sont les penseurs contemporains de la Révolution française. Pour beaucoup, ils l'ont vécu, adhèrent à ses principes mais réprouvent la manière dont elle a été conduite. Pour les doctrinaires, la révolution sociale n'a pas trouvé le gouvernement qui l'aurait stabilisée en rendant ses résultats définitifs. Cette garantie de stabilité est pour les doctrinaires l'avènement prochain de la classe moyenne. Ainsi, Royer-Collard, ancien député et ex-président de la Commission d'Instruction publique, écrira en 1822 : « La démocratie coule à plein bord dans la France. Il est vrai que, dés longtemps, l'industrie et la prospérité ne cessant de féconder, d'accroître les classes moyennes, elles se sont si fort approchées des classes supérieures, que, pour apercevoir encore celles-ci au-dessus de leurs têtes, il leur faudrait beaucoup descendre. La richesse a amené le loisir, le loisir a donné les lumières ; l'indépendance a fait naître le patriotisme. Les classes moyennes ont abordé les affaires publiques ; elles se sentent coupables ni de curiosité, ni de hardiesse d'esprit pour s'en occuper ; elles sentent que ce sont leurs affaires. »159(*). Les doctrinaires apparaissent donc comme un centre-gauche proche du centre-droit incarné par les constitutionnels, selon le positionnement de Louis Girard160(*). Pour en finir avec la droite modérée des constitutionnels, précisons qu'elle s'exprime dans des journaux comme Le Courrier ou le Journal de Paris, où ses voix appellent, pour les résumer, à une alliance de la royauté avec la liberté.

    Nous venons de présenter les trois principales forces politiques s'affrontant au lendemain du retour du roi, à savoir une droite ultra et la droite modérée des constitutionnels, les bonapartistes ne constituant plus qu'un épiphénomène, mais à ne pas négliger pour autant tant la peur qu'ils inspirent aux ultras reste certaine. Abordons à présent la question des tensions caractérisant le climat politique français, les mois précédant le soulèvement du Rhône du 8 juin 1817.

    I-1.2 Sur le plan national, la question du respect de la Charte, pomme de discorde entre constitutionnels et ultras.

    La question de la Charte, octroyée par le roi le 4 juin 1814, suscite depuis des débats violents au sein de la Chambre entre ultras, assez peu soucieux de son respect, et constitutionnels, fondamentalement attachés au respect de l'ensemble de ses dispositions. En ce qui concerne les libéraux de gauche, ou appelés aussi les indépendants, ils sont encore trop peu nombreux à la Chambre, en 1815, pour faire entendre leurs voix progressistes. D'après Jean-Claude Caron, ils disposent de moins de 15 députés à la Chambre en 1815161(*).

    Nous avons évoqué précédemment les dispositions principales de la Charte. Rappelons les à nouveau afin d'illustrer leur remise en cause par les ultras.

    Ce texte de 79 articles, dans sa version définitive, affirme un respect de la représentation nationale, malgré un nom et un préambule d'Ancien Régime. Cette représentation nationale est assurée par la Chambre des députés, élue au suffrage censitaire, et par la Chambre des pairs, héréditaires ou nommés à vie par le roi qui détient l'exécutif et partage le législatif avec les Chambres. Le parlementarisme n'est que de façade puisque c'est le roi qui a l'initiative des lois et qui les promulgue. En effet, l'article 14 lui permet de passer outre les Chambres, en lui donnant le droit de faire « les règlements et les ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois et pour la sûreté de l'Etat. ». De plus, le roi peut dissoudre la Chambre des députés devant laquelle les ministres que celui-ci nomme ne sont pas responsables. Le niveau extrêmement élevé des conditions du cens électoral exclut la majorité de la population du vote, donc de la représentation nationale, et plus encore de la participation directe en rendant quasi-inaccessible pour celle-ci le voeu de présenter des candidats aux élections. Le corps électoral élisant la Chambre est donc très réduit, moins de 100 000 électeurs, et le nombre d'éligibles avoisine environ les 15 000, puisque pour être électeur, il faut avoir au moins trente ans et payer 300 francs d'impôts, et que pour être éligible, il faut avoir quarante ans et payer 1000 francs d'impôts. La Charte, sans proclamer les droits de l'homme, reconnaît les principes fondamentaux de liberté, d'égalité, de propriété (y compris les biens nationaux). L'indépendance des juges, le jury, et la suppression des juridictions d'exception garantissent le droit des individus. Nous verrons comment très vite sur ces points, entre autres, les ultras vont mettre fin à ces garanties en légiférant massivement durant la Terreur blanche légale. La liberté de presse est garantie mais peut devenir sujette à encadrement en cas « d'abus ». Elle sera elle aussi très vite supprimer par les ultras. La liberté religieuse est assurée par la protection de l'Etat sur les différents cultes, mais la Charte proclame la religion catholique, religion d'Etat. Cette Charte, selon Jean-Claude Caron, définit une monarchie limitée, à mi-chemin entre monarchie absolue et monarchie parlementaire162(*).

    Cette Charte apparaît de par ses dispositions comme un compromis fragile entre un régime royal de droit divin et des acquis des régimes précédents, que le roi et les ultras ne pouvaient balayer, mais un compromis précieux pour les modérés comme les constitutionnels et dans une certaine mesure pour les premiers libéraux de gauche, qui voient dans ce texte notamment le seul frein aux abus du camp ultra. En effet, très rapidement, on peut affirmer que cet édifice institutionnel va céder sous le poids des attaques des ultras. Nous avons présenté comment le pays sombre à nouveau dans les violences orchestrées par les bandes royalistes, que nous avons également présentées précédemment, lors du terrible épisode de Terreur blanche de l'été 1815. Louis XVIII remonte sur le trône le 8 juillet 1815 au sein d'un pays en proie à l'anarchie, aux règlements de compte de bandes ultras contre les populations qu'elles jugent coupables d'appartenance jacobine ou bonapartiste. Arrive le moins d'août 1815, les troubles ne sont toujours pas finis, et se tiennent les premières élections législatives visant à composer une première assemblée au ministère Talleyrand (juillet-septembre 1815). Les ultras, fort de leur politique de terreur, remportent largement ces élections. Ils composent pratiquement à eux seuls la première Chambre, avec environ 350 députés sur 398 sièges163(*), que Louis XVIII qualifiera « d'introuvable », à la fois surpris et inquiet de ce raz-de-marée ultra. Les députés ultras ont alors les mains entièrement libres pour transposer dans les textes la Terreur blanche animée par leurs bandes. Se greffe alors à l'automne 1815, une Terreur blanche légale. Talleyrand avait démissionné en septembre, et le nouveau ministère Richelieu (1815-1818) assisté de son ministre de la Police, Decazes, qui doutera vite de la stratégie extrême des ultras, ne pourra contenir les députés ultras à la Chambre.

    Le 7 octobre 1815, le roi ouvre la session de la nouvelle Chambre des députés, déjà noyautée notamment par les Chevaliers de la Foi, groupe royaliste ultra, qui se mêlent de la préparation du travail législatif164(*). D'octobre 1815 à juillet 1816, les députés ultras vont voter plusieurs grandes lois réactionnaires. Rappelons les quatre principales.

    - Une loi de sûreté générale (29 octobre 1815) permettant provisoirement l'arrestation de suspects de complots contre la sûreté de l'Etat. Seul le député libéral Voyer d'Argenson s'y opposa.

    - Une loi contre les cris et les écrits séditieux (9 novembre 1815).

    - Une loi organisant des cours prévôtales (27 décembre 1815).

    - Une loi d'amnistie (12 janvier 1816), qui exceptait de celle-ci, en les punissant d'exil, les personnes soumises à la résidence surveillée par l'ordonnance du 24 juillet 1815 et les régicides qui s'étaient ralliés aux Cent-Jours, parmi lesquels Fouché, Carnot, le peintre David...

    La folie des ultras n'avait dés lors plus de limite. Les historiens Jardin et Tudesq rapportent même que le gouvernement dut repousser un amendement qui visait à punir de mort la détention d'un drapeau tricolore !165(*) Des condamnations à mort, il y en eut pourtant de réelles. Comme celle qui émut beaucoup l'opinion, du maréchal Ney, condamné à mort par la Chambre des pairs et fusillé le 7 décembre 1815. De même, on peut citer le général La Bédoyère, condamné à mort et exécuté le 19 août 1815. Autre fait marquant aussi la vengeance des ultras envers les anciens membres de l'Empire, arrêté à Avignon, le maréchal Brune est assassiné et son corps jeté dans le Rhône le 2 août 1815. Selon Jardin et Tudesq, ces nouvelles lois d'exception se traduisirent par 6 000 condamnations politiques environ, dont moins de 250 par les cours prévôtales, ce qui prouve qu'elles n'avaient que peu d'utilité166(*)... Enfin, l'épuration des administrations fut beaucoup plus sévère portant peut-être sur le quart ou le tiers des fonctionnaires167(*). Cette Terreur blanche légale durera jusqu'à l'été 1816. A cette période, sur proposition secrète de Richelieu et surtout de Decazes, le roi signa le décret de dissolution de cette Chambre incontrôlable, le 5 septembre 1816.

    Cet épisode de la Terreur légale a révélé l'instabilité politique du régime naissant de la Charte. Les ultras, fort de leur soutien d'un écrivain et théoricien du gouvernement de la Charte comme Chateaubriand, avec son De la monarchie selon la Charte, ont réussi à paralyser le ministère, légalement et étrangement de manière moderne, par la voie parlementaire... La Chambre dissoute, des élections s'organisèrent dés le mois d'octobre 1816, avec l'espoir qu'elles ramèneraient la stabilité politique. En effet, les excès des députés ultras avaient même réussi à lasser le roi et surtout inquiétaient les autres puissances européennes. Retenons tout de même de cet épisode de Terreur blanche légale, la judiciarisation qu'elle réalise du tout jeune régime restauré de Louis XVIII. Les libertés publiques fondamentales, en principe garanties par la Charte, comme celles d'expression, notamment par voie de presse, de réunion et d'association sont dans leur ensemble écrasées par les lois des députés ultras sur la sûreté générale (29 octobre 1815) officialisant la suspicion latente de complots politiques envers les réunions d'individus, par la loi contre les cris et écrits séditieux (9 novembre 1815) mettant la presse sous haute surveillance, et la loi organisant les cours prévôtales (27 décembre 1815) créant des juridictions d'exception pour les crimes d'atteintes à la sûreté de l'Etat ou de simples troubles à l'ordre public. C'est dans ce climat d'autoritarisme judiciaire et policier que les ultras vont exciter le spectre des conspirations contre le royaume. Fait révélateur, les fortes restrictions pesant à présent sur la liberté d'expression, en interdisant toute critique du régime, visent sans aucun doute à museler l'opposition des constitutionnels et celle, plus fébrile encore en ces années 1815-1816, des libéraux et des bonapartistes. La grande crainte des ultras réside donc en ces années plus dans la société civile qu'au sein de la Chambre au regard de l'écrasante majorité qu'ils y détiennent. Leur méthode est donc de bloquer toute circulation des idées remettant en cause leur politique. Le journal est ainsi ce vecteur de civilisation en plein essor que les ultras veulent surveiller. On comprend mieux alors les observations d'Alexis de Tocqueville lorsqu'il rapportera ces impressions sur la presse en Amérique lors de son voyage en 1830-1831, réflexions plus générales sur l'influence des journaux sur une société rapportées dans son livre De la démocratie en Amérique (1er volume, 1835) : « Les journaux deviennent donc plus nécessaires à mesure que les hommes sont plus égaux et l'individualisme plus à craindre. Ce serait diminuer leur importance que de croire qu'ils ne servent qu'à garantir la liberté ; ils maintiennent la civilisation. Je ne nierai point que, dans les pays démocratiques, les journaux ne portent souvent les citoyens à faire des entreprises fort inconsidérées ; mais, s'il n'y avait pas de journaux, il n'y aurait presque pas d'action commune. Le mal qu'ils produisent est donc bien moindre que celui qu'ils guérissent. »168(*). Ce que Tocqueville souligne quinze années après le début de la seconde Restauration française, c'est le caractère fédérateur et mobilisateur du journal, le rendant indispensable à l'action politique dans une société moderne. Les ultras n'ont aucun intérêt à voir s'épanouir la civilisation française quand celle-ci souhaite réactiver le passé révolutionnaire et/ou impérial. Ils l'étouffent donc, et la censure est le premier outil naturel de cette réaction.

    La Chambre dissoute en septembre 1816, les élections d'octobre se déroulèrent dans un climat d'extrême tension. Le ministre de la police Decazes, très proche du roi, s'efforçait par le biais de ses préfets de promouvoir le parti des « modérés », les constitutionnels, et le roi semblait aussi manifester cette orientation, inquiet des débordements récents des députés ultras à la Chambre. Les électeurs manifestèrent le désir de modération, puisque au sein de la Chambre élue le 4 octobre, on ne comptait désormais plus que 92 députés ultras sur 238 députés élus, 146 modérés, à savoir : 131 constitutionnels et environ 15 opposants libéraux169(*). Ces élections sont d'une grande importance quant aux rapports de force politiques à venir dans le pays. Les ultras sont dés lors freinés dans leur monopôle législatif à la Chambre, mais ils demeurent la deuxième force politique du pays, une force d'autant plus influente, nous l'avons vu, de par leurs réseaux d'influence encore très efficaces. Ce nouveau rapport de forces en faveur des constitutionnels et un peu des premiers libéraux marque l'entrée de cette Restauration dans une relative phase de libéralisation du régime. Comme le notent les historiens A. Jardin et A.-J Tudesq : « Aux yeux des historiens libéraux, c'est la plus belle période de la Restauration. »170(*). Pourtant, cette nouvelle période, que l'on appelle celle du « gouvernement des constitutionnels », qui s'étend jusqu'à l'assassinat du duc de Berry le 13 février 1820, est plutôt marquée par une très grande instabilité politique due au choc permanent entre ultras et modérés, à la solide et constante montée des libéraux qui s'appuient sur une classe moyenne en relative expansion, et à un retour non institutionnel des bonapartistes, ces derniers souvent s'alliant avec le jeune parti libéral ou participant à des complots visant à renverser le régime des Bourbons.

    Les constitutionnels parviennent tout de même à infléchir le durcissement du régime opéré auparavant par les ultras, en faisant voter trois grandes lois « libérales » de 1817 à 1819. Nous ne retiendrons que celles-ci, du fait que notre étude porte sur l'année 1817, et nous nous concentrerons d'ailleurs plus sur la première votée en cette année.

    La loi la plus remarquable de cette année 1817 est la loi électorale Laîné (janvier-février 1817). Elle est imputable à la nouvelle majorité des constitutionnels, qui unis, ont permis de renouer avec les dispositions de la Charte en la matière. Le droit de vote est accordé aux contribuables âgés de 30 ans et payant 300 francs d'impôts, et le droit d'éligibilité à ceux de 40 ans et payant 1000 francs. La Chambre sera renouvelée chaque année par cinquième, ce qui remarquons le, est source de tensions électorales constantes... Cette loi favorisait le vote des classes moyennes, et cela inquiétait grandement les royalistes effrayés de la montée des libéraux, s'organisant en parti, le parti des indépendants, formé après les élections de 1817. Pourtant, ce n'est qu'à partir des élections d'octobre 1818, qui virent les succès de Lafayette, Manuel et Benjamin Constant, que les indépendants vont s'affirmer numériquement à la Chambre. On observera à cette occasion que le mouvement libéral français est double. D'un côté institutionnel, son parti s'affirme d'élections en élections et gagne en « respectabilité » bourgeoise. D'un autre côté, certains de ses membres appuient, voire organisent même directement la lutte clandestine au sein des sociétés secrètes, comme celle de l'Union de Joseph Rey qui complotera en 1820, mais aussi auparavant au sein du personnel de complots plus amateurs comme celui de Didier à Grenoble en 1816, ou notre affaire de Lyon en 1817 soutenu par tous les opposants à l'oppression réactionnaire du personnel administratif et politique ultra. Mais comme le notent les historiens Jardin et Tudesq, malgré toute cette vitalité du mouvement libéral français : « (...) la police entrevoyait cette arrière-plan de la vie politique, s'en exagérait la portée ou s'en servait. »171(*).

    Cette loi est aussi marquante dans le sens où elle illustre la stratégie, qui relève plus du pari, des constitutionnels d'une libéralisation du régime, qui permettrait ainsi de ramener dans la majorité la plupart des opposants de gauche. C'était l'avis de Decazes, et plus généralement du groupe des doctrinaires. Mais dés les élections de septembre 1819, cette stratégie d'ouverture à la gauche libérale prendra fin, avec un Decazes formant avec de Serre une combinaison centre-droit, il tentera de négocier un rapprochement avec les ultras.

    Revenons sur une seconde loi « libérale », le terme est employé par A. Jardin et Tudesq172(*), pourtant « fruit » du gouvernement des constitutionnels : la loi Gouvion-Saint-Cyr sur le recrutement et l'avancement dans l'armée (mars 1818). Cette loi organisera un recrutement militaire à la fois par volontariat et par tirage au sort, et surtout réglementait l'avancement au détriment des nobles qui ne pourront désormais plus entrer directement dans l'armée en tant qu'officiers. Cette loi avantagera encore la bourgeoisie, au grand damne des ultras.

    Dernier loi « libérale » des constitutionnels à évoquer, la loi de Serre sur la presse en mai-juin 1819. En fait, il s'agira de trois lois. La première, sur les crimes et les délits de presse, affirmera enfin qu'une « opinion ne devient pas criminel en devenant publique ». La seconde donnera l'assurance aux auteurs poursuivis de comparaître devant un jury et non devant un tribunal correctionnel. La troisième loi, enfin, garantira aux journaux l'assurance d'être publiés librement sous condition de déclarer le nom des propriétaires et de verser un cautionnement.

    Nous le voyons donc. Peu à peu, le gouvernement des modérés, des constitutionnels, va desserrer l'étau que les ultras avaient placé sur la société. Cette libéralisation sera lente et relative. Donc, pour l'heure, retenons qu'en 1817, la société française souffre toujours de la réaction politique des ultras, inaugurée dés 1815 par leur Terreur blanche illégale puis légale. Hormis la loi Laîné relative aux élections, ne favorisant d'ailleurs que la bourgeoisie montante, les constitutionnels n'ont pas réussi à assouplir d'avantage le régime dans le sens de la Charte. La France de 1817 reste caractérisée par l'instabilité et la fragilité politique.

    I-1.3 Un climat de tensions politiques exacerbées par l'occupation des troupes autrichiennes et le succès du retour de Napoléon à Lyon

    Rétrécissons notre champ d'observation en nous focalisant à nouveau sur la ville de Lyon. A la veille de la première prise de pouvoir par Louis XVIII, les Lyonnais voient le risque d'une nouvelle occupation de leur ville par des forces étrangères. Le 21 mars 1814, les troupes autrichiennes rentrent dans Lyon, faisant courir le risque de nouvelles violences collectives dont la ville a déjà tant été le théâtre. Comme l'observe Bruno Benoit : « En janvier 1814, devant l'approche des Autrichiens, les élites lyonnaises, tous qualificatifs et origines confondus, se décident rapidement à ne pas défendre leur ville... »173(*). Cette démission des élites lyonnaises face à l'ennemi est due à la peur de revivre un épisode de violences civiles du type de celles de 1793, mais surtout est motivée par le pari que le retour des Bourbons s'accompagnera de la paix, et donc ce retour du roi apparaîtrait comme un moindre mal. En ce sens, Bruno Benoit écrit avec justesse : « Lyon préfère se livrer à l'ennemi, qui est cependant l'ami des Bourbons, plutôt que d'être livré à lui-même ! »174(*).

    Ainsi, le 8 avril 1814, la municipalité lyonnaise reconnaît bien Louis XVIII comme roi de France avant Paris, mais il nous faut comprendre qu'il y a déjà la encore divorce entre ces élites lyonnaises et le peuple de Lyon. En effet, l'épisode des Cent-Jours vient rappeler immédiatement l'assise populaire de l'Empereur en cette ville. Le royalisme ne fait pas l'unanimité sous cette première et pâle Restauration. Dés lors, il n'est pas surprenant d'observer que le 10 mars 1815, le comte d'Artois venu demander aux Lyonnais de résister au retour de l'Aigle, il est accueilli sans ferveur alors que Napoléon, le 13 mars, reçoit un accueil triomphal de la population, canuts en tête, aux cris de « Vive l'Empereur ! Mort aux royalistes ! A bas les prêtres ! »175(*). On retrouve déjà là, toutes les composantes socio-politiques du soulèvement à venir de juin 1817. Lyon est donc toujours en ces années un vivier de forces du bonapartisme populaire que nous avons décrit précédemment. Pour comprendre cette réactivation de ce sentiment, de ce sursaut jacobino-républicain associé à l'Empereur, il nous faut évoquer la désaffection des Lyonnais envers les élites politiques royalistes locales.

    I-1.4 La déconsidération croissante des élites royalistes à Lyon

    Ce sursaut bonaparto-républicain trouve sa source dans le sentiment de défiance des Lyonnais envers les royalistes locaux, à commencer par leur maire : le comte de Fargues. En effet, Lyon, comme nous l'avons vu précédemment, est infiltrée par les ultras depuis fort longtemps, notamment dans les rouages administratifs et politiques de la ville. Ainsi, très maladroitement le maire ultra, de Fargues, déclare le 7 mars 1815 que Bonaparte est au service des ennemis de la France, alors que ce dernier est à Grenoble. En effet, les élites royalistes lyonnaises ont compris le danger de ce potentiel bonapartiste de la ville. Dés lors sous la seconde Restauration, Lyon demeure une ville à surveiller pour le pouvoir central, et ce malgré le royalisme affiché par une partie de ses élites. Ainsi, pour les royalistes, les descendants des « Chalier » auraient épousé la cause napoléonienne. Bruno Benoit l'affirme en ces termes : « (...) s'est opérée à Lyon, aux yeux du pouvoir central, la confusion entre bonapartisme et tradition révolutionnaire. »176(*). Sur ce point, ils n'avaient peut-être pas tort au regard du mélange des symboliques révolutionnaires et bonapartistes des événements du 8 juin 1817. La conséquence de cette perception des ultras est la forte tutelle administrative pesant sur Lyon où s'entremêlent et parfois se superposent l'autorité du préfet, Chabrol de Croussol, du maire, le comte de Fargues, et du lieutenant général commandant la 19ème division militaire, le général Canuel. Ainsi, les ultras locaux surveillent activement la ville de Lyon. Face à la défiance à peine contenue des classes populaires lyonnaises à leur égard, les royalistes locaux répriment violemment toute manifestation de critique du régime restauré, très souvent en multipliant les accusations de complots en gestation, en tentant en somme de réactiver le spectre de la guerre civile lyonno-lyonnaise. Donc face à cette désaffection populaire des Lyonnais, les ultras locaux vont sévir particulièrement violemment lors de l'épisode de Terreur blanche. Cela nous mène à évoquer l'année 1816 à Lyon, marquée par les violences des ultras, leurs manipulations, mais aussi par la montée en puissance de la figure locale de Camille Jordan, certes royaliste, mais plus modéré puisqu'il rejoindra vite le camp des constitutionnels.

    I-1.5 La multiplication des rumeurs de complots avec Napoléon en toile de fond, et la montée en puissance d'élites constitutionnelles lyonnaises comme Camille Jordan.

    Louis XVIII reprend le pouvoir dans un pays en proie à l'anarchie des violences ultras lors de la Terreur blanche, sévissant durement, en particulier, dans le sud-est de la France. Durant l'été 1815, la vallée du Rhône est le théâtre de nombreux massacres. Nous avons évoqué le cas du maréchal Brune, arrêté à Avignon, qui fut massacré puis son corps jeté dans le Rhône le 2 août 1815. A Lyon, la Terreur blanche et sa répression vengeresse à l'encontre des jacobins et des bonapartistes se prolonge durant toute l'année 1816. Ainsi, le général Mouton-Duvernet est exécuté à Lyon le 23 juillet 1816. Ce général, de l'ancienne armée impériale, a connu le même sort que 18 autres généraux renvoyés en juillet 1815 devant les tribunaux militaires. La Bédoyère et Ney avaient déjà été exécutés. Lavalette est en fuite. En mai et juin 1815, les tribunaux s'étaient durcis : le général Chartran fut fusillé, le général Bonnaire fut dégradé publiquement, son aide de camp, le lieutenant Mietton fut exécuté plaine de Grenelle177(*)... La France vit donc en ces années 1815-1816 une implacable vague d'épuration à l'égard de l'ancien personnel napoléonien, et le département du Rhône n'est pas épargné. Les ultras ont compris le danger d'une renaissance de velléités bonapartistes appuyées par des jacobins. Dés lors, en plus de l'épuration « légale » des députés ultras, le camp de la réaction met en oeuvre la stratégie de la peur qui nourrit depuis fort longtemps l'imaginaire politique royaliste : la peur du complot. Pour réveiller ces peurs au sein de la population, les autorités ultras insufflent régulièrement des rumeurs de complots avec Napoléon en toile de fond. Nous avons ainsi présenté dés l'introduction l'entretien des ultras à Lyon d'un climat de désinformation, avec la mise en scène de petites « affaires », reposant souvent sur d'obscures dénonciations d'entreprises secrètes par voie de lettres anonymes. Ces affaires au service du climat de peur que les ultras entretiennent au sein de la population lyonnaise sont souvent manipulées, dans le sens où si parfois il peut y avoir de réels projets de complots politiques, majoritairement la police en a déjà infiltré l'entreprise et manipule donc aisément son déroulement...

    Comme l'observe Georges Ribe : « Désormais, la tactique des ultras s'appliquera à démontrer au Roi que la politique inaugurée le 5 septembre (1816) favorisait les espérances et les audaces du parti révolutionnaire ; que la poursuite d'une telle politique aboutirait au renversement des Bourbons. »178(*). Dés lors, les ultras lyonnais s'appuyaient sur la nouvelle administration militaire, et notamment sur le général Canuel, un ultra convaincu qui sera à l'origine des arrestations des insurgés du 8 juin 1817 et des lourdes accusations à leur encontre de complot politique. Le lieutenant de police Charrier-Sainneville, esprit fin plus proche des constitutionnels, qui tentera bien que mal d'éclaircir les questions de la réalité d'un projet de conspiration au sein de l'affaire du 8 juin, rapporte que Canuel : « fut l'un de ceux qui se prononcèrent avec un extrême emportement contre l'ordonnance du 5 septembre. Il ne voyait plus ou ne paraissait voir que des complots. On conspire, disait-il sans cesse. La conspiration est dans les esprits, dans l'air, partout. Les ennemis du trône se réjouissent, il faut s'attendre à des mouvements. »179(*). Ainsi, s'était mise en place à Lyon une sorte de contre-police militaire qui marchait en opposition avec la police civile, rapporte Georges Ribe180(*). Le but de celle-ci était de débusquer une conspiration contre le royaume, et son zèle dans ses investigations ne pouvait que laisser prévoir la déraison en cas de découverte du moindre indice d'activités politiques parallèles. Elle se livrait à des visites domiciliaires à toute heure de la nuit et du jour, et effectuait des arrestations sans la moindre autorisation autre que celle de ses chefs. Toutes ces démarches étaient donc extrêmement politisées, avec le but à peine masqué de créer le scandale en 1816 qui ferait renoncer le roi à la dissolution de la Chambre introuvable, dont les ultras préssentaient à l'été qu'il pourrait en perdre leur contrôle illimité, voire pire simplement leur majorité. Nous voyons donc comment le débat autour de la Charte fut central dans le déclenchement des troubles à venir et surtout de leur manipulation par le camp des exagérés. Ces abus de pouvoir des autorités ultras lyonnaises créaient ainsi des conflits d'autorité avec la police. Le lieutenant Charrier de Sainneville, chef de la Police civile, ne croyait pas que l'on pouvait comploter sérieusement à Lyon et selon lui, ces menées observées étaient le fruit des intrigues des officiers supérieurs ultras et de leur contre police. Mais nous reviendrons sur cette question, lors du point consacré à la thèse de la provocation policière. L'année 1816 est donc rythmée par de petites affaires de conspirations déjouées. Nous avons évoqué ainsi la conspiration-insurrection de Grenoble qui éclate sous la direction de Paul Didier, le 4 mai 1816. Ce complot bonapartiste ? républicain ? orléaniste ?, le flou sur ses intentions reste aujourd'hui encore entier, mobilisa 400 à 500 insurgés qui tentèrent de s'emparer de Grenoble et projetaient de marcher sur Lyon. On ne peut nier l'existence de cette conspiration mais il est clair que les autorités locales exploitèrent grandement l'affaire au profit du parti des Bourbons, en déformant certainement les intentions des insurgés. Ce qui est à souligner est la rapidité, voire le caractère expéditif du traitement de l'instruction de l'affaire et de la condamnation des séditieux, par des cours prévôtales, ces nouvelles juridictions d'exception au sein desquelles l'exercice de la loi laisse dubitatif. Didier exécuté le 10 juin 1816, de même que 16 de ses comparses, cette affaire crée un précédent pour les ultras et dans un sens une sorte de jurisprudence du complot, légitimant leur surveillance militaro-policière de la ville de Lyon et leurs investigations secrètes.

    Ainsi, les généraux Canuel et Maringonne sollicitent le 4 octobre 1816, jour de la réunion du collège électoral, un réunion chez le préfet du Rhône, Chabrol, ancien fervent bonapartiste désormais jurant fidélité au roi, au cours de laquelle ils dévoilent un long rapport selon lequel un groupe de conjurés aurait pour dessein de « massacrer les prêtres et les royalistes, et de proclamer pour souverain le fils de Bonaparte. »181(*). Les chefs de ce cercle devaient rétablir à niveau moindre les prix sur les pommes de terre et les autres denrées alimentaires. Le lieutenant de police Sainneville se rendit sur les lieux suspectés de réunion des conspirateurs, à savoir une maison sur la colline de Fourvière, et assura le préfet de l'inexistence de tout risque. C'est sans importance pour les ultras, puisque ils ont déjà réussi à faire élire trois ultras de plus en portant en ville ces fausses révélations qui causèrent l'émoi.

    Le 9 octobre 1816, le général Maringonne fait part à Sainneville d'un autre projet de complot du même type. Sans en attendre l'autorisation, Maringonne fait arrêter huit individus et remet au préfet un copieux dossier de 21 pièces, tissu d'allégations mensongères recueillies par deux agents infiltrés, au service des généraux selon Georges Ribe182(*). Selon, ce document, les insurgés se réunissaient chez un pasteur protestant et à la loge maçonnique du Pilatat. Leur souhait était de ramener Bonaparte et ainsi : « La France sera sauvée, aurait dit l'un des conjurés, et le travail reprendra sous le règne de l'Empereur où nous serons plus heureux, que sous le règne de ces gros cochons de Bourbons. »183(*). L'affaire paraissait dérisoire puisqu'elle ne reposait que sur de simples paroles invérifiables. Cependant, les généraux Canuel et Maringonne ne désespèrent pas de trouver motif à leurs voeux de sinistres complots ourdis contre le royaume. Ils font fouiller Saint-Just à deux heures du matin, pour n'y trouver que trois fusils rouillés... Ce ne sera peut-être que le 24 décembre 1816, que Canuel trouvera matière à exciter les foules lyonnaises en découvrant des placards séditieux à Saint-Georges où l'on devait y lire : « Prenez courage, Napoléon revient, et nous aurons le pain à quatre sols. ». Cependant, à cette époque, le préfet demeure prudent et ne se laisse pas entraîner dans l'emballement des généraux ultras.

    Il est à noter que depuis les élections d'octobre, et donc le net recul des ultras à la Chambre, ces derniers cherchent à regagner de la légitimité populaire en trouvant dans de quelconques événements prétexte à de véritables affaires politiques. Ainsi fin 1816-début 1817, une forte rivalité entre police militaire à la solde des ultras et police civile plus modérée, s'est installée à Lyon. En février 1817, le lieutenant de police civile Sainneville fait arrêter un gendarme dont les démarches « avaient pour objet de découvrir des bonapartistes, afin de les livrer ensuite à l'autorité. »184(*). L'affaire qui aurait pu coûté cher aux autorités militaires sera vite étouffée. Mais les généraux ultras continuent leur zèle. Lors de deux rixes aux Brotteaux et aux Terreaux, entre soldats suisses et habitants en avril, les autorités militaires affirment qu'un rassemblement de sept cents hommes armés de pistolets et de bâtons projetait par la suite de prendre la ville. Le tribunal jugeant ce rassemblement calma l'autorité militaire en condamnant les prévenus à quinze jours de prisons.

    Parallèlement à ce climat savamment entretenu par les autorités royalistes ultras lyonnaises de désinformation générale, le camp royaliste se divise avec pour ligne de fracture la question de la Charte et surtout celle de la dissolution de la Chambre introuvable. Les ultras théorisent une révision de la Charte, notamment sous la plume de Chateaubriand, visant à accroître le rôle des Chambres par rapport au Ministère, donc leur influence. Les royalistes modérés, les constitutionnels, s'attachent au strict respect de la Charte, mais peinent à gouverner face à une Chambre des députés de plus en plus hostile. Decazes obtient donc facilement du roi la dissolution de la Chambre devant laquelle le Ministère constitutionnel ne trouve que trop peu d'appui face au corporatisme des députés ultras. Désormais la vie politique française sous la Restauration sera marquée par des querelles électorales permanentes du fait de la dissolution de la Chambre en septembre 1816 puis de son renouvellement annuel par cinquième.

    A Lyon, on observe en cette fin d'année 1816 la montée en puissance de royalistes constitutionnels comme Camille Jordan, député de l'Ain, entraînant derrière lui des opposants libéraux, ou encore Pierre Thomas Rambaud, conseiller puis procureur général à la Cour de Lyon, et aussi Desuttes, prévôt du Rhône en 1818 et conseiller du parti libéral. Camille Jordan s'exprimera sur les suites de l'affaire du 8 juin 1817, et au regard de la stature qu'il gagnera au sein des constitutionnels lyonnais, il apparaît intéressant de présenter sa figure.

