UNIVERSITE DE TOULOUSE I SCIENCES
SOCIALES
ANNEE UNIVERSITAIRE 2008-2009
MASTER 2 DROIT
INTERNATIONAL ET COMPARE OPTION AFFAIRES
LES CONTRATS DE FINANCEMENT DANS LA BANQUE
ISLAMIQUE
Mémoire en vue de l'obtention du
diplôme du Master en Droit international et
comparé,
préparé et soutenu par
Malika AMRI
Sous la direction de Mme le
professeur Jacqueline POUSSON
Le 3 septembre 2009
Mes sincères remerciements vont à
Madame POUSSON qui m'a encouragée dans le choix de mon sujet et m'a
aimablement orientée. Qu'elle puisse trouver dans ce travail
l'expression de ma gratitude.
A la mémoire de mon père
SOMMAIRE
INTRODUCTION 9
PREMIERE PARTIE Les contrats de crédit dans la banque
islamique 19
CHAPITRE I Les conditions de fond 20
SECTION I La licéité du contrat de crédit en
droit musulman ..21
SECTION II L'interdiction du riba ..30
CHAPITRE II Les conditions de forme 44
SECTION I Les contrats portant sur l'acquisition de biens 45
SECTION II : Les actes de bienfaisance de la banque islamique
57
DEUXIEME PARTIE : Les contrats de société dans la
banque islamique .65
CHAPITRE I : Les différents aspects du partenariat
..67
SECTION I : Le rôle actif de la banque dans le projet
commun 68
SECTION II : La participation aux résultats de
l'entreprise .77
CHAPITRE II : Les formes possibles du partenariat 81
SECTION I : Le financement par la mudharaba 82
SECTION II : Le financement par la musharaka 90
CONCLUSION . .99
BIBLIOGRAPHIE 101
INTRODUCTION
Le droit musulman et ses sources
L'Islam, religion monothéiste comptant aujourd'hui plus
d'un milliard de croyants, comporte un ensemble de règles à
teneur « juridique », des prescriptions regroupées sous le
terme de Chari'a. La Chari'a vient du mot chara' qui
signifie à l'origine chemin. La Chari'a est l'ensemble des lois
imposées par Allah et révélées aux Messagers,
régissant toute la vie humaine depuis la naissance jusqu'à la
mort..
L'on a donc identifié la Chari'a comme seul
moyen pour prévenir à la fois l'égarement dans la vie
d'ici-bas et le châtiment dans l'au-delà. Elle est l'ensemble des
règles qui, lorsqu'elles sont observées, permettent au Musulman
d'emprunter la voie qui mène à Dieu. Il s'agit en l'occurrence de
l'ensemble des règles de droit musulman1.
La loi islamique se distingue par la pluralité de ses
sources. Ces sources font l'objet dune science propre appelée `ilm
usul al-fiqh, qui signifie sciences des sources de la doctrine, elles sont
classées de façon hiérarchique. Une majorité de
jurisconsultes musulmans en ont identifié dix2.
D'une part, il y a les sources primaires de la
Chari'a. Ce sont les sources directes qui ne sont pas le fruit d'un
travail de réflexion humain. Il s'agit en un premier lieu du Coran,
texte sacré transcrivant la parole de Dieu transmise au Prophète.
Ensuite, il y a la Sunna, littéralement « tradition »
qui est l'ensemble des paroles et des comportements du Prophète Mahomet
rapportés par ses compagnons3.
1 ABDUL-KHALEQ A., Woujoub tatbiq al-houdoud
ach-char'iya
2Voir par exemple AL-GHAZALI, Al-mustasfa
min `ilm al-usul, ou encore ACH-CHATIBI, Al muwafaqat
fi ousoul ach-chari'a.
Dans le cadre de notre étude, nous nous basons sur
l'ouvrage suivant : KHALLAF A., `ilm ousoul al fiqh,
édition Annashir li'tibaa wannashr wattaouzii,
Koweit, 12ème éd., 1978
3 KHALLAF A., op. cit.
D'autre part, il existe ce que l'on appelle des sources
secondaires de la Chari'a, qui sont le résultat de la
réflexion des jurisconsultes musulmans, les Fuqahas, du terme
fiqh qui signifie « doctrine »1.
Les sources secondaires sont d'abord l'idjma ou
consensus des Musulmans sur un sujet déterminé. Il y a ensuite le
qiyas, l'analogie, qui est un travail par lequel le jurisconsulte
musulman se sert d'une règle puisée dans une source primaire,
identifie la raison d'être de la règle et l'applique à
toutes les autres situations dans lesquelles cette même raison
d'être, appelée `illa, apparaît.
Quant à l'Istihsan, il s'agit d'un effort de
réflexion du Musulman par lequel il donne son approbation personnelle
à un comportement. L'Istislah, lui, consiste en la prise en
compte du critère de l'intérêt général ou
maslaha dans l'élaboration des règles de la
Chari'a.
La coutume ou `Urf est également une source de
la Chari'a. D'ailleurs, sa reconnaissance en tant que source du Droit
musulman a permis au moment de l'apparition de l'Islam l'intégration de
nombreux comportements datant de la période antéislamique
jugées compatibles. Le Taqlid consiste pour le jurisconsulte
musulman à imiter des décisions des anciens en présence
d'une situation similaire, cette source peut être dans une certaine
mesure comparée à la jurisprudence.
L'Ijtihad, pour sa part, est un concept consistant
pour un Musulman en un effort de réflexion personnelle pour adopter le
comportement juste car en l'absence de clergé en droit musulman, tous
les hommes sont considérés faillibles et les idées des
jurisconsultes sont constamment revues. Chaque Homme doit rechercher par
lui-même et grâce à son libre arbitre la voie juste.
Enfin, il y a la loi de l'Etat ou autre système
politique dans lequel vit le Musulman, le Qanun, car le Musulman a le
devoir de s'intégrer dans la société dans laquelle il
vit.
Il est à signaler que le droit musulman régit
aussi bien les règles de culte donc les rapports avec Dieu
(Ibadat) que les règles de comportement entre les Hommes
(mu'amalat).
Comment expliquer qu'une religion, l'Islam, puisse prendre la
place de l'Etat dans l'élaboration de la règle de Droit ?
1 KHALLAF A., op. cit.
Dans la philosophie de l'Islam, aucune séparation n'est
faite entre la vie temporelle et la vie spirituelle. Le Musulman évolue
dans un environnement politique théocratique. La laïcité au
sens de la séparation de l'Etat et de la religion est par principe
exclue. Le concept de laïcité a été
élaboré par des penseurs occidentaux. Sa source pourrait
être puisée dans la parole de Jésus : « il faut rendre
à César ce qui est à César et à Dieu ce qui
est à Dieu »1. En Islam, si les sources du Droit sont
nombreuses, elles ne peuvent être que d'origine sacrée car la
finalité du Droit est la justice et seul Dieu est Juste.
Les Musulmans face au système bancaire
occidental
A l'époque des colonisations des pays à
population musulmane, les nouveaux résidents ont introduit les banques
sur ces territoires car elles leur étaient nécessaires pour
développer leurs affaires. Cependant, les autochtones, mise à
part une élite, sont longtemps restés en marge du système
bancaire car les techniques utilisées (intérêt bancaire,
spéculation, etc.) étaient contraires aux préceptes de
l'Islam.
L'empire ottoman, qui n'a jamais été
colonisé, entretenait des rapports économiques denses avec
l'Europe. Si pour les populations locales ottomanes, le recours aux banques
occidentales était interdit par la Chari'a, il était
néanmoins permis aux non Musulmans grâce au système des
capitulations. En effet, ce système institué dans l'empire
ottoman du dix-neuvième siècle permettait aux Etrangers de
bénéficier des privilèges suivants: liberté de
culte, liberté de commerce et d'industrie et immunité
juridictionnelle2.
Les dirigeants ottomans éclairés ont pris
l'initiative d'européaniser leur système juridique et bancaire en
codifiant les règles de droit d'inspiration religieuse afin d'attirer
les investisseurs étrangers, ce qui s'est traduit dans les faits par une
vague de réformes législatives entre 1848 et 1856, avec notamment
l'introduction des institutions de crédit et la légitimation du
taux
1 Evangile selon Saint Mathieu, XXII, 21
2 Voir la loi dénommée Firman imperial
promulguée en 1856 dans l'Empire ottoman et visant notamment à
accorder des privilèges aux banquiers occidentaux
d'intérêt. En plus d'avoir laissé les
Européens libres d'installer leurs propres banques, les Ottomans ont
créé en 1883 une banque d'Etat : la Banque
Ottomane1.
Le même phénomène d'apparition des banques a
été constaté dans les autres pays musulmans.
Avec les indépendances, le besoin identitaire des
peuples nouvellement libres s'est traduit par une forte réaction contre
les modèles occidentaux. Le panarabisme né dans les années
mille neuf cent cinquante en Egypte en est l'exemple le plus éloquent.
En effet, le nassérisme laïc va rapidement montrer ses limites et
le besoin pour le peuple égyptien à l'instar des autres peuples
musulmans d'affirmer leur identité va passer par leur appartenance
à la communauté musulmane ou Umma. Les peuples vont
marquer un retour massif vers la religion musulmane et puiser dans leurs
sources religieuses, d'où une islamisation progressive de la
société et des législations.
Le premier organisme de financement à proposer des
modes de financement conformes à la Chari'a est apparu en
Egypte dans la bourgade agricole de Mit Ghamr. Entre 1963 et 1967, la Mit Ghamr
Saving Bank a proposé des comptes d'épargne basés sur le
partage des pertes et des profits, à l'instigation de son directeur
Ahmed al-Naggar, économiste local et grand admirateur, dit-on, du
mouvement coopératif allemand. Cependant, ce système
n'était pas assez rôdé et a rapidement
périclité.
Le mouvement qui va aboutir à la création de
banques dites islamiques va réellement s'amorcer avec le besoin des
Cheikhs des pays du Golfe d'investir leurs pétrodollars à partir
des années soixante.
Apparition et genèse des banques
islamiques
Pour les réformistes de la seconde moitié du
vingtième siècle2, la religion musulmane ne
pouvait
relever les défis de l'ère moderne qu'à la condition de
repenser l'Islam originel pour
l'adapter aux nouveaux besoins des croyants.
Il a donc fallu trouver un compromis entre les
1ABI HAIDAR A. La banque islamique, essai
d'intégration dans un système juridique de type
occidental, éd. Lille, ANRT coll. Lille thèses,
Thèse de doctorat Droit privé, Paris 2 1991, partie
introductive
2 Voir par exemple TAHA M., ar-risala ath-thanya
minal-islam, 1967 ; MADKOUR I., al
muslimin, 1979
exigences des acteurs économiques et leurs devoirs
religieux. Ce compromis semble s'être matérialisé par
l'apparition des banques islamiques.
C'est en 1970 qu'est apparue l'Organisation de la
Conférence Islamique. A l'issue de ses travaux a été
lancée l'idée d'une banque islamique qui assurerait le même
rôle qu'une banque conventionnelle mais présenterait
l'originalité de fonctionner selon les règles de la
Chari'a, la loi islamique.
Les premières sont apparues très peu de temps
après : la Dubai Islamic Bank et la Banque Islamique de
Développement en 1975, la Kuwait Finance House en 1977 et la Bahrein
Islamic Bank en 1978.
Parallèlement, l'on a assisté sur le plan
législatif à l'islamisation intégrale du secteur bancaire
du Pakistan en 1979, suivi par le Soudan et l'Iran en 19831. Dans
les autres pays musulmans, le système bancaire est resté mixte et
les banques islamiques cohabitent avec les banques conventionnelles.
Aujourd'hui, les actifs bancaires islamiques dans le monde
sont estimés à 1000 milliards de dollars et ont connu une
croissance de 27% pour l'année 2007-2008 contre 3% pour les actifs
bancaires conventionnels2.
De plus, le regain d'intérêt récent pour
la finance islamique est dû au fait que suite à la crise
financière de 2008, les banques et institutions financières
islamiques semblent avoir mieux résisté que les organismes
conventionnels. Ceci s'explique selon les économistes par le fait que
les banques islamiques fonctionnent selon le principe de l'asset
backing, c'est-à-dans la sphère de l'économie
réelle. Elles ont donc subi de façon moins importante le revers
des spéculations boursières et de l'effondrement des
sub-primes3.
1 IQBAL Z., MIRAKHOR A, Islamic
banking, Washington, D.C., IMF, coll. Occasional papers,
International Monetary Fund 1987, chapter II
22 Chiffres communiqués par Deloitte,
Introduction to islamic finance, islamic finance
service team, 15 mai 2009 3 Voir JOUINI E., PASTRE O., La finance
islamique - une solution à la crise ?, édition
Economica, 2009
Expansion des banques islamiques en Occident
Le succès des banques islamiques ne s'arrête pas
aux frontières des pays musulmans, c'est désormais les pays
occidentaux, avec à leur tête l'Amérique du Nord et
l'Europe, qui cherchent à adapter leur législation pour pouvoir
intégrer les banques islamiques et attirer ainsi les investisseurs des
pays du Golfe. De plus, certains pays européens ont fondé des
banques islamiques de détail afin de répondre à la demande
de leurs clients musulmans.
Les efforts législatifs les plus importants autorisant
l'activité des banques islamiques ont été observés
au Royaume Uni, pionnier européen de la finance islamique. Une trentaine
de banques étaient déjà actives sur le marché de la
finance islamique à la fin de l'année 2007 et d'autres demandes
d'autorisation étaient déjà en cours de traitement par la
Financial Services Authority1.
La FSA a encouragé l'activité des banques
islamiques et des banques conventionnelles ayant des fenêtres islamiques,
d'une part en leur montrant la voie à suivre pour se conformer à
la législation britannique, d'autre part en assouplissant la
fiscalité et les conditions permettant d'exercer l'activité de
finance islamique2.
En France, l'importance du nombre de Musulmans (ils sont
estimés à cinq millions de personnes contre seulement 1,8
millions au Royaume Uni), les autorités ont tardé à se
mettre au diapason et la France reste relativement en retard par rapport
à ses voisins en matière de finance islamique. Récemment,
de nombreux efforts ont été faits avec notamment la
reconnaissance depuis 2007 des sukuks qui sont des emprunts
obligataires conformes à la Chari'a car basés sur le
principe de partage des pertes et profits, définis comme étant
des « titres qui sont émis pour une valeur identique et qui
confèrent à leurs porteurs un droit de
1 La FSA (Financial Services Authority) a pour équivalent
en France à la fois l'Autorité des Marchés Financiers
2 Revue Banque n° 696, novembre 2007, Banques islamiques au
Royaume Uni, interview de Michael AINLEY, directeur à la FSA, pp34-36
propriété indivis sur un actif, voire sur un
groupement d'actifs »1. Pour le moment, l'activité de la
finance islamique en France se limite à quelques opérations de
financement immobilier2.
L'autorité des marchés financiers a
publié un avis le 17 juillet 2007 qui autorisait la création
d'OPCVM conformes à la Chari'a3. Le 18
décembre 2008, le ministère de l'économie, des finances et
de l'emploi a publié des fiches dont l'objet est de faciliter certaines
opérations de financement islamique en interprétant de
manière constructive les règles actuelles du Code
général des impôts4. Paris Europlace, organisme
représentant les marchés financiers français, a mis en
place une commission Finance islamique chargée de collaborer avec le
législateur afin de rendre la loi française compatible avec ce
système financier. Un comité ACERFI (audit, conformité
éthique et recherche en finance islamique) a été
créé par l'AIDIMM (association d'innovation pour le
développement économique et immobilier) en vue de faciliter le
développement de la finance islamique5.
De nombreuses banques proposent des investissements
compatibles avec la Chari'a en France comme BNP Paribas,
Société Générale ou Citigroup mais il n'existe
encore pas de banque islamique de détail.
De nouvelles mesures fiscales en vigueur depuis le
début de l'année 2009 vont permettre de faciliter le
développement de la finance islamique en France avec notamment la
suppression du double droit d'enregistrement et de timbre et la
redéfinition comptable de certaines opérations. Par exemple, la
marge du banquier dans le cadre de la Murabaha6 n'est
plus
1 CHARRIAU J.-Y., GRANIER T., Nouvelles mesures
fiscales en faveur de la finance islamique en France : régime des sukuks
et autres titres de dettes indexés, Option finance
n°1012, lundi 19 janvier 2009, p.24
2 FULCONIS-TIELENS A., La finance islamique a-t-elle
un avenir prometteur en France ?, Revue Banque n°696,
novembre 2007, pp.28-32
3 ARTHUIS J., Sénat, Rapport d'information
fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire
et des comptes économiques de la Nation sur la finance
islamique, n°329, annexé à la session
ordinaire du 14 mai 2008
4 De BROSSES A., ABOUALI G., Le développement
de la finance islamique en France, ses applications et ses implications sur le
régime juridique de la fiducie, Option finance
n°1015, lundi 9 février 2009, p.31
5 L'on assiste même à l'apparition de formations
spécialisées en finance islamique pour les étudiants et
les professionnels dans les écoles et les universités, comme par
exemple le Diplôme d'université de l'Université de
Strasbourg en finance islamique ou encore le master de finance islamique de
l'Université de Paris Dauphine
6 C'est un type de contrat de vente différée
utilisé par les banques islamiques
considérée comme un profit mais comme un
intérêt et sera donc imposée selon le principe des
intérêts courus, sur toute la durée de la
Murabaha1.
Le manque de spécialistes financiers francophones et
l'état encore insuffisant de la finance islamique en France font de la
question du financement islamique un sujet d'actualité présentant
un intérêt primordial.
Le financement des activités économiques par les
banques islamiques se fait par le biais de contrats de financements. Le contrat
de financement dans le système conventionnel a été
défini par le Professeur Aynès comme une opération de
crédit2. Selon le législateur français, en
l'occurrence l'article L. 3 13-1 du Code monétaire et financier, «
constitue une opération de crédit tout acte par lequel une
personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des
fonds à la disposition d'une autre personne... ».
Selon une directive européenne de 2002, le contrat de
financement est défini comme « tout contrat ou accord de
prêt, de leasing, de location ou de vente différée
concernant un équipement quelconque, qu'il soit prévu ou non dans
les conditions de ce contrat ou accord ou de tout contrat ou accord accessoire
qu'un transfert de propriété de cet équipement aura ou
pourra avoir lieu »3.
Ces propositions de définitions semblent cependant trop
insuffisantes pour correspondre à la réalité de la finance
islamique. En effet, les modes de financement proposés par les banques
islamiques semblent dépasser le cadre des services traditionnellement
proposés par les banques.
1 CHARRIAU J.-Y., GRANIER T., Nouvelles mesures
fiscales en faveur de la finance islamique en France, Option
finance n°1011, lundi 12 janvier 2009, p.20
2 AYNES L., Le contrat de financement : étude comparative
et prospective du crédit bancaire, édition Eyrolles 2006, p.17
3 Directive 2002/96/CE du parlement européen et du conseil
du 27 janvier 2003 relative aux déchets d'équipements
électriques et électroniques DEEE
Problématique : Quels types de
contrats permettent aujourd'hui aux banques islamiques de financer les
activités de leurs clients tout en respectant, contrairement aux banques
conventionnelles, les principes de Droit musulman ?
Les banques islamiques utilisent des techniques de financement
puisées dans les contrats classiques de droit musulman mais elles ont
pris le soin de les adapter selon les besoins actuels de leurs clients en
situation de besoin de financement. Elles reposent sur un système de
fonctionnement original et proposent des modes de financement novateurs.
Le financement participatif, apanage des banques islamiques,
marque une réelle rupture avec le système bancaire conventionnel
dans lequel les banques se limitent à un rôle
d'intermédiaire.
Quant au financement par dettes, s'il s'agit d'un mode de
financement classique comparable à celui des banques conventionnelles,
il présente toutefois l'originalité de reposer sur des techniques
diamétralement opposées.
La banque islamique, comme toute banque conventionnelle, joue
le rôle d'intermédiaire entre épargnants/investisseurs et
demandeurs de capitaux et propose de ce fait à ces derniers des contrats
de financement reposant sur le crédit (première
partie).Cependant, la banque islamique présente en plus la
particularité de proposer des contrats par lesquels elle peut
s'impliquer entièrement en devenant un investisseur direct participant
au projet qui lui est soumis (deuxième partie).
PREMIERE PARTIE
Les contrats de crédit dans
la banque islamique
Dans le cadre du mécanisme de crédit, les
banques islamiques exercent le rôle traditionnel de toute banque,
à savoir la mise en relation des agents en situation de besoin de
financement avec les agents en surplus de liquidités. La banque va
financer des activités par le biais de l'avance d'une somme d'argent
à son client.
Cependant, en plus des contraintes légales et
règlementaires auxquelles toute banque doit se soumettre, les
institutions islamiques doivent fonctionner selon les règles de la
Chari'a afin de mériter et de garder leur label «
islamique ».
Dans cette optique, ces banques doivent en premier lieu
élaborer des contrats dans le respect des principes fondamentaux qui
constituent des conditions de fond pour la validité de ces contrats
(chapitre I). Ensuite, elles doivent concevoir des formes contractuelles
compatibles avec ces principes (chapitre II).
CHAPITRE I
Les conditions de
fond
Les conditions de fond pour la validité du contrat en
général sont plus ou moins les mêmes qu'en droit
romano-germanique : capacité, volonté de contracter, cause et
objet.
Cependant, deux traits semblent distinguer les conditions de
validité du contrat de crédit posées en droit musulman :
au niveau de la formation du contrat, l'acception de la licéité
diffère considérablement de celle retenue dans le système
bancaire conventionnel (section I). Concernant les obligations des parties
telles que contenues dans le contrat, elles doivent obéir à une
règle essentielle : l'interdiction du recours à
l'intérêt (section II).
SECTION I La licéité du contrat de
crédit en droit musulman
Les exigences du droit musulman concernant la validité
du contrat de crédit se rapportent d'une part là la
licéité de l'objet du contrat, c'est-à-dire
l'activité financée (§1), et de l'autre la
licéité des obligations des parties telles que prévues
dans le contrat (§2).
§1 La licéité de l'activité
financée
L'activité financée par la banque islamique doit
évidemment être conforme à la loi de l'Etat dans lequel
elle se trouve. Cependant, lorsque le Droit de cet Etat n'a pas pour unique
source formelle la Chari'a, elle se distingue par un ensemble de
conditions supplémentaires qu'elle se fixe volontairement pour
répondre à des exigences éthiques posées par le
Droit musulman, et mériter ainsi le label de banque islamique. Pour
cela, l'objet du contrat doit être halal, c'està-dire permis selon
le droit musulman (A) et sa cause doit être l'accomplissement de
l'intérêt général (B).
A Une activité halal
Le terme halal, permis est défini comme
étant d'abord le contraire de haram, interdit, Ce qui est halal
c'est ce que Dieu a permis à l'Homme1. Le sens de
l'activité du musulman repose ainsi sur la dichotomie du bien et du
mal.
