Nicolas BOISSON
Année universitaire 2007/2008
UNIVERSITE PIERRE MENDES FRANCE
INSTITUT D'ETUDES POLITIQUES DE GRENOBLE
MEMOIRE DE MASTER 2ème ANNEE
Une approche socio-historique de la violence au
XIXème siècle :
le cas d'une conspiration à Lyon en
1817
Sous la direction d'Olivier IHL
Master Politiques Publiques et Changement Social,
spécialité « Sciences de gouvernement
comparées »
REMERCIEMENTS
Mes premiers remerciements s'adressent à mon
professeur, Olivier Ihl. Je lui suis, en premier lieu, reconnaissant de m'avoir
orienté vers ce thème passionnant qu'est celui de l'action
politique clandestine au XIXème siècle. Je lui dois de m'avoir
fermement épaulé durant la troisième année de mon
cursus à l'IEP. Sans son soutien et ses suggestions, il est clair que je
n'aurais jamais produit une étude sur le conspirateur grenoblois Joseph
Rey, travail qui m'aura séduit et convaincu d'approfondir l'analyse des
mises en scène du complot sur la Restauration française, avec
cette fois pour espace ma ville d'origine, Lyon. Partageant comme moi la
même curiosité pour cette période trouble de l'histoire de
France et pour ces acteurs anonymes ou oubliés, j'espère qu'il
trouvera au fil de ces pages l'expression complice de ma gratitude. J'en
profite aussi pour saluer l'ensemble des professeurs et personnels de l'IEP qui
m'auront supporté toutes ces années. Je pense en particulier aux
professeurs qui m'ont marqué : Roland Lewin, Herr Brandewinder,
Yves Schemeil, Christophe Bouillaud, Jean-Pierre Bernard pour son cours sur les
utopies, Philippe Veitl qui m'aura convaincu qu'il n'y a pas de
« petits » sujets en histoire, Stéphanie Abrial qui
s'est réellement impliquée dans l'exercice préalable des
questions de méthode pour cette étude, Chantal Dufresne, Jacques
Lockwood et Maryline Clémente pour leur soutien durant une année
difficile à Dublin et enfin à Nicole Scarpelli pour sa gestion
« de fer » du master. Pardon à ceux que j'ai pu
oubliés.
Ensuite, il me faut remercier ma famille. Je pense à ma
mère, qui aura cru plus que moi à l'aboutissement de ce travail,
travail qu'elle aura financé et facilité en échangeant
avec moi sur les nombreuses zones d'ombre entourant son objet...Merci à
son compagnon Michel de veiller sur elle et de la rendre heureuse...Un grand
merci à ma plus jeune soeur Nana et à son compagnon Kola pour
leur soutien et de continuer de partager de bons moments avec moi à
chaque retour à Lyon. Je remercie aussi ma grande soeur Frédo, de
m'avoir accueilli à Paris et donc permis l'accès aux archives
nationales. Tous mes voeux de bonheur pour sa fille Jade et son conjoint
Jean-Marc. Une pensée chaleureuse pour l'autre moitié de ma
famille, Lara ma « demie »soeur, Pierre Stéphane mon
« demi » frère et leur mère Marie. Merci
à Nansa pour ces cadeaux de Noël toujours à la hauteur de
son affection et merci d'une manière générale à
toute la famille Burlet.
Enfin, merci à mes amis, les vrais se
reconnaîtront...et à toutes ces rencontres d'un soir ou plus,
où dans la chaleur de l'alcool partagé s'adoucissent les peines
et les inquiétudes.
A Nana, Kola et Lara.
SOMMAIRE
Introduction.................................................................................7
- Présentation des faits par un quotidien de
l'époque.....................................7
- Présentation des sources relatant ce
complot.............................................10
- Premier cadrage historique des évolutions politiques
à Lyon de la Révolution à ce complot de
1817.......................................................................................
28
- Les différentes formes de violences collectives
qu'a connues la ville...............29
- Le poids des épisodes de
« Terreur » dans la mémoire et la constitution de
l'identité politique de la ville de Lyon
....................................................................................41
- Justifications théoriques de cette
étude................................................... .43
- Objet et objectifs de ce
travail...............................................................44
- Présentation rapide des ouvrages et des sources
sollicités................................49
Mise en place du contexte historique national et local
1793-1817
Retour essentiel sur l'épisode de la Terreur
révolutionnaire à Lyon en 1793 : la naissance d'un
martyrologe
lyonnais..................................................................53
De la Terreur blanche des années 1795-1798 à
celle de l'été 1815 : lassitude et effritement de l'Empire
au profit de l'infiltration des ultras au sein de la société
française...54
I- La France sous Louis XVIII : situation politique
et économique...............59
I-1. De grandes tensions politiques au niveau national et
local : constitutionnels contre
ultras......................................................................................65
I-1.1 La question du phénomène des droites
sous la Restauration en France : la nécessité d'une approche
globale incluant la perspective culturelle..............................65
I-1.2 Sur le plan national, la question du respect de la
Charte, pomme de discorde entre modérés et
ultras.........................................................................72
I-1.3 Un climat de tensions politiques exacerbées par
l'occupation des troupes autrichiennes et le succès du retour de
Napoléon, notamment à Lyon............................78
I-1.4 La déconsidération croissante des
élites royalistes à Lyon.................79
I-1.5 La multiplication des rumeurs de complots avec
Napoléon en toile de fond, et la montée en puissance des
élites constitutionnelles lyonnaises comme Camille
Jordan......................................................................................................80
Transition vers une lecture sociale d'un contexte politique
anxiogène
I-2. L'état économique et social de la
région Rhône-Alpes en 1810-1820 et la crise des subsistances de
1817..................................................................86
I-2.1 Bref tableau des difficultés de la
France du Sud-Est sous la Restauration..87
I-2.2 La crise des subsistances de
1817..............................................90
La conspiration du 8 juin 1817
II- Le complot bonaparto-républicain et la question
de la violence politique.....94
II-1. Conspiration ou
insurrection ?................................................95
II-1.1 Retour sur les faits : la question des acteurs
et de leur rationalité.......97
II-1.2 Une conspiration
provoquée.................................................105
II-2. Les explications possibles du soulèvement de
1817.......................107
II-2.1 Une crise alimentaire source de tensions
populaires....................108
II-2.2 Un contexte pré-électoral
d'affrontements entre modérés et ultras...109
II-2.3 Les spécificités de l'histoire
lyonnaise....................................111
II-3. Un événement politisé: la presse
de l'époque................................112
II-3.1 Diabolisation et
rumeurs......................................................112
II-3.2 La propagande
ultra............................................................114
II-4. Le plan des conjurés : quelle version
croire ?................................115
II-4.1 La discordance des
voix.....................................................115
II-4.2 Les querelles au sein même des royalistes, les
luttes d'influences.....118
II-4.3 La thèse de la provocation
policière........................................121
II-5. Une « affaire » dépassant le
camp des ultras.................................123
II-5.1 Le constat des manipulations des fonctionnaires
ultras..................123
II-5.2 L'embarras du roi : la mutation de tous les
fonctionnaires concernés.124
Analyse des usages de la violence et de la Justice en
1817
III- La violence des conjurés et des forces de la
répression.......................128
III-1. La conspiration : une entreprise secrète
et « sacralisée »..................128
III-1.1 Les rites de passage : le serment du couteau,
la loi du silence et le sort des
traîtres.............................................................................................129
III-1.2 Le récit de ces codes par des conjurés
du 8 juin 1817..................132
III-2. La répression policière et
judiciaire..........................................133
III-2.1 Les arrestations des suspects : la
théorie des circonstances
exceptionnelles..........................................................................................133
III-2.2 Une instruction de l'affaire des plus floues :
illustration par quelques
interrogatoires...........................................................................................139
III-2.3 La sévérité des
condamnations : les nouvelles dispositions pénales au regard de la
justice des
conspirations...............................................................143
III-2.4 L'analyse de François Guizot et son Des
conspirations et de la justice politique
...............................................................................................148
III-3. Le complot comme forme de violence
émancipatrice.....................154
III-3.1 L'action politique clandestine :unique recours
sous un régime de plus en plus
policier.............................................................................................155
III-3.2 Créer un climat
pré-insurrectionnel : allier le secret à la
violence.....157
Conclusion..............................................................................159
- Un événement local dont la dimension prise
par la répression révèle la grande crainte et la
fragilité du régime de Louis
XVIII...............................................................
- Le début de nombreuses entreprises politiques
secrètes à venir.........................
- Le complot comme forme légitime des luttes sociales
et politiques au sein d'une France « verrouillée »
par les
Bourbons...............................................................
- La constitution et l'affirmation de l'identité
politique de Lyon au XIXème siècle : la question du
« modérantisme »............................................................................
- Lyon comme vivier de forces politiques
émancipatrices, les convergences d'intérêts entre les camps
bonapartistes, modérés et
révolutionnaires..........................................
- La nostalgie
bonapartiste.............................................................
- La force des symboles révolutionnaires lors de
l'insurrection..................
- L'assimilation de cette conspiration à la lutte
libérale naissante suite à la défense des conjurés
par certaines élites du camp constitutionnel et
doctrinaire....................................
- Une conspiration qui illustre les résonances entre
luttes politiques et luttes sociales au XIXème
siècle..........................................................................................
Bibliographie............................................................................162
Table des
annexes.......................................................................168
INTRODUCTION
« Les troubles du département du
Rhône ont eu aussi les subsistances pour prétexte ; mais la
malveillance, qui s'en était habilement servie, n'a pas eu à se
féliciter du résultat de ses criminelles tentatives. La
révolte, commencée à six du soir le dimanche 8 de ce mois,
était comprimée partout le lundi à midi, sur un rayon de
près de cinq lieues. A Lyon, ces événements se rattachent
à des antécédents dont la police tenait les fils, et qui
éveillaient son attention. Instruite que des tentatives
d'enrôlements avaient eu lieu, elle avait fait arrêter deux chefs
de ces intrigues, les nommés Chambouvet et Cormeau ; ce dernier
officier en retraite, et une vingtaine de leurs complices avaient
été arrêtés vers le mois d'avril, et se trouvaient
en présence des tribunaux.(...) Le mouvement commença à
six heures à Brignais ; le tocsin fut sonné ; le maire
était absent. Diverses communes suivirent le même exemple ;
mais l'autorité avait été avertie au moment même, et
dans peu d'heures les détachements envoyés de Lyon par M. le
lieutenant général Canuel, d'après une connaissance exacte
des localités, eurent dispersé tous les rassemblements.(...)
Cinquante prisonniers sont entre les mains de la justice. (...) Les
nommés Oudin, ex-capitaine des dragons, Garlon, simple soldat
retraité et s'intitulant lieutenant général des
insurgés, Colin, officier en non activité, sont les chefs les
plus marquants de cette rébellion... ».
Cet extrait du numéro 166 du journal Le
Moniteur du Dimanche1(*), daté du 19 juin 1817, relate, avec
mépris, les tentatives « criminelles » d'une
poignée de conspirateurs, d'enrôlement et d'excitation des
classes les plus populaires du Rhône, avec pour fin, de renverser Lyon
puis le royaume. Nous sommes en 1817, au début du règne de Louis
XVIII, en pleine période de réaction envers les libertés
publiques les plus fondamentales, et de crises politiques et économiques
récurrentes. En effet depuis la déroute de Napoléon en
1815, la France s'est installée dans une période de
réaction encore plus trouble que fut celle de l'Empire. L'historien
Jean-Pierre Chaline observe avec justesse à propos de la
Restauration : « C'est peu dire que la Restauration, dans notre
mémoire collective, fait partie des périodes mal aimées.
Le rapprochement établi parfois avec le régime de Vichy ne
souligne que trop l'origine d'un pouvoir né de la défaite et,
sinon imposé par l'ennemi, du moins permis par le désastre
militaire. »2(*).
Cette dépêche évoque donc un
phénomène politique redevenant fréquent sous ce
régime étouffant qu'est la Restauration : un complot
à visée insurrectionnelle. Mais avant d'aborder ce cas
lyonnais de 1817 et la problématique de son étude, rappelons
brièvement le fil historique du basculement de la France au profit de
l'ancienne monarchie des Bourbons et la redécouverte de l'usage de la
conspiration comme mode de résistance.
L'acte final du Congrès de Vienne le 9 juin 1815 puis
la cinglante défaite de Napoléon à Waterloo au soir du 18
juin 1815 scellent définitivement la fin de l'Europe
napoléonienne et le retour des derniers Bourbons en exil. L'Europe dans
ce nouveau contexte de réaction devient le théâtre
d'entreprises révolutionnaires secrètes. Pour saisir les
motivations de ces dernières, il nous faut garder à l'esprit le
mélange de lassitude et de nostalgie qu'éprouvent les
élites libérales françaises3(*), progressistes, du moins en opposition plus ou moins
ouverte au régime restauré et souvent associées à
ces mouvements d'action politique clandestine comme les Carbonari en Italie et
la Charbonnerie4(*) en
France. En effet, en France, Louis XVIII, frère aîné de
Louis XVI, accède au trône dans un pays partagé entre la
fatigue des guerres impériales et le désir maintenu de voir se
concrétiser les principes de respect du citoyen, arrachés
violemment par le peuple de 1789 à 1793. Ainsi, entre 1815 et 1820,
l'enjeu principal des élites modérées françaises
sera dans un premier temps de pousser le roi à accepter une Charte
devant limiter ses prérogatives, et dans un second temps d'exiger son
respect par les royalistes ultras. Cette fameuse Charte, mais surtout sa
ratification et son respect par le roi seront la pomme de discorde entre
modérés et ultras, et même au sein du camp ultra, souvent
plus monarchiste que le monarque... La violence en France des royalistes ultras
donne une idée assez nette de ce que sera le phénomène de
la réaction politique tout au long du XIXème siècle :
ignorance des assemblées, mépris des libertés, ordre moral
et policier. Dés juin 1815, éclate donc dans toute la France, le
triste épisode « contre-révolutionnaire » de
la Terreur blanche. Cet épisode a son importance quant à notre
étude locale de cette conspiration de 1817, car il est indéniable
et nous le verrons, que le souvenir des violences des ultras a aussi nourri ce
projet à visée libératrice. Durant tout ce mois de juin
1815, des royalistes organisés en bandes partent massacrer des
populations civiles réputées jacobines ou bonapartistes. En
effet, durant ce mois, Napoléon avait confié le pouvoir à
son fils, appelé l'Aiglon. Pendant ce temps, on se hâte à
la Chambre de discuter les articles d'une nouvelle Constitution plus
libérale. Cependant, le 8 juillet, alors que le projet est presque
voté, Louis XVIII entre dans Paris avec l'appui de la garde nationale.
Le nouveau pouvoir restauré en la personne de Louis XVIII ignore la
Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 et inaugure une période de
profonde réaction dont nous verrons les caractères au cours de
cette étude, notamment sa composante policière et judiciaire
extrêmement dure. C'est donc dans ce climat d'incertitudes politiques
qu'éclatent en France des conspirations libérales et/ou
bonapartistes contre le pouvoir royal et dans le but de restaurer la
République et/ou l'Empire. Elles apparaissent comme un mode secret,
parfois amateur comme ce sera le cas de cette conspiration lyonnaise, de
protestation au sein d'un régime doucement verrouillé.
J'ai choisi, pour introduire ce travail, un extrait de cette
courte dépêche du fait de son ton alarmiste, reflétant
parfaitement la crainte du régime de Louis XVIII, régime jeune
mais pourtant déjà affaibli sur le plan de sa
légitimité. En effet, comme je l'ai déjà
évoqué précédemment, le phénomène
politique des conspirations ou du moins des entreprises souvent
présentées de manière abusive comme telles par la police
de l'époque, se développera en France sans commune mesure sous la
Restauration. Multiplication d'un phénomène qui inquiète
le pouvoir mais interpelle aussi nombre d'observateurs de l'époque,
comme un modéré François Guizot qui seulement quatre ans
après l'affaire de notre « complot » lyonnais
publiera une analyse de la question des conspirations et de la justice qui leur
est réservée. Ce texte, Des conspirations et de la justice
politique, publié en 1821, revêt un intérêt
précieux pour notre étude car non seulement il nous
éclaire sur les abus d'une justice partiale, mais surtout son auteur
sera indirectement un des défenseurs des conjurés de l'affaire de
Lyon en 1817. Nous l'utiliserons donc largement au sujet de l'analyse des
usages faits de la violence et de la justice lors de cet épisode5(*). Revenons-en aux faits.
Cette insurrection, présentée par les
autorités comme une conspiration, éclate dans le
département du Rhône, surtout à partir des communes
entourant la ville de Lyon qui devait être son point d'aboutissement, le
8 juin 1817. Une première remarque au sujet de l'affaire de Lyon est le
peu d'écrits d'historiens entretenant la mémoire d'un
événement oublié ou inconnu pour la plupart des
observateurs du phénomène des conspirations sous la Restauration,
fussent-ils même lyonnais... La découverte ainsi pour moi de ce
« cas » est tributaire de trois études principales
et d'époque différentes relatant le mieux cet épisode.
La première étude disponible à la
bibliothèque municipale de Lyon est celle de Sébastien
Charléty, « Une conspiration à Lyon en
1817 », long article publié en 1904 dans La revue de
Paris6(*). Elle offre
une bonne présentation générale des faits mais surtout
elle retranscrit bien les manipulations des fonctionnaires ultra puis leur
discrédit face aux critiques des jeunes libéraux, forts de leurs
victoires aux scrutins locaux de l'automne 1817.
La seconde étude à consulter est celle de
Georges Ribe, « L'opinion publique et la vie politique à Lyon
lors des premières années de la seconde Restauration »,
sous titrée La réaction ultra et l'expérience
constitutionnelle (17 juillet 1815-9 janvier 1822), publiée en 1957 dans
les Annales de l'Université de Lyon7(*). Il s'agit de l'étude la plus dense et la
plus complète. C'est l'auteur qui analyse le mieux les luttes
d'influences au sein des ultras et la question de la provocation
policière et donc de la réalité des intentions
premières des meneurs des insurgés. Elle nous sera aussi
précieuse pour comprendre les mécanismes des manipulations des
ultras via notamment leur usage de la propagande.
La dernière contribution
« d'initiation » à cette affaire est celle de
l'historien lyonnais Bruno Benoit, contenue dans son ouvrage publié en
1999 sur l'identité politique de la ville de Lyon, L'identité
politique de Lyon, entre violences collectives et mémoire des
élites (1786-1905)8(*).Cet ouvrage sera notre outil de
référence pour la présentation du cadre historique local,
à savoir l'état des mentalités du peuple de Lyon en ce
retour imposé de Louis XVIII. Bruno Benoit y décrit comme nul
autre la lente maturation républicaine des Lyonnais, suivant le cours
douloureux de l'histoire des violences révolutionnaires puis de celles
des ultras avant de concentrer au sein de leur ville, des forces divergentes
comme des bonapartistes et des libéraux, unis pour un temps contre le
despote et l'asservissement moral et économique du régime de
Louis XVIII. La réflexion de Bruno Benoit sur l'affirmation paradoxale
de l'identité « modérantiste » de la ville de
Lyon, devenant foyer libéral, car concentrant tous les
extrémismes politiques, nourrira notre propre réflexion sur
l'usage de la violence de conspirateurs, récupérés, mais
parfois aussi sincèrement soutenus par le camp libéral. Lyon y
apparaîtra comme le prisme des luttes clandestines du début du
XIXème siècle, avec pour réponse du camp de la
réaction, la violence moderne d'Etat : une justice dissuasive
à l'attention des adeptes du complot et une police infiltrant toujours
plus les groupes marqués du sceau de la suspicion.
Ces trois contributions principales à l'histoire de la
conspiration du 8 juin 1817 furent élaborées autour d'un travail
d'archives rigoureux. En effet, pour mener à bien ce travail, j'ai
moi-même consulté pratiquement l'ensemble des archives relatives
à ce complot. Une première remarque est qu'elles sont
dispersées entre différents services, sans la moindre
cohérence. Je me suis rendu sur trois lieux : le fond ancien de la
bibliothèque municipale Lyon Part Dieu, les archives
départementales du Rhône, et enfin les archives nationales
à Paris. Essayons de présenter sommairement le contenu des
dossiers relatifs à ce complot pour chaque point d'archives.
Le fond ancien de la bibliothèque municipale Lyon Part
Dieu ne contient que des recueils d'imprimés relatifs à cette
conspiration. Ces recueils se divisent en trois ensembles :
-1er ensemble : « Conspirations de
Grenoble et de Lyon 1816-1817 ». Cet ensemble contient trois
tomes9(*). Le tome 1, cote
IF 436/T1, contient notamment un long texte sur Paul Didier, conspirateur
grenoblois de 1816, et deux correspondances de fonctionnaires de l'armée
relatives au complot de Lyon. Le tome 2, cote IF 436/T2, plus
intéressant pour le cas de Lyon, recèle en autres les
appréciations du général Canuel, en charge de l'affaire,
celles du préfet du Rhône Chabrol, des mémoires et des
correspondances sur l'affaire de Lyon, et surtout un document de l'opposition
constitutionnelle : la « Réponse de M. Camille Jordan
à un discours sur les troubles de Lyon ».Enfin, le tome 3,
cote IF 436/T3, contient, entre autres, les appréciations du colonel
Fabvier sur la situation de Lyon en 1817, le compte rendu des
événements de Lyon par le lieutenant de Police
Charrier-Sainneville, personnage capital qui défendra jusqu'au prix de
son poste, la thèse de l'exagération des moyens et des buts des
insurgés. Dérangeant grandement le camp ultra, nous verrons
comment il tentera de projeter un peu de lumière sur une affaire
obscurcie par les manipulations des fonctionnaires ultras.
-2nd ensemble : « Conspiration de
Lyon en 1817 : Procédure ». Ce volume rouge, cote 35 41
64 à 35 41 66, est le document nous concernant le plus
intéressant du fond ancien de la BM Lyon Part Dieu. Comme son sous-titre
l'indique, il s'agit du « Procès des vingt-huit individus,
prévenus d'avoir participé aux mouvements insurrectionnels qui
ont éclaté dans le département du Rhône, dés
les premiers jours de juin 1817 ». Il s'agit des interrogatoires
de la Cour prévôtale réunie pour cette affaire, dans
lesquelles nous puiserons pour comprendre les motivations des insurgés,
mais aussi pour illustrer l'instruction manipulée de la Cour de
justice.
-3ème ensemble : « Des
conspirations de 1817 à 1823 », cote SJ IF 436/52.Cet ensemble
comprend quatre pièces, dont notamment une « Note
secrète exposant les prétextes et le but de la dernière
conspiration », datée de 1818, 58 pages10(*). C'est aussi dans cet
ensemble que l'on retrouvera le Des conspirations et de la justice
politique de François Guizot, 3ème édition,
1821, 132 pages.
Venons-en maintenant aux sources des archives
départementales du Rhône.
L'ensemble des documents relatifs à l'affaire de Lyon
en 1817, archivés par le département du Rhône, est
stocké dans la série M, Evénements politiques locaux,
Police politique. On y trouve cinq dossiers volumineux, allant des
débuts de l'affaire jusque à ses suites quelques années
après, 1817-1820. Ces dossiers contiennent essentiellement les
correspondances entre les autorités durant les événements
comme par exemple les correspondances des maires des communes affectées
par la révolte, au préfet du Rhône. Ils nous permettront
d'apprécier l'affolement et la déroute des maires, lors de ces
petits soulèvements les prenant souvent pour cibles directes, du fait de
la crise des subsistances. Ces cinq dossiers suivent donc l'ordre chronologique
de l'affaire :
- 4 M 203 Evénements de 1817 : prémices
- 4 M 204 idem : déroulements des
opérations
- 4 M 205 idem : comportement des communes
- 4 M 206 idem : rapport sur les factieux
(juillet-août 1817)
- 4 M 207 idem : suites, frais, circulaires
ministérielles (1817-1820)
Nous en arrivons à notre dernière source
d'archives : les archives nationales (Paris).
Les documents relatifs à notre complot sont
stockés dans la série F7. On compte trois cartons importants,
constitués des rapports de police sur les insurgés, de
correspondances et de déclarations du maire de Lyon, dont les
conjurés voulaient la mort, un ultra, le comte de Fargues avec le
ministère de la Police, des rapports de surveillance interne sur le
lieutenant de la police de Lyon, le « dissident »
Charrier-Sainneville mais aussi sur le préfet du Rhône, Chabrol,
qui en 1815 ne cachait pas ses vues bonapartistes...inquiétantes pour
les ultras en 1817 ! En bref, nous y retrouverons toutes les luttes
intestines entre fonctionnaires ultras, autorités locales et
autorités nationales. Nous pourrons aussi dresser des portraits de ces
différentes figures citées, à partir d'un dictionnaire de
la Révolution et de l'Empire, consultable aux archives
nationales11(*).
Les trois cartons contenant chacun plus de mille pages de
correspondances et de rapports s'intitulent :
- 2 cartons : F7 9695 et F7 9696 Situation des
départements 1815-1830
- F7 4352 A, Police générale Rhône en
1817-1818
Nous venons de présenter les rares études
existantes sur cette conspiration de 1817 et ses archives relatives. Nous le
voyons, les documents d'archives constituent donc la source majeure de cette
étude. Cependant, nous solliciterons les analyses de Sébastien
Charléty, de Georges Ribe et de Bruno Benoit pour comprendre le
déroulement et les enjeux de cette affaire. Affirmons le
d'emblée, au regard du désordre et de la complexité des
documents que nous ont légués les acteurs de cet épisode,
les études de ces trois historiens précédemment
cités me furent indispensables.
Nous en arrivons bientôt à la présentation
de l'objet, de sa justification théorique, de la problématique et
du découpage de ce travail. Cependant par souci de clarté, je
nous propose avant cela de présenter sommairement les
événements du début du mois de juin 1817 dans le
Rhône, puis de les resituer dans le cadre local de l'histoire des
violences collectives à Lyon depuis 1793. Ce cadre posé, je
présenterai les ambitions modestes de ma contribution à
l'étude de cette conspiration, dans une problématique plus
générale sur la violence émancipatrice et clandestine face
à la violence d'Etat, à savoir la police et la justice du camp
ultra.
Première présentation des
événements du 8 juin 1817 dans le département du
Rhône
« Un grand attentat vient d'être commis.
Il l'a été dans la ville de Lyon et sur plusieurs points du
département du Rhône. Ce n'était rien moins qu'une
exécrable tentative pour détruire ou changer le Gouvernement,
pour exciter les Français à s'armer contre l'autorité de
leur Roi, pour porter la dévastation, le meurtre et le pillage dans tous
lieux où l'insurrection se serait manifestée. Depuis longtemps,
on ne peut se le dissimuler, l'exécution en était projetée
et ténébreusement préparée
(...) »12(*).
Monsieur Reyre, procureur du Roi en la Cour
prévôtale du département du Rhône, en charge de
l'affaire de Lyon, introduit de ces propos déjà sans appels pour
les inculpés, ses conclusions pour la Cour de justice. Cette Cour aura
retenu 155 inculpations pour 248 arrestations au sein de la ville de Lyon et
pas moins de 300 pour les campagnes13(*). En effet, comme nous le précise Georges
Ribe : « Le 9 juin 1817, les Lyonnais apprirent, par une
proclamation du lieutenant-général Canuel, que leur ville avait
échappé la veille, grâce à la vigilance des
autorités, à une insurrection. Elle devait éclater
à Lyon même, ayant pour but de mettre Marie-Louise et son fils sur
le trône de France. Les campagnes devaient faire leur mouvement une heure
avant la ville sur laquelle elles se seraient
portées. »14(*).
Ces événements interviennent dans un contexte de
grandes tensions autour des orientations politiques du roi. En
réalité, depuis l'ordonnance du 5 septembre 1816,
déclarant que la Charte ne serait pas révisée et que la
Chambre serait dissoute, les ultras s'inquiètent grandement des
élections à venir, et à juste titre, au regard de la
montée en puissance des modérés et des libéraux.
Louis XVIII doit en effet faire face d'une part, aux pressions d'un parti ultra
de plus en plus délégitimé suite aux excès de la
terreur royaliste (la Terreur blanche), qui sévissait de la
défaite de Napoléon à Waterloo au retour du roi au
pouvoir, aux excès de la « terreur légale »
des royalistes au sein de la Chambre désormais qualifiée
« d'introuvable »15(*) tant le camp ultra, fort de sa majorité, la
monopolise en légiférant massivement contre toutes les
libertés publiques soi disantes garanties par la Charte, et contre les
derniers Bonapartistes et Jacobins accusés de
« régicides », et d'autre part, à la
multiplication de complots souvent militaires, composés d'ancien membres
de l'armée napoléonienne, et/ou de libéraux
amorçant les conspirations à venir de la Charbonnerie
française, cette grande milice secrète libérale.
Précisons sommairement, car nous y reviendrons
grandement, les enjeux que constituait cette Charte pour les royalistes. Elle
fut promulguée par le roi le 4 juin 1814 après son entrée
dans Paris le 3 mai, permise par le départ de Napoléon pour
l'île d'Elbe le 28 avril. Nous nous situons dans la période que
les historiens appellent la première Restauration. Louis XVIII
régnera une première fois jusqu'à l'épisode des
Cent-Jours (20 mars 1815-8 juillet 1815), dernier épisode
napoléonien, puis remontera sur le trône le 8 juillet,
jusqu'à sa mort le 16 septembre 1824. A partir de la fin des Cent-Jours
et jusqu'en 1830, la France vit ce que l'on appelle la seconde Restauration.
Depuis son retour au pouvoir le 3 mai 1814, suite au
départ de Napoléon pour l'île d'Elbe, Louis XVIII doit
représenter la France royaliste, mais il sait qu'il ne pourra jamais
régner sans et à fortiori contre la France nouvelle
issue de 1789. Comme le note l'historien Patrice
Gueniffey : « Louis XVIII préfère
régner constitutionnellement plutôt que de ne pas régner du
tout. La Charte octroyée par le roi « la dix-neuvième
année de son règne » et proclamée le 4 juin 1814
est le manifeste de cette volonté de réconcilier les deux France
sans rien sacrifier de la légitimité. »16(*).
Qu'en est-il des dispositions de cette Charte ?
Max Tacel énumère les plus marquantes :
« La Charte proclame solennellement l'origine divine et dynastique du
pouvoir royal et condamne les « funestes écarts »
des 25 dernières années, c'est-à-dire la Révolution
et l'Empire (...) La première partie de la Charte garantit, en effet,
les libertés publiques, liberté individuelle, liberté de
la presse, sous réserve d'abus, la liberté de culte, bien que le
catholicisme soit déclaré religion d'Etat, le droit de
pétition, l'égalité devant la loi, les situations acquises
dans la fonction publique, civile et militaire...(...) Le roi détient la
totalité du pouvoir exécutif. Il nomme et révoque les
ministres que l'article 13 déclare responsables (...) Le roi dispose
seul de l'initiative des lois et les amendements ne sont recevables que
revêtus de son approbation... »17(*).
Cette Charte assure donc le caractère constitutionnel
de la monarchie, mais dans la pratique elle ne se révèle qu'un
pâle compromis de moins en moins respecté. Nous l'avons
déjà évoqué, quelques mois après la
remontée sur le trône du roi après l'épisode des
Cent-Jours, les ultras vont faire pression sur le roi, laissant s'installer au
sein de la Chambre introuvable une « terreur
légale », véritable réaction
antirévolutionnaire. Jean-Claude Caron rappelle ainsi que les ultras
votèrent successivement d'octobre 1815 à juillet 1816 : une
loi de sûreté générale (29 octobre), une loi contre
les cris et les écrits séditieux (9 novembre), une loi organisant
des cours prévôtales (27 décembre) dont donc la cour du
Rhône, et une loi d'amnistie bannissant les régicides (2 janvier
1816), Jacobins et Bonapartistes, avec notamment de lourds procès contre
les généraux ou maréchaux ralliés à
Napoléon durant les Cent-Jours18(*). Il est clair que cette Charte ne fut donc qu'un
leurre non du fait de sa portée mais bien précisément
parce que les députés ultras l'ont rendue inopérante.
Dés lors, la décision royale par ordonnance du 5
septembre 1816, de ne pas réviser la Charte mais par contre de dissoudre
la Chambre ne pouvait qu'effrayer le camp ultra, se sentant menacé dans
ses marges d'action légale. Cette décision peut surprendre de la
part de Louis XVIII, choisissant ainsi d'assouplir son régime face aux
critiques des modérés et des libéraux, et à la
pression populaire. Chateaubriand résuma la nouvelle situation dans une
formule terminant sa brochure La Monarchie selon la
Charte : « Sauvez le Roi, quand
même ! »19(*) .C'est-à-dire malgré lui. Les ultras
de Lyon firent de cette formule leur cri de ralliement. En cette fin
d'année 1816, la stratégie du camp ultra était donc
simple. Il fallait convaincre le roi que l'ordonnance avait été
une faute grave. Pour y parvenir, la méthode était d'exciter les
peurs relatives aux conspirations et autres attentats... Comme le note
Sébastien Charléty : « Il fallait donc
représenter (les ennemis du roi) comme en état de conspiration
permanente et d'insurrection toujours possible. »20(*). Le général
ultra Canuel était le chef désigné de cette manoeuvre.
Charléty relève ainsi que : « dés la
fin de septembre 1816, ce fut, chaque jour un nouvel incident : propos
séditieux, annonce du retour de l'Empereur, découverte
d'emblèmes bonapartistes qui provoquent des allées et venues de
gendarmes. »21(*).
Canuel excite donc les autorités locales :
« On conspire, répète Canuel au préfet (le
préfet du Rhône : le comte de Chabrol) ; la conspiration
est dans les esprits, dans l'air, partout. »22(*). Dés lors, il
règne dans ces années 1816-1817 un inquiétant climat
d'excitation, généré tant par les rigueurs d'une crise des
denrées alimentaires que par les rumeurs conséquentes de
soulèvements éclatant soit dans le Rhône, soit dans les
départements voisins.
Sébastien Charléty rapporte ainsi un passage
d'un rapport nourri et alimentant ces rumeurs, daté du 4 octobre 1816,
sur la situation des campagnes du Rhône : « Une agitation
extraordinaire se manifeste dans les campagnes des environs de Lyon. On dit
qu'il sera mis des droits extraordinaires sur les pommes de terre et les autres
denrées qui servent de nourriture aux paysans. On leur fait croire que
le moment est favorable pour secouer le joug. Un complot est, dit-on,
formé. (...) Le projet des conspirateurs est de mettre le feu dans
plusieurs endroits de la ville et de se porter ensuite sur les prisons pour
délivrer les coquins qu'elles renferment. Ils doivent massacrer les
prêtres et les royalistes, et proclamer le fils de Bonaparte. (...) Les
conjurés disent qu'ils ne redoutent rien de la police qui les
favorise. »23(*).
Huit mois nous sépare de l'affaire de Lyon du 8 juin
1817, et déjà se multiplient de « petites »
affaires comme celle-ci, dont on ne sait si elles relèvent de
l'imagination populaire, de manipulations du camp ultra, ou d'agents
provocateurs au service des Bonaparte... Une réalité
apparaît déjà clairement, c'est celle de l'efficience de la
rumeur et donc de son usage politique. Nous y reviendrons dans le
développement de l'analyse de la conspiration du 8 juin 1817 (partie
II). Plus encore, il semble bien que la rumeur soit pour le camp ultra l'alibi
systématique appuyant ses investigations policières. Pour en
finir avec cette « petite affaire » précédant
celle du 8 juin 1817, Charléty raconte la précipitation
policière d'événements fondés sur des bruits...Le
22 octobre 1816, le général Maringonné assistant Canuel
dans le Rhône, fait arrêter huit individus et livre au
préfet un volumineux dossier. On peut y apprendre que parmi les chefs du
complot se trouvent des bonapartistes avérés comme Alix, chef
d'escadron en retraite et maire de la commune d'Oullins pendant les Cent-Jours,
ou Dupont, officier en retraite. Cette présence d'anciens membres de la
garde impériale est une réelle constante au sein des entreprises
politiques clandestines sous la Restauration. Nombreux seront les bonapartistes
à rejoindre la lutte des libéraux au sein de la Charbonnerie
française, évoquée précédemment. Pourtant,
cette présence suffit-elle toujours à prouver l'existence d'une
réelle conspiration, dans le sens d'une entreprise politique
secrète, concertée, avec un but politique précis, ou
n'apparaît-elle encore pas comme un autre prétexte visant à
stigmatiser du mot maudit, en ces temps de réaction, de
« conspiration » un événement avorté
qui relèverait alors tout autant de l'imaginaire ? Cette question
de la portée réelle du projet secret est centrale. Tout au long
de cette étude se posera la question, que se sont posés tous les
historiens s'intéressant aux questions de l'action politique
clandestine, de la mesure réelle du projet secret et donc de sa
dénomination en des termes lourds de
« conspiration », « complot » et
même plus intense encore de « conjuration ». Il
s'agit bien là encore de la question de la représentation de
l'événement, de sa mise en scène, souvent de son
instrumentalisation, pouvant lui donner dés lors une portée
symbolique bien plus grande que les intentions plus pragmatiques de ses
acteurs. Dés lors nous n'aurons de cesse de nous interroger sur la
question de l'envergure de la provocation policière. Loin de nier toute
réalité du complot en ces années, il s'agira bien plus de
saisir comment s'articule le triptyque Rumeurs-Manipulations-Conspiration et
d'essayer de restituer au mieux la juste mesure d'un événement
diabolisé, alors que tout en ayant son existence propre, il fut souvent
provoqué, facilité en quelques sortes, par l'infiltration
policière.
Revenons aux prémices de l'affaire de Lyon.
Si déjà lors de cette
« petite » affaire lyonnaise d'octobre 1816, on retrouve en
effet les éléments classiques d'un complot
bonaparto-libéral : culte de l'Aiglon et de Marie-Louise,
réunion à la loge maçonnique de Pilata24(*)... on y descelle aussi la
« main » des ultras. Sainneville, le même lieutenant
de police de Lyon, homme intègre, qui sera en charge de l'affaire du 8
juin 1817 puis destitué, se vit avoué lors de ses interrogatoires
des suspects arrêtés, que l'un se dit avoir agi pour le compte du
général Maringonné, qu'un autre se verrait même
récompensé de la Légion d'honneur...Le lieutenant
Sainneville dénoncera déjà ces manipulations ultras
opérées par le biais des forces de l'ordre. Il écrit au
ministre Decazes le 12 octobre 1816 : « Tout ce qui se passe ici
est le résultat d'un plan dont le but paraît être de prouver
que le gouvernement représentatif ne convient point à la France,
que le ministère perd le Roi et l'Etat...On va jusqu'à dire que
le Roi n'est plus en état de gouverner et qu'il devrait résigner
sa couronne. »25(*).
Cependant, une fois classée sans suite, l'affaire de
ce complot semi-imaginaire car provoqué, le calme ne semble par pour
autant régner pour les ultras lyonnais, en cette fin d'année
1816.Toujours à Lyon, le 24 décembre 1816, le
général Canuel découvrit rue Saint Georges des placards
séditieux sur lesquels on pouvait lire : « Prenez
courage. Napoléon revient et nous aurons le pain à quatre
sols »26(*).
Face à ce climat d'incertitudes, se multiplient les dénonciations
et les arrestations. Un climat de grande tension politique mêlé
à la peur « économique » due à la
crise alimentaire rendent la ville et ses campagnes de plus en plus sujets
à la surveillance policière. Et le préfet du Rhône,
le comte de Chabrol, débordé, pourra tant bien que mal rassurer
le ministre Decazes, chacun s'accorde à penser qu'un soulèvement
populaire peut surgir prochainement. Reste aux ultras à penser
l'instrumentalisation de ce climat...
Il y eut aussi dans la région d'autres
précédents inquiétant les pouvoirs locaux. A Grenoble en
1816, une petite affaire encore de conspiration militaire, très vite
déjouée, vint alimenter la campagne d'excitation des ultras
locaux envers tous les ennemis du régime. Le leader de l'entreprise
secrète, Paul Didier, drômois d'origine né en 1758, avocat
de formation, recrutait depuis 1814 à Lyon et à Grenoble des
militaires licenciés de l'armée impériale, dans le but
d'amener le duc d'Orléans au pouvoir ! Orléaniste dans son
but mais bonapartiste dans ses moyens, le complot devait aboutir le 4 mai 1816,
sur le même mode opératoire que notre conspiration lyonnaise du 8
juin 1817, c'est-à-dire, en partant des campagnes pour converger le soir
sur Grenoble. L'entreprise était en réalité
infiltrée depuis longtemps par la police, et fut donc vite
déjouée. Paul Didier fut exécuté peu de temps
après27(*).
Dés lors, le début de l'année 1817 en
Rhône-Alpes est rythmé par les bruits et les rumeurs de complots
en tout genre. Sébastien Charléty relève le climat de
désinformation régnant alors : « Le bruit court en
février 1817, que l'Isère est en insurrection, tandis qu'on dit
à Grenoble que Lyon s'agite. »28(*). Il apparaît donc clairement, que grâce
à ce contexte « parasité » par la
désinformation générale, les ultras locaux n'auront pas de
mal à instrumentaliser la journée du 8 juin 1817 dans le
Rhône, durant laquelle, nous y venons, se mobiliseront bien plus de
ressources humaines tant du côté des conspirateurs et des
insurgés que du côté des forces de la répression.
Reprenons une partie du récit des
événements par monsieur le procureur du Roi de la Cour
prévôtale du Rhône, récit par lequel j'ai
débuté précédemment cette première
présentation des faits.
Monsieur Reyre illustre le climat d'agitation dominant dans le
Rhône à cette époque, avant de fustiger le plan
avorté des conjurés : « Depuis ce temps
là c'est une agitation marquée, une sorte d'inquiétude
vague qui a sans cesse régné autour de nous, et que la
cherté des subsistances donnait le moyen d'exciter, d'entretenir.
C'étaient des bruits populaires, des annonces plus ou moins alarmantes
qu'on faisait circuler chaque jour, et dans la ville de Lyon et dans les
campagnes qui l'entourent. (...) lorsque dimanche dernier, 8 juin, a
éclaté subitement le grand attentat qui avait été
si horriblement projeté. Ce jour-là, entre quatre et cinq heures
de l'après-midi, l'insurrection des campagnes commença tout
à coup et presque au même instant, sur deux points très
éloignés l'un de l'autre : d'un coté, dans la commune
de Charnay, et de l'autre, dans celle de Saint-Genis Laval. (...) Partout, et
en chaque lieu où on s'insurgeait, le tocsin fut sonné. Des chefs
plus ou moins audacieux prirent en chaque endroit le commandement des
séditieux, cherchant, soit par des menaces, soit par de fallacieuses
illusions, à égarer, à entraîner la multitude. (...)
il leur fut aisé de se faire suivre par tout ce qu'il y avait autour
d'eux, d'hommes pervers, dissolus, que la pauvreté ou leur corruption
rendaient avides de pillage. Ceux-là, pour la plupart, avaient
été avertis ; on les avait secrètement
enrôlés : ils se tenaient prêts à marcher au
premier signal. On avait distribué au plus grand nombre d'entre eux des
armes, des munitions ; et des fourches, des faulx tenaient lieu d'armes
à ceux qui n'avaient pu en recevoir. Par tout donc où l'explosion
éclata, on vit se former subitement des bandes d'hommes armés qui
ne dissimulaient pas leur véritable dessein. C'était le
Gouvernement qu'ils déclaraient vouloir renverser. Presque tous
portaient des cocardes tricolores. Dans certaines communes, leur premier acte
de révolte fut d'abattre, d'arracher les armes de France qui se
trouvaient placées au dessus du portail de la Mairie. Vive l'Empereur,
vive Marie-Louise, vive Napoléon II, c'étaient là les cris
que poussaient toutes ces bandes sacrilèges ; cris qui
n'étaient réellement de leur part que des cris d'anarchie, de
pillage et de dévastation ; et eux-mêmes ne
déguisaient pas du tout le vrai sens qu'ils y attachaient : car,
à Saint-Andéol en particulier, on les entendit qui avaient
l'audace d'ajouter à leur cris : Les Bourbons ont
régné leur temps, Buonaparte le sien ; c'est aujourd'hui
notre tour. Leur tour, c'était, si on leur laissait le temps, de
s'abandonner à tous les crimes auxquels une populace
déchaînée peut être poussée par l'esprit de
révolte. On les vit, à Charnay, arracher leur pasteur du lieu
saint, et le traîner à leur suite en le terrifiant par leurs
menaces et leurs imprécations. On vit de même le curé
d'Irigny, saisi par les insurgés de sa commune, et traduit au milieux
d'eux sur la place de Saint-Genis, où quelques misérables
poussèrent l'indignité, la fureur, jusqu'à lui mettre le
pistolet sur la gorge. A Chessy, le curé vit aussi sa vie
menacée, et échappa au péril par une prompte fuite ;
mais toute sa maison fut saccagée, dévastée, et une autre
maison du voisinage fut pillée comme la sienne. Partout,
l'autorité des maires était méconnue, et plusieurs furent,
comme les curés, insultés, brutalement traités,
emmenés même en otage. En un mot, les révoltés
portaient partout l'épouvante sur leur passage. (...) Du reste, il est
constant que les révoltés de la campagne, au moment où ils
s'insurgèrent, et dans tous les lieux où leurs bandes se
formèrent, annonçaient très hautement leur dessein de
marcher sur Lyon, où ils avaient, disaient-ils, une armée de
complices prêts à les joindre, et des généraux
prêts à les commander. Il est trop vrai en effet que les trames
ourdies pour l'exécution de l'horrible complot, s'étendaient dans
la ville comme dans les campagnes ; et que c'était à la
même heure, au milieu de l'après-midi, pendant les
cérémonies religieuses de la fête du jour, qu'il devait
éclater simultanément, au milieu de nous. Tel était
l'aveuglement, la confiance des conjurés subalternes, que, pendant toute
la matinée, ils laissèrent percer leur joie féroce, et
qu'ils s'entretenaient presque ouvertement dans les rues, dans les places
publiques, de l'affreux événement auquel ils s'attendaient. De
là l'espèce d'agitation générale, extraordinaire,
qui ce jour là régna dans toute la cité ; et on ne
peut songer qu'en frémissant, aux scènes de carnage, de
désolation, dont les monstres avaient projeté d'en faire le
théâtre. Mais les Autorités veillaient : elles avaient
été averties, le danger était connu ; les mesures
étaient prises. Lyon avait dans son sein un général
(M. Canuel) dont chacun connaît l'énergie et les talents
militaires ; un préfet (M. le comte de Chabrol), un maire
(M. le comte de Fargues) dont la vigilance est aussi
éclairée qu'infatigable ; une garde nationale animée
du plus généreux dévouement ; une garnison, une
gendarmerie aussi braves que fidèles. Lyon en particulier
n'éprouva donc aucune commotion, aucune secousse. Le complot, l'attentat
ne purent pas y éclore ; les conspirateurs s'y trouvèrent
paralysés, enchaînés. Lyon, mis en sûreté
au-dedans comme au dehors, put même envoyer de prompts secours sur les
divers points où les bandes de la campagne s'étaient
répandues. Cependant, l'extrême audace de certains conjurés
que Lyon recelait était telle, qu'au commencement de la nuit il y eut de
leur part des excès, des violences, et même un crime particulier
qu'on n'avait pu aucunement prévoir. On eut, vous le savez, on eut
à déplorer la mort d'un des officiers de la légion de
l'Yonne, qui lâchement assassiné dans la rue Mercière,
expira peu d'instants après le coup (un coup de feu) qu'on venait de lui
porter ; officier : M. le capitaine Ledoux, que ses moeurs
douces, ses qualités militaires rendaient cher à tous ses
frères d'armes ; qui a laissé une veuve inconsolable :
et ce fut un cri d'amour pour son Roi qui sortit de sa bouche lorsqu'il rendit
son dernier soupir. Ses meurtriers ne purent être saisis. On ne put
qu'arrêter beaucoup d'individus soupçonnés d'avoir agi
antécédemment pour y participer. On se hâta de faire, soit
sur eux, soit dans leurs domiciles, d'exactes perquisitions. On trouva en
effet, chez le plus grand nombre d'entre eux, des armes, des balles, des
cartouches ; objets dont très évidemment ils n'avaient pu se
pourvoir dans une telle circonstance qu'avec des intentions coupables ; et
ce sont là autant de preuves matérielles qui manifestent comment
le complot existait dans la ville, où les moyens manquèrent pour
l'exécuter, aussi bien que dans les communes rurales, où on le
mit ouvertement à exécution. (...) Voilà le tableau trop
fidèle des principales circonstances qui caractérisent ce grand
attentat dont la connaissance vous est attribuée. (...) Le trône
de nos Rois relevé, raffermi sur ses antiques fondements, n'a et n'aura
jamais pour véritables ennemis que les artisans du crime, du brigandage,
les ennemis de tout principe, de toute vertu et de toute sociabilité. Ce
sont eux, oui eux seuls, qui ont été auteurs ou complices du
grand attentat qui vient d'être commis, et c'est la société
entière qui demande vengeance, justice. Les temps de la clémence
sont passés : il n'y a plus aujourd'hui que la loi à suivre,
à appliquer dans toute sa rigueur. C'est la seconde ville du royaume,
c'est toute la population d'un département qui ont été en
péril : bien plus, c'était contre l'Etat, c'était
pour renverser l'autorité du Roi, pour changer ou détruire le
Gouvernement légitime, que des conjurés avaient pris les armes.
Il faut qu'en pareil cas la loi atteigne les coupables avec la rapidité
de la foudre. Voilà, Messieurs, voilà le but de votre redoutable
institution. Mais nous avons la douleur de le dire, les prévenus sont en
grand nombre ; chaque jour, à chaque instant, les autorités
locales en désignent de nouveaux, les livrent à la justice ;
et il faut du temps pour discerner l'innocent du coupable, pour mesurer
à l'égard de chacun le degré de
culpabilité... »29(*). Que ressort-il de ce tableau de la justice royale
cinq jours après les premières arrestations relatives à
cette insurrection dans le Rhône ?
Tout d'abord, nous pouvons souligner l'obsession des
autorités à stigmatiser ce soulèvement dans les termes
d'une conspiration, une conspiration longuement organisée
antérieurement, et dont les buts auraient été des plus
condamnables puisqu'il s'agissait pas moins : « d'exciter les
Français à s'armer contre l'autorité de leur Roi, pour
porter la dévastation, le meurtre et le pillage dans tous les lieux
où l'insurrection se serait manifestée. ». Nous
observons là les premiers éléments typiques du discours
des ultras sur ce genre d'affaires : l'exagération et la
caricature. Nous verrons dans le développement comment ces
éléments participent de la stratégie des royalistes de
manipulation de l'opinion au sein d'un climat parasité par les rumeurs.
L'usage politique de la rumeur par les ultras, allié à leurs
manipulations policières, sera leur réponse à l'usage
politique du secret des conjurés. Nous le verrons notamment au moment de
la répression judiciaire de cette affaire, en observant l'usage
diabolisant du mythe de la conspiration, visant à légitimer sa
condamnation la plus ferme.
A cette assimilation de l'événement à un
complot, s'ajoute immédiatement le mépris des autorités en
réduisant les dits « conjurés » aux
éléments les plus « bas » de la population,
voire à des déclassés : « Tous
n'appartenaient qu'aux dernières classes de la
société... ». Nous verrons que la réalité
fut plus complexe et que notamment la composante bonapartiste prononcée
de l'entreprise impliqua indirectement des anciens militaires de l'Empire.
De même, le discours des autorités insiste le
caractère « rural » de l'événement.
Seul Lyon, ville où devait converger l'insurrection, sortit
réellement indemne. Ce qui ne surprend guère au regard de la
surveillance policière établie depuis longtemps au sein de la
seconde ville du royaume... En effet, c'est en fin d'après midi du
dimanche 8 juin 1817 que le mouvement éclata dans les campagnes
entourant Lyon pour se propager vers la ville. Les autorités notent
à juste titre la rapidité des déplacements et
l'organisation relative de ceux-ci. Les « violences »
éclatent toutes à peu près au même moment, ce qui
confirme les ultras dans leur idée d'une entreprise concertée.
Notons déjà à ce sujet les caractères politiques de
celle-ci. Il se mélange de manière paradoxale pour le
néophyte en matière de complots sous la Restauration, les
attributs bonapartistes d'une part, et républicains ou
révolutionnaires plus précisément, d'autre part. Ceci
explique que je qualifierai le long de cette étude cet
événement, de conspiration bonaparto-républicaine.
Conspiration provoquée, nous verrons comment et pourquoi, mais nous
verrons aussi pourquoi le caractère de la provocation par l'infiltration
policière n'enlève rien aux intentions secrètes
réelles des conspirateurs, qui de plus ont usé du rituel de
l'action politique clandestine, légitimant par là même au
regard de l'historien le qualificatif de conspiration. Les manifestations
révolutionnaires de cet journée du 8 juin sont : le tocsin,
qui sonna dans chaque commune pour marquer le soulèvement, la
Marseillaise chantée par les insurgés, les cocardes et autres
drapeaux bleu blanc rouge accrochées aux mairies royalistes, les coups
de feu et autres symboles rappelant le 14 juillet 1789... Mais surtout
prédomine le caractère bonapartiste de l'entreprise. Les
séditieux crient Vive l'Empereur, Vive Marie-Louise, Vive
Napoléon II (l'Aiglon, le fils de Napoléon Bonaparte), les
insurgés sont armés de tout ce qu'ils ont pu
récolté, des armes à feu conservées par les anciens
militaires après les déroutes de l'Empereur, jusqu' aux fourches
et autres outils agricoles. On ne peut que souligner déjà le
caractère « laïc », voire ouvertement
anti-clérical du soulèvement, soulignant encore sa force
républicaine. A plusieurs reprises, les curés sont pris à
partie. On va jusqu'à leur mettre le pistolet sous la gorge et les
sommer de crier la gloire de l'Aiglon...Il en va de même pour les maires
ultras, qui eux ont prêté serment de fidélité au
roi... Le choix du jour de l'insurrection, un dimanche, n'est donc
peut-être pas anodin. Illustrons le caractère
révolutionnaire, anti-cléricale de cette journée. Encore
au lendemain de celle-ci, les autorités craignent un reflux de
violences. En témoigne cette lettre du Ministère de la Police
générale au préfet du Rhône (le comte de Chabrol),
lettre du 9 juin 1817 :
« M. de Sainneville (le lieutenant de
police en charge de l'affaire dans le Rhône) part sur le champ pour
Lyon, faites diriger des troupes, et particulièrement de la cavalerie
sur tous les points qui sont menacés. Il faut « repousser la
force par la force », il faut faire des exemples et déployer
la plus grande rigueur. Il serait prudent de s'assurer des clochers et
d'ôter même les battants des cloches dans toutes les paroisses qui
sont menacées, mais cet ordre doit être donné avec
discrétion... »30(*).
Les maires sont pris d'affolement, car ils sont les
premières cibles des insurgés. Citons pour exemple le maire de
St-Andéol, M. Bourliez, demandant secours au préfet du
Rhône le 9 juin 1817 :
« Mr ma commune est en pleine Révolte.
J'ai voulu m'opposer, je n'ai pu, ils sont armés, sonnent le tocsin. Je
vous prie de m'envoyer main forte, je ne quitte pas ma porte. J'attends vos
instructions et vous salue le coeur. Ils sont tous affublés d'une
Cocarde tricolore. »31(*).
Et malgré les mots d'apaisement du préfet,
considérant le soulèvement éteint, les violences se
poursuivent et terrifient les maires. Toujours le maire de St-Andéol au
préfet du Rhône, le 10 juin 1817 :
« J'ai reçu votre lettre du 9
réponse à la mienne de même date, je m'attendais à
recevoir du secours pour faire arriver et punir les coupables, il est quatre
heures du matin et personne n'a encore passé. Vous comptez sur mon
zèle. Certes on ne me blâmera pas de l'avoir
déployé, mais seul j'ai été contraint de
céder à quatre baïonnettes qui m'ont été
appliquées sur la poitrine. Reconduit dans mon domicile où j'ai
été gardé à vue. Le tocsin a sonné pendant
deux heures environ (...) environ soixante hommes armés, deux tambours
à leurs têtes sont partis de la commune pour rejoindre d'autres
rassemblements... Un détachement de la cavalerie est absolument
indispensable si vous voulez que je fasse arrêter les coupables qui me
sont parfaitement connus. »32(*).
Voilà pour quelques illustrations des violences du 8
juin dans les communes des environs de Lyon. Nous aurons l'occasion d'en
présenter d'autres dans la seconde partie de ce travail, partie
consacrée entièrement à la question de la
« réalité » cette conspiration. Pour l'heure,
il faut noter que le fait le plus
« médiatisé » de cette journée du 8
juin concerne la ville de Lyon, où nous l'avons vu, les violences furent
moindres. Il s'agit même d'une « affaire dans
l'affaire », tant les ultras stigmatiseront ce crime d'un jeune
officier de la légion de l'Yonne, abattu d'une balle rue Mercière
à Lyon. Cet officier, le capitaine Ledoux, deviendra pour les ultras
locaux le symbole à exhiber de cette journée de
violences33(*).
