INTRODUCTION GENERALE
Patibulaire. Voilà le vocable qui semble convenir pour
qualifier la philosophie de l'histoire de Hegel1(*). Nous avons bien dit « semble »
parce que telle n'est pas l'intention de l'auteur. Le jugement qu'on peut
porter sur son oeuvre, La Raison dans l'histoire, résulte de ce
qu'on est. Pessimiste athée ou croyant enthousiaste, tout le monde y
trouve sa place. Avec le regard du pessimiste athée, la philosophie de
l'histoire de Hegel nous apparaît comme un moment de
l'éternité où l'homme est abandonné à son
triste sort : « L'histoire n'est pas le lieu de la
félicité. Les périodes de bonheur y sont des pages
blanches2(*) ».
L'homme vit dans le monde comme dans une vallée des ossements,
dominée par les intérêts et les passions humaines,
où son bonheur se trouve sacrifié au profit de l'Esprit qui, lui,
se réalise en toute impassibilité. L'histoire n'est plus
l'histoire de l'homme mais plutôt l'histoire d'un Esprit impassible qui
se réalise en utilisant l'homme comme un moyen lui permettant
d'atteindre sa propre finalité. Par contre le thème de l'Esprit,
tel qu'évoqué dans cette oeuvre, donne à un fervent
croyant l'assurance d'être gouverné par un Esprit transcendant qui
n'ayant pas voulu abandonner l'homme dans l'ombre de l'existence, s'incarne
dans l'histoire. Permettant ainsi à tous ceux qui
s'intéresseront à son projet (la finalité de l'histoire)
de participer à sa réalisation. L'histoire devient donc histoire
de Dieu qui appelle l'homme à collaborer en tant que moyen qui ne peut
trouver son bonheur que dans la mesure où son intérêt
coïncide avec son projet.
Toutefois, sans l'ombre d'un doute, il peut nous être
permis d'affirmer que l'évolution historique, telle que la
perçoit Hegel, est amorale. Mieux, la Raison n'est pas raisonnable. Le
bonheur ou le malheur de l'homme n'est pas l'objet de l'Esprit, ni la
finalité de l'histoire. Ce qui arrive dans l'histoire est
nécessairement oeuvre de l'Esprit et non en dehors de celui-ci. Ainsi,
la philosophie de l'histoire de Hegel se présente non seulement comme
une épiphanie de l'Esprit mais aussi comme une théodicée,
c'est-à-dire, comme une justification de Dieu. Il s'agit de
« rendre intelligible la présence du mal face à la
puissance absolue de la Raison...La Raison ne peut pas s'éterniser aux
près des blessures infligées aux individus car les buts
particuliers se perdent dans le but universel 3(*)». L'exercice de la
pensée a donc pour tâche de rendre rationnelles les contradictions
que nous offrent les expériences de l'histoire. Si nous arrivons
à poser, avec Hegel, que tout ce qui est irrationnel dans le monde est
nécessaire pour que se dégage la rationalité, alors nous
modifions notre vision du monde : « au lieu d'être un
monde imparfait, il devient soudain un monde impeccablement parfait et
rationnel4(*) ».
L'Esprit est libre. Il est dans son propre élément. Et ce qui est
visé dans l'histoire c'est la manifestation de l'Esprit en tant que
liberté.
La cime de notre exercice philosophique est donc de
présenter l'évolution de l'histoire universelle comme une prise
de conscience de la liberté, cette liberté qui dans l'histoire a
été souvent obtenue au prix des combats et de la
négation. La Raison, qui chez Hegel se présente comme moteur de
la liberté, a souvent usé de la déraison pour devenir ce
qu'elle est, c'est-à-dire, libre.
Dans le premier chapitre de notre travail, qui nous servira
plus ou moins de fondement, nous tenterons de présenter
brièvement ce que Hegel entend par manifestation de l'Esprit dans son
oeuvre La Raison dans l'histoire, et nous ferons succinctement une
plaidoirie pour l'individu humain qui semble être écrasé
par l'omnipotence ou du moins l'absoluité de l'Esprit.
Le second chapitre, quant à lui, nous permettra de
démontrer la prise de conscience de la liberté dans le cours de
l'histoire universelle, en présentant quelques grands
évènements dont la Révolution française et
l'avènement de l'Organisation des Nations Unies (O.N.U.) et des Droits
de l'Homme comme des moments par excellence de la prise de conscience de la
liberté dans l'histoire de l'humanité.
Et enfin, dans le troisième chapitre, il s'agira d'une
confrontation entre les idées que Hegel avait sur l'Afrique à son
époque et cette Afrique dont nous sommes contemporains. Il ne s'agira
pas de donner tort ou raison à Hegel, vu les polémiques qui ont
souvent été soulevées par cette question, mais
plutôt de réfléchir sur certains préalables
hégéliens qui manquent à l'Afrique pour accéder
dans l'histoire universelle telle que conçue par l'auteur.
Mais avant de pénétrer dans le vif de notre
sujet qui est L'histoire universelle, conscience de la liberté,
il nous semble convenir de préciser ce que nous entendons par
Histoire universelle et ce que nous entendons par Conscience de la
liberté. Signalons d'avance que dans la perspective
hégélienne ces deux concepts ne peuvent se définir que par
rapport à l'Esprit qui, lui, se présente comme le garant de
l'histoire.
CLARIFICATION CONCEPTUELLE
Ø L'histoire universelle
Il peut paraître, à plus d'un, prétentieux
de parler de l'histoire universelle. Or, s'il nous arrive de reconnaître
quelque rationalité dans certains évènements particuliers,
alors il peut nous être permis de concevoir un certain ordre beaucoup
plus grand où une rationalité encore plus grande ordonne tous les
évènements. C'est une foi philosophique que nous posons comme
postulat nécessaire nous permettant ainsi de voir l'histoire sous un
angle rationnel et pas forcément raisonnable. Hegel dira qu'il faut
apporter à l'histoire la foi et l'idée que le monde de la
volonté n'est pas livré à un jeu de hasard, « la
Raison est présente dans l'histoire universelle, non la raison
subjective, particulière, mais la Raison divine, absolue...5(*) ».
Ceci dit, nous pouvons alors affirmer avec Hegel que
l'histoire universelle est l'image de la Raison conçue non point comme
ensemble de règles humaines, mais comme principe divin immanent aux
choses, usant de la passion des hommes pour parvenir à ses fins.
L'histoire universelle est un mouvement spirituel total par lequel se
réalise l'Esprit, mouvement pleinement rationnel puisque la Raison
gouverne le monde ; c'est « la manifestation de cette Raison
unique, une des formes dans lesquelles elle se révèle ; une
copie du modèle originel qui s'exprime dans un élément
particulier, les Peuples 6(*)».
L'histoire universelle est donc l'histoire du monde. Cette
histoire du monde n'est pas à comprendre comme une sommation des
histoires des individus, des peuples et des nations particulières ;
mais plutôt comme histoire universelle telle que rationnelle dans sa
globalité. C'est l'histoire du monde en tant que manifestation du
Weltgeist7(*).
En tant qu'incarnation de l'Esprit sous la forme de
l'évènement, de la réalité dans son
immédiateté, l'histoire universelle est aussi l'histoire des
Etats, des peuples et des individus en tant que ceux-ci participent de cette
marche universelle de l'Esprit, qui est une marche rationnelle vers la pleine
réalisation de la liberté ; c'est
l'histoire « d'après le seul concept de sa
liberté, le développement nécessaire des moments de la
raison, de la conscience de soi et de la liberté de l'Esprit,
l'interprétation et la rationalisation de l'Esprit universel8(*) ».
Ø La conscience de liberté
Nous entendons par conscience, la connaissance de soi, la
capacité que possède l'individu humain de se connaître
lui-même, l'acte par lequel le sujet se connaît en tant que tel et
donc différent de l'objet de sa connaissance ; c'est la
capacité de dire « je » et donc
nécessairement « tu ». Il ne s'agit pas ici de la
conscience telle comprise en psychologie ou en moral, mais simplement de la
conscience comprise comme ce premier moment de la connaissance spontanée
de soi.
Comme nous nous sommes inscrits dans l'histoire, la conscience
n'est plus simplement conscience de l'individu particulier. Elle devient
plutôt une conscience universelle se trouvant en chaque individu, en tant
que celui-ci participe de la rationalité de l'universel qui se
réalise dans l'histoire du monde sous la forme de conscience d'un
peuple. Et cette histoire du monde tend vers la conscience universelle de la
liberté, celle-ci comprise par Hegel comme la capacité
d'être dans son propre élément. La conscience de la
liberté, voilà le telos de l'activité de la
Raison qui se trouve dans l'individu humain comme rationalité et donc
opposition à la nature brute et immédiate des choses.
Pour Hegel, la liberté suppose nécessairement la
conscience de soi ; en quoi l'animal ne peut être dit libre
puisqu'il n'a pas conscience de la liberté. De plus, la liberté
n'est pas donnée, mais elle se conquiert. Le point de départ de
cette quête de la liberté, c'est le pouvoir de négation, le
pouvoir de dire « non », que possède l'homme.
L'homme acquiert les prémisses de son indépendance en s'opposant
à son environnement, en aménageant le monde dans lequel il
évolue. Autrement dit, en ne se contentant plus que de consommer
les fruits de la nature, mais en s'opposant à celle-ci. Et
c'est ainsi qu'il dépasse les passions et les désirs animaliers.
La liberté ne se réalise cependant pleinement que par
l'opposition à une autre conscience de soi car la liberté
n'existe véritablement qu'en tant qu'elle est reconnue comme telle par
cette autre conscience. C'est ainsi que s'engage une lutte à mort pour
la reconnaissance. C'est là l'origine des relations de maîtrise et
de servitude. Il faut ajouter que, pour Hegel, la liberté n'est rien
d'autre que la manifestation dans l'histoire de l'essence rationnelle de la
réalité : « L'histoire universelle est le
progrès de la conscience de la liberté : c'est ce
progrès et sa nécessité interne que nous avons à
reconnaître ici.9(*) »
CHAPITRE I:
L'EPIPHANIE DE L'ESPRIT DANS L'HISTOIRE UNIVERSELLE
Introduction
Avant d'aborder cette partie de notre travail, nous avons
jugé nécessaire de poser cette idée comme fondement de la
philosophie de l'histoire de Hegel : « La Raison gouverne le
monde et que, par conséquent, l'histoire universelle s'est elle aussi
déroulée rationnellement 10(*)». Il s'agira donc pour nous de présenter
la manière dont l'auteur conçoit le déploiement de
l'Esprit dans l'histoire universelle.
En effet, pour Hegel, l'Esprit n'est pas une construction
abstraite, c'est-à-dire sans réalité. Il n'est pas non
plus une abstraction de la nature humaine. Il est un être individuel,
parce qu'il est en soi. Il est actif, parce que l'activité est son
être même. Il est conscience de soi et objet de sa propre
conscience. Son activité consiste à un retour à soi,
à une prise de conscience de lui-même comme objet de sa propre
finalité : « L'Esprit se fait donc une idée
déterminée de lui-même, de son essence, de sa
nature11(*) ».
Dans l'écoulement du temps, le monde se présente
comme ayant une double nature : une nature physique et une nature
spirituelle, « mais la substance de l'histoire est l'Esprit et le
cours de son évolution12(*) ». L'histoire universelle a donc pour
finalité l'accomplissement de la Raison. Ayant sa finalité en
elle-même, la Raison se confond avec la finalité du monde dans le
rapport qu'elle entretient avec celui-ci. Cette finalité du monde qui
est aussi celle de l'histoire universelle n'est rien d'autre que
l'accomplissement de la Raison en tant qu'Esprit actif, exerçant son
activité dans le monde: « c'est sur le
théâtre de l'histoire universelle que la Raison atteint sa
réalité la plus concrète13(*) ».
Ainsi, l'homme, parce que doté d'une conscience,
s'élève dans un univers second et devient par ce fait même
le suppôt de la Raison : « Le royaume de l'Esprit comprend
tout ce qui est produit par l'homme14(*) ». Dans tout ce que l'homme produit dans
l'histoire, il le produit parce que l'Esprit agit en lui. Le domaine de
l'Esprit se déploie dans tout ce qui se produit dans l'histoire, tout ce
qui a suscité et suscite encore l'intérêt humain. La nature
de cet intérêt que l'Esprit suscite en
l'homme « est substantielle et déterminée :
c'est une religion, une science, un art déterminé15(*). » Et c'est dans
l'histoire universelle que se réalisent ses intérêts
portés par l'homme.