Contrairement aux banques conventionnelles qui financent toute
activité économiquement intéressante tant que la loi ne
l'interdit pas, et ce sans aucune considération d'ordre moral et
religieux, les banques islamiques sont plus regardantes sur la nature de
l'activité financée qui doit être obligatoirement conforme
à la morale de l'Islam. Il est par exemple interdit de faire le commerce
de l'alcool2, de la viande de porc3 ou des aliments
à base de sang. Le financement des jeux de hasard, de la prostitution et
des oeuvres à caractère pornographique
1 IBN MANDHOUR, Lissanou l'arab,
éditions Dar Sader Beyrouth 2ème
éd., 2003, volume 4 pp. 204- 205
2 Coran, sourate 5, La table servie, verset 90
3 Coran, sourate 2, La Vache, verset 173 ; sourate 5, La table
servie, verset 3, sourate 6, Les troupeaux, verset 145 ; sourate 16, L'abeille,
verset 115
est strictement interdit. De façon générale,
l'activité financée par la banque islamique doit être
halal, c'est-à-dire autorisée par la
Chari'a.
Les Anglo-saxons parlent d'activité shari'a
compliant c'est-à-dire conforme à la
Chari'a1.
Cependant, dans le système juridique islamique, les
choses ne sont pas aussi simples. En effet, les règles
édictées par la Chari'a n'ont pas toutes la même
force obligatoire. Les jurisconsultes musulmans ont distingué cinq
catégories de jugements qualificatifs des actes humains. Il y a d'un
côté, les prescriptions obligatoires (wajeb), qui
contrairement aux actes seulement souhaités (mandoub) ne
laissent aucune marge à l'interprétation humaine. D'un autre
côté, il y a les comportements sur lesquels la Chari'a ne
s'est pas prononcée et qui sont donc par principe permis
(mubah). Par ailleurs, il y a le concept du haram qui est
l'acte strictement condamné et celle moins catégorique de l'acte
déconseillé ou répréhensible
(makrouh)2.
L'activité de la banque islamique doit être, soit
obligatoire, comme c'est le cas pour la zakat, impôt religieux
qu'elle collecte pour le redistribuer aux nécessiteux, soit
souhaitée ou encore autorisée. Il ne doit pas s'agir d'une
activité considérée comme haram. Par contre, la
question reste en suspens quant au financement d'activités
indésirables mais non punissables, en d'autres termes relevant du
makrouh.
La question a été posée à
l'occasion d'un débat sur la validité du Tawarruq, qui est un
moyen de financement consistant à faire acheter des biens à la
banque avec paiement différé, puis autoriser la banque à
vendre sa part dans ces biens à un tiers pour obtenir des
liquidités immédiatement.
La Islamic fiqh academy, organisme affilié à la
Islamic World League, a déclaré à l'occasion
de l'une
de ses réunions que le tawarruq est une activité
bancaire halal3. Cinq ans plus tard,
1 Voir par exemple EL GAMAL M.A., Islamic finance,
law, economics and practice, Cambridge university press, 2006,
p.12
2 KHALLAF A., `ilm ousoul al fiqh,
édition Annashir li'tibaa wannashr wattaouzii,
Koweit, 12ème éd., 1978, pp.105 et suiv.
3 Islamic fiqh academy, 24 - 27 October 1997, Mumbai, India,
resolution related to Buying and Selling on Installments: »It
is definitely valid and permissible to enhance the price of an item if the deal
is struck on credit as compared to that of cash transactions in matters of
buying and selling. Such a mode of buying and selling is also valid provided
that the terms and conditions regarding the price of the item at credit and the
duration of its payment are clearly specified before finalizing the
agreement».
elle a revu sa position et a condamné la transaction,
la considérant interdite ou haram car injuste pour le client
qui perçoit une somme moins élevée que celle perçue
par la banque en revendant les parts de ce client. Pour pouvoir être
autorisé, le tawarruq doit être strictement encadré. Ce qui
nous intéresse ici, c'est la position adoptée par un
économiste bahreïni du nom de Nizam Yacoubi et sur laquelle se
basent les banques islamiques pour pratiquer le tawarruq : selon lui,
le tawarruq est seulement makrouh,
répréhensible sous certaines formes, mais non prohibé. Par
induction, les activités de type makrouh ne seraient pas
interdites aux banques islamiques, mais le débat reste néanmoins
entier.
Quoiqu'il en soit, l'intérêt pour un musulman de
choisir une banque islamique est la certitude que sa banque agira de
façon conforme à ses croyances. Le Musulman qui traite avec une
banque islamique aura la certitude qu'il n'encouragera pas d'une façon
ou d'une autre le développement d'activités interdites par la
Chari'a. C'est là une sorte de label qui lui garantit la
destination des fonds déposés. C'est, nous semble-t-il, ce qui a
favorisé la confiance croissante des déposants.
Il s'agit ici de l'intérêt général
pris au sens économique du terme qui peut être défini comme
l'ensemble des intérêts particuliers.
B Une activité visant la réalisation de
l'intérêt général
Selon la philosophie de l'Islam, la religion est indissociable
de la politique, de l'organisation sociale et de la vie quotidienne. Ainsi, le
système économique islamique a été défini
comme « la méthodologie consistant à savoir comment utiliser
les ressources et les moyens de production pour satisfaire les besoins
terrestres conformément à un code dicté par Dieu et visant
la plus grande équité »1. La satisfaction
personnelle ne suffit pas à atteindre le bien-être en Islam, le
bien ou le service consommé par le Musulman doit contribuer aux
objectifs de la vie humaine sur terre ou maqasids : la vie, la
propriété, la foi, l'intellect ou sagesse et la
postérité2.
1 AL SAOUD M.F., Conférence-débat Islam
et occident face au nouvel ordre économique mondial,
UNESCO, 14/11/1985
2 Les maqasids ont été
repris et synthétisés par KARICH I, Le système
financier islamique de la religion à la banque, Bruxelles,
De Boeck & Larcier, Financiële Cahiers Financiers 2002, pp.24 et
suiv.
La conception du modèle économique musulman
repose selon Madame Karich sur deux fondements éthiques :
l'unicité de Dieu et l'impératif de justice
sociale1.
D'une part, Dieu est l'unique maître de l'Homme qui doit
se soumettre inconditionnellement à sa volonté et à ses
commandements. Les exigences d'ordre divin sont l'appartenance des richesses
à Dieu, le principe de vice-gérance de l'Homme sur terre et
l'idée de la vie après la mort.
Le modèle économique musulman doit donc
forcément prendre en compte l'omniprésence de Dieu dans la
pensée du musulman : le musulman type appelé homo islamicus
est persuadé d'être constamment en communion avec Dieu qui le
surveille, ses réflexes vont donc forcément être
différents de ceux de l'homo oeconomicus. C'est la
première différence fondamentale avec les théories
économiques classiques. Ainsi, contrairement aux modèles
économiques classiques où seul le bien-être
économique est recherché, les impératifs éthiques
et les exigences économiques doivent être constamment liés
en Islam, il n'existe pas de frontière irréfutable entre le
matériel et le spirituel, la morale devient une notion centrale et
incontournable.
Selon ce modèle, l'initiative privée doit
être encouragée par l'Etat mais il ne s'agit pas non plus du
libéralisme classique de la règle du « laisser faire,
laisser passer » où tout est permis tant que le
profit est assuré.
L'un des principes fondateurs en Islam est que tous les Hommes
sont égaux devant Dieu. Ce qui les différencie c'est leur foi. Un
musulman doit sa vie durant donner la preuve de la force de sa foi et de son
attachement aux préceptes divins.
Ainsi, le musulman riche a le devoir de donner au musulman
pauvre car toutes les richesses appartiennent à Dieu. Il est important
que l'Homme mérite ce qu'il gagne mais il faut également
rétablir les déséquilibres entre les êtres. Les
droits du nécessiteux sont restaurés à travers une
distribution juste du revenu et de la richesse. La consommation et la
satisfaction ne sont pas réprouvées, mais le gaspillage et les
mauvaises dépenses le sont car le prodigue épuise des ressources
et en prive ceux qui en ont plus besoin que lui. De même l'épargne
est admise, mais l'épargnant devra être ipso facto un investisseur
car si l'argent dort, il s'agira de
1 KARICH I., op. cit.
thésaurisation qui elle est interdite car inutile
à la communauté. Ainsi, le bien-être général
doit primer sur l'intérêt individuel.
Il est intéressant de souligner qu'il ya ici une
redéfinition de l'efficience optimale de Pareto1. A titre de
rappel, cette théorie affirme que la condition nécessaire et
suffisante pour qu'une situation économique soit optimale est qu'il
n'est plus possible d'élever le bien-être de tous de sorte que le
bien-être d'un individu ne peut augmenter sans diminuer le
bien-être d'un autre. Or, selon la philosophie islamique, le sacrifice
privé est admis s'il peut épargner le sacrifice du plus grand
nombre et l'intérêt de la majorité prime sur celui de la
minorité. Par conséquent, toutes les ressources humaines et
matérielles, par définition limitées, doivent être
utilisées pour produire des biens et des services jusqu'à
atteindre le seuil maximum permettant l'harmonie entre l'intérêt
privé et l'intérêt général.
Ainsi, la banque islamique a pour obligation de s'assurer que
l'activité qu'elle finance est conforme au service de
l'intérêt général tel qu'entendu dans le
système économique islamique afin que l'objet du contrat soit
considéré licite et le contrat validé. Néanmoins,
cela reste insuffisant pour la conformité du contrat à la
Chari'a. En effet, il faut aussi vérifier la
licéité des obligations des parties, notamment concernant la
rémunération du service qu'offre la banque en avançant des
fonds à l'emprunteur.
§2 La licéité des obligations des
parties
Afin que le contrat soit considéré licite, les
prestations des parties doivent être déterminées à
l'avance car les contrats entachés d'incertitude sont prohibés
(A). De plus, la rémunération de la banque pour le prêt
qu'elle concède doit nécessairement être la contrepartie du
travail qu'elle a fourni en ce sens et non des fonds qu'elle a avancés
(B).
1 KARICH I., op.cit.
A Interdiction des contrats aléatoires ou
gharar
Le gharar signifie littéralement hasard,
risque, incertitude, tromperie, danger. Il a été défini
par le Qadi `Iad comme « ce qui a une apparence plaisante et une essence
détestable »1. Il a été traduit par le
concept de contrat aléatoire. Le contrat aléatoire peut
être défini comme celui dans lequel la prestation due pour l'une
des parties dépend d'un évènement incertain et il en
résulte l'impossibilité de savoir par avance s'il y aura perte ou
profit : l'étendue des prestations réciproques et l'existence
même du contrat dépendent d'un évènement
imprévisible.
L'aléa peut concerner l'existence même de la
prestation, comme par exemple pour un pari puisque si l'aléa ne se
réalise pas, le parieur perd sa mise, ou alors l'étendue de la
prestation comme pour un contrat de rente viagère puisque l'on ne peut
savoir à l'avance combien de temps va vivre le
bénéficiaire de la rente et donc à combien va
s'élever le total des sommes versées. Ces contrats auront pour
conséquence un déséquilibre flagrant dans le contrat si
l'aléa ne tourne pas à l'avantage de celui qui s'y soumet.
Pour être conforme à la Chari'a, toute
transaction de la banque islamique doit être soustendue par un actif
tangible et identifiable : c'est le principe de l'asset-backing, qui
signifie littéralement que le revenu du client est assuré par un
actif réel et non par une quelconque forme de spéculation
financière. Autrement, il s'agira d'une tromperie consistant à
faire croire qu'il y a croissance économique alors qu'en
réalité, il ne s'agira que de prévisions hasardeuses. Par
extension, la spéculation financière ou maysir est
également interdite car l'argent en lui-même n'est pas
considéré comme un facteur réel de production.
Le fondement charaïque de cette interdiction majeure se
trouve dans le Coran et dans la Sunna. En effet, Dieu a interdit les jeux de
hasard et par une étude de la cause (ou `illa) de
l'interdiction, les fuqahas ont déduit que les accords reposant
sur le hasard et l'incertitude sont prohibés2.
Cette interdiction a été confirmée par la
Sunna puisque Abou Hurayra, un compagnon du
Prophète, aurait dit :
« Le prophète a défendu d'aller au devant des caravanes
et il a interdit
au citadin de vendre au Bédouin ». Selon
Abdallah Ibn Omar, un autre compagnon du
1 Al-Qarafi, Al-Furuq, édition
`Alam al-kutub, Beyrouth, p.266
2 Coran, sourate 2, La Vache, verset 219
Prophète, Mahomet aurait également
déclaré : « Que l'un de vous ne vende pas pour
supplanter son frère qui se trouve déjà sur le
marché. N'allez pas au devant des marchandises mais attendez qu'on les
ait déchargées sur les marchés. Nous allions au devant des
caravanes pour y acheter des denrées. Le Prophète nous interdit
de les revendre avant que la caravane eût atteint le marché aux
grains »1. Le Prophète semblait ici vouloir
protéger les Bédouins qui ignoraient encore le prix du
marché et souhaitait qu'ils aient toutes les informations en mains avant
de vendre, dans un souci d'honnêteté.
Plusieurs types de contrats comportant une incertitude ont
été identifiés par les jurisconsultes musulmans. Tous
s'accordent à dire que la vente du foetus dans le flanc de la chamelle,
la vente de choses futures comme celle du poisson qui n'a pas encore
été pêché, la vente au toucher, au jet ou au caillou
sont prohibées car ouvrant la voie de l'exploitation du faible par le
plus fort et le plus rusé2.
Par contre, l'on constate une divergence des écoles
concernant d'autres types de contrats, notamment la vente des fruits (et par
analogie d'autres produits) : si tous s'accordent à dire qu'elle est
possible pour les fruits après leur maturation et prohibée pour
les fruits avant leur coloration lorsqu'ils sont encore dans l'arbre, le
débat persiste concernant la vente avant maturation de fruits simples :
les Hanéfites la considèrent licite alors que les autres rites la
condamnent car entachée d'aléa3. De même, les
fuqahas s'affrontent quant à la prohibition des deux ventes en
une seule, ou en d'autres termes de la vente à terme : un seul objet
contre deux prix, deux objets contre un seul prix. Cette pratique fait prendre
un risque à l'acheteur et le vendeur tente en quelque sorte de
rémunérer l'acheteur pour cette prise de risque : les
1 Muslim, Sahih, livre des ventes, kitab
al-buyu', n°10, 3623 et suiv.
http://islam.about.com/gi/dynamic/offsite.htm?zi=1/XJ/Ya&sdn=islam&cdn=religion&tm=28&gps=93_162_10
20_481&f=00&tt=14&bt=0&bts=0&zu=http%3A//
www.usc.edu/dept/MSA/fundamentals/hadithsunnah/musli
m/
2 Il s'agit de pratiques commerciales antéislamiques :
la vente au toucher se fait sans regarder l'objet ; dans la vente au jet, les
parties échangent l'objet, par exemple un vêtement, en se jetant
les vêtements simultanément sans pouvoir les examiner auparavant ;
la vente au caillou se fait par le dispersement de différents
vêtements sur le sol, l'acheteur jette un caillou et pourra prendre le
vêtement sur lequel le caillou est tombé.
3 ABI HAIDAR A. La banque islamique, essai
d'intégration dans un système juridique de type
occidental, éd. Lille, ANRT coll. Lille thèses,
Thèse de doctorat Droit privé, Paris 2 1991
Chaféites et les Hanéfites condamnent ce type de
transactions, partant du principe général suivant : On ne
peut vendre ce que l'on ne possède pas.
Le gharar constitue donc un danger excessif dans une
transaction d'affaires du fait de l'incertitude sur le prix, la qualité
et la quantité de la contre-valeur, la date de livraison et la
capacité du vendeur ou de l'acheteur de tenir sa promesse, causant ainsi
à l'une des deux parties une perte inutile.
Dans le contexte des banques islamiques et dans une relation
de créancier à débiteur, la banque
créancière doit obligatoirement déterminer avec son client
à l'avance le montant dont il devra s'acquitter sans laisser de marge
d'imprévu comme cela a été le cas dans la fameuse crise
américaine des sub-primes où les banques ont laissé le
coût du crédit fluctuer aux aléas des taux directeurs de la
banque centrale américaine. Le coût du crédit doit
être convenu à l'avance et de façon définitive avec
le client.
B Le coût du crédit
Selon le modèle économique islamique, l'argent
n'a pas de valeur intrinsèque, il n'est qu'un procédé
d'échange, donc un moyen et non pas une fin en soi. L'on peut
rémunérer l'activité humaine mais l'argent ne peut
produire à son tour de l'argent, il doit avoir une contrepartie
effective correspondant à une activité apportant une richesse
tangible. Dans ce cas, le travail du banquier devient difficile puisqu'il ne
peut avoir recours au prêt à intérêt,
considéré injuste. Comment l'activité de financement par
le crédit peut-elle être rentable dans ces conditions ?
Dans les banques conventionnelles, l'on majore la somme
prêtée d'un taux d'intérêt correspondant à un
pourcentage de cette somme, qui peut être fixe ou variable selon les
modalités du contrat. Cette rémunération ne prend
absolument pas en compte la situation de l'emprunteur et ou le profit qu'il va
retirer de cette somme. Celui-ci assume entièrement seul les risques
pouvant découler de l'échec de son entreprise. S'il
échoue, la banque ne modifiera pas sa dette pour autant.
Généralement, la banque a recours à des garanties pour
s'assurer d'être payée. Si l'entrepreneur a des
difficultés, il peut finir entièrement ruiné et dans une
situation critique.
En plus de ces intérêts, la banque facture des
commissions bancaires servant à rémunérer son personnel et
à traiter le dossier.
Dans les banques islamiques, l'intérêt est
prohibé. L'activité consistant à accorder des prêts
devient un pur acte de bienfaisance ne correspondant a priori pas aux missions
d'une banque. Pourtant, la banque islamique exerce des activités
à titre gracieux dont le prêt. Par contre, elle pourra
réaliser un profit par des contrats consistant en des achats qu'elle
effectue comptant pour le compte de son lient et qu'elle se
fait rembourser par la suite, moyennant une marge de profit
déterminée à l'avance et convenue avec son client. La
différence majeure avec les banques conventionnelles est qu'il s'agit
d'une somme fixée ex ante et non d'un pourcentage comme c'est le cas
pour le taux d'intérêt. La somme payée à la banque
islamique est sensée être plus juste. Cependant, dans la pratique,
l'on a remarqué que les banques ont eu tendance à contourner
l'interdiction en fixant une marge de profit correspondant au même
montant qui si elle avait eu recours à l'intérêt.
De plus, ce mode de financement pose un souci
d'efficacité considérable : il est impossible de charger des
intérêts moratoires en cas de défaut de paiement car si
l'intérêt est interdit, a fortiori l'anatocisme l'est
également. C'est donc cette règle prohibant
l'intérêt qui semble chambouler le modèle bancaire
conventionnel.
SECTION II L'interdiction du riba
Le riba pose de nombreux problèmes de
définition. C'est une notion à contenu variable qui ne peut donc
pas avoir de traduction exacte en français. La majorité des
auteurs l'ont pourtant traduit par la notion de prêt à
intérêt, d'autres l'ont restreint à l'usure.
Le terme riba vient du verbe raba, yarbou
qui signifie augmenter, accroître. Il s'agit d'une augmentation de la
richesse sans contrepartie effective.
Selon Shacht, il s'agit d'un enrichissement sans cause pouvant
être défini comme « un avantage monétaire sans
contrepartie qui a été stipulé en faveur d'un des
contractants, lors de l'échange de deux valeurs de type monétaire
»1.
La définition la plus couramment admise est celle selon
la quelle le riba est « un profit ou gain illicite
découlant d'une inéquivalence dans la contre-valeur des
prestations réciproques au cours de l'échange entre deux ou
plusieurs biens de la même espèce, du même genre et
régis par la même cause efficiente »2.
Dans le modèle économique islamique, le profit
est non seulement licite mais encouragé : le travail et
l'activité économique sont favorisés. L'idéologie
musulmane interdit seulement le profit réalisé par des moyens
immoraux : excès de gain, exploitation, gaspillage, corruption,
monopole3. Le riba, qui nuit à l'équilibre
contractuel et ne résulte d'aucun effort, constitue un excès de
gain et une exploitation des difficultés d'autrui.
Le riba implique toujours l'existence d'une
transaction, en l'occurrence d'une dette déterminée quelle
qu'elle soit à la charge de l'une des parties, une somme
supplémentaire à rembourser à cause du terme
accordé, ainsi qu'une clause qui assure cette majoration et garantit le
capital.
Les jurisconsultes musulmans ont identifié deux types de
riba : le riba al-nasî'a ou de report et le riba
al-fadl ou de solde.
1SHACHT J., Introduction au droit
musulman, Maisonneuve et Larose, Paris, 1999
2 SALEH N., Unlawful gain and legitimate profit in
islamic law, éd. Graham & Trotman, 1992, p.16
3 Quardhaoui, Le licite et l'illicite en Islam, Paris
éd. Okad, p.222
Le premier consiste en une somme payée pour l'usage de
capitaux empruntés ou, en contrepartie, d'un
rééchelonnement dans le paiement d'une dette tandis que le second
naît de l'achat et de la vente de marchandises avec surplus
monétaire. Selon le jurisconsulte Ibn Taymiya, « Le riba
est accepté par le pauvre et non par le riche. Seul un
nécessiteux contracte un prêt à terme et s'engage à
l'assortir d'un supplément (...). Le riba est donc une
injustice qui frappe le pauvre et se situe à l'opposé de la
charité »1.
La raison d'être de cette interdiction semble être
l'injustice qui en découle et le profit que tire le prêteur des
difficultés de l'emprunteur.
L'interdiction du riba est en théorie absolue
conformément aux préceptes de la Chari'a (§1).
Cependant, avec les effets de la colonisation des pays musulmans, face aux
nouveaux enjeux économiques et avec le développement des banques
islamiques, tous les Etats n'ont pas maintenu cette interdiction telle qu'elle
mais ont cherché à en atténuer les effets (§2).
§ I Les fondements charaïques de
l'interdiction
L'interdiction du riba est non seulement
consacrée par les sources primaires de la Chari'a, mais
également dans les différentes interprétations qui en ont
été données par les fuqahas.
A) La formulation de l'interdiction dans les sources
primaires de la Chari'a
L'on entend par sources primaires de la Chari'a les
sources sacrées de la loi islamique, c'està-dire la parole de
Dieu, révélée par le Coran (1), et celle de son
Prophète, rapportée par ses compagnons sous forme de hadiths
(2).
1) Dans le Coran
La prohibition du recours à l'intérêt est
clairement et explicitement édictée dans le Coran, ce qui
signifie normalement qu'elle est irréfutable car le Coran est la parole
directe de Dieu à l'Homme et se trouve donc au sommet de la «
pyramide des normes » charaïques.
1 Ibn Taymiya, Madjmou al-fatawa,
5/575
Le Coran a fait preuve d'une sévérité
explicite vis-à-vis du riba et les contours de l'interdiction
se sont dessinés au fur et à mesure de la
Révélation.
Le verbe « multiplier » utilisé dans les
versets énoncés ci-après renvoie à la pratique de
l'époque qui consistait, lorsque le débiteur ne pouvait pas
acquitter sa dette à l'échéance, à doubler voire
tripler son montant.
