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Les spécificités des contrats de financement dans les banques islamiques

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par Malika Amri
Université Toulouse 1 - Master 2, droit international et comparé 2009
  

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CHAPITRE II

Les conditions de forme

En vertu des nombreux principes exposés, il a fallu penser à des modes de financement originaux étant donné que les techniques conventionnelles ne cadraient pas avec l'esprit de la Chari'a. La solution a été de puiser dans les contrats classiques de droit musulman et de les adapter, dans le respect de la Chari'a, aux besoins actuels des entreprises.

L'on peut distinguer deux types de financement : le premier consiste, pour la banque, à s'associer avec son client pour lui faire acquérir les biens dont il a besoin afin d'exercer son activité. Cette association est proposée à titre onéreux (section I). Le second financement charge la banque d'une mission caritative consistant à aider ses clients dans le besoin ou victimes d'un sinistre et est, en principe, à titre gratuit (section II).

SECTION I Les contrats portant sur l'acquisition de biens

Dans ce type de contrats, le client a besoin d'acquérir des biens dans le cadre de l'exploitation de son entreprise et n'a pas les fonds nécessaires pour les financer. Plutôt que d'emprunter de l'argent, il s'associe à sa banque et lui expose ses besoins pour qu'elle accepte de l'aider dans son projet. Ce financement va prendre la forme soit d'une vente (§1) soit d'une location de bien par l'entrepreneur dont le propriétaire sera, entre temps, devenu la banque (§2).

§1 L'achat différé de biens

Il existe de nombreux contrats reposant sur une double-vente mais les plus utilisés sont d'une part le contrat de murabaha (A) et d'autre part le contrat de vente salam (B).

A La murabaha

La murabaha, qui peut être traduite par « gain réciproque » ou « profit réciproque », est un type de vente reposant à l'origine sur la confiance qui lie les parties. Le client désirant s'approprier un bien va donner l'ordre à l'autre partie au contrat (ici la banque) de lui trouver et de lui acheter le bien à un tiers. Le client va se voir revendre le bien au prix d'acquisition majoré d'une marge bénéficiaire. Le paiement effectué par le client au profit de la banque peut être échelonné ou exigible à terme échu. Le client fait alors une demande écrite d'achat à la banque, en identifiant le bien à acheter ou ses caractéristiques, s'il s'agit d'un bien fongible, et en fixe les conditions de livraison. La banque achète alors le bien puis le revend à son client63(*).

Il s'agit en fait de trois opérations réalisées simultanément : la promesse d'achat du client dont le contrat peut stipuler qu'elle sera contraignante, la promesse de vente à la banque, et le contrat de vente avec bénéfices qui ne peut être passé qu'après l'entrée en jouissance de la marchandise par l'acheteur.

Ce contrat obéit à des conditions de validité spécifiques. D'abord, l'acquisition du bien doit être préalable à la revente au client, la banque doit déjà être en possession du bien au moment de conclure la deuxième vente avec son client, et ce, sur la base du principe charaïque de l'interdiction de la vente de choses futures. Cependant, rien n'empêche la banque de mandater un tiers y compris l'acheteur pour recevoir le bien à sa place.

La marge de bénéfice de la banque doit être préalablement fixée d'un commun accord entre les parties et peut constituer un pourcentage du prix du bien.

Ensuite, le client doit avoir eu préalablement connaissance du prix de revient ainsi que des modalités et circonstances de la première vente : comptant ou à crédit, argent ou libération d'une dette. Le silence du revendeur sur le prix auquel il a acheté le bien entraîne un vice dans le contrat.

Les fuqahas divergent quant à la sanction de ce dol par réticence : pour les Hanéfites, l'acheteur doit avoir le choix entre confirmer le contrat tel quel ou le résoudre complètement. Pour les Malékites par contre, l'acheteur peut annuler le contrat mais le vendeur peut le rendre définitif en restituant la différence entre le prix déclaré et le prix réellement payé. Enfin, pour les Chaféites et les Hanbalites, l'acheteur n'a pas la possibilité d'annuler le contrat mais il peut déduire de sa dette la majoration dolosive64(*).

