TABLE DES MATIERES
Introduction générale .p. 4
Partie I : La situation générale des
Allemands et Alsaciens-Lorrains
des Vosges en 1911-1914
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p. 14
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Chapitre 1 : Les secteurs d'activité des Allemands et
des Alsaciens
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p. 17
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I - Textile et
habillement......................................................
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p. 19
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II - Autres
industries..................................................................................
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p. 22
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III - Agriculture, commerce,
hôtellerie....................................
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p. 24
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Conclusion....................................................................................................p.
25
Chapitre 2 : Les aspects liés au travail .p. 26
I - L'usine : rapports hiérarchiques, conditions de
travail p. 27
II - Classes sociales et mode de
vie....................................................................p.
29
III - Syndicalisme,
grève..................................................................................p.
31
IV - Services sociaux, activités avec l'entreprise et
vie associative..................... p. 33
Conclusion....................................................................................................p.
35
Chapitre 3 : Intégration ? p. 36
I - Religion, école, santé,
loisirs........................................................................p.
36
II - Volonté de s'intégrer p. 39
III- Etat et
opinion....................................................................................
p. 42
Conclusion....................................................................................
... p. 45
Partie II : Allemands et Alsaciens-Lorrains des
Vosges face au début de la guerre (1914-1915) p. 46
Chapitre 1 : Les prémices et les premiers moments du
conflit ...p. 50
I - Mesures prises à l'aube de la guerre par la
République........................... p. 51
II - La mobilisation des Allemands et des
Alsaciens-Lorrains..................... p. 53
III - Internement et approbation
populaire................................................. p. 56
Chapitre 2 : Réglementation spécifique et
acharnement populaire dans les premiers mois de la guerre ..p. 58
I - Allemands et
Austro-Hongrois......................................................................p.
58
II -
Alsaciens-Lorrains....................................................................................p.
61
Conclusion....................................................................................................p.
66
Chapitre 3 : 1915 ou l'accroissement des contraintes ..p.
67
I - Le cas des
Austro-Allemands..................................................................
p. 68
II - Le cas plus particulier des
Alsaciens-Lorrains........................................... p. 71
Conclusion....................................................................................................p.
74
Partie III : Enracinement du conflit, intensification du
contrôle
(1916-1917) p. 75
Chapitre 1 : Accroître le contrôle des Allemands
au tournant de la guerre .p. 76
I - Pour l'armée : accroître la surveillance des
Allemands et Alsaciens.............. p. 76
II - 1917 : naissance des cartes d'identité
d'étrangers et surveillance............ p. 78
III - Dépôts et centres de triages pour civils
allemands dans les Vosges.............. p. 80
Conclusion p. 82
Chapitre 2 : Le traitement spécial des
Alsaciens-Lorrains p. 83
I - La machine administrative p. 84
II - Alsaciens et
autochtones........................................................................
p. 88
Conclusion p. 92
Chapitre 3 : Allemands et Alsaciens à l'aide de la
France ..p. 93
I - A l'arrière, une main-d'oeuvre annexe
nécessaire.............................................p. 94
II - Prisonniers de
guerre...........................................................................
p. 96 III-
Réfugiés.................................................................................................p.
99
Conclusion.............................................................................................
p. 100
Partie IV : La fin de la guerre et
l'après-guerre (1918-1920) : un arrêt des contraintes ?. p.
101
Chapitre 1 : La dernière phase de la guerre ou
l'arrêt des mesures de contrainte
(1917-1918) p. 102
I - La réglementation à l'égard des
réfugiés vers la fin de 1917............................p.
103
II - Quel sort pour Allemands et Alsaciens à la fin
de la guerre ?......... ......
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p. 106
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Conclusion.............................................................................................
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p. 109
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Chapitre 2 : L'après-guerre (1918-1920)
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p. 110
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I - Alsaciens-Lorrains : l'utopie d'un rétablissement
des libertés individuelles.........p. 110
II - Le traité de Versailles et les commissions de
triage.......................................p. 113
Conclusion.............................................................................................
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p. 116
|
Conclusion
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p. 117
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Annexes
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p. 122
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Sources
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p. 130
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Bibliographie
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.p. 144
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INTRODUCTION GENERALE
Au XIXe siècle, la proximité géographique
entre la France et l'Allemagne fait apparaître un contexte propice aux
échanges et aux migrations de population. A partir de 1871,
l'immigration concerne plutôt les ressortissants d'Alsace-Moselle,
longtemps terre d'entre-deux. Les Vosges constituent alors un important
département d'accueil. Les Italiens y sont également nombreux
mais ont déjà fait l'objet d'une thèse1. Pour
comprendre la situation des Allemands et Alsaciens entre 1911 et 1920, il faut
envisager un bref retour sur la nature et les caractéristiques
historiques de leur immigration.
Au XIXe siècle, la faiblesse de la
fécondité et l'insuffisance de la main-d'oeuvre ont
favorisé l'arrivée et l'installation en France de nombreux
étrangers2. Le nombre d'entrées nettes par
année passe de 20 000 en moyenne entre 1896 et 1906 à 30 000
entre 1906 et 1911. Jusqu'en 1914, les travailleurs étrangers sont
essentiellement originaires des Etats limitrophes, en particulier Belges,
Italiens puis Allemands, Espagnols et Suisses3. Les autres pays sont
très faiblement représentés et la part des
non-Européens est alors quasiment nulle.
La connaissance de la population étrangère
à cette période repose presque exclusivement sur les recensements
publiés depuis 1851 par la Statistique générale de la
France4. Le dénombrement spécifique des
étrangers de 1891 révèle leur répartition par lieu
de naissance, sexe, âge, état matrimonial et profession. Mais la
statistique du mouvement de la population est beaucoup moins riche : il
n'existe même pas de série continue des naissances d'origine
étrangère. Il est donc très difficile d'étudier les
comportements démographiques et les processus d'assimilation.
Immigrés fort ordinaires au départ, les
Allemands sont devenus, en France, des étrangers singuliers. De l'Ancien
régime au début du XIXe siècle, ils sont peu nombreux,
spécialistes de l'industrie ou de la finance5. Puis le rythme
des arrivées s'accélère ; à la veille de la
révolution de 1848, les Allemands représentent à Paris un
étranger sur trois. Cette nouvelle immigration emprunte encore une image
de l'Allemagne plus rhénane que prussienne. Une certaine
complicité entre les deux pays et le poids de l'économie jouent
dans le développement des flux migratoires6.
Mais, déjà, le XXe siècle s'annonce et
des exilés allemands largement politisés arrivent nombreux,
fidèles aux idéaux de 1789. La révolution vaincue de 1848
et le coup d'Etat de 1851 sonnent le glas de ces temps d'amitié et
détruisent le mythe d'une France terre des
libertés7.
1 Voir O. Guatelli, Les Italiens dans
l'arrondissement de Saint-Dié : 1870-1970, Thèse de
doctorat, Nancy 2, 2002.
2 Collectif, « La France et ses immigrés
(1789-1995) », in L'Histoire, novembre 1995, n° 193, pages
20-42.
3 Ibid.
4 J.-D. & J.-P. Poussou, « Les
étrangers en France », in Histoire de la population
française, J. Dupaquier (dir.), Tome 3 (1789-1914), PUF, 1988, pp.
214-221.
5 Marianne Amar & Pierre Milza, L'immigration
en France au XXe siècle, Paris, A. Colin, 1990, article « Les
Allemands », p. 45.
6 Ibid.
7 Ibid.
La défaite de 1870 transforme, côté
français, l'Allemand en « Boche », étranger par
excellence qui menace la nation dans son intégrité
géographique et son génie8. Les Allemands
immigrés en France sont alors moins de 100 000, environ 8 % des
étrangers. La séparation de 1870 n'explique pas seule cette chute
brutale. Des immigrés, fiers de la réalisation de l'unité
allemande, en outre assimilés à l'occupant par une population
française traumatisée par la défaite,
préfèrent rentrer chez eux9.
Par le traité de Francfort du 10 mai 1871, cinq
arrondissements lorrains se trouvent rattachés à l'Allemagne en
plus de l'Alsace dans son intégralité : trois de la Moselle, deux
de la Meurthe, ainsi que des fractions des arrondissements de Lunéville,
Nancy et Saint-Dié. Le département des Vosges perd dix-huit
communes comprenant 21 000 habitants (le canton de Schirmeck et une partie de
Saales) qui sont fortement industrialisées avec notamment les forges de
Rothau, de Grand Fontaine et de nombreuses filatures. Les 43 000 habitants qui
vivent dans la zone annexée, le Reichsland, se trouvent d'emblée
à l'intérieur du Reich10.
Mais l'article 2 du traité autorise les habitants des
territoires cédés au vainqueur à opter pour la
nationalité française s'ils le souhaitent. La qualité de
citoyen français leur sera maintenue s'ils transportent leur domicile en
France avant le 1er octobre 1872, après avoir fait leur
déclaration d'option devant les autorités compétentes.
L'article 1 de la convention additionnelle du traité de
Francfort, signée le 11 décembre 1871, implique que les individus
simplement originaires d'Alsace-Moselle optent pour la nationalité
française, sous peine de devenir Allemands11. Après le
1er octobre 1872, ceux qui franchiront la frontière seront
enregistrés en France comme « ressortissants allemands
»12. Il s'agit plutôt pour l'Allemagne d'une solution
pratique, dictée par les circonstances, que l'expression d'un
comportement conciliant à l'égard du vaincu.
A une époque où les naturalisations par
décret sont encore peu nombreuses, la possibilité d'option
offerte à plus d'un million de personnes dans un délai à
peine supérieur à un an constitue, pour les services
administratifs, une nouveauté à laquelle ils doivent s'adapter.
En outre, les populations ont été mal informées : nombreux
sont ceux qui ont cru pouvoir rester Français en Alsace-Moselle.
L'option est finalement un plébiscite en faveur de la France : au 1er
octobre 1872, 160 878 Alsaciens-Mosellans (soit un peu plus de 10 %) ont
exercé leur droit d'option13.
8 M. Amar & P. Milza, op. cit., p. 45.
9 Janine Ponty, L'immigration dans les textes.
France, 1789-2002, Paris, Belin-Sup, Histoire, 2004, chapitre 2 « Le
temps des voisins », pp. 54-68.
10 Jean-Paul Claudel, Les Vosges en 1900.
1870-1914 : d'une Guerre à l'autre, PLI - Gérard Louis,
2001, p. 21.
11 Alfred Wahl, L'option et l'émigration
des Alsaciens-Lorrains (1871-1872), Paris, éd. Ophrys, 1974, 276
p.
12 J. Ponty, op. cit., pp. 54-68.
13 Ibid.
Au total, le nombre de ceux qui émigrent effectivement
dans la période d'option est de
125 000 sur une population estimée de 1,5 million.
Approximativement 8,5 % de la population fait le choix douloureux de l'exil. Au
sein des migrants, les élites sont fortement représentées
: bourgeoisie d'affaires, notables des campagnes, militaires, professeurs,
etc., provoquant de graves problèmes sur les plans démographique
et économique14. Beaucoup d'industriels du textile partent,
surtout vers les Vosges, la Normandie, voire l'Algérie. Par ailleurs,
sur les 125 000 migrants, on estime à 50 000 le nombre de ceux qui
fuient le service militaire allemand. Beaucoup de retraités ont enfin
opté pour ne pas perdre leur pension. Les optants emmènent en
même temps leurs capitaux : l'économie est totalement
désorganisée15.
L'émigration rapide prend souvent au dépourvu
les services d'accueil hâtivement constitués. Un quart de
siècle après la fin du conflit franco-prussien (1895), des
administrations départementales hésitent encore quant à la
nationalité réelle de certains résidents alsaciens ou
mosellans16. Périodiquement, des cas litigieux passent en
justice et les jugements rendus font jurisprudence. Plusieurs décisions
semblent en contradiction avec la circulaire du Garde des Sceaux du 30 mars
187217, selon laquelle doivent opter tous ceux qui sont nés
en Alsace-Lorraine, même s'ils n'y résidaient pas au moment de la
défaite : ces gens restés en France auraient dû être
considérés comme Allemands. Il ne s'agit plus de l'option au
regard des Allemands, mais de la position française. A côté
des pouvoirs publics, des associations jouent un rôle fondamental dans
l'accueil des migrants18.
Après la rupture de 1871-72, les effectifs des
Allemands présents en France vont croître à nouveau, sous
l'impulsion des Alsaciens-Mosellans qui n'ont pas usé de leur droit
d'option dans les délais impartis. Au cours de la période
1871-1914, 230 000 Alsaciens-Lorrains quittent l'Allemagne pour la
France19. Une véritable diaspora alsacienne-lorraine se
disperse ainsi sur le territoire français, avec des concentrations
très importantes dans les départements longeant la
frontière et les grandes villes, avec en tête, la région
parisienne. Ils sont accompagnés d'Allemands nouvellement venus des
Länder, notamment entre 1880 et 1895. Au classement des
nationalités étrangères présentes en France, les
Allemands se replacent au troisième rang jusqu'à la veille de la
Grande Guerre, derrière les Italiens et les Belges20.
14 A. Wahl, op. cit.
15 Ibid.
16 J. Ponty, op. cit., pp. 54-68.
17 Ibid.
18 H. Mauran, Les camps d'internement et la
surveillance des étrangers en France durant la Première Guerre
mondiale (1914-1920), Thèse de doctorat, Université Paul
Valéry - Montpellier III, 2003, p. 385.
19 J. Ponty, op. cit., pp. 54-68.
20 Ibid.
La Lorraine est à la fin du XIXe siècle une
région d'accueil importante, notamment pour les Alsaciens-Lorrains qui
quittent les provinces perdues. Si les Mosellans s'établissent
plutôt en Meuse et en Meurthe-et-Moselle - Nancy est d'ailleurs promue
par les événements capitale de la France de l'Est - les Alsaciens
s'installent plus particulièrement de l'autre côté des
Vosges. Le mouvement est, dans le département, antérieur à
1870. Ainsi Moïse Durkheim, le père du sociologue Emile Durkheim,
était venu à Epinal en 1832 comme rabbin des Vosges. Après
le traité de Francfort, l'établissement de la frontière
permet l'implantation dans les Vosges de nombreuses industries21.
Cependant, il ne faut pas croire que les industriels alsaciens sont venus en
masse s'installer dans les Vosges lorraines après la guerre de 1870.
Certains sont déjà là depuis longtemps tels Christian
Kiener à Monthureux-sur-Saône et à Eloyes, nommé
maire d'Epinal à la fin du second Empire, A. Koechlin à Fraize,
Schlumberger et Steiner au Val d'Ajol, et bien d'autres. Par ailleurs, surtout
dans la région de Saint-Dié, plusieurs manufacturiers
possédaient des usines de part et d'autre du massif vosgien dès
185522.
Ainsi, les chefs d'entreprises textiles alsaciens
établissent après 1870 des filiales dans les vallées ou y
créent des usines-mères en conservant leurs ateliers des bords du
Rhin23. Tout en fournissant du travail aux contremaîtres et
aux ouvriers alsaciens-lorrains qui ont refusé l'annexion et les
accompagnent nombreux, ils peuvent accéder aux marchés allemands.
En particulier, la ville de Remiremont, nouveau point de garnison en
deçà des crêtes, accueille les chevaliers d'industrie,
venus principalement de Mulhouse comme les Schwartz et les Antuszewicz, qui
développent, avec de nombreux ouvriers également
réfugiés, leurs implantations dans les vallées
alentour24. L'usine textile de Thaon-les-Vosges accueille
également un contingent d'Alsaciens. Ces ouvriers, durs à la
tâche, sont très appréciés ; ils sont patriotes,
dévoués au patron qui les a accueillis et
logés25.
Ces nouveaux venus représentent donc un stimulant
efficace pour les industriels établis dans le pays avant 1870.
Néanmoins, la reprise des affaires dans l'industrie textile vosgienne
est lente au lendemain de la guerre. Si, en 1871, la situation
économique est assez bonne, une nouvelle crise éclate au cours de
l'année suivante, incitant la chambre consultative des Arts et
Manufactures de Remiremont à réclamer la fermeture des
frontières26.
21 F. Roth, op. cit., pp. 183-210.
22 Georges Poull, « L'industrie textile vosgienne
des origines à 1978 », in Le pays de Remiremont, n°2,
1979, pp. 27- 49.
23 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 81-82.
24 Françoise Noël, Une famille
à Remiremont 1750-2000. Chronique bourgeoise, Ed. Gérard
Louis, 2004, « Les réfugiés », pp. 79-81.
25 F. Roth, Histoire de la Lorraine,
L'époque contemporaine, Tome 1 : De la Révolution
à la Grande guerre, Nancy, Presses universitaires de Nancy,
Encyclopédie illustrée de la Lorraine, 1994, pp. 183-210.
26 G. Poull, op. cit., pp. 27-49.
Dès 1872, Epinal devient le centre de l'industrie
cotonnière de toute la région. La basse vallée de la
Moselle s'industrialise vers la même époque, à partir de
Thaon-les-Vosges27. L'événement le plus notable de
cette époque est l'arrivée à Thaon d'Armand Lederlin,
industriel spécialisé dans le blanchiment, la teinturerie et
l'impression des tissus. L'usine qu'il fait construire en 1872 a pour but de
remplacer celles de la région de Mulhouse qui, jusqu'en 1870,
était en relation d'affaires à longueur d'années avec les
manufacturiers vosgiens. En 1877, à la suite d'une récolte de
coton trop abondante, les prix s'effondrent et l'importation baisse de
près d'un tiers : les filatures vosgiennes éprouvent alors
d'énormes difficultés pour maintenir leur
production28. Le retour au protectionnisme est exploité au
plan national par Jules Méline qui réussit à faire voter
par la Chambre, le 27 mai 1881, le relèvement des tarifs douaniers. Une
usine de traitement des tissus voit le jour à Epinal en 1881, à
l'initiative de Boeringer, Zurcher et Cie29. Pour former les futurs
cadres du département, plus autorisés à suivre les cours
de filature et de tissage donnés à Mulhouse, une école de
tissage et de filature voit le jour en 1903 à Epinal, dans les
bâtiments de l'école industrielle, sous le nom d' « Indus
», sur l'initiative de G. Juillard-Hartmann, président du Syndicat
cotonnier de l'Est30.
Par ailleurs, vers 1870 se mêle aux industriels une
importante population d'émigrés alsaciens, souvent de confession
juive ou protestante, qui s'installent comme médecins, avocats et
surtout commerçants et artisans. Ils résident dans les petites
villes vosgiennes et sont particulièrement présents à
Remiremont31.
En 1881, le département des Vosges est classé
troisième département français en termes de
présence allemande avec 2583 représentants. L'Est n'arrive pas en
tête : à eux cinq, Meurthe-etMoselle, Vosges, Meuse, territoire de
Belfort et Doubs ne totalisent que 25 % de l'effectif, moins que le seul
département de la Seine qui en compte près de 50 %. Car, tant les
Allemands au sens propre du terme que les Alsaciens et les Mosellans
privilégient les villes32. La répartition est
finalement moins spatiale que sectorielle. Socialement moins démunis que
les Belges et les Italiens, les Allemands s'installent en ville afin d'y
exercer des métiers relevant du secteur tertiaire (commerce, services).
Par ailleurs, la conjoncture internationale dessert les immigrés
allemands, soupçonnés d'être des espions potentiels
à la solde des Hohenzollern. Les Français englobent dans le
même opprobre les Alsaciens-Lorrains, qu'ils aient opté ou
non33.
27 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 94-95.
28 Ibid.
29 Georges Poull, op. cit., p.38.
30 Ibid.
31 F. Noël, op. cit, pp. 79-81.
32 J. Ponty, op. cit., pp. 54-68.
33 Ibid.
Dans le dernier quart du XIXe siècle, le triomphe du
capital, le développement du machinisme, la concentration, permettent
l'implantation définitive de la grande industrie dans les Vosges. Tandis
que la partie orientale du département accueille d'innombrables
filatures et tissages, les industries chimiques et les industries d'art, telles
que verreries ou fabriques de meubles, font preuve d'une puissante
originalité34. Dans tous les secteurs, la production augmente
considérablement. La mécanisation favorise l'expansion, notamment
dans le textile et la papeterie. Malgré l'apparition de puissants
groupes, les petites et moyennes entreprises subsistent dans le vêtement,
la boissellerie, l'alimentation ou le bâtiment. Le travail à
domicile se poursuit dans les métiers du tissu, de la dentelle, de la
bonneterie.
La région peut alors fournir aux usines et fabriques
nouvelles, ingénieurs et capitaux. Mais, devant la pénurie de
main-d'oeuvre, les patrons doivent alors recourir à une masse de
travailleurs étrangers non qualifiés au-delà de la France
et de l'Allemagne35. L'Italie est alors un réservoir
inépuisable d'une main-d'oeuvre disponible, courageuse et facilement
assimilable ; principalement maçons ou tailleurs de pierre, nombreux
dans les carrières des Hautes-Vosges, ces ouvriers italiens s'installent
dans les vallées de la Moselle et de la Meurthe36. Les
étrangers participent à la réalisation des grands travaux
: installation des lignes de chemin de fer, Canal de l'Est qui dessert Epinal
en 1882, construction de la place forte d'Epinal, mais aussi donc de toutes les
usines37. Les progrès des industries et des transactions
commerciales, ainsi que le développement du réseau ferré
et la création de canaux, permettent la vente, dans toute la France et
dans beaucoup de pays étrangers, des produits fabriqués dans le
département38.
Après 1882, le système bancaire subit une
réorganisation avec la spécialisation des banques de
dépôts et des banques d'affaires. L'épargne est abondante,
mais un train de vie modeste et la stabilité monétaire poussent
à l'économie. Des établissements bancaires
régionaux, comme la Société nancéienne, la banque
Renault, la banque d'Alsace-Lorraine, apportent aux industries vosgiennes un
précieux concours. Dans les campagnes, l'augmentation des rendements
dû à l'utilisation de machines agricoles et à l'emploi
d'engrais, favorise le sous-emploi39. La maind'oeuvre
excédentaire trouve à s'embaucher dans l'industrie en plein
essor. Ainsi s'accélère l'irréversible exode de la
population rurale vers les villes.
De 1871 à 1914, l'expansion économique du
département des Vosges est spectaculaire. Grâce aux progrès
techniques, les conditions de vie ne cessent de s'améliorer.
34 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 94-95.
35 F. Roth, op. cit., pp. 211-230.
36 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 94-95.
37 Albert Ronsin, Vosges, Paris, Edition C.
Bonneton, Encyclopédies régionales, 1987, p. 368.
38 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 94-95.
39 Ibid.
Parallèlement, la fin du XIXe siècle correspond
au moment où l'immigration, traditionnellement libre, connaît un
début de réglementation, en matière de recrutement et de
statut juridique. Ce temps d'un contrôle accru se cristallise par
l'adoption, par le Parlement, de la loi du 26 juin 1889 sur la
nationalité. Désormais, tout individu né en France de
parents nés à l'étranger devient Français à
sa majorité, sauf s'il s'y refuse expressément40.
Quant à l'individu né en France de parents étrangers
eux-mêmes nés en France, il reçoit la nationalité
française sans pouvoir décliner celle-ci. Les modalités de
la naturalisation sont définies : il faut être majeur,
séjourner en France depuis au moins 10 ans et faire preuve d'une bonne
moralité. De la sorte, si la naturalisation reste aléatoire,
l'accès des enfants d'immigrés à la nationalité
française se révèle le plus souvent automatique et vient
accroître le nombre des citoyens.
Deux autres textes, le décret du 2 octobre 1888 et la
loi du 8 août 1893, permettent de mieux surveiller les travailleurs
étrangers41 : l'immigré arrivant dans une commune pour
y occuper un emploi doit désormais se faire immatriculer ; la
démarche est à renouveler à chaque changement de
résidence. Les patrons ne peuvent embaucher un ouvrier non inscrit. Ces
dispositions améliorent le contrôle policier et fournissent des
renseignements sur les effectifs de travailleurs étrangers, mais
n'opèrent pas de sélection et ne ferment aucune profession. La
seule restriction qui existe est celle imposée par les décrets
Millerand du 10 août 1899, selon lesquels dans les travaux
effectués au nom de l'Etat, des départements ou des communes,
l'administration doit fixer un quota d'ouvriers
étrangers42.
En outre, à la fin du XIXe siècle et au
début du XXe siècle, les circonstances exceptionnelles d'une
guerre extérieure et d'une mobilisation générale semblent
exiger un renforcement de la surveillance des étrangers, Allemands et
Alsaciens-Lorrains en tout premier lieu43. Les mesures prises avant
1914 en ce qui concerne les étrangers s'inscrivent en partie dans la
perspective d'une nouvelle guerre franco-allemande. En particulier, le fichage
systématique de la période 1871-1914 est lié à
cette perspective. Le général Boulanger, ministre de la Guerre,
ordonne, dès 1887, d'établir la liste de tous les
étrangers vivant en France.
L'exécution de cette opération de fichage,
inédite en son temps, aboutit finalement à la création de
deux fichiers parallèles : un fichier des étrangers (A) et un
fichier pour tous ceux (Français et étrangers)
soupçonnés d'espionnage, de pacifisme, de syndicalisme (B), tenu
par les préfectures des départements, avec l'aide des
gendarmeries44.
40 Ralph Schor, Histoire de l'immigration en
France de la fin du XIXe siècle à nos jours, Paris, Colin,
1996, 347 p.
41 Ibid, pp. 7-29.
42 Ibid.
43 H. Mauran, op. cit., chapitre IV « Avant les
camps », pp. 195-232.
44 Ibid.
La création du « carnet B » est
étroitement liée aux lois sur l'état de siège de
1849 et 1878 qui, en cas de guerre extérieure ou de troubles
intérieurs, donnent aux autorités, notamment militaires, des
pouvoirs exceptionnels pour assurer le maintien de l'ordre et
l'intégrité du territoire45. Parmi les 500
étrangers fichés au « carnet B », se trouvent de
nombreux AlsaciensLorrains. Le dépouillement des fonds
départementaux ayant conservé ce document l'atteste amplement.
Le fichier des Vosges, département limitrophe de
l'Allemagne, donc jugé sensible, comprend cinq Alsaciens. Parmi eux, un
marchand, né à Habstein, près de Mulhouse, réside
à Epinal où il vend des étoffes sur les marchés.
Venu en France en 1884, sa conduite « au point de vue national » a
paru suspecte parce que, bien que majeur depuis 1872, il n'a pas opté
pour la nationalité française. Le fait de ne pas opter pour la
nationalité française accentue la curiosité et la
méfiance. En fait, bien des choix dans un sens ou dans un autre
s'expliquent par des raisons complexes, familles et intérêts de
part et d'autre de la frontière. On reproche également à
cet homme des relations avec un autre Alsacien suspect qui, lui, a choisi la
nationalité suisse. Les éléments d'accusation semblent
bien maigres, malgré l'abondance d'un dossier dont les pièces les
plus anciennes remontent à 1890. Cela explique que, faute
d'éléments nouveaux et plus probants, ce suspect, cessant de
l'être, ait été rayé du Carnet en
190346.
On peut aussi relever le nom d'un Alsacien, voyageur de
commerce en bijouterie qui a pourtant opté pour la nationalité
française. Ses voyages le rendent suspect, bien qu'il paraisse normal
qu'un voyageur de commerce se déplace. On le soupçonne de
chercher à entrer en contact avec des militaires, en se rendant dans les
cafés que ceux-ci fréquentent. Cet individu sera radié lui
aussi dudit carnet en 190347.
A côté du « carnet B » se met en place
un dispositif visant spécifiquement les AlsaciensLorrains. Le 14 janvier
1887, le comte d'Haussonville, dirigeant de la Société de
protection des Alsaciens et Lorrains, remet à l'Etat-major une «
note sur la situation qui sera faite aux AlsaciensLorrains dans
l'éventualité d'une guerre franco-allemande ». La
réflexion se poursuivra ainsi jusqu'aux mesures de janvier 1913
préconisant des « instructions relatives aux mesures à
prendre à l'égard des étrangers en cas de mobilisation
». Avant même la Grande Guerre, le gouvernement français
avait donc soigneusement étudié les diverses facettes du
problème alsacien-lorrain. Les Alsaciens-Lorrains sont
intégrés dans un plan global : l'envers de la militarisation -
forme d'assimilation par les armes - est constitué par une politique
d'évacuation et d'internement48.
45 H. Mauran, op. cit., pp. 195-232.
46 Ibid.
47 Ibid, p. 429.
48 Ibid, pp. 430-431.
Après avoir décrit la nature et
l'évolution de l'immigration allemande et alsacienne dans les Vosges
jusque 1910, l'étude qui suit porte spécifiquement sur la
situation de ces populations de nationalité allemande résidant
dans le département des Vosges entre 1911 et 1920.
1911 c'est la date de la deuxième crise marocaine,
après 1905-1906, qui cristallise la détérioration des
relations franco-allemandes : les événements d'Agadir remettent
en cause les intérêts spéciaux de la France au Maroc. Le
traité franco-allemand du 4 novembre implique qu'en échange de sa
liberté d'action politique au Maroc, la France cède à
l'Allemagne une partie du Congo français. Mais
l'éventualité d'une guerre franco-allemande a
réexcité les passions, réactivé les alliances et
relancé de nouvelles mesures d'armement, notamment en
Allemagne49.
Quelle est la situation des Allemands et Alsaciens-Lorrains
dans les Vosges en 1911-1914 ? Il s'agit de décrire les aspects suivants
: nombre, mode d'inscription familial, géographique et de logement,
situation professionnelle et intégration, religion, langue, vie
associative et accueil.
Comment interviennent-ils et sont-ils traités pendant
la Grande Guerre ? Il m'a paru intéressant d'étudier la situation
de ces immigrés allemands et alsaciens-lorrains pendant la
Première guerre mondiale, ressortissants des puissances ennemies de la
France, dans un département qui est divisé par une ligne de front
à partir de décembre 1914. Comment peuvent-ils agir à
l'aide de leur patrie d'accueil, au front, à l'arrière ? Quelle
teneur la législation de guerre peut-elle recouvrir vis-à-vis des
ressortissants des puissances ennemies dans la zone des armées ? Comment
sont par ailleurs traités les Alsaciens-Lorrains, selon qu'ils sont
d'origine française ou ressortissants du Reich ?
Enfin, l'année 1920 a été choisie comme
borne chronologique finale car cela permet de faire une étude
précise sur la période de la Grande Guerre et la liquidation de
la guerre : traitement des Allemands, selon les cas prisonniers,
réfugiés, rôle des commissions de triage. Y'a-t-il une
nouvelle immigration allemande au lendemain de la guerre ?.
Pour cette étude la plus complète possible, les
archives départementales des Vosges ont constitué la source
essentielle (sous-séries 4 M et 8 M notamment). Il faut en outre
souligner l'apport prépondérant d'ouvrages comme celui d'H.
Mauran sur l'internement et les pratiques administratives pendant la Grande
guerre50, celui de Jean-Paul Claudel sur les Vosges à la
Belle époque51 et l'article précieux de R. Martin sur
les Alsaciens à Remiremont pendant la guerre52.
49 Jacques Binoche, Histoire des relations
franco-allemandes de 1789 à nos jours, Paris, A. Colin, 1996, pp.
80-81.
50 Hervé Mauran, Les camps d'internement et
la surveillance des étrangers en France durant la Première Guerre
mondiale (1914-1920), Thèse de doctorat, Université Paul
Valéry - Montpellier III, 2003, 3 volumes.
51 Jean-Paul Claudel, Les Vosges en 1900.
1870-1914 : d'une Guerre à l'autre, PLI - Gérard Louis,
2001.
52 Roger Martin, « Les Alsaciens dans
l'arrondissement de Remiremont pendant la guerre de 1914-1918 », in Le
pays de Remiremont, 1979, n°2, pp. 62-65 du deuxième
cahier.
PARTIE I :
La situation générale des Allemands et
des Alsaciens-
Lorrains résidant dans les Vosges en
1911-1914
D'après le recensement national de 1911, si la
population française augmente peu depuis la guerre de 1870 (de 36
à 39 millions), la présence étrangère ne progresse
guère plus53. Au tout début du XXe siècle, les
recensements généraux de population étrangère dans
le département des Vosges font apparaître une
prépondérance des Alsaciens-Lorrains, devant les Italiens et les
Allemands54. Par exemple, dans l'arrondissement de Mirecourt, on
compte en 1900, 292 Alsaciens-Lorrains et 80 Allemands sur un total de 642
étrangers. Le fait marquant c'est la part majoritaire des femmes dans
ces contingents : 119 femmes pour 66 hommes et 107 enfants pour les
Alsaciens-Lorrains et 47 femmes pour 20 hommes et 13 enfants en ce qui concerne
les Allemands. Ils sont presque tous arrivés dans le département
depuis 1871, notamment des Alsaciens qui n'ont pu opter dans les délais
après 1872 et les nouveaux nés des décennies suivantes qui
avaient de la famille en France.
L'immigration alsacienne et allemande se tasse dans le
département à partir de 1905 environ, au moment où les
crises internationales se multiplient et les relations franco-allemandes se
détériorent.
Recensements des Allemands et des Alsaciens-Lorrains dans
les Vosges entre 1907 et 191255 :
|
1/7/1907
|
1/1/1908
|
1/7/ 1910
|
1/7/1912
|
Catégorie globale Allemands
+ Alsaciens-Lorrains (AL)
|
5247
|
|
5724
|
6050
|
Spécifiques Allemands
|
|
659
|
|
|
Spécifiques AL
|
|
4371
|
|
|
Total Allemands + AL
|
5247
|
5030
|
5724
|
6050
|
Total étrangers
|
10 000
|
9063
|
10 309
|
12 170
|
Au moment du relevé numérique au 1er juillet
1907, les Alsaciens-Lorrains sont comptabilisés avec les Allemands
« purs » dans la catégorie d'ensemble « Allemands ».
Cette classification prévaut à nouveau en 1909 et jusqu'à
1916 ; les recensements de 1908 sont à ce titre très
précieux. Les Alsaciens-Lorrains alors inscrits comme résidant
dans le département constituent la première nationalité,
avec encore près de la moitié de tout le contingent
étranger.
53 J. Ponty, op. cit., « Le recensement de 1911
», p. 87.
54 A.D.V., 4 M 402, recensement général,
1900.
55 A.D.V., 4 M 403, Relevé numérique des
étrangers, 01/01/1908 / 4 M 414, Etrangers par nationalité,
Alsaciens-
Lorrains, 1908 / 4 M 414, op. cit., 01/01/1910 / 4 M 414, op.
cit., 01/01/1910 / 4 M 403, relevé numérique, 01/01/1912.
Les Italiens sont deuxièmes (2687), les Allemands
viennent ensuite. Les Alsaciens-Lorrains comme les Allemands se trouvent alors
en grande majorité dans les arrondissements d'Epinal et de
Saint-Dié (respectivement 1692 et 1526 Alsaciens-Lorrains, 255 et 231
Allemands), celui de Remiremont à un degré moindre. Hommes,
femmes et enfants sont à peu près équitablement
représentés : 1550 hommes, 1437 femmes et 1384 enfants pour les
Alsaciens-Lorrains et 250 hommes, 223 femmes et 186 enfants pour les Allemands.
L'arrondissement de Neufchâteau est le moins important en termes de
population étrangère.
Durant les années 1908 et 1909, la catégorie
globalisée des « Allemands » gagne environ 1000
représentants. Ils sont encore leaders devant les Italiens et les
Suisses, avec 2330 hommes, 1721 femmes et 1673 enfants56. Si
l'arrondissement de Remiremont est celui qui compte le plus d'étrangers
inscrits, il est toujours derrière Epinal et Saint-Dié en ce qui
concerne les Allemands. Sur demande du septième Corps d'armée, en
vue de l'étude de l'évacuation à la mobilisation des
étrangers des places fortes, la préfecture des Vosges met
à disposition en juin des états numériques des
étrangers présents dans les communes comprises dans
l'intérieur du périmètre de la défense de la place
d'Epinal57. Il y est parfois spécifié parmi les
Allemands le nombre de ceux qui sont originaires d'Alsace-Lorraine, dans la
colonne « observations ». Pour la totalité de ces communes
1510 Allemands sont présents (sur 2226 étrangers), la grande
majorité à Epinal même (1165) et Golbey (620), et les
quatre septièmes des 1510 sont originaires d'Alsace-Lorraine.
Sur le plan géographique, en l'espace d'une
génération, la répartition des habitants s'est
profondément modifiée dans le département des
Vosges58. En 1872, plus de 70 % des Vosgiens étaient des
ruraux. Avec l'extinction des forges, la fermeture de nombreux ateliers ruraux,
la crise agricole, les campagnes se sont vidées. L'essor urbain est
néanmoins très modeste : Epinal et Saint-Dié compte entre
15 000 et 30 000 habitants et le militaire limite les autres
activités.
Le nombre global des étrangers dans les Vosges
s'élève à 12 170 en 1912 et n'augmentera pas jusqu'en
1920. La population allemande conserve encore une longueur d'avance sur les
Italiens (4455 sujets), même si elle est touchée par 399
départs ou décès. Ce contingent allemand est
composé de 2423 hommes, 2005 femmes et 1622 enfants et est
représenté pour presque la moitié dans l'arrondissement de
Saint-Dié (2526) et quelques 1400 sujets dans l'arrondissement
d'Epinal59. Quelle est alors leur situation professionnelle ? Dans
quelles conditions vivent-ils ? Peut-on considérer qu'ils sont
pleinement intégrés ?
56 A.D.V., 4 M 403, Relevé numérique des
étrangers au 1/7/1910.
57 A.D.V., 4 M 402, Etat de la préfectures des
Vosges présentant, par nationalité, sans distinction d'âge
ni de sexe, le nombre des étrangers qui habitent les communes du
périmètre de la défense de la place d'Epinal, juin
1910.
58 F. Roth, op. cit., chapitre 11, « Une nouvelle
répartition des habitants », pp. 183-210.
59 ADV, 8 M 189, situation professionnelle dans le
département des Vosges, rapports, 1912.
Chapitre 1 : Les secteurs d'activité des
Allemands et Alsaciens.
La situation commerciale et industrielle du département
des Vosges est toute particulière, par rapport à l'emploi de la
main-d'oeuvre. Avant la campagne de 1870-71, les Vosges étaient une
région essentiellement agricole et il n'y existait que de rares usines :
les papeteries de Docelles et de Lépanges, dans la vallée de la
Vologne ; à Epinal, l'Imagerie Pellerin, les fonderies Méline et
Joly, les Grands Moulins, étaient les seules industries et on ne
comptait qu'une petite filature de coton, celle de M. Winckler, qui existait
dans les bâtiments actuels de l'usine électrique et fut
détruite par un incendie60. L'expansion du capitalisme, les
décisions politiques, ainsi que les effets bénéfiques de
la révolution industrielle, favorisent sitôt après un essor
prodigieux de l'industrie dans les Vosges. A partir de 1872, de vastes espaces
industriels s'établissent à proximité des lignes de chemin
de fer, des rivières, puis du canal de l'Est61.
En premier lieu, l'industrie cotonnière vosgienne
connaît un développement sans
précédent62. Comme on l'a vu, après le
Traité de Francfort et l'annexion de l'Alsace, les fortes industries
cotonnières des environs de Mulhouse et de Colmar, émigrent et
viennent s'installer dans les Vosges63. En quelques années,
les vallées de la Moselle, de la Vologne, de la Moselotte et du Correy,
se peuplent de filatures et tissages de coton, qui progressent rapidement. Ces
usines fonctionnent tout de suite avec les spécialistes et ouvriers
déjà occupés en Alsace, et qui, pour la plupart, ont
opté pour la France en quittant leur région d'origine. Les liens
avec l'Alsace restent longtemps étroits. Les usines vosgiennes
continuent ainsi d'y recruter des ouvriers et des techniciens et d'y acheter
des machines. Mais, sur le plan commercial, il est vite nécessaire de
s'émanciper, car les droits de douane entre la France et l'Allemagne ne
cessent de s'élever64.
Véritable mono-industrie de la montagne, le textile se
situe, dans les dernières décennies du XIXe siècle, au
premier rang et stimule les autres branches d'activité dans lesquelles
s'implante un certain nombre d'Allemands et d'Alsaciens65. Les
fonderies et les constructions mécaniques peuvent alors diversifier leur
production en fournissant les pièces des métiers à tisser
et autres machines, chaudières et turbines. Des bénéfices
considérables sont réalisés dans la métallurgie et
la brasserie où se construisent de grosses fortunes. En revanche les
industries traditionnelles (verreries, papeteries, tuileries,
féculeries) connaissent des difficultés ou se trouvent en
déclin. Alors que la machine à vapeur représentait la
principale source d'énergie, l'énergie électrique se
développe après 1900.
60 A.D.V., 4 M 403, 01/07/1912.
61 J.-P. Claudel, op. cit., p. 83.
62 F. Roth, op. cit., chapitre «le roi
coton», pp. 211-230.
63 ADV, 8 M 189, op. cit.
64 Ibid.
65 J.-P. Claudel, op. cit., p. 83.
Sans surprise, les rapports des sous-préfets vosgiens
de janvier 1913 sur la situation des étrangers employés dans les
grandes entreprises industrielles, commerciales et agricoles de leur
arrondissement font apparaître un fort contingent allemand, souvent le
plus important. L'élément allemand « de souche » est
toutefois très rare dans les usines vosgiennes. Une seule industrie fait
exception, la manufacture de draps Pierson et Cie à la Gosse de Golbey,
avec deux sousdirecteurs, inscrits au carnet B66.
Depuis la signature du traité de Francfort, Epinal est
devenue un puissant centre commercial et industriel67.
L'agglomération comporte de nombreuses usines dans lesquelles
l'élément alsacien est représenté, notamment dans
le textile. Pour la totalité des établissements, on compte
environ 600 Allemands de nationalité, en grande majorité
Alsaciens, puisqu'on ne relève qu'une trentaine d'Allemands de sang -
Saxons, Wurtembergeois ou Badois - sur un effectif de 800 étrangers.
Mais aucune entreprise industrielle, commerciale ou agricole de
l'agglomération n'appartient en 1912 à des étrangers ni
à des sociétés étrangères, sauf la
succursale de la Banque de Mulhouse à Epinal68. Peu
d'Allemands d'origine alsacienne y occupent même un poste de direction,
trois exactement, dans trois usines de coton : Alphonse Kolb, sous-directeur
chez David et Maigret, au champ du Pin, inscrit au carnet B ; M. Biehler,
directeur de tissage dans la société anonyme des Tissus de
Golbey, Ancienne Maison Geistold et Kiener ; et M. Benner, sous-directeur de
tissage chez Kahn-Lang et Cie, aux Grands Sables69.
Par ailleurs, l'arrondissement de Saint-Dié compte en
1912, 772 étrangers sur un total de
8 350 ouvriers (9,25 %) dans ses entreprises, dont 459
Allemands, première nationalité devant les Italiens et les
Suisses. Les Alsaciens devenus Allemands sont embauchés par relations.
Dans les restaurants de la ville, les sommeliers et quelques garçons de
salle sont d'origine allemande. L'exemple le plus significatif est le canton de
Raon-l'Étape avec un effectif de 84 Allemands sur 137 ouvriers. En ce
qui concerne l'arrondissement de Remiremont le total des ouvriers
étrangers est de 504 sur 8810 (5,72 %) dont 188 Allemands, 166 Italiens,
138 Belges. Dans les établissements industriels, on recense 192
Allemands et Alsaciens sur 9 243 ouvriers, soit
2,07 % (contre plus de 250 Italiens). Dans les arrondissements
de Mirecourt et Neufchâteau enfin, on trouve un nombre d'ouvriers
allemands ou italiens très faible, notamment dans les hôtels de
Contrexéville, Vittel ou Martigny-les-Bains70.
66 ADV, 8 M 189, correspondance préfet des
Vosges - président du Conseil, Ministère de l'Intérieur,
sûreté
générale: Récapitulatif des
renseignements demandés par la circulaire confidentielle n° 165 du
14/12/1912 pour le département : 3 catégories : Entreprises
appartenant à des étrangers / entreprises où personnel
dirigeant étranger / entreprises avec ouvriers étrangers),
20/2/1913. Pour le carnet B, voir l'introduction p. 12.
67 J.-P. Claudel, op. cit, p. 83.
68 ADV, 8 M 189, op. cit., 20/2/1913.
69 Ibid.
70 Ibid.
I - Textile et Habillement.
Le quart de siècle qui précède la Grande
guerre se caractérise par une extension généralisée
de l'industrie cotonnière et par l'apparition ou le développement
d'autres activités textiles dans le département des Vosges. Le
député de Remiremont Jules Méline, fondateur du «
Syndicat général de l'industrie cotonnière
française », en apparaît comme le principal
artisan71. En l'espace d'une génération, les ateliers
ruraux qui traitaient la laine indigène, le chanvre et le lin,
disparaissent à jamais. A Gérardmer quatre maisons continuent la
tradition des toiles de fil ; toutes les autres affaires travaillaient le
coton72. Cette croissance, qui se fait sous protection, modifie
l'environnement et engendre de nouvelles formes de vie. Depuis les
années 1870, l'émigration alsacienne du textile a continué
jusque dans les années 1910 : accompagnés de matériel, les
ouvriers viennent nombreux d'Alsace pour remplacer dans les usines leurs
compatriotes disparus ou incapables de continuer le travail. Il n'y a point
d'agences, ni en Alsace, ni en France, pour ces embauchages : les ouvriers se
remplacent par relations. Certes les ouvriers qui, de la sorte, viennent
s'occuper dans les usines de la région, sont de nationalité
allemande, au sens légal du mot, mais il y a lieu de considérer
selon les autorités qu'ils sont Alsaciens annexés, fils ou
descendants de Français73.
