III.1. 3. Reconnaissance de soi
et ouverture à l'autre
Les deux moments susmentionnés sont ceux de la
négativité : le premier affirme le soi en niant
l'altérité, le second nie le soi en affirmant
l'altérité. C'est la phase pendant laquelle l'être et le
non-être sont en contradiction. Il faut donc un troisième moment,
supérieur aux deux premiers, qui soit la synthèse de ceux-ci et
qui permette la réconciliation entre l'être et le non-être.
Dans un tel moment, advient un être absolu qui inclut en lui l'être
et le non-être, et en qui le soi et l'altérité se trouvent
dépassés. C'est la phase positive. Dans sa tension vers la
liberté, l'Afrique devra donc accéder à ce
troisième moment de la dialectique de son histoire à travers la
reconnaissance de soi et l'ouverture à l'autre, car la liberté ne
peut se réaliser par un individu isolé, elle n'est possible que
dans la relation avec une altérité. Le soi à lui seul ne
peut être libre.
La reconnaissance de soi signifie d'abord qu'on acquiert une
seconde connaissance de ce que l'on est. Elle est donc une connaissance
réfléchie et implique une auto-détermination
non-exclusive. Tout homme est libre en soi. Mais il ne devient
réellement libre que lorsqu'il sait ce qu'il est, lorsqu'il parvient
à la conscience de ce qu'il est en soi. Se reconnaître
soi-même, c'est aussi connaître l'autre en tant que
différent et non en tant qu'opposé à soi. En outre, cette
reconnaissance de soi conduit au saisissement de son esprit, de ce qu'on est
profondément ; elle conduit à un sens de respect pour
soi-même. On ne peut être fier de ce que l'on est que si l'on se
reconnaît soi-même. Un peuple sans fierté est un peuple sans
esprit.
Un peuple, en effet, ne peut être
considéré ainsi que dans la mesure où il sait l'universel
qui organise tous les aspects de son existence et qu'il est en mesure de
transformer cet universel en réalité concrète sous forme
des lois et des institutions étatiques. C'est seulement dans la mesure
où on arrive à cette consolidation du Volksgeist que
l'ouverture à l'autre peut être possible. Ainsi, pour saisir leur
esprit, les peuples africains doivent relire rationnellement leur histoire, la
reconsidérer philosophiquement pour en saisir quelque sens possible. Ce
n'est qu'à travers l'histoire qu'il sera possible d'arriver à la
connaissance d'un geist africain, qu'il sera possible de
définir ce que c'est qu'un africain. Car, il ne suffit pas d'appartenir
à la race noire pour être appelé africain : la race
est de l'ordre de la matérialité brute. Mais il faut
posséder l'esprit africain, en saisir le sens et avoir la volonté
et la passion de l'amener à la réalité concrète.
L'ouverture à l'autre n'exclut point l'affirmation de
soi-même. Bien au contraire, elle n'est équilibrée et vraie
que dans la mesure où les individus qui s'ouvrent l'un à l'autre
sont capables d'une certaine autonomie. Les Etats africains doivent donc
s'affirmer en tant que des libertés absolues et témoigner d'une
certaine autonomie avant de tenter une quelconque ouverture entre eux et avec
le monde. C'est seulement dans ces conditions qu'ils pourront proposer quelque
chose à l'histoire.
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