Les autorités, nous avons pu le voir au travers par
exemple du récit du procureur du Roi, retiennent le caractère
prémédité de l'entreprise et donc la rangent du
côté des conspirations contre le royaume. Notre tâche sera
donc d'examiner ce caractère, et ce notamment en s'interrogeant sur le
rôle de la police dans le déclenchement du dit complot. Cet examen
devra s'accompagner de l'analyse des facteurs structurels de
l'événement, à savoir le climat politique de plus en plus
délétère de luttes exacerbées entre
modérés et ultras, avec à l'approche : des
élections, et le contexte social, économique et culturel de la
région Rhône-Alpes en ces années 1810-1820, avec comme nous
l'avons déjà évoqué une grave crise alimentaire
rendant le prix du pain trop élevé en 1817, mais aussi d'autres
blocages sur le plan de la continuité brisée de la scolarisation
dans la région, au sein d'une France qui pourtant sous la Restauration
continue de témoigner d'un réel bouillonnement intellectuel,
prolongeant les Lumières avec les écoles philosophiques de
l'éclectisme d'un Victor Cousin, du sensualisme ou encore de
l'utilitarisme d'un Jérémie Bentham, déjà lu en
France pour les sciences économiques.
Observons une remarque importante quant à la question
de la dénomination de ces événements du 8 juin 1817. Nous
n'aurons de cesse de travailler la question de la
« réalité » de ceux-ci sous le terme
générique de conspiration, dans le sens d'une entreprise
politique secrète, organisée, donc avec un plan et un but
politique précis, opérant selon un mode secret autonome, et dont
les membres obéissent à des rites de passage et
d'élimination si il y a lieu...
Cependant, il est clair que la seule qualification de cette
insurrection sous le terme de conspiration, qualification des ultras
amplifiée de plus par leur propagande anti-libérale, avec
notamment la diabolisation par la presse et les affiches de
l'événement réduit à tort à la lutte des
libéraux, lui donne une première existence, certes
représentative mais effective. La représentation politique de
l'événement en termes de complot, conjuration ou conspiration lui
offre une existence, peut-être que symbolique mais à valeur de
statut, au sein de l'histoire des actions politiques clandestines. De plus, la
persistance de la qualification de ces événements du 8 juin dans
l'histoire locale ou nationale lui assure la pérennité de ce
statut de conspiration, même si peut-être pour certains
observateurs, la réalité du caractère secret de
l'entreprise doit nous inciter à douter du choix de ce vocable. Nous
verrons les différentes thèses, toutes valables. Restons pour le
moment sur l'acception du statut de conspiration de l'événement
permise par la représentation pugnace de celui-ci en ce terme, aussi
bien sous la Restauration que durant son historiographie postérieure,
lui conférant bien une existence indubitable.
Sans trop dévoiler le développement à
venir sur la conspiration même du 8 juin, nous pouvons esquisser les
objectifs politiques et les méthodes des conspirateurs. Sébastien
Charléty rapporte une lettre du maire de Lyon au préfet du
Rhône, présentant le plan d'attaque des conjurés :
« Les campagnes devaient faire leur mouvement
une heure avant la ville sur laquelle elles se seraient ensuite portées.
Les conjurés de l'intérieur étaient partagés en six
brigades :
La première était chargée de
s'emparer de l'Arsenal et de faire conduire aussitôt des pièces
d'artillerie, soit au faubourg de Serin, soit à Pierre-Scize, pour
bloquer les Suisses dans leur caserne. La seconde, de tenir la ligne du pont de
l'Archevêché à celui de la Guillotière. La
troisième, de maîtriser la troupe casernée à la
Nouvelle-Douane. La quatrième, de contenir les Suisses dans leur
caserne, de tenir la ligne depuis la poudrière jusqu'au pont de Serin et
d'occuper la tête de ce pont du côté de Vaise. La
cinquième, de l'attaquer par la barrière de Serin. La
sixième, de se porter sur l'Hôtel de Ville et la caserne de
gendarmerie. »34(*).
On observe donc déjà une certaine organisation
visant par la simultanéité des brigades à créer un
effet de surprise. Selon les sources policières, mais peut-on les
croire ?, les conjurés disposaient de ressources énormes en
armes et en munitions. Pour ce qui est de l'effectif de l'entreprise, rappelons
la fourchette de 500 à 1000 hommes pour l'ensemble des
événements du 8 juin. Nous nous basons là sur
l'étude sérieuse de Georges Ribe, qui précise :
« Le désarmement et l'arrestation des suspects semblent
s'être faits quelque peu à la légère. Rien que pour
Lyon, 248 individus furent enfermés dans les caves de l'Hôtel de
Ville sans autre motif que de très vagues présomptions. Pour les
campagnes, des colonnes mobiles les parcoururent et ramenèrent 300
personnes. Les insurgés s'étant hâtés de
disparaître, il ne s'agissait là, le plus souvent, que de leurs
parents ou de leurs comparses. »35(*).
Pour ce qui est de la ville de Lyon, nous l'avons vu,
l'événement le plus marquant pour les ultras, fut l'assassinat du
capitaine Ledoux, le jeune officier de la Légion de l'Yonne.
C'est dans les campagnes que l'agitation fut la plus vive. Le
tocsin sonna dans onze communes : six au nord-ouest de Lyon, Charnay,
Chazay, Anse, Ambérieux, Chessy et Châtillon ; cinq au
sud-ouest : Saint-Genis-Laval, Irigny, Millery, Brignais et
Saint-Andéol.
Ces deux groupes étaient séparés par une
distance de vingt à vingt cinq kilomètres. Pour ce qui
était des revendications des insurgés, nous les avons
déjà bien présentées, il s'agissait d'obtenir le
pain à trois sous la livre, et de mettre au pouvoir l'Aiglon. Pour
certains qui portaient la cocarde tricolore, cela devait aller de paire avec la
République. On retiendra surtout pour le moment, la direction des
violences vers les maires ultras et les curés.
Il nous faudra tout au long de ce travail insister sur le
caractère régional de cette insurrection, en illustrant le foyer
de violences libératrices que constituait la ville de Lyon en ces
années. Pour comprendre en effet pourquoi c'est dans cette ville et
d'une manière générale au sein de la région
Rhône-Alpes, que naquirent nombre de conspirations contre le royaume
restauré, il nous faut déjà aborder la question de la
formation l'identité politique de cette ville depuis la
Révolution. L'enjeu sera de comprendre la spécificité de
l'histoire lyonnaise, clef de la compréhension des formes prises par
cette insurrection. Comme le précise l'historien Roger Chartier, la
méthode sera de : « restituer à
l'événement sa radicale et irréductible
singularité, et, de l'autre, identifier les continuités
occultées et paradoxales, qui l'ont rendu pensable »36(*).
Premier cadrage historique des évolutions
politiques de la ville de Lyon de la Révolution à ce complot de
1817
La ville de Lyon est l'espace de notre étude. Il est
donc primordial de revenir sur la formation de son identité politique en
essayant de comprendre le poids joué par les différentes vagues
de violences qui jalonnent son histoire. En effet, Lyon, ville romaine par
excellence, va constamment oeuvrer pour s'émanciper du carcan de la
centralité de l'Etat à partir de la Révolution
française. Comme le note Bruno Benoit : « A partir
de la Révolution, les violences en étant libératrices,
émancipatrices, révolutionnaires deviennent véritablement
collectives. »37(*). Notre étude de cas prend donc son sens dans
une analyse du contexte post-révolutionnaire. Néanmoins pour le
lecteur soucieux d'acquérir une vue d'ensemble de l'histoire des
mentalités lyonnaises, nous lui conseillerons le petit ouvrage de
l'historien Jean-Pierre Gutton, Histoire de Lyon et du Lyonnais38(*).
Pour la période que nous retenons, de la
Révolution aux années 1814-1817, la ville de Lyon va
connaître cinq temps de violences collectives que l'on peut
répertorier, selon la classification de Bruno Benoit39(*), de la manière
suivante :
1. 1786 : la révolte des « deux
sous » : une révolte ouvrière, des violences
annonciatrices.
2. 1789/1790 : les violences révolutionnaires, des
violences libératrices.
3. 1793 : les violences en réaction à la
Terreur jacobine, des violences émancipatrices.
4. 1795-1798 : les violences de la Terreur blanche
(royaliste), des violences réactionnaires.
5. 1814-1817 : les violences liées au retour des
Bourbons, des violences émancipatrices issues de deux traditions
locales : bonapartiste et
« libérale-révolutionnaire », se rejoignant
dans une lutte commune contre ces deux Restaurations. Violences auxquelles
répondent les royalistes par de sévères vagues de
répression.
Passons brièvement en revue ces différents
épisodes de violences collectives à Lyon.
Retenons déjà qu'à chaque fois, ces
violences collectives donnent lieu à une violence répressive,
variant selon la légitimité ou la dangerosité que le
pouvoir accorde ou n'accorde pas à ces violences.
1786 reste dans la mémoire lyonnaise le premier
épisode de violences sociales de l'histoire contemporaine de la ville.
Un lundi 7 août 1786, sur fond d'agitation sociale, une sédition
des ouvriers de la soie se déclenche, aux cris de « Il n'y
aura pas de navette sans les deux sols », pour réclamer
une augmentation du prix de façon de deux sous par aune pour les unis,
c'est-à-dire l'application du tarif promis depuis deux mois et qui avait
déjà donné lieu à des heurts en 1744. Très
vite, le mouvement entraîne dans son sillage le ralliement des chapeliers
qui réclament une augmentation du prix de la journée de travail.
Notons au passage que l'on retrouvera nombre de chapeliers au sein de la
conspiration du 8 juin 1817. A l'origine, la protestation se veut pacifique
mais très vite les violences naissent avec des jets de pierre au niveau
de la place des Terreaux, occasionnant, au cours d'affrontements avec la
maréchaussée, un mort et huit blessés40(*). Nous nous situons encore sous
l'Ancien Régime et la Cour reste insensible aux revendications sociales
des canuts et des chapeliers, jugés source de trouble à l'ordre
public... Malgré l'intervention des chanoines-comtes41(*) de Lyon en tant que
médiateurs entre les « séditieux » et les
autorités, le travail ne reprend pas et poussent donc ces
dernières à dissoudre le mouvement. Cela se traduit par la
pendaison de trois ouvriers, dont Pierre Sauvage, un des meneurs du groupe des
chapeliers, et d'un ouvrier piémontais, place des Terreaux le 12
août 1786. Cette révolte, qui appartient à l'histoire de la
Fabrique lyonnaise, illustre parfaitement la rupture entre les autorités
et la population. Elle est un parfait exemple des violences collectives
à venir, et comme le note Bruno Benoit : « Ces luttes
violentes de 1786 sont plus des combats de demain que
d'hier. »42(*).
Les violences libératrices de 1789/1790 sont le fait
de l'agitation politique révolutionnaire mais sont aussi liées,
comme ce sera encore le cas en 1817, à la crise des subsistances et au
combat pour une juste fiscalité. En effet, un « état de
foule » gagne les Lyonnais lorsqu'ils apprennent à la fin du
mois de juin 1789, les premiers bouleversements politiques dans la capitale
liés à la Révolution. Dés le 30 juin, de nombreux
Lyonnais envahissent les rues et crient : « Vive le
Tiers-Etat ; point de gabelles, point d'aides, point de capitulation,
point de droits d'entrée, tous libres ! »43(*). Des heurts éclatent,
des manifestants molestent des agents des octrois et saccagent leurs bureaux,
situés aux entrées de la ville. Leur but est d'empêcher la
taxation des produits entrants dans la ville, taxes ou octrois qui
renchérissent les denrées de première
nécessité mais aussi le vin, au détriment du peuple. Ces
violences contraignent le Consulat à faire intervenir l'armée. Le
5 juillet 1789, l'ordre sera rétabli avec la reprise des octrois.
Quelques émeutiers, rapporte Bruno Benoit, seront condamnés
à la potence, aux galères ou au bannissement44(*).
Mais le calme ne durera qu'une année45(*). Début juillet 1790, la
situation économique et sociale ne s'améliorant pas dans la
région, les révoltes anti-octrois redémarrent. Le 8
juillet en fin de journée, pas moins de 20 000 personnes
envahissent la place des Terreaux. Quelques individus parviennent même
à pénétrer dans l'Hôtel de Ville pour
scander : « Point d'octrois, point de barrières,
à bas les gapians, nous ne voulons plus payer, à bas les
barrières où nous les brûlons... »46(*). Le mouvement de foule est
telle, que la Garde nationale intervient. Les autorités municipales
capitulent, les octrois sont supprimés le 10 juillet. Cependant, le roi
impose le rétablissement de ceux-ci à la fin du mois, le retour
d'affrontements encore plus violents devient inévitable. Le 26 juillet
1790, 2000 personnes partent de la place Bellecour marcher sur l'Hôtel de
Ville, molestent sur place le maire et quelques officiers municipaux.
Cette fois la Garde nationale sera secondée d'un
renfort du régiment suisse de Sonnenberg. Mais malgré, la
démonstration de force, les émeutiers tiendront le siège
au cri de « Vaincre ou mourir » jusqu'au 20 août
où le calme semble revenu. Naturellement, les octrois seront maintenus
mais qu'au prix de l'installation de troupes de lignes au coeur de Lyon !
C'est peu dire que ces 2000 insurgés lyonnais
symbolisent la résistance à l'Etat central par des violences
libératrices, politiques certainement mais avant tout motivées
par leur refus d'une misère économique et sociale croissante.
Comme le remarque avec justesse Bruno Benoit : « Il y a
dans les violences collectives anti-octrois un face à face social entre
ceux qui veulent plus de liberté et d'égalité et ceux qui
ne veulent pas que les choses changent. »47(*).
Elles sont les colères de la soif et de la faim de tous
ceux qui vivement difficilement au sein de la seconde ville de France, qui
compte alors 150 000 habitants. L'ampleur quasi-extraordinaire de ces
violences collectives de 1789/1790 caractérise désormais
irrémédiablement l'identité politique complexe des
Lyonnais, forte d'une grande capacité de résistance à la
répression, de toute nature soit-elle.
Vient ensuite la terrible année 1793,
spécialement pour la ville de Lyon qui va manifester son refus du
jacobinisme par des violences émancipatrices. En effet, suite à
la chute du roi à la mi-août 1792, s'exacerbent les tensions entre
patriotes locaux, avec d'un coté les camarades de Joseph Chalier, dits
les « Chalier », des montagnards exagérés
partisans d'un gouvernement populaire, et de l'autre les modérés
menés par Jean-Marie Roland et Louis Vitet, proches de la Gironde. Nous
allons bientôt présenter le personnage de Joseph Chalier,
présentation incontournable tant il aura marqué par
réaction à ses excès idéologiques, la
mémoire révolutionnaire lyonnaise. Notons déjà que
l'on observe, avec la chute du roi, renaître le conflit
« centre » contre
« périphérie », Paris contre Lyon, sous la
forme de l'affrontement doctrinal jacobins/montagnards contre
girondins/libéraux. Tout l'enjeu de cet affrontement réside dans
leur conception différenciée du recours à la violence.
Sans surprise, le camp des « durs », les
« Chalier » pour qui la Révolution et la
République exigent tous les sacrifices, fussent-ils souvent en
réalité de l'ordre du « défouloir »,
feront de la violence physique et verbale le moteur de leur cause. En effet,
les « Chalier » veulent imiter les formes prises par les
événements dans la capitale. Bruno Benoit rapporte les propos de
Dodieu, un « Chalier » président de la section de la
Juiverie le 27 août 1792 : « Imitons la cité de
Paris et souvenons-nous que si la vie d'un seul particulier peut sauver le
général et la patrie, nous avons le droit de
l'immoler. »48(*). Cette question du recours à la violence va
donc devenir la véritable « ligne de fracture »,
selon les termes de Bruno Benoit, entre les deux camps révolutionnaires
lyonnais, avec pour paroxysme l'année 1793.
Jouissant du climat de grandes tensions régnant
à Lyon suite aux violences extrêmes, que nous avons
déjà présentées, de l'été 1790, les
« Chalier » vont exciter la scène politique locale
de septembre 1792 à mai 1793. La République naît
officiellement le 25 septembre 1792, et dés lors les
« Chalier » feront tout pour monopoliser son contrôle
local, pour ce qui concerne le niveau de la ville de Lyon. Présentons la
figure de Joseph Chalier.
D'origine sarde, né en 1747, Joseph Chalier a
migré à Lyon pour y faire ses études puis s'y est
installé comme négociant en soieries49(*). Chalier voyage beaucoup en
Europe, puis finit par s'implanter à Lyon, en s'associant en affaires
avec le représentant d'une famille de marchands-fabricants,
Antoine-Marie Bertrand, futur « Chalier ». Elu comme
notable au printemps 1790 dans la première municipalité
lyonnaise, celle de Palerne de Savy, il devient officier municipal, en novembre
1790, aux côtés de Jean-Marie Roland dans l'équipe
Vitet50(*). Suspendu de
ses fonctions par le directoire du département de Rhône-et-Loire
en janvier 1792, à la suite de plaintes de citoyens pour visites
domiciliaires abusives, il se rend à Paris où la fièvre
clubiste s'empare de lui après avoir rencontré Marat, l'homme
qu'il admire et qu'il veut être à Lyon. Quand il rentre à
Lyon le 24 août 1792, blanchi de toute accusation par Roland, ministre de
l'Intérieur, il retrouve ses fonctions au sein de l'équipe
municipale conduite par Vitet, puis par Nivière-Chol, lorsque Vitet
devient député à la Convention. Il est encore plus
convaincu qu'en 1790, n'avait-il pas alors écrit que Lyon est
« une ville ingrate, une ville perfide qui renferme plus que tout
autre les ennemis jurés de la plus heureuse, comme de la plus
étonnante des révolutions »51(*), par l'idée que Lyon
est une ville réactionnaire, voire contre-révolutionnaire, un
repaire pour les ennemis de la Révolution. Pour Chalier, observe Bruno
Benoit, il faut nettoyer Lyon de tous ses aristocrates, de tous ses riches, de
tous ses « mangeurs d'hommes »52(*). Alliant la violence verbale
à la violence physique, Joseph Chalier et ses comparses vont s'atteler
à pousser à l'élimination de tous les ennemis lyonnais de
la Révolution. La population lyonnaise rejettera leurs méthodes
et mettra fin à leur radicale entreprise, en jugeant Joseph Chalier,
guillotiné à Lyon le 16 juillet 1793, au terme d'un long
procès. Revenons rapidement sur l'épisode Chalier pour comprendre
l'inclinaison des Lyonnais au rejet de l'oppression.
Les « Chalier » vont annoncer leurs
méthodes dés le procès du roi. Leur arme favorite,
remarque toujours Bruno Benoit, est la « parole
assassine », le « discours violent ». Bruno
Benoit rappelle, par exemple, la séance du Club central des
« Chalier », le 6 février 1793, où leur
leader préconise l'installation de guillotines sur le pont Morand afin
que les têtes tombent directement dans le Rhône. Le 9 mars 1793,
Antoine-Marie Bertrand, l'associé de Chalier, accède à la
mairie de Lyon, sous la pression de la Convention...parisienne. Les
« Chalier » ont alors les mains libres pour mettre en
oeuvre leur programme municipal :
-création d'un tribunal révolutionnaire
condamnant les aristocrates, royalistes, accapareurs, prêtres
réfractaires, rolandins...
- création d'une armée
révolutionnaire.
- taxation des riches.
Les « Chalier » s'appuient sur la
Société lyonnaise des Jacobins et sur le Comité lyonnais
de Salut public. Cependant la résistance au
« Chalierisme », cette dictature révolutionnaire
inspirée du jacobinisme parisien, ne va pas tarder à s'organiser.
Le 29 mai 1793, un soulèvement sectionnaire et majoritaire éclate
contre cette politique dangereuse pour l'existence même de la ville. En
effet, comme le remarque à juste titre Jean-Pierre Gutton :
« Ceux que l'on nomme les « Chalier »
appartiennent à des milieux modestes, mais rarement
populaires. »53(*). Cette réaction à la Terreur
révolutionnaire des « Chalier » intervient donc dans
une ville où, est-il besoin de le rappeler, les rapports marchands de
confiance dans le négoce structurent profondément les
hiérarchies sociales locales. Le commerce et son esprit ont
façonné l'identité tenace de la ville de Lyon, une
identité faite à la fois de libéralisme politique et
économique, et de tradition catholique. Cette identité,
bourgeoise aux yeux des « Chalier », fédère
les Lyonnais, et nous le voyons, durant tous les épisodes de
répression de ses éléments. Ainsi comme le note Bruno
Benoit : « Le 29 mai, quand Lyon dit non à Chalier, la
majorité de la population lyonnaise refuse son discours anti-riches,
amalgamant marchands-fabricants et chefs d'atelier, qui vise directement la
prospérité de la ville, même si celle-ci n'est, en 1793,
guère brillante. »54(*). En réalité, Joseph Chalier va
échouer dans sa politique de jacobinisation forcée,
précisément parce que le fonctionnement des rapports sociaux
à Lyon n'est le même que celui de Paris, et que tenter d'opposer
le monde de la Fabrique à celui du « Capital »
relève de la simplification idéologique, même pour les
travailleurs lyonnais...
Dés lors, les « Chalier », en
essayant de détruire ce traditionnel syncrétisme professionnel et
ce notamment dans les métiers de la soie, vont provoquer un
soulèvement armé le 29 mai 1793, dont les combats font plus de 40
morts, et conduisent à l'arrestation de Chalier et de la plupart de ses
amis. Se met alors en place à Lyon une municipalité provisoire,
républicaine mais libérale, ce qui coûtera la vie à
son maire, le chirurgien Jean-Jacques Coindre, exécuté en
novembre 1793. Revenons au mois de juin 1793. Comme l'indique Bruno Benoit, une
fois encore la ville de Lyon s'inscrit à contre courant des
événements parisiens du 2 juin qui voient les Montagnards et les
sans-culottes prendre le pouvoir aux dépens de la Gironde. Les Lyonnais
rejettent ce coup de force jacobino-montagnard et déclarent le 9
juin : « qu'ils regardent la ville de Paris comme étant en
état de révolte contre l'égalité politique, la
République une et indivisible et la souveraineté nationale, tant
qu'elle retiendra dans ses fers une partie des représentants du
peuple... »55(*). Le 8 juillet, les autorités provisoires
lyonnaises vont même jusqu'à solliciter l'aide d'un royaliste, le
colonel Précy, pour organiser et commander l'armée lyonnaise.
Paris voit dans cette résistance, un acte contre-révolutionnaire,
en confirmant l'opinion de ses ennemis la qualifiant de ville blanche. Les
représailles du pouvoir central ne tardent pas. La Convention
déclare le 12 juillet, la ville de Lyon comme étant en
état de rébellion contre-révolutionnaire. Cette
déclaration est de plus motivée par l'exécution à
Lyon de Joseph Chalier, le 16, au terme d'un procès de ses violences.
Paris, convaincue par l'idée que Lyon est redevenue un foyer royaliste,
organise son siège avec l'aide de l'armée des Alpes,
commandée par le général Kellermann. Lyon résiste
tout de même 60 jours. Mais le 12 octobre 1793, la ville est
officiellement « destituée » par le décret de
la Convention : « Lyon fit la guerre à la liberté,
Lyon n'est plus. »56(*).
Comme le note Bruno Benoit : « Ce
décret donne le coup d'envoi à une période de
répression d'une rare violence à l'égard de Lyon qui a
acquis, aux yeux du pouvoir central, une réputation de ville royaliste,
de ville contre-révolutionnaire, ce qui sera une des conséquences
longtemps indélébiles de son soulèvement et de sa
résistance. »57(*). Les acteurs principaux de cette répression
sont Couthon, Collot d'Herbois et surtout Fouché qui restera le symbole
de cette Terreur révolutionnaire à Lyon dans la mémoire de
ses habitants. Bruno Benoit, toujours, nous livre un aperçu de ses
violences inouïes : « Prés de 1900 personnes,
jugés sommairement, sont guillotinées place des Terreaux ou
mitraillées dans la plaine des Brotteaux entre octobre 1793 et avril
1794, soit 1,5% de la population de la ville. Toutes les catégories
sociales versent le tribut de sang à cette
régénération physique... »58(*).
Plus symbolique, les jacobino-chaliéristes s'en
prennent aux façades de la place Bellecour, rebaptisée place de
la Fédération, et privée depuis août 1792 de sa
statue équestre de Louis XIV. La ville n'est plus que le chef-lieu d'un
département « croupion », celui du Rhône, et
elle perd son nom pour celui de Ville-Affranchie, pour retrouver un maire
« Chalier » : monsieur Bertrand. De même, on
assiste à un déchaînement anti-clérical, fort
logique de la part des Jacobins qui vise là habilement une ville
plutôt dévote. Une fête de l'âne est organisée
le 8 novembre 1793, où un âne coiffé de la mitre
pontificale traîne les saintes écritures attachées à
sa queue...
On assiste bien à la mise en scène d'une
punition de l'Etat central, de Paris, sur Lyon, caricaturée sous les
traits de la réaction royaliste chrétienne contre la jeune
République jacobine et laïque. On comprend mieux, dés lors,
le rôle moteur joué par la peur dans le déclenchement de
ces vagues de répression. Comme le note l'historien Jean-Pierre
Gutton : « L'histoire de Lyon est une succession de
réactions, de gauche ou de droite, qui manifestent la peur que la ville
inspire aux différents gouvernements. Pour l'heure, il s'agit d'une
Terreur jacobine. »59(*). Pour Bruno Benoit, ces violences collectives des
années 1793-1794 sont une véritable guerre civile, d'abord
lyonno-lyonnaise puis entre la Convention et Lyon. Comme il le remarque
judicieusement : « Deux visions de la
République/Révolution s'affrontent, le centralisme contre le
pouvoir local, le pouvoir des sociétés populaires contre celui
des sections où dominent les citoyens responsables, la Terreur contre
la Liberté. »60(*).
En ces années marquées donc par les
excès révolutionnaires, Lyon fait figure de ville martyre car
elle concentre en elle trois camps aux motivations différentes :
- Les « exagérés » dont nous
avons vu qu'avec les partisans de Chalier, même minoritaires, en usant et
abusant de la violence, ils ont profondément meurtri les Lyonnais,
auxquels ils voulaient imposer la face la plus obscure de la
Révolution.
- Les « modérés », majoritaires
à Lyon, plus enclin au dialogue qu'à la force, ce sont les
véritables hommes de 1789, épris du principe de liberté et
de respect de la religion. Ils formeront les libéraux sous la
Restauration.
- Les royalistes, qui de façon discrète, ont pu
infiltré les « modérés » dans leur
résistance à la Terreur jacobine.
C'est ce dernier camp, qui exploitant les divisions
locales entre révolutionnaires lyonnais, va prendre le relais des
violences collectives. La ville de Lyon, à peine remise de la Terreur
rouge des « Chalier » et autres Montagnards et Jacobins, va
connaître à nouveau des violences réactionnaires de 1795
à 1798, celles royalistes de la Terreur blanche, véritable
réaction aux violences de la Terreur révolutionnaire.
Cette quatrième vague de violences au sein de la ville
de Lyon, selon notre fourchette retenue, est d'une grande importance car c'est
en partie « elle », ou plutôt son souvenir ambivalent
d'un potentiel extraordinaire d'affirmation par cette ville de son autonomie et
de sa liberté par les armes, qui va réveiller encore plus tard
l'esprit de résistance des Lyonnais sous la Restauration.
Avec la chute de Robespierre en août 1794 et le recul
des Montagnards et des Jacobins, victimes de leurs excès de violences,
la Convention renouvelée décide, le 7 octobre 1794, d'accepter
d'annuler le fameux décret du 12 octobre 1793, qui bannissait
littéralement la ville de Lyon et ses habitants. Très vite, le
désir de vengeances de certains Lyonnais à l'égard des
« Terroristes » chalieristes et de leurs méfaits,
prend le pas sur le retour au calme et à la modération politique,
et une Terreur blanche se développe durant le premier semestre de 1795.
En effet, suite à la Terreur rouge, nombreuses sont les familles de
Lyonnais à déplorer la perte d'un de leurs membres et la haine
pour les « mathevons », terme local désignant les
jacobins et les terroristes sans-culottes, s'accompagne du désir de
vengeance.
Les royalistes, présents en nombre considérable
à Lyon, profitent de ce climat de règlement de comptes pour
amorcer leur projet de reconquête de la ville. Ils excitent les esprits
et organisent des chasses aux mathevons. Dés novembre 1794, des chants
contre-révolutionnaires emportent des bandes de royalistes et de
Lyonnais assoiffés de vengeance.
Les violences blanches éclatent en février 1795
à Lyon, ce qui est un peu plus tôt que dans le reste de la France,
cette dernière touchée dans son ensemble par un reflux royaliste.
Dans le Rhône, cette Terreur blanche est menée par les Compagnons
de Jésus, qui était, selon Jean-Pierre Gutton :
« une société secrète dont, à dire vrai,
on ignore tout. »61(*). Ses membres, de jeunes royalistes
obsédés par leur dévouement à Dieu et au Roi,
traquent les derniers « Chalier » et autre Montagnards et
Jacobins reclus au sein de la ville. Selon les recherches de Bruno Benoit, ils
égorgeaient massivement leurs victimes62(*).
Mais les violences les plus marquantes ne sont pas le fait
directement des Compagnons de Jésus. Elles interviennent en
réalité lors des procès d'anciens
« Chalier ». Ainsi, dans l'après midi du 14
février 1795, lors du transfert de Joseph Fernex, un ancien
« Chalier » membre de la Commission révolutionnaire
de Lyon, vers la prison dite de Joseph, des passants le reconnaissent,
parviennent à le soustraire de ses gardes et après l'avoir
tabassé, le jette dans le Rhône. Deux mois plus tard, en mai 1795,
des massacres éclatent dans les prisons. Ainsi, le 4 mai 1795, doit
comparaître devant le tribunal criminel, Etienne Bonnard, membre du
comité révolutionnaire de Vaise. Lorsqu'il regagne la prison de
Roanne, une foule immense, de 30 000 à 40 000
personnes63(*),
réclame sa tête ainsi que celles d'autres
« mathevons ». La foule envahit la prison et tue les
prisonniers. Le lendemain, elle s'attaquera à d'autres prisons. Une
partie du peuple lyonnais, excitée par les royalistes, a donc
décidé de se rendre justice elle-même, en ce qui concerne
les anciens bourreaux de la Terreur rouge.
Ainsi selon Bruno Benoit : « Le bilan des
massacres de Floréal (mai 1795) avoisine la centaine de morts et le
total des mathevons tués durant ce semestre de Terreur blanche tourne
autour de 400 personnes. »64(*). Comme l'observe Jean-Pierre Gutton :
« Ce qui pouvait apparaître le plus inquiétant dans la
réaction lyonnaise était en effet son aspect
anti-républicain. »65(*). Cependant, il faut garder en mémoire que ce
reflux royaliste suivi par certains Lyonnais intervient à peine deux
années après les massacres de la Terreur rouge, et que la
rancoeur des Lyonnais à l'égard de la Convention n'est dés
lors qu'un juste retour face l'oppression subie de la part de cette
dernière. De plus, ces violences collectives réactionnaires sont
facilitées par le travail d'enveniment de la situation par des
royalistes à Lyon, menés notamment par Imbert-Colomès, qui
ont depuis 1790 infiltré différents rouages
administrativo-politiques.
Assez tardivement, la Convention inquiète de la
tournure que prennent les événements en province et surtout
à Lyon, se décide à réagir. Le 24 juin 1795, pour
éteindre la Terreur blanche à Lyon, la Convention pousse à
la mise en place d'une nouvelle équipe municipale, et ce afin
d'éviter que ne s'installe encore durablement un climat de guerre
civile. En effet, c'est bien toujours le spectre de la guerre civile à
Lyon qui inquiète le pouvoir central. Comme le note à juste titre
Jean-Pierre Gutton : « Désormais, l'histoire de Lyon est
entièrement dépendante des décisions de Paris qui la
surveille d'ailleurs soigneusement. »66(*). En effet, en cette année 1795, la ville de
Lyon, affaiblie de plus par les difficultés économiques, est un
enjeu important pour les royalistes locaux comme Imbert-Colomès que l'on
retrouve à la tête de complots voués à
l'échec en novembre. Ce climat de tensions insufflé par le retour
des royalistes sur la scène politique local incite les Jacobins du
pouvoir central à redoubler la surveillance de la ville. Le
1er juillet 1796, le Directoire autorise le commandement militaire
de Lyon à proclamer l'état de siège de la ville si la
situation le réclame, ce qui arrivera le 2 février 1798.
Cependant malgré, et peut-être à cause, de cet encadrement
tout droit organisé par l'Etat central, les Lyonnais, lors
d'élections d'avril 1797 pour le Conseil des Cinq-Cents, élisent,
au suffrage censitaire, deux royalistes locaux : Imbert-Colomès et
Camille Jordan, ce dernier rejoindra les libéraux plus tard... Pour
Bruno Benoit, ce choix de ces deux royalistes : « prouve que les
élites lyonnaises refusent la violence, mais préfèrent le
royalisme à la République. »67(*).
Cette analyse est pertinente dans le sens où
effectivement, au travers de ces violences réactionnaires royalistes,
une partie des Lyonnais a manifesté son refus de la République
autoritaire et sanguinaire des « Chalier » et des Jacobins.
Mais peut-on pour autant en conclure que Lyon en ces années s'affirme
à nouveau comme une ville blanche ? La réalité semble
complexe. Depuis que la ville vit depuis juillet 1796 sous la menace d'un
état de siège par la main de Paris, les élites locales
manifestent à nouveau leur « distinction »,
pacifiquement par la voix des urnes, en réaction aux couleurs politiques
de la capitale jacobine, donc en se tournant à nouveau vers les
royalistes. Ces velléités provinciales inquièteront
toujours Paris qui finira par déclarer la ville de Lyon, en état
de siège le 2 février 1798.
Les violences diminuent dés cette date et les Lyonnais
réincarneront le salut de leur ville dans la personne de
Napoléon Bonaparte, qui de retour d'Egypte viendra inquiéter
Paris en faisant étape à Lyon, où il y manifestera une
ferveur particulière pour ses habitants, ces derniers lui rendront
amplement en lui assurant une certaine fidélité à venir...
En effet, en cette fin du XVIIIème siècle, les
Lyonnais, las de toutes ces violences, révolutionnaires ou royalistes,
voient dans Napoléon, le « Sauveur » face à
l'oppression centrale. Le 13 octobre 1799, Napoléon fait étape
à Lyon. Ses habitants illuminent et l'acclament quand il paraît au
théâtre où l'on joue une pièce improvisée
Le Héros de retour. C'est depuis cette étape que
s'enracine le Bonapartisme lyonnais qui nourrira les insurrections à
venir à l'encontre des ultras...
Essayons de faire un bilan de l'état des forces
politiques à Lyon suite à ces différentes vagues de
Terreur, rouge puis blanche. Bruno Benoit résume parfaitement le
tiraillement du peuple de Lyon entre trois forces politiques en cette fin
d'année 1799 : « A Lyon, les prétendants au
pouvoir sont au nombre de trois : les partisans d'une République
sociale, minorité qui cultive l'héritage des
« Chalier », les partisans d'un régime
modéré qui sont des libéraux qui se souviennent du 29 mai,
du fédéralisme et de l'esprit de résistance lyonnais, et
enfin les partisans de la monarchie, ceux qui veulent le règne du Roi et
de Dieu. Quant à la majorité de la population, elle suit les
élites modérées quand celles-ci lui montrent le chemin, ce
qui a été le cas en 1793. En revanche, quand ces élites ne
maîtrisent plus la situation, comme en 1795, la majorité de la
population peut-être tentée par les extrêmes. Les
ingrédients d'une guerre civile permanente sont bien réunis
à Lyon et les violences collectives ne peuvent qu'entraîner
à leur tour d'autres violences... »68(*).
Nous en arrivons à la cinquième vague de
violences collectives des Lyonnais amenant notre conspiration du 8 juin 1817.
Ces violences émancipatrices des années 1814-1817 se
manifesteront par la singulière rencontre du Bonapartisme avec la
tradition révolutionnaire. Cette fois l'ennemi est le royaume ou
plutôt l'inertie des royalistes face à la crise économique,
et leur despote en privant les citoyens redevenus sujets, de leurs
libertés publiques fondamentales.
Pour comprendre, ce retour à l'usage de la violence
des Lyonnais sous la Restauration de Louis XVIII, donc qui plus est contre la
monarchie alors que tous voyaient cette ville acquise à la cause du roi
suite à la Terreur blanche, il faut garder à l'esprit le
changement de paramètres induit par le retour de Napoléon et
l'Empire.
Le Directoire avait laissé la ville
démographiquement diminuée, matériellement
défigurée, socialement désorganisée,
économiquement exsangue et politiquement déchirée69(*).
Sous l'Empire, Lyon retrouve sa population ou presque,
Bellecour ses façades, ses élites traditionnelles, son dynamisme
textile et commerciale. Elle bénéficie d'un maire nommé
par le pouvoir central, Fay de Sathonay, ancien royaliste modéré
rallié pourtant à Napoléon. Comme le suggère Bruno
Benoit à propos de ces nouvelles années
pacifiées à Lyon: « Napoléon n'est-il pas
le meilleur garant, en attendant une éventuelle Restauration, de l'ordre
social, trop souvent perturbé sous la Révolution, de la
prospérité économique et de la réconciliation
religieuse ! »70(*). Et en effet, si l'on passe outre quelques complots
monarchistes à l'encontre de Napoléon71(*), tous déjoués,
l'Empire est une période de modernisation importante du pays et surtout
de son Etat. Mais à partir de l'année 1810 resurgissent les
difficultés économiques fragilisant ainsi le régime.
Le commerce recule et la misère refait son apparition
chez les canuts, ce qui laisse présager de nouveaux troubles politiques
locaux au regard du fonctionnement socio-politique de la ville,
déjà présenté précédemment. Ces
inquiétudes expliquent le fait que les Lyonnais n'offrent pas d'avantage
de résistance, ils ont déjà payé un lourd tribut,
à l'entrée des Autrichiens dans leur ville le 21 mars 1814.
Pourtant, on ne peut conclure à l'abandon de la ville aux Bourbons.
Certes la municipalité lyonnaise reconnaît le 8
avril 1814 cette première Restauration en la personne de Louis XVIII,
mais le peuple de Lyon ne semble pas suivre ses élites au regard de
l'accueil triomphal qu'il réserve à l'Empereur de retour de
l'île d'Elbe.
Le 13 mars 1815 est un symbole important dans l'histoire de
l'identité politique lyonnaise. Ses habitants accueillent en effet
l'Empereur, canuts en tête, aux cris de : « Vive
l'Empereur ! Mort aux royalistes ! A bas les
prêtres ! »72(*). On observe bien là un sursaut
jacobino-républicain de la population, prête à oublier les
violences subies hier par les « Chalier », pour mieux
combattre celles présentes des ultras. Comme le remarque Bruno
Benoit : « Les élites royalistes sont
déconsidérées à l'image du comte de Fargues, le
maire ultra de Lyon, et les élites bourgeoises ne savent plus à
quel régime se vouer, les exagérés imposent leurs vues
à la population et la peur s'empare alors de la
ville. »73(*).
En réalité, un climat de grande confusion politique et
idéologique règne à Lyon après la défaite
finale de Napoléon à Waterloo. L'ordre ancien semble être
revenu durablement en France alors qu'à Lyon se cultive l'idée de
ramener la République avec l'Empereur. Bruno Benoit résume
parfaitement la situation politique locale : « Malgré le
royalisme affiché par une partie de ses élites, Lyon est une
ville à surveiller, car depuis mars 1814, les descendants des
« Chalier » ayant épousé la cause
napoléonienne, seule manière de résister à l'ordre
ancien, s'est alors opérée à Lyon, aux yeux du pouvoir
central, la confusion entre bonapartisme et tradition
révolutionnaire. »74(*).
Nous en arrivons donc enfin aux années 1815-1817,
présentées précédemment, ces années
marquées par les rumeurs de complots divers, toujours à
l'encontre de Louis XVIII qui règne sans grand soutien populaire et
entouré d'ultras manipulant le sentiment de peur à leur seuls
profits personnels. Les ennemis officiels du « nouveau »
régime restauré une seconde fois en la personne de Louis XVIII
sont désormais les Bonapartistes ligués avec les Jacobins.
On ne compte plus les rumeurs de complots bonapartistes,
alimentant un climat de peur, marqué par les lettres anonymes et les
délations en tout genre. Ce climat trouve son paroxysme avec
l'échec des ultras à convaincre le roi de ne pas dissoudre la
Chambre. La Chambre dissoute le 5 septembre 1816, cela signifie
concrètement l'organisation prochaine d'élections,
élections que redoutent les ultras locaux au regard de la montée
en puissance des royalistes constitutionnels (des modérés) et
pire encore pour les ultras, de celle des libéraux.
En cette fin d'année 1816 et début de 1817,
l'enjeu des ultras lyonnais est donc d'effrayer à nouveau la population
en réveillant ses souvenirs des violences collectives subies et
longuement exposées précédemment. Le spectre de
« la guerre civile », mal qui a tant meurtri Lyon, est donc
l'arme des ultras au service de leur despote. Multiplier la propagande autour
de complots, parfois réels, souvent exagérés... Infiltrer
les groupes de dissidents...Provoquer parfois l'émeute puis diaboliser
les desseins des conspirateurs...Tels sont quelques éléments de
la stratégie ultra.
C'est donc dans ce climat fait, tout à la fois de
résistance réelle au régime restauré que
d'exploitation par les ultras d'entreprises secrètes naissantes, que va
éclater la grande affaire lyonnaise de la conspiration du 8 juin
1817.
Ces années 1814-1817 à Lyon sont, en
réalité, plus marquées par les peurs que par les violences
collectives ouvertes décrites précédemment. Ces peurs sont
peut-être même plus le syndrome des ultras locaux voyant dans la
montée en popularité des royalistes constitutionnels
incarnés par Camille Jordan, et entraînant avec lui les
élites libérales, un danger imminent à l'approche des
élections d'octobre 1818. En effet, cette maturité politique que
le peuple de Lyon va manifester à partir de 1817, en soutenant notamment
les insurgés de juin, fussent-ils même accusés d'avoir
comploté contre le royaume, puis en se tournant vers les voix
« modérés » lors des élections de
1818, résulte de l'assimilation mentale de ces différentes
périodes de « Terreur » subies depuis 1786.
Avant de présenter notre protocole d'étude de
l'affaire du 8 juin 1817, essayons brièvement de retenir les grands
traits de la mentalité politique lyonnaise, et ce afin d'orienter cette
recherche sur les formes de sa réception et de sa réaction
à la violence économique et politique du régime de Louis
XVIII. Bruno Benoit conclue son analyse de cette mentalité politique
lyonnaise par le qualificatif de « modérantiste ».
Nul n'ignore en effet comment la notion de « centre » sur
l'échiquier politique français a trouvé au XXème
siècle son expérimentation à Lyon, des
municipalités d' Edouard Herriot à celle de Raymond Barre.
Cependant ce processus de maturation politique amenant cette ville à une
certaine stabilité politique au XXème siècle s'est
réalisé, nous l'avons vu et il le fallait, au prix de cycles de
violences collectives particulièrement aigus. Cette stabilité est
certes l'oeuvre des élites libérales locales, mais ces
dernières ont réussi leur entreprise car elles seules ont compris
et respecté les spécificités du fonctionnement
socio-politique de cette ville. Ces élites se sont appuyées sur
l'événement fondateur de la mémoire politique
« modérantiste » lyonnaise : le martyrologe de
1793, suite au décret de la Convention qui excluait Lyon de la
République : « Lyon n'est plus ». Cet
épisode ancre en effet dans la mentalité politique lyonnaise son
exigence d'une identité politique consensuelle75(*), en refusant à partir
de 1905 les extrémismes politiques... Pour cerner les
réalités des événements du 8 juin 1817 et notamment
celle de la portée du complot au regard de la propagande des ultras, il
nous faudra garder à l'esprit le poids de ce martyrologe, et surtout la
complexité de sa transmission. En effet, si les Lyonnais ont
résisté aux « Chalier » et à leur
Terreur rouge, était ce vraiment le signe de la réaction
royaliste ou n'était ce pas plutôt à la fois un refus de
leur part de violences injustifiées déstabilisant les
équilibres socio-économiques fragiles de la ville, un refus d'une
conception centralisée de la République niant le
libéralisme politique de la Révolution, un refus peut-être
aussi de l'anti-cléricalisme jacobin, enfin en somme un refus de la
politique de division de la société lyonnaise, accompagnant
nécessairement ces vagues de Terreur et menant
irrémédiablement à des guerres civiles récurrentes.
Bruno Benoit confirme ce constat que nous devrons mémoriser comme clef
de l'histoire des violences à Lyon : « Depuis 1793, Lyon
a été secoué par la révolution, la réaction
et l'anarchie. Le rouge, le blanc et le noir sont donc les trois couleurs
symboliques du tableau des violences historiques lyonnaises, tableau que Lyon
voudrait effacer définitivement, car à chaque manifestation de
ces violences, sa mémoire politique étant là pour
l'enregistrer mais aussi pour le rappeler, la guerre civile, la mort et
l'appauvrissement soufflent entre Saône et
Rhône. »76(*).
Ainsi les excès de la Terreur blanche ne sont
pas le fait d'un ensemble représentatif du peuple lyonnais mais
plutôt d'une minorité excitée de royalistes locaux
saisissant l'opportunité d'une réaction d'un autre ensemble plus
important de victimes de la Terreur rouge précédente,
réglant ses comptes avec les derniers « Chalier » et
autre mathevons, pour user du terme local. Lyon est une ville
profondément libérale qui n'accepte en réalité pour
« chefs » que les garants de sa prospérité
économique. Dés lors, le rejet de Louis XVIII par les Lyonnais
s'inscrit pleinement dans ce cadre de leur défiance face à
l'inertie de son régime concernant la crise économique que
connaît la région dans ces années 1815-1817. Ils ont
apprécié la place accordée à leur ville par
l'Empire. Pour s'en convaincre, on retient l'accueil chaleureux qu'ils
manifestent pour Napoléon en mars 1815. La nostalgie bonapartiste va
alors se mêler à l'espoir d'un retour à la
République pour les libéraux et les révolutionnaires
lyonnais, Napoléon pouvant alors étrangement incarner ce
retour... Pour Bruno Benoit : « En 1815, le non aux Bourbons est
un refus de revenir à l'Ancien Régime, tandis que le oui à
l'Empereur est fait à l'homme qui a reconstruit la ville et non à
son régime. »77(*). L'historien prouve à nouveau la
réalité des attentes progressistes de ses habitants en rapportant
le constat d'un voyageur anglais de passage à Lyon en septembre
1815 : « Aucune population n'est plus sensible que les Lyonnais
aux grands avantages qu'a produits la Révolution et nulle ne fait plus
de voeux pour ne pas revenir à l'Ancien
Régime. »78(*).
Face à cet esprit de méfiance du peuple
lyonnais envers le pouvoir central, les royalistes en cette année 1817,
désastreuse sur le plan économique, surveillent d'autant plus
grandement la deuxième ville du royaume restauré. Nous avons vu
comment ils usèrent de la manipulation, notamment par le biais de la
rumeur, pour installer un climat de suspicion envers les bonapartistes et les
libéraux dés l'année 1816. Nous pouvons dés lors
nous lancer dans l'étude de cette affaire du 8 juin 1817 en
présentant ces différentes réalités, et surtout en
exposant les usages faits de la violence et de la justice.
Justifications théoriques de cette
étude
La première justification théorique de cette
étude que je tiens à exposer, est celle de la
méconnaissance ou de l'oubli de ces événements au niveau
de l'histoire nationale, intervenus pourtant à la
périphérie et au coeur de la deuxième ville de France.
Cette remarque a d'autant plus de sens si l'on observe que cette conspiration
lyonnaise de 1817 sera suivie d'autres entreprises de ce genre, dans la
région mais aussi à Paris, réactualisant ainsi le mode
secret d'organisation et de contestation politique en Europe. Les
périodes de Restaurations en Europe ne seront pas les seuls espaces
à connaître nouveau la pratique politique du complot, mais bien
l'ensemble du XIXème siècle sera concerné, où les
violences collectives spontanées seront souvent appuyées des
techniques du secret. Ce travail s'inscrit donc dans une démarche
contributive. Contribuer à la (re)découverte de la
singularité de ces événements, dans le cadre de l'histoire
locale de la ville, mais aussi dans le cadre des études des formes
variées de la lutte républicaine en France au XIXème
siècle. Cette contribution est le fait d'un Lyonnais d'origine, tenu par
le goût de comprendre l'histoire de la construction identitaire de sa
ville natale. Une ville qui, le lecteur l'aura déjà
réalisé, pâtit d'une réputation erronée
d'immobilisme politique. Modifier ce regard infondé faisait aussi parti
de mes intentions lorsque j'ai découvert par hasard l'existence de cette
affaire politique lyonnaise...
Sur le plan académique, l'enjeu de ce travail est donc
de contribuer à l'étude des usages et des formes de la violence
émancipatrice à partir d'un cas précis. Etude de cas donc,
dans le champ plus général des recherches sur la
thématique du secret en politique79(*) et de sa mise en oeuvre au sein d'entreprises
politiques, plus ou moins bien organisées selon les acteurs, que sont
les complots bonapartistes et/ou républicains sous la Restauration en
France.
Ces périodes de Restauration en Europe sont tout
autant marquées du poids de l'oppression des royalistes que du souffle
de résistance qu'incarne le jeune mouvement libéral, notamment
par son soutien ou sa participation directe aux actions clandestines des
Carbonari en Italie, suivies rapidement de celles de la Charbonnerie en France.
Au terme de cette étude, nous réaliserons comment le soutien des
parties les plus « modérées » de la
société française de 1817, royalistes constitutionnels et
élites libérales, aux accusés de cette
« conspiration-insurrection » fera de cette dernière
un élément repère dans l'histoire politique du mouvement
libéral lyonnais mais aussi dans l'histoire sociale de la ville, du fait
de la force du caractère économique des revendications des
insurgés. Cependant, du fait du caractère politique singulier de
l'entreprise, mêlant des individus se réclamant du bonapartisme,
des révolutionnaires souhaitant le retour à la République,
des éléments anti-cléricaux et de simples
« insurgés de la faim », nous ne pourrons conclure
à une appartenance directe aux oeuvres de la Charbonnerie
française, la grande milice secrète libérale. Venons-en
à l'objet et aux objectifs de ce travail.
Objet et objectifs de ce travail
L'objet cette étude est double, à la fois local
et national. En effet, les faits étudiés se déroulent
à Lyon et dans sa périphérie, mais l'ampleur que prend
l'affaire est réellement nationale. Dés lors, l'analyse de cet
événement qualifié de conspiration sera, d'une part une
porte ouverte sur l'exploration de la construction d'une partie de
l'identité politique complexe de la ville de Lyon, et d'autre part une
piste de réflexion sur les usages faits de la violence et de la justice
en 1817. Le fil conducteur de l'étude sera la question constante des
réalités de l'événement sous le vocable de
conspiration, conjuration ou complot. Des éléments de
définition de ces termes suivent... Ainsi, mais nous l'avons
déjà évoqué, cette question du caractère
clandestin et surtout prémédité de l'insurrection devra
être examinée au regard de la propagande des ultras, des formes de
leurs manipulations, comme notamment celle de la provocation policière
de l'événement par infiltration de l'entreprise. Dés lors,
nous exposerons les divergences des thèses des historiens au sujet de
l'affiliation de cette insurrection à une conspiration
préexistante. Retenons, comme je l'ai déjà
précisé antérieurement, que l'événement
existe dans tous les cas sous le registre de la conspiration ou du complot,
puisque il a été stigmatisé comme tel par les royalistes,
que des accusés ont révélé avoir été
« initiés » et surtout que l'histoire a donc retenu
ces faits sous ce vocable. On observe bien là une existence symbolique
indéniable de l'événement en tant que conspiration. Il
nous restera à essayer d'entrevoir au-delà de la mise en
scène politique de celui-ci, les réalités secrètes
du projet des insurgés. De même, le thème de ce
mémoire est tout autant le secret, l'action politique clandestine que le
recours à la violence des conjurés et des insurgés, comme
des forces de la répression : police et justice. Pour comprendre
les usages faits de ces violences, il faudra assimiler leurs
éléments déclencheurs, ou vectoriels, pour chacune des
parties. Pour les insurgés, la crise des subsistances et le climat
politique d'incertitudes liées à la Charte seront
déterminants. Et du coté des ultras, la montée des
« modérés » et surtout le discrédit
frappant l'inertie politique du gouvernement, les amèneront à
intensifier leurs investigations policières et à durcir
grandement « leur » justice en matière des actes
qu'ils assimilent à des conspirations, donc à des menaces
directes à l'intégrité du royaume. Cette insurrection
assimilée à une conspiration appartient au registre des violences
collectives émancipatrices de l'histoire de la ville de Lyon, dont nous
avons déjà exposé certaines précédemment.
L'étude de cet épisode appellera l'observation des plans des
conjurés, du déroulement du complot et de son échec. Mais
surtout, cette analyse supposera la description minutieuse du contexte
politique et surtout socio-économique de la ville de Lyon et de ses
campagnes dans ces années troubles que sont les années 1815-1820
en France. Nous insisterons beaucoup sur le facteur socio-économique
déclencheur d'un complot qui s'apparente beaucoup à une
insurrection populaire. En effet, nous devrons décrire le climat de
tension que génèrent tant la répression des
libertés publiques par le régime de Louis XVIII, notamment lors
de l'épisode dit de la « terreur légale » de
l'automne 1815, que la crise des subsistances qui sévit dans la
région en 1817. Ainsi, se posera rapidement la question de la nature
politique de l'entreprise. Les insurgés se mobilisèrent-ils par
simple nostalgie bonapartiste ? Ou réelle aspiration
républicaine ? Ou encore ne s'agissait-il pas en
réalité d'une conspiration
« imaginaire »80(*) ?... La
« réalité » est certainement complexe. C'est
pourquoi, nous parlerons des réalités possibles de ces
événements. La complexité humaine de nos
sociétés rend leur histoire complexe également, pour
reprendre un terme cher à l'historien, sociologue Edgar Morin81(*).
Conspiration : complot secret tramé contre la
chose ou les personnes publiques. Le nombre et la fréquence des
conspirations attestent le mauvais état de la société ou
la mauvaise conduite du gouvernement, ou l'un et l'autre ensemble.
(Guizot). On conspire partout, et beaucoup plus contre les mauvais
gouvernements que les bons. (Guizot). Tiré de Pierre
Larousse82(*), Grand
Dictionnaire Universel du XIXème siècle, tome IV,
« C », Paris, librairie classique Larousse et Boyer, 1869,
pages 1011 et 1012.
Conspiration, conjuration : union de plusieurs personnes
dans le dessein de nuire à quelqu'un ou à quelque chose.
Tiré de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, tome IX,
p.120.
Conspiration : n.f (v.1165) est emprunté au latin
classique conspiratio « accord » et surtout, en
mauvaise part, « complot ». D'abord employé en
parlant d'un complot politique, conspiration est également
employé (1673) à propos d'une cabale dirigée contre une
personne. Son autre sens de « concours de forces vers un même
but » (1561) est archaïque. Tiré de Alain Rey (dir.),
Dictionnaire historique de la langue française, tome 1
« A à E », 1381 pages, p.863.
En effet, une attention particulière devra aussi
être prêtée au contexte politique troublé au sein
duquel cette affaire intervient. Durant l'été 1815, la France
connaît à nouveau une violente vague de Terreur blanche
(royaliste), qui se transformera sous la main des députés ultras
en une Terreur légale au sein de la Chambre introuvable, d'octobre 1815
jusqu'à la dissolution de la Chambre le 5 septembre 1816. Nous pouvons
à présent énoncer la problématique de cette
étude. Elle peut se résumer à la question suivante :
Comment dans un contexte d'incertitudes sociales et politiques de
montée des revendications économiques due à une crise des
subsistances, peut s'organiser une « résistance »
à un régime d'oppression morale et policière ?
Il s'agira globalement de montrer comment la redécouverte de
l'action politique clandestine est un mode de résistance singulier,
peut-être même incontournable au sein de la société
française sous la Restauration. Nous verrons pour cela comment les
techniques du secret peuvent s'allier à une véritable culture de
la violence que dispose de manière ambiguë le peuple de Lyon,
tantôt victime de la violence, tantôt auteur de celle-ci, lorsqu'il
décide de réagir à la réaction politique du
pouvoir central.
Cette problématique s'articule donc autour du couple
Secret/Violence s'activant dans le contexte d'un régime verrouillant
« sa » société, et du couple Police/Justice,
« pilier », « gardien » de l'ordre des
ultras. Dés lors, ces deux couples, d'une part le couple
Secret/Violence, et d'autre part le couple Police/Justice, vont s'affronter.
