Sylvia Poucheret
Université de Paris I
Année Universitaire 2007-2008
MASTER 2 ESTHETIQUE
Sujet : L'esthétique
« humaniste » des films de Walter Salles
Directeur de Recherche :
Mr Jimenez
Introduction
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La critique qualifie certains films
d'« humanistes », terme un peu rapide et attrape-tout pour
désigner une tonalité vaguement éthique dans le propos
comme dans la forme, une mise en scène et une narration ayant comme
point de mire, le souci de « l'humain » et des vertus
morales universelles. Depuis ces dix dernières années, le
cinéma d' Amérique latine connaît un regain
d'intérêt dans les festivals internationaux sans doute parce qu'il
se singularise par cette mise en exergue d'une représentation poignante
de la condition humaine en proie aux dysfonctionnements politiques, culturels,
économiques et sociaux. Souvent ces fictions empruntent à
l'esthétique documentaire pour renforcer le réalisme et le
vérisme des histoires proposées (Le Violon( 2006),
El Camino de San Diego (2007), la Cité de Dieu
(2002).La poésie du réel, l'authenticité des
situations prises sur le vif ou jouées par des acteurs non
professionnels sont autant d'arguments pour remporter l'adhésion du
spectateur international en mal de vérité, pourtant
abreuvé d'images- catastrophe sur la misère humaine dans les
journaux télévisés.Ce dernier sort des projections en
ayant le vif sentiment d'avoir appris sur ses
« frères »lointains, sur leurs souffrances, et
d'avoir éprouvé une forme d'empathie et de communion
émotionnelle rarement atteinte dans la réalité de sa
propre vie. Dès lors, peut-on se risquer à considérer que
la production cinématographique issue de ces pays, que certains classent
sous l'étiquette de « World Cinema » ou
cinéma des pays émergents, relèvent d'une
esthétique particulière reconnaissable entre toutes malgré
les idiosyncrasies des réalisateurs et des cultures nationales?
Pourrait-on qualifier cette esthétique
d' « humaniste » dans la mesure où elle
rassemblerait un certain nombre de choix esthétiques dans la mise en
scène, l'orientation du point de vue, les conditions de tournage, les
thèmes récurrents, le mode de production, etc. qui sous-tendrait
un discours positiviste et mélioriste sur la condition humaine ?
Si oui, quelles en seraient les limites ou les leurres pour tout
spectateur ?
On peut situer l'origine de cette esthétique
cinématographique dans la tentative de certains photographes des
années 50 de créer un mouvement visant l'image poétique
et optimiste de la figure humaine. Dans ces années d'après
guerre, les peuples rêvaient de réconciliation, de paix,
d'harmonie et de fraternité. C'est pourquoi le MOMA de New York avait
lancé en 1955 à l'initiative d'Edward Steichen la plus grande
rétrospective mondiale de photographies intitulée
« Family of Man » à laquelle avaient
participé Cartier-Bresson, Willy Ronis notamment. Ces derniers,
dès les années 30, partageaient une vision essentialiste et
lyrique de l'homme et s'appuyaient sur l'idée d'une nature humaine
universelle. Leurs photos reflétaient un nécessaire optimisme en
l'homme après les désastres et les atrocités de la guerre.
Mais leur esthétique respectueuse des personnes photographiées et
parfois teintée de sentimentalisme fut critiquée par Roland
Barthes1(*) comme
étant tout bonnement simpliste dans la volonté de refaire le
monde. Si cette esthétique a connu un relatif déclin par la
suite, elle a été remise au goût du jour par certains
photographes sud-américains comme Sebastião Salgado (
photo-journaliste brésilien), Christian Cravo, Pepe Deniz, photographes
dont se réclame Walter Salles2(*),cinéaste brésilien reconnu pour le
caractère humaniste de ses films.
Notre étude portera de manière plus
spécifique sur l'oeuvre de ce cinéaste dans la mesure où
ses partis pris esthétiques « humanistes »
génèrent en réalité, nous semble-t-il, des
ambivalences voire des paradoxes par rapport à l'intentionnalité
de son projet cinématographique initial. Il sera intéressant
d'envisager par ailleurs dans quelle mesure ces tensions ne sont pas
symptomatiques d'un état et des enjeux de la production filmique
actuelle à l'échelon international.
Ces ambiguïtés ressortissent avant tout aux
implications éthiques et idéologiques de l'association des deux
termes « esthétique » et
« humaniste ».Est-ce que le projet humaniste (le salut de
l'homme par l'homme) peut se traduire ou se constituer dans une forme
esthétique? Peut-il souffrir son
« esthétisation » à l'écran
notamment?Est-ce que l'esthétique d'une oeuvre d'art peut être
jauger à l'aune de sa dimension éthique ? Dans quelle
mesure peut-elle induire un comportement ou un regard éthique chez le
spectateur comme chez le créateur ? Notre étude abordera
naturellement ses questions à travers l'analyse de l'exemple concret des
oeuvres du cinéaste. La tension entre éthique et
esthétique y joue à plein. Selon Salles lui-même3(*), l'art peut avoir des vertus
éthiques et performatives en ce sens qu'il peut changer les
mentalités et la société dans laquelle il est produit.
Devant l'urgence et la nécessité de répondre au chaos de
la société brésilienne, le cinéma peut changer la
perception invariablement pessimiste d'un réel désarmant pour
forger une nouvelle conscience nationale et dynamiser les initiatives
porteuses d'espérances. Il serait la clé d'une libération
des énergies individuelles, la prise de conscience d'un potentiel
national. Pour ce faire, il convient selon lui de re-sensibiliser le regard
du spectateur4(*), de
l'ouvrir davantage aux vertus humaines de la compréhension de l'autre et
de soi, de la compassion, du respect de soi et des autres, de la
solidarité. Comme les mots peuvent aider à forger un destin, les
images tels des miroirs lacaniens auraient des vertus structurantes sur le
devenir du citoyen brésilien. Salles insiste également sur
l'implication émotionnelle du spectateur comme condition incontournable
de sa re-sensibilisation5(*)
tant il est vrai selon lui que l'émotion au cinéma, loin des a
priori négatifs traditionnels à son sujet, est inhérente
à la cognition et à la compréhension de la dimension
morale des oeuvres.
Il nous parait utile de réfléchir sur la
viabilité et la probité intellectuelle de l'approche
esthétique de Walter Salles qui semble gagner l'adhésion d'un
public national de plus en plus large et trouver un franc succès dans
les box offices internationaux. Il convient à ce titre, d'orienter
notre analyse des films du corpus sur la mise en oeuvre des théories
critiques cognitivistes concernant l'économie émotionnelle des
oeuvres cinématographiques et de leur réception . Nous nous
inspirerons des travaux de Bordwell, Coward sur le lien entre genres filmiques
et parcours émotionnel balisé du spectateur au niveau de la
diégèse, de la plastique de l'image, des effets visuels. Notre
analyse prendra également appui sur les réflexions menées
par Susan Sontag au sujet du rapport du spectateur à la
représentation photographique de la douleur et de la condition humaine,
ses implications éthiques et ses ambiguïtés. Nous nous
efforcerons donc de mesurer l'écart entre la mise en oeuvre d'un
dispositif esthétique visant la prise de conscience éthique du
spectateur et son effectivité réelle sur le plan pragmatique et
idéologique.
Dans cette optique, il importe de s'intéresser dans un
premier temps à la tendance référentielle de l'oeuvre de
Salles dans la mesure où cette dernière convoque de
manière assez systématique les tenants idéologiques et
esthétiques du Cinema Novo, du Néoréalisme Italien et de
la Nouvelle Vague. A ce titre, on pourra observer un certain glissement
idéologique ou une rediscussion des références au
cinéma révolutionnaire de Glauber Rocha, un des fondateurs (avec
Nelson Pereira Dos Santos et Guy Guerra) du Cinema Novo brésilien, dans
une direction plus consensuelle, fédératrice voire conservatrice.
Là où le cinéma de Glauber Rocha s'efforçait
d'être révolutionnaire dans sa forme comme dans son message et
avait pour objectif d'exhorter les brésiliens à la révolte
et au sentiment révolutionnaire, le cinéma de Salles nous semble
plus poli, plus lisse dans sa tentative d' opérer « une
révolution morale optimiste » chez ses concitoyens pour
construire une société plus apaisée et tolérante.
Nous nous demanderons si cette réorientation humaniste de bon aloi
n'est pas la caractéristique la plus frappante du cinéma
brésilien actuel, qui semble , selon nous et contrairement à ce
que pensent certains critiques, s'uniformiser dans ces choix
idéologiques et stylistiques face au contexte du marché
international du film.
Sylvie Debs et d'autres critiques6(*) évoquent en effet une
tendance au pluralisme idéologique , à l'individualisme patent
dans l'approche esthétique et idéologique des films. Nous
émettons l'hypothèse inverse qu'un courant «
humaniste » s'affirme avec ses principaux tenants ( Walter Salles
mais aussi Fernando Mereilles pour le Brésil) et leurs
«disciples » c'est à dire la génération
montante des cinéastes brésiliens trentenaires, courant
symptomatique d'une position que nous qualifierons de politiquement correcte
mais qui présente néanmoins un certain nombre
d'ambiguïtés et de paradoxes idéologiques et
éthiques.
1ère Partie : Dialogue avec le
Cinéma Novo
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Une oeuvre référentielle
Walter Salles reconnaît volontiers sa dette
intellectuelle envers les pères du Cinéma Novo7(*) (Glauber Rocha, Nelson Pereira
Dos Santos, Ruy Guerra) comme la plupart de ses collaborateurs actuels ( Karim
Aïnouz, Marcos Berstein, Daniela Thomas) devenus réalisateurs
à leur tour. Outre le désir de rendre hommage à ceux qui
se sont efforcés de donner un nouveau langage cinématographique
et un nouveau visage au Brésil, se retrouve dans l'oeuvre de Salles non
la tentative d'un académisme « auteurisant » mais un
désir d'ancrage identitaire, la recherche d'une forme de
légitimation esthétique et idéologique qui pourrait
fournir la base d'un renouvellement ou d'une re-discussion des préceptes
des cinémanovistes des années 60 dans le contexte actuel8(*). Tout comme le cinéma de
la Nouvelle Vague qui s'est nourri des films des autres en pratiquant la
référence systématique, le cinéma de Salles, dans
sa recherche appuyée de la filiation, présente un
véritable enjeu cinématographique dans la mesure où il
s'inspire des thématiques et des choix visuels de ses
prédécesseurs pour redéfinir, une orientation
esthétique et idéologique presque contradictoire avec ces
derniers et qui aujourd'hui semble faire des émules au Brésil et
sous d'autres climats ( Robert Redford et Francis Ford Coppola9(*)).
En effet, si la citation cinématographique consiste
à insérer, telle une greffe, des images d'un autre film entre
deux images, la référence elle se présente davantage
comme une réécriture d'un autre film ou de certaines de ses
séquences ou options visuelles. Dans la référence il n`y a
donc pas rupture dans le montage, les images étrangères
constituent un sous-texte inspirant et éclairant mais ne sont pas
présentes en tant que telles. C'est donc ce mode opératoire,
typique de la démarche de Salles, que nous tenterons d'analyser dans
une approche comparative des films afin d'en dégager les implications
idéologiques voire les failles du discours asséné avec
force et de mettre ainsi en lumière les enjeux de son
esthétique « humaniste ».D'une manière
générale , on observe un glissement significatif des
perspectives politiques que Salles justifie en évoquant l'effondrement
des idéologies et la banqueroute du système politique
brésilien dans sa tentative de résoudre ou de ne pas
résoudre les difficultés socio-économiques criantes du
pays.
D'un cinéma révolutionnaire engagé
à un cinéma identitaire et humaniste
Le cinéma de Walter Salles hérite en
réalité des débats, des fluctuations et des revers de
fortune du projet cinémanoviste formulé de manière plus
théorique par Glauber Rocha notamment dans son manifeste prônant
une « esthétique de la faim »
publié en France sous le titre « esthétique
de la violence ».Dans une optique historique toujours attentive
aux liens entre le culturel et le politique, Rocha pensait la création
cinématographique en termes de révolution et de réaction
contre un ordre social et un état du cinéma national
particulièrement aliénant pour les couches populaires. Il
envisageait le cinéma comme instrument de connaissance de la
réalité brésilienne, de mise en question de cette
réalité afin d'interférer politiquement et
concrètement avec elle10(*) :
« Nous avons réalisé que nous vivions
dans une société sous-développée et historiquement
exclue du monde moderne et qu'il nous fallait connaître plus
profondément cette réalité dans laquelle nous vivions
pour trouver le chemin de l'émancipation . »
Le nouveau cinéma devait donc avoir une vocation
critique, politique et réaliste afin de traduire une
réalité nationale à partir d'une esthétique
originale authentiquement brésilienne. Il s'agissait de toucher le
public en l'éloignant de l'académisme et de la mise en
scène traditionnelle, de l'esthétique hollywoodienne, pour le
sortir de son aliénation culturelle. Cela ne signifiait pas seulement
trouver ou réactiver des thèmes nationaux mais chercher un
nouveau langage et une nouvelle façon de tourner les films. Il fallait
établir une rupture avec l'esthétique simpliste d'un
cinéma national populaire (les Chanchadas) tout en
préservant une communication immédiate avec le public. Rocha de
son côté proposa un cinéma expérimental
inspiré du néoréalisme italien susceptible selon lui de
fournir les bases d'une exploration authentique du réel afin de
provoquer une prise de conscience collective . L'esthétique en
cours d'élaboration consistait à filmer 11(*):
« une caméra à la main, une
idée dans la tête, avec un objectif sans filtre, sans
réflecteurs, pour une lumière ambiante , naturelle ;c'est
rapide, moins cher et plus beau »
Les cinéaste du groupe ont délaissé les
studios pour filmer en décors naturels, ont pris la population locale
pour assurer la figuration et des acteurs non professionnels ,comme
c'était le cas pour les productions néoréalistes
italiennes, et tournaient sans avoir un scénario strictement
défini par avance, laissant une grande part à l'improvisation.
Dans son texte « le cinéaste
tricontinental 12(*)», Rocha évoque la violence de son style
cinématographique qui visait à rompre avec les attentes du
spectateur, notamment en ce qui concerne la représentation de la
misère ; il rejetait en effet l'utilisation de la
dénonciation sociale comme spectacle et qualifiait ses oeuvres de
« films de l'inconfort » dont l'un des aspects, la
pauvreté technique des moyens de réalisation, aurait
constitué un témoignage symptomatique de la réalité
sociale et économique. Il s'agissait donc avant tout de
réinventer l'attitude du spectateur , de faire de celui-ci un
participant à la création comme s' il était placé
devant une « copie de travail » aux côtés du
réalisateur. Il était ainsi soumis à une forme
d'instabilité ou de déséquilibre dans le cadre et la
nature du montage. La position éthique et esthétique ainsi
exprimée dans le manifeste « Uma estetica da
fome » de Glauber Rocha formule l'idée d'un
cinéma révolutionnaire c'est à dire d'un cinéma
qui prépare une conscience révolutionnaire . Elle trouve sa
réalisation concrète et fidèle dans le film Le Dieu
noir et le diable blond (Deus e o Diablo na terra do sol,1964).