En un premier lieu, le Coran a proscrit l'augmentation de
valeur qui n'aura aucune rétribution auprès de Dieu,
c'est-à-dire l'augmentation de la richesse qui se fait par
l'exploitation d'autrui et a pour effet l'injustice sociale :
... ce que vous prêtez à usure pour
accroître vos biens au détriment du prochain ne vous sera de nul
profit auprès de Dieu ...1
Par la suite, on trouve une référence au
comportement du peuple hébreu qui a désobéi à
l'interdiction également présente dans l'ancien
testament2. Le Coran condamne leur comportement :
... de même que nous sévîmes contre
leur pratique de l'usure, qui leur était pourtant interdite et leur
avidité à s'enrichir au détriment de leurs semblables ! A
ceux d'entre eux demeurés incrédules seront
réservés les pires tourments ! ...3
Puis une référence particulière a
été faite à la pratique de l'intérêt
composé qui consiste à intégrer l'intérêt non
payé au montant du capital de la dette :
... Croyants, ne pratiquez pas l'usure, multipliant
abusivement vos profit. Craignez Dieu : vous n'en serez que plus heureux !
...4
Enfin, la réprobation définitive et
générale apparaît dans les versets suivants:
... Ceux Qui se repaissent d'usure se verront, pour le
Jugement Dernier, ressuscités en
convulsionnaires
possédés par le Démon, pour ce qu'ils ont affirmé :
« L'usure est une forme
1 Coran, Sourate 30, Les Byzantins, verset 39
2 Deutéronome, 23-19 et 23-20 ; Lévitique, 25 : 35
; Exode (22-25)
3 Coran, Sourate 4, Les femmes, verset 161
4 Coran, Sourate 3, la famille d'Imran, verset 130
de vente », quand Dieu a permis la vente et interdit
l'usure. Celui qui, dûment averti par Dieu, cessera de la pratiquer, sera
absous d'un passé honteux, et son sort relèvera de Dieu. Ceux au
contraire, qui récidiveront seront voués au feu
éternel
Dieu réduira en poudre l'usure et fera croître
l'aumône. Dieu honnit tout impie souillé de
péchés
Ceux qui, croyant en Dieu, font le bien, observent la
prière et s'acquittent de l'aumône prescrite en seront justement
rétribués par Dieu. Toute angoisse et toute affliction leur
seront épargnées.
Croyants, craignez Dieu ! Fuyez désormais tout profit
usuraire, si vous êtes vraiment croyants !
Si vous ne le faites, Dieu et son Prophète vous
déclareront la guerre. Si vous revenez repentants au Seigneur, il vous
restera le principal de votre bien , ne lésant personne et
n'étant point lésés
Si votre débiteur est dans la gêne, attendez
qu'il vienne à meilleure fortune. Si vous saviez pourtant comme il vous
serait préférable de renoncer à vos droits !
...1
Il y a donc eu une volonté forte de rupture avec la
pratique à outrance de l'intérêt qui s'expliquait par le
contexte de la Révélation : la Mecque où habitait le
Prophète était une citéEtat marchande construite dans le
désert, donc isolée, d'où le manque de liquidités
qui a favorisé l'usure et de la thésaurisation.
Cette interdiction va également être reprise et
précisée par les dires du Prophète.
2) Dans la Sunna
L'Imam Muslim a rapporté le hadith suivant :
« Echangez l'or pour de l'or, de l'argent pour
de l'argent, du
blé pour du blé, de l'orge pour de l'orge, des dattes pour des
dattes, du sel pour
du sel, mesure pour mesure et de main en main
(immédiatement). Si les articles sont de genres
1 Coran, Sourate 2, La vache, versets 275-281
différents, l'échange peut être
pratiqué sans aucune restriction pourvu qu'il soit effectué par
transaction de main à main »1.
Ce hadith consacre l'interdiction du riba
al-fadl c'est-à-dire lorsque deux biens sont échangés
de main en main mais en quantité différente. En effet, à
l'époque, le troc dominait l'économie et l'or était un
moyen d'échange et non de paiement. Aujourd'hui, par la méthode
du qiyas ou analogie, les fuqahas ont assimilé l'or et
l'argent cités dans ce hadith à un moyen
d'échange en général.
Un autre hadith également rapporté par
Muslim dit : « Bilâl, un compagnon du Prophète, rendit visite
à ce dernier avec des dattes de très haute qualité, et le
Prophète le questionna sur leur origine. Bilâl expliqua qu'il
avait échangé deux volumes de dattes de moins bonne
qualité contre une de meilleure qualité. Le Messager lui dit
alors « Ceci est précisément le riba interdit ! Ne
fais pas cela. Vends plutôt le premier type de dattes et utilise ce que
tu as récolté pour acheter les secondes »2.
En effet, l'échange relaté dans ce
hadith montre un net déséquilibre entre les parties et
ne permet pas de déterminer si les prestations sont équivalentes
ou si elles créent une injustice en défaveur de l'un ou de
l'autre. Seul la vente du produit puis son rachat dans un deuxième temps
permet son acquisition à sa valeur réelle et sans
lésion.
L'interdiction du riba telle qu'énoncée
dans la Chari'a a donné lieu à différentes
interprétations doctrinales.
1 Sahih Muslim, livre des ventes, kitab
al-buyu' n° 10, n°3846 et suiv.
http://islam.about.com/gi/dynamic/offsite.htm?zi=1/XJ/Ya&sdn=islam&cdn=religion&tm=28&gps=9316210
20481&f=00&tt=14&bt=0&bts=0&zu=http%3A//
www.usc.edu/dept/MSA/fundamentals/hadithsunnah/musli
m/
2 Sahih Muslim livre des ventes, kitab
al-buyu', n°10 n°3678 et suiv.
http://islam.about.com/gi/dynamic/offsite.htm?zi=1/XJ/Ya&sdn=islam&cdn=religion&tm=28&gps=9316210
20481&f=00&tt=14&bt=0&bts=0&zu=http%3A//
www.usc.edu/dept/MSA/fundamentals/hadithsunnah/musli
m/
B) La délimitation de l'interdiction selon le
fiqh
Les divergences dans l'interprétation du Coran et des
hadiths s'expliquent par la notion centrale en Islam de l'Ijtihad,
pouvant être définie comme le devoir constant de l'Homme de
ne pas s'arrêter à la lettre du Coran et de la Sunna et de
rechercher l'interprétation la plus juste en son âme et
conscience. Cette possibilité donnée à chacun
d'interpréter seul le Coran signifie qu'il peut y avoir autant
d'interprétations différentes que de musulmans. Dans les faits,
les fuqahas sunnites se sont regroupés par écoles de
pensée ou madhahib1 et s'affrontent sur de
très nombreux sujets. La prohibition du riba en fait partie et
pour ce sujet particulier, les deux théories qui s'affrontent sont celle
de l'école hanéfite, rejointe par les hanbalites (1), et celle de
l'école chaféite qui s'apparente à la position des
Malékites (2).
1) La position de l'école
hanéfite
L'école hanéfite a été fondée
en Irak par Abou Hanifa Annu'man (80-150 AH) et s'est notamment répandue
en Turquie, en Afghanistan, en Inde et en Chine.
Selon les tenants de ce courant de pensée concernant
l'interdiction du riba, il faut distinguer entre le riba
al-fadl ou riba de solde et le riba al-nasî'a ou riba
de report.
Concernant le riba de solde, son interdiction absolue
selon les hanéfites s'expliquerait par le surplus de contre-valeur des
prestations réciproques dû à une inégalité
entre deux objets de même nature et de même quantité. Ainsi,
les contrats dans lesquels les conditions de concomitance et
d'équivalence ne sont pas appliquées sont interdits dans tous les
cas même quand les objets échangés sont de même
nature ou quand ils ont les même poids et mesures2.
Pour ce qui est du riba de report, il est
également interdit sans dérogation possible car il découle
de la simple prorogation d'un terme, qui n'est que l'écoulement du temps
sans aucun effort concret l'accompagnant3.
1 L'Islam connaît trois rites principaux : le sunnisme, le
chiisme et le khawaridjisme. Chaque rite est subdivisé en écoles
de pensée et pour les sunnites, l'on en compte quatre : malikite,
hanéfite, hanbalite et chaféite.
2 Al-KASANI, Bada'I' al-sana'I'fitartib
ash-shara'i, le Caire, tomeIV, p.88
3 Ag-GAZIRI A., Al fiqh `ala al-mazahib al-arba'at, tome II,
Beyrouth, Dar ihya'al-turath al-arabi, 1963 p.250
Les hanéfites semblent ici plus sévères
à l'égard du riba que ne le sont les
chaféites.
2) La position de l'école
chaféite
La pensée chaféite a été
initiée par Mohammed Ben Idriss Achaféi (150-204 A.H) qui a
vécu à la Mecque, puis en Iraq avant de s'installer en Egypte. Le
courant chaféite domine aujourd'hui en Egypte, en Arabie Saoudite, au
Koweït, au Yémen et dans certains pays d'Asie comme
l'Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande
Selon les fuqahas chaféites, le riba al-fadl
interdit en droit musulman concernerait seulement l'échange de produits
alimentaires et l'échange de l'argent au sens de la monnaie. En effet,
la morale interdit aux individus d'utiliser ces objets pour en retirer un
profit illicitement gagné, les aliments ayant une fonction vitale et la
monnaie n'étant qu'un instrument d'échange ne pouvant avoir de
valeur intrinsèque. L'échange de produits alimentaires et de
monnaie doit donc se faire de la main à la main, au poids et à la
mesure (lorsque l'objet est quantifiable)1.
Concernant le riba al-nasî'a, il faudrait
également limiter le riba prohibé lié à la
prorogation du terme seulement aux transactions relatives aux produits
alimentaires et aux métaux précieux.
L'interdiction du riba remonte donc aux premiers
temps du droit musulman et concerne tous les types de contrats. Cependant, elle
a connu une évolution et une interprétation nouvelle avec
l'apparition des banques islamiques puisqu'elles sont une remise en cause
radicale du système bancaire conventionnel qui, lui, repose
entièrement sur la technique de l'intérêt.
§2 Les applications pratiques de
l'interdiction
Aujourd'hui, les pays musulmans ont adopté des
positions différentes par rapport à cette interdiction du
riba et les législations de ces pays varient : si certains ont
considéré que cette prohibition formulée au
VIIème siècle après J.-C. dans un contexte
économique et social particulier ne peut être
transposée au monde dans lequel nous vivons
aujourd'hui, d'autres considèrent qu'il s'agit d'un principe universel
et pérenne.
1 SANHOURY A., Masadir al-haq fil fiqh
al-islami, tome III, Dar an-nahdha al-`arabiya, Beyrouth, 1964,
p.206
Ainsi, les Etats où la place de l'Islam est très
importante ont décidé de maintenir l'interdiction du
riba dans son acception large (A), d'autres ont trouvé les
bases textuelles pour interpréter cette prohibition différemment
afin qu'elle soit moins contraignante pour le développement de ces pays
souvent émergents (B).
A La conception large du riba : toute forme
d'intérêt
Il s'agit de pays qui ont consacré la Chari'a
comme seule source du droit, indistincte du droit positif. Il s'agit de
l'Arabie Saoudite, le Pakistan, le Soudan et l'Iran. Chacun de ces Etats a
consacré dans ses textes la primauté et l'unicité du droit
musulman, il en découle que de nombreuses opérations bancaires
banales dans les banques conventionnelles sont interdites dans ces pays.
Nous retiendrons l'exemple de la législation iranienne,
ainsi que celui de la Lybie qui, si elle n'a pas entièrement
adopté la Chari'a comme source unique du Droit, a
néanmoins choisi d'interdire complètement le riba.
Contrairement au Soudan et au Pakistan où
l'islamisation de l'économie s'est faite de façon progressive, la
révolution islamique en Iran a entraîné une modification
brusque et radicale de la législation. D'abord, la Constitution consacre
la Chari'a comme source du droit iranien :
« L'ensemble des lois et règlements civils,
pénaux, financiers, économiques... doit être basé
sur les préceptes islamiques. Ce principe prime sur le caractère
général et absolu de tous les principes de la Loi
constitutionnelle et des autres Lois et règlements ».
« Pour assurer l'indépendance
économique de la société (...), l'économie de la
république islamique d'Iran repose sur les postulats suivants :
(...)
5. Interdiction des préjudices aux tiers, du monopole,
de l'accaparement, de l'usure et autres transactions nulles et illicites
»1.
1 Constitution de la République Islamique d'Iran du 24
octobre 1979 telle que modifiée le 28 juillet 1989, principes n°4
et 43
Dans le même esprit, la loi relative aux
opérations bancaires du 1er août 1983, dans son article premier,
est venu éclairer l'orientation islamique de l'économie et
dispose que les objectifs du système bancaire sont les suivants :
« Instituer le système de la monnaie et du
crédit sur la base du droit et de la justice - selon les principes
islamiques- afin de permettre une bonne circulation de la monnaie et du
crédit dans la voie de la croissance de l'économie du pays
»
« Créer les facilités
nécessaires pour développer la coopération publique, les
prêts sans intérêts, en attirant les fonds disponibles et
l'épargne, et les orienter de façon à assurer
l'amélioration des conditions de l'emploi ainsi que de
l'investissement... »
Dans ces conditions, le recours à
l'intérêt bancaire est strictement interdit et ce sans aucune
dérogation possible. Il en est aujourd'hui de même dans les autres
pays cités.
A côté de ce groupe d'Etats, l'on constate qu'un
autre pays dont le système juridique n'est pourtant pas
entièrement islamisé a également adopté une
position radicale vis-à-vis du prêt à intérêt
: il s'agit de la Lybie qui autorisait cette pratique, mais a
décidé de l'interdire totalement à partir de 1972.
La loi du 5 août 1972 dispose dans son article 1er
« le riba al nasî'a est prohibé dans toutes sortes
d'opérations aussi bien civiles que commerciales entre les personnes
physiques ».
« Est nulle d'une nullité absolue toute clause
stipulant un intérêt usuraire exprès ou tacite
»
« Est considérée comme
intérêt déguisé, toute commission, tout avantage, de
quelque nature qu'il soit, que stipule le créancier s'il est
établi que cette commission ou cet avantage ne correspond pas à
un avantage ou à un service légitime rendu par le
créancier »1.
L'interdiction du riba a des conséquences
immenses sur le système économique des Etats qui ont choisi de
l'écarter, et apporte son lot de difficultés auxquelles les
économistes musulmans n'ont pu encore trouver de solution. Cette
interdiction a pour effet d'empêcher le recours à de nombreuses
techniques bancaires considérables telles que le crédit d'argent,
le crédit par signature, le prêt bancaire, l'avance en compte, le
découvert en compte, l'ouverture de crédit, l'escompte des effets
de commerce, l'affacturage ou encore le crédit documentaire.
1 Loi n°74/72 portant modification du code civil du 13
février 1954, « Journal officiel », 10ème
année, du 5 août 1972
B La conception stricte du riba
Les pays qui ont considéré que le recours
à l'intérêt n'était pas entièrement
prohibé ont la particularité de considérer que la loi
applicable sur leur territoire est le droit positif émanant des organes
de l'Etat. Dès lors, le droit musulman est une source importante pour
leurs législations mais reste une source matérielle et non
formelle, du moins en théorie. L'on remarque un manque de
cohérence des juges dans l'application du Droit car la cohabitation
entre les deux systèmes juridiques, Chari'a et droit
séculier, souvent en contradiction, crée une sorte de
schizophrénie juridique dont sont atteints les juges qui ne savent plus
quel droit a la priorité. L'on trouve donc dans ces pays une
jurisprudence très instable.
A titre d'exemple, en Egypte, dans une célèbre
affaire portant sur le paiement d'un intérêt au créancier,
le débiteur défendeur a argué que la disposition du code
civil selon laquelle il doit payer des intérêts est contraire
à l'article 2 de la constitution apparu avec la révision
constitutionnelle de 1980 qui fait de la Chari'a la source principale
de la législation. Il a eu gain de cause en première instance.
Mais la haute cour, timide et voulant éviter la polémique a
adopté la position suivante : « la nouvelle disposition
constitutionnelle qui cite que la Chari'a est la source principale de la
législation ne vise que les seules lois qui lui sont
postérieures. Les textes antérieurs (donc le code civil et son
article 226) ne sauraient être attaqués pour
inconstitutionnalité puisque la nouvelle règle n'a pas d'effet
rétroactif et qu'ils datent d'une époque où ils ne
rencontraient nullement un tel reproche (...) Le législateur doit
assumer sa responsabilité politique et entreprendre les réformes
nécessaires pour rendre les législations en vigueur conformes aux
prescriptions fondamentales de la Chari'a »1.
Aux Emirats Arabes Unis, les articles 61 et 62 de l'ancien
code de procédure civile2 légitiment
l'intérêt mais les juges ont connu le même dilemme face
à la place de la Chari'a dans la constitution et à ces
lois contradictoires, la Cour suprême fédérale, à
l'occasion d'une importante décision, a adopté la position
suivante :
1 Voir Saba Habchy, « commentary on the decision of the
Supreme Court of Egypt given on 4 may 1985, concerning the legitimity of
interest and the constitutionality of article 226 of the new Egyptian civil
code, 1948 » in « Arab law quarterly », volume 1, part 2,
February 1986, pp.240-242
2 Code de procédure civile (loi n°3 de 1970),
amendé par la loi fédérale de procédure civile
n° 11 de 1992
« Les banques sont des entreprises commerciales
nouvelles inconnues à l'époque qui a vu l'apparition des
principes de la Chari'a, qui prohibent le riba. Il faut donc tenir compte de la
nécessité de ces banques qui facilitent les transactions
commerciales et financières, et du concours qu'elles apportent aux
hommes. Ceux-ci ne peuvent s'en passer »
« Si l'intérêt simple sur les
prêts est à l'origine prohibé par la Chari'a, en tant que
moyen et non pas comme fin, il peut être exceptionnellement
autorisé en cas de nécessité et s'il se trouve
justifié par l'intérêt général de la nation.
Notre cour, en sa qualité de Cour constitutionnelle, confirme la
constitutionnalité des textes du code de procédure civile
(articles 61 et 62) et de toutes les lois locales promulguées avant la
mise en oeuvre de la constitution. Sa force obligatoire et l'autorité de
la chose jugée qui lui sont attachées ont pour conséquence
que les juges ne peuvent dans les cas prévus par la loi interdire
l'intérêt sous prétexte qu'il est prohibé par la
Chari'a »1.
Généralement, les nombreuses décisions
qui ont suivi et qui ont interdit l'intérêt au même motif
dans ces deux pays ont tout de même fini par être timidement
infirmées ou cassées. Néanmoins, deux courants
jurisprudentiels, conservateurs et réformistes, continuent de
s'affronter, entretenant un climat d'insécurité juridique
certain.
Pour éviter les difficultés économiques
et techniques découlant de l'interdiction, les pays ont choisi entre
deux positions possibles : certains ont choisi de distinguer entre la
matière civile et la matière commerciale en permettant
l'intérêt dans la première et en l'interdisant dans la
seconde, d'autres ont considéré que c'était le prêt
usuraire qui était prohibé et non l'intérêt simple
et donc fixé des taux d'intérêt légaux
L'explication de l'interdiction du riba réside
dans le fait que si un Homme y a recours, c'est qu'il est forcément dans
une situation désespérée et a un besoin vital de cet
argent. Le prêteur dans ce cas exploite son prochain et profite de sa
détresse. Ce schéma ne correspond pas à la
réalité où les commerçants ont recours à
l'emprunt pour investir et faire fructifier de l'argent.
Au Koweït, l'article 1er du code
civil2 considère la Chari'a comme l'une des sources
du droit. Le riba y est strictement interdit :
1 Cour fédérale des Emirats Arabes Unis,
décision du 6 septembre 1983
2 Décret-loi n°67 du mois d'octobre 1980 portant sur
le nouveau code civil koweitien, promulgué dans le journal officiel
n°1335 du 5 janvier 1981.
Article 305 : « Est nul tout accord portant sur la
perception d'intérêt en contrepartie de la jouissance d'une somme
d'argent ou d'un report de la date de l'exécution de l'obligation de
remboursement »
« Est considéré comme
intérêt tout avantage ou commission, quelle qu'en soit la nature,
stipulé par le prêteur s'il est établi que cela ne
correspond pas à un service effectif équivalent accompli
réellement par le prêteur ».
Article 547 : « Le prêt est gratuit-sans
intérêt-toute clause contraire sera réputée nulle et
non avenue, mais le contrat reste valable »
« Est considéré comme intérêt
tout avantage stipulé par le prêteur ».
Cependant, le recours à l'intérêt est
admis en droit commercial, comme nous pouvons le constater dans le nouveau code
de commerce1.
Aujourd'hui la pratique de l'intérêt est
légale en matière commerciale dans presque tous les pays
musulmans mis à part l'Iran, le Soudan, le Pakistan et l'Arabie
Saoudite. Cela ne signifie pas qu'elle ne soit pas encadrée par des
règles très strictes.
En effet, les textes contiennent souvent des taux
d'intérêt légaux dont on s'interroge sur la force
obligatoire : sont-ils d'ordre public ou alors supplétifs de la
volonté des parties ?
En Tunisie, le Code des obligations et des
contrats2 a adopté un taux d'intérêt
légal de 7% en matière civile. En matière commerciale, ce
taux doit correspondre au taux maximum des découverts bancaires,
fixé par la Banque Centrale de Tunisie, majoré d'un demi-point.
Il semblerait qu'il s'agisse ici, comme dans d'autres pays3, de taux
maximum permis puisque s'ils sont dépassés, le taux
stipulé dans le contrat pourra même être annulé
d'office par le juge :
Article 1103 du COC tunisien : « Celui qui, abusant
des besoins, de la faiblesse d'esprit ou de
l'inexpérience d'une
autre personne, se fait promettre, pour consentir un prêt ou le
1 Décret-loi n°68/1980 portant sur le nouveau code de
commerce koweitien, journal officiel n°1338 du 19 janvier 1981
2 Code Tunisien des Obligations et des Contrats, tel que
modifié par les lois n°83-14 du 18 février 1983 et 2000- 57
du 13 juin 2000, art. 1096 et suiv.
3 Voir également le code de procédure civile des
Emirats Arabes Unis, article 61 et 62 évoqués
précédemment
renouveler à l'échéance, des
intérêts ou autres avantages qui excèdent notablement le
taux normal de l'intérêt, et la valeur du service rendu, selon les
lieux et les circonstances de l'affaire, sera l'objet de poursuites
pénales. Les clauses et conventions passées en contravention du
présent article pourront être annulées, à la
requête de la partie et même d'office, le taux stipulé
pourra être réduit, et le débiteur pourra
répéter, comme indu, ce qu'il lui aurait payé au-dessus du
taux qui sera fixé par le tribunal. S'il y a plusieurs
créanciers, ils seront tenus solidairement ».
Une dernière remarque s'impose concernant les
intérêts moratoires : dans de nombreux Etats tels que
l'Algérie ou les Emirats Arabes Unis, il y a une confusion entre
intérêts moratoires et intérêts compensatoires : des
intérêts supplémentaires pour le retard de paiement ne
peuvent être ordonnés par le juge que si le créancier
prouve que le retard de paiement lui a causé un dommage.
A l'issue de cet état des lieux des différentes
législations de pays musulmans, l'on constate que les positions
vis-à-vis du riba sont très variables d'un Etat à
l'autre, ce qui ne nous permet pas d'avoir un seul modèle de banque
islamique mais plusieurs modèles même si la philosophie de
départ reste la même. L'ensemble des principes
évoqués ci-dessus qui régissent les banques islamiques ont
permis de dégager un certain nombre de contrats dont la forme
obéit aux préceptes de la Chari'a.
