Remerciements
Mes remerciements les plus profonds d'abord à
Gwenaëlle Garnier pour son éternelle patience et soutient dans ce
long travail, pour toutes les heures de correction qu'elle a consacrées,
ainsi que pour ses milliers et milliers de petites attentions qui ont rendues
ce travail plus plaisant et qui m'ont permis de m'investir pleinement.
Des remercîments spéciaux à Allen Talbert
pour les centaines d'heures de discutions ainsi que pour ses précieux
conseils qui ont été décisifs pour le bon
déroulement du travail de rédaction.
Mes plus grands remerciements, bien sûr, à mes deux
professeurs tuteurs Mme Marie-Antoinette Hily et M. Yann Scioldoz pour leurs
savants conseils, ainsi que pour leur irréprochable disposition et bonne
volonté. Une pensé pour mes collègues qui ont toujours
été très cordiaux et prêts à collaborer avec
ce mémoire.
Et un dernier remercîment à tous ces inconnus qui
ont pu collaborer, d'une façon ou d'une autre, à la
réalisation de ce travail sans le savoir, mais qui l'on fait quand
même.
Sebastián Peña Marín
Sommaire
Avant Propos 5
Introduction 8
I. L'Etat-nation et la construction de l'appartenance
15
1. Le mythe de l'Etat-nation : de l'étymologie
à la réalité sociale, la quête d'une
allure ontologique pour l'Etat-nation 15
a) L'origine du mot et le succès historique de
l'Etat-nation 15
b) Universalisme, race, ethnie et citoyenneté :
réalité et fiction de l'appartenance 21
c) Les documents, le territoire, et les enjeux du
déplacement 28
2. L'identité nationale 31
a) La communauté d'expérience, la communauté
de destin, les symboles et les mythes. 31
3. L'Etat-nation et la grammaire du symbolique 36
a) Les communautés imaginées d'Anderson 36
b) L'identité et les mécanismes de
représentation 37
II. Les formes et les alternatives de la reconversion du
national : de la nouvelle réalité mondiale à la
reconfiguration identitaire 40
1. Le mondialisme : une autre façon de penser la
mondialisation 40
a) Globalisation versus mondialisation 40
b) L'idéologie mondialiste, des origines à la
fondation du « mouvement
universel ». 43
c) L'Identité Postnationale, Supranationale et
Transnationale 47
2. Le nationalisme méthodologique 49
a) Les erreurs d'une catégorie rationnelle (alternative
exclusive ou inclusion additive) 50
3. Cosmopolitisme et expérience multiculturelle : la
constitution de l'identité
cosmopolitique 55
a) Le cosmopolitisme 55
b) Le cosmopolitisme et l'acte migratoire comme
expérience multiculturelle : Les voies de l'Identité
cosmopolitique 58
III. Citoyens du monde 66
1. L'association Citoyens du Monde 66
a) Historique et présentation de l'association Citoyens
du Monde 66
b) Démarche politique des Citoyens du monde : 68
2. Analyse sémiotique de documents et du discours de CDM
71
a) Document A : Le logo de CDM 72
b) Documents B : Bulletin trimestriel du centre Français
des Citoyens du monde
n°144 et premier numéro de la nouvelle série.
73
c) La somme mondialiste et la publication de l'agence
mondialiste de presse 76
d) Analyse de discours des personnes rencontrées 78
Conclusion 80
IV. Annexes 84
Annexe 1 84
Annexe 2 85
Annexe 3 86
Annexe 4 87
Annexe 5 88
Annexe 6 103
V. Bibliographie 104
Avant Propos
Il y a tout juste quelques jours, en regardant le journal
d'Arte TV, j'ai pris connaissance de la mort de l'exceptionnelle artiste Louise
Bourgeois. Née à Paris en 1911, elle épouse un historien
d'art américain et émigre au Etats-Unis en 1938 où elle
prend la nationalité états-unienne. Elle est morte à
l'âge de quatre vingt dix-huit ans, elle a vécu plus de soixante
dix ans en dehors de son pays d'origine. Le reportage qui présentait une
rétrospective générale de sa vie et de son oeuvre, se
termine par la phrase « cette grande artiste française nous a
quitté »1. Inévitablement la dernière
affirmation « artiste française » m'interpelle.
Peut-être Louise Bourgeois se disait et se sentait-elle
profondément française, ou peut-être pas ou peut-être
en partie ou peut-être à moitié. En tout cas, et
malgré le fait que ce reportage était diffusé par Arte tv,
les journalistes ne se sont pas trop posé la question : elle
était née en France, donc française, elle l'était
donc restée toute sa vie.
« Pasaporte » « República de Chile
», voilà ce qui est marqué sur la couverture du document que
je porte. Ce document, tellement précieux spécialement quand on
se trouve à l'étranger (notion d'« être à
étranger » discutable d'ailleurs), ne montre pas uniquement
d'où je viens mais aussi à ce dont je suis censé
appartenir en tant que citoyen, unilatéralement bien sûr.
Toutefois, aujourd'hui, j'accumule quasi 10 années en dehors de mon pays
d'origine, soit presque un tiers de ma vie. J'espère, très
sincèrement et sans aucune animosité envers mes respectables
compatriotes, que si je meurs à l'âge de 98 ans, le jour de mes
funérailles on ne me traitera pas encore de chilien !.
Or, pour la pensée nationale, pour ne pas dire
nationaliste, des allégations de ce genre constituent une espèce
de reniement de l'origine, et pour mes compatriotes, pire encore, il s'agirait
d'une sorte trahison. Afin de ne pas froisser les susceptibilités
patriotiques, je dois m'expliquer à chaque fois: je n'ai aucun
problème avec le Chili, et pourtant, des raisons, j'en ai. Son
actualité m'intéresse toujours, je suis content quand j'y vais et
je m'y sens à l'aise. Je suis tout à fait conscient de mon
origine et de la manière dont elle a façonné ma
façon de comprendre le monde : mon héritage culturel ainsi que
mon rapport à l'absolu en découle. Cependant, mon
expérience migratoire m'a apporté
1 JT Arte TV du Lundi 31 mai 2010
des nouveaux éléments (culturels, identitaires,
psychologiques, etc) que j'ai intégrés au fur et à mesure
et j'ai le sentiment qu'ils ne doivent être, en aucun cas, pensés
comme concurrents ou antagoniques à ceux de mon origine. En effet,
j'aime bien le camembert avec du vin rouge, on m'a déjà surpris
avec Claude François dans mon MP3 et j'aime beaucoup Joe Dassin, je n'ai
pas encore vu « La cité de la peur », mais je peux chanter la
Marseillaise par coeur bien que je ne le fasse jamais, et je parle,
j'écris et je pense en français. Et même si je continue
à croire que tremper sa tartine dans le café c'est
dégueulasse, cela ne me fait pas pour autant ni plus ni moins
français, loin de là. J'ironise car ce n'est pas une question
d'être plus français et moins chilien ou inversement, il s'agit
des bouleversements de l'appartenance et de l'identité qui ne peuvent
plus être pensée dans les catégories rationnelles du
national.
Grace aux interactions relationnelles et sociales que j'ai pu
établir au fil des années, je me suis aperçu que ce
ressenti et ces questionnements affleurent aléatoirement chez des gens
ayant eu une expérience migratoire et multiculturelle importante. J'ai
donc réalisé qu'il ne s'agissait pas d'un dérapage
identitaire dû à une expérience personnelle, mais que
c'était un sentiment partagé, qu'il s'agissait de toute
évidence d'un phénomène social qui, de plus, n'a rien de
nouveau. Des constatations et des réflexions de ce genre m'ont
poussé à faire une recherche sur ce sujet : Qu'est ce que
l'appartenance nationale ? Quelles sont les enjeux de l'identité
nationale dans un contexte de migration?
Aussi, il existe une dimension personnelle forte dans ce
projet de recherche car il répond à des questionnements
personnels qui s'insèrent directement dans mon expérience
empirique en tant qu'immigrant (Espagne puis France), et en tant qu'acteur
d'une expérience multiculturelle. J'ai pu ainsi éprouver les
enjeux liés aux mouvements migratoires transnationaux, tel que les
questions d'ordre identitaire, émotionnel, linguistique, psychologique,
financier, administratif et logistique ainsi que le caractère
controversé des relations interethniques. Cette expérience en
plus des éléments de réflexion recueillis de façon
informelle ont représenté une source indispensable afin
d'éclairer et de fixer des pistes pour cette étude.
Enfin, vous noterez peut-être un ton direct et
irrévérencieux dans ce travail. Mon intention n'est
évidement pas de déranger qui ce soit, mais plutôt
d'imprégner ce mémoire d'une consistance humaine, quelque chose
de vivant sans pour autant que
l'objectivité qui conditionne tout propos scientifique se
voit compromise. Je pense que rigueur ne rime pas forcement avec
austérité.
Introduction
« Le patriotisme est limité, petit, mais il
est pratique, utile, il rend heureux et il apaise ; le cosmopolitisme est
superbe, grand, mais presque trop grand pour un homme, l'idée est belle
mais ce qu'elle entraîne, dans la vie d'un homme, c'est le
déchirement intérieur »2. Voilà
l'affirmation d'un certain Heinrich Laube au milieu du XIX siècle. Vrai
ou faux ? Peu importe, M Laube était dramaturge et metteur en
scène, et peut-être at-il dramatisé un peu. Cependant ce
qui nous intéresse dans cette phrase, c'est ce qu'elle représente
: écrite au milieu du processus de constitution des Etats-nations en
Europe au XIXème siècle, la pesanteur symbolique de cette
affirmation parait intacte aujourd'hui. A un siècle et demi de sa
formulation on dirait même qu'elle a gagné de la pertinence
replacée dans un contexte social mondial nouveau : la mondialisation.
Mais qu'est exactement la mondialisation ? On entend souvent
des phrases du type « avec la globalisation et les technologies de
communication, l'humanité toute entière peut suivre un
événement médiatique en temps réel2
» ou « au jour d'aujourd'hui, nous pouvons déguster de la
cuisine indienne dans les quatre coins de la planète3
» ou mieux encore « grâce au développement du
transport aérien, on peut déjeuner à Paris et diner
à New York 4». Nous pouvons soulever le
caractère charmant de ces affirmations, cependant, il ne parait pas
difficile de supposer qu'un paysan chinois du fin fond de la région de
Xinjiang, près de la frontière du Kirghizstan n'est pas d'accord,
de même pour le comorien sans électricité car, après
tout, un quart de la population mondiale n'a tout simplement pas accès
à l'électricité5.
Quoiqu'il en soit, et en dehors de ces formulations
animées par une sorte d'empirisme frimeur, au cours des 50
dernières années, nous avons effectivement été
témoins d'une explosion des échanges transnationaux. En effet, le
nombre de mouvements transfrontaliers s'accroît en même temps que
les formes et les logiques des déplacements se diversifient : travail,
échanges, études, stages, voyages de longue durée,
quêtes personnelles, migrations économiques, politiques ou
climatiques. Toutefois, ce
2 Ulrich Beck, Qu'est ce que le cosmopolitisme ?,
Paris Ed Flammarion, 2006
3 Idem
4 Magasin Edgar. N°17
5 Rapport 2009 Programme de Nation-unies pour le
développement. Source
www.un.org, mai 2010.
n'est pas tellement les déplacements humains qui ont
forgé notre perception de la mondialisation, c'est avant tout la
naissance du « bricolage transnational de produits de
consommation6 », ainsi que l'idée de marché
et la culture de masse à l'échelle mondiale qui nous interpelle
le plus dans nos vies quotidiennes. Aujourd'hui il n'y a plus aucun produit
industriel « pur souche » et c'est ainsi depuis un bon moment, «
le modèle d'un vêtement dessiné à New York peut
être transmis électroniquement à une usine de Taiwan, et
les premiers lots du produit fini être reçus à San
Francisco dans la même semaine » (Castelles,
19807).
Mais entre la somptueuse trajectoire internationale d'une
chaussure assemblée au Bangladesh, entre nos cadeaux chinois pour
noël et la triste histoire de la banquise du Groenland, il y a toute
même des êtres humains en mouvement avec un rôle actif dans
la mondialisation. Sous l'ombre de chaque container de marchandise il y a un
émigrant, ou plutôt des émigrants : des professionnels et
des moins professionnels, des travailleurs et des moins travailleurs, des
humanitaires et des chefs d'entreprises, des intellectuels et des moins
chanceux, des malfaiteurs et des scientifiques, des étudiants, des
aventuriers, des touristes ou des amoureux qui, tous, rêvent d'une vie
meilleure, chacun à leur façon. Et à moins de croire
à l'avènement d'un suicide collectif de satellites ou d'un «
black out » systémique à l'échelle
planétaire, il n'y a aucune raison de penser que les mouvements
migratoires vont s'arrêter. Leur augmentation, qualitativement et
quantitativement parlant, interpelle de plus en plus notre rapport au monde
ainsi que notre capacité à vivre ensemble et elle met entre
parenthèses l'une des nos références les plus
chères : l'Etat-nation ; et étant donné que
l'humanité est organisée en nations, la question parait
longue.
Il existe d'innombrables façons d'interroger la place
de l'être humain dans la mondialisation et dans les logiques migratoires.
Monique Chemillier Gendreau8 établit une approche juridique
pour mettre en question les politiques d'immigration et la condition actuelle
du droit à circuler. Elle appuie sa réflexion sur la
Déclaration universelle de Droits de l'Homme, et de l'article 13 par
exemple stipulant que « Toute
6 Ulrich Beck, Qu'est ce que le cosmopolitisme. Ed
Aubier, 2006
7 Source
www.persees.fr. Alejandro Portes,
« La mondialisation par le bas. L'émergence des communautés
transnationales », In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol.
129, septiembre1999. Délits d'immigration. pp. 15-25.
8 Monique Chemillier Gendreau, professeure
émérite de droit public et de sciences politiques à
l'université Denis-Diderot-Paris-VII
personne a le droit de circuler librement et de choisir sa
résidence à l'intérieur d'un Etat. Toute personne a le
droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son
pays 9».
Catherine Whitol de Wenden10 s'interroge sur le
droit à la mobilité en fonction des données empiriques du
phénomène migratoire, elle met en lumière les aspects
paradoxaux de la mondialisation en dénonçant le manque de
perspectives des politiques migratoires. Elle examine le problème de
l'ouverture des frontières sous l'angle de la discordance entre la
réalité du monde contemporain : la libre circulation des
capitaux, des biens, des informations, des idées d'une part, et la
fermeture des frontières d'autre part, qui bloque la libre circulation
des humains.
Dans ce travail de recherche, et avec ma modeste
expérience de chercheur, je veux interroger à mon tour, la valeur
et le rôle de l' « expérience multiculturelle » dans les
bouleversements de l'appartenance (nationale) et de l'identité. En
effet, l'expérience multiculturelle peut avoir d'innombrables effets sur
une personne : cela peut aller d'avoir la « tourista » jusqu'à
la remise en question de la plus chère des certitudes, ou à
l'effondrement soudain de la plus grande des convictions. Elle peut donner vie
au plus noble des sentiments ou tuer le plus grand des espoirs. Une
expérience multiculturelle peut renforcer le plus idiot des
préjugés ou donner un tournant profond dans la conception de la
vie et de la mort. Chaque personne vit la confrontation à la
différence d'une façon particulière et cela peut
déclencher une réaction conséquente.
Dans ce travail, j'interroge principalement la transformation
du sentiment d'appartenance nationale, et la réorganisation de
l'identité comme conséquence d'un acte migratoire entendu comme
une « expérience multiculturelle ». Je parle plus
précisément des répercussions de l'expérience
multiculturelle dans la remise en question du caractère normatif de
l'appartenance à une nation et la réorganisation de
l'identité que cela implique. Le sentiment d'appartenance nationale est
au centre de ma recherche et constitue l'origine de mon questionnement.
9 Source site web des Nations Unis
www.un.org, Mai 2010.
10 Catherine Whitol de Wenden, Faut-il ouvrir les
frontières ?, Paris Presses de Sciences Po, 1999. Coll. "La
bibliothèque du citoyen".
Ma problématique est donc la suivante : Nous sommes
tous nés quelque part et de quelqu'un. L'Etat-nation cherche à
s'approprier ces deux faits en leur donnant une valeur et un sens propre, ce
qui se traduit par l'appartenance nationale. L'appartenance nationale est un
type de filiation identitaire fondée sur des faits objectifs et non
objectifs réinterprétés afin de leur donner une
cohérence au sein d'un système de représentation
collective qui lui est propre et unique. Notre système cognitif est
profondément influencé par ces formes de représentation de
l'identité et cela conditionne nos rapports envers les autres univers
nationaux.
Dans la première partie de ce mémoire, je
cherche à éclaircir la place de l'étatnation dans la
construction identitaire, Quel est le rôle de l'état-nation dans
la construction de l'appartenance ? Comment l'appartenance nationale et
l'arsenal symbolique de l'étatnation s'insèrent-t-ils dans nos
systèmes de représentation ? Quelles sont les formes de
réinterprétation politique de l'appartenance nationale et comment
s'insèrent-elles dans le contexte de la mondialisation ?
Ensuite, et après avoir abordé les enjeux de
l'identité dans le contexte de la mondialisation, je vais analyser l'
« expérience multiculturelle » comme vecteur de
l'évolution de l'identité, en me basant sur un travail de terrain
et sur l'analyse sémiotique des documents. Quels peuvent être les
répercussions de l'expérience multiculturelle dans le sentiment
d'appartenance nationale ? Si l'expérience multiculturelle produit un
effacement progressif de l'appartenance nationale et un bouleversement des
repères identitaires chez certaines personnes, quelle sont les
aboutissements de cette réorganisation identitaire ?
Cela nous amène au questionnement principal sur lequel
je vais avancer des hypothèses : L'expérience multiculturelle
peut-elle dessiner une identité qui s'affranchit progressivement des
catégories rationnelles du national ? L' « Identité
cosmopolitique11 » (Voir chapitre 2) est-elle le
résultat de ce processus ? Quel est le rôle du rapport aux
11 J'appelle «Identité cosmopolitique» la
réorganisation de l'identité suite à un acte migratoire
entendu comme expérience multiculturelle. Ce concept est une
transposition et une reconfiguration conceptuelle que j'ai construit à
partir de la critique épistémologique de la sociologie et des
sciences sociales développée par Ulrich Beck dans l'ouvrage
« Qu'est-ce que le cosmopolitisme ? ». L'Identité
cosmopolitique exprime la possibilité d'être natif d'un lieu et de
toucher à l'universalité, sans renier sa particularité. Il
s'agit d'un mélange de plusieurs identités et d'un sentiment
d'appartenance au-delà des nations.
origines et du rapport à la société
d'accueil dans la construction de l'Identité cosmopolitique ?
L'Identité cosmopolitique se profile-t-elle uniquement suite à
une expérience multiculturelle importante ?
Et enfin, cet effacement progressif du sentiment d'appartenance
national laisse-t-il la place à un sentiment d'appartenance plus large,
voire mondial ?
Les hypothèses avec lesquelles je vais tenter de
répondre à ces questionnements sont les suivantes :
1. L'« expérience multiculturelle » produit
chez certains individus, une « reconfiguration identitaire » qui
s'inscrit dans un processus de détachement et de transformation du
sentiment d'appartenance nationale12. L'Identité
cosmopolitique est le résultat de ce processus, elle se traduit par une
contestation et un affranchissement progressif des catégories
rationnelles du national dans l'expérience du quotidien.
Sous hypothèses :
a) Ce processus se divise en deux phases :
la première se définit en fonction du rapport que l'individu
entretient avec son pays d'origine et la deuxième est
déterminée par la relation que l'individu entretient avec les
cultures d'accueil.
2. La constitution de l'Identité cosmopolitique est
impossible en absence de l'expérience multiculturelle.
3. L'Identité postnationale correspond au stade qui
précède l'Identité cosmopolitique
4. L'Identité cosmopolitique ainsi que l'Identité
post-nationale se traduisent par un sentiment d'appartenance à une
communauté globale.
12 Notion d' «Appartenance nationale» selon
Gérard Noiriel Gérard, A quoi sert l'identité nationale,
Paris 2007, Ed. Agone
Essayer de confirmer correctement ces hypothèses
soulève d'importants problèmes épistémologiques.
Premièrement, quel est l'angle le plus adéquat pour aborder
l'état-nation et le sujet de l'appartenance nationale compte tenu des
différences profondes entre les état-nations eux-mêmes?
Combien de façon de comprendre l'appartenance nationale y a-t-il ?
Quelles sont les adjonctions qui sont susceptibles de la faire évoluer
en fonction des cas ? Nous pouvons en effet distinguer des différences
colossales dans la conception de la nation entre un état-nation par
excellence tel que le Japon et par exemple la Serbie ; les enjeux ne sont pas
du tout les mêmes. Comment peut-on traiter par exemple, le sentiment
d'appartenance nationale de France ou d'Israël sur le même plan ? Et
puis il y a des Etats plurinationaux tels que le Liban ou l'Inde, des
états organisés sous forme de confédération tels
que la Suisse. Et qu'en est-il du sentiment d'appartenance chez les
ressortissants de Hong-Kong, Singapour ou Macao ? Comment peut-on aborder
l'identité nationale dans cet aussi large éventail culturel ?
Deuxièmement, chaque état-nation est
inséré dans la mondialisation et dans le concert international
des nations de façon différente. Il y a aussi de profondes
inégalités en matière de développement. De toute
évidence, approfondir l'analyse en prenant indépendamment
l'identité de tous les états-nations du monde est un travail
aussi impossible qu'inutile, et en même temps, choisir un état
parmi tous les autres états risquerait d'être motivé par
une démarche arbitraire.
Afin d'éviter les incohérences
épistémologiques, dans la première partie de ce travail,
je vais donc aborder les aspects qui sont communs aux processus de constitution
des états-nations dans l'édification de l'appartenance nationale,
c'est-à-dire, le secret de sa réussite : sa capacité
à relier et à fédérer des forces.
Ensuite je vais expliquer les différentes façons de
comprendre la mondialisation ainsi que les typologies de l'appartenance
identitaire et politique qui en découlent.
Et enfin, le terrain sur lequel je vais appuyer le travail
déductif est l'association Citoyens du monde. Il s'agit d'un collectif
qui existe depuis 1948 et qui possède un parcours remarquable dans le
domaine de la militance et de la contestation de la logique
des états-nations. Or, j'estime que le mouvement
mondialiste est un terrain particulièrement fécond et pertinent
pour appuyer ma recherche. La vaste expérience des Citoyens du monde en
ce qui concerne la contestation de la notion de nationalité, non
seulement politico-militante mais aussi humaine et intellectuelle, est pour moi
une source indispensable afin de mener à bien l'ensemble de ma
recherche.
I. L'Etat-nation et la construction de
l'appartenance
« On entend par Nation un groupement d'hommes
réunis par une même erreur sur leur origine et une commune
aversion à l'égard de leur voisin 13».
1. Le mythe de l'Etat-nation : de l'étymologie
à la réalité sociale, la quête d'une allure
ontologique pour l'Etat-nation
a) L'origine du mot et le succès historique de
l'Etat-nation
Lorsque nous regardons une carte politique du monde
d'aujourd'hui, nous pouvons constater que la superficie de la planète
est une immense mosaïque colorée, entièrement
constituée de différentes couleurs (ou divisée d'ailleurs
en différentes couleurs). Ces formes colorées recouvrent la
surface terrestre dans presque toute son étendue, depuis le Cap de Bonne
espérance jusqu'au-delà du cercle polaire arctique, du
détroit de Béring jusqu'au Cap Horn et de l'Australie
jusqu'à la Turquie en passant par l'archipel de l'Indonésie, le
Japon et l'Islande même si ce n'est pas sur la route. Il y a des formes
colorées partout : démesurées ou infiniment petites,
rondes, hexagonales ou sans forme pour la plupart d'entre elles. Chacune de ces
couleurs, comme vous l'avez bien compris, représente ce qu'on appelle un
Etat-nation.
La superficie presque totale de la planète apparait
comme un découpage quasi chirurgical formant un véritable puzzle
où, dans chaque pièce, siège la légitimité
politique et culturelle des sociétés nationales. La «
société mondiale » se trouve ainsi fragmentée en des
univers souverains délimités les uns par rapport aux autres,
chacune des ces pièces colorées symbolise d'ailleurs une
intégralité sociale et culturelle à part entière.
Mais, comment se fait-il, tenant compte de l'immense diversité humaine,
que cette mosaïque colorée soit aussi bien délimitée
? Les couleurs ne se chevauchent pas entre elles, il n'y a pas des
dégradés ou de demi-tons, il y a même des lignes droites
longues comme deux fois la France. Par ailleurs, les endroits où le
contour n'est pas
13 Albert Mousset. Paradoxes et anticipations
parfaitement découpé, ou découpé
avec une ligne discontinue, constituent une anomalie flagrante qui interpelle
notre entendement. C'est ainsi qu'en regardant par exemple le Sahara occidental
sur « une carte du monde politique 14», nous l'apercevons
comme une étrangeté, un disfonctionnement géopolitique
présumé temporaire, ou en tous cas en attente d'une solution, car
si ce n'est pas un état-nation, qu'est-ce ça pourrait bien
être d'autre ? Ces exceptions à la norme nous laissent
automatiquement supposer que il ne s'agit probablement pas d'une
démocratie, que les Droits fondamentaux de ses habitants ne sont pas
assurés, que la prospérité économique est
compromise.
Or, si l'on veut comprendre les raisons de
l'hégémonie universelle de l'étatnation la question la
plus naturelle à se poser serait : qu'est-ce qu'un état-nation ?
Alors cette question, aussi évidente qu'elle puisse paraitre, ne nous
permettra pas de saisir l'ensemble des agencements dialectiques et symboliques
qui font du phénomène d'étatnation un sujet aussi complexe
et passionnant. La question la plus pertinente à formuler serait
plutôt, que représente un état-nation ?
Commençons donc par le début. « Etat-nation
» est un concept composé de deux mots « état » et
« nation ». Selon l'encyclopédie Larousse un «
état » est une « Société politique
résultant de la fixation, sur un territoire délimité par
des frontières, d'un groupe humain présentant des
caractères plus ou moins marqués
d'homogénéité culturelle et régi par un pouvoir
institutionnalisé 15». La définition de la
notion
d' « état » reste donc relativement claire.
Cependant ce n'est pas la notion d' « état » qui pose des
problèmes, sinon plutôt la définition de « nation
» et en conséquence l'assemblage des deux : « état
» et « nation ».
On trouve trois grandes sources étymologiques quand on
remonte aux origines de l'idée de « nation » :
- soi-même, étant né de parents connus
- l'identité, la naissance, l'héritage
- la conscience de soi, l'origine, après un
apprentissage16
14 Carte «Le monde politique» 2007. Institut
nationale de géographie de France
15 Source
www.larousse.fr
16 Gil Delannoi, Sociologie de la nation. Fondement
théoriques et expériences historiques, Paris, Ed Armand Colin,
1999
Le mot « nation » vient du latin natio,
nationis qui désignait l'espèce, l'ethnie, le peuple avant
de dériver vers le sens moderne. Cependant ce sens premier est loin
encore de la signification actuelle : nous devons rajouter d'autres
éléments, comme par exemple, le fait qu'on est forcement
né quelque part et de quelqu'un, c'est-à-dire la terre et le
sang. Gil Delannoi nous rappelle que les composantes étymologiques
du mot nation nous mènent à l'idée que pour former une
nation il faut être nés ensemble, être héritier
d'un
même sang, d'un même sol, d'une même
langue, avoir grandi ensemble en ayant partagéles mêmes
moeurs17. Nous commençons à entrevoir la
plasticité et la polyvalence du concept de nation qui s'associe par
moments à celui d'ethnie, de race ou de population.
Jusqu'ici le contenu étymologique et sémantique
du mot nation parait relativement clair. Maintenant nous allons nous centrer
sur le jonglage symbolique qui existe autour du concept de nation et qui s'est
articulé au fil des ces deux derniers siècles, essentiellement en
Europe.
Le concept de nation peut porter en lui la métaphore de
la famille. En effet, le discours national se travestit
régulièrement avec celui de famille : « patria » par
exemple, veut dire sol qui appartiens au père18, cela nous
amène automatiquement à des rapports d'affection, de protection,
de loyauté, d'obéissance et d'autorité. De même pour
le terme « mère patrie » qui nous amène
également aux notions de maternité, fraternité et amour.
Ce fort contenu symbolique évoque la chaine de générations
et d'ancêtres qu'on n'a pas connus : le passé, le présent
et la promesse du futur se trouve réunis.
En ce qui concerne la définition moderne de nation,
c'est simple : il n'y en a pas. La nation est une idée variable qui
manque de cohérence nous dit Gil Delannoi19.
Néanmoins elle évoque au sens moderne plutôt les moeurs,
les tempéraments et l'esthétique comportementale d'un peuple. En
tous les cas, il n'y a pas de définition exacte ou définitive
commune et applicable à tout le monde. Paradoxalement le succès
du concept de nation réside justement en sa polyvalence
sémantique. « Nation est une forme existentielle de la vie
politique. C'est un être théorique et esthétique, organique
et artificiel, individuel et collectif, universel et particulier,
indépendant et dépendant,
17 Idem
18 Idem
19 Gil Delannoi. Sociologie de la nation. Fondement
théoriques et expériences historiques, Paris, Ed
Armand Colin, 1999
idéologique et apolitique, transcendant et
fonctionnel, ethnique et civique, continu et discontinu
20».
Comment peut-on parler de nation sans revisiter l'histoire ?
