Le régime juridique de l'arbitrage commercial international( Télécharger le fichier original )par Sourou Tinê Abdel-Kader FADAZ Université de Lomé (TOGO) - DESS Droit des Affaires et Fiscalité 2008 |
Section 2 : Les difficultés résiduelles d'exécution de la sentenceParmi les difficultés encore susceptibles d'entraver l'exécution forcée des sentences dans l'arbitrage commercial international, deux catégories retiennent notre préoccupation à savoir celles résultant des applications locales de la Convention de New York (§1) et celles liées à l'immunité d'exécution des personnes publiques parties à l'arbitrage (2). §1- Difficultés résultant des applications locales de la Convention de New YorkDe nouvelles difficultés d'exécution des sentences naissent des applications récentes de la Convention de New York aux Etats-Unis et dans l'espace OHADA. Elles sont respectivement liées à l'application de la règle du forum non conveniens aux Etats- Unis (A) et aux dispositions de l'article 34 de l'Acte uniforme de l'OHADA relatif au droit de l'arbitrage (B). A - L'application de la règle du forum non conveniens à l'exécution des sentences étrangères aux Etats-Unis
La doctrine du forum non conveniens essentiellement appliquée dans les systèmes juridiques de Common Law, est une règle de procédure en vertu de laquelle une juridiction étatique normalement compétente pour connaître d'une cause, peut décliner sa compétence au profit de la juridiction d'un autre Etat qu'elle juge plus appropriée à cet effet216(*). Elaborée dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et destinée à remplir divers objectifs d'ordre public, cette règle sert généralement de moyen d'exception mis à la disposition du défendeur pour faire échec à l'action intentée par le demandeur en justice.
Mais la question de l'application de la règle de forum non conveniens à l'exécution des sentences arbitrales étrangères non encore débattue jusqu'alors s'est assez récemment posée aux Etats-Unis, où des juridictions américaines ont refusé d'accorder l'exequatur à des sentences étrangères, sur le fondement de cette règle. Dans une étude publiée, il y à peine trois ans, sur l'exécution des sentences arbitrales étrangères aux Etats-Unis, Monsieur Charles ADAMS et Madame Vanessa LIBORIO rapportent en l'occurrence que « certaines juridictions ont récemment reconnu que l'absence de rattachement autonome avec le for américain et la doctrine de forum non conveniens constituent des motifs d'opposition à l'exequatur des sentences arbitrales étrangères »217(*). Ainsi dans l'affaire qui opposait la Société Monégasque de réassurances sise à Monaco et Nak Naftogaz une société ukrainienne opérant dans le domaine des gazoducs, le tribunal du district sud de New York refusa d'accorder l'exequatur à la sentence arbitrale étrangère qui condamnait Naftogaz à payer des dommages intérêts à son colitigant. Bien que le défendeur disposât de comptes bancaires aux Etats-Unis, la juridiction américaine jugea que les Etats-Unis n'étaient pas le for approprié pour connaître du litige. Le tribunal fonda ainsi sa décision sur la théorie de forum non conveniens au détriment des finalités de la Convention de New York. Le requérant interjeta appel mais la Cour d'appel confirma la décision de refus d'exequatur de la sentence218(*). Dans une autre espèce portant sur le litige entre Telecordia Technologies (une société américaine) et Telkom (une société sud africaine), le tribunal du district de Columbia refusa la reconnaissance et l'exécution d'une sentence rendue en Afrique du Sud à la fois sur le fondement de l'absence de lien de rattachement personnel avec la défenderesse et sur la doctrine de forum non conveniens. Comme dans le premier cas, l'appel de cette décision ne permit pas d'infléchir la position des premiers juges219(*). Les positions jurisprudentielles rapportées ci-dessus sont manifestement révélatrices du fait que l'application de la règle de forum non conveniens en matière d'exécution des sentences arbitrales est une entrave à l'efficacité et à la libre circulation tant souhaitée des sentences dans le monde. On peine à trouver la pertinence réelle de l'application de cette règle à l'exécution des sentences arbitrales étrangères aux Etats-Unis. Comment comprendre que dans un Etat partie à la Convention de New York, où les conditions d'obtention de l'exequatur figurent parmi les plus favorables au monde, on puisse admettre l'application de règles visant à faire obstacle à