En somme, les jurisconsultes musulmans contemporains ont
convenu par idjma' ou consensus que les banques et les
sociétés dont le fonctionnement va à l'encontre des
règles de la Chari'a sont celles qui se trouvent dans l'une des
situations suivantes :
- L'activité exercée est illicite (haram)
du point de vue du droit musulman ;
- L'activité permise mais la majorité des actifs
sont représentés par du cash ou des dettes ;
- Les actifs de la société sont
représentés par des liquidités. Dans ce cas, acheter ses
actions revient à acheter de l'argent, ce qui est assimilable à
du riba ;
- Les actifs de la société sont
représentés par des dettes. Ici, acheter des actions revient
à acheter une part des dettes, ce qui est également interdit.
De ce fait, pour que la banque ou la société soit
conforme à la Chari'a, elle doit répondre cumulativement
aux conditions suivantes :
- Exercer une activité licite (halal) du point de
vue du droit musulman ;
- Le total de ses dettes doit être inférieur au
tiers de ses actifs ;
- Le total de ses actifs exigibles doit être
inférieur à 45% de ses actifs ;
- La somme des produits interdits qu'elle perçoit comme
l'intérêt doit représenter moins de 5% de ses
produits1.
Après avoir vérifié que ces conditions
sont remplies par le client demandeur de financement, la banque pourra
envisager de financer l'entreprise par la conclusion d'un contrat de
financement. Un grand débat a opposé les fuqahas
contemporains quant à savoir si la liste de contrats aujourd'hui
disponible est exhaustive ou si l'élaboration de nouvelles formes est
possible sur la base du principe de la liberté contractuelle.
Aujourd'hui, face à l'évolution galopante des banques et du monde
de la finance, il semble évident que l'innovation en matière
d'instruments bancaires islamiques est nécessaire.
Quoiqu'il en soit, nous nous proposons dans le cadre de cette
étude d'analyser les principaux contrats de financement proposés
par les banques islamiques et reposant sur le mécanisme du
crédit.
1 KARICH I., op. cit., pp.89 et
suiv.
CHAPITRE II
Les conditions de
forme
En vertu des nombreux principes exposés, il a fallu
penser à des modes de financement originaux étant donné
que les techniques conventionnelles ne cadraient pas avec l'esprit de la
Chari'a. La solution a été de puiser dans les contrats
classiques de droit musulman et de les adapter, dans le respect de la
Chari'a, aux besoins actuels des entreprises.
L'on peut distinguer deux types de financement : le premier
consiste, pour la banque, à s'associer avec son client pour lui faire
acquérir les biens dont il a besoin afin d'exercer son activité.
Cette association est proposée à titre onéreux (section
I). Le second financement charge la banque d'une mission caritative consistant
à aider ses clients dans le besoin ou victimes d'un sinistre et est, en
principe, à titre gratuit (section II).
SECTION I Les contrats portant sur l'acquisition de
biens
Dans ce type de contrats, le client a besoin d'acquérir
des biens dans le cadre de l'exploitation de son entreprise et n'a pas les
fonds nécessaires pour les financer. Plutôt que d'emprunter de
l'argent, il s'associe à sa banque et lui expose ses besoins pour
qu'elle accepte de l'aider dans son projet. Ce financement va prendre la forme
soit d'une vente (§1) soit d'une location de bien par l'entrepreneur dont
le propriétaire sera, entre temps, devenu la banque
(§2).
§1 L'achat différé de
biens
Il existe de nombreux contrats reposant sur une double-vente mais
les plus utilisés sont d'une part le contrat de murabaha (A) et
d'autre part le contrat de vente salam (B).
A La murabaha
La murabaha, qui peut être traduite par «
gain réciproque » ou « profit réciproque », est un
type de vente reposant à l'origine sur la confiance qui lie les parties.
Le client désirant s'approprier un bien va donner l'ordre à
l'autre partie au contrat (ici la banque) de lui trouver et de lui acheter le
bien à un tiers. Le client va se voir revendre le bien au prix
d'acquisition majoré d'une marge
bénéficiaire. Le paiement effectué par le
client au profit de la banque peut être échelonné ou
exigible à terme échu. Le client fait alors une demande
écrite d'achat à la banque, en identifiant le bien à
acheter ou ses caractéristiques, s'il s'agit d'un bien fongible, et en
fixe les conditions de livraison. La banque achète alors le bien puis le
revend à son client1.
Il s'agit en fait de trois opérations
réalisées simultanément : la promesse d'achat du client
dont le contrat peut stipuler qu'elle sera contraignante, la promesse de vente
à la banque, et le contrat de vente avec bénéfices qui ne
peut être passé qu'après l'entrée en jouissance de
la marchandise par l'acheteur.
1 BANQUE ISLAMIQUE DE DEVELOPPEMENT, Introduction
aux techniques islamiques de financement, recueil des
communications données dans le cadre du séminaire conjointement
organisé par l'Institut islamique de recherches et de formation et la
banque Al Baraka mauritanienne islamique, 5-9 décembre 1992, pp.62 et
suiv.
Ce contrat obéit à des conditions de
validité spécifiques. D'abord, l'acquisition du bien doit
être préalable à la revente au client, la banque doit
déjà être en possession du bien au moment de conclure la
deuxième vente avec son client, et ce, sur la base du principe
charaïque de l'interdiction de la vente de choses futures. Cependant, rien
n'empêche la banque de mandater un tiers y compris l'acheteur pour
recevoir le bien à sa place.
La marge de bénéfice de la banque doit
être préalablement fixée d'un commun accord entre les
parties et peut constituer un pourcentage du prix du bien.
Ensuite, le client doit avoir eu préalablement
connaissance du prix de revient ainsi que des modalités et circonstances
de la première vente : comptant ou à crédit, argent ou
libération d'une dette. Le silence du revendeur sur le prix auquel il a
acheté le bien entraîne un vice dans le contrat.
Les fuqahas divergent quant à la sanction de
ce dol par réticence : pour les Hanéfites, l'acheteur doit avoir
le choix entre confirmer le contrat tel quel ou le résoudre
complètement. Pour les Malékites par contre, l'acheteur peut
annuler le contrat mais le vendeur peut le rendre définitif en
restituant la différence entre le prix déclaré et le prix
réellement payé. Enfin, pour les Chaféites et les
Hanbalites, l'acheteur n'a pas la possibilité d'annuler le contrat mais
il peut déduire de sa dette la majoration dolosive1.
La somme due par le client comprend également les frais
effectifs supportés par la banque pour l'acquisition des biens objet du
contrat : frais fiscaux, transport, stockage, courtage, etc.
Selon les Malékites, il y a trois catégories de
frais, dont le sort diffèrera selon leur effet sur la chose vendue. S'il
s'agit d'un élément qui transforme ou améliore la chose
vendue, il sera remboursé à la banque. Cette plus value sera
comptabilisée dans le calcul de la part de bénéfices de la
banque. Si la transformation du bien par la banque n'affecte pas la substance
de la chose, aucune révision des frais ou du bénéfice de
la banque n'aura lieu. Enfin, concernant les frais de transport et de stockage,
ils seront remboursés par le client à la banque mais n'ajoutent
aucune valeur au bien, la marge bénéficiaire de la banque restera
inchangée2.
1 ABI HAIDAR, op. cit.
2 Ibid
Avec le contrat murabaha, la banque se
rémunère par le profit sur une vente simple. Elle s'interdit de
réviser sa marge bénéficiaire à la hausse en
contrepartie du dépassement du délai de paiement par son client,
ce qui serait assimilable à des intérêts moratoires.
Cependant, elle peut lui appliquer des pénalités de retard qui
seront portées dans un compte spécial : « produits à
liquider ». Si le client est de mauvaise foi, la banque peut demander en
plus des pénalités un dédommagement des
échéances non honorées1.
Dans la pratique, l'on a constaté que la vente
murabaha était utilisée par les banques islamiques comme
instrument de financement à court terme (entre trois et six mois) pour
financer les besoins d'exploitation de leur clientèle (stocks,
matières, produits intermédiaires) ainsi que des acquisitions
immobilières. Cette technique a été également
fréquemment employée dans le financement d'opérations de
commerce international, à l'origine par les compagnies aériennes.
Certains auteurs la proposent comme substitut au crédit
documentaire2. Il s'agit du contrat le plus fréquemment
utilisé, atteignant 80% des opérations de plusieurs banques
islamiques
Cette technique de financement a certes connu un grand
succès mais certaines critiques lui ont été
adressées. D'abord, d'un point de vue financier, la banque prend de gros
risques car l'achat des marchandises par le donneur d'ordre n'est pas une
obligation légale. Le client risque de ne pas accepter la marchandise et
la banque devra alors assurer elle-même son écoulement. De plus,
elle devra gérer le risque de retard de paiement ou le non paiement par
le client. Les pénalités de retard instaurées ressemblent
étrangement à des intérêts moratoires, pourtant
interdits par la Chari'a.
De façon plus générale, l'on reproche,
à raison, à ce type de contrat de contourner hypocritement
l'interdiction du riba en instaurant une marge
bénéficiaire qui s'y apparente étrangement.
Pour les partisans de la murabaha, la marge
bénéficiaire de la banque est un profit licite et
non un
intérêt déguisé, pour la simple raison qu'il s'agit
d'une vente et non d'un prêt, l'argent
restant en possession de la
banque. De surcroît, la marge bénéficiaire payée
à la banque ne
1 RUIMY M., La finance islamique,
Arnaud Franel éditions, 2008, pp.112-113
2 AG-GUNDI, `Aqd al-murabahat bayn al-fiqh al-islami
wa-l ta'amul al-masrafi, Le Caire, Dar an-Nahda al`arabiyya,
1986, p.190
compenserait pas l'utilisation de l'argent mais correspondrait
à la rémunération du service de la banque qui consiste
à rechercher et à acheter le bien au meilleur prix pour son
client.
Enfin, le montant de la marge bénéficiaire est
fixé à l'avance, il ne dépend pas de variables
économiques externes alors que le taux d'intérêt des
banques conventionnelles dépend du comportement de la courbe des taux
à l'époque de l'octroi du prêt. Cependant, le temps doit
être compensé dans une opération donc plus le temps passe,
plus la marge de bénéfice augmente. Cette augmentation de la
marge en fonction du délai de paiement amincit davantage la
frontière entre taux d'intérêt illicite et profit
licite.
La murabaha est de loin le mode de financement le
plus utilisé et représente jusqu'à 80% des
activités de nombreuses banques islamiques. Cependant, il est
concurrencé par un autre type de financement reposant lui aussi sur
l'achat différé de biens : la vente salam.
B La vente salam
Le terme salam signifie « paix » mais il
signifie également l'action de remettre quelque chose à
quelqu'un.
Les droits jordanien, libanais et koweitien définissent
la vente salam comme étant « la vente d'un bien à
livrer moyennant paiement comptant »1.
Il s'agit d'une autre technique de substitution au
crédit conventionnel sous la forme d'une vente dont l'objet sera
livré à un terme ultérieur fixé à l'avance
contre un prix payable immédiatement.
Ici, contrairement à la murabaha, la banque
n'intervient pas comme vendeur à crédit de la marchandise acquise
sur commande de son client mais plutôt comme acquéreur, avec
paiement comptant d'une marchandise qui lui sera livrée à terme
par son partenaire. Dans les codes récents, le paiement se fait en
numéraire seulement alors que selon les fuqahas, il peut s'agir de
n'importe quel bien.
En principe, l'objet de la vente doit être
matériellement existant au moment de la conclusion
du contrat et doit
déjà être dans le patrimoine du vendeur, puisque la
conclusion entraîne un
1 Code civil jordanien, article.532
transfert de propriété à l'acheteur, et
ce, selon le principe de la prohibition de la vente de la chose future
considérée aléatoire. Les fuqahas ne distinguent pas entre
chose inexistante et chose qui existera plus tard. Cette rigueur a
entraîné un problème de blocage de la vie commerciale
actuelle, d'où la tolérance de la vente salam, dont
l'objet est délivré dans le futur.
Les jurisconsultes musulmans fondent la licéité de
cette technique sur le verset suivant : Lorsque vous contractez un
prêt à terme, il devra être consigné par
écrit...1
Ibn Abbas, un compagnon du prophète, a rapporté le
hadith suivant :
« Que celui qui vend des dattes à terme le fasse
pour une quantité déterminée à la jauge (ou au
poids) et pour un terme fixé »2.
Le Prophète aurait également affirmé :
« Quiconque pratique le bai' al salam, qu'il
spécifie sa marchandise pour un volume connu, pour un poids connu et
pour un délai connu »3.
Ainsi à l'origine, la vente salam ne peut
consister en l'échange de denrées de même nature, tel que
le rapporte le hadith rapporté par Muslim évoqué
précédemment « Echangez l'or contre l'or... le blé
contre le blé... »4.
Par contre, il peut s'agir d'un échange de
denrées de genres différents, comme par exemple remettre de l'or
immédiatement contre la remise de blé ultérieurement. Il
n'en demeure pas moins que si les choses échangées sont de
même espèce, cette opération peut s'apparenter à un
prêt à intérêt.
Afin que le contrat de vente salam soit valide, il
doit être soumis à plusieurs conditions de
validité
destinées à limiter rigoureusement l'aléa. D'abord, une
détermination stricte de l'objet
de la vente doit être
effectuée : genre, espèce, qualité, quantité, ainsi
que l'époque et le lieu de
1 Sourate 2, La Vache, verset 282
2 AL BOKHARI, traduction de Houdas et Marsais, Tome II, p.56,
rectifiée par Abi Haidar, op. cit.
3 Hadith rapporté par M. RUIMY, op. cit., p.116, source
non spécifiée.
4 Ce hadith est déjà cité aux pages 24-25
livraison. L'objet doit être disponible au moment de la
livraison, même s'il ne l'est pas pendant l'intervalle séparant la
conclusion du contrat et le moment de la livraison, c'est du moins l'avis des
fuqahas à l'exception des Hanéfites pour qui
l'inexistence de l'objet au moment de la conclusion rend le contrat
nul1.
Ensuite, vu que l'opération ne doit pas cacher une
opération usuraire, le paiement doit précéder la livraison
des biens. Le versement du prix doit avoir lieu au cours de la séance
contractuelle pour éviter la coïncidence de deux crédits, ce
qui serait assimilable au riba.
Le délai de livraison doit être fixé
à l'avance et doit être supérieur à quinze jours
pour les Malékites afin de permettre au cours de varier. Les
Hanéfites étendent ce délai à un mois minimum.
Néanmoins aucun délai maximum n'est stipulé, mais tous les
auteurs s'accordent à dire qu'il ne doit pas être trop long afin
de tenir compte de la variation des cours du marché. Le Code civil
libanais dispose que si le délai n'est pas déterminé par
les parties, l'on peut recourir à l'usage des lieux2.
L'opération se déroule comme suit : le client
demande à la banque de lui avancer de l'argent, celle-ci passe une
commande à ce client selon ses besoins de financement. Il adresse alors
à la banque une facture avec les quantités et le prix. Si les
conditions de la transaction sont acceptées par les deux parties, elles
vont conclure un contrat salam reprenant les clauses convenues.
Parallèlement, les parties signent un contrat de vente par procuration
par lequel la banque autorise le vendeur à livrer ou à vendre,
selon les cas, la marchandise à une tierce personne. La banque peut
s'assurer de la livraison de l'objet par le commerçant au moment venu en
exigeant une caution ou toute autre garantie réelle ou personnelle. Il
devra alors entreposer la marchandise dans le magasin général de
la banque qui se chargera de la revente.
Autrement, pour qu'elle n'ait pas à écouler
elle-même les stocks de marchandises par la suite, la banque peut aussi
mandater le vendeur pour le faire moyennant éventuellement une
commission. Le vendeur s'engage bien entendu, à recouvrer et à
verser le montant de la vente à la banque. Ce système permet
à l'institution bancaire de garder sa clientèle habituelle et
d'assurer la pérennité de son entreprise. Le Client pourra exiger
alors des acheteurs qu'ils
1 SANHOURY A., les sources du droit dans le fiqh
islamique, le livre de la vente, p.183
; al wassat fi sharh al qanoun al madani, 1960,
pp.224 et suiv.
2 Code des obligations et des contrats libanais, article 489
fassent viser les bons d'enlèvement aux guichets de la
banque (afin que celle-ci puisse suivre et contrôler
l'opération.)
Dans la pratique des banques islamiques la vente
salam est utilisée pour remplacer les produits
dérivés dans la finance islamique : contrats à terme,
options, futures entre autres. Cependant, dans le contrat à terme, rien
n'est échangé avant l'expiration du délai alors que dans
la vente salam, la validité du contrat est soumise au paiement,
ce qui rend l'opération licite. La vente salam a aussi remplacé
la pratique de l'escompte commercial et des autres moyens de crédit
à court terme : les effets en possession du client seront pris à
titre de garantie du financement salam que la banque pourrait lui
consentir.
C'est un moyen utile de financement des fonds de roulement et
de certaines charges d'exploitation comme les salaires, ou les impôts par
exemple. Il est d'usage chez les petites et moyennes entreprises, notamment
pour financer l'agriculture et l'artisanat.
Un débat doctrinal continue d'opposer les fuqahas quant
à la nature juridique du contrat salam.
Pour une partie des jurisconsultes, il s'agit d'un prêt
légitimé, la vente salam est d'ailleurs aussi
appelée vente salaf, ce terme signifiant prêt en Arabe.
Le vendeur veut en fait emprunter de l'argent et l'acheteur va lui en fournir.
Le prix ne constitue en réalité, qu'une garantie pour limiter les
risques d'insolvabilité du débiteur à
l'échéance. Cependant, cette thèse est critiquable car la
vente salam est un échange de biens différents alors que
dans le prêt, les prestations doivent être identiques : argent
contre argent.
Pour d'autres ulémas, la vente salam
est considérée comme un contrat de nature mixte qui change de
physionomie dans l'intervalle : en un premier temps, c'est un contrat de
réciprocité mais dès que l'acheteur, en l'occurrence la
banque, paie le prix, l'opération se transforme en une obligation
unilatérale du livreur. Juridiquement c'est une vente mais
économiquement c'est un prêt1.
Pour un dernier groupe de penseurs, la vente salam est
un contrat sui generis.
Il existe une forme dérivée de la vente
salam qui est la vente par istisna'. La vente par
istisna'
a été définie comme étant
« un contrat d'entreprise en vertu duquel une partie (la banque)
1 S. JAHEL, cours magistral paris II Panthéon Assas, 1987
1988, rapporté par A. Abi Haidar
demande à une autre (l'entrepreneur) de lui fabriquer
ou de lui construire un ouvrage moyennant une rémunération
payable d'avance ou à terme ou de manière fractionnée
selon un échéancier convenu entre les parties ». Sa
validité a été admise par analogie avec le contrat
salam : le prix du bien est payé graduellement tout au long de
sa fabrication, comme par exemple dans l'immobilier. L'objet de la transaction
ne porte pas sur des marchandises achetées en l'état mais sur des
produits finis ayant subi une transformation. L'obligation du vendeur client de
la banque est assimilée à celle du maître d'ouvrage dans le
contrat d'entreprise. L'opération est plus périlleuse que la
vente salam à cause des risques afférant à
l'exécution des travaux.
Toutes les techniques de substitution au crédit
évoquées ci-dessus reposent sur des contrats de vente, mais il en
est d'autres qui reposent sur un contrat de location, ce sont les contrats
d'ijara.
§2 La mise en location de biens :
l'ijara
Pendant longtemps en droit musulman, l'ijara, ou
location, a été assimilée à la vente : vente de
l'usage de la chose. Or, par définition, la vente est une
aliénation de la chose dans tous ses aspects : usus, fructus et abusus,
tandis que la location n'aliène que la jouissance de la chose seulement.
Les banques islamiques offrent des moyens de financement par la mise en
location simple (A) mais elles peuvent aussi proposer une sorte de
location-vente (B).
A L'ijara simple
Il s'agit d'un contrat par lequel l'une des parties s'engage
soit à faire jouir l'autre d'une chose, soit à lui procurer ses
services ou son industrie temporairement, moyennant un certain prix. Ce contrat
est assimilé à un crédit-bail1.
On retrouve trois acteurs dans cette opération : le
fournisseur, fabricant ou vendeur du bien ;
le bailleur, en l'occurrence la
banque qui achète le bien pour le louer à son client et
le
1 ZIED C. & PLUCHART J.J., Proposition de
communication, La gouvernance de la banque islamique
Université de Picardie - CRIISEA, février 2006, p.5
locataire qui loue le bien en se réservant l'option de
l'acquérir définitivement au terme du contrat de
location.
Les fuqahas fondent sa licéité sur le
fait qu'il s'agit d'un loyer fixe versé pour un bien existant et non
d'un rendement fixe sur des avoirs financiers.
Quelque soit le type d'ijara (ijara simple
ou ijara wa iqtina'), la demande de financement se fait pas l'envoi
d'un dossier comprenant au moins les éléments suivants : la
demande de financement accompagnée des factures pro forma des biens
à acquérir, les documents juridiques de l'entreprise, les
états financiers des trois dernies exercices ainsi qu'une étude
de rentabilité du projet.
Après acceptation par la banque, on procède
à la rédaction du contrat. Il est alors
impératif de déterminer avec précision l'objet afin que le
contrat soit valide.
La propriété de la chose doit rester entre les
mains de celui qui donne le bien en location. La banque doit contrôler la
« leasibilité » du matériel avant d'accepter de
financer le bien : il doit s'agir d'un bien durable, car seul l'usufruit est
transmis au client et il doit être facilement démontable et
transportable afin de limiter les risques dus au transport et au stockage et
que l'institution bancaire puisse le saisir pour le revendre au cas où
le client ne peut plus honorer ses engagements.
La propriété doit rester entre les mains de la
banque jusqu'à la fin de la transaction et le terme de la location ne
peut être modifié sauf si une telle clause a été
prévue dès le départ. La banque assume la
responsabilité découlant de la propriété, le
locataire celle découlant de l'utilisation de la chose. C'est en cela
que l'ijara diffère du contrat de prêt, où
l'emprunteur assume la responsabilité et les risques de la chose
empruntée jusqu'à sa restitution car il s'agit d'un transfert
temporaire de propriété.
Dans le crédit-bail, la possibilité de se porter
acquéreur pour le client est l'élément essentiel du
contrat alors que dans une simple location, le rôle du locataire est
limité à l'utilisation de la chose, à son exploitation
éventuelle, si les clauses du contrat le permettent.
Comme dans le crédit-bail (le terme leasing n'est
utilisé que pour le crédit-bail mobilier), le locataire a une
obligation fixe de payer le loyer quelque soit le résultat de son
entreprise et la banque n'assume que le risque de traiter avec des mauvais
payeurs. Cependant, et contrairement au crédit-bail
classique, le manquement à un paiement ne peut entraîner une
indemnité en pourcentage du total dû car ce
serait assimilé au riba. La sanction est donc à
déterminer au début du contrat. La banque demande
généralement la restitution du matériel et le paiement des
loyers échus, ainsi qu'une indemnité correspondant à la
valeur des loyers restant à courir.
Sur le plan formel, la banque ne peut donner au client une
option d'acheter la chose louée au cours de la location ou à
l'échéance, car la doctrine estime que l'option accordée
au locataire serait alors entachée d'aléa ; La
nécessité d'attendre l'échéance du contrat est
sensée laisser une marge de manoeuvre à l'entrepreneur pour lui
permettre de décider, au moment opportun, du choix le plus
approprié en fonction de la situation et des besoins de son
entreprise.
