· Annexe 16 : La Notion de
zone monétaire optimale
( résumé DE POLLIN J.-P. [2000]
)
La notion de zone monétaire optimale (ZMO) a
été développée par MUNDELL dans les années
1960 dans le but de mettre en exergue les exigences et les conséquences
de l'introduction d'une monnaie commune dans un espace économique
donné. Selon lui, une Union monétaire n'est concevable qu'entre
pays économiquement proches de façon à ce que tout choc
asymétrique soit absorbable sans modifier les taux de change. Dans une
zone monétaire optimale on absorbera les chocs par le biais de variation
de prix et/ou de salaire, ou par des mouvements de capitaux et/ou de
main-d'oeuvre.
Un espace économique constitue une zone
monétaire optimale si l'on peut montrer qu'il se prête à
l'utilisation d'une seule monnaie. Pour le montrer, il faut mettre en balance
les avantages et les coûts :
- Les avantages sont intuitivement connus : plus une
monnaie est utilisée et sur une zone vaste, plus elle est facilement
convertible et acceptée/désirée par tous. De plus en
utilisant une monnaie commune on élimine les aléas des taux de
change.
- Les coûts sont en revanche plus difficiles à
appréhender. Globalement on peut dire que l'introduction de la monnaie
commune engendre une contrainte pour la régulation de l'économie
car on renonce aux variations de parité entre devises en se pliant
à la politique monétaire commune.
Quelles asymétries dans le comportement des
économies européennes ?
Il existe des différences de performance entre les
économies européennes (cf. Taux de croissance et taux
d'inflation). À partir de ces différences on peut classer les
pays en deux groupes à conjoncture sensiblement identique : les
pays du coeur de l'Europe et les pays périphériques.
Néanmoins une synchronisation des conjonctures entre
certains pays peut être uniquement le résultat d'alignement
volontariste et difficilement tenable sur le pays leader. Les écarts de
performances, quant à eux, peuvent être le résultat d'un
rattrapage économique. Aussi il faut être prudent lorsque l'on
observe les données économiques pour voir si des pays
appartiennent à une zone monétaire optimale.
L'endogénéité des chocs
asymétriques
Le plus souvent l'origine des asymétries entre
économies se trouve au coeur même de celles-ci. En effet de part
le fait qu'en s'intégrant les économies se spécialisent,
elles ressentent alors différemment les chocs selon cette
spécialisation. P. Krugman a même montré que la mise en
place d'une union douanière allait accroître la polarisation des
activités et donc l'hétérogénéité de
l'espace économique européen. Ainsi l'instauration d'une monnaie
unique renforce la spécialisation économique des régions
et donc leurs différentes sensibilités aux chocs.
Mais d'un autre côté, l'Union monétaire
inclue également la fixation irréversible des parités
entre les devises des pays membres. Et la flexibilité des changes qui
disparaît enlève l'avantage d'amortir les chocs
asymétriques qui poussaient chaque industrie à se regrouper dans
un même espace. Donc la suppression des taux de change aura tendance
à rendre moins avantageux ces regroupements, assurant ainsi une
répartition plus équilibrée sur l'ensemble de la zone
diminuant ainsi l'asymétrie des chocs.
En résumé, il est difficile de savoir lesquels
de ces divers effets auront le plus d'importance.
Asymétrie des chocs ou des
comportements ?
Toutefois, ce qui importe pour nous c'est plutôt la
façon dont réagissent les économies à des chocs qui
les touchent collectivement. En effet réagir différemment
à un même choc peut rendre coûteuse l'appartenance à
une politique monétaire commune et donc à la renonciation des
ajustements de parité.
Par exemple, on sait qu'il est plus difficile d'être
price maker (imposer ses prix) sur des produits standards que sur des
produits spécifiques. Et souvent ces produits standards ont des prix
fixés en dollar. Aussi une dépréciation du dollar aura
plus d'incidence sur certaines régions européennes (en
particulier celles du Sud) spécialisées dans la production de
biens exposés à la concurrence que sur des régions
spécialisées en service haut de gamme. Il y aura donc un
même choc (dépréciation du dollar) qui engendrera des
effets dissemblables.
Quels substituts aux ajustements de
change ?