Hegel, dans sa philosophie de l'histoire, nous parle d'une
finalité de l'histoire, des moyens de son actualisation et de la
matière de sa réalisation. En conséquence, sa philosophie
de l'histoire, parce que caractérisée par la recherche d'une
finalité de l'histoire, est téléologique. Quelle place
donc l'individu humain occupe-t-il dans cette réalisation de l'Esprit
dans l'histoire ? Car, de prime abord, celui-ci n'apparaît que comme
un simple instrument abandonné à la merci de l'Esprit qui lui, et
lui seul, se réalise à travers l'histoire universelle.
I. 1. La finalité de
l'histoire universelle
En tant que celui qui demeure dans son propre
élément, l'Esprit est libre. La liberté est sa substance
même : « La nature de l'esprit se connaît par son
opposé exact. Nous opposons l'Esprit à la matière. De
même que la substance de la matière est la pesanteur, de
même la substance de l'Esprit est la liberté16(*) ». La liberté
n'est pas pour l'Esprit une propriété à côté
d'autres propriétés. Mais, elle est plutôt celle à
partir de laquelle toutes les autres propriétés trouvent leurs
sens. La matière, en tant que juxtaposition d'éléments,
n'a pas son unité en elle-même. Celle-ci est plutôt pour
elle un idéal à atteindre. Mais l'Esprit, quant à lui, est
lui-même l'idéal vers lequel il tend, il a son centre en
lui-même, il est l'Unité même. La liberté de l'Esprit
n'est pas une existence immobile, mais plutôt une activité
constante qui consiste à prendre conscience de soi-même et
à devenir ainsi libre : « Se produire, se faire
objet de soi-même : voilà l'activité de
l'Esprit17(*) ».
Cependant, l'Esprit tel qu'apparaissant sous la forme de
l'individu humain n'est pas encore libre, parce que ce dernier est un
être vivant, c'est-à-dire, un être sentant, ayant des
désirs. Mais, l'homme se distingue de l'animal par le fait qu'il est un
être pensant, un être pouvant prendre conscience de lui-même.
Contrairement à l'homme, chez qui le désir existe
indépendamment de sa satisfaction, l'animal, qui est privé de la
pensée, ne peut séparer le désir de sa satisfaction.
Ainsi, l'homme « cesse d'être un simple être naturel,
livré à ses perceptions et désirs immédiats,
à leur satisfaction et leur création. Il en est conscient c'est
pourquoi il refoule ses désirs et met la pensée, l'idéel,
entre la poussée du désir et sa satisfaction18(*) ». Dès lors,
Il devient capable d'agir selon les fins et de se déterminer selon
l'universel, capable de freiner le mouvement de ses désirs et de briser
son immédiateté et sa naturalité.
En outre, la conscience que l'Esprit a de lui-même doit
se donner une forme concrète dans le monde. Partant du principe selon
lequel l'universel vaut plus que le particulier, cette forme concrète de
l'Esprit ne s'est réalisée dans l'histoire qu'à travers
Volksgeist19(*)
et non à travers des individus dans leur singularité.
La différence entre les esprits des peuples
dépend de « la représentation qu'ils se font
d'eux-mêmes, selon la superficialité ou la profondeur avec
laquelle ils ont saisi l'Esprit20(*) ». La conscience que le peuple a de
l'Esprit, c'est elle qui oriente tous ses buts et intérêts, «
et même si les individus n'en sont pas conscients, elle demeure comme
leur présupposition21(*) ». Un individu, aussi intelligent qu'il
pense l'être, ne peut surpasser l'Esprit d'un peuple et empêcher
qu'arrive ce qui doit arriver. D'ailleurs ne sont intelligents que ceux qui ont
pris conscience de l'esprit de leur peuple et s'y conforment.
Les esprits des peuples sont particuliers à
l'égard de l'Esprit du monde, qui est l'Esprit de l'univers tout entier
tel que manifesté dans la conscience humaine. Ainsi, ils
peuvent décliner, disparaître, parce qu'ils ne constituent
qu'une étape dans l'accomplissement général de l'Esprit du
monde. Mais ils sont aussi uniques parce qu'ils ont une conscience
spécifique de l'Esprit. C'est ainsi que nous pouvons dire que tel peuple
a telles moeurs, telle religion, tel art, telle culture, etc. Dans
l'accomplissement de l'histoire, le peuple qui caractérise une
époque est celui qui a saisi le plus haut concept de l'Esprit. D'autres
peuples, qui n'ont pas ainsi saisi l'Esprit, subsistent mais sont mis à
l'écart de l'histoire.
Chaque peuple a un but et un objectif à atteindre dans
l'histoire. Une fois ceux-ci atteints, il n'a plus un rôle à jouer
et est donc appelé à disparaître, laissant ainsi la place
à un autre peuple en qui l'Esprit continue l'exercice de son
activité. L'Esprit devient et se réalise chaque fois qu'un peuple
disparaît, car « c'est lui qui se manifeste dans toutes les
actions et les aspirations du peuple. C'est lui qui se réalise, jouit de
lui-même et se connaît lui-même22(*) ». Ainsi, le
rôle de l'histoire philosophique est de monter comment se réalise
ce mouvement de grandeur et de décadence des peuples. La question qui se
pose actuellement est celle de savoir comment s'effectue donc ce mouvement.
Comme Hegel part toujours de sa dialectique, il distingue
trois moments : le moment de la culture (Bildung), de
l'excès de culture (Uberbildung) et de la perversion de la
culture (Verbildung).
Pour ce qui est du premier moment, celui de la culture, il
s'agit de l'étape où il n'y a pas encore de réflexion dans
l'individu : l'Esprit du peuple est là et lui n'a qu'à s'en
inspirer et s'y conformer. Alors « nous disons qu'il est moral,
vertueux, vigoureux parce qu'il fait ce qu'exige la volonté
intérieure de son esprit et aussi parce que, dans le travail de son
objectivation, il défend son oeuvre contre la violence externe. A ce
stade, l'individu n'est pas encore séparé de l'ensemble23(*) ».
Ensuite vient le deuxième moment, celui de
l'excès de culture. C'est l'étape de la réflexion
où l'essence du peuple, ce qu'il est en soi, est confondue avec ce qu'il
est dans la réalité, où l'idéel devient
réel. L'abîme qui existe entre ce qu'il est en soi,
c'est-à-dire son essence, et ce qu'il est dans la réalité
est supprimé. L'Esprit s'épanouit et se satisfait dans un pareil
univers où il s'identifie à l'esprit du peuple.
Le troisième moment est celui de la perversion de la
culture, celui de la décadence. Ici, il est question du moment où
l'Esprit a exaucé ses désirs ; où le peuple a
réalisé son destin ; où il s'est pleinement
formé. Il n'a plus de but, plus d'intérêt. Alors, il
disparaît, il libère l'Esprit satisfait pour réaliser ses
plus hauts intérêts. Ce moment au courant duquel l'Esprit du
peuple se corrompt est caractérisé par l'habitude qui
« est une activité qui ne rencontre pas d'opposition, une
activité qui se déploie dans une durée formelle et
où la plénitude et la profondeur du but ne sont plus
senties24(*) ».
Le peuple s'étant satisfait du but accompli tombe dans la routine et
éteint en lui toute vitalité, et ainsi se conduit progressivement
vers sa ruine. La mort d'un peuple n'est pas causée par l'emprise sur
lui d'une force étrangère : « aucune
puissance étrangère ne peut détruire l'Esprit d'un peuple
soit du dehors soit du dedans, s'il n'est déjà en lui-même
sans vie, s'il n'a déjà dépéri25(*) ». Elle provient
généralement du dedans et est caractérisé par le
particularisme. Les individus qui poursuivaient l'intérêt commun
se retournent désormais vers leurs propres fins. Ainsi, l'Esprit
étant un principe n'opérant que sur l'universel devient inactif
et tombe en ruine.
La fin ultime de l'Esprit dans l'histoire n'est que son propre
accomplissement parce qu'il est son propre objet. Et, dit Hegel, c'est dans
l'objectivité qu'il prend conscience de sa félicité.
Là où l'objectivité conduit les actions des hommes,
c'est-à-dire là où il devient une exigence
intérieure, là aussi réside la liberté. Le but de
l'Esprit est de rendre le monde adéquat à lui-même. Et
comme il se produit sous certaines formes déterminées que sont
les peuples, cette adéquation dépend de la capacité d'un
peuple à prendre conscience de sa liberté.
En outre, si nous nous permettons de poser la fin ultime comme
un idéal, alors celui-ci doit être nécessairement un
idéal universel, car l'Esprit, pour se réaliser
véritablement, ne se sert que de ce qui est universel (peuple, Etat,
nation...) et non de ce qui est particulier (individus singuliers).Cette fin
ultime qui est universelle n'est pas à confondre avec des idéaux
individuels qui sont particuliers : « Car ce que l'individu
s'imagine dans son individualité ne peut faire loi pour l'universelle
réalité, de même que la loi universelle ne s'adresse pas
exclusivement aux simples individus lesquels pourraient fort bien ne pas trop y
trouver leur compte26(*) ».
En outre, si nous affirmons que l'Esprit se réalise
dans l'histoire, nous devons considérer celle-ci dans son
universalité et non dans ses faits particuliers. Car,
« lorsqu'on voit des faits particuliers, on peut se dire qu'il y a
bien des choses injustes dans le monde27(*) ». Ainsi, tout l'effort de la philosophie
est d'arriver à réaliser que le monde est ce qu'il doit
être, que l'histoire universelle n'est rien d'autre que le plan de la
Providence. Elle doit nous permettre, en outre, de connaître la
réalité de l'Idée divine et de justifier la
réalité historique tant méprisée.
Bref, avec Hegel, la finalité de l'histoire c'est la
prise de conscience de l'Esprit en tant que liberté, et par là
même la reconnaissance de la liberté du sujet humain :
C'est la liberté du sujet, afin que celui-ci
acquière une conscience morale, afin qu'il se donne des fins
universelles, qu'il les mette en valeur ; c'est la liberté du
sujet, afin que celui-ci acquière une valeur infinie et parvienne au
point extrême de lui-même. C'est là la substance du but que
poursuit l'Esprit du monde et elle est atteinte par la liberté de
chacun28(*).
I. 2. Les moyens de la
réalisation de l'Esprit dans l'histoire
Les individus sont libres. La Raison est souveraine et doit
nécessairement se réaliser. Comment relier cette idée de
la souveraineté de la Raison avec la liberté humaine ?
Comment alors concevoir l'action déterminante de la Raison, de
l'Universel, dans l'histoire ? La ruse de la Raison, de quoi
s'agit-il ?
Dès le premier moment de son être, l'Esprit en
tant qu'il est lui-même, spirituel, n'est encore qu'une
possibilité, un pouvoir-être qui n'est pas encore parvenu à
l'existence. En soi, il n'est que l'Idée potentielle qui manque encore
d'actualité. Pour qu'il vienne à l'existence, il lui faut un
second moment qui est celui de son actualisation, de sa réalisation. Et
ce second moment nécessite la volonté et l'activité
générale de l'homme dans le monde : « C'est
seulement par cette activité que ces concepts et ces
déterminations existant en soi s'accomplissent et se
réalisent29(*) ».
Or, comme le dit Hegel, la passion caractérise
l'entreprise humaine et « la force naturelle de la passion est plus
apparentée à la nature humaine que l'apprentissage long et
artificiel du sens de l'ordre et de la modération, du droit et de la
moralité 30(*)». Ainsi, pour réaliser son entreprise,
l'Esprit a donc besoin de l'intérêt et de la passion humaine. Le
droit infini des sujets est de trouver la satisfaction dans leur
activité et leur travail : « il faut qu'ils s'y
retrouvent leur propre intérêt et qu'ils satisfassent leur amour-
propre 31(*)».
Les passions et les intérêts des hommes ne sont finalement en
quelque sorte que des appels de l'Esprit.
Rien de grand, dit Hegel, ne s'est accompli dans le monde sans
passion. Et la raison se sert, comme nous l'avons dit ci haut, de la passion et
de l'intérêt de l'homme pour se réaliser dans l'histoire.