Il est évident que ce sont des processus historiques et des
expériences politiques qui ont donné lieu au concept moderne de
nation, des expériences essentiellement européennes. Toutefois,
nous nous trouvons devant un dilemme épistémologique car si l'on
souhaite établir une approche historique, quel cas de figure choisir et
pourquoi ? Nous l'avons dit, la genèse et le développement de ce
processus identitaire se trouve en Europe mais elle s'est répandue dans
le monde entier avec toutes les réadaptations, altérations et
reconfigurations qui résultent d'un tel élargissement. En France
par exemple il a fallu attendre le progrès de la culture écrite
au XIX siècle pour voir l'émergence d'une «
République des lettres » et placer ainsi les discours, les
débats et les luttes au nom de la nation dans l'espace public. Comment
peut-on analyser les enjeux liés à l'idée de nation tout
en évitant une démarche ethnocentriste? Nous pouvons revenir sur
la guerre de Cent ans considérée par certains historiens comme
l'aube du sentiment national français. Mais pourquoi ne pas parler, par
exemple, de l'Afrique du Sud ? C'est un pays en quête de sentiments
nationaux conciliateurs et unificateurs. Ou plutôt approfondir l'histoire
de l'Argentine ou du Népal ? Par ailleurs, il faut savoir qu'en termes
de composition d'entité nationale, des données similaires peuvent
aussi produire des résultats opposés. Par exemple, la France et
l'Angleterre : deux état-nation par excellence, deux révolutions
industrielles (un peu décalées chronologiquement mais
comparables), deux précurseurs de la démocratie moderne, deux
puissances coloniales, deux puissances économiques,
etc. et pourtant avec des visions
très différentes de ce qu'est une nation et de la dialectique qui
s'entretient entre les composantes internes et externes de la nation. Nous
pourrions parler aussi des Etats-Unis qui ont un concept de nation basé
sur des principes fédérateurs très distincts de ceux de la
France tel que l'idée du melting pot ou le Rêve américain.
Et après tout, pourquoi l'histoire d'un état-nation serait-elle
plus représentative ou rendraitelle mieux compte de la formation des
identités nationales que l'histoire d'un autre ? Et puis même si
l'apparition de l'état-nation moderne a commencé en Angleterre et
en France, il s'agit, comme nous l'avons dit, d'un phénomène qui
s'est étendu à l'échelle planétaire. Il est
évident, par exemple, que les faits historiques qui ont donné
naissance à
20 Idem
l'Inde sont autres que ceux qui ont donné lieu à
la constitution de la Suisse. Nonobstant, il y a des choses communes entre ces
deux cas. En effet, même si l'esthétique des nations n'est pas
uniforme, le concept est analogue à tous les autres dans le sens
où il a été mobilisé de façon similaire et
au nom d'un même objectif: la poursuite d'un principe
fédérateur.
Il ne faut pas perdre de vue que l'objectif principal d'une
approche historique dans notre contexte analytique ce n'est pas de faire la
généalogie des états-nation, mais plutôt
d'établir une approche historique qui vise surtout à rappeler que
les nations ne sont pas des entités réellement existantes et
omniprésentes dans l'histoire de l'humanité et que leur
constitution est liée à des expériences historiques et
politiques réinterprétées et replacées dans un
système de représentations symboliques. En effet, la nation ne va
pas de soi, « Le « secret » », écrit M.
Foucault, « est que les choses sont sans essence ou que leur essence a
été construite pièce à pièce à partir
de figures qui lui étaient étrangères21
»
Ernest Renan dresse un constat de la condition
pré-nationale des sociétés humaines. Les nations modernes
« sont quelque chose d'assez nouveau dans l'histoire.
L'antiquité ne les connut pas ; l'Égypte, la Chine, l'antique
Chaldée ne furent à aucun degré des nations »,
et il continue, « ...Il n'y eut pas de citoyens égyptiens,
pas plus qu'il n'y a de citoyens chinois. L'antiquité classique eut des
républiques et des royautés municipales, des
confédérations de républiques locales, des empires ; elle
n'eut guère la nation au sens où nous la comprenons.
Athènes, Sparte, Sidon, Tyr sont de petits centres d'admirable
patriotisme ; mais ce sont des cités avec un territoire relativement
restreint. La Gaule, l'Espagne, l'Italie, avant leur absorption dans l'Empire
romain, étaient des ensembles de peuplades, souvent liguées entre
elles, mais sans institutions centrales, sans dynasties. L'Empire assyrien,
l'Empire persan, l'Empire d'Alexandre ne furent pas non plus des patries. Il
n'y eut jamais de patriotes assyriens et l'Empire persan fut une vaste
féodalité...22».
Nous allons donc continuer à souligner des aspects qui
sont communs aux formations des états-nations, et à ce propos
nous pouvons continuer à citer Ernest Renan, « L'oubli,
21 Michel Foucault, L'Ordre du discours, Paris,
Gallimard, 1971
22 Ernest Renan. Qu'est-ce qu'une nation ?, Paris, Ed
Agora, Pocket, 1992
et je dirai même l'erreur historique, sont un
facteur essentiel de la création d'une nation, et c'est ainsi que le
progrès des études historiques est souvent pour la
nationalité un danger. L'investigation historique, en effet, remet en
lumière les faits de violence qui se sont passés à
l'origine de toutes les formations politiques, même de celles dont les
conséquences ont été le plus bienfaisantes. L'unité
se fait toujours brutalement ; la réunion de la France du Nord et de la
France du Midi a été le résultat d'une extermination et
d'une terreur continuée pendant près d'un siècle
»
Les exemples de violence « interne » au nom de la
nation comme principe unificateur sont communs aux formations des
états-nations. « La Pacificación de l'Araucanía
» correspond au massacre systématique des indiens organisé
par l'état Chilien afin d'éradiquer les éléments
démographiques qui étaient considérés comme des
obstacles aux efforts d'homogénéisation culturelle de
l'état-nation. Les indiens en Argentine ont suivi les même sort.
De même pour la violence linguistique mise en place par Atatürk en
Turquie, l'unification par la langue de l'Allemagne ou pour citer un exemple
d'actualité, la répression exercée par l'état
Chinois sur les populations Tibétaines obéit à la
même démarche.
Nous ne pouvons pas dissocier l'émergence des
états-nations de l'émergence de l'économie mercantiliste
et de l'essor du capitalisme en Europe. L'état-nation semble accompagner
la révolution industrielle et le processus de colonisation. Il y a eu,
effectivement, un processus de prolétarisation de la force de travail,
une nouvelle classe sociale a vu le jour. En effet, le développement des
structures de marché et des rapports de classes propre au capitalisme
moderne était beaucoup plus adapté et plus propice à la
nouvelle logique sociale et industrielle que les anciens rapports
féodaux. Cependant, il reste difficile d'associer la formation des
nations a un « projet bourgeois 23» tout simplement parce
que l'exploitation du travail salarié n'implique pas directement une
forme d'état, de plus, la production capitaliste possède la
caractéristique et la tendance intrinsèque de vouloir
dépasser les cadres nationaux.
En conclusion, face aux différences historiques entre les
états-nations, face à la différence entre l'histoire des
développements économiques, face à la dissemblance
entre
23 Etienne Balibar et Immanuel Wallerstein, Race,
Nation, Classe. Les Identités ambigües, Paris, Ed La
Découverte. 1990
les processus sociopolitiques propres à chaque pays et
face aux particularités de chaque région du monde, il ne nous
reste qu'à souligner que le concept de nation est une «
indétermination fondamentale » et c'est là que réside
sa puissance dans la politique de masse. La nation se révèle
propice à diverses formes d'adhésion de masse, l'Afrique du Sud
appelée aussi « la nation arc-en-ciel », est bon exemple de la
polyvalence sémantique de la nation. Sa plasticité a fait son
succès, elle peut même se présenter comme une variante
d'une religion universelle ou comme une forme laïque du culte de la
démocratie. Faire appel à la nation permet souvent de «
concilier des principes qui sont antinomiques (Liberté et
égalité), elle peut s'inverser dans des métaphores
idéologiques (droite, gauche) 24». Sa
versatilité se prête à un véritable mimétisme
idéologique (communisme et capitalisme), un camouflage conceptuel avec
une capacité à résoudre ou à masquer les
contradictions de la référence nationale. Universalité et
particularité se trouvent réunies, « cette
capacité à épouser des causes les plus diverses peut
expliquer la réussite de la nation, un atout
idéologique25 », un socle idéal pour
construire la singularité imaginaire des formations nationales.
L'Etat-nation fonctionne donc comme une entité capable
d'insérer dans son territoire des groupes humains divers ou relativement
homogènes. Historiquement les Etatsnations ont investi des
énergies colossales pour unir et assembler les particularités de
groupes ethnoculturels susceptibles de faire partie d'un ensemble
cohérent, ce dernier pouvant être à caractère
réel ou symbolique. À force d'artifices et de convictions, de
convenances et de certitudes, de violences et de fraternité, d'exclusion
et de solidarité, l'Etat-nation se veut légitime, naturel et
incontestable. La nation est cette unité qui autorise à dire
« nous sommes un peuple ».
b) Universalisme, race, ethnie et citoyenneté :
réalité et fiction de l'appartenance
Nous ne pouvons pas aborder le sujet de la race, de l'ethnie
et de la citoyenneté sans faire au moins référence
à leur toile de fond : l'idéologie universaliste. L'universalisme
est un sujet très vaste et mériterait des centaines et des
milliers pages, au-delà que ce qui
24 Gil Delannoi, Sociologie de la nation. Fondement
théoriques et expériences historiques, Paris, Ed Armand Colin,
1999
25 Idem
lui a déjà été consacré.
Toutefois, il n'y a pas d'intérêt à l'aborder dans toute
son étendue et sa complexité puisqu'on finirait probablement par
se perdre en cours de route. Nous allons tout simplement dégager les
éléments principaux afin de comprendre dans quelle mesure la
construction sémantique de la race, de l'ethnie et de la
citoyenneté est influencée par cette catégorie historique
qui a façonné la pensée occidentale.
La doctrine universaliste promeut un principe suprême
d'égalité entre les hommes, dont les Droits de l'Homme, par
exemple, font partie. Nous pouvons identifier sa source dans des aspects de la
pensée monothéiste chrétienne qui se sont reconverties
à l'économie-monde capitaliste. Dieu est unique, et il
règne sur l'espèce humaine, laquelle est également unique,
ce système de pensée reconnait ainsi l'unicité de
l'humanité. Les Lumières au XVIIIème siècle
auraient laïcisé cette maxime en faisant émaner
l'égalité morale et les droits de l'homme de la nature humaine
elle-même, nos droits deviennent donc ainsi des droits naturels qui font
partie intégrante de la condition humaine. L'époque moderne a
été ainsi marquée par la proclamation de
l'égalité entre les hommes, refusant toute différence
substantielle entre les hommes du fait d'une nature humaine commune.
Il peut paraitre paradoxal de baser des différences sur
un principe d'égalité, et cela l'est d'une certaine façon.
La contrepartie de cet altruisme universaliste d'inspiration humaniste est
qu'il porte en lui un fort caractère évolutionniste, il suppose
une évolution unilinéaire de la culture en tant qu'attribut
universel de l'Homme : dans le sommet de cette évolution se trouve ni
plus ni moins la culture européenne (Incarnée par la
République dans le cas de la France). Cette vision hiérarchisante
de la nature humaine n'est pas sans conséquences. Les campagnes de
colonisation par exemple ont été justifiées moralement et
idéologiquement par les principes de l'Universalisme républicain.
En effet, la démarche est fondée sur l'idée qu'il faut
amener les « autres races » vers le stade supérieur de la
modernité, de la technique, de la démocratie, du progrès
économique et vers tous ce qui est susceptible d'appartenir
substantiellement aux aspects les plus illustres de notre civilisation et qui
sont, en même temps, voués à toute l'humanité.
« Les Lumières fournirent plusieurs idées nouvelles au
discours racial, en premier lieu l'accent mis de nouveau sur l'idée de
hiérarchie. Toutes les races appartenaient à l'humanité,
mais elles n'étaient, bien sûr, pas toutes égales. Les
écrivains du XVIIIe siècle soulignaient les différences
humaines comme susceptibles de
développement, non immuables, les races moins
avancées pouvant graduellement progresser et accéder à la
civilisation. Par exemple, ils tendaient à remplacer le terme de «
sauvage » par celui de « primitif », considérant les
non-Blancs comme moins évolués que les Blancs
26».
« Race », voilà le mot peut-être le
plus maudit du XXème siècle, qui porte en lui la plus grande des
croix. Le concept de race a réussi à canaliser les instincts les
plus ignobles et à donner un support idéologique tordu à
la haine et à la xénophobie.
D'où vient ce mot et qu'est-ce qu'il veut dire? Cela
peut paraitre surprenant, mais on a dressé le rapport à la
différence sur quelque chose qui n'existe même pas. Cette
terminologie est source d'énormes controverses lorsqu'on l'applique
à l'espèce humaine. Aujourd'hui, la race n'est reconnue en tant
que critère d'analyse ni par la sociologie, ni par la biologie. On
trouvera malheureusement toujours des pseudo-scientifiques bornés qui
affirment que la race existe, et qu'il suffit de regarder, qu'il y a des «
noirs » et des « blancs », mais ce n'est pas aussi simple. Nous
allons laisser tout cela pour le réconfort de la
médiocrité intellectuelle des partisans du Front national.
La perception actuelle que l'on a de la « race »
vient de l'anthropologie physique du début du XIX
siècle27. L'anthropologie physique est la science qui
étudie la diversité de la morphologie et de la physiologie des
groupes humains, elle cherchait une explication aux différences sociales
des hommes et elle a avancé la conclusion que les différences
culturelles, sociales ou historiques sont symbolisées par les traits
physiques. « L'anthropologie physique cherchait à constituer
des classes d'animaux humains qui correspondent à une classification en
type de civilisation ». Au XIXème siècle, « race
» désignait donc une totalité somatico-sociale et c'est
là où réside la thèse fondamentale du racisme
théorique : la variété de formes culturelles est
fondée et expliquée par la variété de formes
physiques.
Bien que beaucoup de travaux aient montré que la
causalité raciale « n'avait aucun sens » et que la race
n'existait pas au sens strict, l'erreur s'est perpétuée.
Comprendre
26 Tyler Stovall « Universalisme, différence et
invisibilité. Essai sur la notion de race dans l'histoire de la France
contemporaine ». Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique.
Numéro 96-97 (2005).
27 Pierre Morel, L'anthropologie physique, Paris,
Presses universitaires de France, Que Sais-Je ? 1962
que la source généalogique de l'acception
moderne du mot race se trouve dans l'anthropologie physique n'explique pas le
pourquoi de sa persistance dans la croyance commune. En effet, l'erreur s'est
poursuivie comme si elle nous arrangeait, et en réalité, c'est le
cas.
Nous allons exposer deux raisons de ce fait de persistance de
la notion de race. A la base ces perceptions sont distinctes, mais elles
trouvent leur point de convergence dans les pratiques sociales.
Nous pouvons entrevoir de quelle façon le concept de
nation établit un jeu douteux d'association avec celui de race : la
nation en tant qu'allégorie de la race, une pureté ancestrale qui
vient des temps immémoriaux, héritée et inhérente
à la création des espèces, qui mérite donc
d'être sauvegardée. En effet, l'idée de nation cherche dans
la race un fondement anthropologique, comme si la nation était
l'aboutissement d'une sélection naturelle, pourtant « les
nations ne constituent pas une version politique de la doctrine des
espèces naturelles 28» nous rappelle Ernest
Gellner.
Ernest Renan nous amène de nouveaux
éléments à ce sujet dans le cas européen, «
La conscience instinctive qui a présidé à la
confection de la carte d'Europe n'a tenu aucun compte de la race, et les
premières nations de l'Europe sont des nations de sang essentiellement
mélangé »... « Un Anglais est bien un type dans
l'ensemble de l'humanité. Or le type de ce qu'on appelle très
improprement la race anglo-saxonne n'est ni le Breton du temps de César,
ni l'Anglo-Saxon de Hengist, ni le Danois de Knut, ni le Normand de Guillaume
le Conquérant ; c'est la résultante de tout cela. Le
Français n'est ni un Gaulois, ni un Franc, ni un Burgonde. Il est ce qui
est sorti de la grande chaudière où, sous la présidence du
roi de France, ont fermenté ensemble les éléments les plus
divers », il continue, la race « ... n'a donc
été pour rien dans la constitution des nations modernes. La
France est celtique, ibérique, germanique. L'Allemagne est germanique,
celtique et slave. L'Italie est le pays où l'ethnographie est la plus
embarrassée. Gaulois, Étrusques, Pélasges, Grecs, sans
parler de bien d'autres éléments, s'y croisent dans un
indéchiffrable mélange... », « ...La
vérité est qu'il n'y a pas de race pure et que faire reposer la
politique sur l'analyse ethnographique, c'est la faire porter sur une
chimère.
28 Ernest Gellner, Nations et nationalismes, Paris, Ed
Payot 1999
Les plus nobles pays, l'Angleterre, la France, l'Italie, sont
ceux où le sang est le plus mêlé 29»
Il nous parait judicieux de faire une petite parenthèse
afin d'expliquer le contexte historique où se situe le
célèbre discours d'Ernest Renan. En effet, le discours de ce
dernier se place dans une dichotomie conceptuelle qui affronte deux
théories de la nation. Fisher, son homologue allemand, propose une
définition basée principalement sur des critères ethnique
qui légitiment l'annexion de l'Alsace-Loraine par l'Allemagne. Renan
défend une conception élective de la nation, selon lui la
légitimité politique de la nation repose sur la volonté
des citoyens de vivre ensemble, le sentiment d'appartenance prime sur les
considérations d'ordre ethnique, autrement dit, il fait un appel
à la conscience historique et à la communauté de
destin.
Nous allons maintenant reprendre les réflexions de
l'auteur Colette Guillaumin30, qui nous propose une toute autre
explication du fait que la dichotomie race/société ne soit pas
encore entrée dans le sens commun. En effet, dans la pensée
occidentale, et cela se reflète dans les structures des langues, il
existe une cohésion profonde entre nos systèmes de pensées
et de représentations du somatique et du socio-psychologique. Il s'agit
donc des caractéristiques propres de nos systèmes de
représentation et de nos processus perceptifs, c'est pour cela que
l'acte raciste est le même dans le fond mais sa forme change en fonction
de contextes historiques et sociaux. Il s'agit d'une sorte de fatalité
cognitive occidentale, un reflet symbolique propre de la « psychologie des
sociétés », un problème au niveau de notre
organisation inconsciente et de nos systèmes perceptifs.
La psycho-sociologie montre l'existence d'un fait
race. C'est-à-dire que si la race n'existe pas objectivement, cela n'en
détruit pas pour autant la réalité psychologique et
sociale de la race. Il parait évident que les caractères
physiques ne déterminent jamais les comportements sociaux. Le fait race
(ou l'idée de race) serait une manifestation de la nature sociale de
l'homme et de son désir de hiérarchisation. Les « noirs
» du XVème siècle et les « noirs » du
XXème par exemple ne désignent ni les mêmes
personnes ni les mêmes civilisations. Le « peuple » fut le
support de la première théorie des différences
29 Ernest Renan. Qu'est-ce qu'une nation ?, Paris, Ed
Agora, Pocket, 1992
30 Colette Guillaumin, L'idéologie raciste, genèse
et langage actuel, Paris, Ed Gallimard 2002
raciales fin XVIIIème, théorie
basée sur la différence de « nature » entre ouvriers et
patrons. La différenciation raciale entre noirs, jaunes ou blancs est
historiquement récente. De ce fait, nous devrions constater, dans les
années à venir, que l'essor époustouflant de la Chine va
brouiller les anciennes représentations de la supposée
infériorité de la « race jaune ».
L'«Ethnie », en revanche, est une création de
l'anthropologie culturelle, elle désigne un groupe relativement
localisé dans l'espace. Cependant cela reste une terminologie
ambiguë puisque « ethno » en grec se traduit par « race
» dans les langues occidentales. La terminologie d' « ethnie » a
été une tentative de distance des sciences sociales envers les
connotations héréditaires qui marquent le terme « race
» et que nous venons d'exposer.
Malgré tout, l'anthropologie culturelle a réussi
à dissocier le concept biologique du concept de culture.
Méthodologiquement elle donne une description des cultures
indépendantes des divisions et classifications de l'anthropologie
physique.
Selim Abou31 entend par groupe ethnique un groupe
dont les membres possèdent, à leurs propres yeux et aux yeux des
autres, une identité distincte enracinée dans la conscience d'une
histoire ou d'une origine commune, réelle ou symbolique. Ce fait de
conscience est fondé sur des données objectives telles qu'une
langue, une race, une religion commune, voire un territoire, des institutions
ou des traits culturels communs.
Il y a trois facteurs fondamentaux qui composent
l'identité ethnique : la langue parce que, tout en étant un
élément parmi d'autres de la culture, elle transcende les autres
éléments dans la mesure où elle a le pouvoir de les
nommer, de les exprimer et de les véhiculer. La religion parce qu'elle
modèle une vision du monde et une échelle de valeurs. La race
parce que, quel que soit son degré d'indétermination, elle
renvoie symboliquement à l'origine commune et mobilise les forces
obscures de l'instinct, du sexe et du sang. Ces trois facteurs, qui sont
réalité et symbole, sont susceptibles d'acquérir une
dimension véritablement mythique propre à établir ou
à fausser la réalité en fonction des intérêts
politiques, sociaux, économiques et culturels.
31 Selim Abou, L'Identité Culturelle, Beyrouth,
Ed Perrin - Presses Universitaire Saint-Joseph, 2002
L'identité ethnique dépend en partie de la
manière dont le groupe interprète et réinterprète
sa propre histoire. Elle échappe en grande partie à la conscience
du groupe, elle est vécue comme naturelle et le groupe en prend
conscience seulement lorsqu'il se voit confronté à un groupe
culturellement différent. Cette dialectique s'articule d'avantage en
mettant en évidence les oppositions que les ressemblances.
Or, l'identité ethnique est un phénomène
susceptible de varier ou de se voir modifié, c'est-à-dire qu'elle
est potentiellement altérable et s'enrichit en cours de route : par sa
propre nature elle est inachevée. Aucune nation moderne ne
possède d'ailleurs une base « ethnique » donnée,
même lorsqu'elle procède d'une lutte d'indépendance
nationale.
Suite à l'analyse des notions de race, d'ethnie et de
nation, nous allons voir un autre concept indissociable de
l'état-nation, la citoyenneté. La citoyenneté («
politeia » en grec) est un concept aussi ancien que la politique
elle-même. Elle est liée simultanément à une
certaine idée de la souveraineté, de l'autonomie ou de
l'autodétermination, ainsi qu'à l'existence d'un état, au
sein duquel le potentiel individuel de participation aux décisions
politiques doit s'exprimer. A première vue, la citoyenneté parait
un concept plus démocratique et moins excluant que la nation, la race ou
l'ethnie, mais ce n'est pas du tout le cas.
Au même titre que la nation, la notion de
citoyenneté s'inscrit historiquement dans un processus constant de
redéfinition. Aristote disait que chaque régime politique
projette une certaine définition de la citoyenneté car celle-ci
délimite un certain modèle de droits et de
devoirs32.
Cette véritable institution de l'état-nation,
s'accompagne, par définition, d'un principe d'exclusion sans lequel il
n'y a ni communauté ni souveraineté. En effet, il n'y a de la
citoyenneté que là où il y a cité et où les
« citoyens » sont clairement distingués des «
étrangers » en terme de droits et d'obligations sur un territoire
donné. La citoyenneté fonctionne comme un critère
supplémentaire pour établir la dichotomie entre « Nous
» et
32 Etienne Balibar, Les frontières de la
démocratie, Paris, Ed La découverte 1992
« Eux », c'est un instrument de différenciation
et de hiérarchisation des légitimités civiques. La
citoyenneté symbolise et concrétise un fait de partage du
pouvoir.
La notion de citoyenneté est divergente selon les pays,
car elle dépend de la valeur que chaque état souhaite lui donner.
Ceci s'explique parce qu'elle est étroitement rattachée à
la notion de nationalité, et que la notion de nationalité est
aussi, à son tour, variable selon le pays. La nationalité est
souvent vue comme le fondement premier du droit à la participation
citoyenne et vice-versa.
Il s'articule ainsi une confusion entre les aspects
identitaires et politiques, entre l'identité et le droit, entre la
culture et la politique, entre le civique et l'origine des populations. Les
registres d'appartenance et d'engagement politique montrent que la pratique de
la citoyenneté devrait se détacher d'une conception exclusivement
liée à l'identité nationale33.
En conclusion, la notion de citoyenneté a une
implication directe dans l'édification et le maintien des
identités et des appartenances nationales. De ce fait, l'exercice
complet des droits politiques est un élément capable de
générer appartenances et allégeances. Cela veut dire que
la participation citoyenne à une structure ou à une entité
autre que l'état-nation d'origine peut avoir un rôle
déterminant dans le processus d'affranchissement du sentiment
d'appartenance nationale et d'évolution de l'identité
nationale.
c) Les documents, le territoire, et les enjeux du
déplacement
Si les vastes plaines, les fleuves et les montagnes qui
recouvrent la Terre avaient demandé des papiers pour circuler à
l'homo habilis il y a 2,5 Millions d'années, nous serions tous
nés en Afrique. Aujourd'hui, les choses ont changé : les
états-nations, se sont graduellement octroyé les « moyens
légitimes de déplacement 34».
33 Source revue « Culture et conflit ». Riva
Kastoriano. « Participation transnationale et citoyenneté : les
immigrants dans l'Union européenne.
34 Source revue « Cultures et conflits ».
John Torpey, « Aller et venir : le monopole étatique des «
moyens légitimes de circulation » N°31-32, 1998.
L'état-nation, comme toute autre formation sociale, a
besoin d'espace, le territoire est ainsi indispensable à sa
souveraineté politique et nationale. L'établissement de
frontières définit l'état et permet de contrôler la
population et les transactions internes et externes.
Le recensement par exemple compte les mêmes et exclut
les autres, selon le principe d'appartenance univoque à une
catégorie et le principe de l'alternative exclusive (ou bien... ou
bien). Le comptage démographique ou recensement est un outil de cette
subordination. La carte trace le contour du contenant de ces ensembles rendus
ou supposés homogènes, qui tirent leur légitimité
politique de ce tracé géographique.
Cependant, il y a tout de même des nations sans
territoire, ce qu'on appelle des nations en diaspora, tels que les juifs avant
la création d'Israël. Beaucoup des groupes ethniques ou historiques
qui occupent des régions entières et précises, sont
considérés sans territoire car ces régions sont soumises
à une puissance politique qui leur échappe et les dirige à
partir d'un centre politique lointain. Les Kurdes sont minoritaires dans chacun
des états qui se partagent leur territoire. Le territoire reste l'une
des composantes les plus symboliques et concrète des nations.
Les états-nations modernes ont développé
un arsenal bureaucratique, technique et technologique extraordinaire afin
d'établir des procédures d'identification et de filiation, tant
nationales qu'internationales. Les instruments d'identification servent, entre
autre, à maîtriser les formes de participation de ses
ressortissants à la vie civique : impôts, travail, service
militaire, statut social et droits qui y sont liés, application du
droit, responsabilité pénale, etc. Ainsi, les procédures
et mécanismes d'identification des individus sont essentiels à
l'état-nation, la notion de communauté doit être
matérialisée et codifiée dans des documents qui doivent
marquer qui je suis et ce à quoi j'appartiens. En effet, l'état
territorial moderne est basé sur la distinction entre «
citoyens/ressortissants » ou « étrangers », il a besoin
d'identifier sans ambigüité ceux qui lui appartiennent et ceux qui
ne lui appartiennent pas : le monopole étatique pour autoriser et
réguler les déplacements est lié intrinsèquement
à la construction même des états.
C'est en raison de cette même logique que le droit au
déplacement repose sur le consentement de l'état, cela fait
également partie d'une politique de contrôle : contrôle de
la fuite de cerveaux, surveillance de la croissance, distribution spatiale et
composition sociale des populations à l'intérieur des territoires
(particulièrement chez les gouvernements totalitaires) ainsi que
surveillance des « éléments indésirables » en
raison de leur caractère ethnique, national, racial, économique,
religieux, idéologique ou médical.
La création du système moderne de passeport au
cours du XXème siècle, constitue l'avènement d'une
nouvelle ère dans les affaires humaines. Les efforts des
états-nations pour contrôler les moyens légitimes de
circulation ont donné lieu à un système
interétatique doté des outils les plus performants jamais connus
en matière de contrôle des déplacements. Technique et
technologie moderne se sont ainsi trouvées réunies pour
créer un réseau interconnecté à l'échelle
planétaire capable de suivre et d'identifier de façon unique et
certaine toute personne vivante sur la surface de la terre de la naissance
à la mort. Les individus sont devenus dépendants de l'Etat pour
acquérir une « identité », celle-ci sera
automatiquement intégrée dans un dispositif interétatique
capable de priver, de conditionner ou de consentir leur circulation tout en
déterminant où, quand et comment ils doivent se
déplacer.
Ce système sophistiqué n'est pas dépourvu
d'effets néfastes. L'obtention d'un passeport implique
l'intégration à une bureaucratie transnationale destinée
à veiller sur l'application d'un régime que lui est propre. Il y
a encore beaucoup d'Etats que ne délivrent pas de passeport facilement,
sans compter que le fait d'avoir un passeport est une condition
nécessaire mais non suffisante pour franchir légalement les
frontières internationales : les apatrides et les refugiés sont
particulièrement affectés par ces mesures.
En conclusion, la fonction des documents et du passeport
internationaux est donc très ambigüe. Ils constituent la
première preuve de la nationalité du porteur ; citoyenneté
et d'identité vont ensemble. Ainsi les documents, au même titre
que la citoyenneté, sont des déterminants du sentiment
d'appartenance. Ce sont donc d'autres instruments de conditionnement de
l'appartenance dont dispose l'état-nation pour garantir
l'allégeance de ses ressortissants.
2. L'identité nationale
a) La communauté d'expérience, la
communauté de destin, les symboles et les mythes.
Peut-on parler d'identité nationale sans faire
référence au discours politique qui a eu lieu en France il y a
déjà quelques mois ? La réponse est oui et non. Oui, car
nous pouvons jeter à la poubelle ce débat tendancieux tenant
compte du fait qu'il a été orchestré avec une
malhonnêteté intellectuelle propre aux sphères politiques.
