UNIVERSITE DE BOUAKE
UFR COMMUNICATION, MILIEU
ET SOCIETE
Département d'Anthropologie et de
Sociologie
Année : 2007-2008
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ECOLE DOCTORALE DES SCIENCES HUMAINES
ET SOCIALES
Département d'Anthropologie sociale-Ethnologie
Thèse
n°...................................................
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RESUME
THESE NOUVEAU REGIME EN COTUTELLE POUR LE DOCTORAT
DES UNIVERSITES DE BOUAKE ET DE BORDEAUX 2
Option : Anthropologie et sociologie des
organisations
L'ETAT IVOIRIEN ET LES COOPERATIVES
FEMININES :
Organisation et pratiques marchandes des
commerçantes de produits vivriers dans le contexte de la nouvelle loi
coopérative de 1997
Présentée par
Sous la direction de
M. N'GORAN Koffi Parfait M. KOUAKOU
N'guessan François
Professeur d'Anthropologie et de Sociologie
Université
de Bouaké - Côte d'Ivoire
et la codirection
de
M. CAMARA Sory
Professeur d'Anthropologie sociale et culturelle
Université V. S. de Bordeaux 2 - France
TABLE
Introduction générale
............................................................ ....................3
Première partie : Le système
coopératif et les organisations coopératives dans les politiques
de développement de la Côte
d'Ivoire.....................................16
Chapitre premier : Les politiques de développement
économique et social de la Côte d'Ivoire : une reproduction
des inégalités sectorielles
..........................................17
Chapitre II : Faible représentativité et
peu d'intérêt pour les coopératives féminines dans
le système coopératif
ivoirien.......................................................................18
Chapitre III : L'efficacité des organisations
coopératives en question ...........................19
Conclusion
partielle............................................................................................20
Deuxième partie : La libéralisation
de l'économie ivoirienne et la mise en place de la nouvelle loi
coopérative
.........................................................21
Chapitre IV : Les raisons de la libéralisation de
l'économie ....................................22
Chapitre V : Les implications de la libéralisation
de l'économie ivoirienne et du désengagement de l'Etat
........................................................................................23
Chapitre VI : La nouvelle loi coopérative : pour
une adaptation et une plus grande compétitivité des
coopératives féminines dans une économie
libéralisée.....................24
Conclusion
partielle...................................................................................25
Troisième partie : Le mode d'organisation
et les pratiques marchandes des commerçantes de produits vivriers :
changements ou permanences dans le contexte de la nouvelle loi
coopérative ?..........................................................................26
Chapitre VII : La formation des coopératives
féminines et les perceptions liées à la nouvelle loi
coopérative..............................................................................27
Chapitre VIII : L'organisation des coopératives et
des échanges marchands.........................28
Chapitre IX : La reproduction des formes d'organisation
locales et des pratiques
marchandes.............................................................................................29
Conclusion
partielle............................................................................................31
Conclusion générale : La
créativité féminine au secours de
l'Etat..................32
INTRODUCTION GENERALE
I. Contexte et justification de
l'étude
Avec la crise économique et ses conséquences
sociales, l'Etat ivoirien s'est engagé fortement dans la revalorisation
du secteur vivrier et dans la recherche de moyens efficaces pour avoir une
meilleure maîtrise de son évolution. Ce nouvel
intérêt se traduit par d'importantes actions en faveur des femmes
qui en demeurent de loin les principales actrices. Dans cette optique, une
Bourse Nationale du Vivrier (BNV) a été initié
récemment en 2002 pour aider celles-ci à redynamiser leurs
activités. Entre autres, cette structure vise la création de
centres de collecte, la facilitation de l'approvisionnement des villes, le
financement de la production et de la commercialisation des produits. De
même, les femmes sont de plus en plus sensibilisées par les
structures de développement à la constitution de
« coopératives officielles ». Le faisant, les
pouvoirs publics veulent susciter la création d'organisations
coopératives compétitives et viables fondées sur de
nouvelles règles (loi coopérative n°97-721 du 23
décembre 1997) capables de donner une plus grande efficacité au
système de distribution et de commercialisation des produits vivriers en
Côte d'Ivoire.
En réalité, l'intérêt
accordé par l'Etat ivoirien à l'économie des produits
vivriers n'est pas un fait nouveau. Des investissements lui ont
été consacrés1(*). En 1972, il y a eu le projet AGRIPAC pour
réorganiser et moderniser la distribution et la commercialisation des
produits vivriers. Mais dans l'ensemble, ces initiatives étatiques sont
restées inefficaces ; de sorte que le commerce des produits
vivriers repose encore sur un système plus ou moins traditionnel
dominé par des réseaux de relations variés et complexes.
Avec la libéralisation de l'économie ivoirienne et l'instauration
de la nouvelle loi coopérative, l'expérience des
commerçantes de produits vivriers s'est alors avérée
intéressante à étudier. Car, a priori, elle marque le
passage d'une activité qualifiée jusque là d'informelle et
d'inorganisée à une activité structurée
désormais autour des nouvelles procédures/règles
définies par l'Etat. Cette réforme est supposée apporter
plus de compétitivité et de viabilité aux
coopératives féminines et accroître la capacité
d'action des commerçantes.
II. Problématique
La nouvelle loi coopérative (loi n°97-721 du 23
décembre 1997) est un nouveau cadre institutionnel qui vise à
« moderniser » les organisations coopératives afin
de les rendre plus compétitives, viables et efficaces. Elle
intègre une série de réformes de l'économie
entreprises par l'Etat ivoirien sous la pression des bailleurs de fonds
internationaux suite à la grave crise des décennies 1980 et 1990.
Elle fait suite aux adaptations du cadre juridique des coopératives
initiées par les pouvoirs publics pendant les années 70 (1972 et
1977 par les lois n°72-853 du 21 décembre 1972 et n°77-332 du
01 juin 1977). Tout en cherchant à accorder plus de
responsabilités aux acteurs économiques locaux, la nouvelle
réforme veut rompre avec les pratiques coopératives
« non professionnels » ou traditionnelles pour être
en phase avec les mutations induites par la libéralisation. Entre autres
caractéristiques, elle supprime l'étape
pré-coopérative2(*) en vigueur depuis août 1966 et instaure le vote
comme mode de désignation des dirigeants de coopératives. Plus
encore, elle fait obligation aux coopérateurs ou coopératrices de
recruter un Directeur/Gérant (ayant fait au moins deux années
d'études supérieures) pour assurer la gestion quotidienne de leur
organisation. Ainsi, tenant compte du nouvel environnement économique et
institutionnel, la présente étude pose la question principale
suivante : Dans un contexte de cohabitation entre des pratiques
coopératives et marchandes d'origine traditionnelle et la diffusion par
les pouvoirs publics d'une nouvelle loi coopérative, qu'est-ce
qui fonde l'efficacité du mode d'organisation et des pratiques
marchandes des commerçantes de produits vivriers ? Quelle
incidence la nouvelle loi coopérative a-t-elle sur le mode
d'organisation et les pratiques marchandes des commerçantes de produits
vivriers ? De façon globale, cette thèse soulève donc
la question du changement dans le système d'organisation du commerce des
produits vivriers en Côte d'Ivoire.
En effet, en s'appuyant sur des formes d'organisations et des
réseaux plus ou moins structurés, les femmes ont toujours
assuré l'approvisionnement des agglomérations urbaines en
produits vivriers. Elles ont même acquis une réputation et une
notoriété certaines dans ce domaine. D'importantes
difficultés (transport des produits, impraticabilité des routes
ou pistes villageoises, rackets aux postes de contrôle des forces de
l'ordre et de sécurité, etc.) se posent aux commerçantes.
Elles sont amplifiées par la crise politico-militaire que vit la
Côte d'Ivoire depuis septembre 2002. Il n'empêche que les
commerçantes de produits vivriers continuent de répondre aux
besoins de consommation des populations ivoiriennes. Construits
généralement autour de diverses formes de relations sociales
primaires (ethnie, parenté, religion, solidarité, etc.), leurs
modes d'organisation semblent être porteurs d'une certaine
vitalité. Mais pour les pouvoirs publics, la restructuration et la
modernisation du commerce des produits vivriers s'imposent en raison de
l'inorganisation du système actuel, du manque de moyens financiers, des
difficultés dans la collecte des produits et dans l'approvisionnement
des villes, et surtout, de l'analphabétisme des femmes (Amara, 2004).
Dans cette optique, la nouvelle loi coopérative est vue comme le moyen
privilégié pour pallier ces faiblesses et susciter la mise en
place d'un système plus compétitif pour les commerçantes
de produits vivriers. Des organismes étatiques comme l'Office de
Commercialisation des Produits Viviers (OCPV) mènent alors des actions
de sensibilisation et de formation afin de permettre ou de faciliter l'adoption
de la nouvelle loi coopérative par les acteurs locaux. A terme, il
s'agit pour l'Etat de réorganiser et de faire sortir les
coopératives féminines de l'informel dans lequel elles
baigneraient.
Intégrées de façon plus significative
dans le cadre de la nouvelle loi coopérative, les organisations
féminines opérant dans le secteur vivrier ont vu leur nombre
s'accroître de façon considérable. La
Fédération Nationale des Coopératives de Vivriers de
Côte d'Ivoire (FENACOVICI) regroupe, à elle seule, plus de 252
coopératives (Djiako, 2003). Alors que jusque là, elles
étaient très faiblement représentées, en
dépit de leur contribution à l'équilibre de
l'économie du pays. Le système coopératif ivoirien
reposait, en effet, à titre principal, sur les Groupements à
Vocation Coopérative (GVC) de café et de cacao. Or la crise
économique a montré que de nombreux GVC dans le domaine des
produits d'exportation n'ont pu répondre aux attentes des populations
locales. D'énormes dysfonctionnements sont apparus dans leur mode de
fonctionnement et de gestion occasionnant ainsi une faillite quasi
généralisée des GVC. Sous cet angle, pourquoi les
politiques de développement n'ont pas accordé une attention
particulière aux coopératives de produits vivriers ? Quelles
sont les causes principales de l'inefficacité et de la faillite des
GVC ?
Dans le secteur vivrier et notamment pour les
commerçantes, l'objectif affiché par l'Etat est de les aider
à organiser plus efficacement leurs activités tout en favorisant
le développement d'un système de commercialisation des produits
vivriers moderne et plus compétitif. Toutefois ces femmes disposent
déjà de ressources (savoirs ou de savoir-faire, capital social
et/ou économique) acquis dans l'exercice de leurs activités et
suffisamment enracinés dans les consciences et les pratiques. Ces
ressources sont très variées. Elles recouvrent aussi bien la
structuration et la distribution des rôles au sein des
coopératives selon les affinités identitaires ou
confessionnelles, le marchandage, les « contrats », l'usage
de signes ou symboles pour identifier les marchandises, la mobilisation des
liens affectifs ou des alliances dans les échanges, le recours au
gouassou, etc. Dans un tel environnement social, comment les
commerçantes de produits vivriers perçoivent-elles la nouvelle
loi coopérative ? Comment s'expriment les rapports entre les
règles de la nouvelle loi coopérative et les savoir-faire des
commerçantes en termes d'organisation et de pratiques
marchandes ? Quelles sont les stratégies mobilisées par les
commerçantes dans le processus d'adoption de la nouvelle loi
coopérative? Y a-t-il des résistances ?
Quelles en sont les significations ?
III. Objectifs de la recherche
A l'observation, les commerçantes de produits vivriers
ont une capacité étonnante d'organisation. Cette capacité
d'organisation leur permet d'assurer l'approvisionnement des villes depuis
plusieurs décennies et aussi de répondre à leurs propres
besoins. Cette étude vise donc à mettre en évidence et
analyser les ressorts de l'efficacité des coopératives
féminines et des pratiques marchandes des commerçantes dans un
environnement caractérisé par des réformes
économiques et institutionnelles. Pour y parvenir, les opérations
concrètes ont consisté à :
- Déceler et analyser les règles, valeurs ou
logiques qui fondent l'efficacité du système d'organisation des
commerçantes et de leurs pratiques marchandes dans le contexte
économique actuel;
- Identifier les nouvelles règles coopératives
et évaluer leurs incidences sur l'attitude et le comportement des
commerçantes ainsi que sur leur mode d'organisation du commerce;
- Déceler et analyser les stratégies
mobilisées par les commerçantes dans l'adoption de la nouvelle
loi coopérative et les significations qui en découlent.