    Camille Jordan185(*) , législateur, est né à Lyon le 13 janvier 1771 et est mort à Paris le 19 mai 1821. Fils d'un négociant, adversaire de la Révolution, il devint l'un des promoteurs de la révolte de Lyon contre la Convention. Il se fit surtout remarquer dans la journée du 29 mai 1793 où il chercha à rallier les paysans des provinces voisines à la cause royaliste. Il se réfugie en Suisse le 9 octobre avec la chute de son parti puis s'exile en Angleterre. Revenu à Lyon lors de la mort de sa mère, Camille Jordan réussit à se faire élire par le territoire administratif de Rhône et Loire, le 25 germinal an VI, député au Conseil des Cinq-Cents. Il obtint l'abolition des lois édictées contre les prêtres insermentés, puis fut proscrit an 18 fructidor. Il parvint à s'échapper, se rend en Suisse puis en Allemagne à Weimar. Rappelé en l'an VIII par le gouvernement consulaire, puis mis en surveillance quelques temps à Grenoble, il se prononce contre le 18 brumaire, pour adhérer, après la déchéance de l'Empereur en 1814, au parti des Bourbons. Le 4 octobre 1816, Camille Jordan est élu député par le collège de l'Ain, devient président de la Chambre, et le 30 novembre suivant, il est nommé conseiller d'Etat. Il obtient sa réélection de député le 20 octobre 1818, se rapproche alors des modérés et devient l'un des chefs de l'opposition constitutionnelle. Dans la session de 1819, il vota contre les lois d'exception ; c'est à ce moment qu'il tomba malade et mourut dans les premiers mois de 1821.

    Camille Jordan fut un des grands promoteurs de la modération à Lyon en ces années 1816-1818. Comme le rappelle Sébastien Charléty : « Camille Jordan avait énergiquement pris parti pour Fabvier et Sainneville, (le premier, officier colonel croyant assez peu à la thèse de la conspiration tout comme le second que nous avons déjà présenté, lieutenant de police en charge de l'affaire), sa brochure La Session de 1817 était un réquisitoire contre les ultras de Lyon. A la Chambre, où les allusions aux « événements de Lyon » soulevaient de fréquents tumultes, son discours du 22 avril (1818) avait très nettement rejeté la responsabilité de la conspiration « sur le parti qui avait eu la direction de l'opinion royaliste dans le département », sur les agents du pouvoir du pouvoir à qui, « par un contre sens politique », on avait confié le soin de défendre un programme qu'ils détestaient. La campagne électorale se fit sur les événements de 1817. « La question qui s'agite, écrivait un libéral, se présente sous deux aspects ; 1° un député à nommer ; 2° un jugement à porter sur les événements dont le département a été le théâtre. ». Le nom de Jordan était à lui seul une opinion. »186(*). Et Camille Jordan symbolisa pour les électeurs le rejet des manipulations des ultras lyonnais puisqu'il fut réélu député au premier tour le 5 octobre 1818 avec 776 voix sur 1288 votants187(*).

    Cette solide affirmation du parti des constitutionnels, entraînant derrière elle le jeune parti libéral avec qui les constitutionnels s'allient de plus en plus lorsque tous deux s'opposent aux ultras, se matérialise par un rééquilibrage constant au fil des années des rapports de force à la Chambre des députés. Pour finir sur la présentation de ce contexte politique mouvant des premières années de cette nouvelle Restauration, on retiendra cette affirmation des constitutionnels et l'émergence des libéraux réunis au sein de leur parti des indépendants. Ce rééquilibrage jusqu'en 1824 est résumé par ce tableau des évolutions de la Chambre des députés :

    La Chambre des députés et ses majorités successives188(*)

    Chambre introuvable (1815) : 350 ultras/398 sièges

    Elections de 1816 : sur 258 députés, 150 constitutionnels, 90 ultras et 15 libéraux

    Elections partielles de 1817 : progression des Indépendants de 13 à 25 sièges

    Elections partielles de 1818 : les Indépendants gagnent 19 voix

    Elections partielles de 1819 : les Indépendants gagnent 25 voix

    Elections de 1820 (régime de la loi du double vote) : 30 libéraux et 50 constitutionnels

    sur 430 députés.

    Chambre retrouvée (1824) : 415 ultras sur 430 députés

    La France sous Louis XVIII est donc traversée par de grandes tensions politiques au niveau national comme au niveau local. Nous avons pu illustrer l'affrontement entre ultras et modérés, et ce notamment à Lyon et dans sa région, où résonnent constamment des rumeurs de complots jacobino-bonapartistes, fruits des manipulations et de la propagande ultra. Abordons à présent la question de l'état économique et social de la région Rhône-Alpes en ces années 1810-1820 en présentant notamment la crise des subsistances de 1817, un des vecteurs clefs des troubles politiques du mois de juin 1817 dans le Rhône.

    I-2. L'état économique et social de la région Rhône-Alpes en 1810-1820 et la crise des subsistances de 1817

    Le but de ce point est d'opérer une lecture sociale d'un contexte politique anxiogène.

    Nous commencerons par rappeler rapidement les conditions socio-économiques difficiles du sud-est de la France en ces années, avant de décrire la crise des denrées alimentaires de 1817.

    I-2.1 Bref tableau des difficultés de la France du Sud-Est sous la Restauration

    La société française en 1815 est considérablement affaiblie, suite à 26 années de guerres et de révoltes. On observe toujours un poids très lourd des structures de l'Ancien régime, notamment au niveau des hiérarchies sociales et culturelles. Ces années sont de plus marquées par des crises de subsistances et des épidémies meurtrières. De ce fait, on remarquera le phénomène de nostalgie politique de cette société qui refuse de faire le deuil soit de l'Empire, soit de la Révolution. Comme le précise Christophe Charle189(*) : « Il y a là tout un complexe de réflexes populaires de résistances dans les situations extrêmes qui ne s'explique à ce degré que par le souvenir des journées révolutionnaires ou des guerres civiles provinciales. Le bilan des années 1789-1815 est donc tout à la fois fait de nouvelles structures et de modes d'action collective ou de mythes mobilisateurs périodiquement réactivés sans lesquels la dynamique sociale de la première moitié du XIXème siècle est incompréhensible. ». La France de la fin de l'Empire est donc physiquement meurtrie. Au niveau de sa jeunesse, elle a payé un lourd tribut du fait des guerres, où la pratique s'est même répandue de se mutiler pour échapper au champ de bataille. On observe ainsi à la fin de l'Empire une surmortalité due à des crises de subsistances récurrentes, ces dernières trouvant leur cause dans le manque d'hommes pour cultiver les terres. Ces crises de subsistances sont donc plus aigues dans les régions touchées par la conscription. La France de l'Est a connu les combats sur son territoire, elle est donc plus meurtrie, mais pourtant la population reste attachée à l'armée du fait de la promotion sociale qu'elle peut offrir.

    Ces guerres napoléoniennes ont provoqué un déracinement de la paysannerie, la divisant entre vétérans attachés à la légende de l'Empereur et opposants à l'autoritarisme de son Etat. Comme le remarque Christophe Charle190(*), la structure de la société française au début du XIXème siècle est encore proche de celle de l'Ancien régime. La population est sous-alimentée, victime d'épidémies, le choléra refrappera en 1832. On note toujours un taux élevé d'orphelins, ou d'enfants abandonnés.

    Au niveau culturel, on ne peut que déplorer les retards dans l'enseignement du français, que traduisent la sous scolarisation et la sous alphabétisation, plus forte chez les femmes, majoritairement cantonnées à la maison. Ainsi comme l'observe judicieusement Christophe Charle, cela participe sous la Restauration d' « une société du manque et de l'obscur »191(*). Ses membres sont trop privés des biens élémentaires pour réclamer l'instruction.

    De même on peut observer des carences dans la formation des élites. Moins d'un million d'enfants sur quatre millions fréquentent l'école et encore de manière irrégulière. La pauvreté empêche en effet le recrutement d'instituteurs dans les communes, ou quand ceux-ci sont employés, ils sont mal payés et resteront déconsidérés jusqu'en 1833, lorsque la loi Guizot sur l'instruction revalorisera leur statut.

    A retenir surtout de la société sous la Restauration est son extrême division. La première source de cette absence de cohésion est la lutte pour la propriété. En effet, comme le rappelle Christophe Charle, seule une fraction des biens nationaux a été réellement vendue à un million de Français. Dans le Lyonnais, seule 4% de la superficie du département change de mains192(*). Sur ces inégalités économiques se greffent des inégalités politiques, voire civiques. En effet, comme nous l'avons déjà souligné, seuls les propriétaires fonciers peuvent voter jusqu'à la mise en place de la Charte, qui n'abolira cependant pas les inégalités du suffrage censitaire. La France sous la Restauration est donc marquée par l'exclusion et des révoltes violentes, notamment dans les petites villes où s'affrontent périodiquement bourgeois et nobles. Retenons pour la ville de Lyon, qu'elle est déjà en 1815, un grand centre administratif, commercial, artisanal et industriel, comme les villes de Lille, Strasbourg et Paris. Une des grandes divisions de cette société des années 1810-1820 est le choc ville/campagne. Ainsi, comme le rapporte toujours Christophe Charle, les populations pauvres des campagnes, aveuglées par l'illusion du rêve urbain, migrent vers les villes, créant ainsi une inquiétude sociale de la bourgeoisie face à ces populations193(*). S'affirme encore sous la Restauration donc le phénomène de l'indigence, notamment dans les grandes villes comme Paris et Lyon. A juste titre, Christophe Charle affirme que : « La société française de la Restauration cumule l'héritage de l'Ancien Régime et les pathologies de la société industrielle émergente. »194(*).

    Les plus exclus sont les femmes, les jeunes et les prisonniers. De grandes tensions naissent dans ces années entre les « vieux » détenant le pouvoir réel et symbolique, et cette majorité d'hommes jeunes privés d'un avenir indépendant des codes de l'Ancien Régime. C'est à cette époque que se développe ainsi le thème de la gérontocratie. L'agitation étudiante qui grandira sous Louis XVIII témoigne de cette véritable fracture générationnelle. De même, la Restauration poursuivra ses pratiques systématiques de l'enfermement des fauteurs de trouble, comme cela était déjà le cas généralisé sous Napoléon. L'ordre carcéral entérine les inégalités sociales, avec des « riches » qui peuvent échapper à une cellule par le paiement de cautions élevées.

    La France du Sud-Est est ainsi elle aussi très touchée par ces maux que sont la misère rurale, l'exclusion des villes, les peurs liées aux crises alimentaires et aux épidémies. L'instabilité politique locale marquée par les conflits entre nostalgiques de l'Empire, républicains et royalistes de diverses sensibilités, rend ce cadre économique et social insupportable pour des populations paupérisées qui n'ont plus rien à perdre en faisant le choix de la révolte. Dés lors comme le précise toujours Christophe Charle, c'est le sentiment classique et dominant de la peur qui traverse la société française du début du XIXème siècle. Ces peurs sont le terreau des luttes violentes et des « antagonismes politiques, parfois convergents, parfois divergents, entre « notables », « capacités », paysans et prolétaires. »195(*).

    Dés lors, la classe dirigeante française de ces années offre une image paradoxale. Si les notables détiennent tous les leviers de commande : politique, administratif, la terre, l'industrie et la culture, « ils n'ont pas su gérer comme leurs homologues britanniques, le passage en douceur vers une société démocratique de classes moyennes par compromis historique progressif avec les nouvelles couches émergentes et l'élite des classes populaires. »196(*). Cette absence de transmission de relais démocratique s'explique par le poids du passé révolutionnaire, les souvenirs douloureux de la Terreur révolutionnaire paralysant une fraction de notables. On observe donc une domination des notables comme nouvelle classe en essor sur le prolétariat, mais aussi une division au sein des notables et des luttes de pouvoir entre eux.

    Cet enlisement de la société française sous la Restauration dans une misère chronique pour la paysannerie, et les luttes politiques au niveau urbain, est la promesse des explosions politiques et sociales à venir. Ainsi, pour finir sur ce point sur les difficultés économique et sociales de la France en ces années 1810-1820, nous méditerons cette réflexion de l'historien Christophe Charle à propos de la révolte des canuts lyonnais des années 1830-1831, raisonnablement transposable aux troubles précédents de Lyon en juin 1817 : « Toutes ces données expliquent comment une affaire, au début limitée, est parvenue en quelques semaines à symboliser l'émergence d'une fracture de la société bourgeoise, comment les canuts réputés pour leur soumission, sous l'action d'une minorité décidée et influencée par les missionnaires saint-simoniens ou républicains, ont pu conquérir la deuxième ville industrielle du royaume et y instaurer pour quelques jours une préfiguration de la Commune face à des autorités désemparées. La répression, elle-même, par l'armée, par les procès et par la prise de mesures restreignant les libertés, est génératrice d'une conscience de classe durable et d'une solidarité élargie. C'est pourquoi chaque conflit du travail, chaque trouble né de la misère urbaine peut entraîner très vite la masse des classes populaires dans la révolte ouverte et la remise en cause de la classe au pouvoir, celle-ci ne négociant jamais ou, quand, elle le fait, ne tenant jamais ses engagements. »197(*).

    I-2.2 La crise des subsistances de 1817

    Comme l'observe Georges Ribe : « Au moment où éclatera la sédition de juin 1817, la crise des subsistances atteindra son paroxysme et, corollairement, le coût de la vie son maximum. Cette pénurie résultait de l'abus des réquisitions en 1815 et, plus encore, de la récolte déficitaire de 1816. »198(*). Le prix du blé, de 21 francs l'hectolitre en novembre 1815, passait à 38 francs un an plus tard et atteindra son plafond : 58 francs 75 en juin 1817.

    Comme le soulignent aussi les historiens A. Jardin et A.J. Tudesq : « La crise de 1816-1817 n'est pas exclusivement française. (...) Mais elle prit en France une gravité exceptionnelle, car aux causes climatiques s'ajoutèrent les conséquences de l'invasion. »199(*). Selon ces derniers, l'Est de la France subit les hausses les plus fortes. En conséquence, on voit dans Lyon et sa région s'accentuer la misère populaire, avec ses phénomènes associés que sont les vols et attaques à main armée contre les propriétaires, et l'augmentation du nombre de vagabonds et de mendiants. En décembre 1817, le prix du pain dans le département du Rhône arrive à 7 à 8 sols la livre, mais la situation va encore s'empirer au cours de l'hiver à cause de la diminution du travail et de la réduction des salaires conséquente. Selon Georges Ribe, le nombre de pauvres portés sur les états des comités de bienfaisance s'élevait à cette période à environ 17 000 pour le département du Rhône200(*). Cette inflation du prix des denrées alimentaires due essentiellement aux mauvaises récoltes est source de tensions chez les classes populaires, pour qui le pain demeure la base de l'alimentation, et qui connaissent à nouveau des situations de famine. En juin 1817, la situation est quasi-dramatique. Toujours selon Georges Ribe, la farine de blé était montée presque subitement de 46 à 64 francs le quintal. Le pain était à un onze sous la livre dans le département201(*). Face à ce climat de misère économique, les autorités locales craignent d'autant plus un soulèvement motivé par des conspirateurs qui pourraient appuyer alors aisément leurs visées politiques avec le mécontentement populaire généré par la cherté des denrées alimentaires. Le préfet du Rhône, Chabrol, se refuse alors à une nouvelle augmentation du prix du pain, sentant désormais le caractère explosif de la situation... Dans un rapport du 6 juin 1817, il note : « (...) convaincu que cette mesure eut été d'une haute impolitique. Il se confirme que l'opinion générale des campagnes était qu'on augmenterait le pain à Lyon, et que cette augmentation produirait un mouvement dont on comptait profiter... La seule espérance des factieux était dans un mouvement d'exaspération produit par la cherté des denrées... Ce n'est qu'en liant leur projet à un mouvement populaire qu'ils peuvent espérer réussir. »202(*). Selon les autorités, en effet, et aussi selon certains historiens, cette disette des années 1816-1817 est à l'origine directe des troubles de juin 1817 dans le Rhône. Nous reviendrons sur cette seule explication en montrant en réalité la complexité de l'événement.

    Retenons que cette crise des subsistances occasionna des rébellions dans de nombreux départements. Les premiers troubles apparurent dans le Nord, au Croisic, à Castres au printemps 1816. De l'Ain à la Haute-Vienne, de la Seine-Inférieure au Lot, les marchés sont attaqués, les boulangeries pillées, des rixes provoquent parfois des morts, comme le rapportent A. Jardin et A.J Tudesq203(*). A partir de mai-juin 1817, éclatent de véritables jacqueries : en Brie, en Essonne (3-4 juin), dans l'Aube, dans l'Yonne où les troubles revêtent un caractère démesuré. Le gouvernement prit du retard à mesurer l'ampleur de ces émeutes de la faim, auxquelles Lyon et son département, comme nous l'avons vu, étaient déjà accoutumés. Il est donc clair pour l'observateur de ces troubles politiques du Rhône en juin 1817, que la dégradation rapide des conditions économiques des populations confrontées pratiquement à la famine a joué un rôle non négligeable dans la mobilisation populaire du personnel de l'insurrection. Cependant, on ne pourra réduire ces événements à une simple émeute de la faim au regard des symboliques utilisées par les séditieux, de leurs revendications, de la structuration de l'organisation secrète en comités, du plan d'attaque des communes etc.

    Ce qui reste indéniable est la manipulation postérieure de ces troubles de juin 1817 par les autorités militaro-policières ultras, manipulations au service de leur parti, impatient de se prévaloir du titre de « sauveur du trône et de l'autel » pour reprendre la formule de Georges Ribe204(*).

    La France de la Restauration de Louis XVIII est donc marquée par l'ordre moral et policier organisé par les royalistes ultras. Mais cette réaction souffre d'un désordre politique avec l'affrontement au sein même du camp royaliste des constitutionnels et des ultras, et d'un désordre économique et social complet, comme nous venons de l'observer, avec de graves crises des subsistances récurrentes, des retards concernant l'éducation, une situation quasi inchangée dans l'accès à la propriété, des inégalités économiques de plus en plus criantes entre un prolétariat urbain ou rural et une classe de notables, elle-même encore en conflit avec la noblesse... Enfin, la société française sous Louis XVIII porte en elle les germes d'une contre réaction politique et culturelle avec un bouillonnement intellectuel du libéralisme politique et philosophique, qu'il soit l'oeuvre des idéologues, des doctrinaires, puis des indépendants de gauche.

    C'est dans ce cadre d'incertitudes et de peurs que nous devons à présent aborder la question de la conspiration du 8 juin 1817 dans le Rhône, en essayant de discerner les réalités multiples de l'événement.

    La conspiration du 8 juin 1817

    « La question n'est pas de savoir qui doit gouverner, comme le croyait Platon, car tous les hommes sont faillibles, y compris ceux à qui nous faisons confiance en leur accordant nos suffrages. Ce qui importe, c'est de savoir comment l'Etat doit être conçu et organisé, sur la base des lois, pour que les gouvernants n'abusent pas de leur pouvoir, qu'ils soient soumis au contrôle de leurs concitoyens, qu'ils tiennent compte de leurs critiques et qu'ils soient en cas de nécessité, susceptibles d'être destitués sans effusion de sang. »

    Karl Popper, Etat paternaliste ou Etat minimal, 1988.

    II- Le complot bonaparto-républicain et la question de la violence politique

    L'objectif de ce second thème consacré aux différentes réalités de la conspiration du 8 juin 1817 sera de retranscrire pour le lecteur la « politisation » de ces troubles qui méritent plusieurs lectures. Nous aborderons donc successivement la question préalable de la nature politique de l'événement en présentant ces différents acteurs, puis brièvement la question des facteurs déclencheurs de l'affaire, la politisation de celle-ci par le camp ultra lyonnais, la question du plan des conjurés avec en filigrane la question de la mesure du poids de la provocation policière quant à l'activation de l'insurrection, et enfin les suites politiques données à cette affaire par le pouvoir central.

    Nous avons déjà clairement mis en lumière le phénomène sous cette seconde Restauration française de convergences politiques nationales et locales, d'autant plus solides pour le cas de la ville de Lyon, entre un courant bonapartiste toujours potentiellement actif et donc surveillé par les ultras, et des républicains, pour l'essentiel des jacobins, qui appuient le jeune mouvement libéral des indépendants205(*).

    L'historien américain Eric J. Hobsbawm résume parfaitement cet état de confusion politique en France de toutes les forces d'opposition sous la Restauration : « Pendant la Restauration (1815-1830), la réaction avait mis sous le même éteignoir tous les partis d'opposition et, dans cet ombre il était difficile d'apercevoir les différences entre bonapartistes et républicains, entre modérés et radicaux. Il n'y avait pas encore de révolutionnaires ou de socialistes conscients d'appartenir à la classe ouvrière, du moins dans le domaine politique... »206(*)

    A Lyon, ce croisement d'intérêts entre bonapartistes et jacobins, qui inquiétait tant les autorités locales en 1815, va trouver sa matérialisation dans l'affaire du 8 juin 1817, de par le chevauchement des symboliques bonapartistes et révolutionnaires (au sens de la Révolution française de 1789) lors des séditions, mais aussi de par les ambitions du plan des conjurés qui visait après avoir éliminé le maire ultra de la ville et reconquis le pays, à installer une république menée provisoirement par le fils de Napoléon.

    Notons au sujet de cette conspiration, qu'elle demeure assez peu relatée par l'historiographie consacrée à la période. Ainsi, nous avons déjà largement évoqué et puisé dans les études relatives de Sébastien Charléty, Georges Ribe et Bruno Benoit. Les faits du 8 juin 1817 sont rapidement rapportés dans le tome 2 de La France des notables des historiens A. Jardin et A.J Tudesq207(*), G. de Bertier de Sauvigny leur consacre deux pages208(*), et Frédéric Bluche un paragraphe209(*). L'historien américain Alan B. Spitzer l'évoque aussi brièvement210(*). On retrouvera des études plus approfondies et récentes dans le recueil d'articles Secret et République sous la direction de Bernard Gainot et Pierre Serna211(*).

    Commençons par nous interroger sur la nature politique de cette affaire, puisque les divergences des historiens portent sur la désignation de ces troubles sous le vocable de conspiration ou d'insurrection.

    II-1. Conspiration ou insurrection ?

    Pour la plupart des observateurs de ces troubles du Rhône en juin 1817, l'entreprise du 8 avait été infiltrée depuis longtemps et son activation fut provoquée de l'intérieur par des agents à la solde des ultras locaux. Cette thèse est tout à fait exacte comme nous le préciserons ultérieurement. Cependant, une telle thèse pose l'interrogation légitime du bien fondé dans ce cas de la dénomination des ces événements sous le vocable de la conspiration. En effet, une conspiration est une entreprise secrète, collective et concertée, avec un but politique précis et surtout un plan d'action finement programmé. La plupart des tenants de la seule thèse de la provocation policière n'évoque pratiquement pas le plan d'action, le travail ritualisé de coordination des conjurés du 8 juin 1817. Car, il y eut bien conjuration comme nous le verrons, avec un recrutement sélectif d'un personnel rationnellement affecté à certaines tâches, serment du secret et de fidélité de ses membres, division de ces derniers en comités d'action... Cette réduction de ce complot à des manipulations des autorités militaires ultras de Lyon est compréhensible, du fait du scandale politique local que les révélations, notamment par Sainneville, de la machination ultra provoquèrent et se soldèrent sur décision du pouvoir central par des remaniements, des mutations des fonctionnaires en charge de l'affaire. L'histoire n'a retenu que l'affaire politique de ces troubles, la réduisant ainsi à une insurrection provoquée. Dés lors, les historiens comme G. de Bertier de Sauvigny, A. Jardin et A.J Tudesq ou encore A.B Spitzer ne retiennent que le caractère insurrectionnel de l'événement, mais aussi fort heureusement la répression entachée de mauvaise conscience de la Cour prévôtale du Rhône. Plus aboutie est l'étude de Josiane Bourguet-Rouveyre, contenue dans le recueil d'articles rassemblés sous la direction de Bernard Gainot et Pierre Serna, Secret et République 1795-1840. Josiane Bourguet-Rouveyre dans son article « Les bonapartistes dans les conspirations de 1815 à 1823 »212(*), défend la thèse la plus commune de la provocation policière comme origine du complot : « La plupart des nombreux complots de 1816 et 1817 sont d'origine policière et ont servi à attiser la Terreur blanche en faisant croire à la force et à la détermination des opposants au régime. Sous le prétexte de ces prétendus complots, des bonapartistes ont été durement réprimés... (...) Les deux conspirations les plus sérieuses sont celles de Grenoble et de Lyon, même si celle de Lyon est, à l'origine, une provocation policière. »213(*). Cette historienne a parfaitement raison sur l'existence de la manipulation policière, mais à mon sens d'après les archives consultées elle n'enlève rien au fait que la conspiration, dans ses buts et ses moyens, préexistait à cette manipulation. La question de l'origine première et bousculée de cette insurrection est donc centrale quant à son appellation ou non sous le terme de conspiration. Voilà, pourquoi, j'ai choisi dés l'introduction de qualifier l'événement de conspiration à visée insurrectionnelle, prématurément activée par la provocation policière.

    Venons-en donc aux faits et aux acteurs de ces troubles.

    II-1.1 Retour sur les faits : la question des acteurs et de leur rationalité

    C'est un dimanche 8 juin 1817 qu'éclate l'insurrection en fin d'après midi, menée par des bandes partant des campagnes du nord-ouest et du sud-ouest de Lyon pour converger vers la ville. Les troubles sont très vifs dans ces communes de la périphérie de Lyon, que sont Charnay, Chazay, Anse, Ambérieux, Chessy et Châtillon pour le nord-ouest, Saint-Genis Laval, Irigny, Millery, Brignais et Saint-Andéol pour le sud-ouest. On y sonne le tocsin, chante la Marseillaise, menace les maires et les curés, crie « Vive Napoléon II ! », réclame le pain à trois sous la livre. Souvent les insurgés arborent aussi la cocarde tricolore, tentent de s'emparer des mairies et des églises, le tout dans un climat de grande confusion214(*). Les insurgés prévoyaient de se porter sur Lyon une heure après leur prise des communes périphériques. Le but était de mettre Marie-Louise et son fils sur le trône de France. Mais ceux qui parvinrent aux portes de la ville furent arrêtés en fin d'après midi. Ils portaient sur eux des cartouches et des fusils, voulant selon la rumeur, assassiner le maire215(*).

    Les violences sont surtout le fait des campagnes en insurrection. Les séditieux s'en prennent violemment aux maires, comme à Saint-Andéol où le maire en est même contraint de rester cloisonné chez lui216(*), aux curés comme à Saint-Genis Laval où un rebelle alla jusqu'à mettre le pistolet sous la gorge du curé d'Irigny217(*). Les conjurés étaient organisés en six brigades devant déferler sur des points stratégiques de Lyon. Le lecteur retrouvera ce plan d'assaut déjà présenté dans l'introduction (page 26).

    Pour ce qui est de la ville même de Lyon, le mouvement fut contenu à ses portes, ce qui explique que l'on ne nota pas de grandes violences. N'oublions pas cependant quelques incidents notoires. En premier lieu, il y eut l'assassinat du capitaine Ledoux, de la Légion de l'Yonne, meurtre qu'instrumentaliseront grandement les ultras. Georges Ribe rapporte : « Vers onze heures du soir, le capitaine Ledoux, de la Légion de l'Yonne, se rendant à l'Hôtel de ville, fut poursuivi par des gens armés et, au moment où il se retourna pour leur faire face, il reçut deux coups de pistolet qui l'étendirent raide mort... »218(*). De même, un officier en demi-solde essuya un coup de feu dans un café de la place des Célestins, tiré d'un groupe de conspirateurs dont il avait entendu les propos et qui l'accusaient de vouloir les vendre219(*). M. de Ganay, colonel de la légion de l'Yonne, passant sur le quai de Saône, fut attaqué par trois individus. Toujours selon Georges Ribe, deux officiers nobles, appartenant à la légion des Hautes-Pyrénées furent pris à partie par un rassemblement sur le pont Saint-Vincent. Un grenadier de la Garde nationale fut blessé. Enfin, un homme du peuple fut trouvé porteur de douze sacs de cartouches, à la barrière de Serin, quelques autres de poignards, à la Croix-Rousse220(*).

    Ce qui ressort le plus des séditions dans les campagnes est une certaine confusion. Les insurgés, bien qu'armés de fusils de chasse et de calibres, se dispersent rapidement dés l'apparition des détachements chargés de la répression. Retenons les quatre caractères des séditions : force des symboles révolutionnaires (celle de 1789), appel au règne de Napoléon II, anticléricalisme, violences envers les maires ultras. Cette journée du 8 juin se solda par 248 individus enfermés par les autorités dans les caves de l'Hôtel de Ville de Lyon, sans autre motif que de vagues présomptions, et 300 arrestations dans les campagnes221(*).

    Observons à présent la structure de la conjuration.

    Pour l'accusation (le Ministère public), dans la séance du 25 octobre 1817 de la Cour prévôtale du Rhône, il s'agissait : « d'une vaste conspiration dont toutes les ramifications ne sont pas connues, et dont le but direct était le renversement du Gouvernement royal... »222(*).

    La conjuration était structurée en trois comités :

    - un comité supérieur, composé par Bernard, Joannard, Joannon fils.

    - Un second comité, présidé par Taysson, Barbier, Cochet, les deux frères Volozan, Bonand et Burdel.

    - Un troisième comité, avec à sa tête Jacquit, « un des plus ardents, des plus audacieux conjurés...Un de ces hommes qui ne connaissent aucun obstacle. »223(*). Ce Jacquit qui se disait colonel avait pour mission d'organiser les mouvements des communes rurales.

    Les chefs des bandes armées des campagnes étaient Valençot, les frères Tavernier, Oudin et Garlon. Le comité supérieur était en lien avec Paris, par le biais d'une femme, madame Lavalette, 28 ans, l'épouse de l'officier en fuite, condamné pour son service auprès de l'Empereur à dix ans de bagne. Madame Lavalette est une figure emblématique de l'affaire du 8 juin. Membre du comité supérieur du complot, elle habitait Paris et tenait des conférences secrètes avec des généraux, où ils discutaient d'entreprises secrètes à venir. Selon son témoignage, elle changeait de lieux de réunion régulièrement, les conjurations étaient désignées en termes empruntés du commerce.

    L'organisation de la conjuration en comités de type militaire préfigurait les organisations des Carbonari et des « ventes » des francs-maçons. De même, les serments d'allégeance des membres prouvent que l'on a bien affaire à une conspiration. Un conjuré, Cochet, rapporte lors de l'interrogatoire de la Cour, le passage du serment du poignard : « Chacun jura de perdre plutôt la vie que de dénoncer aucun des conspirateurs. »224(*). Il existait même un tribunal secret, chargé de frapper les parjures. Ses membres punissaient les traîtres. Le volume « Procédure » rapporte que des cadavres furent retrouvés aux Brotteaux et à la Pêcherie avec un poignard et l'inscription autour duquel : « Voilà la récompense des traîtres. »225(*).

    C'est Jacquit qui fixa au 1er juin le mouvement général, coordonnant le mouvement avec les campagnes armées. On y distribuait de l'argent et des cartouches. Beaucoup de conjurés avaient fait partie de la garde nationale, donc soit possédaient déjà des fusils, soit ils savaient déjà tirer. On retrouve là l'élément militaire classique des complots bonapartistes, avec des membres marqués par la « frustration » de la répression et de l'épuration de l'ancienne armée napoléonienne par les royalistes, d'où la force mobilisatrice à retenir de la nostalgie bonapartiste. A l'origine, le plan était de prendre la ville de Lyon et d'assassiner son maire ultra, le comte de Fargues, le 8 juin. Le plan fut longuement débattu par Taysson. Ce dernier, sûrement dans l'exagération, prévoyait de mobiliser 3 000 hommes répartis sur l'ensemble de la ville de Lyon et de ses alentours. Au fort Saint Jean, devaient être postés 100 hommes bien armés, attendant le signal de Jacquit. Retenons déjà lors du procès qu'il ressort l'obsession du secret des conspirateurs. La structure de l'entreprise était pyramidale et « l'organisation du complot était telle, qu'il n'y avait qu'un petit nombre d'individus qui fussent initiés dans tous ses secrets »226(*).

    La Cour retint 28 accusés pour la ville de Lyon, mais il y eut d'autres séances pour les campagnes : Jean Barbier, Jean Pierre Volozan, Jean Marie Vernay, Joannon fils, la Dame Lavalette, Benoît Biterney, Jean Pierre Gros-Jean, Antoine Gaudet, André Meyer, Jean Richon, Jacques Chilliet, Michel Balleydier, Louis Ravinet, Jean Pierre Gagnère, Antoine Seriziat, Pierre-Catherin Caffe, François Geibel, Jean Claude Berger, Bruno Verdun, Fleury Ollier, François Coindre, Jacques Baudran, Charles Marin, Jean Baptiste Blanc, Eugene Manquat, François Gervais, Pierre Joseph Perrant, Granger.

    Pour assurer la discrétion de l'entreprise clandestine et limiter tout risque de « fuite » d'informations, la structure de l'équipe des conjurés était marquée par des cloisonnements. Comme un des conjuré le précisa lors de l'audience du 25 octobre 1817 : « Les membres de chaque comité ne devaient point communiquer avec ceux des autres comités. »227(*). Cette division en cloisons du travail des conjurés avait eu pour effet le fait que beaucoup ne connaissaient même pas les vraies finalités de l'entreprise ! Ainsi, bien souvent les témoignages des prévenus sur les buts de la conspiration divergent.

    Jacquit, dans sa mégalomanie, espérait mobiliser 3000 hommes pour s'emparer de la ville de Lyon, en les répartissant en sept postes stratégiques de la ville. Tout ces projets ne naîtront même pas, mais observons que les lieux choisis pour placer les hommes étaient souvent d'anciennes casernes et des cabarets, lieux symboliques de la préparation des complots sous la Restauration avec les cafés et les salons.

    Un interrogatoire du conjuré Barbier par la Cour prévôtale le 25 octobre 1817 illustre bien la méconnaissance des conjurés eux-mêmes des desseins de leur entreprise.