A la fin du contrat, il peut soit restituer le bien, soit
opter pour une seconde location du bien. Il peut enfin décider
d'acquérir ce bien, mais cela doit être l'objet d'un contrat de
vente distinct du premier.
B L'ijara wa iqtina ou
location-vente
Ijara wa iqtina' signifie littéralement «
location et achat ». Le client a dès le départ, une
obligation d'achat dont le prix est fixé à l'avance. Chaque loyer
versé comprend une partie du prix d'achat du bien loué. Les
versements complémentaires effectués par le client- locataire
seront logés dans un compte d'épargne. Les profits
résultant éventuellement de la gestion des fonds
déposés sur ce compte seront, à l'échéance,
affectés par le client au paiement du prix d'achat de la chose
louée. Ce contrat est assimilé à une location-vente.
Le client identifie le bien immobilier qu'il souhaite
acquérir et donne l'ordre à la banque d'acheter l'immeuble qu'il
aura désigné. Le client signe deux contrats simultanément
La location et la vente ne peuvent être mis dans le même contrat et
la location doit précéder la vente, alors que dans le
crédit-bail, les deux peuvent se confondre.
Le client s'engage par une promesse d'achat, à un prix
déterminé, réalisable à l'issue de la
période de location. Il acquiert la propriété pour le
montant initial payé par la banque et rembourse le montant avancé
par elle graduellement sur échéancier de 7 ans et 6 mois minimum
et 25 ans maximum, sans que la banque ne fasse de profit sur la revente du
bien. Cette promesse crée une créance à la faveur de la
banque qui pourra demander un dédommagement en cas de changement d'avis
du client mais en aucun cas elle ne pourra
demander d'intérêts moratoires en cas de retard
de paiement, ce qui constitue un risque supplémentaire pour
l'institution.
D'autre part, le client signe un contrat de location et verse
tous les mois un loyer à la banque pour occupation des lieux. Le montant
du loyer peut être déterminé annuellement et
représente, lui, la marge bénéficiaire de la banque. Il
doit contenir toutes les informations déterminantes : la valeur de
l'objet, le prix de sa location, sa durée, le délai de paiement,
le montant du loyer et la périodicité. Les parties peuvent
convenir de la révision du loyer, de la durée ou toute autre
clause du contrat. La dégradation du bien loué du fait
indépendant de la volonté de l'utilisateur n'engage sa
responsabilité que s'il est établi qu'il n'a pas pris les mesures
nécessaires pour la conservation du bien avec le soin d'un « bon
père de famille ». Le propriétaire doit assurer l'entretien
et tous les devoirs qui lui incombent ainsi que toutes les charges locatives
antérieures à la location.
Au final, le client va payer des loyers afin que la valeur
résiduelle à la fin du contrat soit la moins élevée
possible et faciliter ainsi l'achat.
Cette technique est particulièrement délicate
pour la banque qui supporte les risques du propriétaire alors que le
locataire ne supporte que les risques d'utilisation de la chose louée
jusqu'à la signature du contrat de vente définitif.
Sachant que, dans les contrats de crédit-bail
conventionnels, le locataire est en principe, tenu de payer des loyers,
même dans l'hypothèse où la chose louée est rendue
impropre à l'usage. L'on observe, dans l'ijara, que si la chose
louée est rendue impropre à l'usage pour lequel elle a
été louée, le client est déchargé de son
obligation de payer le loyer. C'est pourquoi les banques islamiques tentent
actuellement de se protéger en obtenant l'engagement du client
d'utiliser la chose louée conformément à des conditions
convenues à l'avance et en se réservant le droit d'inspecter la
chose louée de manière périodique afin de vérifier
que le client respecte son engagement. En outre, la banque souscrit
généralement une police d'assurance multirisques souscrite
à son nom mais qu'elle se fera rembourser en incluant les droits
d'assurance dans le montant du loyer. Or, les assurances classiques sont
également interdites par la Chari'a car constituent un contrat
aléatoire, d'où l'apparition du takaful,
signifiant littéralement solidarité, qui est une
forme d'assurances compatible avec les exigences du droit
musulman1
La technique de l'ijara wa iqtina' est souvent
utilisée dans des montages complexes aux Etats-Unis pour des
acquisitions immobilières, l'un des exemples les plus
emblématiques étant le financement du projet Maconda Park
Apartments au Texas2. Elle sert aussi à
financer l'acquisition de machines-outils et de moyens de transport routier et
aérien.
La banque islamique parait être la meilleure
manière d'intégrer des projets comprenant des financements
commerciaux à taux variables, a priori interdits par la Chari'a
du fait de leur caractère aléatoire : bien que les
échéances des loyers soient fixes, l'opération ne portant
pas sur des sommes d'argent mais sur des actifs immobiliers ou mobiliers, il
est possible de prévoir licitement des ajustements de
rémunération qui ont les mêmes effets que les taux
variables.
A côté des contrats à titre onéreux
que propose la banque islamique pour financer les entreprises et sur lesquels
elle touche une marge de profit, elle remplit un second rôle, inattendu
pour une banque dont la vocation est avant tout commerciale, et qui fait toute
la particularité du système bancaire islamique. Elle remplit
à titre gracieux un rôle éthique visant à
rétablir la justice sociale et à encourager la solidarité
entre les Musulmans.
1 KASSIM Z.A., Takaful : the Islamic way of
insurance, www.takaful.info
22 ZIED C. & PLUCHART J.J., Proposition de
communication, La gouvernance de la banque islamique
Université de Picardie - CRIISEA, février 2006, pp.11-13
SECTION II Les actes de bienfaisance de la banque
islamique
La banque, en plus de son rôle d'apporteur de fonds,
remplit dans la conception musulmane de l'économie un rôle de
régulation sociale, qu'elle assure au niveau financier par une juste
redistribution des richesses et au niveau humain par l'encouragement du
développement des liens de solidarité et de fraternité
entre les Musulmans. C'est pourquoi, mise à part le fait qu'elle va
consacrer un fonds pour la gestion de la zakat, impôt religieux
dû par tous les Musulmans assimilable à l'aumône qui doit
être reversé aux nécessiteux, elle va accorder des
prêts à titre gratuit pour financer les projets les personnes
connaissant des difficultés d'ordre pécuniaire (§1) et va
remplir un rôle d'assureur en se fondant sur un système mutualiste
pour financer les besoins des souscripteurs en cas de sinistre (§2).
§1 Le prêt d'une somme d'argent ou qard
hassan
Il existe deux types de prêts selon la classification
des fuqahas : la `ariya qui est un transfert temporaire de
l'usufruit à l'emprunteur, et le qard qui est le prêt
d'avoirs fongibles moyennant l'engagement de l'emprunteur de retourner
l'équivalent de ce qu'il a emprunté1. C'est cette
deuxième catégorie qui nous intéresse et nous semble plus
susceptible d'être pratiquée par une banque. Le prêt
bancaire est en principe interdit en droit musulman car il est
rémunéré par le versement d'intérêts.
D'ailleurs, le terme « qard » vient du verbe «
qarada yaqradou », qui signifie ronger en Arabe. Cette image
violente étant certainement due au fait que l'usurier spolie
progressivement l'emprunteur et lui enlève en quelque sorte une partie
de ses biens et au final de lui-même.
Cependant, les jurisconsultes musulmans ont
élaboré une forme de prêt licite qu'ils ont appelé
qard hassan, signifiant littéralement « prêt
à titre gracieux ». Le prêt en droit musulman est en quelque
sorte dérogatoire et doit avoir des justifications d'ordre moral (A), de
sorte qu'il doit être concédé à titre gratuit
(B).
1 KASANI, Bada'i, Le Caire, volume VII,
pp.395-396
A Le fondement social du prêt
A l'origine, un Musulman qui prête de l'argent à
un autre Musulman accomplit un acte de serviabilité et de grâce
puisqu'il aide un individu appartenant à sa communauté qui
connait des difficultés financières. Le qard hassan tel
que pratiqué par les banques islamiques est un instrument servant
à accorder des prêts à petite échelle aux personnes
en difficultés économiques passagères. C'est donc une
technique de microcrédit destinée avant tout à la frange
défavorisée de la population et aux personnes non
bancarisées, ainsi qu'à d'autres particuliers connaissant des
difficultés financières passagères telles que des
étudiants ou encore à des individus ayant besoin d'argent
à court terme pour un évènement particulier (mariage,
circoncision, etc.). L'intérêt pour la banque d'accorder ces
prêts à titre gracieux n'est certes pas l'argent mais cette
activité lui assure une bonne opinion générale et lui
octroie le label de banque islamique.
L'établissement peut également promettre des
qard hassan en complément d'un ou plusieurs contrats de
financement qui seront eux à titre onéreux pour attirer de
nouveaux clients, ou encore pour fidéliser un bon client qui a des
besoins de financement à court terme et dont elle sait qu'il est
solvable.
Quoi qu'il en soit, il n'existe pas de politique uniforme
concernant ce type de prêt. Certaines banques n'en accordent qu'aux
clients qui détiennent un compte d'investissement, les unes à
tous les clients de la banque, les autres seulement aux étudiants et aux
franges pauvres de la population.
Lorsque la banque n'accorde pas de qard hassan en
puisant dans ses fonds propres, elle peut aussi servir d'intermédiaire
entre des prêteurs bienfaiteurs et des personnes dans le besoin.
Les Etats encouragent ces microcrédits car de
nombreuses études ont prouvé qu'elles favorisaient la croissance
économique en finançant différentes
activités1 notamment dans les domaines de
l'agriculture et de l'artisanat.
1 HOSSEINI S.S., SHAHBAZI H., Evaluating The
advertising effect on qard Hassan demand deposits in Iranian governmental
banks, American-Eurasian journal of agriculture and environmental
science, 4(5), IDOSI publications, 2008, pp.561-569
Etant donné cette vocation sociale et caritative du
prêt, sa deuxième caractéristique est une
conséquence logique : le prêt doit être accordé
à titre gratuit.
B La gratuité du prêt en droit
musulman
Cette caractéristique originale est la
conséquence directe de l'interdiction du riba.
Tandis que dans les banques conventionnelles, l'institution
octroie des prêts moyennant le versement d'intérêts qui
constituent son principal moyen de financement. Dans le qard hassan,
par contre, l'emprunteur doit rendre uniquement le principal de la dette.
Si la zakat est également redistribuée
par les banques islamiques, elle reste un simple don offert aux
nécessiteux. Par contre, dans le qard hassan, l'emprunteur a
certes l'obligation de restituer la somme empruntée mais le
prêteur ne doit pas lui mettre de pression même s'il ne peut pas
honorer sa dette à l'échéance prévue, et ce sur la
base du verset suivant :
... Si votre débiteur est dans la gêne,
attendez qu'il vienne à meilleure fortune. Si vous saviez pourtant comme
il vous serait préférable de renoncer à vos droits
!...1
La banque ne reçoit pas de profit grâce à
l'octroi de ce prêt mais elle a tout de même la possibilité
de charger l'emprunteur sur la base d'une contribution aux frais
engendrés par la mise à disposition du capital.
Ce financement gratuit accordé par les banques
islamiques est d'autant plus risqué que les bénéficiaires
ne sont souvent pas solvables. Dans la pratique, elles sont réticentes
à en proposer, faute de garanties.
Certains auteurs ont postulé de reprendre la solution
adoptée dans le microcrédit conventionnel, en l'occurrence la
méthode employée par la fameuse banque du Bengladesh GRAMEEN,
spécialisée dans le microcrédit : les pauvres pourraient
avoir droit à un qard hassan à la seule condition
d'appartenir à un groupe de cinq personnes lui-même
représentant le huitième d'un groupe issu du même village.
Ces personnes se connaissent donc toutes plus ou moins et entretiennent des
rapports entre elles. Si l'une d'elles ne paie pas dans les délais
prévus, la banque procède à une sorte de punition
collective en mettant fin au partenariat qui
1 Coran, Sourate 2, La Vache, verset 281
la lie à tout le groupe et compte ainsi sur la pression
du groupe pour dissuader l'emprunteur de faillir à ses obligations de
paiement. Cette solution règle également le problème
d'asymétrie d'information puisque la banque qui risque de prêter
à des personnes non solvables et de ne pas prêter aux personnes
qui le méritent faute d'informations nécessaires sur leur
situation financière va pouvoir prêter à tous. Dans ce cas,
les deux risques sont contrebalancés. Si la banque GRAMEEN pratique elle
des taux d'intérêt élevés, la solution qu'elle a
trouvée pour limiter les risques de non paiement est
efficace1.
Ainsi, la banque islamique accorde des prêts «
à taux zéro » pour aider les personnes qui en ont le plus
besoin. Elle remplit également une mission pouvant être
assimilée à une activité d'assurance mais reposant sur des
mécanismes différents, et ce, dans le but de se conformer au
droit musulman.
§2 Le takaful
Le terme takaful désigne le fait pour deux ou
plusieurs personnes de se garantir mutuellement. L'on peut donc le
définir comme étant un système mutualiste de garantie des
risques fonctionnant selon les règles de la Chari'a. Ce produit
est proposé par les banques islamiques mais également par des
sociétés spécialisées en takaful.
Après avoir exposé le processus qui a abouti à la
création de cette forme alternative d'assurances (A), nous exposerons
les formes de takaful utilisées (B).
A L'apparition du takaful
L'assurance est un système qui existe depuis les
origines de la civilisation musulmane lorsque les meurtriers payaient le «
prix du sang » (ad-diya) aux familles de leurs victimes à
titre de compensation. Dès le deuxième siècle après
l'Hégire, avec les expéditions maritimes commerciales, les
commerçants ont eu l'idée de créer et de souscrire
à un fonds général pour compenser la perte de marchandise
subie par l'un d'eux moyennant contribution.
1 IQBAL Z., MIRAKHOR A, Qard hasan microfinance,
New Horizon, July 1st, 2007
http://www.newhorizonislamicbanking.com/index.cfm?section=academicarticles&action=view&id=10461
Le besoin d'un système d'assurances alternatif s'est
fait ressentir à cause de la présence dans les assurances
conventionnelles d'éléments interdits par la Chari'a qui
sont le gharar (l'aléa), le riba
(l'intérêt) et le maysir (les jeux de hasard et par
extension la spéculation). Ainsi, en 1961, la Fiqh Academy de
l'Organisation de la Conférence Islamique, dans sa neuvième
déclaration, a affirmé que le système conventionnel
d'assurances n'était pas conforme aux exigences de la
Chari'a1. En effet, le souscripteur verse des primes
à la compagnie d'assurances pour garantir un risque qui ne se
réalisera pas forcément. C'est un contrat aléatoire dans
lequel la partie faible, le souscripteur, ne connaît pas l'étendue
de l'obligation de la partie en situation de force, en l'occurrence l'assureur,
au moment de sa conclusion. Si l'aléa ne se réalise pas, le
souscripteur perd définitivement ce qu'il aura versé inutilement.
De plus, les primes versées par le souscripteur sont réinvesties
par les compagnies d'assurances dans des actifs qui peuvent être
illicites selon la Chari'a et ne pas correspondre à des actifs
tangibles. La rémunération de ces sommes se fait le plus souvent
par le versement d'intérêts.
C'est pourquoi les Musulmans sont longtemps restés en
marge du système d'assurances. Les jurisconsultes musulmans
considèrent que l'intérêt et la spéculation sont
entièrement prohibés. Par contre, un certain degré de
gharar peut être acceptable selon les circonstances : en droit
musulman, les risques du marché sont admis et ne sont pas
assimilés au gharar mais les risques du crédit ne le
sont pas : l'assuré ne peut pas payer et sans être sûr de
récupérer ce qu'il a versé sous forme de compensation d'un
sinistre. Le cas échéant, il doit normalement pouvoir exiger le
remboursement de ses primes à l'échéance de la
police2.
C'est en réponse à ces carences du
système conventionnel et au vu d'un besoin réel des entreprises
et des particuliers d'avoir recours à la garantie des divers risques,
que le système de takaful est apparu au Soudan dans les
années soixante-dix puis en Malaisie dans les années
quatre-vingt. Il connaît aujourd'hui un grand essor tant dans les pays
musulmans qu'en Occident.
Sa particularité est qu'il repose sur la donation,
tabarru', le but ultime étant de favoriser
la
solidarité et le sentiment de fraternité entre les
Musulmans. Cependant, ce modèle est plus
1 Voir à ce sujet le site
www.moamalat.al-islam.com
2 KASSIM Z.A., Takaful : the Islamic way of
insurance, Mercer Zainal Consulting, Malaysia, pp.6 et suiv.
difficile à mettre en oeuvre lorsque les membres ne se
connaissent pas et n'entretiennent pas de rapports de confiance.
Le takaful est utilisé pour se prémunir de
divers risques et connaît une diversification constante de ses produits
pour répondre aux besoins des entreprises et des particuliers.
B) Les formes du takaful
Le takaful général sert à se
prémunir contre tous types de risques matériels : incendie,
dégâts des eaux, accidents de transport, etc. Il fonctionne selon
la technique de la mudaraba, mode de financement par participation que
nous aborderons dans la deuxième partie de notre étude.
Les participants versent régulièrement des
primes à la banque islamique que l'on appellera opérateur.
L'opérateur prélève une somme destinée à
couvrir les dépenses directes, comme par exemple les frais de
souscription à une assurance maladie. Par contre, les frais de gestion
des primes et de leur investissement sont à la charge de
l'opérateur. Le reliquat est versé dans un fonds de donation
appelé Compte spécial des participants.
Après déduction des frais courants,
l'opérateur investit cet argent et le profit qui s'en dégagera
est partagé entre l'opérateur et les souscripteurs. La part de
profit des souscripteurs est ajoutée au Compte spécial des
participants.
Si l'un des souscripteurs subit un sinistre, le total de cet
argent sera considéré comme une donation faite par les autres
souscripteurs pour le dédommager. Sinon, au bout de la période
couverte par l'assurance, l'opérateur lui rembourse l'argent qu'il a
versé ainsi que les profits qu'il a engendré.
L'utilisation de la mudaraba comme socle du
takaful a été critiquée par les fuqahas
car la mudaraba repose sur le partage du profit entre les deux
parties, le profit étant défini en Islam comme la
différence entre la somme dégagée en fin d'exercice et la
somme investie au départ. Or, les souscripteurs doivent payer les uns
pour les autres en puisant dans leurs primes et dans leur profit si
nécessaire en cas de sinistre. Il s'agit en fin de compte d'un partage
du surplus et non du profit.
Le takaful familial, lui, est une alternative
à l'assurance-vie conventionnelle. Il repose pour sa part sur la
technique de la wakala ou mandat et a été initié
par une société de takaful malaise dès 2003.
Le souscripteur doit verser une somme donnée entre sa
vingtième et sa soixantième année, et avoir moins de
cinquante cinq ans au moment de la souscription. Dans ce cas,
l'opérateur gère deux types de comptes : le premier est
appelé Compte des participants (participant account) et le
second, Compte spécial des participants (special participant
account). Ce dernier va servir à alimenter les assurances-vie.
L'opérateur doit lui-même évaluer le
pourcentage de la prime qui va aller dans le Compte spécial des
participants. Cette somme doit théoriquement correspondre au montant
payé par an multiplié par la probabilité de l'occurrence
du décès. La part des contributions totales allouées au
Compte spécial des participants dépend du taux de
mortalité et d'autres indices objectifs. En Malaisie, cette part varie
de 3 à 13% selon l'âge du participant au moment de la souscription
ainsi que de la durée de la police1.
Le souscripteur mandate l'opérateur pour qu'il verse
une partie de sa prime dans le compte spécial des participants. Cette
partie de la prime constitue un fonds bénévole qui produit
certains bénéfices et qui, en cas de décès d'un
participant avant l'échéance prévue par sa police, soit
soixante ans, sera reversée à sa famille avec les profits qu'elle
a générés et les sommes que le souscripteur aurait
dû payer jusqu'à ses soixante ans s'il n'était pas
décédé. Ensuite, l'opérateur prélève
aussi une partie de la prime à titre des frais servant à
l'investissement. Par contre, les dépenses de gestion sont dans ce cas
aussi à la charge de l'opérateur.
La majeure partie de la contribution qui représente
l'essentiel de l'épargne du participant va dans le Compte de
participation. Le partage des profits doit être spécifié
dans le contrat de takaful. Les deux comptes peuvent être
investis dans n'importe quelle entreprise conforme à la
Chari'a.
En cas de sinistre subi par l'un des souscripteurs, le
bénéficiaire peut réclamer un
dédommagement qui
sera puisé dans le Compte spécial des participants en plus du
montant
accumulé dans le Compte des participants. Cependant, si le
participant survit jusqu'à
1 KASSIM Z.A., op. cit.
l'échéance prévue dans la police, il ne
pourra toucher que l'argent contenu dans le Compte des participants et sa part
du profit, si profit il y a, du Compte spécial de participants.
Toutes les contributions du participant lui seraient
reversées avec la part de profit dégagé par les
investissements au cas où il veut mettre fin à son contrat, alors
que dans une assurance conventionnelle, celui qui veut mettre un terme à
son contrat perd sa mise.
Ici, même si l'investissement ne génère
pas de profits, l'opérateur aura quand même un revenu parce que la
rémunération de l'opérateur est basée sur le
capital (frais en pourcentage) et pas sur le revenu (part de profit).
Le système de takaful repose donc sur des
mécanismes différents de ceux que l'on rencontre dans les
assurances conventionnelles.
Au niveau du type de risques couverts, certains ne le sont pas
dans le cadre de l'assurance takaful pour des rasons morales et
religieuses, ce qui pose un problème d'adaptation aux pays occidentaux.
Il s'agit par exemple de la conduite en état
d'ébriété et de l'excès de vitesse. Le droit
français, dans un souci d'apporter une extrême protection, assure
tous les risques, à l'exception de la faute intentionnelle, celle-ci
étant toutefois très limitative. La fixation de franchises
majorées pour ces risques particuliers est-elle susceptible de rendre la
police d'assurance compatible avec les principes de la Chari'a? C'est
la solution proposée par les auteurs occidentaux mais elle n'est pas
satisfaisante du point de vue de la Chari'a.
Nous avons vu comment les banques islamiques ont réussi
à exercer leur activité de crédit tout en respectant les
principes fondamentaux de la Chari'a. Certains reprochent aux
techniques utilisées de ne sauver que les apparences puisque si la
manière diffère, le résultat, c'est-à-dire le
coût du crédit est équivalent. La Chari'a est une
loi comme une autre et de tout temps, les Hommes ont cherché à la
contourner.
Quoiqu'il en soit, la forme est respectée et la demande
en produits financiers des banques islamiques est en forte croissance.
Par contre, là où les banques islamiques
innovent considérablement, c'est en outrepassant leur rôle
conventionnel de prêteur de fonds pour endosser celui d'associé
à une entreprise, avec tout ce que cela implique d'obligations et de
responsabilités.
DEUXIEME PARTIE
Les contrats de
société dans la banque islamique
Dans le présent type de financement, la banque
islamique devient un partenaire à part entière du demandeur de
fonds et endosse le rôle d'associé. Il s'agit de mécanismes
qui lient le capital financier au capital humain1.
Le financement dont le client promoteur a besoin va lui
être octroyé lorsqu'en créant sa société, il
va émettre des parts sociales ou des actions d'une valeur correspondant
au montant requis. La banque va alors acquérir ces titres contre
versement de la somme demandée.
