UNIVERSITE BORDEAUX II
Département d'anthropologie sociale et
culturelle

Du malheur de soi au meilleur d'eux-mêmes
Licence d'anthropologie 2005-2006
TD UE 7 : anthropologie de la santé
Melle Desseix
Aline Mandrilly
SOMMAIRE
Sommaire
|
|
Introduction
|
p. 1-4
|
I. Une histoire unique
|
|
1. Au bon vouloir des grandes puissances
|
p.5-7
|
2. Résistances sans mesures
|
p.7-10
|
3. Refus sans limites
|
p.10-12
|
II. Entre rêve et réalité
|
|
1. Comme dans un rêve : voir Chagos et puis mourir
|
p.13-16
|
2. Une réalité contradictoire : de nouvelles
interrogations
|
p.16-18
|
III. Déracinement, entre souffrance et résistances
|
|
1. Déportation et arrivée, le début du
cauchemar
|
p.18-21
|
2. La misère de l'exil, désespoir et suicide
|
p.21-24
|
3. Souvenirs et présent, un douloureux mélange
|
p.25-28
|
|
|
Conclusion
|
p.29-30
|
|
|
Bibliographie
|
|
|
|
Annexes
|
|
Cette partie de l'Histoire, bien que choquante, voire
même incroyable, est pourtant bien réelle.

Entre l'Inde et l'île Maurice, perdu au coeur de
l'Océan Indien, l'archipel des Chagos, composé de soixante-cinq
îlots, étire ses atolls et se donne des airs de paradis terrestre.
Durant les années soixante, les pays colonisés se battent pour
leur indépendance. A son tour, l'
Ile Maurice
revendique la fin de la domination britannique. Requête accordée
le 12 mars 1968 par l'administration coloniale qui conserve en échange
l'archipel des Chagos, désormais «
Territoire
britannique de l'Océan Indien (BIOT)». Cet archipel a ainsi
été détaché du territoire mauricien en 1965 par les
autorités coloniales britanniques ; Cela, trois ans avant que
l'île Maurice n'obtienne son indépendance. L'île la plus
vaste, Diego Garcia, est l'une des plus importante base militaire de
l'Océan Indien depuis quarante ans et assure la sécurité
des intérêts américains dans cette partie du monde. Ces
soixante-cinq îlots discrets représentent un intérêt
géostratégique indéniable pour cette super-puissance.
L'Archipel des Chagos, plus connu sous le nom de son île
principale, Diego Garcia, est un de ces endroits du bout du monde dont on
n'entend pratiquement jamais parler, sauf quelques allusions lors de grands
événements mondiaux : première guerre du Golfe [où
sa base aéronavale américaine a servi pour les bombardiers],
deuxième guerre du Golfe, tsunami [l'archipel a été
épargné par le raz-de-marée], Guantanamo [des
« prisonniers de la guerre » contre le terrorisme seraient
détenus au secret à Diego Garcia]. Et pourtant, la population des
Chagos - ces « Palestiniens de l'Océan Indien » -,
déportée de ses îles natales, se bat pour ses droits, qu'un
tribunal londonien lui a même reconnus pour un temps en 2000. L'histoire
des Chagos est un chapitre sombre de l'Histoire. Elle mérite
d'être connue.
A l'époque de la construction de la base militaire de
Diego Garcia, les deux milles Chagossiens gênaient. On leur coupa donc
les vivres, puis des rumeurs se sont répandues sur un éventuel
bombardement des îles. Les habitants ont ensuite assisté au gazage
de leurs animaux, avant d'être eux-mêmes déportés
manu militari à l'Ile Maurice et aux Seychelles. Peros Banhos,
Salomon et Diego Garcia, les trois plus grandes îles de l'Archipel des
Chagos, sont devenues un trio fantôme pour ces deux mille âmes
perdues, exilées de force à la fin des années soixante, et
abandonnées, sans ressources, majoritairement analphabètes, et ne
parlant que le créole, dans les bidonvilles de Port-Louis, capitale de
l'Ile Maurice, notamment dans les quartiers de Baie du Tombeau, de Cassis, de
Pointe aux Sables et Roche Bois. Les autorités mauriciennes ont toujours
considéré cette excision comme une violation des
résolutions des Nations unies, déclarant illégal tout
démantèlement d'un territoire par un pouvoir colonial avant que
l'indépendance soit accordée.
L'État mauricien leur a donné des terres pour
construire des maisons, mais pas assez pour les aider à intégrer
la société mauricienne et à y prospérer.
Aujourd'hui, quand les Chagossiens, entendent jouer l'hymne national mauricien,
lors de la fête nationale, le 12 mars, la plupart sentent «comme
un couteau qui passe sur [leur] coeur. C'est à cause de cette musique,
que nous avons perdu notre île natale», témoigne
M1(*). Un document secret,
intitulé « Maintenons la fiction »,
a été découvert en 1990. Il explique la position prise par
le gouvernement britannique et leur intention de « faire croire
qu'aucun d'entre eux ne doit être perçu comme un habitant
permanent des îles »2(*). Les mensonges et la discrétion absolue
entourant cette affaire commencent peu à peu à voir le jour. Le
gouvernement britannique a toujours maintenu que les Chagos seront rendus
à Maurice quand les pays occidentaux n'en auront plus besoin pour leur
sécurité. Cet archipel, toujours sous souveraineté
britannique, abrite actuellement une cinquantaine d'Anglais, occupés
à la gestion administrative des civils de Diego Garcia, au
contrôle des douanes et au respect de l'environnement de l'île.
Devenus citoyens de seconde zone dans ces pays, la plupart des Chagossiens
revendiquent aujourd'hui le droit au retour sur leurs terres.
Derrière cet épisode sombre de la
décolonisation se cache la tragédie longtemps ignorée
d'hommes, de femmes et d'enfants déportés du jour au lendemain,
privés d'une vie en phase avec la nature, pour être jetés
dans les bidonvilles de Port-Louis. Vivant dans une extrême
pauvreté et dans un pays qui ne voulait pas d'eux, certains d'entre eux
moururent de chagrin, d'autres se suicidèrent, et la plupart furent
dépouillés de leurs maigres économies par des individus
peu scrupuleux. A l'Ile Maurice, l'école est obligatoire jusqu'à
seize ans, même pour les petits Chagossiens. Après la classe, les
enfants jouent, comme tous les autres enfants du monde, avant de rejoindre
leurs petites maisons de parpaings et de tôles. Jusqu'à leurs
seize ans, ils recevront une instruction publique obligatoire comme tous les
petits Mauriciens. Mais que feront-ils après ? Malgré
l'insouciance de leur jeune âge, ils savent qu'ils sont d'origine
chagossienne et, qu'à l'image de leurs compatriotes, ils subiront une
discrimination à tous les échelons de la société.
La plupart d'entre eux dissent avoir déjà été
victimes de racisme, en raison de leur couleur de peau, qui serait plus
foncée que celle des Mauriciens. « Pour moi, les Chagos
c'est un paradis »3(*), sourit M., adolescente née à
Maurice il y a treize ans. « J'irais là bas si je pouvais
parce qu'ici je n'ai pas d'avenir et c'est plus dur pour moi que pour les
Mauriciennes »4(*). Indigence, chômage, racisme, depuis que
les Chagossiens ont vécu l'expérience tragique de la
déportation, elle marque toutes les étapes de leur vie actuelle.
Depuis l'arrivée, peu de natifs sont parvenus à se faire une
place au coeur de cette nouvelle société. L'Ile Maurice est une
nation arc-en-ciel. Elle a en effet, sur un petit territoire, une mosaïque
de cultures et de religions, qui ailleurs s'affrontent violemment. Pour ces
raisons de stabilité sociale que l'on peut comprendre, elle craint qu'un
groupe ne veuille réclamer une spécificité et léser
les autres communautés. L'Ile Maurice a connu des heurts violents
inter-ethniques en février 1999. Cette notion d'autochtonie étant
trop chaude pour cette île, elle veut l'exclure. Mais si les Chagossiens
sont des Mauriciens comme les autres, pourquoi seul les Chagossiens ont
accès à ce passeport du British Indian Ocean Territory,
contrairement aux autres Mauriciens?
Partons du postulat qu'après une telle tragédie,
il soit difficile de se reconstruire et de continuer à avancer vers
l'avenir. La vie en exil n'est pas facile. Des études montrent que les
migrants sont davantage confrontés à des problèmes de
santé que la moyenne de la population. Des familles souvent
éclatées, des conditions de vie difficiles, un taux de
chômage élevé, les raisons de tomber malades sont
nombreuses. Ces populations ont souvent un problème
supplémentaire puisque la plupart d'entre eux recherche pendant
longtemps du travail dans leur pays d'accueil, avec malheureusement, souvent
peu d'espoir d'en trouver un stable. Quels sont donc les effets de l'exil sur
la santé des Chagossiens ? Avec des conditions de vie, très
précaires dans la plupart du temps, est-il possible de se reconstituer
après un tel drame ? Ce mémoire s'efforcera d'évoquer
les causes de l'exil des Chagossiens, à travers l'histoire si
particulière qui est la leur, ainsi que des actions menées depuis
pour revendiquer un droit au retour, mais aussi pour une reconnaissance du
préjudice qu'ils ont pu subir. Il s'agira de comprendre pourquoi deux
grandes puissances, comme les Etats-Unis et le Royaume-Uni continuent encore
aujourd'hui à s'entendre sur le dos de cette population
déracinée. Comment deux pays, qui se disent oeuvrer pour la
démocratie et le bien de l'Humanité, peuvent-ils encore nier leur
histoire et ainsi interdire à cette population de vivre dans des
conditions décentes ? Une attention toute particulière sera
portée sur leur récent voyage de visite à leurs îles
- voyage qu'ils demandaient depuis plus de trente ans - un rêve qui a
enfin pu se réaliser pour certains. La réalité actuelle,
parfois contradictoire, sera également abordée, entre les
différents souhaits des anciens et des plus jeunes quant à un
possible retour. Quel regard portent les Chagossiens sur leur histoire, mais
aussi sur le récent « cadeau » qui leur a
été accordé, après un long combat : la visite
de leurs îles ? Pour finir, la question de leurs conditions de vie
quarante ans plus tard, à l'Ile Maurice, permettra de montrer quelles
peuvent être les conséquences psychologiques et physiques sur des
personnes en situation d'exil, en recherche permanente d'identité et
d'intégration dans la société mauricienne. De quelles
manières ce déracinement a entraîné une
surmortalité dans la population chagossiennes, sans toutefois
écraser complètement les résistances et les adaptations,
vitales dans ces cas-là ? Cette misère de l'exil est
d'autant plus insoutenable qu'elle est toujours présente aujourd'hui,
dans beaucoup de situations où des populations entières sont
forcées à l'émigration. Ce déracinement
entraîne toutefois des techniques de résistance qui arrivent
parfois à porter tout un peuple au sommet de l'espoir et de l'action,
leur permettant ainsi de voir arriver l'avenir avec un peu moins
d'appréhension. Entre passé, présent et futur, la
(re)construction identitaire de tout un peuple est maintenant en jeu.
Selon le Groupe Réfugiés Chagos, près de
six mille personnes d'origine chagossienne, dont huit cent soixante-dix natifs
de l'archipel, vivent actuellement à l'Ile Maurice. 
I.Une histoire unique :
1.Au bon vouloir des grandes puissances :
L'attrait des puissances occidentales pour l'archipel des
Chagos n'est pas récent. Il a été découvert par les
Portugais lorsqu'ils cherchaient une nouvelle voie pour atteindre l'Asie en
contournant l'Afrique suite à la prise de Constantinople par les Turcs
en 1453. Et c'est quarante ans plus tard, en cette fatale année de 1492,
où Christophe Colomb débarque sur le continent américain
que Vasco de Gama franchit ce passage au sud de l'Afrique et arrive lui en
Inde. Sur sa lancée d'autres navigateurs portugais suivent, dont en 1532
Diego Garcia, qui donne probablement son nom à la plus grande île
de l'archipel des Chagos. Les colons vont instaurer là comme ailleurs le
système des plantations esclavagistes et organiser la capture et la
déportation des captifs africains dans ces îles. En 1776, le
Vicomte de Souillac en prend possession pour la couronne française.