la mise en oeuvre des dispositions relatives à l'efficacité internationale des sentences ? S'il est vrai que l'article III de la Convention de New York autorise chaque Etat partie à reconnaître et à faire exécuter une sentence arbitrale conformément à ses propres règles de procédure sous réserve du respect de celles prévues aux articles IV et VI de la Convention, il n'en demeure pas moins vrai que cet article interdît la prévision de « conditions sensiblement plus rigoureuses » à l'exécution des sentences. Au risque de violer les conditions limitatives imposées par la Convention de New York pour la reconnaissances et l'exécution des sentences arbitrales étrangères, la position des jurisprudences américaines précitées nous parait totalement infondée220(*). En outre, la règle de forum non conveniens (règle de procédure locale appliquée par les juges en l'espèce) qui est manifestement en conflit avec les dispositions de la Convention de New York ne saurait s'appliquer, au regard du principe de la primauté du traité sur la loi interne221(*). Tout compte fait, la position des juges américains semble aller à l'encontre de l'objectif de renforcement de l'efficacité des sentences arbitrales exprimées par les Etats parties dans la Convention de New York. Il est regrettable que l'existence de règles de procédure locales vienne empêcher l'exécution internationale des sentences arbitrales. Cette situation met à jour les lacunes de la Convention de New York en matière de règles procédurales adéquates. L'adoption d'un régime uniforme ou harmonisé de règles de procédure et de compétence au plan international pourrait anéantir les difficultés naissant des disparités actuelles. Les résultats positifs obtenus au plan européen avec la Convention de Bruxelles de 1968 ayant institué un régime uniforme de compétence européen sont assez édifiants à ce propos222(*). Mais le plus difficile sera de trouver le moyen de convaincre les Etats de part le monde à abandonner leurs valeurs procédurales nationales pour adhérer aux valeurs communes nécessaires à la résolution du problème. La seconde difficulté résultant des applications locales de la Convention de New York se pose dans l'espace OHADA. B - La complication engendrée par l'article 34 de l'Acte uniforme de l'OHADA relatif au droit de l'arbitrage Certaines dispositions de l'Acte uniforme de l'OHADA relatif au droit de l'arbitrage semblent renfermer des germes de difficultés susceptibles d'entraver l'efficacité internationale des sentences arbitrales. Ces dispositions source de divergences d'interprétation entre les auteurs figurent essentiellement dans l'article 34 de l'Acte uniforme qui dispose que : « les sentences arbitrales rendues sur le fondement de règles différentes de celles prévues par le présent Acte uniforme, sont reconnues dans les Etats parties, dans les conditions prévues par les conventions internationales éventuellement applicables, et à défaut, dans les mêmes conditions que celles prévues aux dispositions du présent Acte uniforme »223(*). Ce texte qui régit l'exécution des sentences arbitrales provenant de pays tiers dans l'espace OHADA soumet ces sentences aux conditions d'exécution fixées par les conventions internationales qui seraient en vigueur dans l'espace OHADA. Ainsi, les conditions d'exécution des sentences prévues par l'Acte uniforme ne s'appliqueraient qu à défaut de l'existence des dispositions conventionnelles susvisées. La Convention de New York de 1958 est la convention applicable dans la plupart des Etats de membres de l'OHADA. Sur les seize (16) Etats actuellement membres de l'OHADA, dix (10) sont parties à cette convention224(*). Plusieurs Etats membres de l'OHADA sont également parties à des accords de coopération judiciaires faisant référence à l'exécution des sentences arbitrales. Ces accords conclus au plan régional ou continental et avec la France renvoient pour la plupart aux dispositions de la Convention de New York225(*). Suivant les dispositions de l'article 34 de l'Acte uniforme, les sentences étrangères à l'espace OHADA ou rendues sur le fondement de règles différentes de celles prévues dans l'Acte uniforme seront soumises à deux régimes bien distincts pour l'obtention de l'exequatur dans l'espace OHADA. Ainsi, dans les Etats membres où il n'existerait aucune disposition conventionnelle applicable à l'exequatur des sentences, celles-ci seraient directement assujetties aux conditions prévues à l'article 31 dernier alinéa des l'Acte