L'enjeu de cette étude sera donc l'analyse des formes de cet
affrontement à partir du cas de cette conspiration dans le Rhône,
le 8 juin 1817. Cette analyse nourrira de plus notre réflexion sur les
usages faits de la violence par les deux « parties » :
les insurgés et les ultras, dans le contexte de l'affirmation du
réformisme politique, qu'incarnent les libéraux, les
constitutionnels et les indépendants. Nous retrouverons là
à nouveau la question traditionnelle des degrés de
légitimité de l'action politique révolutionnaire
clandestine face au légalisme des élites
« modérées », qu'elles soient monarchistes
constitutionnelles ou libérales. Cette question des formes
légitimes de « résistance » politique prendra
d'autant plus de sens dans une observation indispensable des mises en
scènes politiques des événements du 8 juin 1817.
Conspiration ou insurrection ? Nous ne pourrons vraiment
trancher, mais plutôt démontrer comment son récit
déformé par les manipulations de la propagande ultra viendra
légitimer la répression aigue de toutes les entreprises
politiques secrètes à venir... Cette stigmatisation/diabolisation
du complot politique s'appuie sur des techniques, elles aussi, obscures de
désinformation, comme celle de la propagation de rumeurs alimentant le
climat de peur, satisfaisant les intérêts des ultras. C'est le
triptyque déjà évoqué
Rumeurs-Manipulations-Conspirations. Sans pour autant céder trop
hâtivement à ce schéma, nous devrons donc nous interroger
sur l'existence initiale de cette conspiration et le rôle de l'entreprise
d'intimidation policière quant à son déclenchement. Si il
est clair, nous le verrons, que l'entreprise secrète était
déjà infiltrée, nous verrons dans quelle mesure la
conspiration fut provoquée. Ce schéma de complots anti-ultra
provoqués était d'ailleurs courant sous la Restauration. Ce qui
ne remet par autant en cause l'existence initiale du projet de
conspiration...
L'instrumentalisation de ces tentatives
« contrôlées » de mise en action d'un plan
secret, d'une stratégie de résistance, de réaction
à la réaction, se poursuivra naturellement pour le camp ultra par
une légitimation dés lors simplifiée, l'affaire aura
tellement été diabolisée avant même sa naissance, de
sa politique de répression : policière et judiciaire.
Venons-en à notre protocole d'étude,
c'est-à-dire à la progression de celle-ci. Ce mémoire
évolue selon trois thèmes qui correspondent aux trois temps de
réflexion sur notre problématique. Le premier temps de ce
travail consistera à la mise en place du contexte historique national et
local (1793-1817) de ces événements. Ce premier thème
de cadrage historique sera plus court que les autres au regard de la
première bonne présentation détaillée et volontaire
dés l'introduction de ces années, notamment pour l'histoire de la
ville de Lyon. En réalité, ce premier point sera donc
plus axé sur la situation politique et économique de la France
mais surtout de Lyon et sa région, sous les premières
années du second régime de Louis XVIII : 1815-1817
(I). Au cours de ce premier thème de mise en place de
l'affaire, nous présenterons la détérioration
sérieuse et précoce de la société française
en ces années, avec d'une part de grandes tensions politiques nationales
et locales entre « modérés » et ultras, et
d'autre part un état dégradé et se dégradant de
l'économie et de la société dans la région
Rhône-Alpes durant ces années 1810-1820 et avec comme point
d'orgue une grave crise des subsistances en 1817. Le constat du règne
d'un ordre moral et policier mais d'un désordre politique,
économique et social complet de la société de Louis XVIII,
traversée en plus par la reprise du bouillonnement intellectuel du
libéralisme, nous permettra d'aborder les réalités de
l'affaire de cette conspiration du 8 juin 1817 dans le Rhône. Le
deuxième thème de ce travail sera donc orienté sur la
question du complot bonaparto-républicain, de son déclenchement
et de ses suites immédiates. Il s'agira dans ce second temps
d'aborder la question de la nature politique singulière de l'entreprise,
en s'interrogeant notamment sur son affiliation directe à une
conspiration, en présentant naturellement des explications possibles au
soulèvement indéniable, sa mise en scène politique et
médiatique par les ultras, et ce notamment au travers du
« plan » rapporté des conjurés, pour enfin
présenter les suites immédiates d'une affaire que le camp ultra
ne maîtrise plus (II). L'analyse de ces différentes
réalités de l'affaire du 8 juin 1817 nous aura convaincu qu'il
s'agit à la fois d'un réel soulèvement populaire typique
de l'histoire lyonnaise et d'un fait politique que les ultras peinent à
définir et dés lors instrumentalise sous le registre du complot
politique. En montrant comment la gestion de cette affaire échappe aux
élites royalistes locales et crée ainsi l'embarras de la Cour,
nous pourrons aborder une dernière réflexion sur les usages de la
violence et de la justice en ces années. Le troisième et
dernier thème de ce mémoire sera donc celui des usages de la
violence et de la justice en 1817. Il s'agira de présenter
les formes de recours à la violence par les conjurés comme par
les forces de la répression, en montrant les aspects codifiés de
la conspiration politique, une entreprise secrète particulière,
les éléments de la répression policière et
judiciaire avec notamment une observation critique de la justice des
conspirations par François Guizot, et enfin pour finir une brève
réflexion sur le complot comme forme légitime de violence
émancipatrice (III). Nous pourrons alors conclure ce
mémoire sur la dimension d'événements
révélant tout autant la fragilité que l'opacité du
régime de Louis XVIII. Nous évoquerons l'aspect annonciateur
d'autres conspirations plus élaborées à venir de la part
de sociétés politiques secrètes...Nous insisterons enfin
sur la maturation en cette année 1817 de l'identité politique
lyonnaise au travers des convergences politiques entre bonapartistes,
libéraux et révolutionnaires. Des convergences qui illustrent
tout l'enjeu de la construction mentale d'un duel culturel, politique
et économique entre la capitale et la province. Une conspiration qui
au-delà de sa réalité conceptuelle prouvera aussi les
résonances entre luttes politiques et luttes sociales au XIXème
siècle.
Présentation rapide des ouvrages et des sources
sollicités
Nous avons déjà présenté les
trois études principales utilisées, relatant directement les
événements du 8 juin 1817 : à savoir les
études de Sébastien Charléty, Georges Ribe et celle de
Bruno Benoit. Elles nous seront encore très précieuses tout au
long du développement de ce travail. De même, nous solliciterons
les différents documents d'archives consultés et
présentés précédemment. Sommairement, pour le
second thème, celui de la conspiration même, nous illustrerons
notre propos à l'aide de documents issus des archives nationales pour
les rapports du préfet du Rhône, Chabrol, au ministère,
pour les éléments d'appréciations de la situation par les
autorités ultras et leur propagande, pour les rapports internes sur les
personnages liés à l'affaire... Nous établirons des
notices biographiques de ces derniers. Toujours pour le second thème,
nous nous appuierons sur les correspondances des maires des communes en
insurrection pour illustrer leur détresse et la nature politique
singulière du mouvement. Ces correspondances proviennent des archives
départementales du Rhône. De cette source d'archives, nous
utiliserons des extraits d'interrogatoires conservés et un compte rendu
de la Cour prévôtale. Ceci aura pour but d'éclairer la
question de l'existence d'un plan des conjurés et surtout de
présenter le flou de l'instruction de l'affaire (III). Dans le
troisième temps, nous aurons recours aux documents des archives
municipales de Lyon, également présentés
antérieurement. Nous illustrerons les formes symboliques de la
conspiration, rites des conjurés et représentations des
autorités, par le volume rouge « Procédure »,
le plus épais document relatant le procès des conspirateurs
arrêtés. Il offrira également une idée fidèle
de l'instruction de l'affaire, et des condamnations prononcées. Enfin,
toujours pour le troisième thème, nous utiliserons le texte des
archives municipales de François Guizot sur les conspirations et la
justice politique, et la réponse de Camille Jordan à un discours
sur les troubles de Lyon pour illustrer la défense des conjurés
par les élites « modérées ».
Terminons par une présentation des principaux ouvrages
requis.
Essayons d'énoncer globalement les principaux dans
l'ordre du développement de ce travail. Pour le premier thème,
temps du cadrage historique des aspects de la Restauration sous Louis XVIII,
nous utiliserons des ouvrages d'histoire, de type
« manuels » comme ceux de Jean-Claude Caron83(*), Jean-Pierre Chaline84(*), Max Tacel85(*), J-L Robert86(*) (dir.), des ouvrages plus
spécialisés comme ceux de Louis Girard87(*) ou d'André Jardin/A-J
Tudesq88(*), René
Rémond89(*),
Jean-Fançois Sirinelli90(*), pour ne citer que les principaux... Nous aurons
encore recours aux ouvrages d'histoire de la ville de Lyon, de Bruno
Benoit91(*) et Jean-Pierre
Gutton92(*), et aux trois
études de l'affaire du 8 juin 1817. En ce qui concerne l'analyse
socio-économique de la région dans les années 1810-1820,
nous solliciterons l'ouvrage d'histoire sociale de la France au XIXème
siècle de Christophe Charle93(*). Nous piocherons aussi dans d'autres ouvrages comme
ceux de Tocqueville94(*)
pour illustrer le phénomène de
« libéralisation » de la presse que le régime
bourbon peine à endiguer.
Pour le second thème, celui de la conspiration
même, nous nourrirons notre propos, entre autres, des travaux de Eric J.
Hobsbawm95(*), Maurice
Agulhon96(*), Alan B.
Spitzer97(*), Raoul
Girardet98(*) sur les
mythes politiques, et des articles de contribution sous la direction de Bernard
Gainot et Pierre Serna99(*), etc...
Enfin, pour le thème des usages de la violence et de
la justice, nous mettrons à contribution les ouvrages de René
Girard100(*), P-A
Lambert101(*) et de
Frédéric Monier102(*) sur les rites du secret et la surveillance
policière de ses entreprises... Enfin, nous aurons consulté aussi
l'article d'Olivier Ihl103(*) consacré à François Guizot et
à son Des conspirations et de la justice politique. Cette
énumération n'est pas exhaustive. Le lecteur retrouvera
l'ensemble des sources et ouvrages cités en bibliographie.
Nous pouvons à présent entrer dans le premier
thème de ce mémoire, qu'est celui de la situation politique et
économique de la France, et plus spécialement de
Rhône-Alpes, sous le régime de Louis XVIII.
Mise en place du contexte historique national et local
1793-1817
« La politique est l'art d'obtenir de l'argent
des riches et des suffrages des pauvres, sous prétexte de les
protéger les uns des autres. ».
Jules Michelet, historien français (1798-1874)
Bref retour sur l'épisode de la Terreur
révolutionnaire à Lyon en 1793 : la naissance d'un
martyrologe lyonnais
Nous l'avons déjà fort bien
démontré, l'événement fondateur de la
mémoire politique moderne de la ville de Lyon est l'épisode des
violences de la Terreur jacobine, puis celui de la résistance à
cette dernière. L'année 1793 est une année
déterminante quant aux comportements politiques à venir des
Lyonnais, dans le sens où elle scelle définitivement dans leur
esprit le refus de dirigeants politiques locaux imposés par le pouvoir
central parisien. Depuis cette date, tous les gouvernements ne respectant pas
cette volonté d'autonomie du peuple de Lyon, fera face à des
troubles divers au sein de cette ville. C'est là tout le sens du
martyrologe politique lyonnais, garant d'une exigence de gouvernance
modérantiste de la ville. Souvenons-nous que, lors de cette
épisode de Terreur révolutionnaire, la ville fut
littéralement exclue des villes de la République
française, par le décret de la Convention du 12 octobre 1793,
stipulant : « Lyon fit la guerre à la liberté,
Lyon n'est plus. »104(*). Les Lyonnais furent simplement victimes de leur
résistance légitime aux « Chalier » et autres
mathevons, en se débarrassant de leur meneur enragé, Joseph
Chalier, guillotiné le 16 juillet 1793. Vingt cinq années
précédant notre affaire de 1817, on observe déjà ce
duel singulier entre le peuple lyonnais, parfois appuyé de ses
élites, et le pouvoir central parisien. Mais ce duel n'est de la part
des Lyonnais qu'une juste résistance aux violences de tous ceux qui
déstabilisent l'équilibre socio-économique particulier de
leur ville, et qui plus encore est une résistance à ceux qui vont
jusqu'à faire couler massivement le sang de son peuple. Souvenons-nous,
en effet, de la violente répression jacobine contre les Lyonnais, entre
octobre 1793 et avril 1794, suite à leur résistance aux
« Chalier ». Les jacobins en action à Lyon, comme
Fouché, « jugeront » ennemis de la Liberté
prés de 1900 personnes, soit près de 1,5 % de la population de la
ville, guillotinées place des Terreaux ou mitraillées dans la
plaine des Brotteaux105(*). Et précisons-le à nouveau, toutes les
catégories sociales de la ville, et pas seulement les royalistes, seront
victimes de cette Terreur rouge.
C'est épisode de Terreur révolutionnaire visait
à éliminer l'essence même,
« libérale », de l'identité politique de la
ville de Lyon. Mais on peut constater que paradoxalement, en voulant
détruire les forces vives de cette ville, les révolutionnaires
jacobins les ont réveillées pour plusieurs années. C'est
ce qu'exprime Bruno Benoit en ces termes : « Au-delà de
toutes les lectures et interprétations possibles de ces
événements majeurs de l'histoire contemporaine lyonnaise que sont
les violences collectives des années 1793 et 1794 subies à Lyon,
il faut insister sur ces années, certes traumatisantes mais surtout
synonymes d'émancipation. Entre 1793 et 1794, la ville de Lyon ne s'est
elle pas appelée « Ville-affranchie » ? Les
Lyonnais y ont vu une humiliation, il faut y voir un acte de naissance
politique ! »106(*).
Ce martyrologe de 1793 s'est donc construit sur le souvenir
douloureux des violences révolutionnaires subies par les Lyonnais. Un
souvenir douloureux certes, mais force est de constater qu'il devient
rapidement mobilisateur, agissant comme un mythe politique au service de
l'histoire personnelle de la ville de Lyon. Ce martyrologe se veut dés
ces années garant du choix naturel des Lyonnais d'une identité
politique singulière, « modérantiste »,
c'est-à-dire tenue à l'impératif de modération
politique des dirigeants de la ville, en refusant les extrémismes
politiques, et ce afin d'assurer notamment son fragile équilibre
socio-économique, que nous avons du décrire
précédemment.
De le Terreur blanche des années 1795-1798 à
celle de l'été 1815 : lassitude et effritement de l'Empire
au profit de l'infiltration des ultras au sein de la société
française
Dés lors, pour bien comprendre le comportement
politique à venir de la ville sous la Restauration, il nous faut revenir
sur ce qu'il fut lors du reflux des violences réactionnaires des
années 1795-1798, puis sous l'Empire.
Essayons de montrer comment ces violences
réactionnaires des années 1795-1798 ne peuvent suffire à
reléguer la ville de Lyon au rang des villes
contre-révolutionnaires. Nous avons déjà
présenté cet épisode. Nous serons donc concis. La ville
avait retrouvé son nom et son statut le 7 octobre 1794, par
décret de la Convention. Cependant, très vite le désir de
vengeance des victimes de la Terreur des « Chalier » les
pousse, sous l'influence d'une minorité d'ultras, à se rendre
justice elles-mêmes. S'organisent rapidement, dés février
1795, des « chasses aux mathevons »107(*) au sein de la ville.
Très fréquemment, elles ont pour origine le climat local
d'excitation vengeresse de jeunes royalistes, s'implantant au sein de la ville,
comme ceux des Compagnons de Jésus. Ces derniers trouvent en effet un
certain soutien de la population dans leurs appels aux violences à
l'encontre des derniers jacobins présents en ville. Mais peut-on pour
autant parler de retournement réactionnaire,
anti-révolutionnaire, de la part des Lyonnais ? Ne devrait-on pas
plutôt y voir une classique réaction de la foule à des
violences révolutionnaires encore trop
« fraîches » dans les esprits de certains
Lyonnais ?
Le bilan de ce semestre de Terreur blanche à Lyon, de
janvier à juin 1795, fut lourd : environ 400 mathevons tués.
Le lecteur retrouvera quelques pages précédemment le récit
de ces violences. Ce qu'il nous faut retenir, c'est que ces dernières,
certes hautement condamnables, ont plus pour origine les appels au meurtre de
royalistes comme les Compagnons de Jésus que les Lyonnais dans leur
majorité. Là encore, ces violences seront arrêtées
dans les mois qui suivent, par le mode de l'institutionnalisation de celles-ci
sous la forme de l'élection, au suffrage censitaire, de deux royalistes
locaux : Imbert-Colomès et...Camille Jordan. Là encore, le
spectre d'une nouvelle guerre civile pousse les élites lyonnaises au
compromis, en incluant des éléments politiques
royalistes108(*).
Il est important de retenir de cette période trouble,
l'infiltration par les royalistes, depuis en réalité 1790, des
différents rouages administrativo-politiques de la ville109(*). Des royalistes qui
tenteront constamment d'exploiter les périodes d'incertitudes et de
tensions politiques de cette dernière. En effet, Lyon et la
vallée du Rhône en général, connaîtront
à nouveau une seconde vague de Terreur blanche, plus longue encore, de
l'été 1815 à septembre 1816. Cette Terreur blanche, qui
sévit aussi dans beaucoup d'autres régions françaises, est
la plus connue. Elle marque les débuts de l'entreprise des ultras
d'intimidation du pays et de monopolisation du pouvoir au sein de la Chambre
introuvable. Louis XVIII remonte sur le trône, en rentrant dans Paris le
8 juillet 1815, retour permis par l'échec de l'épopée
napoléonienne des Cent-Jours et par un accord passé avec les
Alliés. S'ouvre alors une seconde Restauration, conduite pour neuf
années par Louis XVIII. En réalité, c'est bien toute
l'Europe qui avec l'acte final du congrès de Vienne le 9 juin 1815 et la
défaite de Napoléon à Waterloo le 18 juin 1815, rebascule
au profit des anciennes dynasties royales. En effet, le 22 juin 1815,
Napoléon abdique définitivement et confie le pouvoir à son
fils, Napoléon II, aussi appelé l'Aiglon. Ce passage, cette
transmission de pouvoir sera sans avenir. Les royalistes, désormais
nombreux et déterminés, font régner dans toute la France
un nouvel épisode de Terreur blanche, qui ne sera même pas
apaisé par la reprise officiel du pouvoir par Louis XVIII, le 8 juillet
1815. L'Empire s'est écroulé définitivement au profit
d'une nouvelle Restauration, qui débute par d'extraordinaires violences
à l'égard des derniers bonapartistes et
révolutionnaires.
Nous allons revenir longuement sur les débuts du second
règne de Louis XVIII dans les pages qui suivent. Mais pour l'heure, il
nous faut attirer l'attention sur le caractère extrême des
violences de cette seconde Terreur blanche. Des violences qui ont, dans un
climat de règlements de comptes personnels, éloigné les
libéraux et les modérés des élections
législatives d'août 1815110(*).
Je nous propose donc de dresser le portrait de ces violences
royalistes de l'été 1815. Nous pourrons ensuite nous interroger
sur leurs origines, en observant comment les
« déroutes » de l'Empire ont facilité et
enraciné au sein de la société française
l'infiltration des groupes royalistes, parfois secrets, toujours violents,
responsables de ces exactions.
Comme le note à juste titre Jean-Claude Caron à
propos de ce nouvel épisode de Terreur blanche : « Elle
apparaît comme un appendice sanglant de la Révolution
française, sorte de dernier règlement de compte exacerbés
par les positions opposées prises durant les
Cent-Jours »111(*). Les victimes désignées sont
naturellement les derniers détenteurs du pouvoir, à savoir, les
bonapartistes et les jacobins. Toute la France devient alors le
théâtre de massacres organisés par des bandes royalistes.
L'annonce de la défaite de Waterloo fut le signal de départ de la
vengeance des ultras à l'égard de ceux qui s'étaient
compromis avec le régime des Cent-Jours, et des populations
réputées jacobines. Si l'Ouest demeura assez calme selon
Jean-Claude Caron112(*),
l'ensemble du Midi connut une situation très grave : Haute-Garonne,
Provence, Languedoc et Gard. A Marseille, par exemple, selon les historiens A.
Jardin et A.-J Tudesq, les massacres débutent le 24 juin 1815, et l'on
compte déjà deux jours plus tard pas moins de 50 morts, 200
blessés et 80 maisons ou boutiques brûlées113(*). La vallée du
Rhône, qui nous concerne plus particulièrement, fut aussi le cadre
de nombreux massacres selon Caron. Très souvent, ces explosions de
violences politiques se nourrissent d'un véritable réveil des
guerres de religion. On devine alors aisément sans se tromper que les
protestants, notamment ceux de la bourgeoisie qui ont souvent soutenu
l'Empereur, sont pris à partie. Jean-Claude Caron rapporte que :
« Dans le Gard, plus de 200 protestants seront tués, plusieurs
milliers s'enfuiront. »114(*). Les historiens Jardin et Tudesq rapportent des
faits analogues où rien que pour la ville de Nîmes, l'on compta 37
morts115(*). Comme le
notent aussi ces derniers auteurs : « Cette explosion de haine
prit le gouvernement au dépourvu : la dissolution des troupes,
l'inattendu des émotions populaires provoquées par des bandes, la
connivence fréquente de nobles et de bourgeois avec ces
éléments, la lenteur des communications pouvaient lui servir
d'excuse. Mais il eut par la suite beaucoup de peine à faire condamner
quelques coupables... »116(*). En effet, parallèlement à ce
déchaînement de violences royalistes, le gouvernement
Talleyrand-Fouché prenait des sanctions contre les
« complices » des Cent-Jours. Toujours selon Jardin et
Tudesq, 17 généraux ou officiers furent traduits devant des
conseils de guerre ; 37 personnes, dont 27 civils, furent placées
en résidence surveillée en attendant la décision des
Chambres117(*). Nous
verrons comment très vite, les députés ultras, grands
vainqueurs des élections législatives du mois d'août
1815 : 350 ultras sur 398 sièges118(*) ! , vont transformer cette Terreur blanche en
une Terreur légale. Cette Terreur légale, par son dispositif
législatif ultra répressif, caractérisera l'absence de
maîtrise du roi et de son ministère sur leur Chambre
« introuvable », selon le mot ironique de Louis XVIII,
lui-même inquiet des excès des députés ultras. Nous
verrons les aspects de cette Terreur légale au début du premier
chapitre, avec la question de la Charte, de sa révision, et de la
dissolution de la Chambre. Le rappel de ces épisodes de Terreur sous les
débuts de la seconde Restauration vise à éclairer la mise
en place d'un contexte politique d'oppression envers les éléments
les plus « modérés » de la
société française, contexte légitimant dés
lors le recours à des actions politiques clandestines, qu'elles soient
l'oeuvre d'amateurs ou de professionnels.
Terminons sur ce nouvel épisode typiquement
français de Terreur blanche, en retraçant brièvement sa
lente « fermentation » sous l'Empire, par le
développement des bandes secrètes royalistes.
Nous avons pu présenter précédemment la
relative stabilité politique de l'Empire jusqu'aux années
1810-1811, où la charge des efforts de guerre pèsera alors bien
trop sur l'économie. Certes, comme j'ai pu le rappeler, les
Français ont apprécié la modernisation du pays jusque dans
ces années, et notamment les Lyonnais qui ont vu les troubles politiques
s'atténuer dans leur ville pour cette période. Cependant,
dés 1810-1811, l'Empire se fissure de l'intérieur, avec une crise
économique qui prend la forme d'une crise des matières
premières, crise des débouchés, crise du crédit,
puis une crise des subsistances en 1812119(*). Une crise morale aussi. Comme le note l'historien
G. de Bertier de Sauvigny : « Dans la classe qui pense et parle,
on souffre enfin du despotisme militaire et policier, qui étouffe toute
velléité d'expression indépendante, et censure jusqu'aux
vers de Corneille et de Racine. »120(*). De même, le clergé est muselé,
ce qui n'est pas sans créer une grogne secrète. Dés lors,
comme le note de Sauvigny : « La France de 1814 n'est donc plus
celle de 1804(...) Les voeux de l'Homme ne sont plus tout à fait les
voeux de la Nation. Que souhaite t'il ? Une seule chose : la paix, la
paix immédiate, la paix à tout prix. »121(*).
La population de l'Empire est donc fatiguée des
campagnes napoléoniennes et paie depuis trop longtemps un lourd tribut
humain, notamment les jeunes revenants mutilés du champ de bataille.
Ainsi, comme le remarque de Sauvigny, un petit groupe de royalistes, de
fidèles, allaient à partir de 1810-1812, prendre de l'ampleur et
inquiéter l'Empereur en s'activant secrètement pour le
Pape122(*),
enfermé. Ces royalistes ramenaient ainsi dans leur rang les
éléments catholiques de la société, se sentant les
plus brimés. Cependant, poursuit de Sauvigny, « le renouveau
et l'initiative » allait venir de l'intérieur, vers 1810, avec
la création d'un Ordre secret royaliste, un peu sur le modèle
franc-maçon et ceux des ordres militaires et chevaleresques du Moyen
Age123(*). Très
vite, l'Ordre royaliste s'étendit sur tout le territoire de l'Empire,
infiltrant secrètement ses rouages en s'adonnant notamment à une
propagande clandestine, véritable travail de sape du régime de
Napoléon... On comprend dés lors, comment la Terreur blanche de
l'année 1815 a débuté si rapidement et pourquoi elle fut
si violente. Elle remontait en réalité à une infiltration
de la société depuis plusieurs années.
Terminons sur ces mots enjoués de Bertier de
Sauvigny, fin connaisseur de ses origines... : « Ainsi, à
l'heure où l'édifice impérial se lézardait,
à l'heure où la nation française par lassitude ou par
instinct de conservation, s'éloignait du chef qu'elle avait
accepté quelques années plus tôt, à l'heure
où les Alliés hésitaient sur les conséquences
politiques à tirer de leur victoire militaire, la carte royaliste allait
pouvoir être jetée sur la table, non seulement par des princes
isolés et sans prestige, mais par une minorité organisée
agissant au sein même de la nation. Là se trouvait sans doute, au
début de 1814, la meilleure chance d'une restauration des
Bourbons. »124(*).
I- La France sous Louis XVIII : situation
politique et économique
Comme le remarque à juste titre Patrice
Gueniffey : « En 1814, le rétablissement des
Bourbons sur le trône de leurs ancêtres fut le résultat
d'une intrigue. Rien ne le laissait prévoir quelques semaines
auparavant. »125(*). En effet, la première prise de pouvoir de
Louis XVIII fut sans nul doute permise par les défaites militaires de
Napoléon face aux Autrichiens. L'intrigue réside dans l'armistice
franco-allié signé le 23 avril 1814, après des
négociations entre Marmont, Talleyrand et les alliés, assurant le
rétablissement des Bourbons et l'exil de Bonaparte. Napoléon,
déchu par le Sénat le 3 avril 1814, embarque pour l'île
d'Elbe le 28 avril 1814. La voie est libre pour Louis XVIII. Le 2 mai, ce
dernier s'engage lors de la déclaration de Saint-Ouen à instituer
un gouvernement représentatif, promet une amnistie
générale, garantit les intérêts mais rappelle que sa
légitimité étant de droit divin, aucun pouvoir ne peut lui
imposer une Constitution. Le compromis sera une Charte... Le 3 mai, Louis XVIII
fait son entrée dans Paris. Commence alors la première
Restauration sous la direction de Louis XVIII, petit-fils de Louis XV,
frère cadet de Louis XVI, il a 59 ans.
Avant de présenter rapidement les
éléments principaux de la réaction sous cette
première Restauration, il apparaît opportun d'introduire le
personnage de Louis XVIII.
Né le 17 novembre 1755, il a longtemps occupé la
position peu enviable de second. « Longtemps, confiera Louis XVIII,
j'ai vécu assez retiré. » rapporte Patrice
Gueniffey126(*). La
Révolution fut pour lui, comme pour beaucoup d'autres de plus basse
extraction, l'occasion de jouer enfin ce rôle auquel il aspirait.
Appelé en 1787 à présider l'assemblée des notables,
il se fit une réputation de prince patriote qu'il conforta encore
à la fin de l'année suivante en se prononçant pour le
doublement de la représentation du tiers aux Etats
généraux. A dire vrai, là s'arrêta sa
carrière politique. Officiellement du moins, car jusqu'à son
départ pour l'émigration le 20 juin 1791, il trempa dans
différentes intrigues plus ou moins propres, d'une alliance avec
Mirabeau à la sombre affaire Favras, où il apporta la double
preuve qu'il n'était pas meilleur politique que le roi Louis XVI et que
tout lui était bon pour acquérir de l'influence, même si
ses agissements devaient compromettre la position de son frère. Avec son
autre frère Artois, qu'il avait rejoint en 1791 à Coblence, il
suivit une ligne identique, sourd aux appels de Louis XVI, et Napoléon
put dire avec raison que le futur Louis XVIII portait une lourde
responsabilité dans l'exécution de son frère. Si Louis
XVIII peut être décrit en un mot, c'est par l'égoïsme
qui est le sien. Rien ne peut l'affecter qui ne concerne pas sa personne. C'est
à cette complexion que l'on doit quelques mots justement passés
à la postérité : en mars 1815, alors qu'il
s'apprête à partir pour un nouvel exil et à laisser la
place à Napoléon de retour de l'île d'Elbe, « on
aurait dû m'épargner cette émotion » fut tout ce
qu'il trouva à dire; en 1820, il dit au duc de Berry mourant qui,
victime du poignard de Louvel, s'excuse d'avoir interrompu le sommeil du
roi : « J'ai fait ma nuit. ». S'il a une
qualité, c'est de n'avoir jamais cessé de croire en sa naissance,
dans le rang qu'elle lui donne et dans les devoirs qu'elle lui impose. Du jour
où il apprend la mort du dauphin (Louis XVII) au Temple (8 juin 1795),
il est roi. Jamais il ne se départit de sa dignité au cours des
longues années d'exil qu'il passe en Italie, en Allemagne, en Russie, en
Pologne, enfin en Angleterre (1807-1814), au gré des
intérêts et des humeurs des souverains qui l'accueillent. Il ne
cède pas même devant le manque d'argent, fort cruel pour un homme
chez qui l'enrichissement a toujours été une passion.
Inoccupé, entouré de rares fidèles, avec pour tout loisir
ce qu'il aime tant et que rien ne peut lui ôter-la lecture et la table-,
il demeure roi. Même devenu obèse et à demi paralysé
par la goutte, il garde un air royal qui sent « le maître et le
commandement » et impressionne tous ceux qui le rencontrent,
jusqu'aux maréchaux pourtant confrontés chaque jour à un
homme d'une autre trempe. Il croit en sa légitimité.
On comprend l'embarras des alliés en 1814. Les Bourbons
sont peut-être la moins mauvaise des solutions...La proclamation de
l'Empire en 1804 anéantit ses illusions. De ce jour, il sent qu'il ne
pourra jamais régner sans et a fortiori contre la France
nouvelle issue de 1789. Non qu'il aime celle-ci ou le gouvernement
représentatif, non qu'il s'engage par conviction à
entériner la vente des biens d'Eglise. Il devint monarque
constitutionnel non par goût ou par conviction, mais par raison. Louis
XVIII réfère régner constitutionnellement plutôt que
de ne pas régner du tout. La Charte octroyée par le roi
« la dix-neuvième année de son règne »
et proclamée le 4 juin 1814 est le manifeste de cette volonté de
réconcilier les deux France sans rien sacrifier de la
légitimité. Au début, il semble qu'une nouvelle ère
commence. Louis XVIII donne de nombreux gages à cette France qu'au fond
il n'accepte ni n'aime. Le personnel politique révolutionnaire et
impérial conserve ses places, les acquéreurs de biens nationaux
reçoivent la garantie de leurs propriétés, les
régicides mêmes ne sont pas inquiétés. Le climat ne
tarde cependant pas à se détériorer. Il y a des
décisions maladroites, tels l'ordonnance du 7 juin interdisant de
travailler le dimanche ou le culte rendu aux victimes de la Révolution,
de Louis XVI à Cadoudal ; des propos intempestifs, tel
l'éloge de l'émigration fait par l'insipide Ferrand le 13
septembre ; des scènes grotesques, tel le dîner donné
par la Ville de Paris le 29 août en l'honneur de la famille royale,
où les magistrats de la capitale servent le roi et les princes une
serviette sur le bras, comme des domestiques... La très rigoureuse, et
nécessaire, politique financière du baron Louis contribue
à la progression des sentiments hostiles vers la fin de 1814. Le
maintien des droits réunis (ensemble des taxes sur les boissons), dont
le comte d'Artois a imprudemment promis la suppression lors de son retour en
France, la réduction des effectifs de l'armée et la mise à
la retraite avec demi-solde de milliers d'officiers sont justifiés par
la nécessité de combler l'énorme déficit
budgétaire légué par l'Empire. Mais dans le même
temps, le gouvernement rétablit les maisons militaires du roi et des
princes, avec leurs mousquetaires, gardes suisses et gardes de la porte. On
ajoute ainsi l'humiliation à l'inconséquence. Les imprudences
gouvernementales ne sont cependant rien à côté de l'ardeur
vengeresse des royalistes, des émigrés ou de ceux qui compensent
par des excès de zèle la nouveauté de leurs sentiments
monarchiques, et qui ne comprennent pas que la royauté victorieuse use
de ménagements à l'égard de la France de 1789 vaincu, qui
veulent que cette dernière expie ses « crimes » et
qu'on revienne purement et simplement au monde qu'elle a détruit. Ce
sont des appels à la restitution des biens nationaux à leurs
anciens propriétaires, des cérémonies expiatoires, de
petites humiliations infligées à la Cour et dans les salons
à la noblesse impériale. Même si le roi n'y donne pas la
main, il doit nécessairement s'y trouver associé dans l'esprit de
tous ceux que blesse la morgue des vestiges de l'ancienne France que
l'effondrement militaire de l'Empire a ramenés127(*).
Jean-Philippe Guinle complète parfaitement le tableau
de Louis XVIII, roi lâche et égoïste : « Il
n'y a que peu de choses à ajouter au jugement que Chateaubriand porta
sur celui qui l'avait disgracié, car il montre la neutralité
(parfois efficace) d'un roi, qui, sans rien renier des traditions de la
monarchie d'Ancien Régime, n'en refusa pas moins d'être
« le roi de deux peuples », sans avoir eu cependant le
courage de tenir tête jusqu'au bout aux ultras :
« Egoïste et sans préjugés, Louis XVIII voulait sa
tranquillité à tout prix : il soutenait ses ministres tant
qu'ils avaient la majorité ; il les renvoyait aussitôt que
cette majorité était ébranlée et que son repos
pouvait être dérangé ; il ne balançait pas
à reculer dès que, pour obtenir la victoire, il eut fallu faire
un pas en avant. Sa grandeur était sa patience, il n'allait pas aux
événements, les événements venaient à
lui. ». »128(*).
Nous avons décrit précédemment le
délitement intérieur de l'Empire au profit des menées
secrètes des royalistes. On comprend dés lors pourquoi il fut si
aisé pour les Bourbons de « ramasser » le pouvoir
lorsque Napoléon fut contraint à l'exil pour l'île d'Elbe
le 28 avril 1814. Le peuple de France, lassé des guerres de l'Empereur,
voyant notamment chaque jour d'avantage sa jeunesse meurtrie, ne peut opposer
de résistance immédiate à cette première
Restauration. Jean-Pierre Chaline exprime ce constat de l'effondrement
inévitable, peut-être souhaité par les Français
eux-mêmes, de l'Empire : « « Nous étions
fatigués » fera dire Edmond Rostand à l'un des
personnages de L'Aiglon, exprimant bien cette lassitude
générale et cette usure profonde du pays. Poids devenu accablant
des levées d'hommes, délabrement de l'industrie et du commerce
maritime, charge très impopulaire d'impôts indirects peu à
peu rétablis : autant de sources d'un mécontentement que les
défaites successives n'ont pu qu'aggraver. En 1814, la France
paraît à bout, sans ressort. (...) En fait, chez la plupart, la
fin de ce conflit interminable est perçue comme un soulagement. Ni les
masses paysannes qui, pour l'essentiel, en ont supporté le coût,
ni les ouvriers souvent réduits au chômage, ni les notables avant
tout soucieux de préserver leurs biens et leurs situations ne cherchent
vraiment à défendre un régime, un souverain incarnant
à leurs yeux la guerre. »129(*).
Nous ne pouvons pour autant conclure à un basculement
profond des Français pour une nouvelle monarchie de type d'Ancien
Régime. Il semble bien que les excès de l'Empereur favorisent en
1814 un retour plus « légitime » de la
royauté. Cependant ce revirement politique en faveur des Bourbons ne
bénéficiera d'une certaine passivité populaire que de
courte durée. Très vite, les maladresses de Louis XVIII mais
surtout le flot de mesures réactionnaires des députés
ultras à la Chambre, réveilleront le sentiment de
« grogne » de citoyens, trop brusquement
retransformés en sujets du roi.
Le 2 mai 1814, Louis XVIII lors de la déclaration de
Saint-Ouen s'engage sur le principe d'une monarchie constitutionnelle, mais
avant tout toujours d'origine de droit divin... Comme le note Jean-Pierre
Chaline, cette déclaration traduit d'emblée la volonté
d'asseoir le nouveau régime sur « un compromis de raison
entre certains principes traditionnels sur lesquels on ne transige pas et de
larges acquis de la Révolution ou de l'Empire qu'on ne remet nullement
en cause » 130(*). Mais, ajoutons-le, il ne s'agit sûrement pas
d'un compromis « de coeur ». Pour s'en convaincre, il
suffit d'observer les formes de la naissance de ce
« compromis », c'est-à-dire de la Charte, contrat
illusoire entre le roi et son pays. Louis Girard rappelle que le 4 juin
1814 : « Octroyée désormais par le roi, la Charte
n'avait rien d'un contrat. Louis XVIII affirmait sa souveraineté
indépendamment de toute assemblée. La religion catholique
était déclarée religion d'Etat. »131(*). Si les libertés
civiles étaient reconnues et les intérêts
révolutionnaires sauvegardés, en principe, par la Charte, ces
garanties ne pouvaient dés l'origine survivre aux attaques des ultras au
sein de la Chambre des députés. En effet, d'une part, la Chambre
des députés était toujours soumise à la dissolution
royale, d'autre part son mode d'élection extrêmement censitaire
excluait la majorité de la population du vote et à fortiori
d'entrer dans sa composition. Tout électeur devait être
âgé de trente ans et payer un cens minimum de trois cents francs.
Tout éligible devait être âgé de quarante ans et
payer un cens de mille francs. On était électeur avec un revenu
de 1200 à 2000 francs ; pour être éligible, un revenu
de 5 à 6000 francs était nécessaire. Comme le dit Louis
Girard : « Les députés devenaient un Sénat
de l'âge et de la fortune. Il n'y avait en France que 16 000
éligibles et quelques 110 000 électeurs. On compense le
libéralisme de la Charte par un régime très censitaire.
Enfin les députés, élus pour cinq ans, sont
renouvelés chaque année par
cinquième. »132(*).
Nous avons pu évoqué précédemment
quelques aspects de la réaction sous cette première
Restauration : poids important accordé à l'Eglise et
à la religion catholique, « attaques » contre
l'ancienne armée impériale, pratiquement démantelée
(mise en demi-solde de 12 000 officiers !) au profit de la garde
royale, culte ambigu de fêtes de l'Ancien Régime comme celui de la
Fête-Dieu, élection de la Chambre selon un suffrage très
censitaire...
Dés le mois de juillet 1814, la réaction
s'accentue. Ainsi le 5 juillet, le ministre de l'Intérieur Montesquiou
présente un projet de loi d'encadrement de la presse
préparé par Royer-Collard et Guizot, suscitant la
polémique entre Benjamin Constant s'y opposant et Guizot étant
favorable. Fin août, début septembre 1814, est discutée
à la Chambre la loi de finances de 1815. L'heure est à la
rigueur, sous le prétexte de combler les déficits laissés
par l'Empire. Le budget de la guerre passe de 55% du total des dépenses
prévues (548 millions) à 38%. La réduction des
dépenses publiques implique la suppression de 15000 emplois civils, la
mise en demi-solde de 12000 officiers... Ces attaques contre l'armée
sont très imprudentes. Nous verrons comment d'anciens membres de
celle-ci, souvent des demi-soldes, feront partis du
« personnel » politique des complots à venir contre
le Royaume. Enfin, pour finir avec ces éléments de la
réaction sous le premier règne de Louis XVIII, évoquons le
vote de la loi sur la presse. On observe, en effet, dés le 21 octobre
1814, le déni des engagements de la Charte de respect des
libertés publiques. Ce 21 octobre est promulguée une loi
définissant comme délit toute attaque contre le pouvoir royal,
les autorités établies et l'ordre public. Elle rétablit
l'autorisation préalable et le brevet pour les imprimeurs et les
libraires. Cependant, la censure ne s'exerce que sur les journaux et les
écrits de moins de 20 feuilles d'impression. Ce qui explique en partie
l'absence de contre-propagande à la propagande des ultras de
diabolisation des soulèvements à venir. Les contrevenants
à cette loi sont passibles du tribunal correctionnel. 22 censeurs sont
nommés le 22 octobre 1814133(*).
Nous le constatons donc. Ce premier épisode de
Restauration est teinté de mesures rances de réactions aux
principes hérités de 1789, faussement garantis par une Charte
devenue plus symbolique qu'effective face aux premières victoires
législatives du parti ultra.
La première Restauration, cette « anarchie
paternelle » selon les mots de Jean-Pierre Chaline134(*), fut donc un échec.
Echec de la réconciliation, mais était-elle réellement
souhaitée ? , de deux France qui à nouveau s'affrontent.
Comme le note Louis Girard : « Avec la Restauration, la
Révolution recommença. L'empereur avait imposé trêve
aux dissensions civiles ; il les avait détournées vers la
lutte extérieure. La paix et le retour du roi firent rejouer les vieux
conflits. Ils rejouèrent parce que la réapparition du roi faisait
naître des prétentions qui, sous l'Empire, n'auraient pas
été formulées. »135(*).
Durant les Cent-Jours, nous l'avons déjà
présentée, l'agitation royaliste ultra va prendre une ampleur
incontrôlable, lors notamment de l'épisode très meurtrier
de Terreur blanche dans le sud du pays durant l'été 1815. Ce
dernier épisode rocambolesque napoléonien sera court car
l'Empereur n'a pas pris la mesure des aspirations des
« élites » françaises. En effet, si peu de
Français regrettent le roi, qui a fui pour Gand en mars 1815, ces
derniers se montrent prudents quant à leur accueil au retour de
l'Empereur. Les élites sont encore plus méfiantes, comme les
libéraux qui craignent tout autant une victoire des alliés qu'un
retour immédiat au despotisme des dernières années de
l'Empire136(*). La
dernière défaite de l'Aigle à Waterloo mettra fin à
ces incertitudes. Le 8 juillet 1815, Louis XVIII reprend possession de son
trône.
Nous venons de présenter les grands traits de la
première Restauration de Louis XVIII. Cette présentation
était nécessaire car on peut en retenir déjà les
grands traits de la réaction de son second règne arrivant :
un recul sur la promesse de respect des libertés publiques comme celle
de la presse, un retour du religieux au sein de l'Etat, des règlements
de comptes à peine dissimuler avec les anciens membres de l'Empire et
plus encore avec les traîtres des Cent-Jours...
Les caractères de la réaction vont être
plus poussés sous cette nouvelle époque. Ce qui explique que l'on
assistera à la montée politique des
« modérés », des royalistes constitutionnels
comme un François Guizot aux libéraux.
I-1. De grandes tensions politiques au niveau national
et local : constitutionnels contre ultras
L'objectif de notre propos sera de montrer comment le
« nouveau » régime de Louis XVIII se
réinstalle dans un climat de violences démesurées en cet
été 1815, un climat savamment entretenu par les activistes et les
députés ultras à la Chambre, cette dernière
devenant très vite le théâtre de leurs manipulations. Nous
allons donc voir comment sur un épisode de Terreur blanche dont nous
avons pu considéré l'extrême violence, va se greffer une
Terreur blanche « légale »,
caractérisée par une inflation législative
réactionnaire des députés royalistes ultras,
reléguant les « garanties » de la Charte au domaine
des illusions. Mais pour dresser ce tableau de la réaction des
débuts de cette seconde Restauration (jusqu'à l'année 1817
de notre « affaire » lyonnaise), il apparaît
souhaitable d'aborder la question des forces politiques en présence en
ces années, c'est-à-dire essentiellement les
différentes droites s'affrontant.
I-1.1 La question du phénomène des droites
sous la Restauration en France : la nécessité d'une approche
globale incluant la perspective culturelle
On connaît la typologie classique des trois droites
françaises, d'après René Rémond137(*), allant de la plus
« dure » à la plus
« moderne » : la droite légitimiste (celle des
ultras de 1815 entre autres), la droite bonapartiste et la droite
orléaniste. Cette typologie nous rappelle la diversité des
courants animant ce que l'on appelle schématiquement « la
droite », d'où la nécessité en
réalité pour le politiste d'aborder son phénomène
au pluriel en évoquant plutôt « les droites ».
Comme le soulignent, en effet, Jean-François Sirinelli et Eric Vigne,
une démarche rigoureuse implique « une approche globale du
phénomène des droites. »138(*). Les auteurs
précisent : « Penser l'identité des droites, comme
des gauches, revient à penser en même temps le double legs
révolutionnaire : la division de l'espace politique, au sens de
sphère strictement institutionnel de la conquête et de l'exercice
du pouvoir, et la séparation proclamée, et depuis lors jamais
abolie, même par les diverses tentatives de restaurations monarchique ou
impériale, de l'Etat et de la société. De fait, c'est bien
par rapport à cet héritage révolutionnaire, aussi bien ses
acquis que sa mémoire, que vont s'articuler, souvent, les luttes
politiques et les enjeux idéologiques. »139(*). C'est donc bien le
positionnement de chacune de ces droites par rapport à l'héritage
révolutionnaire et à son devenir, qui détermine leurs
spécificités entre elles et plus encore face aux
différentes gauches. Dés lors ce marqueur constitué par
1789 façonne directement l'identité des droites sous la
Restauration. Comme nous l'avions déjà remarqué
précédemment, sous la Restauration se rejoue en
réalité la Révolution.
En 1815, au début de cette seconde Restauration
française, deux droites déjà clairement affirmées
s'affrontent, la droite légitimiste au service de la reprise sous les
formes traditionnelles, entre autres selon le droit divin, du règne des
Bourbons et la droite bonapartiste recluse dans une existence politique
quasi-clandestine car désormais désignée ennemie ultime
des ultras, et enfin une troisième droite réformiste qu'incarnent
les royalistes constitutionnels, mais qui n'est pas celle à venir des
Orléanistes. Quelles sont les représentations idéologiques
de celles-ci ?
La droite légitimiste organisée par les
royalistes dont nous avons pu présenter quelques agissements, est
animée par la théorie du complot. Le socle de l'idéologie
ultra est en effet la conviction que la Révolution, vue comme une
catastrophe, une ignominie, fut le fruit d'un complot, un complot
organisé par les jacobins, les girondins et les montagnards, avec
l'appui des premiers libéraux et des francs-maçons. Les
légitimistes appuient leur lutte par des textes sinon fondateurs,
certainement mobilisateurs, comme par exemple la brochure de Ferrand, Les
conspirateurs démasqués, dirigée contre le duc
d'Orléans, ou encore les célèbres Mémoires pour
servir à l'histoire du jacobinisme de l'abbé
Barruel140(*),
publiés en 1798, texte rencontrant un si sinistre succès qu'il
sera repris par l'extrême droite...
On comprend dés lors d'autant mieux
l'intérêt d'une approche globale et culturelle des univers
politiques de ces différentes droites. Comme pour les luttes
progressistes des gauches, les droites et notamment la droite
légitimiste, la plus réactionnaire, nourrissent leurs combats
d'un imaginaire idéologique141(*), où circule, au sein des légitimistes,
la théorie selon laquelle un complot depuis longtemps ourdi par les
révolutionnaires, les francs-maçons et les financiers, est
à l'origine de la chute de la couronne.
Les ultras affectionnent le recours à la violence. Nous
l'avons vu lors des épisodes de Terreur blanche. Pendant de nombreuses
années, avant de parvenir à se structurer en parti sous la
seconde Restauration, les royalistes ultras ont ruminé la
stratégie du coup de force. Et même après, lorsque
insatisfaits de la politique du roi, le débat autour de la question
s'exprime sans gêne au sein du parti. Louis de Bonald, un des grands
théoriciens français de la réaction, écrira en
1819 : « qu'il faudra incessamment finir par un coup
d'Etat. »142(*).
Le renouement de Louis XVIII avec un régime
modéré par la Charte pousse et même contraint les
royalistes ultras à se structurer en parti au sein de la Chambre,
même si il ne s'agit pas bien sûr d'un parti au sens moderne du
terme, mais plutôt d'un groupe politique très actif.
Jean-François Sirinelli précise ainsi à propos des
ultras: « Réunis en vertu de la Charte qu'il ne leur appartient pas
de modifier, mis en présence d'un texte constitutionnel qui avalise
nombre des acquis révolutionnaires, ils se trouvent, en effet, conduits
à n'être qu'un parti : la politique l'emporte sur le
politique. »143(*). En dehors de la Chambre, les royalistes ultras se
réunissent au sein de clubs, comme le feront bientôt les
libéraux. On peut mentionner le Club breton, dont Chateaubriand fut un
des animateurs. Il comptait entre 80 et 150 membres. Cette forme de
réunion politique au sein de clubs, de salons ou de cercles est une des
formes modernes d'organisation politique qui va le plus se répandre au
cours du XIXème.
Maurice Agulhon dans un remarquable ouvrage mêlant
histoire, sociologie et science politique étudie cette mutation de
sociabilité et notamment sous l'angle de la réunion politique,
même si l'auteur précise bien que ce sera sous la monarchie de
Juillet et sous le Second Empire qu'elle s'affirmera144(*). Parmi les organisations
politiques ultras sous la Restauration, on doit citer l'association plus ou
moins secrète des Chevaliers de la Foi, fondée sous l'Empire par
le vicomte Ferdinand de Bertier, et la Congrégation, dirigée par
le duc de Montmorency. Le chef reconnu des ultras n'est autre que le
frère du roi, le comte d'Artois. Le comte d'Artois est grand agitateur
de royalistes influents qu'il reçoit au Louvre, dans le Pavillon de
Marsan. Ces réunions inquiètent même le chef du
ministère, Richelieu, qui accuse le comte d'Artois de constituer autour
du roi un « gouvernement occulte ». Parmi les ultras
célèbres, on compte des théoriciens comme Joseph de
Maistre ou Louis de Bonald, des écrivains du romantisme naissant comme
Victor Hugo et Lamartine, pour ces années. Ils disposent aussi de
nombreux journaux assurant le lien entre eux. Citons Le Journal des
Débats, le plus puissant organe de l'époque avec 27 000
abonnés, La Gazette de France, La Quotidienne, Le
Drapeau blanc à partir de 1819, La Correspondance politique et
administrative, ou encore Le Conservateur auquel a
collaboré Chateaubriand.
Le programme de la droite légitimiste se précise
avec la dissolution de la Chambre introuvable le 5 septembre 1816. Il s'agit
d'un retour aux sources, toujours marqué par l'obsession que nous avons
expliquée du complot révolutionnaire. Louis de Bonald
martèle sa conviction qu'avec la Révolution, « l'enfer fut
sur la terre. »145(*). Les ultras, rapporte J-F Sirinelli, souhaitent donc
un roi paternel mais ferme, rétablissant la constitution selon
laquelle la monarchie a resplendi pendant quatorze siècles, un
clergé retrouvant sa place et son influence, et une noblesse de nouveau
opulente et au sommet de la hiérarchie sociale146(*). La grande
préoccupation des royalistes est l'Eglise, qui doit selon eux être
intimement liée à l'Etat et doit traverser la
société. Ils obtiennent ainsi l'abolition du divorce. Toutes les
survivances de l'Empire doivent être éliminées. Ainsi, une
ordonnance du 6 mars 1815 avait déjà déclaré
Napoléon « traître et rebelle ». Mais l'ennemi
inquiétant le plus les ultras est la bourgeoisie montante, que les
libéraux séduisent. Evoquons aussi l'influence de Chateaubriand
sur le mode de gouvernement selon la Charte. Chateaubriand, dans De la
monarchie selon la Charte, prône un parlementarisme fort, où
les ministres ont une responsabilité qui est non seulement pénale
mais aussi politique. Selon ses mots : « On peut tout examiner
sans blesser la majesté royale, car tout découle d'un
ministère responsable. »147(*). Pour l'auteur, ce sont bien les parlementaires
royalistes qui sont les plus à même de défendre la
couronne. Ce qui signifie pour Jean-François Sirinelli :
« qu'il y a là l'amorce d'un libéralisme hors de la
gauche libérale, et la preuve que la droite peut ne pas tout
entière partager la vision figée et immuable des choses que
tendent à imposer alors ses théoriciens les plus en
vogue. »148(*).
Abordons la seconde droite, vivement attaquée par les
ultras sous la Restauration : la droite bonapartiste. Le bonapartisme, tel
que nous l'avons déjà observé sous le Consulat et
l'Empire, était un bonapartisme autoritaire, issu du jacobinisme. Selon
Frédéric Bluche, spécialiste du bonapartisme, ce courant
connaît un reclassement à gauche de l'échiquier politique
sous la Restauration et les Cent-Jours, reclassement nécessaire,
durable, marqué par une alliance inégale avec le
libéralisme149(*). En effet, selon Frédéric Bluche, lors
de la fin de l'expérience impériale, le bonapartisme s'est
révélé être : « une forme de
gouvernement autoritaire et d'administration centralisatrice. C'est
l'ébauche d'une doctrine simple, mais ce n'est pas, ce n'est plus, un
puissant courant politique. »150(*). Le bonapartisme va donc muter durant les Cent-Jours
en devenant une forme de bonapartisme libéral et jacobin, selon
Frédéric Bluche151(*). La notion d' « ordre » est
toujours caractéristique mais la revendication du principe de
« liberté » est mieux prise en compte. Selon Bluche,
la liberté de la presse est totale sous les Cent-Jours152(*). Cette
« libéralisation » du courant bonapartiste va
s'affirmer encore après les excès de la Terreur blanche vers la
fin des Cent-Jours, n'oublions que les bonapartistes figuraient parmi les
cibles principales désignées par les ultras, par l'alliance
objective de ces derniers avec les libéraux sous la Restauration. Cette
alliance est d'autant plus objective que sur le plan électoral, le
bonapartisme devient de plus en plus minoritaire sous la Restauration. Sous la
seconde Restauration, le bonapartisme s'affirme donc comme un courant
d'opposition, au point même que l'on retrouve nombre de ses adeptes
s'impliquer dans les conspirations civiles ou militaires, de résistance
aux ultras, comme durant l'affaire des « Patriotes de
1816 », la conspiration grenobloise de Didier (1816)
évoquée dans l'introduction, dans notre affaire lyonnaise du 8
juin 1817 et aussi dans la conspiration de l'Union de Joseph Rey (1820). Ainsi,
les bonapartistes, voyant leur autonomie politique rendue difficile, rejoignent
souvent secrètement le camp libéral. Cela se confirmera avec la
mort de Napoléon en 1821, signant le ralliement massif de bonapartistes
vers la Charbonnerie française, appuyant ainsi solidement le souffle
libéral. Retenons pour notre étude que l'Est de la France, nous
avons pu le constater, est un foyer bonapartiste, souvent d'ailleurs d'un
bonapartisme populaire de nostalgie de la prospérité de l'Empire.
Frédéric Bluche précise ainsi : « Le
Dauphiné, Lyon, la Bourgogne connaissent ainsi les prolongements d'un
bonapartisme populaire né des Cent-Jours et de la réaction ultra,
nourri de bimbeloterie napoléonienne et de cris
séditieux. »153(*). En effet, en étant peut-être les plus
grandes victimes de la seconde Restauration, les bonapartistes, ne pouvant
s'exprimer librement, transmettent secrètement un culte de l'Empereur,
notamment par les médailles, les gravures, les bustes de l'Aigle et en
faisant circuler en cachette le journal Le Nain jaune. Coexiste donc
à coté d'un bonapartisme libéral de soutien aux
libéraux, un bonapartisme populaire qui s'exprimera dans les symboles et
le personnel politique des séditions des années 1815-1820.