L'aristocrate y installe des esclaves malgaches et mozambicains pour y
exploiter la noix de coco. Passant sous domination britannique en 1814, ces
îles servent alors de ravitaillement en charbon pour les navires.
L'Empire colonial abolit la traite négrière et
l'esclavage en 1835 et fait venir des travailleurs mauriciens ou indiens ainsi
que quelques européens pour assurer l'administration du territoire. De
ces migrations successives, naît une culture et une langue créole.
Cette identité chagossienne façonne le quotidien de ces
insulaires pendant plus d'un siècle.
Au début des années soixante, les luttes de
libération s'amplifient, la décolonisation est partout
engagée. L'Angleterre et les États-Unis décident qu'il
leur faut verrouiller la région de l'Afrique australe en y installant
une base militaire. Ils passent un accord selon lequel, l'Angleterre va fournir
un territoire en échange de quoi les Américains des Etats-Unis la
fourniront à prix réduit en certains matériels militaires
(fusées Polaris, par exemple). En 1965, le Royaume-Uni loue l'Archipel
aux Etats-Unis pour une période de cinquante ans, renouvelable pour une
période de vingt ans. Engagée de plein pied dans la guerre
froide, la puissance américaine contrôle désormais les
activités maritimes soviétiques et assure une proximité
avec l'Inde et l'Est africain. L'île de Diego Garcia, une sorte de
« U » long de vingt-cinq kilomètres, abritera sa
base militaire.
Mais un problème subsiste : environ deux mille
personnes vivent sur ces îles.
A charge pour les Britanniques de faire table rase. Pour
commencer, toutes les activités économiques cessent à
partir de 1966. Plus aucun employé chagossien ne travaille. Ceux qui se
trouvent aux Seychelles où à Maurice pour y être
soignés se voient interdits de territoire du jour au lendemain.
« Une véritable campagne d'intimidation fut menée
par l'administration coloniale. Un jour, les animaux domestiques furent
réquisitionnés par les commissaires britanniques puis
gazés dans des calorifères devant les villageois. Nous avons
pensé que s'ils étaient capables de faire ça aux animaux,
nous serions les prochains », se souvient Louis Olivier
Bancoult, le président du
Groupe Réfugiés Chagos
(GRC), encore enfant au moment des faits. Entre menaces et discours apaisants,
les Anglais promettent monts et merveilles aux habitants : des terres, des
animaux et du travail dans les pays d'accueil.
Le «déplacement» des îlois, comme ils
se nomment eux-mêmes, commencera dans le plus grand secret au
début des années soixante-dix. Destination, l'Ile Maurice et les
Seychelles. Selon diverses sources ces voyages avaient entre cinquante à
trois cents passagers. La capacité initiale des bateaux
réquisitionnés étant de dix, même avec une
augmentation de cette capacité de cent pour cent, cela fait vingt
passagers. On comprend la promiscuité sur le Norvdaer (dernier bateau
utilisé pour les voyages des Chagossiens à l'Ile Maurice) qui est
plus compatible avec un bateau négrier du temps de la traite des
esclaves que d'un voyage civilisé. Des années de salaires (la
majeure partie d'un salaire était en nature, riz, sel...) ont
été nécessaires pour accumuler des meubles. Ainsi, tous
ces biens, vu l'impossibilité de les prendre faute de place, ont
dû être laissé sur place, et font encore la joie des
navigateurs de passage, qui les utilisent.
A l'époque, Londres fait alors valoir aux habitants de
tout l'Archipel des Chagos qu'ils n'ont aucun droit territorial sur les
îles où leurs parents sont venus d'autres pays d'Afrique et de
l'Océan Indien comme «travailleurs contractuels». Les
quatre-cent vingt-six familles qui vivaient du maraîchage, de la
pêche côtière, de l'élevage et de la culture du
coprah se retrouvent, privés de leurs biens et sans aide, dans les
bidonvilles de Port-Louis, à l'île Maurice et de Victoria aux
Seychelles. L'alcoolisme, la drogue, la misère ravagent leur
communauté tandis que les Etats-Unis, forts d'un bail de cinquante ans,
renouvelable pour une période de vingt ans supplémentaires,
transforment Diego Garcia en place forte.
Les troupes américaines débarquent le 9 mars
1971. Les derniers Chagossiens s'en vont contraints et forcés le 25
avril 1973 à bord du Nordvaer. Trois jours de mer plus tard, dans la
rade de Port-Louis, la capitale de l'île Maurice, personne ne les attend.
La même semaine, un décret britannique leur interdit tout retour
vers Chagos. Alors, les autorités mauriciennes les parquent dans les
bidonvilles, qu'ils garantissent provisoires, répondant aux doux noms de
Cassis, Pointe au Sable, Bois-Marchand, Cité-Lacure ou Petite
Rivière. Et les Chagossiens reprennent le cours de leur vie sans terres,
sans animaux et sans travail.
La cause chagossienne s'oppose à de lourds
intérêts d'Etat. En 2004, l'organisation non gouvernementale
américaine
Human Rights First
accusait Washington d'emprisonner des suspects
« terroristes » dans un centre de détention secret
à Diego Garcia. Isolé du reste de l'Océan Indien, l'atoll,
avec ses structures portuaires et aéroportuaires, accueille aujourd'hui
de nombreux navires de la marine américaine et sert de base de
départ aux bombardiers B 52 et B1 dans leurs missions de longue
distance. Depuis Diego Garcia, les Etats-Unis peuvent intervenir dans tous les
recoins de cette partie du monde : Inde, Australie, Indonésie,
Moyen Orient et Afrique de l'Est. Le rôle de l'île, dans le
dispositif général américain, est la lutte contre le
terrorisme dans cette partie du monde qui reste instable (Irak, Afghanistan,
Iran, mais aussi Cachemire, Sri Lanka,, Somalie, Afrique des Grands Lacs). En
1991, l'Opération « Tempête du
Désert », visant l'Irak, est partie de ce minuscule atoll. En
2001, cette plate forme de quarante-quatre hectares établie sur un
récif en forme de fer à cheval a joué un rôle
essentiel dans la guerre contre le régime des Talibans, dans les
missions de bombardement en Afghanistan. Aujourd'hui, elle tient une place
décisive à l'appui d'autres bases américaines en

Afrique, au Proche-Orient et en Asie du Sud-Est5(*). Elle sert, aussi, comme une
sorte de Guantanamo bis. Des prisonniers soupçonnés d'appartenir
à al-Qaida y sont incarcérés dans la discrétion la
plus absolue. Pas question, donc, de restituer le territoire aux autochtones.
Ironie du sort, plus de quatre milles personnes travaillent en permanence sur
l'île : militaires américains, employés philippins,
vietnamiens ou indiens s'y côtoient alors que les Chagossiens demeurent
interdits de territoire. Selon des interpellations parlementaires à la
Chambre des Communes, il ressort que deux mille trois cent quarante-sept
civils, dont quarante Mauriciens, ainsi que neuf centre quatre-vingt onze
militaires américains sont actuellement en poste à Diego
Garcia6(*).
2.Résistances sans mesures :
Pourtant, depuis le départ, des résistances
s'organisent. En 1983, Olivier Bancoult, Claudette Besage, Lisette Talate et
Claudette Pauline fédèrent des contestations jusque-là
éparses. En fondant le Groupe Réfugiés Chagos (GRC)
à l'Ile Maurice, ils militent pour le retour, le bien être des
exilés et leurs droits fondamentaux. Mais le combat s'annonce
difficile.
Quelques mois avant la naissance du GRC, le gouvernement
mauricien a fait signer aux familles chagossiennes un abandon du droit au
retour en échange d'un lopin de terre et de trente-six mille roupies,
somme même pas assez suffisante pour payer leurs dettes
contractées depuis leur arrivée. « Si j'avais su
que je signais pour renoncer à mes droits, je n'aurai jamais
signé. Je n'aurai jamais abandonnée mes droits »,
rappèle M.7(*) La
majorité des Chagossiens étaient malheureusement
analphabètes et ont signé à l'aveuglette ce document,
rédigé en anglais juridique. Ceux qui ne savaient pas lire ont
juste eu à appliquer leur empreinte au bas d'un papier, signant ainsi
leur abandon de droits. « Mais jusqu'à la mort, ni moi, ni
mes enfants, ne renonceront à nos droits »8(*). Vingt trois ans plus tard,
Louis Olivier Bancoult, président du Groupe, ne baisse pas les
bras : « Notre engagement est à la fois humanitaire
et juridique. J'ai encore confiance dans la justice
internationale ».
Le combat est aussi mené à l'échelle
internationale. Au-delà des frontières mauriciennes, le
Comité Suisse de Soutien aux Chagossiens est fondé le 30 janvier
1999 afin de venir en aide aux habitants de l'Archipel des Chagos9(*). Cette association a pour but le
soutien au peuple chagossien en faisant connaître le problème
chagossien, en le soutenant financièrement et en luttant pour son droit
au retour dans son archipel Tous ensemble, ils décrochent quelques
succès. Cela fait trente-cinq ans qu'ils luttent pour pouvoir regagner
leur atoll. Cette modalité n'est toujours pas acceptée par
quelque gouvernement que ce soit, mais leur combat leur a valu, au passage,
d'être reconnus, en 2000, comme des sujets à part entière
de la couronne.
Monsieur Bancoult, est un Chagossien né à Peros
Banhos en 1964 et il est le dirigeant du Groupe Réfugiés Chagos
(GRC). Comme tous les Chagossiens, il a un
passeport britannique du British
Indian Ocean Territory. En temps que citoyen britannique, Monsieur Bancoult
a obtenu l'assistance judiciaire pour demander à la Haute Cour de
Londres si un fonctionnaire britannique avait le droit de promulguer une loi
(celle de 1971 bannissant les Chagossiens des Chagos) excluant des citoyens
britanniques (les Chagossiens dans ce cas) d'un territoire britannique qui est
en plus le leur. Ou serait-ce un abus de pouvoir de ce même
fonctionnaire? Cette question constitutionnelle a été
jugée recevable par la Haute Cour de Londres en février 1999.
L'avocat de Monsieur Bancoult, Sidney Kentridge, est celui qui a permis
à Nelson Mandela de sortir de prison. Le 3 novembre 2000, à la
suite d'une plainte portée devant la Haute cour de justice de Londres,
la juridiction reconnaît l'illégalité de la
déportation et le droit au retour de ce peuple. Les Chagossiens, via
le Comité Social des Chagossiens, sont
reconnus par les Nations Unies comme peuple autochtone1(*)0. Le GRC obtient aussi la
nationalité britannique pour les Chagossiens qui en font la demande
à partir du mois d'avril 2002. Ils entendent poursuivre leur action
devant les cours britannique et américaine.
« Après cette victoire, j'avais vraiment l'impression de
revivre. J'étais très contente et je me disais que finalement,
les Anglais pouvaient avoir des sentiments humains. Revenir au pays natal,
revoir la terre de mes ancêtres, revoir nos belles plages, une
dernière fois avant de mourir »1(*)1.
Malheureusement, cette décision ne s'accompagne
d'aucune mesure concrète pour permettre leur retour en tant que peuple
autochtone des Chagos. Pire, le 10 juin 2004, sa Majesté la Reine
d'Angleterre, se basant sur l'« Orders in Council », une
prérogative royale datant de 1215, annule le jugement de la Haute cour
de Londres rendu quatre ans plus tôt. Le retour est de nouveau
impossible. «C'est inacceptable !», tonne Alan
Vincatassin, chef de file du Mouvement des Ilois du Territoire Britannique de
l'Océan Indien (BIOT) qui conteste la décision
ministérielle. «C'est la loi la plus barbare que j'aie jamais
vu prendre au nom de la reine», ajoute-t-il. «Sa vraie
raison d'être ? L'exigence américaine de ne pas avoir de
témoins sur cette île transformée en base
militaire», insiste-t-il.
