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La reformulation Rawlsienne des principes de la justice

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par Pénéloppe Natacha MAVOUNGOU
Institut catholique de Toulouse - Master 2 de philosophie 2011
  

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Chapitre I : La structure de base comme objet de la justice.

Rien ne nous paraît plus utile que de préciser l'idée fondamentale de la structure de base de la société conçue par John Rawls dans l'élaboration de sa théorie de la justice comme équité. Ceci nous permettra de mieux comprendre le fil conducteur de toute sa réflexion. Dans la première partie de La justice comme équité, John Rawls analyse six idées principales qu'il appelle « idées fondamentales »99(*). Parmi ces six idées, il y a l'idée de la structure de base qui est aussi importante que les cinq autres. Dans cette deuxième partie, nous nous limiterons à l'analyse de la structure de base dans son lien avec les principes de la justice. Mais, comme dans tout travail scientifique, il nous est impossible de parler d'un concept, sans en connaître les contours, voilà pourquoi notre première tâche sera de donner une définition de ce que l'auteur de Théorie de la justice entend par « structure de base ». Il la définit déjà dans Théorie de la justice, comme étant : «  la façon dont les institutions sociales les plus importantes répartissent les droits et les devoirs fondamentaux et déterminent la répartition des avantages tirés de la coopération sociale »100(*).

Dès lors, Rawls précise qu'on ne peut séparer la structure de base de l'idée de société bien ordonnée, cette dernière étant entendue comme une société se basant sur l'idée publique de la justice et organisée sur des bases équitables. Rawls considère, en outre, que l'idée de société bien ordonnée doit se comprendre à travers l'idée de conception publique de la justice qui est le résultat d'une entente commune et publique. Il affirme donc que « l'idée d'une société bien ordonnée aide à formuler ce critère et à préciser l'idée centrale organisatrice de la coopération sociale »101(*). En introduisant l'idée de structure de base, Rawls a voulu « formuler et présenter la justice comme équité avec un degré approprié d'unité »102(*), ce qui signifie que le rôle de la structure de base de la société sert à compléter les autres idées pour former un ensemble assez compréhensible et compréhensif pour les principes de la justice. Dans le contexte rawlsien, les institutions fondamentales seront considérées comme système unique en vertu du fait qu'elles définissent les droits et les devoirs des individus, et ont une influence sur leur perspective de vie. Il est important de constater que dans La justice comme équité, Rawls élargit l'idée de structure de base et la redéfinit de la manière suivante :

La structure de base de la société est la manière dont les principales institutions politiques et sociales de la société s'agencent en un système unique de coopération sociale, dont elles assignent les droits et devoirs fondamentaux et structurent la répartition des avantages qui résultent de la coopération sociale au cours du temps103(*).

En quelques mots, on pourrait dire que tout ce qui existe dans une société comme organisation fait partie de la structure de base, même la famille. Elle est le lieu de la réalisation des activités des individus, comme de celle des associations. Rawls se sert de cette représentation pour désigner les institutions fondamentales et la manière dont elles répartissent les droits et devoirs fondamentaux et déterminent les avantages des individus. Il tient à préciser que « système empreint d'unité » voudrait signifier que «  ce qui est particulier à la structure de base, c'est qu'elle procure le cadre d'un système autosuffisant de coopération au sein duquel une variété d'associations et de groupes aide à la réalisation des fins essentielles de la vie humaine »104(*). En résumé, les principes de la justice doivent être respectés par l'ensemble des institutions de la structure de base, mais pas séparément.

La considération de la structure de base comme objet de la justice comme équité est l'un des traits caractéristiques de la théorie rawlsienne de la justice. C'est pourquoi il juge nécessaire de souligner l'importance des idées de droits, de devoirs et du temps (la coexistence d'individus sur un même territoire au même moment), dans la compréhension de la structure de base ; idées qu'il introduit pour présenter la justice comme équité comme un système empreint d'unité. Aussi pour comprendre le lien de la structure de base avec la justice comme équité, John Rawls donne deux types de raisons correspondant aux deux mouvements qui conduiront ce chapitre : « le premier insiste sur la manière dont les institutions sociales fonctionnent et sur la nature des principes requis pour gouverner ces institutions au cours du temps de manière à préserver la justice du contexte social »105(*) et la seconde raison est que « la conception découle de son influence profonde et pénétrante sur les personnes qui vivent au sein de ses institutions »106(*).