La ruse de la Raison réside dans le fait que l'homme qui, dans son
activité et son travail, exerce ses passions et intérêts
s'y retrouve. En plus, il a comme l'impression de se réaliser
lui-même, d'accomplir son amour-propre, d'être libre dans ses
choix : « L'intérêt peut être tout à
fait particulier mais il ne s'ensuit pas qu'il soit opposé à
l'Universel. L'Universel doit se réaliser par le particulier32(*) ». Et Hegel
ajoute : « c'est leur bien propre (das ihrige) que
peuples et individus cherchent et obtiennent dans leur agissante
vitalité, mais en même temps ils sont les moyens et les
instruments d'une chose plus élevée, plus vaste qu'ils
ignorent et accomplissent inconsciemment33(*) ».
Les grands hommes historiques sont ceux dont les passions et
intérêts ont coïncidé avec la volonté du
Weltgeist ; ce sont ceux qui, après avoir saisi
l'Universel supérieur, en ont fait leur fin :
Les véritables buts ne peuvent surgir que du contenu
que l'Esprit intérieur a lui-même élaboré en vertu
de sa puissance absolue. Et les individus historiques sont ceux qui ont voulu
et accompli non une chose imaginée et présumée, mais une
chose juste et nécessaire et qu'ils l'ont compris parce qu'ils ont
reçu intérieurement la révélation de ce qui est
nécessaire et appartient réellement aux possibilités du
temps34(*).
I. 3. La matière de
la réalisation de l'histoire
L'Esprit qui gouverne l'histoire selon sa finalité a,
non seulement, besoin de moyens pour réaliser cette fin, mais aussi
besoin des matériaux qui concourent à cette réalisation.
Si l'individu humain a été jusqu'alors utilisé par
l'Esprit comme moyen de la réalisation de l'histoire « la
matière où la Raison parvient à l'existence est donc le
savoir et le vouloir humains 35(*)».
Cependant, Hegel constate que dans la mesure où la
volonté humaine est caractérisée par la
subjectivité et mue par des passions bornées, il n'y a pas encore
de liberté, ni d'objectivité, car la volonté se trouve
encore aliénée dans l'arbitraire et la brutalité. Il faut
donc un lieu où la volonté subjective et la volonté
l'Universel coïncident. Et ce lieu c'est
l'Etat : « Dans la mesure où l'individu porte en soi
la connaissance, la foi et la volonté de l'Universel, l'Etat est la
réalité où il trouve sa liberté et la jouissance de
sa liberté 36(*)». Ainsi, c'est uniquement dans l'Etat que
l'individu devient libre et vit son existence dans la conformité avec la
Raison.
Il en résulte donc que l'homme ne peut atteindre son
bonheur que dans l'Etat. Tout ce qu'il est il le doit à l'Etat. Et
celui-ci a pour essence « la vitalité éthique et
celle-ci consiste dans l'union de la volonté universelle et de la
volonté subjective 37(*)». L'existence de l'Etat résulte de la
capacité des individus à agir selon la volonté
générale et de s'assigner comme finalité le bien
universel. Il peut donc en découler que les individus n'ont pas de
volonté. Ce qui n'est pas le cas pour Hegel qui pense que cela signifie
tout simplement que les volontés particulières des individus sont
sans valeur dans la mesure où elles ne s'accordent pas à
l'Universel. Cet Universel c'est bien l'Esprit du peuple qui « est
l'élément sacré qui relie les hommes, les esprits, entre
eux ; il est ce qui fait l'unité de la vie, la grandeur du but et
du contenu dont dépend tout bonheur privé et toute liberté
privée 38(*)».
Le lieu par excellence où la volonté universelle
trouve son effectivité, c'est dans les lois étatiques et dans
toutes les déterminations rationnelles et universelles : les moeurs
et la vie éthique telles que voulus par l'ensemble. L'individu n'est
rationnel que dans la mesure où il fait siennes les lois qui
régissent la marche de l'Etat tout entier et il y est donc appelé
au sacrifice et la subordination de son individualité.
Aurions-nous le droit de dire que Hegel, dans son
modèle téléologique, n'en finit toujours pas avec
l'instrumentalisation de l'homme lorsqu'il affirme que l'Etat n'existe pas
pour le citoyen ? Celui-ci ne serait qu'un moyen au service de la
finalité qu'est l'Etat. Cependant, pense Hegel, dans le rapport entre
l'Etat et l'individu, le couple fin-moyen n'a pas sa place, car
l'individu participe activement à la réalité de l'Etat qui
n'est qu'une unité organique. L'Etat, dit-il, « n'est pas une
abstraction qui se dresse face aux citoyens, mais ceux-ci sont ses moments,
comme dans la vie organique où aucun membre n'est la fin ou le moyen
d'un autre. Ce qu'il y a de divin dans l'Etat c'est l'Idée telle qu'elle
existe sur terre39(*) ». Toutefois, le problème n'est
toujours pas résolu. Car la réalité de l'Etat,
étant universelle, est primordiale par rapport à celle de
l'individu qui n'a qu'une réalité particulière, et donc
sans valeur. L'individu, que vaut-il dans cette vision plus ou moins
totalitaire de l'Etat ?
I. 4. La place de l'individu
dans la réalisation de l'Esprit
La question que nous traitons ici est une sorte de plaidoyer
pour l'individu humain. «Dans la mesure où l'histoire nous
apparaît comme l'autel où ont été sacrifiés
le bonheur des peuples, la sagesse des Etats et la vertu des
individus 40(*)», quelle place l'homme occupe-t-il dans cette
réalisation absolue de l'Esprit? N'est-il plus qu'un simple instrument
dans les mains d'une Raison absolue ? Dans le théâtre de
l'histoire, l'Esprit vise l'universel en négligeant le particulier. Car,
ce dernier a le plus souvent moins d'importance en comparaison de
l'universel. Ainsi, les individus sont sacrifiés et abandonnés
à leur destin. Comment donc l'individu, dans cet assujettissement au
principe universel, peut-il se réaliser soi-même ?
Le modèle téléologique de l'histoire
(finalité, moyens, matière) nous impose nécessairement de
poser l'individu humain, dans la réalisation de l'Esprit, comme un
instrument dont celui-ci se sert. Cependant, d'après Hegel, poser
l'individu comme moyen au service de la réalisation de la Raison ne
l'empêche de se réaliser lui-même. En d'autres termes, la
réalisation de la Raison coïncide nécessairement avec la
réalisation de l'individu dans la mesure où celui-ci agit
rationnellement:
Quant il est question de moyens on s'imagine tout d'abord que
le moyen est extérieur et étranger à la fin qu'il doit
réaliser. Mais déjà les objets naturels en
général, voire la chose inanimée la plus vulgaire, ne
peuvent être employés comme moyens s'ils ne répondent pas
à la fin, s'ils n'ont pas un point commun avec elle. En ce sens tout
à fait extérieur, les hommes ne se comportent guère comme
des simples moyens au service de la fin de la Raison ; s'ils remplissent
ses exigences, ils satisfont en même temps et par la même occasion
leurs propres fins particulières qui ont un contenu
différent41(*).
L'homme comme moyen au service de l'Esprit n'est plus à
considérer comme un simple instrument dont celui-ci se sert
astucieusement, mais plutôt celui qui participe à la fin de
l'Esprit et est donc lui-même une fin en soi selon le contenu
même de la fin : « l'homme n'est fin en soi que par le
divin qu'il porte en lui 42(*)». De même que la finalité de
l'Esprit est de prendre conscience de lui-même en tant que
liberté, de même l'homme, en tant que celui qui participe à
la finalité de l'Esprit, est appelé à prendre conscience
de sa liberté en se mettant au service de ce dernier.
En outre, l'Esprit pris en lui-même n'a pas de
réalité effective ; il a besoin d'une énergie et
d'une activité capables de le mettre en oeuvre et de l'amener à
l'existence. L'individu humain est le seul répondant à ce besoin
de l'Esprit, mais seulement dans la mesure où « les principes
l'intéressent et allument sa passion 43(*)». D'où l'usage de
la ruse de la Raison pour susciter en l'individu la passion nécessaire
pour l'engagement au service, apparemment, de lui-même, mais qui, en
définitive, est pour la fin de la Raison et donc universelle. L'individu
est toujours utilisé comme moyen, mais un moyen qui collabore. L'homme
n'est plus que collaborateur à l'oeuvre de l'Esprit dans la mesure
où ce n'est que grâce à ses passions que l'Esprit
reçoit une effectivité concrète.
Les grands hommes, voilà-là ceux qui semblent
amener la nouveauté dans l'histoire, « et la nouvelle
situation du monde qu'ils créent et les actes qu'ils accomplissent sont
en apparence un simple produit de leurs intérêts et de leur
oeuvre 44(*)».
Mais en réalité, c'est l'Esprit qu'ils satisfont. Car l'Esprit
qui gouverne le monde est porté par tous les individus, il est leur
intériorité inconsciente que les grands hommes portent à
la conscience de l'humanité : « Ce qu'il y a de plus
admirable en eux c'est qu'ils sont devenus les organes de l'Esprit
substantiel : c'est en cela que réside le véritable rapport
de l'individu à la substance universelle45(*)».
Dans la vision de Hegel, la liberté n'est pas une
qualité de l'homme naturel, c'est-à-dire de l'homme qui ne vit
que sous la modalité de l'immédiat, de l'homme qui ne s'occupe
que de la satisfaction de ses instincts naturels. L'homme libre c'est celui qui
se situe au niveau de la raison. Et celle-ci conduit nécessairement
à l'objectivité. Ainsi, l'homme libre se détermine par le
respect de l'universalité.
Doté de raison, l'homme a la possibilité et la
capacité de se conduire dans l'harmonie avec l'Universel au point que
son rapport à celui-ci soit moins une subordination plutôt qu'un
univers de liberté, de vraie liberté. La responsabilité de
l'homme pour la réalisation de son propre bonheur n'est donc pas pour
rien. Car, d'après Hegel, l'homme est son action, il est la série
de ses actes, il est ce qu'il s'est fait lui-même. Il doit donc
être responsable à la fois du bien tout comme du mal qui
découle de ses actes :
Le signe de la haute destination absolue de l'homme c'est de
savoir ce qui est bien et ce qui est mal et de vouloir soit le bien soit le
mal, en un mot, d'être responsable, responsable non seulement du mal,
mais aussi du bien, non seulement de ceci, de cela, de tout ce qu'il est et de
tout qu'il fait, mais aussi du bien et du mal qui incombent à son libre
arbitre. L'animal seul est irresponsable46(*).
Conclusion
Nous nous rendons compte, aux termes de ce chapitre, que la
philosophie de l'histoire de Hegel est une phénoménologie de
l'Esprit. C'est l'Esprit qui, se déployant dans l'histoire, parvient
à la connaissance de lui en tant liberté. N'étant en soi
qu'une pure Idée, il a besoin de matière et de moyens concrets
pour atteindre sa finalité dans l'histoire. Les moyens qu'il utilise
sont donc l'esprit des peuples, leurs intérêts et passions qu'il
manipule en usant de la ruse. Le bonheur des individus est ainsi
sacrifié au profit de celui de l'Esprit. L'Etat devient, non seulement,
la matière dans laquelle il s'incarne pour prendre conscience de
lui-même en tant que objectivité et liberté, mais aussi le
lieu de l'épanouissement de la liberté de l'individu. La
finalité de l'histoire est comprise finalement comme prise de
conscience, par l'Esprit, de sa liberté et, par conséquent, celle
de l'homme qui participe de l'Esprit.
CHAPITRE II :
LA CONSCIENCE DE LA LIBERTE DANS L'EVOLUTION
HISTORIQUE
Introduction
La conscience de l'histoire universelle évolue vers la
reconnaissance de la liberté. Plus un peuple prend conscience de son
esprit plus il devient libre. La liberté, comme nous l'avons
déjà dit, est la substance de l'Esprit qui se réalise dans
l'histoire. Cette dernière ne nous paraît pas toujours
rationnelle. Et c'est peut-être parce que nous la regardons dans ces
évènements particuliers qui ne nous donnent pas toujours une
vision positive de l'universel. Et pourtant, si nous nous mettons face à
l'histoire dans toute sa globalité, nous n'y retrouvons que des traces
de la rationalité, bien que contingente, de l'homme.
La liberté, en tant que propriété de la
Raison, ne s'obtient que dans l'opposition à la nature ; c'est
uniquement l'homme qui s'oppose à sa naturalité brute qui devient
vraiment libre. Par là, la liberté devient un combat et ne peut
s'obtenir que par la négation. Elle est l'effort fourni par la Raison,
dans son déploiement dans le monde, de s'affirmer en tant que
dépassement de la nature, en tant que plus-que-nature.