Terminons ce tour d'horizon des droites sous la Restauration,
par la présentation de la droite
« modérée », c'est-à-dire celle des
royalistes constitutionnels. Comme le précise à juste titre Louis
Girard, il s'agit là de la droite du
« compromis »154(*). C'est la droite qui soutient le plus l'existence et
le respect de la Charte. Les constitutionnels forment un groupe composite,
comptant peu d'élus en 1815. Comme le remarque Jean-Claude Caron :
« les constitutionnels sont unis par leur hostilité conjointe
à la Révolution et à la Contre-Révolution, et
surtout par leur attachement à la Constitution »155(*). Ils sont conservateurs
politiquement et socialement. Ils sont de plus en plus influents. On compte
parmi leurs chefs, l'ancien préfet de police de Napoléon,
Pasquier, chez qui le groupe se réunit depuis juin 1815. Au sein de ce
groupe, on note la présence de Broglie, Serre, Molé,
Laîné, Decazes, ministre très apprécié de
Louis XVIII et régulièrement attaqué par la
majorité ultra, le lyonnais Camille Jordan qui deviendra un des chefs
des constitutionnels après avoir été élu
député de l'Ain en 1816 et 1818, ou encore le jeune Charles de
Rémusat. Du côté des théoriciens qui forment un
groupe insolite que l'on nomme les « doctrinaires », dont
Louis Girard estime qu'ils étaient « les intellectuels dans la
politique »156(*), retenons des universitaires de renom comme Barante,
Royer-Collard, Victor Cousin et François Guizot. Cette tendance
centriste de la droite monarchiste milite pour un programme que l'on pourrait
résumer par la formule du ministre Decazes en 1815 :
« royaliser la nation et nationaliser les royalistes ». Les
constitutionnels mènent, en effet, contre les ultras une lutte
d'influence auprès du roi au sein de la Chambre introuvable. Ils sont
victimes de la majorité ultra, et Royer-Collard dénoncera
bruyamment la conception parlementariste et opportuniste d'un Chateaubriand,
qui sert en réalité plus les aspirations des
députés ultras que le régime de la Charte. Dés
avril 1816, le roi manifeste clairement son positionnement en faveur des
constitutionnels. Inquiet des excès des députés ultras
à la Chambre, il déclare : « C'est une Chambre
à dissoudre. »157(*). Louis XVIII annonce la dissolution de celle-ci le 5
septembre 1816, et après une campagne très axée sur la
défense de leur ministère avec Richelieu comme chef et Decazes
comme ministre de la Police, les constitutionnels obtiennent la majorité
au sein de la nouvelle Chambre, avec 146 députés constitutionnels
contre 92 députés ultras (septembre-octobre 1816). Comme le note
Louis Girard : « Ces élections s'étaient faites
pour ou contre Decazes, ministre favori du roi. »158(*). A partir de cette date, la
Chambre étant désormais plus propice aux propositions du
ministère, les constitutionnels vont imprégner leur conception de
la monarchie dans la législation, notamment avec le projet d'une
nouvelle loi électorale, qui sera votée au début de
l'année 1817, en s'appuyant, de par la baisse du cens électoral,
sur la classe moyenne. Mais paradoxalement, cette
« libéralisation » du régime par les
constitutionnels, qui demeurent des conservateurs, va favoriser, dés les
élections de 1817, la montée d'une gauche
indépendante : les libéraux de gauche, ou
« indépendants », qui eux affirmeront clairement
leur opposition au ministère et même au régime. Nous avons
évoqué précédemment quelques théoriciens de
la droite des constitutionnels, réunis sous le cercle des
« doctrinaires ». En réalité, les
doctrinaires, certes proches des constitutionnels, jouissent d'une autonomie de
pensée propre. Longtemps, ils soutiendront politiquement les
constitutionnels. Les doctrinaires sont les penseurs contemporains de la
Révolution française. Pour beaucoup, ils l'ont vécu,
adhèrent à ses principes mais réprouvent la manière
dont elle a été conduite. Pour les doctrinaires, la
révolution sociale n'a pas trouvé le gouvernement qui l'aurait
stabilisée en rendant ses résultats définitifs. Cette
garantie de stabilité est pour les doctrinaires l'avènement
prochain de la classe moyenne. Ainsi, Royer-Collard, ancien
député et ex-président de la Commission d'Instruction
publique, écrira en 1822 : « La démocratie coule
à plein bord dans la France. Il est vrai que, dés longtemps,
l'industrie et la prospérité ne cessant de féconder,
d'accroître les classes moyennes, elles se sont si fort approchées
des classes supérieures, que, pour apercevoir encore celles-ci au-dessus
de leurs têtes, il leur faudrait beaucoup descendre. La richesse a
amené le loisir, le loisir a donné les lumières ;
l'indépendance a fait naître le patriotisme. Les classes moyennes
ont abordé les affaires publiques ; elles se sentent coupables ni
de curiosité, ni de hardiesse d'esprit pour s'en occuper ; elles
sentent que ce sont leurs affaires. »159(*). Les doctrinaires
apparaissent donc comme un centre-gauche proche du centre-droit incarné
par les constitutionnels, selon le positionnement de Louis Girard160(*). Pour en finir avec la
droite modérée des constitutionnels, précisons qu'elle
s'exprime dans des journaux comme Le Courrier ou le Journal de
Paris, où ses voix appellent, pour les résumer, à une
alliance de la royauté avec la liberté.
Nous venons de présenter les trois principales forces
politiques s'affrontant au lendemain du retour du roi, à savoir une
droite ultra et la droite modérée des constitutionnels, les
bonapartistes ne constituant plus qu'un épiphénomène, mais
à ne pas négliger pour autant tant la peur qu'ils inspirent aux
ultras reste certaine. Abordons à présent la question des
tensions caractérisant le climat politique français, les mois
précédant le soulèvement du Rhône du 8 juin 1817.
I-1.2 Sur le plan national, la question du respect de la
Charte, pomme de discorde entre constitutionnels et ultras.
La question de la Charte, octroyée par le roi le 4 juin
1814, suscite depuis des débats violents au sein de la Chambre entre
ultras, assez peu soucieux de son respect, et constitutionnels,
fondamentalement attachés au respect de l'ensemble de ses dispositions.
En ce qui concerne les libéraux de gauche, ou appelés aussi les
indépendants, ils sont encore trop peu nombreux à la Chambre, en
1815, pour faire entendre leurs voix progressistes. D'après Jean-Claude
Caron, ils disposent de moins de 15 députés à la Chambre
en 1815161(*).
Nous avons évoqué précédemment les
dispositions principales de la Charte. Rappelons les à nouveau afin
d'illustrer leur remise en cause par les ultras.
Ce texte de 79 articles, dans sa version définitive,
affirme un respect de la représentation nationale, malgré un nom
et un préambule d'Ancien Régime. Cette représentation
nationale est assurée par la Chambre des députés,
élue au suffrage censitaire, et par la Chambre des pairs,
héréditaires ou nommés à vie par le roi qui
détient l'exécutif et partage le législatif avec les
Chambres. Le parlementarisme n'est que de façade puisque c'est le roi
qui a l'initiative des lois et qui les promulgue. En effet, l'article 14 lui
permet de passer outre les Chambres, en lui donnant le droit de faire
« les règlements et les ordonnances nécessaires pour
l'exécution des lois et pour la sûreté de
l'Etat. ». De plus, le roi peut dissoudre la Chambre des
députés devant laquelle les ministres que celui-ci nomme ne sont
pas responsables. Le niveau extrêmement élevé des
conditions du cens électoral exclut la majorité de la population
du vote, donc de la représentation nationale, et plus encore de la
participation directe en rendant quasi-inaccessible pour celle-ci le voeu de
présenter des candidats aux élections. Le corps électoral
élisant la Chambre est donc très réduit, moins de
100 000 électeurs, et le nombre d'éligibles avoisine environ
les 15 000, puisque pour être électeur, il faut avoir au
moins trente ans et payer 300 francs d'impôts, et que pour être
éligible, il faut avoir quarante ans et payer 1000 francs
d'impôts. La Charte, sans proclamer les droits de l'homme,
reconnaît les principes fondamentaux de liberté,
d'égalité, de propriété (y compris les biens
nationaux). L'indépendance des juges, le jury, et la suppression des
juridictions d'exception garantissent le droit des individus. Nous verrons
comment très vite sur ces points, entre autres, les ultras vont mettre
fin à ces garanties en légiférant massivement durant la
Terreur blanche légale. La liberté de presse est garantie mais
peut devenir sujette à encadrement en cas
« d'abus ». Elle sera elle aussi très vite supprimer
par les ultras. La liberté religieuse est assurée par la
protection de l'Etat sur les différents cultes, mais la Charte proclame
la religion catholique, religion d'Etat. Cette Charte, selon Jean-Claude Caron,
définit une monarchie limitée, à mi-chemin entre monarchie
absolue et monarchie parlementaire162(*).
Cette Charte apparaît de par ses dispositions comme un
compromis fragile entre un régime royal de droit divin et des acquis des
régimes précédents, que le roi et les ultras ne pouvaient
balayer, mais un compromis précieux pour les modérés comme
les constitutionnels et dans une certaine mesure pour les premiers
libéraux de gauche, qui voient dans ce texte notamment le seul frein aux
abus du camp ultra. En effet, très rapidement, on peut affirmer que cet
édifice institutionnel va céder sous le poids des attaques des
ultras. Nous avons présenté comment le pays sombre à
nouveau dans les violences orchestrées par les bandes royalistes, que
nous avons également présentées
précédemment, lors du terrible épisode de Terreur blanche
de l'été 1815. Louis XVIII remonte sur le trône le 8
juillet 1815 au sein d'un pays en proie à l'anarchie, aux
règlements de compte de bandes ultras contre les populations qu'elles
jugent coupables d'appartenance jacobine ou bonapartiste. Arrive le moins
d'août 1815, les troubles ne sont toujours pas finis, et se tiennent les
premières élections législatives visant à composer
une première assemblée au ministère Talleyrand
(juillet-septembre 1815). Les ultras, fort de leur politique de terreur,
remportent largement ces élections. Ils composent pratiquement à
eux seuls la première Chambre, avec environ 350 députés
sur 398 sièges163(*), que Louis XVIII qualifiera
« d'introuvable », à la fois surpris et inquiet de
ce raz-de-marée ultra. Les députés ultras ont alors les
mains entièrement libres pour transposer dans les textes la Terreur
blanche animée par leurs bandes. Se greffe alors à l'automne
1815, une Terreur blanche légale. Talleyrand avait
démissionné en septembre, et le nouveau ministère
Richelieu (1815-1818) assisté de son ministre de la Police, Decazes, qui
doutera vite de la stratégie extrême des ultras, ne pourra
contenir les députés ultras à la Chambre.
Le 7 octobre 1815, le roi ouvre la session de la nouvelle
Chambre des députés, déjà noyautée notamment
par les Chevaliers de la Foi, groupe royaliste ultra, qui se mêlent de la
préparation du travail législatif164(*). D'octobre 1815 à
juillet 1816, les députés ultras vont voter plusieurs grandes
lois réactionnaires. Rappelons les quatre principales.
- Une loi de sûreté générale (29
octobre 1815) permettant provisoirement l'arrestation de suspects de complots
contre la sûreté de l'Etat. Seul le député
libéral Voyer d'Argenson s'y opposa.
- Une loi contre les cris et les écrits
séditieux (9 novembre 1815).
- Une loi organisant des cours prévôtales (27
décembre 1815).
- Une loi d'amnistie (12 janvier 1816), qui exceptait de
celle-ci, en les punissant d'exil, les personnes soumises à la
résidence surveillée par l'ordonnance du 24 juillet 1815 et les
régicides qui s'étaient ralliés aux Cent-Jours, parmi
lesquels Fouché, Carnot, le peintre David...
La folie des ultras n'avait dés lors plus de limite.
Les historiens Jardin et Tudesq rapportent même que le gouvernement dut
repousser un amendement qui visait à punir de mort la détention
d'un drapeau tricolore !165(*) Des condamnations à mort, il y en eut
pourtant de réelles. Comme celle qui émut beaucoup l'opinion, du
maréchal Ney, condamné à mort par la Chambre des pairs et
fusillé le 7 décembre 1815. De même, on peut citer le
général La Bédoyère, condamné à mort
et exécuté le 19 août 1815. Autre fait marquant aussi la
vengeance des ultras envers les anciens membres de l'Empire,
arrêté à Avignon, le maréchal Brune est
assassiné et son corps jeté dans le Rhône le 2 août
1815. Selon Jardin et Tudesq, ces nouvelles lois d'exception se traduisirent
par 6 000 condamnations politiques environ, dont moins de 250 par les
cours prévôtales, ce qui prouve qu'elles n'avaient que peu
d'utilité166(*)... Enfin, l'épuration des administrations fut
beaucoup plus sévère portant peut-être sur le quart ou le
tiers des fonctionnaires167(*). Cette Terreur blanche légale durera
jusqu'à l'été 1816. A cette période, sur
proposition secrète de Richelieu et surtout de Decazes, le roi signa le
décret de dissolution de cette Chambre incontrôlable, le 5
septembre 1816.
Cet épisode de la Terreur légale a
révélé l'instabilité politique du régime
naissant de la Charte. Les ultras, fort de leur soutien d'un écrivain et
théoricien du gouvernement de la Charte comme Chateaubriand, avec son
De la monarchie selon la Charte, ont réussi à paralyser
le ministère, légalement et étrangement de manière
moderne, par la voie parlementaire... La Chambre dissoute, des
élections s'organisèrent dés le mois d'octobre 1816, avec
l'espoir qu'elles ramèneraient la stabilité politique. En effet,
les excès des députés ultras avaient même
réussi à lasser le roi et surtout inquiétaient les autres
puissances européennes. Retenons tout de même de cet
épisode de Terreur blanche légale, la judiciarisation qu'elle
réalise du tout jeune régime restauré de Louis XVIII. Les
libertés publiques fondamentales, en principe garanties par la Charte,
comme celles d'expression, notamment par voie de presse, de réunion et
d'association sont dans leur ensemble écrasées par les lois des
députés ultras sur la sûreté générale
(29 octobre 1815) officialisant la suspicion latente de complots politiques
envers les réunions d'individus, par la loi contre les cris et
écrits séditieux (9 novembre 1815) mettant la presse sous haute
surveillance, et la loi organisant les cours prévôtales (27
décembre 1815) créant des juridictions d'exception pour les
crimes d'atteintes à la sûreté de l'Etat ou de simples
troubles à l'ordre public. C'est dans ce climat d'autoritarisme
judiciaire et policier que les ultras vont exciter le spectre des conspirations
contre le royaume. Fait révélateur, les fortes restrictions
pesant à présent sur la liberté d'expression, en
interdisant toute critique du régime, visent sans aucun doute à
museler l'opposition des constitutionnels et celle, plus fébrile encore
en ces années 1815-1816, des libéraux et des bonapartistes. La
grande crainte des ultras réside donc en ces années plus dans la
société civile qu'au sein de la Chambre au regard de
l'écrasante majorité qu'ils y détiennent. Leur
méthode est donc de bloquer toute circulation des idées remettant
en cause leur politique. Le journal est ainsi ce vecteur de civilisation en
plein essor que les ultras veulent surveiller. On comprend mieux alors les
observations d'Alexis de Tocqueville lorsqu'il rapportera ces impressions sur
la presse en Amérique lors de son voyage en 1830-1831, réflexions
plus générales sur l'influence des journaux sur une
société rapportées dans son livre De la
démocratie en Amérique (1er volume, 1835) :
« Les journaux deviennent donc plus nécessaires à
mesure que les hommes sont plus égaux et l'individualisme plus à
craindre. Ce serait diminuer leur importance que de croire qu'ils ne servent
qu'à garantir la liberté ; ils maintiennent la civilisation.
Je ne nierai point que, dans les pays démocratiques, les journaux ne
portent souvent les citoyens à faire des entreprises fort
inconsidérées ; mais, s'il n'y avait pas de journaux, il n'y
aurait presque pas d'action commune. Le mal qu'ils produisent est donc bien
moindre que celui qu'ils guérissent. »168(*). Ce que Tocqueville
souligne quinze années après le début de la seconde
Restauration française, c'est le caractère
fédérateur et mobilisateur du journal, le rendant indispensable
à l'action politique dans une société moderne. Les ultras
n'ont aucun intérêt à voir s'épanouir la
civilisation française quand celle-ci souhaite réactiver le
passé révolutionnaire et/ou impérial. Ils
l'étouffent donc, et la censure est le premier outil naturel de cette
réaction.
La Chambre dissoute en septembre 1816, les élections
d'octobre se déroulèrent dans un climat d'extrême tension.
Le ministre de la police Decazes, très proche du roi, s'efforçait
par le biais de ses préfets de promouvoir le parti des
« modérés », les constitutionnels, et le roi
semblait aussi manifester cette orientation, inquiet des débordements
récents des députés ultras à la Chambre. Les
électeurs manifestèrent le désir de modération,
puisque au sein de la Chambre élue le 4 octobre, on ne comptait
désormais plus que 92 députés ultras sur 238
députés élus, 146 modérés, à
savoir : 131 constitutionnels et environ 15 opposants
libéraux169(*).
Ces élections sont d'une grande importance quant aux rapports de force
politiques à venir dans le pays. Les ultras sont dés lors
freinés dans leur monopôle législatif à la Chambre,
mais ils demeurent la deuxième force politique du pays, une force
d'autant plus influente, nous l'avons vu, de par leurs réseaux
d'influence encore très efficaces. Ce nouveau rapport de forces en
faveur des constitutionnels et un peu des premiers libéraux marque
l'entrée de cette Restauration dans une relative phase de
libéralisation du régime. Comme le notent les historiens A.
Jardin et A.-J Tudesq : « Aux yeux des historiens
libéraux, c'est la plus belle période de la
Restauration. »170(*). Pourtant, cette nouvelle période, que l'on
appelle celle du « gouvernement des constitutionnels », qui
s'étend jusqu'à l'assassinat du duc de Berry le 13 février
1820, est plutôt marquée par une très grande
instabilité politique due au choc permanent entre ultras et
modérés, à la solide et constante montée des
libéraux qui s'appuient sur une classe moyenne en relative expansion, et
à un retour non institutionnel des bonapartistes, ces derniers souvent
s'alliant avec le jeune parti libéral ou participant à des
complots visant à renverser le régime des Bourbons.
Les constitutionnels parviennent tout de même à
infléchir le durcissement du régime opéré
auparavant par les ultras, en faisant voter trois grandes lois
« libérales » de 1817 à 1819. Nous ne
retiendrons que celles-ci, du fait que notre étude porte sur
l'année 1817, et nous nous concentrerons d'ailleurs plus sur la
première votée en cette année.
La loi la plus remarquable de cette année 1817 est la
loi électorale Laîné (janvier-février 1817). Elle
est imputable à la nouvelle majorité des constitutionnels, qui
unis, ont permis de renouer avec les dispositions de la Charte en la
matière. Le droit de vote est accordé aux contribuables
âgés de 30 ans et payant 300 francs d'impôts, et le droit
d'éligibilité à ceux de 40 ans et payant 1000 francs. La
Chambre sera renouvelée chaque année par cinquième, ce qui
remarquons le, est source de tensions électorales constantes... Cette
loi favorisait le vote des classes moyennes, et cela inquiétait
grandement les royalistes effrayés de la montée des
libéraux, s'organisant en parti, le parti des indépendants,
formé après les élections de 1817. Pourtant, ce n'est
qu'à partir des élections d'octobre 1818, qui virent les
succès de Lafayette, Manuel et Benjamin Constant, que les
indépendants vont s'affirmer numériquement à la Chambre.
On observera à cette occasion que le mouvement libéral
français est double. D'un côté institutionnel, son parti
s'affirme d'élections en élections et gagne en
« respectabilité » bourgeoise. D'un autre
côté, certains de ses membres appuient, voire organisent
même directement la lutte clandestine au sein des sociétés
secrètes, comme celle de l'Union de Joseph Rey qui complotera en 1820,
mais aussi auparavant au sein du personnel de complots plus amateurs comme
celui de Didier à Grenoble en 1816, ou notre affaire de Lyon en 1817
soutenu par tous les opposants à l'oppression réactionnaire du
personnel administratif et politique ultra. Mais comme le notent les historiens
Jardin et Tudesq, malgré toute cette vitalité du mouvement
libéral français : « (...) la police
entrevoyait cette arrière-plan de la vie politique, s'en
exagérait la portée ou s'en servait. »171(*).
Cette loi est aussi marquante dans le sens où elle
illustre la stratégie, qui relève plus du pari, des
constitutionnels d'une libéralisation du régime, qui permettrait
ainsi de ramener dans la majorité la plupart des opposants de gauche.
C'était l'avis de Decazes, et plus généralement du groupe
des doctrinaires. Mais dés les élections de septembre 1819, cette
stratégie d'ouverture à la gauche libérale prendra fin,
avec un Decazes formant avec de Serre une combinaison centre-droit, il tentera
de négocier un rapprochement avec les ultras.
Revenons sur une seconde loi
« libérale », le terme est employé par A.
Jardin et Tudesq172(*),
pourtant « fruit » du gouvernement des
constitutionnels : la loi Gouvion-Saint-Cyr sur le recrutement et
l'avancement dans l'armée (mars 1818). Cette loi organisera un
recrutement militaire à la fois par volontariat et par tirage au sort,
et surtout réglementait l'avancement au détriment des nobles qui
ne pourront désormais plus entrer directement dans l'armée en
tant qu'officiers. Cette loi avantagera encore la bourgeoisie, au grand damne
des ultras.
Dernier loi « libérale » des
constitutionnels à évoquer, la loi de Serre sur la presse en
mai-juin 1819. En fait, il s'agira de trois lois. La première, sur les
crimes et les délits de presse, affirmera enfin qu'une
« opinion ne devient pas criminel en devenant publique ».
La seconde donnera l'assurance aux auteurs poursuivis de comparaître
devant un jury et non devant un tribunal correctionnel. La troisième
loi, enfin, garantira aux journaux l'assurance d'être publiés
librement sous condition de déclarer le nom des propriétaires et
de verser un cautionnement.
Nous le voyons donc. Peu à peu, le gouvernement des
modérés, des constitutionnels, va desserrer l'étau que les
ultras avaient placé sur la société. Cette
libéralisation sera lente et relative. Donc, pour l'heure, retenons
qu'en 1817, la société française souffre toujours de la
réaction politique des ultras, inaugurée dés 1815 par leur
Terreur blanche illégale puis légale. Hormis la loi
Laîné relative aux élections, ne favorisant d'ailleurs que
la bourgeoisie montante, les constitutionnels n'ont pas réussi à
assouplir d'avantage le régime dans le sens de la Charte. La France de
1817 reste caractérisée par l'instabilité et la
fragilité politique.
I-1.3 Un climat de tensions politiques exacerbées
par l'occupation des troupes autrichiennes et le succès du retour de
Napoléon à Lyon
Rétrécissons notre champ d'observation en nous
focalisant à nouveau sur la ville de Lyon. A la veille de la
première prise de pouvoir par Louis XVIII, les Lyonnais voient le risque
d'une nouvelle occupation de leur ville par des forces
étrangères. Le 21 mars 1814, les troupes autrichiennes rentrent
dans Lyon, faisant courir le risque de nouvelles violences collectives dont la
ville a déjà tant été le théâtre.
Comme l'observe Bruno Benoit : « En janvier 1814, devant
l'approche des Autrichiens, les élites lyonnaises, tous qualificatifs et
origines confondus, se décident rapidement à ne pas
défendre leur ville... »173(*). Cette démission des élites lyonnaises
face à l'ennemi est due à la peur de revivre un épisode de
violences civiles du type de celles de 1793, mais surtout est motivée
par le pari que le retour des Bourbons s'accompagnera de la paix, et donc ce
retour du roi apparaîtrait comme un moindre mal. En ce sens, Bruno Benoit
écrit avec justesse : « Lyon préfère se
livrer à l'ennemi, qui est cependant l'ami des Bourbons, plutôt
que d'être livré à
lui-même ! »174(*).
Ainsi, le 8 avril 1814, la municipalité lyonnaise
reconnaît bien Louis XVIII comme roi de France avant Paris, mais il nous
faut comprendre qu'il y a déjà la encore divorce entre ces
élites lyonnaises et le peuple de Lyon. En effet, l'épisode des
Cent-Jours vient rappeler immédiatement l'assise populaire de l'Empereur
en cette ville. Le royalisme ne fait pas l'unanimité sous cette
première et pâle Restauration. Dés lors, il n'est pas
surprenant d'observer que le 10 mars 1815, le comte d'Artois venu demander aux
Lyonnais de résister au retour de l'Aigle, il est accueilli sans ferveur
alors que Napoléon, le 13 mars, reçoit un accueil triomphal de la
population, canuts en tête, aux cris de « Vive
l'Empereur ! Mort aux royalistes ! A bas les
prêtres ! »175(*). On retrouve déjà là, toutes
les composantes socio-politiques du soulèvement à venir de juin
1817. Lyon est donc toujours en ces années un vivier de forces du
bonapartisme populaire que nous avons décrit précédemment.
Pour comprendre cette réactivation de ce sentiment, de ce sursaut
jacobino-républicain associé à l'Empereur, il nous faut
évoquer la désaffection des Lyonnais envers les élites
politiques royalistes locales.
I-1.4 La déconsidération croissante des
élites royalistes à Lyon
Ce sursaut bonaparto-républicain trouve sa source dans
le sentiment de défiance des Lyonnais envers les royalistes locaux,
à commencer par leur maire : le comte de Fargues. En effet, Lyon,
comme nous l'avons vu précédemment, est infiltrée par les
ultras depuis fort longtemps, notamment dans les rouages administratifs et
politiques de la ville. Ainsi, très maladroitement le maire ultra, de
Fargues, déclare le 7 mars 1815 que Bonaparte est au service des ennemis
de la France, alors que ce dernier est à Grenoble. En effet, les
élites royalistes lyonnaises ont compris le danger de ce potentiel
bonapartiste de la ville. Dés lors sous la seconde Restauration, Lyon
demeure une ville à surveiller pour le pouvoir central, et ce
malgré le royalisme affiché par une partie de ses élites.
Ainsi, pour les royalistes, les descendants des « Chalier »
auraient épousé la cause napoléonienne. Bruno Benoit
l'affirme en ces termes : « (...) s'est opérée
à Lyon, aux yeux du pouvoir central, la confusion entre bonapartisme et
tradition révolutionnaire. »176(*). Sur ce point, ils n'avaient peut-être pas
tort au regard du mélange des symboliques révolutionnaires et
bonapartistes des événements du 8 juin 1817. La
conséquence de cette perception des ultras est la forte tutelle
administrative pesant sur Lyon où s'entremêlent et parfois se
superposent l'autorité du préfet, Chabrol de Croussol, du maire,
le comte de Fargues, et du lieutenant général commandant la
19ème division militaire, le général Canuel.
Ainsi, les ultras locaux surveillent activement la ville de Lyon. Face à
la défiance à peine contenue des classes populaires lyonnaises
à leur égard, les royalistes locaux répriment violemment
toute manifestation de critique du régime restauré, très
souvent en multipliant les accusations de complots en gestation, en tentant en
somme de réactiver le spectre de la guerre civile lyonno-lyonnaise. Donc
face à cette désaffection populaire des Lyonnais, les ultras
locaux vont sévir particulièrement violemment lors de
l'épisode de Terreur blanche. Cela nous mène à
évoquer l'année 1816 à Lyon, marquée par les
violences des ultras, leurs manipulations, mais aussi par la montée en
puissance de la figure locale de Camille Jordan, certes royaliste, mais plus
modéré puisqu'il rejoindra vite le camp des constitutionnels.
I-1.5 La multiplication des rumeurs de complots avec
Napoléon en toile de fond, et la montée en puissance
d'élites constitutionnelles lyonnaises comme Camille Jordan.
Louis XVIII reprend le pouvoir dans un pays en proie à
l'anarchie des violences ultras lors de la Terreur blanche, sévissant
durement, en particulier, dans le sud-est de la France. Durant
l'été 1815, la vallée du Rhône est le
théâtre de nombreux massacres. Nous avons évoqué le
cas du maréchal Brune, arrêté à Avignon, qui fut
massacré puis son corps jeté dans le Rhône le 2 août
1815. A Lyon, la Terreur blanche et sa répression vengeresse à
l'encontre des jacobins et des bonapartistes se prolonge durant toute
l'année 1816. Ainsi, le général Mouton-Duvernet est
exécuté à Lyon le 23 juillet 1816. Ce
général, de l'ancienne armée impériale, a connu le
même sort que 18 autres généraux renvoyés en juillet
1815 devant les tribunaux militaires. La Bédoyère et Ney avaient
déjà été exécutés. Lavalette est en
fuite. En mai et juin 1815, les tribunaux s'étaient durcis : le
général Chartran fut fusillé, le général
Bonnaire fut dégradé publiquement, son aide de camp, le
lieutenant Mietton fut exécuté plaine de Grenelle177(*)... La France vit donc en ces
années 1815-1816 une implacable vague d'épuration à
l'égard de l'ancien personnel napoléonien, et le
département du Rhône n'est pas épargné. Les ultras
ont compris le danger d'une renaissance de velléités
bonapartistes appuyées par des jacobins. Dés lors, en plus de
l'épuration « légale » des
députés ultras, le camp de la réaction met en oeuvre la
stratégie de la peur qui nourrit depuis fort longtemps l'imaginaire
politique royaliste : la peur du complot. Pour réveiller ces peurs
au sein de la population, les autorités ultras insufflent
régulièrement des rumeurs de complots avec Napoléon en
toile de fond. Nous avons ainsi présenté dés
l'introduction l'entretien des ultras à Lyon d'un climat de
désinformation, avec la mise en scène de petites
« affaires », reposant souvent sur d'obscures
dénonciations d'entreprises secrètes par voie de lettres
anonymes. Ces affaires au service du climat de peur que les ultras
entretiennent au sein de la population lyonnaise sont souvent
manipulées, dans le sens où si parfois il peut y avoir de
réels projets de complots politiques, majoritairement la police en a
déjà infiltré l'entreprise et manipule donc
aisément son déroulement...
Comme l'observe Georges Ribe :
« Désormais, la tactique des ultras s'appliquera à
démontrer au Roi que la politique inaugurée le 5 septembre (1816)
favorisait les espérances et les audaces du parti
révolutionnaire ; que la poursuite d'une telle politique aboutirait
au renversement des Bourbons. »178(*). Dés lors, les ultras lyonnais s'appuyaient
sur la nouvelle administration militaire, et notamment sur le
général Canuel, un ultra convaincu qui sera à l'origine
des arrestations des insurgés du 8 juin 1817 et des lourdes accusations
à leur encontre de complot politique. Le lieutenant de police
Charrier-Sainneville, esprit fin plus proche des constitutionnels, qui tentera
bien que mal d'éclaircir les questions de la réalité d'un
projet de conspiration au sein de l'affaire du 8 juin, rapporte que
Canuel : « fut l'un de ceux qui se prononcèrent avec un
extrême emportement contre l'ordonnance du 5 septembre. Il ne voyait plus
ou ne paraissait voir que des complots. On conspire, disait-il sans cesse. La
conspiration est dans les esprits, dans l'air, partout. Les ennemis du
trône se réjouissent, il faut s'attendre à des
mouvements. »179(*). Ainsi, s'était mise en place à Lyon
une sorte de contre-police militaire qui marchait en opposition avec la police
civile, rapporte Georges Ribe180(*). Le but de celle-ci était de débusquer
une conspiration contre le royaume, et son zèle dans ses investigations
ne pouvait que laisser prévoir la déraison en cas de
découverte du moindre indice d'activités politiques
parallèles. Elle se livrait à des visites domiciliaires à
toute heure de la nuit et du jour, et effectuait des arrestations sans la
moindre autorisation autre que celle de ses chefs. Toutes ces démarches
étaient donc extrêmement politisées, avec le but à
peine masqué de créer le scandale en 1816 qui ferait renoncer le
roi à la dissolution de la Chambre introuvable, dont les ultras
préssentaient à l'été qu'il pourrait en perdre leur
contrôle illimité, voire pire simplement leur majorité.
Nous voyons donc comment le débat autour de la Charte fut central dans
le déclenchement des troubles à venir et surtout de leur
manipulation par le camp des exagérés. Ces abus de pouvoir des
autorités ultras lyonnaises créaient ainsi des conflits
d'autorité avec la police. Le lieutenant Charrier de Sainneville, chef
de la Police civile, ne croyait pas que l'on pouvait comploter
sérieusement à Lyon et selon lui, ces menées
observées étaient le fruit des intrigues des officiers
supérieurs ultras et de leur contre police. Mais nous reviendrons sur
cette question, lors du point consacré à la thèse de la
provocation policière. L'année 1816 est donc rythmée par
de petites affaires de conspirations déjouées. Nous avons
évoqué ainsi la conspiration-insurrection de Grenoble qui
éclate sous la direction de Paul Didier, le 4 mai 1816. Ce complot
bonapartiste ? républicain ? orléaniste ?, le flou
sur ses intentions reste aujourd'hui encore entier, mobilisa 400 à 500
insurgés qui tentèrent de s'emparer de Grenoble et projetaient de
marcher sur Lyon. On ne peut nier l'existence de cette conspiration mais il est
clair que les autorités locales exploitèrent grandement l'affaire
au profit du parti des Bourbons, en déformant certainement les
intentions des insurgés. Ce qui est à souligner est la
rapidité, voire le caractère expéditif du traitement de
l'instruction de l'affaire et de la condamnation des séditieux, par des
cours prévôtales, ces nouvelles juridictions d'exception au sein
desquelles l'exercice de la loi laisse dubitatif. Didier exécuté
le 10 juin 1816, de même que 16 de ses comparses, cette affaire
crée un précédent pour les ultras et dans un sens une
sorte de jurisprudence du complot, légitimant leur surveillance
militaro-policière de la ville de Lyon et leurs investigations
secrètes.
Ainsi, les généraux Canuel et Maringonne
sollicitent le 4 octobre 1816, jour de la réunion du collège
électoral, un réunion chez le préfet du Rhône,
Chabrol, ancien fervent bonapartiste désormais jurant
fidélité au roi, au cours de laquelle ils dévoilent un
long rapport selon lequel un groupe de conjurés aurait pour dessein de
« massacrer les prêtres et les royalistes, et de proclamer pour
souverain le fils de Bonaparte. »181(*). Les chefs de ce cercle devaient rétablir
à niveau moindre les prix sur les pommes de terre et les autres
denrées alimentaires. Le lieutenant de police Sainneville se rendit sur
les lieux suspectés de réunion des conspirateurs, à savoir
une maison sur la colline de Fourvière, et assura le préfet de
l'inexistence de tout risque. C'est sans importance pour les ultras, puisque
ils ont déjà réussi à faire élire trois
ultras de plus en portant en ville ces fausses révélations qui
causèrent l'émoi.
Le 9 octobre 1816, le général Maringonne fait
part à Sainneville d'un autre projet de complot du même type. Sans
en attendre l'autorisation, Maringonne fait arrêter huit individus et
remet au préfet un copieux dossier de 21 pièces, tissu
d'allégations mensongères recueillies par deux agents
infiltrés, au service des généraux selon Georges
Ribe182(*). Selon, ce
document, les insurgés se réunissaient chez un pasteur protestant
et à la loge maçonnique du Pilatat. Leur souhait était de
ramener Bonaparte et ainsi : « La France sera sauvée,
aurait dit l'un des conjurés, et le travail reprendra sous le
règne de l'Empereur où nous serons plus heureux, que sous le
règne de ces gros cochons de Bourbons. »183(*). L'affaire paraissait
dérisoire puisqu'elle ne reposait que sur de simples paroles
invérifiables. Cependant, les généraux Canuel et
Maringonne ne désespèrent pas de trouver motif à leurs
voeux de sinistres complots ourdis contre le royaume. Ils font fouiller
Saint-Just à deux heures du matin, pour n'y trouver que trois fusils
rouillés... Ce ne sera peut-être que le 24 décembre 1816,
que Canuel trouvera matière à exciter les foules lyonnaises en
découvrant des placards séditieux à Saint-Georges
où l'on devait y lire : « Prenez courage, Napoléon
revient, et nous aurons le pain à quatre sols. ». Cependant,
à cette époque, le préfet demeure prudent et ne se laisse
pas entraîner dans l'emballement des généraux ultras.
Il est à noter que depuis les élections
d'octobre, et donc le net recul des ultras à la Chambre, ces derniers
cherchent à regagner de la légitimité populaire en
trouvant dans de quelconques événements prétexte à
de véritables affaires politiques. Ainsi fin 1816-début 1817, une
forte rivalité entre police militaire à la solde des ultras et
police civile plus modérée, s'est installée à Lyon.
En février 1817, le lieutenant de police civile Sainneville fait
arrêter un gendarme dont les démarches « avaient pour
objet de découvrir des bonapartistes, afin de les livrer ensuite
à l'autorité. »184(*). L'affaire qui aurait pu coûté cher aux
autorités militaires sera vite étouffée. Mais les
généraux ultras continuent leur zèle. Lors de deux rixes
aux Brotteaux et aux Terreaux, entre soldats suisses et habitants en avril, les
autorités militaires affirment qu'un rassemblement de sept cents hommes
armés de pistolets et de bâtons projetait par la suite de prendre
la ville. Le tribunal jugeant ce rassemblement calma l'autorité
militaire en condamnant les prévenus à quinze jours de prisons.
Parallèlement à ce climat savamment entretenu
par les autorités royalistes ultras lyonnaises de désinformation
générale, le camp royaliste se divise avec pour ligne de fracture
la question de la Charte et surtout celle de la dissolution de la Chambre
introuvable. Les ultras théorisent une révision de la Charte,
notamment sous la plume de Chateaubriand, visant à accroître le
rôle des Chambres par rapport au Ministère, donc leur influence.
Les royalistes modérés, les constitutionnels, s'attachent au
strict respect de la Charte, mais peinent à gouverner face à une
Chambre des députés de plus en plus hostile. Decazes obtient donc
facilement du roi la dissolution de la Chambre devant laquelle le
Ministère constitutionnel ne trouve que trop peu d'appui face au
corporatisme des députés ultras. Désormais la vie
politique française sous la Restauration sera marquée par des
querelles électorales permanentes du fait de la dissolution de la
Chambre en septembre 1816 puis de son renouvellement annuel par
cinquième.
A Lyon, on observe en cette fin d'année 1816 la
montée en puissance de royalistes constitutionnels comme Camille Jordan,
député de l'Ain, entraînant derrière lui des
opposants libéraux, ou encore Pierre Thomas Rambaud, conseiller puis
procureur général à la Cour de Lyon, et aussi Desuttes,
prévôt du Rhône en 1818 et conseiller du parti
libéral. Camille Jordan s'exprimera sur les suites de l'affaire du 8
juin 1817, et au regard de la stature qu'il gagnera au sein des
constitutionnels lyonnais, il apparaît intéressant de
présenter sa figure.
Camille Jordan185(*) , législateur, est né à Lyon le
13 janvier 1771 et est mort à Paris le 19 mai 1821. Fils d'un
négociant, adversaire de la Révolution, il devint l'un des
promoteurs de la révolte de Lyon contre la Convention. Il se fit surtout
remarquer dans la journée du 29 mai 1793 où il chercha à
rallier les paysans des provinces voisines à la cause royaliste. Il se
réfugie en Suisse le 9 octobre avec la chute de son parti puis s'exile
en Angleterre. Revenu à Lyon lors de la mort de sa mère, Camille
Jordan réussit à se faire élire par le territoire
administratif de Rhône et Loire, le 25 germinal an VI,
député au Conseil des Cinq-Cents. Il obtint l'abolition des lois
édictées contre les prêtres insermentés, puis fut
proscrit an 18 fructidor. Il parvint à s'échapper, se rend en
Suisse puis en Allemagne à Weimar. Rappelé en l'an VIII par le
gouvernement consulaire, puis mis en surveillance quelques temps à
Grenoble, il se prononce contre le 18 brumaire, pour adhérer,
après la déchéance de l'Empereur en 1814, au parti des
Bourbons. Le 4 octobre 1816, Camille Jordan est élu député
par le collège de l'Ain, devient président de la Chambre, et le
30 novembre suivant, il est nommé conseiller d'Etat. Il obtient sa
réélection de député le 20 octobre 1818, se
rapproche alors des modérés et devient l'un des chefs de
l'opposition constitutionnelle. Dans la session de 1819, il vota contre les
lois d'exception ; c'est à ce moment qu'il tomba malade et mourut
dans les premiers mois de 1821.
Camille Jordan fut un des grands promoteurs de la
modération à Lyon en ces années 1816-1818. Comme le
rappelle Sébastien Charléty : « Camille Jordan
avait énergiquement pris parti pour Fabvier et Sainneville, (le premier,
officier colonel croyant assez peu à la thèse de la conspiration
tout comme le second que nous avons déjà présenté,
lieutenant de police en charge de l'affaire), sa brochure La Session de
1817 était un réquisitoire contre les ultras de Lyon. A la
Chambre, où les allusions aux « événements de
Lyon » soulevaient de fréquents tumultes, son discours du 22
avril (1818) avait très nettement rejeté la responsabilité
de la conspiration « sur le parti qui avait eu la direction de
l'opinion royaliste dans le département », sur les agents du
pouvoir du pouvoir à qui, « par un contre sens
politique », on avait confié le soin de défendre un
programme qu'ils détestaient. La campagne électorale se fit sur
les événements de 1817. « La question qui s'agite,
écrivait un libéral, se présente sous deux aspects ;
1° un député à nommer ; 2° un jugement
à porter sur les événements dont le département a
été le théâtre. ». Le nom de Jordan
était à lui seul une opinion. »186(*). Et Camille Jordan symbolisa
pour les électeurs le rejet des manipulations des ultras lyonnais
puisqu'il fut réélu député au premier tour le 5
octobre 1818 avec 776 voix sur 1288 votants187(*).
Cette solide affirmation du parti des constitutionnels,
entraînant derrière elle le jeune parti libéral avec qui
les constitutionnels s'allient de plus en plus lorsque tous deux s'opposent aux
ultras, se matérialise par un rééquilibrage constant au
fil des années des rapports de force à la Chambre des
députés. Pour finir sur la présentation de ce contexte
politique mouvant des premières années de cette nouvelle
Restauration, on retiendra cette affirmation des constitutionnels et
l'émergence des libéraux réunis au sein de leur parti des
indépendants. Ce rééquilibrage jusqu'en 1824 est
résumé par ce tableau des évolutions de la Chambre des
députés :
La Chambre des députés et ses majorités
successives188(*)
Chambre introuvable (1815) : 350 ultras/398
sièges
Elections de 1816 : sur 258 députés, 150
constitutionnels, 90 ultras et 15 libéraux
Elections partielles de 1817 : progression des
Indépendants de 13 à 25 sièges
Elections partielles de 1818 : les Indépendants
gagnent 19 voix
Elections partielles de 1819 : les Indépendants
gagnent 25 voix
Elections de 1820 (régime de la loi du double
vote) : 30 libéraux et 50 constitutionnels
sur 430 députés.
Chambre retrouvée (1824) : 415 ultras sur 430
députés
La France sous Louis XVIII est donc traversée par de
grandes tensions politiques au niveau national comme au niveau local. Nous
avons pu illustrer l'affrontement entre ultras et modérés, et ce
notamment à Lyon et dans sa région, où résonnent
constamment des rumeurs de complots jacobino-bonapartistes, fruits des
manipulations et de la propagande ultra. Abordons à présent la
question de l'état économique et social de la région
Rhône-Alpes en ces années 1810-1820 en présentant notamment
la crise des subsistances de 1817, un des vecteurs clefs des troubles
politiques du mois de juin 1817 dans le Rhône.
I-2. L'état économique et social de la
région Rhône-Alpes en 1810-1820 et la crise des subsistances de
1817
Le but de ce point est d'opérer une lecture sociale
d'un contexte politique anxiogène.
Nous commencerons par rappeler rapidement les conditions
socio-économiques difficiles du sud-est de la France en ces
années, avant de décrire la crise des denrées alimentaires
de 1817.
I-2.1 Bref tableau des difficultés de la France du
Sud-Est sous la Restauration
La société française en 1815 est
considérablement affaiblie, suite à 26 années de guerres
et de révoltes. On observe toujours un poids très lourd des
structures de l'Ancien régime, notamment au niveau des
hiérarchies sociales et culturelles. Ces années sont de plus
marquées par des crises de subsistances et des épidémies
meurtrières. De ce fait, on remarquera le phénomène de
nostalgie politique de cette société qui refuse de faire le deuil
soit de l'Empire, soit de la Révolution. Comme le précise
Christophe Charle189(*) : « Il y a là tout un complexe
de réflexes populaires de résistances dans les situations
extrêmes qui ne s'explique à ce degré que par le souvenir
des journées révolutionnaires ou des guerres civiles
provinciales. Le bilan des années 1789-1815 est donc tout à la
fois fait de nouvelles structures et de modes d'action collective ou de mythes
mobilisateurs périodiquement réactivés sans lesquels la
dynamique sociale de la première moitié du XIXème
siècle est incompréhensible. ». La France de la fin de
l'Empire est donc physiquement meurtrie. Au niveau de sa jeunesse, elle a
payé un lourd tribut du fait des guerres, où la pratique s'est
même répandue de se mutiler pour échapper au champ de
bataille. On observe ainsi à la fin de l'Empire une surmortalité
due à des crises de subsistances récurrentes, ces
dernières trouvant leur cause dans le manque d'hommes pour cultiver les
terres. Ces crises de subsistances sont donc plus aigues dans les
régions touchées par la conscription. La France de l'Est a connu
les combats sur son territoire, elle est donc plus meurtrie, mais pourtant la
population reste attachée à l'armée du fait de la
promotion sociale qu'elle peut offrir.
Ces guerres napoléoniennes ont provoqué un
déracinement de la paysannerie, la divisant entre vétérans
attachés à la légende de l'Empereur et opposants à
l'autoritarisme de son Etat. Comme le remarque Christophe Charle190(*), la structure de la
société française au début du XIXème
siècle est encore proche de celle de l'Ancien régime. La
population est sous-alimentée, victime d'épidémies, le
choléra refrappera en 1832. On note toujours un taux élevé
d'orphelins, ou d'enfants abandonnés.
Au niveau culturel, on ne peut que déplorer les retards
dans l'enseignement du français, que traduisent la sous scolarisation et
la sous alphabétisation, plus forte chez les femmes, majoritairement
cantonnées à la maison. Ainsi comme l'observe judicieusement
Christophe Charle, cela participe sous la Restauration d' « une
société du manque et de l'obscur »191(*). Ses membres sont trop
privés des biens élémentaires pour réclamer
l'instruction.
De même on peut observer des carences dans la formation
des élites. Moins d'un million d'enfants sur quatre millions
fréquentent l'école et encore de manière
irrégulière. La pauvreté empêche en effet le
recrutement d'instituteurs dans les communes, ou quand ceux-ci sont
employés, ils sont mal payés et resteront
déconsidérés jusqu'en 1833, lorsque la loi Guizot sur
l'instruction revalorisera leur statut.
A retenir surtout de la société sous la
Restauration est son extrême division. La première source de cette
absence de cohésion est la lutte pour la propriété. En
effet, comme le rappelle Christophe Charle, seule une fraction des biens
nationaux a été réellement vendue à un million de
Français. Dans le Lyonnais, seule 4% de la superficie du
département change de mains192(*). Sur ces inégalités
économiques se greffent des inégalités politiques, voire
civiques. En effet, comme nous l'avons déjà souligné,
seuls les propriétaires fonciers peuvent voter jusqu'à la mise en
place de la Charte, qui n'abolira cependant pas les inégalités du
suffrage censitaire. La France sous la Restauration est donc marquée par
l'exclusion et des révoltes violentes, notamment dans les petites villes
où s'affrontent périodiquement bourgeois et nobles. Retenons pour
la ville de Lyon, qu'elle est déjà en 1815, un grand centre
administratif, commercial, artisanal et industriel, comme les villes de Lille,
Strasbourg et Paris. Une des grandes divisions de cette société
des années 1810-1820 est le choc ville/campagne. Ainsi, comme le
rapporte toujours Christophe Charle, les populations pauvres des campagnes,
aveuglées par l'illusion du rêve urbain, migrent vers les villes,
créant ainsi une inquiétude sociale de la bourgeoisie face
à ces populations193(*). S'affirme encore sous la Restauration donc le
phénomène de l'indigence, notamment dans les grandes villes comme
Paris et Lyon. A juste titre, Christophe Charle affirme que :
« La société française de la Restauration cumule
l'héritage de l'Ancien Régime et les pathologies de la
société industrielle émergente. »194(*).
Les plus exclus sont les femmes, les jeunes et les
prisonniers. De grandes tensions naissent dans ces années entre les
« vieux » détenant le pouvoir réel et
symbolique, et cette majorité d'hommes jeunes privés d'un avenir
indépendant des codes de l'Ancien Régime. C'est à cette
époque que se développe ainsi le thème de la
gérontocratie. L'agitation étudiante qui grandira sous Louis
XVIII témoigne de cette véritable fracture
générationnelle. De même, la Restauration poursuivra ses
pratiques systématiques de l'enfermement des fauteurs de trouble, comme
cela était déjà le cas généralisé
sous Napoléon. L'ordre carcéral entérine les
inégalités sociales, avec des « riches » qui
peuvent échapper à une cellule par le paiement de cautions
élevées.
La France du Sud-Est est ainsi elle aussi très
touchée par ces maux que sont la misère rurale, l'exclusion des
villes, les peurs liées aux crises alimentaires et aux
épidémies. L'instabilité politique locale marquée
par les conflits entre nostalgiques de l'Empire, républicains et
royalistes de diverses sensibilités, rend ce cadre économique et
social insupportable pour des populations paupérisées qui n'ont
plus rien à perdre en faisant le choix de la révolte. Dés
lors comme le précise toujours Christophe Charle, c'est le sentiment
classique et dominant de la peur qui traverse la société
française du début du XIXème siècle. Ces peurs sont
le terreau des luttes violentes et des « antagonismes politiques,
parfois convergents, parfois divergents, entre
« notables », « capacités »,
paysans et prolétaires. »195(*).
Dés lors, la classe dirigeante française de ces
années offre une image paradoxale. Si les notables détiennent
tous les leviers de commande : politique, administratif, la terre,
l'industrie et la culture, « ils n'ont pas su gérer comme
leurs homologues britanniques, le passage en douceur vers une
société démocratique de classes moyennes par compromis
historique progressif avec les nouvelles couches émergentes et
l'élite des classes populaires. »196(*). Cette absence de
transmission de relais démocratique s'explique par le poids du
passé révolutionnaire, les souvenirs douloureux de la Terreur
révolutionnaire paralysant une fraction de notables. On observe donc une
domination des notables comme nouvelle classe en essor sur le
prolétariat, mais aussi une division au sein des notables et des luttes
de pouvoir entre eux.
Cet enlisement de la société française
sous la Restauration dans une misère chronique pour la paysannerie, et
les luttes politiques au niveau urbain, est la promesse des explosions
politiques et sociales à venir. Ainsi, pour finir sur ce point sur les
difficultés économique et sociales de la France en ces
années 1810-1820, nous méditerons cette réflexion de
l'historien Christophe Charle à propos de la révolte des canuts
lyonnais des années 1830-1831, raisonnablement transposable aux troubles
précédents de Lyon en juin 1817 : « Toutes ces
données expliquent comment une affaire, au début limitée,
est parvenue en quelques semaines à symboliser l'émergence d'une
fracture de la société bourgeoise, comment les canuts
réputés pour leur soumission, sous l'action d'une minorité
décidée et influencée par les missionnaires
saint-simoniens ou républicains, ont pu conquérir la
deuxième ville industrielle du royaume et y instaurer pour quelques
jours une préfiguration de la Commune face à des autorités
désemparées. La répression, elle-même, par
l'armée, par les procès et par la prise de mesures restreignant
les libertés, est génératrice d'une conscience de classe
durable et d'une solidarité élargie. C'est pourquoi chaque
conflit du travail, chaque trouble né de la misère urbaine peut
entraîner très vite la masse des classes populaires dans la
révolte ouverte et la remise en cause de la classe au pouvoir, celle-ci
ne négociant jamais ou, quand, elle le fait, ne tenant jamais ses
engagements. »197(*).
I-2.2 La crise des subsistances de 1817
Comme l'observe Georges Ribe : « Au moment
où éclatera la sédition de juin 1817, la crise des
subsistances atteindra son paroxysme et, corollairement, le coût de la
vie son maximum. Cette pénurie résultait de l'abus des
réquisitions en 1815 et, plus encore, de la récolte
déficitaire de 1816. »198(*). Le prix du blé, de 21 francs l'hectolitre en
novembre 1815, passait à 38 francs un an plus tard et atteindra son
plafond : 58 francs 75 en juin 1817.
Comme le soulignent aussi les historiens A. Jardin et A.J.
Tudesq : « La crise de 1816-1817 n'est pas exclusivement
française. (...) Mais elle prit en France une gravité
exceptionnelle, car aux causes climatiques s'ajoutèrent les
conséquences de l'invasion. »199(*). Selon ces derniers, l'Est
de la France subit les hausses les plus fortes. En conséquence, on voit
dans Lyon et sa région s'accentuer la misère populaire, avec ses
phénomènes associés que sont les vols et attaques à
main armée contre les propriétaires, et l'augmentation du nombre
de vagabonds et de mendiants. En décembre 1817, le prix du pain dans le
département du Rhône arrive à 7 à 8 sols la livre,
mais la situation va encore s'empirer au cours de l'hiver à cause de la
diminution du travail et de la réduction des salaires
conséquente. Selon Georges Ribe, le nombre de pauvres portés sur
les états des comités de bienfaisance s'élevait à
cette période à environ 17 000 pour le département du
Rhône200(*). Cette
inflation du prix des denrées alimentaires due essentiellement aux
mauvaises récoltes est source de tensions chez les classes populaires,
pour qui le pain demeure la base de l'alimentation, et qui connaissent à
nouveau des situations de famine. En juin 1817, la situation est
quasi-dramatique. Toujours selon Georges Ribe, la farine de blé
était montée presque subitement de 46 à 64 francs le
quintal. Le pain était à un onze sous la livre dans le
département201(*). Face à ce climat de misère
économique, les autorités locales craignent d'autant plus un
soulèvement motivé par des conspirateurs qui pourraient appuyer
alors aisément leurs visées politiques avec le
mécontentement populaire généré par la
cherté des denrées alimentaires. Le préfet du Rhône,
Chabrol, se refuse alors à une nouvelle augmentation du prix du pain,
sentant désormais le caractère explosif de la situation... Dans
un rapport du 6 juin 1817, il note : « (...) convaincu que cette
mesure eut été d'une haute impolitique. Il se confirme que
l'opinion générale des campagnes était qu'on augmenterait
le pain à Lyon, et que cette augmentation produirait un mouvement dont
on comptait profiter... La seule espérance des factieux était
dans un mouvement d'exaspération produit par la cherté des
denrées... Ce n'est qu'en liant leur projet à un mouvement
populaire qu'ils peuvent espérer réussir. »202(*). Selon les
autorités, en effet, et aussi selon certains historiens, cette disette
des années 1816-1817 est à l'origine directe des troubles de juin
1817 dans le Rhône. Nous reviendrons sur cette seule explication en
montrant en réalité la complexité de
l'événement.
Retenons que cette crise des subsistances occasionna des
rébellions dans de nombreux départements. Les premiers troubles
apparurent dans le Nord, au Croisic, à Castres au printemps 1816. De
l'Ain à la Haute-Vienne, de la Seine-Inférieure au Lot, les
marchés sont attaqués, les boulangeries pillées, des rixes
provoquent parfois des morts, comme le rapportent A. Jardin et A.J
Tudesq203(*). A partir
de mai-juin 1817, éclatent de véritables jacqueries : en
Brie, en Essonne (3-4 juin), dans l'Aube, dans l'Yonne où les troubles
revêtent un caractère démesuré. Le gouvernement prit
du retard à mesurer l'ampleur de ces émeutes de la faim,
auxquelles Lyon et son département, comme nous l'avons vu,
étaient déjà accoutumés. Il est donc clair pour
l'observateur de ces troubles politiques du Rhône en juin 1817, que la
dégradation rapide des conditions économiques des populations
confrontées pratiquement à la famine a joué un rôle
non négligeable dans la mobilisation populaire du personnel de
l'insurrection. Cependant, on ne pourra réduire ces
événements à une simple émeute de la faim au regard
des symboliques utilisées par les séditieux, de leurs
revendications, de la structuration de l'organisation secrète en
comités, du plan d'attaque des communes etc.
Ce qui reste indéniable est la manipulation
postérieure de ces troubles de juin 1817 par les autorités
militaro-policières ultras, manipulations au service de leur parti,
impatient de se prévaloir du titre de « sauveur du trône
et de l'autel » pour reprendre la formule de Georges Ribe204(*).
La France de la Restauration de Louis XVIII est donc
marquée par l'ordre moral et policier organisé par les royalistes
ultras. Mais cette réaction souffre d'un désordre politique avec
l'affrontement au sein même du camp royaliste des constitutionnels et des
ultras, et d'un désordre économique et social complet, comme nous
venons de l'observer, avec de graves crises des subsistances
récurrentes, des retards concernant l'éducation, une situation
quasi inchangée dans l'accès à la propriété,
des inégalités économiques de plus en plus criantes entre
un prolétariat urbain ou rural et une classe de notables,
elle-même encore en conflit avec la noblesse... Enfin, la
société française sous Louis XVIII porte en elle les
germes d'une contre réaction politique et culturelle avec un
bouillonnement intellectuel du libéralisme politique et philosophique,
qu'il soit l'oeuvre des idéologues, des doctrinaires, puis des
indépendants de gauche.
