Les représentations
sociales de l'alcoolisme et de l'alcoolique
En étudiant les modes de compréhension de la
consommation abusive et de la dépendance, Louise Nadeau1(*)2(*) (1988) a dégagé chronologiquement quatre
modèles qui ont marqué l'évolution du jugement
porté par la société sur les malades alcooliques :
Modèle moral ou religieux
Dès les origines, les drogues et notamment l'alcool,
étaient considérés comme un moyen pour l'homme de
s'élever au-dessus de sa condition, d'accéder au sacré.
Les prêtres et les médecins (exerçant un art sacré)
avaient le droit de prescrire et de proscrire ces drogues, de façon
rituelle, dans le cadre de la religion.
L'intempérance sous
toutes ses formes était un abus, un sacrilège et relevait de la
justice.
Platon ainsi que les stoïciens et les épicuriens
prônaient la tempérance et le contrôle de soi.
Dans
le monde moderne, les tabous religieux furent remplacés par une morale
de l'effort, du travail et du mérite personnel qui proscrit les voies
« courtes » de plaisir comme l'usage de produits
psycho-actifs.
Modèle de la maladie
Les travaux de benjamin Rush conduisirent vers 1785
à la création du premier modèle des
« pathologies de la dépendance » :
dépassant les méfaits de « l'ivrognerie »,
c'est-à-dire la simple étude des effets nocifs de l'alcool sur le
corps et l'âme, Rush émit l'idée d'un processus inexorable
lié à l'action de l'alcool, transformant ainsi l'alcoolique
vicieux en malade.
Le mal est dans la substance ; c'est cette
dernière qui déclenche le processus morbide. Ainsi va
commencer une lente séparation de la médecine et de la religion,
accompagnée de l'appropriation par la médecine de
problèmes auparavant considérés comme d'ordre moral et
religieux.
Modèle bivarié : l'alcoolisme
résulte d'un produit et d'un sujet
La persistance de considérations morales dans le discours
médical va amener la société à considérer
que si l'alcoolisme est une maladie, il concerne néanmoins un
sujet.
La théorie de la dégénérescence de
Morel stipule que l'alcoolisme résulte d'une faiblesse constitutionnelle
chez certains individus, aggravée par l'intoxication
alcoolique.
Les progrès de la science ne permettent pas encore au
discours médical de s'opposer formellement. Le modèle
bivarié fait une place à l'usager et à la
substance.
Ce discours est confirmé par les Alcooliques
Anonymes (USA) : la maladie se développe comme une intoxication,
mais ne concerne que des individus prédisposés.
Dans les années 50, Jellinek développe le concept
spécifique de « maladie alcoolique » qu'il
définit comme un processus. En France Fouquet distingue plusieurs formes
d'alcoolismes : les alcoolites (alcoolisme né de
l'habitude), les alcooloses (« névroses
arrosées ») et les somalcooloses (alcoolisations
massives et périodiques).
Le fait que l'alcoolisme soit considéré comme une
maladie permet de déculpabiliser le buveur et surtout de lui donner
espoir en une possible « guérison » après
« traitement ».
* 1 Nadeau, L. (1999). Article
« Alcoologie ». In Grand dictionnaire de la psychologie
(42-43 ) . Paris: Larousse/Bordas
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