L'histoire universelle, qui est la prise de conscience de la liberté,
passe par la négation en vue du triomphe de la Raison sur la nature.
Le combat pour l'avènement de la Raison, et donc de la
liberté, s'est avéré rude à travers l'histoire. Les
évènements, vus dans leur immédiateté, ont paru
irrationnels aux yeux de l'humanité. Les contemporains des grands
évènements historiques n'étaient sûrement pas
conscients de l'impact que leurs actions pourraient avoir sur l'avenir de
l'humanité.
L'irrationnel, c'est ce qui n'a pas de sens. Or, avec Hegel le
rationnel est réel et le réel est rationnel. Le non sens de
l'histoire a donc un sens ; un sens qui se fait graduellement au moyen des
contradictions vécues dramatiquement par les hommes ; un sens qui
ne se laisse pas toujours percevoir immédiatement mais qui a besoin du
temps pour se révéler. Seul l'homme est capable de saisir le sens
de l'histoire, parce qu'il est le seul en qui la Raison a trouvé sa
demeure.
Notre effort dans cette partie de notre travail est de lire,
avec Hegel, quelques grands évènements historiques qui ont
conduits l'humanité à la conscience de la liberté. Ces
évènements historiques sont donc la Révolution
française -vécue par Hegel lui-même, ainsi que
l'avènement de l'Organisation des Nations Unies et des droits de
l'homme.
II. 1. La Révolution
française et la conscience de la liberté
La dialectique de Hegel est toute portée par
l'idée de révolution. Elle apparaît dans son premier
mouvement comme suppression de ce qui est, comme négation du
déjà là et finalement comme dépassement et de ce
qui est et de la négation de ce qui est. Findlay dit :
Une manière partiale, à moitié vraie de
regarder les choses révèle soudainement son caractère
partial et oblige à basculer dans une partialité opposée,
jusqu'à ce que, par le résultat de ce mouvement de bascule, on
arrive à une nouvelle position d'équilibre entre les deux
conceptions partiales, mais pour reprendre le mouvement de bascule de la
même façon et s'élever ainsi à des positions
d'équilibre plus élevées, jusqu'à ce qu'on atteigne
une position si élevée qu'on puisse apercevoir tout le domaine
dans lequel on se basculait auparavant47(*).
Ce mouvement de bascule, voilà ce que la raison
accomplit dans une révolution : s'arracher du tranquille
contentement que nous offre la réalité concrète, supprimer
ce qui est parce que monotone, et produire une nouveauté grâce au
dépassement. Mais parce que l'homme est caractérisé par
son époque, nier son époque implique nécessairement se
nier soi-même, se suicider48(*), s'auto-dépasser en vue d'aboutir à un
soi supérieur au soi-déjà-là, à un
soi qui répond aux exigences de l'Esprit qui est en mouvement vers
l'accomplissement de ce qu'il est.
Ainsi, la Révolution française nous
paraît, à juste titre, comme ce moment de l'histoire où
l'homme prend conscience de sa liberté en passant par l'opposition
à ce qui, jusque là, le réduisait au rang d'un
aliéné :
Je vois qu'aucun signe du temps n'est meilleur que
celui-ci : c'est que l'humanité est représentée comme
si digne d'estime en elle-même ; c'est une preuve que le nimbe qui
entourait les têtes des oppresseurs et des dieux de la terre
disparaît. Les philosophes démontrent cette dignité, les
peuples apprendront à la sentir ; et ils ne se contenteront pas
d'exiger leurs droits abaissés dans la poussière, mais les
reprendront, ils se les approprieront49(*).
La liberté, l'égalité
et la fraternité, voilà les chants de la
Révolution française mais qui, à notre avis, ne peuvent se
résumer qu'en un seul : la liberté. Car,
l'égalité et la fraternité ne sont recherchées
qu'en vue de promouvoir la liberté de l'individu en tant que tel, ce qui
implique la liberté de l'autre en tant
qu'individu : « Sois une personne et respecte les autres en
tant que personnes 50(*)».
II. 1. 1. Bref aperçu
historique51(*)
Parlant de la Révolution française, Hegel disait
qu'il fallait la considérer comme un événement du monde
entier. Pour lui, ce fut un merveilleux lever du soleil que tous les
êtres pensants devaient célébrer avec le peuple
français. Il appelle donc à « considérer la
Révolution française du point de vue de l'histoire universelle,
car, selon le contenu, cet évènement a une portée
historique universelle, et il faut en bien distinguer le combat du
formalisme 52(*)». Que s'est-il donc passé ? Pourquoi
donc tant d'émerveillement de la part de Hegel ?
En effet, cet évènement crucial qui a
créé la France moderne, a été inspiré par la
Révolution
américaine de 1776 et n'a eu d'équivalence qu'en
Russie en
1917. En 1789, la France n'était pas aussi malheureuse sur le plan
économique. Ce n'est pas dans un état anéanti, mais
plutôt dans un Etat prospère qu'éclata la
Révolution. Celle-ci s'est d'abord passée dans les esprits avant
de se concrétiser dans les choses. Les problèmes de l'abolition
des vestiges de la féodalité, de la répartition des
impôts et de la réforme financière auraient pu trouver des
solutions, mais le pays souffrait d'une crise morale et d'une crise
d'autorité. La Révolution a duré dix ans, de 1789 à
1799. Dix ans de controverse, c'est long. Mais ce fut très court pour
permettre un changement des mentalités.
Peu de temps avant que n'éclata la Révolution,
la France a été le seul pays à aider Washington lors de la
Révolution américaine, ce qui coûta très cher et
ruina la monarchie française. Ainsi, en 1789, le Roi Louis XVI n'avait
plus d'argent. En partie parce que la noblesse recevait beaucoup d'argent et ne
payait pas d'impôt. Ni les nobles ni l'Eglise ne payaient d'impôt.
Or, ceux-ci constituaient les classes les plus riches. Ainsi, le roi convoqua
à Versailles
les
Etats Généraux , c'est-à-dire l'assemblée des
députés de la noblesse, du clergé et du Tiers-Etat. Cela
mit en marche le processus de la Révolution, car les
députés des Etats Généraux firent serment de
réformer la France. Ils profitèrent donc de la réunion
pour faire une Constitution. Immédiatement, la France s'agita. Il eut
des troubles dans le pays tout entier qui aboutirent, le 14 juillet 1789,
à
la prise de
la Bastille. Celle-ci était une vieille prison où l'on
détenait des prisonniers politiques, mais elle était devenue le
symbole de la monarchie. Les Etat Généraux prirent le nom d
'Assemblée
Constituante. Ils furent nommés ainsi parce qu'ils
rédigèrent la Constitution.
La première réforme entreprise par les Etats
Généraux fut l'abolition de la noblesse. Avec la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, tous les
hommes furent dorénavant considérés comme égaux ;
les privilèges furent abolis. Il y avait donc en France toujours des
nobles, mais la classe de la noblesse avait été abolie. Pour la
première fois dans l'histoire européenne, un peuple
s'affranchissait de la tutelle de sa noblesse et de son roi.
Les français partisans de la République,
épris par le goût de la liberté, ressentirent un
nécessaire besoin de libérer le monde entier des monarques
absolus. La philosophie du droit naturel avait, dans la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen, une connotation universelle.
Immédiatement après les événements de 1789, les
français entrèrent en guerre contre presque tous leurs voisins.
Bien que les batailles de la Première République fussent
consumées par de nombreux échecs, celles qui suivirent au
début du XIXième siècle diffusèrent
massivement les idées révolutionnaires à travers toute
l'Europe. L'occupation française, la circulation des ouvrages
philosophiques et les transactions commerciales internationales
allumèrent le phénomène révolutionnaire sur tout le
continent européen.
Avec la Révolution, tout un monde bascule. L'Ancien
Régime, bâti par cinquante générations en plus de
1500 ans, s'effondre ; une société nouvelle naît dont
les prolongements s'étendent jusqu'à nous, sur toute la surface
du globe. Dix ans ont suffi pour repousser le passé et préparer
l'avenir.
II. 1. 2. Le paradoxe de la
liberté
Peut-il nous être permis de dire avec Hegel que
l'activité de la Raison est une activité révolutionnaire
parce qu'elle consiste à amener dans la réalité ce qui
appartient au domaine de la rationalité : tout ce qui est rationnel
est réel. Du tréfonds de partisans de la Révolution,
bouillonnait un grand désir de liberté. Cette conscience de
liberté qui éprit tout le peuple français ne pouvait donc
craindre aucun obstacle. L'exigence de la raison les obligeait de rendre
effective cette liberté qui, en eux, était devenue conscience. La
France qui entre dans une aventure généreuse ne soupçonne
point la suite patibulaire dans laquelle elle s'entraîne ; elle ne
sait pas encore que le bon va se mêler au pire ; que les
stupidités, les crimes s'accumuleront mais aussi les actions
d'éclat ; à côté de réformes heureuses
et d'actes héroïques, le sang coulera. Or,
l'irrationnel devint rationnel, car cette acquisition de la liberté
n'alla point sans quelque atrocité. Au point que, pour obtenir cette
liberté, Maximilien Robespierre supprime les libertés, instaure
la terreur et la guillotine pour ses ennemis.
En effet, Robespierre n'a pas été choisi par le
peuple; il s'est imposé par la Convention. La Révolution a
été guidée par l'idée de la liberté ;
paradoxalement la Terreur voit l'établissement de la dictature.
L'instrument de prédilection de la Terreur fut la guillotine53(*), constituée par un
tranchoir qui s'abat sur la tête du condamné, laquelle est
recueillie dans un panier. Plus de 10000 personnes en périrent y compris
le roi Louis XVI et la reine Marie-Antoinette. De 1795 à 1799, on tenta
en vain d'instaurer une République modérée. La guerre
continuait et les divisions intérieures devenaient encore trop grandes.
Ceci permit à Napoléon Bonaparte, général de
l'armée en 1799, par un coup d'Etat militaire, de s'emparer du
pouvoir.
Cependant, quelque paradoxale que peut paraître la
Révolution française, elle a fait naître dans le peuple de
toute l'Europe la conscience la liberté. Elle a était une
période troublée pour toute l'Europe, mais elle a aussi permis
la naissance de l'Etat de droit moderne que nous avons encore aujourd'hui.
Soudainement, tous les pays européens se dotèrent d'une
Constitution qui contenait, d'une part, des dispositions se rapportant à
l'organisation institutionnelle de l'Etat, et d'autre part, des droits
fondamentaux garantis que le citoyen pouvait faire valoir à l'encontre
de l'Etat. Ceci ne sera possible que grâce à la rédaction
de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.
II. 1. 3. Le legs pour la
conscience universelle de la liberté
Toutefois, l'idée de liberté, telle
qu'exprimée dans La Raison dans l'histoire de Hegel, ne se
trouve pas moins manifestée dans la Révolution française.
Bien que celle-ci apparaît furtivement sous le mode de l'irrationnel.
Ainsi, il paraît injuste, avec les yeux de la raison, de ne trouver dans
la Révolution qu'une simple manifestation de la naturalité brute
de l'homme. Avec Hegel, il y a bien plus : la Raison y a agi
rationnellement. Bien que le résultat ne fût immédiat, la
postérité que nous sommes n'en jouit pas moins.
Sans doute, la Révolution a apporté moult
éléments positifs dans la conscience universelle de la
liberté dont : la liberté d'expression et de religion,
l'abolition des privilèges dus au rang
social : « Les hommes naissent et demeurent libres et
égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être
fondées que sur l'utilité commune54(*) », l'instauration d'un régime
démocratique de gouvernement du peuple élu par le peuple, la
création d'une assemblée législative, la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui avait comme
but final le bonheur de tous et qui proclamait les droits naturels
inaliénables et sacrés de tout homme, etc.
La portée universelle des idées de la
Révolution française fut reconnue pratiquement dès le
début par ses contemporains : adversaires comme partisans. Son
impact fut considérablement renforcé par les
Guerres
de la Révolution française et de l'
Empire, qui ont
touché une large partie de l'
Europe
continentale, avec la création de «
Républiques
soeurs » et la transformation des frontières et des
États d'Europe. La Révolution est restée un objet de
débats et une référence positive ou négative tout
au long des deux siècles qui l'ont suivie, en France comme dans le
monde.