Soutenu par le président sud-africain
Nelson Mandela, par
Paul
Vergès, président du
Conseil Régional de La
Réunion, et par des associations australiennes, anglaises et
mauriciennes, le GRC réclame aussi des dédommagements financiers
à l'Etat américain, via la Cour fédérale de
Washington D.C. « Nous demandons que cette histoire soit
classée comme crime contre l'Humanité mais les avocats
américains prétendent que leur pays peut recevoir ce genre de
plainte uniquement sur leur territoire. Or, Chagos n'est qu'une
location. », rappelle Maître Mardemootoo, un des avocats
du GRC. En ultime recours, les juristes se sont tournés vers la
Cour Européenne des Droits de
l'Homme afin qu'elle statue sur l'illégalité des mesures
prises par le gouvernement britannique à l'époque de la
déportation. Par ailleurs, les comptes rendus des interpellations
parlementaires du député britannique, Andrew George, au parlement
britannique, à la fin de l'année dernière, indiquent que
les autorités britanniques ont dépensé quelque £1 455
354 en frais légaux depuis novembre 2000 pour se défendre dans
trois affaires logées en Cour par le GRC. M. Bancoult a
déclaré, à propos de cette somme : " Le gouvernement
britannique dépense une fortune parce qu'il ne veut pas
reconnaître avoir commis une injustice contre les Ilois. Nous
poursuivrons notre action jusqu'à ce que nos droits soient reconnus.
"
Le 6 décembre 2005 le GRC réplique encore une
fois et s'appuie sur l'
Human Rights
Act pour faire valoir ses droits fondamentaux1(*)2. Le peuple est souverain.
Telle est la phrase que retienne beaucoup de constitutions. En effet
démocratie signifie le gouvernement (-cratie) par le peuple
(démo-). Cette souveraineté s'exprime différemment selon
les pays et les cultures. Mais quand tout le peuple est expulsé de son
territoire, que reste-t il de cette souveraineté ? Les îlois,
effondrés «par le coup de poignard dans le dos» du
gouvernement, ne comptent pas en rester là, cependant.
3.Refus sans limites :
Le gouvernement de Tony Blair ne l'entend pourtant pas ainsi.
Arguant d'une étude exhaustive sur la faisabilité de la
réinstallation d'une communauté de quelque huit mille cinq cents
«Chagossiens», il s'est employé à faire traîner
l'enquête en longueur1(*)3. Ses experts concluent, aujourd'hui, que la
population serait exposée «à des
événements naturels de nature à rendre leur existence
difficile». A plus long terme, le réchauffement de la
planète, et ses conséquences sur le niveau des océans,
rendra leur vie impossible. En effet, les trois îles principales (Peros
Banhos, Salomon et Diego Garcia) sont sans relief, et une augmentation du
niveau des océans (provoquée en majeure partie par les pays
industrialisés, dont les Etats-Unis et le Royaume-uni font partie)
entraînerait inexorablement leur disparition. Par ailleurs, a
souligné Bill Rammel, ministre des Affaires Etrangères des
Etats-Unis, une étude de viabilité
«indépendante» a conclu qu'un repeuplement de certaines
îles des Chagos (Peros Banhos et Salomon) serait
«précaire et [que] le gouvernement britannique ne
pourrait l'accepter.». Pourtant les Chagossiens ont vécu sur
ces îles pendant au moins six générations, et personne ne
s'était inquiété alors des conséquences climatiques
sur leurs îles. De plus, actuellement, des personnes, militaires et
civils, passent de beaux jours dans ce qu'ils appèlent
« Fantasy Island ». Ils se baignent, font de la voile, de
la plongée, des barbecues, sans être inquiétés d'
« événements naturels de nature à rendre
leur existence difficile ». Comble du comble, il
s'avèrerait que la présence de ces civils et militaires aient des
conséquences écologiques graves1(*)4 : Sur l'île du Coin, dans l'atoll de
Peros Banhos, lors de la visite de mars dernier, les Chagossiens ont surtout
été frappés par l'absence inquiétante d'oiseaux
dans les airs et de poissons dans les lagons. Mais la sinistre
découverte ne s'arrête pas là. De retour sur la côte,
ils notent que tous les coraux sont gris pâle. Or, dans le passé,
des coraux de toutes sortes, «tête de mort, roses, bleus,
mauves», pullulaient dans les lagons. La mer était peuplée
de grandes quantités de poissons, tels les cateaux. Mais plus maintenant
apparemment.
Le coût, toujours selon Bill Rammell, serait
également beaucoup trop élevé, dans le cas d'un possible
retour des Chagossiens dans leurs îles. En effet, il faudrait cinq
millions de livres pour faire marcher l'île pendant un an. Cinq millions
de livres, c'est le prix d'une Ambassade à Londres. C'est aussi le prix
de l'Ambassade du Royaume-Uni à l'Ile Maurice, sans compter, la piscine,
les jardins, les cours de tennis... Mais Bill Rammell préfère
garder cette somme pour les « living poor in the
world », c'est-à-dire les personnes qui sont
réellement dans le besoin et qui n'ont pas d'autre choix que de recevoir
cette aide, qui est, soit dit au passage, « l'argent du
contribuable américain ».
Mais l'argent n'est pas le problème. C'est le pouvoir
et le rôle de domination du monde que les Etats-Unis se sont
eux-mêmes attribués. La location militaire continue de Diego
Garcia en est le parfait exemple1(*)5. Cette base a deux fonctions dans la
stratégie de défense américaine : compenser la perte
stratégique que représente pour Washington la chute du Shah
d'Iran, en 1979, grand allié américain dans la région,
mais aussi garantir l'accès au pétrole de Moyen Orient.
Malgré la Guerre Froide terminée depuis 1989, Diego Garcia a de
plus en plus d'importance au sein du système militaire américain.
«Une combinaison de raisons» empêcherait donc le
retour permanent des exilés, selon Bill Rammell. «Les Orders in
Council sont la façon dont nous légiférons pour nos
territoires étrangers. Il n'y a aucune chance qu'ils soient
renversés.»
A propos des compensations dues aux Chagossiens, Bill Rammell
a expliqué que £14 millions (au prix actuel) avaient
déjà été versés au gouvernement mauricien
dans les années 1970 et que «cette somme était
équitable». Quant aux enfants qui n'arrivent pas à
obtenir la nationalité britannique, Bill Rammell a promis «de
tenter de résoudre les problèmes». En effet, les
Chagossiens détiennent, dans leur immense majorité, un passeport
britannique des Territoires Dépendants du Royaume-Uni. Pourquoi donner
un tel passeport à un groupe restreint? Pourquoi ne pas le donner
à tous les Seychellois et Mauriciens? Parce que les Chagossiens,
contrairement au groupe plus large, ont vécu sur ces îles depuis
plusieurs générations. Les tombes de ces ancêtres peuvent
encore être vues sur plusieurs îles. Les responsables britanniques
des Chagos, faisant tout pour effacer le souvenir des Chagossiens, ont interdit
à des soldats américains qui se proposaient de le faire, de
restaurer ces tombes et les derniers bâtiments de cette époque. Il
faut que les constructions tombent pour que le mythe du gouvernement
britannique tienne debout. Pourquoi cette hargne? Comment le gouvernement
britannique pourrait expliquer qu'en violation de presque tous les Droits de
l'Homme on expulse de chez eux une population qui résidait là-bas
depuis plusieurs générations, procédant ainsi à un
nettoyage ethnique? Et quelle excuse trouver pour expulser les descendants des
esclaves qui avaient fait, par leur travail, des Chagos un lieu habitable et
habité? En cachant au monde entier leur existence tout simplement. Et en
reconnaissant l'existence de ces Chagossiens, en toute discrétion, en
leur donnant un passeport britannique. En toute discrétion, afin de ne
pas écorner le mythe, cela va de soi. Des documents officiels de
l'état britannique montre que les fonctionnaires britanniques des Chagos
avaient l'obligation de mentir au sujet des Chagossiens1(*)6. Extrait d'une note
envoyée en août 1966 par le Bureau Colonial de Londres à la
Mission Britannique aux Nations Unies : « L'objectif de cet
exercice étaient d'avoir quelques rochers qui resteront notre
propriété ; il n'y aura pas de population indigène,
à l'exception des mouettes, qui n'ont pas encore de Comité (le
Comité de la Condition Féminine ne couvre pas le droit des
oiseaux). Malheureusement, aux côtés des oiseaux, il y a quelques
Tarzans et Vendredis, aux origines obscures, qui seront probablement
expédiés à Maurice »1(*)7.
Alan Vintacassin (BIOT ) a de bonnes raisons de croire que
l'exigence américaine prime sur le droit des îlois. L'atoll de
Diego Garcia appartient, certes, au Royaume-Uni, mais par un accord secret de
1961 signé entre Harold Mc Millan et John F. Kennedy, il a
été désigné comme «un point d'appui
stratégique» anglo-américain dans l'Océan Indien
contre l'Union Soviétique. Washington offrait d'y établir un
centre de communications et de ravitaillement de sa flotte, à la double
condition que l'Archipel des Chagos soit exclu du processus de
décolonisation mis en oeuvre par Londres et que ses habitants soient
évacués «pour raisons de sécurité». En
échange, ils offraient une réduction de quatorze millions de
dollars sur l'acquisition de fusées Polaris par le Royaume-Uni pour
l'équipement de ses sous-marins nucléaires.
En attendant qu'ils obtiennent réparation, il convient
de méditer les oraisons de Tony Blair en faveur des droits de l'homme...
Malgré de tels obstacles, les Chagossiens obtiennent parfois de maigres
faveurs grâce au statut de
peuple autochtone
accordé par les
Nations Unies.
II.Entre rêve et réalité :
1.Comme dans un rêve : voir Chagos, et puis
mourir
" 2006 sera une année historique pour les
Chagossiens ", a déclaré. M. Bancoult " Nous avons
lutté avec courage malgré que certaines personnes nous disaient
: zot pa pou kapav manz ek l'Angleterre (vous ne pourrez pas rivaliser
avec l'Angleterre). Et, à travers notre combat, un petit peuple a
fait savoir son existence au monde entier. Grâce à la
persévérance du GRC, les Chagossiens ont obtenu le passeport
britannique. Mais, pour nous ce n'est pas une fin en soi. Nous avons
continué nos actions pour avoir le droit de visiter nos îles et
pour obtenir une compensation financière pour les souffrances
subies ", a-t-il poursuivi.
Ainsi, récemment, le jeudi 30 mars 2006, après
plus de trois décennies d'exil forcé, quelques natifs
étaient autorisés à débarquer, sous étroite
surveillance, à Diego Garcia, Salomon et Peros Banhos1(*)8. Un groupe de cent
Chagossiens (quatre-vingt cinq de Maurice, et quinze des Seychelles) ont
participé à ce premier voyage d'une douzaine de jours vers les
Chagos. «Je suis allée embrasser ma terre dès que j'ai
mis le pied sur l'île, dit M. en larmes. Mon nombril y est
enterré»1(*)9.
La plus vieille personne qui était du voyage, Rita Elizée,
est âgée de 82 ans, et le plus jeune, William Satouche, de 33 ans.
Ce dernier a quitté l'archipel en 1973, peu après sa naissance.