Ce film est inspiré de l'épopée des
Canudos dans le Sertaõ (c'est à dire la
révolte aliénée des paysans et du du
sous-prolétariat du Nordeste) et se veut une démonstration de
démystification religieuse de ce peuple aliéné dans sa
propre révolte. Le vacher Manuel, après avoir tué son
exploiteur , se joint aux disciples hystériques d'une sorte de saint,
Sebastião le beato, qui prophétise avec une violence
mystique une future terre promise. Manuel, totalement possédé par
sa fureur mystique, accepte du beato les pénitences les plus
pénibles et les sacrifices les plus cruels. Le matador
Antonio-das-mortes, symbolisant la conscience pré-révolutionnaire
vient massacrer les disciples hystériques mais ne tue pas Manuel qui
sortira ainsi du cycle de l'aliénation mystique. Le matador le sauvera
une deuxième fois en tuant le cangaçeiro , Corisco,
bandit rebelle auquel Manuel s'est associé dans une autre tentative de
rébellion illusoire et aliénée. Le film se termine sur une
image de mer avec en fond sonore un chant annonciateur d'une lutte et d'une vie
nouvelle non cette fois sous l'égide de Dieu ou du diable mais de
l'homme 13(*):
« le Sertão devient mer /La mer devient
Sertão/Telle est mon histoire/Vérité,
imagination/J'espère en avoir tiré une leçon/Ce monde est
faux/La terre appartient à l'homme/Ni à Dieu ni au
diable »
OEuvre à la fois didactique et épique , Le
Dieu noir (1964)atteint également une dimension poétique,
visionnaire et humaniste dans son dessein idéologique. La violence
barbare et parfois insoutenable des images, le style de cadrage,
l'orchestration des séquences et l'asymétrie organique du rythme
augmentent la charge expressive du film où message politique et
message poétique se rejoignent dans une forme d'osmose . Cette
esthétique nerveuse se retrouve dans Antonio das Mortes (1969)
( inspiré du mythe populaire issu de la littérature de
colportage) où les cadrages à focale longue, plutôt
resserrés ,au contenu très dynamique, orchestrés par un
montage heurté, violent comme dans un rythme de transe donnent au film
une qualité métaphorique voire allégorique. Le film tente
une récupération du sacré, qui chez Rocha n'est pas
antinomique avec la lutte des classes, en reprenant la figure du
« tueur de cangaçeiros » cette fois figure
positive, héros luttant pour la cause du peuple et béni par la
sainte « beata » Ainsi donc, Rocha parvient
à élaborer un discours révolutionnaire qui intègre
la dimension culturelle de la religion au Brésil. Mais dans son
esthétique de la violence14(*) Rocha exprime également la volonté
d'outrepasser un nationalisme exclusivement brésilien. Pour lui le
Cinéma Novo devient aussi le cinéma politique du Tiers Monde (
perspective plus large que reprendra plus tard Salles à son compte avec
une tonalité identitaire pan-américaniste). Il doit être un
refus radical du cinéma industriel dominant synonyme de colonialisme
culturel, affirmer un style (pauvreté de moyens, style direct de la
caméra et du montage) qui s'oppose aux conventions en vigueur, un
langage qui soit une négation révolutionnaire aussi
légitime que la violence de l'opprimé dans le mouvement
dialectique historique 15(*):
« la plus noble manifestation culturelle de la faim
est la violence (...)l'esthétique de la violence , avant d'être
primitive, est révolutionnaire, c'est le moment où le
colonisateur s `aperçoit de l'existence du
colonisé »
Chez Nelson Pereira dos Santos, autre cinémanoviste,
la volonté de réalisme participe d'une entreprise de
démystification de l'exotisme des contrées intérieures du
pays pour en révéler l'aridité et la misère. Dans
Vidas Sêcas (Sécheresse, 1963) Dos Santos
utilise la caméra sur l'épaule lors de la progression de la
famille de paysans dans le lit asséché et caillouteux d'un cours
d'eau. L'image est cahotante et l'intention expressive claire : faire
éprouver au spectateur l'épuisante marche, l'âpreté
de la poussière, la fatigue, la soif, la brûlure du soleil
torride ; car la lumière n'est pas filtrée, elle
écrase les contours et les ombres ;les plans sont lents,
destinés à reproduire le rythme laborieux des paysans
sertanejos. Tout est réaliste, comme la lenteur
d'exécution du chien due à la nécessité de
ménager les cartouches ou la rudesse des conditions de vie les plus
prosaïques. Film cruel, Vidas Sêcas (1963) fait de
la technique cinématographique rudimentaire un symbole stylistique dont
la force expressive suggère la violence sociale à la
manière d'un documentaire. Ce film devient un véritable
traité sur la situation morale et sociale de l'homme brésilien
sans recherche esthétisante et sans mise en spectacle grâce
à une photographie qui respecte la lumière extérieure
nordestine et qui est directement héritée de la photographie de
reportage ou d'actualité.
Le Sertão nordestin devient pour les
cinémanovistes la métaphore de la condition brésilienne et
plus largement de la condition humaine. Rocha s'enthousiasmait sur le potentiel
expressif et idéologique de cette région. Cette « terre
lointaine et brûlante » filmée de façon
primitive constituait la matière première source d'inspiration
et la marque du Cinéma Novo. Mais l'exploration filmique de cette terre
permettait aussi d'analyser les causes de la misère sociale en
étudiant le contexte historique et géographique de l'homme
brésilien. Ruy Guerra dans son film Os Fuzis (les
fusils,1964) se donnait cette mission de dénonciation des
problèmes endémiques du Brésil qui se trouvent
cristallisés dans cette région aride du nord16(*) :
« Mon film est un documentaire sur la faim qui veut
mettre à nu les racines du mal »
Les films du Cinéma Novo pointent de manière
violente l'état de sous-développement tant matériel
qu'intellectuel, l'exploitation pure et simple du peuple sans terre par les
propriétaires terriens sans scrupules (Dieu noir, Antonio ,Vidas
Sêcas), la violence des rapports sociaux qui en découle,
l'aliénation ou la servilité morale dans laquelle le peuple est
entretenu, les liens qu'imposent la tradition, le fanatisme religieux, le
mysticisme. Carlos Diegues, autre réalisateur du groupe des
cinémanovistes s'interrogeait sur la viabilité de cette
entreprise tant la tâche semble incommensurable et les moyens
dérisoires : remettre en cause les fondements d'une
société et amener les spectateurs à être toujours
plus nombreux à prendre conscience de leur aliénation n'est pas
chose aisée quand on s'adresse à une population composée
pour moitié d'analphabètes ; éviter le paternalisme,
le populisme, le pittoresque tout en élaborant un langage simple
et communicatif, dont la poésie exprimerait l'espérance de jours
meilleurs et susciterait l'action, tels étaient les principaux enjeux
selon les réalisateurs du nouveau cinéma.
A l'instar du cinéma novo, Walter Salles reprend la
thématique nordestine dans Avril brisé
(Abril despedaçado, 2001) et Central Do
Brasil (1998). Chacun des deux films offre une perspective
idéologique différente tout en reprenant quelques motifs
déjà élaborés par les cinémanovistes . Une
nouvelle dimension, celle de l'éthique, est mise en avant et la
dénonciation frontale de l'exploitation d'une classe sociale par une
autre disparaît quasiment du propos. Pour Salles , le problème est
tout autre . Le brésil souffre du sous-développement car il ne
s'est pas encore constitué une identité sereine, unifiée,
ayant dépassé les traumatismes d'une colonisation portugaise
dévastatrice17(*).
D'où la persistance d'archaïsmes sociaux, économiques et
culturels, d'où l'existence d'une forme d'amoralité dans les
rapports humains voire de dysfonctionnement psychique chez les individus
inhérent aux structures sociales déshumanisantes issues de ce
passé problématique.
Ainsi Avril brisé (2001), huis clos en plein
air adapté du roman éponyme de l'écrivain albanais
Ismaël Kadaré, évoque une vendetta ancestrale entre deux
familles où les fils aînés de chacune s'entretuent selon un
code de l'honneur sacrificiel (loi du Kanum en Albanie).Salles emprunte
à la tragédie et à la dimension épique pour relater
les luttes fratricides d'un Nordeste archaïque du début du
XXème siècle. Ce faisant, il transpose un phénomène
culturel a priori exogène pour rendre compte de l'état de
sous-développement socioéconomique, psychique et moral des
habitants de cette région aride et hostile à la présence
humaine. D' aucuns diront que cette adaptation littéraire pourrait s'
apparenter à une greffe fallacieuse dans l'élaboration de la
mémoire collective brésilienne. Pour justifier son approche,
Salles s' appuie sur les écrits de Luiz Aguiar Costa Pinto concernant
les luttes de familles au brésil dans les années 1910 mais il ne
s'étend pas davantage sur la pertinence géographique de cette
étude et de son analyse des spécificités d'un tel
phénomène. L'ouvrage en question n'est pas consultable car
épuisé et non réédité. Il est
intéressant de voir malgré tout que la démarche rediscute
le parti pris des cinémanovistes de dénoncer une situation
sociale inique, celle des paysans sans terre (posseiros) louant leur
force de travail à des propriétaires
terriens(fazendeiros) sans foi ni loi , pour déplacer le
curseur vers une explication du sous-développement de type mythique et
culturelle voire psychanalytique. L'homme brésilien de cette
région peu amène est montré comme luttant contre les
archaïsmes des traditions familiales et contre une géographie
hostile à sa condition dans une approche poétique et naturaliste
inspirée des documentaires de Robert Flaherty (L'homme d'Aran, Man
of Aran,1934). Le seul salut possible sera de briser la logique
sacrificielle infernale (comme le fera le personnage principal du film) et
d'atteindre un niveau de réalisation morale menant à
l'émancipation des individus et de la société
entière. L'espoir des jours meilleurs passe par la catharsis et la prise
de conscience des réalités psychiques et culturelles entravant la
réalisation de la société humaine. En ce sens , le film
occulte toute forme de lutte sociale ou d' antagonismes de classe a priori
contrairement à Dieu noir diable blanc, même si la
famille des Breves semble moins nantie que ses voisins rivaux et souffre de la
baisse du prix de la canne à sucre. Le dernier plan du film semble sur
ce point significatif de cette rediscussion de la représentation
politique de la société brésilienne: citation
appuyée des derniers plans du film de Glauber Rocha, Dieu noir
diable blanc (1964) où la vision de la mer en survol annonce de
manière quasi mythique un futur révolutionnaire, celui de
l'émancipation du peuple, le dernier plan d' Avril brisé
(2001) ( regard énigmatique du jeune rebelle scrutant la
mer) devient un horizon d'interrogations sur le devenir
psychique, moral et civique (voire cinématographique) de la nation
brésilienne. Car Salles préfère élaborer son
propos sur des notions de construction identitaire et culturelle au
brésil en revisitant la mémoire collective et
cinématographique nationale. De ce fait, la tendance
référentielle de son cinéma participe du même souci
de garder en mémoire, l'identité cinématographique du
brésil.18(*)
Le même glissement idéologique s'opère
pour Central do Brasil (1998). Si les cinémanovistes, en
particulier Nelson Perreira Dos Santos dans Vidas Sêcas (1963),
dépeignent une humanité agraire miséreuse s'
efforçant d' échapper à l'injustice de son exploitation en
migrant vers les grands centres urbains du sud du brésil , Salles
choisit le parcours inverse pour préparer les protagonistes urbains de
son film à leur rédemption morale dans les villes nouvelles sans
âmes, dispersées à l'intérieur des terres. Dans le
contexte d'une image nationale dévalorisée, Salles introduit
alors le Nordeste comme un espace de solidarité ayant survécu
à toutes les difficultés. La société
sertaneja est montrée comme solidaire honnête,
travailleuse contrairement à l'image qui est donnée de Rio de
Janeiro où règnent la corruption, la violence quotidienne, le
cynisme. Cette inversion du chemin traditionnel migratoire sur le territoire
national peut être sérieusement discuté par les
économistes et sociologues dans sa véracité mais il
reflète le parti pris moral du cinéaste sur la condition des
pauvres habitants de Rio. Dora, protagoniste principal, représente le
cynisme et l'égoïsme individualiste des cariocas moyens.
Ecrivain public, elle n'envoie jamais les lettres des analphabètes qui
s'en remettent à ses compétences d'ancienne institutrice pour
quelques reais. Sa rencontre avec un jeune garçon orphelin à la
recherche de son père l'amènera à parcourir de vastes
territoires désertés où
« l'innocence »des moeurs et des mentalités est
encore préservée, de l'avis du cinéaste. Le dernier plan
du film montre sa transformation morale sur son visage retenant ses larmes.
Pour le cinéaste, la transformation de cette femme carioca
cynique et individualiste en être sensible et solidaire par une forme
d'ingression au coeur des terres du brésil , c'est-à-dire un
retour aux racines de la psyché brésilienne symbolise le
désir de changement en même temps que le mode de ce
changement,c'est à une forme de prise de conscience et de choix moral
individuel. L'affirmation identitaire, le retour aux sources, et la
transformation morale constituent les piliers d'une reconstruction nationale
possible selon Salles19(*):
« Je suis fatigué d'un
cinéma des années 90 très sceptique et cynique,
marqué par le fin de l'histoire, des idéologies, par un
discours défaitiste et immobiliste qui ne sert pas l' Amérique
latine (...)Il y a la nécessité de croire à la
possibilité d'un discours commun, d'une identité qui nous soit
commune; il faut être imbu de cette croyance pour espérer que
notre monde change »
Or, paradoxalement, il existe en contre-point d'une telle
vision utopique de ces zones peri-urbaines en friche soi-disant
protégées de la déliquescence morale des grandes villes
une représentation tout aussi inverse dans le film de Cláudio
Assis Le marais des bêtes (Baixio das bestas,2006),
où la société rurale est montrée comme
dysfonction, enclavée dans le vice et la décrépitude
psychologique, faute d'infrastructures économiques, de moyens
d'éducation, et de dérivatifs culturels.
Sylvie Debs20(*),dans son entretien avec Walter Salles s'interroge
également sur ce revirement de vision en rappelant le projet initial des
cinémanovistes de dénoncer l'injustice sociale, les
difficultés économiques renforcées par une rudesse
implacable de la nature et des relations humaines dans ses régions. Le
cinéaste se justifie par une réponse tout aussi
idéologiquement orientée et ce malgré le souci constant
d'une approche documentaire sur son sujet:
« Etant donné que le film est l'extension de
mon propre regard et que celui est ancré dans les années 90 et
non dans les années 60 (où le débat idéologique
était beaucoup plus présent et virulent), le changement
s'explique aisément. Il est évident que de nombreux
problèmes décrits dans les films du cinéma novo subsistent
encore aujourd'hui au Brésil. Nous vivons dans une culture de
l'immobilisme où les problèmes de sécheresse et mauvaise
distribution de la terre n'ont pas disparu. Or Central do Brasil
cherche à lutter contre cet immobilisme à travers la
découverte de la solidarité entre des gens qui sont très
différents au début du film, comme Dora et
Josué (...)A l'image du personnage de Dora , nous avons tous
été amenés à vivre les effets d'une culture de
l'indifférence et de l'impunité; cette inversion de direction est
liée à une volonté de montrer que cette région (
le Nordeste) , qui était considérée comme
archaïque,oubliée par le temps et les gouvernements, avait des
qualités humanistes que l'on ne trouve plus dans les grandes villes qui
représentent l'aboutissement d'une politique économique et
industrielle injuste des années 70-90 »
Le cinéaste poursuit en expliquant que le film est
lié à un désir de trouver une solution interne,
non-dogmatique en réaction contre une tendance du cinéma
indépendant des années 90 à montrer la victoire du cynisme
sur l'humanisme. De manière significative, le personnage de l'enfant
(Josué) et sa quête des origines familiales symbolisent selon le
cinéaste, « l'action et le refus d'une condition sociale qui
lui était destinée »21(*). Tout comme dans Avril brisé
(2001), le protagoniste principal se soustrait au
déterminisme de la structure sociale ambiante (liée à la
géographie en particulier ) et change sa destinée voire celle de
sa famille sous la forme du choix personnel conscient, de l'action individuelle
sublimée par un certain niveau de pureté morale, d' innocence.
Salles n' hésite donc pas à affirmer l'
intentionnalité de son oeuvre : il s'agit de modifier le regard du
spectateur à travers le filtre de valeurs humanistes telles que la
compassion, la solidarité, l' estime de soi, la tolérance,
l'ouverture, l'espoir etc. Selon lui, le cinéma aurait le pouvoir
ou la fonction d'améliorer la condition humaine en changeant les
mentalités . Cette position mélioriste peut susciter notre
scepticisme mais Salles reste confiant et affirme dans une
interview : « Le jour où je commencerai à
croire qu'il n'y a pas de corrélation entre art et
société, j' arrêterai de faire des
films »22(*).
Paradoxalement, il insiste sur le refus de tout didactisme et tout dogmatisme
dans l'élaboration de son oeuvre . Les films devraient être
plutôt appréhendés selon lui comme des outils d'
éveil, d' induction, de mise en relation pour questionner la
réalité de la condition sociale, politique, identitaire des
brésiliens.
Cette idée d'un cinéma -éveil des
consciences se trouvait certes déjà présente chez les
cinéastes du Cinéma Novo des années 60 dont le but
avoué était de déclencher la révolution politique
et sociale des paysans et des exploités. Mais si Salles revendique sur
ce point sa filiation avec le Cinéma Novo, il refuse tout parti pris
politique tranché. En effet, Le coup d'état de 1964 à
l'origine de la désillusion politique de ses concitoyens ainsi que l'
effondrement des idéologies occidentales l'amènent à
penser que le cinéma d' aujourd'hui ne peut continuer sur la
lancée révolutionnaire revendiquée par Glauber Rocha. A la
«révolution des armes », il substitue la
« révolution des âmes23(*) »,ambition plus modeste. Est-ce à
dire que son cinéma est un cinéma de la réforme, de
l'espoir mitigé dans le contexte de la mondialisation où les
causes des déséquilibres sociaux seraient difficiles à
cerner et à combattre ? Salles évoque, non sans un certain
défaitisme, le mythe de Sisyphe24(*) pour caractériser le devenir social et
politique du brésil.
