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L'identité cosmopolitique. Etude de cas: citoyens du monde

( Télécharger le fichier original )
par Sebastian Peà±a Marin
Université de Poitiers - Master I Conception de projets en coopération pour le développement 2010
  

Disponible en mode multipage

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Remerciements

Mes remerciements les plus profonds d'abord à Gwenaëlle Garnier pour son éternelle patience et soutient dans ce long travail, pour toutes les heures de correction qu'elle a consacrées, ainsi que pour ses milliers et milliers de petites attentions qui ont rendues ce travail plus plaisant et qui m'ont permis de m'investir pleinement.

Des remercîments spéciaux à Allen Talbert pour les centaines d'heures de discutions ainsi que pour ses précieux conseils qui ont été décisifs pour le bon déroulement du travail de rédaction.

Mes plus grands remerciements, bien sûr, à mes deux professeurs tuteurs Mme Marie-Antoinette Hily et M. Yann Scioldoz pour leurs savants conseils, ainsi que pour leur irréprochable disposition et bonne volonté. Une pensé pour mes collègues qui ont toujours été très cordiaux et prêts à collaborer avec ce mémoire.

Et un dernier remercîment à tous ces inconnus qui ont pu collaborer, d'une façon ou d'une autre, à la réalisation de ce travail sans le savoir, mais qui l'on fait quand même.

Sebastián Peña Marín

Sommaire

Avant Propos 5

Introduction 8

I. L'Etat-nation et la construction de l'appartenance 15

1. Le mythe de l'Etat-nation : de l'étymologie à la réalité sociale, la quête d'une

allure ontologique pour l'Etat-nation 15

a) L'origine du mot et le succès historique de l'Etat-nation 15

b) Universalisme, race, ethnie et citoyenneté : réalité et fiction de l'appartenance 21

c) Les documents, le territoire, et les enjeux du déplacement 28

2. L'identité nationale 31

a) La communauté d'expérience, la communauté de destin, les symboles et les mythes. 31

3. L'Etat-nation et la grammaire du symbolique 36

a) Les communautés imaginées d'Anderson 36

b) L'identité et les mécanismes de représentation 37

II. Les formes et les alternatives de la reconversion du national : de la nouvelle réalité mondiale à la reconfiguration identitaire 40

1. Le mondialisme : une autre façon de penser la mondialisation 40

a) Globalisation versus mondialisation 40

b) L'idéologie mondialiste, des origines à la fondation du « mouvement

universel ». 43

c) L'Identité Postnationale, Supranationale et Transnationale 47

2. Le nationalisme méthodologique 49

a) Les erreurs d'une catégorie rationnelle (alternative exclusive ou inclusion additive) 50

3. Cosmopolitisme et expérience multiculturelle : la constitution de l'identité

cosmopolitique 55

a) Le cosmopolitisme 55

b) Le cosmopolitisme et l'acte migratoire comme expérience multiculturelle : Les voies de l'Identité cosmopolitique 58

III. Citoyens du monde 66

1. L'association Citoyens du Monde 66

a) Historique et présentation de l'association Citoyens du Monde 66

b) Démarche politique des Citoyens du monde : 68

2. Analyse sémiotique de documents et du discours de CDM 71

a) Document A : Le logo de CDM 72

b) Documents B : Bulletin trimestriel du centre Français des Citoyens du monde

n°144 et premier numéro de la nouvelle série. 73

c) La somme mondialiste et la publication de l'agence mondialiste de presse 76

d) Analyse de discours des personnes rencontrées 78

Conclusion 80

IV. Annexes 84

Annexe 1 84

Annexe 2 85

Annexe 3 86

Annexe 4 87

Annexe 5 88

Annexe 6 103

V. Bibliographie 104

Avant Propos

Il y a tout juste quelques jours, en regardant le journal d'Arte TV, j'ai pris connaissance de la mort de l'exceptionnelle artiste Louise Bourgeois. Née à Paris en 1911, elle épouse un historien d'art américain et émigre au Etats-Unis en 1938 où elle prend la nationalité états-unienne. Elle est morte à l'âge de quatre vingt dix-huit ans, elle a vécu plus de soixante dix ans en dehors de son pays d'origine. Le reportage qui présentait une rétrospective générale de sa vie et de son oeuvre, se termine par la phrase « cette grande artiste française nous a quitté »1. Inévitablement la dernière affirmation « artiste française » m'interpelle. Peut-être Louise Bourgeois se disait et se sentait-elle profondément française, ou peut-être pas ou peut-être en partie ou peut-être à moitié. En tout cas, et malgré le fait que ce reportage était diffusé par Arte tv, les journalistes ne se sont pas trop posé la question : elle était née en France, donc française, elle l'était donc restée toute sa vie.

« Pasaporte » « República de Chile », voilà ce qui est marqué sur la couverture du document que je porte. Ce document, tellement précieux spécialement quand on se trouve à l'étranger (notion d'« être à étranger » discutable d'ailleurs), ne montre pas uniquement d'où je viens mais aussi à ce dont je suis censé appartenir en tant que citoyen, unilatéralement bien sûr. Toutefois, aujourd'hui, j'accumule quasi 10 années en dehors de mon pays d'origine, soit presque un tiers de ma vie. J'espère, très sincèrement et sans aucune animosité envers mes respectables compatriotes, que si je meurs à l'âge de 98 ans, le jour de mes funérailles on ne me traitera pas encore de chilien !.

Or, pour la pensée nationale, pour ne pas dire nationaliste, des allégations de ce genre constituent une espèce de reniement de l'origine, et pour mes compatriotes, pire encore, il s'agirait d'une sorte trahison. Afin de ne pas froisser les susceptibilités patriotiques, je dois m'expliquer à chaque fois: je n'ai aucun problème avec le Chili, et pourtant, des raisons, j'en ai. Son actualité m'intéresse toujours, je suis content quand j'y vais et je m'y sens à l'aise. Je suis tout à fait conscient de mon origine et de la manière dont elle a façonné ma façon de comprendre le monde : mon héritage culturel ainsi que mon rapport à l'absolu en découle. Cependant, mon expérience migratoire m'a apporté

1 JT Arte TV du Lundi 31 mai 2010

des nouveaux éléments (culturels, identitaires, psychologiques, etc) que j'ai intégrés au fur et à mesure et j'ai le sentiment qu'ils ne doivent être, en aucun cas, pensés comme concurrents ou antagoniques à ceux de mon origine. En effet, j'aime bien le camembert avec du vin rouge, on m'a déjà surpris avec Claude François dans mon MP3 et j'aime beaucoup Joe Dassin, je n'ai pas encore vu « La cité de la peur », mais je peux chanter la Marseillaise par coeur bien que je ne le fasse jamais, et je parle, j'écris et je pense en français. Et même si je continue à croire que tremper sa tartine dans le café c'est dégueulasse, cela ne me fait pas pour autant ni plus ni moins français, loin de là. J'ironise car ce n'est pas une question d'être plus français et moins chilien ou inversement, il s'agit des bouleversements de l'appartenance et de l'identité qui ne peuvent plus être pensée dans les catégories rationnelles du national.

Grace aux interactions relationnelles et sociales que j'ai pu établir au fil des années, je me suis aperçu que ce ressenti et ces questionnements affleurent aléatoirement chez des gens ayant eu une expérience migratoire et multiculturelle importante. J'ai donc réalisé qu'il ne s'agissait pas d'un dérapage identitaire dû à une expérience personnelle, mais que c'était un sentiment partagé, qu'il s'agissait de toute évidence d'un phénomène social qui, de plus, n'a rien de nouveau. Des constatations et des réflexions de ce genre m'ont poussé à faire une recherche sur ce sujet : Qu'est ce que l'appartenance nationale ? Quelles sont les enjeux de l'identité nationale dans un contexte de migration?

Aussi, il existe une dimension personnelle forte dans ce projet de recherche car il répond à des questionnements personnels qui s'insèrent directement dans mon expérience empirique en tant qu'immigrant (Espagne puis France), et en tant qu'acteur d'une expérience multiculturelle. J'ai pu ainsi éprouver les enjeux liés aux mouvements migratoires transnationaux, tel que les questions d'ordre identitaire, émotionnel, linguistique, psychologique, financier, administratif et logistique ainsi que le caractère controversé des relations interethniques. Cette expérience en plus des éléments de réflexion recueillis de façon informelle ont représenté une source indispensable afin d'éclairer et de fixer des pistes pour cette étude.

Enfin, vous noterez peut-être un ton direct et irrévérencieux dans ce travail. Mon intention n'est évidement pas de déranger qui ce soit, mais plutôt d'imprégner ce mémoire d'une consistance humaine, quelque chose de vivant sans pour autant que

l'objectivité qui conditionne tout propos scientifique se voit compromise. Je pense que rigueur ne rime pas forcement avec austérité.

Introduction

« Le patriotisme est limité, petit, mais il est pratique, utile, il rend heureux et il apaise ; le cosmopolitisme est superbe, grand, mais presque trop grand pour un homme, l'idée est belle mais ce qu'elle entraîne, dans la vie d'un homme, c'est le déchirement intérieur »2. Voilà l'affirmation d'un certain Heinrich Laube au milieu du XIX siècle. Vrai ou faux ? Peu importe, M Laube était dramaturge et metteur en scène, et peut-être at-il dramatisé un peu. Cependant ce qui nous intéresse dans cette phrase, c'est ce qu'elle représente : écrite au milieu du processus de constitution des Etats-nations en Europe au XIXème siècle, la pesanteur symbolique de cette affirmation parait intacte aujourd'hui. A un siècle et demi de sa formulation on dirait même qu'elle a gagné de la pertinence replacée dans un contexte social mondial nouveau : la mondialisation.

Mais qu'est exactement la mondialisation ? On entend souvent des phrases du type « avec la globalisation et les technologies de communication, l'humanité toute entière peut suivre un événement médiatique en temps réel2 » ou « au jour d'aujourd'hui, nous pouvons déguster de la cuisine indienne dans les quatre coins de la planète3 » ou mieux encore « grâce au développement du transport aérien, on peut déjeuner à Paris et diner à New York 4». Nous pouvons soulever le caractère charmant de ces affirmations, cependant, il ne parait pas difficile de supposer qu'un paysan chinois du fin fond de la région de Xinjiang, près de la frontière du Kirghizstan n'est pas d'accord, de même pour le comorien sans électricité car, après tout, un quart de la population mondiale n'a tout simplement pas accès à l'électricité5.

Quoiqu'il en soit, et en dehors de ces formulations animées par une sorte d'empirisme frimeur, au cours des 50 dernières années, nous avons effectivement été témoins d'une explosion des échanges transnationaux. En effet, le nombre de mouvements transfrontaliers s'accroît en même temps que les formes et les logiques des déplacements se diversifient : travail, échanges, études, stages, voyages de longue durée, quêtes personnelles, migrations économiques, politiques ou climatiques. Toutefois, ce

2 Ulrich Beck, Qu'est ce que le cosmopolitisme ?, Paris Ed Flammarion, 2006

3 Idem

4 Magasin Edgar. N°17

5 Rapport 2009 Programme de Nation-unies pour le développement. Source www.un.org, mai 2010.

n'est pas tellement les déplacements humains qui ont forgé notre perception de la mondialisation, c'est avant tout la naissance du « bricolage transnational de produits de consommation6 », ainsi que l'idée de marché et la culture de masse à l'échelle mondiale qui nous interpelle le plus dans nos vies quotidiennes. Aujourd'hui il n'y a plus aucun produit industriel « pur souche » et c'est ainsi depuis un bon moment, « le modèle d'un vêtement dessiné à New York peut être transmis électroniquement à une usine de Taiwan, et les premiers lots du produit fini être reçus à San Francisco dans la même semaine » (Castelles, 19807).

Mais entre la somptueuse trajectoire internationale d'une chaussure assemblée au Bangladesh, entre nos cadeaux chinois pour noël et la triste histoire de la banquise du Groenland, il y a toute même des êtres humains en mouvement avec un rôle actif dans la mondialisation. Sous l'ombre de chaque container de marchandise il y a un émigrant, ou plutôt des émigrants : des professionnels et des moins professionnels, des travailleurs et des moins travailleurs, des humanitaires et des chefs d'entreprises, des intellectuels et des moins chanceux, des malfaiteurs et des scientifiques, des étudiants, des aventuriers, des touristes ou des amoureux qui, tous, rêvent d'une vie meilleure, chacun à leur façon. Et à moins de croire à l'avènement d'un suicide collectif de satellites ou d'un « black out » systémique à l'échelle planétaire, il n'y a aucune raison de penser que les mouvements migratoires vont s'arrêter. Leur augmentation, qualitativement et quantitativement parlant, interpelle de plus en plus notre rapport au monde ainsi que notre capacité à vivre ensemble et elle met entre parenthèses l'une des nos références les plus chères : l'Etat-nation ; et étant donné que l'humanité est organisée en nations, la question parait longue.

Il existe d'innombrables façons d'interroger la place de l'être humain dans la mondialisation et dans les logiques migratoires. Monique Chemillier Gendreau8 établit une approche juridique pour mettre en question les politiques d'immigration et la condition actuelle du droit à circuler. Elle appuie sa réflexion sur la Déclaration universelle de Droits de l'Homme, et de l'article 13 par exemple stipulant que « Toute

6 Ulrich Beck, Qu'est ce que le cosmopolitisme. Ed Aubier, 2006

7 Source www.persees.fr. Alejandro Portes, « La mondialisation par le bas. L'émergence des communautés transnationales », In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 129, septiembre1999. Délits d'immigration. pp. 15-25.

8 Monique Chemillier Gendreau, professeure émérite de droit public et de sciences politiques à l'université Denis-Diderot-Paris-VII

personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays 9».

Catherine Whitol de Wenden10 s'interroge sur le droit à la mobilité en fonction des données empiriques du phénomène migratoire, elle met en lumière les aspects paradoxaux de la mondialisation en dénonçant le manque de perspectives des politiques migratoires. Elle examine le problème de l'ouverture des frontières sous l'angle de la discordance entre la réalité du monde contemporain : la libre circulation des capitaux, des biens, des informations, des idées d'une part, et la fermeture des frontières d'autre part, qui bloque la libre circulation des humains.

Dans ce travail de recherche, et avec ma modeste expérience de chercheur, je veux interroger à mon tour, la valeur et le rôle de l' « expérience multiculturelle » dans les bouleversements de l'appartenance (nationale) et de l'identité. En effet, l'expérience multiculturelle peut avoir d'innombrables effets sur une personne : cela peut aller d'avoir la « tourista » jusqu'à la remise en question de la plus chère des certitudes, ou à l'effondrement soudain de la plus grande des convictions. Elle peut donner vie au plus noble des sentiments ou tuer le plus grand des espoirs. Une expérience multiculturelle peut renforcer le plus idiot des préjugés ou donner un tournant profond dans la conception de la vie et de la mort. Chaque personne vit la confrontation à la différence d'une façon particulière et cela peut déclencher une réaction conséquente.

Dans ce travail, j'interroge principalement la transformation du sentiment d'appartenance nationale, et la réorganisation de l'identité comme conséquence d'un acte migratoire entendu comme une « expérience multiculturelle ». Je parle plus précisément des répercussions de l'expérience multiculturelle dans la remise en question du caractère normatif de l'appartenance à une nation et la réorganisation de l'identité que cela implique. Le sentiment d'appartenance nationale est au centre de ma recherche et constitue l'origine de mon questionnement.

9 Source site web des Nations Unis www.un.org, Mai 2010.

10 Catherine Whitol de Wenden, Faut-il ouvrir les frontières ?, Paris Presses de Sciences Po, 1999. Coll. "La bibliothèque du citoyen".

Ma problématique est donc la suivante : Nous sommes tous nés quelque part et de quelqu'un. L'Etat-nation cherche à s'approprier ces deux faits en leur donnant une valeur et un sens propre, ce qui se traduit par l'appartenance nationale. L'appartenance nationale est un type de filiation identitaire fondée sur des faits objectifs et non objectifs réinterprétés afin de leur donner une cohérence au sein d'un système de représentation collective qui lui est propre et unique. Notre système cognitif est profondément influencé par ces formes de représentation de l'identité et cela conditionne nos rapports envers les autres univers nationaux.

Dans la première partie de ce mémoire, je cherche à éclaircir la place de l'étatnation dans la construction identitaire, Quel est le rôle de l'état-nation dans la construction de l'appartenance ? Comment l'appartenance nationale et l'arsenal symbolique de l'étatnation s'insèrent-t-ils dans nos systèmes de représentation ? Quelles sont les formes de réinterprétation politique de l'appartenance nationale et comment s'insèrent-elles dans le contexte de la mondialisation ?

Ensuite, et après avoir abordé les enjeux de l'identité dans le contexte de la mondialisation, je vais analyser l' « expérience multiculturelle » comme vecteur de l'évolution de l'identité, en me basant sur un travail de terrain et sur l'analyse sémiotique des documents. Quels peuvent être les répercussions de l'expérience multiculturelle dans le sentiment d'appartenance nationale ? Si l'expérience multiculturelle produit un effacement progressif de l'appartenance nationale et un bouleversement des repères identitaires chez certaines personnes, quelle sont les aboutissements de cette réorganisation identitaire ?

Cela nous amène au questionnement principal sur lequel je vais avancer des hypothèses : L'expérience multiculturelle peut-elle dessiner une identité qui s'affranchit progressivement des catégories rationnelles du national ? L' « Identité cosmopolitique11 » (Voir chapitre 2) est-elle le résultat de ce processus ? Quel est le rôle du rapport aux

11 J'appelle «Identité cosmopolitique» la réorganisation de l'identité suite à un acte migratoire entendu comme expérience multiculturelle. Ce concept est une transposition et une reconfiguration conceptuelle que j'ai construit à partir de la critique épistémologique de la sociologie et des sciences sociales développée par Ulrich Beck dans l'ouvrage « Qu'est-ce que le cosmopolitisme ? ». L'Identité cosmopolitique exprime la possibilité d'être natif d'un lieu et de toucher à l'universalité, sans renier sa particularité. Il s'agit d'un mélange de plusieurs identités et d'un sentiment d'appartenance au-delà des nations.

origines et du rapport à la société d'accueil dans la construction de l'Identité cosmopolitique ? L'Identité cosmopolitique se profile-t-elle uniquement suite à une expérience multiculturelle importante ?

Et enfin, cet effacement progressif du sentiment d'appartenance national laisse-t-il la place à un sentiment d'appartenance plus large, voire mondial ?

Les hypothèses avec lesquelles je vais tenter de répondre à ces questionnements sont les suivantes :

1. L'« expérience multiculturelle » produit chez certains individus, une « reconfiguration identitaire » qui s'inscrit dans un processus de détachement et de transformation du sentiment d'appartenance nationale12. L'Identité cosmopolitique est le résultat de ce processus, elle se traduit par une contestation et un affranchissement progressif des catégories rationnelles du national dans l'expérience du quotidien.

Sous hypothèses :

a) Ce processus se divise en deux phases : la première se définit en fonction du rapport que l'individu entretient avec son pays d'origine et la deuxième est déterminée par la relation que l'individu entretient avec les cultures d'accueil.

2. La constitution de l'Identité cosmopolitique est impossible en absence de l'expérience multiculturelle.

3. L'Identité postnationale correspond au stade qui précède l'Identité cosmopolitique

4. L'Identité cosmopolitique ainsi que l'Identité post-nationale se traduisent par un sentiment d'appartenance à une communauté globale.

12 Notion d' «Appartenance nationale» selon Gérard Noiriel Gérard, A quoi sert l'identité nationale, Paris 2007, Ed. Agone

Essayer de confirmer correctement ces hypothèses soulève d'importants problèmes épistémologiques. Premièrement, quel est l'angle le plus adéquat pour aborder l'état-nation et le sujet de l'appartenance nationale compte tenu des différences profondes entre les état-nations eux-mêmes? Combien de façon de comprendre l'appartenance nationale y a-t-il ? Quelles sont les adjonctions qui sont susceptibles de la faire évoluer en fonction des cas ? Nous pouvons en effet distinguer des différences colossales dans la conception de la nation entre un état-nation par excellence tel que le Japon et par exemple la Serbie ; les enjeux ne sont pas du tout les mêmes. Comment peut-on traiter par exemple, le sentiment d'appartenance nationale de France ou d'Israël sur le même plan ? Et puis il y a des Etats plurinationaux tels que le Liban ou l'Inde, des états organisés sous forme de confédération tels que la Suisse. Et qu'en est-il du sentiment d'appartenance chez les ressortissants de Hong-Kong, Singapour ou Macao ? Comment peut-on aborder l'identité nationale dans cet aussi large éventail culturel ?

Deuxièmement, chaque état-nation est inséré dans la mondialisation et dans le concert international des nations de façon différente. Il y a aussi de profondes inégalités en matière de développement. De toute évidence, approfondir l'analyse en prenant indépendamment l'identité de tous les états-nations du monde est un travail aussi impossible qu'inutile, et en même temps, choisir un état parmi tous les autres états risquerait d'être motivé par une démarche arbitraire.

Afin d'éviter les incohérences épistémologiques, dans la première partie de ce travail, je vais donc aborder les aspects qui sont communs aux processus de constitution des états-nations dans l'édification de l'appartenance nationale, c'est-à-dire, le secret de sa réussite : sa capacité à relier et à fédérer des forces.

Ensuite je vais expliquer les différentes façons de comprendre la mondialisation ainsi que les typologies de l'appartenance identitaire et politique qui en découlent.

Et enfin, le terrain sur lequel je vais appuyer le travail déductif est l'association Citoyens du monde. Il s'agit d'un collectif qui existe depuis 1948 et qui possède un parcours remarquable dans le domaine de la militance et de la contestation de la logique

des états-nations. Or, j'estime que le mouvement mondialiste est un terrain particulièrement fécond et pertinent pour appuyer ma recherche. La vaste expérience des Citoyens du monde en ce qui concerne la contestation de la notion de nationalité, non seulement politico-militante mais aussi humaine et intellectuelle, est pour moi une source indispensable afin de mener à bien l'ensemble de ma recherche.

I. L'Etat-nation et la construction de l'appartenance

« On entend par Nation un groupement d'hommes réunis par une même erreur sur leur origine et une commune aversion à l'égard de leur voisin 13».

1. Le mythe de l'Etat-nation : de l'étymologie à la réalité sociale, la quête d'une allure ontologique pour l'Etat-nation

a) L'origine du mot et le succès historique de l'Etat-nation

Lorsque nous regardons une carte politique du monde d'aujourd'hui, nous pouvons constater que la superficie de la planète est une immense mosaïque colorée, entièrement constituée de différentes couleurs (ou divisée d'ailleurs en différentes couleurs). Ces formes colorées recouvrent la surface terrestre dans presque toute son étendue, depuis le Cap de Bonne espérance jusqu'au-delà du cercle polaire arctique, du détroit de Béring jusqu'au Cap Horn et de l'Australie jusqu'à la Turquie en passant par l'archipel de l'Indonésie, le Japon et l'Islande même si ce n'est pas sur la route. Il y a des formes colorées partout : démesurées ou infiniment petites, rondes, hexagonales ou sans forme pour la plupart d'entre elles. Chacune de ces couleurs, comme vous l'avez bien compris, représente ce qu'on appelle un Etat-nation.

La superficie presque totale de la planète apparait comme un découpage quasi chirurgical formant un véritable puzzle où, dans chaque pièce, siège la légitimité politique et culturelle des sociétés nationales. La « société mondiale » se trouve ainsi fragmentée en des univers souverains délimités les uns par rapport aux autres, chacune des ces pièces colorées symbolise d'ailleurs une intégralité sociale et culturelle à part entière. Mais, comment se fait-il, tenant compte de l'immense diversité humaine, que cette mosaïque colorée soit aussi bien délimitée ? Les couleurs ne se chevauchent pas entre elles, il n'y a pas des dégradés ou de demi-tons, il y a même des lignes droites longues comme deux fois la France. Par ailleurs, les endroits où le contour n'est pas

13 Albert Mousset. Paradoxes et anticipations

parfaitement découpé, ou découpé avec une ligne discontinue, constituent une anomalie flagrante qui interpelle notre entendement. C'est ainsi qu'en regardant par exemple le Sahara occidental sur « une carte du monde politique 14», nous l'apercevons comme une étrangeté, un disfonctionnement géopolitique présumé temporaire, ou en tous cas en attente d'une solution, car si ce n'est pas un état-nation, qu'est-ce ça pourrait bien être d'autre ? Ces exceptions à la norme nous laissent automatiquement supposer que il ne s'agit probablement pas d'une démocratie, que les Droits fondamentaux de ses habitants ne sont pas assurés, que la prospérité économique est compromise.

Or, si l'on veut comprendre les raisons de l'hégémonie universelle de l'étatnation la question la plus naturelle à se poser serait : qu'est-ce qu'un état-nation ? Alors cette question, aussi évidente qu'elle puisse paraitre, ne nous permettra pas de saisir l'ensemble des agencements dialectiques et symboliques qui font du phénomène d'étatnation un sujet aussi complexe et passionnant. La question la plus pertinente à formuler serait plutôt, que représente un état-nation ?

Commençons donc par le début. « Etat-nation » est un concept composé de deux mots « état » et « nation ». Selon l'encyclopédie Larousse un « état » est une « Société politique résultant de la fixation, sur un territoire délimité par des frontières, d'un groupe humain présentant des caractères plus ou moins marqués d'homogénéité culturelle et régi par un pouvoir institutionnalisé 15». La définition de la notion

d' « état » reste donc relativement claire. Cependant ce n'est pas la notion d' « état » qui pose des problèmes, sinon plutôt la définition de « nation » et en conséquence l'assemblage des deux : « état » et « nation ».

On trouve trois grandes sources étymologiques quand on remonte aux origines de l'idée de « nation » :

- soi-même, étant né de parents connus

- l'identité, la naissance, l'héritage

- la conscience de soi, l'origine, après un apprentissage16

14 Carte «Le monde politique» 2007. Institut nationale de géographie de France

15 Source www.larousse.fr

16 Gil Delannoi, Sociologie de la nation. Fondement théoriques et expériences historiques, Paris, Ed Armand Colin, 1999

Le mot « nation » vient du latin natio, nationis qui désignait l'espèce, l'ethnie, le peuple avant de dériver vers le sens moderne. Cependant ce sens premier est loin encore de la signification actuelle : nous devons rajouter d'autres éléments, comme par exemple, le fait qu'on est forcement né quelque part et de quelqu'un, c'est-à-dire la terre et le sang. Gil Delannoi nous rappelle que les composantes étymologiques du mot nation nous mènent à l'idée que pour former une nation il faut être nés ensemble, être héritier d'un

même sang, d'un même sol, d'une même langue, avoir grandi ensemble en ayant partagéles mêmes moeurs17. Nous commençons à entrevoir la plasticité et la polyvalence du concept de nation qui s'associe par moments à celui d'ethnie, de race ou de population.

Jusqu'ici le contenu étymologique et sémantique du mot nation parait relativement clair. Maintenant nous allons nous centrer sur le jonglage symbolique qui existe autour du concept de nation et qui s'est articulé au fil des ces deux derniers siècles, essentiellement en Europe.

Le concept de nation peut porter en lui la métaphore de la famille. En effet, le discours national se travestit régulièrement avec celui de famille : « patria » par exemple, veut dire sol qui appartiens au père18, cela nous amène automatiquement à des rapports d'affection, de protection, de loyauté, d'obéissance et d'autorité. De même pour le terme « mère patrie » qui nous amène également aux notions de maternité, fraternité et amour. Ce fort contenu symbolique évoque la chaine de générations et d'ancêtres qu'on n'a pas connus : le passé, le présent et la promesse du futur se trouve réunis.

En ce qui concerne la définition moderne de nation, c'est simple : il n'y en a pas. La nation est une idée variable qui manque de cohérence nous dit Gil Delannoi19. Néanmoins elle évoque au sens moderne plutôt les moeurs, les tempéraments et l'esthétique comportementale d'un peuple. En tous les cas, il n'y a pas de définition exacte ou définitive commune et applicable à tout le monde. Paradoxalement le succès du concept de nation réside justement en sa polyvalence sémantique. « Nation est une forme existentielle de la vie politique. C'est un être théorique et esthétique, organique et artificiel, individuel et collectif, universel et particulier, indépendant et dépendant,

17 Idem

18 Idem

19 Gil Delannoi. Sociologie de la nation. Fondement théoriques et expériences historiques, Paris, Ed

Armand Colin, 1999

idéologique et apolitique, transcendant et fonctionnel, ethnique et civique, continu et discontinu 20».