Il faisait partie du dernier groupe à être expulsé de
l'archipel. Ce grand départ coïncide, jour pour jour, avec
l'anniversaire de la déportation d'Olivier Bancoult de Diego Garcia, il
y a 38 ans de cela. " Je peux difficilement exprimer mon excitation
à revoir Peros Banhos, île que j'ai été
obligé de quitter, 38 ans de cela, alors que j'avais quatre ans ",
a déclaré au Mauricien (grand quotidien de l'île)
Olivier Bancoult, juste après avoir été informé de
cette décision du gouvernement. « C'est le gouvernement
britannique qui affrète le navire battant pavillon
mauricien », précise-t-il. " Nous avons fait un
travail minutieux afin d'être en mesure de toucher au moins une personne
par famille ", a affirmé M. Bancoult. Parmi ceux qui ont fait le
voyage, on relève la présence de trente-quatre Chagossiens de
plus de soixante ans, et vint et un de plus de cinquante ans. " Le dernier
enfant à être né aux Chagos avant la déportation
fera aussi partie du voyage ", a précisé le président
du GRC. Ce voyage se fera à bord du Trochetia. M. Bancoult a
invité les Chagossiens à se rendre en foule au quai
d'embarquement le jour du départ pour les Chagos. " Ce sera un
moment inoubliable. Venez en grand nombre, même si vous ne faites pas
partie du voyage ", a-t-il dit. " Se enn zour istorik. Apre 35
an exil nou pe resi met lipye dan landrwa kot nou ti né (c'est un jour
historique. Après trente-cinq ans d'exil, nous avons réussi
à reposer le pied sur le sol où nous sommes nés)
", a-t-il observé.
« Cette visite revêt pour nous, membres de la
communauté exilée des Chagos, une double importance : d'abord
ça a été l'occasion aux aînés de revoir leur
terre natale avant de mourir et, ensuite, les plus jeunes, comme moi, ont pu
voir de leurs yeux cette terre dont ils ont tant entendu parler mais qu'ils ne
connaissent pas vraiment », a affirmé Olivier
Bancoult. « Aux Chagos, les arbres ont envahi les tombes2(*)0 ». M. se
rappèle celle de son frère, à Diego Garcia.
« Il repose là-bas, entre le lagon et l'Océan
Indien, et voilà plus de trente ans que personne n'était venu lui
apporter des fleurs »2(*)1. Plus de trente ans que les cimetières de
Diego Garcia, Peros Banhos et Salomon ont été laissés
à l'abandon. M. se dit heureuse à l'idée de se recueillir,
après tant d'années, sur la tombe de son frère, mais elle
ajoute : « J'aurai aussi du chagrin, parce que nous devrons
ensuite rentrer à Maurice »2(*)2.

Souhaitant rendre hommage à ceux qui sont
décédés à bord du navire qui les transportait vers
Port-Louis, les Chagossiens ont demandé au Capitaine du Mauritius
Trochetia, Jean-François Labat, de ralentir l'allure à mi-chemin
entre Maurice et l'Archipel. Une cérémonie, pleine
d'émotion, a donc été organisée sur le pont du
navire en mémoire de ceux qui n'ont pu survivre à cette
séparation forcée. Comme un ultime adieu, le capitaine du navire
actionne la sirène. Des fleurs sont alors lancées à l'eau,
avant que le navire ne reprenne sa traversée dans un silence monacal.
Lors de cette visite historique, la délégation chagossienne a
érigé, avec l'accord du gouvernement britannique, un monument sur
chacune des trois îles, en mémoire des ancêtres. Ils ont
également procédé à un nettoyage des
cimetières de l'archipel. « Contrairement à ce
qu'on pense, cela n'a pas été un voyage d'agrément, mais
bien davantage un pèlerinage sur notre terre natale, un retour
aux sources », a encore déclaré Olivier
Bancoult. Sur ces îles, les Chagossiens ont rendu un hommage à
leurs parents enterrés, ont prié dans leur église et se
sont baladés dans les petits villages laissés à l'abandon.
Mais ils n'ont pu entrer dans les cases créoles de leur enfance. Elles
n'existent plus.
Déçus, ils sont nombreux à l'avoir
été. La « paradise island », telle qu'ils se
l'imaginaient n'existe plus. L'image d'une île de rêve, qui leur
avait été transmise par leurs parents, où la faune et la
flore étaient luxuriantes, s'est révélée être
davantage un mythe qu'une réalité. « Il n'y avait
plus rien. Même pas de cocos sur la plage 2(*)3», résume M.
Attristée par ce qu'elle a vu, elle dit avoir du mal à admettre
qu'il ne reste quasiment rien qui puisse témoigner du mode de vie des
Chagossiens, si ce n'est quelques fondations à peine visibles, des murs
effondrés et des habitations en ruine. C'est seulement sur Diego Garcia
que les lieux sacrés des Chagossiens ont été plus ou moins
entretenus par les ouvriers mauriciens qui y travaillent. Les voyageurs se
disent par ailleurs impressionnés par l'urbanisation de l'île
principale qu'ils comparent à une ville américaine. Les
Chagossiens ont eu la surprise, en débarquant à Salomon de
découvrir un panneau indiquant à d'éventuels
pique-niqueurs qu'aucun « yacht » ne serait autorisé à
s'approcher de l'île du 2 au 9 avril, soit pendant la durée de
leur visite dans l'archipel. Ce panneau est d'autant plus inattendu que les
Chagossiens croyaient que toutes les îles de l'archipel étaient
interdites d'accès. Ils ont, au cours de leur visite, retrouvé
des restes de ces pique-niqueurs : des assiettes, des boîtes de jus, mais
aussi une balançoire récemment installée... pour distraire
les plus jeunes ! Grand étonnement aussi de se voir interdire une
baignade dans le lagon par les militaires britanniques lors de leur visite sur
la plus grande île, Diego Garcia. Ces derniers le leur ont
déconseillé, prétextant avoir retrouvé, les jours
précédant leur arrivée, des poissons morts flottant
à la surface de l'eau. Une explication qui n'a pas été du
goût des Chagossiens qui avaient pu s'ébattre dans les eaux de
Salomon et de Peros Banhos. Le retour, enfin, aura été
vécu par beaucoup comme une seconde séparation. Un
déjà-vu douloureux. Des morceaux de bois, une pioche, quelques
noix de cocos ou encore une bouilloire. Tous ont ramené de ce voyage
tant espéré un petit quelque chose, comme pour se convaincre
qu'il ne s'agissait pas d'un rêve. Des souvenirs tangibles qu'ils
présenteront à leurs enfants pour que ce passé ne soit
plus pour eux qu'une lointaine et obscure histoire. Comme un bras d'honneur
brandi à ce qui n'ont pas cru en eux, les Chagossiens exposeront
bientôt les photos prises lors de leur voyage. « Les Chagos
ne seront plus des îles lointaines ou des mots écrits inscrits sur
des banderoles dans une manifestation. Tous pourront maintenant voir ce
pourquoi nous nous battons »2(*)4.
2. Une réalité contradictoire : de
nouvelles interrogations
Trois Ilois sur quatre, interrogés par M. Hervé
Sylva, en 1980-81, veulent ardemment retourner vivre aux Chagos, leurs
îles natales, la terre de leurs ancêtres. Tout le monde ne semble
pourtant pas prêt à revenir. Les débats sur la
souveraineté dépassent les Chagossiens. Ils disent s'être
toujours sentis abandonnés de Port-Louis autant que de Londres.
« Que les Chagos soient mauriciennes ou britanniques m'est
égal, assure M., pourvu qu'on puisse y
aller »2(*)5. Pour sa mère, il est déjà trop
tard. A soixante-dix huit ans, elle a renoncé au voyage. Elle se dit
trop vieille, mais grâce à ses enfants, elle sait que tout n'est
pas perdu. Louis Olivier Bancoult préfère compter sur le
dynamisme de la nouvelle génération pour avancer :
« Les jeunes désirent revenir sur les terres de leurs
parents. Une terre qu'ils ne connaissent pas mais dans laquelle ils placent un
grand espoir, car dans les bidonvilles créoles de Maurice, l'alcool
côtoie le chômage et la plus grande misère ».
Mais la réalité se révèle plus contradictoire. Les
rares Chagossiens qui réussissent à trouver du travail, sont pour
la plupart, forgerons, maçons ou pêcheurs. Ceux-là arrivent
tant bien que mal à joindre les deux bouts, faire vivre leur famille et
habiter même dans une petite maison. Mais pour les autres, ceux qui vient
dans des taudis, l'avenir est un peu plus sombre. La plupart des jeunes
nés à Maurice se contentent de rêver de ce lointain Chagos
au travers des contes des natifs. Ils ne se sentent pas préparés
à retourner aux Chagos. N'ayant toujours connu que l'Ile Maurice, ils
préfèrent émigrer au Royaume-Uni, où ils pensent
avoir plus de chance de s'en sortir. Pour échapper à
l'étau de la misère, ils choisissent donc plus volontiers
l'eldorado anglais dont ils peuvent obtenir la nationalité.
Arrivés en territoire britannique, il leur est plus facile de trouver du
travail, puisqu'ils sont désormais citoyens de ce pays.
L'éclatement familial, du fait d'un coût trop élevé
du voyage, ne se révèle pas être un frein à cet
engouement. Les femmes, notamment, émigrent en plus grand nombre, car
elles sont sûres de trouver un petit job rapidement, dans ce pays qui se
veut flexible en matière d'emploi. Avec l'argent qu'elles gagnent, elles
pourront ensuite faire venir leur mari, et leurs enfants, restés
à l'Ile Maurice.
Les Chagossiens émigrés en Angleterre sont sans
aucun doute ceux qui vont pouvoir change le destin de toute la
communauté chagossienne. Avec un niveau d'éducation plus
important, et des revenus plus élevés et plus stables, ce sont
eux qui vont pouvoir, lorsque le retour aux Chagos sera permis, contribuer au
(re)développement de l'archipel2(*)6. Les Américains espèrent qu'une fois
les natifs des Chagos partis, les jeunes, qui auront recommencé une
nouvelle vie ailleurs, ne seront pas tentés de redemander le droit au
retour dans leur île. Le bail devrait se renouveler en 2016. D'ici
là, les jeunes ont le temps de se former pour mieux se défendre
et revendiquer leurs droits.
La lutte que mènent actuellement les Chagossiens vise
principalement les objectifs suivant :
- obtenir la reconnaissance du caractère autochtone du
peuple Chagossien,
- obtenir la reconnaissance de leur droit au retour et
à vivre aux Chagos,
- être dédommagés financièrement
par la Grande Bretagne et les États-Unis pour qu'ils puissent organiser
la réinstallation de leurs familles, et que leur communication avec
leurs parents dispersés entre Maurice, les Seychelles et ailleurs soit
facilitée,
- permettre aux Chagossiens qui ont été
dispersés à travers la planète de se retrouver.
Ils ne remettent pas (pour l'instant du moins... quand on
pourra mener des études sur l'impact écologique des
activités militaires occidentales dans la région il se pourrait
que ça change) en cause l'existence de la base militaire, ils demandent
simplement à pouvoir rentrer chez eux. Au niveau international, il y a
une revendication de faire de l'Océan Indien une zone de paix
démilitarisée et, en décembre 2003, l'ONU a voté -
par cent trente voix contre quarante-deux - une résolution prônant
la démilitarisation de la zone. Trois « grandes
puissances » continuent de faire blocage... Quant aux gouvernements
de Maurice et des Seychelles ils ne sont pas trop enthousiastes quant à
la reconnaissance du peuple chagossien en tant que peuple autochtone. A l'Ile
Maurice cohabitent sur un petit territoire, une mosaïque de races et de
religions, qui parfois s'affrontent violemment - il y a eu, en particulier, des
heurts violents en février 1999. Pour ces raisons de stabilité
politique, ils redoutent cette notion d'autochtone,
d'antériorité, qui risque d'amener celle de la spoliation et des
discriminations.
Aujourd'hui, quelques voiliers luxueux sillonnent au large de
l'archipel Chagos tandis que sur les terres, une puissance militaire sans
commune mesure vit au rythme des guerres du globe. A quelques milliers de
kilomètres, à Maurice comme aux Seychelles, les enfants des
exilés poursuivent leurs jeux sous la surveillance des anciens qui
entretiennent à leur égard l'espoir d'un avenir meilleur, en
sachant qu'eux mêmes ne reverront peut-être jamais Chagos.
