Le régime juridique de l'arbitrage commercial international( Télécharger le fichier original )par Sourou Tinê Abdel-Kader FADAZ Université de Lomé (TOGO) - DESS Droit des Affaires et Fiscalité 2008 |
Section 2 : La remise en cause de la fonction normative de la lex mercatoria dans l'arbitrage internationalQuelle est l'étendue de la normativité de la lex mercatoria dans l'arbitrage commercial international ? La « loi des marchands » peut-elle régir l'ensemble du litige soumis à l'arbitrage commercial international ou le recours à d'autres règles de droit est-il nécessaire ? Au coeur des interrogations qui précèdent se pose le problème de la limitation de la fonction normative de la lex mercatoria dans l'arbitrage commercial international. Il s'agira donc à cette étape de notre étude de rechercher les limites éventuelles à l'applicabilité de la loi mercatique au litige. L'examen des contours du contentieux de l'arbitrage commercial international permet d'observer que la fonction normative de la lex mercatoria pourrait être remise en cause à deux niveaux. Cette remise en cause pourrait résulter d'une part de l'existence de situations litigieuses que la loi mercatique serait incapable de régir (§1). D'autre part, la remise en cause de la fonction normative de la « loi des marchands » pourrait provenir des restrictions liées à la prise en compte des impératifs juridiques nationaux (§2). §1- L'inadaptation de la loi mercatique à régir toutes les situations litigieuses
Il semble exister des situations litigieuses qui échappent à l'encadrement normatif de la lex mercatoria. Les questions litigieuses exclusives de la lex mercatoria apparaissent dans l'arbitrage commercial international, que les litiges soumis à cette forme de justice soient d'ordre contractuel (A) ou extracontractuel (B). A- L'existence de questions litigieuses contractuelles exclusives de la lex mercatoria. Les questions litigieuses contractuelles exclusives de la lex mercatoria semblent se révéler à deux niveaux qu'il convient de distinguer. Le premier concerne certains aspects du litige qui semblent difficilement détachables des ordres juridiques nationaux (1). Le second est relatif au litige issu d'un contrat international de consommation (2). 1) Les aspects du litige contractuel difficilement détachables des ordres juridiques nationaux. Dans les litiges contractuels soumis à l'arbitrage commercial international, certaines questions difficilement détachables des ordres juridiques nationaux, paraissent échapper à l'emprise de la lex mercatoria. Ces questions concernent des éléments d'appréciation de la validité du contrat litigieux ainsi que le régime particulier des biens immobiliers qui peuvent en être l'objet. L'appréciation de la capacité des parties au litige par exemple se fait sur le fondement de la loi personnelle ou nationale des personnes concernées. Cette solution est commune à l'ensemble des systèmes juridiques romano-germaniques.71(*) A propos de l'appréciation des conditions de formation du contrat litigieux quant au fond, il y a lieu de s'interroger globalement sur l'aptitude réelle de la lex mercatoria à régler ces questions. Existe-t-il à l'heure actuelle des règles de la lex mercatoria pouvant permettre à l'arbitre d'apprécier la validité du consentement des parties en conflit, la licéité de l'objet du contrat litigieux ou encore la capacité et le pouvoir des parties en conflit ? Il semble qu'il faille répondre à cette question par la négative. En effet, intervenant sur la question, Lord Justice Michael MUSTlLL fait remarquer que la lex mercatoria a rarement été appliquée aux questions relatives au consentement et à la fraude dans la formation du contrat. Elle n'a jamais d'après cet auteur, été créditée dans la littérature, d'un pouvoir de création de droits réels, par exemple par le biais d'un transfert de propriété de biens tangibles, de sûretés ou de création d'un monopole tel qu'un brevet d'invention ou des droits d'auteurs 72(*) L'inaptitude de la lex mercatoria à régir les conditions de formation du contrat litigieux semble à ce jour ne plus faire l'objet d'un doute. Même les plus farouches défenseurs de la normativité de la loi mercatique reconnaissent ses lacunes en ce domaine. Ainsi, dans un article intitulé « La lex mercatoria dans les contrats et l'arbitrage internationaux », le professeur Goldman admet, particulièrement sur la question de la validité du consentement, que nombre des lacunes de la lex mercatoria sont structurelles et non temporelles.73(*) Commentant cette admission, le Pr. Lagarde en déduit que M. Goldman considère ainsi ces questions comme « étant naturellement du ressort des ordres juridiques nationaux »74(*). En ce qui concerne enfin le régime particulier des biens immobiliers objets du litige contractuel soumis à l'arbitrage, il est universellement établi que c'est la loi du lieu de leur situation qui régit les litiges afférents à ces biens (lex lei sitae). Mais l'exclusion de la lex mercatoria peut aussi provenir de litiges issus d'un contrat de consommation. 