IV. Hypothèses de recherche
En elles-mêmes les coopératives de
commercialisation de produits vivriers s'organisent et fonctionnent
principalement sur la base des liens de parenté, d'amitié, des
liens ethniques, ou de la solidarité confessionnelle. Mais c'est par
l'expérience, les compétences pratiques, et à
l'intérieur des réseaux sociaux que les commerçantes
organisent les échanges marchands. Ceci étant:
- L'efficacité du mode d'organisation et des pratiques
marchandes des commerçantes résulte de la combinaison des valeurs
des formes de coopération par les identités ou les
affinités et de la mise en oeuvre d'expériences ou de
compétences pratiques acquises dans l'exercice du commerce des produits
vivriers.
- En l'état actuel, l'incapacité de la nouvelle
loi coopérative à produire des compétences pratiques pour
redynamiser le système d'organisation du commerce des produits affaiblit
le niveau d'adhésion des commerçantes aux innovations. De ce
fait, celles-ci n'expriment pas d'attentes particulières et positives
par rapport aux fonctions sociales que valorise la nouvelle loi
coopérative.
- Les commerçantes de produits vivriers
procèdent à des ajustements, ou contournent totalement les
prescriptions de la nouvelle loi coopérative. Ces stratégies
contribuent à la reproduction de leur mode d'organisation, au maintien
des positions sociales et du prestige acquis par les femmes dans ce domaine
d'activité.
V. Revue critique de la littérature
Beaucoup de travaux relatifs aux coopératives
féminines montrent, en grande partie que ce qui les caractérise,
c'est l'analphabétisme, l'inorganisation, la faiblesse ou l'absence de
financements et la pauvreté des femmes. Il y aurait donc
d'énormes entraves (Amara, Op. cit.) à l'émergence d'un
mode d'organisation moderne, compétitif et plus efficace du commerce des
produits vivriers. Or, malgré les difficultés, le système
d'organisation et les pratiques marchandes des commerçantes de produits
vivriers continuent de vivre. Partant de ce constat, la présente
thèse procède à la déconstruction de cette grille
d'analyse dominante. Au lieu et place, elle fait émerger
l'expérience et les compétences pratiques des
commerçantes, les réseaux sociaux (capital social), la pratique
du don comme sources de construction d'une autre logique d'efficacité
même dans un contexte de mutations économiques et
institutionnelles.
Tout en mettant un accent particulier sur le volet marchand
dans sa monographie sur la production vivrière ivoirienne, Ildefonse
Ndabalishye3(*)
(1995) souligne qu'en Côte d'Ivoire, la commercialisation
bénéficie d'un certain suivi par le biais de l'Office de
Commercialisation des Produits Vivriers (OCPV). Il cite à cet effet,
quelques unités de collecte mises en place par l'Etat: celle de
Méagui (Soubré) dans le Sud-ouest, conçue pour la banane
plantain, et celle de Kotobi (Bogouanou) dans l'Est, pour les légumes
principalement. Pour lui, ces infrastructures aident à assurer une
meilleure organisation des flux et de la distribution urbaine. Sur la question
de l'efficacité des circuits de commercialisation des produits vivriers,
Ndabalishye pense qu'elle est basée sur la qualité du
réseau routier ivoirien4(*). Le système d'approvisionnement des
marchés repose quant à lui sur des réseaux plus ou moins
intégrés, impulsés par les grossistes dont certains
assurent également la fonction de collecte. Mais au niveau de cette
collecte, la difficulté réside selon l'auteur, dans la dispersion
de l'offre ainsi que dans l'accès des véhicules aux lieux de
production. Cela entraîne une baisse des prix payés aux
producteurs en fonction de l'éloignement des centres de consommation
et/ou des principaux axes routiers.
En ce qui concerne l'information relative aux produits
vivriers eux-mêmes, Ndabalishye estime qu'elle circule mal au sein des
circuits de commercialisation. Elle passe par des échanges directs mais
informels entre les commerçants, transporteurs et collecteurs. Dans ce
domaine, le rôle de l'OCPV semble être limité en raison de
son accès irrégulier aux médias, pour des problèmes
de moyens financiers. En ce qui concerne le problème du transport dans
le processus de distribution des produits, le coût du transport, selon
l'auteur accroît les charges liées à la commercialisation.
Toutefois, les marges commerciales nettes sont généralement
modérées au niveau de la distribution de gros. Ce qui n'est pas
le cas au niveau du détail. La conséquence, fait-il remarquer,
c'est la multiplication des prix par deux ou trois sur les marchés
urbains. S'intéressant au cas particulier du commerce des
légumes, Ndabalishye indique qu'ici, la fonction de collecte est
assurée par les femmes. Dans les zones de production, les
grossistes-collectrices achètent directement aux producteurs ou à
de petites commerçantes qui effectuent un premier ramassage. Le
transport des produits est dominé par l'utilisation des cars. Ce qui
favorise la dispersion de la collecte, ces véhicules n'acceptant que de
petits chargements à chaque voyage. A Abidjan, deux principaux
marchés dominent ce commerce de gros au niveau des légumes. Celui
d'Adjamé et celui du Plateau. Adjamé est plus actif dans le
commerce des légumes : n'drowa (aubergine), tomate, gombo, piment,
feuilles et légumineuses-graines. Quant au second marché, celui
du Plateau, il s'est spécialisé dans le commerce des
légumes de type européen.
En définitive, par rapport à la
commercialisation des produits vivriers, Ndabalishye identifie quatre faits
majeurs pour l'ensemble de la sphère marchande :
- la faiblesse du volume concerné par rapport aux
productions nationales. Ce fait est influencé par la grande consommation
de riz importé ;
- la faible variation interannuelle de l'offre. Cette
stabilité est due au caractère marginal des quantités
mises en jeu ; mais aussi à une relative stabilité du
climat ;
- la complexité des circuits de commercialisation qui
résulte de la diversité des opérateurs intervenants. Pour
l'auteur, ces intervenants semblent régis par des liens de
solidarité tacites qui confèrent à leur univers les traits
d'une confrérie très sélective. Manipulant des
quantités minimes, ceux intervenant au niveau du détail se
voient, à cause de leur foisonnement, obligés de pratiquer des
marges démesurées. Ainsi les producteurs se plaignent de livrer
leurs produits à vil prix, et les consommateurs de les acheter trop
cher ;
- les bonnes potentialités d'amélioration. Ici,
il estime que les perspectives d'une meilleure efficacité de la fonction
marchande et une bonne répartition des plus-values au sein des circuits
reposent sur : un rôle plus accru des Organisations Professionnelles
Agricoles (OPA), particulièrement au stade de la collecte primaire, la
revalorisation de l'outil médiatique en faisant appel à la presse
aussi bien parlée qu'écrite, la diversification des modes de
consommation des produits locaux et leur promotion et le soutien aux
initiatives de prospection des marchés extérieurs.
L'étude de Ndabalishye nous situe sur le rôle de
quelques acteurs dans la commercialisation (l'Etat, l'OCPV et les
grossistes, par exemple) ainsi que sur les atouts et les difficultés qui
affectent le système national d'approvisionnement des
agglomérations urbaines en produits vivriers. De façon
particulière, l'OCPV qui a en charge d'organiser l'économie des
produits vivriers reste effectivement un organisme peu efficace. L'insuffisance
de ses moyens logistiques, la faiblesse de ses ressources financières et
son accès limité aux médias (30 minutes d'intervention par
semaine sur les antennes de la première chaîne de radio) sont des
obstacles à l'accomplissement des missions à lui
assignées. Il est aussi peu sûr que les émissions portant
sur l'évolution des prix, la distribution et la commercialisation des
produits vivriers soient suivies et qu'elles aient un effet réel sur les
commerçantes. De plus, les faiblesses de l'OCPV tiennent surtout du
« langage-développement » (Sardan, 1995), de la
prégnance des stéréotypes et représentations qui ne
permettent pas une juste évaluation des pratiques et logiques qui
structurent l'activité marchande des coopératives
féminines. En outre, en mettant l'accent sur les gros acteurs que sont
l'Etat, l'OCPV et les grossistes, Ndabalishye passe quelque peu sous silence le
rôle que tiennent les femmes et leurs coopératives. Pourtant
l'essentiel de la distribution et de la commercialisation se fait par le canal
des associations ou des regroupements féminins5(*) et, en la matière, les
femmes sont en situation de quasi monopole6(*).
Aussi, en mettant en cause les pratiques et les logiques qui
alimentent l'activité des acteurs locaux, Ndabalishye
estime que les « liens de solidarité
tacites » qui existent entre eux constituent un obstacle au bon
déroulement de la commercialisation des produits vivriers. A ses yeux,
ceux-ci confèrent à l'univers des intervenants les
caractéristiques d'une « confrérie très
sélective ». Ce qui amènerait les détaillantes
à proposer des prix exorbitants aux consommateurs. On peut imaginer que
ce qu'il appelle « liens de solidarité tacites » ou
« confrérie », recouvre les réseaux de
relations et de connaissances autour desquels s'organisent les échanges.
Tout compte fait, les interventions de l'Etat ont apporté peu de
progrès techniques dans le système d'approvisionnement des
villes. De ce fait, ce sont les relations interpersonnelles qui nourrissent les
échanges. Les réseaux de relations représentent le capital
social le plus important dans les échanges. Dans la forme actuelle du
commerce des produits vivriers, l'information circule plus aisément
à l'intérieur des réseaux sociaux. Ainsi donc, la
distribution et la commercialisation des produits vivriers sont
réinventées et organisées autrement, essentiellement, par
le biais des relations interpersonnelles, des compétences et
expériences pratiques. La faiblesse même des transformations
techniques et des infrastructures dans l'organisation de l'économie des
produits vivriers ainsi que la crise économique renforcent le poids des
réseaux sociaux dans les échanges. Il faut également
relativiser l'impact des réseaux de relations sur les prix
proposés par les commerçantes sur les marchés.
Interviennent à ce niveau, beaucoup d'autres facteurs : l'offre et
la demande (période d'abondance ou de pénurie dans la
production), l'éloignement du lieu de production, la quantité de
marchandises achetée, les frais occasionnés par les rackets aux
différents postes de contrôle.
D'autres auteurs comme Kouamé Georges (2000),
Touré Lacina (1996), Zizigo, (1989) se sont également
intéressés aux activités de commercialisation de produits
vivriers menées par les coopératives féminines. Pour le
premier cité, l'activité de distribution et de commercialisation
des produits est enchâssée dans un ensemble de relations humaines.
Ce qui fonde les rapports économiques entre les femmes d'une même
coopérative c'est la parenté, la langue commune ou les
présupposés culturels. Ces rapports peuvent favoriser l'aide
mutuelle, la mise en place d'association de crédits (tontines) ou les
comportements de solidarité entre les commerçantes. Kouamé
Georges a le mérite de mettre le doigt sur les dimensions sociales ou
culturelles des activités marchandes des commerçantes de la
coopérative de distribution des produits alimentaires (CODIPRAL) de
Treichville qu'il a étudiée. Mais dans l'ensemble, il s'enferme
dans la grille d'analyse dominante en ce domaine ; c'est-à-dire
celle qui privilégie l'approche économique et structurelle.
Ainsi, en lien surtout avec le nombre élevé de femmes
analphabètes ou déscolarisées dans le commerce des
produits vivriers, il relève que les principales entraves à
l'organisation et l'évolution efficientes de cette
activité sont les suivantes : l'absence de professionnalisme
(non respect des règles coopératives), le
désintéressement des commerçantes par rapport au
système d'épargne moderne et le recours aux caisses
d'épargne traditionnelles (les tontines), l'utilisation de leurs revenus
dans des activités festives (mariage, baptême, etc.) ou dans les
funérailles, les difficultés de financement en relation avec la
faiblesse des revenus et l'insolvabilité de la plupart des
commerçantes, etc.