III Déracinement, entre souffrance et
résistances :
Déportation et Arrivée : le début
du cauchemar
Nous sommes un peuple déraciné,
Nous venons de là-bas, de l'autre
côté,
De l'Archipel des Chagos.
Nous sommes un peuple déraciné,
Vivant dans la plus grande pauvreté,
Nous n'avons pas d'identité,
Nous sommes un peuple déraciné.2(*)7

Selon M., avant l'arrivée des Américains, ils
menaient une vie sans perturbations : « On pouvait boire et
manger ce qu'on voulait. On ne manquait jamais de rien. A part les habits qu'on
portait, on n'achetait jamais rien là-bas !»2(*)8. En 1961, une enquête
secrète, menée par la Marine Militaire américaine, estime
qu'il faut « balayé et nettoyé [Diego
Garcia] ». Robin Mademootoo, avocat des Ilois, raconte que cela
a commencé par la privation et l'arrêt des envois des aliments de
base sur l'île : le lait, l'huile, le sucre, le sel, les
médicaments... Puis la rumeur concernant un éventuel bombardement
de l'île a commencé à circuler, performant lentement un
travail de terreur dans tout l'Archipel. En 1973, Sir Bruce Greatbratch, alors
Gouverneur des Seychelles, donne l'ordre de tuer tous les chiens. Environ mille
animaux de compagnie seront ainsi gazés en quelques jours.
« Les enfants criaient et pleuraient. Ils étaient
détruits par les sort réservé à leur chien, et ils
pensaient subir la même chose après. Tout le monde pensait que les
Anglais étaient sans pitié et qu'ils allaient nous faire la
même chose qu'avec les chiens »2(*)9. Lors de l'arrivée du Nordvaer, ils
n'ont le droit d'emporter qu'une seule valise par personne. Sur le bateau,
pendant la traversée, les conditions sont des plus
déplorables : « On était des animaux sur le
Nordvaer. On avait qu'un seul matelas, même si y'en a qui avait plusieurs
enfants »3(*)0. Dans « Le Silence des
Chagos », La mère de Désiré, enceinte
de sept mois, n'a légalement pas le droit d'être embarquée
sur un bateau. Qu'importe son état ! L'infirmier la déclare
apte à embarquer. Le bateau attend la tombée de la nuit, pour que
personne ne puisse voir ce qu'ils quittaient vraiment, ni même inscrire
dans leurs yeux une dernière image de leur île, de leur vie.
Pourquoi ne se sont-ils pas rebellés contre cette
déportation ? Peut-être par peur des représailles, par
fatalisme, par docilité ? M. m'a dit que « la
colère ne ramène pas le ciel bleu »3(*)1. Un premier arrêt est
fait aux Seychelles. Quelques personnes sont débarquées et
menées dans une prison détruite depuis, où elles seront
gardées dans une cellule, avant d'être transportées
à l'Ile Maurice. Arrivés à l'Ile Maurice, certains
attendent sur le quai que le prochain bateau les ramène chez eux. Mais
il n'y aura jamais de bateau de retour. « Votre île a
été vendue, vous ne rentrerez jamais chez vous !».
« Mon mari, en entendant ça, a eu une crise cardiaque. Ca
lui a paralysé le bras et la bouche. Il est mort quelques jours plus
tard, à l'hôpital »3(*)2.
Les anciens habitants des Chagos sont alors conduits dans des
« Housing Estate », sorte de logement social
géré par l'Etat. En arrivant dedans, M. se rappèle que les
maisons de Estate Beau Marchand « n'avait ni eau, ni
électricité. Tout était envahi par les animaux et il y
avait des poubelles partout. Il n'y avait ni porte, ni fenêtre. Il n'y
avait pas de sanitaires, juste un trou dans le sol. Quand il pleuvait, y'avait
de l'eau partout. C'était l'enfer ». M. se souvient de sa
première case de paille, à Cassis : « On n'avait
pas un sou pour manger, c'était la
misère »3(*)3. La manque de nourriture saine a des
conséquences rapides et dramatiques sur l'état de santé de
ces nouveaux habitants dans les quartiers pauvres de l'Ile Maurice. Les gens
sont obligés de s'entasser dans des cités étouffantes et
bruyantes, où la promiscuité ajoute à l'enfer
extérieur. Dans « Le Silence des
Chagos », Charlesia tente de fuir cette vision
cauchemardesque. « la même façon de donner le dos,
comme une muraille hérissée de barbelés, à la ville
qui grouille derrière elle », p.72. Les conditions de
logement restent malheureusement très précaires, même
aujourd'hui. Charlesia résume toute sa souffrance, lorsqu'elle parle de
sa terre d'avant et de ce pays nouveau, qui n'a rien d'accueillant. Ce
contraste montre la douleur de ces exilés,
dépossédés de leur vie. « La terre, l'autre
terre. La vraie... La terre d'avant. D'avant la peur, l'incompréhension.
D'avant la solitude et l'angoisse folle de la mer. D'avant le bateau voleur qui
avait fait douleur ce qui aurait dû être grande joie. D'avant cette
nouvelle terre aux montagnes hautaines et indifférentes, aux habitants
distants et méprisants. D'avant la colère. D'avant la fausse
résignation pour empêcher que l'incompréhension et la rage
impuissante explosent en folie », p.87-883(*)4. En faisant allusion à
la récente visite sur son île, M. explique : «Je me
suis rendues dans mon paradis, mais il a bien fallu retourner dans cet enfer,
dans ma pauvreté ici.»3(*)5
Prenant ainsi connaissance de ces cas extrêmes de
misère et de promiscuité, les dirigeants politiques ne peuvent,
encore moins qu'auparavant, ignorer que les Ilois mènent une vie
misérable dans l'enfer mauricien et qu'ils conservent dans leur coeur la
nostalgie de leur paradis chagossien. L'auteur du Rapport Sylva sur les
conditions de vie des Chagossiens à l'Ile Maurice s'évertue
à les convaincre que toute compensation ne vaut rien si des efforts
réels, devant permettre la réhabilitation et la
réinsertion du peuple chagossien dans la vie mauricienne, ne
l'accompagnent pas. L'enquête Sylva souligne que le problème du
logement est prioritaire. Avant leur déracinement et leur
débarquement inhumain dans l'indifférence générale,
les Chagossiens étaient très fiers de leur appartenance au peuple
mauricien. C'était toujours avec plaisir qu'ils profitaient du moindre
déplacement à l'Ile Maurice, du moindre retour dans la
« Grande Terre mauricienne », pour se retremper dans la vie
locale. Ils en profitaient pour faire leurs emplettes et acquérir ce
qu'ils ne pouvaient trouver dans leurs îles. Mais tout est
bouleversé depuis leur déracinement. Les vacances touristiques
à l'Ile Maurice sont devenues une condamnation à
perpétuité, sans espoir aucun de salut ni même de sortie,
dans un univers indifférent, inhumain, hostile et infernal. Voilà
des Ilois, n'ayant aucune expérience de l'argent, et vivant au jour le
jour dans un environnement où ils n'avaient qu'à se baisser,
à cueillir les fruits de la terre et de la mer et autres ressources
naturelles pour satisfaire leurs besoins essentiels, condamnés
désormais à vivre dans un monde où l'on doit acheter,
même quand l'argent vient à manquer, tout ce dont on a besoin,
même pour survivre. Hervé Sylva signale des cas où des
cuisines, des salles de bains, ont été transformées en
chambres à coucher. Aux Dockers' Flats, une vingtaine de Chagossiens
vivent dans les deux pièces d'un minuscule appartement insalubre. A
Cité La Cure, une quinzaine d'entre eux partagent la pièce unique
d'une maisonnette. A Pointe-aux-Sables, un groupe de déracinés
chagossiens trouvent refuge dans une étable. D'autres dans un parc
à cabris. Comment survivre et s'adapter, dans des conditions
pareilles ?
La misère de l'exil : désespoir et
suicide
Avec leurs descendants, ils sont plus de huit mille à
Maurice. La plupart d'entre eux vivent dans les quartiers pauvres où ils
avaient échoué à leur arrivée. Bien souvent
analphabètes, les « Ilois » ont eu du mal à
s'adapter à la vie locale. Beaucoup se sont retrouvés sans
emploi. Le chômage suscite une grande inquiétude, surtout chez les
jeunes. Alors que le niveau de formation des jeunes s'est
amélioré depuis l'arrivée des Chagossiens à l'Ile
Maurice, la possibilité de mise en pratique fait défaut. Le
chômage est un des problèmes les plus importants auxquels sont
confrontés ces jeunes. Au niveau individuel, l'impossibilité de
trouver un emploi a des répercussions affectives graves et profondes
aboutissant souvent au désespoir. La mère de M. raconte qu'elle
n'entrevoit pas de futur possible pour ses enfants. « Je ne
pensais pas que mes enfants grandiraient ainsi. Je n'ai pas beaucoup de moyens
pour eux. Et je me fais du souci sur les problèmes qui vont
arriver »3(*)6. Le comportement suicidaire est ainsi très
élevé dans cette catégorie de la population. Le petit
hôpital de l'archipel des Chagos n'ouvrait que lorsqu'une femme allait
accoucher, car les Chagossiens tombaient alors rarement malades. «Le
luxe mauricien nous rend malades», rappèle M. Les
difficultés de logement, la pollution, la délinquance et le
chômage ont ainsi accru la misère de cette population
arrivée à l'Ile Maurice les mains pratiquement vides. Tout cela a
entraîné, dans son sillage, un éventail d'autres
problèmes graves tels que l'abus de drogues et de l'alcool, la
prostitution, la violence et la détérioration de la santé
physique et mentale. « Ici, nos enfants sont tombés dans
la drogue et le vol » , poursuit M., en désignant son
fils de trente-sept ans: « Il est devenu alcoolique, à
force d'être chômeur »3(*)7.
De nombreux Chagossiens sont décédés peu
après leur arrivée à l'Ile Maurice. Personne n'a jamais
vraiment compris de quoi ils étaient réellement morts. La plupart
disaient, avec fatalité, que le chagrin les avait emportés, comme
on pouvait mourir de froid ou de faim3(*)8. « Mon bébé
tétait quand on m'a annoncé la nouvelle. Il a tété
du lait de chagrin. L'autre avait huit ans. Il a compris qu'il quittait son
pays et il était très triste. Les docteurs ne peuvent pas soigner
le chagrin ». En trois mois, M. a perdu ses deux enfants. Elle
n'a même pas pu payer les funérailles, faute d'argent. Cette femme
pleure toujours aujourd'hui, en espérant rentrer chez elle un jour.
« Un jour, le coeur prend froid, et l'on n'a plus assez de forces
pour le ranimer. Alors il s'éteint doucement »3(*)9. De nombreux cas de suicides,
mais aussi de cas d'enfants ne recevant pas les soins médicaux
nécessaires et succombant à l'hôpital, ont fait de la
population chagossienne la population de l'Ile Maurice ayant le plus fort taux
de mortalité infantile. En 1975 est menée une enquête sur
les conditions d'exil des Chagossiens. Elle démontre que vingt-six
familles entières sont mortes, à cause de la pauvreté,
qu'il y a eu neuf suicides et que des jeunes filles sont forcées de se
prostituer pour survivre. En 1976, Le Royaume-Uni affirme que tous sont morts
de mort naturelle.
Olivier Bancoult n'avait que quatre ans lorsqu'il est
arrivé, en 1968, à l'Ile Maurice avec ses parents, et une petite
soeur en mauvaise santé, qui devait être hospitalisée.