La somme due par le client comprend également les frais effectifs supportés par la banque pour l'acquisition des biens objet du contrat : frais fiscaux, transport, stockage, courtage, etc.

Selon les Malékites, il y a trois catégories de frais, dont le sort diffèrera selon leur effet sur la chose vendue. S'il s'agit d'un élément qui transforme ou améliore la chose vendue, il sera remboursé à la banque. Cette plus value sera comptabilisée dans le calcul de la part de bénéfices de la banque. Si la transformation du bien par la banque n'affecte pas la substance de la chose, aucune révision des frais ou du bénéfice de la banque n'aura lieu. Enfin, concernant les frais de transport et de stockage, ils seront remboursés par le client à la banque mais n'ajoutent aucune valeur au bien, la marge bénéficiaire de la banque restera inchangée65(*).

Avec le contrat murabaha, la banque se rémunère par le profit sur une vente simple. Elle s'interdit de réviser sa marge bénéficiaire à la hausse en contrepartie du dépassement du délai de paiement par son client, ce qui serait assimilable à des intérêts moratoires. Cependant, elle peut lui appliquer des pénalités de retard qui seront portées dans un compte spécial : « produits à liquider ». Si le client est de mauvaise foi, la banque peut demander en plus des pénalités un dédommagement des échéances non honorées66(*).

Dans la pratique, l'on a constaté que la vente murabaha était utilisée par les banques islamiques comme instrument de financement à court terme (entre trois et six mois) pour financer les besoins d'exploitation de leur clientèle (stocks, matières, produits intermédiaires) ainsi que des acquisitions immobilières. Cette technique a été également fréquemment employée dans le financement d'opérations de commerce international, à l'origine par les compagnies aériennes. Certains auteurs la proposent comme substitut au crédit documentaire67(*). Il s'agit du contrat le plus fréquemment utilisé, atteignant 80% des opérations de plusieurs banques islamiques

Cette technique de financement a certes connu un grand succès mais certaines critiques lui ont été adressées. D'abord, d'un point de vue financier, la banque prend de gros risques car l'achat des marchandises par le donneur d'ordre n'est pas une obligation légale. Le client risque de ne pas accepter la marchandise et la banque devra alors assurer elle-même son écoulement. De plus, elle devra gérer le risque de retard de paiement ou le non paiement par le client. Les pénalités de retard instaurées ressemblent étrangement à des intérêts moratoires, pourtant interdits par la Chari'a.

De façon plus générale, l'on reproche, à raison, à ce type de contrat de contourner hypocritement l'interdiction du riba en instaurant une marge bénéficiaire qui s'y apparente étrangement.

Pour les partisans de la murabaha, la marge bénéficiaire de la banque est un profit licite et non un intérêt déguisé, pour la simple raison qu'il s'agit d'une vente et non d'un prêt, l'argent restant en possession de la banque. De surcroît, la marge bénéficiaire payée à la banque ne compenserait pas l'utilisation de l'argent mais correspondrait à la rémunération du service de la banque qui consiste à rechercher et à acheter le bien au meilleur prix pour son client.

Enfin, le montant de la marge bénéficiaire est fixé à l'avance, il ne dépend pas de variables économiques externes alors que le taux d'intérêt des banques conventionnelles dépend du comportement de la courbe des taux à l'époque de l'octroi du prêt. Cependant, le temps doit être compensé dans une opération donc plus le temps passe, plus la marge de bénéfice augmente. Cette augmentation de la marge en fonction du délai de paiement amincit davantage la frontière entre taux d'intérêt illicite et profit licite.