    La Cour prévôtale : « Quand avez-vous eu connaissance du complot ? »

    Barbier : « Je n'ai été initié qu'à la noël dernière. Je sais bien que le complot existait antérieurement ; mais j'ignore l'époque précise de sa naissance. »

    La Cour : « Ne s'agissait-il pas de faire descendre de son trône le souverain que la Providence a rendu à nos voeux, en un mot de porter atteinte à la légitimité ? »

    Barbier : « On agissait bien dans la vue de renverser le Gouvernement du Roi, mais on avait aucun but fixe et déterminé après ce renversement. On parlait de différents prétendants. Cependant, on parlait plus particulièrement de l'Empereur et de son fils. »228(*).

    Barbier précise même lors de l'interrogatoire de la Cour prévôtale que les conspirateurs allaient entrer en contact avec l'épouse de Napoléon, Marie-Louise, pour s'assurer d'un soutien bien légitime. Barbier rapporte : « ...le premier projet était de lui faire un don quelconque. Ensuite, on résolut de frapper une médaille. La légende de présenter ces mots : « Français, suivez mon exemple. ». Une des faces devait présenter un pélican et ses petits. L'autre devait offrir un « N » avec cette légende : « Commande, nous sommes prêts. ». On devait encore lire sur cette médaille les mots : « Naissance de la seconde révolution française. ». »229(*).

    La garantie du secret se faisait par des techniques simples comme nous venons le voir de cloisonnement des informations. Ainsi, les conspirateurs recevaient des informations au « compte-gouttes », parfois contradictoires, toujours imprécises Le recrutement, ou enrôlement, se faisait par 180 « employés subalternes » selon Barbier, qui ne connaissaient jamais les chefs des recruteurs. Selon Barbier, ils seraient parvenus à enrôler 2850 recrus, ce qui aurait porté toujours selon ce conjurés, le personnel de ce complot à 9 000 hommes en comptant les campagnes230(*). Pour ce qui est du financement, 3 à 4000 francs furent distribués aux chefs des conspirateurs, selon Barbier (p.20).

    Beaucoup de zones d'ombre pèsent sur ce complot, comme par exemple, le fait que l'on parlait ouvertement de celui-ci mais sans en préciser la date depuis déjà deux ans. Il semble bien que les autorités policières lyonnaises auraient laissé, sinon encouragé, la formation de cette conspiration. Barbier rapporte : « On conspirait hautement depuis deux ans, on parlait de conspirations dans les rues, dans les cabarets... (...) Jacquit répétait aux conjurés : « Les Autorités sont pour nous ! ».»231(*).

    Précisons à nouveau qu'un contrôle et une justice interne à la conspiration, punissait les erreurs et les trahisons de ses membres. Volozan, un autre conjuré, évoque aussi l'existence d'un tribunal secret chargé des punitions, et de faire donc peser la menace dans les esprits232(*).

    Parmi les motivations autres que celles politiques et floues déjà présenté de renverser Louis XVIII pour y faire succéder Napoléon ou son fils, il y avait bien aussi la question du prix des subsistances. La crise économique de 1817 a donc bien été aussi un des déclencheurs du complot. Le conjuré Meyer affirme que : « ...un des arguments des enrôleurs étaient de dire à leurs « victimes » qu'il fallait faire diminuer le prix des subsistances. »233(*).

    Essayons d'esquisser à présent un bref tableau sociologique des acteurs de cette affaire. Commençons par les conspirateurs.

    Cette conspiration est dominé par un personnel modeste, soit des paysans, soit des professions artisanales comme par exemple un nombre extraordinaire et incompréhensible de chapeliers ! Pour ce qui de l'âge des conjurés, en général des hommes, la fourchette est large allant de vingt à quarante cinq ans, avec une moyenne entre vingt-cinq et trente ans.

    Pour les insurgés de Saint-Andéol, par exemple :

    Jean-Baptiste Fillion, 23 ans, chapelier

    Laurent Colomban, 26 ans, chapelier.

    Christophe-Andéol Desgranges, 35 ans, chapelier. Tous les trois furent condamnés à mort.

    Claude Guillot, père, 45 ans, chapelier

    François Charvin, 31 ans, chapelier

    Andéol Milliet, 24 ans, cultivateur

    ....

    Pour des insurgés classés dans le « Rhône » :

    Jean-François Déchet, 23 ans, tailleur de pierre à Charnay

    Jean Bocuse, 33 ans, tonnelier

    Laurent Charbonnay, 33 ans, cultivateur

    Benoît Montalant, 25 ans, vigneron

    Certains importants de Saint-Genis Laval :

    François Oudin, 39 ans, adjudant-major dans l'ex 11ème regiment des dragons, en demi-solde. Une des têtes pensantes du complot.

    Pierre Dumont, 16 ans et demi, apprenti maréchal, accusé d'avoir porté le pistolet sous la gorge du curé d'Irigny et du garde champêtre de cette commune, en leur ayant dit : « Coquin, crie vive l'Empereur !ou je te tue ! ». Verdict, le jeune homme est condamné mort, ce qui causera même l'émoi du roi en raison de son jeune âge.

    La liste pourrait être encore longue, donc nous nous arrêterons là.

    Présentons brièvement les acteurs de la répression, à savoir le général Canuel par qui l'affaire a débuté, le préfet du Rhône, Chabrol, en charge du dossier, le maire de Lyon, le comte de Fargues, un ultra dont la tête était visée par les conjurés, et le lieutenant de police Charrier de Sainneville qui dénoncera les manipulations des ultras.

    Le baron Simon de Canuel, né le 29 octobre 1767, s'enrôla volontairement dans l'armée en 1792. Après de bons états de service auprès du général Rossignol, il est promu Commandant de la ville de Lyon par le Directoire. Membre de la légion d'Honneur en l'an XII, il est disgracié par l'Empereur qui le raye des cadres des officiers généraux. De là, naîtrait peut-être son désir de vengeance à l'égard des bonapartistes, et donc son parti pris pour les royalistes ultras. Rallié aux Bourbons, il est en effet fait Chevalier de Saint-Louis, et réintègre ses anciens grades sous la Restauration. Il sera même élu député ultra par le collège de la Vienne, siègera dans la Chambre introuvable, sera nommé baron par Louis XVIII en 1817.

    Christophe Chabrol de Crouzol (comte de), magistrat, intendant, général, conseiller d'Etat, préfet et législateur est né à Riom le 1er novembre 1771 et est mort au château de Chabannes le 7 octobre 1836. Il fut emprisonné pendant la période révolutionnaire, se rallia à Napoléon et fut chevalier de l'Empire le 11 août 1808. Le 9 mars 1810, il devient comte de l'Empire et président de chambre à la Cour impériale de Paris. En 1814, M. de Chabrol se rallie à Louis XVIII, est nommé conseiller d'Etat et préfet du Rhône le 22 novembre 1814. Il fit plus de zèle dans cette ville, quand Louis XVIII revint pour la seconde fois en réprimant maladroitement une prétendue conspiration. Il devint ensuite sous-secrétaire d'Etat au ministre de l'Intérieur. Le 13 novembre 1820, il est élu député par le collège du Puy-de-Dôme et fut un des zélés ministériels à la Chambre. Paire de France en 1823, ministre de la Marine dans les cabinets Villèle et Martignac de 1824 à 1828. Royaliste de la première heure, il soutiendra ardemment Charles X et sa famille234(*).

    Jean Joseph Mallet, comte de Fargues, est né le 12 mars 1777 à Vodables (Puy-de-Dôme). Issu d'une très ancienne famille noble d'Auvergne, le comte de Fargues émigre avec son père à 14 ans en 1791. A Munich, il fait la connaissance d'une Lyonnaise Sabine Balland d'Arnas, nièce du comte de Sathonay, futur maire de Lyon. De Fargues épouse cette demoiselle en 1801, ce qui lui permet de s'insérer dans le monde des notables de Lyon. Il devient ainsi administrateur des hôpitaux de cette ville et adjudant-major de la garde nationale en 1813. Cependant, de Fargues reste un noble impatient du retour des Bourbons. En mars 1814, lorsque les troupes alliées menacent Lyon, il est désigné maire de cette ville par le comte d'Albon. Le 22 novembre 1814, il est officiellement promu maire de la ville. De Fargues marquera son passage à la mairie de Lyon par son soutien aveugle aux ultras locaux. Bien souvent, comme dans l'affaire de juin 1817, il fermera les yeux sur les manipulations des royalistes exagérés de la ville, comme le général Canuel. Dés 1815, de Fargues participera à la campagne de discrédit de l'Empereur, en faisant poser dans toute la ville de Lyon, des affiches de propagande salissant Napoléon. De Fargues sera réélu régulièrement jusqu'à sa mort, en octobre 1816 puis encore en septembre 1817235(*).

    En ce qui concerne le modéré lieutenant de police Charrier de Sainneville en charge de l'affaire de Lyon pour le compte de la police civile, je n'ai pas réussi à trouver de notices biographiques qui lui seraient consacrées, ni aux archives nationales à Paris, ni à Lyon. Le personnage a été quelque peu effacé. J'ai néanmoins pu retenir quelques éléments de biographie à partir de mes lectures. Claude-Sébastien Salicon Charrier de Sainneville était hostile aux ultras et même proche de Camille Jordan selon Bruno Benoit236(*). Selon Sébastien Charléty237(*), il s'agissait d'un homme riche, intelligent, ambitieux, longtemps adjoint au maire de Lyon sous Napoléon. Il s'était rallié aux Bourbons, mais avait conservé des relations avec l'ancien personnel bonapartiste. Il détestait les violences et avait ainsi manifesté sa désapprobation pendant la réaction ultra (Terreur blanche) et opposé une sourde résistance aux mesures contre les suspects. On le détestait à Bellecour. Les militaires rappelaient qu'il avait été l'ami du conspirateur Didier, un « bonnet rouge » disait-on de lui. En réalité, comme le remarque toujours Charléty : « il était surtout gênant, et on ne voulait pas être gêné dans le bon combat pour ressaisir le pouvoir si sottement perdu. »238(*). Retenons de Sainneville qu'il eut le courage de dénoncer la manipulation ultra du général Canuel dans l'affaire du 8 juin 1817, ce qui lui vaudra avec le colonel Fabvier d'être condamnés par la Cour royale de Lyon pour diffamation à payer une lourde amende, lorsqu'ils dénoncèrent par une brochure justificative les manoeuvres des ultras. Sainneville et Fabvier seront alors soutenus par les libéraux lyonnais qui lancèrent une souscription pour payer l'amende. Il y eut 12 000 souscripteurs et le mouvement libéral lyonnais s'en trouva renforcé.

    Ces quelques lignes sur les acteurs principaux de ces troubles du Rhône de 1817 mettent en évidence une confrontation de milieux entre les conjurés, la plupart issus des couches populaires, voire même pour certains des déclassés avec la présence de militaires en demi-solde, et les acteurs de la répression, tous des nobles, la majorité d'obédience ultra royaliste, à l'exception de Sainneville. Nous avons présenté quelques éléments concernant les buts et la structuration de ce complot à visée insurrectionnelle du 8 juin 1817. Ils sont maigres mais il faut préciser que même au coeur des archives, de ces traces historiques relatives à cette affaire, le flou domine. Les accusés parlent peu ou se contre disent, et avouent surtout sous la pression de la Cour prévôtale, ce qui laisse leurs témoignages sujets à précaution.

    Retenons les caractères principaux. Il y avait bien à mon sens conjuration. Barbier ou Cochet affirment avoir été initiés, prêtés serment de silence sur le poignard. Il existait peut-être même bien une structure typique des sociétés secrètes : un tribunal secret, charger de réguler les activités des conjurés en punissant de mort les traîtres. Plusieurs fois, il est fait allusion à ce tribunal. Le complot était organisé selon une structure secrète, avec des comités directeurs opaques les uns par rapport aux autres. Les buts du complot semblaient tendre à restaurer les Bonaparte, la forme du gouvernement devant être établie par la suite. Les moyens étaient bien dans un sens militaire, avec un plan d'action stratégique de prise d'assaut de la ville par des postes clefs de la ville. Les chefs espéraient même quasiment mobiliser une armée, puisque pour Jacquit et Barbier, on peut estimer qu'ils comptaient mobiliser environ 9 000 hommes avec les campagnes.

    Il nous faut à présent préciser dans quelles conditions cette conspiration à visée insurrectionnelle fut infiltrée puis provoquée, ce qui ne retire rien à l'existence première et originelle de son plan d'exécution.

    II-1.2 Une conspiration provoquée

    Bruno Benoit239(*) rapporte dans son récit de l'affaire du 8 juin, le lieutenant de police Charrier de Sainneville avait fait part au préfet Chabrol, dés la fin de l'année 1816, de renseignements relatifs à un nouveau complot. Des arrestations eurent lieu dés mars 1817, à la suite de la découverte d'armes à Vaise et de tentatives d'enrôlement. Mais les autorités nationales croient d'avantage à la rumeur, entretenue de plus par le climat de désinformation générale déjà présenté antérieurement. Pour les élites ultras locales, un coup de force se prépare dans les campagnes pour atteindre Lyon. Le choix serait alors de maîtriser l'insurrection à venir en en infiltrant la conspiration associée. Dés le 2 juin, le sous-préfet de Villefranche avait prévenu le préfet du Rhône, Chabrol, que des coups de canon seraient tirés pour marquer le début des émeutes. Le 6 juin, Chabrol apprend qu'un rassemblement à caractère séditieux s'est produit dans les communes d'Ambérieux et de Quincieux. Des perquisitions ont lieu parmi les domiciles de certains des 200 manifestants, mais ne donnent rien. Un personnage retient cependant l'attention des forces de police, un dénommé Oudin, domicilié à Saint-Genis Laval. On cherche à l'appréhender chez lui le 7 juin, mais en vain, car il n'est pas chez lui. Et en effet, Oudin, demi-solde, se révélera bien être une des têtes pensantes des troubles du 8 juin 1817.

    Charrier-Sainneville continua donc de mener l'enquête sur l'affaire du 8 juin. Après avoir mis au jour, l'existence d'au moins deux comités du complot, Sainneville est pris de doute sur le récit de Barbier du plan d'assaut de la ville de Lyon. Le lieutenant de police voulait l'interroger lui-même mais le maire, le comte de Fargues, lui opposait systématiquement un refus catégorique. Sainneville racontera à propos de Barbier : « Son rôle d'agent double paraît bien établi, si l'on tient compte de ce que, dés la veille du mouvement, il proposa à un agent de l'arrêter sous un fallacieux prétexte, lui offrant même de l'argent à cet effet ; c'est encore lui, qui, le 8 juin, remit à un malheureux les douze paquets de cartouches saisis sur lui, à la barrière de Serin, et qui cinq jours après le conduisaient à l'échafaud. »240(*). Le lieutenant de police collectionnait ainsi plusieurs indices démontrant que la conjuration avait été perturbée par des facteurs exogènes. La preuve la plus solide que l'entreprise fut infiltrée et provoquée par des autorités institutionnelles lui vint le jour où sa police arrêta un des factieux, le dénommé Brunet. Ce dernier avait déjà été surpris dans d'autres affaires de conspiration. Mais à peine Brunet arrêté, le lieutenant Sainneville se voit contraint par M. Hue de la Colombe, adjudant de place de l'armée, de le relâcher, sous le motif qu'il s'agissait d'un agent d'infiltration, une « taupe » dirait-on aujourd'hui, de l'autorité militaire. Sainneville y consenti mais à la condition qu'il ne fut plus employé à cet effet. M. Hue de la Colombe s'y refusa et livra cet agent à la Cour prévôtale qui le remit en liberté. Sainneville le fit arrêter de nouveau, ce qui provoqua la colère de l'autorité militaire. Le procureur du Roi dut intervenir et sous la pression de Sainneville qui voulait l'aveux officiel qu'il s'agissait bien d'un agent infiltré dans le complot du 8 juin, le procureur lui confirma que Brunet était bien un agent de la police militaire qui avait tout su et tout révélé. Sainneville exigea avant de relâcher Brunet une lettre de l'adjudant de place, Hue de la Colombe, attestant avoir utilisé cet individu comme agent infiltré. Hue de la Colombe s'exécuta, choisissant de ne pas laisser un agent exposer devant le tribunal des révélations qui auraient pu compromettre l'administration militaire. Désormais Charrier-Sainneville détenait une pièce qui lui permettait, sinon de nier la tentative de sédition de Lyon, du moins d'affirmer que l'autorité militaire incitait elle-même à l'insurrection, par l'intermédiaire de ses agents241(*).

    De même, l'étude de l'historienne Josiane Bourguet-Rouveyre242(*) corrobore cette thèse de l'infiltration policière. Elle écrit : « Le jour fixé de l'insurrection, le 8 juin 1817, devait se faire au nom de Napoléon II ; mais les chefs présumés du complot, un agent de la police militaire, Brunet, et le capitaine d'une légion en garnison à Lyon, Ledoux, avaient déjà vendu la mèche ! ». Cette affirmation est d'autant plus plausible si l'on considère que ce dernier, le capitaine Ledoux, sera assassiné le soir même à Lyon, rue Mercière. Il aurait donc lui aussi subi le châtiment des traîtres !

    Nous pouvons donc conclure sur le double fait qu'il existait bien une conspiration maladroitement organisée, car permise voire encouragée par les autorités, visant à s'emparer de la deuxième ville du royaume au profit des bonapartistes et des révolutionnaires, et que ce projet était surveillé et contrôlé par les autorités ultras, en son sein par le biais de l'infiltration de la police militaire de Canuel.

    Abordons à présent brièvement, car nous les avons déjà bien exposées, les explications possibles à ces troubles.

    II-2. Les explications possibles du soulèvement de 1817

    Trois types de facteurs ont pu conduire à ce soulèvement. Le premier, sans pour autant céder à la simplification d'une seule lecture marxiste de l'histoire de ces troubles, est sans nul doute la crise des subsistances des années 1816-1817. Le second correspond à une lecture politique des événements en insistant sur un contexte de divisions et même d'affrontements au sein du camp royaliste favorisant la propagation des peurs et des rumeurs, et donc ouvrant le chemin à des entreprises secrètes, fussent-elles préméditées par leurs acteurs ou provoquées pour le compte des ultras par des agents de l'autorité militaire. Enfin le troisième groupe de facteurs causals correspond aux spécificités de l'histoire lyonnaise, de la contre-réaction d'une partie de ses habitants, engagée dans une forme de duel politique avec les autorités ultra, responsables des violences collectives qu'ont connues leur ville pendant la Terreur blanche et représentantes d'un nouvel ordre moral et policier installé depuis par la Terreur blanche légale.

    II-2.1 Une crise alimentaire source de tensions populaires

    La France vit dans ces années 1816-1817 une grave crise des subsistances due aux mauvaises récoltes de l'année 1816 et le département du Rhône est particulièrement touché, où les prix du blé et du pain connaissent une hausse considérable. Nous avons déjà présenté les caractères de cette crise des denrées alimentaires. Rappelons tout de même que le prix du blé passa successivement de 21 francs l'hectolitre en novembre 1815 à 38 francs en novembre 1816 et atteignit le montant de 58,75 francs en juin 1817. L'année 1817 sera d'ailleurs l'année où la crise connaît son paroxysme. Cette inflation touche fortement le prix du pain, denrée de première nécessité, constituant la base de l'alimentation des classes populaires. Cette disette est sources de révoltes, de véritables « émeutes de la faim », dans de nombreux départements dés l'année 1816, comme nous avons pu le voir dans le premier thème. Il n'est dés lors guère surprenant que le département du Rhône finisse par vivre de telles « colères de la faim ». On peut même s'étonner du caractère tardif des troubles du Rhône, au regard du fait que les autorités préfectorales étaient contraintes d'augmenter le prix du pain pour assurer la survie de ses producteurs. Chabrol en 1817 se refusa à une nouvelle augmentation du prix du pain, mais il est trop tard, la situation économique des classes populaires est désormais trop déplorable. La ville de Lyon et ses communes voisines vivent donc en cette année 1817 de véritables émeutes de la faim, telles qu'elles ont déjà pu en vivre lors des épisodes de violences collectives de la fin du siècle dernier, présentées dans l'introduction à l'histoire de l'identité lyonnaise. Georges Ribe croît beaucoup au rôle déterminant de cette crise des subsistances dans le déclenchement de la conspiration-insurrection du 8 juin 1817. Il note : « Le malheur voulut que, dans le Rhône, l'attitude des officiers supérieurs ultras transforma une sédition dont les causes étaient plus économiques que politiques en un complot, afin de se prévaloir du titre de sauveur du « trône et de l'autel ». Des condamnations capitales en résultèrent. »243(*).

    En effet, on retrouve parmi les revendications des insurgés du 8 juin, la baisse du prix du pain, et notamment de la part de ceux des campagnes. En témoigne par exemple ce court extrait d'une lettre, datée du mois d'août 1817, d'un officier de Saint-Genis Laval au général Canuel : « J'ai arrêté ce matin un homme ayant à son chapeau des signes de rébellion, et provoquant le peuple à s'emparer des Blés pour en fixer le prix. »244(*). Comme nous l'avons déjà mentionné, le conjuré Meyer lors de son interrogatoire par la Cour prévôtale le 25 octobre 1817 précisera que la baisse du prix des subsistances était même un argument pour enrôler des recrus pour la sédition245(*). Et comme le rappelle Georges Ribe à propos de la journée du 8 juin 1817 : « Le plus grand nombre des révoltés réclame le pain à trois sous la livre. Quelques-uns arborent la cocarde tricolore. Le cri le plus souvent répété est celui de : Vive Napoléon II ! Certains, très peu nombreux, font preuve de sentiments républicains. »246(*).

    Il est donc clair que la volonté populaire de la baisse du prix des subsistances fut sinon la cause principale de ces « émeutes de la faim », certainement un des solides arguments mobilisateurs des conjurés. Venons-en donc au second type de facteurs déclencheurs, les facteurs politiques généraux d'un cadre d'affrontements au sein du camp royaliste, propice autant à un coup de force d'opposants au régime qu'à une manoeuvre des ultras de déstabilisation du ministère des constitutionnels.

    II-2.2 Un contexte pré-électoral d'affrontements entre constitutionnels et ultras

    Comme nous l'avons déjà fort bien présenté, les députés ultras se sentaient menacés quant à l'avenir de leur influence à la Chambre introuvable, depuis la décision du roi de la dissoudre par l'ordonnance du 5 septembre 1816. Convaincu que cette décision nuit à ses intérêts, le parti ultra dans un sens renoue avec une certaine forme de terrorisme légal en usant de ces réseaux locaux pour déstabiliser le parti constitutionnel. Georges Ribe note avec justesse : « Désormais, la tactique des ultras s'appliquera à démontrer au Roi que la politique inaugurée le 5 septembre favorisait les espérances et les audaces du parti révolutionnaire ; que la poursuite d'une telle politique aboutirait au renversement des Bourbons. Se servant de leur influence locale, ils pouvaient agir, dans les départements, à leur guise et essayer d'amener le Roi à changer ses ministres, en grossissant des menées souvent réelles. »247(*). En effet, les ultras lyonnais exploitent systématiquement un climat politique local, où dominent les rumeurs de complots en tout genre et la peur économique liée à la crise des subsistances, pour attaquer le camp des constitutionnels. Cette stratégie est d'autant plus judicieuse qu'il faut noter qu'à cette époque, l'Etat central et à fortiori la Cour, ne croient pas à ces rumeurs de complots provinciaux. Pour preuve, ces documents consultés aux archives nationales, attestant presque d'un certain mépris de Paris pour les petites agitations politiques locales des ultras lyonnais. La conspiration est vue de Paris avant tout comme une rumeur, et ceci notamment au sein du ministère de la Police générale. Dans une réponse à une lettre de la préfecture du Rhône de mars 1817, le ministère parle de « bruits » de conspiration, mais n'y croit pas vraiment248(*). Cette assurance de la capitale de la tranquillité politique du Rhône est d'autant plus un atout pour les ultras lyonnais, qu'ils peuvent désormais compter sur un effet de surprise, et influencer leur roi dans leur sens, en réveillant chez lui la peur d'une révolution, et en provoquant donc le complot bonaparto-républicain du 8 juin.

    En exploitant savamment ce climat de peurs et de rumeurs, les ultras du Rhône peuvent mener leur bataille contre le camp des constitutionnels hors d'une Chambre des députés dont ils ne détiennent plus la majorité depuis son renouvellement en octobre 1816. Le nerf de la guerre des autorités ultras lyonnaises comme le général Canuel ou le maire, le comte de Fargues, sera donc la manipulation de l'opinion en réactivant la peur classique d'un complot visant à ramener l'Empereur et ses guerres, ou encore d'une nouvelle Terreur jacobine qui marqua tant les esprits et les mémoires des Lyonnais en 1793. Les ultras lyonnais sont d'autant plus portés vers ce type de stratégie secrète, que leurs influences diminuent à la Chambre, et qu'ils comprennent la réalité de l'affirmation politique des constitutionnels et de la percée des libéraux. De plus, le renouvellement annuel de la Chambre par cinquième plonge le pays dans l'affrontement électoral permanent, et les ultras, en juin 1817, à quelques mois des législatives cherchent à porter au grand jour le « scandale » ou « l'affaire », qui diminuera leurs adversaires constitutionnels. L' « affaire », ils iront donc dans le Rhône, jusqu'à la « faciliter » en infiltrant la conspiration bonapartiste du 8 juin, en provoquant son déroulement par la stratégie de la provocation militaro-policière dirigée par le général ultra, le comte de Canuel, avec la passivité complice du maire de Lyon, le comte de Fargues. Enfin, il demeure que le complot du 8 juin, manipulé par les ultras de Lyon et le faisant ainsi échapper à ses auteurs, devait dans tous les cas éclater dans un contexte de répression et de vexation de la part de la réaction royaliste à l'égard des opposants désignés au régime restauré : bonapartistes et jacobins. Cela nous mène donc à observer le troisième type de facteurs explicatifs historiques et politiques de ces troubles, auquel je souscris le plus volontiers, à savoir, celui des spécificités de l'histoire lyonnaise.

    II-2.3 Les spécificités de l'histoire lyonnaise

    Nous avons déjà largement insisté sur le terreau bonapartiste que constituait la ville de Lyon sous la Restauration. Le lecteur retrouvera dans l'introduction et la première partie de cette étude, le descriptif de l'amour de nombre de Lyonnais, et notamment ceux du peuple comme les canuts, pour l'Empereur, qui symbolisa pendant longtemps sous l'Empire et ce malgré l'usure intérieure des guerres en Europe vers sa fin, la prospérité économique de leur ville. Dés lors, il n'apparaît guère surprenant qu'un complot à dominante bonapartiste se forme et éclate d'une manière certes particulière, au sein d'une ville et d'un département qui subirent durement la réaction vengeresse et meurtrière de la Terreur blanche des bandes ultras à l'égard des populations bonapartistes et jacobines, avérées ou même simplement soupçonnées, et ce de l'été 1815 jusqu'au milieu de l'année 1816 ! Souvenons-nous des vagues d'épuration à l'égard de l'ancienne armée impériale qui se soldèrent fréquemment par des exécutions publiques. Ce fut le cas du maréchal Brune, assassiné par des ultras le 2 août 1815, son corps jeté dans le Rhône. Ce fut aussi et surtout le général Mouton-Duvernet exécuté publiquement à Lyon le 23 juillet 1816, exécution qui marqua lourdement les consciences lyonnaises. Cette Terreur blanche se poursuivit de plus par une Terreur blanche légale à la Chambre que les députés ultras monopolisent. Méticuleusement, les députés ultras institutionnalisent la réaction en légiférant les principes d'un ordre moral et policier. En mars 1816, c'est la mise en place des Cours prévôtales, ces juridictions d'exception, dont celle du Rhône condamnera à mort des conjurés du 8 juin 1817. D'une manière générale, l'ordre judiciaire sévira surtout à l'égard des actes de déviances politiques. Ainsi, entre juillet 1815 et décembre 1816, les tribunaux ont prononcé environ 5 000 condamnations politiques249(*). Dans ce climat d'oppression judicaire à l'égard de la liberté d'opinion, on comprend le recours au mode secret d'opposition politique. De plus, malgré le rééquilibrage politique à la Chambre en faveur des constitutionnels, le ministère poursuit les restrictions à l'égard des libertés publiques. Ainsi, Decazes, le 7 décembre 1816 proroge la censure sur les journaux et les écrits périodiques jusqu'au 1er janvier 1818. Le 8 février 1817 est adopté la prorogation de la loi de sûreté générale du 29 octobre 1815. Retenons donc aussi que les constitutionnels demeurent des royalistes, et que en 1816-1817, ils gouvernent selon une ligne politique dure.

    On peut donc être convaincu au regard de l'identité politique de la ville de Lyon, que les excès des ultras à l'égard des jacobins et des bonapartistes dans la vallée du Rhône lors de la Terreur blanche, puis de manière légale et nationale en restaurant un ordre moral et policier, ont influencé la décision et la structuration du complot lyonnais du 8 juin 1817.

    Nous venons d'essayer de discerner les facteurs déclencheurs probables des troubles du 8 juin. Il nous reste à présent à observer rapidement le phénomène de politisation de ceux-ci, essentiellement d'ailleurs de la part du camp ultra.

    II-3. Un événement politisé : la presse de l'époque

    Comme nous le venons de l'évoquer, en ces années 1816-1817, la censure frappe lourdement la presse. Ceci explique certainement le fait que je n'ai quasiment pas trouvé dans les archives consultées d'articles de journaux traitant de l'affaire, si ce n'est deux articles, le premier, un extrait du numéro 166 du Moniteur du Dimanche250(*), daté du 19 juin 1817, utilisé pour débuter ce mémoire, et le second, un extrait de La gazette européenne251(*), daté du 30 juillet 1817. Les informations à la population sur les séditions se faisaient plus par voie de proclamations, noeud de la propagande des royalistes ultras à Lyon. Nous verrons donc d'abord la place laissée à la rumeur par les autorités ultras afin d'exploiter le complot du 8 juin 1817. Nous verrons ensuite l'exploitation de l'affaire provoquée, par les ultras lyonnais et le général Canuel en particulier qui organisera la propagande au service de son parti par le biais d'une proclamation aux Lyonnais.

    II-3.1 Diabolisation et rumeurs

    La stratégie des ultras de Lyon est d'exploiter la censure pesant sur les journaux et le climat installé depuis longtemps et opérant dans l'ensemble de la région, de rumeurs de complots, pour diaboliser les troubles du 8 juin 1817. Georges Ribe confirme la volonté des ultras de contrôler l'opinion publique. Il note : « ...une opinion publique mal informée en raison de l'inexistence ou de la complicité de la presse. »252(*). Nous avons déjà aussi largement présenté le climat tenace de rumeurs de conspirations en tout genre depuis l'année 1816, avec tantôt des affaires de complots à Grenoble puis à Lyon. De plus gardons à l'esprit le contexte local d'affrontements politiques virulents entre ultras, constitutionnels, bonapartistes et libéraux au sein de la ville de Lyon. On pouvait ainsi lire dans les notes d'enquêtes internes de la Police sur le département du Rhône en février 1818 : « Lyon est une des villes de France où les esprits sont les plus divisés, où les hommes de partis ont eu jusqu'à présent le plus d'identité... »253(*). On y apprend de plus que la ville était sujette à la surveillance depuis longtemps : « De Lyon, il fallu pour y maintenir la paix et le tranquillité dans cette ville, tenir les hommes suspects dans une véritable oppression, et c'est ce qui a eu lieu jusqu'au moment où l'ordonnance a été rendue. »254(*). Nous le constatons donc, la diabolisation des entreprises secrètes commençait par une suspicion générale sur les fauteurs de troubles suspectés.

    Cependant, deux ans plus tard, en 1819, la presse, suite aux révélations de la manoeuvre ultra du général Canuel quant à l'affaire du 8 juin 1817, révélations faites notamment par la brochure de Fabvier et Sainneville, exprima son indignation face aux violences que causent à la ville les provocations militaro-policières. Pour exemple, cet extrait de La Renommée du 25 novembre 1819 : « Il y a peu, qu'une personne très connue de Lyon rencontra dans un faubourg de la ville, une espèce de bourgeois qui criait à tue tête : Vive l'Empereur ! Rentrée chez elle, et reportant sa pensée sur l'époque déplorable où l'on cherchait, par des avis séditieux, à entraîner des citoyens paisibles dans un complot ourdi à dessein, cette personne fit part de ses alarmes à sa famille. Son fils venait de rentrer : il avait aussi rencontré dans une autre partie de la ville, un individu qui proférait le même cri. Alors persuadés tous deux comme les apparences l'indiquaient, que l'on renouvelait dans les malheureuses villes les scènes de 1816, ils coururent chez M. de Sermon (Sainneville), lieutenant général de Police, qui fit arrêter les deux provocateurs, et bientôt on reconnut qu'ils étaient soldats d'une légion que nous ne voulons pas indiquer. Mais on se demande si le temps des provocations nous menace encore, et comment les officiers de cette Légion peuvent ignorer ou tolérer une telle conduite de la part de leurs soldats. On demande enfin comment l'autorité militaire civile, d'ailleurs si sévère contre les citoyens, n'a pas déjà fait des poursuites contre un genre de délit bien fait pour alarmer une ville qui naguère en fut si cruellement victime. »255(*). La politique de diabolisation des individus suspectés de fomenter des conspirations ne trouvera donc plus à terme de soutien dans l'opinion publique, dés lors que cette politique repose sur des manipulations militaro-policières. Mais revenons à l'année 1817, en exposant quelques éléments des formes de la propagande des ultras lyonnais.

