Chap. IV. DISCUSSIO~
La présente étude de cohorte
rétrospective a consisté à évaluer
l'épidémiologie et les déterminants de la co-infection
VIH/VHB à l'Est de la RD Congo dans la province du Sud-Kivu, district
sanitaire de Bukavu. Nous avons procédé à la comparaison
de deux groupes de PVVIH : ceux positifs au HBS (255) soit 54,3 % et ceux
négatifs au test HBS (215) soit 45,7%. Les patients de notre cohorte
sont tous pris en charge dans 3 CTA à savoir celui de Bagira, de Kadutu
et de la Pharmakina.
Ces résultats ont montré que plus de 50% de
la population d'étude sont positifs aux marqueurs HBS.
Ces résultats nous paraissent excessifs quand
nous les comparons à ceux de l'étude de JM Kabinda d'août
2008 où la prévalence de l'hépatite B était de 8 %.
Néanmoins, ces chiffres corroborent la tendance générale
de l'infection par le VHB qui varie selon les études entre 20 et 90% (1,
2, 55).
Ce taux se justifie aisément d'autant plus que
notre étude se déroule dans une zone de haute endémie de
l'hépatite B (2). Le Collège des universitaires de Maladies
infectieuses et tropicales avancent des chiffres qui confirment cette haute
endémicité : 95% des sujets ont des Ac anti HBS et 8 à 15%
sont des porteurs chroniques d'Ag HBS. Ceci confirme la prévalence
trouvée dans la population de notre étude (12).
En effet, au Sénégal, 85% des enfants
sont contaminés avant 15 ans et 95% des adultes possèdent au
moins un marqueur sérique de l'hépatite B. En outre, en Afrique
noire, 20% des adultes sont porteurs chroniques de l'HBS Ag (2).
En France 37,6% de la population atteinte du VIH
présentaient des marqueurs sérologiques qui témoignaient
d'une infection ou d'un contact ancien avec le VHB en 2004 (32).
La population des PVVIH de notre cohorte soumise
à la recherche du HBS ne représentent que 10,15% (470 pour un peu
plus de 4630 PVVIH) de l'ensemble des PVVIH suivies depuis 8 ans (2004-2011
dans les cliniques de prise en charge de Bukavu. Ceci confirme le peu
d'intérêt que les professionnels de
santé accordent à la recherche du VHB
dans la population des PVVIH de Bukavu. Cette situation s'observe aussi sous
d'autres cieux.
En effet, plusieurs auteurs rapportent le faible taux
de dépistage du VHB dans la population des PVVIH (2, 15). Si la
prévalence de l'hépatite B est élevée chez les
PVVIH, la recherche de l'hépatite B n'est pas systématiquement
recherchée dans la population VIH, ce qui justifie de faibles taux de
couverture en rapport avec le dépistage du VHB (1, 8, 15).
Age, sexe et VHB
Dans notre étude, l'âge moyen est de 39,0
ans. Ceci se rapporte à l'âge moyen général des
PVVIH sous traitement en RD Congo qui varie entre 30 ans et 45 ans. La
co-infection VIH/VHB touche cette même tranche d'âge. Cette
situation n'est pas différente dans plusieurs pays d'Afrique (Afrique du
Sud, Zambie, Burundi, Rwanda) où l'âge moyen varie entre 25 ans et
45 ans selon le rapport ONUSIDA 2010 sur le VIH dans le monde tandis qu'en
Europe, l'âge moyen se situe autours de 40 ans (57).
Si les hommes sont les plus nombreux à
contracter le VIH en Occident (du fait de la toxicomanie et de
l'homosexualité), en Afrique par contre les femmes sont plus nombreuses.
En RD Congo, elles représentent 56% des PVVIH. Ceci s'explique du fait
de leur vulnérabilité biologique, sociale et économique et
corrobore le fait que les femmes représentent 59,6% de la cohorte
d'étude. Celle-ci est la situation générale de l'Afrique
(2). En effet, les femmes constituent à la fois plus de 50% des PVVIH et
des co-infectées VIH/VHB. La tendance est différente en Occident
où les hommes représentent une plus grande
proportion.
Ceci serait lié au fait que la majorité
de VIH+ est constituée des usagers des drogues injectables et des
homosexuels qui sont surtout en Occident des hommes.
Les hommes représentent, en effet, plus de 60%
des co-infectés exception faite, quand cette population est
classée selon l'origine des patients ou dans le groupe des originaires
d'Afrique Subsaharienne (37,2 [IC 95% ; 31,7-43,2]) où les femmes
représentent la plus grande proportion. Une attention
particulière devrait donc être accordée aux femmes
co-infectées du fait du double risque de transmission verticale du VIH
et du VHB en Afrique et en RD Congo.