Dès lors, le message des deux films Avril
brisé (2001)et Central do Brasil (1998) concernant les
solutions possibles au chaos social du brésil nous apparaît plus
clairement si l'on dépasse le discours humaniste moralisant. Loin de
décrire une situation d' antagonisme de classes, de lutte de pouvoir
entre les possédants et les pauvres, les films de Salles n' envisagent
pas une forme d' émancipation sociale au sens politique et collectif du
terme, c'est à dire organisée. Ils ne prétendent pas
renseigner le pauvre brésilien sur les rouages socio-politiques actuels
de son aliénation sociale, économique et psychologique. Pour le
cinéaste, ce stade de la réflexion est historiquement
dépassé. Il s'agit d'indiquer aux victimes du chaos social des
moyens d' émancipation individuelle, autant que faire se peut . Fait
intéressant, Salles, dans une conférence récente à
Berlin en février 2007 sur le cinéma politique, cite le
philosophe Jacques Rancière au sujet des rapports entre cinéma et
politique pour préciser le cadre politique et idéologique de sa
propre démarche cinématographique. Comme ce dernier , il envisage
la politique comme le lieu quotidien de points de vue conflictuels et le souci
de rendre compte de ce qui n'a jamais été dit ou vu
auparavant25(*). Dans
cette perspective, le cinéma remplirait la fonction de témoignage
d'une réalité insoupçonnée, de redistribution de la
parole et des espaces, du visible et de
l'invisible. Pour autant, Rancière va plus loin en
affirmant que les arts exprimant le geste démocratique auraient une
force de dissensus face à l'ordre politique qui prétend mettre
les éléments et les discours à leur place en gérant
les différences de fait. Dans Malaise dans
l'esthétique26(*),
le philosophe évoque "une politique de la forme résistante"
c'est à dire de la forme dissonante rompant avec les standards du
sensible imposés par les médias. C'est précisément
sur ce point que le projet esthétique d'un Glauber Rocha peut mettre en
question celui d'un Salles. Force est de constater que nous sommes loin de la
position radicale de Glauber Rocha qui allait jusqu'à affirmer27(*) que le tournage de ses films
suscitait en lui une forme de dégoût tant les images
étaient dépourvues de grâce, tant le scénario visait
à refléter la « pourriture » morale du
brésilien selon les propos du cinéaste. D'autres
réalisateurs des années 70-80 ont continué à mettre
l'accent sur la déliquescence morale du peuple brésilien pendant
la période du « cinéma marginal ». Il s'agit
au contraire chez Salles de remporter une forme d'empathie, d'adhésion
voire de gratification égocentrique chez le spectateur brésilien
qui a sans doute avoir avec la récupération de l'estime de soi .
La journaliste critique Ivana Bentes28(*) , qualifie le cinéma de W. Salles d'
« esthétiquement correct » , elle parle d'une
« glamourisation de la pauvreté »ou d'une
« cosmétique de la faim » à l'opposé
de la recherche d'une forme révolutionnaire et inédite de Glauber
Rocha . Quant au sujet traité,on peut se demander si les films de
Salles, s' efforçant de donner une visibilité au peuple
démuni comme dans les premiers plans de Central do Brasil
(1998) montrant les visages en contre-champs des analphabètes
dictant leur lettres, donnent véritablement la parole aux pauvres,
c'est -à dire- rendent compte réellement des enjeux de leur
quotidien, du ressenti de leur condition de laissés-pour-compte comme
une irruption subversive dans le consensus immobiliste.
Sur ce point, Walter Salles est persuadé que son
cinéma se conformer à la doxa des cinémanovistes, en
montrant le vrai visage du Brésil et non les masques
télévisuels dont TV Globo abreuve les
téléspectateurs29(*):
« Central do Brasil est la quête
d'une géographie humaine et physique oubliée depuis très
longtemps et certainement oubliée par la télévision
brésilienne. Le film est à la recherche de visages qu'on n'arrive
plus à voir tous les jours. Il est à la recherche de ce reflet
spécifique, de ce brésil spécifique »
La cinéaste et documentariste Katia Lund 30(*)évoque également
la nécessité pour les cinéaste brésiliens
contemporains de combattre les images faciles, les discours racoleurs ou
stéréotypés sur les pauvres, les délinquants que
déverse TV Globo lors des journaux télévisés. Selon
elle , les films seraient les derniers lieux du débat
démocratique, les derniers ramparts contre l' indifférence ou la
démagogie sur les favelas.
L' universitaire Lúcia Nagib dans son analyse31(*) de la dimension utopique des
films de Salles, remarque également, à propos des longs plans sur
le peuple illettré de la gare de Central Do Brazil
(1998), qu'il nous est donné de voir de manière
émouvante et fascinante,le calme et la bonhomie du peuple
brésilien venant de tous les horizons géographiques et
ethniques,comme si au fond les questions de racisme et d' indigence
matérielle n'avaient pas de prise sur le sort de ces nécessiteux.
L'aspect documentaire de la photographie pourrait nous faire oublier la
référence à une essence brésilienne mythique,
celle d'un brésil "paisible, généreux, joyeux et sensuel,
dénué de préjugés raciaux malgré les
vicissitudes de l'existence et la souffrance"qui ferait obstruction à
toute action politique. En effet cette représentation d'un peuple
souriant, gentil, à la simplicité désarmante et parfois
comique nous donne l'impression que les pauvres ont la force naturelle de
transcender leur condition et d' exister dans une plénitude de
l'être , l'être brésilien.
Esthétique documentaire et construction
identitaire mythique
Ceci nous amène à questionner le parti pris
réaliste et documentaire des films de Salles, qui, nous semble-t-il, se
trouve remis en question par une tendance à l'élaboration
idéologique identitaire. Le cinéaste aime explorer la fusion
entre fiction et approche documentaire du sujet pour souligner le fait sans
doute que le film gagne sa vérité et sa légitimité
dans cette rencontre avec le réel et ses aléas. Salles insiste
sur le travail du film comme expérience en soi, une expérience
collective qui trouve sa vérité dans le processus même de
son élaboration pour une bonne part improvisée. François
Niney dans son ouvrage souligne le caractère performatif et
intéressant d'une telle construction et rappelle les mots de
Godard32(*) sur le
caractère caduque de la distinction entre ces deux modes de
représentation que sont la fiction et le documentaire:
« Mettons les points sur les «i». Tous les
grands films de fiction tendent au documentaire, comme tous les grands
documentaires tendent à la fiction(...)Et qui opte à fond pour
l'un trouve nécessairement l'autre au bout du chemin »
Il est vrai que l'on oppose traditionnellement fiction et
documentaire dans la mesure où la fiction cherche
généralement à divertir le spectateur tandis que le
documentaire s'efforce de lui apporter une connaissance scientifique du sujet.
Dans cette perspective on s'attend à ce que la forme du documentaire
observe une certaine sobriété stylistique dépourvue de
tout effet ou recherche poétique qui parasiterait le contenu. John
Grierson dans son essai The Documentary Idea33(*) insiste sur le reniement
stylistique, le parti pris anti-esthétique du documentaire
idéal:
« Dès le début, le documentaire,
lorsque nous nous sommes séparés des théories de Flaherty
, nous est apparu comme un mouvement anti-esthétique. Je pense que nous
avons tous sacrifié notre talent artistique et notre égo dans ce
but. »
Ainsi Grierson s' oppose de manière radicale à
l'autre école de documentaristes pour laquelle Walter Salles avoue sa
préférence, celle qui envisage une forme de poétique
documentaire. Jean Epstein parlait déjà du cinéma comme
permettant une nouvelle forme de connaissance du monde, une
« lyrosophie » où la prise de vue n'est autre qu'une
prise de vie, où la photogénie opérant une pause dans le
temps , donne relief à la matière et au visage. Dans le
même ordre d'idée, l'ethnologue Stéphane Breton34(*) envisage l'approche
documentaire comme une révélation poétique du réel
à l'opposé de l'ironie et de la dérision:
« Le documentaire est davantage à la
recherche de la poésie et du lyrisme que de la distanciation ou de la
dénonciation (...)Cette posture filmique devant le réel sied au
public actuel, à son désir d' ubiquité, à son
besoin d'ailleurs, d'aller au plus près des choses, à sa
curiosité morale. »
Salles revendique sa filiation avec le travail de Flaherty qui
vise à donner une expressivité dans la peinture de la condition
humaine. Cette recherche esthétisante du sujet documentaire peut se voir
dans l'un des documentaires de Salles sur la Bossa Nova, où les premiers
plans s' ouvrent sur la danse improvisée d'un pauvre noir des favelas se
reflétant dans des flaques d'eau et entraînant des sachets
plastiques dans le mouvement. Le cinéaste poétise la figure du
pauvre et ce faisant rajoute une forme de commentaire implicite sans vraiment
le signifier ouvertement. Il nous installe dans un regard fasciné et
extérieur à la condition de ce noir
désespéré ou joyeux, on ne saurait le dire,mais en tout
cas , l'effet d' illustration pittoresque est réussi. Grierson 35(*)met en garde contre cette
recherche esthétique dans le documentaire destiné à
révéler une réalité sociale car il déplace
le point d'attention et diminue la vigilance critique du spectateur. Il faut de
plus souligner le pouvoir supplémentaire du documentaire dans l'effet d'
immédiateté et de réalisme qui ferait croire au
spectateur en l'objectivité ou l'authenticité absolue de la
représentation. Car il y toujours forcément un risque de
falsification idéologique dans toute élaboration documentaire.
Nichols36(*) note par
ailleurs la propension dans toute fiction, qui donne cohérence et
unité au réel par définition informe et
imprévisible, à l'élaboration allégorique et
mythique. Et sur ce point, la construction mythique peut servir des
présupposés culturels et idéologiques stratégiques
en vue de cristalliser une mémoire collective. Salles n'a jamais
caché le but de sa démarche consistant à mêler
approche documentaire et fiction dans l'élaboration d'une conscience
nationale et d'une culture nationale. Il reste pour les spectateurs
brésiliens et internationaux d'identifier les a priori
idéologiques sous-jacents de ses films, l'orientation du regard ainsi
élaborée dans le contrat de lecture, dans le texte filmique pour
ne pas être dupe de la singularité ou de la relativité du
propos tenu. Souvent le cinéaste occulte le caractère
orienté de ses films en insistant sur l' authenticité des
situations filmées, leur improvisation, le recours à des acteurs
non professionnels mais la structure du film et le parti pris visuel ( lors de
la construction du point de vue notamment) sont issus de la même origine
régulatrice des paramètres et des proportions du film , la
même instance présidant au découpage signifiant du
réel,c'est à dire le réalisateur et ses collaborateurs.
Tout l'enjeu de la démarche selon François Niney37(*) est de savoir si cette
construction reposant sur la fusion entre documentaire et fiction nous permet
de nous affranchir du chaos informe du monde ou nous assujettit tout au
contraire à une vision et donc un pouvoir économique, moral ou
politique voire métaphysique particulier et discutable. Tout consiste
à se demander au fond si le cinéaste témoigne d' une
réalité sociale même refoulée ou s'il impose ses
images jusqu'à les faire passer pour vraies. Quelle est la valeur de
vérité de son travail qui insiste sur la dimension
mimétique d' avec le réel? Dans quelle mesure y a-t-il
compréhension ou consolation abusive vis à vis du sujet
traité, occultation de certains paramètres même si la force
de réalité des images nous remplit les yeux ? Quel type de
subjectivité spectatorielle est mise en avant ? Car les images assignent
toujours au spectateur une série de points de vue obligés. Est-ce
une subjectivité régressive ou libératrice ? Quel parcours
cognitif , émotionnel, esthétique assigne t-on au spectateur et
dans quel but ?Lui laisse-t-on la possibilité de se dégager de
l'emprise émotionnelle des images pour lui permettre d'atteindre une
distance critique? Cette interrogation fera l'objet de la deuxième
partie de notre étude. Les films contiennent -ils des
éléments d'auto-critique à l'intérieur même
de leur facture afin de relativiser l' illusion réaliste et de mettre
à jour les conflits de pouvoir et de vision dans le texte filmique.
Exemple utile, le travail de João Salles (frère de Walter
Salles),dans son documentaire intitulé Santiago (2006) nous
semble significatif de cette volonté de mettre à nu les a priori
idéologiques qui ont présidé à la construction de
l'oeuvre et les relations de pouvoir internes qui se jouent entre le sujet (
Santiago, le majordome de la famille Salles) et le documentariste
lui-même pendant avant et après le tournage. De sorte que
l'organicité même du documentaire permet une expérience
filmique au sens fort du terme puisqu'elle met à jour des enjeux jusque
là insoupçonnés du documentariste lui-même. Le
tournage devient le lieu d'une prise de conscience brutale( les rapports de
classe entre Santiago, autrefois figure paternelle dans la mémoire
attendrie de João Salles-documentariste et le documentariste
lui-même relégué au statut de fils du patron) Ce choc
autobiographique est révélé par un montage visant la mise
à nu du dispositif et le regard auto-critique du cinéaste si bien
que le documentaire prend une dimension métafilmique sur la nature
même de l'exercice. Le spectateur reste sensible au souci de
probité intellectuelle, rarement égalé, qui sous-tend le
projet constamment. Sans doute cette dialectique de vision aussi organiquement
exposée permet -elle d'atteindre une plus grande vérité de
l'expérience filmique et laisse au spectateur toute latitude de
jugement.
Les films de Salles reposent sur la fusion d'un
réalisme de captage (immédiateté, imprévu,
improvisation, documentaire) et d'un réalisme de reconstitution38(*) aux accents de fable morale.
La plupart d'entre eux ont pour point d'origine un documentaire. Ainsi, le
documentaire Socorro Nobre (1995) (l'histoire d'un échange
épistolaire improbable entre une détenue de 36 ans et le
sculpteur Franz Kracjberg) a trouvé son développement fictionnel
dans Central Do Brasil (1998). Salles procède par
imprégnation, s'immerge dans la réalité de son sujet avant
d' élaborer une trame signifiante , empreinte de valeurs morales comme
nous l'avons montré plus haut. Il s'agit de savoir dégager le
meilleur de l'homme malgré les situations tragiques dépeintes et
de le mettre en valeur sur les écrans comme le suggère un
plan-métaphore dans Terre étrangère (Terra
estrangeira,1995), celui des diamants perdus dans la terre , foulés
aux pieds par inattention et indifférence. La métaphore est
appuyée en ce sens que tous les films de Salles tendent vers le constat
d'une humanité souffrante non seulement sur le plan matériel mais
aussi et surtout sur le plan existentiel. Les films n'auront de cesse de
révéler l'humble grandeur de cette humanité dans le
combat existentiel comme dans les documentaires de Flaherty (qui par ailleurs
furent critiqués pour leur évitement des questions sociales et
politiques, en particulier pour Man of Aran,1953). Le propos est
humaniste en apparence et la forme esthétique à travers la
poétisation ou la stylisation de la pauvreté, l'indigence et la
douleur. La métaphore des diamants foulés aux pieds dans la terre
pourrait résumer à elle seule l'entreprise
cinématographique de Walter Salles où la compassion, le regard
attendri, le sentiment ne sont jamais très loin comme nous le verrons
dans notre analyse de films.
Walter Salles39(*) par ailleurs argumente que la démarche
documentaire permet de concevoir le film comme une construction ouverte,
spontanée ou « work -in-progress »
dénuée de tous schéma préconçu et sans cesse
redéfinie par le travail et l'improvisation des acteurs parfois
non-professionnels. Il fustige le travail d'un Michael Moore qui vise trop,
selon lui , la défense d'un point de vue, celui du cinéaste,pour
qui tout est connu d'avance,la démonstration n'a plus de mystère.
La forme documentaire selon Salles doit au contraire permettre la
découverte, l'inattendu, l'expérience susceptible d' amener a
posteriori quelques réponses et de faciliter la co-création du
spectateur si chère à Glauber Rocha.
Il nous semble toutefois que la sensibilité du
cinéaste pour le traitement humaniste de la condition des humbles au
brésil et en Amérique latine l'amène à
privilégier également un point de vue très personnel sur
fond d' authenticité, plus précisément à
défendre un discours visant la construction d'une psyché
nationale où les valeurs de solidarité et de
générosité sont mises en exergue.