    II-3.2 La propagande ultra

    La propagande des autorités ultras lyonnaises, visant à diaboliser les conspirateurs du 8 juin 1817 pour attaquer le Ministère constitutionnel et à fortiori les libéraux, s'exerça dés le lendemain des insurrections par le biais d'une proclamation du général Canuel aux Lyonnais. Malgré mes recherches approfondies, je ne suis pas parvenu à retrouver d'exemplaire de cette proclamation au sein des archives. Cependant, tous les auteurs traitant de l'affaire du 8 juin 1817, l'évoquent. Citons pour exemple Sébastien Charléty : « Le 9 juin 1817, au matin, les Lyonnais apprirent que la ville et le département avaient échappé la veille, grâce à la vigilances des autorités, aux horreurs d'une insurrection. C'est en effet, le dimanche, 8 juin, jour de la Fête-Dieu, que les conjurés avaient choisi pour faire éclater leurs criminels projets. Une insurrection devait, ce jour-là, soulever simultanément Lyon et la campagne, au nom de Napoléon II et sous le drapeau tricolore. »256(*). Cette propagande ultra par voie de proclamation ne date pas seulement de l'année 1817. Déjà en 1815, le préfet du Rhône, le comte de Chabrol, se chargeait de rappeler l' « unicité » du royaume dans ses symboles. En témoigne cette proclamation du préfet aux Lyonnais, le 17 juillet 1815 : « Le drapeau blanc devient le seul drapeau officiel autorisé. Il est placé sur le fronton de tous les hôtels de ville du pays. Tout autre signe de ralliement est défendu. »257(*). Cette propagande ultra s'était même encore accentuée quelques semaines après le retour du roi aux affaires. Toujours le préfet Chabrol, soucieux de mater les derniers espoirs des bonapartistes, interpellait les Lyonnais, le 4 août 1815, en ces termes : « Habitants de la ville de Lyon, persistez dans cet esprit de paix... (...) Habitants des campagnes, la malveillance cherche encore à vous égarer. Des hommes pour lesquels le trouble est un besoin, et les révolutions un élément, sèment parmi vous les bruits les plus absurdes.(...) Habitants des campagnes, les maux que vous éprouvez sont grands, mais pourriez-vous vous méprendre sur leurs causes ? L'Homme que des voeux criminels avaient rappelé, l'homme qui, pendant dix ans de prospérité, insulta tous les souverains et foula tous les peuples, l'homme qui, dans quatre mois d'une usurpation sacrilège, a consommé 600 millions, fait couler le sang de 200 mille hommes, attiré sur la France toutes les forces de l'Europe conjurée contre lui. Voilà la véritable cause de vos maux et de vos souffrances. Votre Roi vient les guérir, et pour prix de toutes les peines qu'il éprouve, il en vous demande que d'accepter le bien qu'il veut vous faire. Vive le ROI ! »258(*).

    Nous le constatons donc, les ultras de Lyon ont organisé une véritable propagande par le biais de proclamations, visant à souder la population aux intérêts de la couronne. Cependant, ce type de communication sera aussi utilisé par le camp des constitutionnels en 1819, toujours pour défendre la Charte face aux ultras. En témoigne cet avis aux électeurs du Rhône en 1819 : « Hors de la Charte, et sans le Roi, point de paix pour la France, point de salut pour nous. »259(*).

    Nous venons d'observer les usages de la propagande par les ultras, avec parfois les réponses plus tardives des « opposants » à leurs pratiques. Retenons qu'en 1817, la presse étant tenue par la censure des royalistes, on n'observe quasiment pas de critiques du régime et des manipulations des ultras en ce qui concerne l'affaire du 8 juin 1817. Revenons rapidement sur la question des intentions des conspirateurs du 8 juin 1817, pour finir ce second thème par les suites politiques de l'affaire lyonnaise commandées par le pouvoir central.

    II-4. Le plan des conjurés : quelle version croire ?

    L'objectif de ce point sera de montrer la certaine confusion dominant les finalités et le plan d'action de la conspiration du 8 juin 1817. Pour ce faire, nous commencerons par illustrer la discordance des voix prévalant au sein des chefs de la conjuration et/ou apparaissant lors de la confrontation avec la justice. Nous observerons ensuite les querelles et les luttes d'influences suscitées par l'affaire au sein même des royalistes. Enfin, nous reviendrons brièvement sur la thèse de la provocation policière.

    II-4.1 La discordance des voix

    La discordance des voix des conjurés quant aux objectifs et aux moyens de leur entreprise secrète fut pour moi frappante à la lecture des comptes rendus de la Cour prévôtale. Cette confusion régnante était-elle dés l'origine liée aux divergences dans les motivations des chefs du complot ou résulta-elle de la confrontation avec la Cour prévôtale ? Nul ne peut y répondre. Il nous faudra alors garder à l'esprit qu'il existait bien plusieurs réalités différentes de cette affaire.

    Dans ses formes prises lors des séditions, le complot du 8 juin 1817 apparaît comme un complot militaire bonaparto-républicain. Certains insurgés s'affublaient de titres d'officiers, comme Jacquit qui se déclarait lui-même du titre de colonel lorsqu'il partait dans les campagnes organiser le mouvement260(*). Madame Lavalette, en charge de coordonner le mouvement avec la capitale, recevait des généraux. Il existait un code de l'honneur, un peu comme dans l'armée, avec le serment du poignard. Une justice interne avec le fameux tribunal secret, l'armée aussi dispose de ses propres juridictions. Mais surtout le plan d'attaque était réellement de type militaire, avec ses différents postes d'assaut dans la ville, l'usage de canons pour sonner le départ des insurrections dans les campagnes, une stratégie de la surprise...

    Mais malgré cette mécanique de fonctionnement apparemment réglée, face à la Cour prévôtale, les témoignages révèlent une certaine confusion dans les desseins des conspirateurs. Ainsi Barbier affirme lors de son interrogatoire par le juge à propos du nouveau dirigeant du pays qu'ils installeraient une fois le pouvoir pris : « Tantôt on parlait de la Belgique, du Prince royal des Pays-Bas qui devait régner sur la France. Tantôt on annonçait que les Allemands faisaient des préparatifs de guerre, et se disposaient à placer sur le trône le fils de Napoléon, l'Aiglon. »261(*). Ensuite, apparaissent aussi des divergences de vues au sein des chefs du complot sur la stratégie à adopter. On apprend ainsi que Jacquit était chargé de coordonner l'action dans les campagnes, mais que les autres conjurés étaient contre l'idée de mener le mouvement à partir des campagnes262(*). De même, Barbier qui était pourtant « haut placé » dans la hiérarchie de la conspiration, ne peut indiquer l'origine de l'argent distribué aux chefs de l'entreprise. Il en va de même pour le tribunal secret chargé de punir les traîtres. Personne au sein du complot ne savait si il s'agissait d'une rumeur ou d'une réalité. Certains conjurés selon Barbier pensaient que la répression venait des Autorités elles-mêmes, le bruit courant que des proches du roi lui-même étaient aussi mêlés au complot263(*)... Et Barbier le reconnaît lui-même : « un grand nombre de faux bruits » accompagnait les plans du complot264(*). Ensuite, se pose la question de l'intimidation des prévenus par la Cour prévôtale, impatiente d'aveux horribles. Le juge tente de faire avouer à Barbier de plus larges intentions criminelles des conjurés.

    La Cour prévôtale : « N'était-il pas question de sacrifier les prêtres, les nobles, et un mot, tous ceux qui étaient dans le cas de s'opposer aux desseins des conjurés ? »

    Barbier : « Ces horreurs ne sont jamais entrées dans nos projets. »265(*).

    Enfin, Barbier n'avait aucune connaissance de l'origine des ordres supérieurs qu'ils recevaient. C'est d'ailleurs l'argument central de la défense des avocats des conjurés : la manipulation de la plupart des conjurés par quelques têtes pensantes du complot.

    Ainsi, la manipulation s'opérait aussi au sein des conspirateurs. Pour exemple, lors de la séance du 28 octobre 1817 de la Cour prévôtale, le conjuré Richon soutient que c'est Meyer qui l'a instruit du complot, que Meyer, selon un autre conjuré, Granger, aurait assuré à Richon que le complot serait « d'une réussite infaillible...que le pain serait après à bas prix...que Napoléon monterait sur le trône. ». Mais Richon nie devant la Cour l'affirmation selon laquelle on lui aurait parlé de Napoléon. En bref, face à la justice, les prévenus se « chargent » entre eux266(*). De même, Gros-Jean affirme que jamais on ne lui parla de renverser le Gouvernement267(*)... Il en va de même lors de l'interrogatoire de madame Lavalette, qui nie l'envoie de lettres à des chefs du complot alors qu'on lui les tend lors de l'audience.

    Nous observons donc un certain flou quant aux motivations réelles des conjurés. Mais surtout la mise en situation de tension opérée par le tribunal, les prévenus risquent la peine de mort, rend les témoignages hasardeux, toujours sujets à l'affabulation ou au mensonge.

    Abordons donc cette fois les querelles et les luttes d'influences au sein des royalistes, et ce notamment suite aux révélations du colonel Fabvier et du lieutenant de police Sainneville.

    III-4.2 Les querelles au sein même des royalistes, les luttes d'influences

    Cette conspiration manquée du 8 juin 1817 aura au moins eu le mérite de semer le trouble au sein des royalistes. Une véritable seconde affaire est née de ces événements avec le scandale, opéré par les révélations de Fabvier et Sainneville, d'infiltration et de provocation de la conjuration par les autorités militaires civiles du général Canuel.

    De la naissance au début de l'année 1817 de l'enquête sur le complot supposé en préparation à Lyon jusqu'à l'enquête postérieure sur les troubles qui lui sont liés, tout semble opposer le lieutenant de la Police civile, Charrier de Sainneville, aux autorités locales ultras : le général Canuel, le maire de Lyon le comte de Fargues et le préfet du Rhône Chabrol. Ainsi, les conflits d'autorité entre la Police et l'Armée seront constants, mais aussi entre Sainneville et le préfet. En témoigne cette lettre du préfet du Rhône, Chabrol, au Ministre de l'Intérieur, Decazes, datée du 24 juillet 1817 : «  Sainneville se dit autorisé par le Ministère à étendre ses relations dans les campagnes, ce que je ne lui avais jamais refusé. Mais il le fit par de mauvaises mesures, y mit une grande publicité, et donna tellement le change à l'opinion, qu'il arriva que celui qui avait malheureusement quitté son poste, peu de jours avant les événements, se présentait avec un redoublement d'attributions et de confiance, et que celui au contraire qui n'avait manqué à aucune mesure, ni de prudence, ni de prévoyance, se trouvait en quelque sorte, en compromis avec l'opinion. »268(*).

    Il est vrai en effet que le lieutenant de police, Sainneville, n'était pas présent lors des mouvements séditieux du 8 juin, alors qu'il était en charge de l'affaire. Cependant, derrière la critique d'incompétence du préfet à l'encontre de Sainneville, résonne d'avantage le clivage politique entre les ultras lyonnais, dont Chabrol est un représentant, et les « modérés » comme Sainneville, qui ne cache pas beaucoup ses liens avec Camille Jordan.

    Cette affaire du 8 juin 1817 s'envenima en effet sérieusement avec la publication de la brochure de Sainneville et Fabvier. Suite à l'ébruitement de la nouvelle de l'existence d'une provocation militaro-policère dans l'activation du complot du 8 juin, le ministre de l'Intérieur, Decazes, très choqué aussi par la sévérité des condamnations de la Cour prévôtale du Rhône, envoie en septembre 1817 un commissaire extraordinaire, le maréchal Marmont assisté du colonel Fabvier dans la mission d'éclaircir les circonstances de la naissance des troubles de juin. Le maréchal Marmont découvre vite les rivalités locales entre les royalistes, le rôle musclé joué par le général Canuel dans la répression, les arrestations arbitraires et les agissements d'agents provocateurs ultras269(*). Le maréchal Marmont en octobre 1817 fera ainsi muter avec promotion Canuel, Chabrol et Sainneville. Seul le maire de Lyon, de Fargues, restera en place, mais il mourra peu de temps après. Nous reviendrons sur ces suites politiques de l'affaire et notamment sur ces mutations de fonctionnaires du royaume dans le prochain point (II-5). Plus important dans cette affaire dans l'affaire, est la publication des deux brochures de Fabvier, l'assistant du maréchal Marmont, démontrant pièces justificatives à l'appui fournies par le lieutenant Sainneville, la vérité de la manoeuvre de provocation sous l'ordre de Canuel des conjurés, à l'aide d'agents infiltrés, Brunet et le capitaine Ledoux comme nous l'avons déjà évoqué. Le premier texte était un mémoire relatant sa mission au côté de Marmont. Ce texte ayant suscité la polémique car il évoquait déjà des hypothèses de manipulations par les autorités militaires lyonnaises, le colonel Fabvier publia une seconde brochure, Lyon en 1817270(*), dans laquelle il exposa sommairement et honnêtement, les conditions de l'infiltration du complot, que nous avons déjà exposées (II-1.2). Mais surtout dans ce second texte complétant le premier, le colonel Fabvier exprimait son sentiment fort désapprobateur sur l'ensemble du traitement de cette affaire : les manipulations militaires de Canuel, l'instruction expéditive par les Cour prévôtales, leurs condamnations excessives (28 condamnations à mort, dont 11 exécutées)... Fabvier s'y livrait même à un véritable plaidoyer en faveur des anciens membres de l'armée impériale exécutés, comme Oudin, ancien capitaine de Dragons, guillotiné à Saint-Genis Laval le 17 juillet 1817 et dont la tête servit de boule au jeu des troupes, ou encore en faveur de Garlon, ancien chef des corps francs des Cent-Jours. On reprochera à Fabvier de s'être soustrait à l'obligation de réserve du militaire, mais surtout les ultras l'accuseront de collusion bonapartiste, voire jacobine.

    Présentons rapidement le personnage. Charles-Nicolas Fabvier271(*) est né à Pont-à-Mousson en 1782. Polytechnicien de la promotion de 1804 et lieutenant d'artillerie, il a d'abord accompli des missions diplomatiques, au côté de Sébastiani à Constantinople et Gardanne à Téhéran. Présent en Espagne, en Russie et en Allemagne en 1813, il a également participé à la campagne de France. En 1815, en Lorraine, il a tenu Montmédy contre les alliés, à la tête de quelques patriotes, et n'a consenti à rendre la place que bien après la deuxième abdication de Napoléon. Il se rallie néanmoins à Louis XVIII et devient, dans le sillage de Marmont, l'un des quatre majors généraux de la Garde royale. Mais cette brochure signera sa rupture avec le régime, il sera destitué. Le colonel Fabvier deviendra un comploteur invétéré et sera de toutes les conjurations des années 1820-1822. Il meurt en 1855 comme Joseph Rey... Personnage intéressant donc que ce colonel Fabvier qui fustigeait dans sa brochure, Lyon en 1817, le mépris des ultras à l'égard des séditieux du 8 juin 1817 : « Si l'on se rappelle, en effet, les horreurs commises, les actes arbitraires, les vexations, les insultes dont a accablé une population généreuse ; si l'on fait attention que ces persécutions frappaient des hommes que la stagnation du commerce, que la misère, qu'une administration malfaisante excitaient au mécontentement ; si l'on considère qu'avant l'arrivée du maréchal, ces hommes semblaient abandonnés par le gouvernement mal instruit des faits, à la haine de leurs ennemis, et ne pouvoir attendre leur délivrance que de leur désespoir, pourrait-on assez admirer leur longanimité, assez louer le sacrifice généreux qu'ils ont fait pendant si longtemps de leurs trop justes ressentiments ? »272(*).

    Ces publications de brochures par Fabvier et Sainneville ranimaient la lutte à la Chambre entre ultras et constitutionnels, ces derniers qui se rapprochaient même des libéraux de Lyon. Georges Ribe note avec justesse : « Pendant plus d'un an, ultras, constitutionnels et libéraux agiteront la France de leurs accusations sur leur participation au complot. »273(*). Les ultras seront au final les perdants quant à leurs calculs sur la ville de Lyon. Camille Jordan, qui prendra vivement parti pour Fabvier et Sainneville, dans sa brochure, La Session de 1817, véritable réquisitoire contre les ultras de Lyon, sera réélu député du collège de l'Ain le 20 octobre 1818 et deviendra dés lors l'un des chefs de l'opposition constitutionnelle.

    A ce creusement des divisions au sein des royalistes entre constitutionnels d'un côté et ultras de l'autre, mais n'est ce pas la faute de ces derniers ?, il nous faut aussi souligner le soutien des libéraux à Fabvier et Sainneville. En effet, ces derniers furent attaqués pour calomnie par le général Canuel et la  veuve  du calomnié, le capitaine Ledoux, devant le tribunal de la Seine. Une première fois condamnés à une légère amende ne satisfaisant pas Canuel, ce dernier reporta la plainte devant une autre Cour, condamnant cette fois Fabvier et Canuel à une amende de trois mille francs de dommages et intérêts. La grandeur d'esprit des libéraux lyonnais s'exprima, puisqu'ils ouvrirent une souscription qui permit, avec 12 000 souscripteurs, d'acquitter largement Fabvier et Sainneville. En ces années 1818-1819, constitutionnels lyonnais et libéraux lyonnais avaient su se réunir autour de cette malheureuse affaire.

    Quelques mots méritent encore d'être écrits au sujet des conséquences de cette provocation policière.

    II-4.3 La thèse de la provocation policière

    La thèse de la provocation policière est donc prouvée même par la brochure Lyon en 1817 publiée par le colonel Fabvier avec l'aide du lieutenant de police Sainneville. Fabvier décrit entre autre dans cette brochure qui lui valut avec Sainneville des poursuites judiciaires, le comportement des militaires au lendemain des insurrections, dont les habitants de Lyon et des communes voisines se plaignent de plus en plus. Fabvier écrit : « La ville de Lyon et les communes qui l'entourent avaient vu renaître pour elles le régime de 1793. (...) La haine avait pris la place de la justice. »274(*). Fabvier fait état de provocations policières répétées, avec : « des policiers déguisés en espions, entrant dans les cabarets pour exhorter le peuple à se révolter et dés son approbation facile dans un contexte de misère, elle (la police) s'empresse d'arrêter les plus mécontents... »275(*). Cet officier dénonce bien le règne de l'intrigue complété par celui de l'arbitraire. Fabvier poursuit en effet en précisant : « Les accusés sont malmenés, séquestrés pendant plusieurs mois sans la moindre information sur leur sort afin d'être acquittés finalement. (...) Les autorités municipales prenaient des arrêtés contraires aux lois... »276(*). Nous voyons donc au passage que le maire ultra de Lyon, le comte de Fargues, n'était pas exempt de ces manipulations et des abus de pouvoir des autorités ultras locales.

    Cependant, il ne faudrait pas céder à la tentation de réduire et de résumer cette conspiration du 8 juin 1817 à une simple provocation policière. Nous avons pu voir l'importance du « personnel » mobilisé pendant les insurrections et au sein des comités secrets de l'entreprise. Nombre de témoignages des accusés prouvent l'existence d'un plan originel, d'une structuration du complot en cercles indépendants, de rites d'initiation, d'entrée dans la conjuration comme le serment du poignard, de règles internes classiques des sociétés secrètes comme le voeux de silence, et enfin peut-être même l'existence d'une structure d'autorégulation au sein des conjurés : un tribunal secret sanctionnant leurs écarts de conduite au regard des règles de la conspiration. Tous ces éléments doivent nous convaincre de ne pas conclure à l'artificialité de ce complot. Coexistent donc la thèse d'une entreprise politique secrète réfléchie avec celle de sa provocation prématurée par le biais de son infiltration par des agents militaires à la solde des autorités ultras lyonnaises.

    Cette thèse vérifiée de la provocation policière doit d'avantage nous amener à réfléchir sur les formes déployées par la violence politique des ultras et leurs conséquences. Cette violence politique ultra révèle l'usage que peut choisir d'adopter le camp des ultras lorsqu'il se sent menacé dans ses intérêts, parfois au sein même de sa propre famille politique comme s'est présentement le cas en 1817, en opposant à la violence révolutionnaire et à l'usage du secret par les contestataires du régime, une violence d'Etat avec aussi un usage politique du secret à l'insu et contre les plans de conspirateurs potentiels, souvent infiltrés et donc manipulés. Cette confrontation entre un usage politique du secret chez les révolutionnaires et un usage politique du secret d'Etat, avec pour conséquence directe l'affrontement entre deux types de violences aux formes différenciées de la part de ces deux acteurs respectifs élargit encore l'espace de recherche en sciences sociales encore récent sur le thème du secret en politique. Pierre Serna dans un ouvrage récent de contributions collectives évoque par un article introductif des pistes de recherche sur l'affrontement de ces usages politiques du secret entre l'Etat et les groupes le remettant en cause directement ou ses dirigeants, mais aussi des pistes de recherches sur la transmission au sein de l'Etat ou au sein de ces groupes de savoirs et de pratiques relatifs à cette usage politique du secret277(*). Pierre Serna résume parfaitement ce double usage politique différencié du secret, par les tenants du pouvoir d'une part, et les opposants à ces derniers d'autre part, de la manière suivante : « Le secret constituerait donc une face cachée du pouvoir et pourrait servir, selon les conjonctures, soit à légitimer des pratiques nécessairement inconnues du plus grand public afin de préserver la bonne marche de l'Etat et en assurer l'efficacité discrète, soit à discréditer un appareil d'Etat détournant de ce qui devrait être leurs fonctions naturelles, des secrets utiles, dans le but de couvrir des agissements abusifs voire délictueux. ».278(*)

    Nous le constatons donc bien. Dans cette affaire du 8 juin 1817, les stratégies de l'ombre sont partagées autant par les dissidents du régime de Louis XVIII que les représentants de son autorité sur le royaume. Il y a même croisement ou rencontre entre le secret des conjurés et l'activité secrète militaire, par le biais de la technique d'agents infiltrés.

    Cette provocation policière de l'entreprise du 8 juin aura eu de lourdes conséquences judiciaires. La Cour prévôtale restant sourde aux révélations de Sainneville, ses condamnations seront sévères : 23 condamnations à mort, dont 11 sont exécutées, 1 commuée et 11 rendues par contumace, 4 condamnations aux travaux forcés à temps, 39 condamnations à un emprisonnement correctionnel279(*).

    La lourdeur des condamnations de la Cour prévôtale du Rhône suscitera l'émotion de l'opinion publique qui manifestera à présent sa réserve à l'égard des ultras lyonnais en se portant aux prochaines élections vers les constitutionnels et les libéraux. On a cité précédemment les succès électoraux conséquents de Camille Jordan, évoquons aussi la perte de la mairie de Lyon par les ultras avec après la mort du comte de Fargues le 23 avril 1818, l'élection de Rambaud, un royaliste modéré.

    Terminons rapidement ce second thème consacré aux réalités de la conspiration du 8 juin 1817 en illustrant l'échec de la manipulation des ultras lyonnais, l'affaire du 8 juin, obscurcie encore d'avantage par les révélations de Fabvier et Sainneville, se bouclera officiellement par une intervention du pouvoir central.

    II-5. Une « affaire » dépassant le camp des ultras

    L'affaire du 8 juin 1817 devint très vite un handicap pour le camp des ultras alors que celle-ci, facilitée par la manoeuvre secrète de la police militaire, aurait dû lui assurer le discrédit du gouvernement des constitutionnels. Le constat devenu public des manipulations des ultras de Lyon occasionna l'embarras du roi qui décida donc, de la mutation de tous les fonctionnaires concernés.

    II-5.1 Le constat des manipulations des fonctionnaires ultras

    Nous avons déjà bien exposé la teneur de la manoeuvre du général Canuel, par l'infiltration de l'agent militaire Brunet et très certainement du capitaine Ledoux au sein de la conspiration, nous serons donc bref. Le scandale arrive par Sainneville, lorsqu'il obtint de l'adjudant de place, Hue de la Colombe, l'assurance écrite que ce dernier, représentant en partie l'armée, avait eu recours à l'agent infiltré Brunet quant à l'affaire du 8 juin 1817280(*).

    Ensuite ce seront ces révélations par le colonel Fabvier dans sa brochure, Lyon en 1817, qui jetteront le discrédit sur le parti ultra, et qui obligeront le roi à calmer la polémique occasionnée par l'affaire en décidant des mutations des fonctionnaires incriminés.

    Suites à ces révélations, le général Canuel restait imperturbable, affirmant n'avoir jamais eu d'agents à son service. Le préfet Chabrol, rapporte Sébastien Charléty, avait moins d'aplomb et avouera la manoeuvre en demandant des circonstances atténuantes : « Il faut, dit-il, creuser jusqu'au centre de la terre pour y ensevelir les erreurs des magistrats. (...) le premier devoir est de couvrir d'un voile épais ces mystères honteux de la civilisation moderne. »281(*).

    Ce fut donc grâce au courage et à l'intégrité du lieutenant de police Charrier-Sainneville qu'une des réalités de cette affaire, la plus tragique quant à ses suites, éclata au grand jour, révélant la main mise des ultras lyonnais sur l'appareil policier et militaire du Rhône, leurs abus de pouvoir au service d'intérêts politiciens. L'opinion risquait dés lors de se retourner contre l'ensemble des royalistes. Le roi par l'intermédiaire de Decazes, se devait donc de réagir.

    II-5.2 L'embarras du roi : la mutation de tous les fonctionnaires concernés

    Les conclusions de l'enquête de Marmont et de son associé, le colonel Fabvier, amenèrent le gouvernement à choisir de muter tous les fonctionnaires mêlés à cette affaire, quel qu'eut été leur rôle. Le gouvernement resta dans un sens « impartial ».

    Le lieutenant de police Charrier-Sainneville dut partir pour Strasbourg, remplacé par M. de Permon, le 8 octobre 1817. Les Lyonnais le regrettaient. Le Journal de Lyon n'eut un mot de regret que pour Sainneville : « Magistrat du Roi, il ne fut jamais celui d'un parti. »282(*).

    Le préfet Chabrol fut nommé sous-secrétaire d'Etat au ministère de l'Intérieur, le 24 septembre 1817 et eut pour successeur le comte de Lezay-Marnézia.

    Le général Canuel, principal responsable de l'affaire, que avait fait baron en juin 1817 pour sa belle conduite, fut nommé, le 6 octobre 1817, inspecteur général de l'infanterie, et remplacé à Lyon par Mathieu de la Redorte.

    De plus Marmont parvint aussi à faire destituer six officiers, parmi lesquels l'adjudant de place Hue de la Colombe. De même, les maires de Saint-Didier-au-Mont-d'Or, d'Irigny, de Brignais, de Soucieux, de Saint-Andéol, de Neuville, de Saint-Genis-Laval, furent suspendus de leurs fonctions le 8 octobre 1817, puis révoqués par Laîné le 21 octobre. Seul le maire ultra de Lyon, le comte de Fargues, resta en place jusqu'à sa mort le 23 avril 1818.

    Dernière petite anecdote rapportée par Georges Ribe et illustrant la satisfaction des Lyonnais des mesures prises par le gouvernement à l'égard du personnel politique ultra compromis dans cette affaire : « Le départ de Marmont, le 3 novembre 1817, fut l'objet d'une manifestation libérale. Un comité de négociants, de fabricants et de propriétaires, se forma, désireux de lui offrir une fête publique au théâtre. Il préféra que les subsides fussent affectés à une oeuvre plus utile. Pour perpétuer sa mémoire, les libéraux fondèrent la première école lyonnaise gratuite d'enseignement mutuel. »283(*).

    Nous venons de présenter au cours de ce second thème les différentes réalités de la conspiration du 8 juin 1817 dans le Rhône, et des troubles qui lui furent relatifs. Nous avons vu, au cours de cette étape de ce mémoire, les difficultés, pour l'observateur de cette affaire, à déterminer si il s'agissait d'une conspiration ou d'une insurrection. Nous avons tranché en révélant l'existence originelle d'un complot, matérialisé mais déformé dans son activation, par l'éclat de séditions dans les campagnes périphériques de la ville de Lyon le dimanche 8 juin 1817. Retenons que cette conspiration à visée insurrectionnelle fut bien manipulée puis provoquée par des agents étrangers à l'origine des intentions réelles et première des conjurés, en l'occurrence des agents de la police militaire du général Canuel, agissant pour le compte des ultras lyonnais. Nous avons aussi exposé les multiples facteurs explicatifs qui ont favorisé le déclenchement de ces troubles, à savoir des facteurs socio-économiques caractérisés par la crise des subsistances des années 1816-1817, des facteurs socio-politiques constitués par le contexte préélectoral d'affrontements permanents entre constitutionnels et ultras, et enfin des facteurs socio-historiques liés aux spécificités de l'histoire de l'identité politique de la ville de Lyon. Nous avons également présenté les formes prises par la communication sur ces événements, au travers d'un climat pesant marqué par les rumeurs constantes de complots, servant la propagande des ultras lyonnais de diabolisation des jacobins et des bonapartistes, mais aussi de discrédit de la politique du gouvernement des royalistes modérés. Nous sommes revenus sur les problèmes d'éclaircissement des moyens et des finalités des conspirateurs. Cela nous a permis de comprendre le rôle important joué dans cette affaire, par la manoeuvre de provocation des événements par les autorités militaires ultras lyonnaises. Enfin, en observant les stratégies de manipulation des ultras lyonnais d'une entreprise politique secrète à visée émancipatrice, nous avons pu apprécié comment l'usage politique du secret par les ultras relevait aussi de leur politique réactionnaire. Cependant, nous avons pu aussi présenté l'échec de cette stratégie, au profit des constitutionnels et des libéraux lyonnais. Il nous reste donc à amorcer dans un dernier thème, une réflexion sur les usages de la violence et de la Justice en 1817.

    Analyse des usages de la violence et de la Justice en 1817

    « Dans de nombreux rituels, le sacrifice se présente de deux façons opposées, tantôt, comme « une chose très sainte » dont on ne saurait s'abstenir sans négligence grave, tantôt au contraire comme une espèce de crime qu'on ne saurait commettre sans s'exposer à des risques également très graves. »

    René Girard, La violence et le sacré (1998)

    III- La violence des conjurés et des forces de la répression

    L'ambition de ce dernier thème, plus court, sera d'amorcer une réflexion sur les usages faits de la violence et de la Justice en cette année 1817. Nous développerons pour cela trois points. Un premier temps sera accordé à une réflexion sur le sens politique et pratique du secret régulant l'activité politique clandestine qu'est une conspiration, avec notamment une approche de ses rites. Le second temps sera consacré à une analyse des fondements et des formes de la répression policière et judiciaire. Enfin, le dernier temps sera constitué d'une piste de réflexion personnelle sur le complot comme forme de violence émancipatrice.

    III-1 La conspiration : une entreprise secrète et « sacralisée »

    Nous avons donné lors de l'introduction, des éléments de définition de l'activité politique, au sens large de réunion d'individus dans un but précis, associée aux termes : conspiration, conjuration et complot. La conspiration apparaît, surtout au XIXème siècle chez les Carbonari en Italie et les Charbonniers en France, comme une activité hautement « sacralisée », ritualisée, faisant de celle-ci un espace de contraintes fortes et durables pesant sur ses membres. Commençons par évoquer les aspects anthropologiques de la conspiration avec la question des rites s'imposant à ses initiés, de l'entrée dans son secret jusqu'à peut-être même leurs morts, puis illustrons cette mise en scène du secret par le récit de ses codes de la part de conjurés de l'affaire du 8 juin 1817.

    III-1.1 Les rites de passage : le serment du couteau, la loi du silence et le sort des traîtres.

    René Girard, dont j'ai choisi pour introduire ce dernier thème, un court passage de son célèbre ouvrage La violence et le sacré, insiste grandement sur la dimension « sacrificielle » de l'activité sociale parallèle. Le sacrifice, écrit-il, se présente : « de deux façons opposées, tantôt, comme « une chose très sainte » dont on ne saurait s'abstenir sans négligence grave, tantôt au contraire comme une espèce de crime qu'on ne saurait commettre sans s'exposer à des risques également très graves. »284(*). Deux aspects essentiels de toute tentative de théorisation de la conspiration ressortent de ce propos. D'une part, la conspiration requiert des sacrifices desquels ses membres ne peuvent s'exempter, sacrifices légitimés par le caractère mythique de l'entreprise politique clandestine285(*) qui s'inscrit toujours dans sa propre histoire et qui enferment donc les initiés dans un espace de contraintes. D'autre part, les conjurés en attestant de leur nouveau statut par ces sacrifices placent dés cette initiation et de manière irrémédiable, leurs existences individuelles dans un espace de risques, risques de sanction au sein de la conspiration et dans le reste du corps social.

    Cette entrée dans un espace de contraintes internes au complot et cette conscience quasi-obsédante pour le conspirateur de la permanence de risques pesant sur sa vie soudent les membres de la conspiration et de facto doivent faciliter sa réussite. Le complot apparaît dés lors pour l'observateur, conséquences directes de ses mécaniques internes, « opaque, obsédant, omniprésent et introuvable » selon les mots de Bernard Gainot et Pierre Serna286(*).

    Cette opacité de la structure politique clandestine, volontairement organisée selon une stricte logique du secret et de l'ombre, vise à rendre sa compréhension accessible qu'aux seuls initiés, et encore dans les limites de leurs fonctions attribuées. La garantie de cette opacité et surtout de l'absence de toute connaissance du projet secret par le corps social étranger au complot, repose sur tout un appareil de rites et de codes ordonnant la discipline au sein des conjurés, s'accompagnant fréquemment aussi de la menace en cas de non-respect des lois de l'entreprise secrète. Pierre-Arnaud Lambert, l'un des principaux spécialistes de la pratique du secret en politique et notamment de celle-ci au sein de la Charbonnerie française, nous rappelle le protocole des rites et des codes de cette dernière287(*). Son analyse porte sur la Charbonnerie française, mais on verra que les mécanismes décrits se retrouvent au sein des conspirations militaires bonapartistes comme celle de juin 1817, car la Charbonnerie qui frappera en France en 1820-1823 est héritière des pratiques secrètes du complot bonapartiste, jusque parfois même dans son personnel politique.

    Pierre-Arnaud Lambert confirme dés le début de son article les deux exigences de la structure clandestine que nous venons de rappelées : « Une société secrète est une forme de sociabilité marginale, un groupe social particulier coupé de la société globale (ou « profane ») par le secret et généralement construite sur un corps de règles strictes qui mettent l'accent pour l'individu agrégé sur deux exigences particulièrement importantes, le respect du secret absolu vis-à-vis de l'extérieur d'une part et le respect de la règle intérieure d'autre part. »288(*).

    La première exigence de respect absolu du secret vis-à-vis de l'extérieur s'explique naturellement par le fait que l'indiscrétion d'un seul des membres de l'entreprise, volontaire ou non, ou pire encore la trahison, délit encore plus grave plus une société secrète conspirative, suffisent à mettre en péril l'existence même du groupe tout entier.