La particularité de ce mode de financement repose sur
la présence de l'élément d'affectio
societatis2.
La banque pourrait elle-même devenir entrepreneur sans
avoir à s'associer mais elle prendrait alors le risque de monopoliser
l'économie des pays musulmans. En s'associant avec ses clients, la
banque encourage à la fois la croissance économique et la
concurrence.
L'association peut également prendre la forme d'une
joint-venture contractuelle3.
La banque peut engager ses fonds propres et être
directement impliquée ou alors agir en tant qu'intermédiaire
entre les investisseurs et les promoteurs, à la condition que les
investisseurs partagent le profit avec la banque en rémunération
du service qu'elle offre et qui consiste à investir les montants des
dépôts.
1 KHAN R.S., An economic analysis of a PLS model
for the financial sector, Journal of applied economics, Pakistan,
vol.III, n°2, 1984
2 L'affectio societatis est
défini dans le Vocabulaire juridique Capitant comme une «
expression latine évoquant un lien psychologique entre associés
qui désigne un élément constitutif de la
société dont les composants sont l'absence de subordination entre
associés, la volonté de collaboration à la conduite des
affaires sociales (en y participant activement ou en contrôlant la
gestion) et l'acceptation d'aléas communs, mais dont l'intensité
varie suivant les formes de sociétés et les catégories
d'associés ».
3 La joint venture est définie comme un accord ayant
pour but la mise en commun de moyens complémentaires afin de
réaliser des économies d'échelle, de réaliser une
synergie ou de pénétrer un nouveau marché. Elle peut
prendre la forme d'une société ou d'un contrat d'association, par
exemple de recherche et développement.
Ce partenariat implique plusieurs règles de fonctionnement
en accord avec le droit musulman (chapitre I) et peut prendre plusieurs formes
contractuelles (chapitre II).
CHAPITRE I
Les différents aspects du
partenariat
Etant une associée à part entière, la
banque participe aux bénéfices comme aux pertes de l'entreprise
commune (Section I). C'est la raison pour laquelle elle doit endosser un
rôle actif dans la création et dans la gestion du projet qu'elle
finance (Section II).
SECTION I Le rôle actif de la banque dans le
projet commun
Contrairement aux banques conventionnelles, la banque
islamique sélectionne avec rigueur les projets qu'elle souhaite financer
pour minimiser les risques de perte (§1). Elle doit ensuite surveiller
constamment l'entreprise commune pour s'assurer de la rentabilité
optimale du projet (§2).
§1 Une mission de sélection a
priori
Cette sélection des projets revient à un conseil
que la banque islamique met en place en son sein et qui est le comité de
la Chari'a, en Anglais le Shari'a board (A). Ce conseil est
chargé de la sélection des projets sur la base de plusieurs
critères économiques et religieux (B).
A L'autorité chargée de la sélection
: le comité de la Chari'a
Ce comité est un organe indépendant
composé de juristes spécialisés en fiqh al
mouamalat (doctrine commerciale islamique). Des théologiens se
voient donc proposer des fonctions de conseillers religieux ou de membres des
bureaux de supervision éthique sur la base de critères de
compétences contemporaines en fiqh et en finance. Il comprend en
général de quatre à sept membres qui se réunissent
à la fin de chaque année financière pour un audit
religieux des opérations financières et d'investissement de la
banque. A l'issue de cet audit le conseil remet son rapport aux actionnaires et
investisseurs de la banque1.
Sa mission est d'orienter, d'examiner et de superviser les
activités d'une institution financière en vue de leur
conformité aux principes de la Chari'a. Le comité prend
ainsi acte du respect par les dirigeants et par la banque de l'éthique
islamique. Il va étudier les demandes de financements qui lui sont
soumises et déterminer au cas par cas leur conformité ou non avec
les principes de droit musulman. La valeur des réponses données
par le comité sont
1 Voir par exemple le rapport annuel du comité de la
Chari'a de l'ABC bank, Shari'a
supervisory board report, report of the board of directors and consolidated
financial statements, 31 december 2007
http://www.arabbanking.com/world/IslamicBank/En/Investment/Documents/ABC%20Islamic%20FS%202007%
204Q.pdf
contraignantes lorsqu'elles concernent la légalité
c'est-à-dire la conformité à la Chari'a.
Lorsqu'il s'agit d'autres questions, leur avis n'est que consultatif.
De plus, le comité a un rôle de
légitimation crucial pour faire accepter le produit mis sur le
marché qui va décroître au fur et à mesure que
l'utilisation de cet instrument va se généraliser. En effet, tout
commence avec le besoin que vont éprouver les institutions
financières d'un produit conventionnel non conforme à la
Chari'a et pour lequel il n'existe pas encore de produit alternatif.
Le comité de la Chari'a va participer aux recherches et aux
débats qui vont aboutir à la création de nouveaux
instruments de financement.
Enfin, le recours à un comité de la
Chari'a par les banques islamiques a un rôle informel mais non
moins important de marketing puisque l'aval de ces comités constitue un
élément déterminant pour les clients qui souhaitent
investir leur argent de façon halal ou conforme à ce que
leur dicte leur religion.
La méthode utilisée par les jurisconsultes de ce
comité pour avaliser une opération consiste à
répondre aux questions suivantes :
- Les termes de la transaction sont-ils conformes à la
Chari'a ?
- S'agit-il du meilleur investissement possible pour le client
?
- Cet investissement va-t-il apporter une valeur ajoutée
pour tous c'est-à-dire servir l'intérêt
général ?
- Est-ce que la banque y investirait son propre argent ?
Si le comité répond par la positive aux quatre
questions sans exception, l'opération sera déclarée
conforme à la Chari'a1.
Si certaines banques ont leur propre comité de la
Chari'a, d'autres font appel de manière ponctuelle à des
conseillers en Chari'a. Ce sont donc des consultants externes,
rémunérés en fonction de la prestation qu'ils effectuent
et sont donc assimilés à des experts externes.
En France, le premier comité de conformité
francophone de la finance islamique est apparu
sous l'impulsion de l'AIDIMM
(Association d'innovation pour le développement économique
et
immobilier) à la fin de l'année 2008 et regroupe toutes les
écoles de pensées musulmanes.
1 MOORE P., Islamic finance, partnership for
growth, Euromoney publications, London, 1997
Il est placé dans la perspective d'un
développement important depuis quelques mois de la finance islamique en
France et de l'absence d'institutions francophones, ce qui posait une
barrière importante pour l'accès des acteurs français aux
informations nécessaires dans le domaine. Le comité nommé
ACERFI (Audit, conformité, éthique et recherche en finance
islamique) se propose selon le secrétaire général
d'AIDIMM, "de travailler avec les institutions francophones et les acteurs
de la finance sur le développement de la finance islamique en
France", et de "d'apporter son expertise en droit musulman et son
savoir-faire sur les produits financiers dits Chari'a-compatibles".
Ainsi, ces comités ont une lourde responsabilité
dans la légitimation des instruments de financement utilisés et
la réputation des banques islamiques. Cependant, la question qui semble
s'imposer, vu l'hétérogénéité des
interprétations du droit musulman, est de savoir s'il existe des
critères précis et stables d'appréciation des instruments
de financement et de quelle nature ils sont.
B Les critères de la sélection
L'on peut classer les critères de sélection
utilisés en deux catégories : d'abord les critères moraux
et religieux et ensuite les critères économiques.
Concernant la première catégorie, le principal
problème, en plus du fait qu'il existe déjà des
divergences d'interprétation de la Chari'a au niveau des
écoles de pensée, est qu'il existe presque autant de
comités de la Chari'a que d'institutions financières et
que chacune rend ses avis de façon indépendante. Il suffit
parfois de changer de banque pour que le projet considéré comme
illicite devienne licite.
Par exemple, un investissement du Al Dar Islamic Fund pour le
groupe de cosmétiques L'Oréal a été jugé non
conforme par les « sages » du Sharia Board qui ont estimé que
la loi islamique interdit aux femmes d'utiliser des produits de beauté
devant des étrangers, alors que d'autres experts considèrent
qu'un tel investissement n'est pas interdit puisque les femmes se maquillent ou
se parfument uniquement chez elles1.
1 BATCHELOR C., Investors unsure about
sharia, Financial Times, 12 mai 2004
Par ailleurs, comme évoqué
précédemment, des Sharia Board considèrent comme
légal le Tawarruq1 alors que d'autres l'estime
prohibé, car complètement en contradiction avec la philosophie
même de la finance islamique. C'est ainsi que la Shariah board
de la banque islamique d'Abou Dhabi a autorisé la commercialisation
du Tawarruq, malgré son interdiction officielle par
l'académie de jurisprudence islamique basée à
Djedda2.
C'est en réponse à ce manque de coordination qu'est
apparu le comité de la Chari'a de l'AAOIFI3. Il est
composé de 20 membres et a pour rôle de :
- Veiller à l'harmonisation et au rapprochement des
concepts et leur application généralisée pour
éviter les contradictions et les inconsistances entre décisions
des différents comités de la Chari'a ;
- Aider au développement d'instruments conformes à
la Chari'a et à leur diversification et
s'aligner sur les besoins actuels du monde de la finance et des
investissements ;
- Se prononcer sur les demandes d'avis qui lui sont
adressées par les institutions bancaires et financières et
arbitrer les différends d'interprétation ;
- Contrôler les normes, standards et codes éthiques
publiés par l'AAOIFI pour s'assurer de leur conformité à
la Chari'a4.
Cette tentative d'harmonisation n'a toujours pas eu l'effet
escompté mais l'uniformité des décisions est en cours de
progression.
Quant aux critères économiques, il doit là
encore s'agir d'une activité produisant des revenus
tangibles, la
société doit être en bonne santé, ne pas avoir
recours à l'intérêt et ne pas être
1EL GAMAL M.A., Islamic finance, law,
economics and practice, Cambridge university press, 2006,
p.68.
Le mécanisme du tawarruq y
est expliqué comme suit : « Si un client veut emprunter 10 000
dollars et payer 5% d'intérêt, et si la banque souhaite lui
prêter la somme à ce taux d'intérêt, la banque a
seulement besoin d'acheter l'équivalent de 10 000 dollars en platine
chez un commerçant, de les revendre à son client sur la base d'un
crédit pour 10 500 dollars à payer ultérieurement, puis
revendre la platine au commerçant pour le compte de son client pour
arriver au résultat souhaité ». (Traduction personnelle de
l'Anglais).
2 REUTERS, Organized tawarruq valid under
sharia, Alroyya al-iqtissadiya, 25 July 2009, Manama
3 L'AAOIFI (Accounting and Auditing Organization for Islamic
Financial Institutions) est une organisation à but non lucratif
islamique internationale autonome chargée de la comptabilité, de
l'audit, gouvernance, éthique et standards de la Chari'a pour les
institutions financières islamiques et l'industrie. Mise en place de
standards, dont de normes comptables et assure leur application
4
http://www.aaoifi.com/sharia-board.html
endettée au plus du tiers de ses actifs. Dans
l'identification des entreprises méritant le partenariat de la banque
islamique, le comité de la Chari'a va travailler en
collaboration avec le banquier chargé de la sélection des
entreprises.
Le client propose le projet à la banque avec les
documents nécessaires et une étude de faisabilité du
projet. Cette étude doit comporter une délimitation du
marché ciblé, l'environnement dans lequel l'entrepreneur
opèrera, les produits qu'il compte offrir et leurs
spécificités, les objectifs industriels, de marketing et
financiers qu'il cherche à atteindre. De plus, l'expérience
professionnelle, la crédibilité et les qualités
personnelles des dirigeants de l'entreprise demandeuse de financement sont des
éléments déterminants dans la décision.
Cette étude est ensuite soumise au comité de la
Chari'a. Celui-ci donne ou non son accord de principe et
l'étape suivante est la rédaction des contrats. Ensuite, le
comité doit de nouveau contrôler la conformité du projet de
contrats de partenariat avant de donner son aval définitif.
La banque islamique prend donc beaucoup plus de risques en
s'associant avec le demandeur de financement qu'en lui avançant
simplement des fonds car elle endosse les responsabilités d'un
associé. Elle doit donc veiller à étudier en profondeur la
santé des entreprises avec lesquelles elle s'engage et minimiser les
risques dus au manque de transparence et d'information sur ses futurs
partenaires. Une fois l'association commencée, la mission de
contrôle de la banque ne s'arrête pas là : elle doit
constamment contrôler l'activité financée afin de veiller
à la rentabilité du projet.
§2 Une mission de contrôle a
posteriori
La mudharaba est un contrat de nature fiduciaire : le
mudhareb gère en principe les fonds en toute liberté. La
banque exerce néanmoins un droit de supervision sur l'activité du
mudhareb, ce qui nécessite une bonne connaissance du domaine
dans lequel les fonds sont investis. La banque doit s'assurer au fur et
à mesure de la rentabilité du projet dans lequel elle a investi.
C'est pourquoi elle doit avoir en son sein une équipe de chargés
d'affaires, chacun responsable de plusieurs projets. Leur mission consiste
à se charger du suivi et du contrôle de l'entreprise commune. Ces
chargés d'affaires vont mettre en place de nombreux dispositifs pour
remplir leur fonction (A). Quant à l'entrepreneur, il doit certes se
montrer à la hauteur de
la confiance qui lui a été accordée et faire
tout son possible pour la réussite du projet mais il n'a qu'une
obligation de moyen envers la banque islamique (B).
A Les modalités du contrôle
La banque étant associée dans l'entreprise
commune, elle a besoin de se prémunir contre les risques de perte et de
mauvaise gestion par le promoteur. Or, les financements dans le cadre de la
banque islamique sont, en théorie, effectuées sans les
sûretés ordinaires, les seules sûretés étant
la réputation du promoteur, le potentiel du produit, le marché ou
encore le marché visé.
La banque n'ayant pas un simple statut de créancier
mais de partenaire, les fonds qu'elle apporte sont considérés
comme étant des fonds propres et non comme un emprunt. Par
conséquent, il apparaît logique d'exclure la constitution de
garanties conventionnelles au profit de la banque.
C'est pourquoi il s'est avéré nécessaire
de mettre en place des moyens de contrôle détaillés et
rigoureux, afin de minimiser les risques assumés par la banque. Les
modalités du contrôle sont de plus en plus uniformes à
travers les différentes banques islamiques et sont prévues
dès le départ dans le contrat.
Le suivi débute à la phase de réalisation
ou du déblocage des fonds : le chargé d'affaires doit veiller au
respect de la décision de financement en s'assurant de la bonne
utilisation du capital social dans les postes d'investissement. L'accord du
chargé d'affaires est nécessaire pour chaque montant
débloqué et ce, pour être sûr de la destination du
capital et pour éviter de faire des dépassements au niveau des
postes d'investissement.
Le chargé d'affaires doit ensuite établir avec
le promoteur un système d'information périodique : au moins une
fois tous les trois mois, l'entreprise financée informera la banque des
principaux indicateurs de gestion : éléments commerciaux,
humains, financiers et de production. La mise en place de ce système
d'information et son contenu sont décidés d'un commun accord au
moment du déblocage des fonds. Le promoteur a a priori les
mains libres tant qu'il se conforme à la ligne de conduite tracée
et ce qui a été convenu de faire dans l'étude ou les
budgets prévisionnels. Cependant, le degré d'intervention de la
banque varie selon le type de contrat envisagé. Par contre,
l'association du chargé d'affaires aux grandes
décisions stratégiques (modification du plan de
développement) ou à la préparation du budget est
obligatoire.
L'objectif essentiel du système d'information est la
maîtrise de la trajectoire de l'affaire, qui implique que l'on puisse
à tout moment rapprocher les valeurs prévisionnelles des valeurs
réelles. Il faut sans cesse (au moins tous les trois mois) rapporter les
réalisations aux prévisions financières, afin de mesurer
les écarts et prendre les décisions correctives
nécessaires. Toutes les informations recueillies par le chargé
d'affaires doivent être traitées et synthétisées
dans un tableau de bord qui sera constitué par un ensemble de tableaux
et de graphiques et autres documents qui présentent sous forme
condensée les informations et les variables d'actions relatives aux
quatre dimensions du suivi de l'affaire (commerciale, humaine,
financière, production).
A côté de la récolte d'information, le
chargé d'affaires doit effectuer des visites périodiques sur les
lieux du projet, généralement deux fois par mois pour le premier
semestre de démarrage et une fois par semestre ensuite, dans le but de
suivre le déroulement et l'état d'avancement de l'affaire sur le
champ. C'est le suivi et le contrôle physique. Il doit être
soldé par un rapport de visite.
Si le promoteur est tenu de transmettre les informations au
chargé d'affaires, ce dernier est quant à lui tenu de
présenter des rapports périodiques au comité de direction
de la banque sur l'état d'avancement des affaires. Ces rapports doivent
être impérativement étudiés. Le chargé
d'affaires doit consacrer le temps et le soin nécessaires à cette
tâche même si elle ne lui sert pas directement ou qu'elle met en
évidence des erreurs commises.
Quelle serait alors la sanction du non respect de cette
modalité au vu de l'interdiction du recours à
l'intérêt et la difficulté pour la banque dans le cadre
sociétaire de se dégager rapidement de sa participation ?
Le non respect des règles de contrôle
exigées par la banque a pour conséquence un système
implicite de rétribution/sanction : si l'entrepreneur ne respecte pas
ses engagements de transparence et de coopération, il pourra être
mis sur une « liste noire » et aura toutes les difficultés du
monde à retrouver un bailleur de fonds.
Dans la pratique, ce système se heurte en effet à
la réticence des entrepreneurs à partager leurs
informations
avec la banque car le système suppose à l'origine une relation de
confiance entre
la banque et le client, condition qui ne se rencontre pas
forcément. De plus, le système souffre encore du manque de
règles uniformes en matière comptable ayant pour effet des
litiges concernant la répartition des bénéfices et des
pertes. Pour autant, le client promoteur n'a pas d'obligation de
résultat vis-à-vis de la banque.
B L'obligation de moyen de l'entrepreneur partenaire de
la banque
Avec la remise de l'argent nécessaire au promoteur, la
banque islamique ne voit pas pour autant les risques de perte
transférés au promoteur comme c'est le cas dans un prêt
conventionnel. L'institution supporte tous les risques liés à la
perte de la somme investie et le promoteur tous les risques liés
à la perte de son effort.
Pour déterminer la nature du devoir qui lie le
promoteur à la banque, il faut prendre en considération
différents critères, notamment la manière dont
l'obligation est exprimée dans le contrat et le degré
d'aléa normalement présent dans la poursuite du résultat
recherché. Ces éléments permettent de qualifier
l'impératif d'obligation de moyen ou d'obligation de résultat.
Dans le cas des contrats de financement participatif, il est
précisé que le promoteur est sensé faire tout son possible
pour assurer la rentabilité du projet. Il est tenu d'apporter à
l'exécution de sa prestation la prudence et la diligence d'une personne
raisonnable de même qualité placée dans la même
situation que son associé et doit donc fournir tous les efforts
nécessaires pour la réussite de l'entreprise commune.
Cependant, la réussite d'un projet dépendant
également de facteurs extérieurs, il n'est pas tenu responsable
des échecs ne découlant pas d'une faute de sa part. C'est la
solution classique lorsque l'exécution d'une obligation par une partie
implique normalement un haut degré d'aléa, en l'occurrence les
aléas du marché qui sont licites en droit musulman. Il faut
s'attendre à ce que cette partie n'entende pas garantir un
résultat, et que l'autre partie n'attende pas une telle garantie. La
constatation de l'inexécution d'une obligation de moyens conduit
à un jugement moins sévère que dans le cas d'une
obligation de résultat où une issue
spécifique et positive est attendue.
Les fautes assimilées à une inexécution par
le promoteur de son obligation de bonne gestion sont les suivantes :
- Les infractions aux dispositions législatives ou
réglementaires d'une part, et aux règles de la Chari'a
d'autre part ;
- Les violations des clauses du contrat de joint venture
créée ou des statuts de la société
créée pour l'entreprise commune ;
- Les fautes commises dans la gestion de la
société, de la simple négligence ou imprudence, aux
manoeuvres frauduleuses.
Par conséquent, l'obligation du client promoteur envers
la banque remplit les conditions d'une obligation de moyens et non de
résultat : le promoteur est tenu d'apporter à l'exécution
de sa prestation la prudence et la diligence d'une personne raisonnable de
même qualité placée dans la même situation et doit
donc fournir tous les efforts nécessaires pour la réussite de
l'entreprise commune.
La responsabilité du gérant de l'entreprise,
qu'il s'agisse du promoteur seul ou qu'il s'agisse d'une gestion commune
opérée par les deux parties, est donc engagée en cas de
faute, même lorsque l'élément d'intentionnalité ne
se retrouve pas. La preuve de la faute est à la charge de celui qui s'en
prévaut.
La sanction en cas de faute de l'entrepreneur peut aller
jusqu'à l'obligation de rembourser intégralement le montant
investi par la banque. Lorsque la gestion est assurée par les deux
parties, ils supporteront ensemble les risques financiers.
De façon générale, les contrats de
financement participatif reposent sur un principe fondamental qui fait leur
originalité par rapport aux instruments conventionnels de financement :
le partage des pertes et des profits.
SECTION II La participation aux résultats de
l'entreprise
Le principe de partage des profits et des pertes est
assurément l'élément le plus significatif et le plus
caractéristique en matière de financement islamique mise à
part la prohibition du riba ou usure.
Les règles de partage des résultats sont le plus
souvent prévues dans les statuts, mais elles sont en droit musulman
obligatoires, « d'ordre public » (§1).
Les instruments reposant sur le partage des
bénéfices et des pertes ont été comparés au
système de capital-risque dans la mesure où les partenaires
assument solidairement les pertes et les profits selon un ratio
préétabli (§2).
§1 Le partage des profits
A titre de rappel, le profit a été défini
par une majorité de fuqahas comme étant la
différence entre la somme dégagée en fin d'exercice et la
somme investie au départ.
Le profit est l'essence même de l'entreprise, c'est
l'objet et le but du contrat. C'est pourquoi l'ignorance des termes du contrat
entraîne sa nullité. Les parties doivent dès le
départ se mettre d'accord sur le mode de partage des profits.
En un premier temps, il convient de déterminer quels
éléments entrent dans la catégorie de profit (A). Par la
suite l'on pourra procéder au partage entre les partenaires (B).
A Modalités de calcul du profit
Il faut déterminer quels éléments au
juste sont comptabilisés comme profit. Dans certains textes
d'économistes musulmans à vocation théorique, le profit
est défini comme la valeur de la productivité marginale du
capital. En pratique, l'observation suggère qu4il s'agit tout simplement
du résultat d'exploitation, au sens comptable du terme.
Cette question pose problème car il y a un manque
d'harmonisation des règles comptables.
Par exemple, la banque Al Rajhi Banking and Investment Corp
utilise les normes IFRS
(International Financial and Reporting Standards),
la Bank Islam Malaysian Berhad, quant à
elle, a recours aux normes d'audit comptable malaises.
L'Islamic Bank of Britain a adopté les règles comptables
britanniques (United Kingdom Generally Accepted Accounting Principles).Par
contre, Al Baraka Islamic Group utilise les normes AAOIFI. Ces normes
élaborées par une institution islamique sont encore loin d'avoir
conquis toutes les institutions bancaires et financières islamiques,
d'où des différences considérables dans la
détermination du profit net1.