La murabaha est de loin le mode de financement le plus utilisé et représente jusqu'à 80% des activités de nombreuses banques islamiques. Cependant, il est concurrencé par un autre type de financement reposant lui aussi sur l'achat différé de biens : la vente salam.

B La vente salam

Le terme salam signifie « paix » mais il signifie également l'action de remettre quelque chose à quelqu'un.

Les droits jordanien, libanais et koweitien définissent la vente salam comme étant « la vente d'un bien à livrer moyennant paiement comptant »68(*).

Il s'agit d'une autre technique de substitution au crédit conventionnel sous la forme d'une vente dont l'objet sera livré à un terme ultérieur fixé à l'avance contre un prix payable immédiatement.

Ici, contrairement à la murabaha, la banque n'intervient pas comme vendeur à crédit de la marchandise acquise sur commande de son client mais plutôt comme acquéreur, avec paiement comptant d'une marchandise qui lui sera livrée à terme par son partenaire. Dans les codes récents, le paiement se fait en numéraire seulement alors que selon les fuqahas, il peut s'agir de n'importe quel bien.

En principe, l'objet de la vente doit être matériellement existant au moment de la conclusion du contrat et doit déjà être dans le patrimoine du vendeur, puisque la conclusion entraîne un transfert de propriété à l'acheteur, et ce, selon le principe de la prohibition de la vente de la chose future considérée aléatoire. Les fuqahas ne distinguent pas entre chose inexistante et chose qui existera plus tard. Cette rigueur a entraîné un problème de blocage de la vie commerciale actuelle, d'où la tolérance de la vente salam, dont l'objet est délivré dans le futur.

Les jurisconsultes musulmans fondent la licéité de cette technique sur le verset suivant :

Lorsque vous contractez un prêt à terme, il devra être consigné par écrit...69(*)

Ibn Abbas, un compagnon du prophète, a rapporté le hadith suivant :

« Que celui qui vend des dattes à terme le fasse pour une quantité déterminée à la jauge (ou au poids) et pour un terme fixé »70(*).

Le Prophète aurait également affirmé :

« Quiconque pratique le bai' al salam, qu'il spécifie sa marchandise pour un volume connu, pour un poids connu et pour un délai connu »71(*).

Ainsi à l'origine, la vente salam ne peut consister en l'échange de denrées de même nature, tel que le rapporte le hadith rapporté par Muslim évoqué précédemment « Echangez l'or contre l'or... le blé contre le blé... »72(*).

Par contre, il peut s'agir d'un échange de denrées de genres différents, comme par exemple remettre de l'or immédiatement contre la remise de blé ultérieurement. Il n'en demeure pas moins que si les choses échangées sont de même espèce, cette opération peut s'apparenter à un prêt à intérêt.

Afin que le contrat de vente salam soit valide, il doit être soumis à plusieurs conditions de validité destinées à limiter rigoureusement l'aléa. D'abord, une détermination stricte de l'objet de la vente doit être effectuée : genre, espèce, qualité, quantité, ainsi que l'époque et le lieu de livraison. L'objet doit être disponible au moment de la livraison, même s'il ne l'est pas pendant l'intervalle séparant la conclusion du contrat et le moment de la livraison, c'est du moins l'avis des fuqahas à l'exception des Hanéfites pour qui l'inexistence de l'objet au moment de la conclusion rend le contrat nul73(*).

Ensuite, vu que l'opération ne doit pas cacher une opération usuraire, le paiement doit précéder la livraison des biens. Le versement du prix doit avoir lieu au cours de la séance contractuelle pour éviter la coïncidence de deux crédits, ce qui serait assimilable au riba.

Le délai de livraison doit être fixé à l'avance et doit être supérieur à quinze jours pour les Malékites afin de permettre au cours de varier. Les Hanéfites étendent ce délai à un mois minimum. Néanmoins aucun délai maximum n'est stipulé, mais tous les auteurs s'accordent à dire qu'il ne doit pas être trop long afin de tenir compte de la variation des cours du marché. Le Code civil libanais dispose que si le délai n'est pas déterminé par les parties, l'on peut recourir à l'usage des lieux74(*).