Le rôle indéniable des femmes dans la
commercialisation ou la promotion des produits vivriers est aussi mis en
exergue dans les travaux de Touré et de Zizigo (Op. cit.). Dans le
mécanisme de fonctionnement de la Coopérative de
Commercialisation des Produits Vivriers d'Adjamé (COCOPROVI), l'un
souligne l'importance de l'entraide. Chez Touré, l'entraide
résulte de la conscience d'appartenance des commerçantes à
une même famille. Elle est source de cohésion sociale. A travers
les exemples de trois coopératives féminines d'Akanzakro
(Bouaké), d'Adjamé et d'Abobo, l'autre montre que les femmes du
secteur vivrier sont un atout pour l'équilibre socio-économique
de la Côte d'Ivoire. Toutefois, celles-ci ont d'énormes faiblesses
qui affectent négativement leurs activités économiques.
Ces faiblesses sont de plusieurs ordres. Au niveau des acteurs locaux
eux-mêmes, il y a la faible participation des femmes aux programmes de
sensibilisation et de formation qui n'est que la conséquence du manque
d'instruction des femmes. La pression de l'environnement social est
également mise en cause. En effet sur les 174 sujets
enquêtés, Zizigo indique que les bénéfices que les
femmes tirent de leurs activités économiques vont aux
dépenses personnelles (habillement, achats de bijoux, etc.) et aux
dépenses de famille (alimentation, éducation, soins des enfants,
loyers, funérailles, etc.). L'environnement social est donc pour lui un
obstacle à la prospérité économique et au
réinvestissement. Il préconise alors un changement des habitudes.
Par ailleurs, au niveau étatique, l'insuffisance des ressources
matérielles et humaines ne permet pas, selon l'analyse de Zizigo, un
suivi efficace des coopératives. A cela s'ajoute le manque de moyens
modernes de stockage aussi bien dans les zones de production que sur les
marchés urbains ainsi que l'absence de financements. Sur cette base,
Zizigo estime que la solution réside dans la formation des femmes
à la gestion coopérative, leur accès aux crédits
pour développer davantage leurs activités économiques et
une collaboration réelle entre les coopératives féminines
et les structures d'encadrement.
Au total, il se dégage du point critique de la question
que, pour la plupart, les analyses disqualifient les savoirs, les savoir-faire
et les pratiques des acteurs locaux que sont les commerçantes. Or devant
les nombreuses initiatives infructueuses des pouvoirs publics, il faut se
demander si le commerce des produits vivriers n'est pas bien organisé
étant donné les conditions dans lesquelles il fonctionne (Jones,
1972 cité par Perrault et Tano, 1986). En outre, il est clair
qu'à l'aune des perceptions économiques, la plupart des
commerçantes demeurent pauvres. S'appuyant sur les différences de
situations sociales, Vleï (1994) note qu'il y a une pléthore de
petites commerçantes aux conditions de vie précaires qui
coexistent avec les commerçantes les plus aisées. Il reste
toutefois difficile, en réalité, de rendre compte des nombreuses
facettes que recouvrent les conditions de vie des commerçantes. Beaucoup
se disent satisfaites de leurs activités marchandes et de leur vie en
coopérative sans que l'on ne puisse avoir une idée exacte de
leurs revenus. Dans beaucoup de cas, la satisfaction des commerçantes ne
tient pas à une hiérarchie de valeurs uniquement
monétaires. Elle ne se mesure pas toujours à l'importance des
bénéfices réalisés (les pertes sont parfois
nombreuses à cause des faiblesses infrastructurelles et logistiques).
L'intégration à des réseaux de relations variés,
l'entraide mutuelle, la récupération subtile de
responsabilités familiales traditionnellement dévolues à
l'homme sont des sources de satisfaction et de motivation tout aussi
importantes pour beaucoup d'entre elles.
Au plan méthodologique, la démarche qualitative
(observations, trajectoire sociale des enquêtées, etc.) est
pratiquement inexistante dans les travaux exposés. Or, la
compréhension de l'activité que mènent les
commerçantes passe par la connaissance de leur vécu quotidien, de
leurs expériences et compétences pratiques, des règles ou
systèmes de valeurs qu'elles mobilisent, des formes de relations dans
lesquelles elles sont insérées et des significations qu'elles
accordent à leurs pratiques marchandes. Nous ne sommes pas sûr que
la compétitivité ou l'efficacité des coopératives
féminines soit la conséquence de l'adoption de nouvelles
procédures organisationnelles par les commerçantes. Aussi, comme
l'a si bien démontré Serge Latouche (1998, 2005), les
laissés-pour-compte, les « naufragés du
développement » réinventent l'activité
économique selon une autre logique, notamment celle des réseaux
de relations, de la convivialité et du don. Ils sont condamnés
à vivre autrement, c'est-à-dire hors des normes dominantes parce
que « mis au rancart » par l'économie et le
marché mondial. Dans toutes les expériences humainement
réussies de l'informel, il ne s'agit pas d'un calcul maximum-minimum sur
une grandeur quantifiable homogène, type
bénéfices-coûts monétaires, mais d'une
spéculation synthétique sur les multiples
« raisons » qui entrent dans le traitement d'un
problème qui embrasse la totalité sociale (Latouche, 2005 :
132). Dans l'informel, souligne Latouche, on est ingénieux sans
être ingénieur, industrieux sans être industriel.
L'étude des stratégies ménagères à
Grand-Yoff (Sénégal), lui fait, d'ailleurs, dire que
malgré le nombre important d'étudiants africains formés
dans les business school anglo-saxon, ce ne sont pas eux qui fondent les
entreprises performantes, mais bien des femmes illettrées.
Sur bien des points, la présente étude se
nourrit des analyses esquissées par Serge Latouche. Elle tente, à
partir de l'exemple spécifique des commerçantes de produits
vivriers de la ville d'Abidjan, de les élargir aux expériences et
compétences pratiques tout en portant une attention particulière
au vécu et aux pratiques quotidiennes de ces dernières.
VI. Champ de la recherche et population cible
L'étude s'est déroulée à Abidjan,
précisément dans les communes d'Adjamé et d'Abobo qui font
partie des pôles les plus importants en matière de distribution et
de commercialisation de produits vivriers dans la capitale économique
ivoirienne. Le choix de ces deux communes tient compte de variables aussi bien
géographiques que sociologiques. Dans notre démarche,
Adjamé a été retenu comme marché centre et Abobo
comme marché satellite. En ce qui concerne le choix proprement dit des
coopératives, il ne repose pas sur la représentativité au
sens statistique du terme. Nous avons procédé par raisonnement en
recherchant une adéquation entre les choix opérés et les
objectifs de la recherche. Sous cet angle, nous avons accordé une
attention particulière à l'ancienneté et la
notoriété des coopératives. C'est ce qui justifie le choix
de la coopérative du « marché Gouro »
d'Adjamé-Roxi (COMAGOUA) en premier lieu et de la coopérative
multiservice des femmes d'Abobo (COMUSERF) en second lieu. La COMAGOUA qui
existe depuis la décennie 1980 a une plus grande assise
économique et sociale que la COMUSERF qui ne s'est constituée
qu'au cours de l'année 2001. Outre ces deux coopératives
officielles, l'étude s'est aussi intéressée à une
coopérative non officielle (« Philadelphie »
d'Abobo), en vue d'avoir une vision plus large et diversifiée du mode
d'organisation des commerçantes et de confronter les observations
effectuées. Les enquêtes ont donc porté sur trois
coopératives de commercialisation de produits vivriers aux
caractéristiques différentes.
Enfin, les commerçantes interrogées l'ont
été à partir de trois principales classifications :
responsables/membres ou sommet/base, capital social fort/capital social faible,
commerçantes expérimentées/commerçantes peu
expérimentées. Sur cette base, l'analyse du mode de
régulation des coopératives et des pratiques marchandes dont
usent les commerçantes tient compte aussi bien des positions
hiérarchiques des individus que des ressources qu'ils ont (capital
social) et qu'ils mobilisent dans le cadre des échanges marchands.
VII. Techniques de collecte des
données
Les entretiens et les observations ont
été les principaux outils de collecte des données dans
cette étude. Avec les femmes, les entretiens ont permis
l'établissement de réseaux de relations explicatifs entre les
trajectoires sociales (récits de vie) des commerçantes, les
pratiques marchandes qu'elles mobilisent, leurs significations et les
difficultés auxquelles elles sont confrontées. Ils ont
été également utiles dans la saisie des mécanismes
qui président à l'organisation et au fonctionnement des
coopératives.
Avec les agents des organismes de développement
(MINAGRA, OCPV, par exemple), les entretiens se sont focalisés sur trois
points majeurs que sont :
- les raisons de la mise en place d'une nouvelle loi
coopérative ;
- les stratégies d'intervention des organismes de
développement auprès des commerçantes ;
- les incidences des interventions sur le mode d'organisation
des commerçantes.
Au niveau des observations, elles ont consisté
à suivre les commerçantes aussi bien sur les marchés que
dans les zones de production. Les observations nous ont permis de :
- connaître l'organisation réelle des
commerçantes en termes d'achat, de transport, de distribution et de
commercialisation des produits vivriers ;
- savoir comment les commerçantes nouent et
préservent les relations avec les autres acteurs du vivrier marchand, et
en particulier, les productrices/producteurs ;
- connaître ce sur quoi reposent les échanges
entre les commerçantes et leurs clientes/clients sur les
marchés.
VIII. Démarche d'analyse
Au plan de la démarche de recherche, les travaux sur la
question sont essentiellement orientés vers une approche quantitative
(données statistiques, revenus, etc.). En privilégiant les
catégories économiques, ces études ne traitent pas
suffisamment des pratiques quotidiennes, des compétences et
expériences concrètes des femmes dans la distribution et la
commercialisation des produits vivriers. Or ces ressources sont productrices
d'une autre efficacité. Ayant opté, en ce qui nous concerne, pour
une démarche de type qualitatif, nous privilégions une approche
interactionniste qui met l'acteur, ses pratiques et leurs significations au
coeur de l'analyse sociale. Mais cette option tient compte de l'histoire et de
la culture sur la base desquelles, les acteurs construisent leurs logiques
d'action. En effet, les pratiques des commerçantes ne peuvent
être dissociées de leur parcours de vie, des expériences,
des processus d'apprentissage qu'elles ont traversés, ainsi que des
réseaux de relations dans lesquels elles sont insérées et
qui influent sur leurs capacités à s'organiser et à
commercer.
Notre étude s'intéresse particulièrement
aux fondements, à l'intelligibilité et aux significations des
pratiques organisationnelles et marchandes des commerçantes qui
résultent, avant tout, des contextes d'action ou des systèmes
d'action concrets (Crozier & Friedberg, 1977). Elle met en relief les
ressources (capital social, capital économique) dont disposent les
commerçantes et dont la mobilisation leur permet de « tirer
leur épingle du jeu face aux normes ou règles » (Le
Breton, 2004) des structures de développement. Aussi bien dans le
fonctionnement des coopératives que dans les échanges, presque
tout le système d'organisation des commerçantes repose sur des
conventions sociales non écrites. Celles-ci tirent leur
légitimité sociale de la parenté, de l'ethnie, de la
religion, des réseaux sociaux, du don, des compétences et des
expériences pratiques. Elles produisent des formes de satisfactions qui
sont aussi bien économiques, sociales, culturelles que symboliques. La
convention est un système d'attentes réciproques sur les
compétences et les comportements, conçus comme allant de soi et
pour aller de soi (Salais, 1989). Dans la convention, « les
comportements attendus n'ont pas besoin d'être conçus à
l'avance, écrits, puis ordonnés pour être
obtenus » (Ibid.). La vie sociale repose sur des accords implicites
informels ou implicites de ce type (Cabin, 1999). Par exemple, quand une
commerçante achète des produits à crédit chez une
productrice/un producteur, le mode d'échange présente a priori un
risque parce que généralement, aucun document écrit ne
l'atteste. Toutefois, sur la base de la confiance et des liens d'amitié
la productrice/le producteur s'attend à ce que la commerçante
revienne s'acquitter de cette dette lorsqu'elle aura vendu les produits sur le
marché. Il s'agit, au fond, d'une forme de transaction où en
raison de la force des réseaux de relations et de connaissances, les
parties observent pour une grande part, les règles de l'échange.
Une commerçante véreuse réduit elle-même son champ
d'activité en ce qu'elle peut susciter par son comportement, la
désaffection des productrices/producteurs de son réseau. Cela
dit, l'élucidation du mode d'organisation des commerçantes et des
pratiques qu'elles mobilisent dans les échanges s'appuie, à titre
principal, sur une approche par les règles7(*) (Reynaud, 1997), les conventions8(*) (Boltanski, Thévenot,
Orléan, Salais in Cabin, 1999) et le capital social9(*) (Bourdieu, 1980 ; Putnam,
1993).