II. 2. Les Nations Unies et
la conscience universelle de la liberté
La liberté, qui est une propriété
fondamentale de la Raison et de tout être rationnel, continue son
actualisation dans l'histoire. Après le Révolution
française dont Hegel était contemporain, l'humanité a
vécu un moment encore plus manifeste où la liberté
portée par l'individu humain, en tant que présupposition, s'est
vue se concrétiser à travers la création de l'Organisation
des Nations Unies. Il est évident que Hegel n'a pas vécu la
création de l'Organisation des Nations Unies. Et d'ailleurs, il a
critiqué l'idée kantienne d'une Société des Nations
dans Principes de la philosophie du droit. Mais rien ne nous
empêche de lire ce grand évènement que l'humanité
n'avait presque jamais connu, en matière de la reconnaissance des droits
de l'homme, avec le regard philosophico-historique de Hegel.
En effet, la création des Nations Unies n'est pas
l'évènement d'un Etat particulier, mais c'est toute
l'humanité qui, après avoir fait l'expérience de sa propre
négation, après avoir vécu l'irrationnel à travers
les atrocités de la seconde Guerre mondiale, a considéré
« que la méconnaissance et le mépris des droits de
l'homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la
conscience de l'humanité55(*) ». Dirait-on avec Hegel que c'est
grâce à cette activité de la négation que la
conscience historique de la liberté s'aiguise davantage dans l'histoire
universelle :
Paradoxalement, le mal serait ce qui permet à
l'histoire, et bien entendu à l'humanité qui en est à la
fois source et victime, d'atteindre par étapes successives et
rigoureuses une croissante actualisation de l'Idée profonde qu'elle est
supposée expliciter. Bref, le mal est acceptable car
nécessaire56(*).
Force nous est de réaliser que la conscience de la
liberté, qui est la finalité de l'histoire, ne s'obtient que par
le travail de la négation. Celle-ci lève la contradiction en la
rendant créatrice du développement historique. Le bonheur que
procure la liberté est le fruit d'un cycle paradoxal : nier la
liberté en vue d'obtenir la liberté. Mais cette liberté
obtenue après le travail de la négation est une liberté
beaucoup plus élevée que la première, car le concept de
liberté s'éclaire davantage dans la conscience du monde et dans
celle de l'individu humain qui constitue cette conscience.
Cependant, malgré l'irrationalité vécue
par l'humanité à travers les guerres mondiales, la raison ne nous
pardonnera pas si, de quelque manière, nous nions cette prise de
conscience de la liberté du sujet humain que les Nations Unies ont
proclamée à travers la Déclaration Universelle des
Droits de l'Homme. Cette dernière est proposée comme un
principe inspirateur universel dans lequel toutes les Constitutions des Etats
reconnaissant la liberté du sujet humain pouvaient trouver leur source.
Ainsi, il pourrait nous être permis de poser l'Organisation des Nations
Unies comme l'universel à travers lequel les Etats, compris dans leurs
particularités comme subjectifs, pourraient atteindre le niveau le plus
élevé d'objectivité.
II. 2. 1. L'avènement
des droits de l'homme
La Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme, adoptée par l'Assemblée générale des
Nations Unies, le 10 décembre 1948, vient, près de deux
siècles après, comme pour confirmer le principe de la
liberté de l'individu humain, déjà proclamé en 1789
dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en
disant : « Tous les hommes naissent libres et égaux en
dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience
et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de
fraternité 57(*)». Après la déclaration de la
Révolution française qui déjà avait tant
bouleversé le monde et sa conception de la liberté,
qu'avions-nous encore besoin d'une seconde déclaration ?
En effet, si déjà à travers la
Révolution française l'individu se posait lui-même comme
pouvant révolutionner les choses, comme pouvant changer le cours de
l'histoire en affirmant sa liberté en tant qu'acteur de la
réalisation historique, l'histoire dans son irrationalité
rationnelle n'avait toujours pas accordé assez de crédit
à cette revendication du sujet humain. Les évènements
post-révolutionnaires ont prouvé comment l'histoire, dans son
déroulement rationnel, pouvait être si imprévisible. La
première et la seconde guerre mondiale n'ont pas été de
prime abord des lieux d'expressivité de cette liberté de l'homme
déjà présente dans la conscience historique. Et pourtant,
ces évènements dans leur atrocité effective, portaient une
vérité plus grande qui devait aiguiser cette conscience de la
liberté. Il ne s'agit pas pour nous d'accepter, ni d'approuver, moins
encore de justifier le mal que cela a causé dans la conscience de
l'humanité. Notre entreprise n'est qu'une quelconque quête de
sens, une recherche du sens profond que pouvait porter ces
évènements si macabres que la raison humaine ne peut accepter que
si elle se nie elle-même.
Sans doute, les Nations Unies n'ont pas supprimé
l'irrationnel dans l'histoire ; l'application effective du respect des
droits de l'homme, tel que exposés dans la Déclaration de 1948,
présente quelques difficultés pour certains Etats. Mais cela ne
peut nous épargner de reconnaître le grand rôle que leur
reconnaissance universelle a joué dans la considération du sujet
humain. Ils ont permis, entre autre, le respect, bien que relatif, de
l'indigène. Et, dix années après leur édiction,
plusieurs Etats colonisés sont devenus relativement autonomes à
travers les luttes des indépendances.
En regardant l'histoire dans ses évènements
particuliers, dirait Hegel, il nous sera difficile d'y percevoir un quelconque
sens rationnel. Pouvons-nous donc dire que dans son ensemble l'histoire se
porte bien ? Ce serait peut-être prétentieux de notre part.
Mais ce qui est évident et que la conscience universelle peut accepter,
dans la mesure où elle est honnête, est que la situation des
droits de l'homme va nettement mieux qu'il y a quelques siècles.
Le respect de la Déclaration universelle des Droits
de l'Homme dépend du degré de rationalité de chaque
Etat. Dans la mesure où ils sont souverains et autonomes, les Etats
membres des Nations Unies sont donc appelés à user de cette
déclaration comme principe inspirateur de leurs constitutions, comme le
fondement qui oriente la relation entre les libertés individuelles au
sein de l'Etat qui est le garant des toutes ces libertés. Au fait, bien
que tous les Etats aient pu intégrer les exigences de la
Déclaration dans leurs Constitutions, il en reste que son application
effective encore pose problème.
Toutefois, nous ne pouvons nous empêcher de
présenter l'Organisation des Nations Unies comme cette conscience
universelle dans laquelle les consciences des peuples particuliers s'accordent
en vue de la promotion de la raison en tant que ce qui est voulu par
l'humanité toute entière.
II. 2. 2. Penser les Nations
Unies dans la perspective du Weltgeist
Il n'y a de vraie liberté que dans l'Etat, pense Hegel,
car celui-ci est « la forme historique spécifique dans
laquelle la liberté acquiert une existence objective et jouit de son
objectivité58(*) ». Pourquoi nous permettons-nous donc de
cerner cette liberté de l'individu humain en-dehors de l'Etat ?
Pour Hegel, l'Etat est cet être qui ne connaît rien au-dessus de
lui. Comment donc rendre possible les Nations Unies, si nous considérons
cette pensée de Hegel :
...les relations des Etats ont pour principe leur
souveraineté, ils se trouvent ainsi les uns par rapport aux autres dans
l'état de nature et leurs droits ont leur effectivité, non dans
une volonté générale constituant une puissance au-dessus
d'eux, mais dans leur volonté particulière59(*).
En effet, dans sa philosophie du droit, Hegel affirme que
l'Etat est la liberté réalisée, mais il est aussi source
de violence lorsqu'il entre en collision avec un autre Etat :
« Le conflit entre Etats devient donc rationnellement
nécessaire, dès lors qu'il n'existe ni préteur ni tribunal
suprême qui puisse trancher les différends 60(*)». Bien qu'ayant
été soutenue par Hans Morgenthau, le père de la
théorie réaliste des relations internationales, pareille
conception peut être pardonnée à Hegel si nous tenons
compte du contexte des guerres entre les Etats dans lequel il a vécu.
Cependant, les Nations Unies pourraient relativement
contredire cette conception des relations internationales qu'expose la
pensée hégélienne. Nous disons relativement
parce qu'en considérant l'histoire jusqu'à nos jours, nous
pouvons constater que les Nations Unies n'ont sans doute pas
éliminé le conflit entre Etats. La réalité
empirique de l'histoire conduit d'aucuns à penser que l'ONU n'a plus de
raison d'exister parce qu'ayant échoué à sa mission. Or,
une vision globale et positive de l'histoire nous permet d'affirmer que le
droit international engendré par l'ONU a contribué au
progrès de la conscience de liberté, entre autre en assurant
l'autodétermination de plusieurs peuples qui vivaient sous la
colonisation ou sous une quelconque occupation illégitime. Ce qui est
évident pour nous est que sa présence dans le monde réduit
le taux de prévalence de l'irrationalité dans l'histoire. Comme
qui dirait :
Affaiblissez-la (ONU), démolissez-la -comme l'ont
suggéré quelques intellectuels pantouflards et cabotins- et tout
le reste littéralement s'écroule, toutes les autres structures
partielles, sectorielles, toutes les couches transversales qui
s'enchevêtre à l'échelle régionale ou mondiale
s'effriteraient, à cours ou à moyen terme61(*).
L'ONU serait-elle donc un Etat-englobant ? Non,
tel n'est pas notre avis et Hegel ne nous pardonnerait pas une telle
conception. Mais le concept de Weltgeist, ici compris non plus comme
Esprit du monde mais plutôt comme Conscience du monde,
peut rendre possible une cohabitation rationnelle entre les Etats dans une
structure telle que les Nations Unies :
L'Etat moderne doit se moderniser sans cesse. Il doit en fait
survivre à une tension entre une dualité de pôles en
apparence mutuellement exclusifs qui, d'une part, l'aspire vers des forces
infra-étatiques potentiellement fragmentaires et, d'autre part, l'attire
vers des structures d'organisation supranationale qui en sont
l'épanouissement logique62(*).
L'ONU peut donc être comprise comme ce lieu de la
manifestation d'une rationalité universelle où peut être
possible la germination d'une éthique mondiale dans la conscience de
toute l'humanité, c'est-à-dire dans la conscience de tous les
Etat et de tous les individus qui en sont les constituants.
De nos jours, tous parlent de Mondialisation, de Globalisation
et encore mieux de Globalocalisation. Tous ces termes enferment en eux
l'idée, d'une manière peut-être pas universelle mais
globale, de donner une direction rationnelle à l'histoire. De telles
entreprises ne peuvent être possibles que dans la mesure où
émerge -dans la conscience de tous les Etats, de toutes les institutions
et de tous les individus qui militent pour leur réalisation- le
désir de rationaliser leurs rationalités
particulières, d'accorder leurs petites rationalités
à une rationalité beaucoup plus grande et donc plus objective en
qui tous pourraient se retrouver.
L'ONU peut donc jouer le rôle de rationalité
universelle qui accorde les rationalités particulières, et
donc subjectives, de tous les Etats pris dans leur pluralité :
« ...elle aura toujours un rôle référentiel car
elle est l'archétype de la société internationale,
à l'intérieur duquel peuvent prendre forme des dialectiques
positives particulières.63(*) ». Ainsi, l'irrationalité de
l'histoire et les actes de déraison qu'a connus l'humanité
pourraient perdre leur récurrence et laisser la place à
l'émergence de la raison dans une éthique mondiale qui viserait
alors le bonheur de tout individu qui se sait et se veut humain. A travers
l'ONU, le monde est donc appelé à prendre conscience de
lui-même et de son histoire afin d'éviter que de multiples
tragédies vécues dans les instants ombrageux de l'histoire ne se
répètent dans l'avenir
Conclusion
Après avoir considéré quelques grands
moments de la prise de conscience de la liberté dans l'histoire
universelle, nous constatons que cette liberté qui est la marque de la
rationalité et de l'histoire et de l'homme, ne se réalise point
sans le truchement de la négativité. Cette
négativité qui nie la raison, laissant transparaître au
regard des hommes les marques de l'irrationalité de l'histoire. Mais,
avec Hegel, cette irrationalité de l'histoire devient rationnelle parce
que nécessaire pour le progrès de la conscience. Dans les deux
grands évènements que nous avons soulignés, à
savoir la Révolution française et l'avènement des Nations
Unies, l'irrationnel s'est bien vu se manifester dans l'histoire à
travers quelques atrocités et quelques actes de déraison de
l'individu humain. Mais cela n'était que pour aboutir à une
conscience plus élevée de la liberté, à un plus
haut respect de ce même individu à travers les déclarations
des droits de l'homme. La conscience de la liberté a donc
été concrète dans l'histoire universelle.