    La seconde exigence de respect de la règle intérieure correspond à la nécessité de préserver la cohésion de la structure clandestine. Pierre-Arnaud Lambert évoque ainsi l'existence au sein de la Charbonnerie française d'un véritable code juridique de peines associées à chaque délit de manquement au secret289(*).

    Dans les structures politiques clandestines, l'exigence est le respect du secret absolu. Car il pèse déjà fortement le poids de la surveillance policière, très lourde et bien organisée sous la Restauration comme nous avons pu le réaliser, et dés lors la moindre indiscrétion peut compromettre toute l'entreprise. Ainsi, est prévue une procédure « judicaire » dans la Charbonnerie, visant à sanctionner le manquement à la règle du secret. Bien que le mot «procès » ne soit jamais employé dans les textes organisant la Charbonnerie française, Pierre-Arnaud Lambert nous apprend l'existence de la procédure du « jugement ». Ces jugements étaient organisés selon des échelles différentes par les Ventes de la société secrète, organes dirigeants de la structure. Pierre-Arnaud Lambert a retrouvé nombre de documents relatant de manière précise, les procédures de jugement au sein de la Charbonnerie française290(*).

    Il note : « Le procès secret était donc bien imaginé par les fondateurs de la Charbonnerie, les rédacteurs des premiers documents. Ce procès, selon toute vraisemblance, a dû rester virtuel. Car l'enjeu des règlements dans leur ensemble, outre d'architecturer la société, est d'abord d'en protéger le secret »291(*). Un outil de régulation traditionnel au sein de la Charbonnerie, nous apprend toujours Pierre-Arnaud Lambert, était la délation. Ceci nous amène à la nature de la peine, prévue en cas de manquement au secret. Pierre-Arnaud Lambert précise : « En fait, dans ces premiers règlements, l'application de la peine, dont la gravité dépend de la faute elle-même, s'accompagne d'une mise hors secret progressive du fauteur par la vente. »292(*). Nous avons pu voir dans le cas de notre conspiration du 8 juin 1817 que la peine pouvait aller jusqu'à l'élimination physique du traître. Cela nous amène à évoquer le rite d'initiation au complot le plus répandu parmi les divers groupes clandestins au XIXème siècle.

    L'entrée dans la conspiration et donc dans son secret passe par le serment. Pierre-Arnaud Lambert cite dans son article l'un des serments de la Charbonnerie italienne (La Carbonaria) : « Je jure d'être fidèle au serment que je prête, et de ne jamais changer d'idée, encore que l'on voulut me faire souffrir les plus grands supplices. (...) Et si jamais je deviens parjure à tous les serments que je prête, je veux être massacré et brûlé, et mes cendres jetées au vent comme tous ceux qui ont déjà subi le même sort. »293(*). L'initié au secret de la conspiration prêtait généralement serment « sur le poignard »294(*), comme c'était le cas chez les Carbonari et apparemment dans la conspiration du 8 juin 1817. Ce type de serment sur une arme implique la participation complète, corps et âme, du conjuré à l'ensemble de l'aventure secrète du complot. Pierre-Arnaud Lambert évoque ainsi à juste titre une dramatisation du rapport social au sein des sociétés secrètes et des conspirations295(*). Enfin, nous retiendrons le caractère contraignant du serment, signant l'engagement sans appel du conjuré à travailler sans relâche pour l'entreprise secrète, et à respecter l'intégralité de ses règles. Pierre-Arnaud Lambert note : « Le serment en particulier a pour fonction de dire l'appartenance irréversible de celui qui le prononce au groupe. »296(*). Venons-en au récit de certains de ces rites comme celui du serment sur le poignard, par des conjurés du complot du 8 juin 1817.

    III-1.2 Le récit de ces codes par des conjurés du 8 juin 1817

    Cette conspiration du 8 juin 1817 est digne d'intérêt car elle relève, dans son fonctionnement, des sociétés secrètes à venir en France toujours sous la Restauration, comme la Charbonnerie française dont nous avons pu, avec l'aide de Pierre-Arnaud Lambert, présenté quelques aspects rituels. Ainsi, le procès de cette conspiration révèle l'existence d'une mécanique ritualisée interne de fonctionnement du type de celles des sociétés secrètes politiques, démontrant au moins la volonté de revêtir les attributs du complot politique.

    Le rite d'initiation ou d'entrée dans la conspiration et son secret se faisait déjà sur le mode opératoire du serment du poignard. On apprend à la lecture du compte-rendu du procès de la Cour prévôtale dans sa séance du 25 octobre 1817, que les membres du comité supérieur de la conspiration se réunissaient rue du Garet, à Paris, sous l'impulsion de madame Lavalette. C'est là selon les déclarations faites à la Cour prévôtale que s'organisait l'initiation au complot : « Cochet sortit de sa poche un poignard, sur lequel chacun jura de perdre plutôt la vie, que de dénoncer aucun des conspirateurs. »297(*). Le récit de la Cour évoque l'existence du tribunal secret, institution d'autorégulation interne de la conspiration, inspirée des Carbonari, « chargé de frapper les parjures, qu'une grande partie des Autorités était affiliée à ce tribunal, que déjà plusieurs individus avaient disparus, qu'on avait trouvé des cadavres aux Brotteaux et à la Pêcherie, avec un poignard autour duquel était cette inscription : Voilà la récompense des traîtres. »298(*). Jacquit à la tête de ce comité exécutoire était chargé, avec la police ! selon Cochet, de l'exécution des arrêtés du tribunal secret.

    L'existence d'une telle structure ou même sa rumeur devait assurer la cohésion des conjurés. Ainsi, selon le récit rapporté par la Cour prévôtale : « Il était ordonné aux chefs d'entretenir chez leurs subalternes la terreur que de tels récits devaient inspirer. (...) L'effroi que ces idées durent jeter dans les âmes, donna de la sécurité aux conspirateurs. »299(*). De même, une des garanties du secret provenait du fait que : « l'organisation du complot était telle, qu'il n'y avait qu'un petit nombre d'individus qui fussent initiés dans tous ses secrets. »300(*). La rationalisation du partage du secret entre les conjurés assurait donc l'impératif de la loi du silence. Parmi les techniques du secret aussi employées lors de cet épisode, on doit signaler la dissimulation aux enrôlés des chefs subalternes qui les avaient recrutés et le flou constant sur les buts réels de la conspiration. Enfin, au cours des interrogatoires de la Cour prévôtale du 27 octobre 1817, on apprend du conjuré Taysson que les conspirateurs avaient adopté des surnoms, à l'aide desquels il leur était facile de se cacher. C'est ainsi que Barbier était appelé « Herbas », Volozan aîné « Scipion », Taysson « Paulus », etc301(*).

    Nous venons de dévoiler les fondements rituels et fonctionnels de l'entreprise politique clandestine, qu'il s'agisse d'une société politique secrète comme la Charbonnerie française ou d'une réunion plus éphémère de conjurés lors du complot du 8 juin 1817. Nous avons ainsi démontré que lors de cet épisode, les acteurs de cette conspiration ont été soumis au dispositif rituel et fonctionnel propre au complot politique du début du XIXème siècle. Il nous faut donc à présent, nous intéresser à l'envers des usages de la violence au sein de la conjuration politique, en observant cette fois ceux de la répression policière et judiciaire.

    III-2. La répression policière et judicaire

    Nous analyserons les fondements et les formes de cette répression d'Etat selon quatre points. Nous commencerons par revenir brièvement sur les conditions des arrestations des suspects, en signalant la légitimation des conditions de celle-ci par le régime sous le prétexte de la théorie des circonstances exceptionnelles. Nous continuerons en illustrant un peu plus le flou de l'instruction de l'affaire par la justice de l'époque. Cela nous conduira naturellement à éclairer la sévérité des condamnations de la Cour prévôtale, au regard des nouvelles dispositions pénales prévalant dans les affaires de conspirations. Enfin, nous présenterons rapidement l'analyse critique d'un contemporain de l'affaire, François Guizot, au travers de son ouvrage Des conspirations et de la justice politique.

    III-2.1 Les arrestations des suspects : la théorie des circonstances exceptionnelles

    En 1817, le ministère de l'Intérieur dirigé par Decazes, un constitutionnel pourtant, appuie sa politique de répression des troubles dans le Rhône du mois de juin, sur la loi de sûreté générale, de l'initiative et votée par les ultras aux Chambres les 23 et 27 octobre 1815. Promulguée le 29 octobre 1815, cette loi de sûreté générale autorisait l'emprisonnement sans jugement de toute personne suspectée de complot contre la famille royale ou la sûreté de l'Etat. En 1816, pas moins de 419 « suspects » furent emprisonnés en vertu de cette loi302(*).

    Les questions relatives à la sécurité de l'Etat sont en effet omniprésentes sous la Restauration où la peur des autorités du complot politique est chronique. Pour preuve, ainsi en 1816, les ultras ayant réussi à imposer la loi du 20 décembre 1815 instituant une Cour prévôtale dans chaque département, celles-ci sont installées au mois de mars. Elles jugeront 2 280 affaires jusqu'à leur suppression en 1818, dont seulement 237 purement politiques303(*). Précisons qu'une Cour prévôtale est composée de quatre magistrats civils et d'un procureur militaire, qu'elle est chargée de juger, sans jury, ni appel, les crimes politiques ayant un caractère de violence publique et de flagrant délit, la sentence étant exécutoire dans les vingt-quatre heures.

    Concernant notre affaire du 8 juin 1817, précisons que des arrestations arbitraires de suspects eurent lieu le 4 juin, peu avant les séditions à venir. Le préfet du Rhône, Chabrol, se mit d'ailleurs à cette occasion dans une certaine illégalité ne disposant pas de preuve de troubles avérés. Georges Ribe rapporte : « Le préfet donna l'ordre d'arrêter ces individus suspects, en vertu de la loi du 9 novembre 1815, en en référant au ministre de la Police que, ne pouvant aux termes de la loi recourir à un arrêté du Conseil des ministres, il prenait sous sa responsabilité une mesure que, dans toute autre circonstance, il eut regardé comme illégale, parce qu'il n'y avait encore que des suspicions et point de preuve. »304(*). La loi du 9 novembre 1815 visait à prévenir les troubles à l'ordre public. Avant même la naissance des troubles du 8 juin 1817, le préfet du Rhône, Chabrol, ordonna donc l'arrestation par mesure préventive de suspects de futures séditions. Les deux principaux suspects recherchés étaient le capitaine en demi-solde de Saint-Genis Laval, Oudin et un chef des corps francs lors des Cent-Jours à Marcilly-d'Azergues, Garlon. Cela prouve que les autorités locales avaient déjà connaissance des principaux meneurs du complot provoqué du 8 juin. Les deux suspects étaient absents de chez eux lors de la visite de la police. Mais, fait troublant rapporte Georges Ribe : « (...) bien que le préfet eut donné l'ordre, le 4 juin, d'arrêter le capitaine Oudin, cet officier se présenta chez le général Canuel le 5 et ressortit sans avoir été appréhendé. Le 8 juin, il passa la journée avec un sous-officier de gendarmerie qui semble ne se douter de rien. »305(*). Ces faits confirment donc bien la véracité de la thèse de la provocation policière, déjà longuement exposée précédemment. A la veille des soulèvements du 8 juin 1817 dans Lyon et ses campagnes périphériques, les autorités ultras locales tentaient déjà de diaboliser une entreprise qui ne relevait pour le moment que de la rumeur, et dont les autorités visaient à en dissuader les populations de leur soutien, en les inquiétant des poursuites policières et judiciaires qui pourraient alors les affecter si ils prenaient part aux troubles. Cette mise en garde des autorités ultras du Rhône devait être relayée par les maires des communes mises sous haute surveillance policière et militaire. Georges Ribe précise : « Le préfet avisa tous les maires d'un mouvement probable et les invita à faire afficher, dans leur commune, l'arrêté qu'il venait de prendre, aux termes de l'article 8 de la loi du 9 novembre 1815, et qui énumérait les peines dont étaient passibles les fauteurs et les auteurs de séditions et de rébellions. »306(*). Cette stratégie de « l'épouvante » ne fonctionna donc pas, et légitima alors d'autant mieux les conditions peu légales d'arrestation et de détention des séditieux. Rappelons que le lieutenant de Police de Lyon, Charrier de Sainneville, était à Paris le jour des insurrections, le 8 juin, et ne revint dans le Rhône que le 13. Pendant son absence, le maire ultra de Lyon, le comte de Fargues, s'était chargé de l'interrogatoire des suspects lyonnais, en tant qu'officier de police judiciaire. Pour Georges Ribe : « Cette intervention outrepassait ses fonctions. »307(*). Les autorités ultras du Rhône s'appuyaient donc sur la loi de sûreté générale de novembre 1815, pour légitimer les détentions immédiates et arbitraires des séditieux arrêtés, suspectés sans aucune preuve supplémentaire que leur attroupement le dimanche 8 juin 1817, de vouloir porter atteinte à la famille royale et à la sûreté de l'Etat. Ainsi, comme le souligne Georges Ribe : « Beaucoup de détenus ne subirent même pas les formalités du mandat d'arrêt ou de l'écrou. Quelques-uns restèrent au secret, pendant plusieurs semaines, sans connaître le motif de leur détention. Nombreux étaient, parmi eux, les officiers en demi-solde ou en retraite. Ces arrestations préventives qui ne se justifiaient que comme simples mesures de précaution étaient elles aussi d'une légalité douteuse. En quelques points, on se contenta de désarmer les suspects. »308(*). Ces arrestations s'opéraient donc dans l'acception la plus large et la plus vague de l'esprit de la loi des ultras de sûreté générale. Ce recours fallacieux au principe de circonstances exceptionnelles, un risque potentiel d'atteinte au royaume, participe d'un mouvement plus large de surveillance aigue de la société sous le régime de Louis XVIII. En effet, comment analyser la réaction politique qui caractérise la Restauration en France, sans évoquer son corollaire et son garant le plus célèbre : la surveillance policière.

    Le début du XIXème siècle est marqué par la naissance de la police moderne, avec notamment l'institutionnalisation de son corps le plus actif dans sa mission de prévention des complots politiques et des séditions : la police politique. La police politique se définit selon Gilles Malandain, au sens restreint et plus courant du terme comme: « (...) le dispositif institutionnel qui concrétise le dispositif juridique destiné à protéger en même temps la société et l'Etat contre toute « sédition ». »309(*). La police politique est donc un organe secret de la police générale qui vise par des moyens secrets à surveiller et déjouer les entreprises politiques secrètes susceptibles de porter atteinte à l'Etat. Son existence en France ne remonte pas en réalité à la Restauration, mais c'est sous ce régime qu'elle va se développer et se généraliser en devenant une institution d'Etat. Sous le régime de la Terreur révolutionnaire et même après, la police politique existe de manière officieuse, entrant souvent en conflit avec les polices municipales310(*). Sous le Directoire, la police retrouve un rôle politique qui tend à prévaloir sur son rôle social. Gilles Malandain précise : « Le ministère de la Police a en effet comme première mission la lutte contre les menées des adversaires du régime : Cochon, titulaire du poste en 1796-1797, s'emploie ainsi notamment à démanteler la conjuration des Egaux. Avec Fouché, qui endosse en juillet 1799 le rôle dont il est resté l'incarnation la plus fameuse, la police s'identifie entièrement à la surveillance politique... »311(*). N'oublions donc pas les origines jacobines de la police politique, qui dés sa naissance s'attelait à surveiller et briser de l'intérieur les volontés politiques secrètes soupçonnées d'intentions nuisibles pour le régime. Jusqu'en 1821, la police de la Restauration sera essentiellement constituée d'anciens serviteurs de Napoléon, toujours selon Gilles Malandain312(*). A partir des années 1820, la relève se fera par des contre-révolutionnaires engagés : ce sera la « police de la Congrégation » dirigée par Franchet d'Esperey. Les ultras renouvelleront peu à peu leur police politique à l'aide des anciens membres de leurs réseaux clandestins, déjà présentés dans le premier thème. Ces réseaux occultes ultras, comme celui des « Chevaliers de la Foi », s'avèreront être d'efficaces instruments de lutte contre les conspirations libérales.

    Observons aussi que la police politique implique d'autres ministères que ceux de la Police ou de l'Intérieur. Ainsi les ministères de la Justice ou de la Guerre, ce fut le cas pour notre affaire du 8 juin 1817 lors des manipulations du général Canuel, peuvent participer à ces missions de renseignement, surveillance et répression d'activités politiques clandestines. A partir de 1818, une institution clef du dispositif de surveillance policière s'affirmera : la préfecture de police, dont le chef, le préfet de police, ne cessera de gagner en responsabilités, notamment quant à ses missions de veille et de répression des complots politiques313(*).

    Gilles Malandain note à juste titre : « La lutte contre le complot est donc au coeur de la police politique et la police politique au coeur de l'institution policière. »314(*). Cependant, force est d'admettre le caractère « inclassable » de la police politique, dont l'esprit d'anticipation la rattache aux principes d'une police administrative, force de paix à la disposition des citoyens, mais dont les méthodes la lient indéfectiblement à la police judiciaire, en partageant un usage habituel du secret. Le juriste Vivien, contemporain de la Restauration, nous éclaire sur les raisons de la pratique du secret par la police politique : « La police politique est secrète de sa nature : les factieux trament leurs complots dans l'ombre ; c'est dans l'ombre que le gouvernement doit les suivre, épier leurs démarches, surprendre leurs projets. Elle est essentiellement préventive... »315(*). Dés lors, on peut légitimement s'interroger sur la légalité d'une police qui, opérant avant tout dans l'ombre, est peu sujette à contrôle. Gilles Malandain va même jusqu'à affirmer : « « Sacrifice de la théorie à la nécessité », autre face du complot qu'elle cherche à déjouer et dont elle emprunte les formes, la police secrète est l'illégalité institutionnalisée. »316(*). La critique d'illégalisme de la police politique se répandra tout au long du XIXème siècle, et notamment dans les cercles libéraux des années 1820 où sévit la « police de la Congrégation ». Pourtant, l'avènement des libéraux en 1830 et la monarchie orléaniste ne s'accompagneront pas de la disparition de cette police si particulière, car directement assignée à la protection secrète de l'Etat. Comme le remarque Gilles Malandain : « Finalement, la raison d'Etat ne peut s'avouer au XIXème siècle qu'en empruntant les traits de la défense sociale. (...) Encore faut-il que la surveillance se borne à une « observation passive », qu'elle ne tombe jamais dans la provocation, qu'elle soit avant tout une vigilance et non une inquisition... »317(*). Nous avons pu observé en effet ses dérives en 1817, avec l'usage politique qu'elle fit de la technique de l'infiltration puis de la provocation de la conspiration du 8 juin.

    Pour finir ce point consacré à la surveillance et à la répression policière au motif de circonstances exceptionnelles, j'ai choisi de rapporter des « fiches » de la police politique de Decazes, établies sur les personnages principaux de l'affaire du 8 juin 1817. Ces « fiches » de la police politique proviennent des archives nationales, carton côté F7 4352 A, Rhône en 1817-1818, « Notes d'enquêtes internes à la Police ».

    Ces notes d'enquêtes internes révèlent la surveillance de Paris sur son administration en province, puisque essentiellement, il s'agit d'observations sur les autorités locales et les notables du Rhône. Les commentaires illustrent parfaitement le sentiment de contrôle, voire de mépris, de l'Etat central vis-à-vis des acteurs principaux du complot du 8 juin 1817. Nous ne rapportons là que les fiches les plus caractéristiques de ces sentiments.

    Comte de Fargues (le maire de Lyon en 1817) : capacité médiocre, caractère faible, opinion flottante, peu de relations hors de la Noblesse, a perdu la confiance publique, influence à peu près nulle aujourd'hui. Fortune en 1811 : 12 000 francs de rentes.

    Baron Pierre Rambaud (le successeur de de Fargues) : homme de toutes les époques, riche, très économe, ayant quelques influences dans les deux partis... Fortune en 1811 : 40 000 francs de rentes.

    Sainneville (le lieutenant de police de Lyon) : riche, homme d'esprit, ambitieux, sachant adroitement prendre le vent de la politique, peu considéré à Lyon, mais beaucoup d'amis et de fans à Lyon. Fortune en 1811 : 18 000 francs de rentes.

    Desuttes (Prévôt du Rhône en 1818) : son exaltation est connue, grande influence chez le parti libéral, dont il est conseiller. Intriguant, habile, actif, résolu. On le croit, quoique pauvre, inaccessible à la corruption. « Il sera fort important de l'éloigner, ce serait un grand obstacle de moins dans les affaires, le Ministère ne devrait rien négliger pour cela... »318(*).

    Ces quelques notes choisies illustrent bien à la fois l'assurance et la suspicion du Ministère de l'Intérieur quant aux personnages principaux de l'affaire du 8 juin 1817. On retiendra le discrédit dissimulé de l'Etat central pour les élites ultras locales comme le maire de Lyon, mais aussi la crainte de la montée en puissance de fonctionnaires modérément royalistes tendant à se rapprocher des libéraux.

    Rappelons donc avant d'aborder la question de l'instruction de l'affaire par la Cour prévôtale, que la police et l'armée arrêtèrent 248 individus à Lyon, enfermés dans les caves de l'Hôtel de Ville, et 300 personnes pour les campagnes319(*). Nous pouvons à présent nous attacher à illustrer le flou de l'instruction de cette affaire avec quelques interrogatoires de suspects arrêtés.

    III-2.2 Une instruction de l'affaire des plus floues : illustration par quelques interrogatoires

    La Cour prévôtale retint comme chefs d'accusations envers les individus arrêtés, les motifs de « complot » et de « réunion séditieuse ». Dans ses arrêts, elle ne choisit pas entre ces deux motifs, évoquant ainsi souvent le terme de « complot », sans aucun fondement juridique valable. De même, alors qu'elle retient aussi le chef d'accusation de « réunion séditieuse », la Cour jugea les accusés séparément par communes au lieu de les englober dans un procès unique. En effet, la Cour divisa l'instruction en douze procédures : une pour chacun des onze villages, et une pour Lyon320(*). Nous reviendrons dans le prochain point sur le traitement juridique de cette affaire, et notamment sur la question de la légitimité de la Cour prévôtale à juger celle-ci. Pour l'heure, l'objectif de ce point est de montrer la conduite critiquable des interrogatoires des accusés par la Cour.

    Pour cela, deux sources d'archives ont été sollicitées. La première est le volume « Procédure » de la Cour prévôtale du Rhône, déjà utilisé largement précédemment, volume contenant les débats du procès de la conspiration de Lyon en 1817, consulté au fond ancien de la bibliothèque municipale Lyon Part Dieu321(*).

    La seconde source d'archives est constituée d'un document de huit pages consultables en annexes, découvert au sein des archives départementales du Rhône, avec pour titre « Cour prévôtale de Lyon, interrogatoire des vingt-huit conspirateurs. »322(*). Ce document est un bon résumé de l'instruction de l'affaire, rapportant les interrogatoires de Barbier, Volozan cadet, et Biternay.

    Les interrogatoires de la Cour prévôtale en sa séance du 25 octobre 1817 sont marqués par la pression du président de la Cour sur les accusés dans la perspective d'aveux effroyables de leurs parts d'une intention calculée d'assassinats politiques. Cette orientation prise par les débats de la Cour vers un exercice de pressions sur les accusés, s'illustre par exemple par cet extrait de l'interrogatoire de Barbier, où le président de la Cour après une longue liste d'affirmations sur lesquelles Barbier n'a pas pu précédemment se prononcer clairement, le contraint à les confirmer en un seul échange.

    Le Président de la Cour : « Vous êtes convenu qu'il avait existé un complot pour mettre Napoléon, ou un autre usurpateur, sur le trône, qu'il y avait eu des comités formés pour cet objet, qu'un serment avait été prêté ; qu'on avait pris des moyens pour recruter des forces ; que Jacquit était chef des bandes armés des campagnes ; que les conjurés avaient arrêté leur plan d'attaque pour le 8 juin ; que les postes étaient distribués ; que les enrôlements avaient été préparés ; que des motifs que vous ignorez ont empêché l'explosion générale à Lyon. »

    Face à ce flot d'assertions mélangeant des questions d'ordre très divers comme celle des buts du complot, de ses moyens et de ses chefs, l'accusé Barbier ne peut que confirmer puisque une partie des énoncés est sans doute exacte.

    Barbier : « Oui monsieur le Président. Mais je ne sais pas d'où venaient les ordres supérieurs. Quant aux sommes comptées, je persiste dans mes déclarations à cet égard. »323(*).

    On retrouve cette même tentative de la Cour prévôtale de forcer les aveux lors de l'interrogatoire de Volozan. Ainsi, le président de la Cour demande à nouveau de manière vindicative à Volozan si les conspirateurs avaient l'intention d'assassiner des fonctionnaires publics, des magistrats. Volozan réaffirmera que ce n'était pas le cas324(*). On observe toujours au cours de ces audiences, l'impatience de la Cour prévôtale pour des aveux accablants de projets d'assassinats politiques, qui classeraient définitivement cette affaire dans celles des conspirations politiques, et légitimeraient alors des condamnations judiciaires des plus dures.

    Ainsi, des condamnations forts discutables car prononcées par contumace, sont lancées à l'encontre de Taysson, Cochet et Bernard, prisonniers évadés. Plusieurs avocats de la défense se levèrent lors de la séance pour protester contre cette mesure qu'ils jugent illégale325(*).

    A nouveau, la Cour bombarde littéralement de questions-accusations le suspect Coindre.

    Le président de la Cour prévôtale : « Coindre, vous fûtes trouvé le 8 juin, muni de cartouches. D'où provenaient-elles ? N'aviez-vous pas connaissance de la conspiration qui se tramait alors contre le gouvernement du Roi ? N'en faisiez-vous pas partie ? Ne fûtes-vous pas dans le principe, soupçonné d'être l'un des auteurs de l'assassinat commis sur le capitaine Ledoux ? »326(*).

    Coindre répond de manière évasive.

    On observe donc encore dans cet interrogatoire de Coindre, l'usage de questions déformées dans le sens qu'elles tendent toujours à amener leur confirmation...

    L'interrogatoire de madame Lavalette est le plus représentatif de cette tendance de la Cour à transformer ses audiences en une inquisition. Au cours de l'interrogatoire de Volozan cadet, ce dernier soutint que madame Lavalette entretenait une correspondance active avec le comité supérieur du complot. La Cour retient cet aveu de Volozan cadet comme vérité indiscutable. Face à la résistance de madame Lavalette, le président de la Cour s'énerve.

    Le président de la Cour prévôtale : « Après tant de rapports faits par des personnes qui n'ont point intérêt à vous nuire, vous ne pouvez nier le fait de la correspondance ? Comment repousser tant d'assertions ? ».

    Madame Lavalette : « Je ne vois que des « On dit ». Je suis sur des « On dit », en prison depuis quatre mois, privée de mes enfants, et l'on me fait entreprendre un voyage long et pénible. Mes enfants sont ma seule occupation. ».

    Le président de la Cour fait lire plusieurs lettres devant madame Lavalette évoquant son rôle dans la conjuration.

    Madame Lavalette : « Je n'ai jamais reçu ces lettres ; je ne sais ce que vous me dîtes. »

    Le président de la Cour : « Vous persistez madame. »

    Madame Lavalette : « Oui monsieur. »

    La Cour : « Cependant vous connaissez les déclarations positives consignées au procès. »

    Madame Lavalette : « On a dit tant de choses ! Mais ce sont des histoires. »

    La Cour : « Madame, les histoires sont vraies. »

    Madame Lavalette : « Eh bien ! Mettez que ce sont des contes. »

    La Cour : « C'est comme le désir de revenir à Lyon. »

    Madame Lavalette : « Je ne l'ai jamais eu. »327(*)

    De même, on notera toujours la propension à l'exagération de la Cour dans ses questions aux accusés, afin peut-être d'obtenir suffisamment en demandant plus. On observe ce procédé lors de l'interrogatoire de Volozan cadet à nouveau.

    Le président de la Cour prévôtale : « N'avez-vous su que, dans la vue d'exaspérer le peuple et de le porter à la révolte en l'affamant, les ennemis du gouvernement avaient accaparé du blé pour en faire exhausser considérablement le prix ? »

    Volozan : « Taysson m'a dit un jour que l'accaparement des grains se faisait à force, et qu'il fallait presser l'exécution des mouvements. »

    La Cour : « Les membres de votre comité n'avaient-ils pas répandu dans le public que des officiers civils et militaires servaient la conspiration ? »

    Volozan : « Oui, Monsieur. Et tous avaient la certitude que certaines Autorités étaient à la tête de la conspiration. »

    La Cour : « Quelles sont les causes qui vous ont porté à croire une chose aussi absurde ? »328(*).

    Le lecteur pourra lire la suite de l'interrogatoire en consultant le document 8 en annexes. Retenons que la Cour tente d'éluder la question de l'intervention d'autorités institutionnelles extérieures au complot, en rabaissant littéralement Volozan mais aussi d'autres, lorsqu'ils abordent l'idée que les autorités publiques auraient pris part à la préparation de la conspiration.

    Nous venons d'illustrer le manque de rigueur qui caractérisa le traitement de l'instruction judiciaire lors de l'affaire du 8 juin 1817. Très souvent, la Cour prévôtale forçat les aveux des accusés, déformât leurs réponses, exagérât les intentions des conjurés pour aboutir à la seule conclusion qui pouvait satisfaire les ultras lyonnais : celle d'une vaste conspiration dont le but de renversement du gouvernement royal passait par des assassinats politiques d'autorités publiques. Dés lors, nous ne serons guère surpris par la sévérité des condamnations prononcées par la Cour prévôtale. Une Cour qui aura voulu se montrer exemplaire quant à la Justice réservée aux conspirations, une Justice arbitraire qui doit s'imposer selon les royalistes ultras sous ce régime de Restauration de l'ordre monarchique.

    Cela nous mène donc à aborder la question des condamnations de la Cour prévôtale, la question de sa légitimité à avoir jugé ces troubles du 8 juin 1817, et enfin la question de l'évolution de la pénalisation du crime de « conspiration ».

    III-2.3 La sévérité des condamnations : les nouvelles dispositions pénales au regard de la justice des conspirations

    La procédure et les condamnations de la Cour prévôtale s'étendirent jusqu'au mois de septembre 1817, du fait de la division du travail judiciaire pour chacune des onze communes rurales de la périphérie de Lyon. La Cour se déplaça donc de communes en communes pour prononcer de lourdes condamnations des troubles du 8 juin. Revenons brièvement sur l'historique et le bilan de ces condamnations.

    Les premières condamnations et exécutions furent décidées le 14 juin 1817, soit à peine une semaine après les premières arrestations, ce qui laisse sceptique quant à la mesure des décisions de la justice prises en si peu de temps. Le 14 juin au matin, la Cour, réunie dans la grande salle de la prison de Roanne, condamne à mort deux inculpés qui seront exécutés le soir même. La Cour se déplaça ensuite dans les communes rurales où elle décida d'autres condamnations à mort. Le 19 juin, une exécution a lieu à Quincieux ; le 24, une à Brignais ; le 31, trois à Saint-Andéol ; le 5 juillet, une à Charnay ; le 18 juillet à Saint-Genis Laval, celle du capitaine Oudin et celle du jeune Dumont, l'enfant de seize ans, qui, un pistolet à la main, avait sommé le curé d'Irigny de crier : « Vive l'Empereur ! ou je te tue. ». A la fin de son instruction, la Cour retint 155 inculpations. La procédure ne se termina réellement dans les campagnes que le 4 septembre 1817. Au total, la Cour aura prononcé 23 condamnations à mort, dont 11 furent exécutées, une commuée, et 11 rendues par contumace ; 4 condamnations aux travaux forcés ; 24 condamnations à la déportation, dont 10 par contumace ; 39 condamnations à la détention ou à des peines d'emprisonnement correctionnel. Au total, il y eut 79 condamnations sur 118 individus traduits en jugement329(*).

    Ces exécutions publiques marquèrent profondément les populations des communes concernées. Georges Ribe rapporte : « L'étalage des exécutions ajouta à l'horreur des condamnations. La guillotine, « le fatal tombereau » peint en rouge, fut transportée de village en village. Certains condamnés furent exécutés devant leurs maisons, là-même où habitaient leurs proches. Tel fut le cas de Dumont, exécuté devant la maison de sa mère. Celle-ci fut par la suite, invitée à payer les frais causés par la présence du détachement chargé de veiller à l'exécution de son fils. De même, à Saint-Genis-Laval, le capitaine Darillon, qui commandait le peloton, excita ses hommes en état d'ivresse à dépouiller et mutiler le cadavre du capitaine Oudin... »330(*). Ces communes se souviendront pendant longtemps de la violence des décisions de la Cour prévôtale quant à une affaire dont l'instruction fut expéditive, notamment en assimilant dés le début les séditions à un complot plus vaste visant à renverser la couronne. Georges Ribe note à ce sujet avec raison : « Par correspondance, les localités, où la répression de la Cour prévôtale fut sanglante, restèrent pendant tout le cour du XIXème siècle, des villages rouges. L'esprit public, déjà si hostile aux Bourbons dans les campagnes, se renforça de toute cette haine accumulée par la randonnée de la guillotine durant l'été 1817. »331(*). Pour ce qui est de la ville de Lyon, où les troubles furent moindres bien qu'ils y prenaient dans cette ville leur origine, les prévenus de cette ville furent délibérément jugés en dernier. En effet, la Cour prévôtale basait son accusation sur la conviction d'un complot unique avec pour centre Lyon, mais aux ramifications dans les onze communes rurales en insurrection. Dés lors, les enquêteurs voulaient réserver pour la fin le jugement des accusés lyonnais afin de mieux connaître le centre et les ramifications de la conjuration332(*). De plus, les arrestations des rebelles lyonnais avaient tardé, ce qui explique que la Cour prévôtale de Lyon ne rendit son jugement que début novembre 1817. Il nous faut à présent poser la question de la légitimité de la Cour prévôtale à avoir jugé ces troubles du Rhône sous le chef d'accusation de « complot ».