Comment peut-on parler de nation sans revisiter l'histoire ? Il est évident que ce sont des processus historiques et des expériences politiques qui ont donné lieu au concept moderne de nation, des expériences essentiellement européennes. Toutefois, nous nous trouvons devant un dilemme épistémologique car si l'on souhaite établir une approche historique, quel cas de figure choisir et pourquoi ? Nous l'avons dit, la genèse et le développement de ce processus identitaire se trouve en Europe mais elle s'est répandue dans le monde entier avec toutes les réadaptations, altérations et reconfigurations qui résultent d'un tel élargissement. En France par exemple il a fallu attendre le progrès de la culture écrite au XIX siècle pour voir l'émergence d'une « République des lettres » et placer ainsi les discours, les débats et les luttes au nom de la nation dans l'espace public. Comment peut-on analyser les enjeux liés à l'idée de nation tout en évitant une démarche ethnocentriste? Nous pouvons revenir sur la guerre de Cent ans considérée par certains historiens comme l'aube du sentiment national français. Mais pourquoi ne pas parler, par exemple, de l'Afrique du Sud ? C'est un pays en quête de sentiments nationaux conciliateurs et unificateurs. Ou plutôt approfondir l'histoire de l'Argentine ou du Népal ? Par ailleurs, il faut savoir qu'en termes de composition d'entité nationale, des données similaires peuvent aussi produire des résultats opposés. Par exemple, la France et l'Angleterre : deux état-nation par excellence, deux révolutions industrielles (un peu décalées chronologiquement mais comparables), deux précurseurs de la démocratie moderne, deux puissances coloniales, deux puissances économiques, etc. et pourtant avec des visions très différentes de ce qu'est une nation et de la dialectique qui s'entretient entre les composantes internes et externes de la nation. Nous pourrions parler aussi des Etats-Unis qui ont un concept de nation basé sur des principes fédérateurs très distincts de ceux de la France tel que l'idée du melting pot ou le Rêve américain. Et après tout, pourquoi l'histoire d'un état-nation serait-elle plus représentative ou rendraitelle mieux compte de la formation des identités nationales que l'histoire d'un autre ? Et puis même si l'apparition de l'état-nation moderne a commencé en Angleterre et en France, il s'agit, comme nous l'avons dit, d'un phénomène qui s'est étendu à l'échelle planétaire. Il est évident, par exemple, que les faits historiques qui ont donné naissance à

20 Idem

l'Inde sont autres que ceux qui ont donné lieu à la constitution de la Suisse. Nonobstant, il y a des choses communes entre ces deux cas. En effet, même si l'esthétique des nations n'est pas uniforme, le concept est analogue à tous les autres dans le sens où il a été mobilisé de façon similaire et au nom d'un même objectif: la poursuite d'un principe fédérateur.

Il ne faut pas perdre de vue que l'objectif principal d'une approche historique dans notre contexte analytique ce n'est pas de faire la généalogie des états-nation, mais plutôt d'établir une approche historique qui vise surtout à rappeler que les nations ne sont pas des entités réellement existantes et omniprésentes dans l'histoire de l'humanité et que leur constitution est liée à des expériences historiques et politiques réinterprétées et replacées dans un système de représentations symboliques. En effet, la nation ne va pas de soi, « Le « secret » », écrit M. Foucault, « est que les choses sont sans essence ou que leur essence a été construite pièce à pièce à partir de figures qui lui étaient étrangères21 »

Ernest Renan dresse un constat de la condition pré-nationale des sociétés humaines. Les nations modernes « sont quelque chose d'assez nouveau dans l'histoire. L'antiquité ne les connut pas ; l'Égypte, la Chine, l'antique Chaldée ne furent à aucun degré des nations », et il continue, « ...Il n'y eut pas de citoyens égyptiens, pas plus qu'il n'y a de citoyens chinois. L'antiquité classique eut des républiques et des royautés municipales, des confédérations de républiques locales, des empires ; elle n'eut guère la nation au sens où nous la comprenons. Athènes, Sparte, Sidon, Tyr sont de petits centres d'admirable patriotisme ; mais ce sont des cités avec un territoire relativement restreint. La Gaule, l'Espagne, l'Italie, avant leur absorption dans l'Empire romain, étaient des ensembles de peuplades, souvent liguées entre elles, mais sans institutions centrales, sans dynasties. L'Empire assyrien, l'Empire persan, l'Empire d'Alexandre ne furent pas non plus des patries. Il n'y eut jamais de patriotes assyriens et l'Empire persan fut une vaste féodalité...22».

Nous allons donc continuer à souligner des aspects qui sont communs aux formations des états-nations, et à ce propos nous pouvons continuer à citer Ernest Renan, « L'oubli,

21 Michel Foucault, L'Ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971

22 Ernest Renan. Qu'est-ce qu'une nation ?, Paris, Ed Agora, Pocket, 1992

et je dirai même l'erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d'une nation, et c'est ainsi que le progrès des études historiques est souvent pour la nationalité un danger. L'investigation historique, en effet, remet en lumière les faits de violence qui se sont passés à l'origine de toutes les formations politiques, même de celles dont les conséquences ont été le plus bienfaisantes. L'unité se fait toujours brutalement ; la réunion de la France du Nord et de la France du Midi a été le résultat d'une extermination et d'une terreur continuée pendant près d'un siècle »

Les exemples de violence « interne » au nom de la nation comme principe unificateur sont communs aux formations des états-nations. « La Pacificación de l'Araucanía » correspond au massacre systématique des indiens organisé par l'état Chilien afin d'éradiquer les éléments démographiques qui étaient considérés comme des obstacles aux efforts d'homogénéisation culturelle de l'état-nation. Les indiens en Argentine ont suivi les même sort. De même pour la violence linguistique mise en place par Atatürk en Turquie, l'unification par la langue de l'Allemagne ou pour citer un exemple d'actualité, la répression exercée par l'état Chinois sur les populations Tibétaines obéit à la même démarche.

Nous ne pouvons pas dissocier l'émergence des états-nations de l'émergence de l'économie mercantiliste et de l'essor du capitalisme en Europe. L'état-nation semble accompagner la révolution industrielle et le processus de colonisation. Il y a eu, effectivement, un processus de prolétarisation de la force de travail, une nouvelle classe sociale a vu le jour. En effet, le développement des structures de marché et des rapports de classes propre au capitalisme moderne était beaucoup plus adapté et plus propice à la nouvelle logique sociale et industrielle que les anciens rapports féodaux. Cependant, il reste difficile d'associer la formation des nations a un « projet bourgeois 23» tout simplement parce que l'exploitation du travail salarié n'implique pas directement une forme d'état, de plus, la production capitaliste possède la caractéristique et la tendance intrinsèque de vouloir dépasser les cadres nationaux.

En conclusion, face aux différences historiques entre les états-nations, face à la différence entre l'histoire des développements économiques, face à la dissemblance entre

23 Etienne Balibar et Immanuel Wallerstein, Race, Nation, Classe. Les Identités ambigües, Paris, Ed La Découverte. 1990

les processus sociopolitiques propres à chaque pays et face aux particularités de chaque région du monde, il ne nous reste qu'à souligner que le concept de nation est une « indétermination fondamentale » et c'est là que réside sa puissance dans la politique de masse. La nation se révèle propice à diverses formes d'adhésion de masse, l'Afrique du Sud appelée aussi « la nation arc-en-ciel », est bon exemple de la polyvalence sémantique de la nation. Sa plasticité a fait son succès, elle peut même se présenter comme une variante d'une religion universelle ou comme une forme laïque du culte de la démocratie. Faire appel à la nation permet souvent de « concilier des principes qui sont antinomiques (Liberté et égalité), elle peut s'inverser dans des métaphores idéologiques (droite, gauche) 24». Sa versatilité se prête à un véritable mimétisme idéologique (communisme et capitalisme), un camouflage conceptuel avec une capacité à résoudre ou à masquer les contradictions de la référence nationale. Universalité et particularité se trouvent réunies, « cette capacité à épouser des causes les plus diverses peut expliquer la réussite de la nation, un atout idéologique25 », un socle idéal pour construire la singularité imaginaire des formations nationales.

L'Etat-nation fonctionne donc comme une entité capable d'insérer dans son territoire des groupes humains divers ou relativement homogènes. Historiquement les Etatsnations ont investi des énergies colossales pour unir et assembler les particularités de groupes ethnoculturels susceptibles de faire partie d'un ensemble cohérent, ce dernier pouvant être à caractère réel ou symbolique. À force d'artifices et de convictions, de convenances et de certitudes, de violences et de fraternité, d'exclusion et de solidarité, l'Etat-nation se veut légitime, naturel et incontestable. La nation est cette unité qui autorise à dire « nous sommes un peuple ».

b) Universalisme, race, ethnie et citoyenneté : réalité et fiction de l'appartenance

Nous ne pouvons pas aborder le sujet de la race, de l'ethnie et de la citoyenneté sans faire au moins référence à leur toile de fond : l'idéologie universaliste. L'universalisme est un sujet très vaste et mériterait des centaines et des milliers pages, au-delà que ce qui

24 Gil Delannoi, Sociologie de la nation. Fondement théoriques et expériences historiques, Paris, Ed Armand Colin, 1999

25 Idem

lui a déjà été consacré. Toutefois, il n'y a pas d'intérêt à l'aborder dans toute son étendue et sa complexité puisqu'on finirait probablement par se perdre en cours de route. Nous allons tout simplement dégager les éléments principaux afin de comprendre dans quelle mesure la construction sémantique de la race, de l'ethnie et de la citoyenneté est influencée par cette catégorie historique qui a façonné la pensée occidentale.

La doctrine universaliste promeut un principe suprême d'égalité entre les hommes, dont les Droits de l'Homme, par exemple, font partie. Nous pouvons identifier sa source dans des aspects de la pensée monothéiste chrétienne qui se sont reconverties à l'économie-monde capitaliste. Dieu est unique, et il règne sur l'espèce humaine, laquelle est également unique, ce système de pensée reconnait ainsi l'unicité de l'humanité. Les Lumières au XVIIIème siècle auraient laïcisé cette maxime en faisant émaner l'égalité morale et les droits de l'homme de la nature humaine elle-même, nos droits deviennent donc ainsi des droits naturels qui font partie intégrante de la condition humaine. L'époque moderne a été ainsi marquée par la proclamation de l'égalité entre les hommes, refusant toute différence substantielle entre les hommes du fait d'une nature humaine commune.

Il peut paraitre paradoxal de baser des différences sur un principe d'égalité, et cela l'est d'une certaine façon. La contrepartie de cet altruisme universaliste d'inspiration humaniste est qu'il porte en lui un fort caractère évolutionniste, il suppose une évolution unilinéaire de la culture en tant qu'attribut universel de l'Homme : dans le sommet de cette évolution se trouve ni plus ni moins la culture européenne (Incarnée par la République dans le cas de la France). Cette vision hiérarchisante de la nature humaine n'est pas sans conséquences. Les campagnes de colonisation par exemple ont été justifiées moralement et idéologiquement par les principes de l'Universalisme républicain. En effet, la démarche est fondée sur l'idée qu'il faut amener les « autres races » vers le stade supérieur de la modernité, de la technique, de la démocratie, du progrès économique et vers tous ce qui est susceptible d'appartenir substantiellement aux aspects les plus illustres de notre civilisation et qui sont, en même temps, voués à toute l'humanité. « Les Lumières fournirent plusieurs idées nouvelles au discours racial, en premier lieu l'accent mis de nouveau sur l'idée de hiérarchie. Toutes les races appartenaient à l'humanité, mais elles n'étaient, bien sûr, pas toutes égales. Les écrivains du XVIIIe siècle soulignaient les différences humaines comme susceptibles de

développement, non immuables, les races moins avancées pouvant graduellement progresser et accéder à la civilisation. Par exemple, ils tendaient à remplacer le terme de « sauvage » par celui de « primitif », considérant les non-Blancs comme moins évolués que les Blancs 26».

« Race », voilà le mot peut-être le plus maudit du XXème siècle, qui porte en lui la plus grande des croix. Le concept de race a réussi à canaliser les instincts les plus ignobles et à donner un support idéologique tordu à la haine et à la xénophobie.

D'où vient ce mot et qu'est-ce qu'il veut dire? Cela peut paraitre surprenant, mais on a dressé le rapport à la différence sur quelque chose qui n'existe même pas. Cette terminologie est source d'énormes controverses lorsqu'on l'applique à l'espèce humaine. Aujourd'hui, la race n'est reconnue en tant que critère d'analyse ni par la sociologie, ni par la biologie. On trouvera malheureusement toujours des pseudo-scientifiques bornés qui affirment que la race existe, et qu'il suffit de regarder, qu'il y a des « noirs » et des « blancs », mais ce n'est pas aussi simple. Nous allons laisser tout cela pour le réconfort de la médiocrité intellectuelle des partisans du Front national.

La perception actuelle que l'on a de la « race » vient de l'anthropologie physique du début du XIX siècle27. L'anthropologie physique est la science qui étudie la diversité de la morphologie et de la physiologie des groupes humains, elle cherchait une explication aux différences sociales des hommes et elle a avancé la conclusion que les différences culturelles, sociales ou historiques sont symbolisées par les traits physiques. « L'anthropologie physique cherchait à constituer des classes d'animaux humains qui correspondent à une classification en type de civilisation ». Au XIXème siècle, « race » désignait donc une totalité somatico-sociale et c'est là où réside la thèse fondamentale du racisme théorique : la variété de formes culturelles est fondée et expliquée par la variété de formes physiques.

Bien que beaucoup de travaux aient montré que la causalité raciale « n'avait aucun sens » et que la race n'existait pas au sens strict, l'erreur s'est perpétuée. Comprendre

26 Tyler Stovall « Universalisme, différence et invisibilité. Essai sur la notion de race dans l'histoire de la France contemporaine ». Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique. Numéro 96-97 (2005).

27 Pierre Morel, L'anthropologie physique, Paris, Presses universitaires de France, Que Sais-Je ? 1962

que la source généalogique de l'acception moderne du mot race se trouve dans l'anthropologie physique n'explique pas le pourquoi de sa persistance dans la croyance commune. En effet, l'erreur s'est poursuivie comme si elle nous arrangeait, et en réalité, c'est le cas.

Nous allons exposer deux raisons de ce fait de persistance de la notion de race. A la base ces perceptions sont distinctes, mais elles trouvent leur point de convergence dans les pratiques sociales.

Nous pouvons entrevoir de quelle façon le concept de nation établit un jeu douteux d'association avec celui de race : la nation en tant qu'allégorie de la race, une pureté ancestrale qui vient des temps immémoriaux, héritée et inhérente à la création des espèces, qui mérite donc d'être sauvegardée. En effet, l'idée de nation cherche dans la race un fondement anthropologique, comme si la nation était l'aboutissement d'une sélection naturelle, pourtant « les nations ne constituent pas une version politique de la doctrine des espèces naturelles 28» nous rappelle Ernest Gellner.

Ernest Renan nous amène de nouveaux éléments à ce sujet dans le cas européen, « La conscience instinctive qui a présidé à la confection de la carte d'Europe n'a tenu aucun compte de la race, et les premières nations de l'Europe sont des nations de sang essentiellement mélangé »... « Un Anglais est bien un type dans l'ensemble de l'humanité. Or le type de ce qu'on appelle très improprement la race anglo-saxonne n'est ni le Breton du temps de César, ni l'Anglo-Saxon de Hengist, ni le Danois de Knut, ni le Normand de Guillaume le Conquérant ; c'est la résultante de tout cela. Le Français n'est ni un Gaulois, ni un Franc, ni un Burgonde. Il est ce qui est sorti de la grande chaudière où, sous la présidence du roi de France, ont fermenté ensemble les éléments les plus divers », il continue, la race « ... n'a donc été pour rien dans la constitution des nations modernes. La France est celtique, ibérique, germanique. L'Allemagne est germanique, celtique et slave. L'Italie est le pays où l'ethnographie est la plus embarrassée. Gaulois, Étrusques, Pélasges, Grecs, sans parler de bien d'autres éléments, s'y croisent dans un indéchiffrable mélange... », « ...La vérité est qu'il n'y a pas de race pure et que faire reposer la politique sur l'analyse ethnographique, c'est la faire porter sur une chimère.

28 Ernest Gellner, Nations et nationalismes, Paris, Ed Payot 1999

Les plus nobles pays, l'Angleterre, la France, l'Italie, sont ceux où le sang est le plus mêlé 29»

Il nous parait judicieux de faire une petite parenthèse afin d'expliquer le contexte historique où se situe le célèbre discours d'Ernest Renan. En effet, le discours de ce dernier se place dans une dichotomie conceptuelle qui affronte deux théories de la nation. Fisher, son homologue allemand, propose une définition basée principalement sur des critères ethnique qui légitiment l'annexion de l'Alsace-Loraine par l'Allemagne. Renan défend une conception élective de la nation, selon lui la légitimité politique de la nation repose sur la volonté des citoyens de vivre ensemble, le sentiment d'appartenance prime sur les considérations d'ordre ethnique, autrement dit, il fait un appel à la conscience historique et à la communauté de destin.

Nous allons maintenant reprendre les réflexions de l'auteur Colette Guillaumin30, qui nous propose une toute autre explication du fait que la dichotomie race/société ne soit pas encore entrée dans le sens commun. En effet, dans la pensée occidentale, et cela se reflète dans les structures des langues, il existe une cohésion profonde entre nos systèmes de pensées et de représentations du somatique et du socio-psychologique. Il s'agit donc des caractéristiques propres de nos systèmes de représentation et de nos processus perceptifs, c'est pour cela que l'acte raciste est le même dans le fond mais sa forme change en fonction de contextes historiques et sociaux. Il s'agit d'une sorte de fatalité cognitive occidentale, un reflet symbolique propre de la « psychologie des sociétés », un problème au niveau de notre organisation inconsciente et de nos systèmes perceptifs.

La psycho-sociologie montre l'existence d'un fait race. C'est-à-dire que si la race n'existe pas objectivement, cela n'en détruit pas pour autant la réalité psychologique et sociale de la race. Il parait évident que les caractères physiques ne déterminent jamais les comportements sociaux. Le fait race (ou l'idée de race) serait une manifestation de la nature sociale de l'homme et de son désir de hiérarchisation. Les « noirs » du XVème siècle et les « noirs » du XXème par exemple ne désignent ni les mêmes personnes ni les mêmes civilisations. Le « peuple » fut le support de la première théorie des différences

29 Ernest Renan. Qu'est-ce qu'une nation ?, Paris, Ed Agora, Pocket, 1992

30 Colette Guillaumin, L'idéologie raciste, genèse et langage actuel, Paris, Ed Gallimard 2002

raciales fin XVIIIème, théorie basée sur la différence de « nature » entre ouvriers et patrons. La différenciation raciale entre noirs, jaunes ou blancs est historiquement récente. De ce fait, nous devrions constater, dans les années à venir, que l'essor époustouflant de la Chine va brouiller les anciennes représentations de la supposée infériorité de la « race jaune ».

L'«Ethnie », en revanche, est une création de l'anthropologie culturelle, elle désigne un groupe relativement localisé dans l'espace. Cependant cela reste une terminologie ambiguë puisque « ethno » en grec se traduit par « race » dans les langues occidentales. La terminologie d' « ethnie » a été une tentative de distance des sciences sociales envers les connotations héréditaires qui marquent le terme « race » et que nous venons d'exposer.

Malgré tout, l'anthropologie culturelle a réussi à dissocier le concept biologique du concept de culture. Méthodologiquement elle donne une description des cultures indépendantes des divisions et classifications de l'anthropologie physique.

Selim Abou31 entend par groupe ethnique un groupe dont les membres possèdent, à leurs propres yeux et aux yeux des autres, une identité distincte enracinée dans la conscience d'une histoire ou d'une origine commune, réelle ou symbolique. Ce fait de conscience est fondé sur des données objectives telles qu'une langue, une race, une religion commune, voire un territoire, des institutions ou des traits culturels communs.

Il y a trois facteurs fondamentaux qui composent l'identité ethnique : la langue parce que, tout en étant un élément parmi d'autres de la culture, elle transcende les autres éléments dans la mesure où elle a le pouvoir de les nommer, de les exprimer et de les véhiculer. La religion parce qu'elle modèle une vision du monde et une échelle de valeurs. La race parce que, quel que soit son degré d'indétermination, elle renvoie symboliquement à l'origine commune et mobilise les forces obscures de l'instinct, du sexe et du sang. Ces trois facteurs, qui sont réalité et symbole, sont susceptibles d'acquérir une dimension véritablement mythique propre à établir ou à fausser la réalité en fonction des intérêts politiques, sociaux, économiques et culturels.

31 Selim Abou, L'Identité Culturelle, Beyrouth, Ed Perrin - Presses Universitaire Saint-Joseph, 2002

L'identité ethnique dépend en partie de la manière dont le groupe interprète et réinterprète sa propre histoire. Elle échappe en grande partie à la conscience du groupe, elle est vécue comme naturelle et le groupe en prend conscience seulement lorsqu'il se voit confronté à un groupe culturellement différent. Cette dialectique s'articule d'avantage en mettant en évidence les oppositions que les ressemblances.

Or, l'identité ethnique est un phénomène susceptible de varier ou de se voir modifié, c'est-à-dire qu'elle est potentiellement altérable et s'enrichit en cours de route : par sa propre nature elle est inachevée. Aucune nation moderne ne possède d'ailleurs une base « ethnique » donnée, même lorsqu'elle procède d'une lutte d'indépendance nationale.

Suite à l'analyse des notions de race, d'ethnie et de nation, nous allons voir un autre concept indissociable de l'état-nation, la citoyenneté. La citoyenneté (« politeia » en grec) est un concept aussi ancien que la politique elle-même. Elle est liée simultanément à une certaine idée de la souveraineté, de l'autonomie ou de l'autodétermination, ainsi qu'à l'existence d'un état, au sein duquel le potentiel individuel de participation aux décisions politiques doit s'exprimer. A première vue, la citoyenneté parait un concept plus démocratique et moins excluant que la nation, la race ou l'ethnie, mais ce n'est pas du tout le cas.

Au même titre que la nation, la notion de citoyenneté s'inscrit historiquement dans un processus constant de redéfinition. Aristote disait que chaque régime politique projette une certaine définition de la citoyenneté car celle-ci délimite un certain modèle de droits et de devoirs32.

Cette véritable institution de l'état-nation, s'accompagne, par définition, d'un principe d'exclusion sans lequel il n'y a ni communauté ni souveraineté. En effet, il n'y a de la citoyenneté que là où il y a cité et où les « citoyens » sont clairement distingués des « étrangers » en terme de droits et d'obligations sur un territoire donné. La citoyenneté fonctionne comme un critère supplémentaire pour établir la dichotomie entre « Nous » et

32 Etienne Balibar, Les frontières de la démocratie, Paris, Ed La découverte 1992

« Eux », c'est un instrument de différenciation et de hiérarchisation des légitimités civiques. La citoyenneté symbolise et concrétise un fait de partage du pouvoir.

La notion de citoyenneté est divergente selon les pays, car elle dépend de la valeur que chaque état souhaite lui donner. Ceci s'explique parce qu'elle est étroitement rattachée à la notion de nationalité, et que la notion de nationalité est aussi, à son tour, variable selon le pays. La nationalité est souvent vue comme le fondement premier du droit à la participation citoyenne et vice-versa.

Il s'articule ainsi une confusion entre les aspects identitaires et politiques, entre l'identité et le droit, entre la culture et la politique, entre le civique et l'origine des populations. Les registres d'appartenance et d'engagement politique montrent que la pratique de la citoyenneté devrait se détacher d'une conception exclusivement liée à l'identité nationale33.

En conclusion, la notion de citoyenneté a une implication directe dans l'édification et le maintien des identités et des appartenances nationales. De ce fait, l'exercice complet des droits politiques est un élément capable de générer appartenances et allégeances. Cela veut dire que la participation citoyenne à une structure ou à une entité autre que l'état-nation d'origine peut avoir un rôle déterminant dans le processus d'affranchissement du sentiment d'appartenance nationale et d'évolution de l'identité nationale.

c) Les documents, le territoire, et les enjeux du déplacement

Si les vastes plaines, les fleuves et les montagnes qui recouvrent la Terre avaient demandé des papiers pour circuler à l'homo habilis il y a 2,5 Millions d'années, nous serions tous nés en Afrique. Aujourd'hui, les choses ont changé : les états-nations, se sont graduellement octroyé les « moyens légitimes de déplacement 34».

33 Source revue « Culture et conflit ». Riva Kastoriano. « Participation transnationale et citoyenneté : les immigrants dans l'Union européenne.

34 Source revue « Cultures et conflits ». John Torpey, « Aller et venir : le monopole étatique des « moyens légitimes de circulation » N°31-32, 1998.

L'état-nation, comme toute autre formation sociale, a besoin d'espace, le territoire est ainsi indispensable à sa souveraineté politique et nationale. L'établissement de frontières définit l'état et permet de contrôler la population et les transactions internes et externes.

Le recensement par exemple compte les mêmes et exclut les autres, selon le principe d'appartenance univoque à une catégorie et le principe de l'alternative exclusive (ou bien... ou bien). Le comptage démographique ou recensement est un outil de cette subordination. La carte trace le contour du contenant de ces ensembles rendus ou supposés homogènes, qui tirent leur légitimité politique de ce tracé géographique.

Cependant, il y a tout de même des nations sans territoire, ce qu'on appelle des nations en diaspora, tels que les juifs avant la création d'Israël. Beaucoup des groupes ethniques ou historiques qui occupent des régions entières et précises, sont considérés sans territoire car ces régions sont soumises à une puissance politique qui leur échappe et les dirige à partir d'un centre politique lointain. Les Kurdes sont minoritaires dans chacun des états qui se partagent leur territoire. Le territoire reste l'une des composantes les plus symboliques et concrète des nations.

Les états-nations modernes ont développé un arsenal bureaucratique, technique et technologique extraordinaire afin d'établir des procédures d'identification et de filiation, tant nationales qu'internationales. Les instruments d'identification servent, entre autre, à maîtriser les formes de participation de ses ressortissants à la vie civique : impôts, travail, service militaire, statut social et droits qui y sont liés, application du droit, responsabilité pénale, etc. Ainsi, les procédures et mécanismes d'identification des individus sont essentiels à l'état-nation, la notion de communauté doit être matérialisée et codifiée dans des documents qui doivent marquer qui je suis et ce à quoi j'appartiens. En effet, l'état territorial moderne est basé sur la distinction entre « citoyens/ressortissants » ou « étrangers », il a besoin d'identifier sans ambigüité ceux qui lui appartiennent et ceux qui ne lui appartiennent pas : le monopole étatique pour autoriser et réguler les déplacements est lié intrinsèquement à la construction même des états.

C'est en raison de cette même logique que le droit au déplacement repose sur le consentement de l'état, cela fait également partie d'une politique de contrôle : contrôle de la fuite de cerveaux, surveillance de la croissance, distribution spatiale et composition sociale des populations à l'intérieur des territoires (particulièrement chez les gouvernements totalitaires) ainsi que surveillance des « éléments indésirables » en raison de leur caractère ethnique, national, racial, économique, religieux, idéologique ou médical.

La création du système moderne de passeport au cours du XXème siècle, constitue l'avènement d'une nouvelle ère dans les affaires humaines. Les efforts des états-nations pour contrôler les moyens légitimes de circulation ont donné lieu à un système interétatique doté des outils les plus performants jamais connus en matière de contrôle des déplacements. Technique et technologie moderne se sont ainsi trouvées réunies pour créer un réseau interconnecté à l'échelle planétaire capable de suivre et d'identifier de façon unique et certaine toute personne vivante sur la surface de la terre de la naissance à la mort. Les individus sont devenus dépendants de l'Etat pour acquérir une « identité », celle-ci sera automatiquement intégrée dans un dispositif interétatique capable de priver, de conditionner ou de consentir leur circulation tout en déterminant où, quand et comment ils doivent se déplacer.

Ce système sophistiqué n'est pas dépourvu d'effets néfastes. L'obtention d'un passeport implique l'intégration à une bureaucratie transnationale destinée à veiller sur l'application d'un régime que lui est propre. Il y a encore beaucoup d'Etats que ne délivrent pas de passeport facilement, sans compter que le fait d'avoir un passeport est une condition nécessaire mais non suffisante pour franchir légalement les frontières internationales : les apatrides et les refugiés sont particulièrement affectés par ces mesures.

En conclusion, la fonction des documents et du passeport internationaux est donc très ambigüe. Ils constituent la première preuve de la nationalité du porteur ; citoyenneté et d'identité vont ensemble. Ainsi les documents, au même titre que la citoyenneté, sont des déterminants du sentiment d'appartenance. Ce sont donc d'autres instruments de conditionnement de l'appartenance dont dispose l'état-nation pour garantir l'allégeance de ses ressortissants.

2. L'identité nationale

a) La communauté d'expérience, la communauté de destin, les symboles et les mythes.

Peut-on parler d'identité nationale sans faire référence au discours politique qui a eu lieu en France il y a déjà quelques mois ? La réponse est oui et non. Oui, car nous pouvons jeter à la poubelle ce débat tendancieux tenant compte du fait qu'il a été orchestré avec une malhonnêteté intellectuelle propre aux sphères politiques. De ce fait, il ne reproduisait pas les agencements empiriques et théoriques nécessaires pour saisir convenablement ce sujet. Et non, parce que si l'on veut comprendre la véritable contribution de l'identité nationale à la construction de la société nationale, il faut l'aborder aussi depuis son caractère imaginé, rhétorique et discursif.

La revue de vulgarisation « Cahiers de France » nous donne différents éléments qui, selon elle, définissent l'identité nationale proprement française : «... la conception de l'enseignement, le rapport à l'universalité, la laïcité, ainsi que le rôle particulier joué par l'Etat, l'école, les formes de vie, la transmission familiale, les institutions politiques, les valeurs collectives, les débats publics sur les problèmes éthiques, la définition de la responsabilité de l'Etat et des individus, les ambitions de sa diplomatie, la conception de l'intégration et la manière d'envisager l'autre, la place des intellectuels dans la vie publique, le modèle social, la place de la langue. Ces éléments font partie de ce que l'on appelle « l'identité nationale française 35».