Il est important de comprendre que la théorie rawlsienne de la justice est une théorie idéale, c'est pourquoi il part, pour expliquer la considération de la structure de base comme objet, d'une hypothèse selon laquelle les humains seraient en face d'une société juste, où tout ce que les gens possèdent a été obtenue de manière juste. Pour Rawls, ce genre de société ne pourrait pas connaître de corruption ni de dégradation. Qui plus est, lorsque les droits et devoirs des personnes de même que leur droit de propriété sont respectés, il y a la justice et cette justice, tant qu'il y a le respect à la base, résistera au temps. C'est ce que John Rawls appelle « processus historique idéal »107(*), et que nous retrouvons dans le premier principe de justice de Robert Nozick : le principe de la possession initiale108(*).

Pour Rawls, les individus qui vivent dans la structure de base y naissent et y meurent, ce qui revient à dire que c'est dès le début de leur vie que les individus vivent dans cette structure dont les effets influent nécessairement sur leur vie. C'est pourquoi, en tant qu'elle est le lieu de la réalisation spatio-temporelle des individus, la structure de base constitue la première réalité à laquelle sont destinés les principes de la justice. C'est donc en cela qu'elle est l'objet premier de la justice sociale. Cette analyse de la structure de base est commandée par le souci de comprendre son lien avec les principes de la justice. Elle prépare à mieux y entrer. Ainsi, « structure de base », « position originelle » et « voile d'ignorance » sont des termes indispensables, si l'on veut entrer dans la théorie de la justice comme équité.

Section.1. La structure de base de la société comme objet de la justice : Première justification.

Dans cette première justification de la structure de base comme objet de la justice, Rawls commence par montrer le caractère fragile du processus historique idéal qu'il assimile au principe d'appropriation initiale développée par Nozick109(*). Selon Rawls, si au cours du temps une catégorie de personnes concentre les richesses autour d'elle, le principe de répartition initiale n'a pas de sens ni de raison d'être, parce que les concentrations de richesses autour des mêmes personnes favorisent l'ébranlement de l'égalité équitable des chances et de la valeur équitable des libertés politiques. C'est pourquoi les principes de la justice comme équité demeurent importants dans la mesure où ils constituent le tremplin pour l'équilibre social et pour la garantie de l'égalité équitable des chances, de même que pour le respect de l'égale liberté. En somme, la structure de base de la société, en tant qu'elle est la matrice des institutions fondamentales, doit être régie, dans le temps, afin que toute forme de répartition au cours du temps demeure équitable. Chaque activité existant dans la société, quel que soit le lieu ou le temps, est soumise aux contingences et aux intempéries, pouvant entraîner un changement radical. C'est pourquoi,

Il est nécessaire, parmi de nombreuses autres dispositions, de réglementer, au moyen de lois qui régissent l'héritage et le legs, la manière dont les gens acquièrent la propriété, de façon à rendre sa distribution plus égale et d'assumer l'égalité équitable des chances en matière d'éducation110(*).

Ce qu'il faut comprendre ici, c'est que, pour notre auteur, la prise en compte des principes de la justice du point de vue social est une chance pour les partenaires, parce qu'elle rend possible leur réalisation au sein de la structure de base. Rawls souligne en outre que le droit, à lui seul, ne suffit pas pour garantir la justice sociale, d'où l'importance des principes de la justice sociale qui auraient pour tâche d'examiner les qualités distributives de la structure de base, précisément en ce qui concerne la répartition des biens essentiels. Sa tâche serait de faire en sorte que chaque personne, peu importe sa classe ou son origine, ne manque de rien, car il n'est pas juste que les inégalités soient dues au fait que ces personnes sont issues des milieux défavorables.

Par conséquent, John Rawls estime que la structure de base, en tant qu'elle concerne les institutions fondamentales de la société, englobe les transactions et toutes les autres formes d'accord au niveau social et économique. Cet aspect cité en dernier fait dire à Rawls, que « nous sommes en présence d'un processus social idéal »111(*). Ce qui correspond à l'idéal de la justice comme équité.