2) Le cas du litige résultant d'un contrat international de consommation. Il peut arriver que le litige résultant d'un contrat international de consommation soit soumis à l'arbitrage commercial international. Le contrat de consommation est celui conclu entre un professionnel acteur du commerce international et un consommateur. Aux termes de l'article 5 de la Convention de Rome du 19 Juin 1980, la qualité de consommateur au sens international du terme résulte du fait que celui qui s'en prévaut contracte « pour un usage étranger à son activité professionnelle ». La Convention de Vienne du 11 Avril 1980 va dans le même sens en qualifiant comme tel celui qui achète une marchandise « pour un usage personnel familial ou domestique » (art. 2). La question de l'applicabilité de la lex mercatoria se pose dans le règlement du litige résultant de ce contrat hybride entre le professionnel du commerce international et le consommateur a priori faible et inexpérimenté. La loi mercatique est-elle à même d'apporter des solutions adéquates à ce litige ou faut-il l'écarter en raison de la nature mixte du rapport litigieux ? S'il faut s'en tenir à la position de la jurisprudence qui fait constamment prévaloir le principe général de l'autonomie de la convention d'arbitrage sur la nature mixte du contrat, on peut être enclin à penser au maintien de l'emprise de la lex mercatoria sur le litige. Mais alors ce serait faire fi des règles impératives protectrices du consommateur. Ce qui paraît inconcevable. Comme l'ont justement observé les professeurs Jean-Claude Dubarry et Eric Loquin dans leur commentaire sous l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 7 décembre 1994,75(*) « il est raisonnable de soutenir que le consommateur, partie à un contrat, même mettant en jeu les intérêts du commerce international, au sens du droit de l'arbitrage international, ne peut se voir opposer les règles matérielles crées pour les professionnels du commerce international. »76(*) Au delà des questions litigieuses contractuelles exclusives de la lex mercatoria, il importe d'examiner les litiges extracontractuels soumis à l'arbitrage commercial international afin de déterminer leur réceptivité à la lex mercatoria. B- La spécificité des litiges extracontractuels soumis à l'arbitrage commercial international. Les litiges extracontractuels sont ceux qui ne résultent pas d'un rapport contractuel préalable existant entre les parties en conflit mais d'un rapport délictuel né entre elles dans le cadre du commerce international du fait de la survenance d'un délit ou d'un quasi-délit. C'est le cas par exemple de la destruction des marchandises transportées sur un navire qui amène l'assureur du destinataire ayant pris en charge le préjudice résultant des pertes subies par lui, à se retourner contre le transporteur fautif. Les deux parties peuvent sur la base d'un compromis d'arbitrage confier à un tribunal arbitral le règlement du litige délictuel commercial et international survenu entre elles. La question se pose alors de savoir si la lex mercatoria peut s'appliquer au litige extracontractuel soumis à l'arbitrage commercial international. En principe, au regard de la nature à la fois commercial et international du litige, les usages commerciaux internationaux devraient pouvoir théoriquement régir ce type de litige dans l'arbitrage commercial international. D'un point de vue conflictuel, la nature contractuelle de l'arbitrage rend possible le recours à la loi d'autonomie dont les parties pourraient faire usage en désignant la lex mercatoria comme droit applicable au litige dans le compromis d'arbitrage. D'un point de vue matériel, l'arbitre devrait pouvoir appliquer directement la loi mercatique en l'absence de choix d'un droit applicable par les parties lorsqu'il le jugerait approprié. Mais en pratique, la lex mercatoria semble présenter d'importantes lacunes en matière délictuelle. A l'opposé de la richesse et de la multiplicité des normes observées en matière contractuelle, on assiste plutôt à une carence normative en matière délictuelle. On pourrait à la limite, penser à appliquer aux questions de responsabilité civile délictuelle les principes dégagés par la jurisprudence arbitrale et les institutions professionnelles au matière de responsabilité contractuelle à l'instar de « l'obligation de minimiser le dommage » ainsi que les règles relatives à l'évaluation du préjudice et de la réparation et les règles de fixation des intérêts. Mais une telle transposition mécanique ne saurait tenir lieu de panacée. Les deux situations (rapport contractuel et rapport délictuel) n'étant pas identiques, on ne saurait leur appliquer ni les mêmes règles ni les mêmes solutions. Selon M. Mustill il semble n'exister aucun cas où la lex mercatoria a été invoqué pour une espèce purement délictuelle77(*). Ce constat a été confirmé par M. Jan Paulsson dans son article intitulé « la lex mercatoria dans l'arbitrage CCI »78(*). La lex mercatoria étant inadapté pour régir les litiges délictuels, il reviendra aux parties et aux arbitres d'y remédier en recourant aux règles conflictuelles traditionnellement applicables en matière délictuelle. Peut-être faudrait-il penser à régler le problème de ce vide juridique en élaborant des règles anationales adéquates en la matière.79(*) La remise en cause de la fonction normative de la lex mercatoria semble également provenir des restrictions liées à la prise en compte des impératifs juridiques nationaux. * 71 Cf. en ce sens pour les pays membres de l'OHADA, P. MEYER, op. cit. p. 96 n°156 * 72 Op. cit. 102 * 73 In Clunet, 1979, 475 p. 478-480. * 74 In « Approche critique de la lex mercatoria », op. cit. p. 141. * 75 RTD Com.1995. 402 * 76 V. également favorables à l'application des règles impératives protectrices du consommateur : Gaillard (E) note sous Cass civ. 1ère 21 mai 1997, Jaguar, Rev. arb., 1997. 537 et s ; FOUCHARD (Ph.) in Rev.arb. 2002. 241 * 77 Op. cit p.102 * 78 Rev. Arb, 1990 p. 55 et s. * 79 L'élaboration de principes Unidroit relatif à la responsabilité civile délictuelle en matière de commerce international ou d'une loi-type de la CNUDCI ou de la CCI en la matière serait fort appréciée. |
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