Voilà une très mauvaise tentative de définition de l'identité nationale, il n'y a qu'une seule petite allusion à l'immigration historique qui fait pourtant de la France le deuxième pays en termes d'immigration après les Etats-Unis36 : Regardons bien la phrase suivante qui se trouve au milieu du texte «... la conception de l'intégration et la manière d'envisager l'Autre », elle nous laisse sous-entendre que le seul lien qu'entretient la France avec sa population composée de vagues successives d'immigrants est

35 « L'identité Nationale », Cahiers Français. N°342, 2008. D. La Documentation Française

36 Gérard Noiriel, Etat, nation et immigration. Vers une histoire du pouvoir, Paris, Ed Belin, 2001

« l'intégration » de l'« Autre ». Ce texte ne définit pas l'identité nationale française, il en fait partie, et nous allons voir pourquoi.

L'identité nationale est ce qui permet à un peuple de se définir, ou plutôt de s'autodéfinir. La conception de l'identité nationale est inséparable de certaines périodes d'affirmation et sédimentation nationales, elle est nécessaire pour garder l'esprit de cohésion mais aussi d'exclusion. Pour la conscience nationale le pays est considéré comme un berceau, il est souvent sacralisé et l'idée est renforcée par des couches successives d'accumulation d'expériences politiques, de proclamations et de combats, de réussites et de défaites. L'identité nationale contient une forte dimension symbolique et elle prend de l'importance quand il s'agit de la conscience sociale de la durée historique.

Chaque nation présente un contenu différent : un territoire, et au moins une ethnie, une langue, une religion, une tradition. Chaque nation développe une description esthétique et mythologique d'elle-même. En effet, pour l'identité nationale, symbole et vérité font bon ménage, et à cela il faudrait ajouter révisionnisme historique, déformations, réinterprétations, inventivité, erreurs, violence intellectuelle et linguistique, mensonges, falsifications, bonne volonté, hypocrisie, illusions, bref, tous les éléments dont on a besoin pour construire une véritable machine à rêves. Les constructions des identités nationales sont déterminées, entre autre, par le rapport de l'ensemble de la société à sa propre histoire, ou plutôt à l'idée qu'elle se fait de sa propre histoire et, de ce fait, l'objectivité n'est pas au rendez-vous.

Nous pouvons identifier quatre piliers principaux de l'identité nationale : la communauté d'expérience ou historique, la communauté de destin, les symboles et les mythes.

Toute d'abord, la notion de communauté d'expérience, ou communauté historique, est liée à l'histoire commune ou, comme nous l'avons déjà dit, à l'idée que l'on se fait de l'histoire commune.

Le portrait de la nation esquissé par Ernest Renan nous dit à ce propos que « la nation, comme l'individu, est l'aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements. Le culte des ancêtres est de tous le plus légitime ; les ancêtres nous ont

faits ce que nous sommes. Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire (j'entends de la véritable), voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale. Avoir des gloires communes dans la passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple 37».

La communauté historique consiste à établir que nous sommes nous-mêmes l'aboutissement d'une évolution historique unilinéaire commune, fruit d'un passé ancestral. L'identité nationale joue à l'illusion rétrospective: elle consiste à croire que nous sommes la trace et la preuve d'un passé immémorial, que les générations qui se succèdent pendant des siècles sur un territoire approximativement stable, sous une désignation approximativement univoque, se sont transmis une substance invariante.

Dans le cas de la France par exemple, en 2010 une étude démographique à montré que 20 % de la population française a au moins un parent étranger38 (contre un tiers en 198839). L'idée que l'on s'est fait d'une population française liée collectivement par exemple à Louis XIV est démographiquement et statistiquement fausse. Il s'avère donc très problématique de faire remonter l'unicité ethnique de la population française à seulement trente ans en arrière, alors certains prétendent le faire remonter à deux mille ans au temps de gaulois, notamment dans les programmes du système d'éducation nationale français40.

La multiplicité des événements historiques qualitativement distincts et décalés dans le temps, n'appartient pas par nature à une nation déterminée. Dans la gestion et l'expression des appartenances nationales l'histoire ne trouve pas son importance dans le fait historique réel, daté, peint, enregistré ou vécu, l'histoire est, à cet effet, une construction sociale.

Deuxièmement, la notion de « communauté de destin » correspond à l'affirmation de la volonté de la part des citoyens de vivre ensemble et de partager un projet commun.

37 Ernest Renan. Qu'est-ce qu'une nation ?, Paris, Ed Agora, Pocket, 1992

38 Enquête « Trajectoires et origines » (TeO) 2010. Insee et Ined

39 Gérard Noiriel, Le creuset français, Paris, Ed du Seuil, 1988.

40 Source www.cndp.fr (Centre nationale de documentation pédagogique), Juin 2010

C'est l'appel du national à l'identité et au destin, une manière de lier passé et avenir : projet et destin sont les deux figures symétriques de l'illusion de l'identité nationale.

Troisièmement, les symboles, quand à eux, s'inscrivent dans le domaine de l'émotion et de la perception, ils fonctionnent comme des outils efficaces afin de nous rappeler ce à quoi nous appartenons : hymnes, drapeaux, chants ou récits font partie de l'arsenal symbolique de l'appartenance nationale. Qu'est qui fait qu'il existe des anonymes capables de mourir pour la patrie ? Un mystère pour les esprits éveillés, une source riche en symbolique pour les artisans de l'identité nationale.

La tombe du soldat inconnu par exemple en fait partie, elle permet « d'accéder à cet imaginaire où le don de soi vient sceller une relation basée sur l'absence suprême du nom, pour la gloire d'une supra-entité où le réseau d'identité individuelle disparait 41». Elle est exploitée symboliquement comme représentation de la force du sacrifice ultime dédié à la communauté nationale, et tous ceux qui en font partie devraient éprouver un sentiment de dette intrinsèque envers ces martyrs de la nation.

La tradition est aussi un symbole de l'identité nationale, la perpétuation des traditions communes rassemble la communauté. Hobsbawm nous propose la définition suivante de tradition « un ensemble de pratiques de nature rituelle et symbolique qui sont normalement gouvernées par des règles ouvertement ou tacitement acceptées et cherchent à inculquer certaines valeurs et normes de comportement par la répétition, ce qui implique automatiquement une continuité avec le passé 42». Ce terme évoque donc l'idée de transmission, il sert, par conséquent, à désigner l'idée d'une continuité entre le passé et le présent, sur le mode du respect à partir de l'« autorité des ancêtres ». Il raccorde le présent à une valeur sacrée qui peut prendre force d'autorité en raison de son ancienneté. Il prétend nous faire vénérer ce qui passe pour originel afin de faire passer pour « naturel » ce qui ne l'est pas. L'objectif de la mise en place d'actes rituels est de générer de la cohésion sociale ou de l'appartenance à des groupes, des communautés réelles ou artificielles. Elle permet également d'inculquer des croyances, des systèmes de valeur, des codes de conduite ainsi que de légitimer des institutions, des statuts et de

41 Marc Redfield, Retour sur la « communauté imaginée » d'Anderson. Essai de clarification théorique d'une notion restée floue, Raison Politiques 2007/3, n°27, p.131-172.

42 Eric Hobsbawm et Terence Ranger (dir.), L'invention de la tradition, Éditions Amsterdam, 2005.

perpétuer des rapports de pouvoir et d'autorité. « Même lorsqu'il existe une référence au passé historique, la particularité des traditions inventées tient au fait que leur continuité avec ce passé est largement fictif 43».

D'autres symboles de la nation sont les livres, la presse, les partitions, les drapeaux, les textes, les techniques, les institutions, les cartes, les évènements localisés (guerres, rituels, cérémonies), l'unité spatiale et territoriale. Les nations sont des sociétés dont l'imaginaire, saisi à travers des récits historiographiques nationaux, accomplirait un travail de persuasion pour faire croire qu'elles sont restées des communautés44.

Quatrièmement, les mythes, pour leur part, sont des récits fondateurs que les membres d'une société se transmettent de génération en génération depuis les temps les plus anciens. La fonction principale du mythe est de rassembler un groupe d'individus autour de la même idée d'un ordre du monde et d'une même conception de l'existence. Il s'agit d'un récit racontant l'origine, la fabrication des races et des traditions authentiques, et renvoyant à un temps indéfini. Un exemple clair est la justification théologique de l'Etat d'Israël pour les juifs.

Tout est fait comme si l'identité nationale était un endroit où l'on peut se réinventer continuellement, une véritable pate à modeler socioculturelle. Les notions de communauté historique, de communauté de destin, de symboles et de mythes de l'identité nationale ainsi que la religion, la langue, les traditions ou les habitudes sont donc des caractères communs de l'ordre du réel et du symbolique.

L'identité fonctionne comme un assemblage de toutes les considérations précédemment exposées en devenant ainsi un élément capable de mobiliser l'esprit de masse et l'idée de conquête du destin commun, un appel à l'effort collectif et à l'esprit d'équipe. Tous ses ressortissants sont potentiellement des représentants diplomatiques de l'ensemble. La nation permet à chacun d'être représentant des autres, et de considérer ainsi que par exemple la victoire de l'un est la victoire de tous. L'identité nationale doit représenter une source de fierté.

43 Idem

44 Ferdinand Tönnies, Retour sur la « communauté imaginée » d'Anderson. Essai de clarification théorique d'une notion restée floue, Raison Politiques 2007/3, n°27, p.131-172.

3. L'Etat-nation et la grammaire du symbolique

a) Les communautés imaginées d'Anderson

Je voudrais que nous nous arrêtions un moment sur « Les communautés imaginées » de Benedict Anderson afin que l'on puisse disposer d'un élargissement conceptuel et d'une autre interprétation du processus de construction de la représentation de la nation et du rôle de l'imaginaire dans l'édification du social.

Si on lui applique la grille interprétative de Durkheim, Anderson semble affirmer que les « communautés à solidarité mécanique45 » seraient les seules réellement existantes et que les « communautés à solidarité organique » seraient un produit inexistant élaboré par nos systèmes de représentation. L'approche d'Anderson réside dans le présupposé que l'existence de communautés réelles est fondée et dépend des relations face à face de ses membres. Selon Anderson l'absence d'interconnaissances entre eux est une impossibilité psychotechnique à la constitution des telles communautés.

Le potentiel figuratif au coeur des nations consiste à créer une communauté imaginaire là où elle n'existe pas, principalement parce que les membres qui la composent ne connaîtront jamais la plupart de leurs concitoyens. La nation est imaginée car elle est limitée et contenue dans des frontières finies qui ne sont jamais coextensives au reste de l'humanité. Ensuite elle est souveraine car elle rompt avec les rapports divins et dépasse, par l'idéal de liberté, la pluralité des confessions religieuses et enfin, la nation est une communauté imaginée car elle est toujours perçue comme une camaraderie profonde horizontale.

L'argument principal se trouve dans le rôle joué par le développement du « capitalisme d'imprimerie » pour créer l'impression de faire partie d'une communauté nationale. C'est ainsi que les « langues d'imprimerie » constituent le socle de la conscience nationale. Pour Anderson, la presse apparait comme une cérémonie de masse aux tonalités modernes : les lecteurs se savent seuls dans l'accomplissement de ce rituel séculier, mais avec la conscience intime qu'ils le partagent avec des milliers d'autres

45 Emile Durkheim, La division sociale du travail, Paris, presses universitaires de France, 1986

qu'ils ne voient pas. Le roman, au même titre que la presse, occupe une place singulière car il constitue également un moyen de véhiculer l'idée nationale : la fiction s'infiltre paisiblement et continument dans la réalité, le temps est soumis à une sorte de fusion entre le passé et le futur.

Au cours du XIXème siècle, quand le nationalisme passera à son stade officiel, offensif, et normatif, la « chose imprimée » sera la clé de voûte de la fixation de l'idée nationale, notamment grâce à l'instruction et au travail pédagogique. L'écrit a le pouvoir de véhiculer les valeurs du patriotisme et de son sens sacrificiel et, avec lui, les limites du contour national intimant toujours une conception à la fois ouverte (au Nous) et fermée (aux Eux)46.

Ce sont aussi l'ensemble des textes, récits et l'accumulation de documents de toute sorte qui tracent l'histoire, et créent des mythes afin d'authentifier les racines « naturelles » pour des sociétés nationales restées pourtant fragmentées, fracturées par les antagonismes et l'hétérogénéité des ethnies et des classes.

Nous sommes, bien entendu, libres d'adhérer ou pas à une telle réflexion. Les Communautés imaginées sont, comme nous le savons bien, un concept qui a été très largement repris dans les différents domaines des sciences humaines et sociales depuis qu'il a vu le jour.

b) L'identité et les mécanismes de représentation

Dans la première partie de ce mémoire nous avons analysé la gestion et l'expression des appartenances nationales et leur caractère essentiellement symbolique enserré et déterminé par des rapports de pouvoir et de coercition. Nous avons vu aussi de quelle façon l'identité et le sentiment d'appartenance nationale sont gérés par des institutions de représentation symbolique et de négociation de l'appartenance nationale. Symbolique et identification interagissent dans la construction de l'idée que l'on se fait de la société nationale. Cependant, les formes de matérialisation du symbolique sont étroitement liées

46 Chivallon C., Retour sur la « communauté imaginée » d'Anderson. Essai de clarification théorique d'une notion restée floue, Raison Politiques 2007/3, n°27, p.131-172.

à notre système de perception, ainsi, pour notre système cognitif, le réel ne s'oppose pas forcement à l'imaginaire.

Berger et Luckmann nous donnent quelques pistes à ce sujet : la réalité sociale se construit au travers de systèmes de signes qui « objectivent » les significations dont la vie sociale est dotée, ordonnent le monde en motifs et objets et participent ainsi à l'extériorisation de la subjectivité. « L'existence humaine est une extériorisation continuelle, l'homme construit le monde dans lequel il s'extériorise, il projette ses propres significations dans la réalité ». Le partage de sens et lien social sont possibles grâce à la pratique d'espaces codés47.

L'imaginaire social est la condition première à l'existence sociale, et par définition, il fait exister ce qui n'existe pas. L'imaginaire ne reste pas nécessairement au stade de l'onirique ou de mythe désincarné, sa portée dans l'édification sociale est forcément liée à l'activité symbolique qui met en oeuvre tout langage, verbal et non verbal, destiné à traduire des représentations et à leur donner leur sens perceptible au travers de mots, d'objets et d'agencements matériels. L'imaginaire ne se définit donc pas par opposition au réel, mais par les degrés de concrétude qu'il acquiert.

Dieu par exemple, ne se présente pas de façon physiquement identifiable, même si Benoit XVI dirait le contraire. Mais il existe en raison d'un travail d'encodage symbolique qui traduit une présence perçue, cette réalité peut donc quand même exister mais seulement à travers des manifestations qu'on lui prête (signes réels) et dont elle peuple le monde perceptible. « Le symbolisme recouvre ici l'acception anthropologique large, qui est celle de l'attribution de sens au monde. L'activité symbolique consiste alors en ces multiples opérations d'encodage, opérations qui ne peuvent se passer de la matérialité pour faire advenir au perceptible ce qui est de l'ordre de la pensée48 ».

L'édification du social et de l'appartenance nationale utilise donc le symbolique, non seulement pour s'exprimer, mais pour exister, pour passer du virtuel au statut du

47 Chivallon C., Retour sur la « communauté imaginée » d'Anderson. Essai de clarification théorique d'une notion restée floue, Raison Politiques 2007/3, n°27, p.131-172.

48 Chivallon C., Retour sur la « communauté imaginée » d'Anderson. Essai de clarification théorique d'une notion restée floue, Raison Politiques 2007/3, n°27, p.131-172.

réel, tangible et perceptible. Lorsque la nation crée ses dispositifs scéniques dont les signes verbaux et non verbaux occupent l'espace public (documents, drapeaux, hymnes, contes, monuments aux morts, cartes géographiques, noms des rues) c'est pour établir une matérialité indispensable au symbolique afin d'être perçue comme la réalité du corps social qui conduit à l'auto-identification.

II. Les formes et les alternatives de la reconversion du national : de la nouvelle réalité mondiale à la reconfiguration identitaire

1. Le mondialisme : une autre façon de penser la mondialisation

a) Globalisation versus mondialisation

A chaque sommet du G8 ou du G10 ou du G20, nous sommes témoins des manifestations spectaculaires des altermondialistes qui portent des t-shirts du Che Guevara fabriqués en Chine, et qui ont pris l'avion pour se rendre au rendez-vous. Cela semble paradoxal car la mondialisation est souvent comprise comme économique, alors que ce n'est pas le cas, ou, en tout cas, que ce n'est pas aussi simple. A force d'entendre constamment ces deux termes de façon interchangeable on arrive à peine à les différencier.

Avant de continuer nous devons donc éclaircir ces terminologies car elles se prêtent à des confusions et à des malentendus.

Ce que l'on appel « globalisation » est le processus d'intégration du système économique de marché mondial, la libéralisation économique liée à la finance et à la décentralisation de la production. Ce terme vente les vertus de la croissance néolibérale et de la dérégulation des marchés, et les avantages que confèrent le fait de pouvoir déplacer des fonds sans entrave et établir des flux de capitaux et de produits. Cependant, le processus de globalisation est fortement perçu comme le développement d'un espace d'anarchisme économique supranational, un pouvoir dangereusement affranchi des cadres nationaux. Il s'agirait d'une sorte d'entité structurée en même temps qu'immatérielle qui siège partout et nulle part à la fois et qui ne laisse pas d'autre choix que la consommation de produits manufacturés dans les différentes parties du globe dans des conditions éthiquement douteuses.

Le terme « mondialisation » désigne par contre le renforcement des liens d'interdépendance entre les états-nations en tant que résultat de l'accroissement des mouvements de biens, de services, de personnes, de main-d'oeuvre, de technologie et de

capital ainsi que de l'homologation des systèmes politiques à l'échelle du monde. En ce sens, la globalisation fait effectivement partie de la mondialisation.

Cependant, et contrairement à ce que l'on croit, la mondialisation n'est pas un phénomène nouveau dans l'histoire du monde, comme en témoignent les invasions, les conquêtes, les vagues migratoires, la colonisation, les guerres mondiales, les populations déplacées, etc... depuis toujours, la circulation de marchandises a favorisé la rencontre globale et le mélange des cultures. En revanche, ce qui est nouveau, c'est le fait qu'on la remarque, qu'on en ait conscience, qu'on la pense et qu'on l'exploite politiquement, et que cela est en train de donner naissance à une « opinion publique mondiale », un véritable contrepouvoir.

La mondialisation provoque également énormément d'incertitudes en raison de son rythme de progression et elle se situe entre plusieurs questionnements d'envergure civilisationnelle : la protection de l'environnement, les dépenses en armements, l'augmentation des inégalités, l'épuisement des ressources naturelles, etc...

Dans nos vies quotidiennes, cela se traduit par l'impression d'un choix imposé, on suit des événements que l'on ne maîtrise pas. Un engrenage gigantesque, de plus en plus complexe, où nous sommes une pièce de plus en plus petite et condamnée à le suivre. Notre existence, nos vies deviennent donc des parties d'un autre monde, de cultures, de religions, de risques globaux liés à l'interdépendance croissante et vertigineuse entre sociétés très distantes, sans que nous ne puissions rien y faire.

Lorsque l'on regarde par exemple un reportage sur les indiens d'Amérique latine, on est facilement déçu : certains sont habillés avec des t-shirt de la NBA alors qu'on les souhaite couverts avec des feuilles et des bananes. On reste ainsi persuadé que la consommation globalisée et la culture de masse violent l'authenticité culturelle et qu'on est rentré dans un torrent d'homogénéisation culturelle sans freins à l'échelle mondiale (idée de « plasticité culturelle universelle »49), mais ceci ce n'est qu'une façon de voir les choses parmi d'autres.

49 Ulrich Bec, Qu'est ce que le cosmopolitisme?, Paris, Flammarion 2004

En conséquence, tous cela génère un sentiment de refus de la mondialisation : la mondialisation en tant qu'entité opposée ou ennemie du national. Un véritable fléau pour l'humanité se profile, nous sommes des victimes des Etats-Unis, de l'Occident, du capitalisme, du néolibéralisme, du système financier, etc...

En dehors de ces considérations et ces réflexions arrosées de pessimisme, il existe d'autres façons de comprendre la mondialisation. En effet, la mondialisation réunit des conditions exceptionnelles au niveau des communications, des transports, des technologies et des moyens logistiques en général pour mettre en place des dispositifs capables de répondre aux défis historiques de l'humanité, des défis que l'humanité a été incapable de résoudre depuis la nuit des temps et qui nous concernent tous : la lutte contre l'injustice sociale ou la répression exercée par des gouvernements totalitaires sur des populations innocentes, l'éducation, l'accès à l'eau potable, la protection de l'enfance, etc. De même, la création des nouveaux droits et des nouveaux espaces de participation collectifs en cohérence avec les risques globaux et le respect de la dignité humaine, font partie de la longue la liste tâches à accomplir.

Il s'agit aussi de réaliser que les modèles précédents ne peuvent pas se perpétuer indéfiniment et que la mondialisation est une conséquence inévitable d'un processus d'intégration socio-économique et culturel qui se poursuit depuis des siècles. De ce fait, la mondialisation nous permet d'alimenter le sentiment d'être soi-même partie d'une grande « expérience civilisationelle »50 car l'humanité est aujourd'hui, plus que jamais, consciente d'elle-même, ce qui constitue un moment historique unique. Cette perspective est liée de manière incontournable à la constitution de l'Identité cosmopolitique.

Nous allons voir maintenant des exemples de participation cosmopolitique et d'autres formes d'extensions de l'appartenance et d'identité nationale et politique.

50 Idem

b) L'idéologie mondialiste, des origines à la fondation du « mouvement universel ».

Le Grand Larousse Encyclopédique donne la définition suivante de mondialisme : « Doctrine qui vise à réaliser l'unité politique du monde considéré comme une communauté humaine unique 51». Le terme « mondialisme » désigne ainsi l'ensemble des doctrines et de mouvements sociopolitiques qui préconisent la formation d'un Etat mondial.

Le « Mondialisme » est une approche scientifique des phénomènes sociaux analysés en dehors des cadres nationaux, autrement dit, un angle global ou mondial. Ce terme rassemble aussi l'ensemble des idées et des actes qui expriment la solidarité des populations du globe ainsi que le respect de la diversité des cultures et des peuples.

Le mondialisme conteste la suprématie absolue des Etats-nations et il agit pour la constitution d'institutions et de lois supranationales dépendantes d'une structure fédérative commune. Cela implique le transfert de certains domaines de la souveraineté nationale vers une nouvelle entité politique, qui serait à l'échelle de l'humanité. La constitution d'un méga-organisme supranational sous la forme d'une Autorité fédérale mondiale a pour objectif de pouvoir faire face aux problèmes qui concernent l'ensemble des nations et qui, en raison de leur envergure, ne peuvent être résolus autrement que par les actions d'une autorité supranationale.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, les idées mondialistes ont vu le jour aux alentours des années 1920, suite aux conséquences humainement désastreuses de la Première Guerre mondiale. « L'impuissance manifeste de la Société de nations devant la politique agressive des Etats fascistes eut pour résultat de faire naître chez beaucoup de personnes l'idée d'organiser l'humanité en un Etat mondial »52.

Le premier acte mondialiste significatif a eu lieu le 4 décembre de 1937 avec la formation de l'organisation « Compaign for world government »53, fondé par Rosika

51 Source www.larousse.com, mai 2010.

52 Rolf Paul Haegler, Histoire et idéologie du mondialisme, Ed Europa Verlag A.G. Zurich 1972.

53 Traduction en français : « Campagne pour un gouvernement mondial »

Schwimmer et Lola M.Lloyd. Ces deux femmes avaient déjà proposé en 1924 la création d'une « Assemblée constituante mondiale » dont les membres seraient élus directement par les peuples du monde entier en vue de rédiger une Constitution mondiale. En 1941, les fondements du mouvement mondialiste était déjà créés et les militants suffisamment nombreux pour dépasser le stade des initiatives isolées.

La seconde Guerre mondiale a eu une influence importante sur le développement du mouvement. Les horreurs de la guerre, les excès du nazisme et les destructions atomiques ont créé le sentiment de la nécessité impérative d'une organisation mondiale afin d'éradiquer définitivement les causes à l'origine des tels désastres. Dénoncé par les mondialistes comme la cause première des conflits, l'état-nation et les nationalismes ont été les premiers à être pointé du doigt. Ensuite, la création des Nations-Unies a suscité un grand enthousiasme, cependant sa structure prisonnière de la logique des états-nations a été considérée comme la continuité du modèle étatique largement contesté. L'initiative a été rapidement jugée comme insuffisante et cela a généré de fortes contestations : les Nations-Unies avaient perdu leur légitimité aux yeux des mondialistes.

Entre 1945 et 1947 des nombreuses associations voient le jour, parmi lesquelles le "Centre de Recherches et d'Expression Mondialiste" et "Le Front Humain des Citoyens du Monde", créés tous deux en 1946. Ensuite, avec l'intention de fédérer les différents mouvements mondialistes, cinquante une associations se donnent rendez-vous au Congrès de Montreux en août 1947 et votent la création du « Mouvement universel pour une confédération mondiale », celui-ci devient la colonne vertébrale des volontés mondialistes. La déclaration de Montreux, adoptée par le Mouvement universel lors de sa fondation déclare : « Nous, fédéralistes mondiaux, affirmons que l'humanité peut se libérer à jamais de la guerre, mais qu'elle n'y parviendra que par l'établissement d'une Confédération mondiale ».

En septembre de 1948 Gary Davis, pilote américain de la dernière guerre, abandonne sa nationalité américaine et demande la protection de l'ONU. Son geste resta inscrit dans l'histoire du mondialisme : sous l'acclamation de milliers des personnes dans les rues de Paris, il donne naissance au mouvement Citoyens du monde. L'année suivante Gary Davis crée le « Registre international de citoyens du monde ».

A partir de 1951 le mouvement perd de sa force : une grave crise administrative et politique amène à la disparition de plusieurs journaux mondialistes. L'élan du début était fortement motivé par la publicité indirecte de la presse. Ensuite, l'enthousiasme qui régnait dans les rangs du mouvement s'est vu brisé, à cause des difficultés à concrétiser les expectatives de ses militants parfois trop ambitieuses. Des divergences naissent alors à l'intérieur des associations, en partie dues à la jeunesse et au manque d'expérience politique des ses militants. De plus, le contexte des années 1950 avec l'intensification de la Guerre Froide et la Guerre de Corée créent une atmosphère propice aux réactions ultranationalistes, spécialement aux Etats-Unis où le maccarthisme laisse peu de place à la pensée mondialiste.

Malgré les difficultés rencontrées par le Mouvement universel, le début des 1950 est marqué par le processus de consolidation et de fixation de la ligne de pensée ainsi que des bases et principes politiques avec lesquels allait se construire le grand projet mondialiste : il fallait fixer les tactiques des actions et les approches politiques, déterminer le type de rapport à entretenir avec les Nation-Unies et sa Charte, s'éloigner de l'image utopiste qui hantait le mouvement, établir les revendications centrales telles que la lutte pour le désarmement, les propositions de création d'un fond spécial pour le développement et contre la faim. Cependant, toutes ces discutions ne sont pas dépourvues de disputes, de divisions. Un manque de consensus entre les tendances internes et les radicalismes s'empare lentement du mouvement.

Pendant cette période et parallèlement au Mouvement universel, d'autres groupes poursuivent leurs actions, notamment les Citoyens du monde et les partisans de l'Assemblée constituante des peuples, avec parfois des résultats exceptionnels, tel que le processus de mondialisation de territoires, c'est-à-dire la proclamation de ces espaces comme « territoire Citoyen du monde », des actes symboliques qui continuent à se réaliser encore aujourd'hui.

Depuis leur création, le Mouvement universel ainsi que Citoyens du monde ont compté avec l'appui d'une importante quantité d'hommes politiques, ils ont ainsi réussi à fédérer de multiples forces et tendances, par exemple avec l'Association universelle des parlementaires. Des hommes de lettres, des intellectuels, des Hommes d'état, des personnalités du monde de l'art ou du spectacle, des prix Nobel, ont ainsi manifesté à

plusieurs reprises leur soutien formel aux objectifs mondialistes considérés comme nécessaires faces aux les défis du XX siècle : L'énergie et la gestion des matières premières, le désarmement, les Droits fondamentaux, les Droits de l'Homme, le problème des réfugies, l'accès aux soins et à l'eau potable, la globalisation et les multinationales, l'énergie nucléaire, etc. celles-ci font parties des préoccupations de la pensée mondialiste.

De toute évidence, l'une de plus grandes réussites des mouvements mondialistes a été l'organisation de la première élection transnationale de l'histoire : des ressortissants du monde entier ont été appelés à participer à cet événement qui a eu lieu pour la première fois le 3 mars 1969. Le Congrès des peuples, la première Assemblée de représentants directs d'habitants de la terre compte, encore aujourd'hui, 45 délégués élus par des électeurs répartis dans 112 pays. L'objectif était d'avancer vers la configuration d'une Assemblée mondiale capable d'établir des institutions mondiales indispensables à la survie de l'humanité et à la préservation de la biosphère. Les élections suivantes auront lieu en 1971, 1973, 1975, 1977, 1980, 1984, 1987, 1994, 1998 et 2007.

L'histoire des mouvements mondialistes affiche plusieurs collaborations directes et indirectes dans la mise en place de réflexions et d'actions d'intérêt collectif mondial. L'une des plus importantes a eu lieu le 10 mars 1982, il s'agit de la création du Fonds Mondial de Solidarité Contre la Faim. Cette création, faite sur la proposition de la commission " Faim, Développement et Mondialisme " du Centre Français des Citoyens du Monde, répondait à l'appel contenu dans la déclaration n° 6 du Congrès des Peuples. Parmi leurs objectifs à long terme, se trouve la création d'un impôt mondial de solidarité, ainsi que la promotion d'une action auprès des Etats et des organismes internationaux pour qu'ils acceptent la mise en place des dispositifs nécessaires à la création d'une véritable Institution Mondiale de Solidarité54.

Aujourd'hui, les actions militantes pour la création d'un gouvernement mondial sont presque inexistantes. La pensée mondialiste ne réclame plus ouvertement la disparition définitive des états-nations et de leurs frontières politiques et administratives. Cette démarche supranationale a été remplacée pour une démarche postnationale, c'est-à-dire un élargissement à l'échelle mondiale du principe de citoyenneté (citoyenneté mondiale)

54 Source www.recim.org

qui a caractérisé leurs opérations militantes après les années 1990. Le Congrès des peuples est toujours actif et il mène une activité fédératrice importante auprès des associations du monde entier. Malgré cela, les idées et les actions mondialistes, maintenant centrées sur une constitution postnationale de la citoyenneté ainsi que sur les problèmes de l'humanité en général, ne retrouvent plus ni l'enthousiasme ni la capacité de mobilisation des années d'après-guerre.

c) L'Identité Postnationale, Supranationale et Transnationale

L'principal objectif de cette partie n'est pas d'examiner ou d'analyser en profondeur ces terminologies, mais plutôt de proposer une clarification sémantique de ces notions et de présenter ainsi les liens conceptuels et les notions adjacentes à l'Identité cosmopolitique.

Les thèses « transnationalistes », « postnationalistes » ou « supranationalistes » prétendent ou proposent, chacune à leur façon, une substitution des états-nations comme lieu exclusif de l'exercice de la légitimité politique. Pourtant il ne s'agit pas de prononcer la fin des états-nations. Chacune de ces thèses dessine une forme de contestation de l'état-nation à différents degrés et sur des domaines divers, nonobstant, le risque de glissements sémantiques ne sont pas exclus car la signification et le contenu exact de chaque terme dépendra de la tradition intellectuelle et de l'école de pensée à laquelle on la rattache, en plus des variantes selon l'utilisation.

Afin de garder en vue l'objectif de cette recherche, nous allons exposer le sens le plus habituel de ces termes. On entend par supranationalisme par exemple ceux qui défendent l'idée d'un Etat supranational, mondial ou continental, c'est-à-dire, un état centralisé, une entité capable de gérer à une échelle supérieure les affaires qui dépassent ou qui échappent aux limites et aux principes politiques des états-nations. Cette notion n'est pas exemptée des critiques en raison de ses incohérences. Selon plusieurs auteurs55 la conception d'un état supranational pose d'immenses problèmes : il s'agit d'abord d'un nationalisme au sens technique et architectural « ...car il poursuit le même projet

55 Jean-Marc Ferry, La Question de l'État Européen, Paris, 2000, Éd. Gallimard.

d'intégration par des voies constructivistes : réaliser autant que possible un espace homogène, y compris sur le plan culturel, et faire correspondre à cette unité supranationale un système supra étatique de régulation et d'édiction des normes56 ». Etant donné que les souverainetés des états-nations s'appuient sur toute une culture démocratique de l'autonomie politique et que celle-ci s'exprime dans l'autolégislation de gouvernance, de participation, de légitimité et de représentation, un élargissement supranational poserait des problèmes d'ordre technocratique ainsi qu'une incrémentation du sentiment d'éloignement de la représentativité, et donc de légitimité politique.

Deuxièmement, l'Identité transnationale est la figure où s'exprime la citoyenneté nationale, plurinationale ou dénationalisée. Ce mot marque toutes les thèses qui contestent l'idée selon laquelle l'Etat-nation serait le lieu privilégié de la citoyenneté, en ce sens elle rejoint formellement l'Identité postnationale.

Une autre façon de comprendre le transnational correspond à ce qui semble être une « nouvelle manière » de vivre les expériences de migration : les migrants créent des champs sociaux qui traversent les frontières géographiques et politiques, des espaces dans lesquels les migrants établissent un lien particulier entre leur pays d'origine et leur société d'accueil. « Dans ces espaces transnationaux, les migrants mettent en place des

relations sociales et économiques, des activités et des identités politiques quitranscendent les frontières classiques et bénéficient de processus économiques globaux à

l'intérieur d'un monde divisé en États-Nations 57». Le transnationalisme rejoint dans cette perspective ce que nous appelons l'« Identité cosmopolitique », c'est-à-dire un déplacement des identités nationales où les revendications politiques, sociales et culturelles se placent au-delà des appartenances territoriales fondées sur l'échelle des États-Nations.

Et troisièmement, l'Identité postnationale met l'accent sur les droits fondamentaux, elle correspond à un sorte de « patriotisme constitutionnel », elle est orientée vers un cosmopolitisme juridique et non culturel : « Le citoyen ne voit plus dans la nation la

56 Jean-Marc Ferry, conférence donnée à Charleroi le 18 juin 1997. Source www.larevuetoudi.org , mai 2010

57 Rosita Fibbi et Gianni D'Amato, « Transnationalisme des migrants en Europe : une preuve par les

faits », Revue européenne des migrations internationales, vol. 24 - n°2

référence ou l'appartenance politique ultime58 ». Sans nier les solidarités locales ou nationales, l'adhésion politique n'est plus fondée sur des raisons de proximité ou de parenté. Dans ce contexte la filiation politique est basée sur des principes universels tels que les Droits de l'Homme ou la démocratie universelle. L'identité postnationale prône l'accès à une citoyenneté située au-delà du principe nationaliste, elle est liée fondamentalement au sujet de l'octroi des droits fondamentaux, considérés traditionnellement comme le noyau qui donne du sens à la citoyenneté. Cela veut donc dire que l'identité postnationale cherche à faire une dissociation entre l'appartenance à une nation et l'octroi de ces droits59.

De toute évidence, le transnationalisme, ainsi que les approches supranationales et postnationales de l'appartenance et de l'identité supposent l'existence de valeurs universelles, ce qui est critiquable. Il s'agit d'une prémisse inapplicable à l'égard des réalités politiques, sociales et culturelles. Cette forte prétention universaliste et évolutionniste repose par exemple sur l'idée que la démocratie est une valeur suprême, extensible, appropriée et convenable pour l'humanité toute entière. La démocratie correspondrait ainsi à un stade supérieur de l'organisation sociale et de l'évolution politique de l'être humain. De même pour les Droits de l'homme qui, comme on le sait, émanent essentiellement du sens et de la valeur attribuée à l'individu, cette conception de l'individualité trouvant sa source dans les origines du développement du capitalisme. Cela ne veut pas dire, bien entendu, que tous les hommes de la terre ne partagent pas le droit à ne pas être torturés, par exemple, il s'agit de considérer le caractère ethnocentrique de la conception des droits et des catégories juridiques.

2. Le nationalisme méthodologique

« Il est difficile de comprendre combien est grande la ressemblance et la différence qu'il y a entre nous tous les hommes 60».

58 Jean-Marc Ferry, conférence donnée à Charleroi le 18 juin 1997. Source www.larevuetoudi.org mai 2010

59 Jean-Marc Ferry, Europe la voie kantienne. Essai sur l'identité postnationale, Paris, Ed. Cerf, 2005.

60 Duc de La Rochefoucauld. Maximes

a) Les erreurs d'une catégorie rationnelle (alternative exclusive ou inclusion additive)

L'optique nationale fonctionne comme une grille interprétative très ancrée et installée profondément dans nos systèmes de perception et de pensée, au point d'en faire sensiblement partie. En effet, l'optique nationale, ou plus correctement appelée le « nationalisme méthodologique », conditionne fortement notre façon d'évaluer, de percevoir et de ressentir les phénomènes sociaux : notre attitude et notre posture face à la différence ainsi que notre rapport à l'Autre y sont directement liées. L'optique nationale s'octroie la légitimité et la cohérence d'un système interprétatif erroné qui façonne nos expériences quotidiennes dans les domaines les plus variés.

A propos de l'expression de l'appartenance, par exemple, je voudrais citer une expérience personnelle qui, malgré le manque de rigueur scientifique, a au moins le mérite d'illustrer les formes que peut prendre le nationalisme méthodologique dans l'expérience quotidienne. Comme je l'ai signalé en avant propos de ce travail, je viens du Chili, un pays reconnu dans le monde pour la qualité de ses vins. Or, lorsque je suis invité à partager un moment convivial en France, un diner par exemple, et que j'apporte une bouteille de vin rouge, au moment d'offrir la bouteille le réflexe est de me dire « ah ! Merci, j'adore le vin chilien ». Il s'agit en fait d'un vin d'Afrique du sud (pays dans lequel j'ai par ailleurs étudié pendant quelques mois), le petit coup d'enthousiasme laisse la place à une déception passagère « ah, mais, tu n'as pas ramené du vin chilien ? ». La question est de savoir : Pourquoi aurais-je dû le faire ? Dans cette circonstance, je ne me sens aucunement représentant officiel de la production vinicole chilienne, mais c'est juste que je trouve le vin d'Afrique du sud très bon et que le vin chilien me rappelle mes mauvaises cuites d'adolescence. Pour le nationalisme méthodologique, en effet, j'aurais dû apporter un vin chilien car si quelqu'un est ressortissant d'un pays quelconque, il est censé exprimer son appartenance qui y est forcément liée : l'optique nationale présume un devoir de loyauté et de fidélité envers la nationalité et celle-ci doit s'extérioriser par le biais d'éléments qui représentent la fierté nationale. Pour l'optique nationale la bouteille de vin d'Afrique du sud dénonce donc une anomalie cognitive, une concordance qui interpelle les sens et l'esprit. Il s'agit donc d'un exemple qui montre bien comment fonctionne le nationalisme méthodologique dans l'expérience quotidienne.

Ulrich Beck nous cite un autre exemple de manifestation du nationalisme méthodologique dans les interactions quotidiennes « Si l'on rencontre par exemple une personne d'apparence exotique, mais s'exprimant en gaélique, ou en anglais avec l'accent d'Oxford, l'ontologie sociale territoriale en est toute perturbée... » « ...jusqu'à ce que la concordance présupposée entre passeport, couleur de peau, langue, domicile et origine semble rétablie : »... «... ceux qui ont un passeport allemand, mais avec un nom à la consonance étrangère, une peau plus sombre ou des traits un peu différents, ... (étant donné) qu'ils s'écartent du format allemand standard, ils ont régulièrement à répondre à la question : d'où êtes-vous ? » « Le déroulement (du dialogue) obéit à un même rituel qui suit toujours le même schéma :

- «D'où est-ce que tu viens ?

-D'Essen

-Non je veux dire à l'origine ?

-Je suis né à Essen

-Mais tes parents ?

-Ma mère vient aussi d'Essen

-Mais ton père ?

-Mon père est Italien

-Ah, c'est un nom italien ?

-Oui

-Tu viens d'où en Italie ?

- Je ne viens pas d'Italie

-Mais tes parents ?61 » ».

Même lorsqu'on parle avec bienveillance de « dialogue des cultures », cette conception territoriale des cultures continue à hanter les esprits.

Dans cette vision du monde où l'appartenance nationale et l'identité sont indissociables, les questions « qui suis-je ? » et « d'où suis-je ? » ne peuvent pas avoir deux réponses, et cela restera ainsi pour toute la vie62. Cette intransigeance propre de la logique interne du nationalisme méthodologique empêche de penser, et même parfois

61 Santina Battaglia, 2004. Citation dans l'ouvrage de Ulrich Beck, Qu'est-ce le cosmopolitisme ?, Ed Flammarion, Paris 2006. Page 52

62 Ulrich Beck, Qu'est-ce le cosmopolitisme ?, Ed Flammarion, Paris 2006.

tout simplement de voir, la recomposition des distinctions qui se profilent dans les nouvelles formes d'appartenances, d'interactions sociales et d'expériences multiculturelles. Il s'agit en fait d'un handicap interprétatif important : le nationalisme méthodologique pense le social, le culturel et le politique dans ce que l'on appelle le principe d'alternative exclusive (ou bien ou bien), c'est-à-dire que les rapports doivent se placer dans un choix bipolaire et en s'excluant, cela débouche inévitablement dans une impasse en raison des fausses alternatives qu'elle présente. La catégorie exclusive reconnait soit un fait, soit l'autre, soit citoyen, soit étranger, soit ami, soit ennemi, soit compatible, soit incompatible, etc. Sous le prisme de la catégorie exclusive la raison se voit empêchée d'envisager les univers culturels étant à la fois différents et égaux, ainsi, si l'on veut préserver sa propre culture par exemple il faut mettre les autres à écart, et cela implique de ranger les différences culturelles dans un rapport de hiérarchie.

L'alternative exclusive s'oppose au principe de l'inclusion additive (et-et) qui est le distinctif par excellence de la vision cosmopolitique et de l'Identité cosmopolitique. Selon le principe de l'inclusion additive, les univers culturels, par exemple, ne s'inscrivent pas dans un rapport de conflit, de concurrence ou de rivalité, ils reposent sur les diverses stratégies du rapport social à l'altérité, ils se superposent, se corrigent, se limitent et se préservent mutuellement.

Le nationalisme méthodologique et le principe de l'alternative exclusive qui lui est intrinsèque, favorise les regards équivoques non seulement envers les rapports interethniques, interculturels, interpersonnels ou envers notre rapport à la nation, à la nationalité et à l'appartenance, mais elle a aussi des répercussions sur notre rapport à l'Histoire et sur les idées que l'on se fait de l'Europe ainsi que de nos propre réalités culturelles. Par conséquent l'Europe, par exemple, organisée en états-nations, « ne s'est pas contentée de tracer les frontières politiques au Proche-Orient. Elle projette aussi ses frontières sur l'histoire, l'art et la culture d'orient. Dans sa politique culturelle et scientifique, l'Europe sépare la tradition juive de la tradition islamique, et cimente par là même des lignes de démarcation idéologique qui aujourd'hui encore font obstacle à la résolution pacifique du conflit au Proche-Orient »... « Historiquement, les littératures et les arts, la cuisine et la tradition religieuse de l'aire culturelle arabe sont si étroitement liés qu'ils ne peuvent être étudiés et présentés qu'ensemble. Ainsi la théologie islamique se compose en grande partie de réponses à des questions que le judaïsme et le

christianisme ont portées jusqu'à elle et vice-versa »... « la situation est tout-à-fait identique pour le judaïsme : l'Europe chrétienne, mais également la pensée rabbinique ont accueilli l'héritage antique par l'intermédiaire de la civilisation islamique63».

Un éventail de présupposés résulte donc de la fausse idée de l'existence de totalités culturelles bien délimitées les unes par rapport aux autres et qui correspondraient strictement aux délimitations territoriales des état-nations. Dans le nationalisme méthodologique le rapport à la différence culturelle est fondé sur une représentation naturalisant les frontières nationales : elles seraient le fruit d'une réalité préexistante et indiscutable. L'optique nationale dessine ainsi un système interprétatif erroné qui construit une représentation mononationale et monoculturelle de la réalité. Elle conforte l'idée territoriale de la culture ainsi que l'idée d'une supposée imperméabilité culturelle ontologique des sociétés.

« Dans l'univers rien ne se perd, rien ne crée, tous se transforme » a dit un jour Lavoisier, mais il faisait référence à la chimie. C'est dommage car il aurait pu le dire pour la culture aussi.

Le nationalisme méthodologique contient également une ferme prétention essentialiste, qui renforce l'existence de toute sorte de clichés nationaux : les idées préconçues s'aménagent sous la forme de faux repères tenus pour des vrais. Cette vision fondamentaliste de la culture se traduit dans l'expérience quotidienne par l'idée, par exemple, que tous les espagnols aiment la fête, que tous les italiens sont bruyants et que tous les japonais sont patients, mais cet essentialisme se reflète aussi sur des aspects plus regrettables comme par exemple l'idée très répandue sur les colombiens : ils sont tous des trafiquants, ou sur les argentins qui sont arrogants (dans le monde hispanophone), les congolais méchants (Afrique du sud). On dit aussi que tous les algériens veulent émigrer, que tous les français sentent mauvais (Amérique latine). Et ainsi de suite pour chaque référence nationale. Nous avons tous entendu d'une façon ou d'une autre les images préconçues les plus bêtes qui puissent exister : les grecs ont des gros sourcils et les portugaises sont poilues. Ce modèle d'interprétation à vocation totalisante se répète sur beaucoup de domaines, par exemple, au niveau de la prétendue unicité des traits

63 Citation de : Kermani/Lepenies 2003 « Verkannte Brüder », Sü-deutsche Zeitung du 11 juin 2003. Dans l'ouvrage de Ulrich Beck, Qu'est-ce le cosmopolitisme ?, Ed Flammarion, Paris 2006, page 63

ethniques : les suisses et les allemands sont blonds, les mexicains sont petits et bruns, les péruviens ont des traits indiens, et ainsi de suite. Il existe également d'autres représentations très inappropriées et déplacées comme par exemple la prédisposition culturelle au développement économique, à la modernité et à la démocratie64.

Pour revenir aux figures collectives de la représentation des totalités nationales, il ne s'agit pas non plus de nier l'existence des caractères nationaux qui se sont créés au fil des expériences nationales et historiques, et qui font partie aussi de la diversité du monde, car après tout, il est vrai que certains argentins ont un talent particulier pour chercher les limites de la patience, que la culture Ibérique entretient considérablement les rapports sociaux autour des comptoirs, que le Pérou peut paraitre assez folklorique, et qu'il peut s'avérer très agréable d'aller en vacance au Brésil. Cependant, des problèmes graves se posent lorsque ce fondamentalisme culturel prend le dessus dans les relations interethniques ou interpersonnelles, lorsque ces préjugés sont négatifs et se généralisent dans l'ensemble de l'imaginaires collectif et conditionnent notre rapport à la différence : la xénophobie par exemple trouve ici sont terrain préféré et ce n'est pas la moindre des choses.

En ce qui concerne la mondialisation, le nationalisme méthodologique et le principe d'alternative exclusive peuvent préfigurer un néonationalisme qui, contrairement au nationalisme fasciste du XXème siècle, est une forme de nationalisme qui ne cherche pas la conquête ou à s'imposer aux autres. Ce nationalisme est plutôt « introverti » : le monde global est perçu comme une menace, la mondialisation et les mondialistes représentent un risque pour la vie locale et pour l'exclusivité de la culture nationaleterritoriale.

En conclusion, le nationalisme méthodologique fonctionne comme une véritable prison de notre système cognitif qui s'interpose et qui nuit à l'entente entre les peuples. Il s'impose comme grille de lecture, pour finalement conditionner la perception, cela amène à une perte de sens chronique de la réalité: l'ethnocentrisme est ainsi tributaire de l'imaginaire national. Par ailleurs, ces dernières années nous avons été témoins des effets néfastes du nationalisme méthodologique sur la politique internationale : les guerres

64 Samuel Huntington, Le choc des civilisations, Paris, Ed. Odile Jacob, 1997

d'Irak ou d'Afghanistan ont été construites comme des guerres nationales, alors qu'elles visent un terrorisme international qui ne correspond pas à une nation. En conséquence, des milliers de gens innocents endurent encore toutes les horreurs d'une guerre, au nom de quelque chose qui n'a pas de nationalité. Le nationalisme méthodologique ne s'aperçoit aucunement de l'air narquois avec lequel le concept de nationalité contemple les Droits de l'Homme. Il ne voit pas non plus le déterminisme social que signifie la nationalité presque à perpétuité fondée sur le lieu de naissance. A l'heure où les anciennes appartenances ne font plus de sens, la mesquinerie des raisonnements de l'optique nationale prend le dessus et refuse obstinément l'avènement d'une communauté de destin civilisationelle qui est pourtant déjà là.

3. Cosmopolitisme et expérience multiculturelle : la constitution de l'identité cosmopolitique

« Nous réussissons mieux à nous connaitre en sortant de nous-mêmes, et les circonstances nous permettent souvent de déceler dans des sociétés différentes des nôtres le jeu de forces qui agissent également dans les nôtres mais à notre insu65 »

a) Le cosmopolitisme

De Kant à Marx ou d'une façon différente Adam Smith, en passant par Nietzche ou Goethe, de nombreux auteurs ont pensé la modernité comme un processus qui mène les sociétés et les petites communautés territoriales à une dissolution dans une interdépendance universelle croissante. Ils avaient minutieusement étudié l'évolution de l'Histoire humaine dans ses plus longues lignes, et jugeaient peu probable que l'état et la société sous forme d'une homogénéité nationale puissent incarner pour longtemps la suite de l'histoire mondiale.

Le terme de cosmopolitisme dessine une façon de penser le monde comme un système d'interdépendances croissantes dans les champs politiques, économiques, scientifiques et culturels et qui ne peut pas faire de mal. Il s'agit de porter un regard plus,

65 Fauconnet. La responsabilité.

disons, « optimiste » sur l'évolution du monde. Cela peut paraître difficile voire paradoxal, étant donné l'envergure des défis auxquels l'humanité est confrontée aujourd'hui, les problèmes actuels, et ceux de demain. Peut-être le problème est-il justement là: on continue à aborder les conséquences indésirables de l'accroissement des interdépendances à l'échelle mondiale sous l'optique nationale, alors que l'on peut déjà faire le constat que l'expérience quotidienne elle-même est devenue dénationalisée. Nous sommes témoins aujourd'hui de l'apparition d'une possibilité : celle d'un horizon d'expérience, d'un monde unique, simultané et indivisible dans sa propre diversité. La guerre d'Irak, par exemple : pour la première fois dans l'histoire une guerre a été traitée comme un « événement relevant de la politique intérieure mondiale66 », et l'humanité entière s'y est intéressée en temps réel par l'intermédiaire des medias. De même, pour les attentats du 11 septembre 2001 et la menace terroriste. Nous sommes dans un espace d'expériences simultanées, une civilisation globale caractérisée par la quotidienneté des événements globaux et par la naissance d'une empathie globale. Partout dans le monde, des hommes constatent et réfléchissent à un présent et à un avenir collectivement partagé et en même temps menacé. Il s'agit d'une perspective qui nécessite d'être libéré des contradictions des schémas nationaux de l'histoire, de la mémoire et du collectif.

Le cosmopolitisme, est quelque chose d'actif, une mission qui consiste à ordonner le monde, à accepter d'abord que l'histoire ne recule pas et que les modèles anciens ne peuvent pas se prolonger infiniment. Heureusement d'ailleurs car, après tout, ils n'étaient pas parfaits non plus. Nous pouvons être d'accord sur le fait qu'avant, il y avait peut-être plus des forêts que de personnes, et plus de baleines que de voitures, mais aussi plus de mortalité infantile que des médicaments. En tous cas, c'est déjà fait et c'est maintenant à chacun de participer à l'évolution des consciences et de contribuer à la culture mondiale avec sa langue, sa culture, ses compétences et par des actes de résistance, militants ou participatifs. La cosmopolitisation du monde permet d'alimenter le sentiment d'être soimême partie intégrante d'une grande « expérience civilisationelle » car, comme nous l'avons dit, l'humanité est aujourd'hui, plus que jamais, consciente d'elle-même.

Par ailleurs, ce serait une erreur de supposer que l'empathie cosmopolitique viendrait remplacer l'empathie nationale : chacune imprègne, modifie et enrichit l'autre. De ce

66 Ulrich Beck, Qu'est-ce que le cosmopolitisme ?, Paris, Ed Flammarion, 2004

fait, pour l'optique cosmopolitique, les interdépendances, par exemple, sont une garantie pour le maintien de la paix (c'est le cas pour l'Europe), en rendant impossible un accroissement débridé des hostilités entre les états-nations qui risquerait de déboucher sur de nouvelles guerres dévastatrices.

La mondialisation est un fait, et le cosmopolitisme une façon de la saisir, de l'aborder et de la comprendre. De ce fait, elle peut être vue, non comme une homogénéisation infligée, mais comme une chance historique d'harmonisation politique et sociale entre les peuples. Pour le cosmopolitisme, les différences entre les cultures continuent à exister même si les interdépendances augmentent car le principe d'inclusion additive n'exclut pas la cohabitation possible entre deux cultures dans le même espace d'expérience sociale.

Il ne faut pas construire une fausse opposition entre le national et le cosmopolitique car il s'agit plutôt d'une redéfinition du national et du local. Par exemple, la notion juridique de « crime contre l'humanité », ainsi que le Tribunal pénal international dépassent largement le nationalisme méthodologique sans pour autant signifier l'anéantissement du national. Le principe juridique cosmopolitique protège la population civile des violences arbitraires commises par un état souverain devenu fou et criminel. Les principes du droit cosmopolitique priment sur le droit national. Les crimes contre l'humanité ne peuvent plus être légitimés, ni négociés par le droit des états nationaux. Il s'agit d'une création inédite dans l'histoire de l'humanité : cette typologie de crimes abolit les principes des lois et la jurisprudence des états-nations.

En conclusion, la cosmopolitisation du monde doit être analysée comme une modification des fonctions des états, sans nier l'existence des particularités nationales : l'apparition de modes de vie transnationaux variés, l'importance croissante des institutions non étatiques, la lutte pour la reconnaissance mondiale des Droits de l'Homme, les mouvement migratoires et les expériences multiculturelles qui en découlent, le flux de capitaux et de symboles culturels, l'apparition des mouvement globaux de contestation, la justice sociale, le droits du travail, la protection de l'environnement et la gestion de ressources, la recherche scientifique, la lutte contre la pauvreté, les mouvement antimondialistes, les crises économiques etc... La conséquence de tous ces phénomènes est la reconfiguration et l'irruption de nouvelles

formes de l'appartenance et de l'identité car celles-ci côtoient, une quantité innombrable de fois et de façon simultanée, le caractère mondialisé de nos vies.

b) Le cosmopolitisme et l'acte migratoire comme expérience multiculturelle : Les voies de l'Identité cosmopolitique

Nous sommes enfin arrivés à l'Identité cosmopolitique, terme qui donne son titre à ce mémoire. Pour comprendre de quoi il s'agit, il faut bien garder à esprit les soixantedix pages qui précédent celle-ci.

L'Identité cosmopolitique est le résultat de la transformation que subit le sentiment d'appartenance nationale, chez certaines personnes, comme conséquence de la reconfiguration de l'identité suite à une expérience multiculturelle liée à un acte migratoire. L'Identité cosmopolitique exprime la possibilité d'être natif d'un lieu et de toucher à l'universalité, ce qui se traduit par un sentiment d'appartenance au-delà des nations. Cette définition parait encore très vague, nous allons l'expliquer point par point.

Dans le champ cosmopolitique, se profile une nouvelle typologie de l'identité. Les typologies précédentes ne sont plus aptes à décrire une réalité de l'existence qui est de plus en plus transnationale, marquée par les appartenances multiples qui transcendent les barrières des pays et des nationalités. L'Identité cosmopolitique met directement en question l'un des piliers les plus fondamentaux de la représentation de la société : l'étatnation. En effet, elle constitue un déplacement des identités nationales ainsi que des revendications politiques, sociales et culturelles qui se situent désormais au-delà des appartenances territoriales fondées sur l'échelle des États-Nations. Il s'agit d'un regard dialogique capable de saisir les ambivalences au milieu des anciennes distinctions qui s'évanouissent, un regard consensuel dominé par l'ouverture d'esprit et la tolérance pour saisir les défis que pose notre façon à tous de vivre ensemble dans une situation de mélanges culturels.

Avant de continuer, nous allons préciser la signification de l'expression « expérience multiculturelle ». Dans le cadre de cette étude nous entendons par expérience

multiculturelle le fait de s'insérer dans un espace culturellement différent, situé en dehors des frontières de l'état-nation d'origine. Autrement dit, nous allons établir un angle d'approche culturel : l'acte migratoire entendu comme une « expérience multiculturelle ». Pourquoi cette expérience doit-elle nécessairement être en dehors des frontières de l'état-nation? Parce qu'étant donné que nous sommes en train d'étudier l'appartenance nationale et que celle-ci est le résultat du jeu de signes et de symboles du national et de son système de représentations, quitter les frontières permet de se mettre directement en rapport avec un autre univers national et culturel, auquel on n' « appartient » pas, en établissant ainsi une expérience dialectique consubstantielle avec la différence.