    Pour nombre de contemporains de l'affaire du 8 juin 1817, nous rappelle Georges Ribe, les rebelles mis en causes n'auraient pas dû, au premier abord, être traduits devant une Cour prévôtale333(*). Ainsi, le ministre de la Justice lui-même, Pasquier, avouera dans ses Mémoires, l'erreur qui fut de laisser la Cour prévôtale jugeait des faits sous le motif de « complot ». Pasquier écrit : « On avait la prétention d'établir un complot. La faute était grande, car on sortait la Cour prévôtale de ses attributions, qui aux termes de la loi ne devaient s'exercer que sur une certaine nature de faits, parmi lesquels ne se trouvait pas le complot. »334(*). Ceci explique le fait que dans ses arrêts, elle emploie plus le terme de « réunion séditieuse », pour légitimer son recours, mais elle appuie la sévérité de ses condamnations sur sa conviction de l'existence d'un « complot » sous-jacent. La Cour suivait donc les dispositions de la loi de 1815, qui, si selon Georges Ribe, ne lui accordait pas de compétences en matière de complot, la chargeait de la répression des actes de réunions séditieuses et d'organisation de bandes armées335(*). Ce qui pose problème est donc cette notion de « complot » et le manque de preuve de réelles tentatives d'assassinats d'autorités politiques ou morales par les insurgés. Ainsi, par exemple, le cas du jeune Dumont, gamin de seize ans condamné à mort pour avoir menacé un curé, sans aucune preuve que le pistolet fut chargé et qu'il contraignit le curé à crier son amour pour Napoléon. Georges Ribe rapporte d'ailleurs le mépris du procureur du Roi à l'encontre de Dumont, qui justifiait sa condamnation par sa condition familiale : « Pierre Dumont appartient d'ailleurs à une famille exécrable, c'est de quoi nous nous sommes informés en termes positifs, par les autorités locales : son affreuse perversité est sans doute le fruit des exemples que ses parents lui donnèrent et l'application de la loi qui le frappe préviendra de nouveaux crimes qu'il ne manquerait pas de commettre. »336(*). On ne peut qu'être consterné face à ces propos qui reflètent bien tout le caractère politique, Dumont fut considéré comme un danger pour la société du fait de son origine modeste, d'une justice partiale.

    De même, très souvent les prévenus furent condamnés pour des faits que l'acte d'accusation ou le réquisitoire ne mentionnaient même pas. Ainsi Camille Jordan stigmatisa cette illégalité judicaire : « Les actes d'accusation, écrivait-il, enveloppant plusieurs individus à la fois, oubliaient de détailler les délits et les faits pour lesquels chacun d'eux était spécialement accusé, et se bornaient à parler de vagues participations à un attentat ou à un complot, sans définir cette participation à des faits bien caractérisés, sans daigner expliquer ce caractère. »337(*). Mais surtout, la Cour ne respecta pas deux articles du Code pénal (articles 100 et 203), qui énonçait à propos des attroupements séditieux « qu'il ne soit prononcé aucune peine contre ceux qui ayant fait partie de ces bandes, sans y exercer aucun commandement, sans y remplir aucun emploi ni fonction, se seront retirés au premier avertissement des autorités, ou même depuis, lorsqu'ils n'auront été saisis que hors des lieux de la réunion séditieuse, sans opposer de résistance et sans arme. »338(*). Effectivement, la majorité des prévenus avaient été enrôlés, n'étaient que de simples exécutants, et surtout n'opposèrent pas de résistance aux forces de l'ordre. Georges Ribe précise que pour pallier à ces articles du Code pénal, la Cour assimila la plupart des accusés à des chefs, d'où le nombre importants de condamnations à mort ou à de lourdes peines339(*). Ce refus d'appliquer ces articles se solda par la décision arbitraire de condamnations à mort de nombre d'insurgés qui auraient dû être condamné à la déportation à ou à des peines d'emprisonnement. Cet argument juridique fut grandement repris par les « modérés » comme Camille Jordan et le colonel Fabvier dans leur critique du traitement juridique de l'affaire. La Cour n'avait pas travaillé selon des méthodes entièrement conformes à l'état des lois. Ce qui explique peut-être le fait que les Cours prévôtales disparaîtront en 1818...

    Ces condamnations firent donc le bonheur des ultras du Rhône alors qu'elles suscitèrent l'indignation populaire et la désapprobation des « modérés », constitutionnels et libéraux, qui étaient presque sommés de taire leurs critiques. Ainsi Camille Jordan, toujours dans La Session de 1817, écrivit au lendemain des arrêts de la Cour prévôtale : « Il fallait presque, en certains lieux, témoigner, sous peine d'être jugé favorable au désordre, une admiration sans réserve, pour la salutaire énergie de la Cour prévôtale. »340(*).

    Terminons enfin ce point sur les condamnations de la Cour prévôtale du Rhône en 1817, en observant l'évolution de la pénalisation du crime de « conspiration ».

    Comme nous l'avons déjà fort bien montré précédemment, le complot est une préoccupation politique omniprésente pour les autorités durant ce premier quart du XIXème siècle. Dés lors, il trouve très tôt dans le droit la traduction de sa répression juridique comme crime contre l'Etat et ses représentants. La répression du complot politique ne remonte donc naturellement pas à la période de la Restauration. L'histoire de la lutte contre le complot débute avec celle de l'organisation du pouvoir, en familles, en clans, puis sous la forme de l'Etat. Gilles Malandain, dans son article précédemment utilisé sur la prévention et la répression du complot au début du XIXème siècle341(*), retrace l'histoire des évolutions de la notion juridique de complot et des peines qui lui sont associées342(*). Sous l'Ancien Régime, le droit ancien définit le complot comme un crime de lèse-majesté, un crime aussi déjà perçu comme un attentat contre la sûreté de l'Etat, méritant donc les punitions les plus sévères. La Révolution française, et notamment la période de la Constituante, vont élargir et moderniser la définition juridique du complot, en le définissant comme une attaque envers la « chose publique », comme « un crime et un attentat contre la sûreté intérieure de l'Etat ». L'avancée, si l'on peut dire de la Révolution quant à la définition juridique du complot politique, est qu'elle va faire de sa dimension originelle d'atteinte à l'Etat, une volonté conjuguée d'atteinte à la société, et même au citoyen lorsque le complot vise le corps législatif. Cependant c'est le code napoléonien de 1810 qui va le mieux préciser le domaine juridique du complot politique, en opérant un certain retour à une conception autoritaire et individualisée, voire personnalisée, de l'Etat. Le domaine du complot est à nouveau restreint à la sûreté intérieure de l'Etat ou de ses représentants. La défense des libertés politiques et de la représentation nationale n'est plus évoquée comme argument juridique de répression du complot, alors que c'était le cas dans le code pénal de 1791. On observe, toujours selon Gilles Malandain, un retour en 1810 de l'incrimination de « non révélation de complot » qui avait été abandonnée par la Constituante343(*). La priorité du droit pénal s'affirmant au XIXème siècle est donc la protection de l'Etat, avant celle des personnes et des biens. Le code napoléonien de 1810 confond l'Empire, son Etat et l'Empereur. Dés lors, toute atteinte envers l'une de ces entités revient à attaquer l'ensemble, et donc doit être punie comme un crime de lèse-majesté, par la mort et la dépossession des biens de son auteur. Comme le note ainsi Gilles Malandain : « Plus que jamais donc, l'Etat, par le code pénal, se défend d'abord lui-même au nom de la défense sociale. »344(*). Cette sacralisation moderne de l'Etat et de sa société légitime toutes sortes de dérogations aux règles générales du droit commun, dés que leur conservation est menacée. Gilles Malandain rappelle ainsi le rajout de peines a celle de la peine de mort en cas de complot, comme la confiscation des biens. Mais surtout cette extrême pénalisation du complot se manifeste dans l'assimilation par la justice, de la tentative au crime consommé, le refus de tout cas d'irresponsabilité345(*). Gilles Malandain résume ainsi la conception juridique moderne du complot : « Le complot est donc une incrimination à « caractère exceptionnellement préventif » : la sûreté de l'Etat justifie de réprimer comme crime constitué le seul projet de commettre ce crime, dés lors qu'il a été « concerté et arrêté » à plusieurs...et même la simple proposition de concertation en ce sens. »346(*). On retrouve tout à fait sous la Justice de la Restauration cette même logique d'assimilation de l'intention à l'action, du projet à sa mise en oeuvre... Une logique juridique qui légitime des peines capitales prononcées envers des individus n'ayant pourtant pas pris directement part à l'activation du complot politique. La répression du complot passe par une forme de « prévention » de sa naissance, en l'avortant en prouvant qu'il y avait intention arrêtée de le commettre. Gilles Malandain évoque ainsi l'apparition de la notion juridique de trajectoire criminelle du comploteur qui serait porté par son projet vers l'attentat347(*). Cet élargissement pénal de la notion de complot a donc depuis 1810 ouvert la voie à des dérives de la justice vers une pure et simple répression politique du complot. La Restauration n'a naturellement pas remise en cause les dispositions pénales de 1810, la Charte, dans son article 33 ayant même institutionnalisé une juridiction exceptionnelle en matière de sûreté de l'Etat, la Chambre des pairs constituée en haute cour.

    La dénonciation de cette justice aux ordres du pouvoir ne prendra de l'ampleur qu'avec la montée des voix de l'opposition libérale. Ce sera, suite au tournant réactionnaire du régime de Louis XVIII en 1820, la voix notamment de François Guizot, qui avec son pamphlet Des Conspirations et de la justice politique, en 1821, analysera l'usage partisan de l'action judicaire, déformant la notion de complot pour incriminer toute divergence d'opinion avec le régime.

    Nous avons pu présenté quelques critiques immédiates, ou suivant de peu de temps l'affaire, énoncées par des voix « modérés » envers la justice de ces événements de juin 1817, et notamment envers le travail de la Cour prévôtale. Après les voix de Sainneville, Fabvier ou de Camille Jordan, essayons de présenter sommairement une analyse critique plus globale de cette justice politique des conspirations sous la Restauration à partir de la plume de François Guizot.

    III-2.4 L'analyse de François Guizot et son Des Conspirations et de la justice politique

    Commençons d'abord par présenter rapidement le personnage348(*).

    François Guizot est né à Nîmes en 1787. Originaire de la bourgeoisie protestante, Guizot fut souvent décrit comme un homme ascétique, orgueilleux et autoritaire, mais d'une grande érudition. Guizot fut d'abord avant tout un historien avant de devenir homme politique. Il entre comme professeur à la Sorbonne à 25 ans, deviendra négociateur à 28 ans. Durant les Cent-Jours, il suit Louis XVIII à Gand et devient l'un de ses conseillers les plus influents. Peu après, il devient secrétaire général du ministère de l'Intérieur, puis conseiller d'Etat. Guizot se rallie à cette époque au groupe des doctrinaires, que nous avons présenté précédemment. Guizot devient au sein de ce groupe, l'un des plus partisans de la doctrine du « juste milieu ». Cette doctrine défend le respect de la Charte, et théorise l'avènement et le gouvernement de la classe moyenne. Mais précisons-le d'emblée, la classe moyenne qu'évoque Guizot, est située entre l'aristocratie et le peuple, composée d'hommes déjà fortunés, libérés des contraintes matérielles, intellectuellement équilibrés, éloignés des préjugés de caste de l'aristocratie mais aussi du simplisme populaire. Guizot prophétise ainsi à travers la classe moyenne, l'avènement d'une oligarchie industrieuse, dont la mission serait non seulement de relever l'opinion, mais aussi de gouverner selon la raison, et d'administrer libéralement349(*). Guizot se rapprochant de plus en plus de l'opposition suite au durcissement du régime, est démis de ses fonctions et voit son cours à la Sorbonne sur les institutions de France fermé de 1822 à 1828. Il continue à s'exprimer par le biais d'articles dans Le Globe, préside la société libérale « Aide-toi, le ciel t'aidera ». Député à la Chambre en 1830, il se prononce contre les ordonnances de Juillet et contribue ainsi puissamment à faire éclater la révolution de 1830. Pourtant, Guizot participe ensuite activement à la nouvelle « monarchie bourgeoise ». Satisfait du nouveau régime qui repose sur la Charte « amendée », il est nommé ministre de l'Intérieur (1830-1831), puis ministre de l'Instruction publique (1832-1837). Par la suite, il deviendra ministre des Affaires étrangères (1840-1847), puis président du Conseil (1847-1848). Plus le temps passera, et plus Guizot affirmera une doctrine de plus en plus conservatrice, avec notamment sur la question du droit de vote, un refus de la transformation du régime censitaire selon l'argument que plus le niveau des revenus s'élevant, plus le nombre d'électeurs croît. D'où le sens de sa fameuse formule : « Enrichissez-vous ! ». Guizot incarne ainsi un libéralisme bourgeois, voire conservateur. En effet, plusieurs de ses lois auront favorisé la riche bourgeoisie industrielle (lois sur les mines en 1838, lois sur l'organisation des chemins de fer en 1842), mais retenons aussi les avancées sociales qu'il aura permises avec sa réforme de l'enseignement primaire de juin 1833, qui décida de la création d'une école publique élémentaire dans chaque commune et d'une école normale primaire dans chaque département. Les détracteurs de François Guizot rappellent cependant que ces dernières mesures ne profitèrent qu'à la bourgeoisie, du fait que l'école ne devint pas encore gratuite et obligatoire. L'insurrection de février 1848 entraîna la chute du régime et l'exil de François Guizot à Londres. Il revint en 1849, mais ne parvint pas à revenir dans la vie publique. Désormais simple observateur, il se consacra à ses travaux historiques jusqu'à sa mort en 1874.

    Nous pouvons à présent aborder l'analyse de François Guizot de la question du traitement politique et judiciaire de la question du phénomène des conspirations, au travers de son pamphlet Des conspirations et de la justice politique350(*) (1821). Guizot écrit ce pamphlet au lendemain de l'assassinat du duc de Berry, le 13 février 1820. Il est contemporain aussi de notre affaire, une parmi tant d'autres, de conspiration à Lyon du mois de juin 1817. De plus, en août 1820, le royaume échappe aussi de peu à la conspiration de l'Union de Joseph Rey. En bref, le sujet de ce texte lorsqu'il paraît, est particulièrement d'actualité, et sources de polémiques et d'affrontements entre modérés et ultras. Lorsque Guizot fait paraître ce texte, il est déjà en opposition au gouvernement de Richelieu, et surtout à la politique des ultras. Partisan affiché de la monarchie constitutionnelle, ou plutôt selon la Charte, Guizot écrit ce texte avec à la fois l'expérience politique de l'homme d'Etat, il a déjà été à cette époque secrétaire générale du ministère de l'Intérieur et conseiller d'Etat, et la réflexion aboutie du professeur de la Sorbonne, attelé encore pour le moment à l'analyse et l'enseignement des institutions de la France.

    François Guizot, dans ce pamphlet de 75 pages qui sera suivi d'un autre poursuivant sa réflexion : De la peine de mort en matière politique (1822), essaye d'éclairer le sens politique du phénomène des conspirations, en remettant en cause le traitement judiciaire qui leur est réservé, sans pour autant, insistons sur ce point, défendre ces modes d'action politique clandestins. Nous nous ne livrerons pas ici à une analyse du Des conspirations et de la justice politique de Guizot, mais essayerons d'en extraire les réflexions principales faisant le plus écho à notre affaire du 8 juin 1817. Guizot part du constat de la multiplication du phénomène des conspirations et montre comment celles-ci sont le révélateur des dysfonctionnements du mode de gouvernement de son époque. Olivier Ihl résume parfaitement ce que révèle ce constat de Guizot : « Voilà ce que la fréquence des conspirations viendrait attester : un défaut majeur de l'organisation des pouvoirs publics. »351(*). Guizot condamne la conspiration mais ne peut se résoudre à accepter la lourdeur des condamnations, comme la peine de mort, qui lui sont affectées. Mieux que de punir cet acte répréhensible, Guizot invite le gouvernement à le prévenir, en s'orientant vers « un gouvernement des esprits », c'est-à-dire comme le précise Olivier Ihl avec : « les bases d'une légitimité fondée sur la compréhension et la conquête de « l'opinion publique ». »352(*). Guizot théorise déjà en visionnaire l'impératif pour l'Etat de légitimer son action publique, en amenant « l'intelligence et la science » au coeur du gouvernement de la société. On devine déjà le futur ministre de l'Instruction publique, dans ces propos qui placent en réalité l'éducation comme le meilleur rempart aux projets de complots contre un gouvernement qui se « fondant » mieux dans la société qu'il gouverne, serait alors plus à l'abri de ce type de périls. Mais illustrons dés à présent la pensée du « juste milieu » de François Guizot par ses propres propos, extraits de son Des conspirations et de la justice politique.

    Guizot, dés le premier chapitre de l'ouvrage, expose le but son écrit. L'objet de celui-ci est d'avertir l'opinion et surtout le pouvoir, de la menace qui pèse sur l'exercice de la justice, de tomber peu à peu sous l'emprise de la politique. Le phénomène de la justice réservée aux conspirations est l'exemple typique de cette dangereuse tendance. Au passage, Guizot veut affirmer qu'il s'exprime dans ces lignes librement, à l'écart de tout engagement de situation ou de parti. Guizot interpelle donc le lecteur : « De grands périls nous assiègent ; des périls plus grands nous menacent. Il en est un dont tous les esprits sont frappés, mais dont nul peut-être n'a encore mesuré toute l'étendue; je veux parler de la justice près de tomber sous le joug de la politique. (...) Je prie donc ceux qui pourront me lire d'oublier, comme je le ferai moi-même, tout engagement de situation ou de parti. »353(*). Guizot rappelle le phénomène inquiétant des complots et conspirations, se multipliant sous la Restauration et entraînant les gouvernements vers de graves dérives politiques. Guizot note : « Un seul genre de crime et de poursuites me préoccupe. Dés que les partis sont aux prises, on entend parler de conspirations et de complots. Nous n'avions pas besoin qu'une nouvelle expérience nous l'apprît. Elle ne devait pas nous être épargnée. Elle est complète en ce moment. Jamais, depuis la Restauration, les actes ou les accusations de cette sorte n'avaient été si multipliées et si graves. »354(*). Face à ce constat de conspirations ou de complots venant déstabiliser l'Etat mais aussi la société dans son ensemble, Guizot prétend que la meilleure garantie pour prévenir ces troubles est d'inculquer au citoyen, l'amour de l'ordre, le respect des institutions, le sentiment patriotique...autant de « bonnes passions » promptes à garantir la pérennité du royaume. Car, ne l'oublions pas, Guizot reste un monarchiste, certes modéré. L'impératif selon Guizot est donc en ces années de troubles, de veiller au maintien des limites établies entre Justice et Politique, veiller à ce que la justice ne devienne pas politique.

    Ainsi, Guizot démontre que le problème des conspirations révèle un problème plus grave qu'est celui de l'état de la société et de son gouvernement. Guizot l'affirme clairement : « Le nombre et la fréquence des conspirations attestent le mauvais état de la société, ou la mauvaise conduite du gouvernement, ou l'un et l'autre ensemble. »355(*). Pour y remédier, comme nous l'avons déjà évoqué, Guizot propose une « science du pouvoir », qui amènerait le pouvoir à traiter de manière rationnelle et mesurée les questions des violences de la société à son égard. Guizot voit plusieurs raisons au mécontentement des gouvernés. Citons les deux principales : l'indifférence des gouvernants envers les gouvernés et l'apparition de « meneurs », de porte-voix des mécontents, qu'il faut continuer de surveiller. Car « tout gouvernement mauvais est susceptible de devenir le théâtre des conspirations et des complots »356(*). Cependant, ces maux que sont les conspirations et les complots ne doivent être prétextes aux usages incontrôlés de la force par le pouvoir. Guizot affirme même courageusement un phénomène que nous avons pu vérifier avec notre conspiration lyonnaise du 8 juin 1817 : « La politique est asservie par la police, et la justice envahie par la politique. »357(*). Guizot reconnaît que la conspiration est un crime particulier parce qu'il s'agit d'un délit politique. Ce que reproche Guizot à la justice de son temps, lors de procès de conspirateurs, est sa procédure relative à ces troubles, désignant fréquemment des accusés sous le concept des faits généraux. Ainsi, Guizot illustre l'irrationalité et donc le caractère scandaleux de cette technique, lorsqu'il évoque l'affaire de Lyon en 1817. Guizot écrit : « On parlait d'une faction ardente à renverser le trône, d'une conspiration permanente qu'il fallait à tout prix déjouer...Mais ce n'était là que de la politique. Les partis se renvoyaient l'un à l'autre ces épithètes de factieux et de conspirateurs. Il ne s'agissait d'aucun fait particulier, d'aucun individu. »358(*). Guizot prend donc ainsi une certaine distance envers les affrontements politiciens qui résultèrent de cette nouvelle affaire de complot, entre ultras d'une part et constitutionnels et libéraux d'autre part. Guizot met ainsi en évidence le dangereux envahissement de la justice par la politique. Un Guizot assurément visionnaire, qui montre notamment du doigt l'usage dérégulé de la technique de la provocation policière, si courante à l'époque, comme nous l'avons vu. Guizot interpelle le lecteur : « Or si, l'espionnage est nécessaire, qui osera le dire de la provocation ? Qui soutiendra que la nécessité de découvrir le crime donne le droit d'aller en chercher le germe au fond des coeurs, de le couver, de le faire éclore ? Le pouvoir s'arroge t'il donc la mission de Satan ? »359(*). Guizot va même jusqu'à avoir le courage de relier le nombre et la fréquence de ces conspirations avec l'usage trop répandu de ces techniques de provocation policière. Guizot est pourtant optimiste quant à l'avenir de ces techniques de provocation. Il affirme : « Les provocations seront bientôt supprimées. »360(*). Mais ce que dénonce le plus Guizot dans ce pamphlet est la procédure judiciaire adopté lors de ces procès pour conspirations. Guizot regrette que les tribunaux jugent seulement l'événement comme une atteinte à la sûreté de l'Etat, et ne considèrent en aucune mesure les conjurés en tant qu'individus, hommes ou femmes, agissant selon des motifs propres. Guizot développe ainsi une réflexion essentielle sur les rapports de l'Etat avec ses administrés, et à plus forte raison ses justiciables. Pour Guizot, cette justice politique : « prouve alors que la société et le pouvoir ne vivent pas ensemble. Quoi de plus fatal que l'isolement pour le gouvernement ? »361(*). Guizot montre même que c'est cette indifférence du pouvoir pour ses sujets, qui les poussent à comploter dans des périodes de graves crises politiques et économiques. Dés lors, Guizot insiste sur le fait, que pour réunir à nouveau le pouvoir et son peuple, la justice, seulement guidée par l'esprit de la Charte, redevenue alors exemplaire, pacifierait la société. En sorte, si la justice est bien rendue, équitablement, alors le peuple obéira, se conformera aux volontés de la Charte. Et Guizot termine ainsi son pamphlet en se remettant à la providence : « Si le principe (l'iniquité, l'indifférence) continue d'agir, le mal se perpétuera, et ses conséquences se développeront. Que la Providence en préserve la France et la monarchie ! »362(*).

    Retenons donc que François Guizot, dans le même esprit que Camille Jordan, met parfaitement en lumière les situations de dérives politiques de la justice qu'offrent aux ultras les affaires de conspirations. Loin de défendre le recours au complot, Guizot montre d'avantage comment il révèle l'impasse toujours plus avérée que rencontrent les différents gouvernements de Louis XVIII face à la politisation de l'événement par les ultras mais aussi dans un certain sens par les libéraux. Guizot en appelle à l'expérience, à la mesure, et donc au retour aux principes fondamentaux de la Charte selon lui, afin de réconcilier le peuple avec sa Justice. C'est là l'opinion d'un monarchiste constitutionnel, d'un modéré, mais il m'apparaît aussi essentiel de rappeler que face à un régime marquée par une réaction si pesante, caractérisée par un certain ordre moral et policier, le complot peut apparaître comme une forme légitime de violence émancipatrice.

    III-3. Le complot comme forme de violence émancipatrice

    Nous avons orienté cette étude sur les usages et les représentations de la violence au XIXème siècle, en analysant en détail un cas historique de troubles politiques locaux donnant lieu à des violences populaires, stigmatisées par les autorités ultras sous le registre de la conspiration, et légitimant alors par le biais de leur propagande une répression militaro-policière puis judiciaire des plus sévères. Cette étude de cas fut donc dans un sens aussi un prétexte à une réflexion sur la violence au XIXème siècle, violence de divers opposants au régime s'agrégeant dans une lutte commune pour la reconnaissance et le respect des anciens acquis de la Révolution mais aussi plus simplement pour de conditions de vie acceptables, et violence de la répression des ultras du Rhône, qui par de basses manoeuvres policières et judicaires servent leurs intérêts politiciens au sein d'une France traversée par le souffle d'un libéralisme, qui si il ne sert pour le moment que les intérêts des notables et des bourgeois, inquiète grandement une noblesse destinée à reculer. Le cadre spatial dans lequel ces troubles sont apparus fut décisif. En effet, j'ai choisi dans l'introduction de présenter largement la question de l'histoire des violences politiques à Lyon depuis la Révolution, et surtout de rappeler la complexité du rapport des Lyonnais à l'usage de la violence. Nous avons ainsi pu comprendre comment l'histoire de la construction de l'identité politique de la ville de Lyon est jalonnée depuis la Révolution par des périodes décisives de grandes violences collectives, dont les Lyonnais sont tantôt acteurs, tantôt victimes. Ce basculement continuel des Lyonnais entre différents extrémismes, tantôt leur ville est marquée par la Terreur rouge des « Chalier », tantôt en réaction à cette dernière la ville est traversée par la Terreur blanche des bandes ultras, rappelle au final et au prix de grandes violences l'attachement de ses habitants à un équilibre socio-politique et économique particulier, voire unique, que Bruno Benoit a qualifié à juste titre de « modérantisme »363(*). Nous avons pu vu voir que jusqu'à l'Empire, où sous ce régime va s'affirmer tout un arsenal policier et militaire de prévention et de répression des troubles à l'ordre public et à fortiori des atteintes à la sûreté de l'Etat, les violences collectives pouvaient encore être « ouvertes », des états de siège pouvant même s'installer au coeur des villes comme ce fut le cas à Lyon en août 1793 lorsque la Convention parisienne décide même d'envoyer l'armée briser la résistance anti-jacobine des Lyonnais. La Restauration a conservé ce dispositif de prévention des troubles politiques, comme nous avons pu le voir notamment avec une organisation policière et judicaire élaborée de prévention et de répression du complot politique, poussant toujours plus les manifestations de violences émancipatrices à s'élaborer secrètement. En somme, le voeu ranimé des opposants à la Restauration de ramener la République ou un régime s'y apparentant se traduit nécessairement du fait de la force du camp royaliste jusqu'en 1848, par une lutte clandestine de reconquête des acquis de la Révolution364(*). Pourtant il est frappant de constater encore le manque d'intérêts des historiens pour l'histoire clandestine de la lutte républicaine en France, mais aussi d'une manière générale pour l'histoire des pratiques politiques secrètes. Frédéric Monier, dans un article paru en 2000, illustre ce constat, en complétant par ailleurs mes propos sur la dépendance des groupes politiques clandestins aux contraintes imposées par l'Etat au XIXème siècle quant à l'accès à un espace de légitimité politique. Frédéric Monier écrit : « De fait, le recours à la clandestinité et au secret, pour les formations politiques françaises du XIXème et du XXème siècles, voire depuis la Révolution française répond non seulement à des objectifs et à une culture propres, mais aussi à la délimitation, par l'Etat, de l'espace de débat politique public. En ce sens, l'histoire du secret en politique n'est pas une histoire des marges ou des coulisses, mais une histoire des limites de l'action politique publique. »365(*). Il nous faut donc pour achever ce dernier thème et amorcer la conclusion de cette étude de la conspiration du Rhône du 8 juin 1817, montrer brièvement comment l'action politique clandestine sous la Restauration s'avère être un unique recours sous un régime de plus en plus policier, puis montrer comment lors de cet épisode de juin 1817 s'initie une technique du coup de force insurrectionnel alliant le secret à la violence.

    III-3.1 L'action politique clandestine : unique recours sous un régime de plus en plus policier

    Nous avons grandement décrit l'ensemble des caractères de la réaction politique aigue du régime de Louis XVIII. L'épisode de Terreur blanche de l'été 1815 commença par annoncer la haine du régime ultra pour les populations suspectées ou réellement d'appartenance jacobine et bonapartiste, puis l'épisode suivant de Terreur blanche légale sévissant jusqu'à la dissolution de la Chambre en septembre 1816 finira d'institutionnaliser la politique de répression des ultras envers toutes les survivances des régimes précédents, avec en plus la volonté de conforter le nouvel ordre moral et policier qu'ils instaurent par tout un ensemble de restrictions légales des libertés publiques fondamentales (presse muselée, suffrage très censitaire, création de juridictions d'exceptions chargées de juger tous les troubles susceptibles de porter atteinte à l'Etat, surveillance policière renforcée...). En 1815, et même après avec le relatif rééquilibrage du renouvellement de la Chambre en septembre-octobre 1816, les députés ultras dominent le jeu politique au sein de la Chambre, et peuvent donc opérer de grandes pressions sur le Ministère. Dés lors en ces années 1816-1817, il n'est pas surprenant que la contestation populaire au régime reprenne les voies de la sédition face à une politique royaliste marquée par l'incurie, notamment quant à son indifférence face aux crises récurrentes des denrées alimentaires. L'état économique et social de la France est ces années est trop en crise pour ne pas accoucher de « colères de le faim et de la soif ». Le régime de Louis XVIII n'y répond que par le durcissement du maintien d'un ordre moral et policier sur les sujets du royaume.

    Nous assistons donc avec cette affaire lyonnaise du 8 juin 1817, à une réactualisation du mode clandestin d'organisation de la révolte, comme ce put être le cas à la fin du siècle dernier avec la Conspiration de l'Egalité de Babeuf du printemps 1796. Le complot politique ne date pas de la Restauration française, mais paradoxalement, alors que l'Etat intensifie ses moyens de lutte contre celui-ci, il se multiplie sous cette période quand bien même, il se solde généralement par l'échec... Ces tentatives pourtant répétées de conspirations s'expliquent certainement par la faiblesse dans ces années du parti libéral, qui même en s'alliant de plus en plus avec le camp des constitutionnels, peine à imposer ses vues, et qui pour le moment ne représente pas la majorité des Français exclue du droit de vote, et plus encore du droit d'éligibilité. Dés lors, le recours à l'action politique secrète se révèle être une stratégie nécessaire pour le camp républicain trop exclu en ces années de l'accès à l'espace publique, qu'il s'agisse de sa dimension institutionnelle et politique, ou surtout de sa dimension « médiatique ». L'idée républicaine circule certainement en ces années 1815-1817, mais elle ne peut pas encore s'organiser ouvertement et librement au sein de l'espace publique. De plus, le camp républicain est en ces années très hétérogène, mêlant aussi bien des jacobins, des bonapartistes, et des constitutionnels pouvant se rapprocher des libéraux du parti des Indépendants. Pierre Serna rappelle ainsi que cette lutte clandestine du mouvement républicain ou libéral fut une des matrices principales de la conquête républicaine des institutions. Pierre Serna insiste ainsi à propos de l'histoire de l'idée républicaine au XIXème siècle : « Il existe bien sûr, une façon d'écrire cette histoire : celle qui considère que le combat a été livré de 1815 à 1875, courageusement et au grand jour. Il en existe une autre : c'est celle qui, refusant cette première seule interprétation, fait des secrets des républicains non pas seulement une série d'anecdotes servant à l'histoire du repli ou du refuge démocrate en temps de répression, mais plutôt une des matrices de la conquête républicaine des institutions. »366(*).

    Dés lors, l'historien ne devrait pas mépriser la portée du complot politique, aussi anecdotique qu'il puisse paraître au premier abord. Frédéric Monier lui redonne ainsi son importance en affirmant qu'il est « la part de l'ombre dans la politique »367(*). Victor Hugo en était aussi convaincu, lorsqu'il écrivait à propos des réunions secrètes : « Faits d'où l'Histoire sort et que l'Histoire ignore. »368(*).

    III-3.2 Créer un climat pré-insurrectionnel : allier le secret à la violence

    Quelques mots avant de conclure cette étude, sur les formes prises par ces séditions du 8 juin 1817, et sur ce qu'elles révèlent des intentions de la conspiration sous-jacente.

    Il est frappant lorsque l'on observe en détail le plan des conjurés du 8 juin, la bonne organisation prévue de l'attaque des autorités. Certains observateurs ont pu y voir de l'amateurisme. Cependant, il est indéniable que les autorités furent grandement désemparées dans les débuts des insurrections lors de la journée du 8 juin. Le lecteur pourra se reporter à nouveau aux pages de l'introduction rapportant d'après les archives départementales du Rhône, l'affolement des maires des communes insurgées, impuissants face à la masse armée. Les conjurés avaient en plus bien réparti leurs hommes en différents postes d'attaque. On retrouvait ainsi une certaine expérience militaire apportée par des anciens officiers de l'Empire comme Oudin et Garlon. Cette minutieuse préparation préalable d'un plan d'attaque basé sur un effet de surprise aurait pu rendre ces insurrections bien plus déstabilisatrices qu'elles ne le furent, si l'entreprise secrète n'avait pas été « noyautée ». Ces insurrections furent donc marquées par l'alliance du secret à la violence, ce qui les distingue nettement de colères classiques de « la faim et de la soif » qu'avaient connu la région quelques années auparavant. En déstabilisant l'ensemble des autorités de la seconde ville du royaume et de ses communes l'entourant, les conjurés auraient pu avoir les mains libres pour installer un autre pouvoir politique local autonome. Il est certain qu'ils ne l'auraient conservé que peu de temps, en ne détenant qu'un point du royaume. C'est pourquoi, se professionnaliseront les entreprises secrètes à venir comme celle de l'Union (1820) ou de la Charbonnerie française (1821), qui elles s'organiseront en réseaux beaucoup plus vastes de recrutement et d'action, visant la capitale.

    Cette conspiration manquée du 8 juin 1817 apparaît donc comme une préfiguration d'entreprises politiques secrètes élaborées. Retenons que son fonctionnement interne, ses moyens et ses objectifs politiques l'ont inscrite comme un événement déstabilisant l'ordre policier et judicaire ultra, qui lui répondit avec une exagération jetant le discrédit sur la politique des ultras lyonnais.