IX. Difficultés et limites de
l'étude
Cette étude a été réalisée
à un moment difficile de l'histoire de la Côte d'Ivoire.
Originellement, notre champ de recherche était la Vallée du
Bandama qui regroupe cinq principaux départements que sont Bouaké
(ville principale), Sakassou, Béoumi, Katiola et Dabakala. Notre
étude devrait s'étendre à trois de ces
départements : Bouaké, Béoumi et Katiola. Mais la
crise politico-militaire survenue en septembre 2002 nous a contraint à
changer de terrain et opter pour la ville d'Abidjan. Il nous a fallu
redéfinir tout le projet de recherche : recadrage du sujet, prises
de contact, données relatives au terrain. Tout cela s'est fait non sans
quelques errements parce que notre détermination de départ a
été quelque peu entamée.
Au niveau de la recherche proprement dite, malgré toute
notre volonté de faire un travail de grande qualité et toutes les
précautions méthodologiques que nous avons prises à cet
effet, nous savons que cette étude est perfectible. La complexité
du phénomène étudié, l'impossibilité pour
nous d'appréhender tous les contours de l'organisation et des pratiques
marchandes des commerçantes exigent que nous nous gardons de tirer des
conclusions définitives et absolues. Tout travail scientifique
s'enrichit par des remises en cause et des dépassements. Ce travail ne
constitue pas une exception de ce point de vue. Au-delà de cette modeste
contribution à l'éclairage du système d'organisation du
commerce des produits vivriers par le biais des coopératives
féminines de la ville d'Abidjan, bien entendu, la piste reste ouverte
pour des études plus poussées. Qu'on ne cherche donc pas dans
celle-ci une explication définitive du dispositif organisationnel et des
pratiques marchandes des commerçantes, mais seulement une esquisse, et
peut-être une introduction à une explication de ceux-ci.
Dans l'ensemble, l'étude s'est limitée à
un champ restreint (deux coopératives officielles et une
coopérative informelle) et a mis l'accent sur une approche
essentiellement qualitative. De ce point de vue, il peut nous être
reproché l'impossibilité d'une généralisation des
résultats et une absence ou une insuffisance de faits quantitatifs
à même de fournir des données précises sur
l'activité économique des commerçantes. En fait, nous
avons fait le constat que la plupart des études consacrées
à cette question sont restées dans la quantification et la
généralisation tout en légitimant le discours
économique dominant. Or tout montre qu'à partir d'une
activité qualifiée d'informelle ou d'inorganisée, des
femmes en majorité illettrées parviennent à se positionner
dans un environnement où la bureaucratie et la logique capitaliste
tentent, petit à petit, de recouvrir toutes les sphères de la vie
sociale. Il nous a donc semblé pertinent de privilégier une
approche qualitative qui met l'accent sur les pratiques et les ressources qui
confèrent de l'efficacité aux commerçantes dans les
échanges dans un contexte marqué par d'importantes mutations
aussi bien au niveau de l'économie que des institutions qui la portent.
En outre, par rapport aux sources documentaires, la
marginalisation des coopératives féminines dans les politiques
économiques n'a pas facilité notre tâche dans l'analyse de
l'évolution du mode d'organisation des commerçantes. Nous n'avons
donc pas pu éviter de nous en tenir le plus souvent aux récits
des femmes elles-mêmes. De plus, l'impossibilité de disposer de
données fiables sur les réseaux de commercialisation des femmes
au niveau de l'Office de Commercialisation des Produits Vivriers de Côte
d'Ivoire (OCPV) a été un handicap pour nous dans la collecte des
informations et certainement dans les analyses effectuées.
Enfin, la pratique du terrain a souvent été
très pénible. A Abobo le contact avec les commerçantes et
notre acceptation ont été moins difficiles. A Adjamé-Roxi
en revanche, la procédure de négociation a été
longue. Jusqu'en juillet 2004, nous n'avions pas encore mené de
véritables enquêtes sur ce marché. En dehors de quelques
informations recueillies çà et là avec quelques
collecteurs, il nous a fallu procéder à de longues
négociations et user de patience. Des proches collaborateurs de la
Présidente de la coopérative d'Adjamé-Roxi (en particulier
son Chargé de mission) ont voulu même connaître le contenu
des guides d'entretien avant de donner leur autorisation pour les
enquêtes. Il nous a aussi été demandé de ne pas nous
intéresser à toutes les questions relatives aux ressources
financières de la coopérative. Nous n'avons pas pu accéder
aux documents administratifs. Nous avons compris à travers la
méfiance des commerçantes d'Adjamé-Roxi qu'il y a
sûrement plus de chance à faire des analyses impertinentes si l'on
veut s'atteler à chiffrer ce qu'elles gagnent. C'est en remontant dans
le réseau de parenté de la Présidente que nous avons pu
débuter réellement les enquêtes avec les
commerçantes d'Adjamé-Roxi. Les informations préliminaires
fournies par des collecteurs (qui ont aussi des liens de parenté avec
des commerçantes) nous ont été utiles à cet effet.
Notre première interlocutrice a été la Secrétaire
qui est en même temps la nièce de la Présidente. Par son
canal, nous avons eu la possibilité de faire avancer l'étude sans
grands heurts. L'autre difficulté a été l'incessante
mobilité des commerçantes de produits vivriers. A cause des
occupations quotidiennes liées à leur activité marchande,
les séances d'entretien étaient le plus souvent reportées.
Nous avons tout même profité de ces reports pour faire, parfois,
des observations sur les marchés.
En définitive, nous ne pouvons prétendre avoir
épuisé ce sujet. Les observations de nos juges et de nos
critiques pourront certainement nous aider à combler nos lacunes et
à explorer de nouvelles pistes dans le cadre des recherches futures.
X. Plan de rédaction de la
thèse
La thèse est organisée en
trois grandes parties subdivisées en trois chapitres chacune. La
première partie traite du système coopératif et des
organisations coopératives dans les politiques de développement
de la Côte d'Ivoire de l'époque coloniale à
l'indépendance. Nous y analysons les politiques économiques, les
évolutions et le rôle joué par les coopératives. Ce
qui nous permet de nous intéresser à la place des
coopératives féminines et d'analyser les raisons de leur
marginalisation dans les politiques de développement de la Côte
d'Ivoire. Cette partie s'achève par la mise en question de
l'efficacité des organisations coopératives.
Dans la deuxième instance de la thèse nous
présentons la nouvelle loi coopérative en mettant en exergue ses
principales caractéristiques, ses points de convergence et de divergence
avec les anciennes lois. Mais la mise en place de cette loi étant
intervenue dans le contexte de libéralisation et du désengagement
de l'Etat des activités économiques, nous analysons d'abord ce
contexte ainsi que ses implications dans l'organisation des secteurs des
produits d'exportation et des produits vivriers.
Dans la dernière partie de la
thèse, nous analysons le système d'organisation des
commerçantes et leurs pratiques marchandes. Nous nous intéressons
aux changements et aux permanences dans le contexte de la nouvelle loi
coopérative. Il s'agit ici, de tenter d'apporter des réponses
à quelques préoccupations essentielles. Par exemple, quelles
perceptions les commerçantes ont-elles de la nouvelle loi
coopérative ? La nouvelle loi coopérative modifie t-elle les
fondements du mode d'organisation des commerçantes ? Les innovations
qu'elle apporte se sont-elles substituées aux compétences et
savoir-faire pratiques des commerçantes ? Répondent-elles
aux besoins réels des commerçantes dans l'exercice de leurs
activités ?
PREMIERE PARTIE :
LE SYSTEME COOPERATIF ET LES ORGANISATIONS COOPERATIVES
DANS LES POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT DE LA COTE D'IVOIRE
CHAPITRE PREMIER :
LES POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET SOCIAL DE
LA COTE D'IVOIRE : UNE REPRODUCTION D ES INEGALITES SECTORIELLES
L'époque coloniale et la période de
l'indépendance nous renseignent sur les évolutions des politiques
économiques en Côte d'Ivoire. La période coloniale est
celles de la « mise en valeur » des colonies. Dans cette
optique, chaque colonie est transformée en centre de production par
l'Administration coloniale. La spécialisation au niveau agricole de
chaque territoire est fonction des conditions naturelles et des
potentialités agricoles qu'il offre. Devenue colonie d'exploitation en
1893, la place et le rôle de la Côte d'Ivoire dans l'Empire
colonial français sont définis selon ses potentialités
naturelles. Sa « mise en valeur » commence
véritablement entre les années 1920 et 1945. Les programmes de
« mise en valeur » de la colonie de Côte d'Ivoire
mettront l'accent sur le développement de l'agriculture de rente et
l'exploitation des ressources naturelles et minières (bois, or,
manganèse, diamant). Une place secondaire est accordée aux
cultures vivrières. Elles sont réduites à la fonction
principale d'aliments de subsistance pour les populations
« indigènes ». Alimenter le marché de la
métropole par des matières premières, est la principale
finalité de cette vaste politique d'exploitation, entretenue grâce
à une migration à grande échelle des ressortissants des
pays de l'hinterland (Burkina Faso, Mali, Niger) vers la Côte d'Ivoire et
des populations du Nord du pays (dioula, senoufo) vers le sud.
A l'indépendance, les gouvernants ivoiriens
héritent de la politique d'aménagement du territoire de
l'Administration coloniale. Cet héritage sera plus ou moins entretenu.
La Côte d'Ivoire opte pour une politique économique attractive
basée sur l'ouverture à la main d'oeuvre et à
l'investissement étranger. L'économie de plantation conservera sa
place dominante et bénéficiera d'importants investissements. Des
structures étatiques sont créées pour la modernisation de
l'agriculture : CFDT, MOTORAGRI, SATMACI. Des mesures incitatives
(« Coupe nationale du progrès »,
développement de coopératives) sont aussi mises en places pour
favoriser l'adhésion des masses rurales à la politique
d'extension des productions d'exportation. Très vite grâce aux
performances des matières premières agricoles, la Côte
d'Ivoire devient un pôle économique attractif. Elle se positionne
en Afrique et même dans le monde. Jusqu'en 1980, elle a un taux de
croissance moyen annuel de l'ordre de 8%. Mais les performances
économiques se réalisent dans un contexte de parcellisation de
fait des activités de production et de commercialisation. Le secteur des
produits d'exportation est masculinisé. Celui des produits vivriers est
féminisé et est très peu valorisé par les pouvoirs
publics. Néanmoins la crise économique a créé un
contexte qui, aujourd'hui, favorise le repositionnement du secteur vivrier. La
valeur de cette position stratégique réside dans les solutions
alternatives que ce secteur offre à l'Etat dans l'absorption des
problèmes sociaux engendrés par la crise de l'économie
ivoirienne et, plus récemment, le conflit politico-militaire de
septembre 2002. En réalité, le peu d'intérêt
accordé par les pouvoirs publics au secteur vivrier tient à la
faiblesse des devises tirées de ce secteur. Le rapport de l'Etat aux
différents secteurs de l'économie est, en effet, tributaire des
retombées et des enjeux économiques. Il en est de même dans
le développement des organisations coopératives en Côte
d'Ivoire. L'évolution du système coopératif montre que les
coopératives féminines sont d'apparition récente. Elles
sont faiblement représentées et n'ont pas suscité un
véritable engouement de la part de l'Etat.
CHAPITRE II:
FAIBLE REPRESENTATIVITE ET PEU D'INTERET POUR LES
COOPERATIVES FEMININES DANS LE SYSTEME COOPERATIF IVOIRIEN
La faible proportion et le peu d'intérêt
accordé aux coopératives féminines dans les politiques de
développement de la Côte d'Ivoire sont la conséquence des
choix économiques. Suscité et organisé par
l'Administration coloniale, le système coopératif a
évolué des Sociétés Indigènes de
Prévoyance (SIP) vers les Sociétés Mutuelles (SM) pendant
la colonisation. Au cours de cette période, les coopératives se
développent principalement autour des productions industrielles et
d'exportation (café et le cacao en particulier) pour accroître la
production de ces matières premières pour les besoins des
industries de la métropole. On ne parle pas encore à cette
époque de coopératives féminines orientées vers la
production ou la commercialisation des produits vivriers.