CHAPITRE III :
L'AFRIQUE ET LA CONSCIENCE DE LA LIBERTE
Introduction
Les propos tenus par Hegel sur le continent africain ont
suscité moult réactions dans le chef des africains et des
africanistes. Des historiens, des hommes de lettres, des hommes politiques, des
sociologues et quelquefois, même des philosophes africains se sont
précipités de traiter Hegel de raciste à la suite de leur
seule lecture des Leçons de la philosophie de l'histoire
qui est une oeuvre posthume publiée sur la base des notes de ses
étudiants. Cela va de soi, car ces propos n'avaient toujours pas
été enchanteurs ni humanisants, dans la mesure où ils
portent les traces d'un racisme pernicieux. L'africain y est presque
ramené au rang de l'animal parce qu'il n'a pas la conscience de
soi ; il est un être purement naturel, un être dont l'esprit
est jusqu'alors englouti dans la matière et qui ne se préoccupe
que de l'immédiat. Il n'est donc pas un homme, parce que l'homme en tant
qu'homme s'oppose à la nature pour devenir ce qu'il est : homme. En
effet, dit-il, l'Afrique64(*) « est le pays de l'or, replié sur
lui-même, le pays de l'enfance qui, au-delà du jour de l'histoire
consciente, est enveloppé dans la couleur noire de la
nuit 65(*)».
L'Afrique se situe encore dans la nuit de l'histoire, mieux, dans
l'inconscience de l'histoire, c'est-à-dire de la civilisation. Il ne
peut donc y avoir d'histoire proprement dite. Il ne s'y produit qu'une suite
d'accidents et de faits surprenants. L'homme n'y vit qu'à l'improviste.
Il n'y a pas d'Etat, parce qu'il y manque un objectif :
Ce qui caractérise en effet les nègres, c'est
précisément que leur conscience n'est pas parvenue à la
contemplation d'une quelconque objectivité solide, comme par exemple
Dieu, la loi, à laquelle puisse adhérer la volonté de
l'homme, et par laquelle il puisse parvenir à l'intuition de sa propre
essence66(*).
L'homme africain est un homme à l'état brut, qui
vit dans la sauvagerie et la barbarie. Il est encore au stade de
l'immédiateté et ne peut avoir en lui un caractère qui
s'accorde à l'humain. Ainsi, dit Hegel, « pour le comprendre
nous devons abandonner toutes nos façons de voir européennes.
Nous ne devons penser ni à un Dieu spirituel ni à une loi
morale ; nous devons faire abstraction de tout esprit de respect et de
moralité...67(*) »
Toutes ces considérations que Hegel fait sur l'africain
sont dégradantes et déshumanisantes. Mais, si nous
considérons l'époque pendant laquelle il tient ses propos, nous
nous rendrons bien compte qu'il n'a pas été le seul à
avoir une vision si négative sur l'Afrique et l'africain. C'était
la vision plus ou moins normale que les européens de l'époque
avaient sur les nègres.
Néanmoins, l'Afrique dont nous sommes témoins
est loin d'être réduite à ces propos acerbes de Hegel. Un
regard honnête et objectif nous permet d'affirmer que l'Afrique est
nettement mieux que ce qu'elle était à l'époque où
Hegel tenait ses propos. Ainsi, peut-elle encore être traitée d'un
continent anhistorique ? Sans doute, elle a bel et bien une l'histoire.
Mais, fait-elle vraiment partie de l'histoire universelle en tant que
actrice ? Il nous semble qu'elle porte encore en elle quelques tares
d'irrationalité qui méritent d'être
débusquées. C'est en cela que se focalise notre propos dans ce
chapitre.
En effet, si, avec Hegel, nous affirmons que l'histoire
universelle évolue vers la prise de conscience de la liberté,
pourrait-il nous être possible d'affirmer que l'Afrique fait partie de
cette conscience universelle de liberté ? Mieux, les Etats
africains sont-ils déjà arrivés à cette conscience
de la liberté ? Bref, l'Afrique est-elle vraiment libre ? Nous
tenterons de répondre, directement ou indirectement, à ces
quelques questions, en proposant ce que nous considérons comme
conditions sine qua non pour une vraie Afrique libre. Nous ne sommes pas
hégélianophile, mais nous jugeons que la pensée
et toutes les critiques de Hegel à l'égard de l'Afrique peuvent
nous être utiles.
III. 1. La conscience de la
liberté comme prise de conscience de soi
La liberté commence par une prise de conscience de soi.
Cette prise de conscience de soi, de ce qu'on est, se déclenche au
moment où l'on ne se sent plus être dans son propre
élément. Alors, on entre dans un mouvement de recherche de soi
pour devenir soi. Cette activité de recherche de soi présuppose
qu'on ne se sent pas être ce que l'on doit être, que l'on se
retrouve dans un état d'aliénation, de dépendance, que
l'on n'occupe pas son lieu naturel.
L'histoire de l'Afrique est, elle aussi, passée par ce
moment de recherche de soi. L'époque des indépendances en est le
moment le plus expressif. L'idée de la liberté, que les peuples
africains portaient en eux, devait devenir réalité
concrète. Ceci ne pouvait se réaliser sans la participation de
quelques grandes âmes africaines qui, dans quelques circonstances, ont du
en payer de leur vie.
La liberté ne s'obtient qu'au prix du combat et du
négatif. Elle se nourrit de la chair et s'abreuve du sang du vaillant
combattant. Elle présuppose donc une reconnaissance de ce qu'on est
intérieurement, c'est-à-dire idéellement, et que l'on veut
amener dans le monde de l'extériorité. D'où la
nécessité d'une révolution, car, il faut supprimer cette
autre extériorité qui fait obstacle à la manifestation
extérieure de notre intériorité.
L'état actuel de l'Afrique ne nous permet pas d'y
cerner quelques traces d'épanouissement de la liberté, moins des
individus que des Etats. Le soleil des indépendances s'y est
laissé couvrir par des nuages avant d'atteindre le couchant. Ainsi,
l'Afrique se trouve dans une période de clair-obscur où le soleil
se dévoile en se cachant face aux consciences des Etats et des citoyens
africains. Les premières intuitions des indépendances se sont
laissées envelopper par une série de passions et
d'intérêts égoïstes de quelques charognards à
la recherche des cadavres en putréfaction de leurs mères,
pères, soeurs, frères et enfants. L'avenir du continent, quant
à lui, parce qu'hypothéqué, se présente sous une
forme ombrageuse et provoque dans le chef des ses fils un désir
insatiable de se tourner vers les pays du Grand Soleil68(*), bien qu'il y fasse
excessivement froid. Avec cette triste réalité que nous
présentent les Etats africains, ne serait-il pas temps de donner raison
à Hegel lorsqu'il affirme que l'Afrique est « le pays de
l'enfance qui, au-delà du jour de l'histoire consciente, est
enveloppé dans la couleur noire de la nuit69(*) » ?
En effet, en faisant notre la méthode dialectique de
Hegel, nous avons tenté de distinguer trois moments essentiels de prise
de conscience de soi dans l'histoire du peuple africain dont le
troisième, qui est la synthèse, est à réaliser.
III.1. 1. L'exclusion a priori
de l'autre
C'est le premier moment de la prise de conscience de soi.
C'est encore un moment primaire où l'être prend conscience de ce
qu'il est, se distinguant ainsi de l'autre. C'est le moment de l'être qui
dit « je » en excluant « tu », de son
auto-affirmation comme le soi excluant l'altérité. La
liberté n'est pas encore libre parce qu'elle se définit par
l'exclusion de l'altérité et conduit à l'enfermement sur
soi. Elle est encore réactionnaire. Elle n'est encore que la
liberté dans sa première intuition par la conscience. C'est
encore l'enfance de la liberté.
En effet, l'Afrique est passée par ce moment primitif
de la liberté. Ce moment caractérise les premières
intuitions des indépendances où la flamme de la liberté
s'allumait dans la conscience de tous les africains. Il fallait rompre avec la
métropole afin de devenir autonome. Cette rupture soudaine mue par un
désir non-réfléchi de liberté a conduit à
des actes de vandalisme et d'autodestruction inconsciente. Le rejet soudain et
absolu de l'autre mène à la destruction de soi. La montée
du nationalisme a fait naître, dans le chef de nombre d'africains, des
pensées xénophobes et racistes : « il faut rejeter
ce qui appartient à l'homme blanc, parce que mauvais ».
Il s'en est suivi un désir effréné de
l'affirmation de l'identité culturelle africaine qui semblait avoir
été supprimée par la civilisation occidentale durant toute
l'époque de la colonisation. Il naît alors toute une philosophie,
mieux, toute une idéologie afrocentrique qui prône le retour
à l'authenticité, c'est-à-dire le retour à la
vérité de ce que l'on est. Nul n'ignore le pétrin dans
lequel plus d'un pays africain s'est retrouvé à cause de ce
concept vide de sens.
En outre, ce premier moment de saisissement de soi, parce
qu'encore ambigu, s'est suivi de multiples querelles et dislocations internes,
provoquant ainsi des innombrables schismes. L'Afrique s'est vue ainsi
entraînée dans un cycle infernal des mouvements
sécessionnistes. Ceci parce que le soi africain qu'on avait tant voulu
affirmer manquait de consistance et de définition.
Sans doute, la cause défendue par les africains
était juste. Mais les moyens qu'ils ont utilisés ne leur ont pas
permis d'atteindre leur finalité : la liberté. Le
désarroi dans lequel l'Afrique s'est plongée devait donc
être dépassé. D'où le second moment de son histoire
dialectique : celui de la totale inclusion dans l'autre.
III.1. 2. L'inclusion dans
l'autre
Le second moment de la prise de conscience de soi, dans la
tension vers la liberté, est celui qui, après s'être
détruit par un repli absolu sur soi, impose l'ouverture à l'autre
pour combler le néant qui se découvre dans un face à face
à soi-même. La crainte de se mettre face à soi-même
conduit à un appel de l'autre auparavant rejeté. C'est le moment
de la totale dissolution de soi dans l'autre et du retour à
l'aliénation. L'on ne trouve sa sécurité que dans l'autre,
l'on ne se définit que par rapport à l'autre, l'on est plus
soi-même. L'on devient ce que l'autre veut que l'on soit. Ici, le
mouvement qui s'effectue va de l'auto-détermination exclusive vers
l'inclusion absolue dans l'autre. La fuite totale de soi-même vers
l'autre est fruit d'une crise d'identité individuelle, d'une perte de
savoir sur soi. Cette crise est tragique pour l'Afrique qui recherche ce
qu'elle est dans l'autre.
En effet, le continent africain est entré dans cette
seconde phase de son histoire dialectique après l'échec des
indépendances et, malheureusement, elle y est restée
jusqu'à nos jours. L'édifice de l'identité africaine qui
s'élevait s'est très vite écroulé parce que ne
s'étant pas bâti sur une conscience solide de la liberté.
C'est le moment de la résignation où l'Afrique se rend compte que
l'esclavage vaut mieux qu'une liberté mal comprise ; elle
réalise « la perte de sa capacité à
maîtriser les conditions mêmes de l'existence humaine et à
fonctionner comme puissance de créativité spirituelle et
culturelle70(*) ».
Le travail qui est le signe distinctif de l'homme dans
l'histoire -de l'homme qui voulant dompter la nature s'y pose comme un
être plus-que-naturel, ne bénéficie plus de cadres
capables de donner à l'africain la possibilité de vivre et non de
survivre :
Telle est la crise africaine. Elle n'est pas une crise
spécifique à tel ou tel domaine ni réductible à tel
ou tel aspect de l'existence. C'est une crise des conditions mêmes de
l'existence humaine, de la vie active en tant qu'elle est la manière
d'être propre à l'homme71(*).
Ainsi, l'autre devient le modèle, le lieu
d'épanouissement du soi ; il devient l'élément
déterminant à partir duquel on trouve son positionnement dans le
monde. L'histoire n'est plus vécue ; elle est subie.