De ce fait, il ne reproduisait pas les agencements empiriques et
théoriques nécessaires pour saisir convenablement ce sujet. Et
non, parce que si l'on veut comprendre la véritable contribution de
l'identité nationale à la construction de la
société nationale, il faut l'aborder aussi depuis son
caractère imaginé, rhétorique et discursif.
La revue de vulgarisation « Cahiers de France » nous
donne différents éléments qui, selon elle,
définissent l'identité nationale proprement française :
«... la conception de l'enseignement, le rapport à
l'universalité, la laïcité, ainsi que le rôle
particulier joué par l'Etat, l'école, les formes de vie, la
transmission familiale, les institutions politiques, les valeurs collectives,
les débats publics sur les problèmes éthiques, la
définition de la responsabilité de l'Etat et des individus, les
ambitions de sa diplomatie, la conception de l'intégration et la
manière d'envisager l'autre, la place des intellectuels dans la vie
publique, le modèle social, la place de la langue. Ces
éléments font partie de ce que l'on appelle «
l'identité nationale française 35».
Voilà une très mauvaise tentative de
définition de l'identité nationale, il n'y a qu'une seule petite
allusion à l'immigration historique qui fait pourtant de la France le
deuxième pays en termes d'immigration après les
Etats-Unis36 : Regardons bien la phrase suivante qui se trouve au
milieu du texte «... la conception de l'intégration et la
manière d'envisager l'Autre », elle nous laisse sous-entendre
que le seul lien qu'entretient la France avec sa population composée de
vagues successives d'immigrants est
35 « L'identité Nationale », Cahiers
Français. N°342, 2008. D. La Documentation Française
36 Gérard Noiriel, Etat, nation et immigration.
Vers une histoire du pouvoir, Paris, Ed Belin, 2001
« l'intégration » de l'« Autre ». Ce
texte ne définit pas l'identité nationale française, il en
fait partie, et nous allons voir pourquoi.
L'identité nationale est ce qui permet à un
peuple de se définir, ou plutôt de s'autodéfinir. La
conception de l'identité nationale est inséparable de certaines
périodes d'affirmation et sédimentation nationales, elle est
nécessaire pour garder l'esprit de cohésion mais aussi
d'exclusion. Pour la conscience nationale le pays est considéré
comme un berceau, il est souvent sacralisé et l'idée est
renforcée par des couches successives d'accumulation
d'expériences politiques, de proclamations et de combats, de
réussites et de défaites. L'identité nationale contient
une forte dimension symbolique et elle prend de l'importance quand il s'agit de
la conscience sociale de la durée historique.
Chaque nation présente un contenu différent : un
territoire, et au moins une ethnie, une langue, une religion, une tradition.
Chaque nation développe une description esthétique et
mythologique d'elle-même. En effet, pour l'identité nationale,
symbole et vérité font bon ménage, et à cela il
faudrait ajouter révisionnisme historique, déformations,
réinterprétations, inventivité, erreurs, violence
intellectuelle et linguistique, mensonges, falsifications, bonne
volonté, hypocrisie, illusions, bref, tous les éléments
dont on a besoin pour construire une véritable machine à
rêves. Les constructions des identités nationales sont
déterminées, entre autre, par le rapport de l'ensemble de la
société à sa propre histoire, ou plutôt à
l'idée qu'elle se fait de sa propre histoire et, de ce fait,
l'objectivité n'est pas au rendez-vous.
Nous pouvons identifier quatre piliers principaux de
l'identité nationale : la communauté d'expérience ou
historique, la communauté de destin, les symboles et les mythes.
Toute d'abord, la notion de communauté
d'expérience, ou communauté historique, est liée à
l'histoire commune ou, comme nous l'avons déjà dit, à
l'idée que l'on se fait de l'histoire commune.
Le portrait de la nation esquissé par Ernest Renan nous
dit à ce propos que « la nation, comme l'individu, est
l'aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de
dévouements. Le culte des ancêtres est de tous le plus
légitime ; les ancêtres nous ont
faits ce que nous sommes. Un passé
héroïque, des grands hommes, de la gloire (j'entends de la
véritable), voilà le capital social sur lequel on assied une
idée nationale. Avoir des gloires communes dans la passé, une
volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses
ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles
pour être un peuple 37».
La communauté historique consiste à
établir que nous sommes nous-mêmes l'aboutissement d'une
évolution historique unilinéaire commune, fruit d'un passé
ancestral. L'identité nationale joue à l'illusion
rétrospective: elle consiste à croire que nous sommes la trace et
la preuve d'un passé immémorial, que les
générations qui se succèdent pendant des siècles
sur un territoire approximativement stable, sous une désignation
approximativement univoque, se sont transmis une substance invariante.
Dans le cas de la France par exemple, en 2010 une étude
démographique à montré que 20 % de la population
française a au moins un parent étranger38 (contre un
tiers en 198839). L'idée que l'on s'est fait d'une population
française liée collectivement par exemple à Louis XIV est
démographiquement et statistiquement fausse. Il s'avère donc
très problématique de faire remonter l'unicité ethnique de
la population française à seulement trente ans en arrière,
alors certains prétendent le faire remonter à deux mille ans au
temps de gaulois, notamment dans les programmes du système
d'éducation nationale français40.
La multiplicité des événements
historiques qualitativement distincts et décalés dans le temps,
n'appartient pas par nature à une nation déterminée. Dans
la gestion et l'expression des appartenances nationales l'histoire ne trouve
pas son importance dans le fait historique réel, daté, peint,
enregistré ou vécu, l'histoire est, à cet effet, une
construction sociale.
Deuxièmement, la notion de « communauté de
destin » correspond à l'affirmation de la volonté de la part
des citoyens de vivre ensemble et de partager un projet commun.
37 Ernest Renan. Qu'est-ce qu'une nation ?, Paris, Ed
Agora, Pocket, 1992
38 Enquête « Trajectoires et origines
» (TeO) 2010. Insee et Ined
39 Gérard Noiriel, Le creuset français,
Paris, Ed du Seuil, 1988.
40 Source
www.cndp.fr (Centre nationale de
documentation pédagogique), Juin 2010
C'est l'appel du national à l'identité et au
destin, une manière de lier passé et avenir : projet et destin
sont les deux figures symétriques de l'illusion de l'identité
nationale.
Troisièmement, les symboles, quand à eux,
s'inscrivent dans le domaine de l'émotion et de la perception, ils
fonctionnent comme des outils efficaces afin de nous rappeler ce à quoi
nous appartenons : hymnes, drapeaux, chants ou récits font partie de
l'arsenal symbolique de l'appartenance nationale. Qu'est qui fait qu'il existe
des anonymes capables de mourir pour la patrie ? Un mystère pour les
esprits éveillés, une source riche en symbolique pour les
artisans de l'identité nationale.
La tombe du soldat inconnu par exemple en fait partie, elle
permet « d'accéder à cet imaginaire où le don de
soi vient sceller une relation basée sur l'absence suprême du nom,
pour la gloire d'une supra-entité où le réseau
d'identité individuelle disparait 41». Elle est
exploitée symboliquement comme représentation de la force du
sacrifice ultime dédié à la communauté nationale,
et tous ceux qui en font partie devraient éprouver un sentiment de dette
intrinsèque envers ces martyrs de la nation.
La tradition est aussi un symbole de l'identité
nationale, la perpétuation des traditions communes rassemble la
communauté. Hobsbawm nous propose la définition suivante de
tradition « un ensemble de pratiques de nature rituelle et symbolique
qui sont normalement gouvernées par des règles ouvertement ou
tacitement acceptées et cherchent à inculquer certaines valeurs
et normes de comportement par la répétition, ce qui implique
automatiquement une continuité avec le passé 42».
Ce terme évoque donc l'idée de transmission, il sert, par
conséquent, à désigner l'idée d'une
continuité entre le passé et le présent, sur le mode du
respect à partir de l'« autorité des ancêtres
». Il raccorde le présent à une valeur sacrée qui
peut prendre force d'autorité en raison de son ancienneté. Il
prétend nous faire vénérer ce qui passe pour originel afin
de faire passer pour « naturel » ce qui ne l'est pas. L'objectif de
la mise en place d'actes rituels est de générer de la
cohésion sociale ou de l'appartenance à des groupes, des
communautés réelles ou artificielles. Elle permet
également d'inculquer des croyances, des systèmes de valeur, des
codes de conduite ainsi que de légitimer des institutions, des statuts
et de
41 Marc Redfield, Retour sur la « communauté
imaginée » d'Anderson. Essai de clarification théorique
d'une notion restée floue, Raison Politiques 2007/3, n°27,
p.131-172.
42 Eric Hobsbawm et Terence Ranger (dir.), L'invention
de la tradition, Éditions Amsterdam, 2005.
perpétuer des rapports de pouvoir et d'autorité.
« Même lorsqu'il existe une référence au
passé historique, la particularité des traditions
inventées tient au fait que leur continuité avec ce passé
est largement fictif 43».
D'autres symboles de la nation sont les livres, la presse, les
partitions, les drapeaux, les textes, les techniques, les institutions, les
cartes, les évènements localisés (guerres, rituels,
cérémonies), l'unité spatiale et territoriale. Les nations
sont des sociétés dont l'imaginaire, saisi à travers des
récits historiographiques nationaux, accomplirait un travail de
persuasion pour faire croire qu'elles sont restées des
communautés44.
Quatrièmement, les mythes, pour leur part, sont des
récits fondateurs que les membres d'une société se
transmettent de génération en génération depuis les
temps les plus anciens. La fonction principale du mythe est de rassembler un
groupe d'individus autour de la même idée d'un ordre du monde et
d'une même conception de l'existence. Il s'agit d'un récit
racontant l'origine, la fabrication des races et des traditions authentiques,
et renvoyant à un temps indéfini. Un exemple clair est la
justification théologique de l'Etat d'Israël pour les juifs.
Tout est fait comme si l'identité nationale
était un endroit où l'on peut se réinventer
continuellement, une véritable pate à modeler socioculturelle.
Les notions de communauté historique, de communauté de destin, de
symboles et de mythes de l'identité nationale ainsi que la religion, la
langue, les traditions ou les habitudes sont donc des caractères communs
de l'ordre du réel et du symbolique.
L'identité fonctionne comme un assemblage de toutes les
considérations précédemment exposées en devenant
ainsi un élément capable de mobiliser l'esprit de masse et
l'idée de conquête du destin commun, un appel à l'effort
collectif et à l'esprit d'équipe. Tous ses ressortissants sont
potentiellement des représentants diplomatiques de l'ensemble. La nation
permet à chacun d'être représentant des autres, et de
considérer ainsi que par exemple la victoire de l'un est la victoire de
tous. L'identité nationale doit représenter une source de
fierté.
43 Idem
44 Ferdinand Tönnies, Retour sur la « communauté
imaginée » d'Anderson. Essai de clarification théorique
d'une notion restée floue, Raison Politiques 2007/3, n°27,
p.131-172.
3. L'Etat-nation et la grammaire du symbolique
a) Les communautés imaginées d'Anderson
Je voudrais que nous nous arrêtions un moment sur «
Les communautés imaginées » de Benedict Anderson afin que
l'on puisse disposer d'un élargissement conceptuel et d'une autre
interprétation du processus de construction de la représentation
de la nation et du rôle de l'imaginaire dans l'édification du
social.
Si on lui applique la grille interprétative de
Durkheim, Anderson semble affirmer que les « communautés à
solidarité mécanique45 » seraient les seules
réellement existantes et que les « communautés à
solidarité organique » seraient un produit inexistant
élaboré par nos systèmes de représentation.
L'approche d'Anderson réside dans le présupposé que
l'existence de communautés réelles est fondée et
dépend des relations face à face de ses membres. Selon Anderson
l'absence d'interconnaissances entre eux est une impossibilité
psychotechnique à la constitution des telles communautés.
Le potentiel figuratif au coeur des nations consiste à
créer une communauté imaginaire là où elle n'existe
pas, principalement parce que les membres qui la composent ne connaîtront
jamais la plupart de leurs concitoyens. La nation est imaginée car elle
est limitée et contenue dans des frontières finies qui ne sont
jamais coextensives au reste de l'humanité. Ensuite elle est souveraine
car elle rompt avec les rapports divins et dépasse, par l'idéal
de liberté, la pluralité des confessions religieuses et enfin, la
nation est une communauté imaginée car elle est toujours
perçue comme une camaraderie profonde horizontale.
L'argument principal se trouve dans le rôle joué
par le développement du « capitalisme d'imprimerie » pour
créer l'impression de faire partie d'une communauté nationale.
C'est ainsi que les « langues d'imprimerie » constituent le socle de
la conscience nationale. Pour Anderson, la presse apparait comme une
cérémonie de masse aux tonalités modernes : les lecteurs
se savent seuls dans l'accomplissement de ce rituel séculier, mais avec
la conscience intime qu'ils le partagent avec des milliers d'autres
45 Emile Durkheim, La division sociale du travail,
Paris, presses universitaires de France, 1986
qu'ils ne voient pas. Le roman, au même titre que la
presse, occupe une place singulière car il constitue également un
moyen de véhiculer l'idée nationale : la fiction s'infiltre
paisiblement et continument dans la réalité, le temps est soumis
à une sorte de fusion entre le passé et le futur.
Au cours du XIXème siècle, quand le nationalisme
passera à son stade officiel, offensif, et normatif, la « chose
imprimée » sera la clé de voûte de la fixation de
l'idée nationale, notamment grâce à l'instruction et au
travail pédagogique. L'écrit a le pouvoir de véhiculer les
valeurs du patriotisme et de son sens sacrificiel et, avec lui, les limites du
contour national intimant toujours une conception à la fois ouverte (au
Nous) et fermée (aux Eux)46.
Ce sont aussi l'ensemble des textes, récits et
l'accumulation de documents de toute sorte qui tracent l'histoire, et
créent des mythes afin d'authentifier les racines « naturelles
» pour des sociétés nationales restées pourtant
fragmentées, fracturées par les antagonismes et
l'hétérogénéité des ethnies et des
classes.
Nous sommes, bien entendu, libres d'adhérer ou pas
à une telle réflexion. Les Communautés imaginées
sont, comme nous le savons bien, un concept qui a été très
largement repris dans les différents domaines des sciences humaines et
sociales depuis qu'il a vu le jour.
b) L'identité et les mécanismes de
représentation
Dans la première partie de ce mémoire nous avons
analysé la gestion et l'expression des appartenances nationales et leur
caractère essentiellement symbolique enserré et
déterminé par des rapports de pouvoir et de coercition. Nous
avons vu aussi de quelle façon l'identité et le sentiment
d'appartenance nationale sont gérés par des institutions de
représentation symbolique et de négociation de l'appartenance
nationale. Symbolique et identification interagissent dans la construction de
l'idée que l'on se fait de la société nationale.
Cependant, les formes de matérialisation du symbolique sont
étroitement liées
46 Chivallon C., Retour sur la «
communauté imaginée » d'Anderson. Essai de clarification
théorique d'une notion restée floue, Raison Politiques 2007/3,
n°27, p.131-172.
à notre système de perception, ainsi, pour notre
système cognitif, le réel ne s'oppose pas forcement à
l'imaginaire.
Berger et Luckmann nous donnent quelques pistes à ce
sujet : la réalité sociale se construit au travers de
systèmes de signes qui « objectivent » les significations dont
la vie sociale est dotée, ordonnent le monde en motifs et objets et
participent ainsi à l'extériorisation de la subjectivité.
« L'existence humaine est une extériorisation continuelle,
l'homme construit le monde dans lequel il s'extériorise, il projette ses
propres significations dans la réalité ». Le partage de
sens et lien social sont possibles grâce à la pratique d'espaces
codés47.
L'imaginaire social est la condition première à
l'existence sociale, et par définition, il fait exister ce qui n'existe
pas. L'imaginaire ne reste pas nécessairement au stade de l'onirique ou
de mythe désincarné, sa portée dans l'édification
sociale est forcément liée à l'activité symbolique
qui met en oeuvre tout langage, verbal et non verbal, destiné à
traduire des représentations et à leur donner leur sens
perceptible au travers de mots, d'objets et d'agencements matériels.
L'imaginaire ne se définit donc pas par opposition au réel, mais
par les degrés de concrétude qu'il acquiert.
Dieu par exemple, ne se présente pas de façon
physiquement identifiable, même si Benoit XVI dirait le contraire. Mais
il existe en raison d'un travail d'encodage symbolique qui traduit une
présence perçue, cette réalité peut donc quand
même exister mais seulement à travers des manifestations qu'on lui
prête (signes réels) et dont elle peuple le monde perceptible.
« Le symbolisme recouvre ici l'acception anthropologique large, qui
est celle de l'attribution de sens au monde. L'activité symbolique
consiste alors en ces multiples opérations d'encodage, opérations
qui ne peuvent se passer de la matérialité pour faire advenir au
perceptible ce qui est de l'ordre de la pensée48
».
L'édification du social et de l'appartenance nationale
utilise donc le symbolique, non seulement pour s'exprimer, mais pour exister,
pour passer du virtuel au statut du
47 Chivallon C., Retour sur la «
communauté imaginée » d'Anderson. Essai de clarification
théorique d'une notion restée floue, Raison Politiques 2007/3,
n°27, p.131-172.
48 Chivallon C., Retour sur la « communauté
imaginée » d'Anderson. Essai de clarification théorique
d'une notion restée floue, Raison Politiques 2007/3, n°27,
p.131-172.
réel, tangible et perceptible. Lorsque la nation
crée ses dispositifs scéniques dont les signes verbaux et non
verbaux occupent l'espace public (documents, drapeaux, hymnes, contes,
monuments aux morts, cartes géographiques, noms des rues) c'est pour
établir une matérialité indispensable au symbolique afin
d'être perçue comme la réalité du corps social qui
conduit à l'auto-identification.
II. Les formes et les alternatives de la reconversion
du national : de la nouvelle réalité mondiale à la
reconfiguration identitaire
1. Le mondialisme : une autre façon de penser la
mondialisation
a) Globalisation versus mondialisation
A chaque sommet du G8 ou du G10 ou du G20, nous sommes
témoins des manifestations spectaculaires des altermondialistes qui
portent des t-shirts du Che Guevara fabriqués en Chine, et qui ont pris
l'avion pour se rendre au rendez-vous. Cela semble paradoxal car la
mondialisation est souvent comprise comme économique, alors que ce n'est
pas le cas, ou, en tout cas, que ce n'est pas aussi simple. A force d'entendre
constamment ces deux termes de façon interchangeable on arrive à
peine à les différencier.
Avant de continuer nous devons donc éclaircir ces
terminologies car elles se prêtent à des confusions et à
des malentendus.
Ce que l'on appel « globalisation » est le processus
d'intégration du système économique de marché
mondial, la libéralisation économique liée à la
finance et à la décentralisation de la production. Ce terme vente
les vertus de la croissance néolibérale et de la
dérégulation des marchés, et les avantages que
confèrent le fait de pouvoir déplacer des fonds sans entrave et
établir des flux de capitaux et de produits. Cependant, le processus de
globalisation est fortement perçu comme le développement d'un
espace d'anarchisme économique supranational, un pouvoir dangereusement
affranchi des cadres nationaux. Il s'agirait d'une sorte d'entité
structurée en même temps qu'immatérielle qui siège
partout et nulle part à la fois et qui ne laisse pas d'autre choix que
la consommation de produits manufacturés dans les différentes
parties du globe dans des conditions éthiquement douteuses.
Le terme « mondialisation » désigne par
contre le renforcement des liens d'interdépendance entre les
états-nations en tant que résultat de l'accroissement des
mouvements de biens, de services, de personnes, de main-d'oeuvre, de
technologie et de
capital ainsi que de l'homologation des systèmes
politiques à l'échelle du monde. En ce sens, la globalisation
fait effectivement partie de la mondialisation.
Cependant, et contrairement à ce que l'on croit, la
mondialisation n'est pas un phénomène nouveau dans l'histoire du
monde, comme en témoignent les invasions, les conquêtes, les
vagues migratoires, la colonisation, les guerres mondiales, les populations
déplacées, etc... depuis toujours, la circulation de marchandises
a favorisé la rencontre globale et le mélange des cultures. En
revanche, ce qui est nouveau, c'est le fait qu'on la remarque, qu'on en ait
conscience, qu'on la pense et qu'on l'exploite politiquement, et que cela est
en train de donner naissance à une « opinion publique mondiale
», un véritable contrepouvoir.
La mondialisation provoque également
énormément d'incertitudes en raison de son rythme de progression
et elle se situe entre plusieurs questionnements d'envergure civilisationnelle
: la protection de l'environnement, les dépenses en armements,
l'augmentation des inégalités, l'épuisement des ressources
naturelles, etc...
Dans nos vies quotidiennes, cela se traduit par l'impression
d'un choix imposé, on suit des événements que l'on ne
maîtrise pas. Un engrenage gigantesque, de plus en plus complexe,
où nous sommes une pièce de plus en plus petite et
condamnée à le suivre. Notre existence, nos vies deviennent donc
des parties d'un autre monde, de cultures, de religions, de risques globaux
liés à l'interdépendance croissante et vertigineuse entre
sociétés très distantes, sans que nous ne puissions rien y
faire.
Lorsque l'on regarde par exemple un reportage sur les indiens
d'Amérique latine, on est facilement déçu : certains sont
habillés avec des t-shirt de la NBA alors qu'on les souhaite couverts
avec des feuilles et des bananes. On reste ainsi persuadé que la
consommation globalisée et la culture de masse violent
l'authenticité culturelle et qu'on est rentré dans un torrent
d'homogénéisation culturelle sans freins à
l'échelle mondiale (idée de « plasticité culturelle
universelle »49), mais ceci ce n'est qu'une façon de
voir les choses parmi d'autres.
49 Ulrich Bec, Qu'est ce que le cosmopolitisme?,
Paris, Flammarion 2004
En conséquence, tous cela génère un
sentiment de refus de la mondialisation : la mondialisation en tant
qu'entité opposée ou ennemie du national. Un véritable
fléau pour l'humanité se profile, nous sommes des victimes des
Etats-Unis, de l'Occident, du capitalisme, du néolibéralisme, du
système financier, etc...
En dehors de ces considérations et ces
réflexions arrosées de pessimisme, il existe d'autres
façons de comprendre la mondialisation. En effet, la mondialisation
réunit des conditions exceptionnelles au niveau des communications, des
transports, des technologies et des moyens logistiques en général
pour mettre en place des dispositifs capables de répondre aux
défis historiques de l'humanité, des défis que
l'humanité a été incapable de résoudre depuis la
nuit des temps et qui nous concernent tous : la lutte contre l'injustice
sociale ou la répression exercée par des gouvernements
totalitaires sur des populations innocentes, l'éducation, l'accès
à l'eau potable, la protection de l'enfance, etc. De même, la
création des nouveaux droits et des nouveaux espaces de participation
collectifs en cohérence avec les risques globaux et le respect de la
dignité humaine, font partie de la longue la liste tâches à
accomplir.
Il s'agit aussi de réaliser que les modèles
précédents ne peuvent pas se perpétuer indéfiniment
et que la mondialisation est une conséquence inévitable d'un
processus d'intégration socio-économique et culturel qui se
poursuit depuis des siècles. De ce fait, la mondialisation nous permet
d'alimenter le sentiment d'être soi-même partie d'une grande «
expérience civilisationelle »50 car l'humanité
est aujourd'hui, plus que jamais, consciente d'elle-même, ce qui
constitue un moment historique unique. Cette perspective est liée de
manière incontournable à la constitution de l'Identité
cosmopolitique.
Nous allons voir maintenant des exemples de participation
cosmopolitique et d'autres formes d'extensions de l'appartenance et
d'identité nationale et politique.
50 Idem
b) L'idéologie mondialiste, des origines à la
fondation du « mouvement universel ».
Le Grand Larousse Encyclopédique donne la
définition suivante de mondialisme : « Doctrine qui vise
à réaliser l'unité politique du monde
considéré comme une communauté humaine unique
51». Le terme « mondialisme » désigne
ainsi l'ensemble des doctrines et de mouvements sociopolitiques qui
préconisent la formation d'un Etat mondial.
Le « Mondialisme » est une approche scientifique des
phénomènes sociaux analysés en dehors des cadres
nationaux, autrement dit, un angle global ou mondial. Ce terme rassemble aussi
l'ensemble des idées et des actes qui expriment la solidarité des
populations du globe ainsi que le respect de la diversité des cultures
et des peuples.
Le mondialisme conteste la suprématie absolue des
Etats-nations et il agit pour la constitution d'institutions et de lois
supranationales dépendantes d'une structure fédérative
commune. Cela implique le transfert de certains domaines de la
souveraineté nationale vers une nouvelle entité politique, qui
serait à l'échelle de l'humanité. La constitution d'un
méga-organisme supranational sous la forme d'une Autorité
fédérale mondiale a pour objectif de pouvoir faire face aux
problèmes qui concernent l'ensemble des nations et qui, en raison de
leur envergure, ne peuvent être résolus autrement que par les
actions d'une autorité supranationale.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, les
idées mondialistes ont vu le jour aux alentours des années 1920,
suite aux conséquences humainement désastreuses de la
Première Guerre mondiale. « L'impuissance manifeste de la
Société de nations devant la politique agressive des Etats
fascistes eut pour résultat de faire naître chez beaucoup de
personnes l'idée d'organiser l'humanité en un Etat mondial
»52.
Le premier acte mondialiste significatif a eu lieu le 4
décembre de 1937 avec la formation de l'organisation « Compaign for
world government »53, fondé par Rosika
51 Source
www.larousse.com, mai
2010.
52 Rolf Paul Haegler, Histoire et idéologie du
mondialisme, Ed Europa Verlag A.G. Zurich 1972.
53 Traduction en français : « Campagne
pour un gouvernement mondial »
Schwimmer et Lola M.Lloyd. Ces deux femmes avaient
déjà proposé en 1924 la création d'une «
Assemblée constituante mondiale » dont les membres seraient
élus directement par les peuples du monde entier en vue de
rédiger une Constitution mondiale. En 1941, les fondements du mouvement
mondialiste était déjà créés et les
militants suffisamment nombreux pour dépasser le stade des initiatives
isolées.
La seconde Guerre mondiale a eu une influence importante sur
le développement du mouvement. Les horreurs de la guerre, les
excès du nazisme et les destructions atomiques ont créé le
sentiment de la nécessité impérative d'une organisation
mondiale afin d'éradiquer définitivement les causes à
l'origine des tels désastres. Dénoncé par les mondialistes
comme la cause première des conflits, l'état-nation et les
nationalismes ont été les premiers à être
pointé du doigt. Ensuite, la création des Nations-Unies a
suscité un grand enthousiasme, cependant sa structure prisonnière
de la logique des états-nations a été
considérée comme la continuité du modèle
étatique largement contesté. L'initiative a été
rapidement jugée comme insuffisante et cela a
généré de fortes contestations : les Nations-Unies avaient
perdu leur légitimité aux yeux des mondialistes.
Entre 1945 et 1947 des nombreuses associations voient le jour,
parmi lesquelles le "Centre de Recherches et d'Expression Mondialiste" et "Le
Front Humain des Citoyens du Monde", créés tous deux en 1946.
Ensuite, avec l'intention de fédérer les différents
mouvements mondialistes, cinquante une associations se donnent rendez-vous au
Congrès de Montreux en août 1947 et votent la création du
« Mouvement universel pour une confédération mondiale
», celui-ci devient la colonne vertébrale des volontés
mondialistes. La déclaration de Montreux, adoptée par le
Mouvement universel lors de sa fondation déclare : « Nous,
fédéralistes mondiaux, affirmons que l'humanité peut se
libérer à jamais de la guerre, mais qu'elle n'y parviendra que
par l'établissement d'une Confédération mondiale
».
En septembre de 1948 Gary Davis, pilote américain de la
dernière guerre, abandonne sa nationalité américaine et
demande la protection de l'ONU. Son geste resta inscrit dans l'histoire du
mondialisme : sous l'acclamation de milliers des personnes dans les rues de
Paris, il donne naissance au mouvement Citoyens du monde. L'année
suivante Gary Davis crée le « Registre international de citoyens du
monde ».
A partir de 1951 le mouvement perd de sa force : une grave
crise administrative et politique amène à la disparition de
plusieurs journaux mondialistes. L'élan du début était
fortement motivé par la publicité indirecte de la presse.
Ensuite, l'enthousiasme qui régnait dans les rangs du mouvement s'est vu
brisé, à cause des difficultés à concrétiser
les expectatives de ses militants parfois trop ambitieuses. Des divergences
naissent alors à l'intérieur des associations, en partie dues
à la jeunesse et au manque d'expérience politique des ses
militants. De plus, le contexte des années 1950 avec l'intensification
de la Guerre Froide et la Guerre de Corée créent une
atmosphère propice aux réactions ultranationalistes,
spécialement aux Etats-Unis où le maccarthisme laisse peu de
place à la pensée mondialiste.
Malgré les difficultés rencontrées par le
Mouvement universel, le début des 1950 est marqué par le
processus de consolidation et de fixation de la ligne de pensée ainsi
que des bases et principes politiques avec lesquels allait se construire le
grand projet mondialiste : il fallait fixer les tactiques des actions et les
approches politiques, déterminer le type de rapport à entretenir
avec les Nation-Unies et sa Charte, s'éloigner de l'image utopiste qui
hantait le mouvement, établir les revendications centrales telles que la
lutte pour le désarmement, les propositions de création d'un fond
spécial pour le développement et contre la faim. Cependant,
toutes ces discutions ne sont pas dépourvues de disputes, de divisions.
Un manque de consensus entre les tendances internes et les radicalismes
s'empare lentement du mouvement.