L'opération se déroule comme suit : le client demande à la banque de lui avancer de l'argent, celle-ci passe une commande à ce client selon ses besoins de financement. Il adresse alors à la banque une facture avec les quantités et le prix. Si les conditions de la transaction sont acceptées par les deux parties, elles vont conclure un contrat salam reprenant les clauses convenues. Parallèlement, les parties signent un contrat de vente par procuration par lequel la banque autorise le vendeur à livrer ou à vendre, selon les cas, la marchandise à une tierce personne. La banque peut s'assurer de la livraison de l'objet par le commerçant au moment venu en exigeant une caution ou toute autre garantie réelle ou personnelle. Il devra alors entreposer la marchandise dans le magasin général de la banque qui se chargera de la revente.

Autrement, pour qu'elle n'ait pas à écouler elle-même les stocks de marchandises par la suite, la banque peut aussi mandater le vendeur pour le faire moyennant éventuellement une commission. Le vendeur s'engage bien entendu, à recouvrer et à verser le montant de la vente à la banque. Ce système permet à l'institution bancaire de garder sa clientèle habituelle et d'assurer la pérennité de son entreprise. Le Client pourra exiger alors des acheteurs qu'ils fassent viser les bons d'enlèvement aux guichets de la banque (afin que celle-ci puisse suivre et contrôler l'opération.)

Dans la pratique des banques islamiques la vente salam est utilisée pour remplacer les produits dérivés dans la finance islamique : contrats à terme, options, futures entre autres. Cependant, dans le contrat à terme, rien n'est échangé avant l'expiration du délai alors que dans la vente salam, la validité du contrat est soumise au paiement, ce qui rend l'opération licite. La vente salam a aussi remplacé la pratique de l'escompte commercial et des autres moyens de crédit à court terme : les effets en possession du client seront pris à titre de garantie du financement salam que la banque pourrait lui consentir.

C'est un moyen utile de financement des fonds de roulement et de certaines charges d'exploitation comme les salaires, ou les impôts par exemple. Il est d'usage chez les petites et moyennes entreprises, notamment pour financer l'agriculture et l'artisanat.

Un débat doctrinal continue d'opposer les fuqahas quant à la nature juridique du contrat salam.

Pour une partie des jurisconsultes, il s'agit d'un prêt légitimé, la vente salam est d'ailleurs aussi appelée vente salaf, ce terme signifiant prêt en Arabe. Le vendeur veut en fait emprunter de l'argent et l'acheteur va lui en fournir. Le prix ne constitue en réalité, qu'une garantie pour limiter les risques d'insolvabilité du débiteur à l'échéance. Cependant, cette thèse est critiquable car la vente salam est un échange de biens différents alors que dans le prêt, les prestations doivent être identiques : argent contre argent.

Pour d'autres ulémas, la vente salam est considérée comme un contrat de nature mixte qui change de physionomie dans l'intervalle : en un premier temps, c'est un contrat de réciprocité mais dès que l'acheteur, en l'occurrence la banque, paie le prix, l'opération se transforme en une obligation unilatérale du livreur. Juridiquement c'est une vente mais économiquement c'est un prêt75(*).

Pour un dernier groupe de penseurs, la vente salam est un contrat sui generis.

Il existe une forme dérivée de la vente salam qui est la vente par istisna'. La vente par istisna' a été définie comme étant « un contrat d'entreprise en vertu duquel une partie (la banque) demande à une autre (l'entrepreneur) de lui fabriquer ou de lui construire un ouvrage moyennant une rémunération payable d'avance ou à terme ou de manière fractionnée selon un échéancier convenu entre les parties ». Sa validité a été admise par analogie avec le contrat salam : le prix du bien est payé graduellement tout au long de sa fabrication, comme par exemple dans l'immobilier. L'objet de la transaction ne porte pas sur des marchandises achetées en l'état mais sur des produits finis ayant subi une transformation. L'obligation du vendeur client de la banque est assimilée à celle du maître d'ouvrage dans le contrat d'entreprise. L'opération est plus périlleuse que la vente salam à cause des risques afférant à l'exécution des travaux.