Christian Salmon dénonce dans son ouvrage
Storytelling40(*), cette « grammaire de
l'authenticité » qui contamine la production artistique ou qui
envahit les discours politiques. Cette tendance en réalité
participe d'une véritable entreprise de mystification nationale et de
formatages des esprits sur une typologie d'histoires et de thème
fédérateurs à l'adresse des spectateurs. Elle consiste en
la création d'un moi souffrant (pendant au capitalisme
émotionnel),c'est à dire à une identité
organisée et définie par ses manques et ses déficiences
psychiques. De ce fait toute les productions fictionnelles ou documentaires
feront échos à des thèmes récurrents comme celui de
la souffrance et de la rédemption (thème éminemment
prégnant chez Salles), privilégieront le style lyrique,voire
héroïque, n' hésitant pas à faire
référence à des sources nobles ou antiques (comme la
tragédie grecque dans Avril brisé) pour exalter chez le
spectateur la connivence entre destins individuels et destin national. Les
schémas narratifs des films de Salles empruntent invariablement la
même voie/voix : toutes ses fictions évoquent un moi
brésilien en souffrance mais dont la vitalité et le potentiel
humain laisse espérer une forme de rédemption à la fois
individuelle et nationale. Salmon41(*) note qu' aux Etats-Unis, où cette tendance
scénaristique et idéologique s'est constituée depuis les
années 80, bon nombre de films ou de discours politiques mystificateurs
exhortent le citoyen américain au changement et à la
réalisation de soi dans une culture de capitalisme émotionnel. Le
propos de Christian Salmon fait écho à ce qu'écrivait
Barthes sur la construction mythique comme parole dé-politisée.
Barthes assimile l'élaboration mythique à la parole bourgeoise en
ce sens qu'elle tend à récupérer le réel pour mieux
l'évacuer , le diluer dans une forme de vision naturelle
dépourvue de qualité historique42(*):
« le mythe ne nie pas les choses, sa fonction est au
contraire d'en parler; simplement il les purifie, les innocente, les fonde en
nature et en éternité, il leur donne une clarté qui n'est
pas celle de l'explication mais du constat. »
Barthes poursuit en dénonçant ce parti pris
de la « clarté de l'humanité mythologique »
comme une vision « euphorique » essentiellement
bourgeoise , « à droite ».Il s'interroge sur le
discours ou le spectacle qui sous couvert de valoriser ce qui apparaît
comme naturel et spontané ne fait que ménager une forme d'
ambiguité voire d'hypocrisie dans le propos43(*):
« ici encore le signe est ambigu: il reste à
la surface mais ne renonce pas pour autant à se faire passer pour
profondeur. Il veut faire comprendre (ce qui est louable) mais se donne en
même temps pour spontané (ce qui est triché) .Il se
déclare à la fois intentionnel et irrépressible,
artificiel et naturel, produit et trouvé(...) car s'il est heureux qu'un
spectacle soit fait pour rendre le monde plus clair, il y a une
duplicité propre au spectacle bourgeois: entre le signe intellectuel et
le signe viscéral, cet art dispose hypocritement un signe bâtard,
à la fois elliptique et prétentieux, qu'il baptise du nom
pompeux de « naturel »
Nous pouvons voir dans le propos de Barthes la base d'une
remise en question sérieuse des a priori esthétiques et
idéologiques des films de Salles tout autant de ceux de ses
contemporains toujours plus nombreux à prôner le mélange
entre esthétique documentaire et fiction par souci de réalisme
certes mais aussi pour l'efficacité de la fascination que peut
susciter l'authentique ou le naturel d'un tel spectacle. Tout comme Lucia Nagib
qui s'interrogeait sur le souci chez Salles de représenter le peuple
brésilien en insistant sur son authenticité et son naturel comme
essence presque mythique, le spectateur peut se demander si cette forme de
représentation de la condition humaine ne tend pas à escamoter
la politique comme ensemble de problèmes et de solutions au profit de la
célébration d'une manière d'être, d'une position
socialo-morale, voire d'un chantage aux valeurs morales patriotiques etc.
En outre, Lúcia Nagib44(*), constate l'influence chez Salles et d'autres
cinéastes brésiliens (Meirelles) des techniques
scénaristiques américaines (grâce aux échanges avec
des festivals comme Sundance notamment) sur leurs propres choix narratifs. Elle
constate que l'émergence du nouveau cinéma brésilien
(appelé Retomada) correspond à l'émergence d'une
sorte d'école de scénaristes brésiliens sous
l'égide de Walter Salles et de sa société de production
Vidéofilmes. Comme nous l'avons pressenti plus haut, cette
nouvelle école pourrait donner lieu à une forme de formatage
idéologique et esthétique des films brésiliens si l'on
considère les enjeux du marché mondial du film et du
positionnement de la production filmique brésilienne dans le contexte de
la globalisation.
Cinéma national ou cinéma d'exportation
:quel public ?
La question de la réception des films devient
incontournable si l'on tient à mesurer l'écart
idéologique entre le dispositif filmique dans ses postulats de
départ (cinéma humaniste et progressiste) et sa réception
nationale et internationale.
Ces fictions, bien qu ' ancrées dans des
problématiques brésiliennes ou sud-américaines,
s'efforcent d'atteindre une dimension universelle et c'est sans doute pour
cette raison qu'elles parviennent, tout en recherchant la
« brésilianité , à toucher en
définitive un public étranger. Dès lors une autre
ambiguïté dans la démarche du cinéaste
apparaît: si Salles veut changer le regard et les mentalités de
ses concitoyens, les amener à davantage d'estime d' eux- même et
de solidarité à travers la construction identitaire, atteint-il
le public concerné ? En réalité, comme le montre le
critique Jean-Claude Bernardet45(*), spécialiste du cinéma
brésilien, ce cinéma n'atteint qu'un public restreint de
brésiliens lettrés et cultivés ayant quelques
connaissances d'histoire du cinéma et résolument tourné
vers les cinématographies étrangères comme le
cinéma américain . D'autre part, comment le peuple peut-il
s'approprier le message humaniste quand les conditions économiques et
sociales chaotiques de son existence ne lui garantissent pas la
sécurité nécessaire pour de telles
préoccupations ? L'éducation des âmes ne peut se faire
que si le ventre est plein, c'est ce qu' avait compris Glauber Rocha dans son
manifeste pour une « esthétique de la faim ».
Faut-il voir dans l'esthétique humaniste de Salles l'aveu d'une
imposture cinématographique dans la mesure où les films seraient
formatés selon des critères immédiatement plus
fédérateurs sous toutes les latitudes? Ses films sont-ils
condamnés à respecter un canon esthétique susceptible de
plaire avant tout à un public étranger ? Doit-on parler
ici,comme certains le soutiennent, d'un cinéma national d'exportation ?
Les réalisateurs du Cinéma Novo s' étaient
déjà heurtés à cette question épineuse de
la réception de leurs oeuvres et avaient constaté la
désaffection du peuple face à une esthétique
révolutionnaire difficile d'accès, qualifiée
d'« esthétique de la violence » par Glauber Rocha
.
En réalité, Salles semble vouloir
prioritairement toucher un public international, comme en atteste sa
présence assidue dans les festivals étrangers et ses interviews
récents sur l'importance de l'image donnée au brésil dans
les films, principaux vecteurs de la visibilité nationale, comme la
Cité de Dieu( Cidade de Deus, 2002) ou Tropa de elite
(2008) qui selon lui n'informent pas sur les conditions de vie
réelles de la majorité des brésiliens, pour la plupart
honnêtes et travailleurs , en proie au désespoir d'un quotidien
ou d'un devenir médiocre. Il s'agit donc de renseigner le monde sur
l'état actuel du brésil dans des proportions plus ou moins
avantageuses, mais dans quel but ? Celui sans doute de conforter ses
concitoyens dans l'assurance de leur valeur et de leur devenir face à la
globalisation culturelle et cinématographique ? Il est vrai que l'image
de marque d'un pays peut constituer une forme de pouvoir et de positionnement
culturel et économique non négligeable face aux autres nations.
Glauber Rocha insistait quant à lui sur la nécessité d'un
cinéma brésilien dégagé de toute influence
esthétique hollywoodienne ou européenne pour assoir la
présence et la force identitaire du brésil face aux anciens
colonisateurs. Même si Salles reprend constamment dans ses choix
stylistiques les canons du néoréalisme italien (davantage propice
à l'exploration d'une peinture essentialiste de l'homme sous forme de
leçon de vie ou de fable morale) pour sa linéarité
classique de la forme narrative susceptible de toucher un plus large public, il
s'affirme avant tout comme l'initiateur, avec quelques autres, de la
renaissance du cinéma brésilien des années 90
(Retomada) et le principal instigateur d'une présence accrue du
cinéma sud-américain dans les festivals internationaux
actuels.
Ainsi les tensions du projet cinématographique de
Salles par rapport à la réception des films se retrouvent
également dans la production cinématographique de jeunes
cinéastes brésiliens comme Marcos Berstein ( De l'autre
côté de la rue, O Outro lado da rua,2004) ou Andrucha
Waddington (La maison de sable, A casa de areia,2006) Ces derniers
travaillent également sur la question identitaire avec une
esthétique particulièrement soignée, empreinte de valeurs
humanistes et d'interrogations éthiques comme chez Salles. Ces
cinéastes, tout comme Salles, revendiquent leur attachement à
une esthétique réaliste issue du documentaire permettant selon
eux d'explorer avec davantage d'acuité et de vérité la
condition existentielle de leur concitoyens. Ils reprennent en ce sens à
leur compte le désir des cinémanovistes de « donner un
visage » 46(*)au
brésil sur la scène internationale et dans la conscience de
chaque brésilien. Toutefois cette approche réaliste du sujet
vient toujours cautionner une vision plus allégorique et
métaphorique en filigrane induite par le cadrage , les choix narratifs,
etc. Cette interaction entre esthétique réaliste et
élaboration mythopoiétique participe en vérité
d'une véritable stratégie de séduction du spectateur
international pour remporter son adhésion émotionnelle et
intellectuelle notamment. Cette tendance amorcée dans les années
90 semble se pérenniser, peut-être en raison de l'aura de Salles
et de ce qu'il représente pour la nouvelle génération de
cinéastes brésiliens trentenaires qui ont tous à moment
donné travaillé sur l'un de ses films en tant qu'assistant de
réalisation ou scénariste. Mais aussi, nous semble-t-il en raison
de la propension des élites culturelles et intellectuelles du
brésil à baser leur analyse des dysfonctionnement
sociaux-économiques et politiques du pays sur des considérations
morales et identitaires. Susan Hayward47(*)en ce sens pense que le cinéma national , loin
d' être un simple reflet de l'histoire, nous renseigne davantage sur le
positionnement idéologique de ceux qui font les films ou sur une
reconstruction des idéologies nationales. En ce qui concerne le
cinéma brésilien, il est intéressant de considérer
les travaux de certains historiens et sociologues concernant les élites
au brésil, leur perception des problèmes de pauvreté, de
précarité et des solutions pour y remédier. L'étude
de Daniel Pécaut sur les intellectuels au brésil et leur rapport
avec la nation montre que leur sens du politique et leur implication dans ce
domaine a essentiellement avoir avec l'élaboration culturelle. Depuis la
fin du 19ème siècle, les élites de la
société brésilienne basée sur les privilèges
(concentration du pouvoir, accès exclusif à l'éducation,
paternalisme éducatif envers le peuple48(*)) conçoivent leur rôle comme étant
celui de guide de la nation dans la définition de son identité
culturelle (histoire, littérature).D'autres études
sociologiques49(*) mettent
en avant le fait que si les élites brésiliennes montrent une
grande sensibilité envers les questions de pauvreté et
d'inégalité, elles ne se sentent pas pour autant responsables de
ce problème national qui constitue, selon elles, une véritable
menace contre la démocratie (menace de la violence endémique
contre l'ordre et la sécurité).Ces dernières
transfèrent clairement la responsabilité sur l'Etat et sa
planification inefficace de l'action politique. Il existe donc un consensus
dans le positionnement des élites par rapport au chaos social
brésilien selon lequel l'Etat doit être le seul responsable du
combat social contre la pauvreté. Les films de Salles sont tout aussi
oublieux du rôle de ces élites dans la société qu'il
dépeint. A l'exception de Carnets de voyage (2004)
où l'élite argentine est clairement mise
à l'index en raison de sa préférence pour la culture
européenne et son désir de l'imiter, les autres films
évacuent totalement la figure du riche cultivé et de son
interaction avec le peuple. Le problème est en réalité
évoqué de manière frontale par le cinéaste en
contexte étranger dans son court métrage Loin du
16ème(2006). Le film évoque
l'inégalité et l'injustice sociale à Paris vécue
par une jeune émigrée d' Amérique latine travaillant comme
baby-sitter dans une famille aisée du 16 ème arrondissement.
L'épisode évoque toute l' absurdité de sa situation
d'exploitée et l' indécence morale de ses patrons. Le
problème de l'exploitation des pauvres est certes abordé dans
Carnet de voyage(2004) (notamment dans l'épisode de la mine au
Chili) mais de manière plus anecdotique, et là encore en dehors
du territoire brésilien; tout se passe comme si le cinéaste et
ses collaborateurs avaient peine à adresser le problème en
contexte brésilien. Linha de Passe (2007) tente toutefois de
réparer cette lacune en contant l'histoire d'une famille pauvre de
quatre frères sans père dans la banlieue de São Paulo. La
mère des garçons ,Cleuza fait des ménages chez sa patronne
une psychanalyste des beaux quartiers. Malgré tout, Salles avoue dans un
interview50(*)que le
projet initial consistait en deux films , l'un focalisant sur les personnages
vivant dans la banlieue de São Paulo, l'autre sur des personnages issus
de classes favorisées comme contrepoint du premier. Mais ce
deuxième volet fera prochainement l'objet d'un autre tournage
laissé à la responsabilité de la collaboratrice Daniela
Thomas, en raison du tournage concomittant de l'adaptation On the
Road .
Si Salles avoue sa préférence pour filmer ce
qu'il connaît le moins (la vie des pauvres brésiliens)51(*) il souligne en revanche la
difficulté de dépeindre les riches, leurs valeurs, comportements
, idéologie face au déséquilibre social et celle de
dénoncer des coupables car il constate que l'heure n'est
déjà plus à la condamnation des années de dictature
qui ont terrassé le peuple brésilien et empêché la
production cinématographique. La Retomada ou renaissance du
cinéma ne se pose plus comme dénonciation et revanche prise sur
ses années de désespoir. Elle doit désormais rendre compte
des problèmes sociaux en des temps de démocratie, sous un
gouvernement luttant contre la pauvreté et la faim, dont l'action
politique se trouve largement mise en difficulté par des puissances
financières et industrielles sans scrupules.52(*)
La figure du pauvre, cet Autre: montrer la
non-visibilité sociale dans les films
Peut -on et doit-on faire du cinéma sur la condition
des pauvres ? Est-ce acceptable sur le plan éthique et faisable sur le
plan méthodologique et épistémologique ? Si oui , quel en
serait le but ?
Christian Salmon, dans son article « récit de
la misère, misère du récit »souligne
déjà toute la difficulté qu'ont les organisations
internationales pour recueillir la parole des pauvres et pour l'analyser sans
le filtre de conceptions déjà établies afin de savoir qui
ils sont , de leur trouver une identité, de leur donner une
visibilité, pour espérer mettre en rapport demande d'aide et
offre politique caritative. Il s'agit non seulement de recueillir des
données factuelles (vérité prouvée,
démontrée) mais aussi des témoignages sur le ressenti
psychologique de la souffrance (vérité éprouvée,
vécue intérieurement, ressentie et singulière).Outre la
difficulté de donner une représentation juste de la
pauvreté, Salmon met en garde contre la prolifération de
discours, d'analyses et de récits sur le sujet car ce dernier est
a-temporel, international et apparemment permanent:53(*)
« C'est un fructueux terrain de chasse pour les
sociologues, les économistes et les moralistes doctrinaires..Nous avons
faim du verbiage prolixe des docteurs en pauvreté. Ils nous
intéressent. Les journaux publient leurs articles,la
télévision en parle, la fiction la distord. »
Arlette Farge54(*) montre également l'importance du
témoignage intime de cette souffrance sociale qui ne trouve pas d'espace
d'expression politique. Il convient de mêler savoir et émotions,
hors des catégories académiques traditionnelles pour mesurer
avec plus de justesse les réalités de la condition du pauvre.
Cette historienne montre que nos perceptions dans ce domaine évoluent
selon les époques et leurs valeurs affichées (croyance en
l'individualisme, le productivisme , peur du conflit de classe, etc.)qui
contraignent notre regard sur la pauvreté et celui des pauvres sur
eux-même.
En revanche , le cinéaste Nicolas Klotz,55(*) envisage le cinéma du
réel comme étant mieux à même de véhiculer
une image et une parole juste sur la pauvreté. Klotz tout comme Salmon
reconnait l'importance de la visibilité des pauvres et de leurs
intégration dans le champ de l'imaginaire et de la fiction:
« le comble de l'exclusion des pauvres c'est leur exclusion de
l'imaginaire ».Klotz est convaincu que la fiction dévoile des
vérités sociales et intérieures si elle reste dans
l'interrogation permanente du réel, dans un regard en construction. En
ce sens elle bousculerait la distance objective du documentaire qui maintient
vis-à-vis de la pauvreté une distance physiquement correcte de
non rencontre sociale, en permettant l'irruption de la subjectivité, de
l'émotion et de l'imaginaire des exclus; la fiction pourrait
transgresser l'ordre politique tel que le définit Jacques
Rancière.