Pendant cette période et parallèlement au
Mouvement universel, d'autres groupes poursuivent leurs actions, notamment les
Citoyens du monde et les partisans de l'Assemblée constituante des
peuples, avec parfois des résultats exceptionnels, tel que le processus
de mondialisation de territoires, c'est-à-dire la proclamation de ces
espaces comme « territoire Citoyen du monde », des actes symboliques
qui continuent à se réaliser encore aujourd'hui.
Depuis leur création, le Mouvement universel ainsi que
Citoyens du monde ont compté avec l'appui d'une importante
quantité d'hommes politiques, ils ont ainsi réussi à
fédérer de multiples forces et tendances, par exemple avec
l'Association universelle des parlementaires. Des hommes de lettres, des
intellectuels, des Hommes d'état, des personnalités du monde de
l'art ou du spectacle, des prix Nobel, ont ainsi manifesté à
plusieurs reprises leur soutien formel aux objectifs
mondialistes considérés comme nécessaires faces aux les
défis du XX siècle : L'énergie et la gestion des
matières premières, le désarmement, les Droits
fondamentaux, les Droits de l'Homme, le problème des réfugies,
l'accès aux soins et à l'eau potable, la globalisation et les
multinationales, l'énergie nucléaire, etc. celles-ci font parties
des préoccupations de la pensée mondialiste.
De toute évidence, l'une de plus grandes
réussites des mouvements mondialistes a été l'organisation
de la première élection transnationale de l'histoire : des
ressortissants du monde entier ont été appelés à
participer à cet événement qui a eu lieu pour la
première fois le 3 mars 1969. Le Congrès des peuples, la
première Assemblée de représentants directs d'habitants de
la terre compte, encore aujourd'hui, 45 délégués
élus par des électeurs répartis dans 112 pays. L'objectif
était d'avancer vers la configuration d'une Assemblée mondiale
capable d'établir des institutions mondiales indispensables à la
survie de l'humanité et à la préservation de la
biosphère. Les élections suivantes auront lieu en 1971, 1973,
1975, 1977, 1980, 1984, 1987, 1994, 1998 et 2007.
L'histoire des mouvements mondialistes affiche plusieurs
collaborations directes et indirectes dans la mise en place de
réflexions et d'actions d'intérêt collectif mondial. L'une
des plus importantes a eu lieu le 10 mars 1982, il s'agit de la création
du Fonds Mondial de Solidarité Contre la Faim. Cette création,
faite sur la proposition de la commission " Faim, Développement et
Mondialisme " du Centre Français des Citoyens du Monde, répondait
à l'appel contenu dans la déclaration n° 6 du Congrès
des Peuples. Parmi leurs objectifs à long terme, se trouve la
création d'un impôt mondial de solidarité, ainsi que la
promotion d'une action auprès des Etats et des organismes internationaux
pour qu'ils acceptent la mise en place des dispositifs nécessaires
à la création d'une véritable Institution Mondiale de
Solidarité54.
Aujourd'hui, les actions militantes pour la création
d'un gouvernement mondial sont presque inexistantes. La pensée
mondialiste ne réclame plus ouvertement la disparition définitive
des états-nations et de leurs frontières politiques et
administratives. Cette démarche supranationale a été
remplacée pour une démarche postnationale, c'est-à-dire un
élargissement à l'échelle mondiale du principe de
citoyenneté (citoyenneté mondiale)
54 Source
www.recim.org
qui a caractérisé leurs opérations
militantes après les années 1990. Le Congrès des peuples
est toujours actif et il mène une activité
fédératrice importante auprès des associations du monde
entier. Malgré cela, les idées et les actions mondialistes,
maintenant centrées sur une constitution postnationale de la
citoyenneté ainsi que sur les problèmes de l'humanité en
général, ne retrouvent plus ni l'enthousiasme ni la
capacité de mobilisation des années d'après-guerre.
c) L'Identité Postnationale, Supranationale et
Transnationale
L'principal objectif de cette partie n'est pas d'examiner ou
d'analyser en profondeur ces terminologies, mais plutôt de proposer une
clarification sémantique de ces notions et de présenter ainsi les
liens conceptuels et les notions adjacentes à l'Identité
cosmopolitique.
Les thèses « transnationalistes », «
postnationalistes » ou « supranationalistes » prétendent
ou proposent, chacune à leur façon, une substitution des
états-nations comme lieu exclusif de l'exercice de la
légitimité politique. Pourtant il ne s'agit pas de prononcer la
fin des états-nations. Chacune de ces thèses dessine une forme de
contestation de l'état-nation à différents degrés
et sur des domaines divers, nonobstant, le risque de glissements
sémantiques ne sont pas exclus car la signification et le contenu exact
de chaque terme dépendra de la tradition intellectuelle et de
l'école de pensée à laquelle on la rattache, en plus des
variantes selon l'utilisation.
Afin de garder en vue l'objectif de cette recherche, nous
allons exposer le sens le plus habituel de ces termes. On entend par
supranationalisme par exemple ceux qui défendent l'idée d'un Etat
supranational, mondial ou continental, c'est-à-dire, un état
centralisé, une entité capable de gérer à une
échelle supérieure les affaires qui dépassent ou qui
échappent aux limites et aux principes politiques des
états-nations. Cette notion n'est pas exemptée des critiques en
raison de ses incohérences. Selon plusieurs auteurs55 la
conception d'un état supranational pose d'immenses problèmes : il
s'agit d'abord d'un nationalisme au sens technique et architectural «
...car il poursuit le même projet
55 Jean-Marc Ferry, La Question de l'État
Européen, Paris, 2000, Éd. Gallimard.
d'intégration par des voies constructivistes :
réaliser autant que possible un espace homogène, y compris sur le
plan culturel, et faire correspondre à cette unité supranationale
un système supra étatique de régulation et
d'édiction des normes56 ». Etant donné que
les souverainetés des états-nations s'appuient sur toute une
culture démocratique de l'autonomie politique et que celle-ci s'exprime
dans l'autolégislation de gouvernance, de participation, de
légitimité et de représentation, un élargissement
supranational poserait des problèmes d'ordre technocratique ainsi qu'une
incrémentation du sentiment d'éloignement de la
représentativité, et donc de légitimité
politique.
Deuxièmement, l'Identité transnationale est la
figure où s'exprime la citoyenneté nationale, plurinationale ou
dénationalisée. Ce mot marque toutes les thèses qui
contestent l'idée selon laquelle l'Etat-nation serait le lieu
privilégié de la citoyenneté, en ce sens elle rejoint
formellement l'Identité postnationale.
Une autre façon de comprendre le transnational
correspond à ce qui semble être une « nouvelle manière
» de vivre les expériences de migration : les migrants
créent des champs sociaux qui traversent les frontières
géographiques et politiques, des espaces dans lesquels les migrants
établissent un lien particulier entre leur pays d'origine et leur
société d'accueil. « Dans ces espaces transnationaux,
les migrants mettent en place des
relations sociales et économiques, des
activités et des identités politiques quitranscendent
les frontières classiques et bénéficient de processus
économiques globaux à
l'intérieur d'un monde divisé en
États-Nations 57». Le transnationalisme rejoint
dans cette perspective ce que nous appelons l'« Identité
cosmopolitique », c'est-à-dire un déplacement des
identités nationales où les revendications politiques, sociales
et culturelles se placent au-delà des appartenances territoriales
fondées sur l'échelle des États-Nations.
Et troisièmement, l'Identité postnationale met
l'accent sur les droits fondamentaux, elle correspond à un sorte de
« patriotisme constitutionnel », elle est orientée vers un
cosmopolitisme juridique et non culturel : « Le citoyen ne voit plus
dans la nation la
56 Jean-Marc Ferry, conférence donnée
à Charleroi le 18 juin 1997. Source
www.larevuetoudi.org , mai
2010
57 Rosita Fibbi et Gianni D'Amato, « Transnationalisme des
migrants en Europe : une preuve par les
faits », Revue européenne des migrations
internationales, vol. 24 - n°2
référence ou l'appartenance politique
ultime58 ». Sans nier les solidarités locales ou
nationales, l'adhésion politique n'est plus fondée sur des
raisons de proximité ou de parenté. Dans ce contexte la filiation
politique est basée sur des principes universels tels que les Droits de
l'Homme ou la démocratie universelle. L'identité postnationale
prône l'accès à une citoyenneté située
au-delà du principe nationaliste, elle est liée fondamentalement
au sujet de l'octroi des droits fondamentaux, considérés
traditionnellement comme le noyau qui donne du sens à la
citoyenneté. Cela veut donc dire que l'identité postnationale
cherche à faire une dissociation entre l'appartenance à une
nation et l'octroi de ces droits59.
De toute évidence, le transnationalisme, ainsi que les
approches supranationales et postnationales de l'appartenance et de
l'identité supposent l'existence de valeurs universelles, ce qui est
critiquable. Il s'agit d'une prémisse inapplicable à
l'égard des réalités politiques, sociales et culturelles.
Cette forte prétention universaliste et évolutionniste repose par
exemple sur l'idée que la démocratie est une valeur
suprême, extensible, appropriée et convenable pour
l'humanité toute entière. La démocratie correspondrait
ainsi à un stade supérieur de l'organisation sociale et de
l'évolution politique de l'être humain. De même pour les
Droits de l'homme qui, comme on le sait, émanent essentiellement du sens
et de la valeur attribuée à l'individu, cette conception de
l'individualité trouvant sa source dans les origines du
développement du capitalisme. Cela ne veut pas dire, bien entendu, que
tous les hommes de la terre ne partagent pas le droit à ne pas
être torturés, par exemple, il s'agit de considérer le
caractère ethnocentrique de la conception des droits et des
catégories juridiques.
2. Le nationalisme méthodologique
« Il est difficile de comprendre combien est grande la
ressemblance et la différence qu'il y a entre nous tous les hommes
60».
58 Jean-Marc Ferry, conférence donnée
à Charleroi le 18 juin 1997. Source
www.larevuetoudi.org mai
2010
59 Jean-Marc Ferry, Europe la voie kantienne. Essai
sur l'identité postnationale, Paris, Ed. Cerf, 2005.
60 Duc de La Rochefoucauld. Maximes
a) Les erreurs d'une catégorie rationnelle
(alternative exclusive ou inclusion additive)
L'optique nationale fonctionne comme une grille
interprétative très ancrée et installée
profondément dans nos systèmes de perception et de pensée,
au point d'en faire sensiblement partie. En effet, l'optique nationale, ou plus
correctement appelée le « nationalisme méthodologique
», conditionne fortement notre façon d'évaluer, de percevoir
et de ressentir les phénomènes sociaux : notre attitude et notre
posture face à la différence ainsi que notre rapport à
l'Autre y sont directement liées. L'optique nationale s'octroie la
légitimité et la cohérence d'un système
interprétatif erroné qui façonne nos expériences
quotidiennes dans les domaines les plus variés.
A propos de l'expression de l'appartenance, par exemple, je
voudrais citer une expérience personnelle qui, malgré le manque
de rigueur scientifique, a au moins le mérite d'illustrer les formes que
peut prendre le nationalisme méthodologique dans l'expérience
quotidienne. Comme je l'ai signalé en avant propos de ce travail, je
viens du Chili, un pays reconnu dans le monde pour la qualité de ses
vins. Or, lorsque je suis invité à partager un moment convivial
en France, un diner par exemple, et que j'apporte une bouteille de vin rouge,
au moment d'offrir la bouteille le réflexe est de me dire « ah !
Merci, j'adore le vin chilien ». Il s'agit en fait d'un vin d'Afrique du
sud (pays dans lequel j'ai par ailleurs étudié pendant quelques
mois), le petit coup d'enthousiasme laisse la place à une
déception passagère « ah, mais, tu n'as pas ramené du
vin chilien ? ». La question est de savoir : Pourquoi aurais-je dû
le faire ? Dans cette circonstance, je ne me sens aucunement
représentant officiel de la production vinicole chilienne, mais c'est
juste que je trouve le vin d'Afrique du sud très bon et que le vin
chilien me rappelle mes mauvaises cuites d'adolescence. Pour le nationalisme
méthodologique, en effet, j'aurais dû apporter un vin chilien car
si quelqu'un est ressortissant d'un pays quelconque, il est censé
exprimer son appartenance qui y est forcément liée : l'optique
nationale présume un devoir de loyauté et de
fidélité envers la nationalité et celle-ci doit
s'extérioriser par le biais d'éléments qui
représentent la fierté nationale. Pour l'optique nationale la
bouteille de vin d'Afrique du sud dénonce donc une anomalie cognitive,
une concordance qui interpelle les sens et l'esprit. Il s'agit donc d'un
exemple qui montre bien comment fonctionne le nationalisme
méthodologique dans l'expérience quotidienne.
Ulrich Beck nous cite un autre exemple de manifestation du
nationalisme méthodologique dans les interactions quotidiennes
« Si l'on rencontre par exemple une personne d'apparence exotique,
mais s'exprimant en gaélique, ou en anglais avec l'accent d'Oxford,
l'ontologie sociale territoriale en est toute perturbée... » «
...jusqu'à ce que la concordance présupposée entre
passeport, couleur de peau, langue, domicile et origine semble rétablie
: »... «... ceux qui ont un passeport allemand, mais avec un nom
à la consonance étrangère, une peau plus sombre ou des
traits un peu différents, ... (étant donné)
qu'ils s'écartent du format allemand standard, ils ont
régulièrement à répondre à la question :
d'où êtes-vous ? » « Le déroulement (du
dialogue) obéit à un même rituel qui suit toujours le
même schéma :
- «D'où est-ce que tu viens ?
-D'Essen
-Non je veux dire à l'origine ?
-Je suis né à Essen
-Mais tes parents ?
-Ma mère vient aussi d'Essen
-Mais ton père ?
-Mon père est Italien
-Ah, c'est un nom italien ?
-Oui
-Tu viens d'où en Italie ?
- Je ne viens pas d'Italie
-Mais tes parents ?61 » ».
Même lorsqu'on parle avec bienveillance de « dialogue
des cultures », cette conception territoriale des cultures continue
à hanter les esprits.
Dans cette vision du monde où l'appartenance nationale
et l'identité sont indissociables, les questions « qui suis-je ?
» et « d'où suis-je ? » ne peuvent pas avoir deux
réponses, et cela restera ainsi pour toute la vie62. Cette
intransigeance propre de la logique interne du nationalisme
méthodologique empêche de penser, et même parfois
61 Santina Battaglia, 2004. Citation dans l'ouvrage de
Ulrich Beck, Qu'est-ce le cosmopolitisme ?, Ed Flammarion, Paris 2006. Page
52
62 Ulrich Beck, Qu'est-ce le cosmopolitisme ?, Ed
Flammarion, Paris 2006.
tout simplement de voir, la recomposition des distinctions qui
se profilent dans les nouvelles formes d'appartenances, d'interactions sociales
et d'expériences multiculturelles. Il s'agit en fait d'un handicap
interprétatif important : le nationalisme méthodologique pense le
social, le culturel et le politique dans ce que l'on appelle le principe
d'alternative exclusive (ou bien ou bien), c'est-à-dire que les rapports
doivent se placer dans un choix bipolaire et en s'excluant, cela
débouche inévitablement dans une impasse en raison des fausses
alternatives qu'elle présente. La catégorie exclusive reconnait
soit un fait, soit l'autre, soit citoyen, soit étranger, soit ami, soit
ennemi, soit compatible, soit incompatible, etc. Sous le prisme de la
catégorie exclusive la raison se voit empêchée d'envisager
les univers culturels étant à la fois différents et
égaux, ainsi, si l'on veut préserver sa propre culture par
exemple il faut mettre les autres à écart, et cela implique de
ranger les différences culturelles dans un rapport de
hiérarchie.
L'alternative exclusive s'oppose au principe de l'inclusion
additive (et-et) qui est le distinctif par excellence de la vision
cosmopolitique et de l'Identité cosmopolitique. Selon le principe de
l'inclusion additive, les univers culturels, par exemple, ne s'inscrivent pas
dans un rapport de conflit, de concurrence ou de rivalité, ils reposent
sur les diverses stratégies du rapport social à
l'altérité, ils se superposent, se corrigent, se limitent et se
préservent mutuellement.
Le nationalisme méthodologique et le principe de
l'alternative exclusive qui lui est intrinsèque, favorise les regards
équivoques non seulement envers les rapports interethniques,
interculturels, interpersonnels ou envers notre rapport à la nation,
à la nationalité et à l'appartenance, mais elle a aussi
des répercussions sur notre rapport à l'Histoire et sur les
idées que l'on se fait de l'Europe ainsi que de nos propre
réalités culturelles. Par conséquent l'Europe, par
exemple, organisée en états-nations, « ne s'est pas
contentée de tracer les frontières politiques au Proche-Orient.
Elle projette aussi ses frontières sur l'histoire, l'art et la culture
d'orient. Dans sa politique culturelle et scientifique, l'Europe sépare
la tradition juive de la tradition islamique, et cimente par là
même des lignes de démarcation idéologique qui aujourd'hui
encore font obstacle à la résolution pacifique du conflit au
Proche-Orient »... « Historiquement, les littératures et les
arts, la cuisine et la tradition religieuse de l'aire culturelle arabe sont si
étroitement liés qu'ils ne peuvent être
étudiés et présentés qu'ensemble. Ainsi la
théologie islamique se compose en grande partie de réponses
à des questions que le judaïsme et le
christianisme ont portées jusqu'à elle et
vice-versa »... « la situation est tout-à-fait identique pour
le judaïsme : l'Europe chrétienne, mais également la
pensée rabbinique ont accueilli l'héritage antique par
l'intermédiaire de la civilisation islamique63».
Un éventail de présupposés résulte
donc de la fausse idée de l'existence de totalités culturelles
bien délimitées les unes par rapport aux autres et qui
correspondraient strictement aux délimitations territoriales des
état-nations. Dans le nationalisme méthodologique le rapport
à la différence culturelle est fondé sur une
représentation naturalisant les frontières nationales : elles
seraient le fruit d'une réalité préexistante et
indiscutable. L'optique nationale dessine ainsi un système
interprétatif erroné qui construit une représentation
mononationale et monoculturelle de la réalité. Elle conforte
l'idée territoriale de la culture ainsi que l'idée d'une
supposée imperméabilité culturelle ontologique des
sociétés.
« Dans l'univers rien ne se perd, rien ne crée,
tous se transforme » a dit un jour Lavoisier, mais il faisait
référence à la chimie. C'est dommage car il aurait pu le
dire pour la culture aussi.
Le nationalisme méthodologique contient
également une ferme prétention essentialiste, qui renforce
l'existence de toute sorte de clichés nationaux : les idées
préconçues s'aménagent sous la forme de faux
repères tenus pour des vrais. Cette vision fondamentaliste de la culture
se traduit dans l'expérience quotidienne par l'idée, par exemple,
que tous les espagnols aiment la fête, que tous les italiens sont
bruyants et que tous les japonais sont patients, mais cet essentialisme se
reflète aussi sur des aspects plus regrettables comme par exemple
l'idée très répandue sur les colombiens : ils sont tous
des trafiquants, ou sur les argentins qui sont arrogants (dans le monde
hispanophone), les congolais méchants (Afrique du sud). On dit aussi que
tous les algériens veulent émigrer, que tous les français
sentent mauvais (Amérique latine). Et ainsi de suite pour chaque
référence nationale. Nous avons tous entendu d'une façon
ou d'une autre les images préconçues les plus bêtes qui
puissent exister : les grecs ont des gros sourcils et les portugaises sont
poilues. Ce modèle d'interprétation à vocation totalisante
se répète sur beaucoup de domaines, par exemple, au niveau de la
prétendue unicité des traits
63 Citation de : Kermani/Lepenies 2003 «
Verkannte Brüder », Sü-deutsche Zeitung du 11 juin 2003. Dans
l'ouvrage de Ulrich Beck, Qu'est-ce le cosmopolitisme ?, Ed Flammarion, Paris
2006, page 63
ethniques : les suisses et les allemands sont blonds, les
mexicains sont petits et bruns, les péruviens ont des traits indiens, et
ainsi de suite. Il existe également d'autres représentations
très inappropriées et déplacées comme par exemple
la prédisposition culturelle au développement économique,
à la modernité et à la démocratie64.
Pour revenir aux figures collectives de la
représentation des totalités nationales, il ne s'agit pas non
plus de nier l'existence des caractères nationaux qui se sont
créés au fil des expériences nationales et historiques, et
qui font partie aussi de la diversité du monde, car après tout,
il est vrai que certains argentins ont un talent particulier pour chercher les
limites de la patience, que la culture Ibérique entretient
considérablement les rapports sociaux autour des comptoirs, que le
Pérou peut paraitre assez folklorique, et qu'il peut s'avérer
très agréable d'aller en vacance au Brésil. Cependant, des
problèmes graves se posent lorsque ce fondamentalisme culturel prend le
dessus dans les relations interethniques ou interpersonnelles, lorsque ces
préjugés sont négatifs et se généralisent
dans l'ensemble de l'imaginaires collectif et conditionnent notre rapport
à la différence : la xénophobie par exemple trouve ici
sont terrain préféré et ce n'est pas la moindre des
choses.
En ce qui concerne la mondialisation, le nationalisme
méthodologique et le principe d'alternative exclusive peuvent
préfigurer un néonationalisme qui, contrairement au nationalisme
fasciste du XXème siècle, est une forme de nationalisme qui ne
cherche pas la conquête ou à s'imposer aux autres. Ce nationalisme
est plutôt « introverti » : le monde global est perçu
comme une menace, la mondialisation et les mondialistes représentent un
risque pour la vie locale et pour l'exclusivité de la culture
nationaleterritoriale.
En conclusion, le nationalisme méthodologique
fonctionne comme une véritable prison de notre système cognitif
qui s'interpose et qui nuit à l'entente entre les peuples. Il s'impose
comme grille de lecture, pour finalement conditionner la perception, cela
amène à une perte de sens chronique de la réalité:
l'ethnocentrisme est ainsi tributaire de l'imaginaire national. Par ailleurs,
ces dernières années nous avons été témoins
des effets néfastes du nationalisme méthodologique sur la
politique internationale : les guerres
64 Samuel Huntington, Le choc des civilisations,
Paris, Ed. Odile Jacob, 1997
d'Irak ou d'Afghanistan ont été construites
comme des guerres nationales, alors qu'elles visent un terrorisme international
qui ne correspond pas à une nation. En conséquence, des milliers
de gens innocents endurent encore toutes les horreurs d'une guerre, au nom de
quelque chose qui n'a pas de nationalité. Le nationalisme
méthodologique ne s'aperçoit aucunement de l'air narquois avec
lequel le concept de nationalité contemple les Droits de l'Homme. Il ne
voit pas non plus le déterminisme social que signifie la
nationalité presque à perpétuité fondée sur
le lieu de naissance. A l'heure où les anciennes appartenances ne font
plus de sens, la mesquinerie des raisonnements de l'optique nationale prend le
dessus et refuse obstinément l'avènement d'une communauté
de destin civilisationelle qui est pourtant déjà là.
3. Cosmopolitisme et expérience multiculturelle
: la constitution de l'identité cosmopolitique
« Nous réussissons mieux à nous connaitre
en sortant de nous-mêmes, et les circonstances nous permettent souvent de
déceler dans des sociétés différentes des
nôtres le jeu de forces qui agissent également dans les
nôtres mais à notre insu65 »
a) Le cosmopolitisme
De Kant à Marx ou d'une façon différente
Adam Smith, en passant par Nietzche ou Goethe, de nombreux auteurs ont
pensé la modernité comme un processus qui mène les
sociétés et les petites communautés territoriales à
une dissolution dans une interdépendance universelle croissante. Ils
avaient minutieusement étudié l'évolution de l'Histoire
humaine dans ses plus longues lignes, et jugeaient peu probable que
l'état et la société sous forme d'une
homogénéité nationale puissent incarner pour longtemps la
suite de l'histoire mondiale.
Le terme de cosmopolitisme dessine une façon de penser
le monde comme un système d'interdépendances croissantes dans les
champs politiques, économiques, scientifiques et culturels et qui ne
peut pas faire de mal. Il s'agit de porter un regard plus,
65 Fauconnet. La responsabilité.
disons, « optimiste » sur l'évolution du
monde. Cela peut paraître difficile voire paradoxal, étant
donné l'envergure des défis auxquels l'humanité est
confrontée aujourd'hui, les problèmes actuels, et ceux de demain.
Peut-être le problème est-il justement là: on continue
à aborder les conséquences indésirables de l'accroissement
des interdépendances à l'échelle mondiale sous l'optique
nationale, alors que l'on peut déjà faire le constat que
l'expérience quotidienne elle-même est devenue
dénationalisée. Nous sommes témoins aujourd'hui de
l'apparition d'une possibilité : celle d'un horizon d'expérience,
d'un monde unique, simultané et indivisible dans sa propre
diversité. La guerre d'Irak, par exemple : pour la première fois
dans l'histoire une guerre a été traitée comme un
« événement relevant de la politique intérieure
mondiale66 », et l'humanité entière s'y est
intéressée en temps réel par l'intermédiaire des
medias. De même, pour les attentats du 11 septembre 2001 et la menace
terroriste. Nous sommes dans un espace d'expériences simultanées,
une civilisation globale caractérisée par la quotidienneté
des événements globaux et par la naissance d'une empathie
globale. Partout dans le monde, des hommes constatent et
réfléchissent à un présent et à un avenir
collectivement partagé et en même temps menacé. Il s'agit
d'une perspective qui nécessite d'être libéré des
contradictions des schémas nationaux de l'histoire, de la mémoire
et du collectif.
Le cosmopolitisme, est quelque chose d'actif, une mission qui
consiste à ordonner le monde, à accepter d'abord que l'histoire
ne recule pas et que les modèles anciens ne peuvent pas se prolonger
infiniment. Heureusement d'ailleurs car, après tout, ils
n'étaient pas parfaits non plus. Nous pouvons être d'accord sur le
fait qu'avant, il y avait peut-être plus des forêts que de
personnes, et plus de baleines que de voitures, mais aussi plus de
mortalité infantile que des médicaments. En tous cas, c'est
déjà fait et c'est maintenant à chacun de participer
à l'évolution des consciences et de contribuer à la
culture mondiale avec sa langue, sa culture, ses compétences et par des
actes de résistance, militants ou participatifs. La cosmopolitisation du
monde permet d'alimenter le sentiment d'être soimême partie
intégrante d'une grande « expérience civilisationelle »
car, comme nous l'avons dit, l'humanité est aujourd'hui, plus que
jamais, consciente d'elle-même.
Par ailleurs, ce serait une erreur de supposer que l'empathie
cosmopolitique viendrait remplacer l'empathie nationale : chacune
imprègne, modifie et enrichit l'autre. De ce
66 Ulrich Beck, Qu'est-ce que le cosmopolitisme ?,
Paris, Ed Flammarion, 2004
fait, pour l'optique cosmopolitique, les
interdépendances, par exemple, sont une garantie pour le maintien de la
paix (c'est le cas pour l'Europe), en rendant impossible un accroissement
débridé des hostilités entre les états-nations qui
risquerait de déboucher sur de nouvelles guerres
dévastatrices.
La mondialisation est un fait, et le cosmopolitisme une
façon de la saisir, de l'aborder et de la comprendre. De ce fait, elle
peut être vue, non comme une homogénéisation
infligée, mais comme une chance historique d'harmonisation politique et
sociale entre les peuples. Pour le cosmopolitisme, les différences entre
les cultures continuent à exister même si les
interdépendances augmentent car le principe d'inclusion additive
n'exclut pas la cohabitation possible entre deux cultures dans le même
espace d'expérience sociale.
Il ne faut pas construire une fausse opposition entre le
national et le cosmopolitique car il s'agit plutôt d'une
redéfinition du national et du local. Par exemple, la notion juridique
de « crime contre l'humanité », ainsi que le Tribunal
pénal international dépassent largement le nationalisme
méthodologique sans pour autant signifier l'anéantissement du
national. Le principe juridique cosmopolitique protège la population
civile des violences arbitraires commises par un état souverain devenu
fou et criminel. Les principes du droit cosmopolitique priment sur le droit
national. Les crimes contre l'humanité ne peuvent plus être
légitimés, ni négociés par le droit des
états nationaux. Il s'agit d'une création inédite dans
l'histoire de l'humanité : cette typologie de crimes abolit les
principes des lois et la jurisprudence des états-nations.
En conclusion, la cosmopolitisation du monde doit être
analysée comme une modification des fonctions des états, sans
nier l'existence des particularités nationales : l'apparition de modes
de vie transnationaux variés, l'importance croissante des institutions
non étatiques, la lutte pour la reconnaissance mondiale des Droits de
l'Homme, les mouvement migratoires et les expériences multiculturelles
qui en découlent, le flux de capitaux et de symboles culturels,
l'apparition des mouvement globaux de contestation, la justice sociale, le
droits du travail, la protection de l'environnement et la gestion de
ressources, la recherche scientifique, la lutte contre la pauvreté, les
mouvement antimondialistes, les crises économiques etc... La
conséquence de tous ces phénomènes est la reconfiguration
et l'irruption de nouvelles
formes de l'appartenance et de l'identité car celles-ci
côtoient, une quantité innombrable de fois et de façon
simultanée, le caractère mondialisé de nos vies.
b) Le cosmopolitisme et l'acte migratoire comme
expérience multiculturelle : Les voies de l'Identité
cosmopolitique
Nous sommes enfin arrivés à l'Identité
cosmopolitique, terme qui donne son titre à ce mémoire. Pour
comprendre de quoi il s'agit, il faut bien garder à esprit les
soixantedix pages qui précédent celle-ci.
L'Identité cosmopolitique est le résultat de la
transformation que subit le sentiment d'appartenance nationale, chez certaines
personnes, comme conséquence de la reconfiguration de l'identité
suite à une expérience multiculturelle liée à un
acte migratoire. L'Identité cosmopolitique exprime la possibilité
d'être natif d'un lieu et de toucher à l'universalité, ce
qui se traduit par un sentiment d'appartenance au-delà des nations.
Cette définition parait encore très vague, nous allons
l'expliquer point par point.