A l'indépendance, le système coopératif
ivoirien n'est pas fondamentalement rénové. Le Centre National de
la Coopération et de la Mutualité Agricole (CNCMA) prit en charge
le développement des coopératives jusqu'à sa dissolution
en 1964. C'est seulement à partir de 1966 que l'Etat de Côte
d'Ivoire adopte une loi (loi n°66-251 du 5 août 1966) relative aux
organisations coopératives. Cette loi sera modifiée en
décembre 1972 et remplacée en juin 1977 sans une
altération des fondements du système coopératif ivoirien.
Le statut juridique et le mode d'organisation des coopératives sont
définis. Les coopératives sont des sociétés civiles
de personnes physiques et morales de type particulier à capital et
personnel variables. Elles sont administrées par un Conseil
d'Administration qui peut nommer un Directeur extérieur audit Conseil.
En outre, désignés par une Assemblée
générale ordinaire, les Commissaires aux comptes ont pour
rôle d'assurer la gestion des comptes des coopératives. L'Etat,
par le biais d'organismes spécialisés (MINAGRA, OCPV, etc.)
assure le contrôle des coopératives et veille au
« bon » fonctionnement de celles-ci.
Les domaines d'intervention des coopératives sont
variés : agriculture, artisanat, pêche, consommation,
construction et habitat, épargne et crédit, école, etc. A
priori, le système coopératif ivoirien n'excluait aucun secteur
d'activités. Il se caractérise cependant par sa polarisation sur
les coopératives des produits d'exportation. Jusqu'à une
période récente, les coopératives féminines
essentiellement tournées vers la production ou la commercialisation des
produits vivriers, ont connu un développement tout à fait
marginal, généralement, en dehors des
procédures/règles d'organisation étatiques. Elles ne
représentaient qu'une très faible proportion des organisations
coopératives en Côte d'Ivoire et ne bénéficiaient
pas d'une attention particulière de la part des pouvoirs publics. De ce
point de vue, les nombreuses expériences de regroupement des femmes en
coopératives « officielles » dans le contexte de
l'économie libéralisée sont une situation inédite.
La position hégémonique des coopératives de produits
d'exportation risque, toutefois, de se maintenir tant que ces produits
constitueront les principaux fournisseurs de devises à l'Etat. Le
développement même des coopératives est le reflet des
inégalités sectorielles. Il est aussi tributaire des enjeux
économiques qui ne sont pas les mêmes lorsqu'on passe du secteur
des produits d'exportation à celui des produits vivriers. Or, la
question de l'efficacité du système coopératif ivoirien
s'est toujours posée avec plus d'acuité dans le secteur des
produits d'exportation où beaucoup d'organisations coopératives
ont fait faillite.
CHAPITRE
III :
L'EFFICACITE DES ORGANISATIONS COOPERATIVES EN
QUESTION
Globalement, l'expérience des coopératives n'a
pas été très satisfaisante en Côte d'Ivoire. En
raison des enjeux économiques qui l'entourent, le secteur des produits
d'exportation est le secteur d'activités où apparaissent, de
façon prononcée, les insuffisances du système
coopératif ivoirien. Plus qu'une adaptation aux mutations
socio-économiques, les nombreuses réformes et ajustements faits
par l'Etat sont symptomatiques des contradictions et des échecs dans le
fonctionnement des coopératives. L'analphabétisme des acteurs
locaux et la mauvaise gestion sont généralement utilisés
comme arguments pour expliquer l'inefficacité de ces organisations. Tout
se passe comme si les acteurs locaux constituaient la seule partie prenante
dans le champ du système coopératif.
En réalité, il faut mettre en cause
l'antagonisme des traditions coopératives et l'usage stratégique
des coopératives par des acteurs (Etat, leaders politiques, leaders
d'opinion, dirigeants de coopératives, populations locales, etc.) aux
logiques d'action différentes. L'antagonisme des traditions
coopératives se lie dans la difficile conciliation entre un mode
d'organisation de type bureaucratique (faisant du jeu démocratique son
credo dans le fonctionnement des coopératives) et celui des populations
locales qui tient compte du statut ou de la position sociale des individus pour
créer une vie collective harmonieuse. Au reste, la diffusion par les
organismes de développement des règles d'organisation et de
fonctionnement de la coopérative de type bureaucratique s'est
avérée le plus souvent inopérante. Les
singularités socioculturelles ont souvent été un obstacle
à un apprentissage collectif et à la mise en pratique de ces
règles. En outre, les coopératives n'ont pas été
que des instruments de soutien à l'activité économique.
Il y a une ambiguïté dans les rapports entre les
coopératives et les pouvoirs publics. Dans le secteur des produits
d'exportation où elles se sont le plus développées, les
coopératives ont régulièrement servi d'instrument de
contrôle social et de mobilisation politique, surtout avant la
libéralisation du « marché politique » et le
désengagement de l'Etat de l'économie. Le caractère
économiquement stratégique des produits d'exportation a
contribué aussi à l'accentuation des stratégies de
récupération des coopératives et leur affaiblissement. En
revanche, le développement plus ou moins marginal des
coopératives féminines et leur flexibilité leur ont permis
de se départir de la mainmise de l'Etat, des conflits de
récupération ou de positionnement. A cela, on peut ajouter le peu
d'enjeu que représentaient ces coopératives aux yeux des pouvoirs
publics. Le développement des activités économiques des
femmes dans des formes de socialités primaires a renforcé
l'autonomie de leurs organisations. Il apparaît de ce fait comme une
réponse à la faillite quasi récurrente des
coopératives.
Conclusion partielle
L'analyse des politiques économiques de la Côte
d'Ivoire permet de saisir l'évolution du système
coopératif ivoirien, la position des coopératives
féminines et le rapport de l'Etat à celles-ci. Les politiques de
développement se caractérisent elles-mêmes par de grandes
disparités entre productions d'exportation et productions
vivrières. Ces inégalités sectorielles sont perceptibles
dans la différence au niveau des investissements et dans
l'inégale valorisation de chaque secteur d'activités et de ses
acteurs. Le développement des coopératives est
lui-même le reflet de ces disparités. En effet, si les
coopératives ont soutenu la croissance économique, force est de
constater que les initiatives féminines dans ce domaine ont
été très marginales. Les coopératives
féminines sont d'apparition récente et ont suscité peu
d'intérêt de la part de l'Etat. Or l'évolution du
système coopératif ivoirien laisse apparaître beaucoup plus
de contradictions et de faillites en ce qui concerne les coopératives
des produits de rente. L'antagonisme des traditions coopératives, les
enjeux économiques au niveau des produits d'exportation, la
récupération des coopératives à des fins politiques
(mobilisation, positionnement social ou politique) ont rendu inefficaces
beaucoup d'organisations coopératives. Organisées principalement
autour des socialités primaires (ethnie, parenté, religion,
réseaux de relations, solidarité) reproduisant partiellement des
formes traditionnelles de vie collective, les coopératives
féminines ont, quant à elles, su échapper aux
stratégies de récupération et s'adapter aux mutations
économiques. Mais aujourd'hui, les pouvoirs publics inscrivent la
nouvelle loi coopérative dans une optique de correction des faiblesses
des organisations coopératives. Cette réforme intègre la
politique de restructuration et de libéralisation de l'économie
nationale. Elle est supposée offrir un environnement plus favorable au
renforcement de la compétitivité et de la viabilité des
coopératives en général, et des coopératives
féminines, en particulier.
DEUXIEME PARTIE :
LA LIBERALISATION DE L'ECONOMIE IVOIRIENNE ET LA MISE
EN PLACE DE LA NOUVELLE LOI COOPERATIVE DE 1997
CHAPITRE IV:
LES CAUSES DE LA LIBERALISATION DE L'ECONOMIE
La libéralisation de l'économie ivoirienne
marque la fin du monopole de l'Etat et le début de la modification de
ses rapports avec les acteurs économiques. C'est dans ce contexte qu'est
mise en place la nouvelle loi coopérative. A l'observation, deux grandes
raisons fondent la libéralisation de l'économie ivoirienne et le
désengagement de l'Etat des activités économiques. La
première est relative aux contradictions ou insuffisances structurelles
du modèle ivoirien de développement lui-même. C'est la
cause lointaine. En effet, le choix de l'ouverture, de l'exportation des
matières premières agricoles et de l'exploitation des ressources
naturelles a permis à la Côte d'Ivoire d'avoir une forte
croissance économique pendant les quinze premières années
de l'indépendance. Toutefois, au début de la décennie
1980, l'économie ivoirienne est frappée par la crise et elle
stagne.
En fait, le modèle économique et social ivoirien
est apparu fragile à cause de sa grande dépendance
vis-à-vis de l'extérieur, de la faible mobilisation des
ressources et des capacités humaines locales et de l'absence d'une
véritable bourgeoisie d'entreprenariat. La dépendance se
décline en trois principaux points : la suprématie de la
main-d'oeuvre étrangère, l'influence négative ou le poids
des accords de coopération avec l'ancien pays colonisateur, les
énormes avantages fiscaux et privilèges accordés aux
entreprises étrangères. La faible participation de la
main-d'oeuvre, des capitaux publics et privés nationaux dans le
processus de développement du pays a aggravé le monopole du
capital étranger. Les accords de coopération avec l'ancienne
puissance coloniale ont entraîné une faible diversification des
partenaires économiques extérieures et freiné la naissance
d'une économie nationale dynamique. Par ailleurs, les gouvernants
ivoiriens n'ont pas eu souvent recours aux ressources ou compétences
locales dans le processus de développement. Dans l'ensemble, les
politiques économiques ont plutôt contribué à leur
érosion. Au niveau du secteur agricole par exemple, les matériaux
de modernisation de l'agriculture sont importés mais les
capacités scientifiques et technologiques des nationaux ne sont pas
exploitées. De nouveaux modes de production et d'organisation ont
été définis et imposés aux populations locales.
L'instauration d'un « nouvel ordre social » s'est aussi
traduite par la substitution de nouvelles formes de coopératives aux
institutions communautaires endogènes. Ainsi, le modèle ivoirien
du développement se caractérise par une tendance très
accentuée au transfert des technologies, des idéologies et des
valeurs extérieures doublé de tentatives de destruction des
institutions de référence et d'accomplissement propre aux
sociétés ivoiriennes. Or les acteurs locaux du
développement ont toujours eu du mal à se les approprier.
La seconde cause de la libéralisation est la crise
économique des années 1980. Elle est marquée par la chute
des prix des principales cultures industrielles et d'exportation (par exemple,
près de 40% entre 1979 et 1986). Ce qui a comme conséquences la
baisse de la productivité, la dégradation du taux
d'épargne intérieur et du taux d'investissement, la
paupérisation de la population. La crise a entraîné la
reformulation des politiques économiques à travers les programmes
d'ajustement structurel (PAS) inspirés par les institutions
financières internationales (Banque Mondiale, FMI). Ces programmes se
traduisent par l'imposition de mesures de restrictions budgétaires, de
privatisations des entreprises publiques, de réduction des salaires dans
le secteur public et privé et de réduction des dépenses de
l'Etat. Sous cet angle, ils consacrent la disparition progressive de
l'Etat-Providence et l'instauration d'une économie libérale. Au
niveau de la production et de la commercialisation des produits agricoles, les
bailleurs de fonds exigent et obtiennent le retrait de l'Etat. Ainsi, la Caisse
de Stabilisation et de Soutien des Prix des Produits Agricoles (CSSPA ou
CAISTAB) sera dissoute. Ce nouvel environnement économique aura des
implications sur l'économie des produits d'exportation et sur celle des
produits vivriers ainsi que sur l'action coopérative au niveau de
ces deux secteurs.