Toutes les techniques de substitution au crédit évoquées ci-dessus reposent sur des contrats de vente, mais il en est d'autres qui reposent sur un contrat de location, ce sont les contrats d'ijara.

§2 La mise en location de biens : l'ijara

Pendant longtemps en droit musulman, l'ijara, ou location, a été assimilée à la vente : vente de l'usage de la chose. Or, par définition, la vente est une aliénation de la chose dans tous ses aspects : usus, fructus et abusus, tandis que la location n'aliène que la jouissance de la chose seulement. Les banques islamiques offrent des moyens de financement par la mise en location simple (A) mais elles peuvent aussi proposer une sorte de location-vente (B).

A L'ijara simple

Il s'agit d'un contrat par lequel l'une des parties s'engage soit à faire jouir l'autre d'une chose, soit à lui procurer ses services ou son industrie temporairement, moyennant un certain prix. Ce contrat est assimilé à un crédit-bail76(*).

On retrouve trois acteurs dans cette opération : le fournisseur, fabricant ou vendeur du bien ; le bailleur, en l'occurrence la banque qui achète le bien pour le louer à son client et le locataire qui loue le bien en se réservant l'option de l'acquérir définitivement au terme du contrat de location.

Les fuqahas fondent sa licéité sur le fait qu'il s'agit d'un loyer fixe versé pour un bien existant et non d'un rendement fixe sur des avoirs financiers.

Quelque soit le type d'ijara (ijara simple ou ijara wa iqtina'), la demande de financement se fait pas l'envoi d'un dossier comprenant au moins les éléments suivants : la demande de financement accompagnée des factures pro forma des biens à acquérir, les documents juridiques de l'entreprise, les états financiers des trois dernies exercices ainsi qu'une étude de rentabilité du projet.

Après acceptation par la banque, on procède à la rédaction du contrat. Il est alors impératif de déterminer avec précision l'objet afin que le contrat soit valide.

La propriété de la chose doit rester entre les mains de celui qui donne le bien en location. La banque doit contrôler la « leasibilité » du matériel avant d'accepter de financer le bien : il doit s'agir d'un bien durable, car seul l'usufruit est transmis au client et il doit être facilement démontable et transportable afin de limiter les risques dus au transport et au stockage et que l'institution bancaire puisse le saisir pour le revendre au cas où le client ne peut plus honorer ses engagements.

La propriété doit rester entre les mains de la banque jusqu'à la fin de la transaction et le terme de la location ne peut être modifié sauf si une telle clause a été prévue dès le départ. La banque assume la responsabilité découlant de la propriété, le locataire celle découlant de l'utilisation de la chose. C'est en cela que l'ijara diffère du contrat de prêt, où l'emprunteur assume la responsabilité et les risques de la chose empruntée jusqu'à sa restitution car il s'agit d'un transfert temporaire de propriété.

Dans le crédit-bail, la possibilité de se porter acquéreur pour le client est l'élément essentiel du contrat alors que dans une simple location, le rôle du locataire est limité à l'utilisation de la chose, à son exploitation éventuelle, si les clauses du contrat le permettent.

Comme dans le crédit-bail (le terme leasing n'est utilisé que pour le crédit-bail mobilier), le locataire a une obligation fixe de payer le loyer quelque soit le résultat de son entreprise et la banque n'assume que le risque de traiter avec des mauvais payeurs. Cependant, et contrairement au crédit-bail classique, le manquement à un paiement ne peut entraîner une indemnité en pourcentage du total dû car ce serait assimilé au riba. La sanction est donc à déterminer au début du contrat. La banque demande généralement la restitution du matériel et le paiement des loyers échus, ainsi qu'une indemnité correspondant à la valeur des loyers restant à courir.

