4. Conclusion
Les questions de départ posées par ce
mémoire concernaient la façon dont les médias
gèrent l'opinion publique et le rôle du contexte culturel dans le
traitement de l'information. Pour tenter d'y répondre, une analyse
comparative du traitement médiatique d'un même
événement dans deux contextes culturels différents a
été réalisée.
Le sujet choisi a été le crash du vol AF447
d'Air France, en raison de son caractère symétrique au
Brésil et en France. L'objectif a été de mettre en
évidence le rôle du contexte culturel et des autres cadres
d'influence possibles dans la gestion de l'opinion brésilienne et
française par rapport à l'accident. Les hypothèses de
départ considéraient le contexte culturel comme le plus grand
facteur conditionnant le traitement de l'information.
Une restriction du corpus à un seul type de
média s'est avérée nécessaire, étant
donné les contraintes de temps pour la réalisation de ce travail.
Les médias choisis ont été les journaux
télévisés 20 heures de TF1 et Jornal
Nacional de GLOBO.
L'analyse du corpus a montré plus de similitudes que de
différences dans le traitement de l'information. De ce constat, deux
hypothèses ont été dégagées : d'une part,
que le format choisi, le journal télévisé, a
contribué à rendre le traitement de l'information
homogène, car il utilise des techniques standardisées de
construction de l'émission ; d'autre part, que la
spécificité du sujet, un accident dont la vérité
est inconnue ou indicible, a aussi contribué à rendre le
traitement de l'information homogène. Les journalistes se sont davantage
appuyés sur les techniques utilisées afin d'obtenir la
crédibilité du public et engendrer l'émotion.
La discussion a ainsi proposé de dégager les
différences de traitement de l'information entre les deux journaux
télévisés en analysant les techniques utilisées. La
première partie s'est concentrée sur les techniques
utilisées dans le but de créer de la crédibilité,
dont la fausse réalité (techniques utilisées pour
créer un effet de réel face a l'ignorance ou
l'inadéquation de la réalité : l'immédiateté
de l'information, l'utilisation d'arguments opposés, et de la parole
technique) et le faux semblant (techniques utilisées dans le
but de renforcer le sentiment de maitrise de la réalité chez le
spectateur : le recours abusif au direct, a l'image et aux schémas
3D).
La deuxième partie s'est consacrée aux techniques
utilisées dans le but de créer de l'émotion, dont
la création de la compassion (le traitement de la souffrance des
proches et de la prise en charge des
proches des victimes par les autorités) et la
création du suspense (le traitement du comptage des dépouilles
retrouvées et de l'enquête).
L'analyse de la crédibilité a trouvé
très peu de différences entre les deux journaux
télévisés, les seules différences essentielles
étant le fait que le 20 Heures a annoncé
précipitamment la cause de l'accident comme étant la foudre, et
que le Jornal Nacional a affirmé précipitamment que des
débris du vol avaient été retrouvés. Ce constat
nous montre que la recherche de la crédibilité a ainsi
contribué à homogénéiser les informations
diffusées par les deux journaux télévisés.
Une observation intéressante dégagée de
l'analyse a été le fait que les techniques de fausse
réalité, utilisées davantage dans le contexte
particulier de l'événement choisi, ont présenté une
contradiction notable dans les éléments fournis au fil des jours,
ce qui a engendré une manque de clarté du discours ; les
procédés appliqués dans le but de construire une image
crédible aux yeux du spectateur ayant eu un effet contraire. Cela ne
s'est pas produit sur les techniques de faux semblant, qui ont
effectivement renforcé la crédibilité de l'information,
n'étant pas soumises a une contradiction apparente.
L'analyse de l'émotion a trouvé également
de la similitude entre les journaux télévisés dans la
création du suspense, qui pendant la première semaine a
été garanti par l'apport constant de nouveaux
éléments a l'enquête, et pendant la deuxième semaine
a été assuré par le comptage du nombre du corps
retrouvés. Toutefois, une différence majeure a été
repérée entre les moyens utilisés pour créer de la
compassion : au Brésil la souffrance des proches a été
plus explorée et a montré l'espoir de retrouver de survivants,
tandis qu'en France la prise en charge des proches a été
diffusée en priorité.
L'analyse du corpus visait à connaître les
différences de traitement de l'information pour dégager les
cadres d'influence qui sont à leur origine. Une différence
importante concerne deux grandes conséquences de l'objectif de diffuser
une information immédiate : le fait que TF1 a été
imprudente en diffusant une fausse cause de l'accident (la foudre) et que
GLOBO a été imprudente en faisant état des faux
débris de l'avion. Ces différences nous ont permis de
repérer comme cadres d'influence la confiance dans la « parole
nationale », le cadre économique et le décalage horaire.
Deux autres différences majeures ont été
repérées entre les moyens utilisés pour créer de la
compassion : au Brésil la souffrance des proches, qui s'accrochaient
à l'espoir de retrouver des survivants, a été plus
exploitée, alors qu'en France cela a été la prise en
charge des proches qui a assuré en plus grande partie l'expression de la
compassion. Cette différence peut être expliquée à
la
base par l'influence du cadre juridique (la loi
française interdit aux médias de diffuser des informations sur
les victimes ou de s'approcher des membres de leur famille, contrairement
à la loi brésilienne). La discussion nous a cependant permis de
repérer que le seul cadre juridique ne suffisait pas à expliquer
ces différences. Le fait qu'au Brésil ait subsisté
l'espoir de retrouver des survivants, contrairement à la France, est une
trace notable de l'influence du contexte culturel, ainsi que le fait que la
souffrance à la télévision est plus couramment
exploitée au Brésil qu'en France et que la France ait une culture
plus interventionniste que le Brésil.
L'influence du contexte culturel n'a ainsi concerné que
la création de la compassion, et elle a été en cela
renforcée par l'influence notable du cadre juridique. Ce constat
s'oppose a l'hypothèse de départ qui considérait le
contexte culturel comme le plus grand facteur conditionnant le traitement de
l'information.
En conclusion, le contexte culturel a joué un
rôle appréciable dans le traitement de l'information sur le crash,
mais n'as pas été le seul facteur. D'autres cadres d'influence
ont été repérés : confiance dans la parole
nationale, cadre économique, juridique et décalage horaire, mais
le facteur qui a influencé en plus grande partie l'information
diffusée a été l'utilisation des techniques de
construction de l'émission, qui ont par ailleurs contribué a
l'homogénéisation de l'information.
En dépit du caractère apparemment très
homogène du média utilisé (le journal
télévisé), l'analyse a permis de mettre en valeur les
fortes nuances des approches brésilienne et française.
Ce travail a permis de soulever le fait que l'utilisation des
techniques standardisées par les médias peut façonner le
traitement de l'information. Cette influence peut toutefois nuire à la
crédibilité de l'information, pour des observateurs avertis.
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