CHAPITRE V :
LES IMPLICATIONS DE LA LIBERALISATION DE L'ECONOMIE
IVOIRIENNE ET DU DESENGAGEMENT DE L'ETAT
Si donc l'Etat s'est désengagé progressivement
de l'économie nationale et a favorisé de ce fait sa
libéralisation, les répercussions ne sont pas identiques d'un
secteur d'activités à un autre. Dans le secteur des produits
d'exportation, les mutations institutionnelles sont plus importantes. La
disparition de la CAISTAB en est l'élément majeur. Elle consacre
l'abandon de la politique de stabilisation des prix des produits agricoles et
limite l'emprise directe de l'Etat sur les producteurs et les organisations
coopératives. Cette nouvelle donne économique suscite
l'apparition de nouveaux acteurs qui tentent de légitimer leurs actions
en s'adossant à l'idée sacro-sainte de la défense des
intérêts des producteurs. Les acteurs locaux concentrent leurs
actions sur la création d'organismes et de coopératives qui,
semble t-ils, ont pour objectifs d'aider les producteurs à
maîtriser la commercialisation de leurs produits et à profiter des
retombées de la libéralisation. Dans cette perspective, il y a
une effervescence au niveau de l'action coopérative. Mais les
organisations coopératives sont traversées par de nombreux
conflits liés le plus souvent à la lutte pour la captation des
financements. Ces conflits d'intérêt ou de positionnement rendent
inefficaces leurs actions. Aujourd'hui, les coopératives ne sont pas
encore des filets de sécurité efficaces pour les producteurs
qu'elles sont sensées aider. En outre, en s'appuyant sur leurs
capacités financières, les multinationales tentent d'avoir le
contrôle du marché ivoirien du café et du cacao et de
s'assurer une position de monopole. Somme toute, malgré le nouveau
contexte, le secteur des produits d'exportation reste dominé par la
persistance des enjeux économiques qui affaiblissent les organisations
coopératives et rendent vulnérables les producteurs.
Dans le secteur des produits vivriers, il n'y a pas eu de
véritables mutations institutionnelles. Néanmoins, il y a des
évolutions significatives. Le nouvel environnement économique
semble créer un nouvel élan de dynamisme dans ce secteur. Les
femmes qui en sont les principales actrices font une apparition plus
significative dans le nouveau système coopératif. Sans être
sous le contrôle effectif des pouvoirs publics, elles profitent, tout de
même, de la sensibilisation sur la nouvelle loi coopérative et
créent de plus en plus de coopératives aussi bien dans les zones
de production que dans les centres urbains. Ce dynamisme de l'économie
des produits vivriers se construit autour de quelques femmes leaders. En avril
2003, la Fédération Nationale des Coopératives de Vivriers
de Côte d'Ivoire (FENACOVICI) dirigée par Irié Lou Colette,
comptait, à elle seule, plus de 252 coopératives regroupant
environ un million de membres. Ainsi, même si les coopératives des
produits d'exportation occupent toujours une position
hégémonique, l'évolution rapide du nombre de
coopératives féminines est une situation nouvelle dans le
système coopératif ivoirien au regard des disparités
sectorielles qui ont existé jusque là. Au reste, la crise
économique aidant, les activités économiques des
coopératives féminines acquièrent plus de reconnaissance
sociale. La production, la distribution ou la commercialisation des produits
vivriers qu'organisent ces coopératives ont des répercussions
positives sur les politiques alimentaires et sociales. Elles favorisent un
approvisionnement régulier des agglomérations urbaines. De plus,
avec les nombreux licenciements et les pertes d'emplois dus à la crise
économique, beaucoup de ménages dépendent des
activités marchandes des femmes. Mais les pouvoirs publics
considère la nouvelle loi coopérative comme un cadre
institutionnel à même de moderniser les coopératives
féminines et de leur donner plus d'efficacité.
CHAPITRE V I:
LA NOUVELLE LOI COOPERATIVE : POUR UNE ADAPTATION
ET UNE PLUS GRANDE COMPETITIVITE DES COOPERATIVES FEMININES DANS UNE ECONOMIE
LIBERALISEE
La nouvelle loi coopérative se caractérise au
plan institutionnel par des mutations aussi bien dans les règles
liées à la constitution des coopératives que dans les
règles relatives à leur fonctionnement. Elle s'applique à
tous les secteurs d'activités. Inscrite dans la logique de
l'économie libéralisée, la nouvelle loi coopérative
accorde plus d'initiatives aux acteurs locaux et réduit l'implication de
l'Etat dans l'organisation et le fonctionnement des coopératives. Elle
ne se distingue pas fondamentalement des anciennes lois, mais contient quelques
innovations significatives. Désormais, les coopératives peuvent
se constituer directement après une étude de faisabilité
devenue, selon les nouvelles dispositions, un préalable. L'étape
transitoire qui est celle du Groupement à Vocation Coopérative
(GVC) et qui était en vigueur depuis la loi d'août 1966, est, de
ce fait, supprimée. En outre, dans leurs activités, les
coopératives sont exonérées de l'impôt sur le
bénéfice. Au niveau de l'organisation et du fonctionnement
interne, les Commissaires aux comptes doivent être choisis en dehors des
membres des coopératives. De plus, le niveau d'études
apparaît de plus en plus comme un critère pertinent dans le choix
du Directeur ou du Gérant d'une coopérative. C'est un argument
clef que mobilisent régulièrement les structures de
développement et leurs agents. Ainsi, en principe, le niveau requis pour
un Directeur ou un Gérant d'une coopérative est le BAC+2 ou le
BAC+4 dans les domaines des sciences économiques, des sciences de
gestion ou de la comptabilité. En fait, les pouvoirs publics
considèrent que l'analphabétisme des
coopératrices/coopérateurs est, dans une large mesure, la cause
principale de la mauvaise gestion et de la faillite des coopératives.
Par conséquent, en misant sur le capital culturel, ils pensent faire
face à cette situation et avoir des organisations coopératives
plus stables et plus dynamiques.
On sait qu'une économie libéralisée
exige une compétition plus accrue entre les acteurs économiques.
Cette compétition est la conséquence du jeu de la
concurrence ; jeu dont le mécanisme doit être
maîtrisé par les acteurs économiques pour pouvoir ajuster
leurs actions au fonctionnement du marché. Dans cette perspective, par
le rehaussement du niveau d'études des Directeurs ou Gérants,
l'Etat entend leur donner plus de ressources. Au fond, l'objectif visé
par l'Etat, c'est d'avoir des coopératives non seulement
« bien » organisées mais surtout
compétitives, viables et efficaces économiquement. Les
coopératives féminines opérant dans la distribution et la
commercialisation des produits vivriers sont particulièrement
concernées. Car cette activité est dominée par des femmes
illettrées et pour beaucoup, le commerce des produits vivriers reste
inorganisé. Il faut de ce point de vue le restructurer et le moderniser.
Et aux yeux des pouvoirs publics, cela passe par une appropriation collective
et par la mise en pratique effective des nouvelles règles
coopératives par les commerçantes de produits vivriers.
Conclusion partielle
Les contradictions du modèle ivoirien du
développement et la crise économique ont entraîné la
libéralisation et réduit la mainmise de l'Etat sur
l'économie. Cette situation a donné une nouvelle configuration au
champ économique. Elle eu des conséquences qui sont ressenties de
façon différente lorsqu'on passe du secteur des produits
d'exportation à celui des produits vivriers. Dans le premier cas, les
enjeux, les luttes et les conflits autour des retombées de la
libéralisation persistent malgré l'apparition de nouveaux acteurs
non étatiques et la définition d'un nouveau cadre d'organisation
de l'économie des produits d'exportation. L'espoir suscité par la
cession des activités de production et de commercialisation aux acteurs
locaux ne s'est pas traduit par une cohérence au niveau de l'action
coopérative. L'effervescence dans la création des organisations
coopératives est noyée dans le jeu des enjeux économiques
et dans la lutte pour la captation des mannes de financement. A
l'opposé, dans le secteur des produits vivriers, il n'y a pas de
véritables bouleversements au plan institutionnel. Mais les femmes dont
le rôle est passé sous silence dans l'évolution des
coopératives tentent de se réorganiser. Elles s'approprient les
opportunités de la nouvelle donne économique et multiplient les
initiatives de regroupement. Ces initiatives de regroupement doivent cependant
se mettre en place selon la nouvelle loi coopérative qui, dans le
contexte économique actuel, vise à apporter des correctifs au
mode d'organisation et de fonctionnement de leurs coopératives. Dans
cette perspective, comment les règles qu'elle véhicule sont
vécues par les commerçantes de produits vivriers ? Se
sont-elles substituées aux règles et conventions sociales qui
régissaient le mode d'organisation des commerçantes ?
Pourquoi ? Répondent-elles aux besoins réels des
commerçantes dans l'exercice de leur activité ?
TROISIEME PARTIE :
LE MODE D'ORGANISATION ET LES PRATIQUES MARCHANDES DES
COMMERÇANTES DE PRODUITS VIVRIERS : CHANGEMENTS OU PERMANENCES DANS
LE CONTEXTE DE LA NOUVELLE LOI COOPERATIVE ?
CHAPITRE VII :
LA FORMATION DES COOPERATIVES FEMININES ET LES
PERCEPTIONS LIEES A LA NOUVELLE LOI COOPERATIVE
Dans le processus de leur mise en place, la coopérative
de commercialisation de produits vivriers d'Adjamé-Roxi et celles
d'Abobo ont, chacune, une histoire singulière. La formation de la
première coopérative citée a commencé vers la fin
de la décennie 1970 autour de Nanti Lou Rosalie. Pionnière dans
le commerce des produits vivriers en Côte d'Ivoire, les récits
s'accordent à dire que c'est avec des ressources financières
limitées que Nanti Lou Rosalie a débuté son
activité marchande. Au fur et à mesure, celle-ci prendra de
l'importance en raison des mutations socioéconomiques et de
l'accroissement de la demande urbaine en matière de consommation
alimentaire. Cela a pour conséquence de susciter l'intérêt
d'autres femmes pour le commerce des produits vivriers. Celles-ci, comme Nanti
Lou Rosalie elle-même, sont principalement des femmes gouros. Cette
affinité ethnique est d'ailleurs ce qui fonde le regroupement des
commerçantes d'Adjamé-Roxi. A Abobo, aussi bien avec la
coopérative officielle « COMUSERF' » que la
coopérative informelle « Philadelphie », les femmes
se sont regroupées sur la base de leur appartenance à des
communautés chrétiennes évangéliques. De ce fait,
activités religieuses et activités marchandes
s'enchevêtrent ; entraînant de la sorte un pluri-usage de la
coopérative qui fait d'elle un outil de promotion économique,
mais aussi un lieu de socialisation aux valeurs chrétiennes. Dans
l'ensemble, ce qui caractérise toutes ces coopératives, c'est
leur constitution à partir d'affinités fondées sur des
relations sociales primaires, elles-mêmes, construites autour de l'ethnie
d'une part, et de la religion d'autre part.
En pratique, le marquage ethnique ou religieux des
coopératives induit un mode de vie en groupe des commerçantes qui
puise sa force dans les liens de parenté, les liens confessionnels, les
liens d'amitié, etc. Cette forme de vie collective façonne les
perceptions que les commerçantes de produits vivriers ont de la nouvelle
loi coopérative. En effet, les organismes de développement
essaient, par la sensibilisation et la formation, de faire intérioriser
les nouvelles règles coopératives aux commerçantes en
mettant en avant les avantages d'une nouvelle forme d'organisation :
compétitivité, viabilité, promotion économique,
amélioration des conditions de vie des femmes. Toutefois, dans la
plupart des cas, le niveau d'attente des commerçantes restent
très faible vis-à-vis de ces actions. Pire, chez celles qui
n'occupent pas de positions hiérarchiques au sein des
coopératives, il y a une méconnaissance profonde de la nouvelle
loi coopérative et une attente quasi inexistante des changements
qualitatifs qu'elle pourrait susciter. Au fond, les commerçantes
construisent plutôt le sens de la vie en groupe ou en coopérative
à travers les réponses concrètes qu'elle apporte à
leurs besoins sociaux et les liens de solidarité qu'elle crée.
Avant tout, pour les commerçantes, la coopérative a une fonction
de protection sociale. Elle apporte de multiples satisfactions sociales :
aide à la scolarisation des enfants, assistance en cas de maladie grave,
assistance dans les situations heureuses ou malheureuses (mariage, naissance,
baptême, décès, etc.), aide pour la relance des
activités. En définitive, l'intérêt accordé
par les commerçantes aux formes traditionnelles de solidarité et
aux satisfactions sociales fait que leur vie en coopérative est moins
institutionnalisée. Leurs rapports au sein des coopératives sont
des rapports vécus, existentiels. Ce mode de vie en groupe permet aux
commerçantes de s'organiser et de mener à bien leurs
activités marchandes.