uniforme pour la reconnaissance et l'exequatur. Dans les Etats membres où il existerait de telles dispositions conventionnelles, les sentences seraient soumises aux conditions prévues par ces dispositions en matière de reconnaissance et d'exequatur des sentences. Au regard de la primauté accordée aux dispositions conventionnelles pour régir la mise en oeuvre des sentences étrangères à l'espace OHADA dans les Etats parties où la Convention de New York serait en vigueur, la question se pose de savoir si ces sentences ne perdront pas le bénéfice des dispositions de l'Acte uniforme plus favorables à l'exequatur pour être assujetties à celles plus sévères de la Convention de New York. Deux interprétations divergentes ont été proposées en doctrine face à ce problème. La première qui émane des Professeurs POUGOUE, TCHAKOUA et FENEON tend à minimiser un quelconque effet négatif des dispositions de l'article 34 de l'Acte uniforme. Selon ces auteurs en effet, les dispositions favorables de l'Acte uniforme à l'exequatur des sentences pourront toujours s'appliquer dans la mesure où l'article VII §1er de la Convention de New York concède aux parties intéressées la faculté de faire rendre exécutoire leurs sentences sur le fondement de règles plus favorables226(*). La seconde approche s'éloigne quelque peu de l'optimisme observé dans la première et semble plutôt entrevoir dans les dispositions de l'article 34 de l'Acte uniforme des germes de difficultés à l'efficacité des sentences concernées dans l'espace OHADA. Les inquiétudes exprimées dans cette seconde interprétation des dispositions de l'article 34 proviennent essentiellement du Pr. MEYER. D'après cet auteur, l'interprétation proposée dans la première approche, qui est parfaitement conforme à l'article VII §1 de la Convention de New York, « ne se concilie cependant pas aisément avec l'article 34 de l'Acte uniforme qui en désignant les `'conventions internationales éventuellement applicables'', semble ne pas permettre à la partie intéressée le droit de se prévaloir des dispositions de l'Acte uniforme »227(*). Les inquiétudes du Pr. MEYER, loin de relever d'une simple vue de l'esprit paraissent justifiées lorsqu'on analyse les fondements juridiques de l'article 34 et la lourdeur procédurale qu'implique son application. A propos des fondements juridiques de l'article 34, seul le principe de la primauté des traités sur les lois internes semble pouvoir justifier la prévalence accordée aux dispositions conventionnelles dans ce texte. Cette déduction est confirmée par les dispositions de l'article 35 de l'Acte uniforme qui considère ce texte comme la loi nationale relative à l'arbitrage dans chaque Etat partie. Mais en admettant que c'est le principe de la primauté du traité sur la loi qui justifie la règle posée à l'article 34 de l'Acte uniforme, on peut s'étonner que le législateur n'en fasse pas également application aux sentences non étrangères à l'espace OHADA. Cette application parcellaire du principe paraît inconcevable. Elle est discutable à la limite car elle offre une solution discriminatoire. D'un côté on distingue les sentences rendues sur le fondement des règles de l'Acte uniforme qui bénéficient directement des dispositions favorables de l'Acte uniforme en matière de reconnaissance et d'exécution ; de l'autre, on a les sentences rendues en dehors de l'espace OHADA (c'est-à-dire sur le fondement d'autres règles que celles de l'Acte uniforme), qui n'en bénéficient pas directement. Au-delà de son caractère discriminatoire, cette solution paraît sévère et rétrograde en ce sens qu'elle s'inscrit en porte à faux avec l'article III in fine de la Convention de New York qui proscrit toutes les dispositions visant à défavoriser les sentences étrangères par rapport aux sentences nationales, dans l'édiction de leurs conditions de reconnaissance et d'exécution. A propos de la lourdeur procédurale à laquelle peut donner lieu l'application de l'article 34 de l'Acte uniforme, celle-ci peut être illustrée par un exemple. Prenons l'hypothèse d'un litige survenu entre deux parties, soumis à l'arbitrage commercial international et qui a été réglé par une sentence rendue à Genève sur le fondement du droit suisse. La partie bénéficiaire de la sentence souhaite la faire exécuter dans un Etat de l'espace OHADA où la Convention de New York est applicable. Suivant les dispositions de l'article 34, le juge compétent pour octroyer l'exequatur à la sentence va d'abord chercher à