Malgré de nouveaux problèmes en 1908, 1910 et
1911, provoqués essentiellement par les mauvaises récoltes de la
matière première et les tensions politiques entre la France et
l'Allemagne, les manufacturiers parviennent à stabiliser la
situation74. Des mesures adaptées permettent même un
redressement significatif, si bien qu'en 1913 l'industrie textile vosgienne est
dans une position satisfaisante. Beaucoup de filatures et de tissages sont de
petites unités familiales ne dépassant guère la centaine
d'ouvriers. Quelques sociétés sont plus importantes et
gèrent parfois plusieurs sites : Géliot à
Fraize-Plainfaing, Jules Marchal à Saint-Dié, les
Héritiers de Georges Perrin à Cornimont, les usines Laederich
à Rupt-sur-Moselle. A la veille de la déclaration de guerre en
1914, les Vosges comportent plus de 200 usines textiles75. Le total
des broches de filatures est d'environ 1 700 000 et celui des métiers
à tisser de 44 000. Dans les tissages, les métiers automatiques
à changement de canettes ou de navettes ont commencé à se
répandre, ce qui permet de donner aux tisserands un plus grand nombre de
machines à surveiller. L'industrie de la broderie se trouve
également très prospère : le département des Vosges
est alors le premier producteur de France76. Le coton à
broder provient en grande partie des établissements d'Epinal.
71 J.-P. Claudel, op. cit., p. 90. J. Méline
fut ministre de l'agriculture puis président du Conseil.
72 F. Roth, op. cit, pp. 211-230.
73 A.D.V., 8 M 189, op. cit, situation
professionnelle.
74 J.-P. Claudel, op. cit., p. 90.
75 G. Poull, op. cit, in Le Pays de
Remiremont, 1979, pp. 27-49.
76 J.-P. Claudel, op. cit., p. 90.
Avant la guerre, les entreprises textiles vosgiennes les plus
nombreuses et les florissantes sont donc celles de la vallée de Moselle.
Dès 1872, Epinal est devenue le centre de l'industrie cotonnière
de toute la région. Devenu en 1890 le siège du syndicat cotonnier
de l'Est, elle se substitue à Mulhouse, avec son école de
filature et de tissage. Le contrat signé entre les deux organismes prend
fin le 31 décembre 1910 ; pendant deux ans, l'école poursuit son
enseignement avec un statut provisoire. La construction de nouveaux
bâtiments débute en 1912 pour s'achever durant l'été
1913 : les cours y commenceront le premier octobre suivant77. En
1912, l'élément alsacien est fortement représenté
dans 16 établissements spinaliens, notamment chez Vogelweith à la
Gosse, Kahn et Lang, Boeringer et Guth, Juillard-Hartmann, Kullmann et Cie,
Laederich.
Dans le canton d'Epinal plusieurs établissements
emploient en 1912 de la main-d'oeuvre allemande et alsacienne. A Darnieulles le
tissage de coton Perrin et fils fait ainsi travailler 22 Allemands sur un
ensemble de 250 ouvriers et le ratio est de huit sur 40 ouvriers à la
fabrique de draps Althoffer et Cie d'Archettes78. C'est dans le
canton de Châtel que le phénomène est le plus
marqué. A Châtel même le tissage de coton Calame
Bégnin emploie 150 ouvriers dont 30 Allemands. Vingt et un Allemands
travaillent à la filature Kahn Lang et Cie d'Igney sur un total de 240
ouvriers. Enfin à Thaon, l'ensemble formé par les Blanchisserie
et teinturerie Lederlin et Cie, qui avec 2 000 salariés vient en
tête de toutes les entreprises du département79, la
filature Cuny Mollard et Cie et la filature et tissage Germain Willig et Cie
(née en 1883), emploie 3500 ouvriers dont 170 Allemands.
A Mirecourt, la Cotonnière occupe des
éléments de nationalité allemande, qui plus est à
des fonctions clé. En effet, le chef de service est allemand, le
dénommé Louis-Auguste Muller, jusqu'à ce que, inscrit au
carnet B, il soit remercié le 31 décembre 1912 ; il demande alors
la réintégration comme Alsacien-Lorrain. De plus
l'établissement compte un contremaître allemand, le chef de
filature Prang. Cette société n'a pas d'agences pour le
recrutement des ouvriers étrangers, ils viennent presque tous des usines
similaires de la région80.
Par ailleurs, l'arrondissement de Remiremont a connu le
phénomène de manière très importante. Dans la
vallée de la Moselle d'abord, plusieurs établissements
appartiennent à des sujets étrangers alsaciens devenus ou non
Allemands. Ainsi le tissage du Thillot appartient à l'entreprise
Gros-Stamm Petit & Cie, industriels à Wesserling (Alsace) et il
emploie 300 ouvriers environ dont une quinzaine d'Alsaciens embauchés
volontairement. Ils font quelques affaires commerciales avec l'Allemagne mais
ne représentent selon les autorités aucun danger pour la
77 J.-P. Claudel, op. cit., « Collèges et
écoles industrielles, l'école de la république », pp.
264-280.
78 A.D.V., 8 M 189, op. cit., situation
professionnelle.
79 F. Roth, op. cit., chapitre 12, pp. 211-230.
80 A.D.V., 8 M 189, op. cit.
défense nationale. Les propriétaires du tissage
Kiener au Ménil-Thillot, Jean Kiener fils & Cie, habitent Grensbach
en Alsace, et possèdent dans ce pays plusieurs établissements
similaires. Ils sont devenus Allemands et font quelques affaires en Allemagne,
mais paraissent eux aussi présenter toutes les garanties voulues au
point de vue de la sécurité nationale81.
En outre, les entreprises françaises employant des
Allemands dans l'arrondissement de Remiremont sont très nombreuses. A
Remiremont même plusieurs établissements sont concernés,
notamment la filature Schwartz, Antuszewicz et Cie, filature de la Madeleine
construite à partir de 1871 par les frères Antuszewicz, Polonais
réfugié en Alsace après 1830, avec 12 Allemands sur 350
ouvriers environ. Dans le canton, Saint-Etienne n'échappe pas au fait :
les filatures et tissages de la Société H. Géliot et Cie,
appartenant à Géliot, puis à Lederlin, comptent 500
ouvriers dont 17 Alsaciens de nationalité allemande. Dans la
vallée de la Moselotte, les filatures et tissages des Héritiers
Perrin à Cornimont, qui ont longtemps fonctionné en Alsace,
comptent 29 ouvriers alsaciens sur 1200 et les Filatures et tissages
Chagué et Cie 10 sur 400. Plus particulièrement encore, la
vallée de la Moselle a accueilli de nombreuses usines textiles et des
Alsaciens en masse. Ainsi, les Tissages Kientzy de Bussang emploient 55
ouvriers dont 3 Alsaciens et le directeur est d'origine alsacienne. A Ferdrupt,
le gérant du Tissage France et Cie (75 ouvriers environ), acheté
par C. Kohler du Ménil-Thillot en 1874, est Alsacien mais a
épousé une Française. A Rupt sur Moselle la Filature et
Tissage de la Société cotonnière (établissements
Laederich et Géliot) compte environ 350 ouvriers dont 12 Allemands.
Enfin au Thillot, le Tissage de la SA des tissus de laine des Vosges comporte
500 ouvriers environ dont 12 Alsaciens82.
Enfin, les entreprises textiles vosgiennes des vallées
de la Combeauté, de la Vologne, de la Meurthe et de leurs affluents
embauchent quelques Allemands et Alsaciens. A Saint-Dié même, les
filatures Marchal et Cie - Jules Marchal, né à Rothau, a
conservé des liens avec l'Alsace - emploient 30 étrangers sur 400
; la Filature Kempf, filature de la Vaxenaire fondée par Eugène
Kempf après 1903, originaire de Mulhouse, 18 sur 150. Les usines du
canton de Fraize emploient quant à elles 128 étrangers, dont 82
Allemands. A Fraize, au sein des établissement N. Géliot &
Fils, 45 Allemands sont occupés dans des filatures qui ne
relèvent d'aucun établissement situé à
l'étranger et un directeur et un sous-directeur sont Allemands, les
dénommés Schremer, né en 1868 à Saint-Amarin, et
Saller, né en 1881 à Kaysersberg. Enfin à Plainfaing, chez
Géliot également, travaillent 21 Allemands83.
81 A.D.V., 8 M 189, op. cit., situation
professionnelle.
82 Ibid.
83 Ibid.
II - Autres industries.
Dans les années précédant la guerre,
d'autres industries traditionnelles des Vosges emploient les Allemands et les
Alsaciens en résidence.
Tout d'abord, l'exploitation des richesses naturelles fait
travailler un certain nombre d'étrangers et d'Allemands dans les Vosges.
Le département se partage avec la Meuse les principales carrières
lorraines84. Les carrières de granit, de grès et de
calcaire vosgiennes, emploient un certain nombre de carriers et tailleurs de
pierre étrangers dont plusieurs Allemands et Alsaciens-Lorrains, telles
les carrières de pierres à meules de Bains-les-Bains et Fontenoy
le Château ou la carrière de Bruyères85. Le
granit vosgien donne d'excellents matériaux d'empierrement, des
pavés, des bordures de trottoirs, des pierres de taille, des blocs pour
monuments86. Quant au grès vosgien, facile à
travailler, il donne une belle pierre de construction résistante.
L'exploitation de ces carrières appartient à quelques grandes
sociétés, comme la Société des Granits
porphyroïdes des Vosges qui employait un Alsacien au Syndicat et deux
Allemands à Saulxures. Par ailleurs, cinq Allemands travaillent à
la raffinerie de pétrole Fenaille et Despéaux de Girancourt.
Pour sa part, l'industrie des papiers et cartons est fort
ancienne dans les Vosges87. Le département possède
toujours en 1912 les papeteries les plus nombreuses et les plus
importantes88. Au nombre des plus performantes figurent celles de
Docelles qui emploie 4 Allemands sur plus de 300 ouvriers. Arches et Archettes
possédaient une fabrique de papier timbré, unique
établissement du genre en France (Perrigot-Mazure). Arches avait
conservé des cuves où l'on fabriquait encore du papier avec des
chiffons et employait quelques Allemands89.
Dans le secteur du verre, le département ne
possède plus que deux établissements importants: celui de
Portieux et celui de Clairey, commune d'Hennezel. Derniers représentants
d'un secteur économique autrefois florissant, ils ont pu survivre
grâce à l'amélioration des procédés de
fabrication. La verrerie de Portieux a fini par se spécialiser dans les
verres à boire. Elle emploie 800 salariés avant
191490. Une quinzaine de familles alsaciennes y sont occupées
à demeure. Elles ont été recrutées par la
direction, dans le quadrilatère alsacien-lorrain formé par
SarrebourgSaverne-Dabo-Abreschwiller, dans lequel se trouve l'usine de
Vallerystahl, annexée depuis 1870- 71, et dépendant du même
conseil d'administration que la verrerie de Portieux91.
84 F. Roth, op. cit., pp. 211-230 , « l'industrie
de la pierre ».
85 A.D.V., 8 M 189, op. cit., situation
professionnelle.
86 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 80-120.
87 F. Roth, op. cit., pp. 211-230, « industrie
des papiers et cartons ».
88 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 80-120.
89 A.D.V., 8 M 189, op. cit.
90 F. Roth, op. cit., pp. 211-230, « industrie du
verre et du cristal ».
91 A.D.V., 8 M 189, op. cit.
La grande verrerie mécanique de Gironcourt-sur-Vraine,
créée en 1900 le long du chemin de fer
Mirecourt-Neufchâteau, occupe des étrangers au nombre de 18, dont
13 Allemands, tous en qualité d'ouvriers verriers. Ils sont
recrutés directement sans aucun intermédiaire. Les bouteilles
produites en grandes séries sont utilisées par les sources d'eau
minérale de Contrexéville et de Vittel92.
Enfin, on trouve quelques Allemands dans les métiers de
la forêt et du bois (fabrique de meubles Taule à Arches), à
l'imagerie d'Epinal en tant qu'enlumineurs saisonniers ou à la
société de faïencerie de G. Poix à
Rambervillers93.
Face à ces industries traditionnelles, d'autres se
développent et emploient de la main-d'oeuvre étrangère.
Occupant une place importante dans la grande industrie vosgienne, la
métallurgie emploie vers 1910 58 000 ouvriers et compte de nombreux
établissements dans le sud du département notamment. Les
fonderies, manufactures de Bains, clouteries emploient alors quelques
Allemands94. La fonderie Althoffer de Remiremont compte
également trois Allemands.
Les anciennes industries de l'alimentation directement
liées à l'agriculture et la nature sont peu nombreuses, peu
diversifiées, et n'emploient que très peu de main-d'oeuvre
étrangère. La brasserie cependant fait exception qui compte les
plus grosses usines de la branche alimentaire : en 1893 on dénombre 20
établissements dans les Vosges. Celles de Fontenoy-le-château
(brasserie Lemaire), Bruyères (brasserie Bexon) et Xertigny (brasserie
Trivier Champion et Cie) emploient chacune quelques Allemands. Contrairement
aux régions de l'ouest, la Lorraine a peu de fabrication de beurre en
production principale95. Le lait ne s'y prête guère,
trop pauvre en matière grasse. Les fromageries l'emportent donc dans les
Vosges : c'est le cinquième département fromager de France, avec
55 laiteries-fromageries dans les Vosges. A Nomexy la fabrique de briques et
laitiers Renaud et Cie employait un certain nombre d'Allemands96.
Enfin, d'autres petites industries emploient, en 1912, les
Allemands et Alsaciens-Lorrains résidant dans les Vosges. Dans
l'agglomération d'Epinal, Chantraine, Golbey et Saint-Laurent, il s'agit
de la fabrique de chapeaux de paille Kampmann et Cie, de la glucoserie Tschupp
et Cie, de trois fonderies, de la fabrique de draps de laine Pierson et Cie,
des industries d'imprimerie lithographie, des constructions mécaniques
(exemple : Singrüunn et Cie) ou des fabriques d'ustensiles de
ménage97.
92 A.D.V., 8 M 189, op. cit., situation
professionnelle.
93 Ibid.
94 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 80-120.
95 F. Roth, op. cit., pp. 211-230.
96 A.D.V., 8 M 189, op. cit.
97 Ibid.
III - Agriculture, commerce, hôtellerie.
L'agriculture, déclinante, offre néanmoins des
emplois aux immigrés allemands et alsaciens98. Elle subit
à la fin du XIXe siècle l'écrasante concurrence de
l'industrie et entre 1880 et 1900, elle est secouée par des crises
profondes. La ville séduit davantage la jeunesse
campagnarde99. La courbe de l'exode rural se stabilise vers 1900
avec l'obtention d'un certain équilibre. A la veille de la guerre, la
petite et la moyenne propriétés prédominent toujours dans
les Vosges. L'exploitation agricole vosgienne reste de surface modeste,
à main-d'oeuvre strictement familiale ou n'employant qu'un ou deux
salariés. En ce qui concerne les exploitations agricoles appartenant
à des Français, mais exploitées par des étrangers,
fermiers ou métayers, on n'en connaît que très peu dans
l'agglomération d'Epinal et il n'en existe que dans les commune
suivantes : les Voivres (une famille allemande), Damas-aux-Bois, Girancourt,
Moriville, Jeanménil, La chapelle aux bois et Hardancourt. Dans
l'arrondissement de Neufchâteau, la famille Thomas, Allemande, exploite
à Avranville, une propriété d'environ 150 hectares. Cette
famille, originaire de Saint-Jean-deBassel, arrondissement de Sarrebourg,
comprend 9 personnes : le père, 50 ans ; la mère, 51 ans ; et 7
enfants, notamment 2 fils de 27 et 22 ans. Enfin, à Bulgnéville,
M. Roppeneek, Allemand, possède maisons et serres,
propriétés rurale de 5,94 et 48 hectares acquises fin XIXe
siècle100.
Dans les Vosges, le commerce fait les mêmes
progrès que dans le reste de la France101. Le commerce
vosgien en expansion se trouve épaulé par une forte organisation
bancaire102. Le Comptoir d'escomptes de Mulhouse a 4 succursales
dans l'arrondissement de Remiremont : à Remiremont, Cornimont,
Plombières et Le Thillot. Elles comptent 10 à 15 employés
environ, tous Français. La Banque de Mulhouse est la banque la plus
ancienne de l'Alsace et la succursale d'Epinal n'a été
créée qu'après l'annexion de 1871 lorsque la plupart des
industriels alsaciens sont venus à Epinal et dans la région,
installer leurs usines. Tout le personnel de la succursale est français,
et jamais aucun étranger, même alsacien, n'y a été
employé.
Dans l'agglomération d'Epinal, dans les hôtels de
ville, la presque totalité des sommeliers employés sont de
nationalité allemande ou suisse ; quant au commerce des fruits et
primeurs, il est accaparé par des Espagnols. Ce sont les hôtels de
Vittel et Contrexéville, ouverts seulement durant la saison
d'été avec le succès grandissant des stations thermales,
qui occupent le plus d'étrangers. Presque tout le personnel de ces
établissements, est composé d'Allemands, de Suisses et
d'Autrichiens103.
98 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 114-115.
99 Ibid.
100 A.D.V., 4 M 424.
101 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 134-135.
102 Ibid.
103 A.D.V., 8 M 189, op. cit.
Conclusion :
Ainsi les Allemands en résidence dans les Vosges
à l'aube de la Première guerre mondiale sont en grande
majorité des Alsaciens, industriels du textile. Ils dirigent parfois de
grandes entreprises comportant plusieurs usines disséminées dans
le département et qui peuvent avoir conservé des relations
commerciales avec l'Alsace. Ce secteur fait également travailler de
nombreux ouvriers d'origine alsacienne, très nombreux dans la
vallée de la Moselle, comme à Thaon (blanchisserie-teinturerie).
Le reste de la main-d'oeuvre allemande des Vosges est occupée dans les
autres industries traditionnelles du département (carrières
notamment) ou d'autres qui se développent (exemple la
métallurgie), ainsi que quelques personnes dans le secteur du commerce
ou de l'hôtellerie.
Au-delà de cet état des lieux de leur situation
professionnelle, il est intéressant de comprendre tous les aspects
corrolaires à l'exercice du métier.
Chapitre 2 : Les aspects liés au travail.
Ce qui concerne les Vosgiens dans les aspects liés
à la situation professionnelle concerne bien sûr les Allemands et
les Alsaciens du département. La IIIe République a accordé
le droit syndical, le repos hebdomadaire, et réglemente la durée
du travail. Mais le patron reste tout puissant tant au niveau économique
qu'au niveau politique. L'ouvrier ne peut échapper au carcan
instauré par le chef d'entreprise. En 1900, près de 80 % des
ouvriers vosgiens sont logés dans des cités ouvrières
construites autour de l'usine. Le patron paternaliste entend ainsi attirer et
fixer la main-d'oeuvre tout en veillant avec vigilance sur l'existence
quotidienne de ses ouvriers104.
Répondant aux besoins de logement adapté aux
nouvelles normes de l'hygiène et d'équipements collectifs
appropriés, l'initiative patronale présente des avantages
certains au niveau du confort. Mais trop souvent, ces cités ont une
singulière apparence de camp de concentration. Les vacances
payées n'existent pas et le repos hebdomadaire est bien
incomplètement appliqué. La législation sociale reste fort
discrète. La journée de douze heures est habituelle. La
maternité, la maladie, le chômage, la vieillesse, posent
d'angoissants problèmes aux ouvriers et aux employés. Les
institutions de prévoyance fondés par le patronat et les
sociétés de secours mutuels, ne sont que des
palliatifs105.
La République, basée sur l'alliance de la
bourgeoisie et du monde rural, ne se préoccupe guère des «
questions ouvrières ». La combativité est faible. La
main-d'oeuvre constituée à 35 % de femmes et d'enfants, ainsi que
l'absence d'une élite ouvrière dans l'industrie textile,
expliquent le nombre restreint de militants syndicaux au regard de l'effectif.
La vie au jour le jour, le manque d'épargne, l'insécurité,
l'impossibilité d'accéder à la culture, définissent
la condition ouvrière. Si la forme physique de l'ouvrier connaît
une sensible amélioration, par contre la consommation d'alcool augmente
notablement et devient le principal fléau. Entre 1895 et 1905, les
salaires progressent en moyenne de 7%. Bien évidemment, ils varient
selon le sexe et la qualification. Dans l'industrie, les hommes touchent
environ 4,35 francs ; les femmes à peine la moitié. Celles qui
travaillent à domicile se contentent souvent de 1,25 francs par
jour106.
Les ouvriers vosgiens proviennent en grande majorité du
terroir. Paysans déracinés, ils s'adaptent plus ou moins bien
à leur nouvelle situation. Dans les cités usines, on est ouvrier
de père en fils et les rapports avec les ouvriers paysans qui ont
conservé des racines rurales, s'avèrent souvent difficiles. De
nombreux conflits éclatent aussi entre la population ouvrière
vosgienne de souche et les travailleurs d'origine étrangère, par
exemple les Alsaciens des usines107.
104 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 197-222, « relations
patrons/ouvriers ».
105 Ibid.
106 G. Poull, L'industrie textile vosgienne :
1765-1981, Rupt-sur-Moselle, chez l'auteur, 1982, 475 p., pp.
375-435.
107 Ibid.
I - L'usine, rapports hiérarchiques, conditions de
travail.
Les rapports entre ouvriers et patrons semblent, dans les
Vosges, moins difficiles que dans d'autres régions108. Les
grèves déclenchées pour des problèmes de salaire ou
de durée du travail n'ont que rarement des conséquences
dramatiques. Dans l'ensemble, les travailleurs font preuve d'une certaine
modération et quelques industriels accomplissent de réels efforts
afin d'améliorer le sort de leur personnel. Ainsi, avant que ne soient
promulguées les lois sur les retraites et l'assistance, certaines
entreprises ont créé différentes caisses de retraites ou
de secours.
Toutefois, les patrons ont du mal à comprendre que
l'obtention par la classe ouvrière du droit de grève et du droit
d'association ont engendré des modifications profondes dans le monde du
travail. Le directeur de l'usine, représentant du patron tout puissant
dont il détient une partie des pouvoirs, assure la marche de
l'entreprise109. Sa personnalité et ses capacités
influencent fortement les relations entre les diverses catégories
d'employés. Les contremaîtres répercutent ses ordres et
assurent une discipline rigoureuse d'autant plus facilement que les ouvriers
vosgiens dans leur grande majorité sont peu spécialisés.
Dans l'industrie textile, l'apprentissage s'effectue sur le tas en quelques
semaines.
Désormais les employés se font entendre sur des
questions aussi fondamentales que la durée de la journée de
travail et le montant du salaire110. D'ailleurs leur situation tant
morale que matérielle va en s'améliorant. Pourtant par manque
d'éducation, les ouvriers ne savent tirer des lois sociales tout le
bénéfice possible. La majorité reste en dehors des grands
mouvements syndicaux et la loi sur les retraites ouvrières
n'enregistrera qu'un accueil bien mitigé. La situation de l'ouvrier
agricole, du journalier ou du domestique de ferme, ne progresse que bien
lentement. Les Allemands et Alsaciens sont quelques-uns dans ce cas. Ils
demeurent étroitement liés à leur employeur, astreints
à un travail long et pénible, sans garanties suffisantes. Leur
place dans la production les situe dans la même classe que les ouvriers
de l'industrie. Aux champs comme à l'usine, les salaires évoluent
sur le même rythme. L'existence se trouve toujours régie par des
habitudes spécifiques.
Malgré l'exode et les progrès de
l'industrialisation, la classe rurale occupe encore une large place dans la vie
économique et sociale du département111. Malgré
une existence encore primitive dans de nombreux endroits, les ruraux commencent
à s'émanciper. On enregistre une déchristianisation
progressive des campagnes112.
108 J.-P. Claudel, op. cit, pp. 197-222.
109 G. Poull, op. cit., « l'usine et son univers », p.
199.
110 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 197-222
111 Ibid, « les paysans ».
112 Ibid.
Les conditions de travail, horaires, disciplines et
productions, sont fixées par des règlements
sévères113. Dans les usines vosgiennes de textile en
1911, l'horaire journalier est de 10 heures. Le dimanche est le seul jour
férié de la semaine114. Les ouvriers travaillent en
moyenne durant 260 heures chaque mois. Ils sont présents chaque jour de
six heures trente à onze heures le matin et de treize heures à
dix-huit heures l'après-midi. Les règlements d'atelier sont
modifiés en fonction des changements intervenus dans la
réglementation du travail dans les usines. En 1911-1914, ils sont
souvent identiques à celui qui est rédigé par les
dirigeants de l'usine du Pont de Lette à Rupt-surMoselle le 22 mars
1911. Ce dernier prévoit qu'à l'issue d'une période
d'essai d'une semaine, durant laquelle il pourra quitter l'établissement
quand il voudra, l'ouvrier qui vient d'être embauché et son
employeur « seront tenus à une dénonciation
réciproque de quinze jours, qui devra être faite le 15 ou à
la fin de chaque mois, pour prendre effet à la fin de la quinzaine
suivante. Celle des deux parties qui aura manqué à cette
obligation sera tenue de verser à l'autre partie, à titre de
dommages et intérêts, une somme de 20 francs. »115
Ce délai de dénonciation est porté à un mois et les
dommages et intérêts à 40 francs pour les
contremaîtres. De nombreux cas de renvoi immédiat sont
prévus : insultes au directeur ou à son représentant,
absence de plus d'une journée dans la semaine sans autorisation, mauvais
travail volontaire, vol, immoralité et ivresse publique dans les
ateliers. La paie « sera faite deux fois par mois, conformément
à la loi du 7 décembre 1909 ». Des amendes de 1 à 5F
sont prévues pour tous ceux qui contreviennent à l'un ou l'autre
des 26 articles de ce règlement116.
En outre, les ateliers encombrés, aux machines sans
protections et aux multiples courroies de transmission, représentent de
réels dangers. Les accidents sont nombreux et plongent souvent la
famille ouvrière dans la misère. Dans l'industrie textile,
l'environnement s'avère particulièrement malsain et l'ouvrier
prend bien peu de précautions d'hygiène. Dans les filatures, la
poussière rend le travail pénible. Dans une grande
majorité, la besogne dans les usines textiles reste très dure et
la condition physique des ouvriers ne peut guère s'améliorer dans
un tel contexte. Les femmes comme les enfants apparaissent plus exposées
et beaucoup plus vulnérables que les hommes. Arrachée à
son foyer, l'ouvrière doit trimer du matin au soir. Les femmes sont plus
frappées par le chômage que les hommes, subissent
brutalités et brimades. Les célibataires peuvent à tout
moment être contraintes à la solitude ou au vagabondage ; une
situation précaire que sait exploiter le contremaître racoleur et
indélicat. Sans emploi, il ne leur reste alors plus qu'à
retrouver leurs parents au village, se livrer à la prostitution ou
mourir de misère117.
113 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 197-222, « un travail
malsain et pénible ».
114 G. Poull, op. cit., pp. 190-210.
115 Ibid.
116 Ibid.
117 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 197-222, « la
société vosgienne ».
II - Classes sociales & mode de vie.
La société vosgienne des années 1911-1914
paraît encore parfaitement rigide, très structurée,
très hiérarchisée, avec au sommet de la pyramide la grande
bourgeoisie industrielle118. Si ces années sont douces pour
d'assez nombreux privilégiés, elles sont bien dures pour la
classe ouvrière confrontée à la révolution
industrielle sans le bénéfice d'une législation
protectrice appropriée. Ce constat est bien sûr applicable aux
Allemands et Alsaciens-Lorrains présents dans les Vosges à cette
époque-là.
Tout d'abord, à la fin du XIXe siècle, la
bourgeoisie a atteint son apogée119. Vers 1911, elle
contrôle donc tous les leviers de commande du pays. La bonne bourgeoisie
se situe généralement au-dessus des 10 000 francs de revenus.
Dans le département des Vosges, les seigneurs de l'industrie textile et
des comptoirs cotonniers, la plupart d'origine alsacienne, occupent le haut de
la pyramide. Ils possèdent des demeures cossues dans les quartiers neufs
des villes, pourvues du confort moderne avec éclairage au gaz puis
à l'électricité. A Remiremont, les jolies maisons de
chanoinesses accueillent, sans rien perdre de leur charme, les chevaliers
alsaciens de l'industrie textile. Ils lisent beaucoup, tiennent salon et
donnent de fastueuses réceptions. Ils aiment le
théâtre, le concert, le restaurant, les voyages et
honorent de leur présence les soirées huppées
oüse retrouve l'élite de la société, tels
à Epinal, le bal de la Préfecture ou celui de l'Hôtel de
la
Poste120.
Dans le textile des Vosges, tous les cas de figure se
présentent. Le plus fréquent est la succession familiale ; on
peut l'observer dans le milieu alsacien chez les Géliot, chez les
Laederich, chez les Lederlin, chez les Lung121. A côté
de ces héritiers, on trouve des fondateurs qui avaient commencé
au bas de l'échelle. Parmi les grandes figures du patronat textile
vosgien alsacien ou d'origine alsacienne, quelques cas sont
intéressants. D'une part, Georges Juillard, industriel et
président du Syndicat cotonnier de l'Est de 1888 à 1936, est
né à Strasbourg en 1845, devient directeur de la
société « Juillard et Megnin », groupe de tissages de 1
171 métiers, en 1904, il fonde en 1905 l'Ecole de filature et de Tissage
d'Epinal, enfin est maire d'Epinal de 1892 à 1904. D'autre part, Victor
Thenthorey, né à Bitschwiller-les-Thann, industriel à
Eloyes, est président du Syndicat cotonnier de l'Est entre 1878 et
1961122.
Par ailleurs, au sein des classes moyennes, la petite
bourgeoisie est composée de rentiers, de
118 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 197-222.
119 Ibid, « les classes », « la bourgeoisie
».
120 F. Noël, op. cit., pp. 79-81.
121 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 197-222, « maître de
forge et industriels ».
122 G. Poull, op. cit., pp. 375-435, « les grandes figures
du patronat textile vosgien ».
petits patrons, de petits entrepreneurs en bâtiment,
d'artisans et de boutiquiers aisés. Ils sont de loin les plus nombreux
dans les Vosges, mais peu sont immigrés allemands ou alsaciens.
Les commerçants et artisans alsaciens venus
après 1870 constituent une catégorie difficile à
identifier. A Remiremont, les quelques commerçants et autres artisans
alsaciens, plutôt pauvres, sont établis sous les arcades où
certains prennent un logement et demeurent fidèlement dans les
bâtiments à louer de la maison du fond du jardin123.
Enfin, au sein de la population vosgienne, l'importance de la
classe ouvrière progresse largement pour former, à la veille de
la Grande Guerre, la catégorie sociale la plus importante du
département124. Avant 1914, un habitant sur trois travaille
à l'usine dans les agglomérations industrielles de la Moselotte,
de la Vologne, de la Moselle, du Rabodeau et de la Haute-Meurthe.
L'implantation des usines textiles dans les vallées vosgiennes provoque
un changement profond dans le mode de vie de leurs habitants et des
immigrés allemands et alsaciens-lorrains125. Elle se traduit
par un lent déclin des zones rurales, accompagné par un
accroissement rapide de la population des villages où les manufacturiers
s'installent. A la fin du XIXe siècle, la classe ouvrière est
constituée de deux groupes distincts.
Le groupe des ouvriers-paysans constitue le noyau stable de
toute manufacture. Ces derniers descendent des anciens habitants des villages
du Massif vosgien. Les ouvriers originaires d'Alsace appartiennent au second
groupe. Par dérision on les a nommé parfois « Vingt-huit
jours » en raison des quatre semaines de travail qu'ils doivent effectuer
avant de changer d'employeur126. Ce personnel est instable. Les
causes de ces mutations sont multiples. Ils ne possèdent souvent aucune
attache familiale dans la localité où ils résident. Leur
mobilier est réduit à sa plus simple expression : un ou deux lits
pliants, un fourneau de cuisine, une table, quelques chaises, un banc de pot,
une araignée, des matelas, des couvertures, du linge de corps
rangé dans une malle et quelques ustensiles de fer. Ils quittent leur
emploi pour un motif futile : réprimande du directeur ou du
contremaître, saute d'humeur, querelle avec un voisin ou dispute dans le
ménage. Leur décision prise, ils chargent tout ce qui leur
appartient sur la charrette à deux roues qu'ils utilisent chaque
dimanche en été pour aller chercher du bois mort en forêt,
puis suivis de leur femme et de leurs enfants ils prennent la route. Quelques
jours plus tard ils sont embauchés dans une autre manufacture de la
région, où ils travaillent durant quelques mois ou années.
Cette catégorie disparaît à partir de l'époque
où les industriels font construire des cités ouvrières
à proximité de leurs usines.
123 F. Noël, op. cit., pp. 79-81.
124 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 80-120, « ouvriers et
artisans ».
125 G. Poull, op. cit., « les ouvriers des usines textiles
vosgiennes », p. 423.
126 Ibid.
III - Syndicalisme, grèves.
Un clivage se dessine entre une Lorraine du fer à la
sociologie bouleversée par la croissance et le reste de la Lorraine
à la population plus stable. Dans cette Lorraine ouvrière, la
conscience de classe est faible, les syndicats fragiles et peu
représentatifs ne sont pas en mesure d'encadrer les
salariés127. Pour se faire entendre, l'ouvrier vosgien
utilise de plus en plus le moyen de la grève128. Les
revendications de salaire restent prioritaires, mais on lutte également
pour le départ d'un contremaître trop brutal, la
réintégration d'un camarade licencié, pour une diminution
du temps quotidien consacré au travail. Les grèves sont
généralement de courte durée pour un résultat bien
mince. Le patronat utilise systématiquement la répression contre
toute activité politique ou syndicale. La solidarité des chefs
d'entreprise est totale et les ouvriers meneurs, licenciés pour faits de
grève ou agitations, ne retrouvent jamais de travail dans la
région. Le fonctionnement des manufactures textiles vosgiennes est
paralysé de temps à autre par des mouvements de grève,
dès le début du XXe siècle129.
Après la guerre de 1870-71, les conditions nouvelles de
la vie ouvrière imposent une révision de la législation du
travail130. Les Conseils de Prud'hommes sont
réorganisés en 1877. L'Eglise favorise la création de
cercles catholiques ouvriers, tel celui de Saint-Dié qui voit le jour en
1878. Les salariés de cette ville fondent en 1882 un certain nombre de
chambres syndicales : Travailleurs de Saint-Dié, Tisseurs ou ourdisseurs
de Saint-Dié, Teinturiers de Saint-Dié, Bonnetiers de
Saint-Dié. La loi du 21 mars 1884 permet la constitution libre, sans
autorisation du gouvernement de syndicats professionnels qui ont exclusivement
pour objet « l'étude et la défense des intérêts
économiques, industriels, commerciaux et agricoles ». Elle reste
muette sur les droits des syndiqués, sur les grèves, sur le
rôle du gouvernement dans les conflits sociaux et sur bien d'autres
points. Elle modifie toutefois un des articles de la loi du 26 mai 1864 qui
avait admis le droit de grève : les peines destinées à en
limiter la portée, maintenues dans le Code Pénal à cette
époque, sont supprimées. De nombreux syndicats locaux sont
créés par les ouvriers de l'industrie textile, au cours des deux
décennies 1890 et 1900131.
Le syndicalisme ouvrier ne s'implante véritablement
dans les Vosges qu'au début du XXe siècle.132 La
Fédération des Vosges s'organise en 1902 ; elle se trouve
affiliée à la Confédération Générale
du Travail (CGT). En 1903, apparaît l'Union vosgienne dirigée par
le futur député Aimé Piton et par Louis Lapicque. Mais
bien peu d'ouvriers vosgiens sont alors syndiqués, 1 à 2 % de
127 F. Roth, op. cit., pp. 211-230, chapitre 12, « les
premiers syndicats ».
128 J.-P. Claudel, op. cit., « les ouvriers en grève
», p. 213.
129 G. Poull, op. cit., VI), grèves et agitation sociale
dans les usines textiles, p. 432.
130 G. Poull, op. cit., VII), le syndicalisme ouvrier vosgien, p.
434.
131 Ibid.
132 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 197-222, « grèves
ouvrières et syndicats ».
l'ensemble des travailleurs. Vers 1910, le syndicat cotonnier
regroupait 2 millions de broches et 115 000 métiers ; les
établissements affiliés employaient environ 50 000 ouvriers (13
500 dans les filatures, 31 700 dans les tissages). Avec le quart des broches et
le tiers des métiers à tisser français, le
département des Vosges était le troisième des
départements textiles derrière le Nord et le Rhône. En
1911, existent dans le département 23 syndicats ouvriers
implantés dans 15 communes : Anould, Autmonzey, Bussang, Châtel,
Epinal, Gérardmer, Liffol-le-grand, Plainfaing, Raon-l'Étape,
Ramonchamp, Saint-Dié, Saint-Maurice, Saulxures, Senones et Thunimont,
regroupant 1 750 adhérents dont 700 seulement cotisent
réellement. Dans ce domaine, les Vosges ne se trouvent pas très
en retard par rapport au reste de la France133.
En face, le syndicalisme patronal textile est né dans
notre région en 1835, lors de la formation du « Comité des
industriels de l'Est », de tendance protectionniste134. A
l'issue de la guerre de 1870-1871, les manufactures de Lorraine, de
Franche-Comté, de Bourgogne et du Territoire de Belfort se regroupent au
sein d'un organisme chargé de défendre leurs
intérêts, grâce à l'action de Nicolas Claude. Ce
dernier devient le premier président du « Syndicat cotonnier de
l'Est » qui voit le jour en 1872. Cette organisation ne subit que des
modifications de détail pendant plusieurs décennies. Son
siège est fixé à Epinal. Les dirigeants du « Syndicat
cotonnier de l'Est » deviennent très actifs vers la fin du XIXe
siècle lorsque l'industrie textile de la région commence à
se développer de façon intense. Juillard-Hartmann, René
Laederich et V. Peters, ses président et vice-président
parviennent à convaincre la plupart de ses membres d'unir leurs efforts
pour mettre fin à la crise de surproduction qui sévit au cours
des premières années du XXe siècle. La création de
la « Société d'Exportation de l'Est » est
également l'oeuvre de ses dirigeants. Au fil des années le
Syndicat cotonnier est présidé par de grands industriels tels
René Laederich, Victor Tenthorey, Jean Debry et Georges
Laederich135.
Deux organismes rassemblent vers 1911 à un niveau plus
élevé les industriels textiles français. Il s'agit d'une
part de « L'Union des syndicats patronaux des industries textiles de
France » plus connue sous le nom d' « Union textile »
(fondée en 1900). D'autre part c'est le « Syndicat
général de l'Industrie cotonnière française »,
créé en 1901. Le « Syndicat cotonnier de l'Est » est
largement représenté dans ces deux organismes, dès leur
fondation136.
133 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 197-222.
134 G. Poull, op. cit., V), le syndicalisme patronal textile, pp.
404-405.
135 Ibid.
136 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 197-222.
IV - Services sociaux, activités avec l'entreprise
et vie associative.
De 1870 à 1914, de véritables villes usines
apparaissent avec des quartiers neufs, les cités ouvrières,
groupés autour des industries137. L'urbanisation de la
vallée de la moyenne Moselle et à ce sujet très
significative. Ainsi, Thaon, qui en 1870 avait 550 habitants, vit en moins de
quarante ans sa population multipliée par 13. Les industriels des Vosges
se sont rendus compte de bonne heure qu'après avoir créé
des usines productrices de milliers d'emplois, ils devaient mettre à la
disposition de leurs ouvriers des services sociaux138. Ils ont fait
construire tout d'abord des maisons appelées casernes pour les loger.
Ils ont ensuite multiplié les caisses de secours et de retraite, les
sociétés coopératives, les crèches et les oeuvres
culturelles.
Ce paternalisme est alors indispensable. Les villages de la
montagne vosgienne où les filatures et les tissages fonctionnent, sont
en effet démunis de tout. Face aux afflux de population, les
municipalités sont débordées. Habitués à
régler journellement des problèmes techniques et humains, les
manufacturiers et leurs directeurs jouent un rôle de plus en plus
important dans leurs communes respectives. Leurs initiatives stabilisent une
main-d'oeuvre mouvante et transforment l'aspect des vallées vosgiennes.
Ecoles, crèches, hospices, fonctionnent à la fin du XIXe
siècle à Zainvillers et à Moyenmoutier. De nombreuses
caisses de secours ont été fondées dans les Vosges, comme
celle d'Albert Lung qui, en 1889, se trouve alimentée par une retenue de
2 % réalisée sur le salaire des 555 membres.
Depuis les lois d'avril 1898, le régime légal
des sociétés de secours mutuel se trouve clairement
défini. Les employeurs sont désormais responsables des accidents
se produisant dans leurs manufactures. Ils doivent indemniser
pécuniairement les victimes et assumer les dommages. Les textes
permettent ainsi la concrétisation d'une véritable institution du
risque professionnel. Afin de favoriser l'accès à la culture, la
femme d'un industriel, Mme A. Kampmann a fondé une bibliothèque
populaire pour les ouvriers139. En 1912, elle crée
également une université, ouverte à tous, qui hélas
ne peut survivre à la guerre de 1914.
Un des exemples les plus significatifs est celui de la
blanchisserie teinturerie de Thaon, qui a accueilli et employé un grand
nombre d'Alsaciens. A. Lederlin fonde la société de secours
mutuels en 1872, tous les ouvriers en font partie (sauf femmes mariées),
qui dispose d'un capital de 267 603 francs en 1908140. Suivent un
économat, puis une boulangerie coopérative, puis une
société civile anonyme coopérative à capital
variable qui a pour objet « l'achat, la préparation, la confection
et la vente aux associés et au public des denrées et marchandises
servant à
137 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 167-196, « la
société vosgienne ».
138 G. Poull, op. cit., « les services sociaux des
entreprises textiles vosgiennes », p. 407.
139 Ibid, « dans le monde du travail, quelques
améliorations ».
140 G. Poull, op. cit., « la BTT », p. 410.
l'alimentation, à l'habillement, à
l'enseignement et autres usages courants » qui prend pour raison sociale
« Société de coopération de Thaon ». Une caisse
d'épargne voit le jour (intérêt 5 %),
complétée par une caisse d'épargne scolaire et une caisse
de retraite alimentée par les ouvriers et la direction de
l'établissement dont le capital accumulé est de 1 000 000 en
1900. A. Lederlin reçoit en 1878 une médaille d'or pour ces
diverses réalisations. Il multiplie les constructions de cités
ouvrières et les créations de terrains de culture à bon
marché. Il donne également une impulsion vigoureuse à
l'enseignement primaire, élémentaire et supérieur à
Thaon141. Des cours de dessin, de travail manuel et une
bibliothèque publique sont institués. Des sociétés
de chant, de musique instrumentale, de tir et de gymnastique voient le jour.
L'édification d'un établissement de bains et de douches
complète cet ensemble de services sociaux. Enfin, pour lutter contre
l'alcoolisme Armand Lederlin fait installer dans son usine des « bars
distribuant du café chaud et du vin à 0,05 franc la portion
», avant 1901. Quelques années plus tard on remet aux jeunes
ouvriers et ouvrières à midi un sandwich de 100 grammes de viande
cuite entre deux tranches de pain, en vue de lutter contre l'anémie. Les
directions successives de la B.T.T. s'attachent à développer
cette importante série d'oeuvres sociales destinées à
accroître le bien-être de leur personnel au cours de la
première moitié du XXe siècle. En 1913 commence la
construction du Foyer social, édifice imposant qui comprendra une salle
des fêtes, un gymnase, des salles de cours et un
balnéum142.
Des caisses de retraite performantes fonctionnent dans
certaines entreprises143. Les églises et chapelles de
plusieurs villages de notre département sont édifiées ou
reconstruites avec l'argent fourni par les industriels textiles. La
participation aux bénéfices ne semble avoir été
instaurée que dans une seule firme vosgienne, les établissements
« Steinheil, Dieterlin et Cie », de Rothau. La direction attribue de
manière collective des fonds provenant des diverses institutions
fondées au cours des décennies précédentes pour le
bien-être du personnel. Ce dernier se trouve intéressé aux
bénéfices et aux pertes avec un taux de 10 %144.
141 G. Poull, op. cit., pp. 375-435.
142 Ibid.
143 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 199-207, « retraites
ouvrières et sociétés de secours ».
144 Ibid.
Conclusion :
A l'inverse du syndicalisme ouvrier, les services sociaux
instaurés par les grandes entreprises textiles sont avant 1914
très développés et profitent aux très nombreux
ouvriers d'origine alsacienne. Leur statut au sein de l'entreprise
détermine l'appartenance à telle ou classe sociale : ils sont
soit membre de la bourgeoisie locale, artisans commerçants de la classe
moyenne ou plus souvent font partie de la classe ouvrière. Les divers
modes de vie qui en découlent touchent de la même façon les
immigrés alsaciens et allemands et la main-d'oeuvre d'origine locale.
Le monde de l'entreprise est ainsi le lieu où se forgent
rapports de force, modes de vie et activités associatives qui
conditionnent l'intégration dans la communauté locale.
Chapitre 3 : Intégration ?
I - Religion, école, santé, loisirs.
La défaite de 1871 a amené dans notre
région, un nombre important d'Alsaciens appartenant à la
communauté protestante. A Remiremont, les chevaliers d'industrie,
originaires de Mulhouse notamment, étaient en grande majorité
protestants, telles les familles Schwartz et Antuszewicz145. Le
culte se divise alors en deux grandes communions : l'Eglise
réformée (calvinistes) et l'Eglise de la confession d'Augsbourg
(luthériens). Seule la première de ces églises est en
fonction dans le département. En 1872, il y avait dans les Vosges 773
calvinistes et 430 luthériens. En 1903, le culte protestant rassemble 3
191 fidèles implantés surtout à Epinal, à
Remiremont et à Saint-Dié. Par application de la loi du 9
décembre 1905, des associations culturelles pour l'exercice du culte
protestant sont formées à Epinal, Thaon, Neufchâteau,
Remiremont, Saint-Dié et Raon-l'Étape En 1911, la population
protestante vosgienne comporte 3235 personnes qui se répartissent ainsi
: 1300 fidèles dans la paroisse d'Epinal, 323 dans la paroisse de
Remiremont, 1612 dans celle de Saint-Dié. Rien ne permet d'infirmer
l'hypothèse avant 1914 d'une corrélation étroite entre le
luthéranisme militant et l'expression de sentiments germanophiles
constatée en 1917146.
D'autre part, refusant la nationalité allemande, nombre
d'Israélites alsaciens se sont réfugiés dans notre
département, notamment l'important groupe des commerçants et
artisans147. La communauté juive résidant à
Remiremont, vivant de traditions autrement anciennes et autrement
partagées, édifie, au milieu d'une population ignorante de leurs
usages, une synagogue propre à illustrer à la fois des
affirmations distinctes et les propos d'une intégration en
cours148. Comme les autres Eglises, l'Eglise israélite est
séparée de l'Etat par la loi de 1905. Des associations dites
culturelles sont alors créées à Epinal, Bruyères,
Charmes, Gérardmer, Lamarche, Neufchâteau, Rambervillers,
Raon-l'Étape, Remiremont, Saint-Dié, Le Thillot et Senones.
En général, au début du XXe
siècle, les Vosgiens restent marqués par le christianisme.
L'interdiction d'enseigner aux membres des congrégations touche surtout
les congrégations d'hommes ; les congrégations de femmes en
majorité autorisées peuvent continuer leurs activités sans
être inquiétées. Ces congrégations rencontrent de
nouvelles difficultés en 1902, avec la loi peu libérale sur les
associations. Toutefois le gouvernement n'ose pas s'en prendre aux
congrégations hospitalières de femmes dont les services
s'avèrent indispensables.
145 F. Noël, op. cit., pp. 79-81.
146 Roger Martin, « Les Alsaciens dans l'arrondissement de
Remiremont pendant la guerre de 1914-1918 », in Le
Pays de Remiremont, 1979, n°2, pp. 62-65 du
deuxième cahier.
147 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 301-320.
148 F. Noël, op. cit., pp. 79-81.
Dans les communes vosgiennes, les congréganistes
allemands sont en grande majorité des femmes, souvent d'origine
alsacienne, qui participent à des congrégations religieuses. A
Epinal, au 1er juillet 1917, on compte 14 Alsaciennes dans des
congrégations religieuses, constituant une très forte
majorité, tel l'Ordre du Divin Rédempteur (Epinal), l'Ordre de
Saint-Charles à Nancy (infirmières à Epinal) ou l'Ordre de
la Doctrine chrétienne. Dans le canton de Charmes, on constate que
plusieurs communes comportent de nombreux congréganistes
étrangers. Par exemple, Portieux accueille au 17 juillet 1917 deux
Allemandes et 15 Alsaciennes, qui font toutes partie des « Soeurs de la
Providence ». A Saint-Gorgon, canton de Rambervillers, on recense quatre
Allemandes, d'origine alsacienne, plus ou moins jeunes : Julie Hotteler, 18
ans, est servante tandis que Puis Talk, 41 ans, est ouvrière à la
filature locale. Dans l'arrondissement de Mirecourt, trois
Alsaciennes-Lorraines fréquentent la congrégation religieuse de
Godoncourt ; parmi elles figure Lucie Schoubrenner, en religion Soeur Marie du
Saint-Sacrement, née à Insming, Lorraine allemande,
arrondissement de Metz et Anna Bontemps, réfugiée, née
à Colmar le 23 juillet 1852. A Bruyères Anna Wolf, Allemande,
née en 1863 à Luthenbach, duché de Wassau,
infirmière depuis 20 ans à l'hôpital mixte de
Bruyères, fait partie de la congrégation des soeurs de
Saint-Charles à Nancy. A Saint-Dié, huit Alsaciennes sont membres
des congrégations du Très Saint Sauveur ou de Saint-Charles
à Epinal149.
Par ailleurs, par rapport aux générations
précédentes, les Lorrains sont mieux instruits. Des écoles
privées catholiques se sont ouvertes principalement dans les viles et
les localités industrielles. En revanche, les patrons protestants et
républicains alsaciens du textile dans les Vosges laissent les enfants
de leurs ouvriers aller à l'école communale. L'enseignement
secondaire, payant et long, est réservé à la bourgeoisie
et aux classe moyennes. Les collèges catholiques sont tenus par des
prêtres diocésains, comme Saint-Joseph à
Epinal150.
L'enseignement féminin est le domaine des
congrégations comme Notre-Dame et la Doctrine Chrétienne, qui
comportent de nombreuses Allemandes et Alsaciennes. Les pensionnats de
demoiselles dispensent une éducation ménagère et
religieuse. Le niveau intellectuel est plutôt médiocre et on ne
prépare pas encore au baccalauréat. Comme les « bonnes
familles » continuent de préférer les établissements
religieux, le lycée est surtout fréquenté par les filles
des fonctionnaires et des bourgeois républicains protestants et juifs,
comme les patrons alsaciens du textile. Au début du XXe siècle,
la politique de laïcisation exile les congrégations qui
transfèrent leurs pensionnats au Luxembourg et en
Belgique151.
149 A.D.V., 4 M 425, Listes nominatives des congréganistes
étrangers par commune en 1917.
150 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 263-300, « une instruction
plus poussée ».
151 Ibid.
Le département des Vosges apparaît comme un des
mieux scolarisés de France, bien avant les grandes lois proposées
par Jules Ferry, bien qu'aucun lycée n'ait été
créé entre 1871 et 1914152. En 1910, les Vosges
disposent de 1 009 écoles primaires publiques fréquentées
par 63 682 élèves, en très grande majorité
écoles primaires élémentaires. Dans les principales villes
du département, plusieurs établissements d'instruction primaire,
avec ou sans pensionnat, sont dirigés par les soeurs de Saint-Charles et
de la Doctrine Chrétienne dont la maison mère est à Nancy,
par les religieuses cloîtrées de Mattaincourt, par les religieuses
du Saint Coeur de Marie de Nancy et par les soeurs de la Providence de
Portieux. Parmi les établissements d'enseignement supérieur des
Vosges en 1913, l'Ecole de filature et de tissage d'Epinal joue un rôle
important. Parmi les institutions et pensionnats privés laïques, on
peut citer Epinal, Thaon, Rambervillers, Mirecourt, Neufchâteau,
Remiremont, Saint-Dié. Enfin, Epinal, Bruyères et Rambervillers
possèdent des institutions et pensionnats congréganistes de
premier ordre.
Après la généralisation de l'école
gratuite, laïque et obligatoire, de nombreuses religieuses continuent
à faire classe mais vêtues en civil153. Dans le
département des Vosges, les congrégations autorisées
à exercer dans l'enseignement public sont pour les hommes : les
Frères de Marie, et pour les femmes : les soeurs de la Providence de
Portieux, les soeurs de la Doctrine chrétienne, les soeurs
hospitalières de Saint-Charles, les soeurs de la Sainte-Enfance de
Marie, les soeurs du Saint-Esprit de Rouceux. Toutes ces congrégations
se soumettent aux dispositions financières des lois scolaires concernant
les instituteurs et institutrices laïcs. Toutefois dans un certain nombre
de localités importantes, des conventions spéciales ont
été arrêtées entre les municipalités et les
supérieures de ces congrégations.
Le rôle de l'école doit, pour cette
période, être relativisé car la fréquentation
apparaît ni générale ni
régulière154. Cependant, ceux qui en reçoivent
l'enseignement se trouvent profondément marqués.
Par ailleurs, la protection sociale est alors inexistante et
la charité privée, les bureaux de bienfaisance municipaux et les
congrégations religieuses, comme les soeurs de Saint-Vincent de Paul et
les Petites soeurs des Pauvres, soulagent tant bien que mal de multiples
détresses.
Quant aux loisirs, les Vosgiens de la Belle Epoque
découvrent le sport qui a eu longtemps mauvaise réputation. Si
les courses automobiles, l'aviation, le tennis, l'escrime, le golf ou
l'équitation, concernent surtout les catégories sociales
aisées, d'autres disciplines se répandent dans les classes
populaires, tels le football, la natation, la boxe, le ski155.
152 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 263-300, « l'instruction
publique ».
153 Ibid, « la guerre des écoles ».
154 R. Schor, op. cit., chapitre 1, III, C) le début de
l'intégration.
155 J.-P. Claudel, pp. 223-260, « l'état sanitaire et
social » et « le sport ».
II - Une volonté de s'intégrer ?
Un grand nombre d'immigrés alsaciens et allemands
s'installent durablement dans les Vosges et s'intègrent dans le pays
d'accueil. Dans beaucoup de cas, les Alsaciens ont toujours voulu rester
Français ou vivre comme des Français. Les Allemands de sang qui
sont venus cherchaient essentiellement à améliorer leur condition
matérielle. Même parmi ceux qui restent plus durablement en
France, une fréquente instabilité professionnelle et
géographique vient contrarier les éventuels projets
d'intégration156. Dans les Vosges, les sources n'indiquent
pas de communautarisme pour les immigrés allemands et encore moins pour
les Alsaciens-Lorrains. Pour les Allemands purs, rien n'indique dans les
sources d' « enclaves » nationales, ni active solidarité,
conservation de leur langue ou leur dialecte, leurs habitudes culinaires,
vestimentaires, festives. Le maintien de cette culture freine l'insertion dans
la société française et entretient aussi la
méfiance de certains autochtones, inquiets de voir naître des
îlots étrangers voyants, jugés parfois trop autonomes.
Cette crainte contribue à nourrir la xénophobie.
Au Val d'Ajol, durant l'année 1912, huit individus
allemands exerçant une profession, un commerce ou une industrie,
obtiennent le certificat d'immatriculation, dont Philippe Schoenle, né
à Mulhouse le 2 mars 1881, jardinier (immatriculé n°34),
Maria Wioland, née le 28 octobre 1897 à Ocrie (Haute-Alsace),
domestique (n°59) ou encore Alphonse Huntz, né le 8 septembre 1887
à Guebvillers, ouvrier de filature (n°70)157. Pendant le
seul mois de mars 1912 à Girmont (arrondissement d'Epinal), l'Allemand
Jean Freiermuth, né le 28 avril 1862 à Kalhausen, ouvrier
agricole, marié, seul établi en France (déclaration
n°46, 11 mars 1912), est le seul étranger qui a satisfait à
la formalité de la déclaration de résidence, en
conformité des décrets des 2 et 27 octobre 1888158.
Par ailleurs, en 1912, plusieurs déserteurs de l'armée allemande
sont évoqués, comme le dénommé Kuster, tisserand,
qui fait une déclaration de résidence à Mirecourt en mars.
Il a déserté en 1905 l'armée allemande, a contracté
deux engagements dans la Légion étrangère,
réformé et renvoyé en Alsace à chaque fois. Il doit
se marier avec une jeune fille de Mirecourt. Sa bonne conduite
régulière n'inspire aucun soupçon et finalement en juillet
il peut rester.
En revanche, un petit article du Mémorial des
Vosges du 30 avril 1913, intitulé « Les reptiles »,
évoque le cas de deux Prussiens à Chambeauvert qui ne cessent de
« baver des outrages à l'adresse des Français, de faire
étalage de leur mépris pour nos soldats et de vociférer en
allemand des chants insultants pour notre pays ». Le seul remède
proposé est d' « infliger à ces reptiles teutons une
correction bien méritée »159.
156 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 197-222, « un projet de
séjour temporaire », « mobilité professionnelle
».
157 A.D.V., 4 M 421, état nominatif des étrangers
qui ont obtenu le certificat d'immatriculation : Val d'Ajol, 1912.
158 Ibid, recensement par arrondissement (Remiremont),
étrangers, 1912.
159 A.D.V., 8 M 189, surveillance des étrangers.
Le désir de devenir ou de redevenir Français est
bien souvent un signe de volonté d'intégration et d'envie de
s'installer de la part des Allemands et des Alsaciens-Lorrains des Vosges. La
question de l'acquisition de la nationalité française par voie de
naturalisation est cruciale. Le groupe des naturalisés attire
l'attention par sa croissance : en 1911, le département des Vosges
compte 11 656 étrangers, 7046 naturalisés sur un total de 433 914
habitants160. De 1903 à 1913, sur 40 000 naturalisations en
France, plus de 3 400 (8,5 %) concernent des AlsaciensLorrains161.
La loi exige dix ans de présence continue en France, mais le plus
souvent les intéressés dépassent largement ce délai
: la moyenne s'établit à 25 ans de séjour. Pourquoi
devenir Français trop jeune quand l'étranger échappe au
service militaire, et quel bénéfice immédiat en tire un
ouvrier puisque les conditions de travail restent les
mêmes162. Dans les Vosges, en 1914, un Alsacien, Marie-Joseph
Eugène Joannès, 48 ans, cultivateur à Fraize, fait une
demande de naturalisation. Il est inscrit au carnet B, mais jamais aucun
soupçon n'a pesé sur lui et il paraît peu intelligent aux
autorités locales, il a de plus une femme et trois enfants. Il n'y a
donc pas de raison de refuser et un avis favorable est rendu. Mais le
préfet le 29 juin est d'avis qu'il y a lieu de rejeter ou tout au moins
d'ajourner la demande du postulant163.
Mais, dans le droit français, la naturalisation
proprement dite, qui est destinée à ceux qui n'ont jamais eu la
nationalité française, n'est pas la seule manière de
changer de nationalité. La réintégration dans la
nationalité française peut bénéficier à ceux
qui prouvent qu'ils l'ont possédée puis perdue (hors mariage).
C'est le cas de figure le plus fréquent avec les Alsaciens-Lorrains : au
cours de la période 1903-1913, sur un total de 12 469
réintégrés de toutes origines en France, on
dénombre 4 147 Alsaciens-Lorrains164. A Epinal, on peut
évoquer l'affaire Kolb en 1912-1913. Alphonse Kolb, né dans le
Haut-Rhin de parents immigrés dans les territoires annexés, venu
se fixer à Epinal en août 1901, a perdu la nationalité
française à l'âge de 6 ans par suite de l'application du
traité de Francfort (1871) et veut la recouvrer en 1912. Cet Alsacien,
ouvrier moniteur à l'usine Berger de constructions métalliques de
Thaon, est marié et a plusieurs enfants. Mais il a été
sous-officier dans l'armée allemande, est inscrit au carnet B des
suspects depuis 1909 pour nombreux agissements louches, il est
soupçonné d'espionnage au profit de l'Allemagne. L'avis
défavorable du préfet des Vosges en 1913 engendre un rejet de la
requête165. A Saint-Dié, les époux
Rosenthal-Phulpin, deux enfants, font une demande de
réintégration dans la nationalité française en
1913. Rosenthal avait reçu la nationalité allemande et avait
voulu la conserver en 1884. Leur attitude très incertaine suscite
également un avis défavorable.
160 J. Ponty, op. cit., doc 53, le recensement de 1911, p. 87.
161 H. Mauran, op. cit., pp. 381-474, naturalisations
Alsaciens-Lorrains.
162 J. Ponty, op. cit., p. 87.
163 A.D.V., 8 M 189, surveillance des étrangers, demandes
de naturalisations, avril-juin 1914.
164 H. Mauran, op. cit., pp. 381-474.
165 Ibid, étrangers : réintégrations dans la
nationalité française (Alsaciens-Lorrains).
Le dernier moyen d'acquérir la nationalité
française est la « déclaration » qui intéresse
ceux nés en France de parents étrangers et nés à
l'étranger. A leur majorité, les jeunes Allemands et
Alsaciens-Lorrains peuvent ainsi acquérir par un acte volontaire de
déclaration la nationalité française. Au total, de 1900
à 1913, plus de 22 000 Alsaciens-Lorrains ont acquis la
nationalité française - soit une moyenne annuelle d'environ 1
700.
A la veille de la Grande Guerre, en 1913, le mouvement
d'acquisition de la nationalité française se poursuit. Au cours
de cette seule année, 379 Alsaciens-Lorrains deviennent français
par naturalisation. 960 bénéficient de la
réintégration dans la nationalité française et 2
803 obtiennent cette nationalité par déclaration. A ceux-ci
s'ajoutent 69 mineurs qui ont été « compris au décret
des parents ». Au total, 4 211 Alsaciens-Lorrains sont devenus
français en 1913. Les Alsaciens paraissent souvent très
intégrés. C'est le cas des familles occupées à
demeure à Portieux (verrerie). Ces gens ont quitté le territoire
allemand sans espoir de retour, leurs enfants sont en général
considérés par les Allemands comme insoumis, leur attitude
à Portieux ne laisse rien à désirer et tous, dès
qu'ils sont en position de le faire réclament soit la
réintégration dans la qualité de Français, soit la
naturalisation166.
Enfin, le refus de servir dans l'armée allemande est
aussi une attitude constante des jeunes Alsaciens-Lorrains. Au cours de la
seule année 1913, 1 023 Alsaciens-Lorrains ont contracté un
engagement volontaire dans la Légion étrangère, chiffre
qui n'avait jamais été atteint depuis 1871167.
166 A.D.V., 8 M 189, op. cit., situation professionnelle.
167 Ibid.
III - Etat et opinion.
Entre 1910 et 1914, des renseignements sur des suspects
allemands résidant dans les Vosges envoyés par le gouvernement
allemand sont fournis, parfois par des particuliers168. En 1912, il
s'agit de Rouff, habitant l'Alsace, qui part à diverses époques
en France principalement pour les régions d'Epinal et Arches, Joseph
Pfaffinger, inscrit au carnet B, à Neufchâteau, sur lequel
pèse des soupçons, et Knaff, accusé d'espionnage. En 1913
Hugo Steper, ancien officier de réserve allemand, inscrit au carnet B
(première catégorie, deuxième groupe), remercié par
la Manufacture de draps d'Epinal. En 1914 enfin Guillaume Feist,
déserteur de l'armée allemande, et Simon, commissaire de police
allemand et quatre ou cinq autres sujets allemands. Entre 1911 et 1913 trois
Allemands sont condamnés dans le canton du Thillot en exécution
de l'article 5 du décret du 2 octobre 1888, soit de l'article 2 de la
loi du 8 août 1893, relatifs à la résidence et au
séjour des étrangers en France169. Le
dénommé Naegelen, bûcheron à Saint-Maurice, est
condamné en 1911 à une amende de 6 430 F, tandis que M. Ferdinand
Lindecker, 34 ans, né en Alsace, cultivateur à la Jumenterie de
Saint-Maurice, est condamné en 1912 pour emploi de sujet allemand
(amende doublée).
D'autre part, plusieurs Allemands et Alsaciens-Lorrains des
Vosges sont expulsés en 1912, 1913 et 1914170. En août
1912, Joseph-Louis Lamberg, né à Mulhouse (Alsace-Lorraine),
père de 4 enfants en bas âge et bon ouvrier, est condamné
à Remiremont, le 10 juillet, à un mois de prison pour violence et
port d'arme, et sera expulsé. Il aurait été poussé
à bout, par d'incessantes provocations des cléricaux à
Saint-Etienne. Le sous-préfet de Remiremont demande intervention du
préfet en faveur de cet homme contre arrêt d'expulsion. Son fils
aîné de 15 ans s'est suicidé, pendu (ouvrier à la
filature des Grands Moulins) pour échapper aux violences dont il
était l'objet à l'usine actes abominables dans la salle
même où il travaillait. Le corps avait été
odieusement souillé. Jusqu'à présent 11 individus
âgés de 14 à 31 ans ont été
arrêtés en mars 1912 ; presque tous appartiennent au patronage
catholique de Remiremont. Cette affaire provoque une grosse émotion
à Saint-Etienne et dans les environs, notamment dans les milieux
réactionnaires et cléricaux. Finalement 10 seront
condamnés et 2 acquittés.
En 1914 une procédure d'expulsion frappe Emile Rieb. Il
manifeste pourtant des sentiments francophiles et crie à l'injustice. Il
est expulsé à Strasbourg pour attitude suspecte au niveau
national. Il était employé de Bureau à la Direction
Générale des Chemins de Fer d'AlsaceLorraine (Epinal).
168 A.D.V., 8 M 189, surveillance, suspects étrangers,
1910-1914.
169 ADV, 4 M 480, Etrangers en situation
irrégulière : an VIII - 1920.
170 Ibid, expulsions d'étrangers, 1912-1914.
Le Préfet des Vosges fait début 1913 une
étude pour savoir « si l'emploi de la main-d'oeuvre
étrangère paraît susceptible de donner lieu à
quelques préoccupations au point de vue des intérêts de la
défense nationale, soit par l'état d'esprit, les allures, les
tendances, les manières d'être de l'élément
étranger, soit par la nature de l'entreprise, soit par le voisinage de
cette dernière avec quelque point stratégique, soit pour toute
autre cause ».171 Aucune préoccupation fondée
n'est signalée pour l'arrondissement d'Epinal, ni pour les autres
arrondissements. A Saint-Dié le personnel n'est pas recruté par
l'intermédiaire d'offices de placement étranger et donc n'inspire
aucune préoccupation au point de vue de la défense nationale.
Parmi les Allemands se trouvent une majorité d'annexés, dont les
sympathies vont à la France plutôt qu'à l'Allemagne. C'est
également le cas à Remiremont où on ne recense pas de
« gens dangereux », ouvriers étrangers qui pourraient causer
des soucis pour la sécurité nationale. « Comme ils sont
employés au milieu d'ouvriers français, leur surveillance est
facile. »172
Mais il n'en est pas de même de certaines fermes
isolées de la frontière, comme les NeufsBois et Jumenteries
à Saint-Maurice sur Moselle occupées par des Alsaciens allemands
et dont le personnel (deux ou trois domestiques suivant la saison) est
également allemand173. Donc on ne peut pas les surveiller
efficacement et ils peuvent être considérés comme douteux.
Ils « feraient d'excellents guides pour l'ennemi, connaissant parfaitement
tous les sentiers et chemins conduisant aux environs des fortifications sans
compter qu'ils pourraient, dans le but d'entraver la mobilisation, se livrer
à des actes de destruction des lignes télégraphiques,
téléphoniques et ouvrages d'art dépendant des voies
ferrées dans une région accidentée où ils abondent.
»174
Les mêmes remarques peuvent être faites pour les
étrangers domestiques et ouvriers tels que femmes de chambre, bonnes
allemandes occupées chez des officiers, bûcherons employés
dans les coupes et tous les étrangers relativement nombreux dans les
localités de la frontière. « Leur expulsion à un
moment déterminé, si elle était possible, serait le seul
et meilleur remède à apporter à une situation dangereuse
pour la sécurité du pays. »175
Pour les Allemands de sang, il n'en va pas non plus
forcément de même. Ainsi dans l'arrondissement de
Neufchâteau, la famille Thomas, allemande, qui exploite à
Avranville une propriété d'environ 150 hectares, doit faire
l'objet d'une surveillance discrète en raison de la proximité de
la ferme qu'ils habitent avec des ouvrages stratégiques de Grand (tunnel
de SionneMidrevaux ; ligne de Neufchâteau - Bar-le-duc)176.
171 A.D.V., 8 M 189, op. cit., Commissaire spécial de
police d'Epinal - Préfet : par rapport à la circulaire
14/12/1912, 30/01/1913.
172 Ibid
173 A.D.V., 8 M 189, op. cit.
174 Ibid
175 Ibid
176 Ibid
Dans cette période de tension entre la France et
l'Allemagne, et dans une zone proche de la frontière et des provinces
perdues, l'attitude de l'opinion vosgienne à l'égard des
populations alsaciennes et plus encore allemandes est parfois
méprisante. Dans le département, les comités
républicains démocratiques se sont renforcés tandis que
les associations républicaines (loges maçonniques, Ligue des
droits de l'homme, Ligue de l'enseignement) connaissent un nouvel
élan177.
L'élection de Raymond Poincaré à la
présidence de la République en janvier 1913 est accueillie avec
une joie sincère par ses nombreux partisans, avec une satisfaction
déférente pour ses adversaires. En 1914, les grands partis de
gauche de l'époque, les partis radical-socialiste et socialiste,
recueillent peu de suffrages en Lorraine et n'ont aucun élu alors qu'ils
sont les plus nombreux au Parlement. En 1914, comme en 1871, le patriotisme
républicain est la clé du comportement politique des Lorrains.
Cette situation géographique explique le renforcement de la fonction
militaire178. Dans l'hypothèse d'une guerre, on envisage une
offensive par la trouée de Lorraine entre Metz et les Vosges.
Dans les Vosges, les personnes originaire d'Alsace ou de
Moselle y ont conservé de la famille, parfois des biens ; ils se sentent
exilés, dépossédés ; ils pensent qu'un jour, une
juste revanche rendra leur terre natale à la France. Ce sentiment
s'exprime d'une façon naïve et avec une grande force
émotive. Malgré certaines apparences, le patriotisme est plus
défensif que revanchard. La défense du territoire est
sacrée et on en supporte sans murmure toutes les charges et les
contraintes. Au-delà des divergences politiques et des affrontements
souvent très âpres entre catholiques et républicains, le
patriotisme est une valeur commune, il s'appuie sur le souvenir de 1870, sur
l'évocation des provinces perdues, sur le danger allemand. En
vérité, la majorité des étrangers observe une
attitude réservée et n'affiche guère de
préférences idéologiques, à supposer que celles-ci
existent179. Cependant, des minorités actives se
singularisent. Ainsi, l'instabilité et le rejet xénophobe
marginalisent les étrangers, mais leur participation croissante au
débat politique et social révèle que, au moins pour une
partie d'entre eux, une forme d'intégration a commencé à
s'opérer.
177 F. Roth, op. cit., pp. 183-210, « politique, la
reconquête républicaine ».
178 Ibid, « les bastions de l'est ».
179 R. Schor, op. cit., chap I, III, « une amorce de
politisation chez les immigrés », pp. 7-29.
Conclusion :
En général, le principal facteur
d'intégration est la durée du séjour et l'enracinement
progressif180. C'est également ce qui transparaît de
l'analyse de la situation des Allemands et Alsaciens en résidence dans
les Vosges à l'orée de la Première guerre mondiale.
Au recensement de 1891, sur 1 100 000 étrangers dans
l'Hexagone, plus de 420 000, soit 38 %, étaient nés en France.
Des signes démographiques et économiques confirment
indéniablement la stabilisation de l'immigration. Ainsi la proportion
des femmes augmente régulièrement, de même que le nombre de
mariages mixtes et ce phénomène se confirmera pendant la guerre
qui s'annonce. Le taux d'activité se réduit, ce qui traduit un
vieillissement de la population étrangère.
En 1901, près de 10 % des étrangers se rangent
dans la catégorie des chefs d'établissement, proportion non
négligeable qui révèle une ascension sociale. Le
renforcement du militantisme politique souligne aussi la présence
d'étrangers installés depuis assez longtemps pour abandonner
l'attitude des nouveaux venus et s'attacher à la défense
résolue de leurs droits. Beaucoup d'individus sont déjà
fils ou petit-fils d'immigrés. Leur éducation, leurs
activités sociales et politiques, la loi elle-même font d'eux des
Français. A ce titre, ils vont bientôt participer aux combats de
la Grande Guerre et payer « l'impôt du sang »181.
Dans la première partie de l'année 1914, sept
mariages concernent deux hommes allemands et cinq Alsaciens avec des femmes
françaises, signe d'une relative intégration. Dans
l'arrondissement d'Epinal, le dénommé Geiger, Wurtembergeois
(Allemand), épouse une Française à Harsault le 29 mai et
Jean-Baptiste Justin Gérard, fait de même le 30 avril. Dans
l'arrondissement de Remiremont, Martin Dhirmann épouse Céline
Blaise le 3 janvier à Cornimont et Joseph Adolphe Laurent épouse
Marie Constance Lapoirie le 15 mai à Eloyes. Enfin à Rupt deux
Alsaciens se marient avec des Françaises182.
180 R. Schor, op. cit., pp. 7-29.
181 Ibid.
182 A.D.V., 4 M 417, Mariages mixtes.
PARTIE II :
Allemands et Alsaciens-Lorrains des Vosges
face au début de la guerre
(1914-1915)
Les Allemands et les Alsaciens présents dans le
département des Vosges à la déclaration de guerre
d'août 1914 et pendant le conflit sont arrivés à des
époques et pour des raisons différentes, et ils sont d'origines
géographiques diverses.
D'une part, beaucoup, qui n'ont pas voulu ou pu
acquérir la nationalité française, sont déjà
installés depuis longtemps. Au 1er janvier 1914, on dénombre 6107
Allemands dans le département, dont 2308 hommes, 1949 femmes et 1850
enfants, devant les Italiens183. L'arrondissement de
Saint-Dié est le plus important avec 2882 Allemands sur 4582
étrangers, celui d'Epinal suit avec 1852 sujets. Dans l'arrondissement
de Mirecourt, on a un total de 485 Allemands (première
nationalité), dont 74 à Mirecourt même et 53 à
Vittel où les hommes sont surreprésentés, 41 pour 5 femmes
et 7 enfants. Dans l'arrondissement de Remiremont, la ville chef-lieu est
importante avec 232 Allemands, dont plus de la moitié de femmes (126
pour 81 hommes et 25 enfants), ainsi que 157 dans tout le canton du Thillot
où on recense peu d'enfants : quatre sur 27 à Rupt, 11 sur 60
à Saint-Maurice et 12 sur 70 au Thillot. D'après les
relevés d'étrangers, par nationalité, il arrive en moyenne
150-200 déclarations d'Allemands, avec environ 60 départs ou
décès. Au 1er juillet 1914 se trouvent dans le département
6766 Allemands répartis comme suit : 2703 hommes, 2135 femmes, 1928
enfants184. A cette date, les Allemands se sont faits
dépassés par les Italiens en nombre et sont désormais la
deuxième nationalité représentée185.
D'autre part, le département, divisé par une
ligne de front au nord dès la fin de l'année 1914 et
théâtre d'opération du 21e corps d'Armée, a
accueilli un certain nombre de réfugiés et évacués
allemands ou alsaciens-lorrains, en particulier non-mobilisables (enfants,
adolescents, femmes, personnes âgées). La région de
Remiremont, assez proche du front, en est la parfaite illustration.
L'arrondissement a accueilli une importante colonie alsacienne, qu'on peut
scinder en trois catégories bien distinctes : les Alsaciens
déjà installés dans l'arrondissement à la
déclaration de la guerre, les Alsaciens réfugiés du canton
de Thann et les évacués de la vallée de la Fecht et de la
région d'Orbey.
A côté des réfugiés
alsaciens-lorrains volontaires, très peu nombreux, se trouvent les
« évacués par les soins de l'autorité militaire
». Il s'agit avant tout de mobilisables, relevant essentiellement du
Landsturm, sorte de réserve territoriale, qui sont originaires des zones
d'Alsace reconquises par l'armée française (secteurs de Thann,
Masevaux, Dannemarie). Les autres évacués sont des « otages
», la plupart fonctionnaires, qui proviennent des zones où
l'armée française n'a fait que des incursions (secteur de
Mulhouse)186. Le camp retranché d'Epinal est le coeur du
dispositif vosgien.
183 ADV, 4 M 403, situation numérique des
étrangers, 01/01/1914.
184 Ibid, 01/07/1914.
185 ADV, 4 M 402, contrôle général des
étrangers, 1914.
186 H. Mauran, op. cit., pp. 381-474.
La Grande Guerre, avec son cortège d'épreuves,
mobilise toutes les énergies, celles des nationaux comme celles des
étrangers, même ressortissants des puissances ennemies. Ainsi un
certain nombre d'Allemands et d'Alsaciens-Lorrains des Vosges, sous des formes
diverses, sont affectés dans les unités combattantes ou,
participent à l'arrière à l'effort productif du
pays187. Considérés a priori comme des suspects, ils
doivent prouver le contraire et l'engagement volontaire a valeur de preuve,
à condition d'avoir le temps de le contracter et l'âge pour
être agréé. Au cours de la Grande Guerre, 17 650 soldats
alsaciens-lorrains ont combattu dans les rangs de l'armée
française, et 50 d'entre eux sont devenus officiers188. Les
uns se trouvent déjà en France en août 1914 ; les autres
entrent clandestinement sur le territoire national. D'autres, peu nombreux,
appelés par leur pays d'origine en 1914, s'engagent aux
côtés des Empires centraux. On peut citer le cas de quatre
fermiers alsaciens ayant ainsi quitté le territoire de La Bresse pour
l'Alsace, avec leur famille et leur troupeau189.
Au cours des mêmes années, la République
change d'attitude quant au recrutement de la main-d'oeuvre
étrangère et rompt avec la tradition de non-intervention propre
au XIXe siècle190. La guerre donne lieu à des
attitudes et des réglementations spécifiques à
l'égard des étrangers selon les zones géographiques
où ils se trouvent et selon qu'ils sont ressortissants de pays
alliés, neutres ou ennemis de la France. L'étude de la situation
des Allemands dans les Vosges est intéressante dans le sens où il
s'agit d'étrangers qui plus que tous autres appartiennent au camp
adverse et qui résident à proximité des zones
d'opérations militaires. 1914-1918 c'est donc le temps des mesures de
rigueur infligées aux Allemands et Alsaciens des Vosges, bien que les
Alsaciens-Lorrains bénéficieront d'un régime de faveur
à l'échelle nationale. Seules quelques catégories de
personnes se trouvent épargnées par cette surveillance
extrême : ceux qui étaient gravement malades, les
Françaises devenues étrangères par mariage ou encore les
parents d'un fils servant sous le drapeau français191.
En France, la Première Guerre mondiale sert de terrain
d'expérimentation pour des procédés que l'on croit souvent
l'apanage de la guerre suivante, soit l'ouverture de camps d'internement ou
simplement de dépôts ou centres de triage à l'usage des
ressortissants ennemis192. L'apparition de ces camps est une des
conséquences de la guerre totale. Ces mesures d'internement
s'accompagnent de dénaturalisation et de mise sous séquestre des
biens des ressortissants étrangers, mesure classique en temps de
guerre193.
187 Ralph Schor, op. cit., chapitre « 1914-1918 : Etrangers
et coloniaux à l'aide de la France », pp. 30-44.
188 H. Mauran, op. cit., p. 412.
189 Roger Martin, « Les Alsaciens dans l'arrondissement de
Remiremont pendant la guerre de 1914-1918 », in Le
Pays de Remiremont, n°2, 1979, pp. 62-65.
190 Janine Ponty, op. cit., chapitre 3 « Le temps de la
guerre (1914-1918), pp. 91-122.
191 Ibid, chapitre 3.
192 H. Mauran, op. cit., p. 412.
193 Ibid.
Cet ensemble de mesures de contrôle et de protection est
approuvé par la population car elle a pour but la mise à
l'écart d'éventuels ennemis dangereux. Elles se mettent ainsi en
place dans un climat d'excitation chauvine194. Dans les Vosges, le
néonationalisme se trouve depuis 1911 considérablement
renforcé. De nombreux sympathisants se sont reconvertis en
républicains et dans les départements lorrains, leurs élus
votent avec la droite nationaliste195. Le néonationalisme
touche alors au mysticisme, avec deux haines proclamées, les mauvais
Français et les Allemands. Dans tout le département, le
métier des armes l'emporte sur tout autre. Le courant nationaliste
présente une réelle unité en France, et malgré
quelques nuances, sa force est considérable au Parlement et dans le
pays. Au début de l'année 1914, une campagne d'affolement
orchestrée par la presse fait croire, un moment, à une guerre
imminente. Ce qui provoque aussitôt un regroupement massif du peuple
autour des leaders nationalistes196.
Enfin, le sort des Alsaciens-Lorrains en 1914-1918 est
très spécial et ne peut être pleinement compris sans
référence à une date clef, qui fonde leur statut singulier
: 1870197. Au moment oüs'amorce le conflit,
doivent-ils être considérés comme Allemands ou comme
Français ? La
solution qui aurait consisté à octroyer
massivement la nationalité française aux Alsaciens-Lorrains n'est
pas retenue. Les pratiques administratives tendent à créer
à leur égard « un curieux statut intermédiaire entre
celui de l'étranger ressortissant d'une puissance ennemie et le
réfugié français »198.
194 J. Ponty, op. cit., pp. 91-122.
195 J.-P. Claudel, op. cit., p. 339.
196 Ibid.
197 H. Mauran, op. cit., p. 383.
Chapitre 1 : Les prémices et les premiers
moments du conflit
Depuis 1871, la frontière franco-allemande passe sur la
ligne bleue des montagnes vosgiennes. Toutes les villes accueillent des
garnisons. Epinal, siège d'un corps d'armée, abrite 15 000 hommes
et est intégrée dans le système de défense de la
frontière de l'Est mis au point par le général Seré
de Rivière : il comporte le contrôle de la haute vallée de
la Moselle par des forts à Arches, Remiremont, Rupt, Le Thillot, Epinal
et au ballon de Servance. Construits à partir de 1876, ils sont
renforcés jusqu'en 1914. En 1914, Epinal commande 16 forts, 85 batteries
armées de 700 pièces d'artillerie et peut équiper 70 000
soldats. Chaque ville reçoit des troupes en garnison. Désormais,
la vie militaire avec ses défilés rythme la vie des cités,
exalte un patriotisme revanchard renforcé par la présence des
Alsaciens émigrés.
Dès le 3 août 1914, les troupes françaises
passent le col de Saales et débouchent dans la vallée de la
Bruche, mais la contre-attaque allemande se développe en direction de
Nancy et de Saint-Dié pour prendre à revers les troupes de la
Marne après l'échec français à Morhange. Leur
objectif est la trouée de Charmes. Après de violents combats,
Saint-Dié est occupée le 27 août mais les Allemands sont
arrêtés au col de la Chipotte, au col des Journaux et
échouent devant Charmes. La contre-offensive française
libère les territoires occupés et s'arrête à 10 km
au nord de Saint-Dié. Le front se stabilise du col de Sainte-Marie au
col de la Chapelotte.
L'accélération des événements
à l'été 1914 et le début de la Première
guerre mondiale engendrent un renforcement des contrôles et un
durcissement des mesures à l'égard des ressortissants de
puissances « ennemies », Allemands et Alsaciens des Vosges
étant concernés au premier chef.
198 H. Mauran, op. cit., p. 411.
I - Mesures prises à l'aube de la guerre par la
République.
La République française prend dès le 1er
août 1914 des dispositions concernant les étrangers, par
l'intermédiaire des ministres de la Guerre et de
l'Intérieur199. Le contenu reprend les dispositions
prévues depuis le début de 1913 à l'égard des
ressortissants ennemis, et depuis le 22 août 1913 dans le cas particulier
des Alsaciens-Mosellans, qui bénéficient depuis lors d'un
traitement de faveur.
Tous les étrangers, sans distinction de
nationalité, peuvent quitter la France avant la fin du premier jour de
la mobilisation (24e heure du 2 août 1914), par voie ferrée ou par
voie de mer. Des trains sont mis à disposition mais,
réservés en priorité aux militaires, ils sont vite
bondés et bien peu d'étrangers peuvent partir en 24 heures.
Dès le 2 août, ils doivent donc se présenter au commissaire
de police ou au maire de leur résidence pour faire connaître leur
nationalité200 et y faire constater leur situation. A
l'exception des sujets des pays ennemis, ils ne sont pas
inquiétés, ils sont autorisés à conserver leur
domicile, et reçoivent un permis de séjour ; mais on exige d'eux
un passeport délivré par un préfet201. Les
ressortissants des puissances ennemies ont la faculté soit de quitter la
France, soit de se retirer hors des zones militaires.
Ainsi dans les jours qui précédèrent
l'entrée en guerre (du 1er au 3 août), de nombreux Allemands et
Austro-Hongrois, pressentant l'issue de la crise internationale, regagnent
précipitamment leur pays202. On dispose pour les Vosges d'une
liste nominative des sujets austroallemands résidant habituellement dans
le département et ayant quitté leur résidence dans le
courant de juillet et les premiers jours d'août 1914. Elle fait
apparaître pour la commune d'Epinal un résultat de 541 personnes,
presque toutes de nationalité allemande et d'origine alsacienne, dont
peu d'enfants, beaucoup de personnes seules, hommes et femmes. La direction
qu'ils empruntent est souvent inconnue ou hors du département
(Mâcon, Châlons sur Saône, Nancy) voire du pays (Allemagne,
Suisse). Pour la commune de Saint-Dié sont recensées 54
personnes, presque tous Allemands, en majorité originaires
d'Alsace-Lorraine, beaucoup d'hommes et de familles, qui
généralement retournent en l'Alsace. Quelques Allemands par ville
sont signalés dans le reste du département, surtout à
Thaon, partis en Alsace, Allemagne ou évacués sur
Châlons203.
Quant aux Allemands et Austro-Hongrois qui désirent
rester en France, ils doivent être évacués, sans
distinction d'âge ou de sexe, de la zone comprise dans le
périmètre du camp
199 J. Ponty, op. cit., pp. 91-122.
200 J. Dupaquier, Histoire de la population
française, PUF, 1988, Tome 4 (1914-nos jours), p. 65.
201 J. Ponty, op. cit.
202 R. Schor, op. cit., pp. 30-44.
203 A.D.V., 4 M 495, Recensement étrangers de
nationalités ennemies (1915).
retranché204. Il en est ainsi des sujets
résidant dans le département des Vosges, zone de front dès
1914, le 21e corps d'armée (créé en 1913, chef-lieu
Epinal) couvrant, avec les 6e (Châlons), et 20e (Nancy) la
frontière de l'Est. Entre le 5e et le 16e jour, ils seront
transportés par voie ferrée sur des points de refuge provisoire
situés dans l'ouest de la France, où seront prévus leur
logement et leur nourriture, et où on leur donnera du travail s'il y a
lieu. Ils pourront ultérieurement demander leur transport vers une
frontière neutre, ou se rendre dans un lieu de séjour de leur
choix, dans les conditions prévues pour les étrangers
résidant à l'intérieur du territoire portés
à leur connaissance dans les points de refuge.
Concernant les Alsaciens-Lorrains non naturalisés
Français, sont laissées libres sans conditions les familles
établies depuis longtemps dans le pays et dont on connaît
parfaitement les origines et les sentiments français et les familles
dont un membre au moins contracte un engagement à la Légion
étrangère avant la fin du 2e jour de la
mobilisation205. En revanche, toute famille d'Alsaciens-Lorrains
dont un des membres quitte la France pour répondre à l'ordre de
mobilisation allemand sera considérée comme allemande. Sur ce
plan, on ne fait toutefois qu'appliquer au pied de la lettre la circulaire
établie par l'Etat-major dès février
1913206.
Enfin, aux épouses de sujets ennemis, nées
Françaises, l'administration propose le divorce afin de leur permettre
de recouvrer leur nationalité d'origine. En cas de refus, elles seront
incarcérées ou suivies par la police.
A la fin du XIXe siècle, le carnet B avait pour
objectif d'étouffer dans l'oeuf tout mouvement antimilitariste et toute
campagne en cas de mobilisation. Au moment où s'engage la guerre
francoallemande, comment s'organise la mobilisation des ressortissants
allemands et alsaciens en août 1914 ?
204 J. Ponty, op. cit., pp. 91-122.
205 Ibid.
206 H. Mauran, op. cit., p. 441.
II - La mobilisation des Allemands et des
Alsaciens-Lorrains.
Dès le début de la guerre, de nombreux
étrangers demandent à s'enrôler dans l'armée
française, apportant ainsi au pays un précieux témoignage
de sympathie. Par un décret du 3 août 1914, les engagements
d'étrangers dans les régiments étrangers sont
autorisés pour la durée de la guerre, au lieu de la durée
réglementaire de cinq ans207. L'engagement dans
l'armée française, notamment dans la Légion
étrangère, constitue alors le plus sûr moyen de se
soustraire à l'internement, et même d'y soustraire les membres de
sa famille208. Certains Allemands ne vont pas hésiter
à s'engager, alors qu'un certain nombre de leurs compatriotes vivant en
France répondent à l'ordre de mobilisation de leur patrie. Mais
leur cas posent un problème particulier car la convention de La Haye du
18 octobre 1907, reconnue par la France en 1910, interdit à tout
belligérant d'obliger les ressortissants du pays adverse à se
battre contre ce dernier. Aussi les légionnaires allemands sont-ils
envoyés outre-mer, notamment au Maroc. Du 21 août 1914, date de
l'ouverture des listes d'engagement pour les étrangers, au 1er avril
1915, 22 000 étrangers « choisissent » cette voie, dont 1 396
Austro-Hongrois et 1 072 Allemands. Parmi eux se trouvent beaucoup de
Tchèques et de Polonais209.
L'introduction de quelques éléments suspects
fait apparaître bientôt les inconvénients d'une confiance
trop largement accordée. Une loi du 16 août 1915 vient interdire
les engagements dans l'armée française, au titre de la
légion étrangère, de nationaux appartenant à des
Etats en guerre avec la France ou avec ses alliés210.
Il est alors spécifié que ces mesures ne
s'appliquent pas aux Alsaciens-Lorrains dont le cas est réglé par
les deux premiers articles de la loi du 5 août 1914. Les instructions de
janvier 1913 avaient précisé déjà les mesures
à prendre à l'égard des Alsaciens-Lorrains en cas de
mobilisation211.
La loi du 5 août 1914, « relative à
l'admission des Alsaciens-Lorrains dans l'armée française »,
autorise le gouvernement par son article 3 à naturaliser, sans
conditions de résidence, les étrangers qui contractent un
engagement volontaire pour la durée de la guerre. La loi ne concerne ni
les descendants de ceux qui avaient opté pour la France en 1871-1872 ni
ceux qui, depuis, sont venus vivre à l' « intérieur »
et se sont fait naturaliser. L'expression « AlsacienLorrain »
s'applique donc uniquement aux ressortissants du Reich212. La
même loi précise, en outre, que le bénéfice de cette
règle sera étendu aux légionnaires alsaciens-lorrains qui,
sous les
207 H. Mauran, op. cit., p. 441.
208 Ibid, pp. 233-278, chapitre V « La mise en place de
l'internement ».
209 J. Ponty, op. cit., pp. 91-122.
210 Ibid.
211 H. Mauran, op. cit., pp. 233-278.
drapeaux au moment de la déclaration de la guerre, en
feront la demande. Le dispositif comporte des mesures spéciales pour
favoriser les naturalisations des femmes et enfants majeurs ou mineurs des
engagés213.
Cet engagement s'inscrit donc au titre de la Légion
étrangère mais ce n'est là qu'une formalité: la
demande de recouvrement de la nationalité française
confère à l'engagé volontaire le droit de réclamer
son incorporation dans un régiment français. A l'inverse de la
naturalisation stricto sensu, ce mode d'accès à la
nationalité française ne comporte aucune restriction : il
confère non seulement l'intégralité des droits civils,
mais aussi les droits politiques y-compris
l'éligibilité214. Sitôt engagés, les
Alsaciens et Mosellans sont déclarés Français et, en
principe, versés dans d'autres corps. Ainsi, les Alsaciens
installés dans le département des Vosges avant la
déclaration de guerre sont souvent confrontés à
l'alternative suivante : engagement ou internement. Leur nombre est
estimé à 13 000 dans tout le Nord-Est et ils formaient, dans
l'arrondissement de Remiremont, une colonie relativement nombreuse. Il ne faut
pas les assimiler aux Alsaciens émigrés au lendemain de la
défaite de 1871, qui ont opté dès leur installation sur le
territoire français et qui ont été rapidement
intégrés. Ceux-ci sont venus pour des raisons nationales,
ceuxlà pour des raisons économiques, la plupart travaillant dans
l'industrie textile215.
Dès le 1er août, les «
évadés » d'Alsace-Lorraine affluent dans les bureaux de
recrutement. En juillet-août 1914, si l'on est loin du «
soulèvement des populations alsaciennes-lorraines fidèles
à la cause française » escompté par l'Etat-Major, pas
moins de 3 000 jeunes gens quittent immédiatement et de manière
clandestine le Reichsland d'Alsace-Lorraine pour s'engager du côté
français216. Bien que minoritaire, ce geste implique une
rupture de l'individu avec la légalité : il se rend coupable de
désertion vis-à-vis de sa patrie. Dans les Vosges, un certain
nombre d'hommes originaires de la vallée du canton de Thann ont
passé la frontière afin de contracter un engagement dans
l'armée française. Ils ont été
évacués de la zone de front par « mesure de
sûreté ou de police » ou ont préféré
fuir un secteur trop exposé. Dans l'arrondissement, ils sont peu
nombreux et éparpillés. Trente personnes se sont
installées à Remiremont même et sont victimes, comme c'est
le cas dans toute la France, d'un premier triage. Jusqu'au 21 août, les
évadés et volontaires alsaciens-lorrains doivent se
présenter dans l'un des bureaux de recrutement prévus. A partir
du 21, ils se présentent au bureau le plus proche de leur
résidence. Le 31, le commissaire spécial de Remiremont a
dirigé 169 Alsaciens sur le centre de mobilisation de
Besançon217.
212 J. Ponty, op. cit., pp. 91-122.
213 H. Mauran, op. cit., p. 412.
214 Ibid.
215 Ibid.
216 Ibid.
217 R. Martin, op. cit., in Le Pays de Remiremont, 1979,
pp. 62-65.
A l'aube de la guerre, un bon Alsacien est donc un Alsacien
soldat. Non seulement il recouvre la nationalité de ses ancêtres,
mais il évite aux siens l'internement réservé aux sujets
allemands sur le sol français. Tant pis pour les familles qui ne
comptent que des filles ou aucun garçon en âge de
s'enrôler.
Au sein du ministère de la Guerre, le Service des
Alsaciens-Lorrains, créé sur proposition du général
Gallieni, gouverneur militaire de Paris, et placé sous la direction
d'Albert Carré, est particulièrement compétent concernant
les engagés volontaires. Ce service crée dans chacun de ses
bureaux une commission d'identification chargée de veiller à
l'application des directives et d'examiner les postulants. Au début de
la guerre, les engagés volontaires sont divisés en deux
catégories, désignées par les lettres A et B. La
catégorie A est composée de ceux qui acceptent de servir
directement sur le front. A partir du 20 août, quelques centaines sont
employées comme guide par le général Dubail qui
opère dans les Vosges et par le général Pau, commandant en
chef l'armée d'Alsace. Par ailleurs il y a ceux qui, classés sous
la lettre B, sont versés dans les bataillons alpins et les
régiments faisant partie du corps d'observation placé sur la
frontière italienne218.
Le texte de la loi du 5 août 1914 aborde
également le cas des réformés et des inaptes. Les
réformés, quelle que soit la durée de leur incorporation,
peuvent revendiquer le bénéfice de cette législation au
même titre que les engagés demeurés sous les
drapeaux219. Vingt-neuf AlsaciensLorrains se sont engagés au
titre d'engagement volontaire pour la seule ville d'Epinal ; ce fut le cas de
Theobald Auguste Bruker220.
Enfin, l'engagement concerne une autre catégorie :
celle des prisonniers et des déserteurs « allemands »,
originaires d'Alsace-Lorraine221. La question se pose dès les
premiers jours du conflit. 1650 prisonniers allemands se seraient
réengagés dans les rangs de l'armée française. A
partir d'août-septembre 1914, les jeunes gens retenus dans les camps
d'évacués mobilisables, notamment Landsturmiens, ont aussi
été invités à s'engager dans l'armée
française222.
218 R. Martin, op. cit., pp. 62-65.
219 Maxime Leroy, Le statut civil et administratif des
Alsaciens-Lorrains pendant la guerre, p. 22.
220 A.D.V., 4 M 495, Recensement étrangers de
nationalités ennemies (1915).
221 H. Mauran, op. cit., p. 413.
222 H. Mauran, op. cit, pp. 414-415.
III - Internement et approbation populaire.
Les autorités françaises pratiquent pendant le
conflit une politique alliant la répression à l'encontre des
Alsaciens venus des territoires reconquis comme la vallée de la Thur
à l'assimilation223.
L'épuration de la zone des armées de ses
éléments non-nationaux commence dès le 1er août
1914. Le département des Vosges est concerné au premier chef.
"L'itinéraire de Michel Albrecht, garde forestier dans le
département, est d'autant plus éloquent qu'il se confond avec
celui des otages capturés par l'armée française de l'autre
côté de la frontière : « Pourquoi j'ai
été arrêté depuis le 1er août comme prisonnier
de guerre, personne ne peut le justifier. Une patrouille est venue me chercher
au lit, alors que je souffrais d'une grave blessure au pied ; je dus m'habiller
; on me mit sur un cheval et ainsi je partis, moi innocent,
séparé de ma femme et mon enfant, sans pain, sans eau et sans
pouvoir me coucher pendant trois jours et trois nuits. Nous devons subir ici un
chemin de croix, comme Jésus. [...] D'abord enfermés, ensuite en
pleine liberté, et maintenant de nouveau enfermés ; et nous ne
savons pas encore ce qui arrivera, mais nous espérons toujours le mieux
possible ». Considéré comme « douteux » et
interné à Saint-Rémy-de-Provence, Michel Albrecht n'est
pas au bout de ses peines. En 1915, il est puni de deux jours de geôle
simplement pour avoir rédigé en allemand l'adresse d'une lettre
envoyée dans une localité française... Au cours de
l'année 1917, il sera transféré à Viviers ; enfin,
il est renvoyé à Saint-Rémy en 1918"224.
L'apparition des camps d'internement de ressortissants des
puissances ennemies, distincts des camps de prisonniers de guerre, est permise
par l'état de siège. Le décret du 2 août 1914 sur
l'état de siège reprend dans leurs grandes lignes les
dispositions antérieures relatives au traitement des étrangers,
notamment « ennemis ». Ces « camps de concentration » ont
officiellement une double finalité : retirer à l'ennemi des
mobilisables qui, de retour dans leur pays, deviendraient autant de
combattants, et neutraliser les espions potentiels qui pourraient, de
l'intérieur, saboter l'effort de guerre225. Les archives des
Vosges n'évoquent pas d'installations de ce type, plutôt des
dépôts d'étrangers. Ainsi Erich Hartmann, étudiant
allemand de 16 ans originaire de Leipzig, qui avait été
échangé en Meurthe-et-Moselle puis dirigé sur
Neufchâteau, est interné à la déclaration de guerre
au dépôt d'étrangers de Soulosse226.
Placé au collège de Neufchâteau, le préfet des
Vosges veut qu'il soit placé dans un établissement
d'éducation du Centre, le collège ayant été
aménagé en hôpital de la Croix Rouge. La
Société des transports internationaux de Genève cherche
à obtenir son rapatriement en échange de quelques Français
retenus prisonniers en Allemagne.
223 H. Mauran, op. cit., pp. 414-415.
224 Ibid.
225 Ibid.
226 A.D.V., 8 M 12, étrangers.
Si le « peuple des camps » est composé
majoritairement de mobilisables des nationalités allemandes,
austro-hongroises, ottomanes, bulgares, etc. qui n'ont pas réussi
à quitter la France à temps, il compte aussi une proportion
relativement importante de « non-mobilisables ». Les autorités
françaises entendent en effet conserver un « capital » de
femmes et d'enfants, de personnes âgées et d'hommes inaptes qui
pourront être échangés contre des Français, civils
ou militaires, retenus par l'ennemi. On peut les classer dans une
catégorie particulière située entre l'otage et
l'interné227. Les « civils ennemis » sont
susceptibles de servir ouvertement ou secrètement leur pays, prolongeant
ainsi son effort de guerre, derrière les lignes. Les plus
intégrés ne sont pas d'ailleurs pas considérés
comme les moins dangereux car ils connaissent bien le pays et la langue et
peuvent constituer un gisement en éclaireurs pour les troupes ennemies
et en agents de renseignements. Dans les Vosges, on l'a vu, plusieurs
localités proches de la frontière accueillent avant 1914 un
certain nombre de servantes, domestiques, personnel de fermes, très
difficile à surveiller et susceptibles d'actes de complicité avec
l'ennemi228.
La question des 500 étrangers inscrits au « carnet
B » n'a pas été soulevée en août 1914 : exclus
de facto du nouveau compromis politique, ils se retrouvent, au moins en partie,
dans les quelque 60 000 civils ennemis que le ministère de
l'Intérieur reconnaît avoir internés229.
Ces mesures de contrôle s'accompagnent de la
déchéance de nationalité et de mises sous séquestre
des biens. En outre, la promesse faite le 1er août 1914 d'assurer
ultérieurement leur transfert vers un pays neutre est bafouée.
Enfin, au cours de la Grande Guerre, les populations locales constituent aussi
une pièce essentielle d'un vaste dispositif de contrôle des
évacués et des réfugiés230. Les
étrangers font, dès août 1914, les frais de la haine qui
sévit partout et les dénonce comme responsables, sinon même
comme espions. Les autochtones exercent une forte pression sociale sur cette
masse humaine. A côté des ressortissants des pays ennemis ou
neutres, des Français grands et blonds, des Suisses, des Alsaciens et
Lorrains que leur physique ou leur accent désignaient à la
méfiance d'une foule soupçonneuse subissent aussi des violences
injustifiées231. Pour les forces de l'ordre comme pour la
population vosgienne, leur présence sur le sol national éveille
bien des appréhensions : pourquoi les Alsaciens-Lorrains n'ont-ils pas
acquis la nationalité française, alors qu'ils avaient toutes les
facilités pour le faire ? L'appareil d'Etat, en ouvrant des « camps
de concentration », ne heurte pas son opinion publique. Au contraire, les
autorités civiles et militaires semblent aller dans le sens d'une
aspiration populaire232.
227 H. Mauran, op. cit., pp. 381-474.
228 A.D.V., 8 M 189, op. cit., l'emploi dans les Vosges, 1913.
229 Ibid.
230 J. Ponty, op. cit., pp. 91-122.
231 Ibid.
232 R. Martin, op. cit., pp. 62-65.
Chapitre 2 - Réglementation spécifique
et acharnement populaire dans les premiers mois de la guerre.
Après les balbutiements correspondant à
l'affirmation du conflit, une réglementation spécifique va se
mettre en place dans les zones de front comme les Vosges. La résidence
et la circulation des immigrés de nationalité allemande va subir
des restrictions importantes, souvent approuvées par la population.
I - Allemands et Austro-Hongrois.
Dans les Vosges, en 1914, les Allemands constituent la
nationalité la plus représentée, devançant les
Italiens, 6107 ressortissants, alors que les Austro-Hongrois ne sont que 139 et
constituent le cinquième contingent étranger233.
Dès le 2 août 1914, les ressortissants des
nations ennemies restés en France furent invités à se
faire connaître, afin d'être rapatriés ou internés
dans des centres spéciaux. Il est ainsi naturel que la majorité
des étrangers suspects détenus à la prison de la
prévôté à Saint-Dié à la date du 14
novembre 1914 soient en grande majorité des Allemands ou des
Alsaciens234. Au cours des mois de septembre et octobre 1914, la
politique d'internement se confirme sans que Parlement soit venu, par une loi,
en définir les règles et en fixer les bornes. La clé de
voûte de l'internement est incontestablement le ministère de
l'Intérieur. A côté des organismes relevant directement de
ce département, diverses forces répressives ont été
sollicitées pour assurer le fonctionnement du système
français d'internement : des postes composés de militaires,
souvent issus de la réserve territoriale, sont chargés de la
surveillance des camps ; les gendarmeries, des gardes municipaux et des
vétérans de la guerre de 1871, organisés en
milices...235. Les évacuations des zones sensibles comme les
Vosges, avec un front, des places fortes comme Epinal, mobilisent plusieurs
types de protagonistes : forces armées de terre, unités
prévôtales de la gendarmerie, préfecture de police de
Paris, service de renseignements militaires (SR)...
En outre, les biens des ressortissants allemands et
austro-hongrois sont mis sous séquestre ou confiés à des
administrateurs provisoires236. Dans cette optique, le ministre de
l'Intérieur prie les préfets courant octobre d' «
établir et transmettre aux parquets la liste de tous les
établissements commerciaux, industriels et agricoles appartenant
à des Allemands, Autrichiens ou Hongrois et se
233 A.D.V., 4 M 403, recensement semestriel des étrangers
en résidence dans les Vosges, 01/01/1914.
234 A.D.V., 4 M 421, Etat des étrangers ou suspects
détenus à la prison de la prévôté de
Saint-Dié au 14/11/1914.
235 Ibid.
236 R. Schor, op. cit., pp. 30-44.
trouvant dans [leur] département »237.
Le ministre de la Guerre stipule quelques jours plus tard que les produits des
maisons allemandes restent soumis à la saisie et à la mise sous
séquestre dans les conditions de la circulaire du Garde des Sceaux du
13/10/1914 », telle la verrerie de Portieux238.
Seules quelques catégories de personnes se trouvent
épargnées par les mesures de rigueur : ceux qui étaient
gravement malades, les Françaises devenues étrangères par
mariage, les parents d'un fils servant sous le drapeau français, les
Alsaciens et Lorrains, juridiquement Allemands mais considérés
comme des Français en puissance239.
Le 1er octobre une circulaire du ministre de
l'Intérieur, direction de la sûreté générale,
organise l'évacuation des Allemands et des Austro-Allemands par la
Suisse240. Le préfet des Vosges J. Malvy, par le biais
d'instructions et de télégrammes en octobre et novembre, confirme
le rapatriement des Austro-Allemands par la Suisse et demande aux
préfets de lui faire connaître le nombre de personnes
concernées dans leur département. Des télégrammes
échangés entre Epinal et Bordeaux évoquent
également les rapatriements et expulsions de femmes nées
françaises devenues allemandes ou autrichiennes. Des rapatriements
d'étrangers de nationalités ennemies résidant dans les
Vosges sont évoqués en septembre 1914241.
Il peut s'agir d'enfants allemands ou austro-hongrois
placés par la Société d'échange international (SEI)
; mais aucun enfant allemand n'est placé dans des familles
françaises dans le département des Vosges par la SEI. Des enfants
français et allemands ont également fait l'objet
d'échanges, tels Klotilde Sommer, âgée de 14 ans,
échangée chez la famille Noël, à Damas-etBettegney,
qui aurait été conduite, sur l'ordre du maire de Vittel, au camp
de concentration et Henri Ott à Epinal, jeune Allemand de 14 ans
originaire de Göggingen (Bade-Wurtemberg) échangé pendant
les vacances scolaires avec Louis Bedon, jeune Français de 15 ans, et
évacué sur Mâcon242. Enfin le 10 octobre une
mesure impose aux départements de ne plus délivrer aucun permis
de séjour ni laissez-passer aux Austro-Allemands, sauf à ceux
ayant un fils dans l'armée et les femmes et les enfants dont
l'état de santé ne permettrait pas le
déplacement243.
Fin 1914, les mesures de contrôle s'effectuent dans un
climat d'excitation populaire. Les Allemands présents en France avant
l'entrée en guerre sont alors souvent accusés d'espionnage ou
237 A.D.V., 4 M 498, Saisie et séquestre des biens,
correspondance Ministre de l'Intérieur - Préfets, 13/10/1914.
238 A.D.V., 4 M 498, Saisie et séquestre des biens,
correspondance du Minsitre de la guerre, 19/10/1914.
239 J. Ponty, op. cit., pp. 91-122.
240 A.D.V., 4 M 401, circulaire du ministère de
l'intérieur aux préfets de France, 01/10/1914.
241 A.D.V., 4 M 514, Rapatriements - étrangers de
nationalités ennemies, correspondance du ministre de la guerre,
septembre 1914.
242 Ibid.
243 A.D.V., 4 M 401, circulaire du ministère de
l'intérieur aux préfets de France, 10/10/1914.
d'accaparement économique. Un télégramme
du 8 août signale l'arrestation sous ce chef d'accusation de 11
étrangers, tous Allemands ou Alsaciens-Lorrains244. A
Remiremont, le Commissariat le 31 décembre fait état
d'enquêtes en cours sur des Allemands et Autrichiens susceptibles de
posséder des propriétés mobilières ou
immobilières et de plusieurs rapports spéciaux concernant des
Austro-Allemands, comme le montre le dossier de la veuve
Moerder245.
Les étrangers « ennemis » ne sont pas
épargnés loin s'en faut par la population autochtone. La guerre
provoque des reclassements : unis derrière le drapeau tricolore, les
Français oublient leurs divisions tandis que, par un
procédé manichéen, ils séparent les
étrangers en bons (les alliés) et méchants (les
ennemis)246. Dans la rue, les Allemands qui avaient
négligé de se faire recenser auprès des autorités
et qui étaient reconnus se trouvèrent parfois victimes de
véritables scènes de lynchage. Même des Français
grands et blonds, des Suisses, des Alsaciens et Lorrains que leur physique ou
leur accent désignaient à la méfiance d'une foule
soupçonneuse subirent des violences injustifiées.
Certains résistent à cette vague haineuse et en
dénonce les aberrations, mettant l'accent sur la confusion entre
l'appartenance à l'Etat et la nationalité ressentie, pour les
Alsaciens par exemple247. La défense des
réfugiés socialistes allemands et autrichiens «
relégués », avant d'être internés, est propre
à la culture socialiste de l'époque.
244 A.D.V., 4 M 401, télégramme du 08/08/1914.
245 A.D.V., 4 M 421, recensement pas arrondissements des
étrangers (1914).
246 R. Schor, op. cit., pp. 30-44.
247 Ibid.
II - Alsaciens-Lorrains.
A la déclaration de guerre, il y avait en France
plusieurs milliers d'Alsaciens-Lorrains ayant juridiquement la
nationalité allemande248. Bien que les recensements
semestriels vosgiens de 1914 ne donnent pas de statistiques spécifiques
sur les Alsaciens-Lorrains, logiquement comptabilisés avec les
Allemands249, on sait qu'une forte colonie alsacienne-lorraine
réside alors dans le département des Vosges, notamment dans
l'arrondissement de Remiremont250.
Les Alsaciens-Lorrains bénéficient d'un
régime de faveur depuis 1913 et les autorités décident en
principe en août 1914 de les considérer comme Français,
l'agression allemande ayant rendu caduc le traité de
Francfort251. Selon la mythologie dominante, les Alsaciens-Lorrains
appartiennent à une seule et unique catégorie : celle des
Français « de souche » qui ont le malheur de se trouver sur un
territoire arraché et opprimé par l'Allemagne. Cela ne signifie
pas néanmoins que tout Alsacien-Lorrain peut prétendre à
la nationalité française : tant que durera la guerre, les
réintégrations dans la nationalité française
doivent être examinées au cas par cas et intervenir exclusivement
par voie de décret252.
De plus, comme il y a parmi eux des immigrés prussiens,
il faut faire un tri au cours des premiers mois de la guerre. L'administration
s'efforce ainsi inlassablement de discerner les « Alsaciens-Lorrains
d'origine française » et les « immigrés d'origine et de
tendance absolument allemandes »253. Tous les Alsaciens pouvant
justifier de leurs antécédents, ou recommandés par des
comités privés, reçoivent un permis de séjour les
assimilant aux citoyens français ; par contre, toutes les familles dont
un membre avait quitté la France pour répondre à l'ordre
de mobilisation allemande sont exclues de ce privilège et
regroupées dans des camps sous contrôle militaire254.
Les épreuves endurées par les populations civiles des
régions d'Alsace-Lorraine temporairement occupées par
l'armée française, en août 1914, révèlent
parfaitement l'ambiguïté de la position des annexés entre la
France et le Reich. Considérés comme Allemands par les
Français, les noncombattants du théâtre des
opérations de la Bataille des frontières,
déclenchée le 7 août, subissent des
brutalités255 ; d'août à octobre 1914, la
plupart partagent même, dans les dépôts surveillés,
le sort des Austro-Allemands et autres « étrangers
indésirables »256.
248 J. Dupaquier, op. cit., pp. 60-70.
249 A.D.V, 4 M 403, recensements semestriels des
étrangers, 1908 et 1914.
250 R. Martin, op. cit., pp. 62-65.
251 J. Dupaquier, op. cit., pp. 60-70.
252 H. Mauran, op. cit., p. 411.
253 Ibid, p. 443.
254 J. Dupaquier, op. cit., pp. 60-70.
255 Camille Maire, Des Alsaciens-Lorrains otages en France
(1914-1918), Souvenirs d'un Lorrain interné en France
et en Suisse pendant la guerre par François Laurent,
Presses universitaires de Strasbourg, 1998, pp. 50-55.
Certains se sont rendus coupables d' « espionnage ».
Ce n'est toutefois pas encore tout à fait de l'espionnage, motif maintes
fois invoqué pour évacuer ceux qui, soi-disant, s'en sont rendus
coupables. C'est ainsi que l'autorité militaire recommande l'internement
en camp de concentration de l'Alsacien Henri-Philibert Ringenbach, originaire
de Kirchberg et domicilié à Archettes (Vosges). « Il a
attiré depuis la déclaration de la guerre l'attention de
plusieurs personnes d'Archettes et de sous-officiers y cantonnant par son
habitude de questionner les soldats, de s'intéresser très
assidûment aux passages de trains de troupes et de matériel.
» Ringenbach a fait son service militaire dans la Garde impériale
allemande et, arrivé en France en 1891, est retourné par deux
fois en Allemagne pour accomplir des périodes militaires. Sa femme et
ses quatre enfants doivent être également internés à
Viviers et à Ajain257.
Les espoirs prématurés qu'a fait naître,
durant les premières semaines, la prise des cols vosgiens et l'avance en
Alsace, sont brutalement anéantis par la sanglante défaite de
Morhange (20 août) et par le repli des troupes françaises. C'est
à ce moment-là que François Laurent, photographe amateur,
originaire de la Meurthe (Reichsland), est emmené comme otage dans sa
commune de Lorquin258. Il était convoqué à
l'appel local des réservistes allemands pour fin août mais ne put
jamais s'y rendre. Après avoir fait ses adieux, il part en compagnie de
son voisin juge et accompagné de gendarmes vers la frontière
française. Il continue à marcher, faisant quelques haltes
à mesure que les Français reculent, exemple à Baccarat.
Puis il fait étape une petite semaine dans les Vosges, à
Rambervillers, où il passe la nuit dans un cachot militaire, puis
à Epinal dès le 23 août. Il est alors interné dans
la maison de correction. Pendant plusieurs jours, lui et ses camarades de
galère sont molestés, insultés et alimentés avec
des bouillies et de l'eau. Ils s'ennuient profondément en dépit
de rencontre avec d'autres otages de la région, en particulier les
Lorquinois Gerich et Félicien Thomas. Le 28 août François
Laurent fait partie du convoi en direction du sud qui allait les conduire en
Haute-Saône. Par la suite, il sera prisonnier en Auvergne, au camp
d'Issoire, puis interné au dépôt de
Saint-Rémy-de-Provence et enfin au camp fermé de Viviers avant un
départ pour la Suisse et un retour au pays.
Mais l'ennemi, renforcé, entre dans Saint-Dié le
27 août, saisit des otages, refoule les 8e et 13e corps (armée
Dubail) et arrive sur la Mortagne. Le 1er septembre, une circulaire du
ministère de l'Intérieur aux préfets prescrit de «
distinguer partout les sujets austro-allemands des AlsaciensLorrains et
Polonais, qui lorsqu'on a pu s'assurer de la sincérité de leurs
sentiments francophiles, peuvent bénéficier du régime
appliqué aux étrangers alliés ou neutres
»259.
256 H. Mauran, op. cit., p. 443.
257 Ibid.
258 C. Maire, op. cit., pp. 50-55.
259 Ibid.
En octobre, le préfet des Vosges dévoile aux
maires du département la législation spécifique qui va
dès lors s'appliquer aux étrangers et surtout ils ont ordre de ne
plus délivrer de permis de séjour aux
Alsaciens-Lorrains260. Pierre Linarès réclame un
engagement de la responsabilité des maires qui se doivent de signaler
toute présence étrangère pour des raisons de
défense nationale. Finalement, les Allemands sont repoussés, les
Français réoccupent Raon-l'Étape et Saint-Dié et le
front se stabilise, en octobre, pratiquement sur la
frontière261. Des régions conquises par les
Français en Alsace-Lorraine, seules les vallées de Saint-Amarin,
Thann et Masevaux n'ont pas été reprises par les Allemands.
Le 10 octobre, une autre circulaire ordonne aux préfets
de délivrer aux Alsaciens-Lorrains retenus dans les dépôts,
mais qui ont pu justifier leur loyalisme, des permis de séjour pour
résider dans une localité de leur choix, en dehors de la zone des
armées262. Cette disposition ne connaît qu'une
application très limitée, et les dépôts demeurent
« encombrés ». Le préfet vosgien, Linarès,
recommande à ce moment-là la méfiance vis-à-vis de
possibles suspects agissant sous couvert de leur titre
d'Alsaciens-Lorrains263. Le recensement opéré par les
maires du département, en octobre 1914, montre que la plupart des
Alsaciens installés dans l'arrondissement de Remiremont avant la
déclaration de guerre ont obtenu un permis de séjour, et sont
restés sur leur lieu de travail ; ainsi, demeuraient à Remiremont
122 Alsaciens résidents264. Cependant, ces
Alsaciens-là n'ont pas opté pour la France, leurs sentiments
nationaux sont mal connus, et, ils font l'objet d'une surveillance assez
étroite, en particulier par les commissaires spéciaux de la
police des chemins de fer. De nombreux Alsaciens suspects sur le plan national
sont inscrits au carnet B du département des Vosges ; or les suspects
inscrits au carnet B devaient être arrêtés dès le
premier jour de la mobilisation. Quelques-uns ont donc été
arrêtés et évacués vers l'intérieur,
d'autres, peu nombreux, ont quitté le territoire français afin de
répondre à l'ordre de mobilisation en Allemagne. La situation des
Alsaciens résidents est souvent douloureuse, témoin cette femme
installée à Remiremont, dont l'un des frères est soldat
allemand, et l'autre soldat français265.
Après avoir traité dans l'urgence et sans
véritable méthodologie le cas des Alsaciens-Lorrains, le
gouvernement français s'efforce, à la fin de l'année 1914,
d'élaborer une typologie de cette population. Elle est fondée,
non plus sur la diversité des origines et des itinéraires, mais
sur le sentiment personnel supposé à l'égard de la France.
Pendant l'exécution du plan XVII en Lorraine et en Haute-Alsace et la
retraite qui s'ensuit, l'armée et la gendarmerie françaises
effectuent de
260 A.D.V., 4 M 401, correspondance préfet des Vosges -
maires vosgiens, 09/10/1914.
261 C. Maire, op. cit., p. 9.
262 H. Mauran, op. cit., p. 443.
263 A.D.V., 4 M 401, correspondance préfet des Vosges -
maires vosgiens, 09/10/1914.
264 R. Martin, op. cit., pp. 62-65.
265 Ibid.
nombreuses prises d'otages et arrestations de
suspects266. Dans les villes comme Lorquin, Sarrebourg ou
Haut-Clocher, il s'agissait incontestablement d'otages. Quant aux suspects, les
dossiers individuels renseignent sur les motifs qui les rendent
indésirables dans la zone des armées qui, après octobre
1914, se situait presque entièrement en territoire français.
C'est la raison pour laquelle un grand nombre d'entre eux étaient des
résidents des départements frontaliers, les Vosges notamment, de
nationalité alsacienne-lorraine et française267. Outre
les évacués des zones reconquises par l'armée
française, mobilisables ou otages (catégorie O), un
contrôle sévère vise ceux qui vivaient en France
avant-guerre sans pour autant avoir acquis la nationalité
française.
Ce contrôle spécifique ne doit pas occulter les
velléités d'assimilation qui se manifestent avant même la
reconquête totale de l'Alsace-Lorraine. Ceux qui ont été
fraîchement évacués d'Alsace-Lorraine, notamment comme
Landsturmiens, posent à l'administration française un
problème très épineux268. Comment peut-elle
connaître leurs « sentiments »? L'internement des mobilisables
dans les lieux de dépôts civils constitue une mesure de contrainte
susceptible de provoquer chez tous ceux d'entre eux qui sont animés de
sentiments francophiles (et par contrecoup en Alsace) une pénible
impression. L'un des objectifs du triage sera donc de limiter les effets
psychologiques négatifs de l'évacuation forcée et de
l'assignation à résidence sur l'opinion alsacienne-lorraine.
D'autre part le cas des Alsaciens qui sont partis pour échapper aux
obligations militaires allemandes est évoqué par le
général de division Dubail dans une lettre au préfet
Linarès269. Ils avaient été dirigés sur
Besançon dans un premier temps puis sont revenus dans les Vosges. Les
autorités de Besançon ont donné des laissez-passer,
certains ont pu se rapprocher de la frontière, et ont même
cherché à faire créer un groupement d'Alsaciens à
Remiremont. Le général commandant en chef a donc prescrit de
faire diriger sur Besançon tous les Alsaciens suspects ou
dépourvus de ressources, résidant dans le département des
Vosges270. Pour la souspréfecture de Neufchâteau, deux
individus sont mentionnés dans ce cas : Charles Huber, à Punerot
depuis 2 ans et Maria Robeschin, à Neufchâteau depuis un an et
demi271. Le préfet reçoit l'ordre de ne
délivrer aucun permis de séjour aux Alsaciens dépourvus de
ressources ou astreints au service militaire en Allemagne272. Le cas
des Alsaciens originaires du canton de Thann est particulier dans le sens
où ils ont été évacués de la zone de front
ou ont préféré fuir un secteur trop exposé. Ils ne
font pas l'objet d'une surveillance spéciale, en raison de leurs
sentiments francophiles273.
266 C. Maire, op. cit., p. 7.
267 Ibid.
268 H. Mauran, op. cit., p. 412.
269 A.D.V., 4 M 421, correspondance général de
division Dubail - préfet vosgien, 11/10/1914.
270 Ibid.
271 A.D.V., 4 M 431, réglementation de séjour des
étrangers, sous-préfecture de Neufchâteau (1914).
272 A.D.V., 4 M 421, correspondance général de
division Dubail - préfet vosgien, 11/10/1914.
273 R. Martin, op. cit., pp. 62-65.
Le 9 novembre 1914, le ministère de l'Intérieur,
après accord du ministère de la Guerre, institue à Paris
une commission de triage des Alsaciens-Lorrains formée de trois membres
: le conseiller d'Etat et ancien préfet de police Charles Blanc, le
lieutenant-colonel de cavalerie Van Merlen, le juge d'instruction au tribunal
de la Seine et membre de la Société des AlsaciensLorrains Jules
Kastler274. Le président du Conseil nomme, le 27
décembre, une nouvelle commission, qui comprend les trois membres de la
précédente, mais dans laquelle sont incluses des
personnalités alsaciennes-lorraines « qualifiées ».
Elle émane directement de la présidence du Conseil : ce
déplacement de la tutelle révèle aussi l'importance
qu'attache le gouvernement à la question des évacués et
des résidents alsaciens-lorrains275. Au-delà de ses
évolutions internes, la commission est chargée de visiter tous
les camps d'Alsaciens-Lorrains, d'entendre individuellement les
évacués et de les classer dans trois catégories. La
catégorie 0 comprend les otages arrêtés par
l'autorité militaire, à maintenir au compte du ministère
de la Guerre ; les Alsaciens-Lorrains « purs » reconnus d'origine
française, mais d' « attitude douteuse » sont regroupés
dans la catégorie n° 1 et doivent être maintenus en
liberté surveillée avec résidence
fixe ; enfin la catégorie n° 2 correspond aux
Alsaciens-Lorrains « purs » reconnus d'origine et de sentiment
français : sont à libérer avec délivrance d'une
carte tricolore276.
Finalement, les rapports d'évacuation
d'étrangers des communes vosgiennes ainsi que les enquêtes sur les
personnes suspectées, sans permis de séjour ou manifestant une
conduite dérangeante concernaient surtout en cette fin d'année
1914 des Alsaciens-Lorrains277. Les statistiques cantonales
concernant les gens à évacuer confirment cette tendance. En
1914-1915 s'exprime une vive hostilité envers les Alsaciens, notamment
lors des manifestations de conscrits278. Néanmoins lors d'une
cérémonie de dépôt de gerbe en octobre 1914 à
Epinal par les conscrits de la classe 1915 sur le monument du quai de Juillet
et des membres du « Souvenir alsacien », et alors que les
autorités craignent des manifestations d'hostilité à
l'égard des Alsaciens, tout se passe sans incident279.
Si l'on en croit l'administration, à la fin de
l'année 1914, tous les Alsaciens-Lorrains qui se trouvaient en France au
moment de la mobilisation et qui ont pu établir, soit par des
pièces authentiques, soit par des « répondants »,
qu'ils sont vraiment d'origine alsacienne ou lorraine, ont reçu un
permis de séjour, délivré par les préfectures. Les
effets du permis de séjour sont toutefois limités, celui-ci
n'étant valable que pour une localité donné avec
l'agrément de la préfecture280.
274 H. Mauran, op. cit., pp. 443-444.
275 Ibid.
276 Ibid.
277 A.D.V., 4 M 421, Etrangers - Recensement (1914).
278 A.D.V., 8 M 191, enquêtes sur les Alsaciens dans les
Vosges (1914-1915).
279 A.D.V., 8 M 191, hostilité envers les Alsaciens,
rapports du commissaire spécial d'Epinal, 1914-1915.
280 H. Mauran, op. cit., p. 443.
Conclusion :
Les premiers mois de la guerre sont ainsi marqués par
un durcissement de la réglementation pesant sur les sujets
ressortissants allemands dans le département stratégiquement
important des Vosges. Les Allemands de sang, définis comme tels, sont
visés par des procédures spéciales et une surveillance
oppressante.
L'origine alsacienne-lorraine fait aussi l'objet d'une
définition stricte : il faut être né en Alsace-Lorraine de
deux parents qui y sont eux-mêmes nés. Celles et ceux qui ne
remplissent pas cette condition primordiale ne peuvent pas songer au retour
dans leur localité d'origine avant la fin de la guerre. Par ailleurs,
cette éventualité dépend du bon vouloir des
autorités locales, civiles ou militaires281. La situation de
l'Alsacien-Lorrain installé en France avant-guerre, mais
nonnaturalisé, ne semble donc finalement guère plus enviable que
celle de l'évacué des zones reconquises. Il est susceptible
d'être soumis, selon le bon vouloir de telle ou telle autorités,
à l'évacuation de zones considérées comme
stratégiques ou sensibles. Si, par malheur, il est fiché, comme
élément « douteux », « suspect », «
indésirable », « germanophile », il n'a alors aucune
chance d'échapper au filet que constitue le réseau internemental
français282.
281 H. Mauran, op. cit., p. 443.
282 Ibid.
Chapitre 3 - 1915 ou l'accroissement des contraintes
des étrangers.
A partir de l'hiver 1914, les Vosges est traversé par
une ligne de front au niveau de l'arrondissement de Saint-Dié qui le
divise en deux parties d'importance inégale : 25 communes du nord dont
Senones resteront sous domination allemande durant quatre ans283. Le
département comporte un espace dans la zone des armées,
territoire de la VIIe Armée en l'occurrence, qui fait l'objet d'une
réglementation spécifique. Chaque sommet ou chaque col devient
alors l'enjeu d'une lutte sans merci, dans laquelle chasseurs alpins et Poilus
ont paient un très lourd tribu. Des combats durs sont lieu pour la
reprise du Violu, du Spitzemberg, de la Fontenelle et sur la crête des
Vosges de 1915 à 1916.
Quelques mois après le début de la guerre, les
autorités civiles et militaires nationales et locales s'emploient
à accroître la surveillance des étrangers pour des raisons
de défense nationale, notamment les étrangers « ennemis
». Le 2 février 1915 le ministre de l'Intérieur Louis Malvy
invite ainsi les préfets à procéder sans délai
à la révision des permis de séjour accordés et
à retirer tous ceux indûment délivrés dont les
détenteurs devront suivant la situation être évacués
sur le camp de concentration le plus proche ou être signalés en
vue de rapatriement sur la Suisse284.
Pendant la Grande Guerre, l'état de siège permet
l'internement des personnes jugées dangereuses pour la
sécurité du pays. L'administration et la gestion de l'internement
dépendent du ministère de l'Intérieur. Le préfet,
relais de l'Etat dans le département, joue un rôle
prépondérant dans la direction et la gestion des camps qui sont
territorialement de sont ressort285. Pourtant dans les statistiques
vosgiennes de recensement ne sont signalés ni dépôts
d'Austro-Hongrois, ni dépôts d'Alsaciens-Lorrains, ni non plus de
simples centres de regroupement d'Alsaciens-Lorrains au 15 janvier
1915286. Comme on le verra la réalité est
différente mais elle est dissimulée au maximum dans les bulletins
officiels.
Par ailleurs, le rythme des acquisitions de la
nationalité française s'effondre pendant la Grande Guerre : 700
pour toute la durée du conflit contre 3 447 en 1913 et 4 029 en 1912.
Parallèlement, l'attitude de l'administration se durcit à
l'égard des naturalisés : la loi du 7 avril 1915 correspond
à un projet de dénaturalisation. Cette loi concerne les anciens
sujets des puissances ennemies, Allemagne, Autriche-Hongrie, Empire ottoman,
mais entraîne la suspicion envers leurs minorités, Polonais,
Slovaques, Tchèques, Slovènes287.
283 A. Ronsin, op. cit., réédition, « Les
Vosges au XXe siècle ».
284 A.D.V., 4 M 401, télégramme du ministère
de l'intérieur à l'intention des préfets, 02/02/1915.
285 H. Mauran, op. cit., pp. 279-312, chapitre VI « La
dynamique concentrationnaire : structuration et extension d'un dispositif
».
286 A.D.V., 4 M 495, statistique générale des
sujets allemands, alsaciens-lorrains présents dans le département
des Vosges au 15/1/1915.
287 J. Ponty, op. cit., pp. 91-122.
I - Le cas des Austro-Allemands.
Au 15 janvier 1915, 22 Allemands sont présents dans le
département des Vosges, tous ont un permis de séjour et donc
aucun ne se trouve dans les dépôts
d'Austro-Allemands288.
Le 5 février 1915, un télégramme
émanant du ministère de l'Intérieur289,
direction de la Sûreté générale, autorise la
délivrance de permis de séjour en dehors des cas exceptionnels
d'une part pour les Austro-Allemands ayant servi pendant plus d'un an dans
Légion étrangère et qui possèdent de bons
certificats militaires et d'autre part pour les femmes dont les maris sont
actuellement incorporés dans l'armée française. Toutefois
ces catégories d'étrangers ne bénéficient pas de
plein droit de ce traitement de faveur : il n'est accordé
qu'après examen de leur situation individuelle. Les listes des permis de
séjour accordés par arrondissement révèlent que ces
permis de séjour ne sont octroyés que dans de rares cas et selon
des critères draconiens en 1915290. Selon l'historien Michel
Huber, près de 1 700 Allemands et Austro-Hongrois
bénéficient de permis de séjour en août 1915 en
France, soit moins de 1,5 % des effectifs austro-allemands recensés en
mars 1911.
Dans l'arrondissement d'Epinal, seuls deux individus sont
concernés : Marie Coinus, 25 ans, Cheniménil, d'origine
française, mariée à un Badois évacué et
François Wagner, 61 ans, Nomexy, en France depuis 60 ans, qui a servi
à la Légion étrangère et est marié à
une Française. L'arrondissement de Neufchâteau fait le même
résultat. Les arrondissements de Saint-Dié et de Remiremont font
un peu mieux avec respectivement trois et quatre permis de séjour
accordés. Pour Saint-dié il s'agit de Charles Voelker, 60 ans,
Saint-Dié, en France depuis plus de 40 ans, qui a un fils et 2 gendres
soldats français ; Marie Riester, 41 ans, Raon-l'Étape,
religieuse maintenue par instruction ministérielle du 4/6/1915 (Soeur
Lucie) ; et Clara Meyer, soeur Catharina, 51 ans, de la même
façon. L'arrondissement de Mirecourt n'a octroyé qu'un visa
à Eugène Nicolas Schneiberg, 71 ans, Xaronval, Bavarois né
en France qu'il n'a jamais quittée, son gendre est à
l'armée française (20e escadron du train, 20e Cie).
Une circulaire adressée aux préfets en
février 1915 fait état de l'impossibilité de maintenir les
mesures exceptionnelles prévues par les instructions du 24 octobre 1914
en faveur des religieuses austro-allemandes291. Les instructions
générales doivent désormais leur être
appliquées. Les préfets doivent donc inviter les religieuses
austro-allemandes à prendre leurs dispositions pour regagner dans le
plus brefs délais leur pays d'origine par la voie de la Suisse ou, si
elles le
288 A.D.V., 4 M 495, statistique des sujets allemands,
alsaciens-lorrains présents dans les Vosges au 15/1/1915.
289 A.D.V., 4 M 401, télégramme du ministère
de l'intérieur, direction de la sûreté
générale à l'intention des préfets de France et
d'Algérie, 05/02/1915.
290 A.D.V., 4 M 495, permis de séjour des étrangers
de nationalités ennemies (1914-1918).
291 A.D.V., 4 M 401, télégramme du ministre de
l'intérieur sureté générale aux préfets de
France, 12/2/1915.
désirent, sur l'Espagne ou l'Italie. Toutefois il est
possible d'accorder selon les cas des permis de séjour provisoire
à celles qui sont d'un âge avancé ou qui ont un état
de santé difficile. Sur ordre du ministre de l'Intérieur, le
préfet Linarès fait diriger les gens sans permis de séjour
réguliers soit sur le camp de concentration le plus proche de son
département soit sur la frontière suisse dans le cas où le
rapatriement est autorisé. Quatre religieuses allemandes en
résidence dans les Vosges ont d'ailleurs été
internées le 4 juin au dépôt de Cuisery
(Saône-et-Loire)292.
Sur ordre du service de la Sûreté
générale du 28 juin, les Austro-Allemands auxquels ont
été délivrés des permis de séjour feront
désormais l'objet d'une surveillance accrue293. Ainsi une
attention particulière doit être portée à leur
correspondance, notamment pour ceux pour lesquels on n'a pas de garantie. Les
préfets peuvent accéder sur simple demande au Directeur
Départemental des Postes et Télégraphes aux
correspondances des Alsaciens-Lorrains en France vers l'est et surtout celle
qui leur est destinée et qui provient de l'étranger. Ils doivent
signaler tout courrier suspect au Ministère de l'intérieur et au
service postal. L'application de ces mesures relatives à la surveillance
de la correspondance des Austro-Allemands est confirmée par le
Préfet des Vosges à l'Etat-Major le 17 novembre294.
Plus la guerre avance et s'enlise, plus les mesures sont
contraignantes vis-à-vis des AustroAllemands. Les préfets sont
priés dans cette perspective de prendre plusieurs dispositions en
octobre 1915. Tout d'abord, ils doivent organiser la concentration de tous les
Austro-Allemands mobilisables notables ou suspects en vue d'une
évacuation sur des îles, et femmes, enfants et vieillards pour
être évacués sur la Suisse295. Des permis de
séjour provisoires pourront malgré tout être
délivrés par mesure d'humanité aux femmes, enfants
austro-allemands dont l'état de santé ne permettrait pas le
déplacement296 ou encore aux religieuses austro-allemandes
ayant pris engagement de ne pas quitter sans autorisation les localités
où elles se trouvent actuellement (correspondance 24 octobre). Pour les
Austro-Allemands ne rentrant dans aucun des cas exceptionnels
spécifiés précédemment, les permis de séjour
qui leur ont été accordés jusqu'à ce jour doivent
être immédiatement retirés et leurs détenteurs
soumis à la règle générale297.
Par ailleurs, l'attention de ministre de l'Intérieur
est appelée dans une circulaire du 29 novembre « sur le grand
nombre d'oeuvres ayant leur siège à l'étranger qui, sous
le couvert d'un but d'assistance, demandent soit aux directeurs de
dépôts d'internés, soit à divers fonctionnaires,
292 A.D.V., 4 M 495, correspondance préfet vosgien -
ministre de l'Intérieur, direction de la Sûreté
générale, 10/6/1915.
293 A.D.V., 4 M 401, correspondance ministre de
l'intérieur - préfets, 28/06/1915.
294 A.D.V., 4 M 401, lettre du préfet des Vosges à
l'Etat-Major, 17/11/1915.
295 A.D.V., 4 M 401, télégramme du ministre de
l'intérieur aux préfets, 01/10/1915.
296 A.D.V., 4 M 401, télégramme du ministre de
l'intérieur aux préfets, 10/10/1915.
297 A.D.V., 4 M 401, télégramme du ministre de
l'intérieur aux préfets, 10/10/1915.
soit à des prêtres, soit même à des
particuliers, des renseignements sur les Austro-Allemands internés ou
sur les Alsaciens évacués en territoire français
»298. La circulaire ministérielle évoque
l'intérêt qu'attache l'Administration supérieure à
ce qu'il ne soit jamais répondu directement à de semblables
demandes. Le préfet Linarès prie par conséquent les maires
de lui transmettre toutes celles qui leur seraient adressées ou au sujet
desquelles ils seraient consultés. Toute action charitable ayant pour
objet l'assistance aux internés civils austro-allemands est
centralisée à l'ambassade des Etats-Unis, à laquelle les
oeuvres susvisées doivent exclusivement s'adresser. Le préfet
ajoute que, d'une façon générale, « il ne doit jamais
être fourni aucun renseignement sur des Alsaciens évacués
en France, à des oeuvres ayant leur siège à
l'étranger »299. Les résultats par communes
révèlent en effet beaucoup de cas d'Allemands ou
Alsaciens-Lorrains.
Enfin, à partir du 6 décembre 1915 les
Allemandes et Autrichiennes par mariage mais Françaises d'origine
peuvent être remises en liberté pour rentrer dans leur
résidence habituelle ou dans leur famille
française300.
298 A.D.V., 4 M 431, correspondance préfet - maires
vosgiens, 18/12/1915.
299 Ibid.
300 A.D.V., 4 M 401, correspondance des ministères des
affaires étrangères, de l'intérieur et de la guerre,
06/12/1915.
II - Le cas plus particulier des Alsaciens-Lorrains.
En 1915, les Alsaciens-Lorrains sont nombreux dans le
département des Vosges : 1738 individus sont recensés à la
mi-janvier 1915, tous en résidence libre comme réfugiés,
et en permis de séjour comme ayant des ressources ou du
travail301. Beaucoup de ces hommes ne parlent que le dialecte, et
ils sont souvent victimes de méprises, car on les prend pour des
Allemands. L'administration les installe donc dans d'anciens couvents et
organise pour eux des cours de français ; les autres sont logés
chez l'habitant et trouvent du travail302.
Des commissions sont constituées début 1915 en
vue du classement des Alsaciens-Lorrains évacués sur les
départements intérieurs. Ces commissions sont habilitées
à délivrer aux AlsaciensLorrains qui sont reconnus d'origine
française et de sentiments présumés francophiles une carte
tricolore (circulaire du 28 mars). Elle a pour but de certifier les
constatations faites et de recommander les titulaires à la bienveillance
des autorités françaises. La carte tricolore tient lieu de permis
de séjour à condition qu'elle comporte la
photographie303 et leur donne donc le droit de s'installer dans la
résidence de leur choix ; mais elle ne confère aucun droit
particulier en matière de circulation. Finalement, les Alsaciens munis
de la carte tricolore sont simplement placés dans une situation
identique à celle des réfugiés français ou
belges304. Le nombre d'Alsaciens-Lorrains ayant obtenu
individuellement des permis de séjour dans le département est
alors pour 140 communes de 1738, dont 611 hommes, 813 femmes et 314
enfants305. En revanche, toutes les familles dont un membre avait
quitté la France pour répondre à l'ordre de mobilisation
allemande furent exclues de ce privilège et regroupés dans des
camps sous contrôle militaire306.
Les prisonniers de guerre alsaciens-lorrains d'origine
française sont, après vérification de leur
identité, envoyés dans des camps spéciaux : à
Lourdes (Hautes-Pyrénées), à Monistrol-sur-Loire
(Haute-Loire), à Rambert-sur-Loire (Loire). Le ministre de la Guerre les
encourage à contracter un engagement pour la durée de la guerre
dans les conditions de la loi du 5 août 1914. Ceux qui ne s'engagent pas
ne sont pas forcément maintenus en caserne : ils peuvent être
autorisés à travailler dans des usines ou des chantiers. La
catégorie O (otages) est remplacée, en mars 1915, par la «
catégorie S » (suspects). Cela revient à exclure
l'idée que les Alsaciens-Lorrains se situent en dehors du champ national
et peuvent faire l'objet d'échanges307.
301 A.D.V., 4 M 495, statistique générale des
sujets allemands, alsaciens-lorrains présents dans les Vosges au
15/1/1915.
302 J. Dupaquier, op. cit., pp. 60-70.
303 A.D.V., 4 M 401, télégramme-circulaire du
ministre de l'intérieur à l'intention des préfets,
20/03/1915.
304 A.D.V., 4 M 401, télégramme-circulaire du
ministre de l'intérieur à l'intention des préfets,
28/03/1915.
305 A.D.V., 4 M 495, recensement étrangers de
nationalités ennemies, 1915.
306 J. Dupaquier, op. cit., pp. 60-70.
Les Alsaciens évacués autoritairement par
l'Armée au moment des combats de 1915 dans le département des
Vosges ont posé des problèmes délicats aux
autorités et à la population. Les autorités
administratives vosgiennes durcissent le contrôle des Alsaciens-Lorrains.
Tout d'abord la circulation leur devient presque impossible308.
Ensuite leurs allocations seront payées en argent, ils toucheront
l'intérêt des avances et en matière d'assistance des
régimes spéciaux prévaudront pour les familles nombreuses
(mensualité complémentaire). Concernant l'assistance morale une
sorte d'éducation française devra être donnée aux
Alsaciens évacués. En outre, dans le domaine de la surveillance
une attention rigoureuse devra être portée envers les
ressortissants d'Alsace (devront faire l'objet d'enquêtes minutieuses).
S'ils sont suspectés et que le sous-préfet juge impossible leur
maintien dans l'arrondissement, il devra le signaler au Préfet qui
provoquera les mesures nécessaires à leur envoi dans des camps de
concentration309.
Par ailleurs, comme pour les Austro-Allemands, la
correspondance des Alsaciens-Lorrains fait l'objet d'une surveillance accrue.
Le ministère de l'Intérieur précise aux préfets que
la circulaire du 28 juin est applicable éventuellement aux
Alsaciens-Lorrains encore sujets allemands qui se trouvent en liberté
sur notre territoire avec permis de séjour ou cartes tricolores. L'ordre
est donné de signaler toute indication suspecte310.
Les Alsaciens originaires de la vallée de la Fecht et
de la région d'Orbey évacués dans l'arrondissement de
Remiremont en 1915, provoquent des troubles dans la population. Il s'agit en
particulier de la totalité de la population des communes de Soultzeren
et de Stosswihr, répartie dans les différentes communes de
l'arrondissement. A la différence des Alsaciens résidents avant
la guerre ou réfugiés volontaires du début du conflit,
ceux-là n'ont pas choisi de quitter l'Alsace311.
L'hostilité populaire envers les Alsaciens se manifeste
de façon symptomatique lors de la manifestation de conscrits de la
classe de 1916 de Thaon. Le 17 avril 1915 se tient une réunion entre de
nombreux Alsaciens ouvriers et ouvrières de la Blanchisserie à la
salle des fêtes, salle qui leur sert de dortoir. Les conscrits s'y
rendent et manifestent bruyamment leur hostilité en lançant
plusieurs pierres dans les vitres de la salle. D'une façon
générale, la population française de Thaon est hostile
à l'envahissement de la commune par l'élément
alsacien312.
307 H. Mauran, op. cit., p. 447.
308 A.D.V., 4 M 401, correspondance préfet des Vosges -
sous-préfet de Remiremont, 05/06/1915.
309 Ibid. Il est seulement fait mention dans les archives de
« camp de concentration », sans précision. On évoque la
possibilité de créer un camp dans les Vosges, mais on n'a pas le
fin mot de l'histoire.
310 A.D.V., 4 M 401, télégramme du ministre de
l'intérieur à l'intention des préfets, 26/09/1915.
311 R. Martin, op. cit., pp. 62-65.
312 A.D.V., 8 M 191, hostilité envers les Alsaciens,
manifestations de conscrits, rapports du commissaire spécial d'Epinal
(1914-1915). Pour explication, voir pp. 8 et 9.
Parallèlement, sur l'ensemble du territoire
français, les réseaux « bourgeois » d'AlsaciensLorrains
s'activent sur plusieurs plans : amélioration des conditions
matérielles par des dons ; embauches d'ouvriers par des entrepreneurs
d'origine alsacienne-lorraine ; efforts pédagogiques pour expliquer qui
sont les Alsaciens-Lorrains aux populations locales ; interventions pour la
libération ou le rapatriement des personnes313. L' «
Association pour l'Aide Fraternelle des Alsaciens-Lorrains »,
constituée le 2 février 1915 et déclarée en
préfecture le 25 février, oeuvre dans ce sens314.
Au-delà de son pôle administratif, l'Aide fraternelle dispose
d'innombrables relais dans les régions. L'emploi constitue une de ses
priorités au cours de l'année 1915. La commission des cours et
des bibliothèques s'est quant à elle attachée à la
scolarisation des enfants. L'Aide fraternelle a enfin souscrit un abonnement
pour chaque dépôt d'Alsaciens-Lorrains aux
Kriegsberichte, publication hebdomadaire rédigée en
français, en allemand et en dialecte alsacien. Les interventions de
l'Aide fraternelle sont parfois personnalisées. Elle attire ainsi
l'attention de l'administration sur tel évacué qui s'est vu
refuser l'allocation ou encore appuie la demande de rapatriement d'un
évacué digne de confiance. L'association envoie aussi des
délégués dans les départements, pour « se
mettre en rapports directs avec les réfugiés », pour «
se rendre compte [...] dans leur situation », pour « comparer [...]
les divers camps de concentration, qui ont été
gérés dans certains départements avec plus de soins que
dans d'autres »315.
L'Aide fraternelle n'est pas la seule à intervenir en
faveur des Alsaciens-Lorrains. La Ligue des droits de l'homme, par exemple, a
vocation à défendre les citoyens contre toute injustice. Tout
d'abord elle constitue pour les Alsaciens-Lorrains un service unique au lieu de
les soumettre à des administrations différentes et à des
règlements contradictoires. Elle fait également
bénéficier, dans la mesure compatible avec la sûreté
nationale, les compatriotes alsaciens-lorrains, d'un traitement de faveur qui
les distingue tout au moins des étrangers. L'action de la Ligue a abouti
à des résultats globaux impressionnants : une commission
interministérielle a été instituée pour coordonner
les règles relatives aux Alsaciens-Lorrains ; la carte tricolore est
désormais équivalente au permis de séjour ; les
Alsaciens-Lorrains qui en sont porteurs ne sont plus soumis au séquestre
; le ministère des Affaires étrangères a cessé d'
« échanger » des Alsaciens-Lorrains contre des internés
en Allemagne ; la mention « sujet allemand » a été
remplacée dans les pièces officielles par celle d' «
Alsacien-Lorrain d'origine française » ; ...316
313 H. Mauran, op. cit., pp. 464-466.
314 Ibid. Preuve de l'influence des responsables de l'Aide
fraternelle, le ministre de l'Intérieur adresse, dès le 23
février, à tous les préfets une circulaire
pour « accréditer l'association auprès d'eux » et la
« recommander à leur bienveillance. »
315 Ibid.
316 Ibid.
Conclusion :
1915 correspond à l'affirmation d'un système de
contraintes et de surveillance très organisé vis-à-vis de
la circulation et du séjour des étrangers. Il est
chapeauté par les autorités dirigeantes nationales et
l'Etat-major, l'application des directives étant réalisée
localement par les préfectures et autres instances administratives
locales.
Les ressortissants allemands présents dans les Vosges
sont alors recensés rigoureusement et leur cas fait parfois l'objet
d'enquêtes minutieuses visant à débusquer
d'éventuels espions ou indicateurs potentiels pour l'ennemi. Le sort des
Alsaciens-Lorrains s'organise très précisément et
distingue ceux qui sont d'origine française de ceux qui ne le sont pas.
Un seul cas de mariage miexte est évoqué pour 1915. La
dénommée Hecklé, d'origine alsacienne, résidant
à Châtel sur Moselle, ne possédant pas de permis de
séjour, a un projet de mariage avec Eugène Mooch, soldat au
cinquième régiment étranger, cinquième
régiment de chasseurs à cheval. Concernant l'éventuelle
possession d'une carte tricolore, le maire de Châtel dit simplement le 24
septembre 1915 : « Mme Hecklé a prétendu ne pouvoir se faire
photographier, faute d'argent ». Par conséquent il n'a pas
été possible de lui délivrer un permis de séjour.
Le maire n'a que de bons renseignements à donner sur
l'intéressée. Finalement, on ne connaît pas l'issue de la
situation317.
Il faut attendre les années 1916-1917 pour que le
traitement connaissent des évolutions notables.
317 A.D.V., 4 M 417, mariages mixtes.
PARTIE III :
Enracinement du conflit, intensification du
contrôle
(1916-1917)
Chapitre 1 : Accroître le contrôle
des Allemands au tournant de la guerre.
1916 et 1917 correspondent aux années charnières du
conflit, marquées par le retour de Clemenceau au poste de ministre du
Conseil. Le contrôle des Allemands est ainsi à son apogée
et donne naissance à de nouveaux document administratifs cartes
d'identité. Enfin, les Vosges accueillent plusieurs camps d'internement
pour civils allemands.
I - 1916 : pour l'armée française,
accroître la surveillance des étrangers.
Le 1er janvier 1916 est promulgué l'arrêté
du général commandant en chef les armées
françaises, Joseph Joffre, réglementant la circulation et le
séjour des étrangers dans la zone des armées. Cet
arrêté318 stipule que des listes de recensement doivent
être fournies à l'Autorité militaire qui délivre des
« carnets d'étrangers ». Théoriquement, cet
arrêté ne touche pas dans les Vosges les Austro-Allemands qui
devaient dès 1914 quitter le périmètre du camp
retranché ou le pays. Oblitéré et accompagné d'une
photo d'identité, le carnet d'étranger délivré
grâce au précieux certificat d'immatriculation, permet à
son possesseur, à partir du 10 février 1916, de «
pénétrer dans la zone des armées ou en sortir, y circuler,
y séjourner ou y changer de résidence ». Désormais,
l'Autorité militaire aura donc seule qualité pour accorder dans
la zone des armées ou pour cette zone des permis de séjour ou des
sauf-conduits aux étrangers319.
Les étrangers qui, à la date du 1er
décembre 1915, sont en résidence régulièrement
autorisée dans la zone des armées, recevront directement leur
carnet. Toutefois, s'ils ont à se déplacer avant qu'ils en aient
reçu délivrance, ils devront en faire la demande320.
Une liste des sujets allemands en permis de séjour dans les Vosges fin
1915 fait apparaître 32 individus, alors qu'on n'en comptait que 22 au 15
janvier ; une récapitulation donne un résultat global de 39
Allemands présents dans le département, dont 9 hommes, 19 femmes
et 11 enfants et répartis comme suit : 12 dans l'arrondissement
d'Epinal, 10 à Mirecourt, 3 à Neufchâteau, 11 à
Remiremont, 3 à SaintDié321. Il s'agit de femmes
surtout, de tous âges, souvent d'origine française ou en France
depuis longtemps, dont le mari a été évacué,
d'anciens légionnaires ou encore de religieuses allemandes
évacuées en vue de rapatriement sur la Suisse, qui sont
disséminés dans les communes du département, dont cinq
à Epinal. Onze personnes ont fait l'objet d'une procédure
d'évacuation322.
318 A.D.V., 4 M 401, document original de l'arrêté
du 01/01/1916 du général commandant en général les
armées françaises, janvier 1916.
319 A.D.V., 4 M 401, correspondance général
commandant le dépôt des armées de Lorraine (D.A.L.) -
préfet des Vosges, 26/01/1916.
320 A.D.V., 4 M 401, note pour la presse relative aux mesures de
l'arrêté du 01/01/1916, février 1916.
321 A.D.V., 4 M 495, liste des sujets allemands en permis de
séjour dans le département des Vosges au 31/12/1915.
322 Ibid.
En décembre 1915 le préfet Linarès
rappelle que l'Administration supérieure a ordonné
l'évacuation générale et sans exception des religieuses
austro-allemandes dont la présence avait pu, jusqu'alors, être
tolérée, et qu'à l'heure actuelle, il ne devrait plus y
avoir de religieuses de ces nationalités dans le
département323. Or 7 religieuses sont maintenues à
Portieux et la supérieure générale, Sainte-Marie-Etienne
Walter, supplie le préfet de les maintenir les 9 et 18 décembre
ou tout au moins que leur séjour hors de la zone des armées
puisse être fait dans la maison de Charrette (filiale du couvent de
Portieux en Saône-et-Loire). Ces religieuses ont reçu un permis de
séjour collectif à la mobilisation car elles n'étaient pas
dangereuses, pouvaient rendre des services à la commune et
étaient indispensables à leur établissement. Elles
viennent presque toutes du duché de Bade, une est Wurtemburgeoise. Le 3
août elles reçurent l'ordre de quitter Portieux pour être
dirigées sur le centre de concentration de Vittel-Contrexéville.
Mais elles purent rentrer à leur résidence, nanties de leur
permis collectif. Le préfet évoque ces cas le 19 janvier 1916 au
ministère de l'intérieur (Sûreté
générale)324. Agathe, Marie-Thérèse,
Emilie et Elisabeth Hummel, Maria Oesterie et Louise Kolb, religieuses
allemandes du couvent de la Providence de Portieux, ont quitté cet
établissement le 11 janvier pour se rendre à Charrette afin d'y
séjourner un mois avant de regagner la Suisse. Deux autres, Barbe
Gratwohl et Frédérique Zimmermann, ont été
maintenues provisoirement sur production d'un certificat médical
attestant que leur état de santé les met dans
l'impossibilité de voyager sans danger de mort. Enfin, Ursuke Fromm,
également religieuse allemande, mais d'une autre congrégation,
l'Ordre de Niederbronn à Epinal, quitte Epinal, le 8 janvier, pour
Tournus, où elle demeurera un mois avant de se rendre en Suisse.
Consécutivement à l'achèvement du travail
de premier établissement des carnets d'étrangers, le
général de division de la VIIe Armée, le
général de Villaret, précise au préfet des Vosges
que les prescriptions de l'Arrêté du 1er janvier devront à
partir du 1er mai être rigoureusement appliquées325.
Enfin, un avis important de mars 1916 comporte des dispositions
spéciales concernant les ouvriers étrangers embauchés pour
des travaux à exécuter dans la zone des
armées326. Des procédures contraignantes leur sont
alors imposées, ils doivent fournir tout un tas de documents pour
pouvoir rester en place. Cet avis est transmis au préfet des Vosges par
les généraux Francfort et Hache, respectivement commandant
d'Armes de la Place d'Epinal, Commandant la deuxième subdivision de la
21e région et commandant de la 21e région327. Le
préfet envoie à son tour, le 22 mars, l'avis en question pour
qu'ils les communiquent à la presse aux sous-préfets de
Saint-Dié, Mirecourt, Neufchâteau et Remiremont.
323 A.D.V., 4 M 514, correspondance préfet - ministre de
l'intérieur, 19/1/1916.
324 A.D.V., 4 M 514, correspondance préfet - ministre de
l'intérieur, 19/1/1916.
325 A.D.V., 4 M 401, correspondance du général
commandant la VIIe Armée au préfet des Vosges, 26/04/1916.
326 A.D.V., 4 M 401, avis concernant des dispositions
spéciales pour les ouvriers embauchés pour des travaux à
effectuer dans la zone des armées, mars 1916.
327 A.D.V., 4 M 401, bordereau d'envoi de l'avis par les
généraux Francfort et Hache de la 21e région,
18/03/1916.
II - 1917 : naissance des cartes d'identité
d'étranger et surveillance.
Concernant spécifiquement les Vosges, le ministre de
l'Intérieur réclame début 1917 une surveillance accrue des
travailleurs étrangers ressortissants des puissances ennemies
(AustroAllemands, Bulgares, Turcs)328. Le préfet constate le
1er mars qu'un certain nombre d'étrangers résident dans le
département sans permis de séjour parce qu'ils auraient
contracté ou tenté de contracter un engagement à la
Légion étrangère, cet engagement n'ayant pas
été accepté, ou une réforme n°2 étant
intervenue329. Les maires et commissaires de police vosgiens
invitent tous les étrangers réformés n°2 et les
anciens candidats à l'engagement, refusés ou ajournés,
à leur remettre les pièces (livrets, certificats, fiches,
bulletins) délivrés par l'Autorité militaire. Ils doivent
en vérifier l'authenticité et la portée, en vue de la
délivrance, par l'Armée, du carnet prescrit par
l'arrêté du Général en chef, en date du 1er janvier
1916. Les Austro-Allemands anciens légionnaires ne doivent
bénéficier de cette faveur que s'ils ont servi un an au moins
dans la Légion et s'ils ont de bons certificats
militaires330.
Le 2 avril est institué un décret important
« portant création d'une carte d'identité à l'usage
des étrangers ». La simple déclaration de résidence
prévue par le décret du 2 octobre 1888 n'a plus de raison
d'être puisque, pour obtenir une carte d'identité
d'étranger, il faut fournir à peu près les mêmes
renseignements. Ce décret creuse un fossé entre Français
et étrangers qui, seuls, sont obligés de détenir une carte
d'identité. La réforme a trois objectifs : assurer
l'identité de tous les étrangers et non plus seulement des
nomades, contrôler leurs déplacements, permettre au « service
central » nouvellement créé au ministère de
l'Intérieur de les dénombrer en tenant compte des entrées,
des décès, des sorties. Mais la procédure va
s'avérer laborieuse331.
En exécution d'un arrangement conclu avec l'Allemagne
et relatif à des rapatriements réciproques d'enfants, le
Gouvernement français décide que les enfants allemands ou
alsacienslorrains se trouvant actuellement en France libre ou en Alsace
réoccupée, et qui sont réclamés par leurs parents
restés en Allemagne ou en Alsace-Lorraine annexée, seraient
renvoyés en Allemagne, par la Suisse, dans les plus brefs
délais332.
328 A.D.V., 4 M 401, correspondance ministre de
l'intérieur - préfets, 23/02/1917.
329 A.D.V., 4 M 401, correspondance du préfet des Vosges
à l'intention des maires et commissaires de police vosgiens,
01/03/1917.
330 A.D.V., 4 M 401, correspondance préfet des Vosges -
maires et commissaires de police vosgiens, 01/03/1917, par rapport à la
mesure préfectorale du 1er mars 1917 sur la délivrance du carnet
d'étranger aux anciens candidats à l'engagement, refusés
ou ajournés,
331 H. Mauran, op. cit. Sur 140 000 personnes qui sollicitent une
carte d'identité, seuls 6 000 dossiers seront traités avant avril
1918, avec 500 refus suivis d'internement. Le chiffre de 140 000 ne constitue
en rien une statistique de la présence étrangère en France
en 1917-1918. S'en trouvent dispensés, de facto, les prisonniers civils.
De plus, un second décret pris dans la foulée crée une
sous-catégorie, celle des « travailleurs étrangers »,
avec un autre type de carte d'identité.
332 A.D.V., 4 M 514, circulaire du ministre de
l'intérieur, 07/06/1917.
Recensements et permis de séjour des Allemands dans
les Vosges au 1er juillet 1917333 :
|
Recensements
|
Permis de séjour
|
Arrondissement Epinal
|
18
|
2
|
Arrondissement Mirecourt
|
18
|
0
|
Arrondissement Saint-Dié
|
5
|
0
|
Arrondissement Remiremont
|
5
|
2
|
Arrondissement Neufchâteau
|
5
|
0
|
Départs et décès
|
3
|
-
|
Total
|
48
|
4
|
Au 1er juillet 1917, se trouvent dans les Vosges 48 Allemands.
Mais seuls 4 d'entre eux possèdent un permis de séjour ou carte
tricolore (Thaon). Par exemple, Lucie Marie Laroche, épouse Arnold,
née le 30 juillet 1888 à Lure, repasseuse, de nationalité
allemande par le mariage, est dépourvue de carnet. Son mari Oscar Henri
Arnold, né en Saxe en 1882, Allemand, peintre en bâtiments, a
été évacué au début des hostilités et
interné dans un camp de concentration du département de la
Manche. Au contraire, à Bruyères, Anna Wolf, Allemande, a obtenu
un carnet d'étranger (née en 1863)334. Au cours du
même mois, le préfet signale que 39 Austro-Allemands au total sont
autorisés à résider dans son département, dont 17
Allemands. Parmi eux, sept ont des parents dans armée française
(3 hommes, 2 femmes, 2 enfants), cinq sont des femmes de nationalité
allemande et d'origine française et 5 personnes font partie de
catégories spéciales et maintenus par décisions de
l'autorité militaire335.
En août 1917 sont déclarés 606
assurés (retraites ouvrières et paysannes) parmi les Alsaciens
actuellement évacués dans le département, dont 525
inscrits « Alsaciens » et 81 « Allemands ». Concernant les
Allemands, Cornimont en compte 45 et Bussang 23336.
Pour 1917 un individu allemand est condamné pour
infraction de la loi sur le séjour des étrangers et à
l'arrêté du Général en chef du 1er janvier 1916 :
Charles Friess. Cet Allemand, né Badois, qui s'était
dissimulé sous une nationalité suisse, dut payer 100 F
d'amende337.
333 A.D.V., 4 M 403, recensement semestriel des étrangers,
01/07/1917 / 4 M 495, recensements des étrangers par arrondissements,
1917.
334 A.D.V., 4 M 495, recensements des étrangers par
arrondissements, 1917.
335 A.D.V., 4 M 495, télégramme préfet des
Vosges - ministre de l'intérieur, juillet 1917.
336 A.D.V., 8 M 191, surveillance des sujets alsaciens,
13/08/1917.
337 A.D.V., 4 M 480, étrangers en situation
irrégulière, 1917.
III - Dépôts et centres de triage pour civils
allemands dans les Vosges.
Les camps d'internés civils se distinguent des
cantonnements et des détachements de prisonniers de guerre et sont plus
des espaces sociaux qui remplissent surtout une fonction globale de
contrôle. Dans les zones d'opérations existent de nombreux
dépôts de ressortissants de puissances ennemies338. Au
milieu de 1915, le nombre des internés civils était de 21 000
dont 7 500 Allemands et 4 600 Austro-Hongrois339. Après le
temps des évacuations massives, un dispositif de filtrage s'est mis en
place dans l'est de la France. Ainsi, au fil de l'année 1915, la
politique d'internement se rationalise, notamment avec l'intervention
bénéfique des commissions de triage, la mise en oeuvre d'une
typologie plus rigoureuse, le renforcement des prérogatives de
l'Inspection générale des services administratifs
(IGSA)340.
Le peuple des camps d'internement est composé en fait
de civils ennemis susceptibles de saboter de l'intérieur l'effort de
guerre français. On les classe en trois catégories : «
dangereux, suspect, indésirable »341. Les civils n'ont
pas réussi à quitter la France à temps, ils sont aussi des
ressortissants de pays ennemis capturés en mer ou internés
administrativement dans les territoires d'outre-mer. S'ajoutent à ces
hommes suspectés de pouvoir constituer une cinquième colonne, un
nombre considérable de femmes, d'enfants et de vieillards qui peuvent
être classés dans une catégorie particulière
située entre l'otage et l'interné. Beaucoup d'Allemands et
Austro-Hongrois furent donc internés à partir de 1915, parfois
après enquêtes, dans des dépôts répartis sur
tout le territoire, les permis de séjour étant
réservés à des cas spéciaux. Après l'accord
d'échange du 13 janvier 1916, le nombre des internés tomba
à moins de 10 000342.
Les Alsaciens-Lorrains repérés par les
administrations civiles et militaires passent désormais
généralement par les camps de triage à Bellevaux
(Besançon), Blanzy (Saône-et-Loire), Fleuryen-Bière
(Seine-et-Marne) et La Ferté-Macé (Orne). Ils sont ensuite
séparés d'autres catégories : réfugiés
français, ressortissants de puissances ennemies, prostituées.
Après un séjour plus ou moins long, ils sont soit
libérés, soit dirigés, en fonction de leur
catégorie, vers l'un des trois types de dépôts existants :
les dépôts libres, à destination de la catégorie
n°2, c'est-à-dire ceux qui sont titulaires de la « carte
tricolore » (Doubs, Ardèche), les dépôts
surveillés, à destination de la catégorie n°1,
à savoir ceux titulaires de la « carte blanche »
(Vendée, Ardèche) et les dépôts de suspects,
à destination de la catégorie S, sans carte
spécifique343.
338 H. Mauran, op. cit., pp. 381-474.
339 R. Schor, op. cit., pp. 30-44.
340 H. Mauran, op. cit., p. 461.
341 Ibid.
342 J. Dupaquier, op. cit., pp. 60-70.
343 H. Mauran, op. cit., pp. 455-456.
Les dossiers d'individus alsaciens domiciliés dans les
Vosges avant la guerre et évacués sur l'intérieur du pays
dans l'intérêt général de l'armée sont
nombreux, environ 80344. Ils passent généralement par
le centre de triage de Besançon, comme Peter Diehlmann en 1916. Mais
prisonnier de guerre, il est rapatrié à l'hôpital
Saint-Maurice d'Epinal, pour son état de santé, où il
était traité auparavant. C'est la Mission Catholique suisse en
faveur des prisonniers de guerre qui a sollicité cette
requête345. Les soeurs Amélie et Elisa Brini,
Alsaciennes, sont évacuées de Thaon, où elles
étaient infirmières à la Blanchisserie, pour Dijon.
Certains sont dirigés directement vers les camps spéciaux de
l'intérieur : en Haute-Marne, Haute-Loire, camps de Baccarat, Manche,
Tatihou, Puy-de-Dôme, Doubs346.
Certains évacués alsaciens résidant
précédemment dans le département demandent à
revenir mais étaient assez mal vus en général. Ainsi
Jean-Baptiste Genet et son épouse, évacués au Puy
(Haute-Loire), ont été autorisés en 1916 à
retourner à Golbey. L'état des laissez-passer accordés en
1915 fait état de 15 individus nantis, venus surtout de Thann. Plusieurs
demandes pour se rendre dans les Vosges émanent d'autres
évacués sans lien avec le département. Beaucoup demandent
à être libérés et autorisés à aller
dans les Vosges347.
Dans les Vosges on trouve des traces de quelques centres de
dépôts ou de triage d'AustroAllemands ou d'Alsaciens-Lorrains.
Tout d'abord, le camp de Soulosse est évoqué
comme un « centre d'évacuation » qui n'aurait
fonctionné qu'au début de la mobilisation et sans le
contrôle de l'autorité militaire348. C'est en fait un
camp de concentration provisoire où des étrangers ont
été réunis dès la mobilisation, avant d'être
évacués dans l'intérieur par l'Autorité militaire.
Les informations et la connaissance même des contemporains sur ce camp
sont très réduites, comme en témoigne le ministre de
l'Intérieur dans une correspondance de juillet 1917 : « Les
officiers qui le dirigeaient ont reçu des affectations que j'ignore et
je n'ai jamais pu obtenir le moindre renseignement sur les diverses directions
assignées aux individus qui y avaient été
rassemblés »349. Néanmoins, deux hommes sont
signalés comme y ayant séjourné : Lorang Gaspard (1916,
sujet allemand) y a été dirigé avant internement vers
autre part et Mathieu Reiss (1917).
Le camp de Bulgnéville est un cas un peu similaire. Le
ministre de l'Intérieur constate d'ailleurs le 14 janvier 1918 : «
Il n'est pas possible de fournir des renseignements sur les personnes
évacués qui sont passées par le camp de concentration de
Bulgnéville au début de la
344 A.D.V., 4 M 496, op. cit.
345 A.D.V., 4 M 496, Ministère de l'Intérieur,
23/07/1917.
346 Ibid.
347 Ibid.
348 A.D.V., 4 M 496, op. cit., 23/07/1917.
349 A.D.V., 4 M 496, Ministère de l'Intérieur,
23/07/1917.
mobilisation. Le personnel exclusivement militaire qui
assurait le service est actuellement dispersé et n'a laissé
aucune documentation »350. Un certain Auguste Acker, Allemand,
15 ans et demi, aurait été évacué de
Lunéville sur le camp de Bulgnéville en 1915. Mais il ne figure
pas sur la liste des étrangers étant passé au camp de
concentration de Bulgnéville, du 2 au 12 août 1914. Juliette Nunge
et son enfant y auraient été également de passage en 1916,
ainsi que Boech Joseph, 1915. Tous les étrangers passés à
Bulgnéville à cette époque ont été
dirigés sur Voisey (Haute-Marne) le 12 août 1914351.
Enfin, depuis 1915, la région du Syndicat et de
Remiremont n'est plus une zone de combats et Remiremont, devenu quartier
général de l'Armée des Vosges (VIIIe Armée), est un
centre d'hébergement et de triage des prisonniers de guerre que la
proximité de la frontière amène
régulièrement352.
Conclusion :
Le séjour et la circulation des Allemands au tournant
de la guerre (1916-1917) est poussée à son paroxysme. Il n'est
pas question de relâcher le contrôle au moment où les
hostilités vont basculer peut-être décisivement et
où la moindre erreur peut coûter cher. Quelques évolutions
majeures surviennent, comme les cartes d'identité d'étranger et
de travailleur étranger. Les Vosges accueillent quelques
dépôts de triage et camps d'internement pour civils allemands,
notamment à Soulosse et Bulgnéville.
350 Ibid, 14/01/1918.
351 Ibid.
352 J.-M. Lambert, LAMBERT (Jean-Marie), « Un camp de
travail de prisonniers allemands au Syndicat. La Compagnie P.G. 171 à
Champé, Le Syndicat 1916-1919 », in Le Pays de Remiremont,
1981, n°4, pp. 71-72.
Chapitre 2 - Le traitement spécial des
Alsaciens-Lorrains.
Le sort des Alsaciens-Lorrains est toujours particulier
pendant le conflit et ils sont traités de façon spéciale :
officiellement Allemands donc ennemis, ils sont considérés comme
des Français en puissance. En 1916 le titre d' Alsacien-Lorrain remplace
la mention « sujet allemand » dans les documents
officiels353. Mais ils font encore l'objet d'une surveillance et
d'un contrôle strict et dur : dans les Vosges des cas suspects sont ainsi
signalés en 1916 à Saint-Dié ou encore à Thaon,
lors d'un incendie à la blanchisserie teinturerie354. Ils
sont également les grandes victimes de la politique française
d'évacuation et d'internement355. Le nombre
d'Alsaciens-Mosellans en France va augmenter au cours de la guerre :
réfugiés civils, déserteurs profitant des combats sur le
sol français pour s'enfuir356. En 1916, ceux qui ont été
internés retrouvent la liberté dès que les
autorités ont acquis la certitude qu'il ne s'agit pas d'Allemands vivant
en Alsace357.
Au 31 décembre 1915 3 550 Alsaciens-Lorrains
étaient en résidence dans les Vosges, dont 1197 hommes, 1284
femmes et 1069 enfants notamment dans les arrondissements de Saint-Dié,
Remiremont et Epinal358. Au 1er juillet 1916, ils sont au nombre de
5050 dans les Vosges, ce qui en fait le premier contingent immigré du
département à cette date, devant les Italiens359.
Après les balbutiements des années 1914-1915, le
contrôle administratif de la population alsacienne et lorraine s'appuie
sur une définition se voulant aussi raisonnée et rigoureuse que
possible de ce mot composé : « Alsacien-Lorrain
»360. Les instructions de l'Arrêté du 1er janvier
1916 ne sont pas applicables aux Alsaciens-Lorrains qui restent provisoirement
sous le régime ancien361. Les Alsaciens-Lorrains d'origine
française, restent donc soumis en ce qui concerne la circulation aux
mêmes instructions que les sujets français362. Il importe dans les
documents administratifs, à la rubrique « nationalité »
de les qualifier d' « Alsaciens-Lorrains d'origine française »
et non point de « sujets allemands ». Les Alsaciens-Lorrains n'ayant
pas cette origine seront considérés comme étrangers. Fin
1916, il existait quatre dépôts de triage où la commission
de classement examinait une fois par mois les prisonniers qui y étaient
envoyés après leur arrestation : Besançon, Blanzy,
Fleury-en-Bière et La Ferté-Macé.
353 J. Ponty, op. cit., pp. 91-122.
354 A.D.V., 8 M 191, Enquêtes - Surveillance de sujets
alsaciens (1914-1918).
355 H. Mauran, op. cit., pp. 381-474.
356 Janine Ponty, op. cit., pp. 91-122.
357 Ibid.
358 A.D.V., 4 M 495, liste des sujets alsaciens en
résidence dans le département au 31/12/1915.
359 A.D.V., 4 M 403, recensement semestriel des étrangers
en résidence dans les Vosges, 01/07/1916.
360 H. Mauran, op. cit., p. 446.
361 A.D.V., correspondance préfet des Vosges - maires et
commissaires de police vosgiens, 05/02/1916.
I - La machine administrative.
Les autorités françaises classent les
Alsaciens-Lorrains alors présents sur le territoire français en
quatre groupes : ceux qui se trouvaient déjà en France au moment
de la déclaration de guerre ; les réfugiés,
c'est-à-dire les personnes qui ont pu quitter volontairement les
régions annexées depuis le début de la guerre ; les
Alsaciens-Lorrains habitant les pays alliés ou neutres qui sont venus en
France ; et ceux qui ont été évacués
d'Alsace-Lorraine « par les soins de l'autorité militaire, soit
pour les soustraire à la mobilisation allemande, soit pour des motifs
d'ordre militaire »363.
Dans les trois premiers groupes figurent des individus
à qui ont été remis des permis de séjour dès
le début des hostilités. Les autres cas sont examinés par
la Commission Interministérielle des Otages et Evacués
alsaciens-lorrains, généralement dans des dépôts de
triage, pour être classer dans trois grandes catégories, chaque
catégorie déterminant un type de régime. La
catégorie N°1 regroupe ceux qui sont «
considérés comme d'attitude incertaine et de sentiments douteux
», les fonctionnaires rémunérés par l'Etat allemand,
les prostituées, les marchands ambulants et les forains, les
romanichels, les repris de justice. Ils sont pourvus d'une carte blanche et
jouissent d'une liberté relative364 : leurs droits de
déplacement et de résidence se trouvent limités. Les
réfugiés, c'est-à-dire les personnes qui avaient pu
quitter volontairement les régions annexées depuis le
début de la guerre, présumés de sentiments francophiles,
reçoivent une carte tricolore, gage de leur loyauté, et peuvent
prétendre, s'ils ont un travail, à l'allocation de
réfugiés ou à être reçus dans des
dépôts libres s'ils ne parlent pas la langue française
(catégorie n°2). Enfin, ceux qui sont « suspects au point de
vue national » (catégorie S), à savoir des
Alsaciens-Lorrains ayant tenu des propos hostiles, les déserteurs de
dépôts d'internement, les personnes sur qui pèsent des
présomptions d'espionnage sans que la preuve de leur culpabilité
puisse toutefois être établie.
Par ailleurs, à partir de 1916, la Légion
étrangère cesse enfin d'être le passage obligé,
même s'il n'était en principe que symbolique, pour les
Alsaciens-Lorrains désireux de s'engager. Par décision du 29
février 1916, une commission à l'intérieur de chaque
bureau de recrutement est créée pour examiner le cas de chaque
candidat365. La commission comprend trois personnes originaires
d'Alsace-Lorraine. Le ministère de la Guerre décide que les
officiers et sous-officiers inaptes à faire campagne, tenant garnison
dans la ville où se trouve le bureau de recrutement ou à
proximité de celle-ci, seront employés en priorité.
362 A.D.V., 4 M 401, circulaire du général
commandant en chef Joffre, 07/05/1916.
363 C. Maire, op. cit., p. 19.
364 C. Maire, op. cit., p. 20.
365 H. Mauran, op. cit., p. 416.
A défaut d'officiers, il est possible d'en appeler
à des civils présentant les « garanties nécessaires
», mais un officier au moins devra leur être adjoint. Selon le
lieutenant-colonel Carré, cette décision efface l'effet
désastreux de la loi du 5 août 1914 qui aurait constitué
une véritable maladresse de la part du gouvernement à
l'égard des Alsaciens-Lorrains.
Pour régler la situation des Alsaciens-Lorrains dans la
zone des armées, une Commission militaire est instituée en 1916
avec mission de statuer sur le régime à appliquer à chacun
d'eux366. Cette commission fonctionnant à l'Etat-Major de la
VIIe Armée est habilitée à délivrer une carte
d'identité spéciale aux Alsaciens-Lorrains d'origine
française. D'ailleurs le préfet vosgien demande aux maires du
département de lui transmettre la photographie de face (4 cm X 4 cm) des
individus concernés en vue de l'établissement de cette carte
d'identité spéciale367. La présentation de cette carte
permettra aux maires de délivrer à tout Alsacien-Lorrain qui en
sera titulaire dans leur localité, le sauf-conduit prescrit par la
nouvelle instruction sur la circulation pour les citoyens français,
à condition de mentionner sur le dit sauf-conduit le numéro de la
carte présentée.
Parallèlement, l'administration a défini sa
position vis-à-vis des nombreux Alsaciens évacués par
l'Autorité militaire dans une série de textes
déposés aux Archives départementales des
Vosges : rapport du Préfet, du 11 novembre 1915, et
circulaires du préfet aux maires, des 14 septembre 1916 et 26 novembre
1917368.
Les Alsaciens-Lorrains évacués des territoires
occupés sur le territoire national à la suite
d'événements militaires sont des réfugiés, comme
tels astreints à ne pas quitter la commune dans laquelle ils ont
été affectés, sans autorisation de la VIIe Armée,
et ils sont bénéficiaires d'une allocation de 1,25 F par personne
et par jour369. S'inspirant de sa décision du 16 septembre
1916 et des instructions du Général commandant en chef du 23
septembre, qui autorisent dans certains cas l'allocation d'un traitement de
disponibilité aux fonctionnaires alsaciens évacués en
France, le ministre de la guerre décide que les administrateurs
militaires des territoires occupés pourront, après avis des
préfets, accorder l'allocation mensuelle de 15 F aux anciens combattants
alsaciens de 1870-71 qui sont réfugiés dans les
départements français370.
Le bénéfice de ces allocations est primitivement
réservé aux ayant droits résidant en Alsace reconquise.
Mais, par dépêche du 28 septembre 1917, N° 763, le
président du Conseil, ministre de la Guerre, en autorise l'extension aux
anciens combattants alsaciens réfugiés en France. Ces allocations
seront imputées sur le budget des Territoires et envoyées par
mandat-poste aux
366 A.D.V., 4 M 401, circulaire préfectorale à
l'intention des maires vosgiens, 02/08/1916.
367 A.D.V., 4 M 401, correspondance préfet des Vosges -
maires et commissaires de police vosgiens, 14/09/1916.
368 R. Martin, op. cit., pp. 62-65.
369 Ibid.
370 A.D.V., 4 M 533, correspondance ministère de la
guerre, service d'Alsace-Lorraine - Painlevé, 28/08/1917.
intéressés. Enfin il sera possible de
délivrer du bois de chauffage aux évacués alsaciens
réfugiés à Cornimont et aussi à ceux qui se
trouvent à Saulxures. Ce bois sera pris dans les forêts domaniales
de Cornimont et du Géhant371.
En outre, il a paru au ministre de l'intérieur que dans
le but d'établir une liaison entre les municipalités et les
Alsaciens, il serait désirable que dans les localités où
il existe un nombre important de réfugiés alsaciens (Val d'Ajol,
Cornimont, Saulxures, etc.) un Alsacien soit adjoint au secrétaire de
mairie, pour recevoir les demandes de ses compatriotes et s'entremettre pour
les faire examiner (mesures de septembre en faveur des Alsaciens
évacués par l'Autorité militaire)372. Mais la
correspondance qui leur est adressée d'Allemagne via la Suisse est
contrôlée par les commissions militaires de Pontarlier, le
courrier soumis au contrôle postal373. La surveillance des
personnes est menée conjointement par l'armée et par la police,
ce qui ne manque pas d'entraîner des conflits de compétence,
l'armée ayant tendance à considérer les
évacués comme de son seul ressort. Les soumettre à
l'obligation du carnet d'étranger, c'est renoncer à ce pourquoi
la France se bat, les assimiler aux Français, c'est violer le droit
international.
Ainsi ces Alsaciens sont munis d'une carte blanche qui fixe
pour chacun d'eux, après accord avec l'Etat-Major de l'Armée, les
communes du territoire national à l'intérieur desquelles ils sont
autorisés à circuler dans les mêmes conditions que les
citoyens français374. En juillet, le Général en
chef autorise les Alsaciens évacués collectivement pour raison de
péril de guerre sur le territoire de la VIIe Armée à
utiliser la carte d'identité blanche comme carte de circulation dans le
périmètre fixé sur leur carte375. Cette faveur
est limitée à la circulation dans la zone réservée
sans donner la faculté d'en sortir. Les cartes d'identité devront
pour être ainsi utilisées porter visa du Général
commandant la Division de la résidence des intéressés.
En vue de l'établissement des cartes spéciales
réservées aux Alsaciens-Lorrains réfugiés, ycompris
les enfants âgés de plus de 12 ans, un avis vosgien du 23 novembre
1917 invite les individus concernés à se présenter
à la mairie de leur commune pour fournir tous les renseignements
nécessaires sur leur état-civil et apporter les pièces
justificatives qu'ils possèdent376. L'Autorité
Militaire préparera la nouvelle carte qui sera remise à chacun en
échange de la carte dont ils sont actuellement porteurs.
371 A.D.V., 4 M 533, correspondance conservateur des eaux &
forêts du 9e arrondissement - préfet vosgien, 29/06/1916.
372 A.D.V., 4 M 533, correspondance ministre de
l'intérieur - préfet vosgien, 03/11/1917.
373 R. Martin, op. cit., pp. 62-65.
374 Ibid.
375 A.D.V., 4 M 401, correspondance VIIe Armée, Etat-Major
- préfet des Vosges, 15/07/1917.
376 A.D.V., 4 M 401, avis municipal, 23/11/1917.
En exécution de l'arrangement conclu avec l'Allemagne
et relatif à des rapatriements réciproques d'enfants, les enfants
allemands ou alsaciens-lorrains se trouvant actuellement en France libre ou en
Alsace réoccupée et réclamés par leurs parents
restés en Allemagne ou en Alsace-Lorraine annexée, sont
renvoyés en Allemagne, par la Suisse, dans le plus bref
délai377. En juillet, 4 enfants alsaciens sont
transférés en Suisse, remis aux déléguées
des Oeuvres suisses qui doivent ensuite les conduire à leurs parents en
Allemagne378. Trois d'entre eux étaient venus de l'orphelinat
de Thann s'installer à Vagney et le dernier résidait à
Gérardmer.
Les Alsaciens-Lorrains sont aussi parfois porteurs de la
« carte d'identité et de circulation pour travailleurs coloniaux et
étrangers », créée par le ministère de
l'Intérieur en avril 1917. La Direction des Etapes et des Services (DES)
du Groupe Armé Est (GAE) se voit rappeler dans une note de
synthèse émanant du Bureau des services spéciaux de
l'Etat-major général, que les Alsaciens qui sont « nettement
» d'origine française reçoivent une carte chamois qui donne
un pouvoir de circulation plus étendu ; que les Alsaciens «
d'origine allemande » doivent être porteurs du carnet
d'étranger, avec indication d'un périmètre de circulation
qui sera « en principe » celui porté sur leur carte
blanche.
La lettre du général commandant en chef du 4
août 1916 codifie le droit au retour379. Les
évacués qui souhaitent retourner dans leurs foyers en
Alsace-Lorraine doivent adresser une demande au général
commandant la VIIe Armée par l'intermédiaire du ministre de
l'Intérieur. La décision est prise sur avis du préfet de
l'Alsacien et du capitaine administrateur de son domicile antérieur
à la guerre. Dans le cas où le rapatriement est autorisé,
un sauf-conduit est adressé à l'intéressé
directement par l'entremise du préfet de sa résidence actuelle.
Lorsqu'il s'agir de jeunes Alsaciens, de 17 à 25 ans, les autorisations
de rapatriement sont soumise au général commandant en chef qui
les adresse au ministre de l'Intérieur380. Les
résidents alsaciens-lorrains peuvent également subir des mesures
administratives arbitraires, comme le retrait ou la non-délivrance d'un
passeport, tel Albert Malaisé, en situation irrégulière en
1917.
377 A.D.V., 4 M 514, circulaire du ministre de
l'intérieur, 07/06/1917.
378 A.D.V., 4 M 514, rapatriements d'étrangers de
nationalités ennemies, 12/07/1917.
379 H. Mauran, op. cit., p.454.
380 H. Mauran, op. cit., p. 455.
II - Alsaciens et autochtones.
La population vosgienne accueille les évacués
avec générosité : « ... dès leur
arrivée et sur un simple désir formulé par moi, toute la
population s'est empressée de leur offrir couchage, ustensiles de
ménage, fourneaux, tables, chaises, en un mot, tout ce qui leur
était nécessaire puisqu'ils n'avaient plus rien...
»381. Mais bien vite, cette générosité
fait place à la méfiance, voire à l'animosité.
« On critique les décisions de l'Autorité Militaire qui
aurait dû diriger vers la zone de l'intérieur, les Alsaciens
qu'elle a évacués des villages frontières de la Schlucht
pour les envoyer à La Bresse, Ventron, Cornimont, Saulxures, etc.,
où leur présence, dit-on, peut-être dangereuse pour notre
défense nationale [... ]». « Il m'est revenu que, dans les
rapports journaliers avec la population, ou dans les rapports des enfants entre
eux, les Alsaciens sont traités de Boches. Bien que je sois
assuré que ces petits incidents ne constituent que des exceptions, je
vous prie de tenir la main à ce qu'ils ne se produisent pas
»382.
Ce changement d'attitude est dû avant tout à la
déception, à une réaction de dépit amoureux ; on
s'attendait, avec attendrissement, à recevoir des Alsaciens sortis tout
droit d'un roman de René Bazin, ou d'un livre d'images de Hansi, et sont
arrivés des individus qui ne correspondent pas à cette
représentation, élevés dans une région
annexée à l'Allemagne depuis plus de quarante ans ne parlant pas
le français, pour certains plutôt germanophiles : « ... Il ne
peut y avoir envers eux aucune sympathie, pour le motif bien simple et naturel,
que parmi ces évacués, se trouvent de véritables Allemands
(surtout les Protestants), considérant leur Kaiser comme un dieu,
l'admirant dans tous ses actes et soutenant qu'il n'a jamais voulu la guerre,
qu'il a été contraint de se défendre contre les Anglais et
ensuite contre nous... »383. En fait, les évacués
sont dans leur grande majorité suffisamment prudents pour se
déclarer Alsaciens avant tout : sur 606 familles évacuées
devant remplir des formulaires de renseignements, 525 se déclarent de
nationalité alsacienne, et 81 de nationalité allemande, mais
aucune de nationalité française (à Remiremont, 14 se
déclarent Alsaciens et 1 Allemand, mais à Bussang, respectivement
0 et 23).
En 1916, suivant le même rythme que depuis le
début de la guerre, cinq actes de mariages sont contractés entre
Alsaciens et Françaises, tous dans l'arrondissement de Remiremont : par
exemple, Charles Ernst épouse Marie Antoine à Saint-Maurice le 14
février et Emile Nussbaum Laure Félicienne Cunat le 14
février à Bussang. Par ailleurs, le cas d'un mariage entre un
homme français avec une femme alsacienne est évoqué. Il
concerne le soldat Arthur Miclot et Anna Zimmermann, Alsacienne, demeurant
à Saulxures sur Moselotte, en permis de séjour384.
381 R. Martin, op. cit., in Le Pays de Remiremont, 1979,
pp. 62-65.
382 Ibid.
383 Ibid.
384 Ibid.
De manière significative, l'attitude de la
société des réformés de Thaon et du « Journal
des Mutilés » est telle depuis longtemps que des bagarres se sont
produites à plusieurs reprises entre Français et Alsaciens, avant
le 1er octobre 1916. Le journal Les mutilés de Thaon publie des
articles agressifs à l'égard des Alsaciens en 1917. Le premier
numéro, paru à Thaon le 31 mai après être
passé à la censure d'Epinal le 25, a vivement ému tous les
étrangers en résidence à Thaon, tout
particulièrement les Alsaciens-Lorrains (notamment l'article « Je
proteste »)385.
D'une part cela excite le public contre les Alsaciens-Lorrains
et ça peut amener des troubles ; d'autre part les Alsaciens-Lorrains
expriment un profond mécontentement, et même si aucun incident
n'est survenu, quelques-uns se sont dit qu'il valait mieux partir, ou retourner
en Alsace ou aller ailleurs. Le commissaire spécial rapporte que «
parmi les membres de la Société des Réformés
n°1 de Thaon et environs figurant au Journal des Mutilés,
il en est qui sont tout particulièrement hostiles aux Alsaciens et qui
manifestent ouvertement la très mauvaise opinion qu'ils ont d'eux, en
criant à qui veut les entendre que ce sont des boches et des
traîtres envers la France »386. Sont recensés 8
meneurs, tous réformés ou amputés et travaillant à
la blanchisserie teinturerie de Thaon ; trois sont surtout d'un très
mauvais esprit, considérés un peu comme anarchistes. Le 23 juin
le préfet constate une effervescence dans la population alsacienne de
Thaon suscitée par certains articles du Journal des
Mutilés. On dispose d'ailleurs pour ce jour d'articles
censurés du journal : il s'agit d'articles très violents,
très patriotiques et agressifs à l'égard des Alsaciens,
que l'on considère comme des Allemands, donc des
ennemis387.
D'autre part depuis le début du mois de juin les
Mutilés de Thaon refusent aux Alsaciens qui le leur demandent, d'avoir
avec eux des relations plus amicales, avant tout du moins que les plus jeunes
et plus vigoureux se soient engagés dans l'armée
française388. Ce qui est reproché à beaucoup
d'Alsaciens c'est une attitude irrespectueuse et même frondeuse : «
les Alsaciens sont à Thaon des hôtes jouissant d'une situation de
faveur ». Les réformés n°1 ne paraissent vouloir mener
campagne que contre les Alsaciens, et en faveur de la révision du taux
des pensions. Mais les meneurs ne sont pas des violents imbus d'idées
subversives, donc il n'y a pas de danger d'autre agitation à propos
d'autres questions. Mais fait plus dur encore, il semble selon le commissaire
spécial que « la population partage leurs sentiments à
l'égard des Alsaciens, si elle n'approuve pas leur campagne ». Il
confirme que des Alsaciens chantent volontiers le « Wacht am Rhein »
à leur cantonnement ou dans les cafés », chant de
ralliement389.
385 A.D.V., 8 M 191, Enquêtes - Hostilité envers les
Alsaciens (1914-1918), rapports de juin 1917.
386 A.D.V., 8 M 191, nouveau rapport du 16/06/1917.
387 Ibid.
388 A.D.V., 8 M 191, rapport du commissaire spécial,
29/06/1917.
389 Ibid.
Au cours de l'année 1917, on estime à 130 000
seulement le nombre d'Alsaciens-Lorrains sur le territoire français :
engagés, évacués, réfugiés,
annexés390. Sur ce nombre, 95 000 sont résidents de
l'Alsace reconquise. Des constatations faites courant septembre 1917 dans les
départements du Doubs, Haute-Saône, Vosges, Belfort où se
trouvent des Alsaciens évacués confirment la tendance : c'est
dans les Vosges que la situation faite à ces réfugiés est
le moins favorable, et que les demandes de retour en Allemagne ont
été les plus nombreuses391. Le ministre de
l'Intérieur réclame donc au préfet des Vosges fin
septembre de veiller à ce que tout le nécessaire soit fait pour
que les populations considèrent ces Alsaciens comme des compatriotes
devant être traités avec d'autant plus de bienveillance qu'ils
sont plus malheureux. En 1917, seuls deux mariages entre Alsaciens et
Françaises sont recensés dans les Vosges : par exemple
André Vogt épouse Marielle Leveque le 4 juillet à
Rupt392. De même, une seule demande en mariage concerne une
Alsacienne et un Français : Joséphine Falk, tisseuse et
René Ferry, réformé, à
Saint-Gorgon393.
Il existe encore parmi la population alsacienne placée
dans les Vosges quelques éléments indésirables (au Val
d'Ajol par exemple) qui ont une influence fâcheuse et qui engendrent des
appréciations défavorables des populations vosgiennes sur
l'ensemble des Alsaciens.
Il est donc tout à fait légitime qu'un certain
nombre d'Alsaciens réfugiés dans l'arrondissement de Remiremont
réclament, et avec insistance, leur rapatriement immédiat en
Alsace394. C'est le cas en juillet 1917 où s'est
manifestée une certaine agitation au milieu des Alsaciens-Lorrains se
trouvant à La Bresse (exemples familles Schutz et Kempf), apparemment
sans suite395. Au début de l'été, une
pétition en ce sens, destinée à être adressée
aux ambassades des Etats neutres, circule dans les milieux alsaciens. La
pétition émane d'un industriel de Munster réfugié
à Paris, du nom de Hartmann ; il s'occupe activement des
évacués et était dernièrement dans nos parages, au
Val-d'Ajol notamment. Le mouvement touche surtout les évacués
alsaciens de la vallée de la Fecht (évacués en 1915 par
l'Autorité militaire), et les signataires, assez nombreux, se recrutent
essentiellement dans les cantons de Saulxures et Plombières (la
pétition recueille 192 signatures dans le seul canton de
Saulxures)396. Les instigateurs de cette démarche sont le
maire de Soultzeren, évacué à Sapois, qui a fait signer la
pétition à l'issue de l'office protestant
célébré dans sa maison, et le pasteur Birmele,
l'instituteur Jean Fritsch et un industriel de Soultzeren, J. Ruhland,
évacués au Val d'Ajol.
390 H. Mauran, op. cit., p. 386.
391 A.D.V., 4 M 533, correspondance ministre de
l'intérieur - préfet vosgien, 25/09/1917.
392 Ibid.
393 A.D.V., 4 M 479, Mariages avec des Français,
Autorisations : correspondance, rapports, extrait d'état civil,
télégramme, 1915-1917.
394 R. Martin, op. cit., pp. 62-65.
395 A.D.V., 4 M 533, correspondance préfet -
ministère de l'intérieur, inspection générale des
services administratifs, service des Alsaciens-Lorrains, 22/02/1918.
A l'époque déjà, le sous-préfet de
Remiremont avait noté l'existence de sentiments germanophiles au sein de
« ces populations de la Fecht, en majorité protestantes
pratiquantes ». Les rapports notent également que les
évacués de la région d'Orbey ont refusé de signer
la pétition, et que les Alsaciens des cantons de Remiremont et Le
Thillot n'ont pas été touchés. La lettre d'un Alsacien de
Ventron, saisie en juillet 1917, peut nous éclairer sur la principale
motivation des pétitionnaires, le mal du pays : « [...] nous sommes
tous d'accord sur cette résolution : nous voulons rentrer chez nous et
je ne crois pas que, dans les circonstances et conditions présentes, on
nous refuse cette demande unanime, surtout qu'elle est adressée aux
ambassades d'Etats neutres [...] Nous voulons espérer sur un
résultat favorable de cette mission et si ce résultat doit
tarder, alors nous voulons nous entendre et ne plus travailler de
manière qu'on n'ait plus aucun profit de nous [...] ».
Des extraits du texte de la pétition renforcent encore
notre impression : « [...] Par suite de cette trop longue
séparation de nos parents [...] par le désir de revoir notre
pays, et surtout par l'effroyable nostalgie qu'aucune plume n'est capable de
décrire, nous mourons physiquement et moralement et par suite ne sommes
plus capables d'accomplir un travail sérieux [...] Mais qu'on nous
laisse aller dans notre pays natal. Nous ne voulons et ne demandons rien, sinon
de rentrer chez nous, car nous préférons mille fois le pain de
notre pays, serait-il même noir [...] Dans les journaux de tous les jours
on parle d'humanité et du combat pour la liberté et le droit. On
devrait bien nous appliquer cela, car en nous gardant ici de force, nous ne
voyons que le contraire. [...] Ainsi, qu'on nous laisse partir avant que
l'effroyable mal du pays et la cherté croissante nous aient abattus
[...] »397
Le texte de la pétition avait été remis
à des hommes sûrs, chargés ensuite de visiter les familles
d'évacués et d'obtenir leur signature, tel l'évacué
Kempf Jacques à Saulxures. La pétition n'atteint jamais aucune
ambassade d'état neutre, les différents textes ayant
été facilement confisqués, sur ordre du ministre de
l'Intérieur. Le Préfet annonce qu'il a décidé le
départ hors du département et l'envoi dans des communes de
l'intérieur des instigateurs du mouvement, tous originaires de Soulzeren
(avec familles)398. Ils sont évacués
administrativement de la Zone des Armées en raison de leur influence
anti-française sur les autres réfugiés alsaciens du
département. A côté des pétitions présentes
surtout dans la vallée de la Moselle ont été
interceptées des lettres recommandées individuelles
destinées à être expédiées à
l'Ambassade de Suisse, à Paris, en particulier dans la zone du
Val-d'Ajol399.
396 R. Martin, op. cit., pp. 62-65.
397 Ibid.
398 A.D.V., 8 M 191, lettre du préfet, 18/08/1917.
399 A.D.V., 8 M 191, rapports de juillet 1917.
Conclusion :
Les autorités sont dès le départ face
à un dilemme avec les Alsaciens-Lorrains, étrangers pas comme les
autres. Leur sort est très spécial pendant le conflit et ceux qui
sont reconnus d'origine française sont de plus en plus
considérés comme des Français. Les Alsaciens-Lorrains des
Vosges, en grande majorité d'origine alsacienne, constituent un groupe
hétérogène et vivant des situations d'enracinement et
d'intégration locale très différentes..
La volonté qu'ils expriment fermement de rentrer en
Alsace, même occupée par l'armée allemande, aggrave encore
le malentendu avec les autochtones, et accentue l'impression d'isolement dans
un milieu hostile des évacués. Le mouvement provoqué parmi
les Alsaciens est cependant loin d'être général et au 3
août, sur les 1200 familles alsaciennes évacuées dans les
Vosges, il n'a été recueilli que 192 signatures et
expédié qu'une vingtaine de lettres individuels400.
Quelques évacués alsaciens vont même jusqu'à
écrire au préfet des Vosges, pour s'indigner contre la
pétition et protester de leurs sentiments français : «
Monsieur le Préfet, nous vous prions instamment de faire
sérieusement attention à cette affaire, car nous, Alsaciens, nous
devenons suspects aux populations de ce pays, par la faute de ces gens
domestiques allemands... C'est une honte d'être Alsacien, quand on voit
comment notre ancienne patrie nous a accueillis de nouveau comme ses enfants et
qu'avec cela ces gens là ne sont pas contents [...]
»401.
400 A.D.V., 8 M 191, correspondance préfet - ministre de
l'intérieur, 03/08/1917.
401 R. Martin, op. cit., pp. 62-65.
Chapitre 3 : Allemands et Alsaciens à l'aide de
la France.
Bien que ressortissants de puissance ennemie, les Allemands et
Alsaciens-Lorrains apportent pendant la guerre une aide non négligeable
à leur patrie d'adoption. Alors qu'un certain nombre d'Allemands et
Alsaciens-Lorrains s'engagent au combat aux côtés des
Français et Alliés, soit dans la Légion
étrangère soit dans un bataillon quelconque pour les
naturalisés, beaucoup sont utilisés à l'arrière
pour continuer à faire fonctionner les usines. Prisonniers et
réfugiés se révélant insuffisants en nombre et
parfois inefficaces, le gouvernement français conclut des accords avec
les pays alliés ou neutres pour faciliter la venue de
travailleurs402.
La Légion étrangère subit des pertes
pendant le conflit et doit également se séparer de certains
hommes qui regagnent leur armée nationale quand leur pays d'origine
entre dans le conflit403. Avec ceux qui restent, le commandement
crée en novembre 1915 une nouvelle unité, le Régiment de
marche de la Légion étrangère, sous les ordres du colonel
Rollet. Ce corps s'illustre jusqu'à la fin de la guerre, notamment
à Verdun et devient l'unité la plus décorée de
France. Parmi les nouveaux volontaires, certains séjournent en France,
tandis que d'autres arrivent juste pour combattre ; les statistiques ne
permettent donc pas de traduire la participation des immigrés. Dans les
Vosges, un jeune Allemand fut affecté au 2e Régiment
étranger : Frédéric Auguste Durr, d'Epinal. Cinq jeunes
Allemands meurent pour la France404. En outre, depuis 1914, 20 000
Alsaciens se sont engagés volontairement dans les rangs
français405.
En matière d'emploi, la situation apparaît alors
contrastée. La présence des étrangers se
révèle absolument nécessaire dans les industries
extractives ou l'agriculture qui voit partir, tout au long de la guerre, 3 700
000 hommes, soit 45 % de la population active agricole. En revanche,
l'entrée en guerre par la désorganisation qu'elle cause, rend
moins utile les immigrés dans certaines branches occupant abondamment ce
type de main-d'oeuvre : des adjudications de travaux publics sont
ajournées ; la quasi-monopolisation des transports terrestres et
maritimes à des fins militaires prive diverses industries des
matières premières qu'elle importent, ainsi les huileries qui ne
reçoivent plus d'oléagineux, les fabriques de pâtes
alimentaires qui sont privées de semoules ; les usines jugées non
prioritaires sont approvisionnées très parcimonieusement en
charbon qui constitue leur principale source d'énergie406.
402 J. Ponty, op. cit., pp. 91-122.
403 Ibid. Ce fut le cas pour l'Italie et les Etats-Unis. D'autre
part, des armées autonomes furent constituées pour les Polonais
et les Tchéco-Slovaques.
404 A.D.V., 4 M 495, liste des étrangers de
nationalité allemande en permis de séjour en raison de la
présence de leurs enfants sous nos drapeaux (1918).
405 L'Alsacien évacué.
406 R. Schor, op. cit., pp. 30-44.
I - A l'arrière, une main-d'oeuvre annexe
nécessaire.
La pénurie de main-d'oeuvre causée par la
mobilisation et la nécessité d'intensifier la production
amène au cours de la guerre les responsables français à
utiliser tous les hommes disponibles et donc les prisonniers et
réfugiés même allemands407. A cet effet la loi
du 3 juillet 1917 prévoit le recensement dans toutes les communes des
fils d'étrangers. En octobre, chaque maire doit dénombrer les
jeunes gens et les inscrire sur une liste qui doit être envoyée
avant novembre en préfecture408. Donc en juillet, les
autorités vosgiennes réclament aux maires l'envoi des listes
nominatives d'étrangers en résidence dans leur commune au 1er
juillet 1917. Trois listes distinctes doivent être transmises : un
relevé numérique semestriel général des
étrangers ; une liste nominative des étrangers de
nationalité ennemie (allemande, austro-hongroise, turque ou bulgare) ;
et une liste nominative des congréganistes étrangers des 2 sexes
et de toutes nationalités (alliées, neutres ou
ennemies)409.
Il est même question en 1917 de faire venir de Suisse,
des Alsaciens de tous métiers, employés là-bas dans les
usines, et qui pourraient fournir une utile main-d'oeuvre en
France410. Ces Alsaciens pourraient être employés
éventuellement par familles entières, chaque membre de la famille
étant utilisé selon ses aptitudes. Des listes des ouvriers
coloniaux et étrangers occupés actuellement sur le territoire des
communes vosgiennes (par arrondissement) et concernant des Allemands et
d'Alsaciens-Lorrains révèlent que certains ne sont pas encore
munis de la carte verte ou chamois (en 1916 par exemple). Un certain nombre
seraient néanmoins susceptibles de l'obtenir411. De plus il
existe des cartes d'identité et de circulation pour travailleurs
coloniaux et étrangers, dans l'industrie et le commerce,
délivrées par le ministre de l'Intérieur direction de la
sûreté générale. Pour la seule ville d'Epinal, six
Allemands ont reçu les précieux sésames, ainsi qu'un peu
plus de 50 Alsaciens. Malgré tout, le ministre de l'intérieur
réclame le 23 février 1917 une surveillance accrue des
travailleurs étrangers ressortissants des puissances ennemies
(AustroAllemands, Bulgares, Turcs)412.
Le 6 juin le ministre Malvy prie instamment le préfet
vosgien, dans le cas où des conflits du travail se produiraient dans son
département, de surveiller l'attitude des étrangers qui y
participeraient.
407 R. Schor, op. cit., pp. 30-44.
408 Olivier Guatelli, op. cit.
409 A.D.V., 4 M 401, demande d'envoi des listes nominatives
d'étrangers en résidence dans le département au
01/07/1917, juillet 1917.
410 A.D.V., 8 M 191, main-d'oeuvre alsacienne, 1918.
411 A.D.V., 4 M 475/476, cartes d'identité et de
circulation pour main-d'oeuvre étrangère (1916-1920).
412 A.D.V., 4 M 401, correspondance ministre de
l'intérieur - préfets, 23/02/1917.
Par ailleurs, la situation professionnelle des Allemands et
Alsaciens-Lorrains est réglementée par les autorités
administratives, notamment à partir de 1917. « A dater du 15 avril,
tout travailleur étranger ou colonial devra être pourvu de la
carte verte ou chamois et sauf rares exceptions provenant de perte
justifiée de nouvelles cartes ne seront délivrées qu'aux
ports ou postes frontières »413. Le décret du 21
avril 1917 crée la carte d'identité spécifique de «
travailleur étranger ». Pour la première fois, un
décret trace une frontière, parmi les étrangers en France,
entre les ouvriers et les autres. Il introduit l'expression de «
travailleur étranger », sépare les arrivants employés
dans l'agriculture de ceux que recrute l'industrie grâce à une
carte d'identité différente (en un premier temps par sa couleur,
plus tard par un tampon spécial apposé sur la carte). Plus les
années de guerre passent, plus l'Etat intervient dans l'économie.
La présente mesure prolonge la création des services de la MOA et
de la MOE aux ministères de l'Agriculture et de l'Armement (puis du
Travail) un an auparavant414.
413 A.D.V., 4 M 401, télégramme-circulaire du
ministère de l'intérieur, aux préfets de France,
26/03/1917.
414 J. Ponty, op. cit., pp. 91-122.
II - Prisonniers de guerre.
Parmi les hommes immédiatement et facilement
utilisables figurent les prisonniers de guerre. Ceux-ci, groupés en
équipes plus ou moins importantes, sont dirigés vers l'industrie
et surtout l'agriculture, les travaux publics, la manutention. Les
résultats se révèlent bientôt inégaux. Les
captifs, souvent isolés par la barrière de la langue, ne sont pas
toujours qualifiés pour le travail qui leur est imposé et ne font
pas preuve de la plus grande ardeur. Certains essaient de fuir vers la Suisse
ou l'Espagne. Quand ils sont reconnus en chemin, ils se trouvent pris en chasse
comme du gibier par les paysans effrayés et quelques-uns sont abattus.
Les autorités hésitent à poursuivre les auteurs de tels
homicides pour ne pas décourager les particuliers de participer à
la recherche des fuyards. Ceux qui restent longtemps dans le même lieu de
travail finissent par habituer les Français à leur
présence et inspirent des sentiments moins hostiles. Dans les fermes
surtout, où les employeurs français et prisonniers vivaient
très proches les uns des autres, peut naître une certaine
cordialité, voire, dans quelques cas, une idylle entre tel beau captif
et sa patronne415.
Dans les Vosges, les archives évoquent le camp de Rasey
Xertigny qui abrite des prisonniers de guerre, sans beaucoup de
précision416. Mais surtout on dispose, grâce au travail
de Jean-Marie Lambert417, de détails sur le camp de travail
de la Compagnie de prisonniers de guerre N°171 basé à
Champé Le Syndicat entre 1916 et 1919.
La guerre est grande destructrice de routes et de voies de
chemin de fer, aussi le besoin en matériaux d'hérissonnage pour
asseoir la réfection et la fabrication indispensable de voies
d'accès se fait très tôt sentir. Dès avril 1916, le
capitaine Andriot, de la VIIe Armée (sous-groupement routier du col
d'Oderen, compagnie C/8 du 4e génie), est chargé de recenser et
réquisitionner des carrières pouvant fournir du ballast. Tout
naturellement, sa requête est adressée à la mairie de la
commune du Syndicat. En effet, ce n'est un secret pour personne que sur le
territoire des HautesVosges, l'industrie du pavé est depuis
déjà quelques temps très florissante. Le 13 avril 1916, le
secrétaire de mairie adresse au capitaine Andriot les renseignements
suivants : quatre carrières de granit pour la fabrication de
pavés, appartenant à la commune, sont exploitées à
Bréhavillers, Bémont, Plaine et Le Mourot. Si la commune loue ces
accrières à la Société Anonyme des Granits
porphyroïdes des Vosges, elle se réserve le droit d'utiliser toute
chute de pavés et moellons pouvant servir de pierres à
macadam.
415 R. Schor, op. cit., pp. 30-44.
416 A.D.V., 8 M 12, op. cit.
417 Jean-Marie Lambert, « Un camp de travail de prisonniers
allemands : la Compagnie P.G. 171 à Champé, Le Syndicat 1916/1919
», in Le Pays de Remiremont, n°4, 1981, pp. 71-72.
Hérissonner signifie aujourd'hui couvrir (un mur) d'une couche de
mortier que l'on n'égalise pas et qui reste pleine
d'aspérités.
Pour une raison que l'on ignore, aucun de ces sites n'est
retenu et c'est finalement au hameau de Champé que l'armée va
ouvrir une entreprise d'extraction ; à cet endroit, les roches sont
fracturées au point d'empêcher toute exploitation, si ce n'est
pour le ballast. Et bientôt, les baraques d'accueil se dressent dans les
prés, des coups de mines ébranlent la contrée. Mais cette
roche abattue nécessite d'être réduite et convoyée.
Il faut pour ce faire aménager un moyen de transport et trouver du
personnel. Les hommes valides sont bien entendu enrôlés dans les
rangs de l'armée, où ils sont employés à des
tâches autrement glorieuses. Les prisonniers allemands vont fournir cette
main-d'oeuvre indispensable et par ailleurs introuvable418.
Depuis 1915, la région n'est plus une zone de combats
et Remiremont, devenu quartier général de l'Armée des
Vosges (VIIIe Armée), est un centre d'hébergement et de triage
des prisonniers de guerre que la proximité de la frontière
amène régulièrement. Ceci explique certainement la
décision prise. Et le chantier s'organise à l'intérieur
d'une double enceinte de barbelés. Une voie de raccordement est
posée, cinq ou six wagonnets, dirigés à partir d'une
plaque tournante sur tout un réseau qui distribue divers endroits de la
carrière, vont déverser le produit du travail dans des wagons sur
la voie de chemin de fer proche. Fin 1916, deux concasseurs viennent
améliorer la production et sans doute pallier la défaillance
sûrement volontaire de l'homme et de sa massette.
Evidemment, le prisonnier allemand ne voit aucun
intérêt à satisfaire l'ennemi, son hôte. Sans doute,
l'indiscipline est-elle fréquente et très vite, on voit
s'ériger une construction maçonnée comportant peu
d'ouvertures, bâtiment à l'intérieur duquel des cellules
abritaient les récalcitrants et les évadés repris, car on
s'évade couramment de cette acrrière où trois cents hommes
environ, gardés par une demi-douzaine de cadres de l'armée,
doivent poser davantage de problème qu'apporter une contribution
quelconque au redressement national419. Trois de ceux qui ont sans
doute la nostalgie des fêtes religieuses dans leurs familles tentent la
belle la veille de Noël 1917. C'est mal connaître les rigueurs du
climat dans nos montagnes ; épuisés, ils sont repris en Alsace.
Et nous avons un témoignage de punition bien dure pour ces malheureux :
la pelotte, qui consiste en une marche de cinquante minutes, chargé de
quarante kilos de moellons sur le dos puis, après une pause de 10
minutes, de nouveau la même marche, cela pendant un mois ; seule la nuit
passée en cellule permet de se rétablir. Heureusement, à
cette saison, les journées sont courtes dans notre
région420.
418 J.-M. Lambert, op. cit., pp. 71-72.
419 Ibid.
420 Ibid.
Un état du matériel passé en consigne par
la compagnie P.G. 171 à la municipalité du Syndicat est mis
à disposition le 1er février 1919. Le camp comporte ainsi
à l'époque des prisonniers allemands quatre baraques Adrian, deux
baraques ordinaires, dont une maréchalerieforge pour les outils et
ferrage des chevaux, deux cuisines, une baraque douche, un caveau-cellule et un
en semble hangar et écurie. Le matériel sur place est
composé de 297 châlits (bois de lit), 8 bas-flancs, 544
paillasses, 30 tables, 35 bancs et 11 poêles (fourneaux). Cet inventaire
conforte les témoignages indiquant 300 personnes environ sur le site
(297 lits, 544 paillasses, 2 par lit) et il n'y a guère de doute quant
à l'authenticité des affirmations relevées dans ces
enquêtes. Le camp semble avoir été occupé ensuite
par la 21e batterie (compagnie) du 4/208e Régiment d'Artillerie jusqu'au
14 avril 1919, où nous relevons un état du matériel
restant après leur départ. A cette date, l'état est
très amoindri puisque entre temps du matériel a été
distribué au 107e Régiment d'Artillerie lourde cantonné
à Peccavillers le 22 février 1919, au 23e Régiment
d'Infanterie caserné à Remiremont le 24 février 1919,
à la 41e division du Génie 7/2 le 21 février 1919.
Après le départ de cette batterie, du matériel sera
octroyé au même 208e Régiment d'Artillerie, 21e SMI
à Dommartin les 20 et 25 avril 1919421. Après
l'évacuation des lieux par l'Armée, l'état vendit
l'outillage par adjudication (barres à mines, masses et massettes,
concasseurs, etc.) et la carrière fut mise en sommeil jusqu'en 1930
environ422.
421 J.-M. Lambert, op. cit., pp. 71-72.
422 Ibid.
III - Réfugiés.
Les autorités militaires et civiles se concertent pour
que soit progressivement résolue la question des évacués
non-suspects. L'économie régionale et la défense nationale
ne peuvent se passer plus longtemps du réservoir de main-d'oeuvre qu'ils
représentent. Les vallées des Vosges sont des lieux
d'implantation d'importantes filatures, tissages, usines métallurgiques,
chimiques, etc., qui sont demandeuses de « bras »423.
Ainsi, à partir de 1915, l'engagement des
Alsaciens-Lorrains peut prendre une autre forme que le service armé
classique : le décret du 27 juillet instaure en effet un service
spécial. « Tout homme dégagé de ses obligations
militaires soit par son âge, soit par réforme ou exemption peut
être admis à contracter un engagement spécial pour la
durée de la guerre pour remplir un emploi déterminé
»424. Ainsi le volontaire alsacien-lorrain refusé comme
« poilu » devient-il fréquemment infirmier. Les deux types de
service sont conditionnés par une visite médicale. Seuls ceux qui
ont été refusés pour le service armé sont
présentés pour le service spécial. L'exigence physique
requise est en effet moindre. Les ministères de la Justice et de la
Guerre sont d'accord pour admettre que cette forme d'engagement confère
la nationalité française au contractant alsacien-lorrain qui en
formule la demande dans le cadre de la loi du 5 août 1914425.
L'élargissement progressif des catégories éligibles au
rapatriement ne suffira pourtant pas à résorber totalement la
population retenue dans les dépôts libres et
surveillés426.
L' « Association pour l'Aide Fraternelle des
Alsaciens-Lorrains » concentre ses efforts sur les «
Alsaciens-Lorrains évacués par l'ordre des autorités
civiles ou militaires et groupés, au moins à titre provisoire,
dans certaines localités du territoire »427. La
première préoccupation de la commission du Placement a
été de trouver du travail pour les réfugiés, soit
dans l'industrie, soit dans la culture. Certaines sociétés et
entrepreneurs ont ainsi apporté une aide précieuse dans les
Vosges : Société Lorraine Dietrich, Compagnie française
des métaux, Kahn, Lang et Cie, Ancel Seitz & Cie, Fritz Koechlin et
Blanchisserie de Thaon.
Mais la commission de placement rencontre des activités
de plusieurs ordres : elle « a reconnu bientôt qu'il fallait
renoncer à placer des Alsaciens-Lorrains dans certaines régions
trop voisines de la zone des armées, ainsi que dans certaines
localités où la population voyait d'un mauvais oeil des
étrangers apporter une concurrence à la main-d'oeuvre
indigène. » Ce sentiment
423 H. Mauran, op. cit., p. 454.
424 Ibid.
425 H. Mauran, op. cit., p. 416.
426 Ibid.
427 H. Mauran, op. cit. Preuve de l'influence des responsables de
l'Aide fraternelle, le ministre de l'Intérieur adresse, dès le 23
février, à tous les préfets une circulaire pour «
accréditer l'association auprès d'eux » et la
« recommander à leur bienveillance. »
s'explique d'autant plus facilement que parmi les
réfugiés se trouvent des jeunes gens en âge de porter les
armes, qui viennent ainsi prendre des places occupées auparavant par des
fils ou des maris partis au front. La commission s'est heurtée aussi aux
rigidités administratives en matière de déplacements :
ceux-ci ne sont possibles qu'après entente entre le préfet du
département de départ et le préfet du département
d'arrivée428. Les garanties exigées par
l'administration de la part des employeurs freinent aussi parfois les bonnes
volontés.
Enfin, une circulaire du ministre de la guerre du 16 avril
1917 signale qu' « en raison de l'insuffisance de la main-d'oeuvre, le
ministère de l'Intérieur a fait appel à l'Association
Nationale d'Expansion Economique pour qu'elle lui apporte son concours en vue
de l'utilisation méthodique des internés civils austro-allemands
qui exerçaient une spécialité avant la déclaration
de guerre »429. Dans cette perspective sont sollicitées
les listes de recensement pour permettre aux industriels de choisir en
connaissance de cause ceux qu'ils croiraient susceptibles de pouvoir leur
être utiles.
Les réfugiés sont pendant le conflit
sommairement hébergés dans des logements individuels ou
collectifs, surtout des hôtels, réquisitionnés à cet
effet430. Ceux qui se trouvent en état de travailler se
voient proposer des emplois, notamment dans les usines de guerre où ,
par mesure de sécurité, on évite d'utiliser les
prisonniers. Mais les personnes déplacées, traumatisées
par l'exode et la fréquente séparation d'avec leur famille,
souvent inadaptés aux tâches offertes, ne rendent pas toujours les
services qu'on attend d'elles. Les réfugiés, pour leur part, se
plaignent des défaillances de l'accueil et de la faible
rétribution de leur travail. Leurs hôtes fustigent alors la
paresse, l'ingratitude, voire la malhonnêteté de ces
résidents forcés. Ainsi, en octobre 1914, le maire de Cannes
dénonce « les réfugiés franco-belges (...), tous
animés du plus mauvais esprit... exigeants, indisciplinés,
irrités parce que vous leur refusez l'autorisation de retourner chez
eux. »
Conclusion :
Comme d'autres catégories d'immigrés, les
Alsaciens et Allemands présents dans les Vosges se sont rendus
disponibles et utiles à l'aide de leur patrie d'origine ou d'adoption :
en servant le drapeau dans le combat ou en contribuant à la bonne marche
de la machine industrielle à l'arrière, de manière
volontaire (réfugiés) ou non (prisonniers de guerre). Les
autorités ont favorisé ce phénomène qui a eu un
écho relativement défavorable au sein de la population
autochtone.
428 H. Mauran, op. cit., pp. 464-466.
429 A.D.V., 4 M 401, circulaire du ministre de la guerre,
16/04/1917.
430 R. Schor, op. cit., pp. 30-44.
PARTIE IV :
La fin de la guerre et l'après-guerre
(1918-1920) :
un arrêt des contraintes ?
Chapitre 1 : La dernière phase de la
guerre ou l'arrêt des mesures de contraintes (1917-1918).
En 1918, la ville d'Epinal compte neuf Allemands, dont trois
hommes, deux ouvriers d'usine et un charretier, et six femmes, deux
couturières et une manoeuvre, une ménagère, une
couturière et une repasseuse431. Dans l'arrondissement de
Remiremont sont recensés cinq Allemands, dont deux débitants et
un tailleur d'habits d'origine alsacienne-lorraine et dans celui de
Neufchâteau trois Allemands. Dans tout le département, sept
Allemands, quatre hommes et trois femmes, sont en permis de séjour en
raison de la présence de leurs enfants sous nos drapeaux, engagés
pour la durée de la guerre dans des régiments d'infanterie ou
d'artillerie432. Par ailleurs un certain nombre de religieuses
austro-allemandes sont en résidence à Vagney et Zainvillers, 13
exactement, dont 10 venues de l'orphelinat de Thann, congrégation de
Saint-Sauveur, évacuées avec élèves par
l'Autorité militaire en février 1915433.
La fin de la guerre correspond plus particulièrement
à la disparition de toute discrimination à l'égard des
Alsaciens-Lorrains. Naturalisés ou non, ils sont alors
véritablement considérés comme des
Français434. En 1918, les Alsaciens-Lorrains en
résidence dans le département des Vosges sont au nombre de 7500
dont la plupart y étaient fixés avant les
hostilités435. Les autres, soit environ 3000, ont
été évacués d'Alsace par les troupes
françaises et placés à demeure, en presque
totalité, dans l'arrondissement de Remiremont436. Quant aux
Alsaciens-Lorrains qui habitaient les Vosges avant la guerre, ils ont
continué, grâce aux permis de séjour qui leur ont
été délivrés, à exercer leurs professions,
commerces ou industries et leur situation antérieure n'a pas
été modifiée. Les deux sociétés de secours
aux Alsaciens-Lorrains qui existaient avant les hostilités, à
Epinal et à Saint-Dié, ont cessé de fonctionner et aucune
association de ce genre ne s'est créée depuis.
431 A.D.V., 4 M 495, relevé nominatif des Allemands dans
les Vosges, 1918.
432 A.D.V., 4 M 495, liste des étrangers de
nationalité allemande en permis de séjour en raison de la
présence de leurs fils sous les drapeaux, 1918.
433 A.D.V., 4 M 495, correspondance ministre de
l'Intérieur - préfet vosgien, 29/1/1918.
434 J. Ponty, op. cit., pp. 91-122.
435 A.D.V., 4 M 428, recensement par nationalités,
Alsaciens-Lorrains (1918).
436 Ibid.
I - La réglementation à l'égard des
réfugiés vers la fin de 1917.
Les Alsaciens évacués dans l'arrondissement de
Remiremont reçoivent presque tous les allocations journalières au
titre de réfugiés : le nombre des allocations principales
accordées est de 1457 ; celui des majorations d'enfants de 1122. En
outre, environ 200 familles alsaciennes résidant dans le
département bénéficient des dispositions de la loi du 5
août 1914 comme ayant des membres mobilisés dans l'armée
française. L'administration départementale n'a pas eu à
prescrire l'envoi d'enfants alsaciens dans les colonies d'enfants. Cependant,
comme on l'a vu, l'orphelinat alsacien de Thann a été
transféré à Vagney et à Zainvillers où il
fonctionne avec son personnel religieux, sous la surveillance de
l'autorité militaire (144 religieuses à Zainvillers et 61
à Vagney). Une subvention mensuelle de 500 F est mandatée, au nom
de l'officier gestionnaire, sur les crédits
délégués par le ministre de l'Intérieur pour
l'entretien des réfugiés437.
Beaucoup d'entre les évacués, ouvriers d'usine,
sont employés par les industriels de la région. Quelques familles
ont trouvé à louer des fermes qu'elles exploitent pour leur
propre compte. Il y a donc trop peu d'Alsaciens employés à la
culture pour qu'il soit possible d'établir une moyenne de
salaires438. Les quelques isolés qui sont placés comme
garçons de ferme ou journaliers agricoles sont nourris et logés
par le patron, qui leur verse en outre un salaire variant de 15 à 60
francs par mois, suivant l'âge, les aptitudes et les usages locaux.
Enfin, le ministère de l'Intérieur fait procéder à
la confection des fiches individuelles. Dans toutes les mairies, une
enquête individuelle est prescrite439. La mise au point de ce
travail demandera, par suite, un certain délai. Beaucoup d'informations
sont réclamées pour cette enquête : nom et prénoms
de chaque Alsacien-Lorrain, date et lieu de naissance, lieu résidence
avant la guerre, résidence actuelle, profession, degré
d'instruction, aptitudes, nombre d'enfants et localité de retour. Des
listes nominatives existent également par commune en vue de
l'établissement des fiches, mais beaucoup sont frappées de la
mention « néant ». Le cas de nombreux Alsaciens-Lorrains est
évoqué à Thaon en 1918 ou dans l'arrondissement de
Remiremont440.
Le général commandant en chef prescrit, par
lettre du 11 octobre, l'application de mesures en faveur de la circulation des
Alsaciens évacués. Ils sont répartis dans trois
catégories avec des contraintes spécifiques. Les Alsaciens
d'origine nettement française seront dotés de la carte
d'identité qui les assimilera entièrement aux Français en
matière de circulation et de séjour (carte chamois). Les
Alsaciens d'origine douteuse seront quant à eux dotés d'une carte
blanche de même modèle que l'ancienne, mais avec un
périmètre de circulation plus étendu. Enfin les
Alsaciens
437 A.D.V., 4 M 428, recensement par nationalités,
Alsaciens-Lorrains (1918).
438 Ibid.
439 Ibid.
440 Ibid.
d'origine allemande seront dotés du carnet
d'étranger comme tous les étrangers dans la zone des
armées, avec un périmètre de circulation qui sera en
principe celui actuellement porté sur la carte blanche dont ils sont
titulaires. Le périmètre concédé aux Alsaciens
titulaires d'une carte blanche est, pour ceux domiciliés en zone non
réservée, la partie non réservée des
arrondissements de Remiremont-Epinal-Lure-Montbéliard, et pour ceux
domiciliés en zone réservée, le canton et les cantons
limitrophes441.
Par ailleurs, le préfet Linarès rappelle en
novembre que, par application des circulaires télégraphiques des
20 et 31 octobre 1917, il ne doit être en aucun cas répondu
directement aux demandes de renseignements concernant les Alsaciens-Lorrains ou
leurs biens formulées par la Croix Rouge de Francfort. Elles doivent lui
être retournées sous timbre « Contrôle et
Comptabilité » avec des éléments de
réponse442.
Le Garde des Sceaux décide fin 1917 que les
Alsaciens-Lorrains pourront être appelés à
bénéficier des lois d'assistance jusqu'à présent
réservées à ceux qui justifient la qualité de
Français sous la double condition qu'ils soient d'origine
française et qu'ils aient été l'objet de bons
renseignements au point de vue national443. Il s'agit des lois du 15
juillet 1893 sur l'assistance médicale gratuite, du 14 juillet 1905 sur
l'assistance aux vieillards, infirmes et incurables, les lois des 15 juin et 30
juillet 1913 sur l'assistance aux femmes en couches, et enfin, la loi du 14
juillet 1913 sur l'assistance aux familles nombreuses444. En somme,
seuls les Alsaciens-Lorrains ayant la carte tricolore ou le permis de
séjour peuvent en être bénéficiaires ; les
Alsaciens-Lorrains internés dans les dépôts ne peuvent
être admis à en réclamer l'application à leur
profit.
En ce qui concerne les lois du 27 juin 1904 sur le service des
enfants assistés et du 20 juin 1904 relative à l'éducation
des pupilles difficiles ou vicieux, elles ont à la fois le
caractère de lois d'assistance en même temps que de lois de police
et de sûreté ; elles sont dès lors applicables aux enfants
français, alsaciens-lorrains et même étrangers. Il en va de
même des lois du 24 juillet 1889 sur la protection des enfants
maltraités ou moralement abandonnés et du 19 avril 1898 pour la
répression des violences, voies de fait, actes de cruauté et
attentats commis envers les enfants. Par rapport à la loi du 30 juin
1838 sur les aliénés, l'assimilation des étrangers aux
nationaux est obligatoire, tant en raison même de leur maladie, que des
mesures spéciales qu'il convient de prendre pour la
sécurité publique. Il en résulte que les
Alsaciens-Lorrains devenus aliénés sur le territoire
français, doivent être traités dans les asiles au
même titre que les indigents français sans domicile de secours
à la charge de l'Etat (article 101 de la loi de Finances du
13/7/1911)445.
441 A.D.V., 4 M 533, correspondance du général de
division Boissoudy commandant la VIIe Armée, 27/10/1917.
442 A.D.V., 4 M 431, télégramme ministre de
l'intérieur - préfet, novembre 1917. Des administrations
préfectorales ainsi que des oeuvres d'assistance et oeuvres de guerre
sont parfois saisies pour des demandes.
443 A.D.V., 4 M 533, correspondance ministre de
l'intérieur- préfets France, 14/12/1917.
444 Ibid.
445 Ibid.
Il appartient par ailleurs aux commissions administratives de
décider l'inscription sur les listes des indigents, des
Alsaciens-Lorrains, se trouvant dans les conditions pour être admis au
secours en argent ou en nature donnés par les bureaux de bienfaisance.
En tous cas, le fait qu'ils sont Alsaciens-Lorrains ne saurait être au
regard de la législation un obstacle à leur inscription sur la
liste des indigents à secourir. Enfin extension est faite aux Alsaciens
de la loi française du 14 juillet 1913 sur l'assistance aux familles
nombreuses446.
Fin décembre le président du Conseil et ministre
de la Guerre prie les maires des communes où se trouvent des Alsaciens,
d'adresser aux préfets des extraits de tous les actes de mariage
concernant des personnes nées en Alsace-Lorraine depuis la
déclaration de guerre447. Le préfet transmet en
retour, au chef de la Mission militaire administrative en Alsace, à
Massevaux (Alsace), 40 extraits de mariage, dont 12 ont été
contractés à Remiremont en 1915, 1916 et 1917448.
446 A.D.V., 4 M 533, op. cit.
447 A.D.V., 4 M 533, demande du président du Conseil,
27/12/1917.
448 Ibid.
II - Quel sort pour les Allemands et les Alsaciens
à la fin de la guerre ?
Pendant la dernière phase de la guerre, la plupart des
Allemands et Alsaciens paraissent soucieux de ménager l'avenir,
désireux pour la plupart de pouvoir rentrer en Alsace, quelle que soit
l'issue de la guerre. Leur action est donc dictée par les
événements du front. Début 1918, bien que les appellations
de « Boches » diminuent449, une certaine effervescence
règne au sein de ces populations dans les Vosges. A Ventron est
signalée l'attitude suspecte de quelques Alsaciens450. A
Epinal, quatre cas d'Allemands ou d'Alsaciens-Lorrains en situation
irrégulière sont évoqués, dont Marie-Madeleine
Muller, d'origine alsacienne mais de nationalité allemande (badoise) par
son mariage, sans permis de séjour et avec trois enfants alsaciens
titulaires de cartes chamois. Maria Mazerand, infirmière dans
l'hôpital militarisé Saint-Maurice d'Epinal, a reçu une
carte d'Alsacien-Lorrain (carte blanche, sans photo, à
périmètre de circulation limité) et sera maintenue au sein
des Hospices civils d'Epinal451. On constate également une
multiplication des évasions de prisonniers de guerre allemands ou
alsaciens-lorrains. Le 2 février 1918, pour le seul camp de prisonniers
de guerre de Rasery Xertigny, pas moins de huit prisonniers
s'évadent452. Enfin, après examen de chaque cas
particulier, le préfet Linarès suggère en février
qu'il y a intérêt à ne pas donner suite aux demandes de
rapatriement formulées par les Alsaciens453.
En mars 1918, le président du Conseil, ministre de la
Guerre, décide que tout AlsacienLorrain d'origine française
autorisé à quitter l'Alsace, serait uniformément muni,
avant son départ, par les soins de l'Administration d'Alsace, d'une
pièce d'identité signée par l'Administration du Cercle de
sa résidence. Les Alsaciens-Lorrains qui sont porteurs de cette
autorisation pourront recevoir les permis de séjour qui remplacent pour
eux la carte d'identité prévue par la circulaire du 2 avril 1917.
Les modifications à apporter devront être faites à l'encre
rouge pour l'attribution d'une carte d'identité d'Alsacien-Lorrain
« d'origine française »454.
D'ores-et-déjà, la plupart des Alsaciens ont
reçu leur nouvelle carte d'identité ou de circulation ; une
dizaine d'auxiliaires des secrétaires de mairie ont pris place, 4 sont
déjà installés à Plombières, Val d'Ajol,
Ventron et Saulxures, avec un traitement de 50 F par mois, à compter du
1er décembre 1917, date de leur entrée en fonction ; les dossiers
d'allocations ont fait l'objet de révisions individuelles et des
allocations supplémentaires et des secours de loyer ont
été décrétées pour certains. Enfin, le grand
quartier général met à disposition un certain nombre de
brochures de propagande « L'Alsacien évacué »
destinées à faire mieux connaître, soit par les membres du
corps enseignant, soit autrement, la situation réelle des Alsaciens
évacués.
449 A.D.V., 8 M 191, op. cit.
450 A.D.V., 8 M 191, hostilité envers les Alsaciens,
enquêtes (1918).
451 A.D.V., 4 M 480, étrangers en situation
irrégulière (1918).
452 A.D.V., 8 M 12, lettre du général Wirbel,
commandant la 21e Région, 02/02/1918.
453 A.D.V., 4 M 533, correspondance préfet vosgien -
ministère de l'Intérieur, 22/02/1918.
Malgré tout, une nouvelle agitation se développe
dans les milieux alsaciens des Vosges en mai 1918, lorsque l'offensive de
Champagne semble devoir apporter la victoire à
l'Allemagne455. Cette nouvelle volonté de rapatriement est
renforcée par la nouvelle de la signature de l'accord franco-allemand
sur l'échange des prisonniers et internés civils (accords de
Berne). « Les civils se réclamant de la nationalité
allemande qui ont été internés à une époque
quelconque depuis le début des hostilités et autorisés par
la suite à résider librement en France peuvent, dans certaines
conditions, être autorisées à quitter le territoire
français »456. Les civils internés ressortissants
de l'Allemagne peuvent être autorisés à quitter la France ;
la mesure s'étend à ceux qui, en liberté, ont
été internés dans un dépôt pendant au moins
deux mois. L'intéressé doit simplement adresser avant le 1er
septembre 1918 une requête écrite au préfet de son
département de résidence ou à la Légation suisse
à Paris457.
Les internés allemands présents dans les
dépôts sont en principe rapatriables d'emblée : ils seront
conduits à la frontière dans les conditions exigées par la
défense nationale. Ceux qui sont détachés dans le cadre
d'un travail seront réintégrés dans des
dépôts préalablement vidés, où ils
accompliront une « quarantaine ». Les internés et des
évacués alsaciens-lorrains en France sont devenus l'enjeu central
des négociations. Jusqu'aux accords de Berne, le gouvernement
français affirme les considérer comme ses propres nationaux, ce
qui motive son refus de principe de les rapatrier en Allemagne. Le gouvernement
allemand les tient au contraire comme sujets allemands et n'a de cesse de
vouloir faire reconnaître leur droit au rapatriement458.
Toujours est-il qu'un certain nombre d'évacués
alsaciens de l'arrondissement de Remiremont, y travaillant ou non, se
réclament alors de la nationalité allemande, afin d'obtenir leur
rapatriement. Leur requête doit comporter toute une série de
renseignements à fournir sur l'identité, domicile, internement,
lieu où ils désirent se rendre. Selon les cas ils demandent
à quitter la France, veulent établir leur résidence
définitive à l'endroit de leur permission temporaire en Alsace ou
encore s'installer dans d'autres endroits de leur choix459. L'espoir
que fait naître chez certains les premiers succès de l'offensive
Ludendorff s'exprime par le refus de mettre en culture le jardin attenant
à leur logis, comme à Saint-Nabord. Ce n'est qu'après
l'arrêt de la ruée allemande qu'ils ensemencent leur jardin,
négligeant cependant de faire leur provision de bois pour l'hiver
suivant460.
454 A.D.V., 4 M 401, correspondances du ministre de
l'intérieur, 09/03 et 13/06/1918.
455 R. Martin, op. cit., pp. 62-65.
456 A.D.V., 4 M 514, rapatriements d'étrangers de
nationalités ennemies, 1918.
457 H. Mauran, op. cit., pp. 749-751.
458 Ibid.
459 A.D.V., 4 M 514, rapatriements d'étrangers de
nationalités ennemies, 1918.
460 R. Martin, op. cit.
L'administration ne reste pas inactive face à cette
agitation et utilise trois moyens. Tout d'abord elle organise le renforcement
du contrôle de la correspondance des évacués alsaciens.
Dans les communes des Vosges ayant reçu des évacués, les
receveurs des P.T.T. doivent faire une liasse de la correspondance
adressée de civils à civils et l'adresse à Epinal,
où un officier de la commission du contrôle postal recherche la
correspondance susceptible d'être saisie par la commission de
contrôle de Lure461. D'autre part on utilise la mise en
résidence surveillée des plus germanophiles parmi les
évacués. Les instigateurs de l'agitation sont ainsi
dispersés respectivement à Bordeaux, Courbevoie, Viviers,
Aurillac, où ils demeurent sous surveillance. Enfin et surtout le
développement de la propagande française auprès des
Alsaciens est prépondérant462.
Cette propagande repose sur la distribution
systématique, par l'intermédiaire des instituteurs, du «
Kreigsberichte », journal édité à Dannemarie (Alsace
du Sud) par l'administration militaire française, mais aussi par la
projection de films destinés spécialement aux
évacués alsaciens ; quelques titres de ces films illustrent leur
caractère de propagande : « En Alsace libérée »,
« Les Français en Alsace », « La fête de
l'indépendance américaine à Masevaux ». Le
général de division de Boissoudy, commandant la VIIe
Armée, estime nécessaire en janvier 1918 de continuer les
soirées cinéma, pour les quelques localités du
département où résident des Alsaciens non
réfugiés et non encore visités463.
La propagande consiste en outre à la scolarisation
systématique des enfants dans des « classes alsaciennes ». Ces
classes ont été ouvertes à la rentrée d'octobre
1915, à la demande du général de Boissoudy. Elles sont
confiées à des maîtres connaissant quelque peu la langue
allemande464. Une statistique fournie par l'Inspecteur
d'Académie des Vosges, le 2 novembre 1915, recensait 482 enfants
d'âge scolaire dans l'arrondissement de Remiremont, dont 109 pour la
seule commune du Val-d'Ajol. Leur apprentissage du français est rapide.
Les élèves alsaciens de 3 classes qui fonctionnent dans le
département ont été fusionnés avec les
élèves des écoles communales. C'est une mesure qui
paraît devoir donner de bons résultats : il importe que les
enfants non alsaciens considèrent comme des Français, les enfants
alsaciens465.
Les événements militaires perturbent, notamment
en août 1918, mais n'annulent pas l'application des accords de Berne. Au
mois de juin, deux catégories posent encore problème : les
ex-légionnaires d'origine allemande et les dénaturalisés.
Au moment de la déclaration de guerre,
461 R. Martin, op. cit., pp. 62-65.
462 Ibid.
463 A.D.V., 4 M 533, correspondance général de
division de Boissoudy commandant la VIIe Armée - Préfet vosgien,
09/01/1918.
464 R. Martin, op. cit.
465 A.D.V., 4 M 533, correspondance ministre de
l'intérieur - préfet vosgien, 03/11/1917.
en août 1914, les dénaturalisés
n'étaient pas des civils allemands : les accords de Berne ne leur sont
donc pas applicables.
Le sous-secrétaire d'Etat de la Justice militaire
indique dans une circulaire du 20 octobre 1918 qu'il a décidé que
« les Alsaciens-Lorrains condamnés par les Conseils de Guerre
seraient incarcérés au pénitencier militaire d'Albertville
pour y subir leur peine. »466
Conclusion :
Ainsi, la fin de la guerre et l'approche de la victoire finale
est marquée par l'arrêt progressif des mesures de contraintes
à l'égard des étrangers. En ce qui concerne les Allemands
des Vosges, cette affirmation est à nuancer.
Sur le plan de l'intégration des Allemands et Alsaciens
des Vosges, cinq cas de mariages mixtes sont signalés en 1918. Quatre
Alsaciens épousent des Française, dont Justin Hengy et Augustine
Pierrat, le 2 avril à Cornimont, ou encore Joseph Alphonse Jordan et
Maria Louise Grandmougin, en mai à Saint-Amé467. Par
ailleurs, un mariage concerne une Allemande et un Français. Il s'agit le
27 juin 1918 d'Anna Elisa Brocknauer, Allemande née à
Baden-Baden, le 27 décembre 1901, et de Marc Léon Albuisson,
Français, à Saint-maurice sur Moselle, mobilisé dans
l'armée française468.
Alors qu'un armistice est imminent sur le front ouest, le 3
novembre 1918, les échanges de prisonniers civils entre puissances
belligérantes sont à nouveau soudainement interrompus. Le 11
novembre marque la suspension, non la cessation des hostilités.
L'article X de la convention d'armistice consacre le « rapatriement
immédiat, sans réciprocité, dans les conditions de
détail à régler de tous les prisonniers de guerre, y
compris les prévenus et condamnés, des Alliés et des
Etats-Unis. » Jusqu'à la signature d'un traité de paix, les
internés allemands resteront soumis à la «
législation » spéciale de guerre telle qu'elle a
été définie par le ministère de la Guerre dans son
rapport du 2 août 1914469.
466 H. Mauran, op. cit., p. 417.
467 Ibid.
468 A.D.V., 4 M 533, ministre de l'intérieur,
sûreté générale - commissariat de Remiremont,
05/07/1918.
469 H. Mauran, op. cit., p. 954.
Chapitre 2 : L'après-guerre (1918-1920)
L'après-guerre est l'occasion d'une nouvelle
réorganisation de la législation à l'égard des
étrangers. Le traité de Versailles va fixer un certain nombre de
choses relatives au sort des différentes catégories d'Allemands
et d'Alsaciens encore présents sur le territoire national.
I - Alsaciens-Lorrains : l'utopie d'un
rétablissement immédiat de toutes les libertés
individuelles.
Le département des Vosges paie un lourd tribut au
conflit qui s'achève. En 1914, il affichait une éclatante
réussite industrielle grâce à ses filatures et ses
papeteries et sa population ne cessait de croître, s'agglomérant
dans de petits centres industriels. Quatre ans plus tard, le bilan humain et
matériel de la guerre est terrible. De plus, une grande partie de la
population a quitté la zone des combats pour se réfugier à
l'arrière. Si on prend les six contingents étrangers les plus
importants au 1er janvier 1914 et au 1er juillet 1918, l'effectif passe de 9
003 à 7 812 individus470. C'est donc une région
exsangue, ayant bien plus que d'autres souffert des combats, qui accueille avec
soulagement l'armistice de 1918. Dans l'immédiat, il s'agit d'assurer le
retour et le ravitaillement des réfugiés, de déblayer les
décombres, de déminer champs et forêts471.
Au moment de l'armistice, il reste encore en France
près de 3 000 Allemands et surtout d'Austro-Hongrois, qui sont
rapatriés par la Suisse de mai à octobre 1919 et 712 000
prisonniers allemands, dont 359 000 capturés par les
Français472. Beaucoup d'entre eux (306 000 en 1918) sont
utilisés comme travailleurs ; d'autres, en particulier les
Alsaciens-Lorrains, bénéficient d'un régime
spécial. Dans les Vosges vivent alors d'anciens prisonniers, des
Allemands venus en Alsace-Lorraine, des techniciens travaillant sur le
matériel livré au titre des réparations, population
hétérogène, mais unanimement
condamnée473.
Les formalités liées à la circulation des
résidents alsaciens-lorrains à l'intérieur du territoire
français continuent d'être contraignantes après le 11
novembre 1918. Le territoire de l'AlsaceLorraine reste en totalité
compris dans la 3e section de la zone des armées : une autorisation
individuelle de retour est indispensable. La durée de validité
des permis ne peut dépasser un mois, mais ils sont renouvelables. Par
une dépêche ministérielle du 15 novembre 1918, les
engagements pour la durée de la guerre sont suspendus. Seuls les
Alsaciens-Lorrains qui ont déjà la nationalité
française peuvent contracter un engagement volontaire de trois, quatre
ou cinq ans dans les
470 A.D.V., 4 M 403, recensements semestriels des
étrangers en résidence dans les Vosges, 01/01/1914 et
01/07/1918.
471 O. Guatelli, op. cit.
472 J. Dupaquier, op. cit., pp. 60-70.
473 Amar et Milza, op. cit., p. 46.
troupes métropolitaines et coloniales en vertu de
l'article 50 de la loi du 21 mars 1905. A partir du 30 décembre 1918,
les militaires se trouvant en pays étrangers et se déclarant
Alsaciens-Lorrains sont envoyés, après triage, dans un camp
à Saint-Rambert, à Lourdes ou à Paris474.
Par arrêté en date du 29 décembre 1918,
les territoires d'Alsace-Lorraine sont rattachés à la
deuxième section de la Zone des armées à partir du 1er
janvier 1919475. En conséquence sont assimilés aux
administrés français, les Alsaciens-Lorrains d'origine
française munis soit de la carte tricolore, soit du permis de
séjour délivré par l'autorité préfectorale,
soit de la carte d'identité chamois, soit d'un passeport
délivré par un fonctionnaire français qualifié
à l'étranger. Ceux-ci peuvent se rendre en Alsace-Lorraine
étant simplement porteur d'un sauf-conduit délivré par le
maire ou le commissaire de police de leur résidence. Les demandes de
titres de circulation sont transmises, soit aux brigades de Gendarmerie, soit
à l'Officier détaché pour le service de circulation
à la Préfecture. Egalement, à partir de février,
« les Alsaciens et les Lorrains, dont l'un au moins des
antécédents directs était d'origine française, et
appartenant, par leur âge aux classes non démobilisées,
peuvent, sur leur demande, être dès maintenant incorporés
dans un corps de troupe français moyennant qu'ils souscrivent
l'engagement pour la durée de la guerre, prévue par le
décret du 3 août 1914, et sont astreints à la durée
du service encore imposée à leur classe d'âge, avec un
minimum de 6 mois de présence sous les drapeaux français
»476.
Par la circulaire du 21 janvier 1919, concernant les
Alsaciens-Lorrains précédemment mobilisés dans
l'armée allemande, complétant celle du 9 décembre 1918, le
préfet prie les maires de lui signaler tous les Alsaciens ou Lorrains
des deux sexes, civils ou militaires, arrivés dans leur commune depuis
le 11 novembre 1918477. Ce recensement est destiné à
des Commissions spéciales d'identification à constituer par
l'autorité militaire. Bien qu'il ait demandé à ladite
autorité de le tenir au courant de la création de ces
Commissions, le préfet n'a encore reçu le 17 février 1919
aucune notification à cet égard. Aussi doit-il annuler, en
principe, le paragraphe final de sa circulaire précitée du 9
décembre 1918, ainsi conçu : « en aucun cas ils [les
Alsaciens ou Lorrains] n'ont droit à la carte d'identification qui sera
chargée de les examiner »478.
Selon le préfet, il serait, en effet, excessif de faire
supporter, pour un retard d'organisation dont ils ne sont pas responsables, un
régime de rigueur à des personnes qui, vraisemblablement et,
à de rares exceptions près, seront reconnus français
d'origine et non suspects. Il est donc bien
474 H. Mauran, op. cit., p. 455.
475 A.D.V., 4 M 401, avis de la préfecture vosgienne sur
la circulation des Alsaciens-Lorrains, 03/01/1919.
476 A.D.V., 4 M 401, décret du président de la
République R. Poincaré après rapport du président
du Conseil Clemenceau, 01/02/1919.
477 Ibid, enquête : signaler Alsaciens-Lorrains
arrivés dans les communes depuis le 11/11. Indication spéciale si
arrivants pré-identifiés par une commission militaire de triage
en Alsace-Lorraine ou caserne COURCY à Epinal
478 A.D.V., 4 M 429, Alsaciens-Lorrains (1918-1919), circulaire
du préfet des Vosges sur ceux venus dans le département depuis la
convention de l'armistice, 17/02/1919.
entendu, que ceux qui n'auront pas obtenu ultérieurement
le certificat établissant leurs qualités à ce double point
de vue, se verront retirer immédiatement la carte d'alimentation et
l'allocation479.
Les évacués alsaciens résidant dans les
Vosges doivent attendre plusieurs mois après la signature de l'armistice
avant de pouvoir regagner leurs foyers. Pendant toute cette période, ils
restent l'objet d'une surveillance constante de la part d'une administration
qui cherche à connaître leurs sentiments
véritables480. Ce n'est qu'au printemps 1919 qu'ils peuvent
rentrer en Alsace, sans qu'on sache si le grave malentendu qui les avaient
séparés de la population vosgienne a pu être
dissipé.
Cette lettre adressée par un évacué
alsacien en voie de retour au maire de Rupt-sur-Moselle, le 31 mars 1919,
semble le faire croire : « ... Je tiens à vous exprimer ici tant en
mon nom qu'en celui de mes compatriotes tous les sentiments de reconnaissance
et nos plus vifs remerciements pour ce que vous avez fait de bien pour nous
pendant ces quatre ans de guerre passés dans la commune que vous
administrez... Soyez persuadé, Monsieur le Maire, que nous garderons de
vous un souvenir inoubliable et vivace. Je me permets de vous demander de
vouloir bien être notre interprète, principalement auprès
de Monsieur le Préfet et Monsieur le Sous-Préfet et de tous les
habitants de la commune pour leur exprimer nos vifs sentiments de
reconnaissance émue pour la bonté et l'intérêt
qu'ils nous ont tous porté, et que nous n'oublierons jamais. Nous
quitterons le pays des Vosges en emportant beaucoup de bons souvenirs, et c'est
les larmes aux yeux, que, lorsque nous foulerons le sol d'Alsace, nous nous
rappellerons l'accueil si empressé que nous avons reçu à
Rupt... »481.
Au mois de mai 1919, tous les prisonniers alsaciens-lorrains
n'ont d'ailleurs pas été libérés482. Le
Service général des prisonniers de guerre recommande qu'ils
soient dirigés sur le dépôt de Paris (Bastion 43, Porte de
Clichy). Ceux pour qui un doute subsiste sont envoyés à
ChagnatGerzat (Puy-de-Dôme), pour un complément
d'enquête.
479 A.D.V., 4 M 429, op. cit.
480 R. Martin, op. cit., pp. 62-65.
481 Ibid.
482 H. Mauran, op. cit., p. 417.
II - Le traité de Versailles et les commissions de
triage.
Après la ratification du traité de paix, le 28
juin 1919, le Gouvernement décide de libérer, par mesure
générale, tous les sujets des nations ennemies encore retenus
dans les camps de concentration et dont la demande de maintien en France
après les hostilités a été accueillie. Les
responsables des lieux d'internement doivent avertir les préfets de la
date de départ de ceux qui se dirigent sur leur département
où ils avaient antérieurement leur domicile483. La
signature du traité de Versailles ne met pas immédiatement fin
à l'internement des Austro-Allemands par la France. Il n'est en effet
appelé à être exécutoire qu'après « la
rédaction du procès-verbal de l'échange des ratifications
» entre la France et l'Allemagne, échange qui mettra juridiquement
et officiellement un terme à l'état de guerre. Le blocus de
l'Allemagne est suspendu, en juillet 1919, après que les parlementaires
allemands réunis à Weimar aient ratifié le traité ;
la rétention des civils allemands continue à se poursuivre.
Après un débat de six semaines, le traité de Versailles
est enfin ratifié par le Parlement français le 2 octobre 1919 par
372 voix contre 53 et 73 abstentions. L'acte met un point final à
l'internement des civils allemands... tardivement, certes, mais avant
l'entrée en vigueur officielle du traité fixée au 11
janvier 1920484.
Sur le plan de la circulation et du travail, des restrictions
continuent de frapper les AlsaciensLorrains après la Grande Guerre.
Ainsi, une note du 1er août 1919 qui détermine les conditions
d'utilisation de la main-d'oeuvre d'Alsace-Lorraine dans l'ensemble du pays,
reprend certaines limitations imposées aux
étrangers485. Les travailleurs alsaciens-lorrains doivent
être en possession d'une attestation de loyalisme délivrée
par l'autorité administrative. Ils ont l'obligation de s'adresser
à un office régional ou local de placement, et ne pas traiter
directement avec les employeurs.
Les procédures de dénaturalisation qui visent
les Alsaciens-Lorrains ne s'arrêtent pas non plus après la fin des
hostilités. Le contrôle social se répand sous d'autres
formes qui ne sont pas moins attentatoires aux libertés individuelles.
Le Conseil suprême interallié décide, le 28 août
1919, de rapatrier les prisonniers de guerre sans attendre la ratification du
traité de paix. Les Anglais les libèrent dans les deux mois, les
Américains et les Belges aussi. Seule la France, qui en employait 300
000 dans les régions dévastées, conserve les siens
jusqu'au début de 1920486.
483 A.D.V., 4 M 401, circulaire du ministre de l'intérieur
à messieurs les préfets sur les camps et les internés,
14/10/1919.
484 H. Mauran, op. cit., pp. 954-955.
485 Ibid, pp. 470-471.
486 Amar et Milza, op. cit., p. 46.
Logiquement, en 1919 les évasions de prisonniers de
guerre allemands dans les Vosges sont nombreuses dans les casernes. Par exemple
trois prisonniers de guerre allemands et alsaciens de la Compagnie de
prisonniers de guerre 39 se sont évadés le 24 février dans
la matinée de la caserne Contade à Epinal. Des évasions
ont également lieu tout naturellement des camps d'internement et de
travail : le 3 mars 1919 quatre prisonniers de guerre allemands
évadés à Epinal et trois sousofficiers allemands
appartenant à la Compagnie de prisonniers de guerre 21, employés
au camp de Favresse ; le 3 juin deux prisonniers de guerre allemands sont
évadés de la Compagnie 185 à Raon-l'Étape,
évadés des chantiers487.
En 1918, la victoire n'efface rien de la germanophobie. La
presse, les politiques, l'opinion agitent régulièrement la menace
du péril allemand ; certains industriels exigent qu'on leur interdise
toute activité économique sur le sol français, habile
manière d'éliminer la concurrence. En bref, on stigmatise «
le boche », Action française en tête, et l'on se
méfie de ses velléités de puissance et de revanche. Face
au déferlement nationaliste, la S.F.I.O. essaie de résister un
peu et prend la défense des prisonniers allemands, trop souvent
maltraités. Mais elle sait que l'opinion s'en moque et, dans ses rangs,
l'heure n'est pas toujours à l'internationalisme488. A
gauche, encore, le parti radical prône le pragmatisme et une sorte de
chantage : la France réservera aux prisonniers allemands un sort
équitable, si les réparations sont payées. La C.G.T. n'a
pas ces scrupules : les syndicats allemands trahissent l'internationalisme et
joué la carte du patriotisme, le syndicat français fait donc de
même.
L'armistice signé, les Allemands tentent pourtant un
geste de réconciliation en 1919. Les syndicats du bâtiment
proposent à la France de l'aider à se relever de ses ruines. Mais
ils posent leurs conditions, veulent huit heures de travail par jour, des
salaires égaux aux salaires français, le droit de grève,
être exemptés d'impôts et, méfiants, être
logés décemment. Les réactions se révèlent
toutes défavorables489. De la droite à la gauche, on
proteste contre le retour des Allemands : pendant quatre ans on a lutté
pour chasser les occupants du Nord et de l'Est ; les populations des
régions dévastées ne peuvent accepter qu'on leur impose
à nouveau la présence de ceux qui étaient responsables de
leurs maux. Selon elles, des incidents, risquent de s'ensuivre, car il n'est
pas possible d'isoler les ouvriers d'Outre-Rhin des Français. Constant
Verlot, député des Vosges et représentant le
centre-gauche, constate alors : « Comment nos habitants du Nord et de
l'Est supporteraient-ils la venue parmi eux de ceux qui, pendant des
années, ont occupé leur foyer, réquisitionné tout,
quand ils n'ont pas pillé, volé et tué
»490.
487 A.D.V., 8 M 12, évasions de prisonniers
signalées par le gal Jacquot, commandant le 21e Corps d'Armée,
1919.
488 Amar et Milza, op. cit., p. 46.
489 Ibid.
490 R. Schor, « Les travailleurs allemands et la
reconstruction de la France au lendemain de la Grande Guerre (1919- 1923)
», in Revue historique, 1985.
Fin 1919, le gouvernement français s'intéresse
aux Alsaciens-Lorrains qui, au cours de la guerre, ont été
frappés de « proscription » par les autorités
allemandes. Les accords de Baden-Baden du 15 novembre 1919 fixent le montant
nécessaire à l'effectivité de l'indemnisation, dans le
cadre de l'article 62 du traité de Versailles. Une commission
spéciale est nommée afin d'assurer la répartition de
l'indemnisation promise aux proscrits ; présidée par le
général Auger, elle comprend les vice-présidents du
tribunal régional, Jules Lévy et Fleurent. Statuant sur environ 6
000 demandes, elle en retient 4 820. Les 25 millions or qui sont obtenus dans
ce cadre-là ont permis aux intéressés de recevoir, sans
tarder, une somme plus que symbolique491.
Fin 1920, on envisage même dans les Vosges l'implantation
de camps de concentration pour l'internement de civils allemands. Ainsi le 4
octobre 1920 le ministre de l'intérieur demande au Préfet vosgien
si des camps de concentration spéciaux pour l'internement des suspects
et indésirables de la tête de pont à Kehl (Allemagne, en
face de Strasbourg), y-compris les anciens officiers et les militaires
allemands en activité de service en séjour temporaire dans la
tête de pont, peuvent être organisés à l'ouest des
Vosges en cas de tension politique492. L'effectif de ces
indésirables atteindrait 5 000 personnes environ qui seraient
transférés par train spécial. Après étude,
le préfet répond que des camps pourraient être mis en place
comme suit : Caserne Maugui à Bruyères (1067 hectares) ; Camp de
Corcieux ( baraquements, 900 hectares) ; Caserne Dutertre à
Raon-l'Étape (1120 hectares) ; Caserne Coëhorn à Fraize
(1000 hectares) ; Caserne Marion à Remiremont (1400 hectares), pour un
total 5487 hectares. Le Préfet et le général Jacquot,
commandant le 21e Corps d'Armée et la 21e Région, projettent
d'ailleurs peu après d'organiser une conférence sur les
évacuations des indésirables. Du reste, on ne sait si ces camps
ont été implantés et si c'est le cas où ils ont
été mis en place493.
Au moment de l'incorporation des Alsaciens-Lorrains de la classe
1920, il est évoqué des mesures à prendre pour
éviter des troubles. Ils sont répartis dans les mêmes
conditions que les autres appelés du contingent entre les corps de
troupes de toutes armes. Les autorités vosgiennes insistent pour que la
population s'abstienne à l'égard de ces militaires d'agissements,
paroles, appellations ou allusions qui pourraient blesser. Par ailleurs, les
journaux locaux ne doivent plus reproduire les protestations sur l'usage du
patois alsacien. Tout cela traduit la volonté de
« favoriser l'oeuvre d'assimilation »494.
491 H. Mauran, op. cit., p. 990.
492 A.D.V., 8 M 189, camps de concentration pour l'internement de
civils allemands, 1920.
493 Ibid : défaut d'informations.
494 A.D.V., 8 M 191, mesures à prendre pour éviter
toute friction lors de l'incorporation de la classe 1920. MI-préfet,
16/09/1920.
Conclusion :
Alors que certains signes laissaient augurer un
rétablissement immédiat de toutes les libertés
individuelles des Alsaciens-Lorrains, il n'en est pas ainsi au sortir de la
guerre et les autorités continuent à leur infliger un traitement
contraingnant. Ils sont encore nombreux dans les Vosges et connaissent des
situations diverses. Le traité de Versailles réintègre
l'Alsace et la Moselle au territoire français et tous les cas et toutes
les demandes sont étudiées. Par ailleurs, l'après-guerre
correspond à l'arrêt de l'immigration allemande en France.
On s'aperçoit après-guerre que certains
Allemands vont pour s'intégrer jusqu'à demander à
s'engager dans la Légion étrangère. C'est le cas en 1920
de Wendelin Grusser, Allemand, Badois, né en 1902 à Fribourg,
d'où il vient par Sarrebruck-Metz-Nancy et qui se rend au bureau de
recrutement d'Epinal pour pouvoir contracter engagement légion
étrangère495. Sa demande est refusée par la
Commission d'examen à Epinal, il est refoulé sur Nancy-Forbach
pour défaut de passeport. Concernant les Alsaciens-Lorrains, selon un
document émanant du GQG (1er Bureau), les engagements sont à
nouveau possibles, leur rendant la nationalité
française496.
495 A.D.V., 4 M 480, étrangers en situation
irrégulière, 1920.
496 H. Mauran, op. cit., p. 417.
CONCLUSION
Cette étude sur les Alsaciens-Lorrains et les Allemands
présents dans le département des Vosges entre 1911 et 1920 me
paraît d'un grand intérêt et d'un apport historique non
négligeable. En effet, si les recherches sur l'histoire de l'immigration
en France, celle des Allemands, celle des Alsaciens-Lorrains sont maintenant
très précises et remises à jour, l'analyse de cette
immigration frontalière dans les Vosges et de ce qui en est advenu
pendant la Première guerre mondiale est primordiale. Mis à part
la thèse d'O. Guatelli, l'histoire de l'immigration dans le
département n'a jamais été étudiée
rigoureusement. De plus, la zone des armées et le front ont
drainé dans le département de nombreux évacués,
réfugiés et prisonniers de guerre alsaciens et allemands en plus
de ceux qui y étaient déjà installés. La
réglementation est très particulière de par la
concentration importante de populations de nationalité allemande,
l'importance stratégique des montagnes vosgiennes dans la guerre et la
proximité géographique avec l'Alsace et le Reich.
Vers 1911, on peut considérer que les Allemands et
Alsaciens des Vosges sont relativement bien intégrés au tissu
local, notamment par le biais de leur inscription et leur implication dans le
milieu de l'entreprise, la plupart du temps dans le textile. Les
disparités sociales et les modes de vie sont ceux de la population
locale, selon qu'ils sont patrons, contremaîtres ou simples ouvriers. Une
majorité des Alsaciens d'origine française s'est d'ailleurs
toujours considérée comme Français à part
entière, arrachés à leur patrie et n'ayant aucun
attachement au Reich. Néanmoins, dans les zones où la
concentration d'Alsaciens est plus importante qu'ailleurs, la population
autochtone est plus réticente et ne facilitent pas une installation
définitive, comme à Thaon. A l'aube de la Première guerre
mondiale, une vague de nationalisme de fait jour dans le département.
Pendant le conflit, les Allemands et les Alsaciens-Lorrains
sont, en tant que catégorie, visés par une politique
préventive qui se développe dans les circonstances
exceptionnelles de la guerre, mais a des racines plus profondes. C'est d'autant
plus le cas dans les zones de combat, comme les Vosges, qui connaissent le
front au nord entre 1914 et 1918, une partie non négligeable
étant occupée durant les quatre années de guerre. Afin de
mieux les surveiller et de débusquer les éventuels
déserteurs parmi les étrangers, les autorités militaires
instaurent dès 1916 un « carnet », qui, a partir d'avril 1917,
est devenu la « carte d'identité ». Celle-ci est obligatoire
pour tous les étrangers âgés de plus de 15 ans et pour les
immigrés disposant d'un contrat d'embauche : pour la première
fois, le séjour en France est lié à l'activité
économique. Les structures sont donc en place pour accueillir la
prochaine vague d'immigration.
Les Alsaciens-Lorrains connaissent un sort très
particulier, selon leur origine et selon les tourments du conflit. Au moindre
soupçon, ils sont internés, parfois dans les mêmes
établissements que les Austro-Allemands.
Résumé des évolutions de titres de
séjours et de circulation des Allemands et Alsaciens-Lorrains entre 1914
et 1917 :
|
Allemands
|
Alsaciens-Lorrains
|
1914
|
Permis de séjour, sauf-conduit, laissez- passer
|
Permis de séjour, sauf-conduit, laissez- passer
|
1915
|
Idem
|
Carte tricolore
|
1916
|
Carnet d'étranger
|
Régime ancien / Carte
d'identité spéciale pour les Alsaciens-Lorrains d'origine
française
|
1917
|
Carte d'identité / Carte d'identité de «
travailleurs étrangers »
|
Carte blanche pour évacués
|
A la fin de la guerre, l'image des immigrés se trouve
complètement modifiée à leur avantage. Les Alsaciens
notamment ont apporté une grande contribution aux côtés des
Alliés : ainsi depuis 1914 (début de la première guerre
mondiale) 20 000 Alsaciens se sont engagés volontairement dans nos
rangs497. Pendant 30 ans (depuis 1888 environ), l'Alsace-Lorraine
aurait également fourni, à elle seule, près du 1/3 de nos
généraux (bon nombre pour la seule Alsace)498. Mais
les Allemands posent problème et, en ce qui concerne les
Alsaciens-Lorrains, ils seront après la restitution des provinces
perdues, classés dans différentes catégories et
traités très différemment : par exemple les prisonniers de
guerre devront attendre longtemps après la fin de la guerre pour
être rapatriés en Allemagne. L'Alsace revient à la France
et quelques Alsaciens présents dans les Vosges durant le conflit
réclameront un rapatriement.
A l'arrière, les Allemands et Alsaciens se sont
intégrés en se mariant par exemple avec des Françaises ou
des Français. Dans les Vosges, entre 1914 et 1918, la cadence des
mariages contractés par des Françaises avec des étrangers
s'accélère avec 87 mariages comptabilisés, concernant
trois Allemands seulement (deux dans l'arrondissement d'Epinal et un dans
l'arrondissement de Saint-Dié) mais 14 Alsaciens (en grande
majorité dans l'arrondissement de Remiremont)499. En
général, les Italiens ou les Belges se sont par exemple plus
mariés avec des Françaises pendant le conflit. Concernant les
actes de mariages d'étrangères allemandes ou alsaciennes avec des
Français entre 1915 et 1918, tout aussi significatifs, l'issue des
demandes n'est bien souvent pas précisée500.
497 L'Alsacien évacué.
498 Ibid.
499 A.D.V., 4 M 417, Mariages avec des Françaises
(1919).
500 A.D.V., 4 M 479, Mariages avec des Français,
Autorisations : correspondance, rapports, extrait d'état civil,
télégramme, 1915-1917.
Au lendemain de la guerre, la situation démographique
et économique de la France rend le recours à l'immigration
quasiment inéluctable. Dans les Vosges, le besoin de main-d'oeuvre est
une nécessité urgente dans cette région
dévastée. La présence de ces hôtes nouveaux inspire
une réglementation spécifique et soulève de nombreux
problèmes économiques et politiques. L'immigration devient ainsi
un grand débat national et apparaît la nécessité
d'une immigration organisée marquée par la mise à
l'écart de nationalité jugées indésirables. Les
coloniaux sont repoussés et parmi les Européens, les vaincus de
la guerre sont rejetés d'un commun accord501. Cet ostracisme
est justifié par les rancunes et les haines que les quatre années
de conflit et de propagande nationaliste ont exaspérées. La
presse, de l'extrême droite aux radicaux, appelle les Français
à se montrer très vigilants : il faut empêcher les
entreprises allemandes de prendre le contrôle de leurs homologues
françaises, expulser d'Alsace et de Lorraine les « Boches »
encore présents, lesquels, accuse-t-on, se livrent à
l'espionnage, accaparent les situations les plus lucratives et troublent
l'ordre502. Les prisonniers de guerre allemands n'inspirent aucune
pitié : ne sont considérés que comme un moyen de pression
sur le Reich pour activer le paiement des réparations. La gauche
elle-même adopte une position réservée à
l'égard des vaincus. Ainsi la CGT reproche aux syndicalistes allemands
de s'être montrée trop nationalistes pendant la guerre.
Quand leur offre d'envoyer en France des travailleurs est
renouvelée en 1920 et 1921, la gauche se montre plus favorable et y voit
un excellent moyen de stimuler l'économie. La CGT, les socialistes et
les radicaux décident de lancer une vaste campagne en faveur de la
main-d'oeuvre allemande pour accélérer la
reconstruction503. La droite et le patronat, refusant toujours de
rencontrer les ennemis de la veille et redoutant que de fructueux
marchés n'échappassent aux entreprises françaises, font
preuve d'une hostilité irréductible. Pour surmonter ces
oppositions, la CGT suggère, en 1921, l'emploi à l'essai de la
main-d'oeuvre allemande. Cette proposition est finalement acceptée par
le gouvernement, à condition que les habitants, consultés par
référendum, se déclarent d'accord avec au moins 80 % de
« oui »504. Le vote est favorable à la venue de
travailleurs allemands, mais il est invalidé par les autorités
qui invoquent le vice de forme. Entre les deux scrutins, la propagande et les
pressions augmentent en faveur du refus, et le gouvernement, de haute lutte,
obtient un vote négatif. En 1923, nouveau volte-face : comme rien n'est
résolu sur le terrain, Poincaré, président du Conseil,
autorise à l'essai la venue de 33 ouvriers allemands.
L'expérience est réussie, elle sera donc condamnée, car
personne ne veut en assumer les conséquences
politiques505.
501 R. Schor, op. cit., pp. 45-50.
502 Ibid.
503 Ibid.
504 Amar et Milza, op. cit., p. 47
505 Ibid.
Dans l'entre-deux-guerres, l'Allemagne demeure donc une image,
un enjeu. Les contacts réels restent exceptionnels : les 65 000
Allemands présents en France, représentant à peine 3 % des
étrangers, ne constituent plus une immigration506.
Au recensement de 1921, on dénombre au total en France,
dans la population présente ou de résidence habituelle, 1 532 000
étrangers, dont 1 401 000 dans les 87 départements compris dans
les frontières de 1914, où l'on n'en avait recensé que 1
160 000 en 1911507. Ils représentent alors 3,78 % de la
population française, au lieu de 2,96 en 1911, à territoire
constant. Les principales nationalités représentées sont,
comme avant la guerre, les Italiens (450 960 soit 29,4 %), les Belges (349 986,
soit 22,8 %) , les Espagnols (254 980, soit 16,6 %) et les Suisses (90 149,
soit 5,9 %). Le nombre des Allemands reste élevé (76 625, soit 5
%), mais il ne s'agit pas des mêmes : dans le cadre des frontières
de 1914, il n'y en a plus que 5191 (au lieu de 102 271 en 1911) ; la grande
masse d'entre eux (70 434) sont désormais dénombrée dans
l'Alsace-Lorraine récupérée, en dépit d'un exode
massif des familles allemandes qui se sont établies dans le Reichsland
entre 1871 et 1918. Ce renversement s'explique à la fois par les
circonstances et par le changement de citoyenneté des
Alsaciens-Lorrains508.
En 1931, les Belges ne sont plus à cette date que 250 000,
les Suisses 100 000 et les Allemands 72 000509.
Avec 7 % d'immigrés en 2006, la Lorraine se classe
à la 7e position des régions d'accueil françaises. En
tête, les Italiens (40 860 individus), les Algériens (23 705), les
Allemands n'arrivant qu'au troisième rang avec 20 745
représentants510. Le contingent a donc conservé une
bonne place face aux vagues d'immigrations qui ont suivi les deux guerre
mondiales.
506 Amar et Milza, op. cit., p. 47.
507 J. Dupaquier, op. cit., pp. 60-70.
508 Ibid.
509 L'Histoire, op. cit.
510 L'Est Républicain, « 170 000
immigrés en Lorraine ».
ANNEXES
Les Vosges et la Haute-Alsace avant 1914
511
|
511
http://vestiges.1914.1918.free.fr/Carte
002.htm
Position des armées alliées au 14
août 1914512
512
http://vestiges.1914.1918.free.fr/Carte
001.htm
L'évacuation des zones du front et des zones
reconquises conduite par l'armée française en août
1914513
513 H. Mauran, op. cit., p. 435.
La stabilisation du front en
1915514
514
http://vestiges.1914.1918.free.fr/Carte
034.htm
Le front franco-allemand à la date du 25 avril
1918515
515 H. Mauran, op. cit., p. 401.
Chronologie : « La guerre des tranchées en
Haute Alsace »516
- Eté et automne 1914 : Apres les deux
batailles de Mulhouse et les attaques des cols des Vosges en août 14, le
front se stabilise à l'automne. L'ennemi reprend Orbey début
septembre. La 1ère armée du général
DUBAIL conserve une partie du Haut-Rhin depuis le col du Bonhomme
jusqu'à Dannemarie en passant par Thann. Au sud, leurs positions ferment
la trouée de Belfort. La guerre des tranchées commence. Elle va
se déchaîner dans les vallées de la Fetch et de la Thur.
- Hiver 1914 : le général JOFFRE,
chef des armées du Nord-Est, vient à Thann où il lance un
appel aux Alsaciens : « Notre retour est définitif....Je suis la
France vous êtes l'Alsace, je vous apporte le baiser de la France....
»
Le 1er novembre, les chasseurs alpins du
28e B.C.A. ont pris le sommet du Violu. Ils le conservent
malgré des contre-attaques. Partout, les positions s'organisent; les
deux ennemis se renforcent, face à face. Le 1er
décembre le 28e B.C.A. prend la Tête des Faux; le 25 il
occupe l'Hartmannswillerkopf (l'H.W.K.). Ce même jour, les
Français regroupés en détachement d'armée des
Vosges du général PUTZ attaquent jusqu'au 7 janvier 1915 vers
Cernay ; le 152e R.I. conquiert Steinbach maison par maison.
- Début 1915 : Le 22, une violente
attaque ennemie s'empare du sommet de l'H.W.K (le Vieil-Armand). Le 12
février, l `ennemi occupe le village de Metzeral, sur la Fetch. Une
semaine plus tard, il progresse dans la vallée et sur les crêtes,
prenant le Reichackerkopf. Il bombarde aussi le col de la Schlucht par
où arrivent les renforts et les munitions venant de Gérardmer.
Les Français résistent au Barrenkopf. Le 22, l'ennemi a pris
Hohrod, Hohrodberg, Stosswihr. La neige tombe sans arrêt, les frimas
hivernaux augmentent encore les souffrances des combattants.
Le 24 février l'offensive s'arrête. Les
Français ont perdu 1552 hommes tués, blessés, prisonniers.
Ils vont dès lors s'éreinter à reprendre le terrain
perdu.
Le 27 février, 5 mars, les chasseurs de la 66e
D.I. du général SERRET attaquent au VieilArmand. Le 6, les
chasseurs de la 47e D.I. reprennent le Reichackerkopf qui est repris
le 20 par l'ennemi.
Du 23 au 26, les chasseurs de SERRET conquièrent le
Vieil-Armand, faisant 200 prisonniers.
- Avril-mai 1915 : Le 4 avril, le
général de MAUD'HUY est mis à la tête du D.A. des
Vosges devenu la 7e armée. Le temps s'améliorant, une
grande offensive débute le 17 avril, durant cinq jours, dans la
vallée de la Fetch, tandis qu'au nord de Cernay, l'ennemi a repris
l'H.W.K. que le 152e R.I. lui arrache six jours plus tard.
Du 5 au 9 mai, les Français relancent leurs attaques sur
la Fetch mais ils échouent à la côte 830. Ils concentrent
alors une forte artillerie dont des mortiers de 220mm pour appuyer les
47e et 66e D.I. dans leur assaut.
- Juin 1915 : Le 15, après trois heures
de préparation d'artillerie, à 16h30, les divisions SERRET et
POUYDRAGUIN attaquent. Les positions ennemies : la côte 830 et le
Braunkopf sont pris. L'offensive dure du 16 au 23 juin au cours de laquelle
l'Hilsenfirst, Metzeral, Sondernach sont conquis. Puis le général
ordonne de prendre le sommet du Lingekopf, mais l'ennemi contre-attaque le
1er juillet à l'Hilsenfirst.
516 Réalisé à partir du site :
http://vestiges.1914.1918.free.fr/Alsace.htm
: document émanant du ministère des Anciens Combattants et
Victimes de guerre.
- Juillet 1915 : Le 20 la 7e
armée attaque le Linge : la 129e D.I. du
général NOLLET y prend pied tandis que la 47e D.I.
échoue contre le Reichackerkopf. Les assauts recommencent le 22. Les
chasseurs progressent vers le Barrenkopf. Le 26, le 30e B.C.A. prend
la crête du Linge, le 14e B.C.A. le collet du Linge. Le
Schratzmannele oppose une vive résistance, ses défenseurs ne
cèdent pas. Le lendemain les Allemands font même quatre
contre-attaques. Le 15e B.C.A. prend le Barrenkopf puis le
reperd.
Le 29, nouveaux assauts français pour consolider les
positions conquises.
- Août 1915 : Le 1er, les
chasseurs (les Diables bleus) attaquent encore au Barrenkopf et au
Schratzmannele. Dans tout le secteur du Linge, les actions d'infanterie se
succèdent sans répit jusqu'au 26 août, jusqu'à ce
que les deux adversaires s'accrochent aux sommets dévastés,
séparés par le no man's land.
Le 31, un violent pilonnage allemand d'obus à gaz s'abat
sur le Linge, le Schratzmannele, le Barrenkopf, le Wettstein, long de plusieurs
heures. Durant plusieurs jours les combats persistent. Le 9 septembre, des
attaquent allemandes au gaz et aux lance-flammes se déroulent au Linge
et au Vieil-Armand. Le 15 octobre, l'ennemi prit l'H.W.K. reperdu le
lendemain.
- Novembre 1915 : Le 3, le général
de VILLARET prend le commandement de la 7e armée qui, le 21
décembre, attaque au Vieil-Armand pour élargir ses positions. Le
22, les Allemands contre-attaquent ; ils anéantissent le 152e
R.I.. Des actions échouent pour reprendre le sommet à l'ennemi
qui le conserve. Le 29, le général SERRET est grièvement
blessé, puis il décède, amputé, quelques jours
après à l'ambulance de Moosch.
- Janvier 1916 : Le 8, les Allemands à
l'H.W.K. prennent l'Hirzstein puis ils se fortifient au Linge, au Vieil-Armand,
y réalisent des positions inexpugnables pourvues de blockhaus en
béton.
- 1916-1918 : Ainsi stabilisé, les
combats apaisés, le front ne bouge plus jusqu'à l'Armistice du 11
novembre 1918.
SOURCES
I - Sources imprimées.
1 - Ouvrages contemporains au sujet.
- Collectif, La main d'oeuvre industrielle dans
la région d'Epinal, in Annales de l'est, 1937, volume 7, p.
101-126.
- MAUCO (Georges), Les étrangers en
France. Leur rôle dans l'activité économique, Armand
Colin, 1932.
2 - Brochures et statistiques.
~ A l'I.N.S.E.E. Nancy :
- Recensements par communes (1901, 1911, 1921,
1926, 1931, 1936, 1946).
3 - Journaux (tendance politique, lieu et dates
d'édition).
~ Aux A.D.V. :
- L'Activité Vosgienne : Sports, Police, Tourisme
(1934).
- L'Action Socialiste Ouvrière et Paysanne (socialiste,
Epinal, 1924-1925).
- Le Courrier des Vosges (socialiste, Epinal, 1919-1924).
- L'Est Ouvrier et Paysan (communiste, Nancy,
1932-1935).
- L'Est Républicain (républicain,
Epinal, dépouillement entre 1911 et 1940).
- Le Flambeau des Vosges (Parti Social
Français, Epinal, 1939).
- La Lorraine Ouvrière et Paysanne
(communiste, Nancy, 1926-1927). - Le Peuple Lorrain (socialiste, Nancy,
1914).
- Le Raonnais (républicain, Raon-l'Etape, 1935-1937).
- Raon Républicain (Front Populaire, Raon-l'Etape,
1937-1939). - Le Réveil Ouvrier (C.G.T.U., Epinal,
1920-1922).
- Le Réveil de la Montagne
(républicain, Gérardmer et Remiremont, 1938).
- Le Stadiste (sports, conservateur, Senones, 1931-1938).
- La Voix des Vosges (anticommuniste, Raon-l'Etape, 1938-1939).
- Les Vosges (1910-1937).
- Les Vosges Ouvrières (C.G.T., Epinal, 1937-1939). -
Les Vosges Sociales (C.F.T.C., Epinal, 1936-1939). - Les Vosges Socialistes
(socialiste, Epinal, 1922-1923).
II - Sources manuscrites : sources d'archives.
LES ARCHIVES DEPARTEMENTALES DES VOSGES
4, avenue Pierre Blanck - 88 000 EPINAL
Tout d'abord les A.D.V. abritent une bibliothèque
historique et administrative riche de 16 000 ouvrages. La bibliothèque
offre un vaste fonds vosgien et lorrain issu d'achats et de dons, auquel
s'ajoutent des ouvrages et brochures d'intérêt
général, des manuscrits et des travaux universitaires. Les
journaux et publications administratives, la presse locale, les bulletins et
revues publiés dans les Vosges entrent par la voie du dépôt
administratif, des dons et des abonnements, soit plus de 1 600 titres locaux et
400 titres nationaux.
D'autre part, les Archives Départementales des Vosges
représentent le principal dépôt d'archives concernant
l'étude de l'immigration au début du XXe siècle.
Les Archives départementales collectent, classent,
conservent et communiquent depuis 1796 les documents administratifs produits
par les différents services publics sis dans les Vosges, et c'est
ceux-là qui nourrissent ma recherche. Les administrations publiques
ayant leur siège dans le département ont l'obligation de verser
leurs archives aux Archives départementales, contribuant à
l'accroissement naturel des fonds et à la constitution des sources
documentaires de l'histoire contemporaine. Les Archives départementales
fondent leur démarche de collecte sur les circulaires de tri
élaborées par la direction des Archives de France,
complétées au plan local par des travaux de tri à la
demande des services publics.
Ainsi les documents utilisés dans mon travail de recherche
historique sont essentiellement des sources manuscrites d'époque. La
série des archives modernes (1800-1940) qui par conséquent
m'intéresse prioritairement est la série M, concernant
l'Administration générale. Il s'agit des documents relarifs aux
affaires politiques, au personnel administratif, la police, les
élections, la santé publique et l'hygiène, la population,
les statistiques, l'agriculture, le commerce, l'industrie et le travail.
Ceux qui me sont les plus utiles sont les documents produits par
le personnel administratif, préfecture et police notamment (4 M et 8 M)
ainsi que les documents relatifs à la population, statistiques (4 M et 6
M) et aux nationalités (15 M). Ces sous-séries ont fait l'objet
d'un dépouillement systématique (sauf documents pour lesquels je
n'ai pas obtenu de dérogation), sans tenir compte d'intitulés
incorrects ou trop réducteurs.
Enfin, pour compléter ces fonds j'ai tenu compte de
certaines séries ou séries ponctuellement intéressantes
comme les séries U (Justice), X (Assistance et prévoyance
sociale), Z (fonds des sous-préfectures), E dépôt (archives
communales), J (documents entrés par voie extraordinaire).
~ LES ARCHIVES MODERNES (1800-1940) :
· M Administration générale :
Affaires politiques, personnel administratif, police,
élections, santé publique et hygiène, population,
statistiques, agriculture, commerce, industrie, travail.
4 M = Police, 1800-1940
~ 4 M 364-647 : Sûreté générale
et police judiciaire : ~ 400-524 : Etrangers (an VIII - 1944)
:
· 400-430 : Réglementation et recensement
(1910-1940) :
- 4M 400-401 : Instructions :
circulaires, affiches, Recueil des actes administratifs,
télégrammes,
correspondances (1912 -1940).
- 4M 402-430 : Statistiques :
états numériques, correspondance, circulaires,
télégrammes (1910 -1935) / Enquêtes nominatives:
circulaires, correspondance, états, questionnaires (1871-
1939).
· 431-483 : Réglementation de séjour
(1910-1940) :
- 4M 431 : Etrangers, demandes de
renseignement : correspondance, télégrammes, circulaires,
rapports (1910-1940).
- 4 M 479 : Mariages avec des
Français. - Autorisation : correspondance, rapports, extrait
d'état civil, télégramme (1915-1936).
- 4M 480-482 : Etrangers en situation
irrégulière : rapports, correspondance, états nominatifs,
télégrammes (1916-1936).
- 4 M 483 : Mobilisation des
étrangers. - Contrôle : correspondance, titres de transport,
états nominatifs, circulaires, télégrammes, instructions,
affiches, notices individuelles, permis de séjour (1914-1940).
· 484-498 : Surveillance des étrangers
suspects (1910-1925).
· 499-508 : Expulsions (1910-1944).
· 509-512 : Extraditions (1910-1922).
· 513-515 : Rapatriements (1910-1926).
· 516-524 : Déserteurs, insoumis et
engagés volontaires à la légion étrangère
(1910-1924).
~ 525-526 : Suspects inscrits aux carnets A et B (1910 -
1940). ~ 527-542 : Réfugiés (1910 - 1940).
~ La sous-série 4 M renferme l'essentiel de la
matière sur l'immigration et les étrangers dans les Vosges entre
1910 et 1940 et il en a été fait le dépouillement
systématique.
Les documents sur lesquels j'ai travaillé avec cette
sous-série 4 M sont pour beaucoup des correspondances, lettres ou
circulaires échangées entre la préfecture des Vosges
(service des étrangers) et le Ministère de l'Intérieur
(direction de la sûreté générale) et entre la
préfecture et les sous-préfectures et mairies du
département.
Ces documents sont accompagnés ponctuellement de
télégrammes et affiches. Ils portent sur la législation
appliquée aux étrangers dans le département :
séjour, résidence, déplacements, etc.
On trouve aussi des listes nominatives, d'arrivées et
départs dans le département par exemple, des recensements et
états numériques de population étrangère
très précis et très intéressants (exemples :
recensements semestriels ; recensements par nationalités).
Enfin, on trouve dans les archives 4 M tout ce qui est du
domaine de la surveillance des étrangers, enquêtes, et toutes les
procédures de sanctions qui leur sont imposées.
6 M = Population
~ 6 M 541-1115 : Dénombrement de la population
(recensement) :
541 : Généralités - Population :
correspondance avec divers ministères (1910- 1931), circulaires
ministérielles (1910-1936).
542 : Bordereaux récapitulatifs - Département des
Vosges (1910-1936) + Arrondissement d'Epinal (1906-1936).
543 : Bordereaux récapitulatifs - Arrondissements de
Mirecourt (1900-1906), de Neufchâteau (1910-1931), de Saint-Dié (
1910-1931) et de Remiremont (1910-1911).
544-1115 : Listes nominatives et tableaux. - Communes : tableaux
(1910-
1936).
~ Les dénombrements quinquennaux ne donnent que des
résultats très réducteurs du phénomène de
l'immigration : d'abord parce qu'ils ont lieu à la fin de l'hiver ou au
début du printemps, à une période de l'année
où les travailleurs saisonniers ne sont pas encore arrivés ;
ensuite parce que « les ouvriers étrangers à la commune
travaillant sur des chantiers temporaires » ne doivent pas figurer sur les
listes nominatives des communes.
Néanmoins, ces listes nominatives donnent des
renseignements précieux sur l'âge, le lieu de naissance (à
partir de 1906), les employeurs, les lieux précis de résidence,
la famille des immigrés. Les dénombrements effectués par
les services de police de 1908 à 1914, en janvier et juillet de chaque
année, sont quantitativement beaucoup plus précis.
8 M = Police générale et
administrative
|
|
~ 12 : -Affaires générales et politiques- :
Prisonniers de guerre 1914-1917 : Réglementation / Liste de camps /
Recherche de personnes / Echange de prisonniers / Evasion de prisonniers.
~ 25 : -Cérémonies - Protocole- : Voyages,
séjours de personnalités étrangères (1910-
1920).
~ 116 : -Oeuvres de guerre- : Réfugiés espagnols
(1937-1939).
~ 157 : -Cercles et assosciations- : Dossiers par communes
(1912).
~ 189 : -Police municipale- : Surveillance des étrangers -
Instructions, états numériques, recensement, groupes et
associations d'étrangers, passeports, expulsions, main-d'oeuvre
étrangère, camps de concentration pour civils allemands
(1910-1917).
~ 191 : -Affaires étrangères- : Enquêtes -
Emigration, établissement de passeport - Nomination de consuls -
Réfugiés, étrangers en France - Alsaciens-Lorrains -
Polonais, Italiens (1914-1920).
~ 228-236 : -Travail, mouvement ouvrier- : Grèves
(1910-1929).
~ Dans cette sous-série 8 M, peu féconde dans
l'ensemble pour mon étude, la cote la plus intéressante est la 8
M 189, correspondant à la surveillance des étrangers
rapportée dans les fonds de la police municipale. Le dossier comporte
donc les éléments relatifs à la surveillance, le
contrôle et l'expulsion d'étrangers avec leur dénomination
précise en période de première guerre mondiale
essentiellement.
8 BIS M = Sûreté
générale
~ 41 : Suspects (carnet B) ; radiations (1910-1914) : dossiers
individuels.
~ 42 : Suspects : documents et affaires diverses (1910-1923).
~ Les sous-série 8 BIS M recèle les dossiers de
plusieurs individus inscrits au carnet B portant des noms à consonance
étrangère. Elle fournit des renseignements ponctuels mais
précis et concrets.
15 M = Nationalités
~ 143, 147, 180 à 182 : Naturalisation, admission à
domicile, réintégration dans la qualité de français
(1909-1914).
~ 183 : Naturalisés appartenant aux nations en guerre avec
la France (1917).
~ 184 : Rapatriements (1910-1913).
~ 193 et 194 : Naturalisations (1913-1918).
~ 202 : Étrangers devenus français : inscriptions
sur tableaux (1910-1922). ~ 210/1 : Émigration (1910-1912).
~ 210/2, 247 et 277 : Étrangers : échange d'actes
de l'état civil (1914-1940).
~ 211, 231 et 234 : Naturalisations : affaires diverses ; rejets.
S.d. (début du XXè siècle) ~ 212 à 215 :
Naturalisations : décrets (1920-1928).
~ 227, 228, 236 à 238 et 246 : Naturalisations : affaires
diverses ; décrets (1926-1932). ~ 230 : Arrondissement de Remiremont :
expulsions . S.d. (XXè siècle)
~ 235 : Réhabilitation. Affaires diverses (1910-1919).
~ 243 à 245, 258, 259, 261, 262, 264, 266, 268, 271, 273
à 275 et 278 à 286 : Naturalisations : décrets, ordre
alphabétique (1932-1940).
~ 260, 263, 267, 272, 276 et 287 : Naturalisations : demandes de
renseignements et enquêtes (1933-1940).
~ 288 : Déclarations de nationalité (1939-1940).
~ 289 : Étrangers : enquêtes (1934-1938).
~ 310 à 328 : Naturalisations : ajournements, rejets,
ordre alphabétique (1933-1940).
~ Les archives de la sous-série 15 M sont non
communicables au public et réservées aux administrations. J'ai
donc entamé une démarche dès mars 2006 pour obtenir une
dérogation, que j'ai reçue dans le courant du mois de mai. Cette
sous-série a ainsi été dépouillée pour cette
année 2006-2007.
Le fonds contient des documents importants pour mon
étude : dossiers de naturalisations, expulsions, dénombrements,
stats, enquêtes par rapport aux réfugiés et ceci par
nationalités.
17 M = Marchands ambulants
~ 22 et 22 bis : Arrondissement de Mirecourt : marchands
ambulants, déclarations ; registre à souche (1913-1927).
~ Il s'agit essentiellement d'attestations des commissariats
de police relatives à l'activité de marchands ambulants, de
demandes de récépissés de permis de voyager
adressées par des marchands ambulants au préfet des Vosges, de
certificats de résidence délivrés par les mairies.
· U Justice :
Cour d'assises, cours spéciales, tribunal criminel,
tribunaux de première instance,
tribunaux de commerce, conseils de prud'hommes, justices de paix
cantonales : ~ 7 U Tribunal de commerce de Mirecourt :
7 U 75 à 83 : Faillites et liquidations judiciaires :
dossiers par ordre alphabétique (1914-
1945).
~ A noter : quelques patronymes à consonance
italienne. Dossier de Pierre M., entrepreneur de travaux à Boulaincourt
(1930). Aucune pièce du dossier ne mentionne le lieu de naissance du
failli, toutefois on trouve quelques éléments d'information dans
l'exposé des syndics provisoires au tribunal de commerce de Mirecourt
(15 novembre 1930) : "Mme M. a déclaré que son mari a
quitté Boulaincourt, sans lui donner de nouvelles pour se rendre dans
son pays en Italie, ou en Belgique.
~ 4 U Justices de paix :
Plombières :
- 4 U 19/81 : Actes de notoriétés
(1910-1940). Rambervillers :
- 4 U 21/121 : Actes de notoriété
(1910-1940). Saulxures-sur-Moselotte :
- 4 U 25/136 : Actes de notoriété
(1910-1940). - 4 U 25/168 : Naturalisations (1910-1940).
Remiremont :
- 4 U 23/122 : Actes de notoriété
(1910-1940). Senones :
- 4 U 26/104 : Actes de notoriété
(1910-1940). Gérardmer :
- 4 U 14/61 : Actes de notoriété
(1910-1940).
~ Les actes de notoriété de plus de cent ans
ont fait l'objet d'une liste détaillée figurant à la fin
du répertoire des justices de paix. Ils signalent la présence
d'étrangers dans ces communes du département et donnent un
éclairage sur la situation personnelle de certains d'entre eux.
Pour les communes concernées, à chaque fois
sont signalées des personnes nées à l'extérieur des
Vosges ou, et c'est ce qui m'intéresse, à l'étranger, et
dans des pays situés en Europe et aux 4 coins du monde. Le chercheur
notera ainsi avec intérêt les actes relatifs aux travailleurs
étrangers qui permettent de mieux connaître le flux
migratoire.
· X Assistance et prévoyance sociale :
Hospices et bureaux de bienfaisance, personnel,
aliénés, enfants abandonnés, handicapés,
caisses d'épargne, sociétés de secours
mutuels, assistance sociale et médicale :
~ 55 X 1-160 : Assistance médicale gratuite
:
- 60 : Hospitalisation des étrangers :
instructions ; frais de séjour des années 1935 et
antérieures (1921-1936).
- 61 : Réfugiés espagnols, centre
d'hébergement : organisation ; comptabilité (1937-1939)
- 62 : Réfugiés espagnols :
organisation (1939).
~ Cette sous-série 55 X apporte des renseignements
utiles par rapport à mon sujet quant aux fonds des hôpitaux, des
bureaux de bienfaisance fréquentés par les
étrangers.
A noter que les cotes 61 et 62 sont des liasses très
volumineuses et en mauvais été et elles ne portent que sur les
réfugiés espagnols à la fin des années
1930.
· Z Sous-préfectures : Mirecourt
(jusqu'à 1926), Neufchâteau, Remiremont (jusqu'à 1926,
Saint-Dié :
~ 3 Z : Sous-préfecture de Neufchâteau
:
~ Police administrative :
- 35 à 45 : Nomades : carnets
anthropométriques d'identité avec photographies, carnet de
récépissés pour déclaration de perte de carnets
(1923-1933).
- 46 : Nomades, poursuites judiciaires :
rapports de gendarmerie, déclarations, carnets anthropométriques
d'identité, affaires diverses (1934-1938).
- 48 : Forains : carnets d'identité avec
photographies, carnet des récépissés pour
déclaration de perte de carnets (1910-1938).
~ Police politique :
- 61 : Réfugiés espagnols :
instructions ; listes nominatives ; notices individuelles, renseignements par
communes ; affaires diverses (1937-1940)
- 63 : Sûreté nationale :
surveillance des étrangers, carnet B (1912-1940).
~ Etrangers - Passeports :
- 67 : Inscriptions des délivrances de
passeports : 3 registres (12 mars 1859 - 23 septembre 1925 ; 6 octobre 1925 -
10 septembre 1931 ; jusque 26 juillet1946).
- 68 : Passeports ; demandes de passeports,
fermeture des frontières ; passeports à
refuser : renseignements par pays (AEF, Algérie, Andorre,
Angleterre, Belgique, Cameroun, Espagne, Egypte, Italie, Norvège,
Portugal, Russie, Suède, Suisse, Togo) ; instructions ;
circulaires (1913-1940).
- 69 : Passeports des étrangers, des
aviateurs et des marins étrangers : instructions ; circulaires ; avis de
délivrance (1917-1938).
~ Population :
- 77 : Demandes de naturalisations (4 dossiers)
(1909-1913).
> Tourisme :
- 99 : Mouvement touristique : statistiques,
instruction fiche d'arrivée, mesures de contrôle, affaires
diverses (1931-1938).
~ Budgets, situations financières :
- 358 : Situation financière des bureaux
de bienfaisance : détails relatifs aux secourus
français et étrangers ; secours annuels, temporels
et accidentels, états par communes (1919-1921).
~ 4 Z : Sous-préfecture de Remiremont : -
28 : Sûreté générale et police
judiciaire.
- 30 : Police politique.
- 78 : Affaires militaires, organisme en temps
de guerre.
~ Le fonds 2 Z (Sous-préfecture de Mirecourt) porte
sur le 19e siècle essentiellement et n'apporte rien
d'intéressant. Pour ce qui est de la sous-préfecture de
Saint-Dié (5 Z), le fonds n'est pas classé et de plus il est
pauvre.
La sous-série 4 Z correspondant à la
sous-préfecture de Remiremont (jusqu'à 1926) est un petit peu
plus féconde bien que le fonds ne soit pas classé et non
cummunicable. Je suppose néanmoins que les cotes relatives à la
sûreté générale police judiciaire et à la
police politique recèlent des documents qui pourraient m'être
utiles.
Enfin le fonds de la sous-préfecture de
Neufchâteau (3 Z) est de loin le plus intéressant pour mon
étude. Il a été versé le 2 mai 1984 aux Archives
départementales des Vosges. Les carnets anthropométriques
comportent pour la plupart d'entre eux des photographies d'identité, de
face et de profil, des empreintes digitales, le relevé des signes
particuliers et l'itinéraire précis de leur détenteur.
Leur intérêt historique est loin d'être négligeable.
Ils attestent de la mainmise policière qui pouvait exister sur une
fraction de la population. Par ailleurs, particularité régionale,
les dossiers relatifs au tourisme et plus particulièrement au tourisme
thermal constituent une source de renseignements quantitativement et
qualitativement appréciables, notamment sur les débuts du
mouvement touristique. Seul petit problème, les fonds sont non
communicables au public ou bien en mauvais état.
~ LES ARCHIVES COMMUNALES DEPOSEES (SERIE E DEPOT) :
Les communes restent propriétaires des documents
déposés, dont la conservation, le
classement et la communication au public sont pris en charge par
les Archives départementales :
- Communes : Aydoilles, Biécourt, Bruryères,
Circourt-sur-Mouzon, Dounoux, Ferdrupt, Igney, Le Syndicat, Tendon :
Edpt 26 Aydoilles :
- E dpt 26/3 : police des étrangers (1910-1940).
Edpt 59 Biécourt :
- E dpt 59/14 : surveillance des étrangers (1910-1937) ;
demande de retour à la nationalité française (1938).
Edpt 80 Bruyères :
- I 5 : Règlements de police municipale :
étrangers. S.d.
- I 10 à 12 : Passeports. S.d.
Edpt 106 Circourt-sur-Mouzon :
- E dpt 106/5 : étrangers : circulaire (1906).
Edpt 252 Igney :
- 3 J : Passeports (1910-1931).
Edpt 470 Le Syndicat
- E dpt 470/24 : recensement des Algériens (1927).
- E dpt 470/33 : liste des étrangers résidant dans
la commune (1936) ; état des étrangers sans profession (s.d.) ;
avis de départ d'étrangers (1938-1940) ; avis d'arrivée
(1939-1940) ; certificat
de travail (1939); naturalisation d'enfants d'étrangers :
demande de renseignements (1939) ; renouvellement de cartes d'identité :
registre de renouvellement (1929), demande de renouvellement de carte de
travailleur (1938). Déclaration des étrangers (1910-1912).
Immatriculation des étrangers (1910-1937).
- 470 bis 1 Section de Julienrupt : immigration, certificats de
pauvreté (1921-1927).
Edpt 472 Tendon :
- E dpt 472/35 : Domiciliation (1910-1940) ; immatriculation des
étrangers (1910-1935).
~ Ces archives communales (série E dépôt)
sont également non communicables sans dérogation. J'ai donc
indiqué les cotes qui sont susceptibles de m'intéresser.
~ LES FONDS COMPLEMENTAIRES :
· J Documents entrés par achat, don,
dépôt, legs :
~ 80 J Filature de Vincey :
- 80 J 84 Etat du personnel (1935-1940) : Emploi
de main-d'oeuvre étrangère : circulaires et notes
(1935-1940) ; Direction départementale du travail et de la
main-d'oeuvre des Vosges, affaires diverses (1935-1940).
~ 2 J - ... Fonds privés :
- 111 J 1-14 : « L'Avenir
Hérédien », Igney (1910-1940) :
[Archives associatives déposées par la commune
d'Igney - Classées en novembre 1994 par J.-Y. Vincent]
- 111 J 2 : Société mixte de tir
« L'Hérédienne » : 1937 : classement de l'exercice
1937. - 146 J : Syndicat textile de l'Est (1910-1940).
- 150 J : SGEN-CFDT (20e siècle).
- 156 J : CFDT (20e siècle).
- 158 J : District des Vosges de football (20e
siècle).
~ Les fonds privés doivent pouvoir m'apporter des
indications notamment sur la vie associative et de loisirs des étrangers
et des immigrés. Le seul souci, qui je l'espère ne sera que
temporaire, est que mis à part pour la cote 111 J les fonds
privés ne sont pas encore classés. Je voudrais vraiment pouvoir
montrer quel rôle ont joué ces associations culturelles,
sportives, religieuses et ces syndicats dans l'intégration des
immigrants à la région et à la société qui
les accueillaient.
ARCHIVES COMMUNALES NON DEPOSEES
Certaines communes importantes n'ont pas déposé
leurs archives aux Archives départementales des Vosges si bien que
celles-ci sont entreposées dans des dépôts communaux
spécifiques.
Les archives communales non déposées sont assez
pauvres concernant mon sujet et mes problématiques d'étude. Ainsi
à Epinal, j'ai pu relever quelquechose dans la série I (Police,
hygiène publique, justice) ; à Neufchâteau les fonds
intéressants se trouvent dans les séries H (Affaires militaires)
et I (Police).
4z> EPINAL, ARCHIVES COMMUNALES D'EPINAL
Hôtel de ville, 9 rue du Général-Leclerc
B.P. 25 - 88001 Epinal cedex
Série I Police, hygiène publique, justice :
2 I : Étrangers (1930-1942).
4z> NEUFCHATEAU, ARCHIVES COMMUNALES DE NEUFCHATEAU
Hôtel de ville, 28 rue Saint-Jean
B.P. 239 - 88306 Neufchâteau cedex
Série H Affaires militaires
H R : Rouceux (commune de Neufchâteau) : prisonniers de
guerre (1914-1918). Série I Police
I 1 ter : Dossiers étrangers : liste nominative des
étrangers arrivés à Neufchâteau (1910-1940).
III - Sources internet.
1 - France, HISTOIRE ET ARCHIVES : Institutions Publiques,
Instituts de Recherche, Musées, ... :
- Archives nationales :
http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr
(consulté le 12/11/05) - Archives de l'INA :
http://www.ina.fr/archives/index.fr.html
(consulté le 12/11/05)
- BDIC, Bibliothèque de Documentation
Internationale Contemporaine : http://www.bdic.fr/ (consulté le
12/11/05)
- CHEVS, Centre d'histoire de l'Europe du
vingtième siècle :
http://www.chevs.sciences-
po.fr/centre/groupes/immigration.html#programme2003_2004
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http://barthes.ens.fr/clio/
(consulté le 09/03/06)
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http://barthes.ens.fr/clio/revues/AHI/index.html
(consulté le 09/03/06)
- Direction des Archives de France :
http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr
(consulté le 28/12/05)
- Génériques :
www.generiques.org
(consulté le 13/04/06) - INSEE :
www.insee.fr (consulté le
17/11/05)
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ressources et de mémoire de l'immigration :
http://www.histoire-immigration.fr
(consulté le 11/12/05)
2 - France, CENTRES DE RECHERCHES ET DE DOCUMENTATION :
- Bibliothèque nationale de France :
http://www.bnf.fr /
(consulté le 11/12/05) - CIEMI, Centre
d'information et d'études sur les migrations internationales :
http://www.ciemi.org (consulté
le 11/12/05)
3 - France, REVUES :
- Association des Revues plurielles :
http://www.revues-plurielles.org
(consulté le 03/04/06) - Fédération de
revues en sciences humaines et sociales :
http://www.revues.org
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- NOIRIEL (Gérard), Atlas de
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Autrement, Collection Atlas/Mémoires, 2002.
2 - Dictionnaires.
- LOUIS (Léon), Annuaire
Général des Vosges (1871-1939), Epinal, Imprimerie E.
Busy.
- RONSIN (Albert), Les Vosgiens célébres,
Dictionnaire biographique illustré, Ed. Gérard Louis, 1990.
3 - Ouvrages de méthode, guides et répertoires.
- ARCHIVES DEPARTEMENTALES DES VOSGES,
Répertoires numériques dactylographiés de la série
M (Administration générale) et de la sous-série 6 M
(Population) ; supplément dactylographié pour la
sous-série 8 M (Police générale et administrative) ; guide
numérique détaillé des archives de la sous-série 6
M (Population).
- ARCHIVES DEPARTEMENTALES DES VOSGES,
Répertoire numérique détaillé des justices de paix
(1791-1958), tome 1, Epinal, 2003 ; répertoires numériques
dactylographiés des séries U (Justice), X (Assistance et
prévoyance sociale), Z (Sous-préfectures), E dépôt
(Archives communales) et série J (Fonds privés).
- DUMONT (Jean-Marie), Guide des Archives
des Vosges, 1970, 183 p., imp.
- Association GENERIQUES, « Inventaire des
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Génériques/Direction des Archives de France, 1999, 3 tomes, 2408
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- VINCENT (Jean-Yves), Répertoire
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II - Ouvrages généraux :
- BINOCHE (Jacques), Histoire des relations franco-allemandes
de 1789 à nos jours, Paris, Masson/ A.
- BOGDAN (Henry), Histoire de l'Allemagne. de la Germanie
à nos jours, Perrin, Paris, 2003, 127 p.
- DUPAQUIER (Jacques), Histoire de la population
française, PUF, 1988, Tomes 3 (1789- 1914) et 4 (1914 à nos
jours).
- DUPEUX (Georges), La société
française 1789-1960, Paris, Armand Colin, Collection U série
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- NERE (Jacques), La Troisième
République 1914-1940, Paris, Armand Colin, Collection U2, 1967.
III - L'immigration en France.
- AMAR (Marianne) et MILZA (Pierre), L'immigration en France
au XXe siècle, Paris, A. Colin, 1990.
- Collectif, « La France et ses
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- Collectif, « Etrangers, immigrés,
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- LEQUIN (Yves), sous la direction de,
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Larousse, Histoire, 1992.
- NOIRIEL (Gérard), Le creuset
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- NOIRIEL (Gérard), Immigration, antisémitisme
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privées.
- PONTY (Janine), L'immigration dans les
textes. France, 1789-2002, Paris, Belin Sup, Histoire, 2004.
- SCHOR (Ralph), Histoire de l'immigration
en France de la fin du XIXe siècle à nos jours, Paris,
Colin, 1996, 347 p.
- STORA B. et TEMIME E. (dir.), Immigrances. L'immigration en
France au XXe siècle, Hachette, 382 p., mars 2007.
IV - L'immigration allemande et les Alsaciens-Lorrains en
France.
1 - Vues d'ensemble.
- Institut Goethe, Emigrés français en
Allemagne, émigrés allemands en France, 1685-1985, Paris,
1983.
- WAHL (Alfred), L'option et l'émigration des
Alsaciens-Lorrains (1871-72), Paris, éd. Ophrys, 1974, 276 p.
2 - Pendant et après la guerre.
- L'Alsacien évacué. Ce qu'il fut. Ce qu'il
est. Ce qu'il sera. Ce qu'on lui doit, par un officier alsacien, 1918.
- MAIRE (Camille), Des Alsaciens-Lorrains otages en France
(1914-1918), Souvenirs d'un Lorrain interné en France et en Suisse
pendant la guerre par François Laurent, Presses universitaires de
Strasbourg, 1998.
- MAURAN (Hervé), Les camps d'internement et la
surveillance des étrangers en France durant la Première Guerre
mondiale (1914-1920), Thèse de doctorat, Université Paul
Valéry - Montpellier III, 2003.
- SCHOR (Ralph), Les travailleurs allemands et la reconstruction
de la France au lendemain de la Grande Guerre (1919-1923), in Revue
historique, juillet-septembre 1984.
V - Ouvrages sur la région Lorraine.
1 - Vues d'ensemble sur la Lorraine et les Vosges.
- BONNEFONT (Jean-Claude), sous la direction de,
Histoire de la Lorraine de 1900 à nos jours, Toulouse,
Privat, 1979, 455 p.
- CABOURDIN (Guy) & GERARD (C.),
Lorraine d'hier, Lorraine d'aujourd'hui, Nancy, Presses universitaires
de Nancy ; Metz, Ed. Serpenoise, 1987, 232 p. : cartes, ill. ; 24 cm.
- POULL (Georges), Les Vosges, Ed. France-Empire,
Collection Histoire et terroirs, Paris, 1985.
- RONSIN (Albert), Vosges, Paris,
Edition C. Bonneton, Collection « Encyclopédies régionales
», 2004.
- ROTH (François), Histoire de la
Lorraine, L'Epoque contemporaine, Tome 1 : De la
Révolution à la Grande Guerre et Tome 2 : Le
Vingtième Siècle, 1914-1994, Nancy, Presses universitaires
de Nancy, Encyclopédie illustrée de la Lorraine, 1992 et 1994.
2 - Ouvrages spécialisés.
- BAUDIN (François), Histoire
économique et sociale de la Lorraine, Tome 3 : Les Hommes
(1870-1914), Ed. Serpenoise, Metz, 1997.
- BOUR (René), dir., L'épopée
industrielle, Nancy, Presses universitaires de Nancy, Encyclopédie
illustrée de la Lorraine, Histoire des sciences et techniques, 1995.
- CLAUDEL (Jean-Paul), Les Vosges en 1900. 1870-1914 : d'une
guerre à l'autre..., PLI- Gérard Louis, 2001.
- Collectif, dossier « 170 000
immigrés en Lorraine », in L'Est républicain,
janvier 2006.
- DELL'ERA (Danielle) & SERVRANCKX (Pascal),
sous la direction de, La société lorraine, Nancy, INSEE
Lorraine, Presses universitaires de Nancy, 1994, 418 p. cartes, graph., in
8°.
- NOEL (Françoise), Une famille à Remiremont,
1750-2000. Chronique bourgeoise, Ed. Gérard Louis, 2004.
- POULL (Georges), L'industrie textile
vosgienne : 1765-1981, Rupt-sur-Moselle, chez l'auteur, 1982, 475
p.
- POULL (Georges), « L'industrie textile vosgienne des
origines à 1978 », in Le Pays de Remiremont,
1979, n°2, pp. 27-49.
VI - Travaux scientifiques et universitaires sur
l'immigration et les étrangers en Lorraine et dans les Vosges
:
- GUATELLI (Olivier), sous la direction de
François Roth, Les Italiens dans l'arrondissement de
Saint-Dié : 1870-1970, Thèse de doctorat : Histoire
contemporaine : Nancy 2 : 2002, [S.l.], [s.n.], 673 pages : ill. ; 30 cm.
- ROTH (François) & CARDELLINI
(Yves), Lorraine, terre d'accueil et de brassage des populations,
Actes du colloque de Longlaville-Longwy, 12 et 13 octobre 2000, Presses
universitaires de Nancy, Coll. Lorraine, 2001.
- SICARD-LENATTIER (Hélène), Les
Alsaciens-Lorrains à Nancy entre 1871 et 1914 : une intégration
réussie, sous la direction de F. Roth, Université Nancy 2,
Thèse de doctorat , 2000.
VII - Les Allemands et les Alsaciens-Lorrains dans les
Vosges entre 1911 et 1920.
- MARTIN (Roger), « Les Alsaciens dans l'arrondissement de
Remiremont pendant la guerre de 1914-1918 », in Le Pays de
Remiremont, 1979, n°2, pp. 62-65 du deuxième cahier.
- LAMBERT (Jean-Marie), « Un camp de travail de prisonniers
allemands au Syndicat. La Compagnie P.G. 171 à Champé, Le
Syndicat 1916-1919 », in Le Pays de Remiremont, 1981, n°4,
pp. 71-72.
- DOYEN (Jean-Pierre), dir. A. Martel, Recherche sur la
question d'Alsace-Lorraine dans la presse languedocienne et dans la presse
vosgienne (1871-1914), octobre 1970, Faculté de Lettres de
Montpellier.
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