"Nous avions tout laissé aux Chagos, nous sommes venus avec deux
matelas" , raconte M. Bancoult. « On s'est nourri de
détritus, mais on a survécu ». Sa mère a
perdu quatre de ses enfants et son père est mort quelque temps
après avoir débarqué à Maurice. «La
pauvreté a tué mon mari et mon enfant de 17 mois. Mes deux fils
de 19 et 20 ans sont morts de la drogue que nous n'avions jamais connue dans
nos îles», confie sa mère. Le principal
représentant de la communauté chagossienne poursuit : "Ma
soeur est morte deux mois après notre arrivée, et quand nous
avons voulu rentrer chez nous, à Peros Banhos, on nous a dit que nous
n'en avions plus le droit." Les larmes de sa mère n'y ont rien
fait. Olivier Bancoult a perdu presque toute sa famille depuis son
arrivée à l'Ile Maurice. Sa soeur s'est suicidé
« elle s'est mise le feu parce qu'elle était
découragée par sa vie ». Ses quatre garçons sont
morts. « Les deux premiers à cause des drogues dures, et
les deux autres, à cause de l'alcool ». Alex, dix ans,
qui avait pris l'habitude d'aller arroser les tombes pour se faire des sous,
reviendra un jour du cimetière, chancelant et divaguant. Il mourra
quelques heures plus tard. « On n'a jamais su si quelqu'un l'avait
empoisonné ou s'il avait été battu. » Quant
à Eddy, il quittera ce monde à l'âge de trente-trois ans,
après vingt ans d'alcoolisme, laissant femme et enfants à la
charge des grands-parents. Rita Issou, la mère d'Olivier, fera une
dépression qui la conduira à un séjour de deux mois
à l'hôpital psychiatrique Brown-Séquard. Olivier Bancoult a
été témoin de la misère des Chagossiens à
Maurice. Il a vu sa mère fouiller dans des poubelles à la
recherche d'une maigre pitance pour ses enfants. C'est sans doute cela qui a
forgé son caractère de battant. Ses rencontres avec Nelson
Mandela en 2001 et le pape Jean-Paul II en 2002 ont été
déterminantes. Mandela lui a dit qu'il était fier de ce qu'il
avait accompli et qu'il ne devrait jamais abandonner la lutte.
Il est difficile d'estimer l'ampleur que la drogue et l'alcool
ont pu prendre chez les jeunes, mais ce qui est sûr, c'est qu'elle est
majoritaire pour ceux dans des conditions d'exclusion sociale et
économique. La pauvreté est vue comme un facteur
influençant la prise d'alcool, dans la mesure où ces jeunes,
n'ayant pas accès à l'emploi, aux loisirs, restent chez
eux4(*)0. La prise
d'alcool est une façon de compenser le manque existant et d'oublier,
pendant un temps seulement, que les ressources financière sont
limitées.

En 1985, un film est réalisé sur les conditions
de vie de ces exilés. Il suit notamment une famille de vingt-cinq
personnes qui dorment toutes dans une seule pièce, le bébé
dormant dans un tiroir du placard. Dans cette cité, « les
logements sont trop exigus, le bruit trop envahissant, l'argent trop
inaccessible, l'horizon trop barré ». Aujourd'hui, cette
même famille en est toujours au même point. « On dort
toujours par terre. On a pas de quoi manger. Rien n'a changé depuis
vingt ans. On vit toujours de la même manière ».
Seul bémol de plus, la femme de M. C. a eu une crise cardiaque depuis.
« Elle est morte de chagrin ». Comment continuer
à vivre, quand on n'a « même plus l'air qu'on
respirait, l'environnement qu'on aimait, la maison dans laquelle on a
grandi ? ». Cassam Uteem, ancien président de la
République de l'Ile Maurice affirme « qu'aucun être
humain ne peut traiter un autre être humain de la façon dont les
Britanniques traitent les Chagossiens ». Pour M., ce n'est plus
à la justice des Etats-Unis ou du Royaume-uni de reconnaître et
d'arranger la situation. « Dieu les punira pour le mal et la
souffrance qu'ils nous ont fait »4(*)1.
L'indifférence de la grande majorité des
Mauriciens autour de ce dossier est, somme toute, criminelle. Ce qui explique
l'isolement des Chagossiens face au reste de la population. Comble de
l'incrédulité : après avoir visité deux cases
vétustes où vivent des Chagossiens, Bill Rammell s'est dit
«pas convaincu qu'ils vivent dans la pauvreté.
Quelques Chagossiens vivent dans des conditions difficiles mais ce n'est
pas en raison de leurs origines. Des Mauriciens vivent aussi dans des
conditions difficiles.» Selon lui, l'exclusion d'une certaine partie
de la population à l'Ile Maurice, en l'occurrence, la population
chagossienne, a très certainement pour origine un manque de
redistribution de la richesse nationale au sens large, du fait d'un faible
reconnaissance de leur situation, voire de leur existence. Même si les
choses commencent un peu à bouger depuis quelques mois, il n'en reste
pas moins que les conditions de logement, par exemple, restent très
précaires : tôle, bois, carton et bâches ;
problèmes constants d'électricité ; pas de
système d'écoulement des eaux usées, et parfois même
pas de système de distribution de l'eau. On a, dans ce cas, affaire
à une véritable exclusion d'un groupe de la population, qui ne
reçoit, bien entendu, aucune forme d'aide sociale. Et pourtant, ceux que
l'on appelle « les précaires, qui vivent
déjà dans l'incertitude du lendemain, souffrent du regard des
autres, de sorte que les préjugés et le mépris dont ils
sont si souvent l'objet aggravent leur situation »4(*)2. Quelles sont ces
idées préconçues qui leur sont tellement
préjudiciables ? La plus courante voudrait que les
« précaires » soient responsables de leurs propres
difficultés. On les présente alors comme êtres paresseux,
profitables, voire agressifs. On va jusqu'à les craindre. Plus on les
aide, disent certaines personnes qui pensent que l'aide est donnée
à fonds perdus, plus ils s'installent dans une situation
d'assistés et deviennent passifs. On tient les parents pour responsables
des actes de délinquance de leurs enfants. M. rappèle tout de
même : «Ici, nous n'avons jamais de travail. Beaucoup
d'entre nous ont mangé et nourri leurs enfants dans les poubelles de
Cassis, Pointe-aux-Sables ou Baie-du-Tombeau, des faubourgs de la capitale,
Port-Louis, où nous avons vécu pendant plus de trente
an.»4(*)3. Il
arrive même que la maladresse des pères embauchés comme
ouvriers soit mise en avant pour expliquer les accidents de travail dont ils
sont victimes. La situation d'aujourd'hui semble, par moments,
désespérée, mais les tentatives de reconnaissance et de
résistance permettent aux Chagossiens de continuer à survivre et
lutter pour leurs droits.
Souvenirs et présent : un douloureux
mélange
île nous reste les cartes, les traces
vies voilées par l'histoire violée
île nous reste à crier et écrire
la haine imbécile
et l'histoire qui s'enchaîne
Diego ton nom sur la carte rayé
Diego amour
Diego amer
Diego à mort...
Les jeunes Chagossiens des quartiers pauvres de l'Ile Maurice
affrontent plusieurs difficultés, dans leur tentative de (re)construire
leur identité : tout d'abord, chez le jeune de la deuxième
génération (ceux nés à l'Ile Maurice), se retrouve
le lourd héritage familial, le mal être parental du traumatisme de
l'exil. Ce pôle traumatisant leur est transmis soit d'une manière
ouverte, soit voilée sous la forme d'un silence. « des
cris silencieux terrés dans des gorges humaines, des cris qui n'ont pas
éclaté parce qu'ils n'ont pas franchi les bouches aux dents
serrées... Ils résonnent en lui, les cris silencieux que ces
hommes et ces femmes ont étouffés au fond de leur gorge,
tellement qu'ils ont coulé de leurs yeux en longues
traînées salées », p.137-1384(*)4. Les parents, par peur de
blesser les enfants, parfois par honte, ou parce qu'ils sont
déprimés, ne transmettent pas leur histoire, ou en tout cas, pas
toute leur histoire de leurs origines à leurs enfants, qui
risquent de rester ainsi dans le doute quant à leur histoire et origine.
Dans « Le Silence des Chagos », Shenaz
Patel nous fait ressentir toute cette tragédie d'apatride, dans le
personnage de Désiré, surnommé Nordvaer puisqu'il est
né sur ce bateau. Il cherche désespérément à
connaître la vérité sur ce nom qui lui paraît si
étrange, mais sa mère n'arrive pas à lui expliquer son
histoire. « Et non, on n'avait plus de maison. Et plus de pays.
Plus rien »4(*)5, lui révèle enfin sa mère,
p.86. La transmission de cette impasse crée des conditions qui font que
ces jeunes n'arrivent pas à accéder à leur nouvelle
partie. Ils font l'impasse sur leur nouvelle origine, car l'ancienne n'est pas
vraiment donnée. En d'autres mots, ils n'arrivent pas à se sentir
Mauriciens, et ne peuvent pas non plus se sentir Chagossiens, puisqu'ils n'ont
connu cette terre, que d'après les récits que leur en ont fait
leurs parents. Britanniques ? Quelques uns le sont, mais juste par une
carte d'identité. N'être citoyen d'aucun pays, ni
protégé d'aucun gouvernement, n'avoir aucun droit,
peut-être même n'avoir aucune existence
« légale », est le quotidien de ces enfants
nés à l'Ile Maurice. Désiré essaye tant bien que
mal d'obtenir les papiers nécessaires pour travailler, mais il se rend
vite compte qu'il lui manque quelque chose d'essentiel pour ouvrir un compte en
banque, et toucher ainsi sa paye, une carte d'identité.
« Il était ressorti de la banque quelques minutes plus
tard, désemparé. Il n'avait pas de carte d'identité... Il
ne pouvait pas avoir de carte d'identité nationale. Il n'était
pas mauricien », p. 130-1314(*)6.
En ce sombre détroit, les exclus ne perdent pourtant
pas espoir. Ce qui frappe le plus, sans doute, dans les propos recueillis, dans
les visions qui s'en dégagent, est le souci de dignité
qu'affichent les enquêtés. En dépit de l'échec, par
delà la honte qui pousse, tout est chez eux tendu vers la
préservation de l'estime de soi. Alors se manifeste, cette
volonté d'être reconnu, qui engendre des stratégies
d'adaptation, des reconfigurations identitaires permettant l'émergence
d'un sujet autonome porteur d'énergies et de projets. Et ce sujet
imagine des innovations qui pourraient bien le dépasser car il doit
« concilier des aspirations individualistes et l'attachement
à des normes de solidarité, il doit inventer un système de
valeurs capable de résoudre les dissonances qu'il perçoit dans
les rapports entre sa réalité vécue, le droit et
l'idéologie »4(*)7. Peu de recherches ont montré comment des
populations en situation précaires étaient aussi capables de se
mobiliser collectivement pour agir, inventer des espaces sociaux où
elles se reconnaissent, où un travail de réhabilitation
identitaire peut s'engager. C'est à ces dernières
représentations de la réalité qu'il est nécessaire
de s'intéresser. Il faut y inclure les représentations de soi,
dans la mesure où il est question, pour ces personnes, de souffrances et
d'une identité mise à l'épreuve dans ses fondements par
l'exclusion et la marginalisation.