C'est dans ce cadre d'incertitudes et de peurs que nous devons
à présent aborder la question de la conspiration du 8 juin 1817
dans le Rhône, en essayant de discerner les réalités
multiples de l'événement.
La conspiration du 8 juin 1817
« La question n'est pas de savoir qui doit
gouverner, comme le croyait Platon, car tous les hommes sont faillibles, y
compris ceux à qui nous faisons confiance en leur accordant nos
suffrages. Ce qui importe, c'est de savoir comment l'Etat doit être
conçu et organisé, sur la base des lois, pour que les gouvernants
n'abusent pas de leur pouvoir, qu'ils soient soumis au contrôle de leurs
concitoyens, qu'ils tiennent compte de leurs critiques et qu'ils soient en cas
de nécessité, susceptibles d'être destitués sans
effusion de sang. »
Karl Popper, Etat paternaliste ou Etat minimal,
1988.
II- Le complot bonaparto-républicain et la
question de la violence politique
L'objectif de ce second thème consacré aux
différentes réalités de la conspiration du 8 juin 1817
sera de retranscrire pour le lecteur la « politisation » de
ces troubles qui méritent plusieurs lectures. Nous aborderons donc
successivement la question préalable de la nature politique de
l'événement en présentant ces différents acteurs,
puis brièvement la question des facteurs déclencheurs de
l'affaire, la politisation de celle-ci par le camp ultra lyonnais, la question
du plan des conjurés avec en filigrane la question de la mesure du poids
de la provocation policière quant à l'activation de
l'insurrection, et enfin les suites politiques données à cette
affaire par le pouvoir central.
Nous avons déjà clairement mis en
lumière le phénomène sous cette seconde Restauration
française de convergences politiques nationales et locales, d'autant
plus solides pour le cas de la ville de Lyon, entre un courant bonapartiste
toujours potentiellement actif et donc surveillé par les ultras, et des
républicains, pour l'essentiel des jacobins, qui appuient le jeune
mouvement libéral des indépendants205(*).
L'historien américain Eric J. Hobsbawm résume
parfaitement cet état de confusion politique en France de toutes les
forces d'opposition sous la Restauration : « Pendant la Restauration
(1815-1830), la réaction avait mis sous le même éteignoir
tous les partis d'opposition et, dans cet ombre il était difficile
d'apercevoir les différences entre bonapartistes et républicains,
entre modérés et radicaux. Il n'y avait pas encore de
révolutionnaires ou de socialistes conscients d'appartenir à la
classe ouvrière, du moins dans le domaine
politique... »206(*).
A Lyon, ce croisement d'intérêts entre
bonapartistes et jacobins, qui inquiétait tant les autorités
locales en 1815, va trouver sa matérialisation dans l'affaire du 8 juin
1817, de par le chevauchement des symboliques bonapartistes et
révolutionnaires (au sens de la Révolution française de
1789) lors des séditions, mais aussi de par les ambitions du plan des
conjurés qui visait après avoir éliminé le maire
ultra de la ville et reconquis le pays, à installer une
république menée provisoirement par le fils de Napoléon.
Notons au sujet de cette conspiration, qu'elle demeure assez
peu relatée par l'historiographie consacrée à la
période. Ainsi, nous avons déjà largement
évoqué et puisé dans les études relatives de
Sébastien Charléty, Georges Ribe et Bruno Benoit. Les faits du 8
juin 1817 sont rapidement rapportés dans le tome 2 de La France des
notables des historiens A. Jardin et A.J Tudesq207(*), G. de Bertier de Sauvigny
leur consacre deux pages208(*), et Frédéric Bluche un
paragraphe209(*).
L'historien américain Alan B. Spitzer l'évoque aussi
brièvement210(*).
On retrouvera des études plus approfondies et récentes dans le
recueil d'articles Secret et République sous la direction de
Bernard Gainot et Pierre Serna211(*).
Commençons par nous interroger sur la nature politique
de cette affaire, puisque les divergences des historiens portent sur la
désignation de ces troubles sous le vocable de conspiration ou
d'insurrection.
II-1. Conspiration ou insurrection ?
Pour la plupart des observateurs de ces troubles du
Rhône en juin 1817, l'entreprise du 8 avait été
infiltrée depuis longtemps et son activation fut provoquée de
l'intérieur par des agents à la solde des ultras locaux. Cette
thèse est tout à fait exacte comme nous le préciserons
ultérieurement. Cependant, une telle thèse pose l'interrogation
légitime du bien fondé dans ce cas de la dénomination des
ces événements sous le vocable de la conspiration. En effet, une
conspiration est une entreprise secrète, collective et concertée,
avec un but politique précis et surtout un plan d'action finement
programmé. La plupart des tenants de la seule thèse de la
provocation policière n'évoque pratiquement pas le plan d'action,
le travail ritualisé de coordination des conjurés du 8 juin 1817.
Car, il y eut bien conjuration comme nous le verrons, avec un recrutement
sélectif d'un personnel rationnellement affecté à
certaines tâches, serment du secret et de fidélité de ses
membres, division de ces derniers en comités d'action... Cette
réduction de ce complot à des manipulations des autorités
militaires ultras de Lyon est compréhensible, du fait du scandale
politique local que les révélations, notamment par Sainneville,
de la machination ultra provoquèrent et se soldèrent sur
décision du pouvoir central par des remaniements, des mutations des
fonctionnaires en charge de l'affaire. L'histoire n'a retenu que l'affaire
politique de ces troubles, la réduisant ainsi à une insurrection
provoquée. Dés lors, les historiens comme G. de Bertier de
Sauvigny, A. Jardin et A.J Tudesq ou encore A.B Spitzer ne retiennent que le
caractère insurrectionnel de l'événement, mais aussi fort
heureusement la répression entachée de mauvaise conscience de la
Cour prévôtale du Rhône. Plus aboutie est l'étude de
Josiane Bourguet-Rouveyre, contenue dans le recueil d'articles
rassemblés sous la direction de Bernard Gainot et Pierre Serna,
Secret et République 1795-1840. Josiane Bourguet-Rouveyre dans
son article « Les bonapartistes dans les conspirations de 1815
à 1823 »212(*), défend la thèse la plus commune de la
provocation policière comme origine du complot : « La
plupart des nombreux complots de 1816 et 1817 sont d'origine policière
et ont servi à attiser la Terreur blanche en faisant croire à la
force et à la détermination des opposants au régime. Sous
le prétexte de ces prétendus complots, des bonapartistes ont
été durement réprimés... (...) Les deux
conspirations les plus sérieuses sont celles de Grenoble et de Lyon,
même si celle de Lyon est, à l'origine, une provocation
policière. »213(*). Cette historienne a parfaitement raison sur
l'existence de la manipulation policière, mais à mon sens
d'après les archives consultées elle n'enlève rien au fait
que la conspiration, dans ses buts et ses moyens, préexistait à
cette manipulation. La question de l'origine première et
bousculée de cette insurrection est donc centrale quant à son
appellation ou non sous le terme de conspiration. Voilà, pourquoi, j'ai
choisi dés l'introduction de qualifier l'événement de
conspiration à visée insurrectionnelle,
prématurément activée par la provocation
policière.
Venons-en donc aux faits et aux acteurs de ces troubles.
II-1.1 Retour sur les faits : la question des
acteurs et de leur rationalité
C'est un dimanche 8 juin 1817 qu'éclate l'insurrection
en fin d'après midi, menée par des bandes partant des campagnes
du nord-ouest et du sud-ouest de Lyon pour converger vers la ville. Les
troubles sont très vifs dans ces communes de la périphérie
de Lyon, que sont Charnay, Chazay, Anse, Ambérieux, Chessy et
Châtillon pour le nord-ouest, Saint-Genis Laval, Irigny, Millery,
Brignais et Saint-Andéol pour le sud-ouest. On y sonne le tocsin, chante
la Marseillaise, menace les maires et les curés, crie « Vive
Napoléon II ! », réclame le pain à trois
sous la livre. Souvent les insurgés arborent aussi la cocarde tricolore,
tentent de s'emparer des mairies et des églises, le tout dans un climat
de grande confusion214(*). Les insurgés prévoyaient de se porter
sur Lyon une heure après leur prise des communes
périphériques. Le but était de mettre Marie-Louise et son
fils sur le trône de France. Mais ceux qui parvinrent aux portes de la
ville furent arrêtés en fin d'après midi. Ils portaient sur
eux des cartouches et des fusils, voulant selon la rumeur, assassiner le
maire215(*).
Les violences sont surtout le fait des campagnes en
insurrection. Les séditieux s'en prennent violemment aux maires, comme
à Saint-Andéol où le maire en est même contraint de
rester cloisonné chez lui216(*), aux curés comme à Saint-Genis Laval
où un rebelle alla jusqu'à mettre le pistolet sous la gorge du
curé d'Irigny217(*). Les conjurés étaient organisés
en six brigades devant déferler sur des points stratégiques de
Lyon. Le lecteur retrouvera ce plan d'assaut déjà
présenté dans l'introduction (page 26).
Pour ce qui est de la ville même de Lyon, le mouvement
fut contenu à ses portes, ce qui explique que l'on ne nota pas de
grandes violences. N'oublions pas cependant quelques incidents notoires. En
premier lieu, il y eut l'assassinat du capitaine Ledoux, de la Légion de
l'Yonne, meurtre qu'instrumentaliseront grandement les ultras. Georges Ribe
rapporte : « Vers onze heures du soir, le capitaine Ledoux,
de la Légion de l'Yonne, se rendant à l'Hôtel de ville, fut
poursuivi par des gens armés et, au moment où il se retourna pour
leur faire face, il reçut deux coups de pistolet qui l'étendirent
raide mort... »218(*). De même, un officier en demi-solde essuya un
coup de feu dans un café de la place des Célestins, tiré
d'un groupe de conspirateurs dont il avait entendu les propos et qui
l'accusaient de vouloir les vendre219(*). M. de Ganay, colonel de la légion de
l'Yonne, passant sur le quai de Saône, fut attaqué par trois
individus. Toujours selon Georges Ribe, deux officiers nobles, appartenant
à la légion des Hautes-Pyrénées furent pris
à partie par un rassemblement sur le pont Saint-Vincent. Un grenadier de
la Garde nationale fut blessé. Enfin, un homme du peuple fut
trouvé porteur de douze sacs de cartouches, à la barrière
de Serin, quelques autres de poignards, à la Croix-Rousse220(*).
Ce qui ressort le plus des séditions dans les
campagnes est une certaine confusion. Les insurgés, bien qu'armés
de fusils de chasse et de calibres, se dispersent rapidement dés
l'apparition des détachements chargés de la répression.
Retenons les quatre caractères des séditions : force des
symboles révolutionnaires (celle de 1789), appel au règne de
Napoléon II, anticléricalisme, violences envers les maires
ultras. Cette journée du 8 juin se solda par 248 individus
enfermés par les autorités dans les caves de l'Hôtel de
Ville de Lyon, sans autre motif que de vagues présomptions, et 300
arrestations dans les campagnes221(*).
Observons à présent la structure de la
conjuration.
Pour l'accusation (le Ministère public), dans la
séance du 25 octobre 1817 de la Cour prévôtale du
Rhône, il s'agissait : « d'une vaste conspiration dont
toutes les ramifications ne sont pas connues, et dont le but direct
était le renversement du Gouvernement royal... »222(*).
La conjuration était structurée en trois
comités :
- un comité supérieur, composé par
Bernard, Joannard, Joannon fils.
- Un second comité, présidé par Taysson,
Barbier, Cochet, les deux frères Volozan, Bonand et Burdel.
- Un troisième comité, avec à sa
tête Jacquit, « un des plus ardents, des plus audacieux
conjurés...Un de ces hommes qui ne connaissent aucun
obstacle. »223(*). Ce Jacquit qui se disait colonel avait pour mission
d'organiser les mouvements des communes rurales.
Les chefs des bandes armées des campagnes
étaient Valençot, les frères Tavernier, Oudin et Garlon.
Le comité supérieur était en lien avec Paris, par le biais
d'une femme, madame Lavalette, 28 ans, l'épouse de l'officier en fuite,
condamné pour son service auprès de l'Empereur à dix ans
de bagne. Madame Lavalette est une figure emblématique de l'affaire du 8
juin. Membre du comité supérieur du complot, elle habitait Paris
et tenait des conférences secrètes avec des
généraux, où ils discutaient d'entreprises secrètes
à venir. Selon son témoignage, elle changeait de lieux de
réunion régulièrement, les conjurations étaient
désignées en termes empruntés du commerce.
L'organisation de la conjuration en comités de type
militaire préfigurait les organisations des Carbonari et des
« ventes » des francs-maçons. De même, les
serments d'allégeance des membres prouvent que l'on a bien affaire
à une conspiration. Un conjuré, Cochet, rapporte lors de
l'interrogatoire de la Cour, le passage du serment du poignard :
« Chacun jura de perdre plutôt la vie que de dénoncer
aucun des conspirateurs. »224(*). Il existait même un tribunal secret,
chargé de frapper les parjures. Ses membres punissaient les
traîtres. Le volume « Procédure » rapporte que
des cadavres furent retrouvés aux Brotteaux et à la
Pêcherie avec un poignard et l'inscription autour duquel :
« Voilà la récompense des
traîtres. »225(*).
C'est Jacquit qui fixa au 1er juin le mouvement
général, coordonnant le mouvement avec les campagnes
armées. On y distribuait de l'argent et des cartouches. Beaucoup de
conjurés avaient fait partie de la garde nationale, donc soit
possédaient déjà des fusils, soit ils savaient
déjà tirer. On retrouve là l'élément
militaire classique des complots bonapartistes, avec des membres marqués
par la « frustration » de la répression et de
l'épuration de l'ancienne armée napoléonienne par les
royalistes, d'où la force mobilisatrice à retenir de la nostalgie
bonapartiste. A l'origine, le plan était de prendre la ville de Lyon et
d'assassiner son maire ultra, le comte de Fargues, le 8 juin. Le plan fut
longuement débattu par Taysson. Ce dernier, sûrement dans
l'exagération, prévoyait de mobiliser 3 000 hommes
répartis sur l'ensemble de la ville de Lyon et de ses alentours. Au fort
Saint Jean, devaient être postés 100 hommes bien armés,
attendant le signal de Jacquit. Retenons déjà lors du
procès qu'il ressort l'obsession du secret des conspirateurs. La
structure de l'entreprise était pyramidale et « l'organisation
du complot était telle, qu'il n'y avait qu'un petit nombre d'individus
qui fussent initiés dans tous ses secrets »226(*).
La Cour retint 28 accusés pour la ville de Lyon, mais
il y eut d'autres séances pour les campagnes : Jean Barbier, Jean
Pierre Volozan, Jean Marie Vernay, Joannon fils, la Dame Lavalette,
Benoît Biterney, Jean Pierre Gros-Jean, Antoine Gaudet, André
Meyer, Jean Richon, Jacques Chilliet, Michel Balleydier, Louis Ravinet, Jean
Pierre Gagnère, Antoine Seriziat, Pierre-Catherin Caffe, François
Geibel, Jean Claude Berger, Bruno Verdun, Fleury Ollier, François
Coindre, Jacques Baudran, Charles Marin, Jean Baptiste Blanc, Eugene Manquat,
François Gervais, Pierre Joseph Perrant, Granger.
Pour assurer la discrétion de l'entreprise clandestine
et limiter tout risque de « fuite » d'informations, la
structure de l'équipe des conjurés était marquée
par des cloisonnements. Comme un des conjuré le précisa lors de
l'audience du 25 octobre 1817 : « Les membres de chaque
comité ne devaient point communiquer avec ceux des autres
comités. »227(*). Cette division en cloisons du travail des
conjurés avait eu pour effet le fait que beaucoup ne connaissaient
même pas les vraies finalités de l'entreprise ! Ainsi, bien
souvent les témoignages des prévenus sur les buts de la
conspiration divergent.
Jacquit, dans sa mégalomanie, espérait
mobiliser 3000 hommes pour s'emparer de la ville de Lyon, en les
répartissant en sept postes stratégiques de la ville. Tout ces
projets ne naîtront même pas, mais observons que les lieux choisis
pour placer les hommes étaient souvent d'anciennes casernes et des
cabarets, lieux symboliques de la préparation des complots sous la
Restauration avec les cafés et les salons.
Un interrogatoire du conjuré Barbier par la Cour
prévôtale le 25 octobre 1817 illustre bien la
méconnaissance des conjurés eux-mêmes des desseins de leur
entreprise.
La Cour prévôtale : « Quand
avez-vous eu connaissance du complot ? »
Barbier : « Je n'ai été
initié qu'à la noël dernière. Je sais bien que le
complot existait antérieurement ; mais j'ignore l'époque
précise de sa naissance. »
La Cour : « Ne s'agissait-il pas de faire
descendre de son trône le souverain que la Providence a rendu à
nos voeux, en un mot de porter atteinte à la
légitimité ? »
Barbier : « On agissait bien dans la vue de
renverser le Gouvernement du Roi, mais on avait aucun but fixe et
déterminé après ce renversement. On parlait de
différents prétendants. Cependant, on parlait plus
particulièrement de l'Empereur et de son fils. »228(*).
Barbier précise même lors de l'interrogatoire de
la Cour prévôtale que les conspirateurs allaient entrer en contact
avec l'épouse de Napoléon, Marie-Louise, pour s'assurer d'un
soutien bien légitime. Barbier rapporte : « ...le premier
projet était de lui faire un don quelconque. Ensuite, on résolut
de frapper une médaille. La légende de présenter ces
mots : « Français, suivez mon exemple. ». Une
des faces devait présenter un pélican et ses petits. L'autre
devait offrir un « N » avec cette légende :
« Commande, nous sommes prêts. ». On devait encore
lire sur cette médaille les mots : « Naissance de la
seconde révolution française. ». »229(*).
La garantie du secret se faisait par des techniques simples
comme nous venons le voir de cloisonnement des informations. Ainsi, les
conspirateurs recevaient des informations au « compte-gouttes »,
parfois contradictoires, toujours imprécises Le recrutement, ou
enrôlement, se faisait par 180 « employés
subalternes » selon Barbier, qui ne connaissaient jamais les chefs
des recruteurs. Selon Barbier, ils seraient parvenus à enrôler
2850 recrus, ce qui aurait porté toujours selon ce conjurés, le
personnel de ce complot à 9 000 hommes en comptant les
campagnes230(*). Pour
ce qui est du financement, 3 à 4000 francs furent distribués aux
chefs des conspirateurs, selon Barbier (p.20).
Beaucoup de zones d'ombre pèsent sur ce complot, comme
par exemple, le fait que l'on parlait ouvertement de celui-ci mais sans en
préciser la date depuis déjà deux ans. Il semble bien que
les autorités policières lyonnaises auraient laissé, sinon
encouragé, la formation de cette conspiration. Barbier rapporte :
« On conspirait hautement depuis deux ans, on parlait de
conspirations dans les rues, dans les cabarets... (...) Jacquit
répétait aux conjurés : « Les
Autorités sont pour nous ! ».»231(*).
Précisons à nouveau qu'un contrôle et une
justice interne à la conspiration, punissait les erreurs et les
trahisons de ses membres. Volozan, un autre conjuré, évoque aussi
l'existence d'un tribunal secret chargé des punitions, et de faire donc
peser la menace dans les esprits232(*).
Parmi les motivations autres que celles politiques et floues
déjà présenté de renverser Louis XVIII pour y faire
succéder Napoléon ou son fils, il y avait bien aussi la question
du prix des subsistances. La crise économique de 1817 a donc bien
été aussi un des déclencheurs du complot. Le
conjuré Meyer affirme que : « ...un des arguments des
enrôleurs étaient de dire à leurs
« victimes » qu'il fallait faire diminuer le prix des
subsistances. »233(*).
Essayons d'esquisser à présent un bref tableau
sociologique des acteurs de cette affaire. Commençons par les
conspirateurs.
Cette conspiration est dominé par un personnel
modeste, soit des paysans, soit des professions artisanales comme par exemple
un nombre extraordinaire et incompréhensible de chapeliers ! Pour
ce qui de l'âge des conjurés, en général des hommes,
la fourchette est large allant de vingt à quarante cinq ans, avec une
moyenne entre vingt-cinq et trente ans.
Pour les insurgés de Saint-Andéol, par
exemple :
Jean-Baptiste Fillion, 23 ans,
chapelier
Laurent Colomban, 26 ans, chapelier.
Christophe-Andéol Desgranges, 35 ans, chapelier.
Tous les trois furent condamnés à mort.
Claude Guillot, père, 45 ans, chapelier
François Charvin, 31 ans, chapelier
Andéol Milliet, 24 ans, cultivateur
....
Pour des insurgés classés dans le
« Rhône » :
Jean-François Déchet, 23 ans, tailleur de
pierre à Charnay
Jean Bocuse, 33 ans, tonnelier
Laurent Charbonnay, 33 ans, cultivateur
Benoît Montalant, 25 ans, vigneron
Certains importants de Saint-Genis Laval :
François Oudin, 39 ans, adjudant-major dans l'ex
11ème regiment des dragons, en demi-solde. Une des
têtes pensantes du complot.
Pierre Dumont, 16 ans et demi, apprenti maréchal,
accusé d'avoir porté le pistolet sous la gorge du curé
d'Irigny et du garde champêtre de cette commune, en leur ayant dit :
« Coquin, crie vive l'Empereur !ou je te tue ! ».
Verdict, le jeune homme est condamné mort, ce qui causera même
l'émoi du roi en raison de son jeune âge.
La liste pourrait être encore longue, donc nous nous
arrêterons là.
Présentons brièvement les acteurs de la
répression, à savoir le général Canuel par qui
l'affaire a débuté, le préfet du Rhône, Chabrol, en
charge du dossier, le maire de Lyon, le comte de Fargues, un ultra dont la
tête était visée par les conjurés, et le lieutenant
de police Charrier de Sainneville qui dénoncera les manipulations des
ultras.
Le baron Simon de Canuel, né le 29 octobre 1767,
s'enrôla volontairement dans l'armée en 1792. Après de bons
états de service auprès du général Rossignol, il
est promu Commandant de la ville de Lyon par le Directoire. Membre de la
légion d'Honneur en l'an XII, il est disgracié par l'Empereur qui
le raye des cadres des officiers généraux. De là,
naîtrait peut-être son désir de vengeance à
l'égard des bonapartistes, et donc son parti pris pour les royalistes
ultras. Rallié aux Bourbons, il est en effet fait Chevalier de
Saint-Louis, et réintègre ses anciens grades sous la
Restauration. Il sera même élu député ultra par le
collège de la Vienne, siègera dans la Chambre introuvable, sera
nommé baron par Louis XVIII en 1817.
Christophe Chabrol de Crouzol (comte de), magistrat,
intendant, général, conseiller d'Etat, préfet et
législateur est né à Riom le 1er novembre 1771
et est mort au château de Chabannes le 7 octobre 1836. Il fut
emprisonné pendant la période révolutionnaire, se rallia
à Napoléon et fut chevalier de l'Empire le 11 août 1808. Le
9 mars 1810, il devient comte de l'Empire et président de chambre
à la Cour impériale de Paris. En 1814, M. de Chabrol se rallie
à Louis XVIII, est nommé conseiller d'Etat et préfet du
Rhône le 22 novembre 1814. Il fit plus de zèle dans cette ville,
quand Louis XVIII revint pour la seconde fois en réprimant
maladroitement une prétendue conspiration. Il devint ensuite
sous-secrétaire d'Etat au ministre de l'Intérieur. Le 13 novembre
1820, il est élu député par le collège du
Puy-de-Dôme et fut un des zélés ministériels
à la Chambre. Paire de France en 1823, ministre de la Marine dans les
cabinets Villèle et Martignac de 1824 à 1828. Royaliste de la
première heure, il soutiendra ardemment Charles X et sa
famille234(*).
Jean Joseph Mallet, comte de Fargues, est né le 12 mars
1777 à Vodables (Puy-de-Dôme). Issu d'une très ancienne
famille noble d'Auvergne, le comte de Fargues émigre avec son
père à 14 ans en 1791. A Munich, il fait la connaissance d'une
Lyonnaise Sabine Balland d'Arnas, nièce du comte de Sathonay, futur
maire de Lyon. De Fargues épouse cette demoiselle en 1801, ce qui lui
permet de s'insérer dans le monde des notables de Lyon. Il devient ainsi
administrateur des hôpitaux de cette ville et adjudant-major de la garde
nationale en 1813. Cependant, de Fargues reste un noble impatient du retour des
Bourbons. En mars 1814, lorsque les troupes alliées menacent Lyon, il
est désigné maire de cette ville par le comte d'Albon. Le 22
novembre 1814, il est officiellement promu maire de la ville. De Fargues
marquera son passage à la mairie de Lyon par son soutien aveugle aux
ultras locaux. Bien souvent, comme dans l'affaire de juin 1817, il fermera les
yeux sur les manipulations des royalistes exagérés de la ville,
comme le général Canuel. Dés 1815, de Fargues participera
à la campagne de discrédit de l'Empereur, en faisant poser dans
toute la ville de Lyon, des affiches de propagande salissant Napoléon.
De Fargues sera réélu régulièrement jusqu'à
sa mort, en octobre 1816 puis encore en septembre 1817235(*).
En ce qui concerne le modéré lieutenant de
police Charrier de Sainneville en charge de l'affaire de Lyon pour le compte de
la police civile, je n'ai pas réussi à trouver de notices
biographiques qui lui seraient consacrées, ni aux archives nationales
à Paris, ni à Lyon. Le personnage a été quelque peu
effacé. J'ai néanmoins pu retenir quelques éléments
de biographie à partir de mes lectures. Claude-Sébastien Salicon
Charrier de Sainneville était hostile aux ultras et même proche de
Camille Jordan selon Bruno Benoit236(*). Selon Sébastien Charléty237(*), il s'agissait d'un homme
riche, intelligent, ambitieux, longtemps adjoint au maire de Lyon sous
Napoléon. Il s'était rallié aux Bourbons, mais avait
conservé des relations avec l'ancien personnel bonapartiste. Il
détestait les violences et avait ainsi manifesté sa
désapprobation pendant la réaction ultra (Terreur blanche) et
opposé une sourde résistance aux mesures contre les suspects. On
le détestait à Bellecour. Les militaires rappelaient qu'il avait
été l'ami du conspirateur Didier, un « bonnet
rouge » disait-on de lui. En réalité, comme le remarque
toujours Charléty : « il était surtout
gênant, et on ne voulait pas être gêné dans le bon
combat pour ressaisir le pouvoir si sottement perdu. »238(*). Retenons de Sainneville
qu'il eut le courage de dénoncer la manipulation ultra du
général Canuel dans l'affaire du 8 juin 1817, ce qui lui vaudra
avec le colonel Fabvier d'être condamnés par la Cour royale de
Lyon pour diffamation à payer une lourde amende, lorsqu'ils
dénoncèrent par une brochure justificative les manoeuvres des
ultras. Sainneville et Fabvier seront alors soutenus par les libéraux
lyonnais qui lancèrent une souscription pour payer l'amende. Il y eut
12 000 souscripteurs et le mouvement libéral lyonnais s'en trouva
renforcé.
Ces quelques lignes sur les acteurs principaux de ces troubles
du Rhône de 1817 mettent en évidence une confrontation de milieux
entre les conjurés, la plupart issus des couches populaires, voire
même pour certains des déclassés avec la présence de
militaires en demi-solde, et les acteurs de la répression, tous des
nobles, la majorité d'obédience ultra royaliste, à
l'exception de Sainneville. Nous avons présenté quelques
éléments concernant les buts et la structuration de ce complot
à visée insurrectionnelle du 8 juin 1817. Ils sont maigres mais
il faut préciser que même au coeur des archives, de ces traces
historiques relatives à cette affaire, le flou domine. Les
accusés parlent peu ou se contre disent, et avouent surtout sous la
pression de la Cour prévôtale, ce qui laisse leurs
témoignages sujets à précaution.
Retenons les caractères principaux. Il y avait bien
à mon sens conjuration. Barbier ou Cochet affirment avoir
été initiés, prêtés serment de silence sur le
poignard. Il existait peut-être même bien une structure typique des
sociétés secrètes : un tribunal secret, charger de
réguler les activités des conjurés en punissant de mort
les traîtres. Plusieurs fois, il est fait allusion à ce tribunal.
Le complot était organisé selon une structure secrète,
avec des comités directeurs opaques les uns par rapport aux autres. Les
buts du complot semblaient tendre à restaurer les Bonaparte, la forme du
gouvernement devant être établie par la suite. Les moyens
étaient bien dans un sens militaire, avec un plan d'action
stratégique de prise d'assaut de la ville par des postes clefs de la
ville. Les chefs espéraient même quasiment mobiliser une
armée, puisque pour Jacquit et Barbier, on peut estimer qu'ils
comptaient mobiliser environ 9 000 hommes avec les campagnes.
Il nous faut à présent préciser dans
quelles conditions cette conspiration à visée insurrectionnelle
fut infiltrée puis provoquée, ce qui ne retire rien à
l'existence première et originelle de son plan d'exécution.
II-1.2 Une conspiration provoquée
Bruno Benoit239(*) rapporte dans son récit de l'affaire du 8
juin, le lieutenant de police Charrier de Sainneville avait fait part au
préfet Chabrol, dés la fin de l'année 1816, de
renseignements relatifs à un nouveau complot. Des arrestations eurent
lieu dés mars 1817, à la suite de la découverte d'armes
à Vaise et de tentatives d'enrôlement. Mais les autorités
nationales croient d'avantage à la rumeur, entretenue de plus par le
climat de désinformation générale déjà
présenté antérieurement. Pour les élites ultras
locales, un coup de force se prépare dans les campagnes pour atteindre
Lyon. Le choix serait alors de maîtriser l'insurrection à venir en
en infiltrant la conspiration associée. Dés le 2 juin, le
sous-préfet de Villefranche avait prévenu le préfet du
Rhône, Chabrol, que des coups de canon seraient tirés pour marquer
le début des émeutes. Le 6 juin, Chabrol apprend qu'un
rassemblement à caractère séditieux s'est produit dans les
communes d'Ambérieux et de Quincieux. Des perquisitions ont lieu parmi
les domiciles de certains des 200 manifestants, mais ne donnent rien. Un
personnage retient cependant l'attention des forces de police, un
dénommé Oudin, domicilié à Saint-Genis Laval. On
cherche à l'appréhender chez lui le 7 juin, mais en vain, car il
n'est pas chez lui. Et en effet, Oudin, demi-solde, se révélera
bien être une des têtes pensantes des troubles du 8 juin 1817.
Charrier-Sainneville continua donc de mener l'enquête
sur l'affaire du 8 juin. Après avoir mis au jour, l'existence d'au moins
deux comités du complot, Sainneville est pris de doute sur le
récit de Barbier du plan d'assaut de la ville de Lyon. Le lieutenant de
police voulait l'interroger lui-même mais le maire, le comte de Fargues,
lui opposait systématiquement un refus catégorique. Sainneville
racontera à propos de Barbier : « Son rôle
d'agent double paraît bien établi, si l'on tient compte de ce que,
dés la veille du mouvement, il proposa à un agent de
l'arrêter sous un fallacieux prétexte, lui offrant même de
l'argent à cet effet ; c'est encore lui, qui, le 8 juin, remit
à un malheureux les douze paquets de cartouches saisis sur lui, à
la barrière de Serin, et qui cinq jours après le conduisaient
à l'échafaud. »240(*). Le lieutenant de police collectionnait ainsi
plusieurs indices démontrant que la conjuration avait été
perturbée par des facteurs exogènes. La preuve la plus solide que
l'entreprise fut infiltrée et provoquée par des autorités
institutionnelles lui vint le jour où sa police arrêta un des
factieux, le dénommé Brunet. Ce dernier avait déjà
été surpris dans d'autres affaires de conspiration. Mais à
peine Brunet arrêté, le lieutenant Sainneville se voit contraint
par M. Hue de la Colombe, adjudant de place de l'armée, de le
relâcher, sous le motif qu'il s'agissait d'un agent d'infiltration, une
« taupe » dirait-on aujourd'hui, de l'autorité
militaire. Sainneville y consenti mais à la condition qu'il ne fut plus
employé à cet effet. M. Hue de la Colombe s'y refusa et livra cet
agent à la Cour prévôtale qui le remit en liberté.
Sainneville le fit arrêter de nouveau, ce qui provoqua la colère
de l'autorité militaire. Le procureur du Roi dut intervenir et sous la
pression de Sainneville qui voulait l'aveux officiel qu'il s'agissait bien d'un
agent infiltré dans le complot du 8 juin, le procureur lui confirma que
Brunet était bien un agent de la police militaire qui avait tout su et
tout révélé. Sainneville exigea avant de relâcher
Brunet une lettre de l'adjudant de place, Hue de la Colombe, attestant avoir
utilisé cet individu comme agent infiltré. Hue de la Colombe
s'exécuta, choisissant de ne pas laisser un agent exposer devant le
tribunal des révélations qui auraient pu compromettre
l'administration militaire. Désormais Charrier-Sainneville
détenait une pièce qui lui permettait, sinon de nier la tentative
de sédition de Lyon, du moins d'affirmer que l'autorité militaire
incitait elle-même à l'insurrection, par l'intermédiaire de
ses agents241(*).
De même, l'étude de l'historienne Josiane
Bourguet-Rouveyre242(*)
corrobore cette thèse de l'infiltration policière. Elle
écrit : « Le jour fixé de l'insurrection, le 8
juin 1817, devait se faire au nom de Napoléon II ; mais les chefs
présumés du complot, un agent de la police militaire, Brunet, et
le capitaine d'une légion en garnison à Lyon, Ledoux, avaient
déjà vendu la mèche ! ». Cette affirmation
est d'autant plus plausible si l'on considère que ce dernier, le
capitaine Ledoux, sera assassiné le soir même à Lyon, rue
Mercière. Il aurait donc lui aussi subi le châtiment des
traîtres !
Nous pouvons donc conclure sur le double fait qu'il existait
bien une conspiration maladroitement organisée, car permise voire
encouragée par les autorités, visant à s'emparer de la
deuxième ville du royaume au profit des bonapartistes et des
révolutionnaires, et que ce projet était surveillé et
contrôlé par les autorités ultras, en son sein par le biais
de l'infiltration de la police militaire de Canuel.
Abordons à présent brièvement, car nous
les avons déjà bien exposées, les explications possibles
à ces troubles.
II-2. Les explications possibles du soulèvement
de 1817
Trois types de facteurs ont pu conduire à ce
soulèvement. Le premier, sans pour autant céder à la
simplification d'une seule lecture marxiste de l'histoire de ces troubles, est
sans nul doute la crise des subsistances des années 1816-1817. Le second
correspond à une lecture politique des événements en
insistant sur un contexte de divisions et même d'affrontements au sein du
camp royaliste favorisant la propagation des peurs et des rumeurs, et donc
ouvrant le chemin à des entreprises secrètes, fussent-elles
préméditées par leurs acteurs ou provoquées pour le
compte des ultras par des agents de l'autorité militaire. Enfin le
troisième groupe de facteurs causals correspond aux
spécificités de l'histoire lyonnaise, de la
contre-réaction d'une partie de ses habitants, engagée dans une
forme de duel politique avec les autorités ultra, responsables des
violences collectives qu'ont connues leur ville pendant la Terreur blanche et
représentantes d'un nouvel ordre moral et policier installé
depuis par la Terreur blanche légale.
II-2.1 Une crise alimentaire source de tensions
populaires
La France vit dans ces années 1816-1817 une grave
crise des subsistances due aux mauvaises récoltes de l'année 1816
et le département du Rhône est particulièrement
touché, où les prix du blé et du pain connaissent une
hausse considérable. Nous avons déjà
présenté les caractères de cette crise des denrées
alimentaires. Rappelons tout de même que le prix du blé passa
successivement de 21 francs l'hectolitre en novembre 1815 à 38 francs en
novembre 1816 et atteignit le montant de 58,75 francs en juin 1817.
L'année 1817 sera d'ailleurs l'année où la crise
connaît son paroxysme. Cette inflation touche fortement le prix du pain,
denrée de première nécessité, constituant la base
de l'alimentation des classes populaires. Cette disette est sources de
révoltes, de véritables « émeutes de la
faim », dans de nombreux départements dés
l'année 1816, comme nous avons pu le voir dans le premier thème.
Il n'est dés lors guère surprenant que le département du
Rhône finisse par vivre de telles « colères de la
faim ». On peut même s'étonner du caractère
tardif des troubles du Rhône, au regard du fait que les autorités
préfectorales étaient contraintes d'augmenter le prix du pain
pour assurer la survie de ses producteurs. Chabrol en 1817 se refusa à
une nouvelle augmentation du prix du pain, mais il est trop tard, la situation
économique des classes populaires est désormais trop
déplorable. La ville de Lyon et ses communes voisines vivent donc en
cette année 1817 de véritables émeutes de la faim, telles
qu'elles ont déjà pu en vivre lors des épisodes de
violences collectives de la fin du siècle dernier,
présentées dans l'introduction à l'histoire de
l'identité lyonnaise. Georges Ribe croît beaucoup au rôle
déterminant de cette crise des subsistances dans le déclenchement
de la conspiration-insurrection du 8 juin 1817. Il note : « Le
malheur voulut que, dans le Rhône, l'attitude des officiers
supérieurs ultras transforma une sédition dont les causes
étaient plus économiques que politiques en un complot, afin de se
prévaloir du titre de sauveur du « trône et de
l'autel ». Des condamnations capitales en
résultèrent. »243(*).
En effet, on retrouve parmi les revendications des
insurgés du 8 juin, la baisse du prix du pain, et notamment de la part
de ceux des campagnes. En témoigne par exemple ce court extrait d'une
lettre, datée du mois d'août 1817, d'un officier de Saint-Genis
Laval au général Canuel : « J'ai
arrêté ce matin un homme ayant à son chapeau des signes de
rébellion, et provoquant le peuple à s'emparer des Blés
pour en fixer le prix. »244(*). Comme nous l'avons déjà
mentionné, le conjuré Meyer lors de son interrogatoire par la
Cour prévôtale le 25 octobre 1817 précisera que la baisse
du prix des subsistances était même un argument pour enrôler
des recrus pour la sédition245(*). Et comme le rappelle Georges Ribe à
propos de la journée du 8 juin 1817 : « Le plus grand
nombre des révoltés réclame le pain à trois sous la
livre. Quelques-uns arborent la cocarde tricolore. Le cri le plus souvent
répété est celui de : Vive Napoléon II !
Certains, très peu nombreux, font preuve de sentiments
républicains. »246(*).
Il est donc clair que la volonté populaire de la
baisse du prix des subsistances fut sinon la cause principale de ces
« émeutes de la faim », certainement un des solides
arguments mobilisateurs des conjurés. Venons-en donc au second type de
facteurs déclencheurs, les facteurs politiques généraux
d'un cadre d'affrontements au sein du camp royaliste, propice autant à
un coup de force d'opposants au régime qu'à une manoeuvre des
ultras de déstabilisation du ministère des constitutionnels.
II-2.2 Un contexte pré-électoral
d'affrontements entre constitutionnels et ultras
Comme nous l'avons déjà fort bien
présenté, les députés ultras se sentaient
menacés quant à l'avenir de leur influence à la Chambre
introuvable, depuis la décision du roi de la dissoudre par l'ordonnance
du 5 septembre 1816. Convaincu que cette décision nuit à ses
intérêts, le parti ultra dans un sens renoue avec une certaine
forme de terrorisme légal en usant de ces réseaux locaux pour
déstabiliser le parti constitutionnel. Georges Ribe note avec
justesse : « Désormais, la tactique des ultras
s'appliquera à démontrer au Roi que la politique inaugurée
le 5 septembre favorisait les espérances et les audaces du parti
révolutionnaire ; que la poursuite d'une telle politique aboutirait
au renversement des Bourbons. Se servant de leur influence locale, ils
pouvaient agir, dans les départements, à leur guise et essayer
d'amener le Roi à changer ses ministres, en grossissant des
menées souvent réelles. »247(*). En effet, les ultras
lyonnais exploitent systématiquement un climat politique local,
où dominent les rumeurs de complots en tout genre et la peur
économique liée à la crise des subsistances, pour attaquer
le camp des constitutionnels. Cette stratégie est d'autant plus
judicieuse qu'il faut noter qu'à cette époque, l'Etat central et
à fortiori la Cour, ne croient pas à ces rumeurs de complots
provinciaux. Pour preuve, ces documents consultés aux archives
nationales, attestant presque d'un certain mépris de Paris pour les
petites agitations politiques locales des ultras lyonnais. La conspiration est
vue de Paris avant tout comme une rumeur, et ceci notamment au sein du
ministère de la Police générale. Dans une réponse
à une lettre de la préfecture du Rhône de mars 1817, le
ministère parle de « bruits » de conspiration, mais
n'y croit pas vraiment248(*). Cette assurance de la capitale de la
tranquillité politique du Rhône est d'autant plus un atout pour
les ultras lyonnais, qu'ils peuvent désormais compter sur un effet de
surprise, et influencer leur roi dans leur sens, en réveillant chez lui
la peur d'une révolution, et en provoquant donc le complot
bonaparto-républicain du 8 juin.
En exploitant savamment ce climat de peurs et de rumeurs, les
ultras du Rhône peuvent mener leur bataille contre le camp des
constitutionnels hors d'une Chambre des députés dont ils ne
détiennent plus la majorité depuis son renouvellement en octobre
1816. Le nerf de la guerre des autorités ultras lyonnaises comme le
général Canuel ou le maire, le comte de Fargues, sera donc la
manipulation de l'opinion en réactivant la peur classique d'un complot
visant à ramener l'Empereur et ses guerres, ou encore d'une nouvelle
Terreur jacobine qui marqua tant les esprits et les mémoires des
Lyonnais en 1793. Les ultras lyonnais sont d'autant plus portés vers ce
type de stratégie secrète, que leurs influences diminuent
à la Chambre, et qu'ils comprennent la réalité de
l'affirmation politique des constitutionnels et de la percée des
libéraux. De plus, le renouvellement annuel de la Chambre par
cinquième plonge le pays dans l'affrontement électoral permanent,
et les ultras, en juin 1817, à quelques mois des législatives
cherchent à porter au grand jour le « scandale » ou
« l'affaire », qui diminuera leurs adversaires
constitutionnels. L' « affaire », ils iront donc dans
le Rhône, jusqu'à la « faciliter » en
infiltrant la conspiration bonapartiste du 8 juin, en provoquant son
déroulement par la stratégie de la provocation
militaro-policière dirigée par le général ultra, le
comte de Canuel, avec la passivité complice du maire de Lyon, le comte
de Fargues. Enfin, il demeure que le complot du 8 juin, manipulé par les
ultras de Lyon et le faisant ainsi échapper à ses auteurs, devait
dans tous les cas éclater dans un contexte de répression et de
vexation de la part de la réaction royaliste à l'égard des
opposants désignés au régime restauré :
bonapartistes et jacobins. Cela nous mène donc à observer le
troisième type de facteurs explicatifs historiques et politiques de ces
troubles, auquel je souscris le plus volontiers, à savoir, celui des
spécificités de l'histoire lyonnaise.
II-2.3 Les spécificités de l'histoire
lyonnaise
Nous avons déjà largement insisté sur le
terreau bonapartiste que constituait la ville de Lyon sous la Restauration. Le
lecteur retrouvera dans l'introduction et la première partie de cette
étude, le descriptif de l'amour de nombre de Lyonnais, et notamment ceux
du peuple comme les canuts, pour l'Empereur, qui symbolisa pendant longtemps
sous l'Empire et ce malgré l'usure intérieure des guerres en
Europe vers sa fin, la prospérité économique de leur
ville. Dés lors, il n'apparaît guère surprenant qu'un
complot à dominante bonapartiste se forme et éclate d'une
manière certes particulière, au sein d'une ville et d'un
département qui subirent durement la réaction vengeresse et
meurtrière de la Terreur blanche des bandes ultras à
l'égard des populations bonapartistes et jacobines,
avérées ou même simplement soupçonnées, et ce
de l'été 1815 jusqu'au milieu de l'année 1816 !
Souvenons-nous des vagues d'épuration à l'égard de
l'ancienne armée impériale qui se soldèrent
fréquemment par des exécutions publiques. Ce fut le cas du
maréchal Brune, assassiné par des ultras le 2 août 1815,
son corps jeté dans le Rhône. Ce fut aussi et surtout le
général Mouton-Duvernet exécuté publiquement
à Lyon le 23 juillet 1816, exécution qui marqua lourdement les
consciences lyonnaises. Cette Terreur blanche se poursuivit de plus par une
Terreur blanche légale à la Chambre que les députés
ultras monopolisent. Méticuleusement, les députés ultras
institutionnalisent la réaction en légiférant les
principes d'un ordre moral et policier. En mars 1816, c'est la mise en place
des Cours prévôtales, ces juridictions d'exception, dont celle du
Rhône condamnera à mort des conjurés du 8 juin 1817. D'une
manière générale, l'ordre judiciaire sévira surtout
à l'égard des actes de déviances politiques. Ainsi, entre
juillet 1815 et décembre 1816, les tribunaux ont prononcé environ
5 000 condamnations politiques249(*). Dans ce climat d'oppression judicaire à
l'égard de la liberté d'opinion, on comprend le recours au mode
secret d'opposition politique. De plus, malgré le
rééquilibrage politique à la Chambre en faveur des
constitutionnels, le ministère poursuit les restrictions à
l'égard des libertés publiques. Ainsi, Decazes, le 7
décembre 1816 proroge la censure sur les journaux et les écrits
périodiques jusqu'au 1er janvier 1818. Le 8 février
1817 est adopté la prorogation de la loi de sûreté
générale du 29 octobre 1815. Retenons donc aussi que les
constitutionnels demeurent des royalistes, et que en 1816-1817, ils gouvernent
selon une ligne politique dure.
On peut donc être convaincu au regard de
l'identité politique de la ville de Lyon, que les excès des
ultras à l'égard des jacobins et des bonapartistes dans la
vallée du Rhône lors de la Terreur blanche, puis de manière
légale et nationale en restaurant un ordre moral et policier, ont
influencé la décision et la structuration du complot lyonnais du
8 juin 1817.
Nous venons d'essayer de discerner les facteurs
déclencheurs probables des troubles du 8 juin. Il nous reste à
présent à observer rapidement le phénomène de
politisation de ceux-ci, essentiellement d'ailleurs de la part du camp
ultra.
II-3. Un événement
politisé : la presse de l'époque
Comme nous le venons de l'évoquer, en ces années
1816-1817, la censure frappe lourdement la presse. Ceci explique certainement
le fait que je n'ai quasiment pas trouvé dans les archives
consultées d'articles de journaux traitant de l'affaire, si ce n'est
deux articles, le premier, un extrait du numéro 166 du Moniteur du
Dimanche250(*),
daté du 19 juin 1817, utilisé pour débuter ce
mémoire, et le second, un extrait de La gazette
européenne251(*), daté du 30 juillet 1817. Les
informations à la population sur les séditions se faisaient plus
par voie de proclamations, noeud de la propagande des royalistes ultras
à Lyon. Nous verrons donc d'abord la place laissée à la
rumeur par les autorités ultras afin d'exploiter le complot du 8 juin
1817. Nous verrons ensuite l'exploitation de l'affaire provoquée, par
les ultras lyonnais et le général Canuel en particulier qui
organisera la propagande au service de son parti par le biais d'une
proclamation aux Lyonnais.
II-3.1 Diabolisation et rumeurs
La stratégie des ultras de Lyon est d'exploiter la
censure pesant sur les journaux et le climat installé depuis longtemps
et opérant dans l'ensemble de la région, de rumeurs de complots,
pour diaboliser les troubles du 8 juin 1817. Georges Ribe confirme la
volonté des ultras de contrôler l'opinion publique. Il note :
« ...une opinion publique mal informée en raison de
l'inexistence ou de la complicité de la presse. »252(*). Nous avons
déjà aussi largement présenté le climat tenace de
rumeurs de conspirations en tout genre depuis l'année 1816, avec
tantôt des affaires de complots à Grenoble puis à Lyon. De
plus gardons à l'esprit le contexte local d'affrontements politiques
virulents entre ultras, constitutionnels, bonapartistes et libéraux au
sein de la ville de Lyon. On pouvait ainsi lire dans les notes d'enquêtes
internes de la Police sur le département du Rhône en
février 1818 : « Lyon est une des villes de France
où les esprits sont les plus divisés, où les hommes de
partis ont eu jusqu'à présent le plus
d'identité... »253(*). On y apprend de plus que la ville était
sujette à la surveillance depuis longtemps : « De Lyon,
il fallu pour y maintenir la paix et le tranquillité dans cette ville,
tenir les hommes suspects dans une véritable oppression, et c'est
ce qui a eu lieu jusqu'au moment où l'ordonnance a été
rendue. »254(*). Nous le constatons donc, la diabolisation des
entreprises secrètes commençait par une suspicion
générale sur les fauteurs de troubles suspectés.
Cependant, deux ans plus tard, en 1819, la presse, suite aux
révélations de la manoeuvre ultra du général Canuel
quant à l'affaire du 8 juin 1817, révélations faites
notamment par la brochure de Fabvier et Sainneville, exprima son indignation
face aux violences que causent à la ville les provocations
militaro-policières. Pour exemple, cet extrait de La
Renommée du 25 novembre 1819 : « Il y a peu, qu'une
personne très connue de Lyon rencontra dans un faubourg de la ville, une
espèce de bourgeois qui criait à tue tête : Vive
l'Empereur ! Rentrée chez elle, et reportant sa pensée sur
l'époque déplorable où l'on cherchait, par des avis
séditieux, à entraîner des citoyens paisibles dans un
complot ourdi à dessein, cette personne fit part de ses alarmes à
sa famille. Son fils venait de rentrer : il avait aussi rencontré
dans une autre partie de la ville, un individu qui proférait le
même cri. Alors persuadés tous deux comme les apparences
l'indiquaient, que l'on renouvelait dans les malheureuses villes les
scènes de 1816, ils coururent chez M. de Sermon (Sainneville),
lieutenant général de Police, qui fit arrêter les deux
provocateurs, et bientôt on reconnut qu'ils étaient soldats d'une
légion que nous ne voulons pas indiquer. Mais on se demande si le temps
des provocations nous menace encore, et comment les officiers de cette
Légion peuvent ignorer ou tolérer une telle conduite de la part
de leurs soldats. On demande enfin comment l'autorité militaire civile,
d'ailleurs si sévère contre les citoyens, n'a pas
déjà fait des poursuites contre un genre de délit bien
fait pour alarmer une ville qui naguère en fut si cruellement
victime. »255(*). La politique de diabolisation des individus
suspectés de fomenter des conspirations ne trouvera donc plus à
terme de soutien dans l'opinion publique, dés lors que cette politique
repose sur des manipulations militaro-policières. Mais revenons à
l'année 1817, en exposant quelques éléments des formes de
la propagande des ultras lyonnais.
II-3.2 La propagande ultra
La propagande des autorités ultras lyonnaises, visant
à diaboliser les conspirateurs du 8 juin 1817 pour attaquer le
Ministère constitutionnel et à fortiori les libéraux,
s'exerça dés le lendemain des insurrections par le biais d'une
proclamation du général Canuel aux Lyonnais. Malgré mes
recherches approfondies, je ne suis pas parvenu à retrouver d'exemplaire
de cette proclamation au sein des archives. Cependant, tous les auteurs
traitant de l'affaire du 8 juin 1817, l'évoquent. Citons pour exemple
Sébastien Charléty : « Le 9 juin 1817, au matin,
les Lyonnais apprirent que la ville et le département avaient
échappé la veille, grâce à la vigilances des
autorités, aux horreurs d'une insurrection. C'est en effet, le dimanche,
8 juin, jour de la Fête-Dieu, que les conjurés avaient choisi pour
faire éclater leurs criminels projets. Une insurrection devait, ce
jour-là, soulever simultanément Lyon et la campagne, au nom de
Napoléon II et sous le drapeau tricolore. »256(*). Cette propagande ultra par
voie de proclamation ne date pas seulement de l'année 1817.
Déjà en 1815, le préfet du Rhône, le comte de
Chabrol, se chargeait de rappeler
l' « unicité » du royaume dans ses symboles. En
témoigne cette proclamation du préfet aux Lyonnais, le 17 juillet
1815 : « Le drapeau blanc devient le seul drapeau officiel
autorisé. Il est placé sur le fronton de tous les hôtels de
ville du pays. Tout autre signe de ralliement est
défendu. »257(*). Cette propagande ultra s'était même
encore accentuée quelques semaines après le retour du roi aux
affaires. Toujours le préfet Chabrol, soucieux de mater les derniers
espoirs des bonapartistes, interpellait les Lyonnais, le 4 août 1815, en
ces termes : « Habitants de la ville de Lyon, persistez dans cet
esprit de paix... (...) Habitants des campagnes, la malveillance cherche encore
à vous égarer. Des hommes pour lesquels le trouble est un besoin,
et les révolutions un élément, sèment parmi vous
les bruits les plus absurdes.(...) Habitants des campagnes, les maux que vous
éprouvez sont grands, mais pourriez-vous vous méprendre sur leurs
causes ? L'Homme que des voeux criminels avaient rappelé, l'homme
qui, pendant dix ans de prospérité, insulta tous les souverains
et foula tous les peuples, l'homme qui, dans quatre mois d'une usurpation
sacrilège, a consommé 600 millions, fait couler le sang de 200
mille hommes, attiré sur la France toutes les forces de l'Europe
conjurée contre lui. Voilà la véritable cause de vos maux
et de vos souffrances. Votre Roi vient les guérir, et pour prix de
toutes les peines qu'il éprouve, il en vous demande que d'accepter le
bien qu'il veut vous faire. Vive le ROI ! »258(*).
Nous le constatons donc, les ultras de Lyon ont
organisé une véritable propagande par le biais de proclamations,
visant à souder la population aux intérêts de la couronne.
Cependant, ce type de communication sera aussi utilisé par le camp des
constitutionnels en 1819, toujours pour défendre la Charte face aux
ultras. En témoigne cet avis aux électeurs du Rhône en
1819 : « Hors de la Charte, et sans le Roi, point de paix pour
la France, point de salut pour nous. »259(*).
Nous venons d'observer les usages de la propagande par les
ultras, avec parfois les réponses plus tardives des
« opposants » à leurs pratiques. Retenons qu'en
1817, la presse étant tenue par la censure des royalistes, on n'observe
quasiment pas de critiques du régime et des manipulations des ultras en
ce qui concerne l'affaire du 8 juin 1817. Revenons rapidement sur la question
des intentions des conspirateurs du 8 juin 1817, pour finir ce second
thème par les suites politiques de l'affaire lyonnaise commandées
par le pouvoir central.
II-4. Le plan des conjurés : quelle
version croire ?
L'objectif de ce point sera de montrer la certaine confusion
dominant les finalités et le plan d'action de la conspiration du 8 juin
1817. Pour ce faire, nous commencerons par illustrer la discordance des voix
prévalant au sein des chefs de la conjuration et/ou apparaissant lors de
la confrontation avec la justice. Nous observerons ensuite les querelles et les
luttes d'influences suscitées par l'affaire au sein même des
royalistes. Enfin, nous reviendrons brièvement sur la thèse de la
provocation policière.
II-4.1 La discordance des voix
La discordance des voix des conjurés quant aux
objectifs et aux moyens de leur entreprise secrète fut pour moi
frappante à la lecture des comptes rendus de la Cour
prévôtale. Cette confusion régnante était-elle
dés l'origine liée aux divergences dans les motivations des chefs
du complot ou résulta-elle de la confrontation avec la Cour
prévôtale ? Nul ne peut y répondre. Il nous faudra
alors garder à l'esprit qu'il existait bien plusieurs
réalités différentes de cette affaire.
Dans ses formes prises lors des séditions, le complot
du 8 juin 1817 apparaît comme un complot militaire
bonaparto-républicain. Certains insurgés s'affublaient de titres
d'officiers, comme Jacquit qui se déclarait lui-même du titre de
colonel lorsqu'il partait dans les campagnes organiser le mouvement260(*). Madame Lavalette, en charge
de coordonner le mouvement avec la capitale, recevait des
généraux. Il existait un code de l'honneur, un peu comme dans
l'armée, avec le serment du poignard. Une justice interne avec le fameux
tribunal secret, l'armée aussi dispose de ses propres juridictions. Mais
surtout le plan d'attaque était réellement de type militaire,
avec ses différents postes d'assaut dans la ville, l'usage de canons
pour sonner le départ des insurrections dans les campagnes, une
stratégie de la surprise...
Mais malgré cette mécanique de fonctionnement
apparemment réglée, face à la Cour prévôtale,
les témoignages révèlent une certaine confusion dans les
desseins des conspirateurs. Ainsi Barbier affirme lors de son interrogatoire
par le juge à propos du nouveau dirigeant du pays qu'ils installeraient
une fois le pouvoir pris : « Tantôt on parlait de la
Belgique, du Prince royal des Pays-Bas qui devait régner sur la France.
