SECTION 2 Déterminants du choix entre
« protection et ouverture commerciale »
L'économie politique du protectionnisme s'est
développée depuis vingt ans en réponse à
l'incapacité de la théorie pure du commerce international
à rendre compte du décalage entre la prétendue
supériorité théorique du libre-échange et les
politiques nationales effectivement appliquées. Elle s'intéresse
aux déterminants du choix entre protection et ouverture commerciale. Ce
domaine est l'un des rares concernant des questions d'économie
internationale qui fait l'objet d'une approche d'économie politique.
Pour notre part, cette approche nous intéresse, non pas
dans la mesure où elle permet d'expliquer la non-ouverture mais
plutôt dans la mesure où elle nous permet de mettre en exergue que
l'ouverture (dans notre cas l'ouverture n'est que régionale) est
appliquée non-pas pour atteindre un optimum parétien mais pour
l'intérêt de certains.
Nous avons montré dans une première partie que
le libre-échange est bénéfique pour tous seulement s'il y
a redistribution et que ce n'est pas la principale caractéristique de la
Turquie. Aussi en étudiant les analyses dites d'économie
politique du protectionnisme nous cherchons à comprendre pourquoi la
Turquie cherche alors à s'ouvrir à l'Europe.
Pour traiter de ce sujet nous commencerons par rappeler la
problématique de l'approche standard de l'économie politique du
protectionnisme (2.1). Nous verrons ensuite l'explication factorielle (2.2)
puis nous verrons qu'il existe des apports complémentaires dans les
explications sectorielles et institutionnelles (2.3). Nous chercherons tout au
long de ces explications théoriques quels sont les enseignements que
l'on en retire quant à l'orientation d'ouverture régionale de la
Turquie et tenterons de le synthétiser dans la section suivante
2.1 Problématique de l'économie politique du
protectionnisme
Pour les économistes néoclassiques, le
thème du commerce extérieur a toujours été
récurant car semble-t-il non achevé. En effet, il existe la
théorie « vénérable » issue de SMITH
et RICARDO que nous avons brièvement exposée et qui vante les
bénéfices de l'ouverture commerciale. Face à cela,
paradoxalement on observe un monde réel où les mesures
mercantilistes et protectionnistes dominent et prolifèrent, où
l'on s'oriente vers du libre-échange régional plutôt que
mondial.
En réponse à cet écart entre
théorie et réalité s'est développé
l'économie politique de la protection. Dans les
analyses de ce courrant et bien qu'adoptant une optique nationale, l'esprit est
typique d'une économie politique dans le sens où s'articulent des
déterminants économiques et politiques à l'échelon
national, échelon où se nouent les compromis sociaux. Les
études cherchent à montrer d'une part quels sont les
déterminants du comportement des décideurs étatiques et
leurs préférences dans le domaine étatique (point
important pour notre travail car nous cherchons à savoir ce qui
détermine le choix turc concernant l'ouverture à l'Europe) et
d'autre part à analyser les politiques commerciales en observant les
stratégies des opérateurs étatiques et les demandes des
groupes de pression privés.
La question de la protection peut se décliner et se
décline en général en trois questions analytiques :
pourquoi certains secteurs sont-ils plus protectionnistes que d'autres ?
Pourquoi certains pays ont-ils plus de barrières à
l'entrée que d'autres ? Et pourquoi, selon les époques
l'économie internationale est plus ou moins ouverte ? Dans notre
cas, seule la première question nous intéresse car nous
étudions le choix d'un seul pays à un moment précis.
Pour répondre à cette question il faut s'appuyer
sur les bases théoriques que nous avons exposées et qui
expliquent les avantages du libre-échange. Ensuite il faut chercher
pourquoi ce dernier reste alors l'exception plutôt que la règle.
Pour cela nous allons procéder en deux temps :
tout d'abord nous mettrons l'accent sur la demande de
protection avec les explications factorielles et sectorielles puis
nous observerons le côté de l'offre avec
l'explication institutionnelle.
Nous nous attarderons néanmoins relativement plus sur
l'explication factorielle à l'instar de KEBABDJIAN [1999] et
considèrerons les autres explications comme complémentaires et
moins déterminantes.
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