De toute évidence, un voyage touristique peut s'avérer très fécond et constructif du point de vu du vécu multiculturel ; il peut déclencher des réflexions et des émotions très variées à propos du fait national et avoir ainsi des répercussions importantes au niveau du sentiment d'appartenance nationale et de l'identité nationale ; cependant ce type de déplacement ne sera pas inclus dans le concept d' « expérience multiculturelle » que nous voulons traiter ici, et qui fait partie de l'Identité cosmopolitique, principalement parce que les enjeux liés au tourisme ne sont pas du tout les mêmes que dans l'acte migratoire, quel que soit sa typologie. S'insérer par exemple dans un mode de vie transnational, où le migrant met en place des relations sociales, culturelles et économiques, et des activités qui dépassent les frontières classiques, sera considéré comme une expérience multiculturelle. Dans un déplacement à titre touristique il n'y a pas de véritable détachement organique de l'état, au sens de Durkheim. Le fait de disposer d'un statut d'étranger, par exemple, et les documents qui vont avec (ou leur absence) dans la société dans laquelle on vit révèlent des enjeux qui sont propres à l'acte migratoire.

Nous préférons parler d' « acte migratoire » entendu comme « expérience multiculturelle » afin d'échapper à la typologie de la migration. En effet, une personne qui possède une double nationalité, par exemple, et qui décide d'aller vivre dans le pays qui correspond à sa deuxième nationalité réalise un acte migratoire dans le strict sens du terme, mais dans la société d'accueil et selon la typologie de l'immigration elle n'est pas

considérée comme un immigrant67, toutefois il s'agit bien d'une expérience multiculturelle.

L'expérience multiculturelle incite à une interprétation et à une réinterprétation constante des milliers de signes et de figures qui composent un univers culturel distinct, ce dernier étant différent et semblable à la fois. Toutefois, affirmer que l'expérience multiculturelle entraine nécessairement une réorganisation de l'identité ou un bouleversement du sentiment d'appartenance national serait inexact et équivaudrait à partir d'une fausse prémisse. Notre intention est d'analyser les conséquences d'une telle expérience.

Il y a d'innombrables éléments qui jouent dans le rapport à l'identité et à l'appartenance. Nous avons analysé l'arsenal symbolique de l'état-nation et sa dynamique au sein d'un système d'interprétation, nous avons vu comment cet arsenal se conjugue avec des principes objectifs et non objectifs tels que la race et le territoire, ou les documents et la citoyenneté. Bien que ces éléments soient, en principe, communs à toutes les appartenances nationales, l'expérience multiculturelle ne va pas être vécue de la même façon par chaque ressortissant d'un état-nation. En effet, diverses possibilités existent selon les circonstances extérieures ou les souhaits et les tendances des personnes concernées. Ensuite, entrent en jeu les conditions liées aux situations, qui sont à proprement parler politiques, sociales, économiques et culturelles, ainsi que les différentes phases de l'existence, dont le rôle est lui aussi important. Les expériences de vie ne peuvent pas être normatives, de ce fait il faut tenir compte que l'expérience multiculturelle va être vécue d'une façon radicalement différente, s'agissant de la même personne qui immigre en Grande Bretagne, ou Allemagne, ou aux Emirats Arabes Unis. De même pour un Algérien, il vivra forcement ce type d'expérience différemment en France qu'au Canada. Nous pouvons continuer ainsi de suite avec tous les origines possibles envers toutes les destinations possibles sur terre et avec autant de combinaisons imaginables qu'il y a de réalités culturelles et humaines dans le monde. Nous pouvons citer également les conditions et les raisons qui ont motivées l'acte migratoire, car la situation n'est pas comparable entre un exilé politique et un aventurier. Les contraintes logistiques jouent aussi un rôle important : les moyens de financement, les distances

67 Typologies de la migration selon l'Organisation internationale pour les migrations. Source site web www.iom.int juin 2010

géographiques, les conjonctures administratives qui déterminent les différents droits et devoirs, de même que les difficultés linguistiques, la capacité d'adaptation et le sens du relationnel, la signification de la couleur de peau en fonction du pays d'accueil, les expériences personnelles et les besoin émotionnels, sans oublier le hasard qui est un facteur important, etc. Tenant compte de la pluralité de ces situations, comment peut-on alors saisir les répercutions de l'expérience multiculturelle chez un individu ? Pour cela, nous allons aborder d'abord les aspects qui sont communs, indépendamment des circonstances.

Selim Abou par exemple nous dit que la prise de conscience de l'identité culturelle nécessite la confrontation avec un autre groupe qui possède une autre identité culturelle. Ce principe est commun à toutes les figures d'expériences multiculturelles : la conscience du soi ethnique et culturel émerge uniquement lorsque des systèmes culturels s'affrontent, elle n'émerge que grâce à la rencontre interethnique. En d'autres termes, l'identité culturelle ne prend totalement conscience d'elle-même que là où apparaît la différence, par opposition ou par négation de celle-ci.

Il s'agirait donc d'un premier pas vers l'Identité cosmopolitique : le processus de prise de conscience de sa propre réalité culturelle commence par l'immersion dans un univers culturel différent ou méconnu (une expérience multiculturelle), il s'établit ainsi un double jeu ou feedback68. Elle submerge l'individu dans une interaction quotidienne avec un nombre infini de signes culturels distincts qui, par contraste et par opposition, permet de révéler à soi-même son propre héritage culturel. Celui-ci conditionne inconsciemment les façon d'agir ainsi que les multiples manières de penser, de sentir et de vivre son rapport à l'absolu, en tenant compte des singularités des situations. Cette interaction et ce processus de découverte peuvent s'étendre dans le temps de façon presque infinie car il y a autant de signes et de figures culturelles à découvrir que de combinaisons de situations où se manifeste la culture.

La suite d'une expérience multiculturelle peut prendre plusieurs chemins (dont Selim Abou offre une typologie remarquable), il s'agit d'un véritable éventail de possibilités. Toutefois nous allons nous concentrer sur celles qui concernent l'Identité

68 Formule anglophone qui décrit un effet de retour ou rétroaction.

cosmopolitique. En même temps que l'on découvre sa propre identité culturelle, un dialogue s'établit, une négociation constante de l'identité, car l'affirmation de l'identité est d'abord un acte de revendication, une autodéfense. Dans la typologie de la réorganisation culturelle qui domine69, Selim Abou parle d'une acculturation à fort caractère positif, c'est-à-dire d'une résolution lente et progressive d'un conflit de culture. Dans cette lutte interne/externe pour réussir un aménagement identitaire, la capacité d'adaptation à la différence culturelle, la capacité de gestion des besoins émotionnels et du mal du pays sont rudement mises à l'épreuve. Une acculturation harmonieuse est la voie offerte par ce conflit, elle débouche sur un enrichissement de la personnalité et non sur sa destruction. Cette évolution a surtout la propriété d'introduire l'individu dans un mouvement de réorganisation constante de l'identité. Vivre une expérience d'acculturation positive est donc une deuxième étape vers l'Identité cosmopolitique.

Quel est le rapport entre l'Identité cosmopolitique et le processus d'intégration ou d'acculturation d'un immigrant ? Il est difficile de l'établir, premièrement car dans cette étude je ne dispose pas d'un recueil d'éléments empirique suffisamment largue, qui serait nécessaire pour avancer des hypothèses ou des conclusions en ce sens. Deuxièmement, l'Identité cosmopolitique est une identité émancipée des prémisses du nationalisme méthodologique, c'est-à-dire que les typologies de l'intégration (ou de l'acculturation) ainsi que le phénomène qu'elles essayent de décrire ne répondent pas à la même catégorie d'analyse. Le concept d'intégration reste tributaire des conceptions nationales. Cependant, il est certain que l'Identité cosmopolitique dépend ou est rattachée à un niveau ou à une forme d'intégration. Dans le cas contraire, l'échange culturel qui lui est indispensable existe dans un degré extrêmement insuffisant.

Le concept d'intégration désigne l'insertion des nouveau-venus dans les structures économiques, sociales et politiques du pays d'accueil. Deux chercheurs canadiens A. Archambault et J.-C.Corbeil, distinguent trois niveau : « après un niveau d'intégration de fonctionnement, c'est-à-dire le niveau où l'adulte est capable de communiquer (dans la langue du pays) et de gagner sa vie en toute autonomie... » Le deuxième niveau est «... l'intégration de participation, l'adulte est actif dans la société et il veut jouer un rôle dans un domaine d'activité quelconque : la politique, le syndicalisme, les mouvements

69 Selim Abou, L'Identité culturelle, Beyrouth, Ed Perrin - Presses de l'Université Saint-Joseph, 1995

sociaux, etc. enfin le troisième niveau d'intégration c'est l'intégration d'aspirationl'adulte décide de lier son avenir et celui de ses enfants aux projets d'avenir du groupe, comme membre à part entière dans la société 70».

En ce qui concerne le premier niveau d'intégration, l'Identité cosmopolitique trouve largement son compte : dans l'expérience multiculturelle, l'Identité cosmopolitique s'engage dans la recherche d'une harmonie culturelle au milieu de la tension dynamique qui se trouve entre l'ouverture à l'autre et le retour à soi. Elle s'appuie fermement sur les principes et les postulats du cosmopolitisme, non seulement pour négocier le caractère mouvant de l'appartenance et de l'identité, mais aussi pour défendre la légitimité politique d'être soi-même un acteur privilégié de cette réalité cosmopolitique du monde en pleine élaboration. La démarche critique du cosmopolitisme ainsi que l'affranchissement du nationalisme méthodologique sont des principes intrinsèques et essentiels à l'Identité cosmopolitique. Ils sont des instruments indispensables afin de saisir les agencements qui permettent de trouver l'équilibre dans la dialectique vivante entre soi-même et l'Autre.

Revenons sur la typologie de l'intégration reprise par Sélim Abou et le deuxième niveau de l'intégration celui de la participation. L'Identité cosmopolitique implique certes un niveau de conscience politique mais pas forcement une activité ou une démarche politique au sens strict du terme. La notion d'intégration, telle que nous l'avons décrite, est tributaire du nationalisme méthodologique, pour comprendre ce point il suffit de répondre à la question suivante : a quoi est-on sensé s'intégrer ? À l'étatnation en question évidement. Alors, si la participation politique, sociale ou culturelle dans la société d'accueil est dominée ou motivée par le désir de contestation des préceptes de l'état-nation lui-même, peut-on continuer à parler sur le même registre de la notion d'intégration ou de participation? Certainement pas.

Il y a environs trois siècles on demandait à un étranger de faire preuve de dévotion religieuse pour être accepté en tant qu'être humain, et il fallait assister à la messe du dimanche. Aujourd'hui on lui demande d'assister aux réunions du Modem (ou autre) ou de faire des travaux d'intérêt collectif pour recevoir la bénédiction des citoyens et de

70 Selim Abou, L'Identité culturelle, Beyrouth, Ed Perrin - Presses de l'Université Saint-Joseph, 1995

l'administration. L'Identité cosmopolitique ne s'articule pas forcement à partir des notions d'intégration.

Enfin, le troisième niveau d'intégration, l'aspiration, est incontestablement lié à l'idée de « communauté de destin », composante essentielle de l'identité nationale. Nous arrivons au même paradoxe que celui de la participation. L'acteur de l'expérience multiculturelle, a-t-il le droit de se sentir d'avantage partie d'une communauté de destin global plutôt que nationale ? La notion d'intégration à première vue ne parait pas donc très pertinente et ne figure pas dans parmi les critères essentiels pour estimer les agencements de l'Identité cosmopolitique. La notion d'intégration est un élément transversal à l'Identité cosmopolitique.

Le point d'encrage de l'Identité cosmopolitique se situe dans les identités qui se recoupent, qui se réorganisent et qui se réinventent comme les fruits des échanges et des confrontations propres de l'expérience multiculturelle. Ainsi, réordonner les expériences, les objections et les conflits qui se présentent et les replacer dans la grille de lecture du cosmopolitisme est essentiel pour que les frontières, les certitudes et les distinctions que l'on pensait éternelles se brouillent en laissant ainsi la voie libre à une interprétation tolérante et ouverte des réalités culturelles.

L'Identité cosmopolitique n'a aucunement la prétention de croire qu'elle détient la compréhension suprême de la différence culturelle, ni d'être l'expression ultime de l'altérité multiculturelle. Au contraire, elle assume ses propres limites. Elle est consciente de sa propre ignorance et fait acte d'humilité face à l'impossibilité cognitive de se procurer toutes les clefs et tous les éléments d'interprétation nécessaires au travail de décryptage et de décodage des univers culturels. Elle est consciente, grâce aux connaissances empiriques acquises au long des expériences précédentes, qu'avancer des conclusions prématurées ou des conclusions sur les caractères culturels amène forcement à des erreurs. Ainsi, l'Identité cosmopolitique rompt radicalement avec l'ethnocentrisme qui contamine profondément les regards sur le monde des autres, elle rompt aussi avec la tentation de faire appel au nationalisme méthodologique et à la conscience nationale pour interpréter et pour se positionner face à la différence. L'ethnocentrisme et le nationalisme méthodologique cherchent à détenir le monopole du sens et à garder en otage la vision d'un monde naturellement divisé en nations. L'Identité cosmopolitique,

elle, reconnaît le caractère instable des représentations sociales et culturelles. L'Identité cosmopolitique, c'est aussi savoir marcher sur les ruines de nos certitudes tout en intériorisant les visions des autres.

Identité cosmopolitique ne veut pas dire déracinement : le principe de l'inclusion additive pense le social, le politique mais surtout le culturel à l'aide de catégories qui peuvent se combiner, avec un caractère cumulatif. Ainsi, grâce au principe d'inclusion additif qui domine, elle permet d'être attaché au terroir et en même temps de participer et de sentir une empathie globale. Elle permet de regarder les origines avec estime, mais sans vénération, et de faire évoluer le sentiment d'appartenance multiple sans rivalités. L'Identité cosmopolitique signifie savoir redonner un sens au monde et aux contradictions culturelles.

III. Citoyens du monde

« Je ne suis ni Athénien, ni Grec, mais un citoyen du monde 71». 1. L'association Citoyens du Monde

a) Historique et présentation de l'association Citoyens du Monde

Le 12 septembre1948, Garry Davis, un ancien pilote de guerre américain qui avait participé à des bombardements en Allemagne, déchire son passeport dans un acte symbolique et s'installe face au Palais de Chaillot à Paris, où siégeait l'Assemblé générale de Nations-Unis, pour demander la protection et l'asile aux Nations Unies, en se déclarant Citoyen du monde. Garry Davis deviens ainsi lui-même le premier « Citoyen du monde ». Il s'agit du geste fondateur de « Citoyens du monde » en tant que mouvement. Suite à ces événements, il s'installe dans une tente au niveau du jardin du Palais de Chaillot, où il reçoit la visite des grands intellectuels de l'époque, tel qu'André Breton, Jean-Paul Sartre, et Albert Camus entre autres. Son action inspire par la suite des grandes manifestations et des rassemblements de soutien réunissant parfois plus de 20.000 personnes.

Depuis sa création en 1949, le Registre des Citoyens du Monde enregistre tous ceux qui, à travers le monde, s'identifient en tant que Citoyens du Monde et réclament une démocratie mondiale. Le Registre Internationale des Citoyens du Monde est présenté comme un « service public mondial » à caractère strictement technique. Il ne relève d'aucun parti, ni d'aucune organisation proprement politique et il ne recrute pas de membres cotisants.

L'association Citoyens du Monde fait partie d'un réseau assez complexe qui compte plusieurs entités, organismes et commissions imbriqués semi-indépendants administrativement les uns des autres (voir annexe 1). L'organisme « supérieur » qui est commun à toutes les autres structures, c'est le Registre International des Citoyens du

71 Formule exprimée par Socrate (Vème siècle avant J. -C.)

Monde. Ce registre, qui est tenu depuis plus de soixante années, dispose d'un statut juridique Loi 1901 et fonctionne comme le « Bureau de l'état civil mondial » (selon la formule utilisée par ses propres militants) c'est-à-dire, une sorte de « mairie mondiale » qui, bien qu'elle soit située physiquement en France (66, Bd Vincent Auriol, 75015 Paris) est considéré comme dérégionalisé, déterritorialisée et en conséquence dénationalisée. La mission du Registre international des Citoyens du monde est de tenir un registre d'inscription qui fournit une Carte d'identité de citoyen du monde (voir annexe 2). L'objectif ultime de ce bureau est d'attribuer le statut symbolique de citoyen du monde à tous les inscrits afin de garantir leur droit de participation à l'élection du Congrès des Peuples. D'autres associations à vocation mondialiste participent aussi à ces élections, telles que Amis de la Terre, Service Civil International, l'Union Pacifiste, etc. En 2006, le " Registre des Citoyens du Monde " est officiellement représenté par plus de 50 Centres d'Enregistrement dans 40 pays.

Le Congrès des peuples est une « assemblée de représentants directs d'habitants de la terre... » « ... il est la préfiguration d'une Assemblée mondiale capable d'établir des institutions mondiales indispensables à la survie de l'humanité 72». Le Congrès des peuples a été créée en 1969 suite à un appel lancée par 13 personnalités de réputation mondiale, parmi lesquels des Prix Nobels, des intellectuelles, des scientifiques, l'ancien maire d'Hiroshima, et l'Abbé Pierre, entre autres. Depuis sa création, le Congrès des peuples a été à l'origine de la mise en place de plusieurs sous-organismes qui travaillent ou travaillaient activement pour le développement d'une solidarité mondiale : L'Institut d'études mondialistes (faculté pilote de Sciences politiques et humaines à vocation mondialiste, créée en 1977), l'A.M.I.P, Agence mondialiste de presse (créée en 1980, aujourd'hui inactive) et Le Fonds mondial de Solidarité contre la faim (créée en 1982). Le Congrès des peuples compte aujourd'hui19 délégués et 19 suppléants, désignés par des électeurs répartis dans plus de 120 pays, au cours de 11 élections transnationales qui ont eues lieu entre 1969 et 2007.

Parallèlement aux Congrès de peuples, les différents centres locaux d'enregistrement sont répartis dans plus de 120 pays. Il y a eu en France jusqu'à 30 centre locaux.

72 Somme mondialiste, Un monde de la raison, Ezanville, Ed Club humaniste, 1975

Depuis sa création en 1949, le Registre international de Citoyens du monde a mené diverses activités, notamment les « mondialisations », qui sont des actes symboliques qui consistent à déclarer différentes régions, communes, ville ou territoire comme « zone mondialisée ». Ainsi, en 1949, la ville de Cahors, se déclare ville citoyenne du monde. Cette première mondialisation a été le début d'un large mouvement qui a concerné environ 960 villes, communes, départements, régions et même un Etat, dans des pays tels que la Belgique, le Canada, l'Allemagne, le Danemark, la France, la Gambie, l'Inde, l'Italie, le Japon, Madagascar, le Nicaragua, le Sénégal, le Togo, Etats-Unis et le Kosovo. Près de la moitié des provinces du Japon ont adopté des déclarations de mondialisation. Ce mouvement continue aujourd'hui: la dernière ville mondialisée est la localité de Kashusha (Sud Kivu, République Démocratique du Congo) le 25 juillet 2006.

Dans le cadre de cette étude, nous avons pris contact avec une des branches dépendantes du Registre International des Citoyens du monde, l'ASCOP-Citoyens du Monde. Le sigle ASCOP signifie Assemblée Consultative auprès du Congrès des Peuple et correspond à la branche militante, il s'agit d'un collectif formé par des citoyens du monde qui mènent des activités diverses afin de promouvoir les valeurs de la « citoyenneté mondiale ». Elle est située aux alentour de la ville de Dijon, son secrétaire général est M Alain Bal (entretien annexe 3). Alors que le Registre International de Citoyens du Monde s'occupe avant tout de la gestion des inscriptions, tout en défendant le principe de citoyenneté mondiale et en travaillant en même temps en collaboration avec le Congrès des peuple, l'ASCOP maintient une activité politique et associative plus active.

b) Démarche politique des Citoyens du monde :

Nous pouvons dire que la démarche politique des Citoyens du Monde a été, globalement, divisée en deux au fil des décennies. En effet, aux origines du mouvement, la critique sur la légitimité politique des états-nations, ainsi que sur leur pérennité en tant que système d'organisation de la société, était au sein des contestations. Le principe fondamental de la contestation et de la démarche politique visait une désintégration directe des états et leur dissolution en une grande unification des gouvernements et de leurs souverainetés : un changement radical de la structure internationale. Leur pacte, lu

le 14 avril de 1949 à Paris proclame : « Nous déclarons l'humanité entière en état de légitime défense contre les Etats Souverains, les idéologies et les propagandes qui prétendraient justifier le recours à la guerre... » « ...convaincus que les Etats n'entendrons notre voix que si nous sommes des dizaines de millions rassemblés... » « ...Nous appelons la masse du peuple à se mobiliser librement pour la paix afin de n'être pas mobilisée demain par les Etats pour leurs guerres73 ».

Le discours politique des Citoyens du Monde et des autres associations qui participaient au mouvement était axé principalement sur la recherche et l'exigence de paix et de sécurité pour les populations du monde. Cela parait naturel, puisque ce mouvement est issu des bouleversements politiques et des mouvements de consciences qui ont caractérisé l'après guerre.

Les Citoyens du monde jugeaient donc nécessaire de s'affranchir des états qui, selon eux, ne cherchaient que leurs intérêts particuliers. Leur consigne principale ainsi que leur propre définition de ce qu'est une Citoyen du monde consiste est la suivante « Est Citoyen du monde toute personne, qui reconnait son appartenance à la communauté mondiale, se conduit en conformité avec cette identité, appelle à ce que les problèmes mondiaux soient du ressort d'institutions mondiales démocratique ».

La principale modalité d'action proposée consistait, et consiste encore, à ce que chaque être humain sur terre fasse un acte politique symbolique, en s'enregistrant en tant que Citoyen du monde auprès des différents centres d'administration. « S'enregistrer sur le registre civil des Citoyens du Monde est le seul moyen pour établir des listes électorales mondiales et participer par voies de consultations démocratiques transnationales à la désignation de délégués au Congrès des Peuples 74». Les Citoyens du Monde appellent ainsi chacun à s'exprimer au nom d'une conscience mondiale.

Aujourd'hui, le discours et la démarche politique de CDM ont évolué, et l'association a vécu un élargissement important de ses requêtes et de ses revendications. Ils continuent à penser que l'humanité doit se replanifier et se réorganiser sous la tutelle d'un gouvernement mondial, cependant leur réclamation pour une dissolution des états

73 Rolf Paul Haegler, Histoire et idéologie du mondialisme, Zürich, Ed Europa Verlag Zürich, 1972

74 Brochure informative fourni par Citoyens du Monde

s'est vue nuancée ces derniers trente années. Dans la brochure fournie lors de l'enregistrement comme Citoyen du Monde auprès du centre situé au 66 bd Vincent Auriol à Paris, il est précisé que les CDM « proposent une organisation aux citoyens et populations de la terre, impliquant le transfert de certaines parties de la souveraineté nationale à une Autorité (Fédérale) Mondiale capable de résoudre, par décision majoritaire, les problèmes qui mettent en cause le destin de l'espèce, tels que : faim, guerre, pollution, surpopulation et énergie ». Afin d'atteindre et de sensibiliser un plus grand nombre de personnes, il a fallu assouplir la radicalité du discours original. Il s'agit donc non seulement d'une réadaptation du discours aux changements du contexte politique international (la fin de la guerre froide et des blocs de antagonistes, la fin du processus de décolonisation, la mondialisation, etc.) mais aussi au désir des militants de CDM de redynamiser le mouvement en manque d'adhérents, notamment en France. Malgré cet acte de pragmatisme politique, le discours et le vocabulaire démodé de l'après-guerre continue à hanter les différents documents et brochures, par exemple, le diagnostique des « nouveaux » problèmes de l'humanité repose sur les critiques et les questionnements adressées aux Nations-Unies dans les années 1950.

Parmi les « nouvelles » revendications traitées, figurent « La retraite, la précarité, la répression, la pollution, la faim dans le monde, l'intégrisme, le terrorisme, l'éducation, la santé, l'eau, l'alimentation, l'énergie, la déforestation, le nucléaire, la démocratie, les droits de l'homme... 75» Presque toutes les causes méritent une place dans la liste des menaces et dans le bilan dressé sur les injustices et les problèmes sociaux de l'humanité. Cette flexibilité au niveau des champs d'action est possible car pour la pensée des CDM, l'origine de tous ces maux est la même, et leur remède définitif relève de la même action : la faute est incontestablement liée aux méfaits de la souveraineté absolue des états et de l'absence d'une loi et d'un gouvernement supranational.

Il est important de décrire le ton qui domine dans le discours ainsi que les qualités humaines qui sont sensées être affichées et défendues par tous les CDM. En effet, l'appel à la tolérance, à la vision cosmopolitique et à la reconnaissance de la différence en tant que richesse du monde sont omniprésents dans tous les documents. Savoir s'enrichir des nos diversités, la recherche d'un développement économique harmonieux et respectueux

75 Brochure informative fournie par CDM.

des tous les être humains, la pluralité et le respect de convictions, d'opinions et de tendance, la préservation et le respect de la diversité culturelle, la défense des Droits humains et des droits fondamentaux de toute les populations sans distinction sont parmi les valeurs et les vertus comprises dans la citoyenneté mondiale. De ce fait, un « model de citoyen mondial » se dessine implicitement dans le discours des CDM : il est participatif dans les différentes instances politiques, il a un comportement civique exemplaire, il est respectueux de lois et préoccupé par l'intérêt commun, il est solidaire, altruiste et ouvert du point de vu culturel, il défend la fraternité entre les peuples du monde ainsi que la préservation de la biosphère.

Le fonction de remplir la lacune existante dans l'association CDM, au niveau de l'organisation et de la diversification des actions concrètes proposées aux activistes et aux sympathisants de la citoyenneté mondiale, est assuré, comme nous l'avons dit, par l'ASCOP-Citoyens du Monde. Ainsi, la structuration, la coordination et la gestion des activités en tant que telles est un travail de l'ASCOP, elle est l'héritière directe de toutes les démarches idéologiques et politiques des CDM, il s'agit d'un organisme complémentaire qui reprend non seulement les principes fondamentaux et l'esprit du mouvement mondialiste et des CDM, mais qui essaye également de jouer un rôle de terrain plus actif.

L'ASCOP fonctionne comme une plate-forme de sensibilisation à la citoyenneté mondiale, c'est un espace de participation et d'échanges. Le support privilégié choisi pour le partage d'expériences, de coordination et de communication est internet et notamment Facebook. Un calendrier d'informations et d'activités à caractère mondialiste est ainsi annoncé sur la web, ainsi que les détails de diverses rencontres, réunions de travail, assemblées générales, organisation et résultat des élections, démarches du Congrès des Peuples, journées de commémorations, congrès internationaux, conférences, etc. Les activités affichées se déroulent dans tous les pays du globe.

2. Analyse sémiotique de documents et du discours de CDM

Les thèmes proposés pour l'analyse sémiotique correspondent à un corpus constitué de trois groups de documents plus un élément graphique: le logo de l'association

Citoyens du Monde, deux numéros du bulletin trimestriel de CDM, deux ouvrages imprimés ; un qui est un recueil de 59 articles de l'Agence mondialiste de presse et un autre ouvrage qui corresponde à la somme mondialiste.

a) Document A : Le logo de CDM

Commençons par l'analyse des éléments graphiques : le logo de l'association CDM est composé de deux éléments sans relief et entièrement monochromes : un cercle et la figure d'un homme au centre. Le figure de l'homme est esquissée d'une façon très simple, il s'agit d'une figure humaine telle que la dessinerait un enfant : un trait pour les bras, un trait pour le tronc, un trait pour chaque jambe et un cercle qui représente la tète. De toute évidence, par sa position, il s'agit d'une allusion à l'Homme de Vitruve de Leonardo da Vinci, considéré comme le symbole de la symétrie basique du corps humain et de l' « universel » par extension. L'Homme de Vitruve est le symbole de la renaissance et de la pensée de Lumières : l'homme au centre. La simplicité du dessin nous propose la représentation d'un minimum commun dénominateur de l'espèce humaine : il suggère le caractère universel de ce type de dessins enfantins, qui ne représente ni un adulte ni un enfant. Le féminin et le masculin, impossible à distinguer, se trouvent ainsi réunis, la figure est dépourvue de signes raciaux ou politiques, aucun relief ou dégradé n'interfère avec la simplicité des formes. Il s'agit en effet de la façon la plus simple de représenter un être humain.

L'Homme de Vitruve est une symbolique étroitement liée au mouvement Franc Maçon, mais nous ne nous s'approfondirons pas cette piste d'analyse à cause de son caractère spéculatif.

Cette évocation de l'universalité de l'Homme suggère aussi un accueil chaleureux : les bras sont ouvert, prêts à recevoir et à prendre dans les bras de façon anonyme. Le cercle qui l'entoure, et dont il touche les bords, représente la planète terre. En conclusion, cette composition graphique est un homme universel dépourvu de caractères différentiels, qui accueille chaleureusement, en toute simplicité, et par lequel chaque habitant de la planète peut se retrouver représenté.

b) Documents B : Bulletin trimestriel du centre Français des Citoyens du monde n°144 et premier numéro de la nouvelle série.