Tantôt on annonçait que les Allemands faisaient des
préparatifs de guerre, et se disposaient à placer sur le
trône le fils de Napoléon, l'Aiglon. »261(*). Ensuite, apparaissent aussi
des divergences de vues au sein des chefs du complot sur la stratégie
à adopter. On apprend ainsi que Jacquit était chargé de
coordonner l'action dans les campagnes, mais que les autres conjurés
étaient contre l'idée de mener le mouvement à partir des
campagnes262(*). De
même, Barbier qui était pourtant « haut
placé » dans la hiérarchie de la conspiration, ne peut
indiquer l'origine de l'argent distribué aux chefs de l'entreprise. Il
en va de même pour le tribunal secret chargé de punir les
traîtres. Personne au sein du complot ne savait si il s'agissait d'une
rumeur ou d'une réalité. Certains conjurés selon Barbier
pensaient que la répression venait des Autorités
elles-mêmes, le bruit courant que des proches du roi lui-même
étaient aussi mêlés au complot263(*)... Et Barbier le
reconnaît lui-même : « un grand nombre de faux
bruits » accompagnait les plans du complot264(*). Ensuite, se pose la
question de l'intimidation des prévenus par la Cour
prévôtale, impatiente d'aveux horribles. Le juge tente de faire
avouer à Barbier de plus larges intentions criminelles des
conjurés.
La Cour prévôtale :
« N'était-il pas question de sacrifier les prêtres, les
nobles, et un mot, tous ceux qui étaient dans le cas de s'opposer aux
desseins des conjurés ? »
Barbier : « Ces horreurs ne sont jamais
entrées dans nos projets. »265(*).
Enfin, Barbier n'avait aucune connaissance de l'origine des
ordres supérieurs qu'ils recevaient. C'est d'ailleurs l'argument central
de la défense des avocats des conjurés : la manipulation de
la plupart des conjurés par quelques têtes pensantes du
complot.
Ainsi, la manipulation s'opérait aussi au sein des
conspirateurs. Pour exemple, lors de la séance du 28 octobre 1817 de la
Cour prévôtale, le conjuré Richon soutient que c'est Meyer
qui l'a instruit du complot, que Meyer, selon un autre conjuré, Granger,
aurait assuré à Richon que le complot serait « d'une
réussite infaillible...que le pain serait après à bas
prix...que Napoléon monterait sur le trône. ». Mais
Richon nie devant la Cour l'affirmation selon laquelle on lui aurait
parlé de Napoléon. En bref, face à la justice, les
prévenus se « chargent » entre eux266(*). De même, Gros-Jean
affirme que jamais on ne lui parla de renverser le Gouvernement267(*)... Il en va de même
lors de l'interrogatoire de madame Lavalette, qui nie l'envoie de lettres
à des chefs du complot alors qu'on lui les tend lors de l'audience.
Nous observons donc un certain flou quant aux motivations
réelles des conjurés. Mais surtout la mise en situation de
tension opérée par le tribunal, les prévenus risquent la
peine de mort, rend les témoignages hasardeux, toujours sujets à
l'affabulation ou au mensonge.
Abordons donc cette fois les querelles et les luttes
d'influences au sein des royalistes, et ce notamment suite aux
révélations du colonel Fabvier et du lieutenant de police
Sainneville.
III-4.2 Les querelles au sein même des royalistes,
les luttes d'influences
Cette conspiration manquée du 8 juin 1817 aura au
moins eu le mérite de semer le trouble au sein des royalistes. Une
véritable seconde affaire est née de ces événements
avec le scandale, opéré par les révélations de
Fabvier et Sainneville, d'infiltration et de provocation de la conjuration par
les autorités militaires civiles du général Canuel.
De la naissance au début de l'année 1817 de
l'enquête sur le complot supposé en préparation à
Lyon jusqu'à l'enquête postérieure sur les troubles qui lui
sont liés, tout semble opposer le lieutenant de la Police civile,
Charrier de Sainneville, aux autorités locales ultras : le
général Canuel, le maire de Lyon le comte de Fargues et le
préfet du Rhône Chabrol. Ainsi, les conflits d'autorité
entre la Police et l'Armée seront constants, mais aussi entre
Sainneville et le préfet. En témoigne cette lettre du
préfet du Rhône, Chabrol, au Ministre de l'Intérieur,
Decazes, datée du 24 juillet 1817 : « Sainneville se dit
autorisé par le Ministère à étendre ses relations
dans les campagnes, ce que je ne lui avais jamais refusé. Mais il le fit
par de mauvaises mesures, y mit une grande publicité, et donna tellement
le change à l'opinion, qu'il arriva que celui qui avait malheureusement
quitté son poste, peu de jours avant les événements, se
présentait avec un redoublement d'attributions et de confiance, et que
celui au contraire qui n'avait manqué à aucune mesure, ni de
prudence, ni de prévoyance, se trouvait en quelque sorte, en compromis
avec l'opinion. »268(*).
Il est vrai en effet que le lieutenant de police, Sainneville,
n'était pas présent lors des mouvements séditieux du 8
juin, alors qu'il était en charge de l'affaire. Cependant,
derrière la critique d'incompétence du préfet à
l'encontre de Sainneville, résonne d'avantage le clivage politique entre
les ultras lyonnais, dont Chabrol est un représentant, et les
« modérés » comme Sainneville, qui ne cache
pas beaucoup ses liens avec Camille Jordan.
Cette affaire du 8 juin 1817 s'envenima en effet
sérieusement avec la publication de la brochure de Sainneville et
Fabvier. Suite à l'ébruitement de la nouvelle de l'existence
d'une provocation militaro-policère dans l'activation du complot du 8
juin, le ministre de l'Intérieur, Decazes, très choqué
aussi par la sévérité des condamnations de la Cour
prévôtale du Rhône, envoie en septembre 1817 un commissaire
extraordinaire, le maréchal Marmont assisté du colonel Fabvier
dans la mission d'éclaircir les circonstances de la naissance des
troubles de juin. Le maréchal Marmont découvre vite les
rivalités locales entre les royalistes, le rôle musclé
joué par le général Canuel dans la répression, les
arrestations arbitraires et les agissements d'agents provocateurs
ultras269(*). Le
maréchal Marmont en octobre 1817 fera ainsi muter avec promotion Canuel,
Chabrol et Sainneville. Seul le maire de Lyon, de Fargues, restera en place,
mais il mourra peu de temps après. Nous reviendrons sur ces suites
politiques de l'affaire et notamment sur ces mutations de fonctionnaires du
royaume dans le prochain point (II-5). Plus important dans cette affaire dans
l'affaire, est la publication des deux brochures de Fabvier, l'assistant du
maréchal Marmont, démontrant pièces justificatives
à l'appui fournies par le lieutenant Sainneville, la
vérité de la manoeuvre de provocation sous l'ordre de Canuel des
conjurés, à l'aide d'agents infiltrés, Brunet et le
capitaine Ledoux comme nous l'avons déjà évoqué. Le
premier texte était un mémoire relatant sa mission au
côté de Marmont. Ce texte ayant suscité la polémique
car il évoquait déjà des hypothèses de
manipulations par les autorités militaires lyonnaises, le colonel
Fabvier publia une seconde brochure, Lyon en 1817270(*), dans laquelle il
exposa sommairement et honnêtement, les conditions de l'infiltration du
complot, que nous avons déjà exposées (II-1.2). Mais
surtout dans ce second texte complétant le premier, le colonel Fabvier
exprimait son sentiment fort désapprobateur sur l'ensemble du traitement
de cette affaire : les manipulations militaires de Canuel, l'instruction
expéditive par les Cour prévôtales, leurs condamnations
excessives (28 condamnations à mort, dont 11 exécutées)...
Fabvier s'y livrait même à un véritable plaidoyer en faveur
des anciens membres de l'armée impériale exécutés,
comme Oudin, ancien capitaine de Dragons, guillotiné à
Saint-Genis Laval le 17 juillet 1817 et dont la tête servit de boule au
jeu des troupes, ou encore en faveur de Garlon, ancien chef des corps francs
des Cent-Jours. On reprochera à Fabvier de s'être soustrait
à l'obligation de réserve du militaire, mais surtout les ultras
l'accuseront de collusion bonapartiste, voire jacobine.
Présentons rapidement le personnage. Charles-Nicolas
Fabvier271(*) est
né à Pont-à-Mousson en 1782. Polytechnicien de la
promotion de 1804 et lieutenant d'artillerie, il a d'abord accompli des
missions diplomatiques, au côté de Sébastiani à
Constantinople et Gardanne à Téhéran. Présent en
Espagne, en Russie et en Allemagne en 1813, il a également
participé à la campagne de France. En 1815, en Lorraine, il a
tenu Montmédy contre les alliés, à la tête de
quelques patriotes, et n'a consenti à rendre la place que bien
après la deuxième abdication de Napoléon. Il se rallie
néanmoins à Louis XVIII et devient, dans le sillage de Marmont,
l'un des quatre majors généraux de la Garde royale. Mais cette
brochure signera sa rupture avec le régime, il sera destitué. Le
colonel Fabvier deviendra un comploteur invétéré et sera
de toutes les conjurations des années 1820-1822. Il meurt en 1855 comme
Joseph Rey... Personnage intéressant donc que ce colonel Fabvier qui
fustigeait dans sa brochure, Lyon en 1817, le mépris des ultras
à l'égard des séditieux du 8 juin 1817 : « Si
l'on se rappelle, en effet, les horreurs commises, les actes arbitraires, les
vexations, les insultes dont a accablé une population
généreuse ; si l'on fait attention que ces
persécutions frappaient des hommes que la stagnation du commerce, que la
misère, qu'une administration malfaisante excitaient au
mécontentement ; si l'on considère qu'avant l'arrivée
du maréchal, ces hommes semblaient abandonnés par le gouvernement
mal instruit des faits, à la haine de leurs ennemis, et ne pouvoir
attendre leur délivrance que de leur désespoir, pourrait-on assez
admirer leur longanimité, assez louer le sacrifice
généreux qu'ils ont fait pendant si longtemps de leurs trop
justes ressentiments ? »272(*).
Ces publications de brochures par Fabvier et Sainneville
ranimaient la lutte à la Chambre entre ultras et constitutionnels, ces
derniers qui se rapprochaient même des libéraux de Lyon. Georges
Ribe note avec justesse : « Pendant plus d'un an, ultras,
constitutionnels et libéraux agiteront la France de leurs accusations
sur leur participation au complot. »273(*). Les ultras seront au final
les perdants quant à leurs calculs sur la ville de Lyon. Camille Jordan,
qui prendra vivement parti pour Fabvier et Sainneville, dans sa brochure,
La Session de 1817, véritable réquisitoire contre les
ultras de Lyon, sera réélu député du collège
de l'Ain le 20 octobre 1818 et deviendra dés lors l'un des chefs de
l'opposition constitutionnelle.
A ce creusement des divisions au sein des royalistes entre
constitutionnels d'un côté et ultras de l'autre, mais n'est ce pas
la faute de ces derniers ?, il nous faut aussi souligner le soutien des
libéraux à Fabvier et Sainneville. En effet, ces derniers furent
attaqués pour calomnie par le général Canuel et la
veuve du calomnié, le capitaine Ledoux, devant le tribunal
de la Seine. Une première fois condamnés à une
légère amende ne satisfaisant pas Canuel, ce dernier reporta la
plainte devant une autre Cour, condamnant cette fois Fabvier et Canuel à
une amende de trois mille francs de dommages et intérêts. La
grandeur d'esprit des libéraux lyonnais s'exprima, puisqu'ils ouvrirent
une souscription qui permit, avec 12 000 souscripteurs, d'acquitter
largement Fabvier et Sainneville. En ces années 1818-1819,
constitutionnels lyonnais et libéraux lyonnais avaient su se
réunir autour de cette malheureuse affaire.
Quelques mots méritent encore d'être
écrits au sujet des conséquences de cette provocation
policière.
II-4.3 La thèse de la provocation
policière
La thèse de la provocation policière est donc
prouvée même par la brochure Lyon en 1817 publiée
par le colonel Fabvier avec l'aide du lieutenant de police Sainneville. Fabvier
décrit entre autre dans cette brochure qui lui valut avec Sainneville
des poursuites judiciaires, le comportement des militaires au lendemain des
insurrections, dont les habitants de Lyon et des communes voisines se plaignent
de plus en plus. Fabvier écrit : « La ville de Lyon et
les communes qui l'entourent avaient vu renaître pour elles le
régime de 1793. (...) La haine avait pris la place de la
justice. »274(*). Fabvier fait état de provocations
policières répétées, avec : « des
policiers déguisés en espions, entrant dans les cabarets pour
exhorter le peuple à se révolter et dés son approbation
facile dans un contexte de misère, elle (la police) s'empresse
d'arrêter les plus mécontents... »275(*). Cet officier dénonce
bien le règne de l'intrigue complété par celui de
l'arbitraire. Fabvier poursuit en effet en précisant :
« Les accusés sont malmenés, séquestrés
pendant plusieurs mois sans la moindre information sur leur sort afin
d'être acquittés finalement. (...) Les autorités
municipales prenaient des arrêtés contraires aux
lois... »276(*). Nous voyons donc au passage que le maire ultra de
Lyon, le comte de Fargues, n'était pas exempt de ces manipulations et
des abus de pouvoir des autorités ultras locales.
Cependant, il ne faudrait pas céder à la
tentation de réduire et de résumer cette conspiration du 8 juin
1817 à une simple provocation policière. Nous avons pu voir
l'importance du « personnel » mobilisé pendant les
insurrections et au sein des comités secrets de l'entreprise. Nombre de
témoignages des accusés prouvent l'existence d'un plan originel,
d'une structuration du complot en cercles indépendants, de rites
d'initiation, d'entrée dans la conjuration comme le serment du poignard,
de règles internes classiques des sociétés secrètes
comme le voeux de silence, et enfin peut-être même l'existence
d'une structure d'autorégulation au sein des conjurés : un
tribunal secret sanctionnant leurs écarts de conduite au regard des
règles de la conspiration. Tous ces éléments doivent nous
convaincre de ne pas conclure à l'artificialité de ce complot.
Coexistent donc la thèse d'une entreprise politique secrète
réfléchie avec celle de sa provocation prématurée
par le biais de son infiltration par des agents militaires à la solde
des autorités ultras lyonnaises.
Cette thèse vérifiée de la provocation
policière doit d'avantage nous amener à réfléchir
sur les formes déployées par la violence politique des ultras et
leurs conséquences. Cette violence politique ultra révèle
l'usage que peut choisir d'adopter le camp des ultras lorsqu'il se sent
menacé dans ses intérêts, parfois au sein même de sa
propre famille politique comme s'est présentement le cas en 1817, en
opposant à la violence révolutionnaire et à l'usage du
secret par les contestataires du régime, une violence d'Etat avec aussi
un usage politique du secret à l'insu et contre les plans de
conspirateurs potentiels, souvent infiltrés et donc manipulés.
Cette confrontation entre un usage politique du secret chez les
révolutionnaires et un usage politique du secret d'Etat, avec pour
conséquence directe l'affrontement entre deux types de violences aux
formes différenciées de la part de ces deux acteurs respectifs
élargit encore l'espace de recherche en sciences sociales encore
récent sur le thème du secret en politique. Pierre Serna dans un
ouvrage récent de contributions collectives évoque par un article
introductif des pistes de recherche sur l'affrontement de ces usages politiques
du secret entre l'Etat et les groupes le remettant en cause directement ou ses
dirigeants, mais aussi des pistes de recherches sur la transmission au sein de
l'Etat ou au sein de ces groupes de savoirs et de pratiques relatifs à
cette usage politique du secret277(*). Pierre Serna résume parfaitement ce double
usage politique différencié du secret, par les tenants du pouvoir
d'une part, et les opposants à ces derniers d'autre part, de la
manière suivante : « Le secret constituerait donc une
face cachée du pouvoir et pourrait servir, selon les conjonctures, soit
à légitimer des pratiques nécessairement inconnues du plus
grand public afin de préserver la bonne marche de l'Etat et en assurer
l'efficacité discrète, soit à discréditer un
appareil d'Etat détournant de ce qui devrait être leurs fonctions
naturelles, des secrets utiles, dans le but de couvrir des agissements abusifs
voire délictueux. ».278(*)
Nous le constatons donc bien. Dans cette affaire du 8 juin
1817, les stratégies de l'ombre sont partagées autant par les
dissidents du régime de Louis XVIII que les représentants de son
autorité sur le royaume. Il y a même croisement ou rencontre entre
le secret des conjurés et l'activité secrète militaire,
par le biais de la technique d'agents infiltrés.
Cette provocation policière de l'entreprise du 8 juin
aura eu de lourdes conséquences judiciaires. La Cour
prévôtale restant sourde aux révélations de
Sainneville, ses condamnations seront sévères : 23
condamnations à mort, dont 11 sont exécutées, 1
commuée et 11 rendues par contumace, 4 condamnations aux travaux
forcés à temps, 39 condamnations à un emprisonnement
correctionnel279(*).
La lourdeur des condamnations de la Cour
prévôtale du Rhône suscitera l'émotion de l'opinion
publique qui manifestera à présent sa réserve à
l'égard des ultras lyonnais en se portant aux prochaines
élections vers les constitutionnels et les libéraux. On a
cité précédemment les succès électoraux
conséquents de Camille Jordan, évoquons aussi la perte de la
mairie de Lyon par les ultras avec après la mort du comte de Fargues le
23 avril 1818, l'élection de Rambaud, un royaliste modéré.
Terminons rapidement ce second thème consacré
aux réalités de la conspiration du 8 juin 1817 en illustrant
l'échec de la manipulation des ultras lyonnais, l'affaire du 8 juin,
obscurcie encore d'avantage par les révélations de Fabvier et
Sainneville, se bouclera officiellement par une intervention du pouvoir
central.
II-5. Une « affaire »
dépassant le camp des ultras
L'affaire du 8 juin 1817 devint très vite un handicap
pour le camp des ultras alors que celle-ci, facilitée par la manoeuvre
secrète de la police militaire, aurait dû lui assurer le
discrédit du gouvernement des constitutionnels. Le constat devenu public
des manipulations des ultras de Lyon occasionna l'embarras du roi qui
décida donc, de la mutation de tous les fonctionnaires
concernés.
II-5.1 Le constat des manipulations des fonctionnaires
ultras
Nous avons déjà bien exposé la teneur de
la manoeuvre du général Canuel, par l'infiltration de l'agent
militaire Brunet et très certainement du capitaine Ledoux au sein de la
conspiration, nous serons donc bref. Le scandale arrive par Sainneville,
lorsqu'il obtint de l'adjudant de place, Hue de la Colombe, l'assurance
écrite que ce dernier, représentant en partie l'armée,
avait eu recours à l'agent infiltré Brunet quant à
l'affaire du 8 juin 1817280(*).
Ensuite ce seront ces révélations par le
colonel Fabvier dans sa brochure, Lyon en 1817, qui jetteront le
discrédit sur le parti ultra, et qui obligeront le roi à calmer
la polémique occasionnée par l'affaire en décidant des
mutations des fonctionnaires incriminés.
Suites à ces révélations, le
général Canuel restait imperturbable, affirmant n'avoir jamais eu
d'agents à son service. Le préfet Chabrol, rapporte
Sébastien Charléty, avait moins d'aplomb et avouera la manoeuvre
en demandant des circonstances atténuantes : « Il faut,
dit-il, creuser jusqu'au centre de la terre pour y ensevelir les erreurs des
magistrats. (...) le premier devoir est de couvrir d'un voile épais ces
mystères honteux de la civilisation moderne. »281(*).
Ce fut donc grâce au courage et à
l'intégrité du lieutenant de police Charrier-Sainneville qu'une
des réalités de cette affaire, la plus tragique quant à
ses suites, éclata au grand jour, révélant la main mise
des ultras lyonnais sur l'appareil policier et militaire du Rhône, leurs
abus de pouvoir au service d'intérêts politiciens. L'opinion
risquait dés lors de se retourner contre l'ensemble des royalistes. Le
roi par l'intermédiaire de Decazes, se devait donc de réagir.
II-5.2 L'embarras du roi : la mutation de tous les
fonctionnaires concernés
Les conclusions de l'enquête de Marmont et de son
associé, le colonel Fabvier, amenèrent le gouvernement à
choisir de muter tous les fonctionnaires mêlés à cette
affaire, quel qu'eut été leur rôle. Le gouvernement resta
dans un sens « impartial ».
Le lieutenant de police Charrier-Sainneville dut partir pour
Strasbourg, remplacé par M. de Permon, le 8 octobre 1817. Les Lyonnais
le regrettaient. Le Journal de Lyon n'eut un mot de regret que pour
Sainneville : « Magistrat du Roi, il ne fut jamais celui d'un
parti. »282(*).
Le préfet Chabrol fut nommé
sous-secrétaire d'Etat au ministère de l'Intérieur, le 24
septembre 1817 et eut pour successeur le comte de Lezay-Marnézia.
Le général Canuel, principal responsable de
l'affaire, que avait fait baron en juin 1817 pour sa belle conduite, fut
nommé, le 6 octobre 1817, inspecteur général de
l'infanterie, et remplacé à Lyon par Mathieu de la Redorte.
De plus Marmont parvint aussi à faire destituer six
officiers, parmi lesquels l'adjudant de place Hue de la Colombe. De même,
les maires de Saint-Didier-au-Mont-d'Or, d'Irigny, de Brignais, de Soucieux, de
Saint-Andéol, de Neuville, de Saint-Genis-Laval, furent suspendus de
leurs fonctions le 8 octobre 1817, puis révoqués par
Laîné le 21 octobre. Seul le maire ultra de Lyon, le comte de
Fargues, resta en place jusqu'à sa mort le 23 avril 1818.
Dernière petite anecdote rapportée par Georges
Ribe et illustrant la satisfaction des Lyonnais des mesures prises par le
gouvernement à l'égard du personnel politique ultra compromis
dans cette affaire : « Le départ de Marmont, le 3
novembre 1817, fut l'objet d'une manifestation libérale. Un
comité de négociants, de fabricants et de propriétaires,
se forma, désireux de lui offrir une fête publique au
théâtre. Il préféra que les subsides fussent
affectés à une oeuvre plus utile. Pour perpétuer sa
mémoire, les libéraux fondèrent la première
école lyonnaise gratuite d'enseignement mutuel. »283(*).
Nous venons de présenter au cours de ce second
thème les différentes réalités de la conspiration
du 8 juin 1817 dans le Rhône, et des troubles qui lui furent relatifs.
Nous avons vu, au cours de cette étape de ce mémoire, les
difficultés, pour l'observateur de cette affaire, à
déterminer si il s'agissait d'une conspiration ou d'une insurrection.
Nous avons tranché en révélant l'existence originelle d'un
complot, matérialisé mais déformé dans son
activation, par l'éclat de séditions dans les campagnes
périphériques de la ville de Lyon le dimanche 8 juin 1817.
Retenons que cette conspiration à visée insurrectionnelle fut
bien manipulée puis provoquée par des agents étrangers
à l'origine des intentions réelles et première des
conjurés, en l'occurrence des agents de la police militaire du
général Canuel, agissant pour le compte des ultras lyonnais. Nous
avons aussi exposé les multiples facteurs explicatifs qui ont
favorisé le déclenchement de ces troubles, à savoir des
facteurs socio-économiques caractérisés par la crise des
subsistances des années 1816-1817, des facteurs socio-politiques
constitués par le contexte préélectoral d'affrontements
permanents entre constitutionnels et ultras, et enfin des facteurs
socio-historiques liés aux spécificités de l'histoire de
l'identité politique de la ville de Lyon. Nous avons également
présenté les formes prises par la communication sur ces
événements, au travers d'un climat pesant marqué par les
rumeurs constantes de complots, servant la propagande des ultras lyonnais de
diabolisation des jacobins et des bonapartistes, mais aussi de discrédit
de la politique du gouvernement des royalistes modérés. Nous
sommes revenus sur les problèmes d'éclaircissement des moyens et
des finalités des conspirateurs. Cela nous a permis de comprendre le
rôle important joué dans cette affaire, par la manoeuvre de
provocation des événements par les autorités militaires
ultras lyonnaises. Enfin, en observant les stratégies de manipulation
des ultras lyonnais d'une entreprise politique secrète à
visée émancipatrice, nous avons pu apprécié comment
l'usage politique du secret par les ultras relevait aussi de leur politique
réactionnaire. Cependant, nous avons pu aussi présenté
l'échec de cette stratégie, au profit des constitutionnels et des
libéraux lyonnais. Il nous reste donc à amorcer dans un dernier
thème, une réflexion sur les usages de la violence et de la
Justice en 1817.
Analyse des usages de la violence et de la Justice en
1817
« Dans de nombreux rituels, le sacrifice se
présente de deux façons opposées, tantôt, comme
« une chose très sainte » dont on ne saurait
s'abstenir sans négligence grave, tantôt au contraire comme une
espèce de crime qu'on ne saurait commettre sans s'exposer à des
risques également très graves. »
René Girard, La violence et le sacré
(1998)
III- La violence des conjurés et des forces de
la répression
L'ambition de ce dernier thème, plus court, sera
d'amorcer une réflexion sur les usages faits de la violence et de la
Justice en cette année 1817. Nous développerons pour cela trois
points. Un premier temps sera accordé à une réflexion sur
le sens politique et pratique du secret régulant l'activité
politique clandestine qu'est une conspiration, avec notamment une approche de
ses rites. Le second temps sera consacré à une analyse des
fondements et des formes de la répression policière et
judiciaire. Enfin, le dernier temps sera constitué d'une piste de
réflexion personnelle sur le complot comme forme de violence
émancipatrice.
III-1 La conspiration : une entreprise
secrète et « sacralisée »
Nous avons donné lors de l'introduction, des
éléments de définition de l'activité politique, au
sens large de réunion d'individus dans un but précis,
associée aux termes : conspiration, conjuration et complot. La
conspiration apparaît, surtout au XIXème siècle chez les
Carbonari en Italie et les Charbonniers en France, comme une activité
hautement « sacralisée », ritualisée, faisant
de celle-ci un espace de contraintes fortes et durables pesant sur ses membres.
Commençons par évoquer les aspects anthropologiques de la
conspiration avec la question des rites s'imposant à ses initiés,
de l'entrée dans son secret jusqu'à peut-être même
leurs morts, puis illustrons cette mise en scène du secret par le
récit de ses codes de la part de conjurés de l'affaire du 8 juin
1817.
III-1.1 Les rites de passage : le serment du
couteau, la loi du silence et le sort des traîtres.
René Girard, dont j'ai choisi pour introduire ce
dernier thème, un court passage de son célèbre ouvrage
La violence et le sacré, insiste grandement sur la dimension
« sacrificielle » de l'activité sociale
parallèle. Le sacrifice, écrit-il, se présente :
« de deux façons opposées, tantôt, comme
« une chose très sainte » dont on ne saurait
s'abstenir sans négligence grave, tantôt au contraire comme une
espèce de crime qu'on ne saurait commettre sans s'exposer à des
risques également très graves. »284(*). Deux aspects essentiels de
toute tentative de théorisation de la conspiration ressortent de ce
propos. D'une part, la conspiration requiert des sacrifices desquels ses
membres ne peuvent s'exempter, sacrifices légitimés par le
caractère mythique de l'entreprise politique clandestine285(*) qui s'inscrit toujours dans
sa propre histoire et qui enferment donc les initiés dans un espace
de contraintes. D'autre part, les conjurés en attestant de leur
nouveau statut par ces sacrifices placent dés cette initiation et de
manière irrémédiable, leurs existences individuelles dans
un espace de risques, risques de sanction au sein de la conspiration et
dans le reste du corps social.
Cette entrée dans un espace de contraintes internes au
complot et cette conscience quasi-obsédante pour le conspirateur de la
permanence de risques pesant sur sa vie soudent les membres de la conspiration
et de facto doivent faciliter sa réussite. Le complot apparaît
dés lors pour l'observateur, conséquences directes de ses
mécaniques internes, « opaque, obsédant,
omniprésent et introuvable » selon les mots de Bernard Gainot
et Pierre Serna286(*).
Cette opacité de la structure politique clandestine,
volontairement organisée selon une stricte logique du secret et de
l'ombre, vise à rendre sa compréhension accessible qu'aux seuls
initiés, et encore dans les limites de leurs fonctions
attribuées. La garantie de cette opacité et surtout de l'absence
de toute connaissance du projet secret par le corps social étranger au
complot, repose sur tout un appareil de rites et de codes ordonnant la
discipline au sein des conjurés, s'accompagnant fréquemment aussi
de la menace en cas de non-respect des lois de l'entreprise secrète.
Pierre-Arnaud Lambert, l'un des principaux spécialistes de la pratique
du secret en politique et notamment de celle-ci au sein de la Charbonnerie
française, nous rappelle le protocole des rites et des codes de cette
dernière287(*).
Son analyse porte sur la Charbonnerie française, mais on verra que les
mécanismes décrits se retrouvent au sein des conspirations
militaires bonapartistes comme celle de juin 1817, car la Charbonnerie qui
frappera en France en 1820-1823 est héritière des pratiques
secrètes du complot bonapartiste, jusque parfois même dans son
personnel politique.
Pierre-Arnaud Lambert confirme dés le début de
son article les deux exigences de la structure clandestine que nous venons de
rappelées : « Une société secrète
est une forme de sociabilité marginale, un groupe social particulier
coupé de la société globale (ou
« profane ») par le secret et généralement
construite sur un corps de règles strictes qui mettent l'accent pour
l'individu agrégé sur deux exigences particulièrement
importantes, le respect du secret absolu vis-à-vis de l'extérieur
d'une part et le respect de la règle intérieure d'autre
part. »288(*).
La première exigence de respect absolu du secret
vis-à-vis de l'extérieur s'explique naturellement par le fait que
l'indiscrétion d'un seul des membres de l'entreprise, volontaire ou non,
ou pire encore la trahison, délit encore plus grave plus une
société secrète conspirative, suffisent à mettre en
péril l'existence même du groupe tout entier.
La seconde exigence de respect de la règle
intérieure correspond à la nécessité de
préserver la cohésion de la structure clandestine. Pierre-Arnaud
Lambert évoque ainsi l'existence au sein de la Charbonnerie
française d'un véritable code juridique de peines
associées à chaque délit de manquement au secret289(*).
Dans les structures politiques clandestines, l'exigence est
le respect du secret absolu. Car il pèse déjà fortement le
poids de la surveillance policière, très lourde et bien
organisée sous la Restauration comme nous avons pu le réaliser,
et dés lors la moindre indiscrétion peut compromettre toute
l'entreprise. Ainsi, est prévue une procédure
« judicaire » dans la Charbonnerie, visant à
sanctionner le manquement à la règle du secret. Bien que le mot
«procès » ne soit jamais employé dans les textes
organisant la Charbonnerie française, Pierre-Arnaud Lambert nous apprend
l'existence de la procédure du « jugement ». Ces
jugements étaient organisés selon des échelles
différentes par les Ventes de la société secrète,
organes dirigeants de la structure. Pierre-Arnaud Lambert a retrouvé
nombre de documents relatant de manière précise, les
procédures de jugement au sein de la Charbonnerie
française290(*).
Il note : « Le procès secret
était donc bien imaginé par les fondateurs de la Charbonnerie,
les rédacteurs des premiers documents. Ce procès, selon toute
vraisemblance, a dû rester virtuel. Car l'enjeu des règlements
dans leur ensemble, outre d'architecturer la société, est d'abord
d'en protéger le secret »291(*). Un outil de régulation traditionnel au sein
de la Charbonnerie, nous apprend toujours Pierre-Arnaud Lambert, était
la délation. Ceci nous amène à la nature de la peine,
prévue en cas de manquement au secret. Pierre-Arnaud Lambert
précise : « En fait, dans ces premiers règlements,
l'application de la peine, dont la gravité dépend de la faute
elle-même, s'accompagne d'une mise hors secret progressive du
fauteur par la vente. »292(*). Nous avons pu voir dans le cas de notre
conspiration du 8 juin 1817 que la peine pouvait aller jusqu'à
l'élimination physique du traître. Cela nous amène à
évoquer le rite d'initiation au complot le plus répandu parmi les
divers groupes clandestins au XIXème siècle.
L'entrée dans la conspiration et donc dans son secret
passe par le serment. Pierre-Arnaud Lambert cite dans son
article l'un des serments de la Charbonnerie italienne (La Carbonaria) :
« Je jure d'être fidèle au serment que je prête,
et de ne jamais changer d'idée, encore que l'on voulut me faire souffrir
les plus grands supplices. (...) Et si jamais je deviens parjure à tous
les serments que je prête, je veux être massacré et
brûlé, et mes cendres jetées au vent comme tous ceux qui
ont déjà subi le même sort. »293(*). L'initié au secret
de la conspiration prêtait généralement serment
« sur le poignard »294(*), comme c'était le cas chez les Carbonari
et apparemment dans la conspiration du 8 juin 1817. Ce type de serment sur une
arme implique la participation complète, corps et âme, du
conjuré à l'ensemble de l'aventure secrète du complot.
Pierre-Arnaud Lambert évoque ainsi à juste titre une
dramatisation du rapport social au sein des sociétés
secrètes et des conspirations295(*). Enfin, nous retiendrons le caractère
contraignant du serment, signant l'engagement sans appel du conjuré
à travailler sans relâche pour l'entreprise secrète, et
à respecter l'intégralité de ses règles.
Pierre-Arnaud Lambert note : « Le serment en particulier a pour
fonction de dire l'appartenance irréversible de celui
qui le prononce au groupe. »296(*). Venons-en au récit de certains de ces rites
comme celui du serment sur le poignard, par des conjurés du complot du 8
juin 1817.
III-1.2 Le récit de ces codes par des
conjurés du 8 juin 1817
Cette conspiration du 8 juin 1817 est digne
d'intérêt car elle relève, dans son fonctionnement, des
sociétés secrètes à venir en France toujours sous
la Restauration, comme la Charbonnerie française dont nous avons pu,
avec l'aide de Pierre-Arnaud Lambert, présenté quelques aspects
rituels. Ainsi, le procès de cette conspiration révèle
l'existence d'une mécanique ritualisée interne de fonctionnement
du type de celles des sociétés secrètes politiques,
démontrant au moins la volonté de revêtir les attributs du
complot politique.
Le rite d'initiation ou d'entrée dans la conspiration
et son secret se faisait déjà sur le mode opératoire du
serment du poignard. On apprend à la lecture du compte-rendu du
procès de la Cour prévôtale dans sa séance du 25
octobre 1817, que les membres du comité supérieur de la
conspiration se réunissaient rue du Garet, à Paris, sous
l'impulsion de madame Lavalette. C'est là selon les déclarations
faites à la Cour prévôtale que s'organisait l'initiation au
complot : « Cochet sortit de sa poche un poignard, sur lequel
chacun jura de perdre plutôt la vie, que de dénoncer aucun des
conspirateurs. »297(*). Le récit de la Cour évoque
l'existence du tribunal secret, institution d'autorégulation interne de
la conspiration, inspirée des Carbonari, « chargé de
frapper les parjures, qu'une grande partie des Autorités était
affiliée à ce tribunal, que déjà plusieurs
individus avaient disparus, qu'on avait trouvé des cadavres aux
Brotteaux et à la Pêcherie, avec un poignard autour duquel
était cette inscription : Voilà la récompense des
traîtres. »298(*). Jacquit à la tête de ce comité
exécutoire était chargé, avec la police ! selon
Cochet, de l'exécution des arrêtés du tribunal secret.
L'existence d'une telle structure ou même sa rumeur
devait assurer la cohésion des conjurés. Ainsi, selon le
récit rapporté par la Cour prévôtale :
« Il était ordonné aux chefs d'entretenir chez leurs
subalternes la terreur que de tels récits devaient inspirer. (...)
L'effroi que ces idées durent jeter dans les âmes, donna de la
sécurité aux conspirateurs. »299(*). De même, une des
garanties du secret provenait du fait
que : « l'organisation du complot était telle, qu'il
n'y avait qu'un petit nombre d'individus qui fussent initiés dans tous
ses secrets. »300(*). La rationalisation du partage du secret entre les
conjurés assurait donc l'impératif de la loi du silence. Parmi
les techniques du secret aussi employées lors de cet épisode, on
doit signaler la dissimulation aux enrôlés des chefs subalternes
qui les avaient recrutés et le flou constant sur les buts réels
de la conspiration. Enfin, au cours des interrogatoires de la Cour
prévôtale du 27 octobre 1817, on apprend du conjuré Taysson
que les conspirateurs avaient adopté des surnoms, à l'aide
desquels il leur était facile de se cacher. C'est ainsi que Barbier
était appelé « Herbas », Volozan
aîné « Scipion », Taysson
« Paulus », etc301(*).
Nous venons de dévoiler les fondements rituels et
fonctionnels de l'entreprise politique clandestine, qu'il s'agisse d'une
société politique secrète comme la Charbonnerie
française ou d'une réunion plus éphémère de
conjurés lors du complot du 8 juin 1817. Nous avons ainsi
démontré que lors de cet épisode, les acteurs de cette
conspiration ont été soumis au dispositif rituel et fonctionnel
propre au complot politique du début du XIXème siècle. Il
nous faut donc à présent, nous intéresser à
l'envers des usages de la violence au sein de la conjuration politique, en
observant cette fois ceux de la répression policière et
judiciaire.
III-2. La répression policière et
judicaire
Nous analyserons les fondements et les formes de cette
répression d'Etat selon quatre points. Nous commencerons par revenir
brièvement sur les conditions des arrestations des suspects, en
signalant la légitimation des conditions de celle-ci par le
régime sous le prétexte de la théorie des circonstances
exceptionnelles. Nous continuerons en illustrant un peu plus le flou de
l'instruction de l'affaire par la justice de l'époque. Cela nous
conduira naturellement à éclairer la
sévérité des condamnations de la Cour
prévôtale, au regard des nouvelles dispositions pénales
prévalant dans les affaires de conspirations. Enfin, nous
présenterons rapidement l'analyse critique d'un contemporain de
l'affaire, François Guizot, au travers de son ouvrage Des
conspirations et de la justice politique.
III-2.1 Les arrestations des suspects : la
théorie des circonstances exceptionnelles
En 1817, le ministère de l'Intérieur
dirigé par Decazes, un constitutionnel pourtant, appuie sa politique de
répression des troubles dans le Rhône du mois de juin, sur la loi
de sûreté générale, de l'initiative et votée
par les ultras aux Chambres les 23 et 27 octobre 1815. Promulguée le 29
octobre 1815, cette loi de sûreté générale
autorisait l'emprisonnement sans jugement de toute personne suspectée de
complot contre la famille royale ou la sûreté de l'Etat. En 1816,
pas moins de 419 « suspects » furent emprisonnés en
vertu de cette loi302(*).
Les questions relatives à la sécurité de
l'Etat sont en effet omniprésentes sous la Restauration où la
peur des autorités du complot politique est chronique. Pour preuve,
ainsi en 1816, les ultras ayant réussi à imposer la loi du 20
décembre 1815 instituant une Cour prévôtale dans chaque
département, celles-ci sont installées au mois de mars. Elles
jugeront 2 280 affaires jusqu'à leur suppression en 1818, dont
seulement 237 purement politiques303(*). Précisons qu'une Cour prévôtale
est composée de quatre magistrats civils et d'un procureur militaire,
qu'elle est chargée de juger, sans jury, ni appel, les crimes politiques
ayant un caractère de violence publique et de flagrant délit, la
sentence étant exécutoire dans les vingt-quatre heures.
Concernant notre affaire du 8 juin 1817, précisons que
des arrestations arbitraires de suspects eurent lieu le 4 juin, peu avant les
séditions à venir. Le préfet du Rhône, Chabrol, se
mit d'ailleurs à cette occasion dans une certaine
illégalité ne disposant pas de preuve de troubles
avérés. Georges Ribe rapporte : « Le préfet
donna l'ordre d'arrêter ces individus suspects, en vertu de la loi du 9
novembre 1815, en en référant au ministre de la Police que, ne
pouvant aux termes de la loi recourir à un arrêté du
Conseil des ministres, il prenait sous sa responsabilité une mesure que,
dans toute autre circonstance, il eut regardé comme illégale,
parce qu'il n'y avait encore que des suspicions et point de
preuve. »304(*). La loi du 9 novembre 1815 visait à
prévenir les troubles à l'ordre public. Avant même la
naissance des troubles du 8 juin 1817, le préfet du Rhône,
Chabrol, ordonna donc l'arrestation par mesure préventive de suspects de
futures séditions. Les deux principaux suspects recherchés
étaient le capitaine en demi-solde de Saint-Genis Laval, Oudin et un
chef des corps francs lors des Cent-Jours à Marcilly-d'Azergues, Garlon.
Cela prouve que les autorités locales avaient déjà
connaissance des principaux meneurs du complot provoqué du 8 juin. Les
deux suspects étaient absents de chez eux lors de la visite de la
police. Mais, fait troublant rapporte Georges Ribe : « (...)
bien que le préfet eut donné l'ordre, le 4 juin, d'arrêter
le capitaine Oudin, cet officier se présenta chez le
général Canuel le 5 et ressortit sans avoir été
appréhendé. Le 8 juin, il passa la journée avec un
sous-officier de gendarmerie qui semble ne se douter de
rien. »305(*).
Ces faits confirment donc bien la véracité de la thèse de
la provocation policière, déjà longuement exposée
précédemment. A la veille des soulèvements du 8 juin 1817
dans Lyon et ses campagnes périphériques, les autorités
ultras locales tentaient déjà de diaboliser une entreprise qui ne
relevait pour le moment que de la rumeur, et dont les autorités visaient
à en dissuader les populations de leur soutien, en les inquiétant
des poursuites policières et judiciaires qui pourraient alors les
affecter si ils prenaient part aux troubles. Cette mise en garde des
autorités ultras du Rhône devait être relayée par les
maires des communes mises sous haute surveillance policière et
militaire. Georges Ribe précise : « Le préfet
avisa tous les maires d'un mouvement probable et les invita à faire
afficher, dans leur commune, l'arrêté qu'il venait de prendre, aux
termes de l'article 8 de la loi du 9 novembre 1815, et qui
énumérait les peines dont étaient passibles les fauteurs
et les auteurs de séditions et de
rébellions. »306(*). Cette stratégie de
« l'épouvante » ne fonctionna donc pas, et
légitima alors d'autant mieux les conditions peu légales
d'arrestation et de détention des séditieux. Rappelons que le
lieutenant de Police de Lyon, Charrier de Sainneville, était à
Paris le jour des insurrections, le 8 juin, et ne revint dans le Rhône
que le 13. Pendant son absence, le maire ultra de Lyon, le comte de Fargues,
s'était chargé de l'interrogatoire des suspects lyonnais, en tant
qu'officier de police judiciaire. Pour Georges Ribe : « Cette
intervention outrepassait ses fonctions. »307(*). Les autorités
ultras du Rhône s'appuyaient donc sur la loi de sûreté
générale de novembre 1815, pour légitimer les
détentions immédiates et arbitraires des séditieux
arrêtés, suspectés sans aucune preuve supplémentaire
que leur attroupement le dimanche 8 juin 1817, de vouloir porter atteinte
à la famille royale et à la sûreté de l'Etat. Ainsi,
comme le souligne Georges Ribe : « Beaucoup de détenus ne
subirent même pas les formalités du mandat d'arrêt ou de
l'écrou. Quelques-uns restèrent au secret, pendant plusieurs
semaines, sans connaître le motif de leur détention. Nombreux
étaient, parmi eux, les officiers en demi-solde ou en retraite. Ces
arrestations préventives qui ne se justifiaient que comme simples
mesures de précaution étaient elles aussi d'une
légalité douteuse. En quelques points, on se contenta de
désarmer les suspects. »308(*). Ces arrestations s'opéraient donc dans
l'acception la plus large et la plus vague de l'esprit de la loi des ultras de
sûreté générale. Ce recours fallacieux au principe
de circonstances exceptionnelles, un risque potentiel d'atteinte au royaume,
participe d'un mouvement plus large de surveillance aigue de la
société sous le régime de Louis XVIII. En effet, comment
analyser la réaction politique qui caractérise la Restauration en
France, sans évoquer son corollaire et son garant le plus
célèbre : la surveillance policière.
Le début du XIXème siècle est
marqué par la naissance de la police moderne, avec notamment
l'institutionnalisation de son corps le plus actif dans sa mission de
prévention des complots politiques et des séditions : la
police politique. La police politique se définit selon Gilles Malandain,
au sens restreint et plus courant du terme comme: « (...)
le dispositif institutionnel qui concrétise le dispositif juridique
destiné à protéger en même temps la
société et l'Etat contre toute
« sédition ». »309(*). La police politique est
donc un organe secret de la police générale qui vise par des
moyens secrets à surveiller et déjouer les entreprises politiques
secrètes susceptibles de porter atteinte à l'Etat. Son existence
en France ne remonte pas en réalité à la Restauration,
mais c'est sous ce régime qu'elle va se développer et se
généraliser en devenant une institution d'Etat. Sous le
régime de la Terreur révolutionnaire et même après,
la police politique existe de manière officieuse, entrant souvent en
conflit avec les polices municipales310(*). Sous le Directoire, la police retrouve un
rôle politique qui tend à prévaloir sur son rôle
social. Gilles Malandain précise : « Le
ministère de la Police a en effet comme première mission la lutte
contre les menées des adversaires du régime : Cochon,
titulaire du poste en 1796-1797, s'emploie ainsi notamment à
démanteler la conjuration des Egaux. Avec Fouché, qui endosse en
juillet 1799 le rôle dont il est resté l'incarnation la plus
fameuse, la police s'identifie entièrement à la surveillance
politique... »311(*). N'oublions donc pas les origines jacobines de la
police politique, qui dés sa naissance s'attelait à surveiller et
briser de l'intérieur les volontés politiques secrètes
soupçonnées d'intentions nuisibles pour le régime.
Jusqu'en 1821, la police de la Restauration sera essentiellement
constituée d'anciens serviteurs de Napoléon, toujours selon
Gilles Malandain312(*).
A partir des années 1820, la relève se fera par des
contre-révolutionnaires engagés : ce sera la
« police de la Congrégation » dirigée par
Franchet d'Esperey. Les ultras renouvelleront peu à peu leur police
politique à l'aide des anciens membres de leurs réseaux
clandestins, déjà présentés dans le premier
thème. Ces réseaux occultes ultras, comme celui des
« Chevaliers de la Foi », s'avèreront être
d'efficaces instruments de lutte contre les conspirations libérales.
Observons aussi que la police politique implique d'autres
ministères que ceux de la Police ou de l'Intérieur. Ainsi les
ministères de la Justice ou de la Guerre, ce fut le cas pour notre
affaire du 8 juin 1817 lors des manipulations du général Canuel,
peuvent participer à ces missions de renseignement, surveillance et
répression d'activités politiques clandestines. A partir de 1818,
une institution clef du dispositif de surveillance policière
s'affirmera : la préfecture de police, dont le chef, le
préfet de police, ne cessera de gagner en responsabilités,
notamment quant à ses missions de veille et de répression des
complots politiques313(*).
Gilles Malandain note à juste titre :
« La lutte contre le complot est donc au coeur de la police politique
et la police politique au coeur de l'institution
policière. »314(*). Cependant, force est d'admettre le caractère
« inclassable » de la police politique, dont l'esprit
d'anticipation la rattache aux principes d'une police administrative, force de
paix à la disposition des citoyens, mais dont les méthodes la
lient indéfectiblement à la police judiciaire, en partageant un
usage habituel du secret. Le juriste Vivien, contemporain de la Restauration,
nous éclaire sur les raisons de la pratique du secret par la police
politique : « La police politique est secrète de sa
nature : les factieux trament leurs complots dans l'ombre ; c'est
dans l'ombre que le gouvernement doit les suivre, épier leurs
démarches, surprendre leurs projets. Elle est essentiellement
préventive... »315(*). Dés lors, on peut légitimement
s'interroger sur la légalité d'une police qui, opérant
avant tout dans l'ombre, est peu sujette à contrôle. Gilles
Malandain va même jusqu'à
affirmer : « « Sacrifice de la théorie
à la nécessité », autre face du complot qu'elle
cherche à déjouer et dont elle emprunte les formes, la police
secrète est l'illégalité
institutionnalisée. »316(*). La critique d'illégalisme de la police
politique se répandra tout au long du XIXème siècle, et
notamment dans les cercles libéraux des années 1820 où
sévit la « police de la Congrégation ».
Pourtant, l'avènement des libéraux en 1830 et la monarchie
orléaniste ne s'accompagneront pas de la disparition de cette police si
particulière, car directement assignée à la protection
secrète de l'Etat. Comme le remarque Gilles Malandain :
« Finalement, la raison d'Etat ne peut s'avouer au XIXème
siècle qu'en empruntant les traits de la défense sociale. (...)
Encore faut-il que la surveillance se borne à une
« observation passive », qu'elle ne tombe jamais dans la
provocation, qu'elle soit avant tout une vigilance et non une
inquisition... »317(*). Nous avons pu observé en effet ses
dérives en 1817, avec l'usage politique qu'elle fit de la technique de
l'infiltration puis de la provocation de la conspiration du 8 juin.
Pour finir ce point consacré à la surveillance
et à la répression policière au motif de circonstances
exceptionnelles, j'ai choisi de rapporter des « fiches » de
la police politique de Decazes, établies sur les personnages principaux
de l'affaire du 8 juin 1817. Ces « fiches » de la police
politique proviennent des archives nationales, carton côté F7 4352
A, Rhône en 1817-1818, « Notes d'enquêtes internes
à la Police ».
Ces notes d'enquêtes internes révèlent la
surveillance de Paris sur son administration en province, puisque
essentiellement, il s'agit d'observations sur les autorités locales et
les notables du Rhône. Les commentaires illustrent parfaitement le
sentiment de contrôle, voire de mépris, de l'Etat central
vis-à-vis des acteurs principaux du complot du 8 juin 1817. Nous ne
rapportons là que les fiches les plus caractéristiques de ces
sentiments.
Comte de Fargues (le maire de Lyon en 1817) :
capacité médiocre, caractère faible, opinion flottante,
peu de relations hors de la Noblesse, a perdu la confiance publique, influence
à peu près nulle aujourd'hui. Fortune en 1811 : 12 000
francs de rentes.
Baron Pierre Rambaud (le successeur de de
Fargues) : homme de toutes les époques, riche, très
économe, ayant quelques influences dans les deux partis... Fortune en
1811 : 40 000 francs de rentes.
Sainneville (le lieutenant de police de Lyon) :
riche, homme d'esprit, ambitieux, sachant adroitement prendre le vent de la
politique, peu considéré à Lyon, mais beaucoup d'amis et
de fans à Lyon. Fortune en 1811 : 18 000 francs de rentes.
Desuttes (Prévôt du Rhône en
1818) : son exaltation est connue, grande influence chez le parti
libéral, dont il est conseiller. Intriguant, habile, actif,
résolu. On le croit, quoique pauvre, inaccessible à la
corruption. « Il sera fort important de l'éloigner, ce serait
un grand obstacle de moins dans les affaires, le Ministère ne devrait
rien négliger pour cela... »318(*).
Ces quelques notes choisies illustrent bien à la fois
l'assurance et la suspicion du Ministère de l'Intérieur quant aux
personnages principaux de l'affaire du 8 juin 1817. On retiendra le
discrédit dissimulé de l'Etat central pour les élites
ultras locales comme le maire de Lyon, mais aussi la crainte de la
montée en puissance de fonctionnaires modérément
royalistes tendant à se rapprocher des libéraux.
Rappelons donc avant d'aborder la question de l'instruction
de l'affaire par la Cour prévôtale, que la police et
l'armée arrêtèrent 248 individus à Lyon,
enfermés dans les caves de l'Hôtel de Ville, et 300 personnes pour
les campagnes319(*).
Nous pouvons à présent nous attacher à illustrer le flou
de l'instruction de cette affaire avec quelques interrogatoires de suspects
arrêtés.
III-2.2 Une instruction de l'affaire des plus
floues : illustration par quelques interrogatoires
La Cour prévôtale retint comme chefs
d'accusations envers les individus arrêtés, les motifs de
« complot » et de « réunion
séditieuse ». Dans ses arrêts, elle ne choisit pas entre
ces deux motifs, évoquant ainsi souvent le terme de
« complot », sans aucun fondement juridique valable. De
même, alors qu'elle retient aussi le chef d'accusation de
« réunion séditieuse », la Cour jugea les
accusés séparément par communes au lieu de les englober
dans un procès unique. En effet, la Cour divisa l'instruction en douze
procédures : une pour chacun des onze villages, et une pour
Lyon320(*). Nous
reviendrons dans le prochain point sur le traitement juridique de cette
affaire, et notamment sur la question de la légitimité de la Cour
prévôtale à juger celle-ci. Pour l'heure, l'objectif de ce
point est de montrer la conduite critiquable des interrogatoires des
accusés par la Cour.
Pour cela, deux sources d'archives ont été
sollicitées. La première est le volume
« Procédure » de la Cour prévôtale du
Rhône, déjà utilisé largement
précédemment, volume contenant les débats du procès
de la conspiration de Lyon en 1817, consulté au fond ancien de la
bibliothèque municipale Lyon Part Dieu321(*).
La seconde source d'archives est constituée d'un
document de huit pages consultables en annexes, découvert au sein des
archives départementales du Rhône, avec pour titre
« Cour prévôtale de Lyon, interrogatoire des vingt-huit
conspirateurs. »322(*). Ce document est un bon résumé de
l'instruction de l'affaire, rapportant les interrogatoires de Barbier, Volozan
cadet, et Biternay.
Les interrogatoires de la Cour prévôtale en sa
séance du 25 octobre 1817 sont marqués par la pression du
président de la Cour sur les accusés dans la perspective d'aveux
effroyables de leurs parts d'une intention calculée d'assassinats
politiques. Cette orientation prise par les débats de la Cour vers un
exercice de pressions sur les accusés, s'illustre par exemple par cet
extrait de l'interrogatoire de Barbier, où le président de la
Cour après une longue liste d'affirmations sur lesquelles Barbier n'a
pas pu précédemment se prononcer clairement, le contraint
à les confirmer en un seul échange.
Le Président de la Cour : « Vous
êtes convenu qu'il avait existé un complot pour mettre
Napoléon, ou un autre usurpateur, sur le trône, qu'il y avait eu
des comités formés pour cet objet, qu'un serment avait
été prêté ; qu'on avait pris des moyens pour
recruter des forces ; que Jacquit était chef des bandes
armés des campagnes ; que les conjurés avaient
arrêté leur plan d'attaque pour le 8 juin ; que les postes
étaient distribués ; que les enrôlements avaient
été préparés ; que des motifs que vous ignorez
ont empêché l'explosion générale à
Lyon. »
Face à ce flot d'assertions mélangeant des
questions d'ordre très divers comme celle des buts du complot, de ses
moyens et de ses chefs, l'accusé Barbier ne peut que confirmer puisque
une partie des énoncés est sans doute exacte.
Barbier : « Oui monsieur le Président.
Mais je ne sais pas d'où venaient les ordres supérieurs. Quant
aux sommes comptées, je persiste dans mes déclarations à
cet égard. »323(*).
On retrouve cette même tentative de la Cour
prévôtale de forcer les aveux lors de l'interrogatoire de Volozan.
Ainsi, le président de la Cour demande à nouveau de
manière vindicative à Volozan si les conspirateurs avaient
l'intention d'assassiner des fonctionnaires publics, des magistrats. Volozan
réaffirmera que ce n'était pas le cas324(*). On observe toujours au
cours de ces audiences, l'impatience de la Cour prévôtale pour des
aveux accablants de projets d'assassinats politiques, qui classeraient
définitivement cette affaire dans celles des conspirations politiques,
et légitimeraient alors des condamnations judiciaires des plus dures.
Ainsi, des condamnations forts discutables car
prononcées par contumace, sont lancées à l'encontre de
Taysson, Cochet et Bernard, prisonniers évadés. Plusieurs avocats
de la défense se levèrent lors de la séance pour protester
contre cette mesure qu'ils jugent illégale325(*).
A nouveau, la Cour bombarde littéralement de
questions-accusations le suspect Coindre.
Le président de la Cour prévôtale :
« Coindre, vous fûtes trouvé le 8 juin, muni de
cartouches. D'où provenaient-elles ? N'aviez-vous pas connaissance
de la conspiration qui se tramait alors contre le gouvernement du Roi ?
N'en faisiez-vous pas partie ? Ne fûtes-vous pas dans le principe,
soupçonné d'être l'un des auteurs de l'assassinat commis
sur le capitaine Ledoux ? »326(*).
Coindre répond de manière évasive.
On observe donc encore dans cet interrogatoire de Coindre,
l'usage de questions déformées dans le sens qu'elles tendent
toujours à amener leur confirmation...
L'interrogatoire de madame Lavalette est le plus
représentatif de cette tendance de la Cour à transformer ses
audiences en une inquisition. Au cours de l'interrogatoire de Volozan cadet, ce
dernier soutint que madame Lavalette entretenait une correspondance active avec
le comité supérieur du complot. La Cour retient cet aveu de
Volozan cadet comme vérité indiscutable. Face à la
résistance de madame Lavalette, le président de la Cour
s'énerve.