Sur le plan formel, la banque ne peut donner au client une option d'acheter la chose louée au cours de la location ou à l'échéance, car la doctrine estime que l'option accordée au locataire serait alors entachée d'aléa ; La nécessité d'attendre l'échéance du contrat est sensée laisser une marge de manoeuvre à l'entrepreneur pour lui permettre de décider, au moment opportun, du choix le plus approprié en fonction de la situation et des besoins de son entreprise.

A la fin du contrat, il peut soit restituer le bien, soit opter pour une seconde location du bien. Il peut enfin décider d'acquérir ce bien, mais cela doit être l'objet d'un contrat de vente distinct du premier.

B L'ijara wa iqtina ou location-vente

Ijara wa iqtina' signifie littéralement « location et achat ». Le client a dès le départ, une obligation d'achat dont le prix est fixé à l'avance. Chaque loyer versé comprend une partie du prix d'achat du bien loué. Les versements complémentaires effectués par le client- locataire seront logés dans un compte d'épargne. Les profits résultant éventuellement de la gestion des fonds déposés sur ce compte seront, à l'échéance, affectés par le client au paiement du prix d'achat de la chose louée. Ce contrat est assimilé à une location-vente.

Le client identifie le bien immobilier qu'il souhaite acquérir et donne l'ordre à la banque d'acheter l'immeuble qu'il aura désigné. Le client signe deux contrats simultanément La location et la vente ne peuvent être mis dans le même contrat et la location doit précéder la vente, alors que dans le crédit-bail, les deux peuvent se confondre.

Le client s'engage par une promesse d'achat, à un prix déterminé, réalisable à l'issue de la période de location. Il acquiert la propriété pour le montant initial payé par la banque et rembourse le montant avancé par elle graduellement sur échéancier de 7 ans et 6 mois minimum et 25 ans maximum, sans que la banque ne fasse de profit sur la revente du bien. Cette promesse crée une créance à la faveur de la banque qui pourra demander un dédommagement en cas de changement d'avis du client mais en aucun cas elle ne pourra demander d'intérêts moratoires en cas de retard de paiement, ce qui constitue un risque supplémentaire pour l'institution.

D'autre part, le client signe un contrat de location et verse tous les mois un loyer à la banque pour occupation des lieux. Le montant du loyer peut être déterminé annuellement et représente, lui, la marge bénéficiaire de la banque. Il doit contenir toutes les informations déterminantes : la valeur de l'objet, le prix de sa location, sa durée, le délai de paiement, le montant du loyer et la périodicité. Les parties peuvent convenir de la révision du loyer, de la durée ou toute autre clause du contrat. La dégradation du bien loué du fait indépendant de la volonté de l'utilisateur n'engage sa responsabilité que s'il est établi qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour la conservation du bien avec le soin d'un « bon père de famille ». Le propriétaire doit assurer l'entretien et tous les devoirs qui lui incombent ainsi que toutes les charges locatives antérieures à la location.

Au final, le client va payer des loyers afin que la valeur résiduelle à la fin du contrat soit la moins élevée possible et faciliter ainsi l'achat.

Cette technique est particulièrement délicate pour la banque qui supporte les risques du propriétaire alors que le locataire ne supporte que les risques d'utilisation de la chose louée jusqu'à la signature du contrat de vente définitif.