Dans le champ cosmopolitique, se profile une nouvelle
typologie de l'identité. Les typologies précédentes ne
sont plus aptes à décrire une réalité de
l'existence qui est de plus en plus transnationale, marquée par les
appartenances multiples qui transcendent les barrières des pays et des
nationalités. L'Identité cosmopolitique met directement en
question l'un des piliers les plus fondamentaux de la représentation de
la société : l'étatnation. En effet, elle constitue un
déplacement des identités nationales ainsi que des revendications
politiques, sociales et culturelles qui se situent désormais
au-delà des appartenances territoriales fondées sur
l'échelle des États-Nations. Il s'agit d'un regard dialogique
capable de saisir les ambivalences au milieu des anciennes distinctions qui
s'évanouissent, un regard consensuel dominé par l'ouverture
d'esprit et la tolérance pour saisir les défis que pose notre
façon à tous de vivre ensemble dans une situation de
mélanges culturels.
Avant de continuer, nous allons préciser la signification
de l'expression « expérience multiculturelle ». Dans le cadre
de cette étude nous entendons par expérience
multiculturelle le fait de s'insérer dans un espace
culturellement différent, situé en dehors des frontières
de l'état-nation d'origine. Autrement dit, nous allons établir un
angle d'approche culturel : l'acte migratoire entendu comme une «
expérience multiculturelle ». Pourquoi cette expérience
doit-elle nécessairement être en dehors des frontières de
l'état-nation? Parce qu'étant donné que nous sommes en
train d'étudier l'appartenance nationale et que celle-ci est le
résultat du jeu de signes et de symboles du national et de son
système de représentations, quitter les frontières permet
de se mettre directement en rapport avec un autre univers national et culturel,
auquel on n' « appartient » pas, en établissant ainsi une
expérience dialectique consubstantielle avec la différence.
De toute évidence, un voyage touristique peut
s'avérer très fécond et constructif du point de vu du
vécu multiculturel ; il peut déclencher des réflexions et
des émotions très variées à propos du fait national
et avoir ainsi des répercussions importantes au niveau du sentiment
d'appartenance nationale et de l'identité nationale ; cependant ce type
de déplacement ne sera pas inclus dans le concept d' «
expérience multiculturelle » que nous voulons traiter ici, et qui
fait partie de l'Identité cosmopolitique, principalement parce que les
enjeux liés au tourisme ne sont pas du tout les mêmes que dans
l'acte migratoire, quel que soit sa typologie. S'insérer par exemple
dans un mode de vie transnational, où le migrant met en place des
relations sociales, culturelles et économiques, et des activités
qui dépassent les frontières classiques, sera
considéré comme une expérience multiculturelle. Dans un
déplacement à titre touristique il n'y a pas de véritable
détachement organique de l'état, au sens de Durkheim. Le fait de
disposer d'un statut d'étranger, par exemple, et les documents qui vont
avec (ou leur absence) dans la société dans laquelle on vit
révèlent des enjeux qui sont propres à l'acte
migratoire.
Nous préférons parler d' « acte migratoire
» entendu comme « expérience multiculturelle » afin
d'échapper à la typologie de la migration. En effet, une personne
qui possède une double nationalité, par exemple, et qui
décide d'aller vivre dans le pays qui correspond à sa
deuxième nationalité réalise un acte migratoire dans le
strict sens du terme, mais dans la société d'accueil et selon la
typologie de l'immigration elle n'est pas
considérée comme un immigrant67,
toutefois il s'agit bien d'une expérience multiculturelle.
L'expérience multiculturelle incite à une
interprétation et à une réinterprétation constante
des milliers de signes et de figures qui composent un univers culturel
distinct, ce dernier étant différent et semblable à la
fois. Toutefois, affirmer que l'expérience multiculturelle entraine
nécessairement une réorganisation de l'identité ou un
bouleversement du sentiment d'appartenance national serait inexact et
équivaudrait à partir d'une fausse prémisse. Notre
intention est d'analyser les conséquences d'une telle
expérience.
Il y a d'innombrables éléments qui jouent dans
le rapport à l'identité et à l'appartenance. Nous avons
analysé l'arsenal symbolique de l'état-nation et sa dynamique au
sein d'un système d'interprétation, nous avons vu comment cet
arsenal se conjugue avec des principes objectifs et non objectifs tels que la
race et le territoire, ou les documents et la citoyenneté. Bien que ces
éléments soient, en principe, communs à toutes les
appartenances nationales, l'expérience multiculturelle ne va pas
être vécue de la même façon par chaque ressortissant
d'un état-nation. En effet, diverses possibilités existent selon
les circonstances extérieures ou les souhaits et les tendances des
personnes concernées. Ensuite, entrent en jeu les conditions
liées aux situations, qui sont à proprement parler politiques,
sociales, économiques et culturelles, ainsi que les différentes
phases de l'existence, dont le rôle est lui aussi important. Les
expériences de vie ne peuvent pas être normatives, de ce fait il
faut tenir compte que l'expérience multiculturelle va être
vécue d'une façon radicalement différente, s'agissant de
la même personne qui immigre en Grande Bretagne, ou Allemagne, ou aux
Emirats Arabes Unis. De même pour un Algérien, il vivra forcement
ce type d'expérience différemment en France qu'au Canada. Nous
pouvons continuer ainsi de suite avec tous les origines possibles envers toutes
les destinations possibles sur terre et avec autant de combinaisons imaginables
qu'il y a de réalités culturelles et humaines dans le monde. Nous
pouvons citer également les conditions et les raisons qui ont
motivées l'acte migratoire, car la situation n'est pas comparable entre
un exilé politique et un aventurier. Les contraintes logistiques jouent
aussi un rôle important : les moyens de financement, les distances
67 Typologies de la migration selon l'Organisation
internationale pour les migrations. Source site web www.iom.int juin 2010
géographiques, les conjonctures administratives qui
déterminent les différents droits et devoirs, de même que
les difficultés linguistiques, la capacité d'adaptation et le
sens du relationnel, la signification de la couleur de peau en fonction du pays
d'accueil, les expériences personnelles et les besoin
émotionnels, sans oublier le hasard qui est un facteur important, etc.
Tenant compte de la pluralité de ces situations, comment peut-on alors
saisir les répercutions de l'expérience multiculturelle chez un
individu ? Pour cela, nous allons aborder d'abord les aspects qui sont communs,
indépendamment des circonstances.
Selim Abou par exemple nous dit que la prise de conscience de
l'identité culturelle nécessite la confrontation avec un autre
groupe qui possède une autre identité culturelle. Ce principe est
commun à toutes les figures d'expériences multiculturelles : la
conscience du soi ethnique et culturel émerge uniquement lorsque des
systèmes culturels s'affrontent, elle n'émerge que grâce
à la rencontre interethnique. En d'autres termes, l'identité
culturelle ne prend totalement conscience d'elle-même que là
où apparaît la différence, par opposition ou par
négation de celle-ci.
Il s'agirait donc d'un premier pas vers l'Identité
cosmopolitique : le processus de prise de conscience de sa propre
réalité culturelle commence par l'immersion dans un univers
culturel différent ou méconnu (une expérience
multiculturelle), il s'établit ainsi un double jeu ou
feedback68. Elle submerge l'individu dans une interaction
quotidienne avec un nombre infini de signes culturels distincts qui, par
contraste et par opposition, permet de révéler à
soi-même son propre héritage culturel. Celui-ci conditionne
inconsciemment les façon d'agir ainsi que les multiples manières
de penser, de sentir et de vivre son rapport à l'absolu, en tenant
compte des singularités des situations. Cette interaction et ce
processus de découverte peuvent s'étendre dans le temps de
façon presque infinie car il y a autant de signes et de figures
culturelles à découvrir que de combinaisons de situations
où se manifeste la culture.
La suite d'une expérience multiculturelle peut prendre
plusieurs chemins (dont Selim Abou offre une typologie remarquable), il s'agit
d'un véritable éventail de possibilités. Toutefois nous
allons nous concentrer sur celles qui concernent l'Identité
68 Formule anglophone qui décrit un effet de
retour ou rétroaction.
cosmopolitique. En même temps que l'on découvre
sa propre identité culturelle, un dialogue s'établit, une
négociation constante de l'identité, car l'affirmation de
l'identité est d'abord un acte de revendication, une autodéfense.
Dans la typologie de la réorganisation culturelle qui
domine69, Selim Abou parle d'une acculturation à fort
caractère positif, c'est-à-dire d'une résolution lente et
progressive d'un conflit de culture. Dans cette lutte interne/externe pour
réussir un aménagement identitaire, la capacité
d'adaptation à la différence culturelle, la capacité de
gestion des besoins émotionnels et du mal du pays sont rudement mises
à l'épreuve. Une acculturation harmonieuse est la voie offerte
par ce conflit, elle débouche sur un enrichissement de la
personnalité et non sur sa destruction. Cette évolution a surtout
la propriété d'introduire l'individu dans un mouvement de
réorganisation constante de l'identité. Vivre une
expérience d'acculturation positive est donc une deuxième
étape vers l'Identité cosmopolitique.
Quel est le rapport entre l'Identité cosmopolitique et
le processus d'intégration ou d'acculturation d'un immigrant ? Il est
difficile de l'établir, premièrement car dans cette étude
je ne dispose pas d'un recueil d'éléments empirique suffisamment
largue, qui serait nécessaire pour avancer des hypothèses ou des
conclusions en ce sens. Deuxièmement, l'Identité cosmopolitique
est une identité émancipée des prémisses du
nationalisme méthodologique, c'est-à-dire que les typologies de
l'intégration (ou de l'acculturation) ainsi que le
phénomène qu'elles essayent de décrire ne répondent
pas à la même catégorie d'analyse. Le concept
d'intégration reste tributaire des conceptions nationales. Cependant, il
est certain que l'Identité cosmopolitique dépend ou est
rattachée à un niveau ou à une forme d'intégration.
Dans le cas contraire, l'échange culturel qui lui est indispensable
existe dans un degré extrêmement insuffisant.
Le concept d'intégration désigne l'insertion des
nouveau-venus dans les structures économiques, sociales et politiques du
pays d'accueil. Deux chercheurs canadiens A. Archambault et J.-C.Corbeil,
distinguent trois niveau : « après un niveau
d'intégration de fonctionnement, c'est-à-dire le niveau
où l'adulte est capable de communiquer (dans la langue du pays) et de
gagner sa vie en toute autonomie... » Le deuxième niveau est
«... l'intégration de participation, l'adulte est actif
dans la société et il veut jouer un rôle dans un domaine
d'activité quelconque : la politique, le syndicalisme, les
mouvements
69 Selim Abou, L'Identité culturelle, Beyrouth,
Ed Perrin - Presses de l'Université Saint-Joseph, 1995
sociaux, etc. enfin le troisième niveau
d'intégration c'est l'intégration d'aspiration
oàl'adulte décide de lier son avenir et celui de ses
enfants aux projets d'avenir du groupe, comme membre à part
entière dans la société 70».
En ce qui concerne le premier niveau d'intégration,
l'Identité cosmopolitique trouve largement son compte : dans
l'expérience multiculturelle, l'Identité cosmopolitique s'engage
dans la recherche d'une harmonie culturelle au milieu de la tension dynamique
qui se trouve entre l'ouverture à l'autre et le retour à soi.
Elle s'appuie fermement sur les principes et les postulats du cosmopolitisme,
non seulement pour négocier le caractère mouvant de
l'appartenance et de l'identité, mais aussi pour défendre la
légitimité politique d'être soi-même un acteur
privilégié de cette réalité cosmopolitique du monde
en pleine élaboration. La démarche critique du cosmopolitisme
ainsi que l'affranchissement du nationalisme méthodologique sont des
principes intrinsèques et essentiels à l'Identité
cosmopolitique. Ils sont des instruments indispensables afin de saisir les
agencements qui permettent de trouver l'équilibre dans la dialectique
vivante entre soi-même et l'Autre.
Revenons sur la typologie de l'intégration reprise par
Sélim Abou et le deuxième niveau de l'intégration celui de
la participation. L'Identité cosmopolitique implique certes un
niveau de conscience politique mais pas forcement une activité ou une
démarche politique au sens strict du terme. La notion
d'intégration, telle que nous l'avons décrite, est tributaire du
nationalisme méthodologique, pour comprendre ce point il suffit de
répondre à la question suivante : a quoi est-on sensé
s'intégrer ? À l'étatnation en question évidement.
Alors, si la participation politique, sociale ou culturelle dans la
société d'accueil est dominée ou motivée par le
désir de contestation des préceptes de l'état-nation
lui-même, peut-on continuer à parler sur le même registre de
la notion d'intégration ou de participation? Certainement
pas.
Il y a environs trois siècles on demandait à un
étranger de faire preuve de dévotion religieuse pour être
accepté en tant qu'être humain, et il fallait assister à la
messe du dimanche. Aujourd'hui on lui demande d'assister aux réunions du
Modem (ou autre) ou de faire des travaux d'intérêt collectif pour
recevoir la bénédiction des citoyens et de
70 Selim Abou, L'Identité culturelle, Beyrouth,
Ed Perrin - Presses de l'Université Saint-Joseph, 1995
l'administration. L'Identité cosmopolitique ne s'articule
pas forcement à partir des notions d'intégration.
Enfin, le troisième niveau d'intégration,
l'aspiration, est incontestablement lié à l'idée
de « communauté de destin », composante essentielle de
l'identité nationale. Nous arrivons au même paradoxe que celui de
la participation. L'acteur de l'expérience multiculturelle,
a-t-il le droit de se sentir d'avantage partie d'une communauté de
destin global plutôt que nationale ? La notion d'intégration
à première vue ne parait pas donc très pertinente et ne
figure pas dans parmi les critères essentiels pour estimer les
agencements de l'Identité cosmopolitique. La notion d'intégration
est un élément transversal à l'Identité
cosmopolitique.
Le point d'encrage de l'Identité cosmopolitique se
situe dans les identités qui se recoupent, qui se réorganisent et
qui se réinventent comme les fruits des échanges et des
confrontations propres de l'expérience multiculturelle. Ainsi,
réordonner les expériences, les objections et les conflits qui se
présentent et les replacer dans la grille de lecture du cosmopolitisme
est essentiel pour que les frontières, les certitudes et les
distinctions que l'on pensait éternelles se brouillent en laissant ainsi
la voie libre à une interprétation tolérante et ouverte
des réalités culturelles.
L'Identité cosmopolitique n'a aucunement la
prétention de croire qu'elle détient la compréhension
suprême de la différence culturelle, ni d'être l'expression
ultime de l'altérité multiculturelle. Au contraire, elle assume
ses propres limites. Elle est consciente de sa propre ignorance et fait acte
d'humilité face à l'impossibilité cognitive de se procurer
toutes les clefs et tous les éléments d'interprétation
nécessaires au travail de décryptage et de décodage des
univers culturels. Elle est consciente, grâce aux connaissances
empiriques acquises au long des expériences précédentes,
qu'avancer des conclusions prématurées ou des conclusions sur les
caractères culturels amène forcement à des erreurs. Ainsi,
l'Identité cosmopolitique rompt radicalement avec l'ethnocentrisme qui
contamine profondément les regards sur le monde des autres, elle rompt
aussi avec la tentation de faire appel au nationalisme méthodologique et
à la conscience nationale pour interpréter et pour se positionner
face à la différence. L'ethnocentrisme et le nationalisme
méthodologique cherchent à détenir le monopole du sens et
à garder en otage la vision d'un monde naturellement divisé en
nations. L'Identité cosmopolitique,
elle, reconnaît le caractère instable des
représentations sociales et culturelles. L'Identité
cosmopolitique, c'est aussi savoir marcher sur les ruines de nos certitudes
tout en intériorisant les visions des autres.
Identité cosmopolitique ne veut pas dire
déracinement : le principe de l'inclusion additive pense le social, le
politique mais surtout le culturel à l'aide de catégories qui
peuvent se combiner, avec un caractère cumulatif. Ainsi, grâce au
principe d'inclusion additif qui domine, elle permet d'être
attaché au terroir et en même temps de participer et de sentir une
empathie globale. Elle permet de regarder les origines avec estime, mais sans
vénération, et de faire évoluer le sentiment
d'appartenance multiple sans rivalités. L'Identité cosmopolitique
signifie savoir redonner un sens au monde et aux contradictions culturelles.
III. Citoyens du monde
« Je ne suis ni Athénien, ni Grec, mais un
citoyen du monde 71». 1. L'association
Citoyens du Monde
a) Historique et présentation de l'association
Citoyens du Monde
Le 12 septembre1948, Garry Davis, un ancien pilote de guerre
américain qui avait participé à des bombardements en
Allemagne, déchire son passeport dans un acte symbolique et s'installe
face au Palais de Chaillot à Paris, où siégeait
l'Assemblé générale de Nations-Unis, pour demander la
protection et l'asile aux Nations Unies, en se déclarant Citoyen du
monde. Garry Davis deviens ainsi lui-même le premier « Citoyen du
monde ». Il s'agit du geste fondateur de « Citoyens du monde »
en tant que mouvement. Suite à ces événements, il
s'installe dans une tente au niveau du jardin du Palais de Chaillot, où
il reçoit la visite des grands intellectuels de l'époque, tel
qu'André Breton, Jean-Paul Sartre, et Albert Camus entre autres. Son
action inspire par la suite des grandes manifestations et des rassemblements de
soutien réunissant parfois plus de 20.000 personnes.
Depuis sa création en 1949, le Registre des Citoyens du
Monde enregistre tous ceux qui, à travers le monde, s'identifient en
tant que Citoyens du Monde et réclament une démocratie mondiale.
Le Registre Internationale des Citoyens du Monde est présenté
comme un « service public mondial » à caractère
strictement technique. Il ne relève d'aucun parti, ni d'aucune
organisation proprement politique et il ne recrute pas de membres cotisants.
L'association Citoyens du Monde fait partie d'un réseau
assez complexe qui compte plusieurs entités, organismes et commissions
imbriqués semi-indépendants administrativement les uns des autres
(voir annexe 1). L'organisme « supérieur » qui est commun
à toutes les autres structures, c'est le Registre International des
Citoyens du
71 Formule exprimée par Socrate (Vème
siècle avant J. -C.)
Monde. Ce registre, qui est tenu depuis plus de soixante
années, dispose d'un statut juridique Loi 1901 et fonctionne comme le
« Bureau de l'état civil mondial » (selon la formule
utilisée par ses propres militants) c'est-à-dire, une sorte de
« mairie mondiale » qui, bien qu'elle soit située physiquement
en France (66, Bd Vincent Auriol, 75015 Paris) est considéré
comme dérégionalisé, déterritorialisée et en
conséquence dénationalisée. La mission du Registre
international des Citoyens du monde est de tenir un registre d'inscription qui
fournit une Carte d'identité de citoyen du monde (voir annexe 2).
L'objectif ultime de ce bureau est d'attribuer le statut symbolique de citoyen
du monde à tous les inscrits afin de garantir leur droit de
participation à l'élection du Congrès des Peuples.
D'autres associations à vocation mondialiste participent aussi à
ces élections, telles que Amis de la Terre, Service Civil International,
l'Union Pacifiste, etc. En 2006, le " Registre des Citoyens du Monde " est
officiellement représenté par plus de 50 Centres d'Enregistrement
dans 40 pays.
Le Congrès des peuples est une «
assemblée de représentants directs d'habitants de la terre...
» « ... il est la préfiguration d'une Assemblée
mondiale capable d'établir des institutions mondiales indispensables
à la survie de l'humanité 72». Le
Congrès des peuples a été créée en 1969
suite à un appel lancée par 13 personnalités de
réputation mondiale, parmi lesquels des Prix Nobels, des
intellectuelles, des scientifiques, l'ancien maire d'Hiroshima, et
l'Abbé Pierre, entre autres. Depuis sa création, le
Congrès des peuples a été à l'origine de la mise en
place de plusieurs sous-organismes qui travaillent ou travaillaient activement
pour le développement d'une solidarité mondiale : L'Institut
d'études mondialistes (faculté pilote de Sciences politiques et
humaines à vocation mondialiste, créée en 1977),
l'A.M.I.P, Agence mondialiste de presse (créée en 1980,
aujourd'hui inactive) et Le Fonds mondial de Solidarité contre la faim
(créée en 1982). Le Congrès des peuples compte
aujourd'hui19 délégués et 19 suppléants,
désignés par des électeurs répartis dans plus de
120 pays, au cours de 11 élections transnationales qui ont eues lieu
entre 1969 et 2007.
Parallèlement aux Congrès de peuples, les
différents centres locaux d'enregistrement sont répartis dans
plus de 120 pays. Il y a eu en France jusqu'à 30 centre locaux.
72 Somme mondialiste, Un monde de la raison,
Ezanville, Ed Club humaniste, 1975
Depuis sa création en 1949, le Registre international
de Citoyens du monde a mené diverses activités, notamment les
« mondialisations », qui sont des actes symboliques qui consistent
à déclarer différentes régions, communes, ville ou
territoire comme « zone mondialisée ». Ainsi, en 1949, la
ville de Cahors, se déclare ville citoyenne du monde. Cette
première mondialisation a été le début d'un large
mouvement qui a concerné environ 960 villes, communes,
départements, régions et même un Etat, dans des pays tels
que la Belgique, le Canada, l'Allemagne, le Danemark, la France, la Gambie,
l'Inde, l'Italie, le Japon, Madagascar, le Nicaragua, le Sénégal,
le Togo, Etats-Unis et le Kosovo. Près de la moitié des provinces
du Japon ont adopté des déclarations de mondialisation. Ce
mouvement continue aujourd'hui: la dernière ville mondialisée est
la localité de Kashusha (Sud Kivu, République Démocratique
du Congo) le 25 juillet 2006.
Dans le cadre de cette étude, nous avons pris contact
avec une des branches dépendantes du Registre International des Citoyens
du monde, l'ASCOP-Citoyens du Monde. Le sigle ASCOP signifie Assemblée
Consultative auprès du Congrès des Peuple et correspond à
la branche militante, il s'agit d'un collectif formé par des citoyens du
monde qui mènent des activités diverses afin de promouvoir les
valeurs de la « citoyenneté mondiale ». Elle est située
aux alentour de la ville de Dijon, son secrétaire général
est M Alain Bal (entretien annexe 3). Alors que le Registre International de
Citoyens du Monde s'occupe avant tout de la gestion des inscriptions, tout en
défendant le principe de citoyenneté mondiale et en travaillant
en même temps en collaboration avec le Congrès des peuple, l'ASCOP
maintient une activité politique et associative plus active.
b) Démarche politique des Citoyens du monde :
Nous pouvons dire que la démarche politique des
Citoyens du Monde a été, globalement, divisée en deux au
fil des décennies. En effet, aux origines du mouvement, la critique sur
la légitimité politique des états-nations, ainsi que sur
leur pérennité en tant que système d'organisation de la
société, était au sein des contestations. Le principe
fondamental de la contestation et de la démarche politique visait une
désintégration directe des états et leur dissolution en
une grande unification des gouvernements et de leurs souverainetés : un
changement radical de la structure internationale. Leur pacte, lu
le 14 avril de 1949 à Paris proclame : « Nous
déclarons l'humanité entière en état de
légitime défense contre les Etats Souverains, les
idéologies et les propagandes qui prétendraient justifier le
recours à la guerre... » « ...convaincus que les Etats
n'entendrons notre voix que si nous sommes des dizaines de millions
rassemblés... » « ...Nous appelons la masse du peuple à
se mobiliser librement pour la paix afin de n'être pas mobilisée
demain par les Etats pour leurs guerres73 ».
Le discours politique des Citoyens du Monde et des autres
associations qui participaient au mouvement était axé
principalement sur la recherche et l'exigence de paix et de
sécurité pour les populations du monde. Cela parait naturel,
puisque ce mouvement est issu des bouleversements politiques et des mouvements
de consciences qui ont caractérisé l'après guerre.
Les Citoyens du monde jugeaient donc nécessaire de
s'affranchir des états qui, selon eux, ne cherchaient que leurs
intérêts particuliers. Leur consigne principale ainsi que leur
propre définition de ce qu'est une Citoyen du monde consiste est la
suivante « Est Citoyen du monde toute personne, qui reconnait son
appartenance à la communauté mondiale, se conduit en
conformité avec cette identité, appelle à ce que les
problèmes mondiaux soient du ressort d'institutions mondiales
démocratique ».
La principale modalité d'action proposée
consistait, et consiste encore, à ce que chaque être humain sur
terre fasse un acte politique symbolique, en s'enregistrant en tant que Citoyen
du monde auprès des différents centres d'administration.
« S'enregistrer sur le registre civil des Citoyens du Monde est le
seul moyen pour établir des listes électorales mondiales et
participer par voies de consultations démocratiques transnationales
à la désignation de délégués au
Congrès des Peuples 74». Les Citoyens du Monde
appellent ainsi chacun à s'exprimer au nom d'une conscience mondiale.
Aujourd'hui, le discours et la démarche politique de
CDM ont évolué, et l'association a vécu un
élargissement important de ses requêtes et de ses revendications.
Ils continuent à penser que l'humanité doit se replanifier et se
réorganiser sous la tutelle d'un gouvernement mondial, cependant leur
réclamation pour une dissolution des états
73 Rolf Paul Haegler, Histoire et idéologie du
mondialisme, Zürich, Ed Europa Verlag Zürich, 1972
74 Brochure informative fourni par Citoyens du
Monde
s'est vue nuancée ces derniers trente années.
Dans la brochure fournie lors de l'enregistrement comme Citoyen du Monde
auprès du centre situé au 66 bd Vincent Auriol à Paris, il
est précisé que les CDM « proposent une organisation aux
citoyens et populations de la terre, impliquant le transfert de certaines
parties de la souveraineté nationale à une Autorité
(Fédérale) Mondiale capable de résoudre, par
décision majoritaire, les problèmes qui mettent en cause le
destin de l'espèce, tels que : faim, guerre, pollution, surpopulation et
énergie ». Afin d'atteindre et de sensibiliser un plus grand
nombre de personnes, il a fallu assouplir la radicalité du discours
original. Il s'agit donc non seulement d'une réadaptation du discours
aux changements du contexte politique international (la fin de la guerre froide
et des blocs de antagonistes, la fin du processus de décolonisation, la
mondialisation, etc.) mais aussi au désir des militants de CDM de
redynamiser le mouvement en manque d'adhérents, notamment en France.
Malgré cet acte de pragmatisme politique, le discours et le vocabulaire
démodé de l'après-guerre continue à hanter les
différents documents et brochures, par exemple, le diagnostique des
« nouveaux » problèmes de l'humanité repose sur les
critiques et les questionnements adressées aux Nations-Unies dans les
années 1950.
Parmi les « nouvelles » revendications
traitées, figurent « La retraite, la précarité,
la répression, la pollution, la faim dans le monde, l'intégrisme,
le terrorisme, l'éducation, la santé, l'eau, l'alimentation,
l'énergie, la déforestation, le nucléaire, la
démocratie, les droits de l'homme... 75» Presque
toutes les causes méritent une place dans la liste des menaces et dans
le bilan dressé sur les injustices et les problèmes sociaux de
l'humanité. Cette flexibilité au niveau des champs d'action est
possible car pour la pensée des CDM, l'origine de tous ces maux est la
même, et leur remède définitif relève de la
même action : la faute est incontestablement liée aux
méfaits de la souveraineté absolue des états et de
l'absence d'une loi et d'un gouvernement supranational.
Il est important de décrire le ton qui domine dans le
discours ainsi que les qualités humaines qui sont sensées
être affichées et défendues par tous les CDM. En effet,
l'appel à la tolérance, à la vision cosmopolitique et
à la reconnaissance de la différence en tant que richesse du
monde sont omniprésents dans tous les documents. Savoir s'enrichir des
nos diversités, la recherche d'un développement économique
harmonieux et respectueux
75 Brochure informative fournie par CDM.
des tous les être humains, la pluralité et le
respect de convictions, d'opinions et de tendance, la préservation et le
respect de la diversité culturelle, la défense des Droits humains
et des droits fondamentaux de toute les populations sans distinction sont parmi
les valeurs et les vertus comprises dans la citoyenneté mondiale. De ce
fait, un « model de citoyen mondial » se dessine implicitement dans
le discours des CDM : il est participatif dans les différentes instances
politiques, il a un comportement civique exemplaire, il est respectueux de lois
et préoccupé par l'intérêt commun, il est solidaire,
altruiste et ouvert du point de vu culturel, il défend la
fraternité entre les peuples du monde ainsi que la préservation
de la biosphère.
Le fonction de remplir la lacune existante dans l'association
CDM, au niveau de l'organisation et de la diversification des actions
concrètes proposées aux activistes et aux sympathisants de la
citoyenneté mondiale, est assuré, comme nous l'avons dit, par
l'ASCOP-Citoyens du Monde. Ainsi, la structuration, la coordination et la
gestion des activités en tant que telles est un travail de l'ASCOP, elle
est l'héritière directe de toutes les démarches
idéologiques et politiques des CDM, il s'agit d'un organisme
complémentaire qui reprend non seulement les principes fondamentaux et
l'esprit du mouvement mondialiste et des CDM, mais qui essaye également
de jouer un rôle de terrain plus actif.
L'ASCOP fonctionne comme une plate-forme de sensibilisation
à la citoyenneté mondiale, c'est un espace de participation et
d'échanges. Le support privilégié choisi pour le partage
d'expériences, de coordination et de communication est internet et
notamment Facebook. Un calendrier d'informations et d'activités à
caractère mondialiste est ainsi annoncé sur la web, ainsi que les
détails de diverses rencontres, réunions de travail,
assemblées générales, organisation et résultat des
élections, démarches du Congrès des Peuples,
journées de commémorations, congrès internationaux,
conférences, etc. Les activités affichées se
déroulent dans tous les pays du globe.