    Essayons de conclure cette étude en en rappelant les fruits des réflexions principales sur les usages de la violence au XIXème par la société et l'Etat, et ce dans le cadre local particulier d'une ville en quête de respect de son identité politique singulière.

    CONCLUSION

    Au terme de cette étude, retenons tout d'abord que cet événement local, assez peu connu de l'historiographie consacrée à la Restauration française, révéla incontestablement la grande crainte et la fragilité du régime de Louis XVIII. En effet, comme nous l'avons précédemment traité, la dimension exagérée prise par les répressions militaro-policières et judicaires de ces troubles du 8 juin 1817 confirme ce constat. Ce nouvel épisode de violences collectives lyonnaises fut l'occasion pour les élites ultraroyalistes de la ville d'imposer leur domination face aux critiques des camps des constitutionnels et des libéraux, en déployant leur influence politique par le biais d'une police militaire à leur solde et d'une justice complaisante. Cependant, les ultras lyonnais ne parvinrent pas éviter le scandale de leurs manipulations politico-administratives, grâce au courage du lieutenant de police Charrier-Sainneville et à sa conscience professionnelle, aux investigations alors facilitées du colonel Fabvier, et aussi à la défense des accusés par la figure politique montante du camp constitutionnel lyonnais : Camille Jordan. Cette étude a montré la complexité des lectures possibles de ces troubles politiques. Ceci nous a donc amené à parler de plusieurs réalités possibles de la conspiration du 8 juin 1817, en montrant comment celle-ci prit place dans un contexte d'incertitudes et de tensions politiques propre aux premières années de la seconde Restauration, mais aussi de crise économique et sociale aigue dans la région Rhône-Alpes.

    Nous sommes parvenus ainsi à révéler les multiples réalités de ces troubles en analysant la multiplicité de leurs facteurs causaux. Nous avons pu ainsi rappeler le poids important, qui s'avéra certainement être le facteur déclencheur, de la crise des subsistances des années 1816-1817. Ce premier facteur explique certainement la forte mobilisation populaire des campagnes entourant la ville de Lyon aux séditions orientées contre les maires ultras et les curés. Le contexte d'affrontements électoraux entre ultras et modérés, constamment attisés par les échéances électorales du renouvellement annuel d'une partie de la Chambre, le souvenir encore récent et douloureux de la sévère répression par le parti et les bandes ultras à l'égard des populations affilées au jacobinisme et au bonapartisme, ont donné une autre réalité plus politique à ces troubles. De là, nous nous sommes interrogés sur la pertinence de leur affiliation à une entreprise politique secrète, une conspiration ou complot. Ce questionnement a pu trouver des éléments de réponses à partir de la consultation des archives relatives à ces événements dans le département du Rhône. Nous avons pu ainsi rappelé l'existence d'un projet de conspiration visant à renverser le gouvernement royal. Cependant, l'étude de ces traces historiques mit aussi en évidence la déformation, la provocation, bref la manipulation de ces desseins clandestins, par les autorités ultras locales selon une stratégie classique de diabolisation du complot politique, phénomène très « médiatisé » par la propagande ultra en ces années. Ces multiples réalités de la conspiration du 8 juin 1817 une fois présentées, nous avons choisi de nous focaliser sur le traitement policier et judicaire de cette affaire, qui indéniablement participa à la définition même de ces troubles sous le registre diabolisé du complot politique. En somme, nous nous sommes livrés à une fine analyse des usages politiques de la violence au sein des conjurés et des forces de la répression (police et justice). Cette analyse a révélé l'existence et l'usage de technique de cohésion et de préservation du secret au sein de la conspiration. Nous avons présenté à cette occasion la sacralisation de l'entreprise avec notamment ses aspects rituels. Ensuite, nous avons retracé les irrégularités peu surprenantes du traitement policier et judicaire. Cela nous a amené entre autres à présenter l'arsenal policier du régime avec notamment la surveillance et les interventions d'une police politique. De même, nous avons pu illustrer les dérives d'une justice partiale, déjà soumise à l'analyse critique d'un Camille Jordan ou d'un François Guizot, dont nous avons présenté ses positions les plus pertinentes sur le sujet. Cela nous a amené enfin à démontrer comment le renouement des forces politiques progressistes avec l'action politique clandestine allait légitimement se développer sous des régimes de réaction politique sévère, dés lors que les accès à l'espace publique et l'arène politique demeuraient restreints par le parti ultra.

    Il nous faut donc retenir que cette conspiration provoquée et donc manquée du 8 juin 1817 prit place après d'autres aventures politiques de ce type, comme la conspiration déjouée de Grenoble menée par Paul Didier en 1816, et préfigura d'autres complots politiques plus élaborés, comme la conspiration du 19 août 1820 de l'Union, et surtout les luttes clandestines de la Charbonnerie française, milice secrète libérale.

    Nous avons pu ainsi montrer que, bien plus que de simples « coups de force » politiques, ces complots sous la Restauration française se multiplièrent précisément comme des manifestations légitimes d'une opposition politique difficile au sein d'une France « verrouillée » par les Bourbons.

    Le cadre spatial de cette étude nous a rappelé aussi la singularité politique de l'événement. Ces troubles s'inscrivant dans l'histoire mouvementée des violences collectives lyonnaises depuis la Révolution. Au cours de cet épisode, il faut donc aussi retenir le rappel des configurations politiques singulières des Lyonnais. La réaffirmation de l'attachement de la ville à son identité « modérantiste », en bref de rejet d'extrémismes politiques imposés de l'extérieur, s'est manifestée par les convergences politiques surprenantes de forces politiques émancipatrices que furent des bonapartistes, des révolutionnaires et des libéraux.

    On vit ainsi se manifester la nostalgie bonapartiste de séditieux, rappelant le lien émotionnel historique particulier entre Lyon et l'Empereur. Mais en cette journée du 8 juin 1817, éclata aussi au grand jour la force des symboles d'une Révolution de 1789, dont certains ne désespéraient pas de voir enfin la concrétisation politique.

    Enfin, cette conspiration devint aussi un des chevaux de bataille du camp modéré, avec Camille Jordan prenant pour le camp des constitutionnels la défense des conjurés. Ainsi, dans une réponse à un discours sur les troubles de Lyon prononcé à la Chambre dans la séance du 22 avril 1818, Camille Jordan, député de l'Ain, rappelle que ces complots bonaparto-républicains ne peuvent être que compréhensibles face au fiasco permanent des débats sur la Charte et de l'instabilité politique qu'ils génèrent : « Mais à qui fut la faute première et sans excuse ? Ne fut-elle pas à ceux qui l'entretinrent dans l'ignorance sur l'état d'un tel pays, qui l'encouragèrent dans cette conduite incertaine, qui eussent poussé de si vives clameurs si on leur avait appliqué ce système d'épuration dont ils avaient donné l'exemple ? »369(*).

    Dés lors, cette conspiration illustra de même les résonances entre luttes politiques et luttes sociales au XIXème siècle. La crise des subsistances de 1817 termina de pousser des populations fragilisées de Lyon et ses campagnes à l'insurrection. En 1831, les conditions de travail déplorables des canuts les amèneront aussi à prendre les armes.

    BIBLIOGRAPHIE

    I- Sources :

    Archives relatives aux événements du 8 juin 1817 :

    1- Archives du fond ancien de la bibliothèque municipale Lyon Part Dieu :

    .Conspiration de Grenoble et de Lyon 1816-1817 :

    3 tomes consultés : IF/436 T1, IF 436/T2 et IF 436/T3

    Ont été cités dans cette étude :

    .Tome 2 (IF 436/T2) : - Fabvier, Lyon en 1817, 31 pages, 1ère partie.

    - «  Réponse de M. Camille Jordan à un discours sur les troubles de Lyon », Paris, 1818, 32 pages.

    .Tome 3 (IF 436/T3) : - Fabvier, Lyon en 1817,1818, 2nde partie, 72 p.

    .Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure, « Procès des 28 individus prévenus d'avoir participé aux mouvements insurrectionnels qui ont éclaté dans le département du Rhône, dés les premiers jours de juin 1817. », Lyon, 1817, cote 354164 à 354166.

    .Des conspirations de 1817 à 1823 (4 pièces), cote SJ IF 436/52

    Fut cité dans cette étude :

    François Guizot, Des conspirations et de la justice politique, 3ème édition, 1821, 132 pages.

    2- Archives départementales du Rhône :

    5 cartons :

    4 M 203 : Evénements de 1817 : prémices

    4 M 204 : Evénements de 1817 : déroulement des opérations

    4 M 205 : Evénements de 1817 : comportements des communes, juin-juillet 1817

    4 M 206 : Evénements de 1817 : rapport sur les factieux (juillet-août 1817)

    4 M 207 : Evénements de 1817 : suites, frais, circulaires ministérielles (1817-1820)

    3- Archives nationales (Paris) :

    Série F7 (3 cartons) :

    F7 9695 et F7 9696 Situations des départements 1815-1830

    F7 4352 A, Police générale Rhône en 1817-1818

    Etudes utilisées sur la conspiration du 8 juin 1817 :

    - Bruno Benoit, L'identité politique de Lyon, entre violences collectives et mémoires des élites (1786-1905), Paris, l'Harmattan, collect les chemins de la mémoire, 1999, 239 pages, voir première partie, chapitre 2 : Les violences collectives sous les monarchies censitaires, p.46.

    - Sébastien Charléty, « Une conspiration à Lyon en 1817 », in La revue de Paris, 15/07/1904, page 268 à 302, 34 pages, bibliothèque municipale Lyon Part Dieu, silo moderne, cote 950125 1904-07.

    - Georges Ribe, « L'opinion publique et la vie politique à Lyon lors des premières années de la seconde Restauration », La réaction ultra et l'expérience constitutionnelle (17 juillet 1815-9 janvier 1822), 421 p. , consulter le chapitre 2, Le complot de 1817, page 237 à 271, 34 pages, in Annales de l'Université de Lyon, Paris, librairie du recueil Sirey, 1957, disponible à la BM Lyon Part Dieu, cote 6900 T RIB.

    II- Ouvrages

    - Manuels d'histoire et usuels :

    - G. de Bertier de Sauvigny, La Restauration, Paris, Flammarion, 1990, 506 pages.

    - Jean-Claude Caron, La France de 1815 à 1848, collection Cursus, Armand Colin, Paris, 1993, 190 p.

    - Jean-Pierre Chaline, La Restauration, PUF, collection Que sais-je ?, 1ère édition, 1998, 127 p.

    - Lucien Genet, Révolution, Empire 1789-1815, Paris, Masson Histoire,3ème édition, 1994, 217 p.

    - Louis Girard, Les libéraux français 1814-1875, collection historique, Aubier Montaigne, Paris, 1985, 277 p.

    - Jean-Philippe Guinle, Les souverains de la France, Poche Larousse Bordas, 448 p.

    - Marcel Prélot, Georges Lescuyer, Histoire des idées politiques, Précis, Dalloz, 13ème édition, 1997, 702 p.

    - René Rémond, L'Ancien Régime et la Révolution, 1750-1815, t.1 Introduction à l'histoire de notre temps, Points Histoire, Paris, Seuil, 1974, 215 p.

    - René Rémond, Le XIXème siècle, 1815-1914, t.2 Introduction à l'histoire de notre temps, Points Histoire, Paris, Seuil, 1974, 248p.

    - Sous la direction de J.L Robert, Le XIXème siècle, Paris, Bréal, 1995, 352 p.

    - Max Tacel, Restauration, Révolutions, Nationalités 1815-1870, 5ème édition, Paris, Masson Histoire, 1994, 318 p.

    - sur l'histoire de Lyon au XIXème siècle :

    - Bruno Benoit, Raymond Curtet, René Giri, 24 maires de Lyon pour deux siècles d'histoire, Lyon, éditions Ludg, 1994, 245 pages.

    - Bruno Benoit, L'identité politique de Lyon, entre violences collectives et mémoire des élites (1786-1905), Paris, L'Harmattan, les chemins de la mémoire, 1999, 239 pages.

    - Jean-Pierre Gutton, Histoire de Lyon et du Lyonnais, Paris, PUF, Que sais-je ?, 2ème édition, 2000, 127 pages.

    - sur l'histoire sociale de la France au XIXème siècle :

    - Christophe Charle, Histoire sociale de la France au XIXème siècle, Seuil, Points Histoire, 1991, 392 pages.

    - Ouvrages plus « théoriques » :

    - sur la Révolution française et le XIXème siècle :

    - Roger Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française, Seuil, collection Points Histoire, 1990, 304 pages.

    - Eric J. Hobsbawm, L'ère des révolutions, Bruxelles, Complexe, 2000, 416 pages.

    - sur les libéraux et la question du « cercle » :

    - Maurice Agulhon, Le Cercle dans la France bourgeoise 1810-1848, étude d'une mutation de sociabilité, librairie Armand Colin, Paris, cahiers des annales n°36, 1977, 105 p.

    - A.Jardin/A-J Tudesque, La France des notables, t 1.l'évolution générale 1815-1848, collection Points Histoire, Paris, Seuil, 1973, 119 p.

    - A.Jardin/A-J Tudesque, La France des notables, t 2. la vie de la nation 1815-1848, collection Points Histoire, Paris, Seuil, 1973, 251 p.

    - sur les droites françaises :

    - Frédéric Bluche, Le bonapartisme, PUF, Que sais-je ?, 1981, 127 pages.

    - René Rémond, Les droites en France, Paris, Aubier Montaigne, 1982, 544 p.

    - Jean-François Sirinelli (dir.), Les droites françaises, de la Révolution à nos jours, Paris, Gallimard, Folio histoire, 1992, 925 pages.

    - sur la jeunesse des années 1815-1820 :

    - A.B Spitzer, The French Generation of 1820, Princeton University Press, 1987, 335 p.

    - A.B Spitzer, Old Hatreds and Young Hopes, The French Carbonari against the Bourbon Restoration, Harvard University Press, 1971, 334 p.

    - sur l'action politique clandestine et les mythes politiques :

    - Jeanne Gilmore, La République clandestine, 1818-1848, Paris, Aubier, 1997, 452 pages.

    - Raoul Girardet, Mythes et Mythologies politiques, collection points Histoire, Seuil, 1986, 205 p.

    - Pierre-Arnaud Lambert, Les sociétés secrètes, de la Compagnie du Saint Sacrement aux conspirations Carbonari, essai sur le mode conspiratif d'organisation politique, thèse de doctorat de 3ème cycle soutenue à l'IEP de Grenoble, UPMF, 2 volumes, 388p+207p, décembre 1984.

    - Pierre-Arnaud Lambert, La Charbonnerie française 1821-1823, Du Secret en Politique, PUL, 1995, 136 p.

    - Ouvrages spécialisés sur le thème du complot politique :

    - Bernard Gainot, Pierre Serna (dir.), Secret et République 1795-1840, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2004, 182 pages.

    - Frédéric Monier (textes réunis par.), Complots et conspirations en France du XVIIIème au XXème siècle, Presses universitaires de Valenciennes, collect Les Valenciennes n°32, 2003, 150 pages.

    - Dictionnaires :

    - Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, « Le Robert », tome 1, 1381 pages.

    - Pierre Larousse, Grand Dictionnaire Universel du XIXème siècle, tome IV, Paris, Librairie classique Larousse et Boyer, 1869.

    - Robinet, Robert et Chaplain, Dictionnaire de la Révolution et de l'Empire 1789-1815, Paris, sans date, Archives nationales.

    - Sous la direction de Jean-Louis Voisin, Dictionnaire des personnages historiques, collection Encyclopédies d'aujourd'hui, livre de Poche, collection La Pochothèque, 2001, 1166 p.

    - Journal de la France et des Français, Chronologie politique, culturelle et religieuse de Clovis à 2000, Quarto Gallimard, 2001, 2407 p.

    - Divers :

    - Edgar Morin, La complexité humaine, textes rassemblés, Paris, Flammarion, 1994, 380 pages.

    - René Girard, La violence et le sacré, réédition Hachette Littératures, collection Pluriel, 1998, 486 pages.

    - Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, Flammarion, collection Le Monde de la Philosophie, 2008, 1185 pages.

    - Articles (hors ceux contenus dans les ouvrages de compilation d'articles de Gainot/Serna et Monier) :

    - Olivier Ihl, « Conspirations et science du pouvoir chez François Guizot », in Revue Française d'Histoire des Idées Politiques, n°19, 1er semestre 2004, Paris, éditions Picard, 25 pages.

    - Frédéric Monier, « Le secret en politique, une histoire à écrire », in Matériaux pour l'histoire de notre temps, Année 2000, Volume 58, Numéro 58, 6 pages.

    - Dossier « Napoléon, empereur des francs-maçons », in revue Historia, n°676, avril 2003, 20 pages.

    TABLE DES ANNEXES

    - Document 1 : Extrait du Moniteur du Dimanche du 19 juin 1817, n°166, issu des archives départementales du Rhône, dossier 4 M 206, 4 pages.

    - Document 2 : Extrait des conclusions de M. Reyre, procureur du roi en la Cour prévôtale du Rhône, séance du 13 juin 1817. Issu de « Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure... », BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354166, 14 pages.

    - Document 3 : Article « Conspiration » de Pierre Larousse, Grand Dictionnaire Universel du XIXème siècle, Tome IV, « C ».1869.

    - Document 4 : Cour prévôtale du Rhône, séance du 25 octobre 1817, issu du volume Procédure, Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354166, 8 pages.

    - Document 5 : Article « de Fargues », maire de Lyon, issu de Bruno Benoit, Raymond Curtet, René Giri, 24 maires de Lyon pour deux siècles d'histoire, 11 pages.

    - Document 6 : Extrait de La Gazette européenne du 30 juillet 1817, issu des archives départementales du Rhône, dossier 4 M 206, 2 pages.

    - Document 7 : Gravure illustrant « le serment du poignard », origine inconnue.

    - Document 8 : « Cour prévôtale de Lyon : interrogatoire des 28 conspirateurs », archives départementales du Rhône, 4 M 206, 8 pages.

    - Document 9 : « Cour prévôtale de Lyon : jugement des 28 conspirateurs », archives départementales du Rhône, 4 M 206, 2 pages.

    - Document 10 : 4 tableaux retraçant la définition juridique du complot, issus de Gilles Malandain, « Voir dans l'ombre. Prévention et répression du complot au début du XIXème siècle » in Frédéric Monier (textes réunis par.), Complots et conspirations en France du XVIIIème au XXème siècle.

    - Document 11 : Article de Frédéric Monier, « Le secret en politique, une histoire à écrire », in Matériaux pour l'histoire de notre temps, 2000, volume 58, n°58, 6 pages.

    * 1 Le lecteur trouvera la dépêche complète en annexes, document 1, 4 pages, issu des archives départementales du Rhône, cote 4 M 206, série Evénements politiques locaux, police politique.

    * 2 Jean-Pierre Chaline, La Restauration, collection Que sais-je ?, PUF, 1998, p.3.

    * 3 On entend par « libéraux » à cette époque les tenants des acquis de la Révolution face aux monarchistes, souvent appelés aussi « ultras ». Ces deux camps se livreront une bataille impitoyable avec comme point d'orgue les révoltes de 1848.

    * 4 La Charbonnerie française fut l'homologue français des Carbonari italiens. Société secrète militaire, rassemblant des anciens généraux comme des demi-soldes de l'armée napoléonienne dissoute, la Charbonnerie française s'est illustrée par sa grande véhémence et son engagement politique libéral. Pour une présentation claire et simple des Carbonari et de la Charbonnerie française, le lecteur devrait se reporter aux travaux de Pierre-Arnaud Lambert. Voir références en bibliographie. 

    * 5 J'ai travaillé sur l'exemplaire des archives municipales de Lyon, bibliothèque Part Dieu, François Guizot, Des conspirations et de la justice politique , Paris, 1821, 3ème édition, 132 pages, consultable à la BM Lyon Part Dieu, fond ancien, dans le recueil « Des conspirations : 1817-1823 », 4 pièces, cote SJ IF 436/52.

    * 6 Sébastien Charléty, « Une conspiration à Lyon en 1817 », in La revue de Paris, 15/07/1904, page 268 à 302, 34 pages, bibliothèque municipale de Lyon Part Dieu, silo moderne, cote 950125 1904-07.

    * 7 Georges Ribe, « L'opinion publique et la vie politique à Lyon lors des premières années de la seconde Restauration », La réaction ultra et l'expérience constitutionnelle (17 juillet 1815-9 janvier 1822), 421 p., consulter le chapitre 2, Le complot de 1817, page 237 à 271, 34 pages, in Annales de l'Université de Lyon, Paris, librairie du recueil Sirey, 1957, disponible à la BM Lyon Part Dieu, cote 6900 T RIB.

    * 8 Bruno Benoit, L'identité politique de Lyon, entre violences collectives et mémoire des élites (1786-1905), Paris, l'Harmattan, collect les chemins de la mémoire, 1999, 239 pages, voir première partie, chapitre 2 : Les violences collectives sous les monarchies censitaires, p.46.

    * 9 Donnons un ordre de « volume » de l'ensemble « Conspiration de Grenoble et de Lyon 1816-1817 ». Le tome 1 (IF 436/T1) représente 320p+54p+51p. Le tome 2 (IF 436/T2) représente en tout environ 460 pages. Le tome 3 (IF 436/T3) compte à peu près 696 pages.

    * 10 Cette note sans auteur et sans date apparaît comme un document mystérieux. Très longue et obscure, très souvent elle ne traite même pas des événements du 8 juin 1817, j'ai donc choisi de la laisser de côté, afin de ne pas brouiller d'avantage le décryptage de troubles déjà forts complexes.

    * 11 Robinet, Robert et Chaplain, Dictionnaire de la Révolution et de l'Empire, 1789-1815, 2 tomes, Paris, Archives nationales, sans date. Nous l'utiliserons pour établir des notices biographiques des acteurs importants de l'affaire de Lyon.

    * 12 Extrait des conclusions de M. Reyre, procureur du Roi en la Cour prévôtale du département du Rhône, prononcées dans la séance du 13 juin 1817, relativement au complot qui a éclaté le 8 du même mois. 14 pages, in « Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure », op.cit, BM Lyon Part Dieu, cote 354166. Document consultable en annexes, document 2, 14 p.

    * 13 Ces chiffres nous sont fournis par Georges Ribe dans son étude « L'opinion publique et la vie politique à Lyon lors des premières années de la seconde Restauration ... », op.cit, page 247 à 253. Ces chiffres semblent proches de la vérité au regard de la consultation des archives. Notons à ce sujet qu'il est difficile de retrouver la « comptabilité criminelle » de cette affaire du fait du flou de son instruction. Néanmoins, on peut estimer qu'au moins entre 500 et 1000 individus ont pris part à l'ensemble des événements de la journée du 8 juin 1817.

    * 14 Georges Ribe, op.cit, p.247. Je n'ai pas retrouvé d'exemplaire de la proclamation du général Canuel dans les archives mais elle est souvent évoquée.

    * 15 En réalité, c'est le roi lui-même qui l'aurait qualifiée « d'introuvable » suite aux retournements incessants de majorité, tantôt libérale en mai 1815 avant l'échec de Napoléon, puis nettement ultra en août 1815 lorsque, en l'absence de loi électorale, on utilisa les collèges électoraux de l'Empire, qui ne répondaient pas aux conditions d'âge et de cens prescrites par la Charte. Les mêmes collèges à quelques mois de distance envoyèrent une majorité de sens opposé, ce qui contribuait encore au sentiment de confiscation du pouvoir par le camp royaliste... Voir sur cette affaire, Louis Girard, Les libéraux français 1814-1875, collection historique, Aubier Montaigne, Paris, 1985, page 22.

    * 16 Patrice Gueniffey, Journal de la France et des Français, Chronologie politique, culturelle et religieuse de Clovis à 2000, Quarto Gallimard, 2001, page 1360.

    * 17 Max Tacel, Restaurations, Révolutions, Nationalités 1815-1870, Masson histoire, Paris, 5ème édition, 1994, pages 160 et 161.

    * 18 Jean-Claude Caron, La France de 1815 à 1848, Armand Colin collect cursus, 2ème édition, Paris, 1993, page 11

    * 19 Chateaubriand cité par Sébastien Charléty, « Une conspiration à Lyon en 1817 », op.cit, p.269.

    * 20 Sébastien Charléty, op.cit, p.271.

    * 21 Sébastien Charléty, op.cit, p.271

    * 22 Canuel cité par S. Charléty, ibid., p.271

    * 23 Rapport du 4 octobre 1816 des généraux Canuel et Maringonné, cité par S.Charléty, ibid., p.272

    * 24 Le lecteur désireux de retrouver le récit de ce « complot » avorté d'octobre 1816, peut se reporter à celui de Sébastien Charléty, op.cit, p.274-275

    * 25 Lettre de Sainneville à Decazes du 12 octobre 1816, citée par Charléty, ibid., p.273-274

    * 26 Lettre de Canuel au préfet, 24 décembre 1816, citée par S.Charléty, op.cit, p.276

    * 27 Notons qu'il existe très peu d'informations sur Paul Didier tant son parcours politique fut compliqué...Néanmoins, le lecteur soucieux d'en apprendre d'avantage sur cette petite conspiration grenobloise de 1816 peut se reporter aux travaux de Pierre Arnaud Lambert sur les sociétés secrètes (cf. bibliographie), mais aussi devrait lire un texte que j'ai trouvé dans le fond ancien de la BM Lyon Part Dieu, Auguste Ducoin, Paul Didier, histoire de la conspiration de 1816, sans date, 23 pages, inclus dans le volume 1 de «  Des conspirations de Grenoble et de Lyon 1816-1817 », op.cit, BM Lyon Part Dieu, cote IF 436/T1.

    * 28 S.Charléty, op.cit, p.277

    * 29 Extrait des conclusions de M. Reyre, procureur du Roi en la Cour prévôtale du département du Rhône, prononcées dans la séance du 13 juin 1817, relativement au complot qui a éclaté le 8 du même mois, op.cit, BM Lyon Part Dieu, cote 354166, 14 pages, Document 2 consultable en annexes.

    * 30 Dépêche télégraphique de Paris du 9 juin 1817, Archives départementales du Rhône, 4 M 203.

    * 31 Bourliez, maire de St-Andéol, au préfet du Rhône. Lettre du 9 juin 1817. Archives départementales du Rhône, 4 M 204.

    * 32 Bourliez, maire de St-Andéol, au préfet du Rhône. Lettre du 10 juin 1817. Archives départementales du Rhône, 4 M 204.

    * 33 Le lecteur pourra apprécier la mise en scène de l'assassinat du capitaine Ledoux, en lisant le récit du procureur Reyre, déjà cité précédemment, BM Lyon Part Dieu, cote 354166, Document 2 en annexes, 14 pages.

    * 34Lettre du maire de Lyon, le comte de Fargues au préfet du Rhône, le comte de Chabrol, 13 juin 1817, citée par Sébastien Charléty, op.cit, p.278.

    * 35 Georges Ribe, « L'opinion publique et la vie politique à Lyon lors des premières années de la seconde Restauration... », op.cit, p.249-250.

    * 36 Roger Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française, Seuil, collect Points Histoire, 1990, 304 pages, postface « L'événement et ses raisons », juin 1999, p.298.

    * 37 Bruno Benoit, L'identité politique de Lyon, entre violences collectives et mémoire des élites (1786-1905), Paris, L'Harmattan, collect Chemins de la mémoire, 1999, 239 pages, p.21.

    * 38 Jean-Pierre Gutton, Histoire de Lyon et du Lyonnais, PUF, Que sais-je ?, 2ème édition, 2000, 127 pages. Voir notamment le chapitre 6 sur Lyon à l'époque contemporaine et sur son enclin bonapartiste, pp.105, 106, 107 et suiv.

    * 39 Bruno Benoit, op.cit, page 21 à 53.

    * 40 Pour plus de détails, voir le récit de Bruno Benoit, op.cit, p.24.

    * 41 Comme l'observe Bruno Benoit : « Cette alliance entre population lyonnaise et Eglise est un des traits caractéristiques de la ville qui perdure largement au-delà de la période. ». B. Benoit, op.cit, p.25.

    * 42 Bruno Benoit, op.cit, p.26

    * 43 Maurice Wahl, Les premières années de la Révolution à Lyon 1788-1792, Paris, Armand Colin, 1894, p.95, cité par Bruno Benoit, op.cit, p.27.

    * 44 Bruno Benoit, op.cit, p.28

    * 45 Le récit qui suit est toujours basé sur celui de Bruno Benoit, op.cit, pp.28-29.

    * 46 Cité dans Maurice Wahl, op.cit, p.179, rapporté par Bruno Benoit, op.cit, p.28.

    * 47 Bruno Benoit, op.cit, p.29.

    * 48 Cité dans Maurice Wahl, op.cit., p.579, rapporté par Bruno Benoit, op.cit, p.31.

    * 49 Personnage peu présenté dans l'historiographie parisienne, cette notice biographique sur Chalier se base sur les présentations de l'individu par Bruno Benoit et Jean-Pierre Gutton dans leurs ouvrages déjà cités précédemment. Cependant, pour le lecteur désireux d'en apprendre d'avantage sur Joseph Chalier, Bruno Benoit utilise entre autres la biographie suivante : Georges Eynard, Joseph Chalier, bourreau ou martyr 1747-1793, Lyon, éditions lyonnaises d'Art et d'Histoire, 1987, 220 p.

    * 50 Roland et Vitet sont tous les deux des « modérés », proches des girondins.

    * 51 Cité dans Maurice Wahl, op.cit, p.579, rapporté par Bruno Benoit, op.cit, p.31.

    * 52 Bruno Benoit, op.cit, p.31-32.

    * 53 Jean-Pierre Gutton, op.cit, p.90.

    * 54 Bruno Benoit, op.cit, p.33.

    * 55 Bruno Benoit, op.cit, p.35.

    * 56 Le lecteur pourra retrouver dans l'ouvrage de Bruno Benoit, op.cit, p.37, cinq articles de ce décret qui stipulent notamment que les Lyonnais seront désarmés, la ville détruite pour ce qui est de l'habitat des riches et autres contre-révolutionnaires, le nom de Lyon sera effacé du tableau des villes de la République, partout sur ses ruines on édifiera une colonne pour y lire : « Lyon fit la guerre à la Liberté, Lyon n'est plus. ».

    * 57 Bruno Benoit, op.cit, p.37.

    * 58 Bruno Benoit, op.cit, p.38.

    * 59 Jean-Pierre Gutton, op.cit, p.96.

    * 60 Bruno Benoit, op.cit, p.39.

    * 61 Jean-Pierre Gutton, op.cit, p.101.

    * 62 Voir Bruno Benoit, op.cit, p.42.

    * 63 Ces chiffres sont ceux rapportés par Bruno Benoit, op.cit, p.43.

    * 64 Bruno Benoit, op.cit, p.43-44.

    * 65 Jean-Pierre Gutton, op.cit, p.101.

    * 66 Jean-Pierre Gutton, op.cit, p.102.

    * 67 Bruno Benoit, op.cit, p.44.

    * 68 Bruno Benoit, op.cit, p.45.

    * 69 Selon les mots de Bruno Benoit, op.cit, p.46.

    * 70 Bruno Benoit, op.cit, p.46.

    * 71 On songe notamment au complot de Georges Cadoudal, qui projetait fin 1803 d'enlever Bonaparte au profit de la couronne. Acte contre-productif, Cadoudal sera arrêté et exécuté, tandis que ceux qui soutiennent l'héritage révolutionnaire se rapprochent d'autant plus du futur « Empereur du gouvernement de la République ». Voir sur cette affaire et ses conséquences, le récit de Lucien Genet dans Révolution, Empire 1789-1815, Paris, Masson histoire, 3ème édition, 1994, 217 pages, p.126-127.

    * 72 Bruno Benoit, op.cit, p.48. L'historien rapporte aussi que l'on pouvait lire sur les murs de Lyon ce même 13 mars 1815 : « Lyonnais, je vous aime. ». Le lecteur désireux d'approfondir sa compréhension du bonapartisme lyonnais peut aussi se reporter au numéro 676 de la revue Historia, avril 2003, intitulé « Napoléon, Empereur des Francs Maçons ».

    * 73 Bruno Benoit, op.cit, p.49.

    * 74 Bruno Benoit, op.cit, p.49.

    * 75 Sur le modérantisme, voir Bruno Benoit, op.cit, page 151 à 170.

    * 76 Bruno Benoit, op.cit, p.p 153-154.

    * 77 Bruno Benoit, op.cit, p.159.

    * 78 Rapporté par Bruno Benoit, op.cit, p.50.

    * 79 Je découvris cette thématique au travers des travaux de Pierre-Arnaud Lambert, références en bibliographie, dans le cadre d'une étude des figures du conspirateur grenoblois Joseph Rey. Sa réflexion sur les usages politiques du secret, et notamment sur sa dimension ritualisée, nourrira cette étude.

    * 80 Georges Ribe traite de la thèse de l'infiltration policière dans son étude citée précédemment, et évoque même une contribution au titre laissant perplexe : Roger Fulchiron, Un procès politique à Lyon sous la Restauration, ou la Conjuration fantôme. Georges Ribe ne donne pas plus de références sur cette brochure, je n'ai pu donc me la procurer. Le lecteur trouvera cette allusion à la brochure de Fulchiron dans l'étude de Georges Ribe, « L'opinion publique et la vie politique à Lyon... », op.cit, p.251.

    * 81 Voir Edgar Morin, La complexité humaine, textes rassemblés, Paris, Flammarion, 1994, 380 pages.

    * 82 Un exemplaire de cet article est consultable en annexe, document 3, 2 pages.

    * 83 Jean-Claude Caron, La France de 1815 à 1848, Paris, Armand Colin, collect Cursus, 1995, 190 pages, voir page 7 à 27.

    * 84 Jean-Pierre Chaline, La Restauration, Paris, PUF, collect Que sais-je ? , 1998, 127 pages.

    * 85 Max Tacel, Restaurations, Révolutions, Nationalités 1815-1870, Paris, Masson histoire, 5ème édition, 1993, 318 pages.