Dans la vision de Salles, le pauvre ne peut se réduire
à la lutte pour la survie matérielle et sociale, il fait avant
tout l'expérience d'une tragédie morale causée par
l'absurdité du milieu ambiant et l'oppression de son caractère
dys-fonctionnel. Dans Terre Lointaine (1995), Paco s'exile au Portugal
comme des milliers de jeunes brésiliens en raison du chaos
économique orchestré par le pouvoir en place. Son chemin
initiatique devient une quête identitaire , un retour aux sources
longuement désiré par sa défunte mère. Dans
Central Do Brasil (1998), Josué devenu orphelin part
à la quête de son père vers les terres du Nordeste et son
périple se transforme en quête des origines géographiques,
culturelles et morales vers une forme d'innocence dans les rapports humains,
hors de l'ambiance viciée des villes. Dans Premier Jour (O
primeiro dia/Meia -noite, 1999) tous les personnages aspirent à une
forme de rédemption morale car malmenés malgré eux par la
corruption du milieu policier ou carcéral, par le désespoir d'une
vie ne tenant que par des faux-semblants. Dans Avril Brisé
(2001), il s'agit pour le fils d'une famille de Nordestins, non de trouver
un moyen économique plus viable que le traitement de la canne à
sucre mais avant tout de briser la logique infernale d'une vendetta entre deux
familles, avec tous les dommages collatéraux et moraux que cela
implique. Plus encore, dans Carnets de Voyage( Diaros de
motocycleta, 2004), le jeune Che devient le témoin de la
misère sociale sous forme de rencontres fortuites et anecdotiques
("à la marge de la route") et finit par conclure à l'issue de son
voyage , dans un discours pan-américaniste, combien l'Amérique
latine pourrait se vivre comme une identité commune. Ainsi il nous
semble que la pauvreté glisse à la périphérie du
projet cinématographique pour donner lieu à des
spéculations d'ordre éthique, existentiel, identitaire. Cette
idée est reprise par José Avellar, critique et ami de Salles,
à propos de l'adaptation du roman éponyme d'Ismael Kadaré
(Avril brisé).Il cite l'auteur56(*):
"Je crois qu'avec son art Salles cherche à plonger
aussi profond que moi avec la littérature. La misère
décrite dans le livre est une chose extra-littéraire, une simple
façon d'arriver à des thèmes métaphysiques,
subjectifs, c'est ce que je recherche par mon travail . Et je crois qu'il a
compris ça"
Et Avellar de poursuivre sur le caractère
idiosyncratique des choix narratifs et de mise en scène chez le
cinéaste, le fait que les personnages ont toujours un choix à
faire, une seconde chance après une prise de conscience morale.
Evoquant le travail sur Avril brisé57(*):
"Il s'agit de composer une fiction, une parabole
littéraire sur les valeurs et les responsabilités individuelles,
dans un monde de barbarie et de violence(...)Walter Salles compose ici une
réalité autre grâce à la fusion du livre de
Kadaré avec l'imaginaire du cinéma brésilien des
années soixante. Les signaux documentaires qui ont alimenté les
films du Cinéma Novo ou les signaux documentaires qui ont
éventuellement alimenté le livre de Kadaré importent peu:
il ne s'agit pas de décoller le film de la réalité mais de
l'appuyer principalement sur la fiction critique qui est née de la
réalité:pour composer une image fidèle non à
l'apparence du réel mais à sa structure"
L'argument classique selon lequel la fiction, règne du
faux, peut atteindre le vrai ne peut que nous plonger dans le cas des fictions
de Salles dans un abîme de perplexité et de scepticisme. Il faut
bien se demander si l'élaboration littéraire ou filmique peut
être de nature à révéler la condition des humbles,
leurs préoccupations essentielles,leur histoire, sans les trahir, sans
être la simple projection fantasmatique d'un cinéaste de l'autre
côté de la barrière sociale. Il nous semble ici que sous
couvert d'élaboration culturelle et mémorielle, Salles assigne
à son cinéma un statut d'art du lien social connoté, comme
nous l'avons vu plus haut , d'une signification identitaire nationale
fédérative, loin de la création rancièrienne de
dissensus ayant pour objectif la subversion de l'ordre policé des
rapports sociaux. Salles vise l'élaboration mythique dans le champ de la
mémoire et de la conscience collective. Non pour dénoncer les
causes d'une situation sociale inique depuis longtemps établie, mais
pour signifier que le peuple doit se prendre en main et résoudre de
manière individualiste (par la prise de conscience et le choix
individuel)les obstacles à son épanouissement existentiel. Nous
ne sommes pas loin ici d'un discours paternaliste sous couvert d'éthique
humaniste, l'élaboration esthétique (poétisation de la
misère) ayant l'efficacité ici d'un vernis séduisant a
priori mais trompeur dans son propos (les pauvres sont des héros) et sa
méthode (compassion de bon aloi). On peut douter en effet de la
visée et de la nature démocratique des films du cinéaste,
pourtant sans cesse revendiquée.
Poétique du dénuement, stylisation de la
misère
Si Walter Salles refuse dans le choix de la photographie
l'esthétique de la carte postale lorsqu'il s'agit de peindre
l'environnement urbain de Rio de Janeiro, il n'en reste pas moins que ses films
se caractérisent par une sophistication de l'image évidente, une
esthétique soignée du cadrage où tout
élément du cadre participe d'une construction symbolique,
métaphorique. Ainsi, l'hyper-réalité de certains
décors profilmiques a priori non esthétiques (hangars, zones
urbaines désaffectées ou délabrées,
intérieurs humbles) se trouvent stylisés, investis d'un sens
métaphorique. Si l'on considère les premiers plans de chaque
film, cette sublimation du morne, du dénuement, cette poétique de
l'indigence frappe le regard comme s'ils apportaient une première
caution morale, une première légitimité au discours.
Dans Avril Brisé(2001) , le générique
s'attarde sur l'énorme roue en mouvement d'un pressoir de canne
à sucre métaphore annonciatrice d'une clôture temporelle
et spatiale, de l'enferment psychologique et existentiel des personnages. Dans
Central Do Brasil (1998) les flux de la population migrante
s'entrecroisent dans les compartiments des trains en autant de lignes
géométriques dans le cadre, soulignant par la même la
vitalité d'une nation entière, le potentiel humain du pays , sa
diversité géographique et sociale. Le décor de la gare
centrale de Rio rappelle la condition miséreuse de ses voyageurs, mais
la jouissance visuelle induite par l'intelligence du cadrage sublime
l'évocation de cette humanité de laissés-pour-compte.
Dans Premier Jour(1999) le décor profilmique se
trouve intellectualisé jusqu'à suggérer la structure
verticale de la progression diégétique. Le premier plan,
référence directe à l'esthétique
« trash » du Cinéma Marginal qui avait
succédé au cinemanovo et à l'esthétique
tropicaliste, s'ouvre sur une décharge aux abords de Rio. La
caméra se focalise ensuite sur la figure obscène d'un homme nu
au milieu des détritus, aboyant et se grattant l'oreille comme un chien.
La métaphore appuyée de la pourriture de la condition humaine et
brésilienne en incipit du film sera neutralisée par la toute
dernière image empreinte de sacré où la jeune Maria
sauvée de sa tentative de suicide, est montrée de profil face
à la fenêtre ouverte de son appartement , baignée par la
lumière du jour rédemptrice. Entre ces deux pôles
l'intrigue du film aura élaboré un parcours ascensionnel au sens
propre comme au figuré (annonciateur d'une forme d'utopie morale)entre
les bas-fond de la prison de Rio et les hauteurs des favélas ou des
immeubles bourgeois. Cette apologie visuelle de l'humble,de l'humain rendu
ainsi intelligent, signifiant annonce le sérieux du propos et suscite
en nous l'adhésion intellectuelle sans conditions. La figure humaine,
par contraste se trouve rehaussée dans son authenticité, sa
valeur fondamentale. Le pauvre apparaît comme magnifié dans sa
lutte pour la survie , accédant à une densité de
l'expérience humaine non pervertie par un confort matérialiste
aliénant et insignifiant. Certains critiques ont dénoncé
le caractère artificiel, littéraire de cette
représentation sociale ayant presque pour effet pervers de rassurer les
consciences sur le potentiel et la valeur morale profonde d'une classe sociale
sacrifiée ici valorisée de manière démagogique et
politiquement correcte.
Ceci nous amène à considérer toute la
limite d'un projet cinématographique tel que celui de Walter Salles : un
art qui se pare d' intentions (comme l'art engagé et sa double
contrainte) ne risque-t-il pas, dans cette hybridation d'un souci
esthétique et d'une cause politique ou morale, de trahir de
manière bilatérale ses exigences ?
L'art doit-il être au service d'une cause politique ou
morale? La confusion vient de ce que l'art peut susciter en nous une forme
illusoire d'accès au bien et donc d'accès au beau,
d'élévation de l'âme vers la vérité. De
là à appliquer cet effet à des buts plus concrets ou
impératifs, chacun saisit ici la limite de cette conception. Il nous
semble que l'art ne doit rester que dans les limites d' invention formelle et
n'a pas d'autres prétentions que de nous charmer intellectuellement et
de susciter nos émotions. L'on pourrait toutefois comprendre la
démarche de Salles comme une tentative de prise de position et non prise
de parti ce qui pour Didi-Huberman58(*) représenterait la liberté artistique
même. Nous avons vu toutefois que cette prise de position
reflétait celle des élites brésiliennes vis à vis
de la situation sociale inique dans laquelle est maintenu peuple indigent. Les
films de Salles peuvent se voir comme autant de projections fantasmées
d'une classe sociale sur une autre. Il ressort de cette construction
cinématographique une forme de regard paternaliste compassionnel sur le
pauvre alors célébré dans son humanité et son
potentiel. On l'exhorte à changer sa vie par la force de ses propres
ressources psychologiques (prise conscience morale et possibilité du
choix existentiel) comme le suggère notamment le thème
général contenu dans le sous-titre de Linha de Passe
(2007) (« A vida é o que vocé faz
dela », la vie c'est ce que tu en fais ).Ce ton moralisateur et
prescriptif nous semble remettre en cause dans un retournement paradoxal les
présupposés progressistes des films de Salles. L'on voit que la
prise de position humanisme se transforme en habillage esthétique
spécieux pour justifier un conservatisme de vision. Comme le souligne
Paul Ricoeur59(*):
« L'artiste (...)n'exprime son peuple que s'il ne le
propose pas, et si nul ne lui commande. Car si on pouvait le lui prescrire,
cela voudrait dire que ce qu'il va produire a déjà
été dit(...)sa création serait une fausse création
(...) L' oeuvre créatrice contribue à briser l'image avantageuse
qu'une société se donne d'elle-même, au prix d'une
« fausse conscience »
Leçons de vie et utopies tronquées
En outre, si l'on analyse les derniers plans de chaque film,
force est de constater que ce désir de tirer l'âme humaine vers le
haut ne trouve pas de réalisation concrète dans la fiction et
demeure en suspens. Salles évite soigneusement d'esquisser une
quelconque solution institutionnelle, sociale ou politique dans ses films. Le
résultat de la logique sacrificielle à l'oeuvre dans tous ses
films sans exception laisse le spectateur conjecturer sur le véritable
sens de la démonstration. Les images finales sont énigmatiques
voire de nature à contredire ce qui a été avancé
auparavant. L'image de la mer qui vient en point d'orgue dans Avril
Brisé (2001) certes fait allusion à l'image lyrique finale
du film de Glauber Rocha Dieu Noir Diable Blond (1964) symbolisant
l'espoir révolutionnaire mais elle apparaît ici comme
ambiguë, ambivalente si l'on considère l'ensemble narratif. Comme
le cinéaste le répète dans ses interviews, le réel
est trop complexe, il faut donc se garder de donner à voir des
résolutions dogmatiques. Si bien que ses films, comme le souligne Lucia
Nagib60(*), se
présentent comme des utopies humanistes tronquées ,vides,
illusoires. Encore une fois, le propos de Salles n'est pas de résoudre
le politique par le truchement de l'art comme l'espérait naïvement
Glauber Rocha mais plutôt de transmettre une image plus positive de son
pays, de donner à ce dernier un visage séduisant
d'humanité pour le public du monde entier. Toutefois, son approche
pourrait s' apparenter à une forme
«d'ingression 61(*)» selon le néologisme du philosophe Michel
Maffesoli, c'est à dire à une forme d'utopie
« interstitielle » symptomatique d'une désaffection
fondamentale vis à vis du politique pour réaffirmer des zones de
sacré (en opposition à toute transcendance), ce que
Lévi-Strauss désignait comme « bricolages
interstitiels »ou petites utopies culturelles au quotidien. Cette
forme d' « ingression » ferait partie des humanismes
re-émergents où la progression vers l'intérieur, c'est
à dire vers l'ordre de l'émotionnel, vers la
culture du sentiment d'appartenance à partir d'un lieu donné sont
mis en exergue. Il semblerait que le parti pris esthétique et la ligne
idéologique des films de Walter Salles soient en connivence avec cette
tendance humaniste privilégiant l'ordre du
« sensible » comme le soutient l'universitaire
brésilien Muniz Sodré.62(*)Le philosophe explicite de manière plus
théorique l'arrière-plan idéologique du cinéma de
Salles . Il cite « l'ordre du coeur » de Pascal pour
souligner la puissance du sensible , de l'émotionnel, du mythique et de
l'affectif comme formes émergentes de socialité souvent en
désaccord avec les institutions reconnues par le pouvoir de l'Etat. Pour
lui , le nouvel humanisme affiche une stratégie de la sensibilité
pour réinventer des institutions et des formes de citoyenneté en
vue d'une « mondialisation solidaire ».Selon Munoz,c'est
aux artistes et aux philosophes que revient le travail du « sensible
collectif ».La logique affective, la culture de l'émotion se
présente comme une nécessité pour accéder à
la connaissance du bien commun, de la réalité des choses. Il
plaide pour une sensibilité lucide à l'instar d'Aristote qui
affirmait l'impossibilité du triomphe du logos sur le mythos
(« l'âme ne connaît point sans fantaisie »).
Sodré rappelle à ce stade de la réflexion, que
« tout discours et toute perception prennent leur élan dans un
noyau identitaire ». Encore une fois,
l' identitaire et l'émotionnel sont affirmés
comme étant les clés de la connaissance chez certains philosophes
et cinéastes brésiliens.
Il convient toutefois de rappeler l'importance du travail
critique de Christian Salmon sur les dérives d'un tel parti pris
idéologique. Salmon63(*) dénonce la séduction
émotionnelle des nouveaux gourous (politiques, artistes,
publicitaires..) dans leur entreprise de fabulation. C'est
précisément en des temps d'incertitude
,d'insécurité mondialisée que la résurgence des
mythes , du sentiment d'appartenance, ou l'exacerbation de l'affect et son
pouvoir d'adhésion se confirment. A l'opposé de Muniz
Sodré, Salmon démontre que les engrenages narratifs des
récits artificiels ainsi constitués orientent les flux
émotionnels, conduisent les individus à s'identifier à des
modèles spécieux, tout en déstabilisant les
réflexes critiques pour mieux asseoir « la suspension
provisoire de l'incrédulité » chère à
Coleridge. Comme dans un méchanisme basique de manipulation des
esprits, ces récits « placebos 64(*)» produisent un effet de
surprise de nature à intégrer, séduire, programmer
psychiquement les gens en proie à des souffrances morales, non
dépassées, des désirs contradictoires de plus en plus
nombreux; cette perte de repère généralisée
constitue le terrain idéal pour des discours en apparence
réparateurs mais en réalité totalement destructeurs et
aliénants pour la conscience et la condition humaine. Pour Salmon, plus
que jamais les spectateurs gagnent à aiguiser leur sens critique,
à réagir en secptique face à la recrudescence des formules
faciles invitant le spectateur à l'investissement éthique,
à cette multiplication des postures humanistes qui pourraient bien se
transformer en impostures idéologiques commodes65(*):
« les histoires nous permettent de nous mentir
à nous même, nos mensonges nous aident à satisfaire nos
désirs »
Salmon dénonce dans ce mensonge organisé, dans
cette désinformation tendancieuse, une forme de pouvoir aliénant
au détriment du spectateur. Il convient selon lui de se méfier
des élaborations fictionnelles qui se proposent de restituer la
condition d'une nation tout en la structurant « non avec des
arguments rationnels mais en racontant des histoires(...)ce n'est plus la
pertinence qui donne à la parole publique son efficacité, mais
la plausibilité, la capacité à remporter
l'adhésion, à séduire, à tromper. »
Ainsi, le traitement réaliste et l'esthétique
documentaire de certains films se proposant de restituer une histoire du
ressenti collectif, d'explorer les données d'une identité
nationale en des termes relevant de la poésie et du mythe ( comme c'est
le cas chez Salles, en particulier dans Terre lointaine et Central
Do Brasil) ne saurait être une garantie de vérité
contrairement à ce que prétend le cinéaste et
malgré son autorité dans le microcosme du cinéma ou des
intellectuels brésiliens.