Prise en charge par les ARV et VHB
Concernant la prise en charge thérapeutique,
notre étude confirme que les PVVIH sont soumises au régime de
pays à ressources limitées (AZT + 3TC + NVP).
Aucun patient HBS+ ne recevait un traitement actif sur
l'hépatite B expressément prescrit. Cependant, 99,3% des patients
sous ARV recevaient une combinaison d'ARV dans laquelle il y a une
molécule active sur le VHB (la Lamivudine). Ceci serait lié au
manque des combinaisons d'ARV doublement actives sur le VIH et le VHB. Des
nombreux auteurs s'accordent sur le fait que l'inaccessibilité aux ARV
est un facteur limitant la prise en charge correcte du VIH et des co-infections
(1, 2).
La 3TC (300 mg/jr) entraîne la disparition de
l'ADN viral après 2 mois de traitement mais présente des grandes
risques de résistance virale chez 20 % des patients à 1 an et 66%
à 4 ans (1, 12, 18).
L'administration de la Lamivudine en
monothérapie antirétrovirale contre le VHB comme c'est le cas
chez nos co-infectés VIH/VHB induit constamment des mutations de
résistance vis-à-vis du VHB de l'ordre de 15 à 25% par an
et de 70 à 80% à 4 ans. Cet usage doit donc être
évité (1, 12, 32).
En France, 71 à 87% des PVVIH
bénéficient du traitement ARV actif contre le VHB tout en
bénéficiant en même temps du traitement du VIH (33). Cette
situation est l'idéal pour assurer une meilleure prise en charge par les
ARV de la co-infection VIH/VHB dans le contexte africain.
Des études plus approfondies devraient
évaluer le risque de résistance à la Lamivudine chez les
PVVIH sous ARV co-infectées VIH/VHB à Bukavu.
Cependant, la 3TC a pour avantage sa simplicité
d'utilisation et sa faible toxicité (31). L'arrêt brutal sans
relais par un traitement comporte un risque élevé de
réactivation virale avec rebond clinique et biologique de
l'hépatite B, parfois grave.
Bien que 99,3% de HBS+ de notre cohorte
reçoivent une molécule active sur le VIH et VHB, il
s'avère que cette monothérapie contre le VHB est dangereuse pour
les PVVIH co-infectées.
Vaccination et VHB
Le taux de vaccination contre l'hépatite B est
très faible chez les PVVIH de notre cohorte soit 2,6% seulement. Ce taux
est aussi faible dans plusieurs études faites chez les PVVIH. En France,
seulement 10,3% [8,2-12,9]) de VIH+ étaient vaccinés en 2004
(33).
Les résultats de l'analyse multivariée
dans notre étude a montré que l'absence de la vaccination contre
le VIH constitue un facteur de risque d'hépatite B chez les PVVIH de
Bukavu (OR : 4,40). Une littérature abondante confirme la place de la
vaccination dans la réduction des risques de l'hépatite B. Ces
risques varient en fonction de l'endémicité de l'infection. Ils
sont élevés dans les régions à haute
endémicité qui sont l'Afrique et l'Asie (2).
Les résultats de l'enquête Aquitaine
montrent que 22% des patients VIH ont été vaccinés contre
le VHB en France en 2006 (56).
Ce pourcentage est faible dans un contexte où
le plateau technique vaccinal est disponible. Ce taux est inconnu en Afrique
chez les PVVIH mais tout porte à croire qu'il est très faible
(2).
Des recommandations sont formulées dans
certains pays comme le Mali, le Sénégal et le Rwanda mais le
passage à l'échelle n'est pas effectif. Les résultats de
notre étude ne sont que l'image de cette situation. Signalons
néanmoins que cette vaccination est moins efficace chez les patients VIH
quand les LT CD4 sont inférieurs à 500 cellules/mm3
(32).
Il apparaît donc clairement que la vaccination
s'impose chez tous les PVVIH présentant un risque d'hépatite B
à Bukavu.
Les rapports sexuels a risque ou non
protégés
Les rapports sexuels non protégés se
retrouvent dans 81,6% de cas chez les HBS+. Bien qu'il ne soit pas un risque
(OR 1,17 [0,72-1,90]) par rapport à ceux ayant des rapports sexuels
protégés, il y a lieu de constater que d'autres études en
ont prouvé le risque.
