Conclusion
Le cas de Mme F. montre combien les gens souffrant d'un trouble
de personnalité état-limite ont des difficultés à
vivre normalement. Dans la grande majorité des cas et en l'absence de
traumatisme, ces personnes doivent totalement ignorer qu'elles sont
« malades », ou plutôt différentes des autres.
Leur difficulté à juger les choses et à
comprendre le fonctionnement psychique des autres pourrait être
considéré comme un « handicap ». En effet, il
leur manque « quelque chose », c'est-à-dire les
processus primaires qui permettent aux gens « normaux » de
comprendre automatiquement les situations et de répondre par des
comportements adaptés.
Pour parvenir au même résultat et rester
intégrés dans la société, ils doivent remplacer ces
processus manquants par des processus appris qui leur sont propres : ils
doivent "deviner" ce que pensent les autres (en se basant sur leurs propres
critères) et réagir « en faisant semblant »
d'avoir compris. Malheureusement, suite au traumatisme précoce qu'ils
ont subi et qui a perturbé leur maturation psychique, les schémas
de réponse qu'ils construisent ainsi sont le plus souvent
erronés.
A force de vivre "en faisant semblant", d'être
angoissés, de faire des rêves d'omnipotence et de subir des
échecs (professionnels et sentimentaux), ces personnes finissent par
désinvestir leurs affects des objets et présenter un syndrome
dépressif central.
Une approche cognitivo-comportementale de leurs troubles va
permettre aux personnes d'identifier ces processus secondaires appris, de
comprendre pourquoi ils sont dysfonctionnels et de mettre en place de nouveaux
processus mieux appropriés. Ils fonctionneront toujours en "devinant" et
en « faisant semblant », mais sur des bases beaucoup plus
justes. Les nouveaux comportements mieux adaptés permettront
peut-être de rétablir une certaine dynamique d'espoir.
Aller plus loin et aborder les schémas permettrait
sûrement une modification plus profonde de la personnalité, voire
l'évolution du psychisme vers une structure plus stable.
Si le plan thérapeutique proposé ici à Mme
F. lui permet d'amorcer un réinvestissement social et affectif, elle
pourra ensuite manifester son désir de poursuivre une analyse plus
profonde qui lui permettrait d'aller plus loin dans l'établissement de
relations objectales structurées et de dépasser le risque de
rechute dépressive en cas de nouveau traumatisme désorganisateur.
Mais cette décision devra pleinement lui appartenir, car
une remise en question profonde de son organisation et de sa
personnalité à 50 ans risque de provoquer une prise de conscience
massive quant à l'échec de sa vie et induire le sentiment d'un
terrible gâchis.
Pour Mme F. et pour tous les patients de cette lignée, la
thérapie idéale consisterait en un rétablissement de
processus primaires adaptés et à la disparition des
symptômes et aménagements qui leur ont permis de garder une bonne
voire très bonne adaptation sociale toute leur vie en dehors des
états de crise.
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