2ème partie: Tensions entre éthique et
esthétique: le point de vue du spectateur
Cinéma et progrès moral
Comme ses prédécesseurs les cinemanovistes,
Walter Salles cherche à éduquer le regard de son spectateur tout
autant que sa réaction émotionnelle et intellectuelle envers les
films. Son oeuvre se voudrait humaniste dans la mesure où elle
amènerait son public à sublimer les données
immédiates et spontanées de son existence, à lui
révéler les solutions morales, existentielles de sa condition
souffrante. A l'échelon national, ses films apporteraient une pierre
à l'édifice culturel permettant d'assoir l'identité et le
pouvoir du pays en lui donnant les clés et les références
intellectuelles nécessaires à son combat existentiel. Ses
fictions, nous l'avons vu, travaillent des problématiques morales et
identitaires. Or nous avons avancé dans une première partie que
les prémisses idéologiques et épistémologiques du
dispositif filmique chez ce cinéaste tendaient vers une forme de
paradoxe en ce sens que l'humanisme ne saurait faire l'objet d'une
représentation esthétisée sous peine d'être
annulé ou rendu suspect dans le processus. Nous avons conclu dans un
premier temps que si l'oeuvre se voulait humaniste en montrant la condition des
pauvres brésiliens et en se proposant d'en analyser les souffrances et
les remèdes, elle ne leur rendait pas pour autant justice et
participait au contraire d'une forme d'aliénation supplémentaire
dans la construction d'une vision et d'un discours paternaliste voire
misérabiliste sur ses derniers, tout en servant une orientation
idéologique identitaire rassurante pour les élites du pays. Nous
pourrions tout aussi bien remettre en question le propos du cinéaste
mettant en exergue les bienfaits d'une éducation morale et visuelle dans
une perspective humaniste si l'on considère comme George Steiner que la
culture, l'éducation, les arts n'ont jamais empêché la
barbarie:66(*)
« Les sommets de l'hystérie collective et de
la sauvagerie peuvent aller de pair avec le maintien, et même le
renforcement, des institutions, de l'appareil et de l' éthique de la
plus haute culture. En d'autres termes, les bibliothèques,
musées, théâtres, universités et centres de
recherche, qui perpétuent la vie des humanités et de la science,
peuvent très bien prospérer à l'ombre des camps de
concentration. »
En effet, jusqu'à présent l'humanité n'a
pu établir de corrélation directe entre le développement
de la culture et de l'éducation et d'autre part le progrès de
l'homme dans sa dimension morale. Or c'est bien sur ce point précis, sur
cette espérance que repose l'élaboration cinématographique
de Salles.
Cependant, malgré le scepticisme que peut susciter a
priori l'esthétique humaniste des films, on peut s'interroger
néanmoins sur ses effets potentiels quant à la réception,
au niveau des sa réactivité émotionnelle et de son regard
spectatoriel. Comment ce dernier peut-il percevoir et articuler les tensions
possibles entre appréciation esthétique et appréciation
morale des oeuvres et ainsi mesurer l'écart possible entre ces deux
instances voire leur mutuelle trahison?
Posons nous d'abord la question de l'apport cognitif ou
psychique, émotionnel d'une oeuvre esthétique dans la perspective
d'une amélioration de l'esprit humain.
G. Simmel, évoque dans La tragédie de La
culture 67(*)l'importance d'une forme d'apprentissage
intellectuel et émotionnel à travers les oeuvres d'art même
si ces dernières peuvent être considérées comme
médiocres par les critiques d' art. Selon lui , toute oeuvre contribue
à la sublimation de la contingence de l'existence et par ce seul fait
donne une valeur plus élevée à l'expérience humaine
ainsi élaborée. L'art permettrait
l « objectivation de l'esprit ». L'oeuvre garde ainsi
son caractère objectif quelque soit la re-création ou la
subjectivation du spectateur. Ce qui importe c'est la capacité de
l'oeuvre a posé de manière formelle quelque chose d'objectif de
facto ressenti comme signifiant, non sa valeur éthique positive au sens
du bien. Simmel, dans son appréciation de l'oeuvre d'art, dissocie la
valeur éthique de la valeur esthétique. Pour lui, une oeuvre
médiocre, de par son caractère parfois plus accessible, peut
enrichir spirituellement l'âme et la gratifier d'une forme de
satisfaction intellectuelle et émotionnelle . Ainsi une oeuvre parfaite
pourrait au contraire nous intimider et nous empêcher de nous
l'approprier et de nous faire progresser sur la globalité de notre
personne.
L'implication émotionnelle du
spectateur
Salles explique68(*) que le cinéma doit davantage reposer sur la
part émotionnelle non balisée par un discours limitant la
portée des images. L'expérience filmique se nourrit davantage de
l'émotion à travers laquelle le spectateur fait
l'expérience singulière et unique du film . Discutons ce
postulat épistémologique: dans quelle mesure l'émotion
apporte-elle au spectateur des éléments de connaissance plus
authentiques et plus riches qu'une explicitation documentaire reposant sur le
rationnel et l'intellect? Est-ce que l'émotion participe de la
cognition ou lui fait-elle obstacle? Apporte t-elle une forme de prise de
conscience nécessaire à la compréhension morale des
oeuvres et à la progression de l'esprit humain? Est-ce que
l'esthétique humaniste en faisant appel à l'implication
émotionnelle du spectateur (regard compassionnel, empathie,
émotion esthétique..) participe d'une forme de prise de
conscience salutaire, d'une forme de sublimation et d'émancipation de la
conscience humaine? Ou au contraire induit-elle un mouvement régressif
vers une opacité et une vacuité plus grande ?
Analysons d'abord les rapports entre émotion
esthétique (appréciation des qualités formelles de
l'oeuvre) et émotion proto-esthétique (ou émotion morale
induite par les évènements de la diégèse).Y a t-il
corrélation entre les deux? Autrement dit,est-ce que les qualités
esthétiques d'une oeuvre cinématographique disposent davantage
à l' épanouissement moral du spectateur ? A l'inverse, est-ce
que les qualités morales exposées dans une oeuvre favorisent le
sentiment esthétique de telle sorte que les deux instances
émotion esthétique et émotion proto-esthétique
s'auto-alimentent ? Dans quelle mesure, l'esthétique humaniste des films
de Salles se propose d'articuler les deux phénomènes ?
Considérons d'abord les travaux des cognitivistes
(N.Carroll,Bordwell, Matravers)sur la réception spectatorielle des
films, en particulier au niveau de l'émotion esthétique
résultant des efforts d'ajustement cognitif du spectateur69(*) vis à vis de ce qui
lui est présenté. En effet le plaisir esthétique
naîtrait de l'écart ménagé entre les attentes
implicites du spectateur et les éléments du films susceptibles
de remettre en question ces attentes. De sorte que si la tension cognitive
n'est pas importante, si la résolution de cette tension paraît
évidente ou trop explicite, si le spectateur n'est pas vraiment
sollicité dans son effort de co-création ou de
réajustement du sens , l'oeuvre paraîtra fatalement ennuyeuse. A
contrario, si l'effort d'ajustement nécessité par l'oeuvre reste
trop important et sans véritable cohérence, l'émotion
esthétique induite par ce processus devient négative et suscite
la perplexité du spectateur et son détachement ennuyé.
De plus notre gratification émotionnelle viendrait de la
réalisation que nous partageons avec l'artiste sa capacité
à exprimer et transformer en oeuvre ce qu'il ressent.
Cette « récompense de la communion
émotionnelle »70(*) ou de la « puissance expressive »
éprouvée à la fréquentation de l'oeuvre nous
conforte dans notre sensibilité tout en nous dédouanant du souci
des implications pratiques ou des réactions adaptées aux
situations contre-factuelles envisagées. L'on voit ici que les
cognitivistes tout comme Kierkegaard , pour qui la sensation est moralement
indifférente, dissocient l'expérience esthétique de
l'expérience éthique et rappellent qu'un spectacle visuellement
séduisant ne garantit en rien sa valeur morale. Il est des oeuvres en
effet où le beau, le plaisir intellectuel ne sont pas forcément
synonymes du bien et ne peuvent induire son effectivité. C'est
précisément ce que montre Platon dans La
République ,livres III et X où les émotions
fictionnelles peuvent conduire à l'inconsistance morale c'est à
dire la possibilité d'éprouver du plaisir à l'égard
de ce que nous serions tenus de réprouver.
Aussi, les scénaristes et les réalisateurs
sont-ils tentés de définir voire de modéliser le parcours
émotionnel du spectateur71(*) en vue de son adhésion plus ou moins
immédiate ou différée sans considérer l'aspect
éthique de la démarche. Dès lors, l'analyse de film
consistant à évaluer la séduction émotionnelle
opéré par le film doit considérer , en dehors de la trame
narrative pure et simple le sous-texte émotionnel composé
d'indices coordonnés entre eux pour définir le ton
émotionnel du film cette approche cognitiviste des émotions au
cinéma permet d'évaluer les films hautement manipulateurs ( de
part la fréquence et la spécificité des émotions
dégagées) et ceux beaucoup plus subtils( si les émotions
sont moins orientées dans un but précis) . Noël Carroll
souligne en particulier la systématicité émotionnelle qu'
induisent certains genres cinématographiques72(*) comme le mélodrame ou
le film d'épouvante. Dès lors on peut se demander si cette
sollicitation émotionnelle amène le spectateur à une
élaboration cognitive authentique, utile à son entendement et
à sa perception morale des situations contre-factuelles
présentées ou si elle reste tout bonnement illusoire ,
superficielle car détachée des implications pratiques. En
d'autres termes, est-ce que le spectateur peut être durablement
affecté dans sa psyché, dans ses croyances, sa
réactivité face au réel en ayant regardé des films
?
Walter Salles fait ce pari en ayant recours au genre de la
tragédie, notamment dans Avril brisé et Premier
Jour où la représentation des maux de la
société brésilienne se fait sur le mode cathartique.
Ainsi la représentation d'une vendetta absurde entre deux clans du
Nordeste et sa résolution morale serait susceptible de rendre au
spectateur la conscience de certains événements historiques
refoulés ou vécus sur le mode de la forclusion. Dans Premier
Jour (1999), il dramatise l'absurdité d'une justice corrompue
à travers une logique sacrificielle mettant en scène deux
repris de justice corrompus par l'environnement social mais empreints de
valeurs et de principes éthiques . Il reprend l'idéal
aristotélicien qui voyait dans le défoulement fictif des passions
la clé d'une pacification des rapports sociaux, le moyen de mener les
citoyens vers une vie vertueuse et heureuse, en conformité avec la
raison. Il se rapproche également de la conception de Lessing73(*) qui voyait dans la catharsis,
un moyen d'éduquer et de sensibiliser le citoyen à
l'expérience de la compassion, expression noble de l'humain.
Les films de Salles reposent sur un système
esthétique fondé sur une réponse émotionnelle
immédiate du spectateur, son empathie, grâce à une
esthétique documentaire réaliste et une forme narrative classique
issue du néoréalisme. Mais ses détracteurs soulignent les
dangers et les leurres épistémologiques d'une telle approche.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Glauber Rocha se méfiait d'un
cinéma se donnant comme mimétisme du réel, fausse
évidence et préférait la distanciation brechtienne en
particulier lorsqu'il s'agit de rendre compte des forces sociales
conflictuelles. Chez Brecht, la catharsis ne suscite pas autre chose que le
plaisir illusoire de l'identification du spectateur et elle détourne ce
dernier de la réalité concrète et de ses véritables
enjeux. Mieux, les fictions visant à cultiver chez le spectateur le
sentiment de la compassion demeurent tout aussi illusoires quant à la
valeur éthique de la démarche. En ce sens , les travaux de Susan
Sontag74(*) sur l'image de
la souffrance en photographie ou ceux de Myriam Revault d'Allonnes75(*) sur la compassion comme
ressort illusoire de l'idéal démocratique ne peuvent que remettre
en question la base idéologique et le mode opératoire des films
de Salles.
Le regard compassionnel
Revault d'Allonnes cite Rousseau qui dans sa Lettre
d'Alembert ironise sur les vertus morales de la représentation
théâtrale censée éveiller chez le spectateur le
sentiment de la compassion. Pour lui, loin de rendre les spectateurs plus
sensibles aux maux d'autrui, la fiction théâtrale les dispense
d'en faire l'épreuve dans le réel: 76(*)
« J'entends dire que la tragédie mène
à la pitié par la terreur;soit mais qu'elle est cette
pitié ? Une émotion passagère et vaine, qui ne dure pas
plus que l'illusion qui l'a produite. »
Si pour Rousseau, la compassion devant la souffrance de
l'autre reste un sentiment ambigu et aucunement altruiste (car le souci de
l'autre est parti prenante du souci de soi )il reste qu'elle doit se
transformer en défense de celui qui souffre.
Cependant ,la généralisation des bons
sentiments,leur objectivation dans une oeuvre filmique tend à
reléguer le spectateur démocratique dans sa sphère
privée, dans la solitude de son coeur. Susan Sontag dénonce le
regard compassionnel comme méconnaissance de l'autre, impuissance face
à sa souffrance et comme regard moralisateur sur la condition
d'assisté. Nous verrons que le film Carnets de voyage
(2004)cristallise tous les écueils envisagés par Sontag. En
particulier lors de la séquence filmique de la visite du Ché,
jeune étudiant en médecine, dans une léproserie. Les
lépreux sont montrés comme gentils,injustement souffrants et
authentiques. Ils méritent la sollicitude et l'attention exceptionnelle
du jeune homme. Mais ce regard philanthropique a un prix. Il assigne
irrémédiablement le lépreux à une place subalterne
et ne l'intègre pas dans une socialité partagée, c'est
à dire dans une société de semblables différents.
D'autre part il conforte le spectateur compassionnel dans un regard
éloigné, distancié ,retourné contre ses propres
fondements. Il devient l'alibi ou le masque d'une véritable
méconnaissance d'autrui. L'épisode de la léproserie
constituerait donc une démonstration militante pour le souci de l'autre
mais se termine en simulacre de la reconnaissance de l'autre. Il ne fait que
glorifier le regard de celui qui est doué de compassion, le sanctifie
dans sa posture servant d'exemple à suivre et l'éloigne de son
frère souffrant tandis que ce même frère souffrant ne peut
prétendre à la distance de son autonomie responsable . Hannah
Arendt77(*) fait une
critique politique du sentiment dans son Essai sur la
révolution en établissant que la compassion reste sans
conséquence et hors de sa place en politique car elle abolit
précisément ce jeu des distances de la socialité
partagée .
Elle observe également que la compassion, lorsqu'elle
est exposée à l'écran du domaine public subit le
même sort que le bien exposé à la lumière
publique: « il cesse d'être bon, il se corrompt,
intérieurement et, partout où il va, il porte sa
corruption. »
Specularité et fascination
Le film peut également se concevoir comme la rencontre
de deux mouvements spéculaires, de deux désirs, celui de la
reconnaissance (pôle du réalisateur) et celui de l'identification
(pôle du spectateur).Dès lors peut s'opérer une
stratégie de la fascination , c'est à dire d'une capture et d'un
enchantement du spectateur lorsque le film colle au plus près des
désirs ou des certitudes de ce dernier . Barthes78(*) dénonce
« l'image affect »comme une manipulation
émotionnelle et intellectuelle supplémentaire. L'image affect est
cet « immédiat qui vaut le plein »,qui repose
sur des affects premiers ;elle se présente comme une pseudo
évidence de l'authenticité qui désarmerait tout esprit
critique en proie au doute , à la complexité; elle s'affirme
comme « vérité » avec autorité et
remporte l'adhésion intellectuelle instantanée du spectateur ;
elle renforce la tonalité édifiante du propos, même si le
propos s'avère creux. En véritable rapt intellectuel, elle induit
une empathie spectatorielle et un désir d'identification avec ce qui est
présenté comme beau et bien. Barthes voit dans l'image
fascinante, un épisode hypnotique, ordinairement
précédé d'un état crépusculaire. Le
sujet-spectateur est désirant en attente d'une vérité
et le film installe en quelque sorte un décor mental prédisposant
au ravissement. Le leurre est occasionnel mais la structure profonde79(*):
« Dans l'image fascinante , ce qui m'impressionne,
ce n'est pas l'addition de ses détails ,c'est telle ou telle
inflexion(...)dès lors, que m'importe l'esthétique de l'image
?Quelque chose vient s'ajouter exactement à mon désir (dont
j'ignore tout)C'est la conformité d'un grand modèle culturel qui
viendra m'exalter »
Ce mécanisme ainsi décrit par Barthes
peut expliquer celui de l'esthétique humaniste au
cinéma qui parvient à désarmer intellectuellement le
spectateur , capitalise sur son désir de vérité et
d'identification, le plonge dans une fascination qui le réduit.