2. Analyse sémiotique de documents et du
discours de CDM
Les thèmes proposés pour l'analyse
sémiotique correspondent à un corpus constitué de trois
groups de documents plus un élément graphique: le logo de
l'association
Citoyens du Monde, deux numéros du bulletin trimestriel
de CDM, deux ouvrages imprimés ; un qui est un recueil de 59 articles de
l'Agence mondialiste de presse et un autre ouvrage qui corresponde à la
somme mondialiste.
a) Document A : Le logo de CDM
Commençons par l'analyse des éléments
graphiques : le logo de l'association CDM est composé de deux
éléments sans relief et entièrement monochromes : un
cercle et la figure d'un homme au centre. Le figure de l'homme est
esquissée d'une façon très simple, il s'agit d'une figure
humaine telle que la dessinerait un enfant : un trait pour les bras, un trait
pour le tronc, un trait pour chaque jambe et un cercle qui représente la
tète. De toute évidence, par sa position, il s'agit d'une
allusion à l'Homme de Vitruve de Leonardo da Vinci,
considéré comme le symbole de la symétrie basique du corps
humain et de l' « universel » par extension. L'Homme de Vitruve est
le symbole de la renaissance et de la pensée de Lumières :
l'homme au centre. La simplicité du dessin nous propose la
représentation d'un minimum commun dénominateur de
l'espèce humaine : il suggère le caractère universel de ce
type de dessins enfantins, qui ne représente ni un adulte ni un enfant.
Le féminin et le masculin, impossible à distinguer, se trouvent
ainsi réunis, la figure est dépourvue de signes raciaux ou
politiques, aucun relief ou dégradé n'interfère avec la
simplicité des formes. Il s'agit en effet de la façon la plus
simple de représenter un être humain.
L'Homme de Vitruve est une symbolique étroitement
liée au mouvement Franc Maçon, mais nous ne nous s'approfondirons
pas cette piste d'analyse à cause de son caractère
spéculatif.
Cette évocation de l'universalité de l'Homme
suggère aussi un accueil chaleureux : les bras sont ouvert, prêts
à recevoir et à prendre dans les bras de façon anonyme. Le
cercle qui l'entoure, et dont il touche les bords, représente la
planète terre. En conclusion, cette composition graphique est un homme
universel dépourvu de caractères différentiels, qui
accueille chaleureusement, en toute simplicité, et par lequel chaque
habitant de la planète peut se retrouver représenté.
b) Documents B : Bulletin trimestriel du centre
Français des Citoyens du monde n°144 et premier numéro de la
nouvelle série.
Ces deux documents correspondent à la publication du
bulletin trimestriel de l'association Citoyens du monde. Malgré
l'appellation de « trimestriel », cette publication reste discontinue
et liée aux moyens humains et économiques actuels fragiles et
instables de l'association. Cette publication fait son apparition au
début des années 1950, elle cessera au milieu des années
soixante et après un petit rebond dans cette période, elle
s'éteint jusqu'à il y a quelques années. Elle est
essentiellement destinée aux adhérents de l'association, et
arrive aux abonnés principalement par voie postale.
Le premier document date du 4ème trimestre
de 2005 (voir annexe 3), il est composé de deux feuilles format A3
pliées, d'une qualité légèrement supérieure
à celle d'un journal de presse. Le deuxième document, qui
appartient à une nouvelle série datée 4ème
trimestre 2009 (voir annexe 4), est composé de 4 feuilles et
imprimé dans le même type de support.
Au niveau de la couverture, les deux publications gardent
globalement la même structure : le quart supérieur constitue
l'en-tête avec le nom de l'association écrit avec la typographie
distinctive de CDM et le sous titre « Bulletin trimestriel du centre
français ». Sur un fond respectivement bleu et rouge pour celui de
2005 et de 2009, on distingue le logo de CDM en monochrome avec une
planète terre en plus pour l'édition 2005. En plus des maximes
idéologiques de CDM qui figurent au-dessus du nom de l'association, nous
trouvons les coordonnées de l'association ainsi que les
références de la publication : codes, prix, date, etc.
Ensuite, sur les deux publications, les titres des articles de
couverture recouvrent un huitième de surface de la Une, le reste est
composé d'un texte rangé en colonnes, comme dans un journal. La
nouvelle édition de 2009 comporte une photographie en noir et blanc d'un
homme, qui est en train de déposer un bulletin de vote. Derrière
lui un grand logo de CDM accroché au mur. La photographie couvre un
huitième de la surface de la Une et se place dans la moitié
inferieure gauche.
En ce qui concerne le contenu, dans l'édition du
4ème trimestre 2005, sur les trois principales colonnes de
texte, l'une rappelle les principes politiques, les revendications militantes
CDM. Elle fait d'abord un bilan général des menaces mondiales
caractéristiques de l'après guerre et de l'époque de la
Guerre froide telles que la menace bactériologique, les bombes
nucléaires, la répétition d'une « solution finale
», etc. Ensuite, l'article fustige l'ambition des états-nations et
leur manque de vision cosmopolitique qui est, selon le texte, la cause
principale du manque de sécurité, d'abondance et de
prospérité dans le monde. Il fait un appel à
fédérer les « peuples du monde », afin de créer
une institution supranationale. Il propose comme geste militant de
s'enregistrer en tant que CDM, comme un moyen de se procurer le droit de vote
pour l'organisation du Congrès des peuples.
La deuxième colonne est une liste des
personnalités de renommée internationale qui ont fait un appel
à la conscience mondiale dans les années 1960, parmi eux, des
Prix Nobels, des intellectuels, des scientifiques, l'ancien maire d'Hiroshima,
entre autres. La troisième colonne, démarquée par un cadre
bleu, correspond à la liste des noms des personnes du Comité de
soutien en France. Et enfin, tout en bas de la page, un encadrement bleu avec
des noms de Citoyens du monde sensés avoir aussi une certaine
renommée.
Le contenu de la couverture de ce Bulletin trimestriel de CDM
de 2005 est essentiellement tourné vers le riche passé politique
de ce mouvement, toutefois il ne conserve pas sa totale pertinence dans
l'actualité. En effet, la moitié des noms figurants sur la Une
sont des personnalités d'un passé politique actif, mais qui ont
peu de rapport avec l'actualité politique de l'association. Et le titre
« le 3 mars 1966, 13 personnalités de réputation mondiale
lancent cet appel » remémore un acte qui a eu lieu 41 ans avant la
publication de ce numéro. Cette publication n'est donc même pas
destinée à commémorer spécialement cet acte,
puisqu'elle correspond au 4ème trimestre 2005.
A l'intérieur, ce bulletin de 2005 affiche une
quinzaine d'articles très hétérogènes
répartis sur les huit pages de la publication. Dès l'ouverture du
document, le courrier des lecteurs occupe une place importante, contenue dans
un rectangle bleu qui le détache du reste des articles. A la tête
de la deuxième page, il est précisé que celle-ci est
traditionnellement réservée à des associations dans
lesquelles militent des citoyens
monde. La suite de la publication aborde, selon un point de vu
mondialiste, des sujets variés tels que la surpopulation mondiale ou des
critiques sur les organismes internationaux. Elle reprend aussi quelques sujets
déjà traités dans les brochures : un rappel historique,
les communes mondialisées, et la Charte de mondialisation à
remplir et à signer si l'on veut déclarer un territoire en tant
que zone mondialisée. Enfin, la publication est clôturée
par le formulaire d'inscription nécessaire pour se déclarer
citoyen du monde, à remplir avec : nom, prénom,
nationalité, date et lieu de naissance, profession, adresse, date et
signature. Elle est proposée en douze langues différentes, parmi
lesquelles l'esperanto. Ce formulaire stipule aussi qu'il est nécessaire
de rajouter un chèque de quinze euros ou sept euros cinquante pour les
précaires ou les chômeurs.
Le deuxième bulletin est celui de 2009, nouvelle
série. La Une est dominée par un grand texte divisé en
quatre colonnes, comme un journal, que n'est interrompu que par une
photographie. Cette photographie et le titre d'actualité - sans que la
formulation du sujet soit pour autant inédite - ainsi que
l'arrière plan translucide de la Terre, qui figure presque sur
l'intégralité de la Une, lui donnent au premier abord un aspect
nettement plus dynamique que la série précédente. Ce
bulletin établit une relative rupture avec les sujets et le ton qui
dominaient dans son prédécesseur de 2005. Cependant, le texte sur
la Une commence par se féliciter d'avoir pu relancer cette publication,
puis se relance immédiatement dans la même démarche
répétitive sur l'histoire du mouvement, sur les moments les plus
mémorables et sur les principes idéologiques fondamentaux du
mouvement mondialiste.
Au niveau du contenu, la deuxième page rompt avec la
tradition des publications précédentes de laisser cette place
à d'autres associations. Une douzaine d'extraits de déclarations
récentes de différents hommes politiques et de différents
intellectuels remplissent presque la totalité de la page. Ces
déclarations ont été extraites des divers journaux tels
que Le Monde, Libération ou Le Figaro. Le principal lien entre elles est
la formule de « gouvernance mondiale » qui est marquée en
gras. Ainsi, par ce jeu de mise en rapport de convergences discursives
hasardeuses hors du contexte, la suite de l'article essaye d'attribuer
implicitement ces déclarations à la pensée mondialiste,
alors qu'il est impossible de déterminer si la formule «
gouvernance mondiale » se réfère effectivement à une
institution supranationale ou, au contraire, à un renforcement des
puissances mondiales déjà en place et de leur rôle au sein
des organismes internationaux.
Les portraits à page entière de deux citoyens du
monde qui ont menaient des engagements remarquables sont
présentés dans cette publication. M Henri Cainaud, avec qui nous
avons pu obtenir un entretien (voir annexe 5), et M Eugène Riguidel,
navigateur aventurier qui fait le trajet de la route du rhum avec un voilier
qui affiche « Citoyens du Monde » sur la coque et sur la voile. La
suite du bulletin est un mélange de rappels historiques, des appelles
à l'engagement militant et d'un article d'un ancien citoyens du monde de
renommé très important pour le mouvement dans les années
1970.
En conclusion, ces bulletin sont à l'image du contexte
présent de l'association : très ancrés dans une lutte
politique qui date d'il y a soixante ans et dont, malgré son
degré de pertinence actuelle, la forme du discours reste
étroitement liée à une réalité d'antan. Le
rappel presque insistant de l'histoire du mouvement, ainsi que des «
personnalités de renommée mondiale » qui y ont
participé, imprègne la publication d'une certaine nostalgie d'un
passé illustre de Citoyens du Monde. Le discours contenu dans ces deux
Bulletins fait ressortir une claire nostalgie de cette très riche et
intense activité politique du passé. Les sujets abordés
doivent peut-être conforter les esprits des citoyens du monde de longue
date : ils trouveront dans ce bulletin les références aux grandes
axes politiques ainsi que les grands moments vécu par ce mouvement. La
« gloire du passé » conduit donc sensiblement la proposition
politique actuelle, qui reste fidèle aux origines, mais qui n'est pas du
tout déconnectée de l'actualité. En effet, des sujets
très actuels comme la gestion de ressources naturelles, ou
l'environnement, sont au coeur de la démarche de Citoyens du monde
depuis ses origines.
c) La somme mondialiste et la publication de l'agence
mondialiste de presse
Le premier ouvrage appelé « Somme mondialiste. Un
monde de la raison » est une concentration des principes et des fondements
du mouvement mondialiste (voir annexe 6), « la bible des citoyens du monde
76» selon les mots de M Henri Cainaud77.
L'exemplaire qui m'a été prêté à titre
consultatif est une édition qui date de 1975, c'est un texte aujourd'hui
épuisé et il n'y a pas des rééditions
prévues à cours terme.
76 Annexe 4
77 Henri Cainaud est une figure très
respectée parmi les citoyens du monde, ancien résistant, il est
militant depuis plus de soixante années (voir annexe 5)
Une photographie occupe les deux tiers de la composition
graphique de la couverture : il s'agit de l'image d'un satellite en orbite
autour de la Terre. Le tiers inferieur affiche le titre de l'ouvrage en lettres
noires sur fond rouge. Les références de l'éditeur «
club humaniste » figurent aussi sur la couverture. Le logo de Citoyens du
Monde est au centre de la photographie et simule un tampon de certification. En
effet, il apparait sur la photographie et se présente comme un
élément au-dessus d'un monde où les divisions ne figurent
plus, il s'agit d'une construction métaphorique qui suggère que
Citoyens du Monde englobe l'humanité toute entière. La figure du
satellite représente le progrès, la technologie et l'avenir
prometteur de l'humanité unie.
Une centaine de rédacteurs ont collaborés
à la rédaction de cet ouvrage, depuis un Prix Nobel
jusqu'à de simples militants : des professeurs, des intellectuels, des
avocats, des magistrats, des artisans, des ingénieurs, des hommes
politiques, tous issus des différentes disciplines telles que
médicine, lettre, droit, langue, etc. Trente commissions au cours de
plus de 100 réunions de travail ont permis cette rédaction,
commencée en Mai 1968. Ce livre, qui a été mis à ma
disposition, n'est qu'une partie d'un ensemble de textes (quarante brochures),
qui abordent les champs d'action les plus variés. Ils déterminent
le positionnement idéologique et les modalités d'action sur :
l'enseignement et la santé sans frontières, la transformation des
Nations-Unies, la pollution, l'esperanto, le racisme, les minorités, la
faim et le développement, la monnaie mondiale, la violence sociale, les
projets humanitaires, la reconversion de l'industrie, etc. ainsi que des
déclarations, discours et proclamations concernant le
développement du mondialisme.
Le deuxième ouvrage est une compilation de
cinquante-neuf articles destinés aux circuits de presse. La couverture
est relativement simple et n'affiche pas de photographies, deux tiers de sa
surface est blanche, avec un sigle composée de quatre lettres en noir :
A.M.I.P. (Agence Mondialiste de Presse). Le tiers inferieur est un fond rouge
avec des lettres noires où on peut lire « Agence mondialiste de
Presse, Club Humaniste ». Cette agence a été
constituée sur demande du Congrès des Peuple en 1980 (voir annexe
1), sa fonction consistait à fournir, tous les premiers de chaque mois,
aux principaux media du monde et aux journalistes qui le désiraient, une
information mondialiste sur un événement majeur. Les
thèmes traités sont très variés : le
désarmement, la désertification, de Droits de l'Homme, les Droits
de la Femme et les
Droits des Enfants, le fond solidaire contre la faim, les
élections transnationales, etc. Un vieux marque page en papier vert se
trouve entre les feuilles « l'écologie, le choix de la vie ».
Il n'est pas difficile de repérer non plus un post-it sur la couverture
où apparait, marqué au crayon : « pour consultation H.C
». Pour le sigle H.C nous pouvons supposer que cela veut dire Henri
Cainaud, le propriétaire du livre.
A en juger par la qualité très standard de
l'édition et de la facture, ainsi que par les papiers mentionnés
qui ne font pas partie de l'édition, il semblerait que ces ouvrages
étaient principalement destinés aux militants, pour servir
d'ouvrage consultatif et informatif sur les principes et les modalités
d'action du mouvement. Par ailleurs, une grande partie des contenus des
brochures diffusées par l'association ainsi que les témoignages
historiques figurants sur les bulletins ont été extraits de ces
ouvrages.
d) Analyse de discours des personnes rencontrées
Les deux personnes avec qui j'ai pu avoir un entretien sont M.
Henri Cainaud et M. Alain Bal (voir annexe 5). Ce dernier est le
secrétaire général de l'ASCOP-Citoyens du Monde, ancien
militaire de profession, il a fait la guerre d'Algérie.
L'expérience a marqué sa vie et l'a amené à
acquérir une forte conscience humaniste, citoyenne et sociale, qu'il
exprime dans son engagement au sein de Citoyens du Monde depuis environs trente
années. Parallèlement à son engagement militant, il
poursuit un travail artistique en tant qu'artiste peintre-coloriste, dans ses
expositions nous pouvons apprécier ces oeuvres et en même temps
consulter dans un petit coin des brochures de CDM.
M Henri Cainaud, malgré ses quatre vingt cinq ans,
conserve une excellente santé, une bonne humeur et une grande
vivacité d'esprit. Son parcours est tout à fait inhabituel :
Ancien résistant engagé dans les FFI (Forces Françaises de
l'Intérieur), puis travailleur pour une entreprise de construction de
matériel ferroviaire (qui l'a permis de voyager dans les cinq
continents), pacifiste, écologiste, syndicaliste, sculpteur, ancien
maire d'Orval et délégué du Congrès des Peuples, il
a toujours assumé des engagement militants très variés,
axés principalement sur le lutte pour la paix et la justice sociale.
M Cainaud a suivi le parcours classique qui menait à
l'époque à la réclamation de la citoyenneté
mondiale : la Résistance. M Bal, ne fait pas partie de la
génération qui participa à la Résistance,
toutefois, c'est son expérience dans la guerre qui l'a amené
à porter un regard plus humain sur les personnes, un regard
au-delà des nationalités, où il n'y a que l' «
être humain qui compte ». C'est une vision qu'il partage avec M
Cainaud car leur niveau d'engagement est très fort, et il occupe une
part essentielle de leurs vies.
Le fait d'avoir pu les rencontrer m'a permis d'établir
un approche complémentaire à tous les documents et à tous
les renseignements qui j'avais trouvé précédemment sur
Citoyens du Monde. Dès la première rencontre, ces deux citoyens
du monde se sont montrés très enthousiastes et coopératifs
à l'égard de ma recherche, l'ouverture d'esprit était au
rendez-vous.
Au fil de l'entretien et des conversations informelles, ces
deux militants me laissaient comprendre que l'essoufflement dont est victime
CDM est dû au manque d'adhérents, cela a plongé le
mouvement dans une situation de précarité qui a fait diminuer
considérablement leur capacité de mobilisation. Une
redynamisation des forces par l'incorporation de jeunes semble
extrêmement nécessaire afin que le mouvement ne continue pas
à se détériorer, au moins en France. En effet, M Bal en
tant que secrétaire général de l'ASCOP CDM est un
témoin direct du développement qu'a connu CDM dans plusieurs pays
africains et d'Amérique latine. De ce fait, les congrès, les
réunions et les rassemblements internationaux se fond de plus en plus
dans des pays non européens, cela est dû aussi au fait que le
régime de visas en Europe est jugé trop contraignant et
empêche la venue de membre de pays tiers.
Conclusion
A l'heure de grands questionnements qui surgissent en raison
de la mondialisation, de l'unité économique, sociale et
technique, ainsi que de l'augmentation des interrogations d'ordre
technocratique, j'ai voulu approfondir une réflexion et apporter un
raisonnement sur une réalité qui me semble mal comprise dans le
discours public et social. Les crises des états-nations ne sont pas
uniquement économiques ou financières, elles se projettent aussi
sur la conception du rôle de l'être humain dans le concert
international. L'intention de ce travail n'est pas seulement d'apporter des
réponses, mais aussi d'ouvrir des pistes à d'autres
réflexions.
Mon travail de terrain m'a permis de vérifier, nuancer,
découvrir et délimiter des aspects qui s'insèrent dans les
interactions sociales et humaines, et qui déterminent des modifications
dans les rapports des appartenances et des identités. J'ai pu observer
et évaluer les enjeux de l'Identité cosmopolitique, et confirmer
certaines de ses particularités, cependant d'autres resterons
irrésolues dans le cadre de ce travail.
Reprenons donc les problématiques qui ont
été présentées dans l'introduction. Le premier
groupe de questionnements peut être résumé et contenu dans
la problématique suivante : quel est le rôle de
l'état-nation dans la construction de l'appartenance? Dans la
première partie, nous avons donc vu que le fait d'être nés
quelque part et de quelqu'un, est une condition intrinsèque de tous les
hommes, ce constat est la source étymologique et le fondement du concept
de « nation ». L'état-nation s'approprie ces faits en leur
attribuant une valeur et un sens propres, par un travail de construction
symbolique qui se traduit par l'appartenance nationale. Ce type de filiation
identitaire est donc fondé, comme nous l'avons dit, sur des faits
objectifs et non-objectifs tels que la race et la citoyenneté ou
l'ethnie et le territoire. Ces faits se voient
réinterprétés au sein d'un système de
représentation collective qui est indissociable et inhérent
à l'état-nation. L'imaginaire national fonctionne ainsi comme un
assemblage de concepts qui acquièrent une cohérence propre.
Ensuite, nous avons abordé les enjeux de la mondialisation
afin d'établir une approche sur ses potentielles répercutions
dans les réorganisations des appartenances et
des identités, dans un monde dominé par les
échanges et les croisements de cultures. L'acte migratoire est une
figure indissociable non seulement de la mondialisation mais aussi de la nature
sociale et territoriale de l'homme. Il se profile incontestablement comme le
phénomène sociodémographique qui va dominer le
XXIème siècle. Nous avons établi un angle d'approche
culturel de l'acte migratoire, traité comme une « expérience
multiculturelle » entraînant des bouleversements qui
réordonnent la notion de l'appartenance et de l'identité. Cela
nous amène aux problématiques principales sur lesquelles nous
avons axé ce travail de recherche : quelles sont les
répercussions de l'acte migratoire, entendu comme une expérience
multiculturelle, dans le sentiment d'appartenance nationale et dans le
processus d'affranchissement des catégories rationnelles du national ?
L'Identité cosmopolitique est-elle le résultat de ce processus
?
Les hypothèses que nous avions avancées pour
répondre à ces questionnements étaient les suivantes :
l'« expérience multiculturelle » produit, chez certains
individus, une reconfiguration identitaire qui s'inscrit dans un processus de
détachement et de transformation du sentiment d'appartenance nationale.
L'Identité cosmopolitique est le résultat de ce processus, elle
se traduit par une contestation et un affranchissement progressif des
catégories rationnelles du national dans l'expérience du
quotidien. La constitution de l'Identité cosmopolitique est impossible
en l'absence de l'expérience multiculturelle. Ce processus se divise en
deux phases : la première se définit en fonction du rapport que
l'individu entretient avec son pays d'origine et la deuxième est
déterminée par la relation que l'individu entretient avec les
cultures d'accueil.
Nous avons établi que notre système cognitif est
profondément influencé par ces formes de représentation de
l'identité et que cela conditionne nos rapports envers les autres
univers nationaux. Cependant, en me basant sur un travail de terrain et sur
l'analyse sémiotique des documents, mon travail ne me permet pas
d'affirmer avec certitude si l'expérience multiculturelle permet de
s'affranchir effectivement du nationalisme méthodologique. Le
nationalisme méthodologique relève du cognitif, il ne s'agit pas
d'une démarche qui relève du rationnel ni de l'émotionnel.
Ainsi, pour savoir si l'expérience multiculturelle permet une
modification au niveau cognitif, il faut se référer à la
psycho-sociologie, afin de comprendre comment le système cognitif
s'enrichit ou évolue dans le cadre de cette expérience.
Quel est le rôle du rapport aux origines et du rapport
à la société d'accueil dans la construction de
l'Identité cosmopolitique ? Le lien avec le pays dépend
essentiellement de circonstances personnelles. Bien que l'identité
cosmopolitique se détache du sentiment d'appartenance nationale, les
conditions du départ jouent un rôle déterminant dans le
dialogue avec le pays d'origine, ainsi qu'avec le pays d'accueil. Ces aspects
n'ont pas pu être éclaircis.
La troisième hypothèse à confirmer
était de savoir si l'Identité postnationale correspond au stade
qui précède l'Identité cosmopolitique. Dans la
première partie du deuxième chapitre, nous avons parlé de
l'Identité postnationale. L'Identité postnationale est une
identité proprement politique, qui revendique la notion de
citoyenneté comme un principe qui va au-delà des
nationalités. Les droits et les devoirs, ainsi que l'ensemble des droits
fondamentaux ne sont pas divisibles territorialement de la même
façon que les états-nations. Toutefois, l'Identité
postnationale n'est pas forcement liée aux phénomènes
migratoires ou à l'expérience multiculturelle proprement dite.
Dans sa démarche politique, la démarche postnationale appuie et
structure son approche sous un angle éminemment cosmopolitique. Nous
pouvons donc affirmer que l'identité cosmopolitique rejoint
l'Identité postnationale au niveau de sa perspective cosmopolitique.
Elles partagent une vision cosmopolitique du monde. Il s'agit d'un point de
convergence important, qui ne permet cependant pas d'établir un lien
direct entre les deux.
La dernière des hypothèses était que
l'Identité cosmopolitique ainsi que l'Identité postnationale se
traduisent par un sentiment d'appartenance à une communauté
globale. Notre travail de terrain nous a permis de confirmer positivement le
fait que la sensibilité cosmopolitique ne nie aucunement que les
interdépendances croissantes ont des répercussions dans les
expériences de vie sur certaines personnes, qui déterminent une
mutation du sentiment d'appartenance.
En conclusion, tous ces changements nous obligent à
mettre en question la validité et la cohérence de nos
institutions nationales et internationales face aux évolutions
identitaires qui émergent de ce nouveau rapport au monde.
Ce travail a une valeur personnelle inestimable, il m'a
apporté un support et des réponses académiques à
des questionnements qui hantaient mon esprit. J'espère, très
sincèrement, que ce travail va permettre d'ouvrir les
horizons et d'élargir la perception des personnes candidates à
l'expérience multiculturelle pour qu'elles puissent compter avec des
meilleurs clefs d'interprétation et bénéficier ainsi d'un
changement de regard. Le but ultime de ce travail était d'apporter de la
lumière afin que l'on puisse profiter un peu mieux de la coexistence
dans ce même monde d'hommes et de femmes d'origines et cultures
différentes, l'enjeu en vaut la peine.
IV. Annexes
Annexe 1
Schéma de la structure de Citoyens du Monde
Annexe 2
Carte d'identité de citoyen du monde
délivrée par le Registre Internationale de Citoyens du Monde
Annexe 3
Annexe 4
Annexe 5
Entretien Dijon, le 12 mai 2010
Henri Cainaud, citoyen du monde
depuis plus de soixante années
Alain, citoyen du monde,
secrétaire général d'ASCOP-CITOYENS DU MONDE
Henri : Voilà, ici vous avez
différentes brochures.
Alain : Bon, donc vous avez le registre. A la
base du courant d'idées.
Henri : c'est là qu'on registre tous les
gens qui veulent devenir citoyens du monde Vous n'avez qu'à regarder sur
internet.
Alain : Ce registre a ouvert dans des centres en
France et dans le monde.
Quand a-t-il été ouvert ici en France
?
Henri :'49
Alain : Voila ici la « Somme Mondialiste
», c'est le livre de référence.
Henri : C'est la bible mondialiste (rires)
Alain : La bible ! je n'aime pas ce terme.
Henri : Malheureusement ces textes-là
sont épuisés.
Alain : Non, non , j'en ai encore quelques
uns.
Henri : Tu en as encore !... ah bon ? Mais tu en
as pour toi !
Henri : Oui, j'ai un pour moi, de collection,
mais on peut plus en vendre...
[...]
Alain : Donc du coup.. les mondialisations n'ont
pas commencé avant le registre ?
Alain : En 49', dans 945 villes, des villes
comme Hiroshima, Cahors... on est justement en train d'essayer de
préparer le 60ème anniversaire de la mondialisation du
Lot, du département... mais bon le problème là aussi c'est
comme les vieux citoyens du monde qui -non compris Henri qui est un cas
particulier- ont vieilli et ils ont oublié que leur terroir avez
été mondialisés et qu'ils avaient signé la charte
de mondialisation de Citoyens Du Monde qui ...
Henri : J'ai la charte dans mes archives je
peux même vous en donner une... ça aussi c'est mon boulot, tout ce
qui est documents. Donc, après, ça a donné lieu aux
Congrès des peuples, au départ c'était quoi ?... tous les
trois ans ?
Alain : Suivant l'argent qu'on avait (rires)
!
Henri : Il fallait essayer de
démontrer qu'en fait il était possible que d'une base
transnationale les gens puissent designer des délégués
pour avoir une parole au niveau de la planète. D'autant que les premiers
élus du Congrès des Peuples étaient de gens très
bien, parce que, tu peux citer certains non?
Henri : Il y avait Nehru, il y avait Gandhi
et...
Alain : Castro aussi... etc.. avec les
années ces grands intellectuels nous sont un peu oublié...
Henri : Ils sont morts aussi (rires) !
Alain : On a encore de grandes
personnalités mais les délégués deviennent
aujourd'hui des gens comme toi et moi... des gens qui n'arrivent pas à
s'élever au-dessus de la mêlée pour avoir une parole sage.
Donc là il y a aussi un grand travail à refaire...
Et vous, Henri, vous êtes citoyen du monde
depuis combien de temps ?
Henri : J'ai pris ma carte en '46... les
premières cartes si vous voulez...
Vous l'avez toujours ?
Henri : Je l'ai perdue, je n'ai plus la carte
d'origine, j'ai dû la changer.
Alain : Donc le Congrès des Peuples a
créé le Fonds mondial de solidarité, la
particularité est que c'est un fonds mutuel,...
Henri : ...Qui fonctionne toujours !
-Alain : Qui fonctionne toujours ! Là
vous tombez sur le coeur de Citoyens Du Monde, parce qu'un des
secrétaires est aussi du Fonds mondial.... Peut-être que nous
pourrons le rencontrer ?
Henri : John de la Cruz ?
Alain : Oui. Donc l'originalité du Fonds
Mondial de solidarité c'est d'avoir créé une mutuelle, les
gens qui vont bénéficier de ce Fonds mutuel contribuent aussi
à l'alimenter...
De qui dépend cet organisme ?
Henri : Il a été
créé par le Congrès des Peuples.
Alain : Chaque année, il finançait
une petite dizaine de dossiers...
Henri : Surtout en Afrique !
Alain : Oui, maintenant on travaille beaucoup
en Afrique. Aussi en Haïti... Les gens montent leurs projets,
l'idée c'est l'autosuffisance alimentaire pour aider les gens, ils
proposent le projet au Fonds. Le secrétaire Général de
cette institution est ...quoi ? Togolais ?...
C'est sous forme d'ONG ?
Alain : Oui oui, de toutes façons, on ne
bénéficie d'aucune aide ni des états ni de personne, on
compte sur nos propres moyens...