Ces deux documents correspondent à la publication du bulletin trimestriel de l'association Citoyens du monde. Malgré l'appellation de « trimestriel », cette publication reste discontinue et liée aux moyens humains et économiques actuels fragiles et instables de l'association. Cette publication fait son apparition au début des années 1950, elle cessera au milieu des années soixante et après un petit rebond dans cette période, elle s'éteint jusqu'à il y a quelques années. Elle est essentiellement destinée aux adhérents de l'association, et arrive aux abonnés principalement par voie postale.

Le premier document date du 4ème trimestre de 2005 (voir annexe 3), il est composé de deux feuilles format A3 pliées, d'une qualité légèrement supérieure à celle d'un journal de presse. Le deuxième document, qui appartient à une nouvelle série datée 4ème trimestre 2009 (voir annexe 4), est composé de 4 feuilles et imprimé dans le même type de support.

Au niveau de la couverture, les deux publications gardent globalement la même structure : le quart supérieur constitue l'en-tête avec le nom de l'association écrit avec la typographie distinctive de CDM et le sous titre « Bulletin trimestriel du centre français ». Sur un fond respectivement bleu et rouge pour celui de 2005 et de 2009, on distingue le logo de CDM en monochrome avec une planète terre en plus pour l'édition 2005. En plus des maximes idéologiques de CDM qui figurent au-dessus du nom de l'association, nous trouvons les coordonnées de l'association ainsi que les références de la publication : codes, prix, date, etc.

Ensuite, sur les deux publications, les titres des articles de couverture recouvrent un huitième de surface de la Une, le reste est composé d'un texte rangé en colonnes, comme dans un journal. La nouvelle édition de 2009 comporte une photographie en noir et blanc d'un homme, qui est en train de déposer un bulletin de vote. Derrière lui un grand logo de CDM accroché au mur. La photographie couvre un huitième de la surface de la Une et se place dans la moitié inferieure gauche.

En ce qui concerne le contenu, dans l'édition du 4ème trimestre 2005, sur les trois principales colonnes de texte, l'une rappelle les principes politiques, les revendications militantes CDM. Elle fait d'abord un bilan général des menaces mondiales caractéristiques de l'après guerre et de l'époque de la Guerre froide telles que la menace bactériologique, les bombes nucléaires, la répétition d'une « solution finale », etc. Ensuite, l'article fustige l'ambition des états-nations et leur manque de vision cosmopolitique qui est, selon le texte, la cause principale du manque de sécurité, d'abondance et de prospérité dans le monde. Il fait un appel à fédérer les « peuples du monde », afin de créer une institution supranationale. Il propose comme geste militant de s'enregistrer en tant que CDM, comme un moyen de se procurer le droit de vote pour l'organisation du Congrès des peuples.

La deuxième colonne est une liste des personnalités de renommée internationale qui ont fait un appel à la conscience mondiale dans les années 1960, parmi eux, des Prix Nobels, des intellectuels, des scientifiques, l'ancien maire d'Hiroshima, entre autres. La troisième colonne, démarquée par un cadre bleu, correspond à la liste des noms des personnes du Comité de soutien en France. Et enfin, tout en bas de la page, un encadrement bleu avec des noms de Citoyens du monde sensés avoir aussi une certaine renommée.

Le contenu de la couverture de ce Bulletin trimestriel de CDM de 2005 est essentiellement tourné vers le riche passé politique de ce mouvement, toutefois il ne conserve pas sa totale pertinence dans l'actualité. En effet, la moitié des noms figurants sur la Une sont des personnalités d'un passé politique actif, mais qui ont peu de rapport avec l'actualité politique de l'association. Et le titre « le 3 mars 1966, 13 personnalités de réputation mondiale lancent cet appel » remémore un acte qui a eu lieu 41 ans avant la publication de ce numéro. Cette publication n'est donc même pas destinée à commémorer spécialement cet acte, puisqu'elle correspond au 4ème trimestre 2005.

A l'intérieur, ce bulletin de 2005 affiche une quinzaine d'articles très hétérogènes répartis sur les huit pages de la publication. Dès l'ouverture du document, le courrier des lecteurs occupe une place importante, contenue dans un rectangle bleu qui le détache du reste des articles. A la tête de la deuxième page, il est précisé que celle-ci est traditionnellement réservée à des associations dans lesquelles militent des citoyens

monde. La suite de la publication aborde, selon un point de vu mondialiste, des sujets variés tels que la surpopulation mondiale ou des critiques sur les organismes internationaux. Elle reprend aussi quelques sujets déjà traités dans les brochures : un rappel historique, les communes mondialisées, et la Charte de mondialisation à remplir et à signer si l'on veut déclarer un territoire en tant que zone mondialisée. Enfin, la publication est clôturée par le formulaire d'inscription nécessaire pour se déclarer citoyen du monde, à remplir avec : nom, prénom, nationalité, date et lieu de naissance, profession, adresse, date et signature. Elle est proposée en douze langues différentes, parmi lesquelles l'esperanto. Ce formulaire stipule aussi qu'il est nécessaire de rajouter un chèque de quinze euros ou sept euros cinquante pour les précaires ou les chômeurs.

Le deuxième bulletin est celui de 2009, nouvelle série. La Une est dominée par un grand texte divisé en quatre colonnes, comme un journal, que n'est interrompu que par une photographie. Cette photographie et le titre d'actualité - sans que la formulation du sujet soit pour autant inédite - ainsi que l'arrière plan translucide de la Terre, qui figure presque sur l'intégralité de la Une, lui donnent au premier abord un aspect nettement plus dynamique que la série précédente. Ce bulletin établit une relative rupture avec les sujets et le ton qui dominaient dans son prédécesseur de 2005. Cependant, le texte sur la Une commence par se féliciter d'avoir pu relancer cette publication, puis se relance immédiatement dans la même démarche répétitive sur l'histoire du mouvement, sur les moments les plus mémorables et sur les principes idéologiques fondamentaux du mouvement mondialiste.

Au niveau du contenu, la deuxième page rompt avec la tradition des publications précédentes de laisser cette place à d'autres associations. Une douzaine d'extraits de déclarations récentes de différents hommes politiques et de différents intellectuels remplissent presque la totalité de la page. Ces déclarations ont été extraites des divers journaux tels que Le Monde, Libération ou Le Figaro. Le principal lien entre elles est la formule de « gouvernance mondiale » qui est marquée en gras. Ainsi, par ce jeu de mise en rapport de convergences discursives hasardeuses hors du contexte, la suite de l'article essaye d'attribuer implicitement ces déclarations à la pensée mondialiste, alors qu'il est impossible de déterminer si la formule « gouvernance mondiale » se réfère effectivement à une institution supranationale ou, au contraire, à un renforcement des puissances mondiales déjà en place et de leur rôle au sein des organismes internationaux.

Les portraits à page entière de deux citoyens du monde qui ont menaient des engagements remarquables sont présentés dans cette publication. M Henri Cainaud, avec qui nous avons pu obtenir un entretien (voir annexe 5), et M Eugène Riguidel, navigateur aventurier qui fait le trajet de la route du rhum avec un voilier qui affiche « Citoyens du Monde » sur la coque et sur la voile. La suite du bulletin est un mélange de rappels historiques, des appelles à l'engagement militant et d'un article d'un ancien citoyens du monde de renommé très important pour le mouvement dans les années 1970.

En conclusion, ces bulletin sont à l'image du contexte présent de l'association : très ancrés dans une lutte politique qui date d'il y a soixante ans et dont, malgré son degré de pertinence actuelle, la forme du discours reste étroitement liée à une réalité d'antan. Le rappel presque insistant de l'histoire du mouvement, ainsi que des « personnalités de renommée mondiale » qui y ont participé, imprègne la publication d'une certaine nostalgie d'un passé illustre de Citoyens du Monde. Le discours contenu dans ces deux Bulletins fait ressortir une claire nostalgie de cette très riche et intense activité politique du passé. Les sujets abordés doivent peut-être conforter les esprits des citoyens du monde de longue date : ils trouveront dans ce bulletin les références aux grandes axes politiques ainsi que les grands moments vécu par ce mouvement. La « gloire du passé » conduit donc sensiblement la proposition politique actuelle, qui reste fidèle aux origines, mais qui n'est pas du tout déconnectée de l'actualité. En effet, des sujets très actuels comme la gestion de ressources naturelles, ou l'environnement, sont au coeur de la démarche de Citoyens du monde depuis ses origines.

c) La somme mondialiste et la publication de l'agence mondialiste de presse

Le premier ouvrage appelé « Somme mondialiste. Un monde de la raison » est une concentration des principes et des fondements du mouvement mondialiste (voir annexe 6), « la bible des citoyens du monde 76» selon les mots de M Henri Cainaud77. L'exemplaire qui m'a été prêté à titre consultatif est une édition qui date de 1975, c'est un texte aujourd'hui épuisé et il n'y a pas des rééditions prévues à cours terme.

76 Annexe 4

77 Henri Cainaud est une figure très respectée parmi les citoyens du monde, ancien résistant, il est militant depuis plus de soixante années (voir annexe 5)

Une photographie occupe les deux tiers de la composition graphique de la couverture : il s'agit de l'image d'un satellite en orbite autour de la Terre. Le tiers inferieur affiche le titre de l'ouvrage en lettres noires sur fond rouge. Les références de l'éditeur « club humaniste » figurent aussi sur la couverture. Le logo de Citoyens du Monde est au centre de la photographie et simule un tampon de certification. En effet, il apparait sur la photographie et se présente comme un élément au-dessus d'un monde où les divisions ne figurent plus, il s'agit d'une construction métaphorique qui suggère que Citoyens du Monde englobe l'humanité toute entière. La figure du satellite représente le progrès, la technologie et l'avenir prometteur de l'humanité unie.

Une centaine de rédacteurs ont collaborés à la rédaction de cet ouvrage, depuis un Prix Nobel jusqu'à de simples militants : des professeurs, des intellectuels, des avocats, des magistrats, des artisans, des ingénieurs, des hommes politiques, tous issus des différentes disciplines telles que médicine, lettre, droit, langue, etc. Trente commissions au cours de plus de 100 réunions de travail ont permis cette rédaction, commencée en Mai 1968. Ce livre, qui a été mis à ma disposition, n'est qu'une partie d'un ensemble de textes (quarante brochures), qui abordent les champs d'action les plus variés. Ils déterminent le positionnement idéologique et les modalités d'action sur : l'enseignement et la santé sans frontières, la transformation des Nations-Unies, la pollution, l'esperanto, le racisme, les minorités, la faim et le développement, la monnaie mondiale, la violence sociale, les projets humanitaires, la reconversion de l'industrie, etc. ainsi que des déclarations, discours et proclamations concernant le développement du mondialisme.

Le deuxième ouvrage est une compilation de cinquante-neuf articles destinés aux circuits de presse. La couverture est relativement simple et n'affiche pas de photographies, deux tiers de sa surface est blanche, avec un sigle composée de quatre lettres en noir : A.M.I.P. (Agence Mondialiste de Presse). Le tiers inferieur est un fond rouge avec des lettres noires où on peut lire « Agence mondialiste de Presse, Club Humaniste ». Cette agence a été constituée sur demande du Congrès des Peuple en 1980 (voir annexe 1), sa fonction consistait à fournir, tous les premiers de chaque mois, aux principaux media du monde et aux journalistes qui le désiraient, une information mondialiste sur un événement majeur. Les thèmes traités sont très variés : le désarmement, la désertification, de Droits de l'Homme, les Droits de la Femme et les

Droits des Enfants, le fond solidaire contre la faim, les élections transnationales, etc. Un vieux marque page en papier vert se trouve entre les feuilles « l'écologie, le choix de la vie ». Il n'est pas difficile de repérer non plus un post-it sur la couverture où apparait, marqué au crayon : « pour consultation H.C ». Pour le sigle H.C nous pouvons supposer que cela veut dire Henri Cainaud, le propriétaire du livre.

A en juger par la qualité très standard de l'édition et de la facture, ainsi que par les papiers mentionnés qui ne font pas partie de l'édition, il semblerait que ces ouvrages étaient principalement destinés aux militants, pour servir d'ouvrage consultatif et informatif sur les principes et les modalités d'action du mouvement. Par ailleurs, une grande partie des contenus des brochures diffusées par l'association ainsi que les témoignages historiques figurants sur les bulletins ont été extraits de ces ouvrages.

d) Analyse de discours des personnes rencontrées

Les deux personnes avec qui j'ai pu avoir un entretien sont M. Henri Cainaud et M. Alain Bal (voir annexe 5). Ce dernier est le secrétaire général de l'ASCOP-Citoyens du Monde, ancien militaire de profession, il a fait la guerre d'Algérie. L'expérience a marqué sa vie et l'a amené à acquérir une forte conscience humaniste, citoyenne et sociale, qu'il exprime dans son engagement au sein de Citoyens du Monde depuis environs trente années. Parallèlement à son engagement militant, il poursuit un travail artistique en tant qu'artiste peintre-coloriste, dans ses expositions nous pouvons apprécier ces oeuvres et en même temps consulter dans un petit coin des brochures de CDM.

M Henri Cainaud, malgré ses quatre vingt cinq ans, conserve une excellente santé, une bonne humeur et une grande vivacité d'esprit. Son parcours est tout à fait inhabituel : Ancien résistant engagé dans les FFI (Forces Françaises de l'Intérieur), puis travailleur pour une entreprise de construction de matériel ferroviaire (qui l'a permis de voyager dans les cinq continents), pacifiste, écologiste, syndicaliste, sculpteur, ancien maire d'Orval et délégué du Congrès des Peuples, il a toujours assumé des engagement militants très variés, axés principalement sur le lutte pour la paix et la justice sociale.

M Cainaud a suivi le parcours classique qui menait à l'époque à la réclamation de la citoyenneté mondiale : la Résistance. M Bal, ne fait pas partie de la génération qui participa à la Résistance, toutefois, c'est son expérience dans la guerre qui l'a amené à porter un regard plus humain sur les personnes, un regard au-delà des nationalités, où il n'y a que l' « être humain qui compte ». C'est une vision qu'il partage avec M Cainaud car leur niveau d'engagement est très fort, et il occupe une part essentielle de leurs vies.

Le fait d'avoir pu les rencontrer m'a permis d'établir un approche complémentaire à tous les documents et à tous les renseignements qui j'avais trouvé précédemment sur Citoyens du Monde. Dès la première rencontre, ces deux citoyens du monde se sont montrés très enthousiastes et coopératifs à l'égard de ma recherche, l'ouverture d'esprit était au rendez-vous.

Au fil de l'entretien et des conversations informelles, ces deux militants me laissaient comprendre que l'essoufflement dont est victime CDM est dû au manque d'adhérents, cela a plongé le mouvement dans une situation de précarité qui a fait diminuer considérablement leur capacité de mobilisation. Une redynamisation des forces par l'incorporation de jeunes semble extrêmement nécessaire afin que le mouvement ne continue pas à se détériorer, au moins en France. En effet, M Bal en tant que secrétaire général de l'ASCOP CDM est un témoin direct du développement qu'a connu CDM dans plusieurs pays africains et d'Amérique latine. De ce fait, les congrès, les réunions et les rassemblements internationaux se fond de plus en plus dans des pays non européens, cela est dû aussi au fait que le régime de visas en Europe est jugé trop contraignant et empêche la venue de membre de pays tiers.

Conclusion

A l'heure de grands questionnements qui surgissent en raison de la mondialisation, de l'unité économique, sociale et technique, ainsi que de l'augmentation des interrogations d'ordre technocratique, j'ai voulu approfondir une réflexion et apporter un raisonnement sur une réalité qui me semble mal comprise dans le discours public et social. Les crises des états-nations ne sont pas uniquement économiques ou financières, elles se projettent aussi sur la conception du rôle de l'être humain dans le concert international. L'intention de ce travail n'est pas seulement d'apporter des réponses, mais aussi d'ouvrir des pistes à d'autres réflexions.

Mon travail de terrain m'a permis de vérifier, nuancer, découvrir et délimiter des aspects qui s'insèrent dans les interactions sociales et humaines, et qui déterminent des modifications dans les rapports des appartenances et des identités. J'ai pu observer et évaluer les enjeux de l'Identité cosmopolitique, et confirmer certaines de ses particularités, cependant d'autres resterons irrésolues dans le cadre de ce travail.

Reprenons donc les problématiques qui ont été présentées dans l'introduction. Le premier groupe de questionnements peut être résumé et contenu dans la problématique suivante : quel est le rôle de l'état-nation dans la construction de l'appartenance? Dans la première partie, nous avons donc vu que le fait d'être nés quelque part et de quelqu'un, est une condition intrinsèque de tous les hommes, ce constat est la source étymologique et le fondement du concept de « nation ». L'état-nation s'approprie ces faits en leur attribuant une valeur et un sens propres, par un travail de construction symbolique qui se traduit par l'appartenance nationale. Ce type de filiation identitaire est donc fondé, comme nous l'avons dit, sur des faits objectifs et non-objectifs tels que la race et la citoyenneté ou l'ethnie et le territoire. Ces faits se voient réinterprétés au sein d'un système de représentation collective qui est indissociable et inhérent à l'état-nation. L'imaginaire national fonctionne ainsi comme un assemblage de concepts qui acquièrent une cohérence propre.

Ensuite, nous avons abordé les enjeux de la mondialisation afin d'établir une approche sur ses potentielles répercutions dans les réorganisations des appartenances et

des identités, dans un monde dominé par les échanges et les croisements de cultures. L'acte migratoire est une figure indissociable non seulement de la mondialisation mais aussi de la nature sociale et territoriale de l'homme. Il se profile incontestablement comme le phénomène sociodémographique qui va dominer le XXIème siècle. Nous avons établi un angle d'approche culturel de l'acte migratoire, traité comme une « expérience multiculturelle » entraînant des bouleversements qui réordonnent la notion de l'appartenance et de l'identité. Cela nous amène aux problématiques principales sur lesquelles nous avons axé ce travail de recherche : quelles sont les répercussions de l'acte migratoire, entendu comme une expérience multiculturelle, dans le sentiment d'appartenance nationale et dans le processus d'affranchissement des catégories rationnelles du national ? L'Identité cosmopolitique est-elle le résultat de ce processus ?

Les hypothèses que nous avions avancées pour répondre à ces questionnements étaient les suivantes : l'« expérience multiculturelle » produit, chez certains individus, une reconfiguration identitaire qui s'inscrit dans un processus de détachement et de transformation du sentiment d'appartenance nationale. L'Identité cosmopolitique est le résultat de ce processus, elle se traduit par une contestation et un affranchissement progressif des catégories rationnelles du national dans l'expérience du quotidien. La constitution de l'Identité cosmopolitique est impossible en l'absence de l'expérience multiculturelle. Ce processus se divise en deux phases : la première se définit en fonction du rapport que l'individu entretient avec son pays d'origine et la deuxième est déterminée par la relation que l'individu entretient avec les cultures d'accueil.

Nous avons établi que notre système cognitif est profondément influencé par ces formes de représentation de l'identité et que cela conditionne nos rapports envers les autres univers nationaux. Cependant, en me basant sur un travail de terrain et sur l'analyse sémiotique des documents, mon travail ne me permet pas d'affirmer avec certitude si l'expérience multiculturelle permet de s'affranchir effectivement du nationalisme méthodologique. Le nationalisme méthodologique relève du cognitif, il ne s'agit pas d'une démarche qui relève du rationnel ni de l'émotionnel. Ainsi, pour savoir si l'expérience multiculturelle permet une modification au niveau cognitif, il faut se référer à la psycho-sociologie, afin de comprendre comment le système cognitif s'enrichit ou évolue dans le cadre de cette expérience.

Quel est le rôle du rapport aux origines et du rapport à la société d'accueil dans la construction de l'Identité cosmopolitique ? Le lien avec le pays dépend essentiellement de circonstances personnelles. Bien que l'identité cosmopolitique se détache du sentiment d'appartenance nationale, les conditions du départ jouent un rôle déterminant dans le dialogue avec le pays d'origine, ainsi qu'avec le pays d'accueil. Ces aspects n'ont pas pu être éclaircis.

La troisième hypothèse à confirmer était de savoir si l'Identité postnationale correspond au stade qui précède l'Identité cosmopolitique. Dans la première partie du deuxième chapitre, nous avons parlé de l'Identité postnationale. L'Identité postnationale est une identité proprement politique, qui revendique la notion de citoyenneté comme un principe qui va au-delà des nationalités. Les droits et les devoirs, ainsi que l'ensemble des droits fondamentaux ne sont pas divisibles territorialement de la même façon que les états-nations. Toutefois, l'Identité postnationale n'est pas forcement liée aux phénomènes migratoires ou à l'expérience multiculturelle proprement dite. Dans sa démarche politique, la démarche postnationale appuie et structure son approche sous un angle éminemment cosmopolitique. Nous pouvons donc affirmer que l'identité cosmopolitique rejoint l'Identité postnationale au niveau de sa perspective cosmopolitique. Elles partagent une vision cosmopolitique du monde. Il s'agit d'un point de convergence important, qui ne permet cependant pas d'établir un lien direct entre les deux.

La dernière des hypothèses était que l'Identité cosmopolitique ainsi que l'Identité postnationale se traduisent par un sentiment d'appartenance à une communauté globale. Notre travail de terrain nous a permis de confirmer positivement le fait que la sensibilité cosmopolitique ne nie aucunement que les interdépendances croissantes ont des répercussions dans les expériences de vie sur certaines personnes, qui déterminent une mutation du sentiment d'appartenance.

En conclusion, tous ces changements nous obligent à mettre en question la validité et la cohérence de nos institutions nationales et internationales face aux évolutions identitaires qui émergent de ce nouveau rapport au monde.

Ce travail a une valeur personnelle inestimable, il m'a apporté un support et des réponses académiques à des questionnements qui hantaient mon esprit. J'espère, très

sincèrement, que ce travail va permettre d'ouvrir les horizons et d'élargir la perception des personnes candidates à l'expérience multiculturelle pour qu'elles puissent compter avec des meilleurs clefs d'interprétation et bénéficier ainsi d'un changement de regard. Le but ultime de ce travail était d'apporter de la lumière afin que l'on puisse profiter un peu mieux de la coexistence dans ce même monde d'hommes et de femmes d'origines et cultures différentes, l'enjeu en vaut la peine.

IV. Annexes

Annexe 1

Schéma de la structure de Citoyens du Monde

Annexe 2

Carte d'identité de citoyen du monde délivrée par le Registre Internationale de Citoyens du Monde

Annexe 3

Annexe 4

Annexe 5

Entretien
Dijon, le 12 mai 2010

Henri Cainaud, citoyen du monde depuis plus de soixante années

Alain, citoyen du monde, secrétaire général d'ASCOP-CITOYENS DU MONDE

Henri : Voilà, ici vous avez différentes brochures.

Alain : Bon, donc vous avez le registre. A la base du courant d'idées.

Henri : c'est là qu'on registre tous les gens qui veulent devenir citoyens du monde Vous n'avez qu'à regarder sur internet.

Alain : Ce registre a ouvert dans des centres en France et dans le monde.

Quand a-t-il été ouvert ici en France ?

Henri :'49

Alain : Voila ici la « Somme Mondialiste », c'est le livre de référence.

Henri : C'est la bible mondialiste (rires)

Alain : La bible ! je n'aime pas ce terme.

Henri : Malheureusement ces textes-là sont épuisés.

Alain : Non, non , j'en ai encore quelques uns.

Henri : Tu en as encore !... ah bon ? Mais tu en as pour toi !

Henri : Oui, j'ai un pour moi, de collection, mais on peut plus en vendre...

[...]

Alain : Donc du coup.. les mondialisations n'ont pas commencé avant le registre ?

Alain : En 49', dans 945 villes, des villes comme Hiroshima, Cahors... on est justement en train d'essayer de préparer le 60ème anniversaire de la mondialisation du Lot, du département... mais bon le problème là aussi c'est comme les vieux citoyens du monde qui -non compris Henri qui est un cas particulier- ont vieilli et ils ont oublié que leur terroir avez été mondialisés et qu'ils avaient signé la charte de mondialisation de Citoyens Du Monde qui ...

Henri : J'ai la charte dans mes archives je peux même vous en donner une... ça aussi c'est mon boulot, tout ce qui est documents. Donc, après, ça a donné lieu aux Congrès des peuples, au départ c'était quoi ?... tous les trois ans ?

Alain : Suivant l'argent qu'on avait (rires) !

Henri : Il fallait essayer de démontrer qu'en fait il était possible que d'une base transnationale les gens puissent designer des délégués pour avoir une parole au niveau de la planète. D'autant que les premiers élus du Congrès des Peuples étaient de gens très bien, parce que, tu peux citer certains non?

Henri : Il y avait Nehru, il y avait Gandhi et...

Alain : Castro aussi... etc.. avec les années ces grands intellectuels nous sont un peu oublié... Henri : Ils sont morts aussi (rires) !

Alain : On a encore de grandes personnalités mais les délégués deviennent aujourd'hui des gens comme toi et moi... des gens qui n'arrivent pas à s'élever au-dessus de la mêlée pour avoir une parole sage. Donc là il y a aussi un grand travail à refaire...

Et vous, Henri, vous êtes citoyen du monde depuis combien de temps ?

Henri : J'ai pris ma carte en '46... les premières cartes si vous voulez...

Vous l'avez toujours ?

Henri : Je l'ai perdue, je n'ai plus la carte d'origine, j'ai dû la changer.

Alain : Donc le Congrès des Peuples a créé le Fonds mondial de solidarité, la particularité est que c'est un fonds mutuel,...

Henri : ...Qui fonctionne toujours !

-Alain : Qui fonctionne toujours ! Là vous tombez sur le coeur de Citoyens Du Monde, parce qu'un des secrétaires est aussi du Fonds mondial.... Peut-être que nous pourrons le rencontrer ?

Henri : John de la Cruz ?

Alain : Oui. Donc l'originalité du Fonds Mondial de solidarité c'est d'avoir créé une mutuelle, les gens qui vont bénéficier de ce Fonds mutuel contribuent aussi à l'alimenter...

De qui dépend cet organisme ?

Henri : Il a été créé par le Congrès des Peuples.

Alain : Chaque année, il finançait une petite dizaine de dossiers...

Henri : Surtout en Afrique !

Alain : Oui, maintenant on travaille beaucoup en Afrique. Aussi en Haïti... Les gens montent leurs projets, l'idée c'est l'autosuffisance alimentaire pour aider les gens, ils proposent le projet au Fonds. Le secrétaire Général de cette institution est ...quoi ? Togolais ?...

C'est sous forme d'ONG ?

Alain : Oui oui, de toutes façons, on ne bénéficie d'aucune aide ni des états ni de personne, on compte sur nos propres moyens...

Henri : Chaque citoyen du monde cotise, si vous voulez.

J'ai quelques questions à vous poser, pour reprendre un peu du début. Quel est le statut juridique de Citoyens Du Monde : une association loi 1901 ?

Alain : Oui, parce que l'organisation Citoyens Du Monde est une marque déposée...

Henri : En fait, c'est une invention d'un combattant américain, Gary Davis, qui a lancé cette idée de Citoyens Du Monde.

Elle est inscrite sous quel nom ?

Alain : Pour être clair ce n'est pas le nom de Citoyens Du Monde qui est déposé à la préfecture de Pairs. C'est Association Ses Secrétariats de Citoyens Du Monde.

Où se situe le siège ? en France ?

Alain : On n'a pas de siège officiel.

Henri : On est à Paris, on a qu'un bureau à Paris.

Henri : Rue de Victor Duruy, c'est un local qui a même été détruit, on nous a lancé une bombe un jour... parce qu'on était considérés comme des révolutionnaires...

Alain : On passait pour des farfelus, des gens dangereux !

Henri : Dangereux !

Alain : Parce que c'est une idée qui est dangereuse pour le simple citoyen. On est passés aussi pour une secte, il faut pas le cacher, alors que tout est ouvert chez nous...

L'idée de Citoyens Du Monde est assez mal comprise ?

Alain : Ah oui, oui, parce qu'en fait on part de l'origine : que l'homme est un citoyen du monde. Que, en fait, les pays ont été fabriqués artificiellement, ça c'est déjà quelque chose que les autorités n'aiment pas comme idée. C'est pas difficile à comprendre, l'identité nationale dans tous les pays s'est faite pour rassembler tous les gens autour d'un pouvoir autoritaire.

Au niveau du bureau de Victor Duruy, qui assure les soutenances ?

Alain : Ce sont des étudiants, il y a deux jeunes filles qui font la permanence le samedi matin. Henri : ...Qui n'ont pas de formation spécifique.

Alain : C'est la petite-fille des Marchand, qui a repris du service. On n'a pas de personnel salarié. Henri : On n'a aucun salarié. Ce n'est pas comme le rotary club (rires). Ce sont tous des bénévoles.

De quel type d'équipement dispose l'association : du matériel électronique ?

Alain : Non, on travaille tous avec notre propre matériel, on n'a pas de locaux officiels. Quand on a des réunions, c'est le centre local qui l'organise avec ses moyens.

L'association a-telle des publications ?

Alain : Un bulletin. Il devrait être trimestriel. Ça devrait. Ça dépend.

Et comment ça fonctionne ? Il y a un abonnement ? Vous le publiez et vous l'envoyez aux personnes qui sont inscrites?