3ème Partie: Analyse de film : La construction
du regard dans Carnets de Voyage (2004)
_________________________________________________________________
Carnets de voyage: spectacle de l'injustice et regard
compassionnel
Leon Hirszman (1937-1987,cinemanoviste):
« Le plus important dans la vie et pour l'art c'est
de bien connaître ou de bien faire connaître autrui: bourgeois,
ouvrier, paysan, riche, pauvre, peu importe. Mais c'est avec cette rencontre,
cette connaissance de l'autre que commencent la civilisation, la culture,
l'action »
Le propos de ce cinéaste semble résumer la
croyance et la démarche d'Ernesto Che Guevara dans son ouvrage Notas
de Viaje, récit autobiographique relatant son
périple sud-américain au cours de l'année 1952.Il
semblerait qu'il existe une connivence entre les écrits du jeune homme,
future figure révolutionnaire, et les espoirs idéologiques du
cinéma novo. Il n'est donc pas surprenant que Walter Salles ait choisi
d'adapter au cinéma ce livre culte avec pour ambition de rendre son
biopic sur le jeune Che aussi fidèle que possible à la narration
et la teneur idéologique de son propos. En effet, le film Carnets de
voyage (2004)semble respecter le projet initial du Che de relater le
processus d'une prise de conscience politique au fur et à mesure du
trajet parcouru. Le texte du livre révèle les prémisses
d'une conscience révolutionnaire en construction, consigne les
étapes de cette prise de conscience des injustices et de la condition
humaine souffrante. Le jeune Che, alors étudiant en médecine issu
de la haute bourgeoisie, évoque une forme de révélation
lors d'une rencontre avec un inconnu, révélation annonciatrice de
son future rôle de chef révolutionnaire:80(*)
« Malgré ses paroles , je savais
maintenant...je savais qu'au moment où le grand esprit directeur
porterait l'énorme coup qui diviserait l'humanité en à
peine deux factions antagonistes, je serais du côté du
peuple »
Dans quelle mesure le film noue t-il cet engagement politique
ou explicite-t-il les données qui le légitiment? Quelles
inflexions idéologiques construit le film à travers sa mise en
scène, ses partis pris formels ?
L'analyse du générique et séquence de
début nous permet de repérer le contrat de lecture établi
par le film. Ce dernier s'ouvre sur une citation du livre rappelant ainsi le
lien étroit entre le film et le livre dans une adaptation qui se
voudrait fidèle: « ceci n'est pas un récits
d'exploits impressionnants;c'est un fragment de vie de deux êtres qui ont
parcouru un bout de chemin ensemble, en partageant les mêmes aspirations
et les mêmes rêves ».D'emblée, l'incipit du film
insiste sur l'authenticité d'une expérience humaine qui
pourrait bien se transformer en leçon de vie. La séquence qui
suit montre en quelques plans et in media res le jeune Che et son acolyte
Alberto Granado entrain d 'empaqueter leurs effets personnels dans la
plus grande fébrilité et impréparation. La caméra
circule sur les objets mis dans les sacs s'attarde sur certains, installant le
spectateur dans un regard « découvreur » ou
« arpenteur » selon la terminologie de Gardies81(*). Les premières images
préparent donc au genre filmique du film d'aventure picaresque, du road
movie tout en suggérant la caractérisation des personnages et une
forme de reconstitution historique de l'époque. Le gros plan sur
l'inhalateur et les fioles médicinales annonce la thématique de
la souffrance et de la maladie du Che (asthmatique)faisant de lui le
récepteur légitime de la douleur des autres, une figure
christique en définitive. La voix off du Che rappelle la tenue du carnet
de voyage mais a pour fonction de caractériser la personnalité de
ce dernier. Le forme lapidaire et résolue du discours suggère
l'impétuosité, l'intelligence ardente du jeune homme,voire sa
verve ironique , son auto-dérision contrastant avec la bonhomie de son
compagnon de voyage présenté comme bon vivant, profiteur, moins
intellectuel. La référence à Don Quichotte et Sancho
Pança en filigrane emporte l'adhésion du spectateur mais laisse
augurer du caractère chimérique de l'entreprise si l'on
considère sa pertinence contemporaine. Dans la jouissance de la
reconstitution visuelle d'une époque, la photographie emprunte
l'esthétique du « vintage » (filtre jaune pour
ramener la couleur à l'apparence d'un sépia) mais le naturel du
jeu des acteurs et l'humour gentiment paillard d'Alberto Granado actualisent
la diégèse avec force et suscite la connivence et
l'adhésion du spectateur. Dans un « regard
picoreur », enchanté, le spectateur se laisse charmer par
l'attrait d'un périple placé sous le signe de l'humour et du
plaisir de la découverte. Le voyage est présenté comme
celui deux étudiants privilégiés ayant une certaine forme
d'ouverture d'esprit et d'assise intellectuelle, rendus éminemment
sympathiques par leur authenticité et leur jeunesse.
Le paysage mental du spectateur est ainsi
préparé pour la réception des
« vérités » que le film se propose de
révéler. La voix off du Ché ajoute les inflexions
nécessaires pour conforter le spectateur dans ses ajustements cognitifs;
très vite le regard du Ché s'impose également comme
l'instance oculaire présidant à la découverte . Le film
entier se montre comme ce regard-vecteur , une métaphore de la
monstration où les rencontres fortuites à la marge de la route ne
sont que prétexte à la glorification d'une posture
compassionnelle sous tous ses aspects. Dans son ouvrage, Ernesto Che Guevara
s'inquiétait déjà de se limiter à « un
regard non panoramique,toujours fugace et parfois peu
équitable » sur la route de la condition humaine tant il est
vrai qu'il est difficile de sortir de ses propres préjugés .
Mais dans le film le Ché devient le signe, le symbole,
marque l'exemplarité du regard dirigé vers l'autre sans pour
autant le considérer pleinement dans son altérité. L'autre
devient support interchangeable, support d'une démonstration
assénée à coup d'exemples. Tous les thèmes de la
souffrance humaine sont convoqués au travers des rencontres fortuites
du voyage: tout d'abord la maladie,dans l'épisode de la vieille dame en
phase terminale. Le plan du film cadre le jeune homme penché sur elle,
vérifiant sa température, et rappelle volontiers un tableau de
piété religieuse. Le Ché devient le Christ , sa figure est
dépolitisée. Puis vient le traitement de l'injustice sociale et
de la révolte. La rencontre avec des mineurs itinérants au Chili
cristallise le sentiment de culpabilité,à la fois
éprouvé par le Ché (et indirectement adressé au
spectateur) lorsque ce dernier réalise le privilège du motif de
son voyage (« voyager pour voyager »)face à la
nécessité du déplacement pour survivre. Ce sentiment est
contrebalancé par l'explosion de colère et la révolte du
jeune face à l'exploitation infâme des mineurs. Comme le souligne
Olivier Pourriol,82(*)
filmer la révolte finit toujours par la transformer en spectacle, de la
diluer dans ce qu'elle dénonce , de l'épuiser en la
réifiant à l'écran. La révolte gagne à
avancer masquée. Dès qu'elle s'annonce, elle se ridiculise.
Au fur et à mesure du périple, le film construit
ainsi des postures émotionnelles et intellectuelles vis à vis des
déshérités plus ou moins discutables et faciles.
L'épisode des jeunes péruviennes racontant leurs souffrances
installe le Ché (et par là même nous installe ) dans la
position de témoin qui veut comprendre ce qui lui est étranger.
Peu importe le discours des péruviennes, la spécificité de
leur difficulté, ce qui compte c'est la scène finale,
scène de partage des feuilles de coca à mâcher avec le
jeune homme issu d'un autre monde. L'idéal du partage et de la
solidarité est ainsi asséné comme épisode
supplémentaire dans le théâtre des moralités. Mais
toutes ces étapes de la route humaniste trouvent leur point culminant
dans l'épisode de la léproserie de San Pablo aux abords de
l'Amazonie. Le jeune Ché arrive par bateau et entrevoit des barques
surpeuplées accrochées à ce dernier. Un plan ¾ en
contre-plongée s'attarde sur le regard caméra du jeune homme dont
la cible se trouve hors champ. Le plan suivant offre un plan large de
l'intérieur de la modeste embarcation où s'entassent des
indigents. L'un d'entre eux fixe la caméra et donc fixe le spectateur,
l'interpelle directement du regard qui n'est pas relayé par un
contre-champ sur le Ché. Le spectateur est ainsi substitué au
Ché qui de fait se soustrait à la dialectique des pouvoirs et
des mises en cause symbolisée par le champ / contrechamp. Le spectateur
est ainsi englobé dans une subjectivité qui le dépasse,
dans laquelle il est pris à parti sans pour autant connaître
toutes les données immédiates de la situation. Ce fonctionnement
du regard atteste du caractère manipulateur de l'ensemble du film .Le
film occulte trop facilement la dialectique des pouvoirs
(dominants/dominés)et enferme les personnages de la souffrance dans une
fatalité de bon aloi. Cet évitement du politique semble
d'ailleurs avoir été relevé par Woody Allen lui-même
dans son film Match Point (2006) où le cinéaste,sous
forme de citation ironique, montre des jeunes yuppies de la City à
Londres se rendant au cinéma pour voir Carnets de voyage. En
effet le film travaille davantage sur l'implication émotionnelle du
spectateur par des stratégies tendancieuses et
fédératrices sans le renseigner véritablement sur la
souffrance humaine et ses causes. Les derniers plans de la séquence de
la léproserie sont sur ce point significatifs. Le jeune Ché salue
d'un dernier regard les malades se tenant alignés sur la rive qu'il est
entrain de quitter. La caméra focalise son visage et embrasse l'ensemble
des lépreux en contrechamp de manière
indifférenciée. Ses derniers disparaissent peu à peu dans
le brouillard du matin. Ce que le spectateur retient de la démonstration
c'est l'affect dégagé par le regard du Ché et non l'objet
de son regard (les hommes et les femmes de la léproserie), un affect qui
installe le spectateur dans la réalisation tranquille par identification
qu'il est doué, lui aussi, de compassion. Mais cette forme d'
auto-satisfaction est bien vite contrariée par les plans en insert des
gens rencontrés sur la route, plans dont l'esthétique rappelle,
sous forme de citation, les photographies humanistes de
Sébastião Salgado. Comme si le film rejetait sur le spectateur
la responsabilité et la culpabilité d'oublier ou d'avoir
aperçu de manière fugace les gens de peu et leur
témoignage.
Susan Sontag 83(*)rappelle à ce titre la rhétorique
moralisatrice dont se parent les expositions et les livres de Salgado. Elle
note par ailleurs que le fait de ne pas mentionner sous forme de légende
l'identité des portraits des impuissants entérine davantage leur
condition d'impuissants. Elle souligne encore la position ambiguë dans
laquelle on installe le spectateur de ces images:84(*)
« La proximité imaginaire qu'introduisent les
images de la douleur des autres instaure entre les victimes lointaines et le
spectateur privilégié, un lien faux ,qui n'est jamais qu'une
mystification supplémentaire de ce que sont nos véritables
rapports au pouvoir »
Dépolitisation et mystification de la figure du
Che
Le déploiement des affects trouve sa résolution
utopique dans l'épisode du match de foot improvisé entre les
docteurs de la léproserie et leurs patients comme si le film atteignait
une forme de communion et d' illusion démocratique dans le jeu,
communion plus tard renforcée par le discours pan-américaniste
du Ché et sa traversée hautement symbolique de la rivière
séparant les lépreux des privilégiés.
Les derniers plans du film accentue la mystification voire la
mythification de la figure du Ché . Le personnage d'Alberto Granado
prend le relai du regard. Un gros plan fixe son visage pris de ¾ , ses
yeux scrutent le ciel où l'avion du Ché trace sa route. Ce plan
rappelle la fin apocope d'Avril Brisé où le regard
anxieux d'un jeune homme semble annoncer un horizon d'interrogations sur
l'avenir. Ici la posture magnifie l'évocation du Ché comme future
figure emblématique mais dépolitisée et mythifiée.
Barthes85(*) évoque
le ¾ comme figure visuelle de l'idéalisation:
« la pose de trois quarts suggère la tyrannie
d'un idéal:le regard se perd noblement dans l'avenir ,il n'affronte pas,
il domine et ensemence un ailleurs pudiquement indéfini. Presque tous
les trois quarts sont ascensionnels , le visage est levé vers une
lumière surnaturelle qui l'aspire , l'élève dans les
régions d'une haute humanité, le candidat atteint à
l'olympe des sentiments élevés, où toute contradiction
politique est résolue »
Le générique de fin affiche des photos d'archive
corroborant certaines scènes du film comme un déni ultime
à l'élaboration mystificatrice de ce dernier et comme caution
supplémentaire au travail d'adaptation du matériau
littéraire d'origine.
CONCLUSION
_______________________________________________________
Notre approche critique de l'esthétique humaniste des
films de Walter Salles a mis à jour les lignes de faille de l'oeuvre,
notamment dans sa prétention à vouloir restituer le réel
tout en élaborant un discours moral conservateur et une
esthétique visuelle glorifiant la figure du pauvre de manière
tendancieuse . Cette esthétique fait problème et
révèle un certain nombre de questions quant à la valeur
épistémologique du cinéma basé sur la fusion entre
fiction et approche documentaire:
Est-ce que le cinéma peut traiter de la condition
humaine et sociale d'un pays sans de facto prendre parti et construire en
filigrane un discours politique progressiste ou conservateur sur ce dernier? Au
fond, est-ce que les films ne seraient pas les portes-paroles ou les
projections idéologiques d'une classe sociale donnée (celle des
cinéastes et de leurs collaborateurs,celle des diffuseurs et des
producteurs..) sur une autre (celle représentée dans les films )?
Walter Salles se défend d'une vision politiquement dogmatique en
insistant sur le caractère organique et ouvert de ses films. Ces
derniers se voudraient l'expression la plus authentique de la
réalité dans leur mode de production comme leur mode de
fonctionnement. Selon lui, la fiction peut atteindre la vérité
des choses, du moins dans sa ligne asymptotique, si elle creuse la
matière du réel en ayant recours au mode
épistémologique du documentaire. Sa conviction est que la
prégnance du réel ainsi organisée l'emportera
nécessairement sur toute rigidité intellectuelle
présidant à l'élaboration du projet filmique initial.
Cependant,il est légitime de mettre en question cette exigence
d'objectivité, d'ouverture et de neutralité intellectuelle
à la fois dans la fabrication et le résultat que constitue le
film. Est-ce que le cinéma dans sa recherche formelle, esthétique
peut ontologiquement être neutre ou engagé sans se pervertir dans
ses fondements? A l'inverse, peut-il pervertir des interrogations, voire des
dénonciations d'ordre éthique,politique, philosophique ? Nous
avons pu observer à travers l'analyse de la construction du regard
spectatoriel, des options esthétiques,comment les tenants
idéologiques s'établissent parfois de manière souterraine
jusqu'à contredire la thèse initialement défendue. Nous
formulons le constat que ce retournement de sens(fictions
dénonçant la condition moribonde des brésiliens par un
regard finalement conservateur), a priori paradoxal,constitue une des
caractéristiques, pour ne pas dire, l'ambiguïté majeure du
cinéma de Walter Salles (trahison de l'esprit cinémanoviste dont
il se réclame?) La méthode reste subtile,sans y prendre garde,
le spectateur ne peut qu'adhérer à un cinéma qui choisit
de représenter le pauvre dans la candeur de son humanité . Il
nous ramène à notre vérité,celle de la survie d'un
animal social. Il nous renvoie à nos angoisses les plus profondes,
l'injustice, la culpabilité sociale, le sens de la vie dans la
précarité,ou a contrario du consumérisme et conformisme
bourgeois. Plus le tableau est sombre,plus la figure du pauvre sort grandie par
les épreuves de sa survie.
Mais que dénonce-t-on au juste ?Donner un telle
représentation, une telle visibilité, cela sert-il vraiment la
cause des humbles? Ne serait-il pas plus juste de se concentrer sur l'autre
branche de la balance ? Est-ce que les riches spectateurs brésiliens
prendront conscience de leur responsabilité au point d'engager des
actions concrètes et d' oeuvrer à une plus grande justice
sociale, à l'éducation des masses (autrefois
réservée à l'élite des notables brésiliens),
à l'effectivité de leur représentation politique
plutôt qu'à l'urgence de la construction d'un soi-disant moi
culturel identitaire (concept cher aux élites brésiliennes
résumant à lui seul l'engagement politique de ces
dernières vis à vis de la classe moyenne ou pauvre)?Est-ce que le
cinéma de Salles incite à l'action politique concrète ? En
réalité, ses films participent avant tout de la construction d'un
moi culturel identitaire susceptible de charpenter, de donner en somme une
colonne vertébrale intellectuelle et une dignité morale au peuple
brésilien. Il est intéressant d'observer comment les oeuvres
travaillent à la construction de mythes fédérateurs
centrés sur des fondamentaux d'ordre éthique. Le cinéma de
Salles pourrait s'apparenter à un cinéma réaliste de
propagande aux accents nationalistes fédérateurs, très
loin de la dénonciation des rapports de force et des antagonismes de
classe. Salles, en homme cultivé,érudit, pétri de
références livresques et filmiques émaille,dans une
perspective de construction identitaire, ses oeuvres de
références à l'histoire du cinéma ,de
caractéristiques culturelles d'autres pays dans une démarche
d'appropriation pour « donner un visage » à ses
concitoyens. Et il est intéressant de mesurer l'écart
idéologique que prend le cinéaste dans sa référence
au Cinéma Novo. Salles se distingue du parti pris révolutionnaire
d'un Glauber Rocha dans sa représentation du peuple. Il justifie cette
position par l'argument de l'effondrement des utopies. Les temps ont
changé et l'art ne saurait rendre compte des réalités de
notre époque à travers le regard des cinémanovistes. Nous
concédons que l'art en effet reste l'expression de son temps. Pour
autant, l'analyse politique de Salles quarante ans après Mai 68 semble
induit dans sa représentation cinématographique une tendance
à la dépolitisation de son sujet et à sa mystification .
Salles se targue de vouloir reprendre à la lettre l'injonction de Rocha
, « donner un visage au peuple », avec « une
idée dans la tête , une caméra à la
main ». Telle semble être la mission du cinéma au
Brésil qui reste donc inchangée. Mais quel visage au juste ?Un
visage touchant d'humanité, expression pure d'une noble stature dans le
chaos immérité.
Chez Salles, l'homme humble trouve son salut en lui
même par lui-même dans le creuset de sa recherche identitaire, dans
son sens aigu de l'éthique positiviste. Nous sommes loin ici de la
sauvagerie de la révolte du Canganceiro contre le propriétaire
terrien exploiteur sans scrupules mise en scène dans les films de
Glauber Rocha. Il reste que le cinéma novo a toujours oscillé
entre l'idée d'un cinéma-témoin social susceptible de
transposer dans la fiction la vérité d'une condition humaine et
celle d' un cinéma de la prise conscience politique et de l'impulsion
révolutionnaire car révélateur des relations de pouvoir.
Le cinéma aurait donc les vertus documentaires de tendre vers la
transposition la plus fidèle des données humaines d'une
société donnée. C'est malgré tout sans compter le
nécessaire filtrage du regard du
cinéaste-documentariste-témoin et de ses idiosyncrasies, ses
préoccupations intellectuelles ou affectives sur le sujet .
Quel est l'enjeu au fond? Faire vraisemblable , remporter
ainsi l'adhésion sans condition du spectateur confondu par tant de
vraisemblance ou récolter de manière organique, autant que faire
se peut, le matériau du réel au risque de ne plus être
cohérent ou trop complexe?Le spectateur n'est pas loin de tomber dans
l'ornière intellectuelle induite par des films accrocheurs par leur
esthétique documentaire (cinéma de l'urgence) mais au fond ne
mettant en scène que la subjectivité même et les
préoccupations narcissiques de leur auteur. Les films ne seraient donc
que le pauvre reflet de ce que pense leur concepteur et non le reflet du
réel. De même,si l'on tient compte du conditionnement et du
formatage de la réception eu égards aux lois du marché,
les films deviennent le reflet des attentes du spectateur et de son mode de
déchiffrage du réel(codes socioculturels d'une époque).
Nous voyons là un abîme sans fin de production et réception
spéculaire bien loin de pouvoir prétendre à
révéler le réel. En ce sens , l'humanisme
revendiqué de certains films n'obéirait qu'au penchant
démagogique actuel pour « un humanisme consensuel
érigé en orthodoxie,synonyme de conformisme,fustigeant quiconque
s'en écarte,autrement dit, un humanisme de la bonne conscience et du
narcissisme de masse »86(*)
FILMOGRAPHIE WALTER SALLES
__Documentaires
1986 Japão-Uma Viagem no Tempo (4 épisodes)
Kurosawa-Pintor de Imagens
O Outro Lado do Mundo
Os Novos Criadores
Os Samourai da Economia
1987 Franz Krajcberg-O Poeta dos Vestigios
1988 Marisa Montes
1989 Chico Buarque ou le pays de la délicatesse
perdue/ Pais da Delicadeza Perdida
1992 Caetano 50 anos
Joao e Antonio
1993 Tributo a Tom Jobim
1995 Socorro Nobre
1995 Jorge Amado ("Un siècle
d'écrivain")
__ Courts métrages
1999 Noticia de uma guerra particular (co-direction
avec João Moreira Salles)
1999 Adão ou Somos todos filhos da terra
(co-direction avec João Salles et Katia Lund)
2002 Castanha e Caju Contra o Encouraçado Titanic / Uma
Pequena Mesagem do Brasil (co-direction avec Daniela Thomas)
2003 Arma e Paz (co-direction avec Daniela Thomas)
2006 Loin du 16ème ( segment "Paris
je t'aime")
2007 A 8944km de Cannes (segment "Chacun son
cinéma")
__ Films
1991 A Grande Arte
1995 Terre Lointaine/Terra Estrangeira (co-direction avec
Daniéla Thomas)
1998 PremierJour/O Primeiro Dia/ Meia Noite (Co-direction avec
Daniela Thomas)
1998 Central Do Brasil
2001 Avril brisé/Abril Despedaçado
2004 Carnet de voyage/Diáros de Motocicleta
2005 Dark Water
2008 Linha de Passe (co-direction avec Daniéla
Thomas)
2009 On the Road (pre-production)
___ Productions
1987 Kracjberg_O Poeta dos Vestigios
2002 La cité de dieu/ Cidade de Deus de Fernando
Meirelles
2002 Madame Satã de Karim Ainouz
2004 Cidade Baixa de Sergio Machado
2005 Hermanas de Julia Solomonoff
2006 La maison de sable /Casa de Areia d'Andrucha
Waddington
2006 Le ciel de Suely/ Céu de Suely de Karim Ainouz
2006 Nacido y Criado de Pablo Trapéro
2008 Leonora de Pablo Trapéro
2008 Cafe de Los Maestros de Miguel Kohan
2009 A morte e a morte de Quincas Berro d'Agua
(pre-production)de Sérgio Machado
2009 The Eye of Storm (pre-production)d' Eduardo Valente
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TABLE DES MATIERES
Introduction
p.2
1ère Partie:Dialogue avec le Cinéma Novo
p.8
Une oeuvre référentielle
p.8
D'un cinéma révolutionnaire engagé
à un cinéma humaniste
identitaire
p.9
Esthétique documentaire et construction mythique
P.26
Cinéma national ou cinéma d'exportation:quel
public ? P.36
La figure du pauvre, cet Autre:montrer la
non-visibilité sociale
dans les films
p.42
Poétique du dénuement,stylisation de la
misère p.47
Leçons de vie et utopies tronquées
p.50
2ème Partie: Tensions entre éthique et
esthétique:
le point de vue du spectateur
p.55
Cinéma et progrès moral
p.55
L'implication émotionnelle du spectateur
p.58
Le regard compassionnel
p.62
Spécularité et fascination
p.64
3ème Partie: Analyse de film: la construction
du regard
dans Carnets de voyage (2004)
p.66
Carnets de voyage :spectacle de l'injustice et
regard compassionnel p.66
Dépolitisation et mystification de la figure du
Ché p.72
Conclusion
p.73
Filmographie
p.79
Bibliographie
p.81
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Mythologies, Editions du Seuil, p161-164
* 2 Carlos Heli de Almeida,
Walter Salles ,uma entrevista, Santa Maria de Feira Camara
Municipal,p.25
* 3 Sylvie Debs, "Un entretien
avec Walter Salles",Arcalt n°7, p97
* 4 Walter Salles, "Un-Pollute
Your Vision", Berlinale Talent Campus ,19 mai 2005
* 5 "A Conversation with Walter
Salles", Center For Latin American Studies, University of California,Berkeley,
4 mars 2005
* 6 Ismael Xavier, "Mouvements
tactiques pour un temps sans stratégies", Arcalt n°7,
p113
* 7 Walter Salles ,"Cinema Novo
and beyond", Review Nexo, University of Minnesota, vol.6,issue4,oct1, 2004
* 8 Sylvie
Debs,op.cit,p.92
* 9 Redford fut producteur de
Carnet de voyage de Sundance et Ford Coppola est le producteur de la
prochaine adaptation cinématographique de l'oeuvre de Jack
Kérouac, On the Road par W. Salles.
Cf. Peter Muello,"Brazil movie industry dependent on
U.S",Associated Press Financial Wire, 6 oct.2006
* 10 Michel Estève, Le
cinéma novo brésilien, Etudes Cinématographiques
n°93-96,Lettres Modernes Minard, p.43
* 11 Michel Estève, Le
cinéma novo brésilien 2; Glauber Rocha, Etudes
cinématographiques Lettres Moderne Minard,1976 p.
* 12 Ibid,p7
* 13 Ibid,p 14
* 14 Ibid,p51
* 15 Ibid, p.45
* 16 Franck
Curot,Cinéma novo 1, Op.Cit. p94
* 17 Stephan Jungk,
« An Interview with Walter Salles » dans John Boorman,
Projections12:Filmmakers on Film Schools, London,Faber and Faber,2002
p233-263
* 18 Notons que la
société de production de Salles, Videofilmes, conserve
le patrimoine filmique de Mario Peixoto, cinéaste des années
20-30 et notamment une copie restaurée de Limite.
* 19 Interview,
supplément du DVD "Carnet de Voyage"
* 20 Sylvie Debs,op.cit.p 92
* 21 Sylvie
Debs,Ibid,p 94
* 22 The Observer,
Juillet 2000
* 23 Sylvie Debs, La
projection d'une identité nationale:littérature et cinéma
au brésil (1902-1998), le cas du Nordeste,Paris, L'harmattan,2004 p
224
* 24 Michel Faure,"Walter
Salles:le brésil,c'est le mythe de Sisyphe permanent", L'express, 10
fév. 2004
* 25 Walter Salles,"Cinema is
about the possibility of collective exchange "Berlinale Talent Campus,
11fév.2007
* 26 Jacques Rancière,
Malaise dans l'esthétique, Galilée, 2004 p,57-58
* 27 Michel Ciment, Petite
planète cinématographique, Stock,2003 p. 465
* 28 Lúcia Nagib,
The New Brazilian Cinema, I. Tauris, 2003
* 29 Sylvie
Debs,op.cit.p93
* 30 Clarissa Beretz,
« An interview with Katia Lund » News from Brazil
mars2003
* 31 Lúcia Nagib,"The
Zero, the Center and the Empty Utopia_from Rossellini to Walter Salles"p.227
* 32 François
Niney, L'Epreuve du Réel à l'écran ,Edition De
Boeck, 2004 p.101
* 33
Susanna,Helke, « Reality Replayed: Documentary filmmaking and
documentary value »
http://www.widerscreen.fi/2004/2/reality_replayed.htm
* 34 Stéphane Breton,
Télérama, n°2958,20 sept.2006
* 35 Suzanna
Helke,Ibid,
* 36 Bill Nichols, Blurred
Boundaries: Questions of Meaning in Contemporary Culture ,Indiana Press
University, Bloomington ,1994 p.244
* 37 François Niney,
L'épreuve du réel à l'écran, Editions De
Boeck, 2002 p.315
* 38 Frank Curot, Styles
Filmiques:2.Les Réalismes, Etudes cinématographiques,
Lettres Modernes Minard, p.151-168
* 39 Walter
Salles,« A conversation with Walter
Salles »,March4,2005,Center for Latin American Studies,University of
Berkeley California
* 40 Christian Salmon,
Storytelling, Editions La découverte, 2007 p 84
* 41 Ibid,p40
* 42 R. Barthes,
Mythologies,Paris, Seuil, « Points
essais »n°10,1957,p217
* 43 Roland Barthes,
ibid. p 29
* 44 Lucia
Nagib, « Going global:the brazilian scripted film » in
Sylvia Harvey, Trading Culture:Global traffic and Local Cultures
in Film and Television, John Libbey Publishing,2006 p95-103
* 45 Dans Michel
Estève, Cinéma et Condition humaine, Paris :
Albatros , 1978
* 46 Walter Salles,
« Cinema Novo and beyond »,Review Nexo, University
of Minnesota, vol.6, issue4,2004oct
* 47 Susan Hayward,French
national cinema, London, Routlege, 1996, p14-15
* 48 Jean-Yves Mollier et
alii,Les lectures du peuple en Europe et dans les Amériques du
17ème siècle au 20 ème siècle,p179-180
* 49 E.P.Reis,
« Percepções da elita sobre pobreza e
desigualdade »,Revista brasileira de ciências
sociais,2000,vol.15 n°42,p143-152
* 50 Debora Miranda,
« A recôrrência do cinema brasileiro em retratar a
pobreza »
http.//g1.globo.com/Noticias/Cinema, 29 mars 08
* 51 Ibid.
* 52 Jean Ziegler, L'empire
de la honte, Edition Fayard,2005,p225
* 53 Christian Salmon,
« récit de la misère, misère du
récit », le Monde,22 Févr.2008
* 54 Arlette Farge et
alii,Sans visages,l'impossible regard sur le pauvre,Editions
Bayard,2004
* 55 Patricia Osganian,
« Entretien avec Nicolas Klotz et Elisabeth
Perceval »,Revue Cairn n°27-28 mars 2003
* 56 José Carlos
Avellar, «Walter Salles,cinéaste et
producteur »,Cinéma d'Amérique latine,
n°13,2005,p45
* 57 Ibid, p.49
* 58 Didi
Huberman, « Toute relation aux images se donne comme prise de
position » Philosophie magazine, n°22,Septembre
2008,p.58-63
* 59 Paul Ricoeur,Histoire et
vérité, Paris, Seuil,1955,p.297
* 60 Lúcia
Nagib,The New Brazilian Cinema, I. Tauris, 2003
* 61 Michel Maffesoli,
« Utopies interstitielles:du politique au
domestique »,Revue Diogène n°206 Avril-Juin
2004, p 34-35
* 62 Muniz Sodré,
« Pour un humanisme sensible :l'émergence politique de
l'affectif » Revue Diogène
n°206, p 89-98
* 63 Christian
Salmon,op.cit.,p 41
* 64 Boris Cyrulnik,De
chair et d'âme, Edition Odile Jacob,oct 2006,p 186
* 65 Christian Salmon,
ibid,p.30
* 66 G.Steiner, Dans le
château de Barbe-Bleue,p.98-99
* 67 G.Simmel,La
tragédie de la culture, Paris,Rivages poche,1988
* 68 Article internet
« Director W.Salles talks about Dark
Water »: « Je préfère les films
où ce que vous ressentez est plus important que ce que vous entendez ou
ce que vous voyez, où les choses ne sont pas sur-expliquées ,
où les questions sont laissées en suspens »
* 69 Jean-Pierre Cometti et
alii, « Emotion, fiction, cinéma », Revue
francophone d'esthétique, Juillet-Décembre 2004, p29
* 70 Ibid,p.46
* 71 Noël Carrol,
Passionate Views, p.22-25
* 72 Noël
Carroll,ibid, p33-34
* 73 Marc Jimenez,Qu'est-ce
que l'esthétique ?, Gallimard,Folio essais,1997,p245-248.
* 74 Susan Sontag, Devant
la douleur des autres, Christian Bourgeois Editeur, 2002
* 75 Myriam Revault
d'Allonnes, L'homme compassionnel, Editions du Seuil,2008
* 76
Revault,Ibid.,p82
* 77
Revault,Ibid,p56-57
* 78 Roland Barthes,
Fragments d'un discours amoureux, Editions du Seuil,p225
* 79 Barthes , Ibid;.,
p226
* 80 Ernesto Che
Guevara,Voyage à motocyclette, Editions Mille et une Nuits,
p179
* 81 André
Gardies,Décrire à l'écran,Méridien
Klincksieck(1999),190p
* 82 Olivier Pourriol ,
« Filmer la révolte »,Trois Couleurs, MK2
n°61 Avril 2008
* 83 Susan Sontag
,Op.Cit,p86
* 84 Ibid,p110
* 85 Roland Barthes,
Mythologies,Op.cit.p.152
* 86 Pierre Magnard,
« Actualité de l'humanisme »,acte du
colloque de l'académie européenne interdisciplinaire des
sciences Nice-Côte d'azur,PUF,Juin 2003,p.55
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