On a vu que les
hétérogénéités entre pays européens
les soumettent à des chocs asymétriques. Mais ceci ne suffit pas
pour affirmer que l'Union européenne n'est pas une zone monétaire
optimale car la gestion de ces asymétries ne passent pas uniquement par
l'utilisation de l'outil monétaire. Il existe d'autres variables ou
politiques d'ajustement qui permettent de compenser la perte de la politique
monétaire ou plutôt son partage.
Nous allons donc maintenant voir ces différents autres
mécanismes et essayer d'en évaluer leur efficacité dans le
cas européen.
1 - Les Ajustements de prix et de
salaires.
Si les prix et les salaires étaient totalement
flexibles, le problème des asymétries n'aurait aucune importance
car les variations des prix et salaires tiendraient le rôle d'ajustement
qu'avaient les variations de taux de change : les variations des prix
entre pays remplaceraient les ajustements par le taux de change.
Mais cette situation est fort éloignée de la
réalité dans laquelle l'imperfection des ajustements nominaux
(issus des viscosités institutionnelles mais aussi de l'information
incomplète) fonde l'efficacité de la régulation
monétaire.
Ainsi les observations réalisées en Europe sur
la formation des salaires montrent que ceux-ci sont peu flexibles. Ils ne sont
pas ou très peu sensibles aux taux de chômage régionaux et
répercutent peu sur eux les gains de productivité. Ainsi il
semble qu'en Europe les ajustements de salaires (mais aussi des prix) ne
constituent pas un mécanisme efficace pour la résorption des
chocs asymétriques.
Il reste néanmoins que ceci ne montre pas que la
politique monétaire nationale aurait résolu ces problèmes
plus efficacement. En effet si les salaires sont indexés aux prix
à la consommation, une dévaluation engendrera une augmentation
des prix d'importation et donc une hausse des salaires. Donc plus le pays sera
ouvert (et donc fort importateur) plus la dévaluation sera
inefficace.
De plus les politiques de dévaluations engendrent une
perte de crédibilité qui semble-t-il est plus coûteuse que
le gain retiré de la dévaluation.
2 - Les Mouvements de facteurs de
production.
Pour Mundell c'est la mobilité des facteurs de
production et particulièrement la mobilité du travail qui
constitue le critère majeur de la définition d'une zone
monétaire optimale.
Face à un choc asymétrique et si les prix sont
fixes, une migration de main-d'oeuvre rééquilibre les
marchés du travail. Un raisonnement semblable peut s'appliquer aux
capitaux.
On notera néanmoins que cet ajustement ne semble
valable que dans le cas de chocs de long ou moyen terme car la mobilité
demande du temps. Mais dans ces termes l'affirmation s'est
vérifiée notamment entre régions américaines dans
les années 70.
En ce qui concerne l'Europe, elle est différente. En
effet toutes les études montrent que la main-d'oeuvre y est largement
moins mobile et que l'effacement des frontières n'y a presque rien
changé et ceci certainement à cause de barrières
culturelles (mode de vie, langues, diplômes...).
Ainsi si l'on juge une zone monétaire optimale à
la mobilité de ses facteurs (travail et capital) l'Europe n'en est
certainement pas une et tout laisse à penser que les progrès dans
ce sens seront très lents.
Néanmoins si l'on se tient à ces critères
chaque économie européenne prise indépendamment n'est pas
une Zone monétaire optimale pour sa propre monnaie. Mais nationalement,
il existe un mode de gestion des asymétries qui consiste à
effectuer des transferts entre régions.
3 - Les transferts interrégionaux.
Si les effets des asymétries ne sont que de court
terme un bon moyen d'action est le transfert de ressources par le bais
d'emprunt ou de redistribution entre régions.
On notera d'une part qu'il semble qu'en Europe
l'intégration des marchés financiers soit avancée.
Toutefois cet argument est limité car les banques n'aiment pas
prêter aux régions en déclin.
Et d'autre part la capacité de redistribution du budget
communautaire est très limitée
En Conclusion
L'Europe n'est pas une zone monétaire optimale.
Néanmoins il est difficile d'évaluer précisément
quelles en sont les conséquences.
On sait juste que les économies des pays partenaires
sont trop différentes pour qu'on puisse les soumettre sans coûts
à une politique monétaire commune et ni la flexibilité des
prix, ni la mobilité des facteurs ne semble suffisant pour les
résorber.
En fait, seule la mise en place de politiques
budgétaires coordonnées ou d'un fédéralisme
budgétaire est capable de répondre au problème
posé.
|