Henri : Chaque citoyen du monde cotise, si vous
voulez.
J'ai quelques questions à vous poser, pour
reprendre un peu du début. Quel est le statut juridique de Citoyens Du
Monde : une association loi 1901 ?
Alain : Oui, parce que l'organisation Citoyens
Du Monde est une marque déposée...
Henri : En fait, c'est une invention d'un
combattant américain, Gary Davis, qui a lancé cette idée
de Citoyens Du Monde.
Elle est inscrite sous quel nom ?
Alain : Pour être clair ce n'est pas le
nom de Citoyens Du Monde qui est déposé à la
préfecture de Pairs. C'est Association Ses Secrétariats de
Citoyens Du Monde.
Où se situe le siège ? en France
?
Alain : On n'a pas de siège officiel.
Henri : On est à Paris, on a qu'un bureau
à Paris.
Henri : Rue de Victor Duruy, c'est un local qui
a même été détruit, on nous a lancé une bombe
un jour... parce qu'on était considérés comme des
révolutionnaires...
Alain : On passait pour des farfelus, des gens
dangereux !
Henri : Dangereux !
Alain : Parce que c'est une idée qui est
dangereuse pour le simple citoyen. On est passés aussi pour une secte,
il faut pas le cacher, alors que tout est ouvert chez nous...
L'idée de Citoyens Du Monde est assez mal
comprise ?
Alain : Ah oui, oui, parce qu'en fait on part
de l'origine : que l'homme est un citoyen du monde. Que, en fait, les pays ont
été fabriqués artificiellement, ça c'est
déjà quelque chose que les autorités n'aiment pas comme
idée. C'est pas difficile à comprendre, l'identité
nationale dans tous les pays s'est faite pour rassembler tous les gens autour
d'un pouvoir autoritaire.
Au niveau du bureau de Victor Duruy, qui assure les
soutenances ?
Alain : Ce sont des étudiants, il y a
deux jeunes filles qui font la permanence le samedi matin.
Henri : ...Qui n'ont pas de formation spécifique.
Alain : C'est la petite-fille des Marchand, qui
a repris du service. On n'a pas de personnel salarié.
Henri : On n'a aucun salarié. Ce n'est pas comme le
rotary club (rires). Ce sont tous des bénévoles.
De quel type d'équipement dispose
l'association : du matériel électronique ?
Alain : Non, on travaille tous avec notre propre
matériel, on n'a pas de locaux officiels. Quand on a des
réunions, c'est le centre local qui l'organise avec ses moyens.
L'association a-telle des publications
?
Alain : Un bulletin. Il devrait être
trimestriel. Ça devrait. Ça dépend.
Et comment ça fonctionne ? Il y a un
abonnement ? Vous le publiez et vous l'envoyez aux personnes qui sont
inscrites?
Henri : C'est un abonnement qui coûte
10€ par mois, sinon on peut l'acheter séparément. Mais on le
trouve pas dans les kiosques (rires), c'est dommage !
Combien de membres y'a-t-il dans le bureau ? Alain,
vous êtes le secrétaire général?
Alain : Non, non, non, je suis pas
secrétaire général de Citoyens Du Monde, je suis le
secrétaire d'une association qui dépend de Citoyens Du Monde:
l'ASCOP- Citoyens Du Monde, qui est la branche militante. Vous voyez nous
sommes tous jeunes (rires). On n'est nés qu'en 2004.
Le CA est composé de combien de personnes
?
[ils cherchent]
Alain : Il y a une liste, je sais pas si tu
as la dernière ? ... Attendez, attendez, en 2005 il y a eu [il continue
de chercher], bon, ça je pourrai vous le renvoyer, mais on est environ
15 personnes qui composent le conseil d'administration. [S'adressant à
Henri] tu rectifies si je dis des bêtises.
Quelles sont les fonctions exercées par ces
membres ?
Alain : Il y a un président, un
secrétaire généra, moi, Henri à la
trésorerie, ... [il cherche], bon, là je pourrai vous donner des
détails après.
Quelle est la durée des mandats
?
Alain : Normalement on renouvelle le registre
tous les 2 ans.
Henri : Non, non, c'est tous les ans, à
l'Assemblée Générale.
Alain : Le renouvellement du conseil
d'administration ?
Henri : Oui, enfin, le renouvellement... sa
confirmation, parce que ça change pratiquement pas !
Vous faites des réunions
régulièrement, j'imagine ?
Alain : Oui normalement, il y a des
réunions régulières.
Henri : En principe tous les centres locaux
viennent exposer leur travail. Ils viennent une fois par an. Mais, comme des
centres locaux, y'en a de moins en moins... y'en a peut-être combien ?
Une dizaine, qui fonctionnent encore ?
Alain : Maintenant c'est remplacé par des
groupes qui animent, qui existent au niveau local.
Henri : Mais à un moment donné il
y avait 30 locaux qui fonctionnaient par département. Aujourd'hui, y'en
a peut-être 5 ou 6 qui marchent.
Alain : Non, les 30, on les a encore sur le
papier, mais qui fonctionnent vraiment, oui, il y en a 5 ou 6. Efficacement.
C'est remplacé par des groupements de l'ASCOP, qui, en fait, travaillent
sur le terrain, et qui délivrent les cartes ... mais qui n'ont pas la
référence, donc, « centre d'enregistrement ».
C'est un mouvement qui commence à reculer un
peu ? C'est curieux ...
Henri : Ben, les plus vieux militants sont morts
!... ou disparus. Ca s'essouffle
Alain : Le grand moment de Citoyens Du Monde,
ça a été après la guerre.
Henri : On n'arrivait plus à
délivrer les cartes, tellement il y avait de demandes, c'était
fou ! Alain : Au japon, en Australie, ...
Henri : Partout... dans le monde entier. Les
gens en avaient tellement marre de la guerre, il y avait une aspiration
à la paix !
Alain : C'est pour ça que la base de ce
qu'on fait...
Henri : C'est le geste symbolique de Garibaldi,
sur le marché de Chaillot, déchirant sa carte... c'était
un militaire, un aviateur...
Alain : ...Son passeport de citoyen
Américain,
Henri : « Je ne suis plus Américain,
je suis maintenant citoyen du monde ». Ça a créé, si
vous voulez, un évènement fantastique.
Il s'est installé avec une tente, c'est
ça ? Dans le jardin à l'extérieur du Centre des Nations
Unies ? Alain : Oui, et puis il y a eu ces manifestations au
Sénat, ou... [A Henri] C'est pour ça que je voulais te voir. Tu
as plus en mémoire ce qui s'est passé au Sénat, quand ils
ont interpellé les députés. De cette période,
où il y a eu un élan, vraiment, Citoyens Du Monde, et pas
simplement qu'en France.
Mais cet élan, il est né aussi de la
réorganisation des Nations Unies ? Alain : Non,
c'était contre les Nations Unies, qui sont étatiques.
Mais ce mouvement restait encore attaché aux
souverainetés nationales ?
Alain : De toutes façons c'est ce
qu'on continue de dénoncer. Il faut, au niveau mondial, des
institutions, de la démocratie mondiale, pour régler un certain
nombre de problèmes qui nous concernent tous. On l'a vu avec
l'environnement dernièrement à Copenhague : on ne peut pas du
jour au lendemain convoquer des réunions sans préparation, sans
travail préparatoire, etc... Il faut que ce soit quand même des
institutions qui travaillent à longueur d'année sur le sujet, qui
font avancer les choses et qui rappellent aux politiques qu'ils ont pris des
engagements.
Mais ils peuvent pas... bon, les grandes messes, c'est
nécessaire, mais c'est pas...
Henri : Nous on veut rendre la parole aux
peuples. Voilà. Contre les états.
J'aimerais que vous me l'expliquiez avec vos propres
mots ce qu'est Citoyens Du Monde. Ces que signifie être un citoyen du
monde...
Henri : Moi, j'ai une définition
personnelle qui dit : « est citoyen du monde tout individu qui a
élargi sa conscience civique à la dimension de la planète
». Vous savez ce que c'est que la conscience civique ? Bon, ben
voilà. Pour moi, c'est ça la définition.
Alain : Oui, elle est bonne.
Henri : Vous êtes citoyen
français, vous êtes citoyen de votre commune. Moi, je suis citoyen
de Fontaineles-Dijon [?], je suis citoyen de la Bourgogne, je suis citoyen
Français. Mais au-delà, je suis citoyen de la planète.
Alain : On est que des locataires de notre
planète.
Et comment vous articulez tout ça avec vos
nationalités ? Vous êtes français...
Henri : Oui
Alain : Ben, justement, c'est ça notre
travail, et, bon, on a vu les difficultés l'année
dernière. Le gros problème c'est la langue de communication. Dans
le temps... et encore maintenant, on devrait utiliser l'esperanto. Je ne sais
pas si vous connaissez ? Mais y'a trop peu de gens qui parlent encore
l'esperanto et bon... les nouvelles générations...
C'est difficile l'esperanto !
Alain : c'est le problème de la langue
internationale, et le problème de l'hégémonie de l'anglais
par rapport aux dépôts [de brevets ?]. Tout ce qu'ils peuvent
avoir comme richesse à travers les brevets, les dépôts. Je
sais pas si vous vous allez le défendre en anglais, votre mémoire
?
Je n'ai pas prévu de le
traduire...
Alain : parce que maintenant, pratiquement dans
certains secteurs il faut qu'ils défendent leur thèse [en
anglais]...Ce qui est dommage, le monde est en train de perdre la richesse d'un
tas de langues !
Mais l'anglais, c'est un bon compromis, parce que
c'est relativement simple, c'est accessible...
Alain : Mais on remet tous les instruments du
savoir aux mêmes. Il y a quand même des pays qui étaient
à l'avant-garde : regarde, les universités chinoises avaient des
cours d'esperanto.
Henri : Et les pays de l'est avaient... au
niveau bac, de l'esperanto. Tous les pays de l'est ! Alain :
Ils redemandent de l'avoir de nouveau...
Henri : ... Et l'Europe : actuellement,
compte-tenu de la multitude de pays qui adhèrent à l'Europe, ...
ils envisagent de demander aux gens d'utiliser l'esperanto. Parce que ça
coûte une fortune de traduire tout ça ! Alain :
Dans toutes les conférences internationales, c'est ce qui
plombe financièrement ! Au niveau de la traduction ça demande un
budget énorme, énorme. Et encore, les mots... chacun les
interprète à sa façon, la façon de les entendre. Au
niveau des textes internationaux, vous savez que c'est très important,
qu'un mot veuille dire exactement la bonne chose.
Henri : Sur le plan scientifique, je crois
que même dans beaucoup de cas, on parle l'esperanto pour permettre de
traduire dans d'autres langues. C'est l'esperanto qui sert de base. Pour passer
d'une langue à l'autre.
Alain : Mais, il y a à travers le
monde une fédération de l'esperanto, qui est très vivante,
qui agit beaucoup. Ils font des énormes congrès avec 115 pays, de
différentes langues, qui parlent tous en esperanto. C'est impressionnant
!
Henri : Moi j'ai été à
un congrès « espérantiste » international à
Vienne, on était de 50 nations ! 50 nation ! On était 1200
personnes. C'était tout en esperanto, toutes les discussions. A cette
époque-là, le président de la république Autrichien
était espérantiste. On a été reçus
là-bas... c'était merveilleux !
Alain : Il y a une littérature, c'est
très développé...
En tant qu'association vous défendez aussi
l'esperanto ?
Alain : c'est notre langue officielle.
Henri : Il y a en France un centre de formation
à l'esperanto. Il y a des groupes locaux, des cours sur Internet, des
cours à la radio...
Mais à l'université, il y en a peu
?
Henri : Il y avait, un moment donné, des
universités qui délivraient un diplôme d'esperanto. Mais le
gouvernement a essayé de casser tout ça, parce que c'était
« contre le français » (rires).
Tout à l'heure, quand je vous ai demandé
votre nationalité, vous m'avez dit « français »... pas
convaincu ?
Henri : si, je suis français... mais je
suis d'abord citoyens du monde.
Quelles sont les sources de financement de l'association
?
Alain : Nos cotisations. Et jusque dans les
années 90-2000, il y avait quand même de gros donateurs.
Henri : Voilà, il y avait beaucoup de
mécènes, ..
Alain : ..Qui découvraient
l'idée....
Henri : En général
c'était eux qui finançaient les frais pour le Congrès Des
Peuples. J'ai même le cas d'un viticulteur bourguignon... tu te rappelles
? Il m'avait donné... pas une fortune, mais à l'époque
ça représentait peut-être 1000€ ! Comme ça ! Un
viticulteur qui avait des sous ! Qui venait de faire un stage en Inde. Un stage
de quoi... ? d'ashram ? Il était converti, un petit peu ! (rires)
Alain : C'est pour ça qu'on a des gros
problèmes, parce qu'il y a des religions qui sont mondialistes. Et
régulièrement ils confondent la notion de civisme, avec leur
notion d'engagement religieux. Et là, il faut qu'on défende
fermement. C'est vrai que c'est des très bons Citoyens Du Monde. Mais on
ne veut pas qu'ils mélangent les deux.
C'est une démarche avant tout politique
?
Henri : le terme Citoyens Du Monde, il y a des
gens qui s'en servent.
Alain : D'où la résistance que
je vous dis, des anciens, qui sont fermes, tranchés, et qui disent
« attention, si vous passez au militantisme, vous allez être envahis
de gens qui vont vouloir utiliser l'idée pour leur propre compte. »
Voilà la grande séparation qui se fait. Mais il y a aussi
beaucoup de religions qui ont une dimension humaniste, même si c'est au
service d'une cause autre.
Vous n'avez pas de subventions de la part de
l'état ?
Henri : Ah non !surtout pas ! (rire)
Alain : Si seulement ! (rire) depuis des
années, on demande aux villes qui nous rejoignent, et aux états
qu'ils prélèvent une partie du budget de la guerre pour financer
la paix. Tout ce qui peut aller dans le sens de la paix à travers la
planète. On attend encore cette subvention, qu'ils
prélèvent sur l'armée... c'est pas pour demain !
Quels sont vos rapports avec
l'administration?
Henri : Ils sont pas mauvais.
Alain : On est pris pour de doux rigolos.
Un peu incompris ?
Alain : On est gentils (rire) : « ils sont
gentils ces gens là ».
Henri : Mais, à un moment donné
moi j'ai été surveillé par les ... comment ça
s'appelle ?... renseignements généraux. Quand je suis
arrivé ici.
Alain : Par exemple, vous pouvez constater, il
est très difficile pour nous de faire passer un article dans la presse.
C'est une forme de censure. C'est la « censure gentille » .
Vous vous sentez un peu discriminés ?
Alain : Non, j'aime pas ce terme «
discriminé »..
Henri : Suspects !
Alain : Ce serait de la discrimination si
ceux qui rédigent le journal recevaient des ordres directs de la part
d'un supérieur. Mais, là, tu sais, au niveau de la
rédaction, ils pensent que ça concerne très peu les gens.
« On va passer celui qui a volé une voiture à coté :
c'est beaucoup plus médiatique que cette idée de
citoyenneté du monde ». C'est pour ça que j'aime pas le
terme de discrimination. C'est plutôt que les valeurs de
médiatisations des choses qui...
Et vous pensez que c'est dû à quoi, ce
problème de médiatisation?
Alain : c'est comme l'Europe...
Henri : C'est une suspicion. On est un petit peu
une démocratie, alors que les états, c'est le pouvoir.
Alain : Les états, c'est le pouvoir.
Dès qu'on commence à leur parler de se séparer de certains
pouvoirs pour le donner au niveau européen... Maintenant, pratiquement
toutes les décisions sont prises au niveau de Bruxelles, mais aucun
état n'accepte de dire qu'ils ont été obligés de se
défaire de certains pouvoirs par rapport à Bruxelles. Ce qui
s'est passé pour l'Europe, on peut très bien le transcrire au
niveau de la citoyenneté mondiale. Il y a cinquante ans, qui se serait
déclaré citoyen européen ? Et maintenant, on est tous des
citoyens européen. On sait très bien que la plupart des
décisions, ben c'est pas à Paris qu'elles se prennent.
Et c'est plutôt une bonne chose ?
Alain : Oui.
Henri : Oui. Il y a une évolution des
mentalités.
Alain : Non, mais bon, ce
phénomène, vous le rencontrez pas rien qu'en Europe : si vous
allez dans certaines régions géographiques... Regardez en
Amérique du Sud... bon malheureusement c'est toujours l'économie
qui commence par rassembler les pays. Malheureusement, les citoyens, on passe
en dernier. Mais il y a maintenant des bassins d'intérêts mutuels
qui se créent à travers la planète, pour arriver à
avoir des règlements communs,... On va vers la mondialisation. Bon,
là aussi c'est la mondialisation de l'économie, c'est un souci,
on l'a malheureusement vécu... maintenant il faut arriver à faire
la mondialisation citoyenne pour qu'il y ait un contre-pouvoir des individus
face à la machine économique, et ça c'est toujours plus
... en Europe, on l'a pas encore réalisé.
Par exemple, un des problèmes des centres
d'enregistrement, c'est que les représentants des centres africains
n'ont pas pu venir à l'assemblée...
Un problème de papiers ? de visas ?
Alain : Oui, donc on va faire notre prochaine
réunions à Zagora, car il y a très peu de pays interdits
au Maroc, bien que ce soit pas un pays libéral... ah ! si, il y en a,
parce que je suis en pourparlers avec la consul du Maroc, et elle veut à
tout prix la liste des délégations qui seront présentes au
Maroc, parce qu'ils voudraient faire quelque chose d'assez retentissant. Et
elle me dit « je ne peux pas proposer ça au ministère des
affaires étrangères là-bas s'il y a des
délégations qui n'ont pas le droit de venir au Maroc ». Mais
j'en ai pas encore trouvé parmi chez nous (rires). Ce problème
des visas est important
Henri : Des gens suspects, des terroristes
(rires) on en voit partout ! Surtout qu'en Europe, c'est pas toujours
démocratique ! On a des problèmes...
Alain : un jour, peut-être, vous ferez
une thèse sur la démocratie sur la planète (rires)...
c'est encore pire que les Citoyens Du Monde! ... quels sont les pays
démocratiques ? ...qui appliquent le droit universel de l'homme ? mais
bon, on a un peu changé de sujet !
Qu'est-ce que vous pouvez me dire à propos des
adhérents de l'association, des militants de Citoyens Du Monde. Sont-ils
étrangers ? Français ? Étudiants ?
Henri : Ils sont français...
Alain : Premièrement, on n'a pas
d'adhérents. C'est des gens qui prennent leur carte pour s'inscrire sur
le registre des Citoyens Du Monde. Pourquoi ils s'inscrivent ? Pour pouvoir
être sur les listes électorales, pour voter pour désigner
des délégués. Donc on n'a rien à voir ni avec un
mouvement, ni avec un parti. Henri : Beaucoup de gens prennent
leur carte pour pouvoir voter...au congrès des peuples
Alain : Voilà. On n'est pas un parti, on
n'est pas un mouvement.
Et pourtant, c'est une démarche politique
?
Alain : Oui, mais la vraie démarche.
La vraie politique. C'est le sens noble du mot politique. Parce que maintenant,
c'est pareil, les gens lient la politique avec une démarche de profit
pour eux, d'intérêt personnel, etc..
Et pourquoi ne pas se présenter directement comme
un parti politique ?
Henri : Non, pas du tout.
Alain : Les centres d'enregistrements, et le
registre, ne peut pas refuser de délivrer une carte de citoyen. Les gens
s'engagent sur - moi je l'ai pas sur moi, ...- sur une petite phrase comme quoi
ils acceptent de faire partie de la communauté mondiale en tant que
citoyen. C'est cette phrase-là qu'il faut qu'ils acceptent. Mais
à partir de là, on demande ni la couleur de leur bulletin de
vote, ni leur religion, ni...
Henri : Dans la carte, on vous délivre un
petit document, qui est un engagement.
Elle est toujours dans mon portefeuille ! Elle m'a servi une
fois, pour aller en Angleterre, je l'ai présentée comme ma carte
d'identité, et on l'a acceptée ! (rires)
Alain : Mais c'était une autre
époque ! Maintenant tu pourrais plus le faire...
Henri : J'ai pas le papier dedans, j'ai dû
le sortir une fois...
On peut l'avoir dans toutes les langues du monde !
Alain : Voilà la phrase clé des
Citoyens Du Monde: ici. Et à partir du moment où la personne
accepte cette phrase là, on ne peut pas lui refuser sa carte. C'est pour
ça qu'on n'est pas un parti.
Ca dit « tout en conservant ma nationalité
». Donc Citoyens Du Monde n'est pas opposé à la
nationalité ?
Alain : Oui, mais on la voulait pas.
Là aussi, ceux de l'origine ne la voulaient pas cette phrase. Mais
là ça allait à l'encontre des états... Moi aussi
c'est toujours une phrase qui me choque, mais ...on est originaires de notre
lieu de naissance. On veut bien former une citoyenneté, c'est quand
même le lieu où on est né, où on grandit, où
on habite, etc... La notion de nation, ...c'est le militariste qui a sorti
cette notion de nation pour que les gens puissent aller faire la guerre. La
nation va pas très bien avec l'image... même les pacifistes
parlent plus de pays que de nation... dès qu'on parle de
sécuritaire, de repli sur les valeurs, de l'individu, on retourne
à la « nation ».
Aujourd'hui la carte est toujours comme ça
?
Alain : Ben oui, on voulait la plastifier, etc,
mais, là, c'est...
Ah ben si, vous l'avez !!
[il lit] ..voilà « la citoyenneté mondiale
applique le droit de voter pour une représentation directe à une
assemblée mondiale des peuples ». C'est la préfiguration,
c'est...Parce que depuis le départ, on s'est dit : l'assemblée ne
pourra pas être constituée du jour au lendemain, il faut habituer
les gens à voter déjà pour des gens d'un autre pays. Parce
que là aussi, on n'arrive pas encore à le faire au niveau
européen : un français ne peut pas encore voter pour un Allemand.
C'est pour ça que même cette notion de citoyenneté
européenne, elle est encore entachée.
A partir du moment où au niveau européen ils
rédigent des textes qui ont valeur au niveau de l'ensemble de l'Europe,
nous, citoyens, on devrait avoir aucun mal à voter pour un candidat
polonais ou un.... Ou un anglais. C'est là qu'on voit notre
nationalisme, encore. Le jour où un français pourra mettre dans
l'urne le bulletin d'un allemand ou d'un anglais... là ce sera une bonne
chose
Henri : C'est toujours « nos ennemis »
! (rires)
Je le retrouve pas...j'ai tellement de choses qui sont mal
classées... (rires) Vous voyez, à un moment donné, dans
les départements, on avait un cahier où on enregistrait les gens,
et on délivrait la carte. Ces cahiers d'enregistrements, ça date
depuis 76. Là vous allez retrouver l'enregistrement d'Alain Bal.
Alain : Oui : 1980. Vous voyez qu'on n'en
délivre pas des masses. Et pourtant, pendant une période on a
été parmi les départements les plus importants.
Henri : J'ai quand même fait, à mon
époque, 92 enregistrements, avec le numéro de la carte qu'on
délivrait.
Et aujourd'hui, le registre compte combien de personnes
en tout?
Henri : Actuellement ? En France, je pense qu'on
est quelque chose comme 5 000.
Alain : Oui, on envoie à peu près
7 000 bulletins.
Henri : Et dans le monde, on parle de 150 000,
quelque chose comme ça. C'est quand même encore une petite
fraction de la population (rires).
Alain : Mais, quand même, beaucoup
d'hommes politiques emploient ce terme-ci.
Henri : A un moment donné Giscard
d'Estaing - vous avez connu Giscard d'Estaing ? - se déclarait tout
à fait mondialiste. Et son frère qui lui a succédé
se déclare également partisan du mondialisme.
Alain : Regarde Chirac, qui employait
plusieurs fois le terme de citoyen [du monde]... On l'a encore pas entendu dans
la bouche de Sarkozy (rires)... mais tout arrive ! Avant, dans un discours
d'une commune... Pourtant il y a des municipalités où il y a
pratiquement entre 20 ou 40 pays représentés dans la commune...
Et le maire n'allait jamais utiliser ce terme de Citoyens Du Monde. Et
maintenant il l'emploie. Donc il y a une petite évolution au niveau du
terme. ... Mais bon, ça s'arrête là.
Quelles sont les nationalités les plus
inscrites ?
Henri : j'avais fait un tableau de tout
ça....
Alain : Maintenant, c'est quand même les
africains.
Henri : La mentalité africaine est plus
évoluée que la mentalité occidentale (rires)...
Alain : A une époque il y en avait
beaucoup d'Europe...
Henri : ...Beaucoup plus pacifiques... les
noirs, en général...
Alain : Il y a une étude à
faire, ils ont ce sentiment...J'avais démarré des groupes sur
facebook pour, justement, sentir ce que le mot évoquait. Et un des
groupes les plus puissants sur facebook, c'est le groupe local Algérie.
Pratiquement, en l'espace d'un an, près de 300 personnes ont rejoint le
mouvement.
Pourquoi l'Afrique, à votre avis
?
Henri : Ben, y'a eu la francophonie qui a
peut-être aidé à ce développement aussi
Alain : Non, je ne pense pas. Non, c'est dans leurs
gènes, c'est dans leur culture.
Henri : Parmi les membres du congrès des
peuples, il y avait beaucoup d'africains, dans les élus. Il y avait un
avocat africain qui a fait beaucoup.
Alain : Il y avait des hindous, des
japonais...
Henri : Surtout les japonais aussi, à
cause de la bombe atomique [il siffle].
Alain : Il y a des mouvements qui nous
rejoignent, sur l'idée de Citoyens Du Monde. En Australie, il y a des
groupes qui rassemblent sur facebook pratiquement 200 000 personnes. Mais
ça rejoint plus l'idée de paix mondiale, de
sécurité, que de citoyenneté.
Henri : Le mouvement Bahaïi aussi. Vous
connaissez peut-être ? Un mouvement religieux iranien, ils sont tout
à fait d'accord ...
Alain : Ils se déclarent citoyens du
monde.
Henri : Les bahaïi sont présents
dans le monde entier. Je sais pas si j'ai pas un document...
Ca ne m'étonne pas. J'ai été en
Iran il y a quelques années. C'est un pays qui m'a
particulièrement marqué. J'ai trouvé que les Iraniens
avaient une conscience politique assez forte malgré...
Henri : voilà [il lit] « entre le
martyr et l'utopie : un mondialisme tranquille »... il y a quelques
explications...
Quand j'ai mondialisé ma commune, Orval, il y avait
énormément de bahaiis qui étaient venus. C'est des
idées très généreuses, et qui rejoignent les
nôtres
Alain : Mais il ne faut pas que ces
gens-là confondent religion et société civile. Moi j'ai un
peu travaillé sur ce problème. C'est vrai que la religion, c'est
une des rares choses que les gens ne peuvent pas avoir en double.
Henri : Actuellement, les religions divisent les
gens, à cause du dogmatisme.
Alain : On peut avoir plusieurs langues, mais
pas plusieurs religions. C'est vraiment la frontière qui enferme les
gens dans des ghettos bien particuliers.
Henri : Voilà la photo du grand
secrétaire général. Tu as entendu parler de Guy Marchand ?
Qui était un champion du monde de vol à voile. Il a
consacré sa vie au mondialisme, lui.
Alain : C'est vrai que toi tu t'es
dispersé avec la culture bio.
Henri : Je me suis pas dispersé... mais
les écologistes ont été les premiers, si vous voulez,
à prendre des mesures pour la défense de la planète. Les
vrais écologistes.
Alain : Pas les politiques comme maintenant.
Henri : Lui et sa femme ont consacré leur
vie au mondialisme. Pratiquement. Et leur fortune.
Alain : Ils ont fait des grandes choses pour
le mouvement, mais à la fin de leur vie, ils avaient créé
beaucoup de vide autour d'eux, et on a eu du mal à remettre des gens
pour faire fonctionner l'appareil, parce qu'en fait ils s'occupaient de
tout.
Henri : Oui, le mondialisme, c'était
déjà eux. (rires)
Quelles sont les conditions pour s'inscrire
?
Henri : Juste que les personnes acceptent cette
phrase.
Les sans-papiers ne sont pas exclus
?
Alain : Bon débat !!(rires)
Henri : Au contraire ! Les Roms, notamment. Les
sans-terres. On les accepte. La maison de assez de
Mulhouse, elle accueille tout le monde ! C'est une création de
l'alter-mondialisme.
Alain : Mais là il cherche à vous
disperser, (rires) il entame ce qui est réellement sur le terrain, la
citoyenneté mondiale, qui était notre base, et qui renouvelle
totalement notre démarche.
Quelle est la typologie des gens qui participent :
des étudiants ? des « écolos »? des gens plutôt
jeunes ? Henri : C'est difficile à classer. On est ouverts
à tout.
Alain : On ne peut même pas dire que c'est
un mouvement d'intellectuels. Il y a des artisans. Henri : Il
faudrait que je regarde dans mon cahier pour vous dire un peu...
[il lit] Ici, il y a eu un professeur, un curé, un
postier, une infirmière. Il y a eu un mouvement mondialiste qui s'est
créé autour d'un curé dans le jura.
Alain : Il faudrait que je
téléphone à Daniel pour voir s'il a travaillé cette
question de la typologie... Le registre est centralisé. Il faudrait vous
mettre en rapport avec Daniel Durand, qui centralise les enregistrements.
Henri : [il parcourt son cahier] Un agent des
PTT, un commerçant, une surveillante d'hôpital, pas mal
d'étudiants...
Alain : C'est une bonne question !...
Henri : ...Un employé communal...
Alain : On était présents dans les
universités aussi.
Henri : On faisait des conférences.
...Une infirmière, un employé de banque, un magistrat en
retraite, un artisan...
Alain : On ne peut pas dire que c'est plus
particulièrement des jeunes ou des vieux.