CHAPITRE VIII :
L'ORGANISATION DES COOPERATIVES ET DES ECHANGES
MARCHANDS
Les coopératives féminines sont
organisées autour de modes de relations fonctionnelles et
hiérarchiques qui sont une réponse aux nécessités
de la vie collective et de l'activité économique des
commerçantes. Elles se comprennent mieux lorsqu'on interroge la
structure des relations concrètes en leur sein. En
réalité, le fonctionnement des coopératives
d'Adjamé-Roxi, de la « COMUSERF » et de
« Philadephie » d'Abobo est construit par le jeu des liens
sociaux (liens ethniques, liens de parenté, liens confessionnels, liens
de solidarité) et de l'influence sociale des individus. C'est autour de
ces paramètres que s'opère la distribution des positions
hiérarchiques et s'organise la régulation sociale. A la
coopérative d'Adjamé-Roxi, il y a une distribution très
inégalitaire du pouvoir entre les commerçantes même si elle
est atténuée par les liens ethniques et les liens de
parenté. Le pouvoir est concentré dans les mains des femmes les
plus anciennes et les plus expérimentées, les
« mamans ». Ici, l'expérience, les
réseaux d'échanges (capital social) et le capital
économique sont les plus grandes sources de pouvoir. De ce fait, les
autres acteurs (directeur, secrétaires, etc.) qui sont
positionnés dans la structure formelle de la coopérative ne sont
pas porteurs d'un véritable pouvoir. A Abobo par contre, les relations
au sein des coopératives sont moins inégalitaires. Le pouvoir est
moins centralisé et moins personnalisé. L'influence des normes de
vie chrétiennes sur les comportements individuels fait que la vie de
groupe chez les commerçantes de la « COMUSERF » et
de « Philadelphie » se déroule sans un
véritable groupe social dominant. Néanmoins, la position et
l'image de l'individu au sein de sa communauté religieuse sont les
principaux déterminants de son positionnement et de son influence au
sein de la coopérative. Cela dit, si elles ont une efficacité
pratique et satisfont les commerçantes, il reste que le poids des
socialités primaires dans l'organisation et le fonctionnement des
coopératives féminines ne favorise pas encore une
véritable ouverture de celles-ci aux innovations que proposent les
pouvoirs publics.
Par ailleurs, l'organisation des échanges marchands ne
repose pas sur un cadre formel définit par l'Etat mais plutôt sur
un « dispositif social » construit par les acteurs locaux
eux-mêmes. Croyances, réseaux sociaux, relations de connaissances
et dons alimentent l'activité marchande des commerçantes. Dans
les zones de production vivrière, la confiance régule les
échanges entre productrices/producteurs et commerçantes. Dans son
usage, elle a une fonction sociale et économique. En effet, dans un
contexte caractérisé par un recours régulier des
commerçantes au système d'achat à crédit, seule la
confiance rend durables les relations interpersonnelles et assure la survie des
réseaux et des rapports marchands. L'évacuation des produits
vers les marchés urbains est un aspect tout aussi important des
échanges. Dans ce domaine, les coopératives restent encore
dépendantes des transporteurs privés. Elles louent leurs
services, et les coûts dépendent généralement de
l'état des routes ou des pistes villageoises, de la quantité de
marchandises, de la distance entre le lieu d'achat et les marchés
urbains, de la période d'achat (offre importante ou offre faible) des
produits et des tracasseries en lien avec les contrôles routiers. Le
système des achats collectifs est régulièrement
utilisé par les commerçantes comme une alternative pour amortir
les charges de transport ainsi que les effets d'éventuelles pertes dues
au caractère périssable de nombreux produits. Sur les
marchés, les opérations de déchargement des camions et de
distribution sont menées selon des formes d'organisation sociale du
travail propres à chaque coopérative. L'importance du flux des
produits, l'usage de symboles pour identifier les marchandises, le
prélèvement de taxes sur les produits et la nature des relations
entre ceux qui font le déchargement et les commerçantes
confèrent des spécificités aux formes d'organisation du
travail mis en place par les commerçantes. Complexe au marché
d'Adjamé-Roxi, l'organisation du travail l'est moins au marché
d'Abobo.
Dernière phase dans la chaîne des
échanges, la vente des produits aux consommateurs (clientes/clients)
mobilise, dans son déroulement, un vaste ensemble de valeurs qui
intègre l'offre et la demande, le marchandage et le don
(« gouassou »), les réseaux d'amitié
et les liens d'affectivité. Il en résulte que selon la situation,
les commerçantes de produits vivriers font usage de l'une ou l'autre de
ces valeurs. Les échanges marchands sont caractérisés de
ce point de vue, par la présence des croyances, des réseaux
sociaux et du marché. La formation par les commerçantes des prix
selon les facteurs mentionnés plus haut et qui sont liés à
l'écoulement des produits sur les marchés urbains obéit
à un comportement économique, donc, aux règles du
marché. Mais d'un autre côté, les rapports marchands entre
les commerçantes et leurs clientes/clients reposent, en grande partie,
sur des formes de croyances qui dominent encore l'univers des échanges
dans la plupart des sociétés africaines. Les relations humaines
et interpersonnelles priment sur le jeu anonyme de l'offre et de la demande. De
façon singulière, le don que les acteurs appellent dans le
discours local gouassou prend lui-même sa source dans une
certaine représentation du monde et des relations humaines. Il
relève de la croyance communément partagée selon laquelle
le « bienfait ne se perd jamais». Si fournir plus que la
quantité de produits achetée par un client (faire
gouassou) est une perte pour la commerçante sur le
plan strictement monétaire, il ne l'est pas au plan social. Le
gouassou est en effet un puissant investissement social. Il
crée des relations affectives ou d'amitié qui nourrissent les
échanges marchands. A un autre niveau, c'est même un moyen ou une
stratégie de captation, d'élargissement ou de fidélisation
de la clientèle. Quotidiennement mobilisé par les
commerçantes de produits vivriers, il participe de l'efficacité
de leurs pratiques marchandes.
CHAPITRE IX :
LA REPRODUCTION DES FORMES D'ORGANISATION LOCALES ET
DES PRATIQUES MARCHANDES
Les commerçantes s'organisent et mènent leurs
activités en s'appuyant essentiellement sur des savoirs et des
savoir-faire locaux, en dépit des mutations économiques et
institutionnelles induites par la libéralisation du marché. Ce
faisant, l'appropriation des nouvelles règles d'organisation et leur
incorporation aux pratiques existantes ne sont pas réellement
effectives. Le contournement de la nouvelle loi coopérative, la
sélection et l'ajustement des valeurs qu'elle diffuse aux pratiques
organisationnelles locales, forment la trame du comportement des
commerçantes de produits vivriers. Le contournement se traduit par
l'évitement des règles de la nouvelle loi coopérative par
les commerçantes. En effet, les programmes de sensibilisation, le
discours de « modernisation » ou de réorganisation
des coopératives conduits par des structures comme l'OCPV sont
reçus, mais en pratique, ils n'affectent pas les comportements
quotidiens des commerçantes et leur mode d'organisation. En
réalité, celles-ci, qu'elles occupent des positions
hiérarchiques ou pas, n'expriment pas une attente très forte et
un intérêt particulier par rapport à la nouvelle loi
coopérative. Cependant, si elle est observée sur l'ensemble des
regroupements féminins « officielles », la
stratégie de contournement est plus poussée chez les
commerçantes de la COMAGOUA-Roxi d'Adjamé. L'assise sociale et
économique de cette coopérative ainsi que la force des liens de
parenté et des liens ethniques accentuent les stratégies de
protection de l'organisation existante et freinent l'apparition d'un nouveau
« construit collectif » suscité par les
interventions des structures de développement. Concernant la
sélection et l'ajustement des règles coopératives aux
pratiques organisationnelles locales, ils portent sur ce que font les
commerçantes pour adapter la nouvelle loi coopérative à la
logique de fonctionnement de leurs organisations ou vice-versa. Ici encore, les
mutations sont très insignifiantes. Elles sont essentiellement
formelles. Ou bien les commerçantes s'attellent à obtenir
l'agrément pour être en phase avec les dispositions actuelles ou
bien elles mettent en place, dans la structure de leurs coopératives,
les principales instances qu'exige la constitution et le fonctionnement de
telles organisations : conseil d'administration, présidence,
direction, secrétariat, trésorerie, commissariat aux comptes,
etc. Dans tous les cas, en termes de réappropriation effective des
innovations en matière d'organisation coopérative, le
décalage reste très grand entre les actions de
« modernisation » des structures de développement et
les comportements réels des commerçantes de produits vivriers.
En définitive, les stratégies de contournement,
de sélection ou d'ajustement observées chez les
commerçantes qui entretiennent d'une part la reproduction des formes
d'organisation traditionnelles et, d'autre part, la survie des pratiques
économiques locales, ont principalement une double signification. Primo,
la nouvelle loi coopérative n'est pas productrice de compétences
pratiques. Essentiellement structurelles, les transformations qu'elle induit
ne sont pas à même d'accroître la capacité
d'organisation des commerçantes et de donner des réponses
concrètes aux difficultés qu'elles vivent sur le terrain. Or
à l'analyse, la logique de fonctionnement de l'activité de ces
femmes n'a pas recours à des structures collectives rigides et
institutionnalisées. De plus, les trajectoires sociales individuelles se
construisent par un apprentissage pratique des cadettes (moins
expérimentées) auprès des aînées sociales
(plus expérimentées). Par cet exercice, la commerçante
acquiert les ressources (compétences) nécessaires à la
pratique de son activité économique. Au fond, se constituer des
réseaux de relations et d'échanges, les entretenir, savoir
marchander, relèvent, dans le milieu du commerce des produits vivriers,
d'un savoir-faire pratique. La très faible adhésion des
commerçantes à la nouvelle loi coopérative s'explique donc
par le fait que dans le contexte actuel, celle-ci ne produit pas des valeurs ou
des ressources dont la mobilisation pourrait avoir des retombées
positives sur l'organisation de leur activité marchande. Secundo, la
crise économique aidant, les femmes déjà
désavantagées par le marché de l'emploi salarié
investissent le champ des activités indépendantes. Mais ces
activités n'ont pas que des implications économiques et ne sont
pas seulement des formes de réactions face à la crise. Dans le
commerce des produits vivriers, beaucoup de commerçantes se sont
positionnées et ont acquis du prestige social ; de sorte que cette
activité est devenue le lieu où se donne à voir et
s'exprime le pouvoir des femmes. Sous cet angle, le contrôle du secteur
vivrier marchand et le maintien du niveau de satisfaction économique,
sociale et symbolique que leur procure leur activité sont en lien avec
la reproduction du système d'organisation des commerçantes de
produits vivriers.
Conclusion partielle
Les transformations intervenues dans le système
d'organisation des commerçantes ne s'observent qu'au niveau de la
structure formelle des coopératives. Elles se caractérisent par
la mise en place d'une organisation qui s'accorde plus ou moins avec les
dispositions de la nouvelle loi coopérative. En pratique, il y a une
forte prégnance des liens de parenté, des liens ethniques, de la
fraternité religieuse, du capital social et du capital économique
dans la répartition des fonctions et dans les relations de pouvoir au
sein des coopératives. Les échanges marchands de leur
côté reposent sur des pratiques sociales multiformes. On y
retrouve des réseaux de relations diversifiés alimentés
par l'amitié, la confiance, le don, la fidélité ou les
« contrats » qui, quotidiennement mobilisés par les
commerçantes, atténuent les faiblesses infrastructurelles et
logistiques qui ne manquent pas dans la distribution et de commercialisation
des produits vivriers. En fin de compte, l'introduction de nouvelles fonctions
dans l'organisation des coopératives féminines n'entraîne
pas un accroissement des compétences pratiques des commerçantes
et des formes de satisfactions sociales produites par le système
traditionnel. Cela explique les stratégies de contournement ou les
ajustements qui ont pour conséquence le maintien ou la reproduction du
mode d'organisation des commerçantes et des pratiques marchandes dont
elles font usage.
CONCLUSION GENERALE :
La créativité féminine au secours
de l'Etat
Déjà au moment de la « mise en
valeur » de la colonie de Côte d'Ivoire, quelques formes
d'organisations coopératives sont développées. Ce
sont : les Sociétés Indigènes de Prévoyance
(SIP), les Sociétés Mutuelles de Production Rurale (SMPR) et les
Sociétés Mutuelles de Développement Rural (SMDR).