On peut donc penser, qu'en dépit de tous les malheurs,
de toutes les difficultés, des crises périodiques qui secouent ce
petit monde, la vie néanmoins mérite réellement
d'être vécue. Le sourire est de règle, même au milieu
des décombres. Il semble, en effet, que ces Mauriciens, coincés
dans des difficultés invraisemblables pour bien des Occidentaux,
conservent une énergie vitale sans défaillance. Et pourtant, on
sait que le découragement, l'angoisse et la folie (liée en grande
partie à l'alcool) ne cessent de déferler sur cette population
qui, pourtant, sait si bien composer avec le désespoir. Si les
situations de précarité et d'exclusion créent chez les
individus de la honte, de la captivité, de l'errance, elles fabriquent
aussi du lien et de l'engagement social. On passe de l'individu au groupe, du
« je » au « nous » par des dynamiques
associatives, voire communautaires4(*)8. Les individus se reconnaissent mutuellement comme
actifs, socialement ou culturellement, là où ils sont
catégorisés comme « sans ressources ». Ils
développement alors des capacités de mobilisation et
d'organisation, produisent des biens collectifs que chacun s'approprie en
fonction de son histoire. Cette mobilisation collective est flagrante quand on
regarde que trois associations de Chagossiens se sont formées dans les
mois qui ont suivi leur déportation, deux à l'Ile Maurice et une
aux Seychelles. La mobilisation internationale a été un peu plus
longue à se mettre en place, mais aujourd'hui, on ne peut qu'être
admiratif devant ces modes de résistance de leur identité
collective, qui a pu être relayée par la voix internationale. A
échelles différentes, leur résistance a réussi
à supporter le poids des années, les opinions divergentes, et
surtout à dépasser ce frein politique qui leur parvenait de toute
part. Cette naissance d'une organisation sociale et politique, aujourd'hui
largement soutenue, est peut-être la solution pour aller maintenant de
l'avant4(*)9.
Malgré cela, la plupart d'entre eux se souviennent
encore d'un débarquement dans le dénuement et la solitude. Alors
ils préfèrent évoquer leur vie d'avant, leur vie
volée. « J'ai perdu ma terre natale, une existence
paisible où la cloche de l'église sonnait tous les jours à
onze heures pour signaler l'arrêt du travail. J'étais forgeron le
matin et j'allais pêcher l'après-midi. Quant aux autres, ils
travaillaient dans l'industrie du coco ou dans
l'artisanat. »5(*)0 Et les villageois se réunissaient le samedi
soir au « bal bobèche » pour danser le Séga
au son de la ravane, boire le rhum, chanter la vie créole. Aujourd'hui,
ils ne demandent rien de plus que de retrouver cet âge d'or qui passe par
le droit retour. A l'évocation de ses souvenirs, M., qui ne se
rappèle plus son âge, esquisse un sourire. Son visage
fatigué s'illumine quand elle parle des samedis soir où la
population dansait le sega jusqu'à l'aube.
« Là-bas, conclut-elle, on avait tout sans rien
payer, je mettais le riz sur le feu, j'allais pêcher et je rentrais avec
un poisson avant que le riz ne soit cuit ».
Les souvenirs sont toujours là, bien présents
derrière les paupières fatiguées, dans chaque fibre de
leur peau. Ce ne sont pas des souvenirs, non. Ce sont des êtres, des
lieux, des sensations, des sentiments plus vivants que ne saurait jamais
l'être leur présent anesthésié, où leur coeur
bat sans écho. Les jeunes se sentent trop à l'étroit sous
leurs paupières bleutées qu'ils voudraient entrouvrir sur un
au-delà qui leur est refusé. M. l'exprime clairement en
disant : « Le souvenir, c'est un hameçon qui se fiche
sous la peau. Plus tu tires dessus, plus il te cisaille les tissus et s'enfonce
profondément. Impossible de le faire sortir sans inciser la chair. Et la
cicatrice qui restera sera toujours là pour te rappeler la
crudité de cette douleur. Mais tu n'arrêteras pas pour autant d'y
revenir. Sans cesse. Car c'est là que pulse toute ta vie. Vois-tu, c'est
plus vivant encore que le souvenir. On appelle ça la
souvenance »5(*)1.
Étrangers au monde de la géopolitique, les
Chagossiens ont bien été les premières victimes des
desseins stratégiques des puissances occidentales dans l'océan
Indien et, plus généralement, de la rivalité
idéologique Est-Ouest dans cette partie du monde. Comment auraient-ils
pu imaginer qu'un jour leur modeste et paisible archipel perdu au coeur de
l'Océan Indien serait conduit à abriter la plus importante base
militaire aéronavale occidentale dans cette partie du monde ? Le
sort de ces insulaires a été pendant longtemps tragique.
L'hospitalité mauricienne a fait défaut : aucune structure
digne de ce nom n'a été mise en place pour les accueillir
à Port-Louis. La totale désinvolture des autorités locales
peut surprendre. Si les Mauriciens ont obtenu leur indépendance de
manière pacifique et démocratique en 1968, c'est en grande partie
à la suite du sacrifice imposé aux Chagossiens par les
Britanniques avec la complicité des autorités mauriciennes, ces
dernières ayant abandonné avec légèreté en
1965 leur souveraineté sur les Chagos. Exilés dans un pays
relativement lointain, plutôt pauvre à l'époque et
déjà surpeuplé - ceux qu'on a parfois appelés, dans
la presse progressiste des Mascareignes, les "Palestiniens de l'océan
Indien" - ont été purement et simplement "dispatchés" dans
les bas-quartiers de Port-Louis et abandonnés à leur sort le jour
même de leur arrivée à Maurice ! Très nombreux
sont ceux qui, pendant longtemps, n'ont pas trouvé de travail, ont
souffert de malnutrition et de sous-nutrition ou ont sombré dans
l'alcoolisme, la délinquance, la prostitution ou la toxicomanie quand ce
n'est pas dans le désespoir, la violence, la démence ou le
suicide. Presque tous ont connu l'exclusion sociale ou le mépris de la
population mauricienne ou ont eu des difficultés considérables
à s'insérer dans une société pourtant
réputée "arc-en-ciel", multiraciale et multiculturelle. En outre,
le passage d'une économie de troc statique à une économie
monétarisée et déjà dynamique a certainement
pesé très lourd sur la vie quotidienne des Chagossiens à
Maurice. Ainsi, les Chagossiens se retrouvent-ils à la case
départ après avoir constaté une légère
embellie à leur situation. Beaucoup parmi eux sont déjà
morts en exil à Maurice ou aux Seychelles et parmi les survivants -
nés aux Chagos - combien peuvent raisonnablement espérer revenir
et s'installer sur les lieux de leur enfance avant de mourir ? Primo
Lévi, dans « Si c'est un homme »,
explique : « Qu'on imagine maintenant un homme privé
non seulement ... de sa maison, de ses habitudes, de ses vêtements, de
tout enfin, littéralement de tout ce qu'il possède : ce sera
un homme vide, réduit à la souffrance et au besoin,
dénué de tout discernement, oublieux de toute dignité, car
il n'est pas rare, quand on a tout perdu, de se perdre
soi-même »5(*)2.
Choisis ou imposés, les déplacements laissent
des séquelles. L'absence de repères, les souvenirs des
exilés, les pertes de l'environnement culturel, mais aussi l'alcool, le
chômage, etc... sont à l'origine de pathologies qu'il faut
apprendre à traiter de manière adaptée. Il faut pouvoir
être capable d'apporter une réponse experte aux personnes
migrantes en souffrance. Lors des enquêtes, il est parfois difficile de
continuer un entretien vers l'objectif fixé au départ. La douleur
des personnes interrogées est assez déconcertante, si on n'y est
pas préparé. On ne peut pas ne pas partager cette douleur qui
arrive par à coups, sans prévenir, au détour d'une phrase,
d'un souvenir ou d'une image. La distance permet un peu d'estomper cette
souffrance. Deux des entretiens ont donc été
réalisés par Webcam, en interrogeant des personnes à l'Ile
Maurice. Les résultats sur place, en France, on été plus
étayés, mais aussi plus difficiles à mener, du fait de
cette émotion toujours latente. Tout en essayant de ne pas se prendre
pour ce que l'on n'est pas, il est capital d'écouter au maximum le
vécu de ces personnes qui sont encore dans la souffrance aujourd'hui,
pour être à même d'apporter une aide, ne serait-ce mineure.
Pour pouvoir avoir une meilleure approche de la question de la santé,
chez les migrants, en général, il apparaît donc
nécessaire de faire appel à l'anthropologie, pour que les
intervenants chargés des soins ou de l'accueil de ce public particulier
apportent des réponses efficaces à leur vécu. A l'heure
actuelle, beaucoup de chemin reste à parcourir dans ce domaine, mais ce
serait là, peut-être, une occasion d'ouverture pour
l'anthropologie...
Conclure... C'est, traditionnellement, établir un
bilan, et si possible partir en laissant une porte ouverte, car rien n'est
jamais clos. C'est aussi essayer de sortir d'un texte avec plus ou moins
d'élégance, plus ou moins de regrets, d'intentions restées
en cale. Cela est d'autant plus difficile que le sujet mérite qu'on ne
conclue pas, pour toujours se souvenir de cet épisode tragique qui
marque à jamais la chair des Chagossiens. On ne doit pas oublier que le
sort des Ilois, dont les droits ne sont pas encore reconnus, est encore un
nouvel exemple des tragédies vécues par les populations
déplacées.
BIBLIOGRAPHIE
DAL (Droit au Logement), Le Logement, un droit pour
tous, Coll. Combien de divisions ?, Paris, 1996
Delcroix Catherine, « Ombres et lumière
de la famille Nour :Comment certains résistent face à la
précarité », Petite Bibliothèque Payot,
Paris, 2001.
Mésini B., Pelen JN., Roulleau-Berger L.,
« Exclusions, inventions et résistance »,
Anthropos, Paris, 2001
Moro P.R., « Parents en exil, psychopathologie
et migration », PUF, Paris, 1994
Patel Shenaz, « Le Silence des
Chagos », Editions de l'Olivier/Le Seuil, 2005
« Sensitive », Editions de
l'Olivier/Le Seuil, 2002
Piquet Daniel, « Mal vu, Mal
dit », in « Dire l'exclusion »,
érès, 1999
Soussan Judith, « Les SDF africains en France,
représentations de soi et sentiment
d'étrangeté », CEAN Karthala, Paris, 2002
Wolff Eliane, « Quartiers de vie : approche
ethnologique des populations défavorisées de l'île de la
Réunion », Meridiens Klincksieck, Paris, 1991
Feasibility Study for the resettlement of the Chagos
Archipelago, Volumes I, II and III
Chansons :
Album « Pei natal », Charlesia
« Peros vert », Ton Vié
« Diego », Cassiya
Films :
« Stealing a Nation », John Pilger
« Diego Garcia », émission
« Le Dessous des Cartes »
« Diego Garcia », émission
« Thalassa »
Internet :
Quotidiens nationaux mauriciens :
www.lexpress.mu et
www.lemauricien.com
Site officiel de la base américaine de Diego Garcia :
http://www.dg.navy.mil/
Comité Suisse de Soutien aux Chagossiens :
http://www.chagos.org/
Site officiel de John Pilger :
http://www.johnpilger.com/
Fonds de Conservation de l'Archipel des Chagos :
http://www.chagosconservationtrust.org/
Contexte géopolitique de Diego Garcia :
http://www.geocities.com/ka9hhu/Diego_Garcia.html
Populations autochtones
http://www.hri.ca/fortherecordCanada/bilan/vol2/indigenouschr02.htm
Défense des minorités dans le monde :
http://www.minorites.org et
http://www.minorityrights.org
Haut-Commissariat des Nations Unies pour les
Réfugiés :
www.unhcr.ch
Biographie de Shenaz Patel :
http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/patel.html
Croix-Rouge Suisse :
http://www.redcross.ch/mag/mag/index-fr.php?id=108&page=547
La santé des migrants :
http://www.migrations-sante.org/
La santé des primo-arrivants :
http://fondshoutman.be/cahiers/02_012006/html-n/ch02.html
Ethnopsychiatrie :
http://www.lien-social.com/article.php3?id_article=234
Consultations transculturelles :
http://www.ch-sainte-anne.fr/fr/services/psy/adultes/secteur13/activites.htm
http://www.p-s-f.com/psf/mot.php?id_mot=101
Péi natal (Pays natal)
Létan mo ti viv dan Diégo (Quand je vivais
à Diégo) (ter)
Mo ti kouma payanké dan lézer (J'étais
comme un paille-en-queue dans le ciel)
Dépi mo apé viv dan Moris (Depuis que je vis
à Maurice)
Dépi mo viv dan Moris (Depuis que je suis à
Maurice)
La mo amèn la vi kotomidor (Je mène une vie de
bâton de chaise)
Done la min mo kamarad (Aide-moi mon ami)
Done moi la min krié (Aide-moi à crier)
Done la min mo kamarad (Aide-moi mon ami)
Nou avoy nou mesaz dan lé mond (A envoyer notre message
à travers le monde)
Avoy mesaz dan lé mond (Envoyez le message au monde)
Avoy mo mesaz dan lé mond (Envoyez mon message au
monde)
Avoy mesaz dan lé mond (Envoyez le message au monde)
Baz naval li dan nou loséan (Il y a une base navale dans
notre océan) (bis)
Na pa bat moi lapolis (Ne me battez pas, police)
Na pa bat moi misié gard (Ne me battez pas, monsieur le
policier)
Pa bat moi lapolis (Ne me battez pas, police)
Mo rod mo larzan lil Diégo (Je cherche ma compensation
pour Diégo)
Ler dimane la moné (Quand je demande de l'argent)
(ter)
Mo apé gayn baté ar baton (On me tabasse à
coups de bâton)
Pa bat moi mo serzan (Ne me battez pas, sergent)
Pa bizin bat moi do serzan (Nul besoin de me battre,
sergent)
Pa bat moi mo serzan (Ne me battez pas, sergent)
Mo rod mo larzan lil Diégo (Je cherche ma compensation
pour Diégo)
Sagrin mo éna dan léker (Mon coeur est plein de
chagrin)
Get mo piti ki pé lévé (Voyez mon enfant
qui grandit)
Get piti ki apé lévé (Voyez les enfants
qui grandissent)
Pa kone péi natal so mama (Sans connaître le pays
natal de leur mère)
Charlesia, « Péi natal »
DIEGO LAMENT
An island in the ocean, paradise this is not, we're
doomed to spend our tour, in the land that time forgot.