Ainsi, si certaines banques considèrent le salaire
éventuel du promoteur comme une charge, d'autres ne le comptabilisent
pas comme tel et l'incluent dans le profit à partager entre les
partenaires.
Par conséquent, les litiges sont importants en
matière de partage du profit puisqu'il ne sera pas du même montant
selon le type de règles utilisées.
B Le partage à un prorata
prédéterminé
La rémunération doit être exprimée
en part, c'est-à-dire en pourcentage du profit total et non en somme
fixe car on ne sait jamais à l'avance s'il y aura profit et à
combien il se montera. La distribution des bénéfices se fait en
gros après paiement des dettes et prélèvement du capital
par la banque, au prorata des apports. L'apport en industrie du promoteur doit
être évalué avec précision par des experts et
précisé dans les statuts de la société, tout comme
le montant apporté par la banque.
En principe, le partage des profits doit se faire de
façon équitable. Cependant, les profits peuvent être
répartis en parts inégales, puisqu'il faudra, d'après les
jurisconsultes Hanafites et Hanbalites qui conseillent les banques islamiques,
tenir compte de la valeur que l'on reconnaît à l'apport du chef du
projet, qui a mené à bien l'entreprise, ce qui autorise une
répartition des bénéfices qui ne seront pas proportionnels
au capital investi. Généralement, si le promoteur est seul
chargé de la gestion, il sera rémunéré en tant que
gérant. Si la mission de gestion est conjointement assumée par
lui et par la banque, son seul revenu sera sa part de
bénéfices.
Si le partage des profits se fait au prorata des apports, le
partage des pertes lui se fait au prorata du capital investi.
1 RUIMY M., op. cit., pp.86 et suiv.
§2 La participation aux pertes
Les pertes sont constituées par l'excédant de
l'ensemble des charges d'un exercice sur les produits de celui-ci. Elles
figurent au passif du bilan, dans les capitaux propres eux-mêmes contenus
dans le compte "de résultat de l'exercice".
Dans leur structure conventionnelle, ces financements
impliquent une répartition des risques sur les parties les plus à
même de les supporter, compte tenu de leurs rôles respectifs dans
le projet.
Le principe de partage des pertes repose sur une conception
déterminée de la justice selon laquelle deux partenaires ne
peuvent avoir de rapport commercial sain à moins de supporter ensemble
les risques liés à leur entreprise commune (A). Cependant, les
banques islamiques ont réussi à contourner la règle les
obligeant à supporter les pertes (B).
A L'interdiction des clauses léonines en droit
musulman
Elle est définie comme une clause privant un
associé de tout droit aux profits de la société ou lui
attribuant la totalité des pertes ou l'exonérant de toute
contribution au passif social. Cette clause est réputée non
écrite dans le contrat de société.
La contribution aux pertes ne concerne que les rapports entre
associés, et non le droit de poursuite des créanciers. C'est
à la clôture de chaque exercice comptable de la
société que se déterminera la contribution de chaque
associé aux pertes éventuelles. L'associé qui aura
payé plus que sa part dans les statuts aura un recours contre ses
coassociés. En droit français, chacun contribue en principe aux
pertes proportionnellement à la part de capital qu'il détient
dans la société, mais une répartition inégalitaire
peut être permise, dès lors qu'elle n'est pas léonine. Le
droit musulman ne permet pas une telle souplesse même avec l'accord
commun des parties.
En France, les clauses léonines sont
réputées non écrites : la nullité de la clause
n'entraîne pourtant pas celle la société, la règle
de partage des résultats proportionnellement aux apports se substitue
automatiquement à la clause léonine. Par contre, selon les
jurisconsultes musulmans, une telle clause entraîne la nullité de
la société même. Cette solution a été
jugée très sévère et constitue actuellement un
frein au développement des entreprises ayant recours au financement par
participation des banques islamiques.
Les banques islamiques sont réticentes à assumer
seules les risques financiers. C'est pourquoi elles tentent de contourner
l'interdiction des clauses léonines.
B Le contournement de cette règle par les banques
islamiques
Lorsque le niveau de risque est jugé
élevé, en fonction de l'assise financière et
immobilière du promoteur et afin de dissuader les abus, la mauvaise foi
et la mauvaise gestion, la banque peut accepter des garanties de toute nature.
Elle ne peut cependant les réaliser qu'à condition que le
promoteur ait enfreint ses obligations.
De façon générale, des montages
spécifiques sont mis en place par les banques islamiques pour garder un
niveau de risque comparable à celui prévu dans la documentation
des banques commerciales, ce qui nécessite un contrôle
étroit et un accord de ces dernières. En raison du faible niveau
ou de l'absence de garanties extérieures au projet, les banques
commerciales ne supporteront généralement que les risques
liés à la rentabilité du projet.
Il convient de noter que le droit musulman permet la mise en
place d'un certain nombre de sûretés similaires au gage, au
nantissement ou à l'hypothèque. Cependant, il est impossible
d'octroyer une quelconque sûreté sur un bien n'existant pas au
moment de la constitution de la sûreté, ce qui pose parfois
problème lorsque par exemple, le promoteur souhaite hypothéquer
l'immeuble qu'il compte construire grâce au financement de la banque.
Au final, en plus des risques classiques, le financement
participatif comporte de très nombreux périls pour les banques
islamiques. En effet, il sera plus difficile pour la banque de se retirer du
partenariat si le promoteur s'avère ne pas être à la
hauteur : la cession de parts sociales ou actions d'une société
en mauvaise santé, ou encore la dissolution de la société
sont des procédures beaucoup plus lourdes que la simple
résolution ou résiliation d'un contrat.
C'est ce qui explique la faible part de financement par des
instruments reposant sur le partage des pertes et des profits dans
l'activité des banques islamiques. Ce manque de recours aux instruments
de financement participatif explique qu'il y ait eu peu d'innovation en la
matière et que le nombre de contrats aujourd'hui utilisés est
limité.
CHAPITRE II
Les formes possibles du partenariat
Les formes contractuelles, reposant sur le principe de partage
des pertes et profits, restent peu nombreuses par rapport au foisonnement
d'instruments de financement reposant sur la dette que nous avons
décrits dans la première partie de notre
étude1.
Les contrats de financement par participation de la banque
islamiques sont essentiellement au nombre de deux.
Il y a d'abord le financement par la mudharaba
où le rôle de gestion est exclusivement réservé au
client-partenaire (section I). A côté de la mudharaba, il
est possible d'employer un mode de financement plus sûr pour la banque
islamique et par lequel elle pourrait contrôler plus activement la
gestion de l'activité financée, et ce en ayant recours à
la technique de la mucharaka, littéralement «
participation » (section II).
1 Ces instruments font l'objet des pages 35 à 55 de notre
étude
SECTION I Le financement par la mudharaba
Le terme de mudharaba signifie littéralement
« multiplication ». Le contrat de mudharaba est un
instrument de financement défini comme étant un contrat par
lequel l'une des parties, le rab al-mâl (détenteur de
fonds), fournit les fonds à l'autre partie, le mudhareb
(multiplicateur) qui s`engage dans la gestion d'une activité pour
engendrer un certain profit. La mudharaba repose sur le principe de
partage des pertes et profits. La part de profit de chacun étant
fixée préalablement à la signature du contrat.
L'on considère ici que l'apport en industrie du
mudhareb et l'apport en capital du rab al-mâl ont le
même poids. Par conséquent, si l'entreprise dégage des
pertes, elles seront supportées par le seul bailleur de fonds car l'on
considèrera que le mudhareb aura perdu son propre apport, en
l'occurrence son temps et le fruit de son travail.
Il est à noter qu'il existe des formes
dérivées de la mudharaba, en l'occurrence la
muzaraâ (du verbe zaraâ, yazra'u : semer des
graines), la mugharassa (qui renvoie à l'action de planter) et
la mussakât (du verbe saqâ, yasqî qui
signifie arroser), mais ces contrats sont basés sur le même
mécanisme que celui de mudharaba et s'appliquent
spécifiquement au domaine de l'agriculture.
Le contrat de mudharaba est un contrat ancien qui
remonte à la période antéislamique. Il a donc fait partie
des contrats utilisés et développés, dès la
naissance du droit musulman (§1). Avec le développement des banques
islamiques au vingtième siècle, l'on a assisté à
une recrudescence du recours à ce contrat sous une forme
complexifiée et adaptée afin de s'insérer dans le
système bancaire contemporain (§2).
§1 Le contrat de mudharaba en droit
musulman
A l'origine, il a été décrit par les
fuqahas comme un contrat d'association entre deux parties au moins en
vertu duquel l'une d'elles apporte son capital, l'autre son travail ou son
industrie dans une perspective de partage des bénéfices
réalisés1. L'origine du contrat remonte à
l'époque où le Prophète s'était associé
à celle qui deviendrait sa première épouse, Khadija.
1 OBEIDY Z., La banque islamique-une nouvelle
technique d'investissement, thèse de doctorat soutenue
à Beyrouth, Dar ar-Rashad al-islamiyya, 1988,
p.76
C'était une riche femme d'affaires qui proposa au
prophète de mener son caravansérail jusqu'à une autre
ville, moyennant une part des bénéfices qu'il retirerait des
ventes qu'il ferait pour son compte à son arrivée. Le capital
humain, c'est-à-dire le travail fourni par le Prophète et son
expérience de commerçant, a le même statut que le capital
financier, en l'occurrence les marchandises destinées à la vente
et l'argent pour le voyage qui ont été fournis par Khadija.
Le contrat de mudharaba doit obéir à
plusieurs conditions pour être conforme à la Chari'a (A)
et peut être comparé à la société en
commandite de droit français (B).
A Conditions de validité
Les conditions de validité se rapportent notamment au
capital investi.
Selon l'article 1409 alinéa 2 du Medjellé
ottoman1, l'apport du rab al-mâl doit être en
numéraire. Cependant, il peut en théorie s'agir d'un capital
financier, d'un capital en nature ou des deux : selon les Malékites, il
peut s'agir d'une marchandise que le mudhareb va revendre. Le prix
récolté sera la contribution du rab al-mâl. Cette
possibilité est réfutée par les Chaféites selon
lesquels la société ne peut être exploitée dans ce
cas car le capital reste incertain jusqu'à la réalisation de la
vente et la constatation du prix récolté, avec les aléas
des marchandises invendues et de la baisse des prix du marché entre le
moment de la conclusion du contrat et le moment de la vente.
Au final, l'option pour le rab al-mâl de faire
un apport en marchandises est possible à condition que le contrat
précise s'il faut considérer comme apport la valeur des
marchandises au moment de la conclusion du contrat ou à l'issue de la
vente.
Ensuite, le capital financier investi doit être
exprimé dans la monnaie de circulation. Le capital humain
également doit être évalué dans la même
monnaie et les deux montants doivent être précisés dans le
contrat. Il est essentiel que le capital soit certain et
déterminé comme dans toute société afin de pouvoir
déterminer les quotes-parts de chacune des parties au début de
l'opération et de pouvoir calculer les bénéfices et les
pertes à la fin de l'opération.
Ces apports doivent être disponibles. En l'occurrence il
doit s'agir d'argent comptant et non
de créances ou d'argent
indisponible ou de dettes du mudhareb. Si l'apport du rab
al-mâl était
1 Bâz S., Charh al-majalla
(Medjellé ottoman, traduction en Arabe commentée), 2 volumes,
Beyrouth 1988-89
constitué d'une dette du mudhareb envers le
rab al-mâl, la mudharaba cacherait sans doute un
bénéfice usuraire détourné : le profit
réalisé avec l'argent du rab al-mâl, qui constitue
un pourcentage de la somme, retournerait au rab al-mâl, ce qui
est une forme explicite de riba. Par contre, le rab
al-mâl peut donner au mudhareb une créance à
encaisser pour son compte qui sera considérée comme un apport.
Le capital doit être livré effectivement entre
les mains du mudhareb. Il s'agira alors d'un contrat de consignation
qui sera effectif par la remise de l'objet, en l'occurrence l'argent. Le
mudhareb doit disposer librement et inconditionnellement du capital
pour mener à bien son activité.
Les autres conditions de validité se rapportent
à la nature du travail du mudhareb puisqu'il ne doit pas y
avoir de lien de subordination entre les parties. Autrement, l'opération
se transformerait en contrat de travail.
Quant à l'exploitation du capital, elle se
caractérise, en principe, par l'absence de toute ingérence du
bailleur de fonds, sauf faute de gestion de la part de l'entrepreneur.
Au terme de l'opération de financement, si l'entreprise
commune ne dégage aucun profit, ou qu'elle enregistre une perte sans que
la faute du mudhareb ait été prouvée,
l'entrepreneur n'aura perdu que son effort et en contrepartie, il ne touchera
pas de salaire pour la gestion de l'entreprise.
La mudharaba prend fin avec la décision de
dissolution de la société ou toute autre cause d'extinction de la
société (règlement judiciaire, décès de l'un
des associés, etc.).
Les auteurs occidentaux et de tradition romano-germanique ont
souvent comparé cette forme de société à la
société en commandite, simple ou par actions.
B Assimilation à la société en
commandite
Pour être valide, toute société doit
être consignée au registre du commerce ou son équivalent du
pays dans lequel elle va s'établir. Pour ce faire, elle doit prendre la
forme d'une société admise par la législation de ce pays.
En France, il semble que la forme la plus adéquate avec le contrat de
mudharaba soit la société en commandite, simple ou par
actions.
A titre de rappel, la société en commandite
simple est une société de personnes, commerciale par la forme, et
connue du public sous une raison sociale, qui comprend deux sortes
d'associés : un ou plusieurs associés indéfiniment et
solidairement tenus des dettes sociales, appelés commandités ou
gérants qui ont tous la qualité de commerçant et dont le
nom figure dans la raison sociale (à moins que celle-ci ne comprenne le
nom d'un ou plusieurs d'entre eux suivi de l'expression « et Cie ») ;
un ou plusieurs associés tenus seulement dans les limites de leur
apport, appelés commanditaires ou bailleurs de fonds, exclus de la
gérance et qui n'ont pas la qualité de commerçant.
Quant à la société en commandite par
actions, il s'agit d'une société commerciale par la forme
comprenant les deux catégories d'associés de la
société en commandite simple mais dans laquelle l'apport des
commanditaires (dont le nombre ne peut être inférieur à
trois) est représenté par des actions1.
Dans la mudharaba aussi, il existe deux
catégories d'associés : le rab al-mâl est
assimilé au commanditaire car il ne s'occupe pas de la gestion de la
société, et a seulement un droit de surveillance et de
contrôle sur les affaires internes. Le mudhareb pour sa part est
assimilé au commandité et assure librement la gestion de la
société.
L'apport du rab al-mâl tout comme celui du
commanditaire est remis aux mains du partenaire chargé de la gestion et
le mudhareb tout comme le commandité ne peut garantir au
bailleur de fonds la restitution de son apport en le déchargeant de ses
pertes.
De plus, les deux contrats de mudharaba et de
société en commandite sont des contrats intuitu personae
: le partenaire chargé de la gestion doit remplir personnellement son
mandat consistant à mener à bien l'entreprise commune.
Cependant, certaines différences empêchent de
confondre les deux types de contrats : dans la mudharaba, le
mudhareb fait un apport en industrie seulement alors que dans la
société en commandite, rien n'empêche le commandité
de souscrire à une partie du capital. De plus, le commanditaire ne
supporte les pertes qu'à hauteur de son apport tout comme le
commandité tandis que dans la mudharaba, si les profits sont
partagés au prorata des apports, les pertes financières, elles,
ne sont supportées que par le rab al-mâl. Enfin, la
société en commandite a
1 Sur la définition des deux types de
sociétés en commandite, voir CORNU G., Vocabulaire
juridique, PUF, 6ème édition, 2004, p.856
vocation à durer dans le temps alors que la
société de mudharaba est sensée être
dissoute dès que le mudhareb aura fini de racheter au bailleur
de fonds ses parts, c'est-à-dire de le rembourser.
Quoiqu'il en soit, dans les pays où la
société en commandite est règlementée par le
législateur (par exemple en Tunisie), c'est cette forme qui a
été reprise par les banques islamiques pour les contrats de
mudharaba.
Le contrat de mudharaba a été
adopté dès les années soixante-dix par les banques
islamiques et adapté afin d'être utilisé en tant
qu'instrument de financement à moyen et à long terme.
§2 Les différents modèles de
mudharaba dans la pratique des banques islamiques
La mudharaba a été utilisée
comme instrument de crédit à moyen et long terme, par exemple
comme substitut à l'émission d'obligations conventionnelles dans
les années quatre-vingt au Pakistan : les PTC (participation term
certificates) ont tendu à remplacer le financement par dettes
basées sur l'intérêt. Il s'agit d'instruments
transférables basés sur le principe de partage des pertes et des
profits, désignés pour remplacer les dettes par emprunt en
monnaie nationale à moyen et long terme contractées par le
secteur industriel. Ces certificats ont été utilisés
notamment pour la construction de bâtiments publics.
La mudharaba telle que prévue en droit
musulman est difficile à appliquer car le contrat exige à la base
une relation de proximité et de confiance entre les parties, condition
qui ne caractérise pas forcément la banque et son client. De
plus, dans la mudharaba, le partage des profits doit se faire à la fin
de l'opération de financement alors que l'investissement bancaire repose
à la base sur la continuité de l'opération et la
répartition périodique des bénéfices, ce qui
empêche une liquidation totale des bénéfices
éventuels à chaque échéance.
Pour toutes ces raisons, l'on a déduit que la
mudharaba était difficile à appliquer aux financements
de projets. Elle est plutôt utilisée pour la mise en place de
fonds d'investissements destinés à financer diverses
activités. En France, elle est un bon substitut aux
fonds d'investissement que le droit français règlemente de
manière ponctuelle tels que la titrisation ou encore les fonds communs
de placement, la fiducie ne faisant pas, à ce jour, partie de l'arsenal
juridique français.
Deux types de contrats de mudharaba sont
proposés aux clients désirant investir leur argent. Ils peuvent
d'une part confier leur argent à la banque sans aucune restriction ou
droit d'ingérence concernant la destination des fonds. C'est la
mudharaba mutlaqa ou mudharaba libre. Elles peuvent aussi
choisir par l'insertion d'une clause dans le contrat la destination exacte de
leurs fonds, c'est la mudharaba muqayyada ou mudharaba
restreinte.
Le partenariat s'achève lorsque le mudhareb a
remboursé à la banque les fonds investis et qu'elle a pu retirer
de l'opération une marge de profit.
A la fin de l'opération de financement, le compte du
mudhareb est soldé et la banque prélève sa
commission. Ensuite, on solde les comptes des déposants selon les
résultats obtenus et le type de compte détenu : s'il s'agit de
comptes de titres, de placement, ou à vue, le déposant ne
percevra aucune rémunération mais ne risque pas non plus de subir
de pertes. Par contre, s'il s'agit d'acquisition de certificats nominatifs ou
au porteur, partage des profits dégagés par les investissements
entrepris dans le cadre de la mudharaba.
L'on a constaté deux formes de mudharaba
pratiquées par les banques islamiques, la première est la
mudharaba « two-tier » dans laquelle la banque
endosse à la fois le rôle du mudhareb et du rab
al-mâl (A) et la deuxième est la mudharaba dans
laquelle la banque est uniquement intermédiaire entre ses clients en
besoin de financement et ses déposants (B).
A La mudharaba « two-tier
»
Dans ce type de mudharaba qui est le plus
usité par les banques islamiques, l'on est en fait en présence de
deux contrats de mudharaba.
Le premier est conclu entre les déposants et la banque
islamique, le déposant étant le rab almâl et le
mudhareb, la banque, Ce choix s'explique par le manque de fonds
propres de la banque islamique pour pouvoir répondre à toutes les
demandes de financement. C'est la raison pour laquelle elle va plutôt
utiliser les fonds de ses déposants. Ces déposants sont
collectivement considérés comme le rab al-mâl, ce
qui signifie que les fonds ne sont pas pris individuellement chacun pour une
opération précise. La banque islamique est le mudhareb,
titulaire du savoir-faire en matière d'investissement, elle fait un
apport en industrie consistant en la sélection et le suivi des
investissements.
Au terme de chaque exercice, l'on soustrait des
bénéfices les dépenses et les réserves
légales imposées par la banque centrale. Le reste est
distribué entre la banque et les déposants à un prorata
prédéterminé. La rémunération est variable
en fonction du type de compte ouvert. Par exemple, les comptes à vue ne
sont pas rémunérés car ils sont garantis à cent
pour cent et le refus du partage des risques ne donne pas droit à une
part des bénéfices. Par contre, les comptes de placement ne
garantissent pas la valeur nominale du dépôt et donnent droit
à une part des bénéfices.
Généralement, il s'agit d'une mudharaba
mutlaqa, la banque est libre quant au choix de la destination des fonds.
En plus des fonds de ses déposants, la banque peut éventuellement
ajouter une partie des fonds de ses actionnaires.
Le deuxième contrat de mudharaba est
passé entre la banque islamique et l'entrepreneur en besoin de
financement. La banque islamique devient alors le rab al-mâl et
l'entrepreneur devient le mudhareb. Le partage des
bénéfices se fait au prorata convenu et les pertes sont
uniquement assumées par la banque sauf cas de mauvaise gestion du
mudhareb. Généralement, la banque étant en
position de force par rapport au demandeur de fonds, elle va lui imposer un
contrat de mudharaba muqayyada. De ce fait, elle choisira avec minutie
le mode d'emploi des fonds avancés et exercera un contrôle
rigoureux sur l'activité du mudhareb. Cependant, elle peut
éventuellement lui laisser les mains libres si le projet lui semble
particulièrement rentable.
Si au terme de l'opération, l'entreprise commune
enregistre des pertes, le mudhareb n'aura pas à garantir le
capital et s'il n'y a pas de bénéfices, le mudhareb ne
touche aucune rémunération, et ce en conformité avec la
mudharaba telle qu'élaborée en droit musulman.
Les banques islamiques éprouvent une grande
difficulté à contrôler l'emploi des fonds avancés et
les risques sont parfois trop difficiles à assumer, c'est pourquoi
certaines de ces banques préfèreront se contenter d'un rôle
d'intermédiaire entre les déposants et les entrepreneurs
demandeurs de financement.
B La banque, intermédiaire entre le
mudhareb et le rab al mâl
Dans le cas présent, la banque endosse uniquement la
responsabilité d'intermédiaire entre les demandeurs de
financement et les déposants.
Un seul contrat de mudharaba est conclu sur la base
d'un contrat de mandat : la banque est mandataire salariée de ses
clients, c'est-à-dire qu'elle touche une rémunération pour
son travail mais n'a pas droit à une part des bénéfices.
Les clients sont le rab al-mâl et la banque investit leur argent
en leur lieu et place pour des entrepreneurs qui ont la qualification de
mudhareb.
En fait, selon les fuqahas, ce type de
mudharaba est un contrat complexe qui se subdivise en deux
étapes : il y a d'abord contrat de dépôt (wadi'a)
par lequel le client, en tant que dépositaire, fait confiance à
la banque et lui confie son argent à charge pour celle-ci de lui
restituer l'objet, en l'espèce l'argent, au terme du contrat. Ensuite,
c'est par l'intermédiaire d'un contrat de mandat (wakala) que
le client charge la banque d'investir l'argent qu'il lui a confié, et ce
dans la limite des pouvoirs qu'il lui a accordé.