Pour expliquer ce qu'il entend par « processus social idéal », Rawls l'oppose au « processus historique idéal » de Locke, repris par Robert Nozick dans l'énonciation de ses principes de justice. Rawls reconnaît que, comme le processus historique idéal, le processus social idéal fait recours au concept de justice procédurale pure. Mais les définitions et les résultats sont différents. Tandis que « la conception d'un processus historique idéal se concentre sur les transactions des individus et des associations, encadrés par les principes et les clauses qui s'appliquent directement à ces transactions particulières »112(*), la conception d'un processus social idéal, quant à elle, « se concentre d'abord sur la structure de base et sur les réglementations nécessaires pour préserver la justice du contexte social au cours du temps, de manière égale pour toutes les personnes, quelles que soient leur génération ou leur position sociale »113(*).

Cette nuance que fait John Rawls permet de constater de quelle manière le processus social idéal se démarque du processus historique idéal, en élargissant les choix de la procédure à toute la structure de base de la société. En fin de compte, la structure de base de la société est l'élément fondamental qui oppose les deux formes de processus. Rawls l'introduit dans sa vision de la justice comme équité, pour souligner la dimension sociale de celle-ci, au sens où elle s'applique à des institutions, des programmes ou des décisions politiques. Elle touche donc des questions de distribution. Il faut en outre souligner que cette dimension sociale, importante pour la théorie de la justice comme équité, insiste sur la nécessité d'établir, par le fait même, la nécessité d'établir deux genres de principes, qui prennent en compte le travail humain. C'est pourquoi, il parle de la division du travail conformément aux deux principes. Cette division devrait dans un contexte être valable pour les principes régissant la charge temporelle de la structure de base de la société et qui ont le devoir de justice sociale, aussi longtemps qu'ils sont considérés comme principes directeurs. L'autre contexte où s'appliqueraient les principes serait celui qui concernerait les échanges et les opérations entre les individus et les associations.

Rawls est très précis dans ses écrits car il montre que du fait même de sa dimension sociale, la structure de base de la société conduit à l'idée d'une conception publique de la justice. La justice chez Rawls suppose une idée publique, qui n'est autre qu'une conscience sociale ayant pour corollaires la réciprocité, la capacité de se mettre à la place des autres, une conscience des conséquences des décisions de tous les partenaires, des préférences de tout le monde et une conscience pour la société en tant qu'elle est pensée comme cadre des institutions fondamentales. Analysant les écrits de Rawls, Catherine Audard explique cette idée d'esprit public : 

La justice oblige à quitter le point de vue de la « première personne », à s'unir et à développer l'esprit public, alors que la poursuite du bien-être sépare. La justice publique concerne l'effet que les individus ont les uns sur les autres, pas seulement leurs actions sur les choses dont ils ont besoin, et cherche à les réguler, à empêcher le pire et à améliorer la vie de chacun114(*).

Il est donc impérieux, selon Rawls, pour une justice équitable, de procéder à la division institutionnelle du travail, par exemple, au sein de la structure de base, pour mettre en pratique l'idée de justice publique qui va bien au-delà de tout individualisme ou collectivisme. Cette justice publique met en avant non seulement l'organisation des rapports sociaux et de la citoyenneté, mais aussi l'exercice des droits fondamentaux. Par conséquent, la division du travail doit se faire dans la ligne des principes de la justice « requis pour préserver la justice du contexte social »115(*). Il est impossible que cela se fasse en dehors de la structure de la société et sans recours aux principes de la justice ; c'est pour cette raison que Rawls parle de division institutionnelle, comme pour montrer la force et l'importance de l'institution dans toute décision. Il importe aussi de noter que, dans le cadre de la justice comme équité, l'institution c'est la somme des individus. Tout bien pesé, cette division est nécessaire parce qu'elle assure aux humains que, la justice dans le contexte social, existe et que ce n'est pas une utopie. Dans ces conditions, Rawls pense que ce n'est qu'après avoir compris que la justice est une justice du contexte social « qu'on laisse les humains libres de chercher à réaliser leurs fins (acceptables) au sein du cadre de la structure de base »116(*).

Nous voyons clairement que l'idée de justice distributive revient dans la question de la division du travail, parce que diviser le travail renvoie à l'idée qu'on donnerait à certains individus l'occasion de travailler ; c'est pourquoi il est important que les règles de la coopération sociale soient à la portée de tous les membres de la structure de base. C'est cette acceptation du caractère publique des lois qui caractérise la justice comme équité, car ce n'est pas un groupe de personnes qui décide des lois sociales ; mais les représentants de chaque partenaire délégués, recouverts du voile d'ignorance lors des choix des principes de la justice. Partant de ce fait, Rawls affirme que «  le fait de considérer la structure de base comme l'objet premier de la théorie nous permet d'envisager la justice distributive comme un cas de justice procédurale pure du contexte social »117(*).