    * 86 J-L Robert (dir.), Le XIXème siècle, Paris, Bréal éditions, tome 1, 1995, 352 pages.

    * 87 Louis Girard, Les libéraux français 1814-1875, Paris, Aubier, collect historique, 1985, 277 pages.

    * 88 A. Jardin/A-J Tudesq, La France des notables, l'évolution générale 1815-1848, nouvelle histoire de la France contemporaine, n°6, Paris, Seuil, 1973, 249 pages. Et La France des notables, la vie de la nation 1815-1848, nouvelle histoire de la France contemporaine, n°7, Paris, Seuil, 1973, 251 pages.

    * 89 René Rémond, Les droites en France, Paris, Aubier-Montaigne, 1982, 544 pages.

    * 90 Jean-François Sirinelli (dir.), Les droites françaises, de la Révolution à nos jours, Paris, Gallimard, Folio histoire, 1992, 925 pages.

    * 91 Bruno Benoit, L'identité politique de Lyon, entre violences collectives et mémoire des élites (1786-1905), Paris, l'Harmattan, collect chemins de la mémoire, 1999, 239 pages.

    * 92 Jean-Pierre Gutton, Histoire de Lyon et du Lyonnais, Paris, PUF, Que sais-je ? , 2ème édition, 2000, 127 pages.

    * 93 Christophe Charle, Histoire sociale de la France au XIXème siècle, Paris, Seuil, collect Points histoire, 1991, 392 pages.

    * 94 Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, Flammarion, collect le Monde de la Philosophie, 2008, 1191 pages.

    * 95 Eric J. Hobsbawm, L'Ere des révolutions, Complexe, 2000, 416 pages.

    * 96 Maurice Agulhon, Le cercle dans la France bourgeoise 1810-1848, étude d'une mutation de sociabilité, Paris, librairie Armand Colin, cahiers des annales n°36, 1977, 105 pages.

    * 97 Alan B. Spitzer, Old Hatreds and Young Hopes, The French Carbonari against the Bourbon Retoration, Harvard University Press, 1971, 334 pages.

    * 98 Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Paris, Seuil, collect Points histoire, 1986, 211 pages.

    * 99 Bernard Gainot/Pierre Serna (dir.), Secret et République 1795-1840, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, collect Histoires croisées, 2004, 182 pages.

    * 100 René Girard, La violence et le sacré, Paris, réed Hachette Littératures, collect Pluriel, 1998, 486 pages.

    * 101 Pierre-Arnaud Lambert, La Charbonnerie française 1821-1823, Du Secret en Politique, Lyon, PUL, 1995, 136 pages.

    * 102 Frédéric Monier (textes réunis par.), Complots et conspirations en France du XVIIIème au XXème siècle, Presses Universitaires de Valenciennes, 2003, 150 pages.

    * 103 Olivier Ihl, « Conspirations et science du pouvoir chez François Guizot », Revue Française d'Histoire des Idées Politiques, Paris, éditions Picard, n°19, 1er semestre 2004, 24 pages.

    * 104 Voir Bruno Benoit, op.cit, p.p.36-37. Comme le note l'auteur : « Ce décret donne le coup d'envoi à une période de répression d'une rare violence à l'égard de Lyon qui a acquis, aux yeux du pouvoir central, une réputation de ville royaliste, de ville contre-révolutionnaire, ce qui sera une des conséquences longtemps indélébiles de son soulèvement et de sa résistance. ». Bruno Benoit, op.cit, p.37.

    * 105 Voir Bruno Benoit, op.cit, p.38 et Jean-Pierre Gutton, op.cit, p.90 à 100.

    * 106 Bruno Benoit, op.cit, p.40.

    * 107 L'expression est de Bruno Benoit, op.cit, p.42

    * 108 Voir Bruno Benoit, op.cit, p.44

    * 109 Bruno Benoit, op.cit, p.44

    * 110 Selon Max Tacel : « Au lendemain des Cent-Jours, les ultras font régner dans le pays une atmosphère de Terreur blanche (assassinat du maréchal Brune à Avignon, du général Ramel à Toulouse) qui éloigne des élections, en août 1815, les libéraux et les modérés (48000 votants sur 72000 inscrits). ». M. Tacel, op.cit, p.163.

    * 111 Jean-Claude Caron, op.cit, p.10.

    * 112 J-C Caron, op.cit, p.11

    * 113 A. Jardin/A.-J Tudesq, La France des notables, 1.l'évolution générale 1815-1848, n°6..., op.cit, p.34.

    * 114 J-C Caron, op.cit, p.11.

    * 115 Jardin/Tudesq, ibid., p.35.

    * 116 Jardin/Tudesq, ibid., p.35.

    * 117 Jardin/Tudesq, ibid., p.35.

    * 118 Ces chiffres sont issus de J-L Robert (dir.), Le XIXème siècle, op.cit, p.253.

    * 119 Voir G. de Bertier de Sauvigny, La Restauration, Paris, Champs, Flammarion, 1990, 506 pages, p.12.

    * 120 G. de Bertier de Sauvigny, op.cit, p.13.

    * 121 G. de Bertier de Sauvigny, op.cit, p.14.

    * 122 Voir G. de Bertier de Sauvigny, op.cit, pp.17-18.

    * 123 Voir G. de Bertier de Sauvigny, op.cit, pp.18-19.

    * 124 G. de Bertier de Sauvigny, op.cit, p.21.

    * 125 Patrice Gueniffey, Journal de la France et des Français, chronologie politique, culturelle et religieuse de Clovis à 2000, Paris, Quarto Gallimard, 2001, 2407 pages, p.1357.

    * 126 Patrice Gueniffey, op.cit, p.1358.

    * 127 Notice biographique réalisée à partir du texte de Patrice Gueniffey, op.cit, p.1358 à 1361.

    * 128 Jean-Philippe Guinle, Les souverains de la France, Paris, Larousse Poche, 1997, 448 pages, p.396.

    * 129 Jean-Pierre Chaline, La Restauration, op.cit, p.9 et 10.

    * 130 Jean-Pierre Chaline, op.cit, p.12, 13.

    * 131 Louis Girard, Les libéraux français 1814-1875, op.cit, p.18

    * 132 Louis Girard, op.cit, p.18.

    * 133 Le lecteur retrouva le détail de ces lois dans Patrice Gueniffey, Journal de la France et des Français..., op.cit, p.1364.

    * 134 Jean-Pierre Chaline, La Restauration, op.cit, p.25.

    * 135 Louis Girard, op.cit, p.19.

    * 136 Voir Patrice Gueniffey, op.cit, p.1368-1369.

    * 137 René Rémond, Les droites en France, Paris, Aubier-Montaigne, 1982, 544 pages.

    * 138 Jean-François Sirinelli (dir.), Les droites françaises, de la Révolution à nos jours, Paris, Gallimard, Folio Histoire, 1992, 925 pages, p.17.

    * 139 Jean-François Sirinelli (dir.), op.cit, p.23, 24.

    * 140 Barruel y prétend notamment que : « (...) dans cette Révolution française, tout, jusqu'à ses forfaits les plus épouvantables, tout a été prévu, médité, combiné, résolu. Tout a été l'oeuvre de la plus profonde scélératesse. ». L'abbé Barruel cité par Sirinelli (dir.), op.cit, p.68. Pour une présentation du mythe du complot et notamment de la représentation de la conspiration franc-maçonnique chez l'abbé Barruel, se reporter à Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Paris, Seuil, Points Histoire, 1986, 211 pages, p.32, 33 et suiv...

    * 141 On retrouve cette approche « sensible » dans l'étude des mythes et mythologies politiques de Raoul Girardet. La grande dynamique que peut influer le mythe politique doit retenir notre attention. Nous le verrons notamment dans l'exercice de diabolisation des conspirateurs de juin 1817 par le camp ultra, selon une propagande axée à nouveau sur la théorie de la conspiration bonaparto-républicaine. Ce mythe du complot viendra légitimer la répression du camp ultra. On retrouve là ce qu'observe Raoul Girardet : « Le mythe politique est bien fabulation, déformation ou interprétation objectivement récusable du réel. Mais, récit légendaire, il est vrai qu'il exerce aussi une fonction explicative, fournissant un certain nombre de clés pour la compréhension du présent, constituant une grille à travers laquelle peut sembler s'ordonner le chaos déconcertant des faits et des événements. Il est vrai encore que ce rôle d'explication se double d'un rôle de mobilisation : par tout ce qu'il véhicule de dynamisme prophétique, le mythe occupe une place majeure aux origines des croisades comme à celles des révolutions. ». Raoul Girardet, Pour une introduction à l'imaginaire politique, in Mythes et mythologies politiques, op.cit, p.13, 14.

    * 142 Louis de Bonald, cité par Sirinelli, op.cit, p.101. Nous avons d'ailleurs déjà évoqué le cas de conspirations royalistes sous l'Empire.

    * 143 Jean-François Sirinelli, op.cit, p.82.

    * 144 Voir Maurice Agulhon, Le cercle dans la France bourgeoise 1810-1848, étude d'une mutation de sociabilité, Paris, librairie Armand Colin, cahiers des annales, n°36, 1977, 105 pages. Voir chapitre VIII, cercle et politique, p.64.

    * 145 Louis de Bonald, cité par Sirinelli, op.cit, p.87.

    * 146 Jean-François Sirinelli, op.cit, p.87.

    * 147 Chateaubriand, De la monarchie selon la Charte, cité par Sirinelli, op.cit, p.90, 91.

    * 148 Jean-François Sirinelli, op.cit, p.91.

    * 149 Voir Frédéric Bluche, Le bonapartisme, PUF, collect Que sais-je ? , 1981, 127 pages, p.5.

    * 150 Frédéric Bluche, op.cit, p.29.

    * 151 Voir Frédéric Bluche, op.cit, p.30 et suiv, chapitre II.

    * 152 Voir Frédéric Bluche, op.cit, p.31.

    * 153 Frédéric Bluche, op.cit, p.42.

    * 154 Voir Louis Girard, Les libéraux français 1814-1875, op.cit, p.59.

    * 155 Jean-Claude Caron, La France de 1815 à 1848, op.cit, p.13.

    * 156 Louis Girard, op.cit, p.70.

    * 157 Voir Louis Girard, op.cit, p.62.

    * 158 Louis Girard, op.cit, p.64.

    * 159 Royer-Collard cité par Louis Girard, op.cit, p.71-72.

    * 160 Voir Louis Girard, op.cit, p.80.

    * 161 Voir Jean-Claude Caron, op.cit, p.13. Les libéraux connaîtront un réel essor électoral à partir des législatives de 1817. En 1819, on comptera 70 députés libéraux à la Chambre. Caron, op.cit, p.13.

    * 162 Jean-Claude Caron, op.cit, p.9.

    * 163 Selon Jean-Claude Caron, op.cit, p.11 et Jean-Louis Robert (dir.), op.cit, p.253.

    * 164 Voir A. Jardin/A. J Tudesq, La France des notables, l'évolution générale 1815-1848, op.cit, p.39.

    * 165 Voir A. Jardin/A. J Tudesq, op.cit, p.39.

    * 166 Voir Jardin/Tudesq, op.cit, p.40.

    * 167 Toujours selon Jardin/Tudesq, op.cit, p.40.

    * 168 Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, édition Flammarion collection Le Monde de la Philosophie, 2008, 1191 pages, p.770, 771. Volume 2, chapitre 6, « Du rapport des associations et des journaux. ».

    * 169 D'après J-C Caron, op.cit, p.15 et Jardin/Tudesq, op.cit, p.44.

    * 170 Jardin/Tudesq, op.cit, p.43.

    * 171 Jardin/Tudesq, op.cit, p.45.

    * 172 Jardin/Tudesq, op.cit, p.47.

    * 173 Bruno Benoit, op.cit, p.48

    * 174 Bruno Benoit, op.cit, p.48

    * 175 Rapporté par Bruno Benoit, op.cit, p.48.

    * 176 Bruno Benoit, op.cit, p.49

    * 177 Le lecteur retrouva d'avantage d'exemples de victimes militaires de l'ordonnance du 24 juillet 1815 des 38 « complices » des Cent-Jours dans le Journal de la France et des Français..., op.cit, p.1388.

    * 178 Georges Ribe, « L'opinion publique et la vie politique à Lyon lors des premières années de la seconde Restauration... », op.cit, p.240.

    * 179 Le général Canuel, rapporté par Georges Ribe, op.cit, p.240.

    * 180 Voir Georges Ribe, op.cit, p.240.

    * 181 Voir Georges Ribe, op.cit, p.241.

    * 182 Voir Georges Ribe, op.cit, p.242.

    * 183 Archives départementales du Rhône, M, Lettre du lieutenant de Gendarmerie Greppo, 6 octobre 1816, rapportée par Georges Ribe, op.cit, p.242.

    * 184 Rapporté par G. Ribe, op.cit, p.244.

    * 185 Cette notice biographique est réalisée à partir de Robinet, Robert et Chaplain, Dictionnaire de la Révolution et de l'Empire 1789-1815, 2 tomes, sans date, Paris, Archives nationales.

    * 186 Sébastien Charléty, « Une conspiration à Lyon en 1817 », op.cit, p.301, 302.

    * 187 Selon Sébastien Charléty, op.cit, p.302.

    * 188 D'après J-L Robert (dir.), Le XIXème siècle, op.cit, p.253.

    * 189 Christophe Charle, Histoire sociale de la France au XIXème siècle, Seuil, collect Points Histoire, 1991, 392 pages, p.16.

    * 190 Voir Christophe Charle, op.cit, p.20, 21.

    * 191 Voir Christophe Charle, op.cit, p.23.

    * 192 Voir Christophe Charle, op.cit, p.25.

    * 193 Voir Christophe Charle, op.cit, p.35, 36.

    * 194 Christophe Charle, op.cit, p.37.

    * 195 Christophe Charle, op.cit, p39, 40.

    * 196 Christophe Charle, op.cit, p.41.

    * 197 Christophe Charle, op.cit, p.56.

    * 198 Georges Ribe, op.cit, p.244, 245.

    * 199 A. Jardin/A.J Tudesq, La France des notables, 1. l'évolution générale 1815-1848, op.cit, p.51.

    * 200 Voir Georges Ribe, op.cit, p.245.

    * 201 Voir Georges Ribe, op.cit, p.246.

    * 202 Le préfet du Rhône, Chabrol, rapport du 6 juin 1817, rapporté par Georges Ribe, op.cit, p.246.

    * 203 Voir Jardin/Tudesq, op.cit, p.53.

    * 204 Georges Ribe, op.cit, p.247.

    * 205 Voir à nouveau Bruno Benoit, op.cit, p.48, 49 et 50.

    * 206 Eric J. Hobsbawm, L'Ere des révolutions, éditions Complexe, 2000, 416 pages, p.148 et 149.

    * 207 Voir A. Jardin/A. J Tudesq, La France des notables, 2. la vie de la nation 1815-1848, Paris, Seuil, Points Histoire, 1973, 251 pages, p.105.

    * 208 Voir G. de Bertier de Sauvigny, La Restauration, op.cit, p.150, 151.

    * 209 Voir Frédéric Bluche, Le bonapartisme, op.cit, p.37.

    * 210 Voir Alan B. Spitzer, Old Hatreds and Young Hopes, The French Carbonai against the Bourbon Restoration, Harvard University Press, 1971, 334 pages, page 28 à 31.

    * 211 Bernard Gainot/Pierre Serna (dir.), Secret et République 1795-1840, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, collect histoires croisées, 2004, 182 pages.

    * 212 Josiane Bourguet-Rouveyre, « Les bonapartistes dans les conspirations de 1815 à 1823 », 14 pages, 2004, in Bernard Gainot/Pierre Serna (dir.), Secret et République 1795-1840, op.cit, p.129 à 143.

    * 213 Josiane Bourguet-Rouveyre, op.cit, p136, 137.

    * 214 Georges Ribe dans son étude donne un récit, sur lequel nous nous basons, assez clair et succin des caractères des insurrections dans les campagnes de Lyon. Voir Georges Ribe, op.cit, p.247, 248 et 249.

    * 215 Voir Bruno Benoit, op.cit, p.51.

    * 216 Voir la lettre du maire de Saint-Andéol au préfet du Rhône du 9 juin 1817, déjà citée dans l'introduction de ce travail (page 24), archives départementales du Rhône 4 M 204.

    * 217 Voir Extrait des conclusions de M. Reyre, document 2, placé en annexes, p.6.

    * 218 Georges Ribe, op.cit, p.248.

    * 219 Voir Georges Ribe, op.cit, p.248.

    * 220 Voir Georges Ribe, op.cit, p.248.

    * 221 Toujours selon Georges Ribe, op.cit, p.249.

    * 222 Cour prévôtale du Rhône, séance du 25 octobre 1817, document 4 en annexes, p.12. Extrait du volume rouge Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure. « Procès des 28 individus prévenus d'avoir participé aux mouvements insurrectionnels... », BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164.

    * 223 Cour prévôtale du Rhône, séance du 25 octobre 1817, op.cit.

    * 224 Cour prévôtale du Rhône, séance du 25 octobre 1817, op.cit, p.14.

    * 225 Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164, p.7

    * 226 Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164, p.11.

    * 227 Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164, p.6

    * 228 Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164, p.13.

    * 229 Aveux de Barbier dans Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164, p.14.

    * 230 Aveux de Barbier..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164, p.16

    * 231 Aveux de Barbier..., ibid., p.20, 21.

    * 232 Voir les aveux de Volozan dans Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164, p.24, 25.

    * 233 Aveux de Meyer dans Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164, p.27.

    * 234 Ces deux notices biographiques, de Chabrol et Canuel, ont été réalisées à l'aide de Robinet, Robert et Chaplain, Dictionnaire de la Révolution et de l'Empire 1789-1815, Paris, sans date, Archives nationales, tome 1.

    * 235 Notice biographique (comte de Fargues) réalisée à partir Bruno Benoit, Raymond Curtet, René Giri, 24 maires de Lyon pour deux siècles d'histoire, Lyon, éditions Ludg, 1994, 245 pages, p.77 à 87. Le lecteur trouva l'article consacré à de Fargues en annexes, document 5. Ouvrage disponible à la BM Lyon Part Dieu.

    * 236 Bruno Benoit, L'identité politique de Lyon..., op.cit, p.50

    * 237 Voir Sébastien Charléty, Une conspiration à Lyon en 1817, op.cit, p.270.

    * 238 S. Charléty, op.cit, p.270.

    * 239 Voir Bruno Benoit, op.cit, p.50 à 53.

    * 240 Charrier-Sainneville, rapporté par Georges Ribe, op.cit, p.257.

    * 241 Récit basé sur Georges Ribe, op.cit, p.257, 258.

    * 242 Josiane Bourguet-Rouveyre, « Les bonapartistes dans les conspirations de 1815 à 1823 », in Bernard Gainot/Pierre Serna, Secret et République 1795-1840, op.cit, p.129 à 143, voir p.138.

    * 243 Georges Ribe, op.cit, p.247.

    * 244 Message d'un officier de Saint-Genis Laval au général Canuel, août 1817, Archives départementales du Rhône, côte 4 M 206 : Evénements de 1817, rapport sur les factieux (juillet-août 1817).

    * 245 Voir les aveux de Meyer dans Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164, p.27.

    * 246 Georges Ribe, op.cit, p.249.

    * 247 Georges Ribe, op.cit, p.240.

    * 248 Voir la lettre confidentielle de la Préfecture du Rhône du 3 mars 1817. Archives nationales (Paris), carton coté F7 96 95.

    * 249 D'après Patrice Gueniffey, Journal de la France et des Français..., op.cit, p.1389.

    * 250 Une copie de cet extrait est placée en annexe, document 1, n°166 du Moniteur du Dimanche, 19 juin 1817, Archives départementales du Rhône, 4 M 206.

    * 251 Une copie de cet extrait est placée en annexe, document 6, La gazette européenne, 30 juillet 1817, Archives départementales du Rhône, 4 M 206.

    * 252 Georges Ribe, op.cit, p.239.

    * 253 « Notes d'enquêtes internes à la Police », février 1818, Rhône en 1817-1818, observations générales. Archives nationales, carton côté F7 4352 A.

    * 254 « Notes d'enquêtes internes à la Police », ibid. Archives nationales, F7 4352 A.

    * 255 Extrait de La Renommée du 25 novembre 1819. Archives nationales, carton côté F7 9695.

    * 256 Sébastien Charléty, « Une conspiration à Lyon en 1817 », op.cit, p.278.

    * 257 Le préfet du Rhône, le comte de Chabrol, aux Lyonnais. Proclamation du 17 juillet 1815. Archives nationales, carton côté F7 9695, Rhône, situation en 1815.

    * 258 Le préfet du Rhône, le comte de Chabrol, aux Lyonnais. Proclamation du 4 août 1815. Archives nationales, Rhône, situation en 1815, carton côté F7 9695.

    * 259«  Avis aux électeurs du Rhône », 1819 (il n'y a pas de date plus précise...). Archives nationales, carton côté F7 9695.

    * 260 Voir « Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure... », op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, côte 354164, p.5, 6.

    * 261 Aveux de Barbier, « Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure... », op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, côte 354164, p.14, 15.

    * 262 Voir toujours les aveux de Barbier, ibid., p.17. Barbier ajoutant même : « Jacquit veut nous perdre, si il commet cette imprudence. », ibid., p.17.

    * 263 Voir toujours les aveux de Barbier, ibid., p.21, 22.

    * 264 Barbier, ibid., p.21, 22.

    * 265 Toujours les aveux de Barbier, ibid., p.22.

    * 266 Voir la séance du 28 octobre 1817 in « Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure... », op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, côte 354164, p.32, 33.

    * 267 Interrogatoire de Gros-Jean, séance du 28 octobre 1817, ibid., p.34.

    * 268 Lettre du préfet du Rhône, Chabrol, au ministre de l'Intérieur, datée du 24 juillet 1817. Archives nationales, carton côté F7 9695.

    * 269 Voir Bruno Benoit, L'identité politique de Lyon..., op.cit, p.52, 53.

    * 270 Cette brochure du colonel Fabvier, Lyon en 1817, Paris, Delaunay, 1818, est consultable à la bibliothèque municipale de Lyon Part Dieu, fond ancien, dans les tomes 2 et 3 de l'ensemble Conspiration de Grenoble et Lyon 1816-1817, respectivement côtés IF 436/T2 et IF 436/T3.

    * 271 Notice biographique réalisée à partir de l'article de Josiane Bourguet-Rouveyre, «Les bonapartistes dans les conspirations de 1815 à 1823 », in Bernard Gainot/Pierre Serna (dir.), Secret et République 1795-1840, op.cit, p.137, 138 et de Patrice Gueniffey, Journal de la France et des Français..., op.cit, p.1398.  

    * 272 Le colonel Fabvier, Lyon en 1817, op.cit, première partie, p.19.

    * 273 Georges Ribe, L'opinion publique et la vie politique à Lyon..., op.cit, p.241.

    * 274 Fabvier, Lyon en 1817, op.cit, in tome 2 de Conspiration de Grenoble et de Lyon 1816-1817, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, IF 436/T2, p.8, 9.

    * 275 Fabvier, ibid., p.9.

    * 276 Fabvier, ibid., p.14, 15.

    * 277 Voir Pierre Serna, « Pistes de recherches : Du secret de la monarchie à la république des secrets », 25 pages, in Bernard Gainot/Pierre Serna (dir.), Secret et République 1795-1840, op.cit, p.13 à 38.

    * 278 Pierre Serna, op.cit, p.13, 14.

    * 279 Selon Bruno Benoit, op.cit, p.52.

    * 280 Voir pour cet épisode, Georges Ribe, op.cit, p.257, 258.

    * 281 Le préfet du Rhône, Chabrol, rapporté par Sébastien Charléty, « Une conspiration à Lyon en 1817 », op.cit, p.300.

    * 282 Le Journal de Lyon, cité par Sébastien Charléty, op.cit, p.296.

    * 283 Georges Ribe, op.cit, p.266.

    * 284 René Girard, La violence et le sacré, réédition Hachette Littératures, collection Pluriel, 1998, 486 pages, p.9.

    * 285 Voir sur le mythe de la conspiration et ses représentations idéologiques, Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, op.cit, chapitre 1 : La Conspiration, p.25 à 62.

    * 286 Bernard Gainot/Pierre Serna, « Présentation » de l'ouvrage Secret et République 1795-1840 sous leur direction, op.cit, p.10.

    * 287 Voir Pierre-Arnaud Lambert, « Secret, faute et trahison. Le jugement dans la société secrète : l'exemple de la Charbonnerie française. », in Bernard Gainot/Pierre Serna, op.cit, p.145 à 159.

    * 288 Pierre-Arnaud Lambert, « Secret, faute et trahison... », op.cit, p.145.

    * 289 Voir Pierre-Arnaud Lambert, op.cit, p.145, 146.

    * 290 Voir Pierre-Arnaud Lambert, op.cit, p.151, 152 et 153.

    * 291 Pierre-Arnaud Lambert, op.cit, p.152.

    * 292 Pierre-Arnaud Lambert, op.cit, p.154.

    * 293 Un serment de la Charbonnerie italienne, cité par Pierre-Arnaud Lambert, op.cit, p.156.

    * 294 Le lecteur pourra apprécier une gravure décrivant un serment sur le poignard en présence de conjurés, document 7 en annexe. Je ne peux en préciser l'origine, l'ayant découvert lors de recherches précédentes il y a plusieurs années...

    * 295 Pierre-Arnaud Lambert, op.cit, p.157.

    * 296 Pierre-Arnaud Lambert, op.cit, p.158, « dire » est en gras dans le texte.

    * 297 Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164, p.6.

    * 298 Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164, p.7.

    * 299 Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164, p.7.

    * 300 Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164, p.11.

    * 301Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164, p.29.

    * 302 Voir Patrice Gueniffey, Journal de la France et des Français..., op.cit, p.1385.

    * 303 D'après Patrice Gueniffey, ibid., p.1389.

    * 304 Georges Ribe, « L'opinion publique et la vie politique à Lyon... », op.cit, p.247.

    * 305 Georges Ribe, op.cit, p.247.

    * 306 Georges Ribe, op.cit, p.247.

    * 307 Georges Ribe, op.cit, p.250.

    * 308 Georges Ribe, op.cit, p.250.

    * 309 Gilles Malandain, « Voir dans l'ombre. Prévention et répression du complot au début du XIXème siècle. », 18 pages, in Frédéric Monier (textes réunis par.), Complots et conspirations en France du XVIIIème au XXème siècle, Presses universitaires de Valenciennes, collection Les Valenciennes n°32, 2003, 150 pages. Voir p.55 à 73.

    * 310 Pour plus de détails sur la naissance en France de la police politique, voir Gilles Malandain, « Voir dans l'ombre... », op.cit, p.67, 68 et suiv.

    * 311 Gilles Malandain, op.cit, p.68.

    * 312 Voir Gilles Malandain, op.cit, p.68, 69.

    * 313 Voir à nouveau Gilles Malandain, op.cit, p.69.

    * 314 Gilles Malandain, op.cit, p.70.

    * 315 Vivien, Etudes administratives, Cujas, 1974 (1859), tome II, p.192, cité par Gilles Malandain, op.cit, p.70, 71.

    * 316 Gilles Malandain, op.cit, p.71.

    * 317 Gilles Malandain, op.cit, p.72.

    * 318 « Notes d'enquêtes internes à la Police » Rhône en 1817-1818. Archives nationales, carton F7 4352 A.

    * 319 Selon Georges Ribe, « L'opinion publique et la vie politique à Lyon... », op.cit, p.249, 250.

    * 320 Voir à ce sujet, Georges Ribe, op.cit, p.251.

    * 321 Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure. « Procès des 28 individus prévenus d'avoir participé aux mouvements insurrectionnels... », BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164.

    * 322 « Cour prévôtale de Lyon, interrogatoire des vingt-huit conspirateurs », huit pages, document 8 placé en annexes, issu des Archives départementales du Rhône, dossier 4 M 206.

    * 323 Conspiration de Lyon de 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164, p.23.

    * 324 Voir à nouveau Conspiration de Lyon de 1817 : Procédure..., op.cit, p.24.

    * 325 Toujours Conspiration de Lyon de 1817 : Procédure..., op.cit, p.25.

    * 326 Conspiration de Lyon de 1817 : Procédure..., op.cit, p.30.

    * 327 Conspiration de Lyon de 1817 : Procédure..., op.cit, p.39 à 43.

    * 328 « Cour prévôtale de Lyon. Interrogatoire des vingt-huit conspirateurs », 8 pages, document 8 en annexes, découvert au sein des Archives départementales du Rhône, dossier 4 M 206, interrogatoire de Volozan cadet, p.7

    * 329 Ces chiffres sont ceux de Georges Ribe, « L'opinion publique et la vie politique à Lyon... », op.cit, p.251, 252 et 253.

    * 330 Georges Ribe, op.cit, p.253, 254.

    * 331 Georges Ribe, op.cit, p.254.

    * 332 Le lecteur trouvera en annexes, document 9, le jugement concernant la ville de Lyon, « Cour prévôtale de Lyon. Jugement des vingt-huit conspirateurs. », 2 pages, découvert au sein des Archives départementales du Rhône, dossier 4 M 206.

    * 333 Voir Georges Ribe, op.cit, p.250.

    * 334 Pasquier, Mémoires, p.176, t.IV, cité par Georges Ribe, op.cit, p.251.

    * 335 Voir sur ce point, à nouveau Georges Ribe, op.cit, p.251.

    * 336 Le procureur du roi à propos du jeune Dumont, cité par Georges Ribe, op.cit, p.252.

    * 337 Camille Jordan, La Session de 1817, cité par Georges Ribe, op.cit, p.252.

    * 338 Cité par Georges Ribe, op.cit, p.252.

    * 339 Voir Georges Ribe, op.cit, p.252.

    * 340 Camille Jordan, La Session de 1817, cité par Georges Ribe, op.cit, p.254.

    * 341 Gilles Malandain, « Voir dans l'ombre. Prévention et répression du complot au début du XIXème siècle », 18 pages, in Frédéric Monier (textes réunis par.), Complots et conspirations en France du XVIIIème au XXème siècle, op.cit, p.55 à 73.

    * 342 Le lecteur trouvera en annexes, document 10, quatre tableaux définissant le complot et les peines associées, successivement dans le droit ancien, dans le code pénal de 1791, dans le code pénal de 1810 et dans le code pénal de 1992. Ces tableaux sont extraits de l'article de Gilles Malandain, « Voir dans l'ombre. Prévention et répression du complot... », op.cit.

    * 343 Voir Gilles Malandain, op.cit, p.59.

    * 344 Gilles Malandain, op.cit, p.62.

    * 345 Voir toujours Gilles Malandain, op.cit, p.63.

    * 346 Gilles Malandain, op.cit, p.64.

    * 347 Gilles Malandain, op.cit, p.64.

    * 348 Cette notice biographique est réalisée à partir de Jean-Louis Voisin (dir.), Dictionnaire des personnages historiques, Encyclopédies d'aujourd'hui, collection Le livre de poche, La Pochothèque, 2001, 1166 pages, voir p.461. Et à partir de Marcel Prélot, Georges Lescuyer, Histoire des idées politiques, Dalloz, 13ème édition, 1997, 702 pages, voir p.382, 383 et 384.

    * 349 Voir Marcel Prélot, Georges Lescuyer, Histoire des idées politiques, op.cit, p.383, 384.

    * 350 J'ai travaillé sur l'exemplaire de la bibliothèque municipale de Lyon Part Dieu, fond ancien, François Guizot, Des conspirations et de la justice politique, 3ème édition, 1821, 132 pages, cote SJ IF 436/52. Par ailleurs, j'ai complété cette lecture par celle de l'article d'Olivier Ihl consacré à cet ouvrage, Olivier Ihl, « Conspirations et science du pouvoir chez François Guizot », in Revue Française d'Histoire des Idées Politiques, Paris, éditions Picard, n°19, 1er semestre 2004, 25 pages.

    * 351 Olivier Ihl, « Conspirations et science du pouvoir chez François Guizot », op.cit, p.127.

    * 352 Olivier Ihl, « Conspirations et science du pouvoir chez François Guizot », op.cit, p.142.

    * 353 François Guizot, Des conspirations et de la justice politique, 1821, exemplaire BM Lyon Part Dieu, fond ancien, IF 436/52, p.3.

    * 354 François Guizot, op.cit, p.3.

    * 355 François Guizot, op.cit, p.21.

    * 356 François Guizot, op.cit, p.27.

    * 357 François Guizot, op.cit, p.30.

    * 358 François Guizot, op.cit, p.41, 42.

    * 359 François Guizot, op.cit, p.61.

    * 360 François Guizot, op.cit, p.66.

    * 361 François Guizot, op.cit, p.96, 97.

    * 362 François Guizot, op.cit, p.119.

    * 363 Sur l'histoire de ces successions de périodes de violences et de contre violences collectives à Lyon, voir l'introduction et le premier thème de ce travail. De même, le lecteur retrouvera de manière approfondie la réflexion de Bruno Benoit sur l'identité politique « modérantiste » de la ville de Lyon, dans son ouvrage : L'identité politique de Lyon..., op.cit, voir p.153 à 170.

    * 364 C'est notamment le thème de l'ouvrage de Jeanne Gilmore, La République clandestine, 1818-1848, Paris, Aubier, 1997, 452 pages.

    * 365 Frédéric Monier, « Le secret en politique, une histoire à écrire », 6 pages, in Matériaux pour l'histoire de notre temps, année 2000, volume 58, numéro 58, p.8. Article placé en annexes, document 11.

    * 366 Pierre Serna, « Pistes de recherches : Du secret de la monarchie à la république des secrets. », 25 pages, in Bernard Gainot/Pierre Serna (dir.), Secret et République 1795-1840, op.cit, p.38.

    * 367 Frédéric Monier cité par Gilles Malandain, « Voir dans l'ombre... », op.cit, p.73.

    * 368 Victor Hugo cité par Pierre Serna, « Pistes de recherches... », op.cit, p.38.

    * 369 « Réponse de M. Camille Jordan à un discours sur les troubles de Lyon », Paris, 1818, 32 pages, in Conspiration de Grenoble et de Lyon 1816-1817, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, tome 2, cote IF 436/T2, p.11.






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