Henri : C'est un abonnement qui coûte 10€ par mois, sinon on peut l'acheter séparément. Mais on le trouve pas dans les kiosques (rires), c'est dommage !

Combien de membres y'a-t-il dans le bureau ? Alain, vous êtes le secrétaire général?

Alain : Non, non, non, je suis pas secrétaire général de Citoyens Du Monde, je suis le secrétaire d'une association qui dépend de Citoyens Du Monde: l'ASCOP- Citoyens Du Monde, qui est la branche militante. Vous voyez nous sommes tous jeunes (rires). On n'est nés qu'en 2004.

Le CA est composé de combien de personnes ?

[ils cherchent]

Alain : Il y a une liste, je sais pas si tu as la dernière ? ... Attendez, attendez, en 2005 il y a eu [il continue de chercher], bon, ça je pourrai vous le renvoyer, mais on est environ 15 personnes qui composent le conseil d'administration. [S'adressant à Henri] tu rectifies si je dis des bêtises.

Quelles sont les fonctions exercées par ces membres ?

Alain : Il y a un président, un secrétaire généra, moi, Henri à la trésorerie, ... [il cherche], bon, là je pourrai vous donner des détails après.

Quelle est la durée des mandats ?

Alain : Normalement on renouvelle le registre tous les 2 ans.

Henri : Non, non, c'est tous les ans, à l'Assemblée Générale.

Alain : Le renouvellement du conseil d'administration ?

Henri : Oui, enfin, le renouvellement... sa confirmation, parce que ça change pratiquement pas !

Vous faites des réunions régulièrement, j'imagine ?

Alain : Oui normalement, il y a des réunions régulières.

Henri : En principe tous les centres locaux viennent exposer leur travail. Ils viennent une fois par an. Mais, comme des centres locaux, y'en a de moins en moins... y'en a peut-être combien ? Une dizaine, qui fonctionnent encore ?

Alain : Maintenant c'est remplacé par des groupes qui animent, qui existent au niveau local.

Henri : Mais à un moment donné il y avait 30 locaux qui fonctionnaient par département. Aujourd'hui, y'en a peut-être 5 ou 6 qui marchent.

Alain : Non, les 30, on les a encore sur le papier, mais qui fonctionnent vraiment, oui, il y en a 5 ou 6. Efficacement. C'est remplacé par des groupements de l'ASCOP, qui, en fait, travaillent sur le terrain, et qui délivrent les cartes ... mais qui n'ont pas la référence, donc, « centre d'enregistrement ».

C'est un mouvement qui commence à reculer un peu ? C'est curieux ...

Henri : Ben, les plus vieux militants sont morts !... ou disparus. Ca s'essouffle

Alain : Le grand moment de Citoyens Du Monde, ça a été après la guerre.

Henri : On n'arrivait plus à délivrer les cartes, tellement il y avait de demandes, c'était fou ! Alain : Au japon, en Australie, ...

Henri : Partout... dans le monde entier. Les gens en avaient tellement marre de la guerre, il y avait une aspiration à la paix !

Alain : C'est pour ça que la base de ce qu'on fait...

Henri : C'est le geste symbolique de Garibaldi, sur le marché de Chaillot, déchirant sa carte... c'était un militaire, un aviateur...

Alain : ...Son passeport de citoyen Américain,

Henri : « Je ne suis plus Américain, je suis maintenant citoyen du monde ». Ça a créé, si vous voulez, un évènement fantastique.

Il s'est installé avec une tente, c'est ça ? Dans le jardin à l'extérieur du Centre des Nations Unies ? Alain : Oui, et puis il y a eu ces manifestations au Sénat, ou... [A Henri] C'est pour ça que je voulais te voir. Tu as plus en mémoire ce qui s'est passé au Sénat, quand ils ont interpellé les députés. De cette période, où il y a eu un élan, vraiment, Citoyens Du Monde, et pas simplement qu'en France.

Mais cet élan, il est né aussi de la réorganisation des Nations Unies ? Alain : Non, c'était contre les Nations Unies, qui sont étatiques.

Mais ce mouvement restait encore attaché aux souverainetés nationales ?

Alain : De toutes façons c'est ce qu'on continue de dénoncer. Il faut, au niveau mondial, des institutions, de la démocratie mondiale, pour régler un certain nombre de problèmes qui nous concernent tous. On l'a vu avec l'environnement dernièrement à Copenhague : on ne peut pas du jour au lendemain convoquer des réunions sans préparation, sans travail préparatoire, etc... Il faut que ce soit quand même des institutions qui travaillent à longueur d'année sur le sujet, qui font avancer les choses et qui rappellent aux politiques qu'ils ont pris des engagements.

Mais ils peuvent pas... bon, les grandes messes, c'est nécessaire, mais c'est pas...

Henri : Nous on veut rendre la parole aux peuples. Voilà. Contre les états.

J'aimerais que vous me l'expliquiez avec vos propres mots ce qu'est Citoyens Du Monde. Ces que signifie être un citoyen du monde...

Henri : Moi, j'ai une définition personnelle qui dit : « est citoyen du monde tout individu qui a élargi sa conscience civique à la dimension de la planète ». Vous savez ce que c'est que la conscience civique ? Bon, ben voilà. Pour moi, c'est ça la définition.

Alain : Oui, elle est bonne.

Henri : Vous êtes citoyen français, vous êtes citoyen de votre commune. Moi, je suis citoyen de Fontaineles-Dijon [?], je suis citoyen de la Bourgogne, je suis citoyen Français. Mais au-delà, je suis citoyen de la planète.

Alain : On est que des locataires de notre planète.

Et comment vous articulez tout ça avec vos nationalités ? Vous êtes français...

Henri : Oui

Alain : Ben, justement, c'est ça notre travail, et, bon, on a vu les difficultés l'année dernière. Le gros problème c'est la langue de communication. Dans le temps... et encore maintenant, on devrait utiliser l'esperanto. Je ne sais pas si vous connaissez ? Mais y'a trop peu de gens qui parlent encore l'esperanto et bon... les nouvelles générations...

C'est difficile l'esperanto !

Alain : c'est le problème de la langue internationale, et le problème de l'hégémonie de l'anglais par rapport aux dépôts [de brevets ?]. Tout ce qu'ils peuvent avoir comme richesse à travers les brevets, les dépôts. Je sais pas si vous vous allez le défendre en anglais, votre mémoire ?

Je n'ai pas prévu de le traduire...

Alain : parce que maintenant, pratiquement dans certains secteurs il faut qu'ils défendent leur thèse [en anglais]...Ce qui est dommage, le monde est en train de perdre la richesse d'un tas de langues !

Mais l'anglais, c'est un bon compromis, parce que c'est relativement simple, c'est accessible...

Alain : Mais on remet tous les instruments du savoir aux mêmes. Il y a quand même des pays qui étaient à l'avant-garde : regarde, les universités chinoises avaient des cours d'esperanto.

Henri : Et les pays de l'est avaient... au niveau bac, de l'esperanto. Tous les pays de l'est ! Alain : Ils redemandent de l'avoir de nouveau...

Henri : ... Et l'Europe : actuellement, compte-tenu de la multitude de pays qui adhèrent à l'Europe, ... ils envisagent de demander aux gens d'utiliser l'esperanto. Parce que ça coûte une fortune de traduire tout ça ! Alain : Dans toutes les conférences internationales, c'est ce qui plombe financièrement ! Au niveau de la traduction ça demande un budget énorme, énorme. Et encore, les mots... chacun les interprète à sa façon, la façon de les entendre. Au niveau des textes internationaux, vous savez que c'est très important, qu'un mot veuille dire exactement la bonne chose.

Henri : Sur le plan scientifique, je crois que même dans beaucoup de cas, on parle l'esperanto pour permettre de traduire dans d'autres langues. C'est l'esperanto qui sert de base. Pour passer d'une langue à l'autre.

Alain : Mais, il y a à travers le monde une fédération de l'esperanto, qui est très vivante, qui agit beaucoup. Ils font des énormes congrès avec 115 pays, de différentes langues, qui parlent tous en esperanto. C'est impressionnant !

Henri : Moi j'ai été à un congrès « espérantiste » international à Vienne, on était de 50 nations ! 50 nation ! On était 1200 personnes. C'était tout en esperanto, toutes les discussions. A cette époque-là, le président de la république Autrichien était espérantiste. On a été reçus là-bas... c'était merveilleux !

Alain : Il y a une littérature, c'est très développé...

En tant qu'association vous défendez aussi l'esperanto ?

Alain : c'est notre langue officielle.

Henri : Il y a en France un centre de formation à l'esperanto. Il y a des groupes locaux, des cours sur Internet, des cours à la radio...

Mais à l'université, il y en a peu ?

Henri : Il y avait, un moment donné, des universités qui délivraient un diplôme d'esperanto. Mais le gouvernement a essayé de casser tout ça, parce que c'était « contre le français » (rires).

Tout à l'heure, quand je vous ai demandé votre nationalité, vous m'avez dit « français »... pas convaincu ?

Henri : si, je suis français... mais je suis d'abord citoyens du monde.

Quelles sont les sources de financement de l'association ?

Alain : Nos cotisations. Et jusque dans les années 90-2000, il y avait quand même de gros donateurs. Henri : Voilà, il y avait beaucoup de mécènes, ..

Alain : ..Qui découvraient l'idée....

Henri : En général c'était eux qui finançaient les frais pour le Congrès Des Peuples. J'ai même le cas d'un viticulteur bourguignon... tu te rappelles ? Il m'avait donné... pas une fortune, mais à l'époque ça représentait peut-être 1000€ ! Comme ça ! Un viticulteur qui avait des sous ! Qui venait de faire un stage en Inde. Un stage de quoi... ? d'ashram ? Il était converti, un petit peu ! (rires)

Alain : C'est pour ça qu'on a des gros problèmes, parce qu'il y a des religions qui sont mondialistes. Et régulièrement ils confondent la notion de civisme, avec leur notion d'engagement religieux. Et là, il faut qu'on défende fermement. C'est vrai que c'est des très bons Citoyens Du Monde. Mais on ne veut pas qu'ils mélangent les deux.

C'est une démarche avant tout politique ?

Henri : le terme Citoyens Du Monde, il y a des gens qui s'en servent.

Alain : D'où la résistance que je vous dis, des anciens, qui sont fermes, tranchés, et qui disent « attention, si vous passez au militantisme, vous allez être envahis de gens qui vont vouloir utiliser l'idée pour leur propre compte. » Voilà la grande séparation qui se fait. Mais il y a aussi beaucoup de religions qui ont une dimension humaniste, même si c'est au service d'une cause autre.

Vous n'avez pas de subventions de la part de l'état ?

Henri : Ah non !surtout pas ! (rire)

Alain : Si seulement ! (rire) depuis des années, on demande aux villes qui nous rejoignent, et aux états qu'ils prélèvent une partie du budget de la guerre pour financer la paix. Tout ce qui peut aller dans le sens de la paix à travers la planète. On attend encore cette subvention, qu'ils prélèvent sur l'armée... c'est pas pour demain !

Quels sont vos rapports avec l'administration?

Henri : Ils sont pas mauvais.

Alain : On est pris pour de doux rigolos.

Un peu incompris ?

Alain : On est gentils (rire) : « ils sont gentils ces gens là ».

Henri : Mais, à un moment donné moi j'ai été surveillé par les ... comment ça s'appelle ?... renseignements généraux. Quand je suis arrivé ici.

Alain : Par exemple, vous pouvez constater, il est très difficile pour nous de faire passer un article dans la presse. C'est une forme de censure. C'est la « censure gentille » .

Vous vous sentez un peu discriminés ?

Alain : Non, j'aime pas ce terme « discriminé »..

Henri : Suspects !

Alain : Ce serait de la discrimination si ceux qui rédigent le journal recevaient des ordres directs de la part d'un supérieur. Mais, là, tu sais, au niveau de la rédaction, ils pensent que ça concerne très peu les gens. « On va passer celui qui a volé une voiture à coté : c'est beaucoup plus médiatique que cette idée de citoyenneté du monde ». C'est pour ça que j'aime pas le terme de discrimination. C'est plutôt que les valeurs de médiatisations des choses qui...

Et vous pensez que c'est dû à quoi, ce problème de médiatisation?

Alain : c'est comme l'Europe...

Henri : C'est une suspicion. On est un petit peu une démocratie, alors que les états, c'est le pouvoir.

Alain : Les états, c'est le pouvoir. Dès qu'on commence à leur parler de se séparer de certains pouvoirs pour le donner au niveau européen... Maintenant, pratiquement toutes les décisions sont prises au niveau de Bruxelles, mais aucun état n'accepte de dire qu'ils ont été obligés de se défaire de certains pouvoirs par rapport à Bruxelles. Ce qui s'est passé pour l'Europe, on peut très bien le transcrire au niveau de la citoyenneté mondiale. Il y a cinquante ans, qui se serait déclaré citoyen européen ? Et maintenant, on est tous des citoyens européen. On sait très bien que la plupart des décisions, ben c'est pas à Paris qu'elles se prennent.

Et c'est plutôt une bonne chose ?

Alain : Oui.

Henri : Oui. Il y a une évolution des mentalités.

Alain : Non, mais bon, ce phénomène, vous le rencontrez pas rien qu'en Europe : si vous allez dans certaines régions géographiques... Regardez en Amérique du Sud... bon malheureusement c'est toujours l'économie qui commence par rassembler les pays. Malheureusement, les citoyens, on passe en dernier. Mais il y a maintenant des bassins d'intérêts mutuels qui se créent à travers la planète, pour arriver à avoir des règlements communs,... On va vers la mondialisation. Bon, là aussi c'est la mondialisation de l'économie, c'est un souci, on l'a malheureusement vécu... maintenant il faut arriver à faire la mondialisation citoyenne pour qu'il y ait un contre-pouvoir des individus face à la machine économique, et ça c'est toujours plus ... en Europe, on l'a pas encore réalisé.

Par exemple, un des problèmes des centres d'enregistrement, c'est que les représentants des centres africains n'ont pas pu venir à l'assemblée...

Un problème de papiers ? de visas ?

Alain : Oui, donc on va faire notre prochaine réunions à Zagora, car il y a très peu de pays interdits au Maroc, bien que ce soit pas un pays libéral... ah ! si, il y en a, parce que je suis en pourparlers avec la consul du Maroc, et elle veut à tout prix la liste des délégations qui seront présentes au Maroc, parce qu'ils voudraient faire quelque chose d'assez retentissant. Et elle me dit « je ne peux pas proposer ça au ministère des affaires étrangères là-bas s'il y a des délégations qui n'ont pas le droit de venir au Maroc ». Mais j'en ai pas encore trouvé parmi chez nous (rires). Ce problème des visas est important

Henri : Des gens suspects, des terroristes (rires) on en voit partout ! Surtout qu'en Europe, c'est pas toujours démocratique ! On a des problèmes...

Alain : un jour, peut-être, vous ferez une thèse sur la démocratie sur la planète (rires)... c'est encore pire que les Citoyens Du Monde! ... quels sont les pays démocratiques ? ...qui appliquent le droit universel de l'homme ? mais bon, on a un peu changé de sujet !

Qu'est-ce que vous pouvez me dire à propos des adhérents de l'association, des militants de Citoyens Du Monde. Sont-ils étrangers ? Français ? Étudiants ?

Henri : Ils sont français...

Alain : Premièrement, on n'a pas d'adhérents. C'est des gens qui prennent leur carte pour s'inscrire sur le registre des Citoyens Du Monde. Pourquoi ils s'inscrivent ? Pour pouvoir être sur les listes électorales, pour voter pour désigner des délégués. Donc on n'a rien à voir ni avec un mouvement, ni avec un parti. Henri : Beaucoup de gens prennent leur carte pour pouvoir voter...au congrès des peuples

Alain : Voilà. On n'est pas un parti, on n'est pas un mouvement.

Et pourtant, c'est une démarche politique ?

Alain : Oui, mais la vraie démarche. La vraie politique. C'est le sens noble du mot politique. Parce que maintenant, c'est pareil, les gens lient la politique avec une démarche de profit pour eux, d'intérêt personnel, etc..

Et pourquoi ne pas se présenter directement comme un parti politique ?

Henri : Non, pas du tout.

Alain : Les centres d'enregistrements, et le registre, ne peut pas refuser de délivrer une carte de citoyen. Les gens s'engagent sur - moi je l'ai pas sur moi, ...- sur une petite phrase comme quoi ils acceptent de faire partie de la communauté mondiale en tant que citoyen. C'est cette phrase-là qu'il faut qu'ils acceptent. Mais à partir de là, on demande ni la couleur de leur bulletin de vote, ni leur religion, ni...

Henri : Dans la carte, on vous délivre un petit document, qui est un engagement.

Elle est toujours dans mon portefeuille ! Elle m'a servi une fois, pour aller en Angleterre, je l'ai présentée comme ma carte d'identité, et on l'a acceptée ! (rires)

Alain : Mais c'était une autre époque ! Maintenant tu pourrais plus le faire...

Henri : J'ai pas le papier dedans, j'ai dû le sortir une fois...

On peut l'avoir dans toutes les langues du monde !

Alain : Voilà la phrase clé des Citoyens Du Monde: ici. Et à partir du moment où la personne accepte cette phrase là, on ne peut pas lui refuser sa carte. C'est pour ça qu'on n'est pas un parti.

Ca dit « tout en conservant ma nationalité ». Donc Citoyens Du Monde n'est pas opposé à la nationalité ?

Alain : Oui, mais on la voulait pas. Là aussi, ceux de l'origine ne la voulaient pas cette phrase. Mais là ça allait à l'encontre des états... Moi aussi c'est toujours une phrase qui me choque, mais ...on est originaires de notre lieu de naissance. On veut bien former une citoyenneté, c'est quand même le lieu où on est né, où on grandit, où on habite, etc... La notion de nation, ...c'est le militariste qui a sorti cette notion de nation pour que les gens puissent aller faire la guerre. La nation va pas très bien avec l'image... même les pacifistes parlent plus de pays que de nation... dès qu'on parle de sécuritaire, de repli sur les valeurs, de l'individu, on retourne à la « nation ».

Aujourd'hui la carte est toujours comme ça ?

Alain : Ben oui, on voulait la plastifier, etc, mais, là, c'est...

Ah ben si, vous l'avez !!

[il lit] ..voilà « la citoyenneté mondiale applique le droit de voter pour une représentation directe à une assemblée mondiale des peuples ». C'est la préfiguration, c'est...Parce que depuis le départ, on s'est dit : l'assemblée ne pourra pas être constituée du jour au lendemain, il faut habituer les gens à voter déjà pour des gens d'un autre pays. Parce que là aussi, on n'arrive pas encore à le faire au niveau européen : un français ne peut pas encore voter pour un Allemand. C'est pour ça que même cette notion de citoyenneté européenne, elle est encore entachée.

A partir du moment où au niveau européen ils rédigent des textes qui ont valeur au niveau de l'ensemble de l'Europe, nous, citoyens, on devrait avoir aucun mal à voter pour un candidat polonais ou un.... Ou un anglais. C'est là qu'on voit notre nationalisme, encore. Le jour où un français pourra mettre dans l'urne le bulletin d'un allemand ou d'un anglais... là ce sera une bonne chose

Henri : C'est toujours « nos ennemis » ! (rires)

Je le retrouve pas...j'ai tellement de choses qui sont mal classées... (rires) Vous voyez, à un moment donné, dans les départements, on avait un cahier où on enregistrait les gens, et on délivrait la carte. Ces cahiers d'enregistrements, ça date depuis 76. Là vous allez retrouver l'enregistrement d'Alain Bal.

Alain : Oui : 1980. Vous voyez qu'on n'en délivre pas des masses. Et pourtant, pendant une période on a été parmi les départements les plus importants.

Henri : J'ai quand même fait, à mon époque, 92 enregistrements, avec le numéro de la carte qu'on délivrait.

Et aujourd'hui, le registre compte combien de personnes en tout?

Henri : Actuellement ? En France, je pense qu'on est quelque chose comme 5 000.

Alain : Oui, on envoie à peu près 7 000 bulletins.

Henri : Et dans le monde, on parle de 150 000, quelque chose comme ça. C'est quand même encore une petite fraction de la population (rires).

Alain : Mais, quand même, beaucoup d'hommes politiques emploient ce terme-ci.

Henri : A un moment donné Giscard d'Estaing - vous avez connu Giscard d'Estaing ? - se déclarait tout à fait mondialiste. Et son frère qui lui a succédé se déclare également partisan du mondialisme.

Alain : Regarde Chirac, qui employait plusieurs fois le terme de citoyen [du monde]... On l'a encore pas entendu dans la bouche de Sarkozy (rires)... mais tout arrive ! Avant, dans un discours d'une commune... Pourtant il y a des municipalités où il y a pratiquement entre 20 ou 40 pays représentés dans la commune... Et le maire n'allait jamais utiliser ce terme de Citoyens Du Monde. Et maintenant il l'emploie. Donc il y a une petite évolution au niveau du terme. ... Mais bon, ça s'arrête là.

Quelles sont les nationalités les plus inscrites ?

Henri : j'avais fait un tableau de tout ça....

Alain : Maintenant, c'est quand même les africains.

Henri : La mentalité africaine est plus évoluée que la mentalité occidentale (rires)...

Alain : A une époque il y en avait beaucoup d'Europe...

Henri : ...Beaucoup plus pacifiques... les noirs, en général...

Alain : Il y a une étude à faire, ils ont ce sentiment...J'avais démarré des groupes sur facebook pour, justement, sentir ce que le mot évoquait. Et un des groupes les plus puissants sur facebook, c'est le groupe local Algérie. Pratiquement, en l'espace d'un an, près de 300 personnes ont rejoint le mouvement.

Pourquoi l'Afrique, à votre avis ?

Henri : Ben, y'a eu la francophonie qui a peut-être aidé à ce développement aussi Alain : Non, je ne pense pas. Non, c'est dans leurs gènes, c'est dans leur culture.

Henri : Parmi les membres du congrès des peuples, il y avait beaucoup d'africains, dans les élus. Il y avait un avocat africain qui a fait beaucoup.

Alain : Il y avait des hindous, des japonais...

Henri : Surtout les japonais aussi, à cause de la bombe atomique [il siffle].

Alain : Il y a des mouvements qui nous rejoignent, sur l'idée de Citoyens Du Monde. En Australie, il y a des groupes qui rassemblent sur facebook pratiquement 200 000 personnes. Mais ça rejoint plus l'idée de paix mondiale, de sécurité, que de citoyenneté.

Henri : Le mouvement Bahaïi aussi. Vous connaissez peut-être ? Un mouvement religieux iranien, ils sont tout à fait d'accord ...

Alain : Ils se déclarent citoyens du monde.

Henri : Les bahaïi sont présents dans le monde entier. Je sais pas si j'ai pas un document...

Ca ne m'étonne pas. J'ai été en Iran il y a quelques années. C'est un pays qui m'a particulièrement marqué. J'ai trouvé que les Iraniens avaient une conscience politique assez forte malgré...

Henri : voilà [il lit] « entre le martyr et l'utopie : un mondialisme tranquille »... il y a quelques explications...

Quand j'ai mondialisé ma commune, Orval, il y avait énormément de bahaiis qui étaient venus. C'est des idées très généreuses, et qui rejoignent les nôtres

Alain : Mais il ne faut pas que ces gens-là confondent religion et société civile. Moi j'ai un peu travaillé sur ce problème. C'est vrai que la religion, c'est une des rares choses que les gens ne peuvent pas avoir en double.

Henri : Actuellement, les religions divisent les gens, à cause du dogmatisme.

Alain : On peut avoir plusieurs langues, mais pas plusieurs religions. C'est vraiment la frontière qui enferme les gens dans des ghettos bien particuliers.

Henri : Voilà la photo du grand secrétaire général. Tu as entendu parler de Guy Marchand ? Qui était un champion du monde de vol à voile. Il a consacré sa vie au mondialisme, lui.

Alain : C'est vrai que toi tu t'es dispersé avec la culture bio.

Henri : Je me suis pas dispersé... mais les écologistes ont été les premiers, si vous voulez, à prendre des mesures pour la défense de la planète. Les vrais écologistes.

Alain : Pas les politiques comme maintenant.

Henri : Lui et sa femme ont consacré leur vie au mondialisme. Pratiquement. Et leur fortune.

Alain : Ils ont fait des grandes choses pour le mouvement, mais à la fin de leur vie, ils avaient créé beaucoup de vide autour d'eux, et on a eu du mal à remettre des gens pour faire fonctionner l'appareil, parce qu'en fait ils s'occupaient de tout.

Henri : Oui, le mondialisme, c'était déjà eux. (rires)

Quelles sont les conditions pour s'inscrire ?

Henri : Juste que les personnes acceptent cette phrase.

Les sans-papiers ne sont pas exclus ?

Alain : Bon débat !!(rires)

Henri : Au contraire ! Les Roms, notamment. Les sans-terres. On les accepte. La maison de assez de Mulhouse, elle accueille tout le monde ! C'est une création de l'alter-mondialisme.

Alain : Mais là il cherche à vous disperser, (rires) il entame ce qui est réellement sur le terrain, la citoyenneté mondiale, qui était notre base, et qui renouvelle totalement notre démarche.

Quelle est la typologie des gens qui participent : des étudiants ? des « écolos »? des gens plutôt jeunes ? Henri : C'est difficile à classer. On est ouverts à tout.

Alain : On ne peut même pas dire que c'est un mouvement d'intellectuels. Il y a des artisans. Henri : Il faudrait que je regarde dans mon cahier pour vous dire un peu...

[il lit] Ici, il y a eu un professeur, un curé, un postier, une infirmière. Il y a eu un mouvement mondialiste qui s'est créé autour d'un curé dans le jura.

Alain : Il faudrait que je téléphone à Daniel pour voir s'il a travaillé cette question de la typologie... Le registre est centralisé. Il faudrait vous mettre en rapport avec Daniel Durand, qui centralise les enregistrements.

Henri : [il parcourt son cahier] Un agent des PTT, un commerçant, une surveillante d'hôpital, pas mal d'étudiants...

Alain : C'est une bonne question !...

Henri : ...Un employé communal...

Alain : On était présents dans les universités aussi.

Henri : On faisait des conférences. ...Une infirmière, un employé de banque, un magistrat en retraite, un artisan...

Alain : On ne peut pas dire que c'est plus particulièrement des jeunes ou des vieux.

Henri : Un qui était président de la ligue des droits de l'homme à Dijon...Encore un étudiant, une institutrice, un ingénieur... un sans profession, un technicien...

Alain : Des femmes au foyer ?

Henri : J'ai ta fille, là...Il y a vraiment de tout. Un philosophe, aussi, qui a fait un énorme ouvrage.

A quel moment le mouvement a-t-il gagné le plus d'adhérents ?

Henri : après la guerre. Pendant peut-être 7 ou 8 ans après la guerre.

Alain : Entre 50 et 60.

Henri : Après la signature de l'armistice. Vous trouverez tout ça dans le bouquin que je vais vous passer, qui a été écrit par un mondialiste qui existe toujours : par Rolf Paul Haegler, qui est un Suisse, et en plus un musicien de talent « Histoire et idéologie du mondialisme ». Là, vous avez toute l'histoire. Ce bouquin est très, très intéressant. Y'a toutes les étapes avec les dates et tout. C'est une somme remarquable de l'histoire du mondialisme. Bon, faut vous le farcir... Je vous le laisse.

Alain : Les livres ça doit servir, c'est pas pour rester sur un rayonnage.

Henri : C'est une histoire passionnante, la mondialisation. Faut voir les évolutions qu'il y a eu ! Alain : Et c'est pas barbant !

Henri : Avec ça vous avez de quoi bâtir une thèse sérieuse (rires).

Ma recherche porte sur l'identité cosmopolitique, sur cette façon de dépasser la logique du national. Ca a commencé par une inquiétude personnelle. J'ai quitté mon pays il y longtemps, environ une dizaine d'années. J'ai vécu en Espagne, en France, en Afrique du Sud. Et petit à petit je me suis rendu compte que la nationalité n'avait pas beaucoup de sens.

Henri : Vous avez tout découvert, là ! Il y en a qui ne le découvrent jamais dans leur vie. Si à votre âge vous l'avez découvert, vous avez tout gagné (rire).

Ma recherche porte sur ça : quels sont les chemins pour arriver à comprendre ça. J'ai choisi Citoyen du monde parce que c'est une démarche plus politique, plus intellectuelle...

Henri : Globale. De dépassement d'identité.

J'ai vraiment envie de porter ce sujet plus loin. Je suis en master migrations internationales, l'université nous demande de faire un mémoire. J'ai voulu étudier ce sujet, comprendre l'histoire, les bases sociologiques, intellectuelles, savoir ce qu'est la nationalité, ce qu'est l'état-nation, ce qu'est la citoyenneté. J'avais envie d'expliquer ce changement que j'avais vécu personnellement.

Alain : Vous avez plusieurs vies devant vous ? Parce que le sujet est inépuisable ! (rires)

(...)

Alain : Et j'ai mis longtemps à répondre, car en ce moment je donne priorité à tous les groupes qui sont en train de se créer en Afrique.