Le président de la Cour
prévôtale : « Après tant de rapports faits
par des personnes qui n'ont point intérêt à vous nuire,
vous ne pouvez nier le fait de la correspondance ? Comment repousser tant
d'assertions ? ».
Madame Lavalette : « Je ne vois que des
« On dit ». Je suis sur des « On dit »,
en prison depuis quatre mois, privée de mes enfants, et l'on me fait
entreprendre un voyage long et pénible. Mes enfants sont ma seule
occupation. ».
Le président de la Cour fait lire plusieurs lettres
devant madame Lavalette évoquant son rôle dans la conjuration.
Madame Lavalette : « Je n'ai jamais
reçu ces lettres ; je ne sais ce que vous me
dîtes. »
Le président de la Cour : « Vous
persistez madame. »
Madame Lavalette : « Oui
monsieur. »
La Cour : « Cependant vous connaissez les
déclarations positives consignées au
procès. »
Madame Lavalette : « On a dit tant de
choses ! Mais ce sont des histoires. »
La Cour : « Madame, les histoires sont
vraies. »
Madame Lavalette : « Eh bien ! Mettez que
ce sont des contes. »
La Cour : « C'est comme le désir de
revenir à Lyon. »
Madame Lavalette : « Je ne l'ai jamais
eu. »327(*)
De même, on notera toujours la propension à
l'exagération de la Cour dans ses questions aux accusés, afin
peut-être d'obtenir suffisamment en demandant plus. On observe ce
procédé lors de l'interrogatoire de Volozan cadet à
nouveau.
Le président de la Cour prévôtale :
« N'avez-vous su que, dans la vue d'exaspérer le peuple et de
le porter à la révolte en l'affamant, les ennemis du gouvernement
avaient accaparé du blé pour en faire exhausser
considérablement le prix ? »
Volozan : « Taysson m'a dit un jour que
l'accaparement des grains se faisait à force, et qu'il fallait presser
l'exécution des mouvements. »
La Cour : « Les membres de votre comité
n'avaient-ils pas répandu dans le public que des officiers civils et
militaires servaient la conspiration ? »
Volozan : « Oui, Monsieur. Et tous avaient la
certitude que certaines Autorités étaient à la tête
de la conspiration. »
La Cour : « Quelles sont les causes qui vous
ont porté à croire une chose aussi
absurde ? »328(*).
Le lecteur pourra lire la suite de l'interrogatoire en
consultant le document 8 en annexes. Retenons que la Cour tente d'éluder
la question de l'intervention d'autorités institutionnelles
extérieures au complot, en rabaissant littéralement Volozan mais
aussi d'autres, lorsqu'ils abordent l'idée que les autorités
publiques auraient pris part à la préparation de la conspiration.
Nous venons d'illustrer le manque de rigueur qui
caractérisa le traitement de l'instruction judiciaire lors de l'affaire
du 8 juin 1817. Très souvent, la Cour prévôtale
forçat les aveux des accusés, déformât leurs
réponses, exagérât les intentions des conjurés pour
aboutir à la seule conclusion qui pouvait satisfaire les ultras
lyonnais : celle d'une vaste conspiration dont le but de renversement du
gouvernement royal passait par des assassinats politiques d'autorités
publiques. Dés lors, nous ne serons guère surpris par la
sévérité des condamnations prononcées par la Cour
prévôtale. Une Cour qui aura voulu se montrer exemplaire quant
à la Justice réservée aux conspirations, une Justice
arbitraire qui doit s'imposer selon les royalistes ultras sous ce régime
de Restauration de l'ordre monarchique.
Cela nous mène donc à aborder la question des
condamnations de la Cour prévôtale, la question de sa
légitimité à avoir jugé ces troubles du 8 juin
1817, et enfin la question de l'évolution de la pénalisation du
crime de « conspiration ».
III-2.3 La sévérité des
condamnations : les nouvelles dispositions pénales au regard de la
justice des conspirations
La procédure et les condamnations de la Cour
prévôtale s'étendirent jusqu'au mois de septembre 1817, du
fait de la division du travail judiciaire pour chacune des onze communes
rurales de la périphérie de Lyon. La Cour se
déplaça donc de communes en communes pour prononcer de lourdes
condamnations des troubles du 8 juin. Revenons brièvement sur
l'historique et le bilan de ces condamnations.
Les premières condamnations et exécutions
furent décidées le 14 juin 1817, soit à peine une semaine
après les premières arrestations, ce qui laisse sceptique quant
à la mesure des décisions de la justice prises en si peu de
temps. Le 14 juin au matin, la Cour, réunie dans la grande salle de la
prison de Roanne, condamne à mort deux inculpés qui seront
exécutés le soir même. La Cour se déplaça
ensuite dans les communes rurales où elle décida d'autres
condamnations à mort. Le 19 juin, une exécution a lieu à
Quincieux ; le 24, une à Brignais ; le 31, trois à
Saint-Andéol ; le 5 juillet, une à Charnay ; le 18
juillet à Saint-Genis Laval, celle du capitaine Oudin et celle du jeune
Dumont, l'enfant de seize ans, qui, un pistolet à la main, avait
sommé le curé d'Irigny de crier : « Vive
l'Empereur ! ou je te tue. ». A la fin de son instruction, la
Cour retint 155 inculpations. La procédure ne se termina
réellement dans les campagnes que le 4 septembre 1817. Au total, la Cour
aura prononcé 23 condamnations à mort, dont 11 furent
exécutées, une commuée, et 11 rendues par contumace ;
4 condamnations aux travaux forcés ; 24 condamnations à la
déportation, dont 10 par contumace ; 39 condamnations à la
détention ou à des peines d'emprisonnement correctionnel. Au
total, il y eut 79 condamnations sur 118 individus traduits en
jugement329(*).
Ces exécutions publiques marquèrent
profondément les populations des communes concernées. Georges
Ribe rapporte : « L'étalage des exécutions ajouta
à l'horreur des condamnations. La guillotine, « le fatal
tombereau » peint en rouge, fut transportée de village en
village. Certains condamnés furent exécutés devant leurs
maisons, là-même où habitaient leurs proches. Tel fut le
cas de Dumont, exécuté devant la maison de sa mère.
Celle-ci fut par la suite, invitée à payer les frais
causés par la présence du détachement chargé de
veiller à l'exécution de son fils. De même, à
Saint-Genis-Laval, le capitaine Darillon, qui commandait le peloton, excita ses
hommes en état d'ivresse à dépouiller et mutiler le
cadavre du capitaine Oudin... »330(*). Ces communes se souviendront pendant longtemps de
la violence des décisions de la Cour prévôtale quant
à une affaire dont l'instruction fut expéditive, notamment en
assimilant dés le début les séditions à un complot
plus vaste visant à renverser la couronne. Georges Ribe note à ce
sujet avec raison : « Par correspondance, les localités,
où la répression de la Cour prévôtale fut sanglante,
restèrent pendant tout le cour du XIXème siècle, des
villages rouges. L'esprit public, déjà si hostile aux Bourbons
dans les campagnes, se renforça de toute cette haine accumulée
par la randonnée de la guillotine durant l'été
1817. »331(*).
Pour ce qui est de la ville de Lyon, où les troubles furent moindres
bien qu'ils y prenaient dans cette ville leur origine, les prévenus de
cette ville furent délibérément jugés en dernier.
En effet, la Cour prévôtale basait son accusation sur la
conviction d'un complot unique avec pour centre Lyon, mais aux ramifications
dans les onze communes rurales en insurrection. Dés lors, les
enquêteurs voulaient réserver pour la fin le jugement des
accusés lyonnais afin de mieux connaître le centre et les
ramifications de la conjuration332(*). De plus, les arrestations des rebelles lyonnais
avaient tardé, ce qui explique que la Cour prévôtale de
Lyon ne rendit son jugement que début novembre 1817. Il nous faut
à présent poser la question de la légitimité de la
Cour prévôtale à avoir jugé ces troubles du
Rhône sous le chef d'accusation de « complot ».
Pour nombre de contemporains de l'affaire du 8 juin 1817,
nous rappelle Georges Ribe, les rebelles mis en causes n'auraient pas dû,
au premier abord, être traduits devant une Cour
prévôtale333(*). Ainsi, le ministre de la Justice lui-même,
Pasquier, avouera dans ses Mémoires, l'erreur qui fut de
laisser la Cour prévôtale jugeait des faits sous le motif de
« complot ». Pasquier écrit : « On avait
la prétention d'établir un complot. La faute était grande,
car on sortait la Cour prévôtale de ses attributions, qui aux
termes de la loi ne devaient s'exercer que sur une certaine nature de faits,
parmi lesquels ne se trouvait pas le complot. »334(*). Ceci explique le fait
que dans ses arrêts, elle emploie plus le terme de
« réunion séditieuse », pour légitimer
son recours, mais elle appuie la sévérité de ses
condamnations sur sa conviction de l'existence d'un
« complot » sous-jacent. La Cour suivait donc les
dispositions de la loi de 1815, qui, si selon Georges Ribe, ne lui accordait
pas de compétences en matière de complot, la chargeait de la
répression des actes de réunions séditieuses et
d'organisation de bandes armées335(*). Ce qui pose problème est donc cette notion
de « complot » et le manque de preuve de réelles
tentatives d'assassinats d'autorités politiques ou morales par les
insurgés. Ainsi, par exemple, le cas du jeune Dumont, gamin de seize ans
condamné à mort pour avoir menacé un curé, sans
aucune preuve que le pistolet fut chargé et qu'il contraignit le
curé à crier son amour pour Napoléon. Georges Ribe
rapporte d'ailleurs le mépris du procureur du Roi à l'encontre de
Dumont, qui justifiait sa condamnation par sa condition familiale :
« Pierre Dumont appartient d'ailleurs à une famille
exécrable, c'est de quoi nous nous sommes informés en termes
positifs, par les autorités locales : son affreuse
perversité est sans doute le fruit des exemples que ses parents lui
donnèrent et l'application de la loi qui le frappe préviendra de
nouveaux crimes qu'il ne manquerait pas de commettre. »336(*). On ne peut qu'être
consterné face à ces propos qui reflètent bien tout le
caractère politique, Dumont fut considéré comme un danger
pour la société du fait de son origine modeste, d'une justice
partiale.
De même, très souvent les prévenus furent
condamnés pour des faits que l'acte d'accusation ou le
réquisitoire ne mentionnaient même pas. Ainsi Camille Jordan
stigmatisa cette illégalité judicaire : « Les
actes d'accusation, écrivait-il, enveloppant plusieurs individus
à la fois, oubliaient de détailler les délits et les faits
pour lesquels chacun d'eux était spécialement accusé, et
se bornaient à parler de vagues participations à un attentat ou
à un complot, sans définir cette participation à des faits
bien caractérisés, sans daigner expliquer ce
caractère. »337(*). Mais surtout, la Cour ne respecta pas deux articles
du Code pénal (articles 100 et 203), qui énonçait à
propos des attroupements séditieux « qu'il ne soit
prononcé aucune peine contre ceux qui ayant fait partie de ces bandes,
sans y exercer aucun commandement, sans y remplir aucun emploi ni fonction, se
seront retirés au premier avertissement des autorités, ou
même depuis, lorsqu'ils n'auront été saisis que hors des
lieux de la réunion séditieuse, sans opposer de résistance
et sans arme. »338(*). Effectivement, la majorité des
prévenus avaient été enrôlés,
n'étaient que de simples exécutants, et surtout
n'opposèrent pas de résistance aux forces de l'ordre. Georges
Ribe précise que pour pallier à ces articles du Code
pénal, la Cour assimila la plupart des accusés à des
chefs, d'où le nombre importants de condamnations à mort ou
à de lourdes peines339(*). Ce refus d'appliquer ces articles se solda par la
décision arbitraire de condamnations à mort de nombre
d'insurgés qui auraient dû être condamné à la
déportation à ou à des peines d'emprisonnement. Cet
argument juridique fut grandement repris par les
« modérés » comme Camille Jordan et le
colonel Fabvier dans leur critique du traitement juridique de l'affaire. La
Cour n'avait pas travaillé selon des méthodes entièrement
conformes à l'état des lois. Ce qui explique peut-être le
fait que les Cours prévôtales disparaîtront en 1818...
Ces condamnations firent donc le bonheur des ultras du
Rhône alors qu'elles suscitèrent l'indignation populaire et la
désapprobation des « modérés »,
constitutionnels et libéraux, qui étaient presque sommés
de taire leurs critiques. Ainsi Camille Jordan, toujours dans La Session de
1817, écrivit au lendemain des arrêts de la Cour
prévôtale : « Il fallait presque, en certains
lieux, témoigner, sous peine d'être jugé favorable au
désordre, une admiration sans réserve, pour la salutaire
énergie de la Cour prévôtale. »340(*).
Terminons enfin ce point sur les condamnations de la Cour
prévôtale du Rhône en 1817, en observant l'évolution
de la pénalisation du crime de « conspiration ».
Comme nous l'avons déjà fort bien montré
précédemment, le complot est une préoccupation politique
omniprésente pour les autorités durant ce premier quart du
XIXème siècle. Dés lors, il trouve très tôt
dans le droit la traduction de sa répression juridique comme crime
contre l'Etat et ses représentants. La répression du complot
politique ne remonte donc naturellement pas à la période de la
Restauration. L'histoire de la lutte contre le complot débute avec celle
de l'organisation du pouvoir, en familles, en clans, puis sous la forme de
l'Etat. Gilles Malandain, dans son article précédemment
utilisé sur la prévention et la répression du complot au
début du XIXème siècle341(*), retrace l'histoire des évolutions de la
notion juridique de complot et des peines qui lui sont
associées342(*).
Sous l'Ancien Régime, le droit ancien définit le complot comme un
crime de lèse-majesté, un crime aussi déjà
perçu comme un attentat contre la sûreté de l'Etat,
méritant donc les punitions les plus sévères. La
Révolution française, et notamment la période de la
Constituante, vont élargir et moderniser la définition juridique
du complot, en le définissant comme une attaque envers la
« chose publique », comme « un crime et un
attentat contre la sûreté intérieure de l'Etat ».
L'avancée, si l'on peut dire de la Révolution quant à la
définition juridique du complot politique, est qu'elle va faire de sa
dimension originelle d'atteinte à l'Etat, une volonté
conjuguée d'atteinte à la société, et même au
citoyen lorsque le complot vise le corps législatif. Cependant c'est le
code napoléonien de 1810 qui va le mieux préciser le domaine
juridique du complot politique, en opérant un certain retour à
une conception autoritaire et individualisée, voire
personnalisée, de l'Etat. Le domaine du complot est à nouveau
restreint à la sûreté intérieure de l'Etat ou de ses
représentants. La défense des libertés politiques et de la
représentation nationale n'est plus évoquée comme argument
juridique de répression du complot, alors que c'était le cas dans
le code pénal de 1791. On observe, toujours selon Gilles Malandain, un
retour en 1810 de l'incrimination de « non révélation
de complot » qui avait été abandonnée par la
Constituante343(*). La
priorité du droit pénal s'affirmant au XIXème
siècle est donc la protection de l'Etat, avant celle des personnes et
des biens. Le code napoléonien de 1810 confond l'Empire, son Etat et
l'Empereur. Dés lors, toute atteinte envers l'une de ces entités
revient à attaquer l'ensemble, et donc doit être punie comme un
crime de lèse-majesté, par la mort et la dépossession des
biens de son auteur. Comme le note ainsi Gilles
Malandain : « Plus que jamais donc, l'Etat, par le code
pénal, se défend d'abord lui-même au nom de la
défense sociale. »344(*). Cette sacralisation moderne de l'Etat et de sa
société légitime toutes sortes de dérogations aux
règles générales du droit commun, dés que leur
conservation est menacée. Gilles Malandain rappelle ainsi le rajout de
peines a celle de la peine de mort en cas de complot, comme la confiscation des
biens. Mais surtout cette extrême pénalisation du complot se
manifeste dans l'assimilation par la justice, de la tentative au crime
consommé, le refus de tout cas d'irresponsabilité345(*). Gilles Malandain
résume ainsi la conception juridique moderne du complot :
« Le complot est donc une incrimination à
« caractère exceptionnellement
préventif » : la sûreté de l'Etat justifie
de réprimer comme crime constitué le seul projet de commettre ce
crime, dés lors qu'il a été « concerté et
arrêté » à plusieurs...et même la simple
proposition de concertation en ce sens. »346(*). On retrouve tout à
fait sous la Justice de la Restauration cette même logique d'assimilation
de l'intention à l'action, du projet à sa mise en oeuvre... Une
logique juridique qui légitime des peines capitales prononcées
envers des individus n'ayant pourtant pas pris directement part à
l'activation du complot politique. La répression du complot passe par
une forme de « prévention » de sa naissance, en
l'avortant en prouvant qu'il y avait intention arrêtée de le
commettre. Gilles Malandain évoque ainsi l'apparition de la notion
juridique de trajectoire criminelle du comploteur qui serait
porté par son projet vers l'attentat347(*). Cet élargissement pénal de la notion
de complot a donc depuis 1810 ouvert la voie à des dérives de la
justice vers une pure et simple répression politique du complot. La
Restauration n'a naturellement pas remise en cause les dispositions
pénales de 1810, la Charte, dans son article 33 ayant même
institutionnalisé une juridiction exceptionnelle en matière de
sûreté de l'Etat, la Chambre des pairs constituée en haute
cour.
La dénonciation de cette justice aux ordres du pouvoir
ne prendra de l'ampleur qu'avec la montée des voix de l'opposition
libérale. Ce sera, suite au tournant réactionnaire du
régime de Louis XVIII en 1820, la voix notamment de François
Guizot, qui avec son pamphlet Des Conspirations et de la justice
politique, en 1821, analysera l'usage partisan de l'action judicaire,
déformant la notion de complot pour incriminer toute divergence
d'opinion avec le régime.
Nous avons pu présenté quelques critiques
immédiates, ou suivant de peu de temps l'affaire, énoncées
par des voix « modérés » envers la justice de
ces événements de juin 1817, et notamment envers le travail de la
Cour prévôtale. Après les voix de Sainneville, Fabvier ou
de Camille Jordan, essayons de présenter sommairement une analyse
critique plus globale de cette justice politique des conspirations sous la
Restauration à partir de la plume de François Guizot.
III-2.4 L'analyse de François Guizot et son Des
Conspirations et de la justice politique
Commençons d'abord par présenter rapidement le
personnage348(*).
François Guizot est né à Nîmes en
1787. Originaire de la bourgeoisie protestante, Guizot fut souvent
décrit comme un homme ascétique, orgueilleux et autoritaire, mais
d'une grande érudition. Guizot fut d'abord avant tout un historien avant
de devenir homme politique. Il entre comme professeur à la Sorbonne
à 25 ans, deviendra négociateur à 28 ans. Durant les
Cent-Jours, il suit Louis XVIII à Gand et devient l'un de ses
conseillers les plus influents. Peu après, il devient secrétaire
général du ministère de l'Intérieur, puis
conseiller d'Etat. Guizot se rallie à cette époque au groupe des
doctrinaires, que nous avons présenté précédemment.
Guizot devient au sein de ce groupe, l'un des plus partisans de la doctrine du
« juste milieu ». Cette doctrine défend le respect
de la Charte, et théorise l'avènement et le gouvernement de la
classe moyenne. Mais précisons-le d'emblée, la classe moyenne
qu'évoque Guizot, est située entre l'aristocratie et le peuple,
composée d'hommes déjà fortunés,
libérés des contraintes matérielles, intellectuellement
équilibrés, éloignés des préjugés de
caste de l'aristocratie mais aussi du simplisme populaire. Guizot
prophétise ainsi à travers la classe moyenne, l'avènement
d'une oligarchie industrieuse, dont la mission serait non seulement de relever
l'opinion, mais aussi de gouverner selon la raison, et d'administrer
libéralement349(*). Guizot se rapprochant de plus en plus de
l'opposition suite au durcissement du régime, est démis de ses
fonctions et voit son cours à la Sorbonne sur les institutions de France
fermé de 1822 à 1828. Il continue à s'exprimer par le
biais d'articles dans Le Globe, préside la
société libérale « Aide-toi, le ciel
t'aidera ». Député à la Chambre en 1830, il se
prononce contre les ordonnances de Juillet et contribue ainsi puissamment
à faire éclater la révolution de 1830. Pourtant, Guizot
participe ensuite activement à la nouvelle « monarchie
bourgeoise ». Satisfait du nouveau régime qui repose sur la
Charte « amendée », il est nommé ministre de
l'Intérieur (1830-1831), puis ministre de l'Instruction publique
(1832-1837). Par la suite, il deviendra ministre des Affaires
étrangères (1840-1847), puis président du Conseil
(1847-1848). Plus le temps passera, et plus Guizot affirmera une doctrine de
plus en plus conservatrice, avec notamment sur la question du droit de vote, un
refus de la transformation du régime censitaire selon l'argument que
plus le niveau des revenus s'élevant, plus le nombre d'électeurs
croît. D'où le sens de sa fameuse formule :
« Enrichissez-vous ! ». Guizot incarne ainsi un
libéralisme bourgeois, voire conservateur. En effet, plusieurs de ses
lois auront favorisé la riche bourgeoisie industrielle (lois sur les
mines en 1838, lois sur l'organisation des chemins de fer en 1842), mais
retenons aussi les avancées sociales qu'il aura permises avec sa
réforme de l'enseignement primaire de juin 1833, qui décida de la
création d'une école publique élémentaire dans
chaque commune et d'une école normale primaire dans chaque
département. Les détracteurs de François Guizot rappellent
cependant que ces dernières mesures ne profitèrent qu'à la
bourgeoisie, du fait que l'école ne devint pas encore gratuite et
obligatoire. L'insurrection de février 1848 entraîna la chute du
régime et l'exil de François Guizot à Londres. Il revint
en 1849, mais ne parvint pas à revenir dans la vie publique.
Désormais simple observateur, il se consacra à ses travaux
historiques jusqu'à sa mort en 1874.
Nous pouvons à présent aborder l'analyse de
François Guizot de la question du traitement politique et judiciaire de
la question du phénomène des conspirations, au travers de son
pamphlet Des conspirations et de la justice politique350(*) (1821). Guizot
écrit ce pamphlet au lendemain de l'assassinat du duc de Berry, le 13
février 1820. Il est contemporain aussi de notre affaire, une parmi tant
d'autres, de conspiration à Lyon du mois de juin 1817. De plus, en
août 1820, le royaume échappe aussi de peu à la
conspiration de l'Union de Joseph Rey. En bref, le sujet de ce texte lorsqu'il
paraît, est particulièrement d'actualité, et sources de
polémiques et d'affrontements entre modérés et ultras.
Lorsque Guizot fait paraître ce texte, il est déjà en
opposition au gouvernement de Richelieu, et surtout à la politique des
ultras. Partisan affiché de la monarchie constitutionnelle, ou
plutôt selon la Charte, Guizot écrit ce texte avec à la
fois l'expérience politique de l'homme d'Etat, il a déjà
été à cette époque secrétaire
générale du ministère de l'Intérieur et conseiller
d'Etat, et la réflexion aboutie du professeur de la Sorbonne,
attelé encore pour le moment à l'analyse et l'enseignement des
institutions de la France.
François Guizot, dans ce pamphlet de 75 pages qui sera
suivi d'un autre poursuivant sa réflexion : De la peine de mort
en matière politique (1822), essaye d'éclairer le sens
politique du phénomène des conspirations, en remettant en cause
le traitement judiciaire qui leur est réservé, sans pour autant,
insistons sur ce point, défendre ces modes d'action politique
clandestins. Nous nous ne livrerons pas ici à une analyse du Des
conspirations et de la justice politique de Guizot, mais essayerons d'en
extraire les réflexions principales faisant le plus écho à
notre affaire du 8 juin 1817. Guizot part du constat de la multiplication du
phénomène des conspirations et montre comment celles-ci sont le
révélateur des dysfonctionnements du mode de gouvernement de son
époque. Olivier Ihl résume parfaitement ce que
révèle ce constat de Guizot : « Voilà ce
que la fréquence des conspirations viendrait attester : un
défaut majeur de l'organisation des pouvoirs
publics. »351(*). Guizot condamne la conspiration mais ne peut se
résoudre à accepter la lourdeur des condamnations, comme la peine
de mort, qui lui sont affectées. Mieux que de punir cet acte
répréhensible, Guizot invite le gouvernement à le
prévenir, en s'orientant vers « un gouvernement des
esprits », c'est-à-dire comme le précise Olivier
Ihl avec : « les bases d'une légitimité
fondée sur la compréhension et la conquête de
« l'opinion publique ». »352(*). Guizot théorise
déjà en visionnaire l'impératif pour l'Etat de
légitimer son action publique, en amenant « l'intelligence et
la science » au coeur du gouvernement de la société. On
devine déjà le futur ministre de l'Instruction publique, dans ces
propos qui placent en réalité l'éducation comme le
meilleur rempart aux projets de complots contre un gouvernement qui se
« fondant » mieux dans la société qu'il
gouverne, serait alors plus à l'abri de ce type de périls. Mais
illustrons dés à présent la pensée du
« juste milieu » de François Guizot par ses propres
propos, extraits de son Des conspirations et de la justice politique.
Guizot, dés le premier chapitre de l'ouvrage, expose
le but son écrit. L'objet de celui-ci est d'avertir l'opinion et surtout
le pouvoir, de la menace qui pèse sur l'exercice de la justice, de
tomber peu à peu sous l'emprise de la politique. Le
phénomène de la justice réservée aux conspirations
est l'exemple typique de cette dangereuse tendance. Au passage, Guizot veut
affirmer qu'il s'exprime dans ces lignes librement, à l'écart de
tout engagement de situation ou de parti. Guizot interpelle donc le
lecteur : « De grands périls nous assiègent ; des
périls plus grands nous menacent. Il en est un dont tous les esprits
sont frappés, mais dont nul peut-être n'a encore mesuré
toute l'étendue; je veux parler de la justice près de tomber sous
le joug de la politique. (...) Je prie donc ceux qui pourront me lire
d'oublier, comme je le ferai moi-même, tout engagement de situation ou de
parti. »353(*). Guizot rappelle le phénomène
inquiétant des complots et conspirations, se multipliant sous la
Restauration et entraînant les gouvernements vers de graves
dérives politiques. Guizot note : « Un seul genre de
crime et de poursuites me préoccupe. Dés que les partis sont aux
prises, on entend parler de conspirations et de complots. Nous n'avions pas
besoin qu'une nouvelle expérience nous l'apprît. Elle ne devait
pas nous être épargnée. Elle est complète en ce
moment. Jamais, depuis la Restauration, les actes ou les accusations de cette
sorte n'avaient été si multipliées et si
graves. »354(*). Face à ce constat de conspirations ou de
complots venant déstabiliser l'Etat mais aussi la société
dans son ensemble, Guizot prétend que la meilleure garantie pour
prévenir ces troubles est d'inculquer au citoyen, l'amour de l'ordre, le
respect des institutions, le sentiment patriotique...autant de
« bonnes passions » promptes à garantir la
pérennité du royaume. Car, ne l'oublions pas, Guizot reste un
monarchiste, certes modéré. L'impératif selon Guizot est
donc en ces années de troubles, de veiller au maintien des limites
établies entre Justice et Politique, veiller à ce que la justice
ne devienne pas politique.
Ainsi, Guizot démontre que le problème des
conspirations révèle un problème plus grave qu'est celui
de l'état de la société et de son gouvernement. Guizot
l'affirme clairement : « Le nombre et la fréquence des
conspirations attestent le mauvais état de la société, ou
la mauvaise conduite du gouvernement, ou l'un et l'autre
ensemble. »355(*). Pour y remédier, comme nous l'avons
déjà évoqué, Guizot propose une « science
du pouvoir », qui amènerait le pouvoir à traiter de
manière rationnelle et mesurée les questions des violences de la
société à son égard. Guizot voit plusieurs raisons
au mécontentement des gouvernés. Citons les deux
principales : l'indifférence des gouvernants envers les
gouvernés et l'apparition de « meneurs », de
porte-voix des mécontents, qu'il faut continuer de surveiller. Car
« tout gouvernement mauvais est susceptible de devenir le
théâtre des conspirations et des complots »356(*). Cependant, ces maux que
sont les conspirations et les complots ne doivent être prétextes
aux usages incontrôlés de la force par le pouvoir. Guizot affirme
même courageusement un phénomène que nous avons pu
vérifier avec notre conspiration lyonnaise du 8 juin 1817 :
« La politique est asservie par la police, et la justice envahie par
la politique. »357(*). Guizot reconnaît que la conspiration est un
crime particulier parce qu'il s'agit d'un délit politique. Ce que
reproche Guizot à la justice de son temps, lors de procès de
conspirateurs, est sa procédure relative à ces troubles,
désignant fréquemment des accusés sous le concept des
faits généraux. Ainsi, Guizot illustre l'irrationalité et
donc le caractère scandaleux de cette technique, lorsqu'il évoque
l'affaire de Lyon en 1817. Guizot écrit : « On parlait
d'une faction ardente à renverser le trône, d'une conspiration
permanente qu'il fallait à tout prix déjouer...Mais ce
n'était là que de la politique. Les partis se renvoyaient l'un
à l'autre ces épithètes de factieux et de conspirateurs.
Il ne s'agissait d'aucun fait particulier, d'aucun
individu. »358(*). Guizot prend donc ainsi une certaine distance
envers les affrontements politiciens qui résultèrent de cette
nouvelle affaire de complot, entre ultras d'une part et constitutionnels et
libéraux d'autre part. Guizot met ainsi en évidence le dangereux
envahissement de la justice par la politique. Un Guizot assurément
visionnaire, qui montre notamment du doigt l'usage
dérégulé de la technique de la provocation
policière, si courante à l'époque, comme nous l'avons vu.
Guizot interpelle le lecteur : « Or si, l'espionnage est
nécessaire, qui osera le dire de la provocation ? Qui soutiendra
que la nécessité de découvrir le crime donne le droit
d'aller en chercher le germe au fond des coeurs, de le couver, de le faire
éclore ? Le pouvoir s'arroge t'il donc la mission de
Satan ? »359(*). Guizot va même jusqu'à avoir le
courage de relier le nombre et la fréquence de ces conspirations avec
l'usage trop répandu de ces techniques de provocation policière.
Guizot est pourtant optimiste quant à l'avenir de ces techniques de
provocation. Il affirme : « Les provocations seront bientôt
supprimées. »360(*). Mais ce que dénonce le plus Guizot dans ce
pamphlet est la procédure judiciaire adopté lors de ces
procès pour conspirations. Guizot regrette que les tribunaux jugent
seulement l'événement comme une atteinte à la
sûreté de l'Etat, et ne considèrent en aucune mesure les
conjurés en tant qu'individus, hommes ou femmes, agissant selon des
motifs propres. Guizot développe ainsi une réflexion essentielle
sur les rapports de l'Etat avec ses administrés, et à plus forte
raison ses justiciables. Pour Guizot, cette justice politique :
« prouve alors que la société et le pouvoir ne vivent
pas ensemble. Quoi de plus fatal que l'isolement pour le
gouvernement ? »361(*). Guizot montre même que c'est cette
indifférence du pouvoir pour ses sujets, qui les poussent à
comploter dans des périodes de graves crises politiques et
économiques. Dés lors, Guizot insiste sur le fait, que pour
réunir à nouveau le pouvoir et son peuple, la justice, seulement
guidée par l'esprit de la Charte, redevenue alors exemplaire,
pacifierait la société. En sorte, si la justice est bien rendue,
équitablement, alors le peuple obéira, se conformera aux
volontés de la Charte. Et Guizot termine ainsi son pamphlet en se
remettant à la providence : « Si le principe
(l'iniquité, l'indifférence) continue d'agir, le mal se
perpétuera, et ses conséquences se développeront. Que la
Providence en préserve la France et la
monarchie ! »362(*).
Retenons donc que François Guizot, dans le même
esprit que Camille Jordan, met parfaitement en lumière les situations de
dérives politiques de la justice qu'offrent aux ultras les affaires de
conspirations. Loin de défendre le recours au complot, Guizot montre
d'avantage comment il révèle l'impasse toujours plus
avérée que rencontrent les différents gouvernements de
Louis XVIII face à la politisation de l'événement par les
ultras mais aussi dans un certain sens par les libéraux. Guizot en
appelle à l'expérience, à la mesure, et donc au retour aux
principes fondamentaux de la Charte selon lui, afin de réconcilier le
peuple avec sa Justice. C'est là l'opinion d'un monarchiste
constitutionnel, d'un modéré, mais il m'apparaît aussi
essentiel de rappeler que face à un régime marquée par une
réaction si pesante, caractérisée par un certain ordre
moral et policier, le complot peut apparaître comme une forme
légitime de violence émancipatrice.
III-3. Le complot comme forme de violence
émancipatrice
Nous avons orienté cette étude sur les usages
et les représentations de la violence au XIXème siècle, en
analysant en détail un cas historique de troubles politiques locaux
donnant lieu à des violences populaires, stigmatisées par les
autorités ultras sous le registre de la conspiration, et
légitimant alors par le biais de leur propagande une répression
militaro-policière puis judiciaire des plus sévères. Cette
étude de cas fut donc dans un sens aussi un prétexte à une
réflexion sur la violence au XIXème siècle, violence de
divers opposants au régime s'agrégeant dans une lutte commune
pour la reconnaissance et le respect des anciens acquis de la Révolution
mais aussi plus simplement pour de conditions de vie acceptables, et violence
de la répression des ultras du Rhône, qui par de basses manoeuvres
policières et judicaires servent leurs intérêts politiciens
au sein d'une France traversée par le souffle d'un libéralisme,
qui si il ne sert pour le moment que les intérêts des notables et
des bourgeois, inquiète grandement une noblesse destinée à
reculer. Le cadre spatial dans lequel ces troubles sont apparus fut
décisif. En effet, j'ai choisi dans l'introduction de présenter
largement la question de l'histoire des violences politiques à Lyon
depuis la Révolution, et surtout de rappeler la complexité du
rapport des Lyonnais à l'usage de la violence. Nous avons ainsi pu
comprendre comment l'histoire de la construction de l'identité politique
de la ville de Lyon est jalonnée depuis la Révolution par des
périodes décisives de grandes violences collectives, dont les
Lyonnais sont tantôt acteurs, tantôt victimes. Ce basculement
continuel des Lyonnais entre différents extrémismes, tantôt
leur ville est marquée par la Terreur rouge des
« Chalier », tantôt en réaction à cette
dernière la ville est traversée par la Terreur blanche des bandes
ultras, rappelle au final et au prix de grandes violences l'attachement de ses
habitants à un équilibre socio-politique et économique
particulier, voire unique, que Bruno Benoit a qualifié à juste
titre de « modérantisme »363(*). Nous avons pu vu voir que
jusqu'à l'Empire, où sous ce régime va s'affirmer tout un
arsenal policier et militaire de prévention et de répression des
troubles à l'ordre public et à fortiori des atteintes à la
sûreté de l'Etat, les violences collectives pouvaient encore
être « ouvertes », des états de siège
pouvant même s'installer au coeur des villes comme ce fut le cas à
Lyon en août 1793 lorsque la Convention parisienne décide
même d'envoyer l'armée briser la résistance anti-jacobine
des Lyonnais. La Restauration a conservé ce dispositif de
prévention des troubles politiques, comme nous avons pu le voir
notamment avec une organisation policière et judicaire
élaborée de prévention et de répression du complot
politique, poussant toujours plus les manifestations de violences
émancipatrices à s'élaborer secrètement. En somme,
le voeu ranimé des opposants à la Restauration de ramener la
République ou un régime s'y apparentant se traduit
nécessairement du fait de la force du camp royaliste jusqu'en 1848, par
une lutte clandestine de reconquête des acquis de la
Révolution364(*).
Pourtant il est frappant de constater encore le manque d'intérêts
des historiens pour l'histoire clandestine de la lutte républicaine en
France, mais aussi d'une manière générale pour l'histoire
des pratiques politiques secrètes. Frédéric Monier, dans
un article paru en 2000, illustre ce constat, en complétant par ailleurs
mes propos sur la dépendance des groupes politiques clandestins aux
contraintes imposées par l'Etat au XIXème siècle quant
à l'accès à un espace de légitimité
politique. Frédéric Monier écrit : « De
fait, le recours à la clandestinité et au secret, pour les
formations politiques françaises du XIXème et du XXème
siècles, voire depuis la Révolution française
répond non seulement à des objectifs et à une culture
propres, mais aussi à la délimitation, par l'Etat, de l'espace de
débat politique public. En ce sens, l'histoire du secret en politique
n'est pas une histoire des marges ou des coulisses, mais une histoire des
limites de l'action politique publique. »365(*). Il nous faut donc pour
achever ce dernier thème et amorcer la conclusion de cette étude
de la conspiration du Rhône du 8 juin 1817, montrer brièvement
comment l'action politique clandestine sous la Restauration s'avère
être un unique recours sous un régime de plus en plus policier,
puis montrer comment lors de cet épisode de juin 1817 s'initie une
technique du coup de force insurrectionnel alliant le secret à la
violence.
III-3.1 L'action politique clandestine : unique
recours sous un régime de plus en plus policier
Nous avons grandement décrit l'ensemble des
caractères de la réaction politique aigue du régime de
Louis XVIII. L'épisode de Terreur blanche de l'été 1815
commença par annoncer la haine du régime ultra pour les
populations suspectées ou réellement d'appartenance jacobine et
bonapartiste, puis l'épisode suivant de Terreur blanche légale
sévissant jusqu'à la dissolution de la Chambre en septembre 1816
finira d'institutionnaliser la politique de répression des ultras envers
toutes les survivances des régimes précédents, avec en
plus la volonté de conforter le nouvel ordre moral et policier qu'ils
instaurent par tout un ensemble de restrictions légales des
libertés publiques fondamentales (presse muselée, suffrage
très censitaire, création de juridictions d'exceptions
chargées de juger tous les troubles susceptibles de porter atteinte
à l'Etat, surveillance policière renforcée...). En 1815,
et même après avec le relatif rééquilibrage du
renouvellement de la Chambre en septembre-octobre 1816, les
députés ultras dominent le jeu politique au sein de la Chambre,
et peuvent donc opérer de grandes pressions sur le Ministère.
Dés lors en ces années 1816-1817, il n'est pas surprenant que la
contestation populaire au régime reprenne les voies de la
sédition face à une politique royaliste marquée par
l'incurie, notamment quant à son indifférence face aux crises
récurrentes des denrées alimentaires. L'état
économique et social de la France est ces années est trop en
crise pour ne pas accoucher de « colères de le faim et de la
soif ». Le régime de Louis XVIII n'y répond que par le
durcissement du maintien d'un ordre moral et policier sur les sujets du
royaume.
Nous assistons donc avec cette affaire lyonnaise du 8 juin
1817, à une réactualisation du mode clandestin d'organisation de
la révolte, comme ce put être le cas à la fin du
siècle dernier avec la Conspiration de l'Egalité de Babeuf du
printemps 1796. Le complot politique ne date pas de la Restauration
française, mais paradoxalement, alors que l'Etat intensifie ses moyens
de lutte contre celui-ci, il se multiplie sous cette période quand bien
même, il se solde généralement par l'échec... Ces
tentatives pourtant répétées de conspirations s'expliquent
certainement par la faiblesse dans ces années du parti libéral,
qui même en s'alliant de plus en plus avec le camp des constitutionnels,
peine à imposer ses vues, et qui pour le moment ne représente pas
la majorité des Français exclue du droit de vote, et plus encore
du droit d'éligibilité. Dés lors, le recours à
l'action politique secrète se révèle être une
stratégie nécessaire pour le camp républicain trop exclu
en ces années de l'accès à l'espace publique, qu'il
s'agisse de sa dimension institutionnelle et politique, ou surtout de sa
dimension « médiatique ». L'idée
républicaine circule certainement en ces années 1815-1817, mais
elle ne peut pas encore s'organiser ouvertement et librement au sein de
l'espace publique. De plus, le camp républicain est en ces années
très hétérogène, mêlant aussi bien des
jacobins, des bonapartistes, et des constitutionnels pouvant se rapprocher des
libéraux du parti des Indépendants. Pierre Serna rappelle ainsi
que cette lutte clandestine du mouvement républicain ou libéral
fut une des matrices principales de la conquête républicaine des
institutions. Pierre Serna insiste ainsi à propos de l'histoire de
l'idée républicaine au XIXème siècle : «
Il existe bien sûr, une façon d'écrire cette
histoire : celle qui considère que le combat a été
livré de 1815 à 1875, courageusement et au grand jour. Il en
existe une autre : c'est celle qui, refusant cette première seule
interprétation, fait des secrets des républicains non pas
seulement une série d'anecdotes servant à l'histoire du repli ou
du refuge démocrate en temps de répression, mais plutôt une
des matrices de la conquête républicaine des
institutions. »366(*).
Dés lors, l'historien ne devrait pas mépriser
la portée du complot politique, aussi anecdotique qu'il puisse
paraître au premier abord. Frédéric Monier lui redonne
ainsi son importance en affirmant qu'il est « la part de l'ombre dans
la politique »367(*). Victor Hugo en était aussi convaincu,
lorsqu'il écrivait à propos des réunions
secrètes : « Faits d'où l'Histoire sort et que
l'Histoire ignore. »368(*).
III-3.2 Créer un climat
pré-insurrectionnel : allier le secret à la violence
Quelques mots avant de conclure cette étude, sur les
formes prises par ces séditions du 8 juin 1817, et sur ce qu'elles
révèlent des intentions de la conspiration sous-jacente.
Il est frappant lorsque l'on observe en détail le plan
des conjurés du 8 juin, la bonne organisation prévue de l'attaque
des autorités. Certains observateurs ont pu y voir de l'amateurisme.
Cependant, il est indéniable que les autorités furent grandement
désemparées dans les débuts des insurrections lors de la
journée du 8 juin. Le lecteur pourra se reporter à nouveau aux
pages de l'introduction rapportant d'après les archives
départementales du Rhône, l'affolement des maires des communes
insurgées, impuissants face à la masse armée. Les
conjurés avaient en plus bien réparti leurs hommes en
différents postes d'attaque. On retrouvait ainsi une certaine
expérience militaire apportée par des anciens officiers de
l'Empire comme Oudin et Garlon. Cette minutieuse préparation
préalable d'un plan d'attaque basé sur un effet de surprise
aurait pu rendre ces insurrections bien plus déstabilisatrices qu'elles
ne le furent, si l'entreprise secrète n'avait pas été
« noyautée ». Ces insurrections furent donc
marquées par l'alliance du secret à la violence, ce qui les
distingue nettement de colères classiques de « la faim et de
la soif » qu'avaient connu la région quelques années
auparavant. En déstabilisant l'ensemble des autorités de la
seconde ville du royaume et de ses communes l'entourant, les conjurés
auraient pu avoir les mains libres pour installer un autre pouvoir politique
local autonome. Il est certain qu'ils ne l'auraient conservé que peu de
temps, en ne détenant qu'un point du royaume. C'est pourquoi, se
professionnaliseront les entreprises secrètes à venir comme celle
de l'Union (1820) ou de la Charbonnerie française (1821), qui elles
s'organiseront en réseaux beaucoup plus vastes de recrutement et
d'action, visant la capitale.
Cette conspiration manquée du 8 juin 1817
apparaît donc comme une préfiguration d'entreprises politiques
secrètes élaborées. Retenons que son fonctionnement
interne, ses moyens et ses objectifs politiques l'ont inscrite comme un
événement déstabilisant l'ordre policier et judicaire
ultra, qui lui répondit avec une exagération jetant le
discrédit sur la politique des ultras lyonnais.
Essayons de conclure cette étude en en rappelant les
fruits des réflexions principales sur les usages de la violence au
XIXème par la société et l'Etat, et ce dans le cadre local
particulier d'une ville en quête de respect de son identité
politique singulière.
CONCLUSION
Au terme de cette étude, retenons tout d'abord que cet
événement local, assez peu connu de l'historiographie
consacrée à la Restauration française,
révéla incontestablement la grande crainte et la fragilité
du régime de Louis XVIII. En effet, comme nous l'avons
précédemment traité, la dimension exagérée
prise par les répressions militaro-policières et judicaires de
ces troubles du 8 juin 1817 confirme ce constat. Ce nouvel épisode de
violences collectives lyonnaises fut l'occasion pour les élites
ultraroyalistes de la ville d'imposer leur domination face aux critiques des
camps des constitutionnels et des libéraux, en déployant leur
influence politique par le biais d'une police militaire à leur solde et
d'une justice complaisante. Cependant, les ultras lyonnais ne parvinrent pas
éviter le scandale de leurs manipulations politico-administratives,
grâce au courage du lieutenant de police Charrier-Sainneville et à
sa conscience professionnelle, aux investigations alors facilitées du
colonel Fabvier, et aussi à la défense des accusés par la
figure politique montante du camp constitutionnel lyonnais : Camille
Jordan. Cette étude a montré la complexité des lectures
possibles de ces troubles politiques. Ceci nous a donc amené à
parler de plusieurs réalités possibles de la conspiration du 8
juin 1817, en montrant comment celle-ci prit place dans un contexte
d'incertitudes et de tensions politiques propre aux premières
années de la seconde Restauration, mais aussi de crise économique
et sociale aigue dans la région Rhône-Alpes.
Nous sommes parvenus ainsi à révéler les
multiples réalités de ces troubles en analysant la
multiplicité de leurs facteurs causaux. Nous avons pu ainsi rappeler le
poids important, qui s'avéra certainement être le facteur
déclencheur, de la crise des subsistances des années 1816-1817.
Ce premier facteur explique certainement la forte mobilisation populaire des
campagnes entourant la ville de Lyon aux séditions orientées
contre les maires ultras et les curés. Le contexte d'affrontements
électoraux entre ultras et modérés, constamment
attisés par les échéances électorales du
renouvellement annuel d'une partie de la Chambre, le souvenir encore
récent et douloureux de la sévère répression par le
parti et les bandes ultras à l'égard des populations
affilées au jacobinisme et au bonapartisme, ont donné une autre
réalité plus politique à ces troubles. De là, nous
nous sommes interrogés sur la pertinence de leur affiliation à
une entreprise politique secrète, une conspiration ou complot. Ce
questionnement a pu trouver des éléments de réponses
à partir de la consultation des archives relatives à ces
événements dans le département du Rhône. Nous avons
pu ainsi rappelé l'existence d'un projet de conspiration visant à
renverser le gouvernement royal. Cependant, l'étude de ces traces
historiques mit aussi en évidence la déformation, la provocation,
bref la manipulation de ces desseins clandestins, par les autorités
ultras locales selon une stratégie classique de diabolisation du complot
politique, phénomène très
« médiatisé » par la propagande ultra en ces
années. Ces multiples réalités de la conspiration du 8
juin 1817 une fois présentées, nous avons choisi de nous
focaliser sur le traitement policier et judicaire de cette affaire, qui
indéniablement participa à la définition même de ces
troubles sous le registre diabolisé du complot politique. En somme, nous
nous sommes livrés à une fine analyse des usages politiques de la
violence au sein des conjurés et des forces de la répression
(police et justice). Cette analyse a révélé l'existence et
l'usage de technique de cohésion et de préservation du secret au
sein de la conspiration. Nous avons présenté à cette
occasion la sacralisation de l'entreprise avec notamment ses aspects rituels.
Ensuite, nous avons retracé les irrégularités peu
surprenantes du traitement policier et judicaire. Cela nous a amené
entre autres à présenter l'arsenal policier du régime avec
notamment la surveillance et les interventions d'une police politique. De
même, nous avons pu illustrer les dérives d'une justice partiale,
déjà soumise à l'analyse critique d'un Camille Jordan ou
d'un François Guizot, dont nous avons présenté ses
positions les plus pertinentes sur le sujet. Cela nous a amené enfin
à démontrer comment le renouement des forces politiques
progressistes avec l'action politique clandestine allait légitimement se
développer sous des régimes de réaction politique
sévère, dés lors que les accès à l'espace
publique et l'arène politique demeuraient restreints par le parti
ultra.
Il nous faut donc retenir que cette conspiration
provoquée et donc manquée du 8 juin 1817 prit place après
d'autres aventures politiques de ce type, comme la conspiration
déjouée de Grenoble menée par Paul Didier en 1816, et
préfigura d'autres complots politiques plus élaborés,
comme la conspiration du 19 août 1820 de l'Union, et surtout les luttes
clandestines de la Charbonnerie française, milice secrète
libérale.
Nous avons pu ainsi montrer que, bien plus que de simples
« coups de force » politiques, ces complots sous la
Restauration française se multiplièrent précisément
comme des manifestations légitimes d'une opposition politique difficile
au sein d'une France « verrouillée » par les
Bourbons.
Le cadre spatial de cette étude nous a rappelé
aussi la singularité politique de l'événement. Ces
troubles s'inscrivant dans l'histoire mouvementée des violences
collectives lyonnaises depuis la Révolution. Au cours de cet
épisode, il faut donc aussi retenir le rappel des configurations
politiques singulières des Lyonnais. La réaffirmation de
l'attachement de la ville à son identité
« modérantiste », en bref de rejet
d'extrémismes politiques imposés de l'extérieur, s'est
manifestée par les convergences politiques surprenantes de forces
politiques émancipatrices que furent des bonapartistes, des
révolutionnaires et des libéraux.
On vit ainsi se manifester la nostalgie bonapartiste de
séditieux, rappelant le lien émotionnel historique particulier
entre Lyon et l'Empereur. Mais en cette journée du 8 juin 1817,
éclata aussi au grand jour la force des symboles d'une Révolution
de 1789, dont certains ne désespéraient pas de voir enfin la
concrétisation politique.
Enfin, cette conspiration devint aussi un des chevaux de
bataille du camp modéré, avec Camille Jordan prenant pour le camp
des constitutionnels la défense des conjurés. Ainsi, dans une
réponse à un discours sur les troubles de Lyon prononcé
à la Chambre dans la séance du 22 avril 1818, Camille Jordan,
député de l'Ain, rappelle que ces complots
bonaparto-républicains ne peuvent être que compréhensibles
face au fiasco permanent des débats sur la Charte et de
l'instabilité politique qu'ils génèrent :
« Mais à qui fut la faute première et sans
excuse ? Ne fut-elle pas à ceux qui l'entretinrent dans l'ignorance
sur l'état d'un tel pays, qui l'encouragèrent dans cette conduite
incertaine, qui eussent poussé de si vives clameurs si on leur avait
appliqué ce système d'épuration dont ils avaient
donné l'exemple ? »369(*).
Dés lors, cette conspiration illustra de même
les résonances entre luttes politiques et luttes sociales au
XIXème siècle. La crise des subsistances de 1817 termina de
pousser des populations fragilisées de Lyon et ses campagnes à
l'insurrection. En 1831, les conditions de travail déplorables des
canuts les amèneront aussi à prendre les armes.
BIBLIOGRAPHIE
I- Sources :
Archives relatives aux événements du 8 juin
1817 :
1- Archives du fond ancien de la bibliothèque
municipale Lyon Part Dieu :
.Conspiration de Grenoble et de Lyon
1816-1817 :
3 tomes consultés : IF/436 T1, IF 436/T2 et IF
436/T3
Ont été cités dans cette
étude :
.Tome 2 (IF 436/T2) : - Fabvier, Lyon en 1817,
31 pages, 1ère partie.
- « Réponse de M. Camille Jordan à un
discours sur les troubles de Lyon », Paris, 1818, 32
pages.
.Tome 3 (IF 436/T3) :
- Fabvier, Lyon en 1817,1818, 2nde partie, 72 p.
.Conspiration de Lyon en 1817 :
Procédure, « Procès des 28 individus
prévenus d'avoir participé aux mouvements insurrectionnels qui
ont éclaté dans le département du Rhône, dés
les premiers jours de juin 1817. », Lyon, 1817, cote 354164 à
354166.
.Des conspirations de 1817 à 1823 (4
pièces), cote SJ IF 436/52
Fut cité dans cette étude :
François Guizot, Des conspirations et de la
justice politique, 3ème édition, 1821, 132
pages.
2- Archives départementales du Rhône :
5 cartons :
4 M 203 : Evénements de 1817 :
prémices
4 M 204 : Evénements de 1817 :
déroulement des opérations
4 M 205 : Evénements de 1817 : comportements
des communes, juin-juillet 1817
4 M 206 : Evénements
de 1817 : rapport sur les factieux (juillet-août 1817)
4 M 207 : Evénements de 1817 : suites, frais,
circulaires ministérielles (1817-1820)
3- Archives nationales (Paris) :
Série F7 (3 cartons) :
F7 9695 et F7 9696 Situations des départements
1815-1830
F7 4352 A, Police générale Rhône
en 1817-1818
Etudes utilisées sur la conspiration du 8 juin
1817 :
- Bruno Benoit, L'identité politique de Lyon, entre
violences collectives et mémoires des élites (1786-1905),
Paris, l'Harmattan, collect les chemins de la mémoire, 1999, 239 pages,
voir première partie, chapitre 2 : Les violences collectives sous
les monarchies censitaires, p.46.
- Sébastien Charléty, « Une
conspiration à Lyon en 1817 », in La revue de Paris,
15/07/1904, page 268 à 302, 34 pages, bibliothèque municipale
Lyon Part Dieu, silo moderne, cote 950125 1904-07.
- Georges Ribe, « L'opinion publique et la vie
politique à Lyon lors des premières années de la seconde
Restauration », La réaction ultra et l'expérience
constitutionnelle (17 juillet 1815-9 janvier 1822), 421 p. , consulter le
chapitre 2, Le complot de 1817, page 237 à 271, 34 pages, in Annales
de l'Université de Lyon, Paris, librairie du recueil Sirey, 1957,
disponible à la BM Lyon Part Dieu, cote 6900 T RIB.
II- Ouvrages
- Manuels d'histoire et usuels :
- G. de Bertier de Sauvigny, La Restauration, Paris,
Flammarion, 1990, 506 pages.
- Jean-Claude Caron, La France de 1815 à 1848,
collection Cursus, Armand Colin, Paris, 1993, 190 p.
- Jean-Pierre Chaline, La Restauration, PUF, collection
Que sais-je ?, 1ère édition, 1998, 127 p.
- Lucien Genet, Révolution,
Empire 1789-1815, Paris, Masson Histoire,3ème
édition, 1994, 217 p.
- Louis Girard, Les libéraux français
1814-1875, collection historique, Aubier Montaigne, Paris, 1985, 277 p.
- Jean-Philippe Guinle, Les souverains de la France,
Poche Larousse Bordas, 448 p.
- Marcel Prélot, Georges Lescuyer, Histoire des
idées politiques, Précis, Dalloz, 13ème
édition, 1997, 702 p.
- René Rémond, L'Ancien Régime et la
Révolution, 1750-1815, t.1 Introduction à l'histoire de notre
temps, Points Histoire, Paris, Seuil, 1974, 215 p.
- René Rémond, Le XIXème
siècle, 1815-1914, t.2 Introduction à l'histoire de notre
temps, Points Histoire, Paris, Seuil, 1974, 248p.
- Sous la direction de J.L Robert, Le XIXème
siècle, Paris, Bréal, 1995, 352 p.
- Max Tacel, Restauration, Révolutions,
Nationalités 1815-1870, 5ème édition,
Paris, Masson Histoire, 1994, 318 p.
- sur l'histoire de Lyon au XIXème
siècle :
- Bruno Benoit, Raymond Curtet, René Giri, 24 maires
de Lyon pour deux siècles d'histoire, Lyon, éditions Ludg,
1994, 245 pages.
- Bruno Benoit, L'identité politique de Lyon, entre
violences collectives et mémoire des élites (1786-1905),
Paris, L'Harmattan, les chemins de la mémoire, 1999, 239 pages.
- Jean-Pierre Gutton, Histoire de Lyon et du Lyonnais,
Paris, PUF, Que sais-je ?, 2ème édition, 2000,
127 pages.
- sur l'histoire sociale de la France au XIXème
siècle :
- Christophe Charle, Histoire sociale de la France au
XIXème siècle, Seuil, Points Histoire, 1991, 392 pages.
- Ouvrages plus
« théoriques » :
- sur la Révolution française et le
XIXème siècle :
- Roger Chartier, Les origines culturelles de la
Révolution française, Seuil, collection Points Histoire,
1990, 304 pages.
- Eric J. Hobsbawm, L'ère des
révolutions, Bruxelles, Complexe, 2000, 416 pages.
- sur les libéraux et la question du
« cercle » :
- Maurice Agulhon, Le Cercle dans la France bourgeoise
1810-1848, étude d'une mutation de sociabilité, librairie
Armand Colin, Paris, cahiers des annales n°36, 1977, 105 p.
- A.Jardin/A-J Tudesque, La France des notables,
t 1.l'évolution générale 1815-1848, collection
Points Histoire, Paris, Seuil, 1973, 119 p.
- A.Jardin/A-J Tudesque, La France des notables, t 2. la
vie de la nation 1815-1848, collection Points Histoire, Paris, Seuil,
1973, 251 p.
- sur les droites françaises :
- Frédéric Bluche, Le bonapartisme, PUF,
Que sais-je ?, 1981, 127 pages.