Considérant la crise profonde et totale dans laquelle vit l'africain, il
y a assez de raisons pour céder à la lassitude et tomber dans le
pessimisme. Beaucoup l'ont déjà fait et nombreux sont ceux qui
continuent à le faire : aller ailleurs à la recherche d'une
quelconque félicité. L'émigration est le singe de non
liberté, de l'incapacité de rester dans son propre
élément.
Cette crise devient encore plus profonde et plus
inquiétante lorsque l'on perd la capacité de penser par
soi-même, lorsque l'on perd la capacité d'exercer sa raison pour
appréhender la signification et le sens de son histoire, lorsque l'on
perd sa culture : « ...la raison africaine ne dispose
aujourd'hui d'aucune possibilité de se déployer sur la base
de ses propres traditions et de celles-ci seules72(*) ». L'Afrique, le
vieux contient comme d'aucuns la nomme, donne l'impression d'avoir
achevé son histoire avant de la vivre. Le contexte dans lequel elle
tente de survivre ne lui permet même pas de se donner une place dans les
décisions sur le sens de son histoire, parce que sa grande
capacité d'improductivité ne propose rien sur la scène
internationale. Ainsi, il lui faudra opérer un dépassement de son
état actuel d'inclusion dans l'autre pour aboutir à un
état beaucoup plus mature et équilibré de la
reconnaissance de soi qui implique l'ouverture à l'autre.
III.1. 3. Reconnaissance de soi
et ouverture à l'autre
Les deux moments susmentionnés sont ceux de la
négativité : le premier affirme le soi en niant
l'altérité, le second nie le soi en affirmant
l'altérité. C'est la phase pendant laquelle l'être et le
non-être sont en contradiction. Il faut donc un troisième moment,
supérieur aux deux premiers, qui soit la synthèse de ceux-ci et
qui permette la réconciliation entre l'être et le non-être.
Dans un tel moment, advient un être absolu qui inclut en lui l'être
et le non-être, et en qui le soi et l'altérité se trouvent
dépassés. C'est la phase positive. Dans sa tension vers la
liberté, l'Afrique devra donc accéder à ce
troisième moment de la dialectique de son histoire à travers la
reconnaissance de soi et l'ouverture à l'autre, car la liberté ne
peut se réaliser par un individu isolé, elle n'est possible que
dans la relation avec une altérité. Le soi à lui seul ne
peut être libre.
La reconnaissance de soi signifie d'abord qu'on acquiert une
seconde connaissance de ce que l'on est. Elle est donc une connaissance
réfléchie et implique une auto-détermination
non-exclusive. Tout homme est libre en soi. Mais il ne devient
réellement libre que lorsqu'il sait ce qu'il est, lorsqu'il parvient
à la conscience de ce qu'il est en soi. Se reconnaître
soi-même, c'est aussi connaître l'autre en tant que
différent et non en tant qu'opposé à soi. En outre, cette
reconnaissance de soi conduit au saisissement de son esprit, de ce qu'on est
profondément ; elle conduit à un sens de respect pour
soi-même. On ne peut être fier de ce que l'on est que si l'on se
reconnaît soi-même. Un peuple sans fierté est un peuple sans
esprit.
Un peuple, en effet, ne peut être
considéré ainsi que dans la mesure où il sait l'universel
qui organise tous les aspects de son existence et qu'il est en mesure de
transformer cet universel en réalité concrète sous forme
des lois et des institutions étatiques. C'est seulement dans la mesure
où on arrive à cette consolidation du Volksgeist que
l'ouverture à l'autre peut être possible. Ainsi, pour saisir leur
esprit, les peuples africains doivent relire rationnellement leur histoire, la
reconsidérer philosophiquement pour en saisir quelque sens possible. Ce
n'est qu'à travers l'histoire qu'il sera possible d'arriver à la
connaissance d'un geist africain, qu'il sera possible de
définir ce que c'est qu'un africain. Car, il ne suffit pas d'appartenir
à la race noire pour être appelé africain : la race
est de l'ordre de la matérialité brute. Mais il faut
posséder l'esprit africain, en saisir le sens et avoir la volonté
et la passion de l'amener à la réalité concrète.
L'ouverture à l'autre n'exclut point l'affirmation de
soi-même. Bien au contraire, elle n'est équilibrée et vraie
que dans la mesure où les individus qui s'ouvrent l'un à l'autre
sont capables d'une certaine autonomie. Les Etats africains doivent donc
s'affirmer en tant que des libertés absolues et témoigner d'une
certaine autonomie avant de tenter une quelconque ouverture entre eux et avec
le monde. C'est seulement dans ces conditions qu'ils pourront proposer quelque
chose à l'histoire.
III. 2. La promotion d'une
organisation d'intégration régionale
En considérant la complexité de l'histoire
universelle dans son actualité, il s'impose aux africains de prendre
conscience de leur universel et de l'actualiser dans une structure
interétatique qui serait capable de répondre aux exigences du
Weltgeist. Ceci présuppose que les Etats africains se
reconnaissent comme souverains et vivent dans l'objectivité et le
respect du droit, qu'ils promeuvent le respect et la protection des droits et
des libertés individuels.
L'avènement de l'Union Africaine, qui est le
dépassement de l'Organisation de l'Unité Africaine, peut
être considéré comme un événement majeur dans
l'évolution institutionnelle du continent. En effet, le 09
septembre1999, les Chefs d'Etats et des gouvernements de l'Organisation de
l'Unité Africaine ont adopté une déclaration -la
Déclaration de Syrte, demandant la création de l'Union Africaine
dans le but d'accélérer le processus d'intégration sur le
continent pour permettre à l'Afrique de jouer le rôle qui lui
revient dans l'économie mondiale, tout en déployant des efforts
pour résoudre les problèmes sociaux, économiques et
politiques multiformes auxquels elle est confrontée, problèmes
accentués par certains effets négatifs de la mondialisation. Les
principaux objectifs de l'Union Africaine sont, entre autres, le renforcement
de l'unité et de la solidarité entre les Etats africains ; la
coordination et l'intensification de la coopération en faveur du
développement ; la défense de la souveraineté et de
l'intégrité territoriale des Etats membres ; et la promotion de
la coopération internationale dans le cadre des Nations Unies.
Cependant, penser l'Union Africaine comme point de
départ du développement, serait encore bien aléatoire. Si
la volonté de cette organisation est évidente, comme en
témoigne l'adoption de la Charte africaine des droits de l'homme et des
peuples, la réalité est bien plus sombre. Comment peut-il
être possible de promouvoir la liberté et le respect des droits
fondamentaux quand les pays constitutifs sont, en grande majorité,
récalcitrants quant à leur mise en application ?
L'une des méthodes efficaces en matière de
respect de la liberté et des droits fondamentaux est la
détermination de la procédure d'adhésion. L'Union
Africaine devrait donc se doter d'un instrument lui permettant de rendre
conditionnelle l'adhésion de tout Etat désireux d'en faire
partie. Car, jusqu'à nos jours, elle ne dispose pas de cet outil qui a
permis à l'Union Européenne de pacifier l'Europe, les pays
africains étant tous déjà membres de l'Union Africaine.
Il est presque qu'évident qu'un Etat isolé ne
pourrait pas parvenir à relever seul ces défis. Car, les
pandémies ne connaissent pas de frontières. Les guerres civiles
qui obscurcissent l'Afrique trouvent leurs fondements dans les situations
régionales. Aussi, le développement économique
nécessite une réponse coordonnée entre les pays africains.
L'idée d'une Union Africaine incontournable est nécessaire
à la survie de l'Afrique : la démocratie et
le respect des droits de l'homme ne s'imposent pas d'eux-mêmes.
Conclusion
Ne faudrait-il pas, aux intellectuels africains, lire d'abord
Hegel avant de plonger dans des réactions épidermiques et sans
fondements concrets. Car, la triste réalité de la situation de
l'Afrique semble être en phase avec les propos acerbes de Hegel. Ils sont
bien âcres ces propos. Une meilleure manière de les contredire
serait de passer à l'action au lieu de demeurer dans un état
continuel et perpétuel de réactions
infondées : « la crise en Afrique est aussi une
crise de la volonté africaine, c'est-à-dire de la capacité
de commencer quelque chose de nouveau73(*) ». Et comme Nicolas Sarkozy, nous pensons
qu'il serait irresponsable de la part des africains de considérer la
colonisation comme la principale source de tous leurs malheurs. La colonisation
« n'est pas responsable des guerres sanglantes que se font les
Africains entre eux. Elle n'est pas responsable des génocides...Elle
n'est pas responsable de la corruption, de la prévarication74(*) ». Ainsi, c'est aux
africains eux-mêmes, par l'action de leur travail et leur capacité
de créativité, de faire en sorte que Hegel n'ait pas totalement
raison.
CONCLUSION GENERALE
Aux termes de notre investigation sur la philosophie de
l'histoire de Hegel, nous voudrions relever quelques critiques qui peuvent
être portées contre cette philosophie : 1° La
pensée de Hegel sur l'histoire a souvent été
qualifiée d'historiciste. L'historicisme a été
défini comme « une théorie, touchant toutes les
sciences sociales, qui fait de la prédiction historique leur principal
but, et qui enseigne que ce but peut être atteint si l'on découvre
les rythmes ou les patterns, les lois ou les tendances
générales qui sous-tendent le développement
historique 75(*)». En effet, l'historicisme de Hegel nous le
trouvons dans le fait qu'il attribue à l'histoire une certaine
finalité nécessaire. Cette nécessité de la
réalisation de la finalité de l'histoire est posée par le
fait que l'histoire n'est que produit d'un Esprit transcendant qui, conscient
de lui-même, doit se réaliser nécessairement. Une telle
conception nous conduit logiquement à une sorte de déterminisme
et de fatalisme dans lesquels l'individu humain se retrouve finalement
incapable d'agir en toute autonomie. Aussi, elle nie à l'histoire tout
son caractère imprévisible et irrationnel parce que tout a une
raison et voulu par la Raison. 2° En outre, l'omnipotence de l'Esprit
comme condition de possibilité de l'histoire soustrait à l'homme
toute sa capacité d'agir sur l'histoire. Celle-ci est voulue par une
Raison qui est parfois portée à user de la ruse pour parvenir
à sa propre réalisation. Ainsi, le bonheur de l'homme, dans
l'histoire, se trouve donc sacrifié au profit d'un Esprit
égocentrique. Le pessimisme de l'homme peut donc être
justifié. 3° Aussi, la toute puissance de l'Esprit aboutit
logiquement à une pensée totalitariste. Et d'ailleurs, l'Etat de
Hegel a toujours été accusé d'être
totalitaire : ce n'est plus l'Etat pour les individus, mais plutôt
les individus pour l'Etat. Car, ce dernier est la matière de l'Esprit en
tant que prenant conscience de sa liberté à travers un peuple.
Finalement, l'Etat devient ce Léviathan qui garantit les libertés
individuelles. Il ne poursuit que la réalisation de l'universel, les
minorités sont abandonnées à leur triste sort. 4° Et
enfin, l'identité que Hegel fait entre la Raison et Dieu
-« mais l'Esprit, ce que nous appelons Dieu, est la
Vérité vraiment essentielle...76(*) », nous amène à ne
considérer sa philosophie de l'histoire que comme une théologie
laïque, parce qu'il ne s'agit que de la justification de la Raison divine
dans l'histoire.
Après avoir ainsi relevé ces limites de la
pensée de Hegel, pourrait-il encore nous être possible de parler
de l'histoire universelle comme évoluant vers la conscience de
liberté de l'individu humain ?
En effet, l'histoire ne donne pas toujours raison à
Hegel. La rigidité de son système s'est laissé contredire
par certains faits historiques auxquels il n'avait jamais pensé et qu'il
croyait presque impossibles. Lui qui pensait que les relations entre les Etats
ne s'effectuent que sous le mode du conflit, pourrait-il s'attendre à la
possibilité non-conflictuelle que l'histoire nous a donné avec
les Nations Unies ? Lui qui ne voyait dans le continent africain qu'une
masse de terre enfermée sur elle-même et dans laquelle la
sauvagerie et la barbarie se manifestent dans toute leur brutalité,
pouvait-il imaginer l'Afrique dans son état actuel d'ouverture, bien que
tâtonnante, au monde ? Tant d'autres éléments peuvent
être évoqués pour montrer les limites de la pensée
hégélienne sur l'histoire universelle.