Down with smoke and liquor, we're the gallant warriors in
blue, stuck amidst of nowhere, a million miles from you.
Guardians of the footprint, we earn our meager pay,
supporting naval vessels, for two and a half a day.
Alone and bunked at nighttime, yearning for that lovely
miss, to fondle with sweet memories, to savor that treasured kiss.
In rain and heat we labor, our boots are filled with sand,
although not classed as convicts, but protectors of our land.
No one knows we're living, no one gives a damn, who
would ever wonder, `cause we're owned by Uncle Sam.
The time we spend on Diego, is time we'll never miss,
let NMPC get you, but don't ever ask for this.
When pearly gates are opened, and life will be anew,
our frowns will turn to laughter, and the joke will be on you.
For high above in heaven, you'll hear St. Peter yell,
«FALL IN YOU WARRIORS FROM DIEGO, YOU'VE SPENT YOUR TIME IN
HELL!!
Poème de Ralph Blessing, 1987
QUELQUES CHIFFRES
? Le nom Chagos vient du portugais « chinqua chagas
» (les cinq plaies du Christ) qui a été réduit
à Chagas, puis s'est transformé en Chagos.
? L'archipel des Chagos, 64 km2, est composé de 65
îlots. Diego Garcia est la plus grande île. Sa superficie est de 27
km2. Le territoire marin fait 13 000 km2.
? Peros Banhos est composé de 27 îlots, Salomon,
de 11 îlots, Egmond, de 7 îlots.
? 332 familles, soit 1 500 à 2 000 personnes, ont
été déracinées des Chagos entre 1965 et 1973.
? Actuellement, le nombre de Chagossiens de la première
génération se chiffre à 850 ; ceux de la seconde
génération sont 5 200.
? Sur 100 Chagossiens faisant partie du voyage, 75 sont du GRC
(Groupement réfugiés Chagos), 10 du CSC (Comité social des
Chagossiens) et 15 des Seychelles (Comité social des Chagossiens aux
Seychelles).
REPERES HISTORIQUES :
? Les années 1780 : Le peuplement des
Chagos débute.
? 1814 : La France cède les Chagos au
Royaume-Uni..
? 1824 : Le gouvernement britannique nomme le
premier agent chargé de la gestion des Chagos.
? 1835 : Les Britanniques abolissent l'esclavage
dans les colonies. La communauté chagossienne choisit de rester dans les
îles.
? 1861 : Plus de 550 personnes habitent
l'archipel. La majorité travaille dans les plantations de copra.
? Vers le milieu des années 1960 :
Environ 1 000 personnes nées aux Chagos habitent Diego Garcia,
Peros Banhos et Salomon (aujourd'hui le nombre de natifs et de leurs
descendants s'élève à environ 4 500 personnes).
? 1964 : Des négociations secrètes
entre les autorités britanniques et américaines débutent.
Leur objectif est de créer une base militaire dans l'Océan
Indien. Elles effectuent une étude qui conclut que
« l'acquisition de Diego Garcia à des fins de
sécurité impliquera le déplacement de toute la population
existante de l'île ».
? Septembre 1965 : Rencontre à Lancaster
House, en Angleterre, entre le Secrétaire Britannique aux Colonies,
Anthony Greenwood, et le Premier Ministre mauricien, Seewoosagur Ramgoolam. Un
extrait du dossier de cette rencontre démontre que le Premier ministre,
Sookdeo Bissoondoyal et Razack Mohamed « étaient prêts
à agréer le détachement » des Chagos moyennant,
entre autres, le paiement de £3 millions de compensation au gouvernement
mauricien.
? 1965 : Les Etats-Unis informent le Foreign
Office britannique que « les procédures de détachement
devront inclure l'archipel entier ». A la demande du gouvernement
américain, le gouvernement britannique détache les Chagos de
l'Ile Maurice et établit le British Indian Ocean Territory (BIOT).
Même si les Britanniques gèrent le BIOT, les Etats-Unis louent les
îles et contrôlent Diego Garcia. Le Royaume-Uni obtient une remise
de $14 millions sur le programme de développement du missile Polaris.
? Décembre 1965 : La résolution
2066 est votée par l'Assemblée Générale des Nations
unies. Elle y invite le gouvernement britannique à prendre des mesures
efficaces afin d'appliquer la résolution 1514, qui contient la
Declaration on the Granting of Independence to Colonial Countries and Peoples.
? De 1965 à 1973 : La dépopulation
des Chagos a lieu en trois phases. Il est défendu aux Chagossiens qui se
déplacent à l'étranger de retourner dans l'archipel. Ils
sont séparés de leurs familles. L'importation de nourriture est
strictement contrôlée pour essayer de pousser les Chagossiens
à partir. Finalement, les habitants de Diego Garcia sont
transportés de force à Peros Banhos et à Salomon. Deux ans
plus tard, des navires mal ravitaillés en eau et nourriture et
surpeuplés amènent les Chagossiens à Maurice et aux
Seychelles. Des officiels britanniques et américains mentent aux Nations
unies et au Congrès. Ils affirment que les Chagossiens sont des
travailleurs contractuels saisonniers.
? 1982 : Un comité permanent est
établi par l'Assemblée Nationale pour enquêter sur
« les circonstances qui ont mené à et ont suivi
l'excision de l'archipel des Chagos, incluant Diego Garcia, de l'Ile Maurice en
1965 et la nature exacte des transactions qui ont eu lieu ».
Présidé par le ministre des Affaires Etrangères,
Jean-Claude de l'Estrac, le comité détaille, entre autres, le
rôle du gouvernement mauricien dans l'excision de l'archipel et
dénonce le gouvernement britannique pour avoir
« bafoué » la Charte des Nations Unies. Il rejette
également les déclarations de Seewoosagur Ramgoolam et Veerasamy
Ringadoo qui avaient affirmé devant le comité qu'à aucun
moment « ils avaient été mis en présence d'un
document relatant l'excision des îles ».
? Novembre 2000 : Les journaux britanniques
montrent un Olivier Bancoult triomphant à sa sortie de la Haute Cour de
Londres. La cour a en effet jugé illégal le déplacement du
peuple chagossien. Après des années de souffrance, les
Chagossiens ont enfin gagné le droit de rentrer chez eux !
? Juin 2004 : Le gouvernement du Premier
ministre de Tony Blair révèle que deux Orders in Council
signés par la reine Elizabeth II renversent la décision de la
cour et prohibent à jamais le retour des Chagossiens dans l'archipel.
? 30 mars 2006 : Le Trochetia, navire battant
pavillon mauricien, quitte la rade de Port-Louis avec à son bord une
centaine de Chagossiens. Destination : Salomon, Peros Banhos et Diego Garcia
où une fête organisée par les militaires américains
était prévue. La visite de mémoire durera une dizaine de
jours.
* 1 Extrait d'entretien avec M.
(dans un souci de grande confidentialité, je me suis engagée
à ne divulguer aucun nom qui pourrait permettre de reconnaître ces
personnes, pour ne pas risquer de les compromettre sur ce sujet qui reste tabou
pour beaucoup)
* 2 « Maintaining the
fiction », rapport secret de la CIA
* 3 Extrait d'entretien avec
M.
* 4 Ibid.
* 5
http://www.dg.navy.mil/
* 6
http://www.geocities.com/ka9hhu/Diego_Garcia.html
* 7 Extrait d'entretien avec
M.
* 8 Ibid
* 9
http://www.chagos.org/
* 10
http://www.hri.ca/fortherecordCanada/bilan/vol2/indigenouschr02.htm
* 11 Extrait d'entretien avec
M.
* 12
http://www.minorites.org
* 13 Feasibility Study for the
resettlement of the Chagos Archipelago, Volumes I, II and III
* 14
http://www.chagosconservationtrust.org/
* 15
http://www.geocities.com/ka9hhu/Diego_Garcia.html
* 16
http://www.johnpilger.com/
* 17 Patel Shenaz,
« Le Silence des Chagos », Editions de
l'Olivier/Le Seuil, 2005
* 18
www.unhcr.ch
* 19 Extrait d'entretien avec
M.
* 20 Extrait d'entretien avec
M.
* 21 Ibid.
* 22 Ibid.
* 23 Extrait d'entretien avec
M.
* 24 Extrait d'entretien avec
M.
* 25 Ibid.
* 26 « Stealing a
Nation », John Pilger
* 27 « Stealing a
Nation », John Pilger
* 28 Extrait d'entretien avec
M.
* 29 Extrait d'entretien avec
M.
* 30 Ibid.
* 31 Ibid.
* 32 Ibid.
* 33 Ibid.
* 34 Patel Shenaz,
« Le Silence des Chagos », Editions de
l'Olivier/Le Seuil, 2005
* 35 Extrait d'entretien avec
M.
* 36 Extrait d'entretien avec
M.
* 37 Ibid.
* 38
http://www.migrations-sante.org/
* 39 Extrait d'entretien avec
M.
* 40 Croix-Rouge Suisse :
http://www.redcross.ch/mag/mag/index-fr.php?id=108&page=547
* 41 Extrait d'entretien avec
M.
* 42 Delcroix Catherine,
Ombres et lumière de la famille Nour « Comment certains
résistent face à la précarité »,
Petite Bibliothèque Payot, Paris, 2001
* 43 Extrait d'entretien avec
M.
* 44 Patel Shenaz,
« Le Silence des Chagos », Editions de
l'Olivier/Le Seuil, 2005
* 45 Ibid.
* 46 Patel Shenaz,
« Le Silence des Chagos », Editions de
l'Olivier/Le Seuil, 2005
* 47 Soussan Judith, Les
SDF africains en France, représentations de soi et sentiment
d'étrangeté, CEAN Karthala, Paris, 2002.
* 48 Mésini B., Pelen
JN., Roulleau-Berger L., Exclusions, inventions et résistance,
Anthropos, Paris, 2001.
* 49 Wolff Eliane,
Quartiers de vie : approche ethnologique des populations
défavorisées de l'île de la Réunion, Meridiens
Klincksieck, Paris, 1991
* 50 Extrait d'entretien avec
M.
* 51 Extrait d'entretien avec
M.
* 52 Piquet Daniel, Mal vu,
Mal dit, in Dire l'exclusion, érès, 1999
|
|