Placées sous l'autorité et le contrôle de l'administration
coloniale, celles-ci ont accompagné, à titre principal, la
politique de production et de commercialisation des matières
premières agricoles initiée par le colonisateur français.
A l'indépendance, l'Etat de Côte d'Ivoire choisit
une politique économique qui privilégie l'accroissement de la
production des cultures industrielles et d'exportation; en particulier le
café et le cacao. En cela, les autorités ivoiriennes
n'opèrent pas véritablement de rupture avec la politique de
l'administration coloniale. En réalité, la priorité des
gouvernants ivoiriens était de réaliser la modernisation du pays
grâce aux devises générées par la vente des produits
d'exportation. Dès lors, elles leur consacrent les investissements les
plus importants et initient des actions incitatives qui, d'une part, favorisent
une plus grande adhésion des populations à l'économie de
plantation et, d'autre part, un plus grand prestige pour ceux qui s'y
intéressent. En revanche, de faibles investissements sont
consacrés au secteur des produits vivriers. Reposant sur la force de
travail et d'organisation des femmes, ce secteur connaîtra, en
conséquence, un développement marginal en dépit de sa
contribution à l'autosuffisance et à la sécurité
alimentaires. Moins valorisé, ses acteurs auront, par ricochet, moins de
reconnaissance sociale dans les politiques économiques. Ce
déséquilibre sectoriel est en lien direct avec la faiblesse des
devises générées par l'économie des produits
vivriers. Ce secteur n'était pas en réalité un enjeu
économique majeur pour la reproduction des appareils de l'Etat et la
réalisation des infrastructures du pays. Toutefois, les mutations
socio-économiques et la crise ont occasionné un repositionnement
du secteur des produits vivriers et un regain d'intérêt des
pouvoirs publics pour celui-ci. En fait, les cultures d'exportation ne
constituent plus une rente suffisante pour la distribution des revenus,
l'absorption des incidences sociales et économiques de la crise. Elles
n'arrivent plus à remplir leurs fonctions habituelles. Dans ces
conditions, l'économie des produits vivriers pallie indirectement aux
insuffisances des appareils de l'Etat : réponse aux besoins
alimentaires d'une population urbaine de plus en plus croissante,
création d'emplois pour les catégories sociales
vulnérables (principalement les femmes), réduction de la
misère dans les couches sociales les plus touchées par la crise
économique et le conflit militaro-politique de septembre 2002.
Au niveau des organisations coopératives, leur
développement et les rapports que l'Etat ivoirien entretient avec elles,
sont le reflet des disparités sectorielles dans les politiques
économiques. Dans ce domaine, les coopératives féminines
sont faiblement représentées. D'apparition récente,
celles-ci ont suscité peu d'intérêt de la part des pouvoirs
publics. Or à l'opposé de celles opérant dans le secteur
des produits d'exportation, les coopératives féminines sont, dans
l'ensemble, parvenues à survivre aux mutations socio-économiques
et aux contradictions du système coopératif ivoirien.
Organisées sur des normes essentiellement traditionnelles, elles ont su
faire un usage constructif des formes primaires de relations sociales telles
que l'amitié, la parenté, l'ethnie, la solidarité, la
religion. Initiatives individuelles et endogènes pour la plupart, elles
ont réussi à se départir de la mainmise de l'Etat et de
toutes les stratégies de récupération des organisations
coopératives.
Dans le contexte économique actuel, la crise et les
programmes de libéralisation des institutions financières
internationales (FMI, Banque Mondiale, notamment) ont entraîné une
recomposition des rapports entre l'Etat et les différents secteurs
d'activités. Pour ce qui est des produits de rente, les mutations
institutionnelles sont plus importantes. L'emprise directe des pouvoirs publics
sur les producteurs et les organisations coopératives est limitée
après la dissolution de la CAISTAB. De nouveaux acteurs
économiques apparaissent : les coopératives, les
fédérations de coopératives, les organismes de suivi des
producteurs et les multinationales. Ils légitiment leurs actions par
l'accroissement du revenu des producteurs, l'amélioration de leur
bien-être social ou la défense de leurs intérêts.
Mais les enjeux économiques, les conflits dans la redistribution des
retombées de la libéralisation persistent. Ainsi, si les
organisations coopératives se sont multipliées, elles ne sont pas
encore des filets de sécurité efficaces pour conférer un
plus grand pouvoir d'action et de décision aux producteurs. Au
demeurant, des conflits apparaissent au début de chaque campagne
agricole car beaucoup de coopératives entrent en compétition pour
la captation des financements. Dans le secteur des produits vivriers, il n'y a
pas de véritables bouleversements au plan institutionnel. On note
toutefois des évolutions significatives. Les femmes intensifient leurs
initiatives de création d'organisations coopératives aussi bien
dans les zones urbaines que dans les zones rurales, sous l'impulsion de la
FENACOVICI et de quelques femmes leaders dans le commerce des produits
vivriers. Elles profitent du nouveau contexte économique et des actions
de sensibilisation sur la nouvelle loi coopérative pour renforcer et
consolider leur rôle dans l'économie nationale. Dans cette
optique, l'accroissement du nombre de coopératives féminines est
sans précédent dans l'histoire des politiques économiques
de la Côte d'Ivoire et du système coopératif. Mais les
exemples de deux coopératives officielles (COMAGOUA d'Adjamé-Roxi
et COMUSERF d'Abobo) et d'une une coopérative non officielle
(« Philadelphie » d'Abobo) mettent en évidence le
capital qui fonde l'efficacité du mode d'organisation et des pratiques
marchandes des commerçantes de produits vivriers. D'une part, les liens
de parenté, les liens ethniques, les liens confessionnels, l'influence
sociale, le pouvoir économique constituent la trame de l'organisation et
du jeu de régulation des coopératives féminines. La
distribution des fonctions sociales, les relations de pouvoir et la
cohésion sociale dans chaque groupe de commerçantes reposent sur
ces paramètres sociaux. D'autre part, dans le déroulement de leur
activité marchande, les commerçantes s'appuient sur un ensemble
de savoir-faire ou de compétences pratiques (capital culturel) qui
recouvre plusieurs facettes : savoir négocier ou marchander, savoir
se fidéliser aux fournisseuses/fournisseurs, savoir entretenir la
confiance, etc. En pratique, ces savoir-faire ou compétences
fonctionnent comme des « recettes » pour la réussite
dans les échanges. Ils s'acquièrent par une longue pratique du
commerce et se transmettent à travers un processus d'apprentissage par
l'action des cadettes sociales auprès des aînées sociales.
En conséquence, malgré le nombre élevé de femmes
analphabètes dans le commerce des produits vivriers et les
problèmes de collecte, de transport, de conservation des produits et de
tracasseries routières, le système d'organisation des femmes
conserve sa vitalité. Il tire sa force des formes primaires de relations
sociales, des savoir-faire pratiques des femmes, des réseaux sociaux,
des réseaux de connaissances et d'amitiés. Associées au
don en bord champ et sur les marchés urbains, ces ressources sociales
alimentent le système d'échanges des commerçantes et lui
permettent de s'ajuster au contexte d'une économie
libéralisée.
En outre, dans leurs réactions et comportements, les
commerçantes de produits vivriers restent encore attachées
à leurs formes de vie collective ainsi qu'à leur système
d'organisation des échanges. En fin de compte, c'est dans le moule des
pratiques organisationnelles et marchandes traditionnelles que les
commerçantes mènent leurs activités économiques.
Leur rapport aux règles de la nouvelle loi coopérative (loi
n°97-721 du 23 décembre 1997) se traduit alors sous deux
principales formes. Ou bien ces règles sont adoptées de
façon très sélective ou bien elles sont tout simplement
contournées. En effet, les changements structurels intervenus au niveau
des coopératives féminines n'ont pas d'incidences réelles
sur le déroulement pratique du commerce des produits vivriers. Ce
faisant, la non production de nouvelles compétences par la nouvelle loi
coopérative affaiblit le niveau d'attente des commerçantes et le
degré d'appropriation des innovations préconisées par les
organismes de développement. De plus, implicitement, on assiste par le
biais du commerce des produits vivriers à des mutations subtiles mais
effectives dans la société ivoirienne : positionnement
social des femmes, récupération au sein de la cellule familiale
de rôles traditionnellement dévolus aux hommes, acquisition du
prestige social, renversement progressif des représentations de la
réussite sociale. Le commerce des produits vivriers est de ce fait un
domaine singulier où se donne à voir et s'exprime le pouvoir des
femmes. La reproduction de leur mode d'organisation permet aux
commerçantes de produits vivriers de maintenir leur contrôle et
leur monopole sur le secteur vivrier marchand et de répondre à
des besoins individuels et collectifs aussi bien économiques, sociales
que culturels et symboliques.
Partant de tout ce qui précède, il faut une
connaissance suffisante des modalités pratiques du fonctionnement des
réseaux d'échanges féminins impliqués dans la
distribution et la commercialisation des produits vivriers. Une juste
évaluation de la part des pouvoirs publics des formes de satisfactions
qui en découlent est nécessaire pour renforcer ou accroître
les capacités d'action des femmes. L'Etat ne peut s'en tenir uniquement
aux satisfactions économiques. Car le commerce des produits vivriers
n'est pas qu'une activité économique. C'est aussi un mode de vie
qui répond à des logiques culturelles ou sociales. Dans cette
perspective, l'évocation par les organismes de développement de
l'analphabétisme et de l'inorganisation des commerçantes, la
réduction du commerce des produits vivriers à une activité
informelle de survie, ne fait, en fait, que fermer la porte à des
alternatives endogènes qui, pourtant, permettent à ces femmes
d'exercer une activité lucrative autonome.
* 1 Nous analysons cet aspect
dans le chapitre premier de la première partie de la thèse. Nous
mettons en exergue la différence entre le secteur des produits vivriers
et celui des principaux produits d'exportation au niveau des
investissements.
* 2 En vigueur dans les
anciens textes de lois, l'étape pré-coopérative stipule
que pendant une période de un an au minimum et de trois au maximum,
toute association constituée est d'abord un Groupement à Vocation
Coopérative (GVC). Après cette période probatoire, le GVC
peut, s'il remplit les conditions, devenir une véritable
coopérative.
* 3 Ildefonse Ndabalishye a
été agronome et spécialiste de
Recherche-Développement à l'ex-Institut des Savanes (IDESSA)
aujourd'hui Centre National de Recherche Agronomique (CNRA).
* 4 Du fait de la crise
économique, les investissements en matière d'infrastructures
routières ont considérablement baissés et les routes se
sont beaucoup dégradées. Néanmoins, le réseau
routier ivoirien était considéré comme l'un des meilleurs
d'Afrique. Jusqu'en 1992, on notait 143 km d'autoroutes, 5147 km de routes
revêtues, 8569 km de routes non revêtues et 54 182 km de
pistes (Plan quinquennal 1981-1985, Tome 2 :485 et A. Echui,
1993 :78).
* 5 Déjà en
1993, une étude du Ministère de la Famille et de la Promotion de
la Femme (MFPF) indiquait que sur un volume d'environ 143 000 tonnes de
produits vivriers commercialisés pour une valeur marchande de 5
milliards de francs CFA, plus de 40% passent par le canal des groupements
féminins, pour une valeur marchande estimée à plus de 2
milliards de francs CFA.
* 6 Selon les mêmes
sources, les femmes occupent environ 70% de la filière de
commercialisation des produits vivriers ; 60% pour la distribution par les
grossistes et 90% pour le marché de détail.
* 7 L'approche par les
règles est développée est basée sur l'idée
selon laquelle c'est moins le respect des règles que leur production qui
constitue le ressort principal des organisations humaines.
* 8 L'école des
conventions met l'accent sur les accords informels ou implicites que produisent
les acteurs sociaux pour permettre le déroulement de l'action
collective.
* 9 L'analyse par le capital
social porte son attention sur les réseaux sociaux, les ressources
mobilisables ou mobilisées dans les relations ou les échanges
entre les acteurs. Les réseaux sociaux, les ressources qui sont
accessibles à l'intérieur d'eux, le contenu des liens sociaux, le
sentiment d'obligation, les valeurs sont les composantes du capital social.
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