2- Les droits et devoirs de l'enfant
S'il est une erreur qu'il faudra éviter, c'est
d'imaginer l'enfant dans la pensée traditionnelle sans droits,
même si sa condition est ordonnée à la vie de la
communauté. L'enfant dans la pensée traditionnelle de par son
caractère sacré, du simple fait d'être humain et
d'être, jouit bien évidemment de droits et de libertés.
Avant d'aborder concrètement les droits de l'enfant dans la
société traditionnelle, il importe de rappeler que, les droits
dont jouit l'enfant en communauté, sont ceux réservés aux
ancêtres, qui sont les seuls et vrais détenteurs de droits dans
cette société. L'enfant étant un ancêtre en
miniature, ses droits sont ceux des ancêtres communs et puissants de sa
communauté d'appartenance. De par cette conception, il est établi
que les droits de l'enfant sont ceux des ancêtres et des adultes. Parmi
les droits reconnus, respectés, garantis et protégés de
l'enfant dans l'univers traditionnel béninois, nous avons entre autres
le droit à la vie qui est le plus sacré des droits ; le
droit à une alimentation (le droit d'être nourri), le droit
à une maison qui symbolise le droit à une famille et le droit au
logement, le droit au champ ou à la fortune représentant le droit
à la propriété pour l'enfant mais également le
droit à l'héritage, le droit aux mânes protecteurs qui est
l'équivalent de nos jours du droit d'être protégé
notamment conte le mal, la maltraitance, les abus et l'exploitation et le droit
à une éducation. Nous notons également
l'égalité entre enfants. Signalons que le droit à
l'égalité est un principe fondamental qui caractérise
l'univers traditionnel même si son application est souvent
limitée. Autrement, l'égalité n'existe pas entre les
hommes dans la vision traditionnelle, mais plutôt entre les membres d'une
différente catégorie sociale donnée. La tradition exclut
dans le monde des enfants la discrimination. Selon la tradition, tous les
enfants sont égaux et méritent d'être traités avec
la même attention. Revenons sur le premier des droits,
c'est-à-dire du droit à la vie pour signaler qu'il constitue la
base de la société traditionnelle. La vie humaine étant
selon la représentation sociale collective sacrée et inviolable,
nul n'a le droit de porter atteinte à la vie et plus
particulièrement à celle d'un enfant. C'est ce qui explique
l'attitude de la société à surprotéger l'enfant
contre les méchants et les sorciers et contre tout abus. On retrouve
également sous une autre expression le droit à la
propriété à travers ce qui est appelé le droit
à la fortune. Cette expression symbolise le droit à
l'héritage qui assure la survie matérielle et économique
de l'enfant. Nous avons aussi dans l'univers d'autres droits reconnus à
l'enfant, notamment le droit à un nom et à une identité,
le droit à la parole et le droit à la participation
communautaire. En effet, c'est dans ce dernier cas qu'on retrouve le travail de
l'enfant qui aide sa famille dans ses différentes tâches
quotidiennes à savoir les travaux domestiques ménagers pour les
jeunes filles, culture de champ, surveillance du bétail de la famille
pour les jeunes garçons. L'univers traditionnel est aussi
caractérisé par la grande liberté de l'enfant. Ainsi,
l'enfant jouit d'une totale liberté dont la liberté de religion,
la libre circulation, la liberté d'agir. Il a aussi une liberté
de jeux et de loisirs très considérable. L'enfant dans l'univers
traditionnel peut consacrer tout son temps aux jeux et aux loisirs sans que
personne ne le lui refuse, car il est dans son droit le plus plénier.
Ces différents droits et libertés font de l'enfant dans l'univers
traditionnel, un enfant roi avec des droits biens reconnus, garantis et
protégés par la communauté à l'endroit de sa
personne. Ces droits doivent être assurés et garantis à
l'enfant en raison de son immaturité intellectuelle et physique afin de
lui assurer le bonheur et la protection. La particularité de la vision
traditionnelle des droits de l'enfant que nous venons de voir, est qu'ils ne
sont écrits nulle part encore moins rassemblés dans un quelconque
document. Ils sont en revanche gravés dans toutes les consciences
individuelles, collectives et dans tous les coeurs des citoyens de la
communauté.
L'autre particularité de la vision traditionnelle des
droits de l'enfant est que ce dernier n'a pas que des droits. Il possède
aussi des devoirs vis- à-vis de ses parents et de la
communauté. Ses devoirs relèvent du fait de son être
et plus précisément du fait que les parents et la
communauté sont ceux qui lui assurent l'existence, la survie et la
protection de ses droits. C'est ainsi que malgré son jeune âge,
l'enfant dans l'univers traditionnel est lui aussi astreint à des
devoirs bien détaillés. Ces devoirs contrairement aux droits sont
nettement énumérés montrant leur prééminence
dans la société traditionnelle béninoise voire africaine.
Parmi ces devoirs de l'enfant, nous notons en premier l'obéissance. Le
devoir d'obéir aux personnes adultes, aux personnes âgées
traduit la volonté de la société de reconnaître la
place accordée à l'expérience. L'enfant a un devoir social
d'obéir à ses parents et aux aînés. Ce devoir
instaure dans la société traditionnelle le droit d'aînesse
et à pour limite, la privation pour l'enfant de critiquer ou rejeter la
parole de l'adulte et d'exprimer avec liberté son opinion. Il le
contraint également à la soumission aux personnes plus
âgées dans l'organisation sociale. C'est ainsi qu'au nom de ce
devoir, les personnes adultes décident et agissent au nom de l'enfant,
chose contraire à la conception actuelle des droits de l'enfant comme
nous le constatons dans les différents instruments internationaux de
protection de l'enfant. Cette vision vient en contradiction en quelque sorte
à tout ce qui a été développé concernant
notamment la jouissance sans limite des droits par l'enfant en raison de son
statut d'ancêtre dans la communauté mais s'explique par le but du
projet collectif de sa socialisation. L'enfant a également un devoir de
participation aux travaux domestiques et champêtres de ses parents, le
devoir de respecter, d'aider et d'assister quelque soit la circonstance les
vieillards en cas de besoin. Il est aussi recommandé à l'enfant
dans l'univers traditionnel béninois de servir sa communauté
d'appartenance en mettant ses forces et capacités physiques et
intellectuelles à sa disposition. Il lui est demandé
également de sauvegarder la tradition à travers la
préservation des valeurs culturelles, des normes et de la coutume. Au
cas où, l'enfant ne s'acquitte pas de ses différents devoirs, ses
droits en société peuvent lui être refusés ou non
garantis par la collectivité. Mais vu que la société a un
devoir de garantir les droits de l'enfant et de les protéger, une autre
solution peut être envisagée si l'enfant n'arrive pas à
observer ses obligations sociales. Il s'agit du recours à la punition ou
sanction. D'où l'importance de la question de la sanction dans la
représentation sociale de l'enfant. En effet, la représentation
collective traditionnelle de l'enfant, considère la sanction qu'elle
soit physique ou autre, nécessaire pour éduquer, socialiser et
garantir les droits de l'enfant. La sanction participe à la
transformation de l'enfant notamment sert à lui donner un
caractère d'être humain dans le monde des vivants. Ainsi, il peut
être corrigé s'il ne respecte pas ses obligations mais de
façon très modérée et humaine avec un objectif
social : la perfection de sa personne humaine.
Au total, l'enfant dans l'univers traditionnel jouit d'une
variété de droits limités dans une certaine mesure par la
communauté avec des devoirs énumérés en
dépit de son jeune âge. Ce qui pourrait laisser à conclure
que la conception des droits de l'enfant reste ambiguë et floue. Cette
confuse situation n'empêche pas pour autant de relever
l'originalité du système traditionnel de droits de l'enfant avec
des droits inaliénables et inconditionnels d'une part, et des devoirs
inaliénables et inconditionnels d'autre part pour l'enfant. Ce
détour précieux dans cette étude, qui aborde la question
de la représentation de l'enfant, de ses droits et devoirs dans
l'univers traditionnel a un avantage certain, celui d'appréhender le
système traditionnel de socialisation de l'enfant. C'est ce que nous
aborderons dans ce second paragraphe consacré à la question de
l'intégration de l'enfant à la vie sociale de la
communauté.
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