Néanmoins, l'idée que la finalité de
l'histoire universelle est l'évolution vers la conscience de la
liberté est difficilement rejetable. Aussi, l'idée d'une certaine
rationalité de histoire demeure encore permissible par la raison. Car,
l'histoire a bel et bien un sens. Mais seulement, le mot sens doit
être compris plutôt comme signification que comme
direction. La recherche d'un sens, à travers la connaissance
historique, est inévitable parce qu'une histoire dépourvue de
sens n'en est plus une. Cependant, une telle recherche est d'office voué
à l'échec parce que si on découvrait le sens de
l'histoire, ce qu'elle aurait pris fin. Restons donc rationnels et ouverts
à l'imprévisibilité de l'histoire qui pourrait toujours
nous surprendre dans son irrationalité que seule l'activité de la
pensée, et donc de la raison, peut rendre rationnelle.
BIBLIOGRAPHIE
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HEGEL, G. W. F., La Raison dans l'histoire, trad. de
l'allemand par PAPAIOANNOU, K, Paris,
Plon, 1965.
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phénoménologie de l'Esprit, trad. de l'allemand par
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Paris, Aubier, Montaigne, 1941.
, Lettre à Schelling du 16
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Paris, Gallimard, 1962.
II. OUVRAGES SUR HEGEL
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RITTER, J., Hegel et la Révolution
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PLANTY-BONJOUR, G., « Droit, violence et
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dirigé par
PLANTY-BONJOUR, G., Paris,
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III. AUTRES OUVRAGES
KÄ MANA, L'Afrique va-t-elle mourir ?,
Paris, Les éditions du CERF, 1991.
POPPER, K. R., Misère de l'historicisme, trad.
de l'anglais par ROUSSEAU, H., Paris, Plon, 1956.
IV. LES ARTICLES
FINDLAY, J.-N., « L'actualité de
Hegel », in Archives de la philosophie, XXIV, 1961,
pp. 480-496.
CHIEREGHIN, F., « Histoire, Etat et Gennus
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Archives de la
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VIEIRA DE MELLO, S., « La conscience du monde :
L'ONU face à l'irrationnel dans l'histoire »
in
Congo-Afrique, n° 377, septembre 2003, pp. 420-438.
V. TEXTS OFFICIELS
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen,
1789.
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme,
1948.
Allocution de M. Nicolas SARKOZY, Président de la
République française, prononcée à
l'Université de Dakar, Sénégal, le 26 juillet 2007.
VI. ENCYCLOPEDIE
BERTAUD, J.-P.-PIERRARD, P., « Révolution
française », in La grande encyclopédie, 17,
Paris,
Librairie
Larousse, 1976, pp. 10373-10386.
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION GENERALE
1
CHAPITRE I: L'EPIPHANIE DE L'ESPRIT DANS
L'HISTOIRE
6
INTRODUCTION
6
I. 1. LA FINALITÉ DE L'HISTOIRE
UNIVERSELLE
7
I. 2. LES MOYENS DE LA RÉALISATION DE
L'ESPRIT DANS L'HISTOIRE
11
I. 3. LA MATIÈRE DE LA RÉALISATION DE
L'HISTOIRE
12
I. 4. LA PLACE DE L'INDIVIDU DANS LA
RÉALISATION DE L'ESPRIT
13
CONCLUSION
16
CHAPITRE II : LA CONSCIENCE DE LA LIBERTE
DANS L'EVOLUTION HISTORIQUE
17
INTRODUCTION
17
II. 1. LA RÉVOLUTION FRANÇAISE ET LA
CONSCIENCE DE LA LIBERTÉ
18
II. 1. 1. Bref aperçu historique
19
II. 1. 2. Le paradoxe de la liberté
20
II. 1. 3. Le legs pour la conscience
universelle de la liberté
21
II. 2. LES NATIONS UNIES ET LA CONSCIENCE
UNIVERSELLE DE LA LIBERTÉ
22
II. 2. 1. L'avènement des droits de
l'homme
23
II. 2. 2. Penser les Nations Unies dans la
perspective du Weltgeist
25
CONCLUSION
27
CHAPITRE III : L'AFRIQUE ET LA
CONSCIENCE DE LA LIBERTE
27
INTRODUCTION
28
III. 1. LA CONSCIENCE DE LA LIBERTÉ COMME
PRISE DE CONSCIENCE DE SOI
29
III.1. 1. L'exclusion a priori de l'autre
30
III.1. 2. L'inclusion dans l'autre
31
III.1. 3. Reconnaissance de soi et ouverture
à l'autre
33
III. 2. LA PROMOTION D'UNE ORGANISATION
D'INTÉGRATION REGIONALE
34
CONCLUSION
36
CONCLUSION GENERALE
37
BIBLIOGRAPHIE
39
TABLE DES MATIERES
40
* 1 Hegel est né en
1770, en Allemagne, dans une famille de moyenne bourgeoisie. Entré
à dix huit ans comme boursier dans le séminaire de
théologie protestante de Tübingen (Württemberg), Hegel renonce
cependant, à sa sortie du "Stift " en 1793, à la carrière
de pasteur pour devenir précepteur à Berne, puis à
Francfort. Il médite alors sur le christianisme et rédige une
Vie de Jésus (1795-1796), ainsi qu'un ouvrage sur L'Esprit
du christianisme et son destin (1798-1799); En 1801, il devient
" privat-dozent " (enseignant libre) à l'université
d'Iéna. Hegel, qui compose les Cours d'Iéna (1803-1806),
s'enthousiasme alors pour Napoléon, l' « âme du
monde » (Weltgeist).La Phénoménologie de
l'Esprit (1807), qui exprime cette passion pour l'histoire et
l'actualité, deviendra le véritable évangile des temps
modernes. En 1808, il est nommé professeur, puis directeur du Gymnase
(lycée) de Nuremberg. Il clarifie sa pensée pour l'enseignement
secondaire : ses notes de cours de ce temps constituent la
Propédeutique philosophique (1809-1816). C'est également
durant cette époque que Hegel rédige la Science de la
logique (1812-1816). En 1816, enfin nommé professeur titulaire
à la chaire de philosophie de l'Université de Heidelberg, il
écrit le Précis de l'Encyclopédie des sciences
philosophiques (1817), exposé systématique de sa doctrine.
Appelé, en 1818, à la chaire de Berlin, Hegel va apparaître
désormais comme un philosophe au prestige immense, entouré
d'auditeurs et de disciples. Véritable philosophe d'Etat, il incarne
pouvoir et puissance, mais ne tarde pas à devenir suspect. Il voyage
beaucoup, en France, par exemple, où il rencontre le philosophe Victor
Cousin. C'est durant l'époque de Berlin qu'il rédige ses cours
sur le Droit (Principes de la philosophie du Droit, 1821) et professe
un enseignement qui, publié par des disciples, touchera à des
sujets très variés : les Leçons sur l'histoire de la
philosophie, l'Esthétique, les Leçons sur la
philosophie de la religion et les Leçons sur la philosophie de
l'histoire sont des oeuvres posthumes.
Hegel est mort, en 1831, du choléra.
* 2 G. W. F. HEGEL, La
Raison dans l'histoire, p. 116.
* 3 G. W. F. HEGEL, Op.
cit., p. 68.
* 4 J.-N., FINDLAY,
«L'actualité de Hegel», in Archives de philosophie,
XXIV, 1961, p. 495.
* 5 G. W. F. HEGEL, Op.
cit., p. 49.
* 6 Ibid.
* 7 A comprendre comme
Esprit du monde.
* 8 G. W. F. HEGEL,
Principes de la philosophie du droit, § 342.
* 9 G. W. F. HEGEL, La
Raison dans l'histoire, p. 84.
* 10 G. W. F. HEGEL, Op.
cit., p. 47.
* 11 Ibid., p. 75.
* 12 Ibid., p. 70.
* 13 Ibid., p. 74.
* 14 Ibid., p. 71.
* 15 G. W. F. HEGEL, Op.
cit., p. 73.
* 16 Ibid.
* 17 Ibid., p.76.
* 18 G. W. F. HEGEL, Op.
cit., p. 77.
* 19 A comprendre comme
Esprit d'un peuple.
* 20 G. W. F. HEGEL, Op.
cit., p. 80.
* 21 Ibid., p. 81.
* 22 G. W. F. HEGEL, Op.
cit., p. 86.
* 23 Ibid., p. 89.
* 24 Ibid., p. 91.
* 25 Ibid., p. 92.
* 26 G. W. F. HEGEL, Op.
cit., p. 98.
* 27 Ibid., p. 99.
* 28 Ibid., p. 85.
* 29 G. W. F. HEGEL, Op.
cit., p. 104.
* 30 Ibid., p. 102.
* 31 Ibid., p. 105.
* 32 Ibid., pp.
107-108.
* 33 G. W. F. HEGEL, Op.
cit., p. 110.
* 34 Ibid., p. 121.
* 35 Ibid., p. 135.
* 36 Ibid.
* 37 Ibid., p. 137.
* 38 G. W. F. HEGEL, Op.
cit., p. 140.
* 39 Ibid., p. 137.
* 40 Ibid., p. 103.
* 41 G. W. F. HEGEL, Op.
cit., p. 130.
* 42 Ibid., p. 131.
* 43 F. CHIEREGHIN,
« Histoire, Etat et Genuss dans la philosophie de l'histoire de
Hegel », in Archives de philosophie, n°3,
Juillet-septembre 2003, p. 411.
* 44 G. W. F. HEGEL, op.
cit., p. 122.
* 45 Ibid.
* 46 Ibid, p. 131.
* 47 J.-N., FINDLAY,
«L'actualité de Hegel», in Archives de philosophie,
XXIV, 1961, p. 482.
* 48 Ici compris dans le sens
de tuer en-soi ce qui est de son époque et qui ne répond plus aux
exigences de la rationalité.
* 49 G. W. F. HEGEL, Lettre
à Schelling du 16 avril 1795, Correspondance, pp. 28-29.
* 50 G. W. F. HEGEL,
Principes de la philosophie du droit, § 36.
* 51 Nous nous sommes
inspirés de BERTAUD, J.-P.-PIERRARD, P., « Révolution
française », in La grande encyclopédie, 17,
pp. 10373-10386.
* 52 G. W. F. HEGEL,
Philosophie de l'histoire, XI, 63 in J. RITTER, Hegel et la
Révolution française, p. 27.
* 53 Notons ici que la
guillotine est restée l'instrument de la peine de mort en France
jusqu'en 1975.
* 54 Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen, art. 1.
* 55
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, Préambule,
§2.
* 56 S. VIEIRA DE MELLO,
« La conscience du monde : L'ONU face à l'irrationnel
dans l'histoire », in Congo-Afrique, n°377, Septembre
2003, p. 421.
* 57 Déclarations
Universelle des Droits de l'Homme, art. 1.
* 58 G. W. F. HEGEL, La
Raison dans l'histoire, p. 140.
* 59 Id, Principes
de la philosophie du droit, § 333.
* 60 G. PLANTY-BONJOUR,
« Droit, violence et liberté selon Hegel », in
Droit et liberté selon Hegel, dirigé par G.
PLANTY-BONJOUR, p. 214.
* 61 S. VIEIRA DE MELLO,
« La conscience du monde : L'ONU face à l'irrationnel
dans l'histoire », in Congo-Afrique, n°377, Septembre
2003, p. 436.
* 62 Ibid, p. 424.
* 63 S. VIEIRA DE MELLO,
Op. cit., p. 428.
* 64 Il convient de signaler
qu'il s'agit ici de l'Afrique subsaharienne que Hegel lui-même nomme
l'Afrique proprement dite.
* 65 G. W. F. HEGEL, La
Raison dans l'histoire, p. 247.
* 66 Ibid, p. 251.
* 67 G. W. F. HEGEL, Op.
cit., p. 251.
* 68 Il s'agit ici de
l'Occident.
* 69 G. W. F. HEGEL, La
Raison dans l'histoire, p. 247.
* 70 KÄ MANA,
L'Afrique va-t-elle mourir ?, p. 18.
* 71 Ibid., p. 23.
* 72 KÄ MANA, Op.
cit., p. 26.
* 73 KÄ MANA, Op.
cit., p. 28.
* 74 Allocution de M. Nicolas
SARKOZY, Président de la République française,
prononcée à l'Université de Dakar, Sénégal,
le 26 juillet 2007.
* 75 K. POPPER,
Misère de l'historicisme, (Introduction), p. XV.
* 76 G. W. F. HEGEL, La
Raison dans l'histoire, p. 64.
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