- René Rémond, Les droites en France,
Paris, Aubier Montaigne, 1982, 544 p.
- Jean-François Sirinelli (dir.), Les droites
françaises, de la Révolution à nos jours, Paris,
Gallimard, Folio histoire, 1992, 925 pages.
- sur la jeunesse des années
1815-1820 :
- A.B Spitzer, The French Generation of 1820, Princeton
University Press, 1987, 335 p.
- A.B Spitzer, Old Hatreds and Young Hopes, The French
Carbonari against the Bourbon Restoration, Harvard University Press, 1971,
334 p.
- sur l'action politique clandestine et les mythes
politiques :
- Jeanne Gilmore, La République clandestine,
1818-1848, Paris, Aubier, 1997, 452 pages.
- Raoul Girardet, Mythes et Mythologies politiques,
collection points Histoire, Seuil, 1986, 205 p.
- Pierre-Arnaud Lambert, Les sociétés
secrètes, de la Compagnie du Saint Sacrement aux conspirations
Carbonari, essai sur le mode conspiratif d'organisation politique,
thèse de doctorat de 3ème cycle soutenue à l'IEP de
Grenoble, UPMF, 2 volumes, 388p+207p, décembre 1984.
- Pierre-Arnaud Lambert, La Charbonnerie française
1821-1823, Du Secret en Politique, PUL, 1995, 136 p.
- Ouvrages spécialisés sur le thème du
complot politique :
- Bernard Gainot, Pierre Serna (dir.), Secret et
République 1795-1840, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires
Blaise-Pascal, 2004, 182 pages.
- Frédéric Monier (textes réunis par.),
Complots et conspirations en France du XVIIIème au XXème
siècle, Presses universitaires de Valenciennes, collect Les
Valenciennes n°32, 2003, 150 pages.
- Dictionnaires :
- Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue
française, « Le Robert », tome 1, 1381 pages.
- Pierre Larousse, Grand Dictionnaire Universel du
XIXème siècle, tome IV, Paris, Librairie classique Larousse
et Boyer, 1869.
- Robinet, Robert et Chaplain, Dictionnaire de la
Révolution et de l'Empire 1789-1815, Paris, sans date, Archives
nationales.
- Sous la direction de Jean-Louis Voisin, Dictionnaire des
personnages historiques, collection Encyclopédies d'aujourd'hui,
livre de Poche, collection La Pochothèque, 2001, 1166 p.
- Journal de la France et des Français,
Chronologie politique, culturelle et religieuse de Clovis à 2000, Quarto
Gallimard, 2001, 2407 p.
- Divers :
- Edgar Morin, La complexité humaine, textes
rassemblés, Paris, Flammarion, 1994, 380 pages.
- René Girard, La violence et le sacré,
réédition Hachette Littératures, collection Pluriel, 1998,
486 pages.
- Alexis de Tocqueville, De la démocratie en
Amérique, Paris, Flammarion, collection Le Monde de la Philosophie,
2008, 1185 pages.
- Articles (hors ceux contenus dans les ouvrages de
compilation d'articles de Gainot/Serna et Monier) :
- Olivier Ihl, « Conspirations et science du
pouvoir chez François Guizot », in Revue
Française d'Histoire des Idées Politiques, n°19,
1er semestre 2004, Paris, éditions Picard, 25 pages.
- Frédéric Monier, « Le secret en
politique, une histoire à écrire », in
Matériaux pour l'histoire de notre temps, Année 2000,
Volume 58, Numéro 58, 6 pages.
- Dossier « Napoléon, empereur des
francs-maçons », in revue Historia, n°676, avril
2003, 20 pages.
TABLE DES ANNEXES
- Document 1 : Extrait du Moniteur du Dimanche
du 19 juin 1817, n°166, issu des archives départementales du
Rhône, dossier 4 M 206, 4 pages.
- Document 2 : Extrait des conclusions de M. Reyre,
procureur du roi en la Cour prévôtale du Rhône,
séance du 13 juin 1817. Issu de « Conspiration de Lyon en
1817 : Procédure... », BM Lyon Part Dieu, fond ancien,
cote 354166, 14 pages.
- Document 3 : Article
« Conspiration » de Pierre Larousse, Grand Dictionnaire
Universel du XIXème siècle, Tome IV,
« C ».1869.
- Document 4 : Cour prévôtale du
Rhône, séance du 25 octobre 1817, issu du volume Procédure,
Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354166, 8 pages.
- Document 5 : Article « de
Fargues », maire de Lyon, issu de Bruno Benoit, Raymond Curtet,
René Giri, 24 maires de Lyon pour deux siècles d'histoire,
11 pages.
- Document 6 : Extrait de La Gazette
européenne du 30 juillet 1817, issu des archives
départementales du Rhône, dossier 4 M 206, 2 pages.
- Document 7 : Gravure illustrant « le serment
du poignard », origine inconnue.
- Document 8 : « Cour prévôtale de
Lyon : interrogatoire des 28 conspirateurs », archives
départementales du Rhône, 4 M 206, 8 pages.
- Document 9 : « Cour prévôtale de
Lyon : jugement des 28 conspirateurs », archives
départementales du Rhône, 4 M 206, 2 pages.
- Document 10 : 4 tableaux retraçant la
définition juridique du complot, issus de Gilles Malandain,
« Voir dans l'ombre. Prévention et répression du
complot au début du XIXème siècle » in
Frédéric Monier (textes réunis par.), Complots et
conspirations en France du XVIIIème au XXème
siècle.
- Document 11 : Article de Frédéric Monier,
« Le secret en politique, une histoire à
écrire », in Matériaux pour l'histoire de notre
temps, 2000, volume 58, n°58, 6 pages.
* 1 Le lecteur trouvera la
dépêche complète en annexes, document 1, 4 pages, issu des
archives départementales du Rhône, cote 4 M 206, série
Evénements politiques locaux, police politique.
* 2 Jean-Pierre Chaline,
La Restauration, collection Que sais-je ?, PUF, 1998, p.3.
* 3 On entend par
« libéraux » à cette époque les
tenants des acquis de la Révolution face aux monarchistes, souvent
appelés aussi « ultras ». Ces deux camps se
livreront une bataille impitoyable avec comme point d'orgue les révoltes
de 1848.
* 4 La Charbonnerie
française fut l'homologue français des Carbonari italiens.
Société secrète militaire, rassemblant des anciens
généraux comme des demi-soldes de l'armée
napoléonienne dissoute, la Charbonnerie française s'est
illustrée par sa grande véhémence et son engagement
politique libéral. Pour une présentation claire et simple des
Carbonari et de la Charbonnerie française, le lecteur devrait se
reporter aux travaux de Pierre-Arnaud Lambert. Voir références en
bibliographie.
* 5 J'ai travaillé sur
l'exemplaire des archives municipales de Lyon, bibliothèque Part Dieu,
François Guizot, Des conspirations et de la justice politique ,
Paris, 1821, 3ème édition, 132 pages, consultable
à la BM Lyon Part Dieu, fond ancien, dans le recueil « Des
conspirations : 1817-1823 », 4 pièces, cote SJ IF 436/52.
* 6 Sébastien
Charléty, « Une conspiration à Lyon en
1817 », in La revue de Paris, 15/07/1904, page 268 à
302, 34 pages, bibliothèque municipale de Lyon Part Dieu, silo moderne,
cote 950125 1904-07.
* 7 Georges Ribe,
« L'opinion publique et la vie politique à Lyon lors des
premières années de la seconde Restauration », La
réaction ultra et l'expérience constitutionnelle (17 juillet
1815-9 janvier 1822), 421 p., consulter le chapitre 2, Le complot de 1817, page
237 à 271, 34 pages, in Annales de l'Université de Lyon,
Paris, librairie du recueil Sirey, 1957, disponible à la BM Lyon Part
Dieu, cote 6900 T RIB.
* 8 Bruno Benoit,
L'identité politique de Lyon, entre violences collectives et
mémoire des élites (1786-1905), Paris, l'Harmattan, collect
les chemins de la mémoire, 1999, 239 pages, voir première partie,
chapitre 2 : Les violences collectives sous les monarchies censitaires,
p.46.
* 9 Donnons un ordre de
« volume » de l'ensemble « Conspiration de
Grenoble et de Lyon 1816-1817 ». Le tome 1 (IF 436/T1)
représente 320p+54p+51p. Le tome 2 (IF 436/T2) représente en tout
environ 460 pages. Le tome 3 (IF 436/T3) compte à peu près 696
pages.
* 10 Cette note sans auteur
et sans date apparaît comme un document mystérieux. Très
longue et obscure, très souvent elle ne traite même pas des
événements du 8 juin 1817, j'ai donc choisi de la laisser de
côté, afin de ne pas brouiller d'avantage le décryptage de
troubles déjà forts complexes.
* 11 Robinet, Robert et
Chaplain, Dictionnaire de la Révolution et de l'Empire,
1789-1815, 2 tomes, Paris, Archives nationales, sans date. Nous
l'utiliserons pour établir des notices biographiques des acteurs
importants de l'affaire de Lyon.
* 12 Extrait des conclusions
de M. Reyre, procureur du Roi en la Cour prévôtale du
département du Rhône, prononcées dans la séance du
13 juin 1817, relativement au complot qui a éclaté le 8 du
même mois. 14 pages, in « Conspiration de Lyon en 1817 :
Procédure », op.cit, BM Lyon Part Dieu, cote 354166. Document
consultable en annexes, document 2, 14 p.
* 13 Ces chiffres nous sont
fournis par Georges Ribe dans son étude « L'opinion publique
et la vie politique à Lyon lors des premières années de la
seconde Restauration ... », op.cit, page 247 à 253. Ces
chiffres semblent proches de la vérité au regard de la
consultation des archives. Notons à ce sujet qu'il est difficile de
retrouver la « comptabilité criminelle » de cette
affaire du fait du flou de son instruction. Néanmoins, on peut estimer
qu'au moins entre 500 et 1000 individus ont pris part à l'ensemble des
événements de la journée du 8 juin 1817.
* 14 Georges Ribe, op.cit,
p.247. Je n'ai pas retrouvé d'exemplaire de la proclamation du
général Canuel dans les archives mais elle est souvent
évoquée.
* 15 En
réalité, c'est le roi lui-même qui l'aurait
qualifiée « d'introuvable » suite aux retournements
incessants de majorité, tantôt libérale en mai 1815 avant
l'échec de Napoléon, puis nettement ultra en août 1815
lorsque, en l'absence de loi électorale, on utilisa les collèges
électoraux de l'Empire, qui ne répondaient pas aux conditions
d'âge et de cens prescrites par la Charte. Les mêmes
collèges à quelques mois de distance envoyèrent une
majorité de sens opposé, ce qui contribuait encore au sentiment
de confiscation du pouvoir par le camp royaliste... Voir sur cette affaire,
Louis Girard, Les libéraux français 1814-1875, collection
historique, Aubier Montaigne, Paris, 1985, page 22.
* 16 Patrice Gueniffey,
Journal de la France et des Français, Chronologie politique,
culturelle et religieuse de Clovis à 2000, Quarto Gallimard, 2001,
page 1360.
* 17 Max Tacel,
Restaurations, Révolutions, Nationalités 1815-1870, Masson
histoire, Paris, 5ème édition, 1994, pages 160 et
161.
* 18 Jean-Claude Caron,
La France de 1815 à 1848, Armand Colin collect cursus,
2ème édition, Paris, 1993, page 11
* 19 Chateaubriand cité
par Sébastien Charléty, « Une conspiration à
Lyon en 1817 », op.cit, p.269.
* 20 Sébastien
Charléty, op.cit, p.271.
* 21 Sébastien
Charléty, op.cit, p.271
* 22 Canuel cité par S.
Charléty, ibid., p.271
* 23 Rapport du 4 octobre 1816
des généraux Canuel et Maringonné, cité par
S.Charléty, ibid., p.272
* 24 Le lecteur
désireux de retrouver le récit de ce
« complot » avorté d'octobre 1816, peut se reporter
à celui de Sébastien Charléty, op.cit, p.274-275
* 25 Lettre de Sainneville
à Decazes du 12 octobre 1816, citée par Charléty, ibid.,
p.273-274
* 26 Lettre de Canuel au
préfet, 24 décembre 1816, citée par S.Charléty,
op.cit, p.276
* 27 Notons qu'il existe
très peu d'informations sur Paul Didier tant son parcours politique fut
compliqué...Néanmoins, le lecteur soucieux d'en apprendre
d'avantage sur cette petite conspiration grenobloise de 1816 peut se reporter
aux travaux de Pierre Arnaud Lambert sur les sociétés
secrètes (cf. bibliographie), mais aussi devrait lire un texte que j'ai
trouvé dans le fond ancien de la BM Lyon Part Dieu, Auguste Ducoin,
Paul Didier, histoire de la conspiration de 1816, sans date, 23 pages,
inclus dans le volume 1 de « Des conspirations de Grenoble et de
Lyon 1816-1817 », op.cit, BM Lyon Part Dieu, cote IF 436/T1.
* 28 S.Charléty, op.cit,
p.277
* 29 Extrait des conclusions
de M. Reyre, procureur du Roi en la Cour prévôtale du
département du Rhône, prononcées dans la séance du
13 juin 1817, relativement au complot qui a éclaté le 8 du
même mois, op.cit, BM Lyon Part Dieu, cote 354166, 14 pages, Document 2
consultable en annexes.
* 30 Dépêche
télégraphique de Paris du 9 juin 1817, Archives
départementales du Rhône, 4 M 203.
* 31 Bourliez, maire de
St-Andéol, au préfet du Rhône. Lettre du 9 juin 1817.
Archives départementales du Rhône, 4 M 204.
* 32 Bourliez, maire de
St-Andéol, au préfet du Rhône. Lettre du 10 juin 1817.
Archives départementales du Rhône, 4 M 204.
* 33 Le lecteur pourra
apprécier la mise en scène de l'assassinat du capitaine Ledoux,
en lisant le récit du procureur Reyre, déjà cité
précédemment, BM Lyon Part Dieu, cote 354166, Document 2 en
annexes, 14 pages.
* 34Lettre du maire de Lyon,
le comte de Fargues au préfet du Rhône, le comte de Chabrol, 13
juin 1817, citée par Sébastien Charléty, op.cit, p.278.
* 35 Georges Ribe,
« L'opinion publique et la vie politique à Lyon lors des
premières années de la seconde Restauration... »,
op.cit, p.249-250.
* 36 Roger Chartier, Les
origines culturelles de la Révolution française, Seuil,
collect Points Histoire, 1990, 304 pages, postface
« L'événement et ses raisons », juin 1999,
p.298.
* 37 Bruno Benoit,
L'identité politique de Lyon, entre violences collectives et
mémoire des élites (1786-1905), Paris, L'Harmattan, collect
Chemins de la mémoire, 1999, 239 pages, p.21.
* 38 Jean-Pierre Gutton,
Histoire de Lyon et du Lyonnais, PUF, Que sais-je ?,
2ème édition, 2000, 127 pages. Voir notamment le
chapitre 6 sur Lyon à l'époque contemporaine et sur son enclin
bonapartiste, pp.105, 106, 107 et suiv.
* 39 Bruno Benoit, op.cit, page
21 à 53.
* 40 Pour plus de
détails, voir le récit de Bruno Benoit, op.cit, p.24.
* 41 Comme l'observe Bruno
Benoit : « Cette alliance entre population lyonnaise et Eglise
est un des traits caractéristiques de la ville qui perdure largement
au-delà de la période. ». B. Benoit, op.cit,
p.25.
* 42 Bruno Benoit, op.cit,
p.26
* 43 Maurice Wahl, Les
premières années de la Révolution à Lyon
1788-1792, Paris, Armand Colin, 1894, p.95, cité par Bruno Benoit,
op.cit, p.27.
* 44 Bruno Benoit, op.cit,
p.28
* 45 Le récit qui suit
est toujours basé sur celui de Bruno Benoit, op.cit, pp.28-29.
* 46 Cité dans Maurice
Wahl, op.cit, p.179, rapporté par Bruno Benoit, op.cit, p.28.
* 47 Bruno Benoit, op.cit,
p.29.
* 48 Cité dans Maurice
Wahl, op.cit., p.579, rapporté par Bruno Benoit, op.cit, p.31.
* 49 Personnage peu
présenté dans l'historiographie parisienne, cette notice
biographique sur Chalier se base sur les présentations de l'individu par
Bruno Benoit et Jean-Pierre Gutton dans leurs ouvrages déjà
cités précédemment. Cependant, pour le lecteur
désireux d'en apprendre d'avantage sur Joseph Chalier, Bruno Benoit
utilise entre autres la biographie suivante : Georges Eynard, Joseph
Chalier, bourreau ou martyr 1747-1793, Lyon, éditions lyonnaises
d'Art et d'Histoire, 1987, 220 p.
* 50 Roland et Vitet sont tous
les deux des « modérés », proches des
girondins.
* 51 Cité dans Maurice
Wahl, op.cit, p.579, rapporté par Bruno Benoit, op.cit, p.31.
* 52 Bruno Benoit, op.cit,
p.31-32.
* 53 Jean-Pierre Gutton,
op.cit, p.90.
* 54 Bruno Benoit, op.cit,
p.33.
* 55 Bruno Benoit, op.cit,
p.35.
* 56 Le lecteur pourra
retrouver dans l'ouvrage de Bruno Benoit, op.cit, p.37, cinq articles de ce
décret qui stipulent notamment que les Lyonnais seront
désarmés, la ville détruite pour ce qui est de l'habitat
des riches et autres contre-révolutionnaires, le nom de Lyon sera
effacé du tableau des villes de la République, partout sur ses
ruines on édifiera une colonne pour y lire : « Lyon
fit la guerre à la Liberté, Lyon n'est plus. ».
* 57 Bruno Benoit, op.cit,
p.37.
* 58 Bruno Benoit, op.cit,
p.38.
* 59 Jean-Pierre Gutton,
op.cit, p.96.
* 60 Bruno Benoit, op.cit,
p.39.
* 61 Jean-Pierre Gutton,
op.cit, p.101.
* 62 Voir Bruno Benoit, op.cit,
p.42.
* 63 Ces chiffres sont ceux
rapportés par Bruno Benoit, op.cit, p.43.
* 64 Bruno Benoit, op.cit,
p.43-44.
* 65 Jean-Pierre Gutton,
op.cit, p.101.
* 66 Jean-Pierre Gutton,
op.cit, p.102.
* 67 Bruno Benoit, op.cit,
p.44.
* 68 Bruno Benoit, op.cit,
p.45.
* 69 Selon les mots de Bruno
Benoit, op.cit, p.46.
* 70 Bruno Benoit, op.cit,
p.46.
* 71 On songe notamment au
complot de Georges Cadoudal, qui projetait fin 1803 d'enlever Bonaparte au
profit de la couronne. Acte contre-productif, Cadoudal sera arrêté
et exécuté, tandis que ceux qui soutiennent l'héritage
révolutionnaire se rapprochent d'autant plus du futur
« Empereur du gouvernement de la République ». Voir
sur cette affaire et ses conséquences, le récit de Lucien Genet
dans Révolution, Empire 1789-1815, Paris, Masson histoire,
3ème édition, 1994, 217 pages, p.126-127.
* 72 Bruno Benoit, op.cit,
p.48. L'historien rapporte aussi que l'on pouvait lire sur les murs de Lyon ce
même 13 mars 1815 : « Lyonnais, je vous aime. ».
Le lecteur désireux d'approfondir sa compréhension du
bonapartisme lyonnais peut aussi se reporter au numéro 676 de la revue
Historia, avril 2003, intitulé « Napoléon,
Empereur des Francs Maçons ».
* 73 Bruno Benoit, op.cit,
p.49.
* 74 Bruno Benoit, op.cit,
p.49.
* 75 Sur le
modérantisme, voir Bruno Benoit, op.cit, page 151 à 170.
* 76 Bruno Benoit, op.cit, p.p
153-154.
* 77 Bruno Benoit, op.cit,
p.159.
* 78 Rapporté par Bruno
Benoit, op.cit, p.50.
* 79 Je découvris
cette thématique au travers des travaux de Pierre-Arnaud Lambert,
références en bibliographie, dans le cadre d'une étude des
figures du conspirateur grenoblois Joseph Rey. Sa réflexion sur les
usages politiques du secret, et notamment sur sa dimension ritualisée,
nourrira cette étude.
* 80 Georges Ribe traite de
la thèse de l'infiltration policière dans son étude
citée précédemment, et évoque même une
contribution au titre laissant perplexe : Roger Fulchiron, Un
procès politique à Lyon sous la Restauration, ou la Conjuration
fantôme. Georges Ribe ne donne pas plus de références
sur cette brochure, je n'ai pu donc me la procurer. Le lecteur trouvera cette
allusion à la brochure de Fulchiron dans l'étude de Georges Ribe,
« L'opinion publique et la vie politique à
Lyon... », op.cit, p.251.
* 81 Voir Edgar Morin, La
complexité humaine, textes rassemblés, Paris, Flammarion,
1994, 380 pages.
* 82 Un exemplaire de cet
article est consultable en annexe, document 3, 2 pages.
* 83 Jean-Claude Caron,
La France de 1815 à 1848, Paris, Armand Colin, collect Cursus,
1995, 190 pages, voir page 7 à 27.
* 84 Jean-Pierre Chaline,
La Restauration, Paris, PUF, collect Que sais-je ? , 1998, 127
pages.
* 85 Max Tacel,
Restaurations, Révolutions, Nationalités 1815-1870, Paris,
Masson histoire, 5ème édition, 1993, 318 pages.
* 86 J-L Robert (dir.),
Le XIXème siècle, Paris, Bréal éditions,
tome 1, 1995, 352 pages.
* 87 Louis Girard, Les
libéraux français 1814-1875, Paris, Aubier, collect
historique, 1985, 277 pages.
* 88 A. Jardin/A-J Tudesq,
La France des notables, l'évolution générale
1815-1848, nouvelle histoire de la France contemporaine, n°6, Paris,
Seuil, 1973, 249 pages. Et La France des notables, la vie de la nation
1815-1848, nouvelle histoire de la France contemporaine, n°7, Paris,
Seuil, 1973, 251 pages.
* 89 René
Rémond, Les droites en France, Paris, Aubier-Montaigne, 1982, 544
pages.
* 90 Jean-François
Sirinelli (dir.), Les droites françaises, de la Révolution
à nos jours, Paris, Gallimard, Folio histoire, 1992, 925 pages.
* 91 Bruno Benoit,
L'identité politique de Lyon, entre violences collectives et
mémoire des élites (1786-1905), Paris, l'Harmattan, collect
chemins de la mémoire, 1999, 239 pages.
* 92 Jean-Pierre Gutton,
Histoire de Lyon et du Lyonnais, Paris, PUF, Que sais-je ? ,
2ème édition, 2000, 127 pages.
* 93 Christophe Charle,
Histoire sociale de la France au XIXème siècle, Paris,
Seuil, collect Points histoire, 1991, 392 pages.
* 94 Alexis de Tocqueville,
De la démocratie en Amérique, Paris, Flammarion, collect
le Monde de la Philosophie, 2008, 1191 pages.
* 95 Eric J. Hobsbawm,
L'Ere des révolutions, Complexe, 2000, 416 pages.
* 96 Maurice Agulhon, Le
cercle dans la France bourgeoise 1810-1848, étude d'une mutation de
sociabilité, Paris, librairie Armand Colin, cahiers des annales
n°36, 1977, 105 pages.
* 97 Alan B. Spitzer, Old
Hatreds and Young Hopes, The French Carbonari against the Bourbon
Retoration, Harvard University Press, 1971, 334 pages.
* 98 Raoul Girardet,
Mythes et mythologies politiques, Paris, Seuil, collect Points histoire,
1986, 211 pages.
* 99 Bernard Gainot/Pierre
Serna (dir.), Secret et République 1795-1840, Clermont-Ferrand,
Presses Universitaires Blaise-Pascal, collect Histoires croisées, 2004,
182 pages.
* 100 René Girard,
La violence et le sacré, Paris, réed Hachette
Littératures, collect Pluriel, 1998, 486 pages.
* 101 Pierre-Arnaud
Lambert, La Charbonnerie française 1821-1823, Du Secret en
Politique, Lyon, PUL, 1995, 136 pages.
* 102
Frédéric Monier (textes réunis par.), Complots et
conspirations en France du XVIIIème au XXème siècle,
Presses Universitaires de Valenciennes, 2003, 150 pages.
* 103 Olivier Ihl,
« Conspirations et science du pouvoir chez François
Guizot », Revue Française d'Histoire des Idées
Politiques, Paris, éditions Picard, n°19, 1er
semestre 2004, 24 pages.
* 104 Voir Bruno Benoit,
op.cit, p.p.36-37. Comme le note l'auteur : « Ce décret
donne le coup d'envoi à une période de répression d'une
rare violence à l'égard de Lyon qui a acquis, aux yeux du pouvoir
central, une réputation de ville royaliste, de ville
contre-révolutionnaire, ce qui sera une des conséquences
longtemps indélébiles de son soulèvement et de sa
résistance. ». Bruno Benoit, op.cit, p.37.
* 105 Voir Bruno Benoit,
op.cit, p.38 et Jean-Pierre Gutton, op.cit, p.90 à 100.
* 106 Bruno Benoit, op.cit,
p.40.
* 107 L'expression est de
Bruno Benoit, op.cit, p.42
* 108 Voir Bruno Benoit,
op.cit, p.44
* 109 Bruno Benoit, op.cit,
p.44
* 110 Selon Max
Tacel : « Au lendemain des Cent-Jours, les ultras font
régner dans le pays une atmosphère de Terreur blanche (assassinat
du maréchal Brune à Avignon, du général Ramel
à Toulouse) qui éloigne des élections, en août 1815,
les libéraux et les modérés (48000 votants sur 72000
inscrits). ». M. Tacel, op.cit, p.163.
* 111 Jean-Claude Caron,
op.cit, p.10.
* 112 J-C Caron, op.cit,
p.11
* 113 A. Jardin/A.-J
Tudesq, La France des notables, 1.l'évolution générale
1815-1848, n°6..., op.cit, p.34.
* 114 J-C Caron, op.cit,
p.11.
* 115 Jardin/Tudesq, ibid.,
p.35.
* 116 Jardin/Tudesq, ibid.,
p.35.
* 117 Jardin/Tudesq, ibid.,
p.35.
* 118 Ces chiffres sont
issus de J-L Robert (dir.), Le XIXème siècle, op.cit,
p.253.
* 119 Voir G. de Bertier de
Sauvigny, La Restauration, Paris, Champs, Flammarion, 1990, 506 pages,
p.12.
* 120 G. de Bertier de
Sauvigny, op.cit, p.13.
* 121 G. de Bertier de
Sauvigny, op.cit, p.14.
* 122 Voir G. de Bertier de
Sauvigny, op.cit, pp.17-18.
* 123 Voir G. de Bertier de
Sauvigny, op.cit, pp.18-19.
* 124 G. de Bertier de
Sauvigny, op.cit, p.21.
* 125 Patrice Gueniffey,
Journal de la France et des Français, chronologie politique,
culturelle et religieuse de Clovis à 2000, Paris, Quarto Gallimard,
2001, 2407 pages, p.1357.
* 126 Patrice Gueniffey,
op.cit, p.1358.
* 127 Notice biographique
réalisée à partir du texte de Patrice Gueniffey, op.cit,
p.1358 à 1361.
* 128 Jean-Philippe Guinle,
Les souverains de la France, Paris, Larousse Poche, 1997, 448 pages,
p.396.
* 129 Jean-Pierre Chaline,
La Restauration, op.cit, p.9 et 10.
* 130 Jean-Pierre Chaline,
op.cit, p.12, 13.
* 131 Louis Girard, Les
libéraux français 1814-1875, op.cit, p.18
* 132 Louis Girard, op.cit,
p.18.
* 133 Le lecteur retrouva
le détail de ces lois dans Patrice Gueniffey, Journal de la France et
des Français..., op.cit, p.1364.
* 134 Jean-Pierre Chaline,
La Restauration, op.cit, p.25.
* 135 Louis Girard, op.cit,
p.19.
* 136 Voir Patrice Gueniffey,
op.cit, p.1368-1369.
* 137 René
Rémond, Les droites en France, Paris, Aubier-Montaigne, 1982, 544
pages.
* 138 Jean-François
Sirinelli (dir.), Les droites françaises, de la Révolution
à nos jours, Paris, Gallimard, Folio Histoire, 1992, 925 pages,
p.17.
* 139 Jean-François
Sirinelli (dir.), op.cit, p.23, 24.
* 140 Barruel y
prétend notamment que : « (...) dans cette
Révolution française, tout, jusqu'à ses forfaits les plus
épouvantables, tout a été prévu,
médité, combiné, résolu. Tout a été
l'oeuvre de la plus profonde scélératesse. ».
L'abbé Barruel cité par Sirinelli (dir.), op.cit, p.68. Pour une
présentation du mythe du complot et notamment de la
représentation de la conspiration franc-maçonnique chez
l'abbé Barruel, se reporter à Raoul Girardet, Mythes et
mythologies politiques, Paris, Seuil, Points Histoire, 1986, 211 pages,
p.32, 33 et suiv...
* 141 On retrouve cette
approche « sensible » dans l'étude des mythes et
mythologies politiques de Raoul Girardet. La grande dynamique que peut influer
le mythe politique doit retenir notre attention. Nous le verrons notamment dans
l'exercice de diabolisation des conspirateurs de juin 1817 par le camp ultra,
selon une propagande axée à nouveau sur la théorie de la
conspiration bonaparto-républicaine. Ce mythe du complot viendra
légitimer la répression du camp ultra. On retrouve là ce
qu'observe Raoul Girardet : « Le mythe politique est bien
fabulation, déformation ou interprétation objectivement
récusable du réel. Mais, récit légendaire, il est
vrai qu'il exerce aussi une fonction explicative, fournissant un certain nombre
de clés pour la compréhension du présent, constituant une
grille à travers laquelle peut sembler s'ordonner le chaos
déconcertant des faits et des événements. Il est vrai
encore que ce rôle d'explication se double d'un rôle de
mobilisation : par tout ce qu'il véhicule de dynamisme
prophétique, le mythe occupe une place majeure aux origines des
croisades comme à celles des révolutions. ». Raoul
Girardet, Pour une introduction à l'imaginaire politique, in Mythes
et mythologies politiques, op.cit, p.13, 14.
* 142 Louis de Bonald,
cité par Sirinelli, op.cit, p.101. Nous avons d'ailleurs
déjà évoqué le cas de conspirations royalistes sous
l'Empire.
* 143 Jean-François
Sirinelli, op.cit, p.82.
* 144 Voir Maurice Agulhon,
Le cercle dans la France bourgeoise 1810-1848, étude d'une mutation
de sociabilité, Paris, librairie Armand Colin, cahiers des annales,
n°36, 1977, 105 pages. Voir chapitre VIII, cercle et politique, p.64.
* 145 Louis de Bonald,
cité par Sirinelli, op.cit, p.87.
* 146 Jean-François
Sirinelli, op.cit, p.87.
* 147 Chateaubriand, De
la monarchie selon la Charte, cité par Sirinelli, op.cit, p.90,
91.
* 148 Jean-François
Sirinelli, op.cit, p.91.
* 149 Voir
Frédéric Bluche, Le bonapartisme, PUF, collect Que
sais-je ? , 1981, 127 pages, p.5.
* 150 Frédéric
Bluche, op.cit, p.29.
* 151 Voir
Frédéric Bluche, op.cit, p.30 et suiv, chapitre II.
* 152 Voir
Frédéric Bluche, op.cit, p.31.
* 153 Frédéric
Bluche, op.cit, p.42.
* 154 Voir Louis Girard,
Les libéraux français 1814-1875, op.cit, p.59.
* 155 Jean-Claude Caron,
La France de 1815 à 1848, op.cit, p.13.
* 156 Louis Girard, op.cit,
p.70.
* 157 Voir Louis Girard,
op.cit, p.62.
* 158 Louis Girard, op.cit,
p.64.
* 159 Royer-Collard
cité par Louis Girard, op.cit, p.71-72.
* 160 Voir Louis Girard,
op.cit, p.80.
* 161 Voir Jean-Claude
Caron, op.cit, p.13. Les libéraux connaîtront un réel essor
électoral à partir des législatives de 1817. En 1819, on
comptera 70 députés libéraux à la Chambre. Caron,
op.cit, p.13.
* 162 Jean-Claude Caron,
op.cit, p.9.
* 163 Selon Jean-Claude
Caron, op.cit, p.11 et Jean-Louis Robert (dir.), op.cit, p.253.
* 164 Voir A. Jardin/A. J
Tudesq, La France des notables, l'évolution générale
1815-1848, op.cit, p.39.
* 165 Voir A. Jardin/A. J
Tudesq, op.cit, p.39.
* 166 Voir Jardin/Tudesq,
op.cit, p.40.
* 167 Toujours selon
Jardin/Tudesq, op.cit, p.40.
* 168 Alexis de
Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris,
édition Flammarion collection Le Monde de la Philosophie, 2008, 1191
pages, p.770, 771. Volume 2, chapitre 6, « Du rapport des
associations et des journaux. ».
* 169 D'après J-C
Caron, op.cit, p.15 et Jardin/Tudesq, op.cit, p.44.
* 170 Jardin/Tudesq, op.cit,
p.43.
* 171 Jardin/Tudesq, op.cit,
p.45.
* 172 Jardin/Tudesq, op.cit,
p.47.
* 173 Bruno Benoit, op.cit,
p.48
* 174 Bruno Benoit, op.cit,
p.48
* 175 Rapporté par
Bruno Benoit, op.cit, p.48.
* 176 Bruno Benoit, op.cit,
p.49
* 177 Le lecteur retrouva
d'avantage d'exemples de victimes militaires de l'ordonnance du 24 juillet 1815
des 38 « complices » des Cent-Jours dans le Journal de
la France et des Français..., op.cit, p.1388.
* 178 Georges Ribe,
« L'opinion publique et la vie politique à Lyon lors des
premières années de la seconde Restauration... »,
op.cit, p.240.
* 179 Le
général Canuel, rapporté par Georges Ribe, op.cit,
p.240.
* 180 Voir Georges Ribe,
op.cit, p.240.
* 181 Voir Georges Ribe,
op.cit, p.241.
* 182 Voir Georges Ribe,
op.cit, p.242.
* 183 Archives
départementales du Rhône, M, Lettre du lieutenant de Gendarmerie
Greppo, 6 octobre 1816, rapportée par Georges Ribe, op.cit, p.242.
* 184 Rapporté par G.
Ribe, op.cit, p.244.
* 185 Cette notice
biographique est réalisée à partir de Robinet, Robert et
Chaplain, Dictionnaire de la Révolution et de l'Empire 1789-1815,
2 tomes, sans date, Paris, Archives nationales.
* 186 Sébastien
Charléty, « Une conspiration à Lyon en
1817 », op.cit, p.301, 302.
* 187 Selon Sébastien
Charléty, op.cit, p.302.
* 188 D'après J-L
Robert (dir.), Le XIXème siècle, op.cit, p.253.
* 189 Christophe Charle,
Histoire sociale de la France au XIXème siècle, Seuil,
collect Points Histoire, 1991, 392 pages, p.16.
* 190 Voir Christophe Charle,
op.cit, p.20, 21.
* 191 Voir Christophe Charle,
op.cit, p.23.
* 192 Voir Christophe Charle,
op.cit, p.25.
* 193 Voir Christophe Charle,
op.cit, p.35, 36.
* 194 Christophe Charle,
op.cit, p.37.
* 195 Christophe Charle,
op.cit, p39, 40.
* 196 Christophe Charle,
op.cit, p.41.
* 197 Christophe Charle,
op.cit, p.56.
* 198 Georges Ribe, op.cit,
p.244, 245.
* 199 A. Jardin/A.J Tudesq,
La France des notables, 1. l'évolution générale
1815-1848, op.cit, p.51.
* 200 Voir Georges Ribe,
op.cit, p.245.
* 201 Voir Georges Ribe,
op.cit, p.246.
* 202 Le préfet du
Rhône, Chabrol, rapport du 6 juin 1817, rapporté par Georges Ribe,
op.cit, p.246.
* 203 Voir Jardin/Tudesq,
op.cit, p.53.
* 204 Georges Ribe, op.cit,
p.247.
* 205 Voir à nouveau
Bruno Benoit, op.cit, p.48, 49 et 50.
* 206 Eric J. Hobsbawm,
L'Ere des révolutions, éditions Complexe, 2000, 416 pages,
p.148 et 149.
* 207 Voir A. Jardin/A. J
Tudesq, La France des notables, 2. la vie de la nation 1815-1848, Paris,
Seuil, Points Histoire, 1973, 251 pages, p.105.
* 208 Voir G. de Bertier de
Sauvigny, La Restauration, op.cit, p.150, 151.
* 209 Voir
Frédéric Bluche, Le bonapartisme, op.cit, p.37.
* 210 Voir Alan B. Spitzer,
Old Hatreds and Young Hopes, The French Carbonai against the Bourbon
Restoration, Harvard University Press, 1971, 334 pages, page 28 à
31.
* 211 Bernard Gainot/Pierre
Serna (dir.), Secret et République 1795-1840, Clermont-Ferrand,
Presses universitaires Blaise-Pascal, collect histoires croisées, 2004,
182 pages.
* 212 Josiane
Bourguet-Rouveyre, « Les bonapartistes dans les conspirations de 1815
à 1823 », 14 pages, 2004, in Bernard Gainot/Pierre Serna
(dir.), Secret et République 1795-1840, op.cit, p.129 à
143.
* 213 Josiane
Bourguet-Rouveyre, op.cit, p136, 137.
* 214 Georges Ribe dans son
étude donne un récit, sur lequel nous nous basons, assez clair et
succin des caractères des insurrections dans les campagnes de Lyon. Voir
Georges Ribe, op.cit, p.247, 248 et 249.
* 215 Voir Bruno Benoit,
op.cit, p.51.
* 216 Voir la lettre du
maire de Saint-Andéol au préfet du Rhône du 9 juin 1817,
déjà citée dans l'introduction de ce travail (page 24),
archives départementales du Rhône 4 M 204.
* 217 Voir Extrait des
conclusions de M. Reyre, document 2, placé en annexes, p.6.
* 218 Georges Ribe, op.cit,
p.248.
* 219 Voir Georges Ribe,
op.cit, p.248.
* 220 Voir Georges Ribe,
op.cit, p.248.
* 221 Toujours selon Georges
Ribe, op.cit, p.249.
* 222 Cour
prévôtale du Rhône, séance du 25 octobre 1817,
document 4 en annexes, p.12. Extrait du volume rouge Conspiration de Lyon en
1817 : Procédure. « Procès des 28 individus
prévenus d'avoir participé aux mouvements
insurrectionnels... », BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164.
* 223 Cour
prévôtale du Rhône, séance du 25 octobre 1817,
op.cit.
* 224 Cour
prévôtale du Rhône, séance du 25 octobre 1817,
op.cit, p.14.
* 225 Conspiration de
Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond
ancien, cote 354164, p.7
* 226 Conspiration de
Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond
ancien, cote 354164, p.11.
* 227 Conspiration de
Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond
ancien, cote 354164, p.6
* 228 Conspiration de Lyon
en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien,
cote 354164, p.13.
* 229 Aveux de Barbier dans
Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon
Part Dieu, fond ancien, cote 354164, p.14.
* 230 Aveux de Barbier...,
op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164, p.16
* 231 Aveux de Barbier...,
ibid., p.20, 21.
* 232 Voir les aveux de
Volozan dans Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure...,
op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164, p.24, 25.
* 233 Aveux de Meyer dans
Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon
Part Dieu, fond ancien, cote 354164, p.27.
* 234 Ces deux notices
biographiques, de Chabrol et Canuel, ont été
réalisées à l'aide de Robinet, Robert et Chaplain,
Dictionnaire de la Révolution et de l'Empire 1789-1815, Paris,
sans date, Archives nationales, tome 1.
* 235 Notice biographique
(comte de Fargues) réalisée à partir Bruno Benoit, Raymond
Curtet, René Giri, 24 maires de Lyon pour deux siècles
d'histoire, Lyon, éditions Ludg, 1994, 245 pages, p.77 à 87.
Le lecteur trouva l'article consacré à de Fargues en annexes,
document 5. Ouvrage disponible à la BM Lyon Part Dieu.
* 236 Bruno Benoit,
L'identité politique de Lyon..., op.cit, p.50
* 237 Voir Sébastien
Charléty, Une conspiration à Lyon en 1817, op.cit,
p.270.
* 238 S. Charléty,
op.cit, p.270.
* 239 Voir Bruno Benoit,
op.cit, p.50 à 53.
* 240 Charrier-Sainneville,
rapporté par Georges Ribe, op.cit, p.257.
* 241 Récit
basé sur Georges Ribe, op.cit, p.257, 258.
* 242 Josiane
Bourguet-Rouveyre, « Les bonapartistes dans les conspirations de 1815
à 1823 », in Bernard Gainot/Pierre Serna, Secret et
République 1795-1840, op.cit, p.129 à 143, voir p.138.
* 243 Georges Ribe, op.cit,
p.247.
* 244 Message d'un officier
de Saint-Genis Laval au général Canuel, août 1817, Archives
départementales du Rhône, côte 4 M 206 :
Evénements de 1817, rapport sur les factieux (juillet-août
1817).
* 245 Voir les aveux de
Meyer dans Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure...,
op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164, p.27.
* 246 Georges Ribe, op.cit,
p.249.
* 247 Georges Ribe, op.cit,
p.240.
* 248 Voir la lettre
confidentielle de la Préfecture du Rhône du 3 mars 1817. Archives
nationales (Paris), carton coté F7 96 95.
* 249 D'après
Patrice Gueniffey, Journal de la France et des Français...,
op.cit, p.1389.
* 250 Une copie de cet
extrait est placée en annexe, document 1, n°166 du Moniteur du
Dimanche, 19 juin 1817, Archives départementales du Rhône, 4
M 206.
* 251 Une copie de cet
extrait est placée en annexe, document 6, La gazette
européenne, 30 juillet 1817, Archives départementales du
Rhône, 4 M 206.
* 252 Georges Ribe, op.cit,
p.239.
* 253 « Notes
d'enquêtes internes à la Police », février 1818,
Rhône en 1817-1818, observations générales. Archives
nationales, carton côté F7 4352 A.
* 254 « Notes
d'enquêtes internes à la Police », ibid. Archives
nationales, F7 4352 A.
* 255 Extrait de La
Renommée du 25 novembre 1819. Archives nationales, carton
côté F7 9695.
* 256 Sébastien
Charléty, « Une conspiration à Lyon en
1817 », op.cit, p.278.
* 257 Le préfet du
Rhône, le comte de Chabrol, aux Lyonnais. Proclamation du 17 juillet
1815. Archives nationales, carton côté F7 9695, Rhône,
situation en 1815.
* 258 Le préfet du
Rhône, le comte de Chabrol, aux Lyonnais. Proclamation du 4 août
1815. Archives nationales, Rhône, situation en 1815, carton
côté F7 9695.
* 259« Avis aux
électeurs du Rhône », 1819 (il n'y a pas de date plus
précise...). Archives nationales, carton côté F7 9695.
* 260 Voir
« Conspiration de Lyon en 1817 :
Procédure... », op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien,
côte 354164, p.5, 6.
* 261 Aveux de Barbier,
« Conspiration de Lyon en 1817 :
Procédure... », op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien,
côte 354164, p.14, 15.
* 262 Voir toujours les
aveux de Barbier, ibid., p.17. Barbier ajoutant même :
« Jacquit veut nous perdre, si il commet cette
imprudence. », ibid., p.17.
* 263 Voir toujours les
aveux de Barbier, ibid., p.21, 22.
* 264 Barbier, ibid., p.21,
22.
* 265 Toujours les aveux de
Barbier, ibid., p.22.
* 266 Voir la séance
du 28 octobre 1817 in « Conspiration de Lyon en 1817 :
Procédure... », op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien,
côte 354164, p.32, 33.
* 267 Interrogatoire de
Gros-Jean, séance du 28 octobre 1817, ibid., p.34.
* 268 Lettre du
préfet du Rhône, Chabrol, au ministre de l'Intérieur,
datée du 24 juillet 1817. Archives nationales, carton côté
F7 9695.
* 269 Voir Bruno Benoit,
L'identité politique de Lyon..., op.cit, p.52, 53.
* 270 Cette brochure du
colonel Fabvier, Lyon en 1817, Paris, Delaunay, 1818, est consultable
à la bibliothèque municipale de Lyon Part Dieu, fond ancien, dans
les tomes 2 et 3 de l'ensemble Conspiration de Grenoble et Lyon
1816-1817, respectivement côtés IF 436/T2 et IF 436/T3.
* 271 Notice biographique
réalisée à partir de l'article de Josiane
Bourguet-Rouveyre, «Les bonapartistes dans les conspirations de 1815
à 1823 », in Bernard Gainot/Pierre Serna (dir.), Secret et
République 1795-1840, op.cit, p.137, 138 et de Patrice Gueniffey,
Journal de la France et des Français..., op.cit, p.1398.
* 272 Le colonel Fabvier,
Lyon en 1817, op.cit, première partie, p.19.
* 273 Georges Ribe,
L'opinion publique et la vie politique à Lyon..., op.cit,
p.241.
* 274 Fabvier, Lyon en
1817, op.cit, in tome 2 de Conspiration de Grenoble et de Lyon
1816-1817, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, IF 436/T2, p.8, 9.
* 275 Fabvier, ibid.,
p.9.
* 276 Fabvier, ibid., p.14,
15.
* 277 Voir Pierre Serna,
« Pistes de recherches : Du secret de la monarchie à la
république des secrets », 25 pages, in Bernard Gainot/Pierre
Serna (dir.), Secret et République 1795-1840, op.cit, p.13
à 38.
* 278 Pierre Serna, op.cit,
p.13, 14.
* 279 Selon Bruno Benoit,
op.cit, p.52.
* 280 Voir pour cet
épisode, Georges Ribe, op.cit, p.257, 258.
* 281 Le préfet du
Rhône, Chabrol, rapporté par Sébastien Charléty,
« Une conspiration à Lyon en 1817 », op.cit,
p.300.
* 282 Le Journal de
Lyon, cité par Sébastien Charléty, op.cit, p.296.
* 283 Georges Ribe, op.cit,
p.266.
* 284 René Girard,
La violence et le sacré, réédition Hachette
Littératures, collection Pluriel, 1998, 486 pages, p.9.
* 285 Voir sur le mythe de
la conspiration et ses représentations idéologiques, Raoul
Girardet, Mythes et mythologies politiques, op.cit, chapitre 1 : La
Conspiration, p.25 à 62.
* 286 Bernard Gainot/Pierre
Serna, « Présentation » de l'ouvrage Secret et
République 1795-1840 sous leur direction, op.cit, p.10.
* 287 Voir Pierre-Arnaud
Lambert, « Secret, faute et trahison. Le jugement dans la
société secrète : l'exemple de la Charbonnerie
française. », in Bernard Gainot/Pierre Serna, op.cit, p.145
à 159.
* 288 Pierre-Arnaud
Lambert, « Secret, faute et trahison... », op.cit,
p.145.
* 289 Voir Pierre-Arnaud
Lambert, op.cit, p.145, 146.
* 290 Voir Pierre-Arnaud
Lambert, op.cit, p.151, 152 et 153.
* 291 Pierre-Arnaud
Lambert, op.cit, p.152.
* 292 Pierre-Arnaud
Lambert, op.cit, p.154.
* 293 Un serment de la
Charbonnerie italienne, cité par Pierre-Arnaud Lambert, op.cit,
p.156.
* 294 Le lecteur pourra
apprécier une gravure décrivant un serment sur le poignard en
présence de conjurés, document 7 en annexe. Je ne peux en
préciser l'origine, l'ayant découvert lors de recherches
précédentes il y a plusieurs années...
* 295 Pierre-Arnaud
Lambert, op.cit, p.157.
* 296 Pierre-Arnaud
Lambert, op.cit, p.158, « dire » est en gras dans le
texte.
* 297 Conspiration de
Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond
ancien, cote 354164, p.6.
* 298 Conspiration de
Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond
ancien, cote 354164, p.7.
* 299 Conspiration de
Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond
ancien, cote 354164, p.7.
* 300 Conspiration de
Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond
ancien, cote 354164, p.11.
* 301Conspiration de
Lyon en 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond
ancien, cote 354164, p.29.
* 302 Voir Patrice
Gueniffey, Journal de la France et des Français..., op.cit,
p.1385.
* 303 D'après
Patrice Gueniffey, ibid., p.1389.
* 304 Georges Ribe,
« L'opinion publique et la vie politique à
Lyon... », op.cit, p.247.
* 305 Georges Ribe, op.cit,
p.247.
* 306 Georges Ribe, op.cit,
p.247.
* 307 Georges Ribe, op.cit,
p.250.
* 308 Georges Ribe, op.cit,
p.250.
* 309 Gilles Malandain,
« Voir dans l'ombre. Prévention et répression du
complot au début du XIXème siècle. », 18 pages,
in Frédéric Monier (textes réunis par.), Complots et
conspirations en France du XVIIIème au XXème siècle,
Presses universitaires de Valenciennes, collection Les Valenciennes n°32,
2003, 150 pages. Voir p.55 à 73.
* 310 Pour plus de
détails sur la naissance en France de la police politique, voir Gilles
Malandain, « Voir dans l'ombre... », op.cit, p.67, 68 et
suiv.
* 311 Gilles Malandain,
op.cit, p.68.
* 312 Voir Gilles
Malandain, op.cit, p.68, 69.
* 313 Voir à nouveau
Gilles Malandain, op.cit, p.69.
* 314 Gilles Malandain,
op.cit, p.70.
* 315 Vivien, Etudes
administratives, Cujas, 1974 (1859), tome II, p.192, cité par Gilles
Malandain, op.cit, p.70, 71.
* 316 Gilles Malandain,
op.cit, p.71.
* 317 Gilles Malandain,
op.cit, p.72.
* 318 « Notes
d'enquêtes internes à la Police » Rhône en
1817-1818. Archives nationales, carton F7 4352 A.
* 319 Selon Georges Ribe,
« L'opinion publique et la vie politique à
Lyon... », op.cit, p.249, 250.
* 320 Voir à ce
sujet, Georges Ribe, op.cit, p.251.
* 321 Conspiration de
Lyon en 1817 : Procédure. « Procès des 28
individus prévenus d'avoir participé aux mouvements
insurrectionnels... », BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote
354164.
* 322 « Cour
prévôtale de Lyon, interrogatoire des vingt-huit
conspirateurs », huit pages, document 8 placé en annexes, issu
des Archives départementales du Rhône, dossier 4 M 206.
* 323 Conspiration de
Lyon de 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond
ancien, cote 354164, p.23.
* 324 Voir à nouveau
Conspiration de Lyon de 1817 : Procédure..., op.cit,
p.24.
* 325 Toujours
Conspiration de Lyon de 1817 : Procédure..., op.cit,
p.25.
* 326 Conspiration de
Lyon de 1817 : Procédure..., op.cit, p.30.
* 327 Conspiration de
Lyon de 1817 : Procédure..., op.cit, p.39 à 43.
* 328 « Cour
prévôtale de Lyon. Interrogatoire des vingt-huit
conspirateurs », 8 pages, document 8 en annexes, découvert au
sein des Archives départementales du Rhône, dossier 4 M 206,
interrogatoire de Volozan cadet, p.7
* 329 Ces chiffres sont
ceux de Georges Ribe, « L'opinion publique et la vie politique
à Lyon... », op.cit, p.251, 252 et 253.
* 330 Georges Ribe, op.cit,
p.253, 254.
* 331 Georges Ribe, op.cit,
p.254.
* 332 Le lecteur trouvera
en annexes, document 9, le jugement concernant la ville de Lyon,
« Cour prévôtale de Lyon. Jugement des vingt-huit
conspirateurs. », 2 pages, découvert au sein des Archives
départementales du Rhône, dossier 4 M 206.
* 333 Voir Georges Ribe,
op.cit, p.250.
* 334 Pasquier,
Mémoires, p.176, t.IV, cité par Georges Ribe, op.cit,
p.251.
* 335 Voir sur ce point,
à nouveau Georges Ribe, op.cit, p.251.
* 336 Le procureur du roi
à propos du jeune Dumont, cité par Georges Ribe, op.cit,
p.252.
* 337 Camille Jordan,
La Session de 1817, cité par Georges Ribe, op.cit, p.252.
* 338 Cité par
Georges Ribe, op.cit, p.252.
* 339 Voir Georges Ribe,
op.cit, p.252.
* 340 Camille Jordan,
La Session de 1817, cité par Georges Ribe, op.cit, p.254.
* 341 Gilles Malandain,
« Voir dans l'ombre. Prévention et répression du
complot au début du XIXème siècle », 18 pages,
in Frédéric Monier (textes réunis par.), Complots et
conspirations en France du XVIIIème au XXème siècle,
op.cit, p.55 à 73.
* 342 Le lecteur trouvera
en annexes, document 10, quatre tableaux définissant le complot et les
peines associées, successivement dans le droit ancien, dans le code
pénal de 1791, dans le code pénal de 1810 et dans le code
pénal de 1992. Ces tableaux sont extraits de l'article de Gilles
Malandain, « Voir dans l'ombre. Prévention et
répression du complot... », op.cit.
* 343 Voir Gilles
Malandain, op.cit, p.59.
* 344 Gilles Malandain,
op.cit, p.62.
* 345 Voir toujours Gilles
Malandain, op.cit, p.63.
* 346 Gilles Malandain,
op.cit, p.64.
* 347 Gilles Malandain,
op.cit, p.64.
* 348 Cette notice
biographique est réalisée à partir de Jean-Louis Voisin
(dir.), Dictionnaire des personnages historiques, Encyclopédies
d'aujourd'hui, collection Le livre de poche, La Pochothèque, 2001, 1166
pages, voir p.461. Et à partir de Marcel Prélot, Georges
Lescuyer, Histoire des idées politiques, Dalloz,
13ème édition, 1997, 702 pages, voir p.382, 383 et
384.
* 349 Voir Marcel
Prélot, Georges Lescuyer, Histoire des idées politiques,
op.cit, p.383, 384.
* 350 J'ai travaillé
sur l'exemplaire de la bibliothèque municipale de Lyon Part Dieu, fond
ancien, François Guizot, Des conspirations et de la justice
politique, 3ème édition, 1821, 132 pages, cote SJ
IF 436/52. Par ailleurs, j'ai complété cette lecture par celle de
l'article d'Olivier Ihl consacré à cet ouvrage, Olivier Ihl,
« Conspirations et science du pouvoir chez François
Guizot », in Revue Française d'Histoire des Idées
Politiques, Paris, éditions Picard, n°19, 1er
semestre 2004, 25 pages.
* 351 Olivier Ihl,
« Conspirations et science du pouvoir chez François
Guizot », op.cit, p.127.
* 352 Olivier Ihl,
« Conspirations et science du pouvoir chez François
Guizot », op.cit, p.142.
* 353 François
Guizot, Des conspirations et de la justice politique, 1821, exemplaire
BM Lyon Part Dieu, fond ancien, IF 436/52, p.3.
* 354 François
Guizot, op.cit, p.3.
* 355 François
Guizot, op.cit, p.21.
* 356 François
Guizot, op.cit, p.27.
* 357 François
Guizot, op.cit, p.30.
* 358 François
Guizot, op.cit, p.41, 42.
* 359 François
Guizot, op.cit, p.61.
* 360 François
Guizot, op.cit, p.66.
* 361 François
Guizot, op.cit, p.96, 97.
* 362 François
Guizot, op.cit, p.119.
* 363 Sur l'histoire de ces
successions de périodes de violences et de contre violences collectives
à Lyon, voir l'introduction et le premier thème de ce travail. De
même, le lecteur retrouvera de manière approfondie la
réflexion de Bruno Benoit sur l'identité politique
« modérantiste » de la ville de Lyon, dans son
ouvrage : L'identité politique de Lyon..., op.cit, voir
p.153 à 170.
* 364 C'est notamment le
thème de l'ouvrage de Jeanne Gilmore, La République
clandestine, 1818-1848, Paris, Aubier, 1997, 452 pages.
* 365
Frédéric Monier, « Le secret en politique, une histoire
à écrire », 6 pages, in Matériaux pour
l'histoire de notre temps, année 2000, volume 58, numéro 58,
p.8. Article placé en annexes, document 11.
* 366 Pierre Serna,
« Pistes de recherches : Du secret de la monarchie à la
république des secrets. », 25 pages, in Bernard Gainot/Pierre
Serna (dir.), Secret et République 1795-1840, op.cit, p.38.
* 367
Frédéric Monier cité par Gilles Malandain,
« Voir dans l'ombre... », op.cit, p.73.
* 368 Victor Hugo
cité par Pierre Serna, « Pistes de recherches... »,
op.cit, p.38.
* 369
« Réponse de M. Camille Jordan à un discours sur les
troubles de Lyon », Paris, 1818, 32 pages, in Conspiration de
Grenoble et de Lyon 1816-1817, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, tome 2, cote
IF 436/T2, p.11.