A priori, rien n'empêche la banque d'être
un investisseur direct et de partager par conséquent les
bénéfices avec les épargnants mais dans ce cas, la banque
devra garantir aux déposants la somme déposée, même
pour les comptes d'investissement dont la valeur nominale n'est à
l'origine pas garantie. Cela dit, ce comportement est critiquable dans la
mesure où s'il est vrai que la banque agit avec l'argent des
épargnants sans leur demander leur avis, les clients tout de même
auront droit à une part des bénéfices sans pour autant
prendre le risque de devoir assumer les pertes, ce qui constitue une injustice
réprouvée par les principes de droit musulman envers la
banque.
La banque sera responsable vis-à-vis de son client en
cas de faute dans le choix du mudhareb, alors même qu'elle
n'intervient pas dans la gestion des activités financées. C'est
cette trop grande responsabilité qui rend les banques islamiques aussi
« frileuses » dans le choix de cet instrument comme mode de
financement.
Le meilleur moyen pour les banques islamiques de s'assurer de
la profitabilité des projets qu'elle finance dans le cadre du partage
des pertes et des profits semble être d'exiger un rôle plus actif
dans la gestion de l'entreprise qu'elle finance. La mucharaka semble
alors plus appropriée.
SECTION II Le financement par la mucharaka
La mucharaka est un contrat par lequel deux ou
plusieurs personnes associent leur capital financier, humain et/ou physique
afin de développer un nouveau projet commercial ou de participer
à une entreprise existante. Les partenaires sont copropriétaires
de l'entreprise commune et la gèrent ensemble. La
rémunération de leur investissement se fait comme pour la
mudharaba sur la base du principe de partage des pertes et des
profits. Après avoir présenté le contrat de mucharaka
de façon générale (§1), nous étudierons
les différentes formes de musharaka pratiquées par les banques
islamiques (§2).
§1 Exposé du contrat de
mucharaka
Le contrat de mucharaka est un contrat classique de
droit musulman qui doit obéir à des conditions de validité
particulières (A). Dans la pratique des banques islamiques, ce contrat a
été adapté au rôle spécifique des banques et
aux besoins actuels des entrepreneurs (B).
A Conditions de validité en droit
musulman
Les conditions de validité du contrat de
mucharaka sont essentiellement de deux sortes : certaines sont
relatives aux associés, d'autres au capital de la société
créée.
Concernant les associés à la mucharaka,
étant donné que chaque associé est responsable du
capital de ses partenaires et travaille en leur nom, cet instrument de
financement repose sur la délégation des pouvoirs des uns aux
autres, ils doivent donc pouvoir jouir de la capacité de conclure un
contrat de mandat en tant que mandaté ou mandataire pour que chacun
puisse gérer la part des autres. C'est pourquoi la moralité et la
relation de confiance entre les associés revêtent une importance
fondamentale.
Etant donné que chaque partenaire participe au
financement, l'on est en présence d'une situation de cogérance,
sauf renonciation par l'une des parties alors que dans la mudharaba,
il y a une interdiction de principe pour le rab al-mâl de
participer à la gestion.
Selon les fuqahas, il est possible de s'associer
à un Chrétien ou à un Juif, mais le Musulman doit pouvoir
garder un droit de regard sur la gestion pour s'assurer que le comportement de
son associé n'est pas contraire à la Chari'a.
Concernant le capital de la société
mucharaka, il doit d'abord être apporté en monnaie et
disponible au moment de la conclusion du contrat. Cependant, les
Malékites et les Hanbalites peuvent admettre la validité d'un
capital en nature à condition qu'il soit évalué et que la
valeur retenue par la suite soit celle du moment de la conclusion du contrat et
qu'elle ne puisse pas être revue pour modifier les parts de
bénéfices de chacun.
Les apports des associés doivent se confondre de sorte
que chacun puisse gérer l'ensemble du capital et pas uniquement sa seule
contribution. Cependant, pour les Hanéfites et la Hanbalites, ce n'est
pas une condition de validité mais d'opposabilité de la
mucharaka.
Contrairement à la mudharaba, les parties
peuvent se mettre d'accord pour partager les profits indépendamment des
apports de chacun. Par contre, les pertes sont toujours assumées au
prorata du capital, sans dérogation possible. De surcroît, selon
les Hanéfites et les Hanbalites, la particularité de la
mucharaka est que l'entrepreneur est rémunéré en
tant que chef de projet en plus du pourcentage de bénéfices qu'il
touche en tant qu'auteur d'un apport en capital.
B Le contrat de mucharaka dans les banques
islamiques
Dans les banques islamiques, la mucharaka est
prévue dans tous les statuts de banques islamiques. L'on
considère ce contrat comme un modèle de justice distributive.
Elle est conçue comme une sorte de contrat de participation-cession
ayant pour particularité par rapport à la mudharaba le fait que
les deux parties assument conjointement les pertes financières.
Le capital investi peut être financier, technique ou
humain. Dans chacun des cas, il doit être clairement défini et
évalué dans le contrat.
Le montant des capitaux requis et accordés par la
banque dépend surtout de la connaissance qu'a la banque islamique des
compétences de son client : plus ces compétences sont reconnues,
plus la participation de la banque pourra être importante, en
général de 50 à 65%.
La quote-part de la banque consiste généralement
en l'émission d'une garantie bancaire (aval, crédit documentaire,
lettre de garantie, caution sur marché ou autre , sous une forme
adaptée aux règles de droit musulman). La Chari'a
autorise la mucharaka dans des opérations
bénéficiant de différés de paiement à
condition que chacune des deux parties assume une partie de l'engagement
vis-à-vis du/des fournisseur(s).
Le mode de répartition des bénéfices
entre les parties doit être explicitement arrêté lors de la
conclusion du contrat afin d'éviter toute cause de litige. Le partage
des profits ne peut avoir lieu qu'après la clôture de la
mucharaka, ce qui signifie que l'anticipation des résultats
n'est a priori pas possible. Néanmoins, des avances peuvent
être prélevées d'un commun accord entre les parties,
à charge de régularisation à la clôture du contrat
ou de l'exercice selon les cas. Chaque partenaire assume les pertes à
hauteur de sa participation dans le capital. Aucune dérogation ne peut
être acceptée.
Même si la banque décide de ne pas participer
à la gestion effective de l'entreprise commune, elle se fera
généralement représenter au sein du conseil
d'administration de la société créée à cette
fin pour assurer un certain degré de contrôle de l'activité
financée.
La conférence des banques islamiques réunie
à Dubaï en 1979 a admis trois formes possibles de
mucharaka.
Dans la première, les participations de chacune des
parties sont établies dans un acte séparé de celui de la
mucharaka pour permettre par la suite à la banque (ou au
client) de céder sa part à son partenaire ou à un
tiers.
Une seconde possibilité consiste pour la banque
à ne financer que des projets à rendement certain. Ainsi, la
banque prélève sa part de profit et retient une
part du profit du clientpartenaire afin de rembourser son investissement.
Cependant, cette solution semble critiquable dans la mesure où la banque
ne prend ici aucun risque en échange du bénéfice qu'elle
retire puisqu'elle sait déjà qu'elle va rentrer dans ces fonds.
Cette attitude va à l'encontre du principe de partage des risques et
peut être assimilée à une forme de riba.
Enfin, la troisième option consiste en l'émission
d'actions ou de parts sociales couvrant ce qui
fait l'objet de la
mucharaka. Ces titres seront répartis entre les partenaires au
prorata du
capital apporté. Le partenaire peut annuellement
acquérir un nombre d'actions, d'où une
diminution progressive du portefeuille de la banque
jusqu'à ce que le client devienne l'unique propriétaire de la
société.
A titre d'exemple, la Faysal Bank du Soudan a appliqué le
contrat de mucharaka comme suit :
Un pourcentage des profits prédéterminé
va au partenaire chargé de la gestion. Le solde est distribué
entre les parties au prorata du capital ou selon un autre pourcentage
fixé par accord des parties. Les pertes par contre se font toujours au
prorata du capital apporté. Le partenaire chargé de la gestion
doit régulièrement soumettre un rapport à la banque, qui
se réserve le droit de superviser et de gérer l'activité
en cas de faute du gestionnaire. Cette condition vient
modifier le contrat de mucharaka tel que conçu en droit
musulman où le partenaire peut gérer quand il le souhaite et sans
avoir à prouver une quelconque défaillance de son partenaire. Les
termes et conditions de liquidation des opérations ainsi que de la
société sont fixés à l'avance dans le contrat.
La mucharaka sert à financer de nombreux types
de projets, agricoles, industriels et commerciaux. Elle est également
souvent utilisée pour l'acquisition de biens immobiliers selon un
montage original et complexe, en l'occurrence un contrat de prêt
immobilier mucharaka accompagné d'une
ijara1 organisé comme suit : le client et le
banquier s'associent pour acquérir le bien immobilier souhaité et
en deviennent conjointement propriétaires. La participation de la banque
dans la copropriété est représentée par des parts.
Le client peut racheter les parts de la banque périodiquement sur une
base déterminée. Il paiera des mensualités à la
banque qui correspondront pour une part à des loyers et pour une autre
part au rachat de la mise de la banque en fonction de la quote-part de chacun
dans le montage.
La mucharaka présente des avantages certains.
Tout d'abord, elle permet une augmentation de la force productive de
l'entrepreneur client de la banque et lui donne une position plus solide en cas
de crise. De surcroît, le fait que la banque participe au projet apporte
un surplus de garantie au succès car le promoteur
bénéficie de la réputation et du savoir-faire de
l'institution
Cette dernière est solidaire avec son client et partage
avec lui les risques, d'où un partage plus équitable des
revenus.
1 RUIMY M., op. cit., pp.103-104
Pour sa part, la banque pourra s'adapter plus facilement aux
changements structurels intervenant dans l'économie en investissant au
fur et à mesure dans les secteurs les plus rentables.
Cependant, la mucharaka reste un instrument hautement
risqué. En effet, la banque n'a le droit d'exiger le remboursement de
son apport qu'en cas de violation par son partenaire de l'une des clauses de la
mucharaka, de négligences graves dans la gestion de l'affaire
ou dans des cas de mauvaise foi, de dissimulation, d'abus de confiance et
autres actes similaires. La charge de la preuve incombe à la banque et
ses fonds restent immobilisés tant qu'elle n'aura pas eu gain de
cause.
Elle peut cependant requérir de la part de son
partenaire la constitution de garanties, qu'elle ne pourra appliquer que dans
l'un des cas sus mentionnés.
Pour être sûres d'investir dans des entreprises
rentables, les banques islamiques ont besoin d'une expertise
particulière en évaluation d'actifs, en diagnostic de projets et
en ingénierie juridique et financière.
La mucharaka représente une part minoritaire
mais croissante dans les activités des banques islamiques. Plusieurs
types de mucharaka ont été élaborés par la
pratique bancaire.
§2 Les différents types de
mucharaka
Les contrats de mucharaka sont différents
d'une banque à l'autre et d'un secteur d'activité à
l'autre. L'on peut les classifier d'une part selon le degré de
responsabilité des partenaires (A) et d'autre part selon la durée
du partenariat (B).
A Classification selon le degré de
responsabilité des partenaires
A l'origine, les fuqahas distinguent entre la
participation de fait (chirkat al-mulk) qui est involontaire et
consiste par exemple en une participation dans un bien indivis du fait d'un
héritage, et la participation contractuelle (chirkat al-aqd)
qui est une association contractuelle résultant d'une démarche
volontaire des partenaires. C'est cette dernière qui a été
qualifiée de contrat mucharaka qui peut être traduite par
« société de participation ».
Le contrat mucharaka se subdivise lui-même en
plusieurs genres : il y a d'une part la société de travail
(charikat al-abdan) dans laquelle les partenaires contribuent à
l'entreprise commune par leur connaissance , leur expertise et leur
savoir-faire sans faire aucun apport en capital ; d'autre part, nous trouvons
la société de crédit (charikat al-wujuh) dans
laquelle les partenaires n'apportent pas de capital mais sont connus pour leur
bonne moralité et leur honorabilité, ce qui leur permet de
démarrer une activité sans mise de fonds personnelle. Au
contraire, la société de capitaux, (charikat al-amwal)
repose en premier lieu sur une mise de fonds personnelle des partenaires.
Néanmoins, les formes de mucharaka les plus
fréquemment utilisées sont l'association commerciale
illimitée (charikat al-mufawadha) et la société
à mandat limité (charikat alinan).
Dans l'association commerciale illimitée, les
partenaires doivent être adultes, participer à part égale
au capital requis et engager leur responsabilité en ce qui concerne tant
leurs parts que celles de leurs partenaires au regard des pertes et profits.
Chacun d'eux doit avoir la pleine autorité d'agir en tant que
représentant des autres et est considéré comme responsable
des dettes de ses partenaires à condition que ces dernières aient
été contractées durant l'activité
considérée. Ainsi, chaque partenaire peut agir en tant que
mandataire pour l'entreprise et joue le rôle de garant pour les autres
associés.
Par contre, dans la société à mandat
limité, les associés ne doivent pas nécessairement
être majeurs ni avoir la même part au capital. Leur participation
à la gestion de l'activité peut être
différenciée et de ce fait, la répartition des profits ne
se fait pas nécessairement sur la base de leur contribution
financière respective. En somme, les partenaires agissent comme
mandataires mais pas comme garants les uns des autres. C'est ce dernier type de
mucharaka qui est le plus fréquemment utilisé par les
banques islamiques.
B Classification selon la durée du
partenariat
Les jurisconsultes musulmans et les praticiens distinguent ici
entre la mucharaka ad-daima ou perpétuelle et la mucharaka
al-mutanaqissa ou dégressive.
Dans la mucharaka perpétuelle, la
participation de la banque est à vocation constante, la banque et le
client demeurent en principe partenaires jusqu'à l'expiration du terme
de contrat d mucharaka qui en pratique, coïncide avec
l'achèvement du projet financé.
En pratique, la banque participe au capital propre de
l'entreprise à créer ou existante en devenant actionnaire. Ainsi,
elle devient copropriétaire de l'entreprise dans la limite de sa
participation et est rémunérée par des dividendes à
la fin de chaque exercice. C'est la raison pour laquelle cet instrument de
financement est le plus souvent prévu pour le crédit à
moyen et à long terme. Le partenariat entre la banque et son client est
sensée être durable. Cependant, cela ne signifie pas
forcément que ce partenariat est constant dans l'absolu. En effet, la
mucharaka ad-daima peut être illimitée dans le temps tout
comme elle peut avoir une durée limitée de par la nature
même de l'activité financée.
Lorsque le partenariat est à durée
illimitée, la banque est partenaire à part entière de son
client tant que le projet existe et continue de fonctionner.
Par contre, lorsque ce partenariat est à durée
limitée, cela signifie que le financement est constant dans le sens des
droits de propriété et des droits qui découlent du contrat
mucharaka. Cependant, la période de financement sera
limitée dans le temps, par exemple, à une période de
vendange pour un projet agricole, ou à une quelconque période
donnée pour une opération financière
particulière.
La participation constante présente en fin de compte de
nombreux inconvénients, le premier est inhérent à la
nature définitive de l'engagement pris par la banque. Celle-ci doit
immobiliser ses fonds pour une longue période et peut difficilement se
retirer de la société surtout si elle se porte mal puisqu'elle ne
trouvera pas de repreneur. De plus, la banque ne joue plus son rôle
classique d'intermédiaire et doit mobiliser un nombre trop important de
personnel et de moyens financiers et logistiques pour pouvoir contrôler
de nombreuses sociétés dont les activités sont très
diverses (agriculture, commerce, industrie, services) qui sont souvent
étrangères aux banquiers. C'est la raison pour laquelle les
banquiers ont émis le besoin d'une forme de mucharaka plus
souple permettant à la banque de se retirer lorsque le client n'aurait
plus besoin de son soutien financier.
C'est ainsi qu'est apparue la mucharaka avec
participation dégressive, aujourd'hui la plus utilisée par les
banques islamiques. La conférence des banques islamiques qui s'est tenue
à Dubaï en 1979 a permis de clarifier les choses.
L'ordre du jour de cette réunion était de
trouver une solution pour pallier l'immobilisme de la première forme de
mucharaka. La mucharaka dégressive est définie
dans l'Encyclopédie des banques islamiques comme une « association
en vertu de laquelle la banque permet au partenaire de la remplacer comme
propriétaire, par étapes ou d'un seul coup, selon les termes
arrêtés et la nature de l'opération, à condition que
des mesures soient prises pour retenir une partie des revenus afin de
rembourser la participation de la banque »1.
Elle permet à la banque de se retirer si elle le
souhaite et au partenaire d'acquérir tout le projet dès que la
banque aura récupéré tout son investissement et ses frais.
Dès lors, la propriété des parts ou actions de la
société sera entièrement transférée au
promoteur.
Dans la pratique, la banque va progressivement se retirer de
la société en fonction de l'avancement du projet et de l'aptitude
du promoteur à générer des fonds suffisants pour assurer
à la banque le paiement d'un montant équivalent à sa
participation et à la fraction des bénéfices lui revenant.
La banque récupère ainsi graduellement ses fonds grâce aux
profits réalisés et se désengage de l'opération de
telle manière que le client devient au final le propriétaire
unique du projet.
Dans les faits, cette technique de financement permet aux
banques d'accorder aux titulaires de marchés publics ou autres des
avances sur marché moyennant un partage de la marge
dégagée sur les coûts de réalisation. Le
prélèvement se fera sur les versements effectués par le
maître de l'ouvrage en vertu des clauses de l'acte de nantissement de
marché à requérir systématiquement dans ce genre
d'opérations.
La mucharaka dégressive présente des
avantages pour les deux parties. Pour la banque, elle peut constituer une
source de revenus importants et réguliers susceptibles
de lui permettre d'assurer à ses déposants et à ses
actionnaires un taux de rémunération relativement
élevé.
Quant aux entrepreneurs, la mucharaka
dégressive est très attrayante car elle constitue le mode de
financement le plus adapté aux cycles de création et de
développement des entreprises aussi bien pour ce qui relève de la
constitution et/ou de l'augmentation du capital que de l'acquisition et/ou de
la rénovation des équipements. C'est pourquoi le concours de la
mucharaka est très sollicité pour la création de
petites et moyennes entreprises et pour les
1 Encyclopaedia of islamic banking and insurance, Institute of
Islamic Banking and Insurance, London, 1995
besoins de financement des petites entités aussi bien
dans le secteur de l'artisanat que dans celui de l'agriculture.
De plus, le promoteur reçoit une part de profit en
rémunération de son travail, qui dépend de son expertise
et de son travail effectif dans l'affaire, variant en général
entre 20% et 60% du profit total. Le reste sera réparti dans un second
temps entre lui et la banque en proportion de leurs apports en capital.
Néanmoins, les parties peuvent convenir d'un autre mode de
répartition des bénéfices, tant que cette alternative
n'est pas injuste pour le client et qu'elle consiste en une répartition
en pourcentage et non en une somme fixe.
En outre, la mucharaka pose un problème
particulier au niveau de la pratique des banques islamiques car
traditionnellement, la banque ne s'engage pas individuellement avec un
déposant et pour une unique opération déterminée.
Elle crée un fonds commun pour plusieurs projets d'investissement et va
rémunérer les dépôts de ses clients sur la base du
rendement moyen des opérations et non sur les opérations
précises de chacun.
De plus, les déposants ont des comportements
différents et imprévisibles : ils ne retirent pas leurs fonds en
même temps et ne les déposent pas non plus au même moment.
Certains le feront à un moment qui correspondra à un début
d'exercice comptable, d'autres au milieu ou à la fin. Dans ce cas, le
déposant aura retiré ses fonds avant la fin du contrat
mudharaba, donc avant la fin de la période de risques. Peut-il
alors prétendre à une partie du bénéfice alors
qu'il n'a pas assumé les risques de perte jusqu'à la fin du
contrat ? De même, faut-il rémunérer les nouveaux
dépôts entre le moment du dépôt (au milieu de
l'exercice comptable) et la fin de l'exercice comptable ?
Jamal eddine Attiya1 a proposé la solution
suivante : rémunérer le dépôt du client seulement
pour la période entre le dépôt des fonds et la fin de
l'exercice, ou encore entre le début d'exercice et le
moment du retrait, selon les cas. Quelque soit la situation, elle doit
respecter le principe de partage des pertes et des profits. C'est ce qu'il a
dénommé la mucharaka almutatalia ou mucharaka
successive.
1 ATTIYA J., Al-Bunuq al-islamiyat, Beyrouh
2ème éd., Muassassat ag-gami'yat li-l'dirasset,
1993
CONCLUSION
Au terme de cette étude, il apparaît que les
banques islamiques ont « recyclé » les contrats classiques du
droit musulman afin qu'ils puissent répondre aux besoins actuels de
leurs clients.
Cet effort de rénovation résulte d'une
volonté politique de répondre à un besoin identitaire fort
des clients de confession musulmane. D'ailleurs, le label de « banque
islamique » suffit parfois à lui seul à attirer une
clientèle musulmane à l'origine réticente à
déposer son argent dans des banques conventionnelles. Les banques
islamiques ont permis de voir augmenter le taux de bancarisation des
populations de nombreux pays d'Afrique et d'Asie.
Les banques islamiques, au-delà des produits originaux
qu'elle propose à ses clients, a instauré un modèle
économique alternatif désormais convoité par les
Occidentaux, notamment suite à la crise financière de 2008,
lorsque l'on s'est aperçu que les règles gouvernant les banques
islamiques leur avaient permis d'éviter les erreurs des institutions
financières conventionnelles.
Cependant, l'on peut reprocher aux banques islamiques de ne
pas assez diversifier leurs produits, notamment en matière de
financement participatif. Ainsi, si les instruments de financement par dette se
sont multipliés, les prises de participation des banques islamiques
n'ont pris jusqu'à ce jour que l'une des deux formes décrites
dans notre dernier chapitre à savoir la mudharaba et la
musharaka. Un grand effort reste à fournir pour pouvoir
élaborer de nouveaux instruments plus compétitifs qui rendront
les banques islamiques moins méfiantes et plus disposées à
prendre part directement et entièrement aux projets à
financer.
Une seconde lacune concerne l'inadéquation des
systèmes juridiques dans lesquels les banques islamiques
évoluent, ce qui empêche parfois l'application effective des
préceptes de droit musulman, d'où un clivage entre le
modèle de banque islamique tel qu'élaboré en
théorie et sa mise en oeuvre dans la pratique. Cette situation est en
voie d'amélioration car les législations de nombreux pays, tant
dans les pays à population majoritairement musulmane que dans les pays
occidentaux sont en voie de remaniement pour mieux intégrer le
système financier islamique.
En fin de compte, le droit musulman est un ensemble de
principes appelant une interprétation perpétuelle sur la base de
la notion d'ijtihad. Ce concept central fait de la Chari'a
une législation « incomplète » et nous incite à
la compléter. Dans les banques conventionnelles, les responsables
chargés d'octroyer les crédits doivent prendre en compte des
critères économiques précis. Dans les banques islamiques,
les responsables doivent également prendre en compte des critères
moraux or la morale est un concept instable qui change en fonction du lieu et
de l'époque. Même si ce système d'interprétation est
critiqué pour l'insécurité juridique qu'il engendre, il
suffit de considérer le « verre à moitié plein »
pour voir que cette souplesse ne peut au contraire que servir les banques
islamiques et leurs clients dans la mesure où le système pourra
plus rapidement s'adapter aux changements économiques et sociaux.
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