Rawls place l'idée de justice dans le temps et considère que la société n'est pas historique, c'est-à-dire qu'elle a existé à une période et a cessé de l'être à une autre période. Il la considère comme un idéal certes, mais comme quelque chose d'inhérent à l'existence humaine. C'est un idéal présent, pourrait-on dire. Le plus important, c'est que la dimension sociale de la structure de base doit toujours être considérée de sorte que les principes de la justice énoncée par Rawls soient valables pour la structure de base. Aussi importe-t-il de comprendre ici pourquoi Rawls fait de la justice la première vertu des institutions sociales :

La justice est la première vertu des institutions sociales comme la vérité est celle des systèmes de pensée [...]. Si efficaces et bien organisées que soient des institutions et des lois, elles doivent être reformées ou abolies si elles sont injustes118(*).

En somme l'essentiel de la première justification de la structure de base comme objet de la justice concerne tout d'abord le dépassement que fait Rawls, par rapport à la théorie de l'appropriation originelle de Nozick. John Rawls en effet, récuse dans ce principe, son caractère purement individualiste et suggère une dimension plus ouverte, fondée sur la coopération sociale. C'est en effet au sein de la structure de base que doit être prise en compte l'idée de justice distributive. Nous allons examiner maintenant la deuxième justification de la structure de base comme objet de la justice.

* 99 Rawls définit les idées fondamentales comme « celles que nous utilisons pour organiser et donner une structure d'ensemble à la justice comme équité ». Ces idées fondamentales sont : l'idée d'une société bien ordonnée, l'idée de structure de base, l'idée des personnes libres et égales, l'idée de position originelle, l'idée de justification publique, l'idée d'équilibre réfléchi et l'idée d'un consensus par recoupement, La justice comme équité, op. cit., pp. 17-63.

* 100 Idem, Théorie de la justice, op.cit., p.33. L'expression anglaise est « the basic structure of society », définie en anglais: « [...] the way in which the major social institutions distribute fundamental rights and duties and determine the division of advantages from social cooperation», John Rawls, Theory of justice, Harvard University Press, 1971 p. 7.

* 101 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 27.

* 102 Ibid., p. 28.

* 103 Ibid., p. 28, (cette définition est la même que celle contenue dans Théorie de la justice, p. 33, paragraphe 2).

* 104 John Rawls, Libéralisme politique, Catherine Audard (trad.), Paris, Puf, 1995, p. 351-358.

* 105 Ibid., p. 82.

* 106 Ibid., p. 85.

* 107 Ibid., p. 82.

* 108 Ce principe a déjà été souligné dans la première partie du mémoire : «Une personne qui acquiert une possession en accord avec le principe de justice concernant l'acquisition est habilitée à cette possession », Robert Nozick, Anarchia State and Utopia, op.cit., p. 189. Cette appropriation initiale est, selon Locke, basée sur le « droit du premier occupant et la possession continue ». John Locke, Le second traité du gouvernement, Paris, PUF, 1994, p. 390.

* 109 Nozick s'inspire de la théorie de John Locke pour soutenir que la justice sociale doit être comprise comme un processus historique, et non pas comme une réponse venant de l'extérieur.  Ce qui se décide dans la situation originelle a des conséquences sur les personnes qui participent aux transactions, non pas sur celles qui sont en dehors de la décision. C'est à partir de là qu'il est possible de comprendre le rejet de la justice distributive par Nozick, parce qu'il estime que ceux qui n'ont pas participé aux transactions n'ont droit à rien. Mais l'idée est surtout de comprendre qu'on devient propriétaire d'un bien, par rapport à une situation initiale qui nous en a rendu propriétaire. Ce n'est pas par une répartition, c'est pourquoi, posséder légitimement un bien s'inscrit dans l'histoire d'un citoyen.

* 110 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 83.

* 111 Ibid. p.84.

* 112 Ibid., p. 84.

* 113 Ibid., p. 84.

* 114 Catherine Audard, Qu'est-ce que le Libéralisme, op.cit., p. 419.

* 115 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 84.

* 116 Ibid., p. 84.

* 117 Ibid., p. 84.

* 118 Id., Théorie de la justice, op. cit., p. 29.

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