Selon l'Institut National de Prévention et
d'Education pour la Santé (INPES), en 2005, en France 41% des nouveaux
cas présentaient des pratiques sexuelles à risque et le rapport
sexuel non protégé était confirmé comme facteur de
risque.
Des études plus poussées (Etude
d'incidence) permettraient de mieux appréhender le risque lié aux
rapports sexuels non protégés chez les PVVIH de
Bukavu.
Taux de CD4, Stade OMS du VIH et VHB
La moyenne des CD4 de notre étude était
de 284+194 elt/mm3. Dans cette cohorte, plus de 50% de patients
(57,1%) soumis au dépistage du VHB avaient des CD4 > 200
éléments/mm3. D'autre part, les PVVIH aux stades III
et IV de l'OMS pris ensemble représentaient 66% de la cohorte. Ceci
signifie que 66% des patients sont au Stade SIDA et sont donc en
immunodépression modérée et profonde.
L'analyse uni et multivariée n'a pas
trouvé de risque lié aux taux de CD4 surtout chez les patients
ayant des CD4 < à 200 elt/mm3 (OR : 1,02 ; p : 0,82), ni
au Stade clinique III (OR : 0,59 [0,31-1,13 ; p=0,11]) ni au Stade IV qui est
le stade d'immunodépression avancée (OR : 0,4 ; p :
0,86).
Ces résultats contredisent l'ensemble de la
littérature consacrée au facteur de risque de l'hépatite B
chez les PVVIH qui affirme que le risque d'hépatite B est
corrélé au Stade clinique du patient (1, 15). Il est aussi
affirmé que les PVVIH courent d'autant plus de risque de contamination
ou de réactivation du VHB que leur niveau immunitaire est bas. Ceci
s'expliquerait aussi par le fait que l'immunodépression induite par le
VIH favorise la réplication VHB. Les personnes VIH+ ayant des taux de
CD4 < 200 sont celles qui sont les plus à risque (1, 32, 33, 35).
Cette discordance peut s'expliquer dans notre étude par le fait que la
plupart de patients au stade III et IV sont déjà sous traitement
ARV qui améliore leur réponse immunitaire en empêchant (1)
soit la séroconversion VHB soit encore la réactivation du
VHB.
Cependant, le niveau de réplication virale (qui
justifie l'infection) n'est pas toujours corrélé au taux de LT
CD4 circulants mais dépend essentiellement de l'ancienneté de
l'infection par le VHB (1, 31, 32). Bien qu'il soit difficile dans notre
étude de déterminer la durée de portage de l'Ag HBS, nous
pouvons penser que la plupart de co-infectés étaient nouvellement
infectés.
Cependant, des informations complémentaires
seraient nécessaires pour corréler aisément ces
paramètres (taux CD4 et Stade OMS) à la positivité de l'Ag
HBS. Des études prospectives seront nécessaires pour cette
fin.
La profession et le VHB
L'analyse uni et multivariée des
catégories professionnelles avec le HBS n'a pas montré qu'il
existait une différence statistiquement significative selon la
profession (p : 0,51).
Ces résultats contredisent l'ensemble de la
littérature (32, 33) qui affirme qu'il existe un risque
d'hépatite B en fonction de la profession. Il est, en effet,
rapporté que certains métiers présentent des risques. Il
s'agit des professionnels de sexe et des travailleurs du domaine médical
(2, 33).
Des études avec un design différent
permettraient de mieux apprendre ce risque. La corrélation est ici
difficile dans une étude rétrospective.
Etat civil et VHB
L'analyse multivariée a identifié un
risque élevé d'hépatite B chez les PVVIH mariés par
rapport aux célibataires (OR : 741048, 12). Les PVVIH mariés
présentent donc un risque élevé d'avoir des Ag HBS+. Cela
reviendrait donc à déduire que la transmission serait surtout
sexuelle chez les PVVIH de notre cohorte. L'association entre le fait
d'être marié et le risque d'infection à VHB n'est pas
clairement établie. La transmission étant surtout parentale en
Europe (1, 2, 12, 32, 33), le risque lié au fait d'être
marié identifié chez les PVVIH de notre cohorte dans un contexte
épidémiologique africain pourrait s'expliquer par le fait que la
plupart de ces patients sont mariés à des partenaires eux aussi
VIH+. On sait que le risque d'hépatite B est élevé chez
les PVVIH (1, 2, 55).
Il faudrait cependant des études plus
approfondies pour expliquer le risque lié à l'état
civil des PVVIH à Bukavu. Ce résultat pourrait aussi être
influencé par le fait que notre cohorte est constituée en
majorité par des PVVIH mariées.
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