appliquer les dispositions conventionnelles. Si la partie intéressée par l'exequatur sollicite l'application des règles locales plus favorables de l'OHADA sur le fondement de l'article VII-1, le juge devra abandonner la Convention de New York pour appliquer l'Acte uniforme. Ce cas d'école révèle toutes les gymnastiques que l'application de l'article 34 de l'Acte uniforme obligera le juge à faire. Ce faisant on n'est pas à l'abri des difficultés d'interprétation. Un juge compétent pour octroyer l'exequatur d'une sentence peut faire l'option d'une interprétation stricte de l'article 34 et refuser d'appliquer les dispositions favorables de l'Acte uniforme en excipant du fait que l'article 34 impose simplement l'application des dispositions conventionnelles existantes. On risque alors de faire face à un conflit absurde entre les deux textes, l'un renvoyant à l'application de l'autre. Pour éviter ces éventuelles complications, n'aurait-il pas mieux valu autoriser purement et simplement l'application des dispositions de l'Acte uniforme sur l'exequatur aux sentences étrangères à l'espace OHADA ? Cette solution de simplicité suppose à l'avenir une abrogation pure et simple de l'article 34. Dans le cas contraire, les difficultés éventuelles pourraient tout au moins être atténuées par l'édiction d'un second alinéa à l'article 34, où seraient prévues des dispositions imposant au juge une interprétation in duce, permettant dans tous les cas l'application des conditions plus favorables à l'exequatur des sentences. Cette évolution nous parait nécessaire car les dispositions de l'article 34 résonnent en dissonance avec la démarche globalement entreprise dans l'édifice de l'Acte uniforme en faveur de l'efficacité des sentences arbitrales. La dernière série de difficultés entravant l'exécution des sentences est liée à l'immunité d'exécution des personnes publiques parties à l'arbitrage. * 216 Cette règle est notamment consacrée dans l'article 3135 du Code civil québécois en ces termes : « bien qu'elle soit compétente pour connaître d'un litige, une autorité du Québec peut exceptionnellement et à la demande d'une partie décliner cette compétence si elle estime que les autorités d'un autre Etat sont mieux à même de trancher le litige ». Pour des informations plus détaillées sur le principe de forum non conveniens v. Paul BEAUMONT, « Great Britain : forum non conveniens », Declining juridiction, p. 207et s. A. NUYTS, L'exception de forum non conveniens, Bruxelles, Bruylant, 2003, pp. 667. * 217 Charles ADAMS et Vanessa LIBORIO, « L'exequatur des sentences arbitrales étrangères aux Etats-Unis », JDI 2004 n°4 p.1165 et s. * 218 Monégasque de Réassurances SAM v. Nak Naftogaz, 158 F. Supp. 2d 377, 2007US. Dist. LEXIS 13152 (SDNY 2001). * 219 Telecordia Technologies Inc. v. Telkom SA Ltd., 2003 US Dist. LEXIS 23726 (DD Cir. 2003). * 220 Rappel : aux conditions de forme relevées dans les articles III, IV, et V précitées s'ajoutent celles de fond posées à l'art.V que nous avons examinées dans les lignes précédentes (cf. supra p.70). * 221 Ce principe de portée universelle est consacré dans la Constitution de la quasi-totalité des Etats parties à la Charte des Nations Unies. * 222Par exemple, la Cour européenne de Justice a, dans un arrêt rendu le 1er mars 2005, affirmé l'incompatibilité de la doctrine de forum non Conveniens appliquée en Grande Bretagne avec le régime uniforme de compétence européen instauré par la Convention de Bruxelles et le Règlement de Bruxelles I . Selon la juridiction européenne, ce régime uniforme de compétence « s'oppose à ce qu'une juridiction d'un Etat contractant décline la compétence qu'elle tire de l'article 2 de ladite convention au motif qu'une juridiction d'un Etat non contractant serait un for plus approprié pour connaître du litige en cause (...) ». (Cf. Aff. C- 281/2, Owusu v. Jackson). * 223 C'est nous qui soulignons. * 224 Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Côte d'Ivoire, Gabon, Guinée, Mali, Niger, Sénégal * 225 Pour les détails sur l'état de ces divers accords cf. P. MEYER, op. cit. p.73. * 226 Cf. P. G. POUGOUE et alii, Droit de l'arbitrage dans l'espace OHADA, Yaoundé, Presses universitaires d'Afrique, 2000 * 227 Cf. P. MEYER, « Commentaire de l'article 34 de l'Acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage », in OHADA, Traité et Actes uniformes commentés et annotés, 2e éd. , Paris, Juriscope 2002, p. 134. |
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