Henri : Je vais vous donner un petit document humoristique aussi, qui a été fait par le fils de Guy Marchand. Une bande dessinée « pourquoi Citoyens du Monde? ». C'est bien fait ce machin.

Henri, vous étiez maire, avant ?

Alain : Oui, il était maire d'Orval, dans le cher, il a mondialisé sa ville.

[...]

Il y a des gens qui ont été à l'origine de la volonté de développer le groupement. Peut-être qu'il y a des noms que vous connaissez. A l'origine c'est des gens comme ça qu'on n'a pas su intéresser.

[...]

Alain : [il montre un document] Et ça quand est-ce que tu l'avais fait ?

Henri : Il y a longtemps ! Quand j'étais à Chaudefon [?]. J'ai dû faire un exposé sur le mondialisme. Mais ce tableau-là figure sur des documents.

Alain : Je ne l'ai jamais vu figurer quelque part. Daniel en a fait un, mais moins complet que le tiens. [...]

Henri : [il montre une photo] Notre secrétaire général, Guy Marchand, a également pris la parole à l'ONU. Pour présenter nos positions. Il a voyagé dans le monde entier. Aux Etats-Unis, il y avait des groupes importants.

Alain : Normalement on a un représentant dans les « sous-sous-sous-sous-commissions » de l'ONU. Parce que l'ONU rassemble aussi un certain nombre d'organisations à travers la planète, et c'est là-dedans qu'on a un représentant.

Henri : Dans ce petit document, là, vous avez une grande partie des grandes déclarations du congrès des peuples : sur l'environnement, les nations unies, l'énergie matière première, notion mondiale, population, alimentation, les femmes, l'environnement, les droits de l'homme... toute la position des mondialistes sur ces grands problèmes.

Alain : Oui, parce que la base, c'était les droits humains, les besoins fondamentaux, la gestion des mères. On revendiquait que les citoyennes doivent pouvoir donner leur position.

Henri : La santé, aussi. Vous voyez qu'on s'est occupés de beaucoup de choses, hein ? Et pas seulement des citoyens.

Alain : C'est un peu ce qu'on nous reproche, c'est qu'en fait...

Henri : On emmerde tout le monde ! (rires)

Alain : ...On a voulu brasser, et maintenant, dans les nouveaux groupes qui se forment, ils me disent « il faut recentrer », pour qu'on puisse amener de nouveaux citoyens du monde. Il faut qu'on leur donne un menu. Un menu de travail, un point c'est tout. Parce que c'est trop vaste, les gens sont perdus, ils écoutent pas...

Vous disiez que vous avez 30 centre locaux, dans 30 viles différentes ?

Henri : Non, des centres locaux, il y en avait 30 au début, mais il doit y en avoir 5 ou 6 qui fonctionnent encore. Si c'est l'historique, vous pouvez parler de 30.

[il montre une photo] Ca c'est le professeur Mallet [?], recteur de l'université de Paris. C'était un grand mondialiste, il faisait des conférences de partout. Pour développer l'idée. Il est venu faire une conférence à l'université de Dijon.

Alain : Des pièces d'archives !

Vous avez un organisme fédérateur ? Il est basé à Paris ?

Alain : L'organisme fédérateur, c'est normalement le secrétariat du registre.

Avec quelles autres associations travailez-vous ?

Henri : Les pacifistes en général. ...les espérantistes.... Les écologistes aussi. (rires) Moi, je suis très écologiste. Je suis vert. Je mange biologique depuis 50 ans ! J'ai mon jardin. C'est grâce à ça que je suis encore en bonne santé, à 85 ans. J'ai 7 enfants, 13 petits-enfants, 3 arrière-petits-enfants. (rires)

Quelles sont vos relations avec les autres organisations professionnelles, les syndicats, les pouvoirs publics, les organisations diplomatiques, les organisations culturelles ?

Henri : Culturelles un peu. On a eu des chanteurs dans le mouvement.

Alain : Oui, on a eu des artistes qui se sont engagés de notre côté.

Henri : On a organisé à Paris, à un moment donné, une réunion avec des artistes à tendance mondialiste. Henri : Quelqu'un de Paris avait contacté tout un tas d'artiste pour connaître leurs idées. Ceux qui se déclaraient citoyens du monde ont fait une manifestation culturelle. Il y a eu beaucoup de monde.[...]C'est pas très vieux, d'ailleurs, ça date de 2 ou 3 ans, cette réunion à Paris.

J'ai vu que vous faites des activités parallèles aussi : il y a eu un partenariat lors de la route du rhum ? Henri : Mais là c'est particulier. C'est la première fois que ça arrive.

Alain : Normalement, on a eu 2 propositions pour porter nos couleurs Citoyens du Monde cette année. C'est quelqu'un qui fait de la voile, qui voulait mettre sur sa voile Citoyens du Monde. Du coup, c'est surtout l'équipe de Paris qui soutient ce projet.

Ca donne une présence médiatique ?

Alain : Oui, voilà. Autrement, on avait un monsieur qui , avec sa voiture électrique, voulait relier Copenhague au Cap. Peut-être que vous en avez entendu parler ? Et je ne sais pas ce qui s'est passé. Il a disparu dans la nature. Il doit être dans son périple. C'est des gens qui se sont déclarés Citoyens du Monde. Celui de la voile, contre le fait de marquer Citoyens du Monde, il nous demandait seulement l'autorisation de pouvoir faire des T-shirt, des casquettes... Tandis que celui qui faisait Copenhague-Le Cap, nous demandait un soutien financier. Qu'on pouvait pas lui accorder

Henri : Et il y a 20 ans, Yves Angelos [ ?] avec les jeux de la paix. Quelqu'un qui a développé dans le monde les jeux de la paix. Des jeux sportifs auxquels tout le monde peut adhérer. Ce gars-là est citoyen du monde, et fait en même temps de la réclame pour le mondialisme.

Alain : Ça devrait avoir lieu fin août, en Italie.

J'ai vu aussi qu'il y avait des activités militantes : à Dijon il y a une « marche » ?

Henri : Il y a eu une marche qui passait à Dijon, et dans laquelle on pouvait participer. Je ne sais pas si ça a eu lieu ou si ça va avoir lieu.

Non, mais on peut participer à beaucoup de manifestation. On est très libres.

Alain : Chaque citoyen du monde a ses goûts particuliers qui le font s'engager dans l'environnement ou les droits de l'homme, ou.... C'est ce que nous ASCOP-Citoyens du Monde on regroupe sous le militantisme pour la citoyenneté mondiale. C'est pour ça que l'ASCOP- Citoyens du Monde, on a 80 associations à travers le monde, qui elles-mêmes regroupent d'autres petites associations. Par exemple ASCOP-Fonds mondial fait partie de l'ASCOP, mais eux-même ont environ 60 groupes à travers la planète. Et l'ASCOP avait été vraiment créée pour ça : pour regrouper ceux qui faisaient de l'action « citoyenne du monde » sur le terrain. Il y a déjà tout ce qui regroupe les droits humains, qui est pas mal, ...la lutte contre le faim, le besoin de développement individuel, l'éducation. Mais on laisse libre à chacun de militer pour la citoyenneté mondiale localement, dans les organisations qui sont bien.

Pouvez-vous m'expliquer les liens entre votre association et celle de Paris ? Il y 2 pages web différentes ?

Alain : Sur les bases de quelques textes, on est un réseau libre. Et chacun peut militer pour la cause comme il l'entend. Et je ne veux pas dire que les Citoyens du Monde de Paris ne font rien, parce qu'ils sont opérationnels dans un tas de groupements, mais en fait, ils ont jamais jugé utile de redynamiser une vitrine, avec une permanence. Et actuellement on est obligés d'avoir des vitrines. Les gens, quand ils veulent avoir des informations, il faut qu'ils sachent où s'adresser. C'est bien beau d'être dans un tas d'associations. Pour ceux qui participent au niveau mondial, par exemple, ils vont pas casser les pieds à tout le monde, continuellement en disant « prenez votre carte de Citoyens du Monde». On est un réseau libre. Y'a pas d'obligation. Il y a des citoyens du monde, ils prenaient une fois leur carte, et on les revoyait plus jamais. C'était un acte symbolique qu'ils faisaient. Une démarche.

Quelle est la périodicité de l'élection du congrès des peuples ?

Henri : Au début, on voulait faire ça tous les ans. Et puis après, en fonction des moyens financiers, ça s'est espacé. Ca a été tous les 2 ans, et puis.... et maintenant on est en train de relancer. On est en train de repartir sur des votes, pratiquement, tous les 2 ans.

Il y a 16 personnes élues dans le congrès des peuples ?

Alain : Non, non, euh...ils sont combien maintenant ?

Henri : Actuellement, on est en train d'enregistrer les candidatures, les gens qui veulent se présenter, qui doivent fournir un mémoire avec leurs idées mondialistes. On prend pas n'importe qui, quand même (rires).

Alain : Il faut qu'ils aient la carte de Citoyens du Monde, mais surtout on leur demande d'avoir eu une démarche citoyenne du monde au niveau de leur région...

Henri : Ou de leur profession.

Et ça se fait au niveau mondial. Ca doit être difficile à coordonner ?

Alain : Ah, c'est compliqué, oui ! Je vous montrerai la liste, vous allez voir.

Henri : C'est un sacré travail !

Alain : Vous voyez, on a que des moyens amateurs : on est bénévoles, personne est rémunéré, la plupart du travail on le fait sur notre propre argent. Nos déplacements aussi. On a très peu. Même à l'origine, ça a toujours été ...

Henri : ... Un bénévolat.

Et où siègent ces délégués ? Il restent éparpillés ? Henri : Oui, dans tous les continents.

Et pour leurs activités, comment font-ils ?

Alain : Normalement ils doivent se réunir. Tous les ans, en principe

Henri : Ils se sont réunis à Liège il y a 4 ans, la dernière fois... non, là c'est plus tous les 2 ans Alain : Moi, je ne suis pas délégué du tout. Je laisse la politique aux gens sérieux (rires).

Ca doit coûter cher ? Ils se déplacent avec des moyens personnels ? Henri : Brasilia, ça a coûté plus de 10 000€ !

Alain : Mais Brasilia, on a eu 2 chances. C'était un directeur d'une station de télévision qui avait pris en charge pas le voyage, mais tout le séjour.

Henri : Oui, une grosse organisation, d'origine un peu mondialiste. Des gens du rotary, qui avaient beaucoup de fric.

Alain : Les brésiliens, pour le congrès de Liège, avaient envoyé une délégation de journalistes qui a tout filmé, et retransmis à la télévision au Brésil ...et dans toute l'Europe. Ils avaient des moyens financiers énormes !

Henri : C'est des gens riches, au Brésil !

Alain : Mais le Brésil veut quand même, à terme, avoir une position mondiale...

Henri : Actuellement, ils sont en train d'essayer d'avoir une carte mondialiste qui soit comparable à la carte visa. Une carte bancaire internationale, pas pour retirer du fric, mais pour avoir une carte Citoyens du Monde universelle. Je sais pas si ça va se faire, parce qu'il faut du fric aussi. Dans toutes les langues !(rires)

Et comment gérez-vous les différences culturelles, les différentes façons de comprendre la citoyenneté ou la démarche politique de Citoyens du Monde ? Par exemple on parlait de religion tout à l'heure. Il y a beaucoup de sociétés ou de cultures qui ne séparent pas le civisme et la religion de façon historique. Alain : C'est la grande difficulté

Henri : Je dirais que Guy Marchand, qui a été un des fondateurs, était athée. Pour lui dieu n'existait pas. C'était une invention des hommes. Sa femme, pareil. Moi par contre je suis plutôt adhérent à toutes les religions. J'étais au départ catholique, mais actuellement je suis comme Saint Paul : chrétien avec les chrétiens, bouddhiste avec les bouddhistes, païen avec les païens... J'adhère à toutes les religions ! C'est formidable ! (rires).

Alain : Moi aussi je suis athée, mais la base, c'est quand même les 10 commandements : tu ne tueras pas, etc.

C'est vrai que dans ma démarche, je ne veux plus aujourd'hui que ce soit une idée ou une personne qui vienne me dire ce que je dois faire de bien ou de mal. C'est un environnement, c'est une société qui...Quand Sarkozy me dit « tu ne dépasseras pas la vitesse de la route », je me dis « mais il va le faire, lui ! ». Souvent, ceux qui décrètent pour les autres, eux ils...

Henri : je vais vous faire un petit cadeau (il donne un porte-clé)

J'en avais besoin, merci ! Ce logo, il existe depuis le début ?

Henri : Non, c'est récent, ça, c'est récent ! C'est moi qu'il l'ai fait faire dans la région ici. Ah non, le sigle ?? Euh...Je crois que c'est Guy Marchand qui a dû créer ça : ça représente un homme qui embrasse la terre.

Alain : Moi j'ai fait des quantités de maquettes de monuments mondialistes, également. Il y en a un peu partout.

Qu'est-ce qui est arrivé l'institut d'études mondialistes ? Existe-t-il encore ?

Alain : Oui !

Henri : Non ! L'institut n'existe plus, il ne fonctionne plus.

Alain : Euh...Ca s'est transformé en université d'été !

Henri : Oui, mais c'est plus sous la coupe de citoyen du monde...

Alain : Si, si, Marc Gartet [?] travaille avec eux. C'est lui qui...Ben, attend, il est quand même membre... Normalement, c'était une agence de presse qui devait donner son avis mondialiste sur ce qui se passait à travers la planète. Mais on n'a plus personne actuellement pour la faire fonctionner. Donc, l'institut d'étude mondialiste maintenant est remplacé par un séminaire d'été, sur une semaine.

En fait, notre schéma ASCOP- Citoyens du Monde ressemble beaucoup à cet Institut. [Il s'adresse à Henri]Là, je suis en train de re-travailler sur ce que toi, tu défendais comme idée : le secrétariat de coordination. Mais ça a du mal à se mettre en place.

Henri : Je peux vous passer ça aussi... mais c'est pas jeune, ça date de 73 « des livres pour les hommes d'aujourd'hui ». Il y a toute une liste de bouquins. Je sais pas si on peut les trouver parce que c'est très dur... mais vous avez des commentaires sur chaque ouvrage.

[...]

Des bouquins, on en a écrit ! Moi j'ai participé à « la Somme Mondialiste ». C'est le point de vue de plus de 150 personnes sur les problèmes du monde.

[...]

De la littérature mondialiste, y'en a des quantités !

J'imagine que vous défendez aussi l'idée d'une citoyenneté européenne ? Comme un premier pas ? Alain : Oui, comme toute notion d'élargissement de l'appartenance à autre chose que la nation...

Vous n'êtes pas anti-nationaliste ? Votre propos , c'est plutôt dépasser le national ? Alain : Oui, dépasser.

Que pensez-vous du débat qu'il y a eu en octobre sur l'identité nationale ?

Henri : Un faux débat, lancé par Sarkozy pour occuper le terrain, au lieu de s'occuper des problèmes locaux.

[...]

Ah, je savais bien que j'avais un tableau, tu vois ! Ca c'est sur l'agencement des lignes de presse qu'on avait fait à un moment donné. Ce bouquin-là il date date de 80-84.Tous les mois on publiait dans un journal sur un problème local. La position des mondialistes.

Ca n'existe plus aujourd'hui ?

Henri : ben, ça existe plus, parce que personne s'en occupe. On faisait pratiquement que ça, à cette époque : l'état civil mondial.

Alain : Je vois pas pourquoi on a retiré cette histoire d'état civil. Parce que les nouvelles générations aujourd'hui, elles disent « on refuse de s'enregistrer sur des listes, quelles qu'elles soient ». C'est la peur, c'est la crainte de s'enregistrer... on est tellement fichés aujourd'hui ! Ca, c'est vraiment le gros reproche que je peux faire.

Henri : Tout ça fonctionnait à plein tube dans les années 50-60. Là, y'avait beaucoup de monde !

Pourquoi ce mouvement a-t-il perdu de l'ampleur ? Henri : Ben, parce que les gens sont décédés !

Alain : ... et y'a pas eu de relais.

C'est curieux, quand même, parce que c'est un sujet d'actualité !

Alain : Et je veux pas faire d'un ami un ennemi, mais ça c'est la faute des Marchand : ils ont centralisé. Tout ce qui pouvait se créer en parallèle, ils étaient d'une méfiance ! On allait « mal orienter » ce courant d'idée. Tellement ils étaient méfiant, que, ... en fait, rien n'a pu rester. Quand eux ils ont disparu, il y a eu vraiment un grand vide.

Henri : Ils avaient tellement peur du « déviasionnisme » du mouvement, qu'on pouvait pas faire grand chose en dehors d'eux, sans leur accord. Sinon, on était foutus en l'air. Et comme ils ont consacré leur vie à ça.... Guy marchand, qui était un ingénieur de haut niveau avait abandonné sa carrière pour se consacrer à ça !

Alain : Oui, et puis il avait quand même quelques moyens personnels.

Henri : Oui, il avait sa retraite d'ingénieur et tout ça.

Est-ce que je peux vous emprunter ça ?

Henri : Oui, ça c'est intéressant, parce qu'il y a toutes les positions du mondialisme sur différents sujets. Ce sont des textes qui ont tous été publiés un jour dans un journal ?

Henri : Oui, c'était publié ! Dans la presse.

Sur différents sujets ?

Henri : Oui, oui. Il y a de tout ! Ca, c'était quand même élaboré démocratiquement. Guy Marchand avait une information, il consultait tous les gens de la base sur le problème. Il nous écrivait, on se mettait d'accord là-dessus, etc..

Alain : Et y'avait pas Internet à cette époque ! (rires) Ca se faisait par téléphone. Avec les Citoyens du Monde africains ou d'Asie, ça demandait 3-4 mois de trajet pour la lettre.

Henri : Mais le téléphone marchait mieux. (rires)

Alain : Mais y'avait moins de téléphone que maintenant. On n'avait pas de portable.

Henri : On s'est occupé de tous les problèmes de la planète. Et en plus dès qu'il y avait un problème important dans le monde, une catastrophe et tout ça, on prenait position : « voilà ce qu'on aurait fait nous si on était à la tête du mouvement. »

Alain : On y travaille. Le secrétaire général de l'ASCOP y travaille.

Vous avez voyagé ? Vous avez vécu à l'étranger ?

Henri : Moi, j'ai voyagé pour mon travail dans pratiquement tous les continents. J'étais chef de bureau
d'étude. En construction de matériel ferroviaire, de wagons, et puis après de container. Vous connaissez
les container Sipler [?] ? Des trans-containers, qui voyagent partout. En Afrique du Sud j'allais souvent.

On avait vendu une licence de container à une usine qui avait acheté cette licence, et j'allais là-bas pour surveiller les travaux. Donc j'étais très souvent en Afrique du Sud.

Et votre réflexion sur la citoyenneté mondiale, elle est liée à votre expérience de travail ?

Henri : Non, pas du tout : c'était lié...j'étais engagé volontaire dans la guerre : FFI, maquisard. Et puis à la fin de la guerre j'ai découvert le mondialisme dans les journaux, et j'ai adhéré au mondialisme. On en avait tellement marre de la guerre, à l'époque !

Alain : Aux origine, il y a eu pas mal d'officiers.

Et vous, Alain ?

Alain : Moi j'ai découvert l'absurdité des frontières très tôt.

Henri : Tu as fait la guerre d'Algérie toi ?

Alain : Oui, mais moi ça remonte plus loin que ça. Tout gamin -je sais pas si le mouvement existait déjà - mon père qui était douanier, en 46-47 avait été envoyé en Sarre. C'était l'occupation française. Du coup, on nous avait réquisitionné des appartements chez les anciens nazis. Et en fait, avec ma vue de gamin, je passais plus de temps avec le propriétaire des lieux, qui m'emmenait dans la forêt, qui achetait du bois dans la forêt... et en fait quand j'avais 14-15 ans, on m'a dit : « tu sais que c'est un nazi, ça. C'est un Bosch ». J'ai dit « y'a vraiment un problème ». Parce que pour moi qui n'avais pas connu mon grand-père, je le considérais comme un grand-père. Ca m'est resté tout le restant de ma vie, ça.

Et puis après j'ai vu pendant la guerre d'Algérie, où en fait, à des gens normaux, on arrivait à faire faire des choses affreuses. Simplement parce qu'il y avait... au nom d'une nation, des valeurs, il fallait... on peut faire n'importe quoi avec ces notions de...

Et vous avez pu, alors que vous aviez déjà une conscience mondialiste, vous engager quand même dans l'armée ? C'est un peu paradoxal non ?

Alain : Ben, vous voyez, le président de la maison de la citoyenneté internationale de Mulhouse, pendant la guerre d'Algérie, il a aidé le FLN. Bon, moi je n'ai pas fait d'action comme ça, j'en ai fait d'autres. On a été à l'origine du refus de partir en Algérie. Les appelés se sont mis en grève. On s'était assis sur les bois [?], en disant que ça servait à rien du tout qu'on aille en Algérie. Ca m'a valu quelques mois de prison. C'est là que le colonel m'a dit « tu sais, Alain, toi t'es con, mais l'armée, c'est encore plus con que toi ! Donc si tu veux leur tenir tête, ils y arriveront » . C'est vrai que les derniers appelés, c'était dans les années 60, et les derniers qui ont été libérés, c'était Giscard D'Estaing en 76 qui a libéré les derniers ! C'est pour vous prouver la bêtise de l'armée. Du coup, j'ai trouvé plus utile après l'armée : rester en coopération en Algérie. J'ai passé plusieurs années en coopération en Algérie. D'ailleurs, j'y étais au titre des Nations-Unies, et mon boulot c'était de récupérer l'artisanat dans les villages Algériens en 62, au moment de la fin des hostilités. Mon boulot, c'était avec un chauffeur algérien de partir jusqu'à Wargla [?] dans les villages algériens, où j'ai toujours eu un accueil formidable. Quand je rentrai à Alger on me disait « on t'a pas tranché la gorge ? » (rires) « ah ben, non, je suis là, donc on m'a pas tranché la gorge ! »(rires). C'est avec des petites choses comme ça qu'on s'aperçoit qu'entre les idées qu'on veut que vous et ayez, et puis la réalité, des fois... Alors que vous pouvez très bien vous faire agresser dans le 16ème à Paris par des gens bien habillés (rires).

Et vos collègues, ils ont aussi les mêmes réflexions ?

Alain : On a tous des origines très diverses. Y'en a, c'est simplement la valeur du mot. Sur facebook, on s'aperçoit très bien que c'est la portée du mot qui est, pour certains, importante. Mais ils mettent pas tellement de choses derrière. C'est cette notion de citoyenneté mondiale. Après, j'ai quand même réussi à faire pas mal de groupes, avec des gens qui mettent quelque chose derrière. Qui agissent. Mais dans l'ensemble, oui, c'est beaucoup de jeunes qui, soit à travers leurs études, soit par leur parcours personnel, etc, ont sauté par dessus les frontières. C'est quand même souvent des gens qui ont été voir ailleurs. Qui ont bougé, etc.

Henri : Y'a un de mes fils qui était déserteur de l'armée. Deux autres qui étaient objecteurs de conscience. Aucun de mes 3 garçons n'a fait le service militaire ! Alors que moi, j'étais engagé volontaire (rires). Mais c'était une autre époque.

Alain : Mais les forces de rébellion dans un pays, on ne peut pas les considérer pareil. Si on vient t'occuper ta maison, tu la défendras, même si tu es non-violent.

[...]

[en montrant les livres et les brochures] Bon tout ça, de toutes façons, tu me le laisseras en

héritage ?(rire)

Henri : Ben dis donc, tu partiras peut-être avant moi ! (rires) Je suis un grand résistant, moi... A tout ! J'ai le projet de vivre jusqu'à 140 ans (rires)

Merci beaucoup pour tout !

Alain : Mais vous auriez pu avoir sa photo pour votre mémoire, parce que c'est homme très important du mouvement.

Henri : Dans le dernier numéro de CITOYENS DU MONDE, on m'a consacré tout un article : « des personnalités comme on les aime ». C'est le dernier numéro qui date de janvier.

Ah je l'ai celui-là (rire) ! Je l'ai sur mon ordinateur !

Annexe 6

Couverture de la somme mondialiste

V. Bibliographie

· Ouvrages de référence:

- Ulrich Beck, Qu'est ce que le cosmopolitisme ?, Paris Ed Flammarion, 2006

- Gil Delannoi, Sociologie de la nation. Fondement théoriques et expériences historiques, Paris, Ed Armand Colin, 1999

- Abou Salim, L'identité Culturelle, Beytouth, Perrin, Presses de l'Université Saint-Joseph, 2002

- Noriel Gérard, A quoi sert l'identité nationale, Marseille, Ed Agone, 2007

- Anderson Benedic, L'imaginaire national. Réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme, Paris, Ed La Découverte, 1996

- Baliber Etienne et Wallerstein Immanuel, Race, Nation, Classe », Les identités Ambiguës.

- Gil Delannoi « Sociologie de la nation, Fondements historiques et expériences historique »

- Ernest Gellner « Nations et nationalismes »

- Jean-Marc Ferry, Europe la voie kantienne. Essai sur l'identité postnationale, Paris, Ed. Cerf, 2005.

- Ernest Renan. Qu'est-ce qu'une nation ?, Paris, Ed Agora, Pocket, 1992

- « Les variations de l'identité », Etude de l'évolution de l'identité culturelle des enfants d'émigrés portugais, en France et au Portugal. Rapport final de l'A.T.P CNRS 054. Sous la direction scientifique de Michel Oriol et avec la constribution de M.Catani, A. Cordeiro, M.A. Hily, M.C. Muñoz, M.Oriol, M. Poinard et M.B. Rocha-Trindade. Volume 1. Nice 1984

· Ouvrages de consultation :

- Delannoi Gil et Taguieff Pierre-André, Théories du nationalisme. Nation, nationalité, ethnicité, Paris, Ed Kimé, 1991

- Baliber Etienne, Les frontières de la démocratie, Paris, Ed. La Découverte, 1992 - Michel Foucault, L'Ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971

- Catherine Whitol de Wenden, Faut-il ouvrir les frontières ?, Paris Presses de Sciences Po, 1999. Coll. "La bibliothèque du citoyen".

- Etienne Balibar et Immanuel Wallerstein, Race, Nation, Classe. Les Identités ambigües, Paris, Ed La Découverte. 1990

- Colette Guillaumin, L'idéologie raciste, genèse et langage actuel, Paris, Ed Gallimard 2002

- Régis Meyran, Le mythe de l'identité nationale, Paris, Ed Berg International, 2009

- Gérard Noiriel, Etat, nation et immigration. Vers une histoire du pouvoir, Paris, Ed Belin, 2001

- Eric Hobsbawm et Terence Ranger (dir.), L'invention de la tradition, Éditions Amsterdam, 2005.

- Emile Durkheim, La division sociale du travail, Paris, presses universitaires de France, 1986

- Gérard Noiriel, Population, immigration et identité nationale en France XIXème-

XXème siècle.

- Rolf Paul Haegler, Histoire et idéologie du mondialisme, Ed Europa Verlag A.G. Zürich 1972.

- « L'atlas des migrations, les route de l'humanité », Le Monde, Hors-séries, 2009

· Articles :

- Rosita Fibbi et Gianni D'Amato, « Transnationalisme des migrants en Europe : une preuve par les faits », Revue européenne des migrations internationales, vol. 24 - n°2

- Rogers Brubaker, « Au-delà de l' « identité ». In : Actes de la recherche en
science sociales. Vol.139, septembre 2001. L'exception américaine, pp 66-85

- Chivallon C., Retour sur la « communauté imagée » d'Anderson. Essai de clarification théorique d'une notion restée floue, Raisons politiques 2007/3, n°27,p 131-172.

- Alejandro Portes, « La mondialisation par le bas. L'émergence des communautés transnationales », In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 129, septiembre1999. Délits d'immigration. pp. 15-25.

- Cahiers de France, L'identité nationale. N°342, 2008. D. La Documentation Française

- Riva Kastoriano. « Participation transnationale et citoyenneté : les immigrants dans l'Union européenne ». Revue « Culture et conflit ».

- John Torpey, Aller et venir : le monopole étatique des « moyens légitimes de circulation » revue « Cultures et conflits ». N°31-32, 1998.

- Gérard Noiriel, Le creuset français, Paris, Ed du Seuil, 1988.

- Marc Redfield, Retour sur la « communauté imaginée » d'Anderson. Essai de clarification théorique d'une notion restée floue, Raison Politiques 2007/3, n°27, p.131-172.

- Catherine Neveu « Les enjeux d'une approche anthropologique de la citoyenneté ». Revue européenne des migrations internationales. n° 3, Vol 20, 2004

· Diccionaires : - Le Petit Robert, ed. 2003

· Sites internet :

http://www.revues.org http://www.persee.fr http://citoyensdumonde.fr http://www.recim.org http://www.alternatives-economiques.fr

http://www.wmgd.net/ http://perso.orange.fr/jeux.mondiaux.de.la.paix/

http://www.globidar.org

http://www.aui-ong.org

http://www.cndp.fr (Centre nationale de documentation pédagogique), Juin 2010 http:// www.un.org Rapport 2009 Programme de Nation-unies pour le développement. mai 2010.

http:// www.larevuetoudi.org Jean-Marc Ferry, conférence donnée à Charleroi le 18 juin 1997. Dernière consultation mai 2010

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