Sachant que, dans les contrats de crédit-bail conventionnels, le locataire est en principe, tenu de payer des loyers, même dans l'hypothèse où la chose louée est rendue impropre à l'usage. L'on observe, dans l'ijara, que si la chose louée est rendue impropre à l'usage pour lequel elle a été louée, le client est déchargé de son obligation de payer le loyer. C'est pourquoi les banques islamiques tentent actuellement de se protéger en obtenant l'engagement du client d'utiliser la chose louée conformément à des conditions convenues à l'avance et en se réservant le droit d'inspecter la chose louée de manière périodique afin de vérifier que le client respecte son engagement. En outre, la banque souscrit généralement une police d'assurance multirisques souscrite à son nom mais qu'elle se fera rembourser en incluant les droits d'assurance dans le montant du loyer. Or, les assurances classiques sont également interdites par la Chari'a car constituent un contrat aléatoire, d'où l'apparition du takaful, signifiant littéralement solidarité, qui est une forme d'assurances compatible avec les exigences du droit musulman77(*)

La technique de l'ijara wa iqtina' est souvent utilisée dans des montages complexes aux Etats-Unis pour des acquisitions immobilières, l'un des exemples les plus emblématiques étant le financement du projet Maconda Park Apartments au Texas78(*). Elle sert aussi à financer l'acquisition de machines-outils et de moyens de transport routier et aérien.

La banque islamique parait être la meilleure manière d'intégrer des projets comprenant des financements commerciaux à taux variables, a priori interdits par la Chari'a du fait de leur caractère aléatoire : bien que les échéances des loyers soient fixes, l'opération ne portant pas sur des sommes d'argent mais sur des actifs immobiliers ou mobiliers, il est possible de prévoir licitement des ajustements de rémunération qui ont les mêmes effets que les taux variables.

A côté des contrats à titre onéreux que propose la banque islamique pour financer les entreprises et sur lesquels elle touche une marge de profit, elle remplit un second rôle, inattendu pour une banque dont la vocation est avant tout commerciale, et qui fait toute la particularité du système bancaire islamique. Elle remplit à titre gracieux un rôle éthique visant à rétablir la justice sociale et à encourager la solidarité entre les Musulmans.

* 63 BANQUE ISLAMIQUE DE DEVELOPPEMENT, Introduction aux techniques islamiques de financement, recueil des communications données dans le cadre du séminaire conjointement organisé par l'Institut islamique de recherches et de formation et la banque Al Baraka mauritanienne islamique, 5-9 décembre 1992, pp.62 et suiv.

* 64 ABI HAIDAR, op. cit.

* 65 Ibid

* 66 RUIMY M., La finance islamique, Arnaud Franel éditions, 2008, pp.112-113

* 67 AG-GUNDI, `Aqd al-murabahat bayn al-fiqh al-islami wa-l ta'amul al-masrafi, Le Caire, Dar an-Nahda al-`arabiyya, 1986, p.190

* 68 Code civil jordanien, article.532

* 69 Sourate 2, La Vache, verset 282

* 70 AL BOKHARI, traduction de Houdas et Marsais, Tome II, p.56, rectifiée par Abi Haidar, op. cit.

* 71 Hadith rapporté par M. RUIMY, op. cit., p.116, source non spécifiée.

* 72 Ce hadith est déjà cité aux pages 24-25

* 73 SANHOURY A., les sources du droit dans le fiqh islamique, le livre de la vente, p.183 ; al wassat fi sharh al qanoun al madani, 1960, pp.224 et suiv.

* 74 Code des obligations et des contrats libanais, article 489

* 75 S. JAHEL, cours magistral paris II Panthéon Assas, 1987 1988, rapporté par A. Abi Haidar

* 76 ZIED C. & PLUCHART J.J., Proposition de communication, La gouvernance de la banque islamique Université de Picardie - CRIISEA, février 2006, p.5

* 77 KASSIM Z.A., Takaful : the Islamic way of insurance, www.takaful.info

* 78 _ ZIED C. & PLUCHART J.J., Proposition de communication, La gouvernance de la banque islamique Université de Picardie - CRIISEA, février 2006, pp.11-13

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon