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L'esthétique humaniste des films de Walter Salles

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par Sylvia POUCHERET
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Esthétique et études culturelles 2007
  

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Esthétique documentaire et construction identitaire mythique

Ceci nous amène à questionner le parti pris réaliste et documentaire des films de Salles, qui, nous semble-t-il, se trouve remis en question par une tendance à l'élaboration idéologique identitaire. Le cinéaste aime explorer la fusion entre fiction et approche documentaire du sujet pour souligner le fait sans doute que le film gagne sa vérité et sa légitimité dans cette rencontre avec le réel et ses aléas. Salles insiste sur le travail du film comme expérience en soi, une expérience collective qui trouve sa vérité dans le processus même de son élaboration pour une bonne part improvisée. François Niney dans son ouvrage souligne le caractère performatif et intéressant d'une telle construction et rappelle les mots de Godard32(*) sur le caractère caduque de la distinction entre ces deux modes de représentation que sont la fiction et le documentaire:

« Mettons les points sur les «i». Tous les grands films de fiction tendent au documentaire, comme tous les grands documentaires tendent à la fiction(...)Et qui opte à fond pour l'un trouve nécessairement l'autre au bout du chemin »

Il est vrai que l'on oppose traditionnellement fiction et documentaire dans la mesure où la fiction cherche généralement à divertir le spectateur tandis que le documentaire s'efforce de lui apporter une connaissance scientifique du sujet. Dans cette perspective on s'attend à ce que la forme du documentaire observe une certaine sobriété stylistique dépourvue de tout effet ou recherche poétique qui parasiterait le contenu. John Grierson dans son essai The Documentary Idea33(*) insiste sur le reniement stylistique, le parti pris anti-esthétique du documentaire idéal:

« Dès le début, le documentaire, lorsque nous nous sommes séparés des théories de Flaherty , nous est apparu comme un mouvement anti-esthétique. Je pense que nous avons tous sacrifié notre talent artistique et notre égo dans ce but. »

Ainsi Grierson s' oppose de manière radicale à l'autre école de documentaristes pour laquelle Walter Salles avoue sa préférence, celle qui envisage une forme de poétique documentaire. Jean Epstein parlait déjà du cinéma comme permettant une nouvelle forme de connaissance du monde, une « lyrosophie » où la prise de vue n'est autre qu'une prise de vie, où la photogénie opérant une pause dans le temps , donne relief à la matière et au visage. Dans le même ordre d'idée, l'ethnologue Stéphane Breton34(*) envisage l'approche documentaire comme une révélation poétique du réel à l'opposé de l'ironie et de la dérision:

« Le documentaire est davantage à la recherche de la poésie et du lyrisme que de la distanciation ou de la dénonciation (...)Cette posture filmique devant le réel sied au public actuel, à son désir d' ubiquité, à son besoin d'ailleurs, d'aller au plus près des choses, à sa curiosité morale. »

Salles revendique sa filiation avec le travail de Flaherty qui vise à donner une expressivité dans la peinture de la condition humaine. Cette recherche esthétisante du sujet documentaire peut se voir dans l'un des documentaires de Salles sur la Bossa Nova, où les premiers plans s' ouvrent sur la danse improvisée d'un pauvre noir des favelas se reflétant dans des flaques d'eau et entraînant des sachets plastiques dans le mouvement. Le cinéaste poétise la figure du pauvre et ce faisant rajoute une forme de commentaire implicite sans vraiment le signifier ouvertement. Il nous installe dans un regard fasciné et extérieur à la condition de ce noir désespéré ou joyeux, on ne saurait le dire,mais en tout cas , l'effet d' illustration pittoresque est réussi. Grierson 35(*)met en garde contre cette recherche esthétique dans le documentaire destiné à révéler une réalité sociale car il déplace le point d'attention et diminue la vigilance critique du spectateur. Il faut de plus souligner le pouvoir supplémentaire du documentaire dans l'effet d' immédiateté et de réalisme qui ferait croire au spectateur en l'objectivité ou l'authenticité absolue de la représentation. Car il y toujours forcément un risque de falsification idéologique dans toute élaboration documentaire. Nichols36(*) note par ailleurs la propension dans toute fiction, qui donne cohérence et unité au réel par définition informe et imprévisible, à l'élaboration allégorique et mythique. Et sur ce point, la construction mythique peut servir des présupposés culturels et idéologiques stratégiques en vue de cristalliser une mémoire collective. Salles n'a jamais caché le but de sa démarche consistant à mêler approche documentaire et fiction dans l'élaboration d'une conscience nationale et d'une culture nationale. Il reste pour les spectateurs brésiliens et internationaux d'identifier les a priori idéologiques sous-jacents de ses films, l'orientation du regard ainsi élaborée dans le contrat de lecture, dans le texte filmique pour ne pas être dupe de la singularité ou de la relativité du propos tenu. Souvent le cinéaste occulte le caractère orienté de ses films en insistant sur l' authenticité des situations filmées, leur improvisation, le recours à des acteurs non professionnels mais la structure du film et le parti pris visuel ( lors de la construction du point de vue notamment) sont issus de la même origine régulatrice des paramètres et des proportions du film , la même instance présidant au découpage signifiant du réel,c'est à dire le réalisateur et ses collaborateurs. Tout l'enjeu de la démarche selon François Niney37(*) est de savoir si cette construction reposant sur la fusion entre documentaire et fiction nous permet de nous affranchir du chaos informe du monde ou nous assujettit tout au contraire à une vision et donc un pouvoir économique, moral ou politique voire métaphysique particulier et discutable. Tout consiste à se demander au fond si le cinéaste témoigne d' une réalité sociale même refoulée ou s'il impose ses images jusqu'à les faire passer pour vraies. Quelle est la valeur de vérité de son travail qui insiste sur la dimension mimétique d' avec le réel? Dans quelle mesure y a-t-il compréhension ou consolation abusive vis à vis du sujet traité, occultation de certains paramètres même si la force de réalité des images nous remplit les yeux ? Quel type de subjectivité spectatorielle est mise en avant ? Car les images assignent toujours au spectateur une série de points de vue obligés. Est-ce une subjectivité régressive ou libératrice ? Quel parcours cognitif , émotionnel, esthétique assigne t-on au spectateur et dans quel but ?Lui laisse-t-on la possibilité de se dégager de l'emprise émotionnelle des images pour lui permettre d'atteindre une distance critique? Cette interrogation fera l'objet de la deuxième partie de notre étude. Les films contiennent -ils des éléments d'auto-critique à l'intérieur même de leur facture afin de relativiser l' illusion réaliste et de mettre à jour les conflits de pouvoir et de vision dans le texte filmique. Exemple utile, le travail de João Salles (frère de Walter Salles),dans son documentaire intitulé Santiago (2006) nous semble significatif de cette volonté de mettre à nu les a priori idéologiques qui ont présidé à la construction de l'oeuvre et les relations de pouvoir internes qui se jouent entre le sujet ( Santiago, le majordome de la famille Salles) et le documentariste lui-même pendant avant et après le tournage. De sorte que l'organicité même du documentaire permet une expérience filmique au sens fort du terme puisqu'elle met à jour des enjeux jusque là insoupçonnés du documentariste lui-même. Le tournage devient le lieu d'une prise de conscience brutale( les rapports de classe entre Santiago, autrefois figure paternelle dans la mémoire attendrie de João Salles-documentariste et le documentariste lui-même relégué au statut de fils du patron) Ce choc autobiographique est révélé par un montage visant la mise à nu du dispositif et le regard auto-critique du cinéaste si bien que le documentaire prend une dimension métafilmique sur la nature même de l'exercice. Le spectateur reste sensible au souci de probité intellectuelle, rarement égalé, qui sous-tend le projet constamment. Sans doute cette dialectique de vision aussi organiquement exposée permet -elle d'atteindre une plus grande vérité de l'expérience filmique et laisse au spectateur toute latitude de jugement.