Henri : Un qui était président de
la ligue des droits de l'homme à Dijon...Encore un étudiant, une
institutrice, un ingénieur... un sans profession, un technicien...
Alain : Des femmes au foyer ?
Henri : J'ai ta fille, là...Il y a
vraiment de tout. Un philosophe, aussi, qui a fait un énorme ouvrage.
A quel moment le mouvement a-t-il gagné le
plus d'adhérents ?
Henri : après la guerre. Pendant
peut-être 7 ou 8 ans après la guerre.
Alain : Entre 50 et 60.
Henri : Après la signature de
l'armistice. Vous trouverez tout ça dans le bouquin que je vais vous
passer, qui a été écrit par un mondialiste qui existe
toujours : par Rolf Paul Haegler, qui est un Suisse, et en plus un musicien de
talent « Histoire et idéologie du mondialisme ». Là,
vous avez toute l'histoire. Ce bouquin est très, très
intéressant. Y'a toutes les étapes avec les dates et tout. C'est
une somme remarquable de l'histoire du mondialisme. Bon, faut vous le farcir...
Je vous le laisse.
Alain : Les livres ça doit servir, c'est
pas pour rester sur un rayonnage.
Henri : C'est une histoire passionnante, la
mondialisation. Faut voir les évolutions qu'il y a eu ! Alain :
Et c'est pas barbant !
Henri : Avec ça vous avez de quoi
bâtir une thèse sérieuse (rires).
Ma recherche porte sur l'identité
cosmopolitique, sur cette façon de dépasser la logique du
national. Ca a commencé par une inquiétude personnelle. J'ai
quitté mon pays il y longtemps, environ une dizaine d'années.
J'ai vécu en Espagne, en France, en Afrique du Sud. Et petit à
petit je me suis rendu compte que la nationalité n'avait pas beaucoup de
sens.
Henri : Vous avez tout découvert,
là ! Il y en a qui ne le découvrent jamais dans leur vie. Si
à votre âge vous l'avez découvert, vous avez tout
gagné (rire).
Ma recherche porte sur ça : quels sont les
chemins pour arriver à comprendre ça. J'ai choisi Citoyen du
monde parce que c'est une démarche plus politique, plus
intellectuelle...
Henri : Globale. De dépassement
d'identité.
J'ai vraiment envie de porter ce sujet plus loin.
Je suis en master migrations internationales, l'université nous demande
de faire un mémoire. J'ai voulu étudier ce sujet, comprendre
l'histoire, les bases sociologiques, intellectuelles, savoir ce qu'est la
nationalité, ce qu'est l'état-nation, ce qu'est la
citoyenneté. J'avais envie d'expliquer ce changement que j'avais
vécu personnellement.
Alain : Vous avez plusieurs vies devant vous ?
Parce que le sujet est inépuisable ! (rires)
(...)
Alain : Et j'ai mis longtemps à
répondre, car en ce moment je donne priorité à tous les
groupes qui sont en train de se créer en Afrique.
Henri : Je vais vous donner un petit document
humoristique aussi, qui a été fait par le fils de Guy Marchand.
Une bande dessinée « pourquoi Citoyens du Monde? ». C'est bien
fait ce machin.
Henri, vous étiez maire, avant
?
Alain : Oui, il était maire d'Orval, dans
le cher, il a mondialisé sa ville.
[...]
Il y a des gens qui ont été à l'origine de
la volonté de développer le groupement. Peut-être qu'il y a
des noms que vous connaissez. A l'origine c'est des gens comme ça qu'on
n'a pas su intéresser.
[...]
Alain : [il montre un document] Et ça
quand est-ce que tu l'avais fait ?
Henri : Il y a longtemps ! Quand j'étais
à Chaudefon [?]. J'ai dû faire un exposé sur le
mondialisme. Mais ce tableau-là figure sur des documents.
Alain : Je ne l'ai jamais vu figurer quelque
part. Daniel en a fait un, mais moins complet que le tiens. [...]
Henri : [il montre une photo] Notre
secrétaire général, Guy Marchand, a également pris
la parole à l'ONU. Pour présenter nos positions. Il a
voyagé dans le monde entier. Aux Etats-Unis, il y avait des groupes
importants.
Alain : Normalement on a un
représentant dans les « sous-sous-sous-sous-commissions » de
l'ONU. Parce que l'ONU rassemble aussi un certain nombre d'organisations
à travers la planète, et c'est là-dedans qu'on a un
représentant.
Henri : Dans ce petit document, là,
vous avez une grande partie des grandes déclarations du congrès
des peuples : sur l'environnement, les nations unies, l'énergie
matière première, notion mondiale, population, alimentation, les
femmes, l'environnement, les droits de l'homme... toute la position des
mondialistes sur ces grands problèmes.
Alain : Oui, parce que la base, c'était
les droits humains, les besoins fondamentaux, la gestion des mères. On
revendiquait que les citoyennes doivent pouvoir donner leur position.
Henri : La santé, aussi. Vous voyez qu'on
s'est occupés de beaucoup de choses, hein ? Et pas seulement des
citoyens.
Alain : C'est un peu ce qu'on nous reproche,
c'est qu'en fait...
Henri : On emmerde tout le monde ! (rires)
Alain : ...On a voulu brasser, et maintenant,
dans les nouveaux groupes qui se forment, ils me disent « il faut
recentrer », pour qu'on puisse amener de nouveaux citoyens du monde. Il
faut qu'on leur donne un menu. Un menu de travail, un point c'est tout. Parce
que c'est trop vaste, les gens sont perdus, ils écoutent pas...
Vous disiez que vous avez 30 centre locaux, dans 30
viles différentes ?
Henri : Non, des centres locaux, il y en avait
30 au début, mais il doit y en avoir 5 ou 6 qui fonctionnent encore. Si
c'est l'historique, vous pouvez parler de 30.
[il montre une photo] Ca c'est le professeur Mallet [?],
recteur de l'université de Paris. C'était un grand mondialiste,
il faisait des conférences de partout. Pour développer
l'idée. Il est venu faire une conférence à
l'université de Dijon.
Alain : Des pièces d'archives !
Vous avez un organisme fédérateur ? Il
est basé à Paris ?
Alain : L'organisme fédérateur,
c'est normalement le secrétariat du registre.
Avec quelles autres associations travailez-vous
?
Henri : Les pacifistes en
général. ...les espérantistes.... Les écologistes
aussi. (rires) Moi, je suis très écologiste. Je suis vert. Je
mange biologique depuis 50 ans ! J'ai mon jardin. C'est grâce à
ça que je suis encore en bonne santé, à 85 ans. J'ai 7
enfants, 13 petits-enfants, 3 arrière-petits-enfants. (rires)
Quelles sont vos relations avec les autres
organisations professionnelles, les syndicats, les pouvoirs publics, les
organisations diplomatiques, les organisations culturelles ?
Henri : Culturelles un peu. On a eu des
chanteurs dans le mouvement.
Alain : Oui, on a eu des artistes qui se sont
engagés de notre côté.
Henri : On a organisé à Paris,
à un moment donné, une réunion avec des artistes à
tendance mondialiste. Henri : Quelqu'un de Paris avait
contacté tout un tas d'artiste pour connaître leurs idées.
Ceux qui se déclaraient citoyens du monde ont fait une manifestation
culturelle. Il y a eu beaucoup de monde.[...]C'est pas très vieux,
d'ailleurs, ça date de 2 ou 3 ans, cette réunion à
Paris.
J'ai vu que vous faites des activités
parallèles aussi : il y a eu un partenariat lors de la route du rhum ?
Henri : Mais là c'est particulier. C'est la
première fois que ça arrive.
Alain : Normalement, on a eu 2 propositions
pour porter nos couleurs Citoyens du Monde cette année. C'est quelqu'un
qui fait de la voile, qui voulait mettre sur sa voile Citoyens du Monde. Du
coup, c'est surtout l'équipe de Paris qui soutient ce projet.
Ca donne une présence médiatique
?
Alain : Oui, voilà. Autrement, on
avait un monsieur qui , avec sa voiture électrique, voulait relier
Copenhague au Cap. Peut-être que vous en avez entendu parler ? Et je ne
sais pas ce qui s'est passé. Il a disparu dans la nature. Il doit
être dans son périple. C'est des gens qui se sont
déclarés Citoyens du Monde. Celui de la voile, contre le fait de
marquer Citoyens du Monde, il nous demandait seulement l'autorisation de
pouvoir faire des T-shirt, des casquettes... Tandis que celui qui faisait
Copenhague-Le Cap, nous demandait un soutien financier. Qu'on pouvait pas lui
accorder
Henri : Et il y a 20 ans, Yves Angelos [ ?]
avec les jeux de la paix. Quelqu'un qui a développé dans le monde
les jeux de la paix. Des jeux sportifs auxquels tout le monde peut
adhérer. Ce gars-là est citoyen du monde, et fait en même
temps de la réclame pour le mondialisme.
Alain : Ça devrait avoir lieu fin
août, en Italie.
J'ai vu aussi qu'il y avait des activités
militantes : à Dijon il y a une « marche » ?
Henri : Il y a eu une marche qui passait
à Dijon, et dans laquelle on pouvait participer. Je ne sais pas si
ça a eu lieu ou si ça va avoir lieu.
Non, mais on peut participer à beaucoup de manifestation.
On est très libres.
Alain : Chaque citoyen du monde a ses
goûts particuliers qui le font s'engager dans l'environnement ou les
droits de l'homme, ou.... C'est ce que nous ASCOP-Citoyens du Monde on regroupe
sous le militantisme pour la citoyenneté mondiale. C'est pour ça
que l'ASCOP- Citoyens du Monde, on a 80 associations à travers le monde,
qui elles-mêmes regroupent d'autres petites associations. Par exemple
ASCOP-Fonds mondial fait partie de l'ASCOP, mais eux-même ont environ 60
groupes à travers la planète. Et l'ASCOP avait été
vraiment créée pour ça : pour regrouper ceux qui faisaient
de l'action « citoyenne du monde » sur le terrain. Il y a
déjà tout ce qui regroupe les droits humains, qui est pas mal,
...la lutte contre le faim, le besoin de développement individuel,
l'éducation. Mais on laisse libre à chacun de militer pour la
citoyenneté mondiale localement, dans les organisations qui sont
bien.
Pouvez-vous m'expliquer les liens entre votre
association et celle de Paris ? Il y 2 pages web différentes
?
Alain : Sur les bases de quelques textes, on
est un réseau libre. Et chacun peut militer pour la cause comme il
l'entend. Et je ne veux pas dire que les Citoyens du Monde de Paris ne font
rien, parce qu'ils sont opérationnels dans un tas de groupements, mais
en fait, ils ont jamais jugé utile de redynamiser une vitrine, avec une
permanence. Et actuellement on est obligés d'avoir des vitrines. Les
gens, quand ils veulent avoir des informations, il faut qu'ils sachent
où s'adresser. C'est bien beau d'être dans un tas d'associations.
Pour ceux qui participent au niveau mondial, par exemple, ils vont pas casser
les pieds à tout le monde, continuellement en disant « prenez votre
carte de Citoyens du Monde». On est un réseau libre. Y'a pas
d'obligation. Il y a des citoyens du monde, ils prenaient une fois leur carte,
et on les revoyait plus jamais. C'était un acte symbolique qu'ils
faisaient. Une démarche.
Quelle est la périodicité de
l'élection du congrès des peuples ?
Henri : Au début, on voulait faire
ça tous les ans. Et puis après, en fonction des moyens
financiers, ça s'est espacé. Ca a été tous les 2
ans, et puis.... et maintenant on est en train de relancer. On est en train de
repartir sur des votes, pratiquement, tous les 2 ans.
Il y a 16 personnes élues dans le
congrès des peuples ?
Alain : Non, non, euh...ils sont combien
maintenant ?
Henri : Actuellement, on est en train
d'enregistrer les candidatures, les gens qui veulent se présenter, qui
doivent fournir un mémoire avec leurs idées mondialistes. On
prend pas n'importe qui, quand même (rires).
Alain : Il faut qu'ils aient la carte de
Citoyens du Monde, mais surtout on leur demande d'avoir eu une démarche
citoyenne du monde au niveau de leur région...
Henri : Ou de leur profession.
Et ça se fait au niveau mondial. Ca doit
être difficile à coordonner ?
Alain : Ah, c'est compliqué, oui ! Je
vous montrerai la liste, vous allez voir.
Henri : C'est un sacré travail !
Alain : Vous voyez, on a que des moyens
amateurs : on est bénévoles, personne est
rémunéré, la plupart du travail on le fait sur notre
propre argent. Nos déplacements aussi. On a très peu. Même
à l'origine, ça a toujours été ...
Henri : ... Un bénévolat.
Et où siègent ces
délégués ? Il restent éparpillés ?
Henri : Oui, dans tous les continents.
Et pour leurs activités, comment font-ils
?
Alain : Normalement ils doivent se
réunir. Tous les ans, en principe
Henri : Ils se sont réunis à
Liège il y a 4 ans, la dernière fois... non, là c'est plus
tous les 2 ans Alain : Moi, je ne suis pas
délégué du tout. Je laisse la politique aux gens
sérieux (rires).
Ca doit coûter cher ? Ils se déplacent
avec des moyens personnels ? Henri : Brasilia, ça a
coûté plus de 10 000€ !
Alain : Mais Brasilia, on a eu 2 chances.
C'était un directeur d'une station de télévision qui avait
pris en charge pas le voyage, mais tout le séjour.
Henri : Oui, une grosse organisation, d'origine
un peu mondialiste. Des gens du rotary, qui avaient beaucoup de fric.
Alain : Les brésiliens, pour le
congrès de Liège, avaient envoyé une
délégation de journalistes qui a tout filmé, et retransmis
à la télévision au Brésil ...et dans toute
l'Europe. Ils avaient des moyens financiers énormes !
Henri : C'est des gens riches, au Brésil
!
Alain : Mais le Brésil veut quand
même, à terme, avoir une position mondiale...
Henri : Actuellement, ils sont en train
d'essayer d'avoir une carte mondialiste qui soit comparable à la carte
visa. Une carte bancaire internationale, pas pour retirer du fric, mais pour
avoir une carte Citoyens du Monde universelle. Je sais pas si ça va se
faire, parce qu'il faut du fric aussi. Dans toutes les langues !(rires)
Et comment gérez-vous les différences
culturelles, les différentes façons de comprendre la
citoyenneté ou la démarche politique de Citoyens du Monde ? Par
exemple on parlait de religion tout à l'heure. Il y a beaucoup de
sociétés ou de cultures qui ne séparent pas le civisme et
la religion de façon historique. Alain : C'est la grande
difficulté
Henri : Je dirais que Guy Marchand, qui a
été un des fondateurs, était athée. Pour lui dieu
n'existait pas. C'était une invention des hommes. Sa femme, pareil. Moi
par contre je suis plutôt adhérent à toutes les religions.
J'étais au départ catholique, mais actuellement je suis comme
Saint Paul : chrétien avec les chrétiens, bouddhiste avec les
bouddhistes, païen avec les païens... J'adhère à toutes
les religions ! C'est formidable ! (rires).
Alain : Moi aussi je suis athée, mais la
base, c'est quand même les 10 commandements : tu ne tueras pas, etc.
C'est vrai que dans ma démarche, je ne veux plus
aujourd'hui que ce soit une idée ou une personne qui vienne me dire ce
que je dois faire de bien ou de mal. C'est un environnement, c'est une
société qui...Quand Sarkozy me dit « tu ne dépasseras
pas la vitesse de la route », je me dis « mais il va le faire, lui !
». Souvent, ceux qui décrètent pour les autres, eux
ils...
Henri : je vais vous faire un petit cadeau (il
donne un porte-clé)
J'en avais besoin, merci ! Ce logo, il existe depuis
le début ?
Henri : Non, c'est récent, ça,
c'est récent ! C'est moi qu'il l'ai fait faire dans la région
ici. Ah non, le sigle ?? Euh...Je crois que c'est Guy Marchand qui a dû
créer ça : ça représente un homme qui embrasse la
terre.
Alain : Moi j'ai fait des quantités de
maquettes de monuments mondialistes, également. Il y en a un peu
partout.
Qu'est-ce qui est arrivé l'institut
d'études mondialistes ? Existe-t-il encore ?
Alain : Oui !
Henri : Non ! L'institut n'existe plus, il ne
fonctionne plus.
Alain : Euh...Ca s'est transformé en
université d'été !
Henri : Oui, mais c'est plus sous la coupe de
citoyen du monde...
Alain : Si, si, Marc Gartet [?] travaille
avec eux. C'est lui qui...Ben, attend, il est quand même membre...
Normalement, c'était une agence de presse qui devait donner son avis
mondialiste sur ce qui se passait à travers la planète. Mais on
n'a plus personne actuellement pour la faire fonctionner. Donc, l'institut
d'étude mondialiste maintenant est remplacé par un
séminaire d'été, sur une semaine.
En fait, notre schéma ASCOP- Citoyens du Monde
ressemble beaucoup à cet Institut. [Il s'adresse à
Henri]Là, je suis en train de re-travailler sur ce que toi, tu
défendais comme idée : le secrétariat de coordination.
Mais ça a du mal à se mettre en place.
Henri : Je peux vous passer ça
aussi... mais c'est pas jeune, ça date de 73 « des livres pour les
hommes d'aujourd'hui ». Il y a toute une liste de bouquins. Je sais pas si
on peut les trouver parce que c'est très dur... mais vous avez des
commentaires sur chaque ouvrage.
[...]
Des bouquins, on en a écrit ! Moi j'ai participé
à « la Somme Mondialiste ». C'est le point de vue de plus de
150 personnes sur les problèmes du monde.
[...]
De la littérature mondialiste, y'en a des quantités
!
J'imagine que vous défendez aussi
l'idée d'une citoyenneté européenne ? Comme un premier pas
? Alain : Oui, comme toute notion d'élargissement de
l'appartenance à autre chose que la nation...
Vous n'êtes pas anti-nationaliste ? Votre
propos , c'est plutôt dépasser le national ? Alain :
Oui, dépasser.
Que pensez-vous du débat qu'il y a eu en
octobre sur l'identité nationale ?
Henri : Un faux débat, lancé par
Sarkozy pour occuper le terrain, au lieu de s'occuper des problèmes
locaux.
[...]
Ah, je savais bien que j'avais un tableau, tu vois ! Ca c'est
sur l'agencement des lignes de presse qu'on avait fait à un moment
donné. Ce bouquin-là il date date de 80-84.Tous les mois on
publiait dans un journal sur un problème local. La position des
mondialistes.
Ca n'existe plus aujourd'hui ?
Henri : ben, ça existe plus, parce que
personne s'en occupe. On faisait pratiquement que ça, à cette
époque : l'état civil mondial.
Alain : Je vois pas pourquoi on a
retiré cette histoire d'état civil. Parce que les nouvelles
générations aujourd'hui, elles disent « on refuse de
s'enregistrer sur des listes, quelles qu'elles soient ». C'est la peur,
c'est la crainte de s'enregistrer... on est tellement fichés aujourd'hui
! Ca, c'est vraiment le gros reproche que je peux faire.
Henri : Tout ça fonctionnait à
plein tube dans les années 50-60. Là, y'avait beaucoup de monde
!
Pourquoi ce mouvement a-t-il perdu de l'ampleur ?
Henri : Ben, parce que les gens sont décédés
!
Alain : ... et y'a pas eu de relais.
C'est curieux, quand même, parce que c'est un
sujet d'actualité !
Alain : Et je veux pas faire d'un ami un
ennemi, mais ça c'est la faute des Marchand : ils ont centralisé.
Tout ce qui pouvait se créer en parallèle, ils étaient
d'une méfiance ! On allait « mal orienter » ce courant
d'idée. Tellement ils étaient méfiant, que, ... en fait,
rien n'a pu rester. Quand eux ils ont disparu, il y a eu vraiment un grand
vide.
Henri : Ils avaient tellement peur du «
déviasionnisme » du mouvement, qu'on pouvait pas faire grand chose
en dehors d'eux, sans leur accord. Sinon, on était foutus en l'air. Et
comme ils ont consacré leur vie à ça.... Guy marchand, qui
était un ingénieur de haut niveau avait abandonné sa
carrière pour se consacrer à ça !
Alain : Oui, et puis il avait quand même
quelques moyens personnels.
Henri : Oui, il avait sa retraite
d'ingénieur et tout ça.
Est-ce que je peux vous emprunter ça
?
Henri : Oui, ça c'est intéressant,
parce qu'il y a toutes les positions du mondialisme sur différents
sujets. Ce sont des textes qui ont tous été
publiés un jour dans un journal ?
Henri : Oui, c'était publié ! Dans
la presse.
Sur différents sujets ?
Henri : Oui, oui. Il y a de tout ! Ca,
c'était quand même élaboré démocratiquement.
Guy Marchand avait une information, il consultait tous les gens de la base sur
le problème. Il nous écrivait, on se mettait d'accord
là-dessus, etc..
Alain : Et y'avait pas Internet à cette
époque ! (rires) Ca se faisait par téléphone. Avec les
Citoyens du Monde africains ou d'Asie, ça demandait 3-4 mois de trajet
pour la lettre.
Henri : Mais le téléphone marchait
mieux. (rires)
Alain : Mais y'avait moins de
téléphone que maintenant. On n'avait pas de portable.
Henri : On s'est occupé de tous les
problèmes de la planète. Et en plus dès qu'il y avait un
problème important dans le monde, une catastrophe et tout ça, on
prenait position : « voilà ce qu'on aurait fait nous si on
était à la tête du mouvement. »
Alain : On y travaille. Le secrétaire
général de l'ASCOP y travaille.
Vous avez voyagé ? Vous avez vécu
à l'étranger ?
Henri : Moi, j'ai voyagé pour mon
travail dans pratiquement tous les continents. J'étais chef de
bureau d'étude. En construction de matériel ferroviaire, de
wagons, et puis après de container. Vous connaissez les container
Sipler [?] ? Des trans-containers, qui voyagent partout. En Afrique du Sud
j'allais souvent.
On avait vendu une licence de container à une usine qui
avait acheté cette licence, et j'allais là-bas pour surveiller
les travaux. Donc j'étais très souvent en Afrique du Sud.
Et votre réflexion sur la citoyenneté
mondiale, elle est liée à votre expérience de travail
?
Henri : Non, pas du tout : c'était
lié...j'étais engagé volontaire dans la guerre : FFI,
maquisard. Et puis à la fin de la guerre j'ai découvert le
mondialisme dans les journaux, et j'ai adhéré au mondialisme. On
en avait tellement marre de la guerre, à l'époque !
Alain : Aux origine, il y a eu pas mal
d'officiers.
Et vous, Alain ?
Alain : Moi j'ai découvert
l'absurdité des frontières très tôt.
Henri : Tu as fait la guerre d'Algérie
toi ?
Alain : Oui, mais moi ça remonte plus
loin que ça. Tout gamin -je sais pas si le mouvement existait
déjà - mon père qui était douanier, en 46-47 avait
été envoyé en Sarre. C'était l'occupation
française. Du coup, on nous avait réquisitionné des
appartements chez les anciens nazis. Et en fait, avec ma vue de gamin, je
passais plus de temps avec le propriétaire des lieux, qui m'emmenait
dans la forêt, qui achetait du bois dans la forêt... et en fait
quand j'avais 14-15 ans, on m'a dit : « tu sais que c'est un nazi,
ça. C'est un Bosch ». J'ai dit « y'a vraiment un
problème ». Parce que pour moi qui n'avais pas connu mon
grand-père, je le considérais comme un grand-père. Ca
m'est resté tout le restant de ma vie, ça.
Et puis après j'ai vu pendant la guerre
d'Algérie, où en fait, à des gens normaux, on arrivait
à faire faire des choses affreuses. Simplement parce qu'il y avait... au
nom d'une nation, des valeurs, il fallait... on peut faire n'importe quoi avec
ces notions de...
Et vous avez pu, alors que vous aviez
déjà une conscience mondialiste, vous engager quand même
dans l'armée ? C'est un peu paradoxal non ?
Alain : Ben, vous voyez, le président
de la maison de la citoyenneté internationale de Mulhouse, pendant la
guerre d'Algérie, il a aidé le FLN. Bon, moi je n'ai pas fait
d'action comme ça, j'en ai fait d'autres. On a été
à l'origine du refus de partir en Algérie. Les appelés se
sont mis en grève. On s'était assis sur les bois [?], en disant
que ça servait à rien du tout qu'on aille en Algérie. Ca
m'a valu quelques mois de prison. C'est là que le colonel m'a dit «
tu sais, Alain, toi t'es con, mais l'armée, c'est encore plus con que
toi ! Donc si tu veux leur tenir tête, ils y arriveront » . C'est
vrai que les derniers appelés, c'était dans les années 60,
et les derniers qui ont été libérés, c'était
Giscard D'Estaing en 76 qui a libéré les derniers ! C'est pour
vous prouver la bêtise de l'armée. Du coup, j'ai trouvé
plus utile après l'armée : rester en coopération en
Algérie. J'ai passé plusieurs années en coopération
en Algérie. D'ailleurs, j'y étais au titre des Nations-Unies, et
mon boulot c'était de récupérer l'artisanat dans les
villages Algériens en 62, au moment de la fin des hostilités. Mon
boulot, c'était avec un chauffeur algérien de partir
jusqu'à Wargla [?] dans les villages algériens, où j'ai
toujours eu un accueil formidable. Quand je rentrai à Alger on me disait
« on t'a pas tranché la gorge ? » (rires) « ah ben, non,
je suis là, donc on m'a pas tranché la gorge ! »(rires).
C'est avec des petites choses comme ça qu'on s'aperçoit qu'entre
les idées qu'on veut que vous et ayez, et puis la réalité,
des fois... Alors que vous pouvez très bien vous faire agresser dans le
16ème à Paris par des gens bien habillés
(rires).
Et vos collègues, ils ont aussi les
mêmes réflexions ?
Alain : On a tous des origines très
diverses. Y'en a, c'est simplement la valeur du mot. Sur facebook, on
s'aperçoit très bien que c'est la portée du mot qui est,
pour certains, importante. Mais ils mettent pas tellement de choses
derrière. C'est cette notion de citoyenneté mondiale.
Après, j'ai quand même réussi à faire pas mal de
groupes, avec des gens qui mettent quelque chose derrière. Qui agissent.
Mais dans l'ensemble, oui, c'est beaucoup de jeunes qui, soit à travers
leurs études, soit par leur parcours personnel, etc, ont sauté
par dessus les frontières. C'est quand même souvent des gens qui
ont été voir ailleurs. Qui ont bougé, etc.
Henri : Y'a un de mes fils qui était
déserteur de l'armée. Deux autres qui étaient objecteurs
de conscience. Aucun de mes 3 garçons n'a fait le service militaire !
Alors que moi, j'étais engagé volontaire (rires). Mais
c'était une autre époque.
Alain : Mais les forces de rébellion dans
un pays, on ne peut pas les considérer pareil. Si on vient t'occuper ta
maison, tu la défendras, même si tu es non-violent.
[...]
[en montrant les livres et les brochures] Bon tout
ça, de toutes façons, tu me le laisseras en
héritage ?(rire)
Henri : Ben dis donc, tu partiras
peut-être avant moi ! (rires) Je suis un grand résistant, moi... A
tout ! J'ai le projet de vivre jusqu'à 140 ans (rires)
Merci beaucoup pour tout !
Alain : Mais vous auriez pu avoir sa photo pour
votre mémoire, parce que c'est homme très important du
mouvement.
Henri : Dans le dernier numéro de
CITOYENS DU MONDE, on m'a consacré tout un article : « des
personnalités comme on les aime ». C'est le dernier numéro
qui date de janvier.
Ah je l'ai celui-là (rire) ! Je l'ai sur mon
ordinateur !
Annexe 6
Couverture de la somme mondialiste
V. Bibliographie
· Ouvrages de référence:
- Ulrich Beck, Qu'est ce que le cosmopolitisme ?, Paris Ed
Flammarion, 2006
- Gil Delannoi, Sociologie de la nation. Fondement
théoriques et expériences historiques, Paris, Ed Armand Colin,
1999
- Abou Salim, L'identité Culturelle, Beytouth, Perrin,
Presses de l'Université Saint-Joseph, 2002
- Noriel Gérard, A quoi sert l'identité nationale,
Marseille, Ed Agone, 2007
- Anderson Benedic, L'imaginaire national. Réflexions sur
l'origine et l'essor du nationalisme, Paris, Ed La Découverte, 1996
- Baliber Etienne et Wallerstein Immanuel, Race, Nation,
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· Ouvrages de consultation :
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- Baliber Etienne, Les frontières de la
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Les Identités ambigües, Paris, Ed La Découverte. 1990
- Colette Guillaumin, L'idéologie raciste, genèse
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- Gérard Noiriel, Etat, nation et immigration. Vers une
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- Eric Hobsbawm et Terence Ranger (dir.), L'invention de la
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- Emile Durkheim, La division sociale du travail, Paris, presses
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- Gérard Noiriel, Population, immigration et
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- Rolf Paul Haegler, Histoire et idéologie du
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· Articles :
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Vol.139, septembre 2001. L'exception américaine, pp 66-85
- Chivallon C., Retour sur la « communauté
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- Cahiers de France, L'identité nationale.
N°342, 2008. D. La Documentation Française
- Riva Kastoriano. « Participation transnationale et
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- John Torpey, Aller et venir : le monopole étatique des
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- Gérard Noiriel, Le creuset français, Paris, Ed
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- Marc Redfield, Retour sur la « communauté
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- Catherine Neveu « Les enjeux d'une approche
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· Diccionaires : - Le Petit Robert, ed.
2003
· Sites internet :
http://www.revues.org
http://www.persee.fr
http://citoyensdumonde.fr
http://www.recim.org
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http://www.globidar.org
http://www.aui-ong.org
http://www.cndp.fr (Centre nationale de
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http:// www.un.org Rapport 2009
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http:// www.larevuetoudi.org
Jean-Marc Ferry, conférence donnée à Charleroi le 18 juin
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