Les films de Salles reposent sur la fusion d'un réalisme de captage (immédiateté, imprévu, improvisation, documentaire) et d'un réalisme de reconstitution38(*) aux accents de fable morale. La plupart d'entre eux ont pour point d'origine un documentaire. Ainsi, le documentaire Socorro Nobre (1995) (l'histoire d'un échange épistolaire improbable entre une détenue de 36 ans et le sculpteur Franz Kracjberg) a trouvé son développement fictionnel dans Central Do Brasil (1998). Salles procède par imprégnation, s'immerge dans la réalité de son sujet avant d' élaborer une trame signifiante , empreinte de valeurs morales comme nous l'avons montré plus haut. Il s'agit de savoir dégager le meilleur de l'homme malgré les situations tragiques dépeintes et de le mettre en valeur sur les écrans comme le suggère un plan-métaphore dans Terre étrangère (Terra estrangeira,1995), celui des diamants perdus dans la terre , foulés aux pieds par inattention et indifférence. La métaphore est appuyée en ce sens que tous les films de Salles tendent vers le constat d'une humanité souffrante non seulement sur le plan matériel mais aussi et surtout sur le plan existentiel. Les films n'auront de cesse de révéler l'humble grandeur de cette humanité dans le combat existentiel comme dans les documentaires de Flaherty (qui par ailleurs furent critiqués pour leur évitement des questions sociales et politiques, en particulier pour Man of Aran,1953). Le propos est humaniste en apparence et la forme esthétique à travers la poétisation ou la stylisation de la pauvreté, l'indigence et la douleur. La métaphore des diamants foulés aux pieds dans la terre pourrait résumer à elle seule l'entreprise cinématographique de Walter Salles où la compassion, le regard attendri, le sentiment ne sont jamais très loin comme nous le verrons dans notre analyse de films.

Walter Salles39(*) par ailleurs argumente que la démarche documentaire permet de concevoir le film comme une construction ouverte, spontanée ou « work -in-progress » dénuée de tous schéma préconçu et sans cesse redéfinie par le travail et l'improvisation des acteurs parfois non-professionnels. Il fustige le travail d'un Michael Moore qui vise trop, selon lui , la défense d'un point de vue, celui du cinéaste,pour qui tout est connu d'avance,la démonstration n'a plus de mystère. La forme documentaire selon Salles doit au contraire permettre la découverte, l'inattendu, l'expérience susceptible d' amener a posteriori quelques réponses et de faciliter la co-création du spectateur si chère à Glauber Rocha.

Il nous semble toutefois que la sensibilité du cinéaste pour le traitement humaniste de la condition des humbles au brésil et en Amérique latine l'amène à privilégier également un point de vue très personnel sur fond d' authenticité, plus précisément à défendre un discours visant la construction d'une psyché nationale où les valeurs de solidarité et de générosité sont mises en exergue.

Christian Salmon dénonce dans son ouvrage Storytelling40(*), cette « grammaire de l'authenticité » qui contamine la production artistique ou qui envahit les discours politiques. Cette tendance en réalité participe d'une véritable entreprise de mystification nationale et de formatages des esprits sur une typologie d'histoires et de thème fédérateurs à l'adresse des spectateurs. Elle consiste en la création d'un moi souffrant (pendant au capitalisme émotionnel),c'est à dire à une identité organisée et définie par ses manques et ses déficiences psychiques. De ce fait toute les productions fictionnelles ou documentaires feront échos à des thèmes récurrents comme celui de la souffrance et de la rédemption (thème éminemment prégnant chez Salles), privilégieront le style lyrique,voire héroïque, n' hésitant pas à faire référence à des sources nobles ou antiques (comme la tragédie grecque dans Avril brisé) pour exalter chez le spectateur la connivence entre destins individuels et destin national. Les schémas narratifs des films de Salles empruntent invariablement la même voie/voix : toutes ses fictions évoquent un moi brésilien en souffrance mais dont la vitalité et le potentiel humain laisse espérer une forme de rédemption à la fois individuelle et nationale. Salmon41(*) note qu' aux Etats-Unis, où cette tendance scénaristique et idéologique s'est constituée depuis les années 80, bon nombre de films ou de discours politiques mystificateurs exhortent le citoyen américain au changement et à la réalisation de soi dans une culture de capitalisme émotionnel. Le propos de Christian Salmon fait écho à ce qu'écrivait Barthes sur la construction mythique comme parole dé-politisée. Barthes assimile l'élaboration mythique à la parole bourgeoise en ce sens qu'elle tend à récupérer le réel pour mieux l'évacuer , le diluer dans une forme de vision naturelle dépourvue de qualité historique42(*):

« le mythe ne nie pas les choses, sa fonction est au contraire d'en parler; simplement il les purifie, les innocente, les fonde en nature et en éternité, il leur donne une clarté qui n'est pas celle de l'explication mais du constat. »

Barthes poursuit en dénonçant ce parti pris de la « clarté de l'humanité mythologique » comme une vision « euphorique » essentiellement bourgeoise , « à droite ».Il s'interroge sur le discours ou le spectacle qui sous couvert de valoriser ce qui apparaît comme naturel et spontané ne fait que ménager une forme d' ambiguité voire d'hypocrisie dans le propos43(*):

« ici encore le signe est ambigu: il reste à la surface mais ne renonce pas pour autant à se faire passer pour profondeur. Il veut faire comprendre (ce qui est louable) mais se donne en même temps pour spontané (ce qui est triché) .Il se déclare à la fois intentionnel et irrépressible, artificiel et naturel, produit et trouvé(...) car s'il est heureux qu'un spectacle soit fait pour rendre le monde plus clair, il y a une duplicité propre au spectacle bourgeois: entre le signe intellectuel et le signe viscéral, cet art dispose hypocritement un signe bâtard, à la fois elliptique et prétentieux, qu'il baptise du nom pompeux de « naturel »

Nous pouvons voir dans le propos de Barthes la base d'une remise en question sérieuse des a priori esthétiques et idéologiques des films de Salles tout autant de ceux de ses contemporains toujours plus nombreux à prôner le mélange entre esthétique documentaire et fiction par souci de réalisme certes mais aussi pour l'efficacité de la fascination que peut susciter l'authentique ou le naturel d'un tel spectacle. Tout comme Lucia Nagib qui s'interrogeait sur le souci chez Salles de représenter le peuple brésilien en insistant sur son authenticité et son naturel comme essence presque mythique, le spectateur peut se demander si cette forme de représentation de la condition humaine ne tend pas à escamoter la politique comme ensemble de problèmes et de solutions au profit de la célébration d'une manière d'être, d'une position socialo-morale, voire d'un chantage aux valeurs morales patriotiques etc.

En outre, Lúcia Nagib44(*), constate l'influence chez Salles et d'autres cinéastes brésiliens (Meirelles) des techniques scénaristiques américaines (grâce aux échanges avec des festivals comme Sundance notamment) sur leurs propres choix narratifs. Elle constate que l'émergence du nouveau cinéma brésilien (appelé Retomada) correspond à l'émergence d'une sorte d'école de scénaristes brésiliens sous l'égide de Walter Salles et de sa société de production Vidéofilmes. Comme nous l'avons pressenti plus haut, cette nouvelle école pourrait donner lieu à une forme de formatage idéologique et esthétique des films brésiliens si l'on considère les enjeux du marché mondial du film et du positionnement de la production filmique brésilienne dans le contexte de la globalisation.

* 32 François Niney, L'Epreuve du Réel à l'écran ,Edition De Boeck, 2004 p.101

* 33 Susanna,Helke, «  Reality Replayed: Documentary filmmaking and documentary value »

http://www.widerscreen.fi/2004/2/reality_replayed.htm

* 34 Stéphane Breton, Télérama, n°2958,20 sept.2006

* 35 Suzanna Helke,Ibid,

* 36 Bill Nichols, Blurred Boundaries: Questions of Meaning in Contemporary Culture ,Indiana Press University, Bloomington ,1994 p.244

* 37 François Niney, L'épreuve du réel à l'écran, Editions De Boeck, 2002 p.315

* 38 Frank Curot, Styles Filmiques:2.Les Réalismes, Etudes cinématographiques, Lettres Modernes Minard, p.151-168

* 39 Walter Salles,« A conversation with Walter Salles »,March4,2005,Center for Latin American Studies,University of Berkeley California

* 40 Christian Salmon, Storytelling, Editions La découverte, 2007 p 84

* 41 Ibid,p40

* 42 R. Barthes, Mythologies,Paris, Seuil,  « Points essais »n°10,1957,p217

* 43 Roland Barthes, ibid. p 29

* 44 Lucia Nagib, « Going global:the brazilian scripted film » in Sylvia Harvey, Trading Culture:Global traffic and Local Cultures in Film and Television, John Libbey Publishing,2006 p95-103

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore