Pierre-Louis Gatineau
REP4D - TC1 0
Mémoire de fin d'études
Le 12 mai 2009
Musique Numérique
Sous la direction de Dominique Viandier
Sommaire
Sommaire 3
Introduction 5
I. L'industrie de la création musicale face aux
innovations technologiques 7
1 .1 Les rouages de la création musicale 7
1.1.1 Les principaux acteurs de l'industrie 7
1 .1 .2 Les types de relations contractuelles entre les acteurs
9
1 .1 .3 Les principales sociétés de gestion des
droits 1 0
1 .2 L'impact des mutations technologiques sur le marché
musical 11
1 .2.1 L'âge d'or de l'industrie du disque 11
1 .2.2 L'émergence de la technologie numérique
13
1 .2.3 La demande d'un contenu numérisé 16
1.3 La difficile adaptation de l'économie musicale
à l'ère numérique 20
1.3.1 Une offre commerciale qui tarde à se mettre en
place 20
1 .3.2 Un ensemble de dispositions protectionnistes 21
1 .3.3 Les stratégies de communication mises en oeuvre
23
II. Les noeuds d'une économie musicale sous
tension 26
2.1 Les trois facteurs explicatifs de la mise sous tension 26
2.1 .1 Un business model dominant à bout de souffle 26
2.1 .2 L'intervention classique du législateur
génère la division 30
2.1 .3 Internet, une nouvelle frontière culturelle ? 34
2.2 Le rôle joué par la communication dans une crise
de transition 37
2.2.1 Chronologie des discours de communication 37
2.2.2 Le Web, un nouveau canal d'expression 42
III. Des propositions de communication pour une
économie musicale
« plurielle » 44
3.1 La promotion de l'offre commerciale en ligne 45
3.1.1 Etat des lieux de l'offre commerciale 45
3.1 .2 Promouvoir l'offre commerciale par la communication 46
3.2 La promotion des offres alternatives : les offres «
libres » 48
3.2.1 Etat des lieux de l'offre « libre » 48
3.2.2 Promouvoir l'offre de musique libre par la communication
51
Conclusion 53
Remerciements 54
Bibliographie 56
Annexes 57
Annexe n°1 57
Annexe n°2 61
Annexe n°3 64
Annexe n°4 67
Annexe n°5 68
Annexe n°6 69
Annexe n°7 72
Introduction
Les années 90 ont vu apparaître un outil novateur
en matière de télécommunication. A l'origine
créé pour mettre en relation des aires d'expertises comme
l'armée et les universités, Internet va peu à peu donner
naissance à ce qui sera appelé le World Wide Web, un accès
mondialisé à la culture et à la connaissance. Très
vite intégré par les early adopters1, ce
canal dit de transmission et d'expertise va ouvrir le chemin vers un
comportement sociétal radicalement nouveau car dédouané
des frontières et des contraintes physiques. Puis se déploiera
une véritable dynamique de la dématérialisation de la
connaissance et de la culture, générant un ensemble de
réactions en chaîne dont la fulgurante propagation va
profondément modifier la nature des échanges entres les
individus. Avec la montée en puissance des technologies de l'information
et de la télécommunication, notre économie bascule dans
l'immatériel et la révolution de l'économie
numérique - opportunités pour les uns, menaces pour d'autres -
s'accompagne de stratégie de conquête ou de défense. La
confrontation des « infocapitalistes traditionnels »2 et
des « pronotaires » 3 décrite par Joël de
Rosnay4, va envahir la scène délibérative
publique où le législateur est sommé de produire de
nouvelles normes face à une tendance de fond en faveur de la
gratuité qui affecte les échanges de biens culturels : «
Nous ne sommes plus seulement dans une économie de marché, mais
d'une économie avec marché, doublée d'une économie
de la « gratuité » 5 ».
1 Du français « adopteurs précoces
», terme sociologique qui désigne un groupe d'individus
jugés « à l'affut » des nouveautés.
2 Détenteurs des moyens de création, de
production et de diffusion de contenus informationnels dits
«propriétaires».
3 Usagers des réseaux numériques.
4 ROSNAY, Joël, « La révolte du
pronétariat », Editions Fayard & Creative Commons
http://www.pronetaire.com/livre/
5 LEVY, Maurice & Jean-Pierre Jouyet, «
L'économie de l'immatériel »,
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000880/0000.pdf
L'industrie musicale se tourne vers l'Etat pour lui demander
protection et met en place des plans médias mobilisant les ressorts
d'une communication classique fondée sur le tripode : globalisation,
dramatisation, simplification. Dans ce contexte, l'actualisation des
dispositifs de lutte contre le téléchargement illégal est
présentée comme la réponse efficace à la
dynamisation de la création musicale française dans
l'économie numérique.
Dès lors, entrés dans ces terres nouvelles et
pleines de turbulences, les acteurs de l'écosystème de
l'immatériel musical sont faces à la problématique
suivante :
« Comment la communication peut-elle accompagner
l'évolution des pratiques de diffusion et de consommation des oeuvres
musicales à l'heure du développement d'Internet tandis que
l'industrie musicale paraît empêtrée dans un modèle
commercial en crise ? »
L'étude de cette problématique va se
dérouler selon trois phases :
- Premièrement, nous procèderons à
l'état des lieux de l'industrie de la création musicale face aux
innovations technologiques ;
- Deuxièmement, nous nous attacherons à
l'exploration des noeuds de cette économie musicale sous tension ;
- Enfin, nous tenterons de dégager des propositions de
communication pour une nouvelle économie musicale « plurielle
».
I- L'industrie de la création musicale face aux
innovations technologiques.
Pour saisir toute la complexité de la relation entre la
création musicale et sa consommation, il est nécessaire de
comprendre le fonctionnement de l'industrie créative et ses
interrelations entre son public et son environnement. Façonné par
une histoire riche en événements, le business model de
l'industrie de la création musicale a connu de grands succès mais
aussi de rudes épreuves. A l'heure actuelle de profondes tensions sont
manifestes dès que le sujet de la création musicale est
abordé dans le débat public. La compréhension de ce
débat nous conduit à repérer les rouages de la
création musicale, puis à mesurer l'impact des mutations
technologiques sur le marché musical et enfin à montrer la
difficile adaptation de l'économie musicale à l'ère
numérique.
1 .1 Les rouages de la création musicale
1 .1 .1 Les principaux acteurs de l'industrie
L'univers de l'industrie musicale s'apparente à celui
de la publicité : d'un côté les créatifs, de l'autre
les commerciaux. Pour comprendre le fonctionnement de l'industrie musicale, il
faut donc identifier ses acteurs et leurs interrelations. Les fonctions de ces
acteurs impliqués dans la chaîne de création musicale
peuvent être tantôt assurées de façon distincte
tantôt de façon cumulée pour partie ou totalité.
Elles se présentent comme suit :
L'artiste (auteur, compositeur,
interprète) - L'Unesco propose une définition ouverte et
de référence de l'artiste :
« On entend par artiste tout personne qui crée
ou participe par son interprétation à la création ou
à la recréation d'oeuvres d'art, qui considère sa
création artistique comme un élément essentiel de sa vie,
qui ainsi contribue au développement de l'art et de la culture, et qui
est reconnue ou cherche à
être reconnue en tant qu'artiste, qu'elle soit
liée ou non par une relation de travail ou d'association quelconque.
»
En d'autres termes, l'artiste crée, partage et vit de son
art.
Le producteur (record producer) - La gestion
de l'enregistrement sonore de l'oeuvre est la mission du producteur. Il peut
faire appel à plusieurs contributeurs (ingénieur son,
réalisateur artistique, etc.) qui épaulent l'artiste lors de
l'enregistrement de son oeuvre. « Le travail d'orfèvre »
réalisé, les premières maquettes sont
créées. L'enregistrement peut-être géré par
un prestataire indépendant mais il est généralement
assuré par le label.
Le Label (executive producer) - Peu importe la
taille de sa structure, qu'il soit indépendant ou qu'il appartienne
à un collectif, un Label est avant tout un éditeur dont la
vocation est de rendre accessible la nouvelle création. Après
avoir passé un contrat avec l'artiste (Cf. contrats d'artistes), le
label prendra en charge le pressage des albums (copies), la promotion de
l'oeuvre (marketing & communication), et sa distribution. En fonction du
contrat, c'est au Label que revient la décision du nombre d'albums
à enregistrer, le choix du réalisateur artistique, les
tournées à effectuer, etc. Le label peut céder, contre
rétribution, l'artiste et sa production à une major.
La major - Lorsque l'on évoque
habituellement les « majors » on désigne les quatre grandes
maisons de disques qui se partagent près de 75 % du marché
mondial de l'industrie du disque : Universal Music Group, Sony-BMG, EMI Group
et Warner Music Group. Une major est un label comme les autres. Elle peut
signer directement avec un artiste mais aussi, contrôler d'autres labels
(devenant alors des « sous-labels »). Une major prend de plus grands
risques qu'un label classique car elle a la capacité d'injecter des
sommes d'argent plus importantes dans la promotion de l'artiste (marketing et
communication) et ses capacités de production (pressage de disques) sont
plus grandes et donc plus rentables que celles d'un label classique. Une major
assure généralement la production de l'oeuvre, sa promotion et sa
distribution.
Le circuit de distribution - Les
distributeurs assurent la vente en gros du support physique et numérique
des oeuvres aux détaillants : grandes surfaces alimentaires (GSA),
grandes surfaces spécialisées (GSS) et circuits alternatifs
(Internet, vente à distance, etc.).
1 .1 .2 Les types de relations contractuelles entre les
acteurs
Nous distinguons généralement quatre types de
contrats :
Le contrat d'artiste - Le contrat d'artiste
lie l'artiste à son producteur. C'est généralement ce que
les maisons de disques ou les labels proposent. Ils prennent en charge la
production, la fabrication, la promotion et la distribution. L'artiste
interprète est rémunéré sous forme de royalties
(entre 5 et 10%) calculées sur les ventes de disques. Le producteur
reste propriétaire des bandes.
Le contrat de licence - Le contrat de licence
lie un producteur à un éditeur ou un distributeur. Ceux-ci
financent la fabrication, la promotion et la distribution sur une
période déterminée. Le producteur finance, bien sûr,
la production et rémunère les artistes. Il perçoit entre
20 et 25 % de royalties sur les ventes.
Le contrat de distribution - Le contrat de
distribution lie le producteur à une société de
distribution. Celle-ci se charge de la mise en place des disques en magasin
moyennant une commission d'environ 40%. La rémunération de
l'artiste et la promotion sont à la charge du producteur.
Le contrat d'édition - Le contrat
d'édition lie l'auteur/compositeur à un éditeur. Les
éditeurs ont pour fonction de faire " travailler " les oeuvres :
recherche d'un interprète, d'un contrat, placement, compilations,
synchro... Leurs sources de revenus sont les droits d'auteurs que leur
cèdent les auteurs/compositeurs à hauteur de 50% et qui leurs
sont reversés par la SACEM.
Il peut exister des interactions entre ces différents
types de contrats. Dans le cas d'un contrat d'artiste signé avec un
label, celui-ci aura sûrement de son côté signé un
contrat de distribution ou de licence. Les contrats étant
négociables par nature, il n'existe donc pas de réel contrat
type.
1 .1 .3 Les principales sociétés de gestion
des droits (SPRD)
En France, les principaux organismes de collecte et de
rémunération des artistes concernés sont les suivants :
SDRM - Société pour
l'Administration du Droit de Reproduction Mécanique des auteurs,
compositeurs et éditeurs. Créée en 1935, la SDRM a pour
objet d'autoriser la reproduction mécanique des oeuvres des auteurs,
compositeurs et éditeurs sur supports phonographiques,
vidéographiques ainsi que par les radios, et les
télévisions..., de percevoir et répartir les redevances
correspondantes.
SACEM - Société des auteurs,
compositeurs et éditeurs de musique. La Sacem a pour vocation de
protéger, représenter et servir les auteurs, compositeurs et
éditeurs de musique ainsi que la création musicale. Elle compte
116 000 sociétaires dont 15 000 étrangers. Acteur innovant pour
une gestion des droits efficace, elle a pour mission essentielle de collecter
les droits d'auteur et de les redistribuer. Forte d'un répertoire
majeur, elle le valorise en France et dans le monde et encourage ainsi la
diversité culturelle. En 2007 la SACEM a collecté près de
760 millions d'euros.
ADAMI - Administration des droits des
artistes et musiciens interprètes. L'Adami gère les droits de
plus de 60 000 artistes-interprètes dont plus de 22 000 associés
(comédiens, chanteurs, musiciens, chefs d'orchestre, danseurs...) et
consacre une partie des droits perçus pour l'aide à la
création, à la diffusion et à la formation. En 2007
l'ADAMI a collecté près de 52 millions d'euros.
COPIE France - Crée en 1986, la
société de perception de la rémunération pour la
copie privée audiovisuelle a pour mission de percevoir et de
répartir entre ses associés la rémunération pour la
copie privée audiovisuelle. Cette perception est effectuée
auprès des fabricants et importateurs de supports d'enregistrement
vierges (CD/DVD, et tout autre support de données
numérisables).
1 .2 L'impact des mutations technologiques sur le
marché musical
Au commencement la musique était enregistrée sur
un cylindre et devint « transportable ». Puis, 1 0 ans plus tard,
Columbia6 et Victor7 se partageaient le marché de
la musique enregistrée aux États-Unis. Mais face aux
propriétés supérieures du disque de Victor et de son
lecteur, le Victrola, la société d'Edison ne survivra pas.
Dès lors, le marché va s'ouvrir et
s'étendre, les coûts de production des disques et lecteurs vont
diminuer et l'industrie du phono graph8 va connaître
sa première phase de forte croissance (pour l'époque). Seulement
voila, au cours de années 1920, la radio fait son apparition aux
Etats-Unis. Menacée par la diffusion gratuite de la musique sur les
ondes, l'industrie musicale va, pour la 1 ère fois, exercer une pression
sur les autorités Américaines afin d'obtenir des radios qu'elles
ne puissent pas diffuser de musique...
De nouveaux supports virent le jour, après le disque du
phonograph vint le vinyle en 78 tours, puis en 33 tours. Des
sociétés furent créées, d'autre détruites,
telle que le veut la règle du marché, jusqu'à
dévoiler le monde de l'industrie musicale que nous connaissons
aujourd'hui, une industrie qui doit, à nouveau, faire face à son
époque.
6 Naissance du phonographe - cylindre - de Thomas
Edison en 1877 développé par la société Columbia
Phonograph Company en 1 888.
7 Apparition du gramophone - disque - d'Emile Berliner
produit par la Victor Talking Machine.
8 Entendre ici le gramophone de Berliner, terme
employé par les européens car les Américains continuent
d'utiliser le terme phonograph.
1 .2.1 L'âge d'or de l'industrie du disque
Nous sommes en France, en 1970, le vinyle (78 et 33 tours)
connaît une forte ascension. Ses ventes en volumes atteignent un pic de
près de 80 millions d'unités 1980 avant d'entamer une chute
vertigineuse jusqu'à la (quasi) disparition du support dès
1992.
Pour les experts, la chute des ventes de 1980 est liée
à un contexte économique défavorable, à l'essor
d'autres loisirs concurrents (jeux vidéo), et au système du 1 00%
return permettant au revendeur final de renvoyer les invendus aux
éditeurs.
Mais pour l'industrie, la réponse vient d'ailleurs. La
cassette audio qui connaît une ascension plus modérée
représente tout de même une révolution du genre. Il devient
possible de copier la musique sur cassette (vinyle / radio vers cassette) et
l'écouter en mobilité grâce au walkman son lecteur.
L'industrie musicale fulmine contre la copie sur cassette jugée
responsable de la baisse des ventes.
Signalons que des études américaines
indiqueront déjà que les utilisateurs de cassette qui copiaient,
achetaient aussi abondamment, constat que nous retrouverons par la
suite avec la copie numérique.
Mais c'est avant tout le CD qui va connaître une
ascension fulgurante et, jusque dans les années 2000, il est
considéré comme le support le plus populaire.
Il est intéressant de constater qu'entre la chute du
vinyle et l'ascension du CD, les ventes en volume d'albums ont connu une
période de baisse entre 1 982 et 1 988. Cette chute des ventes
s'explique sans difficulté par la nécessaire
réorganisation de l'industrie musicale qui prendra plusieurs
années avant que les ventes ne retrouvent leur niveau
antérieur pour ensuite, jusqu'en 2002, connaître la plus
forte ascension jamais vécue par l'industrie musicale : plus de 160
millions d'unités vendues. Les années suivantes vont apporter au
support CD un rival de taille.
1 .2.2 L'émergence de la technologie
numérique
Révolution informatique oblige, la numérisation
du contenu d'un support physique devient possible et accessible à un
nombre croissant de consommateurs. Couplé à une toute nouvelle
technologie d'information, d'échange, et de communication : Internet, la
consommation des oeuvres musicales va prendre une autre tournure... Dans un
premier temps nous verrons l'émergence des nouvelles pratiques
liées à l'apparition de la technologie informatique puis, dans un
second temps, celles liées au développement d'Internet.
L'ère de la numérisation
A partir des années 1990 les ménages commencent
peu à peu à s'équiper. De 1 996 à 2004, le taux
d'équipement des ménages français en micro ordinateurs
triple passant de 1 5% à 45%.
Le micro ordinateur devient un outil professionnel puis de
loisir
incontournable et en 2006, trouve sa place auprès d'un
ménage sur deux. L'engouement des jeunes pour cette nouvelle technologie
est immédiat. Leur demande, essentiellement en matière de jeux
vidéo, propulse l'offre vers des micros ordinateurs de plus en plus
puissants pour un prix toujours plus attractif. Le coût des graveurs de
CD diminue jusqu'à équiper les ordinateurs
en série... Chez les jeunes, les échanges
massifs de CD musicaux, copiés depuis des originaux grâce au micro
ordinateur familial, font florès dans les collèges et
lycées. Les ventes de baladeurs CD explosent. Peu de temps après,
Internet vient compléter ce qui sera à l'origine du «
cauchemar » de l'industrie du disque.
Taux d'évolution d'équipement en
informatique et accès à Internet des ménages
français. Source : INSEE
L'avènement d'Internet
Jusqu'alors, l'impact de la numérisation était
relativement faible sur les ventes de disques. En parallèle, dans les
années 1995, Internet devint accessible pour les foyers aisés
déjà équipés en informatique. Grâce à
un modem permettant de se connecter à Internet par les lignes
téléphonique « le 56K », le 1èr
protocole de chat apparaît : Internet Relay Chat (IRC) permis aux
internautes de créer des « cybers salons » de discussion.
Grâce à ce système, les internautes pouvaient communiquer
entre eux mais aussi échanger des fichiers. Les 1 ers
morceaux de musique numérisés puis compressés au format de
fichier MP3, commencent alors à circuler.
Par la suite apparaîtra NAPSTER, le 1 er
logiciel de partage de fichiers basé sur le principe du
pair-à-pair9, créé en 1999 par Shawn Fanning un
adolescent américain. Rapidement poursuivi par l'industrie musicale,
NAPSTER dut fermer (par la suite NAPSTER sera racheté et offrira un
service payant). Dans le même temps, des clones de NAPSTER tels que
GNUTELLA, KAZAA, EMULE, BITTORENT, développés aux quatre coins du
monde, toujours plus puissants, plus rapides, attirent un nombre grandissant
d'adeptes. Une nouvelle génération d'échange va
naître. Chaque internaute apportant son lot de données
numériques, une bibliothèque musicale colossale mutualisée
va apparaître sur la toile. Une offre inégalable donnant
accès, en quelques clics et gratuitement, à des dizaines de
millions d'albums, de remix et autres compositions quasi introuvables dans le
commerce. Un tout nouveau circuit de distribution, le plus attractif au monde,
voit le jour sur le Net. Selon l'International Federation of the Phonographic
Industry (IFPI) en janvier 2004, le nombre de fichiers musicaux disponibles sur
les réseaux P2P est estimé à 800 millions10.
Réseau type « pair-à-pair » Réseau
type « client-serveur »
Source : Wikipédia
9 Peer to Peer en anglais (P2 P) : Modèle de
réseau informatique qui s'oppose strictement au modèle de
réseau type « client-serveur ». Les internautes mettent en
partage des fichiers préalablement stockés sur leurs ordinateurs.
Ces fichiers deviennent accessibles à tous ceux qui disposent d'un
logiciel permettant de se connecter à un réseau P2P.
10 Les données étant mutualisées,
il peut y avoir plusieurs copies d'un même fichier.
Dès 2003, Internet devient accessible à tous
pour une trentaine d'euros par mois. Dès lors, l'échange non
autorisé d'oeuvres protégées par droits d'auteurs et
droits voisins devient pratique courante pour plusieurs millions d'internautes
français. A ce moment précis, la chute des ventes de CD devint
palpable.
Source : Observatoire de la
musique
En l'espace de 5 ans, les ventes de support CD vont chuter de
50% soit une baisse de 140 millions d'unités à 70 millions
d'unités en 2008. « 70 millions » c'est le score qu'affichait
le vinyle dans les années 1980, presque 30 ans plus tôt avant de
s'effondrer. (N.b. Nous analyserons précisément le lien entre
l'accroissement des échanges pair à pair et la chute des ventes
de CD dans la partie II de ce mémoire).
1 .2.3 La demande d'un contenu numérisé
A l'image du phonographe, du vinyle et de la K7, la
disparition du support CD semble inéluctable. Dans une logique
historique, on peut se demander alors, quel sera le support physique qui
viendra en remplacement ? Probablement aucun, c'est en tout cas l'avis de
Patrick Waelbroeck. Ce dernier nous explique11 que la
dématérialisation du support des oeuvres musicales va
profondément modifier la nature même de l'échange.
L'arrivée du numérique et d'Internet fait écho à
une nouvelle demande de la part des consommateurs, la demande pressante d'un
produit numérisé, dématérialisé,
c'est-à-dire déconnecté de tout support physique,
facilement transportable, échangeable, un produit qui s'adapte à
leur nouveau mode de vie. De là, de nouvelles règles de jeu en
matière de consommation des oeuvres musicales devraient
apparaître.
Des pratiques qui évoluent de façon
exponentielles
Si certains pouvaient espérer acquérir et
stocker des milliers d'albums sur supports physiques, malgré le
coût et l'encombrement liés au stockage, la bibliothèque
numérique devient désormais accessible à tous. De fait,
l'internaute va pouvoir en quelques heures, disposer à distance des
titres, albums, discographies complètes d'artistes. Une fois
téléchargées depuis P2P puis stockées sur un disque
dur ou baladeur multimédia, l'utilisateur peut accéder
instantanément à un volume plus considérable d'oeuvres
musicales qu'il n'aurait jamais pu se procurer bien qu'il n'en fera jamais
usage en totalité.
Une tendance innovante se dégage : l'engouement pour le
stockage semble s'effacer au profit d'une nouvelle vision de
l'instantané : le flux multimédias
11 Cf. annexe n°2 p.61, interview de Patrick
Waelbroeck, professeur associé à l'Ecole Nationale
Supérieure des Télécommunications (ENST).
continus12. Les fichiers sont stockés sur de
puissants serveurs et sur P2P et mis à disposition directement sur la
toile, les citoyens français, connectés à Internet jusque
dans la rue via leurs ordinateurs portables et téléphones
mobiles, peuvent accéder à un contenu sans avoir à le
télécharger préalablement. Il n'est dès lors plus
utile de stocker des données puisque ces dernières sont devenues
accessibles immédiatement.
Economie Monde
Les frontières des réseaux P2P s'étendent
bien au-delà de l'hexagone. Le phénomène est mondial et
c'est ce qui fait toute sa richesse en termes de volume. Les données
numériques stockées sur les ordinateurs des particuliers,
contribuant à alimenter les réseaux P2P, sont
émiettées ça et là, elles le sont aussi dans le cas
des serveurs publics de stockage. Ces puissants ordinateurs
hébergent13 et mettent à disposition un contenu
pourtant protégé par le droit français, protection
inapplicable lorsque ces serveurs sont localisés par exemple en
Corée, au Pakistan, etc.
Ainsi la mondialisation du phénomène vient
accélérer un processus qui n'a guère mis plus de 3
années à se mettre en place. La complexité portée
par delà les frontières n'a fait qu'accroître les
difficultés de l'industrie face au rôle grandissant joué
par les internautes « pirates » sur l'aire de jeu de
l'économie réelle.
Des marchés dynamiques « boostés
» par ces pratiques
Ces pratiques de consommation et d'échange des oeuvres
musicales ont largement été soutenues par l'émergence de
nouveaux marchés :
12 Streaming en anglais. Les fichiers peuvent
être stockés sur les ordinateurs des internautes (P2P) et sur des
serveurs (client-serveur). Le streaming permet d'accéder à un
fichier (vidéo - musique - texte) sans avoir à le
télécharger entièrement. Une copie temporaire est
cependant effectuée sur la machine de l'utilisateur.
13 Réseau de type « client-serveur
» Les internautes transfèrent (upload) un fichier
numérisé vers un serveur de stockage. Le lien (adresse web) qui
mène au fichier est généré, les internautes mettent
à disposition ce lien. Il ne reste plus qu'à cliquer dessus pour
accéder au fichier transféré.
- Les fournisseurs d'accès à Internet (FAI)
tirent des bénéfices colossaux de ce nouvel engouement pour les
échanges sur le web. Bertrand Le Gendre nous explique14 la
façon dont les FAI ont fait campagne, indirectement, pour engranger tous
les « bénéfices » de leurs offres en matière de
connexions Internet toujours plus rapides et performantes, offrant des
possibilités infinies en matière d'accès aux oeuvres
musicales sur Internet (via la seule offre en ligne à l'époque,
le P2 P).
- Le marché des supports de stockage (disque dur,
CD/DVD vierges, clefs USB, etc.) et celui des lecteurs multimédia (Ipod,
Archos, etc.) connaissent une progression fulgurante.
- Les opérateurs de téléphonie mobile
proposent le téléchargement de sonnerie, l'accès aux
forfaits pour télécharger des titres musicaux de façon
illimitée transformant les téléphones mobiles en lecteur
multimédia. Aujourd'hui, grâce à une connexion
illimitée à Internet depuis son mobile, l'utilisateur peut
écouter gratuitement de la musique en ligne via des plateformes Internet
basées sur le flux streaming offrant un accès instantané
aux catalogues complets des 4 grandes majors, soit plus d'une dizaine de
millions de titres.
- Le marché publicitaire est lui aussi fortement
dynamisé. Les plateformes de streaming comme Deezer rétribuent
des droits d'auteurs aux organismes de
14 Cf. annexe n°3 p.64, interview de Bertrand Le
Gendre Chroniqueur Editorialiste au Monde
collecte. L'accès aux oeuvres étant donc
légal et gratuit pour l'internaute, Deezer trouve son financement
grâce à la publicité.
1.3 La difficile adaptation de l'économie
musicale à l'ère numérique
1.3.1 Une offre commerciale qui tarde à se mettre en
place
Face à cette demande de musique
dématérialisée, accessible immédiatement à
moindre coût (voire nul) l'industrie du disque (les 4 grandes majors et
les labels indépendants), qui avait - pendant des décennies -
tiré des profits colossaux grâce au support physique, semble
déstabilisée et se heurter à la difficulté
d'appréhender un avenir maîtrisable de la consommation. La
dépréciation du support CD, fondement du business model de
l'industrie depuis plus de 20 ans, associée aux échanges massifs
et « sauvages » des oeuvres protégées ne tardera pas
à remettre en question son organisation. Cependant, on constate depuis
2004 l'émergence d'une offre commerciale sur Internet. Trop timide pour
compenser la chute du CD, cette offre s'est enrichie au fil des années
pour proposer des ventes à la carte et abonnements sur Internet (42% des
ventes) et téléphonie mobile (58% des ventes).
Taux d'évolution de l'offre commerciale
physique et en ligne du marché musical Source : SNEP (Syndicat
national de l'édition phonographique)
Un cadre juridique « inadapté »
?
Longtemps protégés par le système des
droits d'auteurs et des droits voisins, les acteurs de l'industrie musicale se
sont rapidement employés à obtenir des ajustements juridiques
pour se protéger de la « menace numérique ».
Estimant que le développement des pratiques de
consommation porte atteinte aux droits des auteurs et complique la mise en
place d'une offre commerciale en ligne, le législateur français
s'est engagé dans la voie « hasardeuse » de la construction
d'un arsenal juridique complexe. Au préalable nous examinerons en quoi
consiste le régime juridique actuel puis nous décrirons les
évolutions annoncées faisant débat.
1 .3.2 Un ensemble de dispositions protectionnistes
Les droits d'auteurs et droits voisins
- La Loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la
propriété littéraire et artistique est le texte
fondamental régissant les droits d'auteurs en France. Toute oeuvre
intellectuelle appartient à un auteur qui peut choisir souverainement de
sa diffusion pendant un temps donné.
- La loi n°85-660 du 3 juillet 1 985 est relative aux
droits dits voisins des droits d'auteurs. Les artistes interprètes
jouissent à présent d'un droit exclusif qui leur donne la
possibilité d'autoriser ou d'interdire l'utilisation et l'exploitation
de leur prestation et de prétendre à une
rémunération en contrepartie de leur autorisation.
Les droits d'auteurs et les droits voisins sont
protégés pénalement : toute reproduction ou
représentation d'une oeuvre sans l'autorisation de son auteur est un
délit spécifique de la contrefaçon, punie de trois ans de
prison et 300.000 euros d'amende. La loi prévoit cependant plusieurs
exceptions à ce principe, notamment le droit à la copie
privée.
Le droit d'exception à la copie
privée.
La copie privée est une exception au droit d'auteur
français. L'exception de copie privée autorise une personne
à reproduire une oeuvre de l'esprit pour son usage privé. L'usage
privé implique l'utilisation de la ou des copies dans le cercle
privé, notion incluant la famille et les proches. C'est par exemple,
faire une copie d'un CD audio pour emporter dans la voiture sans crainte
d'abîmer ou de se faire voler l'original. Le droit à la copie
privée suppose le paiement d'une taxe sur l'achat de tous les
consommables et appareils permettant de stocker des données
numériques (CD/DVD vierge, clés usb, mémoire flash, disque
dur etc...). Cette taxe est redistribuée au profit des ayants droits par
les organismes spécialisés.
Les dernières initiatives du
législateur
Incité par les puissants lobbys de l'industrie musicale
à légiférer dans la régulation des échanges
non autorisés sur Internet, l'Etat décide d'adopter dans
l'urgence des mesures destinées à condamner les échanges
illégaux via P2 P.
Le 1er août 2006 est votée la loi
DADVSI (Droit d'Auteur et Droits Voisins dans la Société de
l'Information) à la suite de débats virulents. Destinée
à protéger les droits des artistes, cette loi condamne, au titre
de contrefaçon, toute personne qui met à disposition et
télécharge via logiciel P2P, un contenu protégé par
des droits d'auteurs. A cette époque, près de 9 millions
d'internautes français sont recensés au titre de « pirates
». Devant l'impossibilité d'appliquer la--dite sanction, la
chancellerie adressera au parquet une circulaire pour inviter les juges
à l'indulgence, c'est-à-dire, ne pas appliquer la loi.
Bien décidé à sauvegarder le business
model de l'industrie musicale, le législateur poursuit ses actions
répressives en vue d'endiguer tout ou partie des échanges P2P,
considérés comme des actes de « vols à
l'étalage ». C'est ainsi que le 23 novembre 2007, le
Président de la république, Nicolas
Sarkozy, confie à Denis Olivenne (à
l'époque PDG de la FNAC) la mission15 de lutte contre le
téléchargement illicite et le développement des offres
légales d'oeuvres musicales, audiovisuelles et
cinématographiques. Le projet de loi « Création et Internet
» dit HADOPI voit le jour. Après avoir été
voté par le sénat le 31 octobre 2008 en commission mixte
paritaire, le texte est rejeté à l'assemblée nationale. Il
est représenté le 12 mai 2009. Ce texte de loi garantit une
alternative « pédagogique » à la loi DADVSI, en donnant
pouvoir à une autorité administrative indépendante de
contrôler les échanges illégaux sur Internet et de
sanctionner les contrevenants dans une logique dite « de riposte
graduée » : envoi de mails de mise en garde puis d'un courrier
recommandé annonçant une possible coupure de l'accès
à Internet allant de 2 mois à 1 an si le « pirate » ne
cesse pas son activité illégale. Cette loi doit compléter
le dispositif précèdent (DADVSI).
1.3.3 Les stratégies de communication mises en
oeuvre
Le débat public ainsi ouvert par la recherche de
nouvelles réponses législatives met en évidence des
stratégies de communication qui globalement s'inscrivent dans une
continuité de discours et de pratiques. Pourtant, l'apparition de
nouveaux modes de communication, véritables canaux d'expression
portés par Internet, vient accroître la diversité des
acteurs du débat public.
L'industrie communique
Déjà en 1980, alors que la K7 permettait de
réaliser des copies privées, l'industrie musicale avait
réagit, soutenant la thèse dommageable de la copie sur la
santé du secteur musical. C'est ainsi que la première campagne
de
15 Ministère de la culture et de la
communication, « le développement et la protection des oeuvres
culturelles sur les nouveaux réseaux, novembre 2007,
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/indexolivennes231
1 07.htm
sensibilisation en direction du public est menée aux
Etats-Unis par la Recording Industry Association of America (RIAA) sous le
slogan « Home Taping Is Killing Music » (« les copies sur
cassettes tuent la musique »). Dès cet instant, l'industrie
revendique une taxe sur les supports vierge d'enregistrement.
Aujourd'hui en France, l'histoire se répète.
Voyant chuter les ventes de sa meilleure source de revenu, le support CD,
l'industrie du disque s'est empressée de fustiger les réseaux P2P
et leurs adeptes.
Des nombreuses campagnes16 de communication
média ont été réalisées, diffusées en
affichage, presse, sur les écrans de télévisons et de
cinéma. Elles relayent un message répressif en assimilant le
téléchargement illégal à du vol à
l'étalage qui expose le contrevenant aux peines réprimant le
délit de contrefaçon.
L'Etat soutient l'industrie
Dans le même temps, le législateur prend lui
aussi position en légiférant contre le
téléchargement illégal (DADVSI) Mais ce n'est qu'avec le
projet de loi « Internet et Création » que le gouvernement va
mettre en oeuvre un plan de communication visant à obtenir l'appui de
l'opinion en recourant au Web avec la création du site «
jaimelesartistes.fr ».
Observons qu'entre la dernière campagne présidentielle
française et l'entrée à la maison blanche de Barak Obama,
le Web a très largement prouvé qu'il était devenu un outil
innovant, incontournable dans une campagne de communication politique.
Représenté par la ministre de la culture et de
la communication Christine Albanel, le gouvernement relaye le message à
travers la presse, la radio, les émissions de TV. Ce message y est plus
modéré que DADVSI mais reste considéré comme un axe
répressif à l'encontre de celui qui est toujours
déclaré « pirate » aux yeux du monde.
16 Cf. annexe n°6 p.70, « visuels des
campagnes de communication média ».
Internet et le « marché des opinions
»
Il suffit de taper « HADOPI » « Création
et Internet » sur Goog le17 pour prendre la température
du web. N'est-elle pas devenue une immense place publique, cette toile sur
laquelle chaque noeud est un socle regroupant un groupe d'opinions ? Des
opinions solidement étayées aux assertions incantatoires, les
débats se répètent sur l'ensemble des grands sites
d'informations des quotidiens nationaux (Le monde, Libération, Les
échos etc.), des sites d'information générale (Numerama,
Pcinpact, commentçamarche, lejournaldunet, etc.), des Blog et autres
relais médias du Web français. Chaque noeud connecté les
uns aux autres, les opinions volent sur cette grande scène du
débat démocratique. Mais sur le Web 2.0, le ton du discours n'est
clairement pas le même que celui de l'industrie ni de l'Etat. En
matière de réaction citoyenne, le buzz a très largement
été utilisé pour relayer les films, caricatures et autres
créations des internautes : « Le CD est mort, c'est à
l'industrie de s'adapter ». Une réelle fracture apparaît
désormais entre l'industrie musicale et les consommateurs de la «
planète numérique » où ces derniers s'imposent de
plus en plus comme des acteurs incontournables de l'économie
réelle.
Ainsi, cette présentation de l'ensemble des acteurs, de
leurs interrelations, des stratégies de communication utilisées
met en évidence le contexte dans lequel s'est développée
la redondance du discours dominant - provisoirement ? - apportant la
répression pour seule réponse au changement.
L'industrie musicale s'est façonnée un business
model au fil du temps, connaissant tantôt l'age d'or, tantôt des
périodes de crise. Face à ces difficiles adaptations, ce business
model a systématiquement subi le comportement changeant des
consommateurs sans anticiper sur les effets prévisibles des mutations
technologiques. L'ère de la numérisation et d'Internet est un
nouveau défi pour l'industrie. En privilégiant les mesures
protectrices, l'industrie épaulée par le législateur
semble ignorer les leçons du passé. Aussi se trouve- t-elle
enfermée dans un système bloqué marqué par un
décalage entre l'univers communicationnel public et l'économie
réelle !
17 HADOPI : 12 300 000 pages contre 377 000 pour
DADVSI.
II. Les noeuds d'une économie musicale sous
tension
La consommation numérique comme nous venons de le voir,
secoue l'économie musicale. Aussi, le moment est-il venu de
repérer les noeuds qui expliquent comment cette situation s'est
cristallisée, ce qui va nous conduire dans un premier temps à
distinguer trois types de facteurs explicatifs et dans un deuxième
temps, à approfondir le rôle joué par la communication dans
une crise qui ne pourrait être qu'une crise de transition.
2.1 Les trois facteurs explicatifs de la mise sous
tension
Le premier, d'ordre économique, s'intéresse au
business model à bout de souffle de l'industrie musicale.
Le second retient l'intervention classique du législateur
source de division.
Le troisième d'ordre culturel portera sur
l'affrontement de deux visions sociétales : d'un côté une
définition traditionnelle des échanges culturels impliquant un
coût pour le consommateur final, de l'autre les partisans d'un monde
où l'accès à la culture serait libre pour tous (gratuit
pour le consommateur final).
2.1 .1 Un business model dominant à bout de
souffle
Le business model de l'industrie au service des 4 grandes
majors, (se partageant 75% du marché musical mondial), se
présente, nous l'avons vu, comme un système d'une grande
complexité. A cela s'ajoute qu'aujourd'hui il paraît à bout
de souffle, aussi le voit-on chercher à gagner du temps pour poser les
fondements d'un système concurrentiel actualisé et plus
performant. La situation de crise qu'il connaît s'explique par un double
mouvement :
- Le premier selon lequel une poignée de genres
musicaux dit « facile à vendre » assure le gros des revenus
nécessaires à la production des genres plus difficiles.
Grâce à une mécanique « bien huilée » de
promotion marketing et distribution industrialisée à forte
économie d'échelle, ces « vaches à lait musicale
», constituent la pierre angulaire du business model. Pour exemple
concret, les 2/3 de la programmation musicale des radios FM « jeunes
» (Fun Radio, NRJ, Skyrock, ...) sont construit autour d'une quarantaine
de titres ! C'est d'ailleurs et sans aucun doute le plus grand reproche que
l'internaute peut faire à l'industrie du disque : industrialiser une
création de plus en plus déconnectée des attentes de son
public. L'arrivée d'Internet court-circuite cette vision à sens
unique de l'industrie musicale. Dégagé de l'influence des
médias traditionnels (radio TV), l'internaute peut désormais
occulter les effets du « star system ».
- Le second est lié à la notion de support
défini en première partie. Le process économique de
l'industrie est encore principalement tributaire de l'aspect physique du
support. Concrètement, si un ami vous emprunte un CD acheté dans
les bacs, vous ne pourrez plus vous en servir, idem si vous le perdez ou s'il
s'abîme. La numérisation du support a été la
première épine de l'industrie. Duplicable à l'infini, le
« produit culturel » une fois numérisé est fatalement
dépourvu de toutes ses variantes mercatiques : Packaging, coffret
collector, bonus... Ce qui, jadis, faisait toute la valeur du support physique
s'est « dématérialisé ».
Une crise oui, mais pas celle que l'on pense
« La crise ? Quelle crise ? » Pour l'association de
consommateur « UFC Que Choisir », si l'industrie du disque traverse
effectivement quelques turbulences, elle est loin d'être
condamnée. C'est en tout cas ce qu'attestent les résultats d'une
des majors Universal Music France. Pour l'instant le secteur musical affirme
que les revenus de l'offre légale sur Internet ne parviennent pas
à équilibrer les pertes sur les ventes du CD. Mais elle oublie de
préciser que les
coûts de production et de distribution des oeuvres
numériques sont nettement moins importants.
(en millions d'euros)
Finalement, la situation serait même relativement
simple. Le CD devient obsolète, l'industrie élargit - tardivement
- son offre vers des modèles économiques alternatifs (offre
légale sur Internet). Le temps de leur mise en marche, ces nouveaux
modèles ne constituent pas encore une rente de situation aussi forte que
celle du CD mais l'avenir de ce modèle alternatif est
inéluctable.
Tera Consultants Equancy & Co tente de démontrer
l'impact négatif du téléchargement illégal via P2P
sur la vente de CD. Dans son rapport18 ce cabinet d'étude
comptabilise la somme totale des « pertes » liées au
téléchargement illégal qu'il considère comme un
manque à gagner pour l'industrie. Pourtant des sondages reflètent
une tendance évidente : L'internaute n'aurait jamais pu acheter tout ce
qu'il télécharge illégalement.
Les artistes sont-ils en danger ?
Qu'en est-il de l'artiste ? Si l'industrie des majors et des
labels indépendants traverse les turbulences d'une
réorganisation, celle-ci a un impact différé sur les
artistes. Ne touchant pratiquement rien (5 à 1 0%) sur les ventes de CD,
l'artiste perçoit l'essentiel de ses revenus par l'intermédiaire
des organismes de rémunération (SPRD) où il est
référencé.
18 Tera Consultants Equancy & Co « Rapport
Hadopi - Impact économique de la copie illégale des
biens numérisés en France », novembre 2008,
http://www.guim.fr/blog/files/Equancy-Tera-Rapport_Hadopi.pdf
Malgré les discours alarmistes de ces organismes, leurs
revenus ne semblent pas menacés par ce contexte perturbé. C'est
du moins la conclusion que l'on peut tirer au vu des sommes perçues par
la SACEM, revenus qui, somme toute, demeurent le meilleur indicateur de
santé financière des auteurs compositeurs.
Source : SACEM
A la vue de cette analyse d'UFC Que Choisir, le SNEP
réagit vigoureusement en rappelant que la SACEM ne
rémunère qu'une partie des acteurs de la création (auteurs
compositeurs). En effet, ce sont surtout les artistes interprètes qui
sont le plus touchés. Rémunérés par l'ADAMI, leur
source principale de revenus provient des ventes de CD. L'artiste
interprète est donc touché de plein fouet par la crise du
support. Pire, l'artiste interprète ne touche rien des ventes en ligne.
Le SNEP semble donc apporter les précisions nécessaires à
une plus juste information. Quand on sait que les maisons d'édition
perçoivent 40 à 50 % sur la vente d'un CD, près de 60% sur
les ventes en ligne et rédigent les contrats des artistes, beaucoup se
demandent alors pourquoi l'artiste interprète ne touche rien des ventes
en ligne ?
Bien que certains déplorent le manque
d'honnêteté des labels et majors, il faut admettre que ces acteurs
sont difficilement contournables. Ainsi, bien que l'artiste plus ou moins
célèbre déjà produit semble à l'abri, on ne
peut pas en dire de même pour tous ceux qui souhaiteraient le devenir.
Dans ce contexte de déstabilisation, l'industrie prendra moins de risque
à produire des nouveaux talents surtout si ceux-ci sont dits de genre
difficile. Il en est de même pour la conservation de leurs contrats.
Plutôt que de parler d'une baisse des revenus des artistes, il vaudrait
mieux évoquer ce qui apparaît en réalité être
une baisse « à l'embauche ».
Source : SNEP
2.1 .2 L'intervention classique du législateur
génère la division
« Il ne faut toucher aux lois que d'une main
tremblante »
Montesquieu
Si l'industrie admet une nécessaire évolution de
son business model, elle reste campée sur sa position en
dénonçant ces « fauteurs de désordres
économiques », les « pirates » qui s'adonnent
librement à ce qu'elle considère être du « vol
à l'étalage ». Et c'est ainsi
qu'une partie du monde musical sollicite la protection du
législateur. Mais les actions du législateur censées
protéger la création ne semblent pas convaincre tous ces acteurs.
Dans la classe politique et celle d'artistes médiatisés ou non,
la division règne. Et plus le débat public se poursuit,
s'intensifie, et plus les opposants au texte « Création et Internet
» s'organisent autour d'une autre démarche : la « Contribution
Créative »
« Création et Internet » versus «
Contribution Collective »
Convaincu par le discours alarmiste du puissant lobby et d'une
poignée d'artistes de renom illustrant « l'exception culturelle
française » le gouvernement français s'est empressé
de légiférer.
A la demande du Président de la république, la
mission Olivenne est chargée de fournir un état des lieux de la
création musicale et des effets néfastes du
téléchargement illégal. Reprenant le concept militaire dit
de « riposte graduée », Dennis Olivenne à
l'époque PDG de la FNAC se trouve investit de la préparation du
projet de loi « Création et Internet » présenté
comme « pédagogique ». Pédagogique en effet car
à la différence de son ancêtre DADVSI jugée
inapplicable car ultra répressive (délit de contrefaçon)
la proposition de loi « Création et Internet » se
définit comme un processus de mise en garde avant la sanction. En
conférant à une Haute Autorité Indépendante dite
HADOPI le pouvoir de contrôler les échanges sur les réseaux
P2P, le projet de loi prévoit que soit envoyée une série
de signaux forts à l'internaute qui se trouverait en situation
irrégulière. Si l'internaute ne prend pas acte des
avertissements, il verra son abonnement suspendu pour une durée de 2
à 1 2 mois tout en continuant le paiement de ce dernier. Loin d'annuler
les peines encourues par la loi DADVSI, la loi dite HADOPI viendra s'y
ajouter.
Les défenseurs de la loi - créateurs et
élus de gauche comme de droite - attendent avec impatience son adoption
et son application. Convaincus que son aspect pédagogique dissuadera une
partie des « pirates », les acteurs de la création musicale
pro-HADOPI partagent cette impatience à l'idée que
leurs droits (d'auteurs) seront enfin à l'abri des
« sauvages qui pillent leur travail ». Selon eux, une fois
dissuadé, l'internaute se tournera automatiquement vers l'offre
légale. Sur ce point, Patrick Walbroeck nous fait part de sa
méfiance19 en rappelant que la musique est avant tout un bien
de consommation qui peut se substituer à d'autres loisirs comme les jeux
vidéo par exemple.
Mais pour les pro-HADOPI c'est surtout le rêve qu'un jour
Internet ne soit plus « une jungle de sauvages » mais bel et bien
« un havre de civisme ».
Ce projet de loi, loin de faire l'unanimité, sème
donc la discorde au sein même des partis politiques et des acteurs de la
création musicale.
Ainsi, il rencontre une opposition qui s'appuie sur
l'argumentaire suivant :
- Le texte n'apportera rien en termes de
rémunération pour les artistes. En effet aucun
réajustement de la répartition des droits n'est prévu dans
le texte de loi. La création d'une offre légale sur Internet sera
sans effet sur les inégalités du système actuel. Tel est
le propos20 que nous avons recueilli de Jean Pelletier. Il
déplore que les revendications de l'ADAMI ont systématiquement
été écartées lors des négociations visant
à revisiter le statut de l'artiste interprète qui, rappelons-le,
ne touche rien des ventes commerciales en ligne.
- Un texte qui selon Bertrand Le Gendre, n'est ni plus ni
moins la concrétisation du fantasme de l'Etat visant à
réguler un monde « sans foi ni loi » où il n'a que
très peu d'emprise. Ainsi ajoute t-il « (...) Ses concepteurs
(de la loi) sont convaincus que les usages culturels induits par Internet
peuvent être réglementés par l'Etat, comme à
l'époque où André Malraux et Jack Lang régnaient
sur la culture française. Une illusion, bien sûr, un rêve
d'énarque »21.
19 Cf. annexe n°2, p.61, interview de Patrick
Waelbroeck, professeur associé à l'Ecole Nationale
Supérieure des Télécommunications (ENST).
20 Cf. annexe n°1, p.57, interview de Jean
Pelletier, relations extérieures de l'ADAMI.
21 LE GENDRE, Bertrand, « Olivennes, Albanel,
Sacem ou la loi "création et Internet" » - Le Monde - 27 avril
2009.
- Le texte est techniquement et juridiquement inapplicable:
Techniquement, l'organisme indépendant chargé de
« traquer » les « pirates » ne peut repérer ces
derniers que grâce à leur adresse IP (Internet Protocol) une
plaque d'immatriculation en quelque sorte. Or, l'adresse IP peut facilement
être masquée (anonyme) ou « dérobée »
à une tierce personne : Les connexions Wifi sont
sécurisées mais des logiciels circulent sur le net pour «
casser » les sécurités. Que ce soit pour l'anonymisation
comme pour les clés Wifi, pas besoin d'être un internaute averti,
n'importe quel adolescent connaît les techniques...
Juridiquement car l'amendement 1 38 du Paquet
Telecom22 voté par le parlement européen
déclare l'accès Internet comme étant un moyen essentiel
à l'exercice de droits fondamentaux tels que la liberté
d'expression et d'information ou encore la vie privée. Selon cet
amendement, seule une autorité judiciaire peut priver un citoyen de ce
droit.
Le texte relève d'une démarche que les opposants
estiment pour la plupart « liberticide et d'un autre âge ». Ils
reprennent la thèse du complot en accusant le législateur de
« copiner » avec les majors sans prendre en considération les
vrais intérêts des artistes et de leur public.
Dès lors, comme réponse alternative au projet
HADOPI, les opposants avancent la solution dite de « Contribution
Collective » appelée aussi « Licence Collective Etendue
». Cette variante de la « Licence Globale » doit permettre selon
ses concepteurs, d'échanger gratuitement les musiques entre internautes
moyennant une contribution forfaitaire, allant de 5 à 15 euros par mois
qui s'ajouterait aux abonnements FAI. En proposant une plateforme de
téléchargement, légale et standardisée, les
opposants HADOPI sous-entendent une révision du principe des droits
d'auteurs qu'ils estiment inadapté à l'ère
numérique.
22 Ensemble de dispositions proposées au
Parlement européen visant à réformer certains
mécanismes du marché des télécommunications.
La joute se poursuit avec les pro-HADOPI qui s'opposent à
cette proposition alternative en se fondant sur les arguments suivants :
Outre sa difficile mise en place technique et son
système « douteux » de rémunération des
créateurs, ils estiment qu'il n'est pas juste de taxer ceux qui ne
téléchargent pas illégalement. A cela les opposant HADOPI
répliquent que la « taxe copie privée »
décrétée par le gouvernement à l'initiative de
l'industrie est imposée à l'achat d'un outil de stockage quelque
soit l'usage que l'on en fait...
Mais ce projet cause surtout un grave préjudice
à l'offre légale qui se développe sur le Net. En «
légalisant » le téléchargement P2P, ce projet est une
entrave au développement de l'offre légale en ligne.
Les pro-HADOPI (principalement libéraux)
dénoncent la « dérégulation » d'Internet et
accusent leurs opposants (essentiellement de gauche) de soutenir ce
phénomène pourtant contraire à leurs principes. Ces
derniers répliquent en affichant le respect de leurs idéaux du
fait qu'ils proposent de promouvoir l'accès à la culture et non
de la réduire à un produit économique dont les acteurs en
libre concurrence se disputeront la distribution sur le net.
En réalité, le clivage est moins sur la ligne de
partage des familles politiques et des acteurs de la création que le
reflet d'un conflit générationnel.
2.1 .3 Internet, une nouvelle frontière culturelle
?
Avant tout une question de représentation de
valeurs.
Pour les uns, Internet est un monde innovant, source
d'information et/ou de divertissement pour l'usage privé, d'une
utilité avérée pour l'usage professionnel et bien
sûr, une source intarissable d'opportunités marchandes et
média. L'expérience des années permet à la
génération - que l'on peut qualifier d'« analogique » -
d'analyser l'impact du Net sur les instances traditionnelles comme les
médias classiques par exemple mais aussi l'économie, la
créativité, l'aspect pratique de la vie de tous les jours (plus
besoin d'aller à la bibliothèque pour trouver des sources
à un rapport !). Tenir un blog, partager ses mémoires, ses
expériences, retrouver d'anciens camarades... Mais le web n'est pas leur
vie et ils s'inquiètent de voir les nouvelles «
générations numériques », parfois distendre le lien
avec le monde réel, immerger leur esprit dans l'immatériel,
qu'ils jugent illusoire et éphémère... La façon
dont les jeunes générations consomment les biens culturels
étonne les uns, scandalise les autres : jadis il fallait faire des
concessions pour pouvoir s'offrir un album de musique. Il y avait une notion
forte de valeur associée au plaisir de posséder le bien culturel.
Aujourd'hui « les générations numériques »
« consomment », « pillent » pour la plupart et n'auraient
plus conscience de la valeur des choses... De tels jugements illustrent ce qui
peut être considéré comme l'expression d'une fracture
génération n elle.
Pour les autres - cette génération
numérique née à l'instar du Web - la vision du monde a
changé à bien des égards. Avec Internet c'est le rapport
à la réalité lui-même qui est modifié : la
valeur physique d'un bien, loin de s'effacer, subit de profondes mutations. La
numérisation dématérialise. A contrario du voleur qui
dérobe et dépossède la victime de son bien, l'internaute,
vite affublé des termes « pirate » et « voleur », ne
se sent moralement coupable de rien. Bien au contraire...
Internet est plus qu'un outil, il constitue pour les plus
passionnés « un nouveau monde, le leur ». Les propos de
Marshall MacLuhan s'illustrent ici à merveille lorsqu'il fait allusion
au village planétaire. C'est à travers un esprit communautaire,
dans une affiliation plus ou moins forte, que la génération
numérique transite du monde réel au virtuel. Et
pour eux, Internet est avant tout construit sur le principe
fédérateur du « partage ».
Des internautes créent des logiciels et des langages de
programmation qu'ils mettent gratuitement à disposition de « la
communauté », des logiciels de P2P, de copie (films/musiques), des
systèmes d'exploitation (Linux vs Windows) gratuits, souvent bien plus
puissants et complexes que ceux trouvables dans le commerce... Des internautes
passionnés qui ont façonné cette « Toile » que
« les analogiques » apprécient tant.
Comment peut-on espérer « éduquer »
une génération qui estime avoir réussi là où
d'autres ont échoué ? Peut-on comprendre ce qui anime une
personne qui achète un album puis le met en ligne à disposition
de tous ?
La fin de l'ère analogique ?
Selon Jean-Claude Carrière. « Si des
créateurs souhaitent partager gratuitement leurs oeuvres sur Internet,
c'est leur choix mais pas le mien, respectez cela »23.
Cet argument de débat est sérieux. Et c'est bien
pour cela que la situation est actuellement bloquée. La chute des ventes
physiques est principalement imputable à l'ère numérique
c'est un fait. Le lien avec les échanges P2P bien qu'il ne soit pas
clairement démontré être la raison de cette chute, fait
partie intégrante de l'impact lié à l'essor des nouvelles
technologies.
Les droits d'auteurs vieillissent tout comme les
modèles économiques des années 1 980. Le consommateur
numérique, s'impose de plus en plus comme un acteur clé de
l'économie réelle, ouvrant un contexte novateur pour les jeunes
créateurs, eux même issus de ce « nouveau monde ».
23 Emission TV - France 3 - « Ce soir ou jamais
» -
http://ce-soir-ou-jamais.france3.fr/indexfr.php?
page =emission&id_rubrique= 662 - mai 2009.
En réponse à Jean-Claude Carrière (dans
la même émission) Joseph Paris : « Je dois trouver de
nouvelles façons de produire mes oeuvres. Je ne puis plus me baser sur
les modèles qui ont fait votre carrière ».
S'il y a bien une certitude, c'est que la vision des
échanges physiques des oeuvres musicales est en déclin. Ce
douloureux contexte de la transition vers la généralisation de
nouvelles voies de business model semble occulté par une bataille de
communication qui occupe le devant de la scène publique.
2.2 Le rôle joué par la communication dans
une crise de transition
Après avoir analysé les différents noeuds
mettant sous tensions l'industrie musicale, qu'ils soient technologiques,
économiques, culturels et politiques, il s'agit maintenant de mettre en
lumière toute l'importance du rôle de la communication dans la
situation de crise qui affecte l'ensemble des acteurs de l'économie
musicale. Nourrie par des campagnes de sensibilisation média, des
débats télévisés, des articles dans la presse, la
communication semble entretenir un débat qui pour l'instant, tourne en
rond.
2.2.1 Chronologie des discours de communication
2004, Le SNEP fulmine
De 2002 à 2004, baisse de 25% du volume des ventes de
musiques. 9 millions de citoyens français déclarent
télécharger via P2P. Pour le SNEP, pas de doute possible, c'est 9
millions de voleurs qu'il faut à tout prix dissuader où alors
« la musique mourra ».
« Nous faisons un doigt d'honneur aux pirates qui
téléchargent illégalement de la musique en ligne ».
Gilles Bressand, président du SNEP
Le visuel phare24 de la campagne média
menée par l'agence Nogoodindustry à la demande du SNEP met en
scène un émoticône symbolisant « le doigt d'honneur
». Scindé en 2 parties, la 1 ère moitié de
l'image illustre l'attitude des internautes jugée (par le SNEP)
insultante à l'égard de la création musicale. La
2ème partie du visuel représente cet
émoticône derrière des barreaux de prison. Les internautes
qui ne connaissaient pas, à l'époque, la nature de leurs actes
étaient prévenus. Le message se veut clair, limpide même :
« L'échange de musique sur Internet c'est du vol et
désormais c'est jusqu'à 300.000 € d'amende et 3 ans
d'emprisonnement ».
Les réactions furent à la hauteur de la violence
du visuel. De nombreuses associations de consommateurs (Syndicat
Français des Artistes, UFC Que Choisir, UNAF, la Ligue de
l'enseignement, CLCV, ...) firent part de leur « désapprobation
» quant à la virulence du message de la SNEP :
« Cette campagne indécente et irresponsable du
SNEP insulte et menace 20 millions d'internautes, (...) Nous réclamons
l'arrêt immédiat des pressions et menaces fondées sur des
poursuites judiciaires à l'encontre des internautes, tant qu'un "vrai
débat" n'aura pas eu lieu et que des "solutions innovantes" n'auront pas
été proposées ».
Ce message aurait pu générer chez l'internaute une
prise de conscience majeure s'il n'avait pas comporté 2 lourdes erreurs
:
« L'échange de musique sur Internet » n'est pas
une pratique illégale en soit, la copie privée et l'utilisation
de logiciel P2P non plus. Seul l'échange non autorisé d'une
musique est considéré comme un délit. Aucune alternative
valable de téléchargement légal n'était
proposée par l'industrie en réponse à l'essor du
numérique (et des baladeurs MP3).
24 Cf. annexe n°5, p.68, « campagne de
communication du SNEP » mai 2005
Cette campagne de communication fut considérée
pour beaucoup comme « un pavé jeté dans la marre », la
déclaration ouverte d'une contre attaque des majors menée contre
la « génération numérique »
« Nous nous attendions à ce que notre business
ne soit pas affecté dans le monde de l'interactivité, pendant que
la connexion permanente et le partage de fichiers explosaient. Bien sûr,
nous avions tort. Pourquoi ? Parce qu'en restant immobiles ou en bougeant
à un rythme glaciaire, nous sommes involontairement entrés en
conflit avec le consommateur, en lui refusant notamment ce qu'il voulait et
pouvait trouver ailleurs. Le résultat des courses, c'est que le
consommateur l'a emporté ». Edgar Bronfman, PDG de Warner
Music.
2006 : DADVSI ouvre le débat
Le ministère de la culture commande à Publicis
le site Internet «
lestelechargements.com
» afin d'informer le public et les acteurs de la création sur le
projet de loi DADVSI. Cette première initiative du législateur
sur le Web atteste d'une prise de conscience sur la nécessité
d'étendre le débat, de créer un pont entre les acteurs de
la création et leurs publics. Jugé orienté contre le
projet de « Licence Global », alternative proposée à
l'époque par les opposants au projet DADVSI, des voix se sont
élevées contre la SACD et la SACEM présumées avoir
collaboré au développement du site. Bon nombre d'internautes
attestent que les commentaires qu'ils laissent étaient «
modérés » (censurés). Ces commentaires étaient
pourtant jugés construits et cohérents, épurés de
toute invective ou critique infondée. Pour bon nombre d'internautes,
«
lestelechargements.com
» n'était qu'une « vitrine de la loi » et «
propagande du gouvernement ». Le site a rapidement été
fermé.
2007, le SNEP s'aligne
« L'ouverture d'un débat sur l'avenir de la
musique nous est apparue essentielle à l'heure où la
révolution numérique nous a, paradoxalement,
éloigné » Hervé Rosny PDG du SNEP.
Dans la continuité d'une nécessaire ouverture
apportée par le débat DADVSI le SNEP lance «
www.faceface.fr ». Le site
connu le même sort que «
lestelechargements.com
» pour des raisons similaires.
2008, qui n'aime pas les artistes ?
Depuis, le SNEP a décidé d'ouvrir un Blog «
DemainLaMusique.com » qui
est actuellement en ligne. Hervé Rosny ainsi que différents
membres du SNEP apportent régulièrement des «
éclaircissements » et point de vue pour
« rééquilibrer » la tendance du discours
sur Internet. Encore une fois, de nombreux internautes déplorent que
leurs commentaires, qu'ils jugent pertinents soient systématiquement
« modérés ».
Afin d'informer le public sur le actions menées par le
ministère de la culture en faveur de la loi « Création et
Internet », le site «
jaimelesartistes.fr »
ouvre ses portes. Les principaux axes du projet de loi HADOPI sont
exposés, de nombreux témoignages d'artistes en faveur de la loi
sont consultables en vidéo streaming et le site propose de nombreux
liens vers les plateformes de vente légale de musique en ligne. A la
différence des précédentes initiatives du
législateur et de l'industrie de la création en matière de
communication sur Internet via site web,
jaimelesartistes.fr ne propose
pas de forum ni d'espace de commentaire.
Piraté à plusieurs reprises, le site
estimé « blindé » par le ministère
résiste mal à ses assaillants. La ministre de la Culture,
Christine Albanel a déploré « les attaques incessantes
(...) mobilisation des groupes de pression qui s'opposent aux droits des
artistes et des entreprises culturelles »
Ces mots de la ministre résument assez bien la teneur
du discours de communication du gouvernement. Evoquant sans cesse la
malveillance des 1 5 millions d'internautes français qui
téléchargent illégalement à l'égard des
artistes et de la création, le législateur semble se fourvoyer
:
- « J'aime les artistes, je ne télécharge
pas illégalement » sous-entend clairement « je n'aime pas les
artistes, je télécharge illégalement». En tentant
d'émouvoir l'internaute, cette stratégie ne semble pas porter ses
fruits. Bien au contraire, elle prend le risque de creuser plus profond
l'écart entre le monde de la création et son public. Les
internautes les plus virulents dans leurs actions contre le projet de loi se
réclament d'une vision idéalisée de la culture
épurée de son « aversion » mercatique. Convaincu «
du large soutien populaire » dont il se prévaut, le
ministère de la culture et de la communication balaye ces puissants
relais d'opinion du Net estimant que toute opposition au projet HADOPI ne
relève que d'une « agitation entretenue par quelques groupuscules
». Le positionnement de ce discours en termes de communication politique
s'expose à la critique « d'entretenir la flamme de la discorde
». Alors que l'Etat met en avant un argumentaire protecteur envers les
artistes et la création, Henry Padovani25 ne semble pas
partager ce point de vue. « Les artistes ne se mobilisant pas
eux-mêmes dans cette affaire, ce sont tous les autres acteurs de
l'industrie (...) qui mènent le combat à leur place. C'est comme
si, par exemple, les producteurs de tomates demandaient à Carrefour de
défendre leurs intérêts... »26.
- De nombreux experts ont démontré les limites
techniques, juridiques et culturelles du projet de loi et pronostiqué
l'inefficacité du dispositif répressif qu'il comporte, face
à 15 millions d'internautes « hors la loi », sans apporter de
garanties supplémentaires aux artistes et à la création.
En d'autres termes
25 Fondateur de la première Police de la
musique en 1 977, musicien, directeur de label et producteur d'artistes comme
The Cramps ou REM et manager de Zucchero.
26 Interview de Henry Padovani par StopPartage -
http://www.stoppartage.fr/s
pip.php?article62 - avril09
pour eux le projet de loi relève davantage d'une
stratégie de communication que d'une réelle réponse
législative.
2.2.2 Le Web, un nouveau canal d'expression
Il fut un temps pas si lointain où les nouvelles
générations avaient principalement « la rue » pour
faire entendre leur voix. Loin d'être révolue, cette époque
s'est enrichie d'un nouveau canal d'expression. Beaucoup de professionnels
considèrent Internet comme un outil média «
révolutionnaire » dans le monde de la communication. Mais à
la grande différence des médias traditionnels laissant peu de
place à l'interaction, Internet est bien plus qu'un simple vecteur de
campagne. Son utilisation en tant qu'outil est extrêmement
délicate et toute erreur d'appréciation peut s'avérer
désastreuse. En créant la vitrine figée d'un projet de loi
censée « rééduquer » un internaute qui a perdu
« tout repère moral », le ministère de la culture et de
la communication se heurte à une « rue numérisée
» où la violence des uns ne peut plus être
étouffée par quelques policiers en armes. La voix
numérique est si puissante qu'elle parait raisonner bien au-delà
de la sphère virtuelle, jusque dans les bastions de la
république.
Le débat, largement relayé par les médias
traditionnels sous forme d'articles de presse, d'émission TV / radio
prend une tournure peu commune. Blogs, site Internet, forum, vidéo Buzz
d'internautes et d'associations de consommateurs. « UFC Que Choisir »
a d'ailleurs réalisé un site Internet diffusant une série
de courts métrages27 qui tournent en dérision les
mesures prises par le projet de loi HADOPI. Partout les opinions
déversées par dizaines de milliers, consultées par des
millions, sollicitent l'attention, au plus grand dam du gouvernement, des
lobbys industriels, d'un monde analogique médusé par les voix
dissidentes des jeunes générations. La notion de « vol
» et de « piraterie » véhiculée à sens
unique perd toute consistance sur la scène
27 Cf. annexe n°4, p.67, « Avec
Dédé ça va couper ! » Année 2009
http://www.ca-va-couper.fr/
d'une joute communicationnelle masquant les coulisses d'une
mécanique économico-technologico-sociale complexe.
Finalement bien peu à l'écoute d'un public
porteur de nouvelles pratiques de consommation ouvrant sur de nouveaux
marchés de la création musicale et figée par un
business model en burn ouf, l'industrie musicale et ses
alliés se heurte à des difficultés pour trouver le ton
juste en matière de communication. Ni les majors ni le
législateur ne parviennent à sortir d'un débat public qui
semble tourner en rond. En cherchant à numériser son
modèle économique à travers une offre commerciale,
l'industrie se trouve confrontée à une demande plus complexe
qu'elle ne le pensait. Le débat public a fait surgir la
nécessité de redéfinir à l'ère du
numérique les échanges culturels. Loin de contester la
rétribution due au créateur, les consommateurs du Web demandent
à être mieux pris en compte dans la diversité de leurs
pratiques.
Certains acteurs de la création, artistes «
visionnaires » à l'écoute de leur public ou tout simplement
issus de la génération numérique veulent poser les bases
d'un concept novateur destiné à mieux intégrer leur public
dans les process de la création musicale. Rarement cités dans les
controverses publiques ces créateurs prétendent mener l'artiste
et son public sur le chemin du partage et de la réconciliation.
III - Des propositions de communication pour une
économie musicale « plurielle »
La consommation numérique secoue l'économie de
la création musicale. Les nouvelles technologies permettent-elles
d'inventer des formes artistiques novatrices et rémunératrices
pour les artistes ?
L'offre commerciale d'oeuvres musicales en ligne se
développe à grande vitesse. Il en est de même pour les
process alternatifs des créateurs indépendants. Les
réseaux P2P au coeur de la définition même du protocole
Internet, peuvent être perçus comme les pionniers d'un nouveau
type d'échanges culturels en ligne ou la machine à vocation
à être à la fois récepteur, émetteur,
transmetteur.
Comme nous l'avons vu « les mutations technologiques
s'accompagnent de nouveaux comportements, d'un nouveau rapport à la
création, de plus en plus collectives, de plus en plus issues du partage
» Christian Vanneste Député du Nord.
Parmi l'ensemble des futurs possibles, procédons au
débroussaillage des sentiers sur lesquels nous déroulerons des
stratégies de communication accompagnant ces évolutions lourdes
irréversibles fondées sur un double postulat implicite :
- Au final le consommateur aura le dernier mot.
- La coexistence de deux économies : L'économie
de marché traditionnel qui ne va pas disparaître et une
économie « plurielle » favorisant des échanges autres
que marchands.
Ces stratégies s'articuleront donc autour de deux axes
:
Le premier concerne l'offre en ligne dite commerciale
pilotée par les grands acteurs de l'industrie musicale, les majors et
labels indépendants. Une offre née dans un contexte difficile et
qui s'enrichit considérablement.
Le second utilise pleinement la force d'Internet comme
technologie de la relation pour promouvoir l'initiative alternative, appelons
la « l'offre libre » portée par la génération
numérique.
3.1 La promotion de l'offre commerciale en ligne
Premièrement il s'agit de présenter en quoi
consiste cette offre et deuxièmement de décrire les
finalités et les modalités d'une politique de communication en
assurant la promotion.
3.1 .1 Etat des lieux de l'offre commerciale
Actuellement le site du gouvernement «
jaimelesartistes.fr »
recense plus d'une trentaine de plateformes en ligne proposant le
téléchargement ou la simple écoute (streaming), payant
à l'achat du titre, sous forme d'abonnement ou gratuit en fonction des
plateformes. Une grande partie des catalogues des 4 grandes majors ainsi que
ceux des labels indépendants sont actuellement disponibles en ligne soit
près de 1 0 millions de titres. Itune Store, la boutique en
ligne de téléchargement de musique d'Apple est leader du
marché mondial, et a généré 70% des ventes en ligne
à travers le monde en 2008.
Une offre attractive qui s'enrichie en valeur
ajoutée
Pour attirer un maximum de clients, particulièrement
les habitués ou occasionnels des réseaux P2P, l'offre commerciale
se veut porteuse d'une plus grande valeur ajoutée. Longtemps
protégés contre la copie par des mécanismes de
sécurité associés aux DRM (Digital Rights Management) la
plupart des fichiers téléchargés via l'offre commerciale
sont désormais libérés de leurs protections (bien que sur
certaines plateformes comme Itune Store, les musiques sont encore
partiellement protégées et ne permettent pas d'être
copiées plus de x fois). Pour beaucoup d'adeptes du P2P ces protections
représentent encore une contrainte les dissuadant d'utiliser l'offre
légale. De plus, les titres sont numérisés dans une
qualité relativement similaire à ceux trouvables sur le
réseau P2P. Cependant les plateformes commerciales jouent
sur l'attractivité de leur offre par une qualité
en matière de graphisme, de navigation, la gestion des comptes
utilisateurs et la vitesse de téléchargement. Les nombreux
acteurs de ce marché porteur de la vente en ligne semblent permettre aux
consommateurs de trouver leur compte à travers l'eccleptisme des
plateformes.
Concurrencer le P2P paraît être la meilleure
lutte
Même pour un adepte, le réseau P2P reste dans
l'ensemble source d'insatisfactions : Les musiques étant
numérisées et mises à disposition par l'utilisateur final,
la qualité n'est pas garantie et le fichier peut ne pas correspondre
à celui espéré (virus, pornographie...). La plupart des
plateformes P2P doivent être correctement configurées auquel cas
la vitesse de téléchargement peut s'avérer
extrêmement ralentie... Pour les plus experts (plutôt marginaux),
ces problèmes peuvent être rapidement résolus. Bon nombre
d'utilisateurs réguliers ou occasionnels du P2P semblent prêts
à payer pour plus de qualité. Un aspect difficilement
concurrençable des réseaux P2P repose sur la possibilité
pour l'internaute de trouver des titres qui ne seraient pas proposés par
l'offre légale. Des titres anciens d'artistes oubliés, des remix
et autres compositions difficiles à trouver dans le commerce, l'offre
commerciale pourrait trouver moyen de s'enrichir grâce au P2P. La loi
prévoit l'indulgence à tous ceux qui obtiendraient via P2P des
titres protégés par droits d'auteurs mais introuvables (ou
très difficilement) dans l'offre commerciale.
3.1 .2 Promouvoir l'offre commerciale par la
communication
Outre les majors et labels qui bénéficient de
fortes capacités de promotions pouvant ainsi stimuler leur offre en
ligne par le biais des médias traditionnels, l'essentiel de la
communication des acteurs de l'offre commerciale en ligne se fait par
Internet.
Dans son dispositif de répression à l'encontre
du téléchargement illégal l'Etat intègre
déjà un axe visant à promouvoir l'offre commerciale dans
sa stratégie de communication. Cependant, il faut que le positionnement
de cette stratégie se détache d'un discours « à
tonalité répressive » afin de parvenir à une mise en
valeur beaucoup plus performante de l'offre commerciale.
La nécessaire adaptation du discours de l'Etat et
de l'industrie
« Télécharger des oeuvres sans autorisation
c'est du vol » « La piraterie doit être
sévèrement réprimée » Ce positionnement du
législateur et de l'industrie en tant qu'axe de communication, bien que
cohérent vis-à-vis de la législation ne semble pas
conduire efficacement le public vers l'offre commerciale.
Pénalisé pour une pratique qualifiée d'immorale,
l'internaute a tendance à contracter une attitude de rejet à
l'encontre de son « oppresseur ». Quelque soit son positionnement,
s'il comporte les termes « téléchargement illégal /
piraterie = vol » il apparaît contre productif. Il serait donc
intéressant d'orienter le message vers une notion plus respectueuse,
marquée par les enseignements de l'histoire. Après tout, si 15
millions d'internautes ont déjà téléchargé
illégalement au moins une fois dans leur vie, c'est somme toute
qu'à un moment où à un autre, l'offre commerciale
n'était pas en mesure de répondre à leurs attentes. Ainsi
le discours gagnerait à ne s'axer que sur la pertinence de l'offre
commerciale et sa forte capacité en matière de valeur
ajoutée pour le consommateur. Une ouverture à été
faite en ce sens28. Les sommes engagées dans la lutte contre
le « piratage » pourraient servir cet axe nouveau d'une campagne de
sensibilisation nationale à travers les médias traditionnels tels
que la TV, Cinéma, Radio Presse, affichage. Cette campagne s'attacherait
au renforcement de la notoriété de l'offre commerciale afin que
nul ne puisse encore penser qu'il n'existe pas d'alternative au P2P. S'en suit
une notion d'image, parti pris fondamental de la campagne sur 2 axes
complémentaires. Le premier est bien entendu de
28 Cf. annexe n°6, p.69, « visuels des
campagnes de communication média »
faire valoir la qualité de l'offre commerciale, seule
capable de garantir un réel service de qualité. Un second axe est
nécessaire, il doit réparer la fracture culturelle, rapprocher
les acteurs de la création et leurs publics. Sur cet axe, les acteurs de
la création gagneraient à afficher une plus grande transparence
dans leurs interrelations. La question épineuse d'une possible «
exploitation » de l'artiste au profit des « majors » doit
rapidement être traitée et résolue. Toute l'importance
jouée par l'industrie dans la recherche de nouveaux talents, les risques
qui s'en suivent doit être mise en valeur par un discours appelant
à la responsabilité des consommateurs sans pour autant se vouloir
moralisateur en recréant le lien indispensable entre l'artiste et son
public.
3.2 La promotion des offres alternatives : les offres
« libres »
Ainsi que l'explique Jean-Baptiste Soufron : « Le libre
représente une démarche qui organise l'ensemble de l'Internet
».
Le « libre » est souvent mal comprit car trop
souvent confondu avec la gratuité des contenus. Il s'agit bien
souligne-t-il, « non d'une absence de règle mais d'un
modèle d'innovation comportant des obligations pour les utilisateurs
sans lesquels le développement extraordinaire des usages et des
applications numériques n'auraient pas été possible
».
3.2.1 Etat des lieux de l'offre « libre »
Qu'est ce que la musique « libre »
?
Une création musicale est dite libre lorsqu'elle est
soumise à des conditions d'utilisation et de distribution
(échange, copie) spécifiques. Les « Creative Commons
» constituent le groupement de licences le plus répandu dans le
domaine de la création musicale « libre ».
Cet ensemble de licences a pour but de fournir un outil juridique garantissant
la protection des droits et autorisations liés à l'utilisation,
la modification, la copie et le partage d'une création musicale. Ces
licences dissocient les fondements de la propriété intellectuelle
à la propriété physique. C'est en quelque sorte la
réponse faite par des créateurs (et leurs publics) allant
à l'encontre des droits d'auteurs traditionnels qu'ils estiment
nuisibles à la diffusion et à la culture.
Qui sont ces créateurs et leurs publics
?
Le principe de la musique libre est apparu en réponse
à la domination des majors dans le paysage musical. Jugeant cette
domination purement marchande, déconnectée de la valeur profonde
de la culture et du partage, on peut appeler ces tenants d'une vision
libérée, des « pronétaires » :
« J'appelle pronétaires ou pronétariat
(...) une nouvelle classe d'usagers des réseaux numériques
capable de produire, diffuser, vendre des contenus numériques non
propriétaires, en s'appuyant sur les principes de la « nouvelle
économie » (...) il s'agit d'usagers d'internautes de « blo
gueurs » de citoyens comme les autres, mais qui entrent de plus en plus en
compétition avec les infocapitalistes traditionnels, auxquels ils ne
font plus confiance. »
Cet extrait29 de Joël Rosnay illustre toute la
teneur idéologique qui anime les créateurs de musiques «
libre » et leur public. Le fait d'associer systématiquement
« créateurs » à « public » sous-entend la
forte proximité de ces acteurs.
Comment les créateurs de la « musique libre
» se produisent-ils
Ces créateurs sont pratiquement inconnus du grand public
car n'appartenant pas à une major ou un label indépendant. Ils
ne bénéficient donc pas des effets de promotion du
29 DE ROSNAY, Joël, « La révolte du
pronétariat », Editions Fayard & Creative Commons
http://www.pronetaire.com/livre/
« star system » relayés par les vecteurs
traditionnels des mass médias. Ces pronétaires,
créateurs d'une musique conditionnée par les licences «
Creative Commons », mettent en partage leurs oeuvres sur les
réseaux P2P et sont téléchargeables gratuitement sur des
sites tels que «
dogmazic.net » et «
jamendo.com ». On peut alors se
demander comment ces créateurs parviennent à produire leurs
oeuvres. Deux situations sont à considérer :
- La première concerne des créations qui font
appel à des talents d'artistes tels que les chanteurs et musiciens. Pour
un enregistrement de qualité, le passage en studio est quasiment
inévitable. Une journée en studio d'enregistrement coûtait
jadis près de 2500 euros. Aujourd'hui les tarifs avoisinent 250 euros
par jour. 5 à 1 0 jours peuvent suffire pour l'enregistrement d'un album
(cette estimation dépend beaucoup du genre musical).
- La seconde est représentée par les
créations électroniques, c'est-à-dire réalisables
grâce à un ordinateur. Moyennant un investissement pouvant aller
de 2000 à 5000 euros et un bon niveau d'expertise, un créateur
peut s'autoproduire. L'apport personnel est nécessaire dans les deux
cas, mais des créateurs sont parvenus à lever des fonds
grâce à Internet en misant sur la contribution de leurs
publics/sympathisants.
Comment ces créateurs vivent-ils de leurs
créations ?
Partant du principe qu'ils ont acquis une
notoriété auprès de leurs publics par le biais d'Internet
(site d'écoute/téléchargement et P2P), ces
créateurs parviennent à vivre grâce au concert, spectacles
vivants et exploitations de leurs oeuvres par des producteurs,
publicité, cinéma etc. dans le cadre des licences commerciales
prévues par les « Creatives Commons »
De nombreux artistes anciennement produits par des labels ont
ouvert la voie en mettant volontairement à disposition leurs oeuvres
à la fois sur leur site Internet et sur les réseaux P2P.
A titre d'exemple, en 2007 le groupe Radiohead proposa le
téléchargement libre de son dernier album « In Rainbows
». Disponible gratuitement sur le site Internet du groupe (et sur P2P),
l'album ensuite commercialisé a été vendu à plus de
3 millions d'exemplaires alors que les 3 précédents albums
n'avaient été vendu qu'à quelques centaines de milliers
d'exemplaires. Une forte opération marketing au service d'un groupe
déjà célèbre qui a ouvert la voie à bon
nombre d'initiatives similaires.
3.2.2 Promouvoir l'offre de musique libre par la
communication
Les créateurs de musiques libres ne disposent pas des
mêmes capacités d'investissement que les majors et labels
indépendants en matière de promotion. Ils ne peuvent donc
espérer accroître leur notoriété par le biais des
mass média traditionnels. Leur canal de promotion passe
essentiellement par des sociétés (Jamendo) ou associations
(Dogmazic) qui les référencent sur Internet. C'est donc sur la
promotion de ces acteurs qu'il faut concentrer les efforts
stratégiques.
Promouvoir les plateformes de musiques libres
Dans le monde du « pronétariat », ces acteurs
du « monde libre » sont très largement visibles. Internet est
leur maison mère, ils connaissent et exploitent tous les rouages
nécessaires à l'accroissement de leur visibilité. La
publicité apporte la source principale de leur financement. Mais ces
acteurs restent encore assez méconnus des internautes occasionnels peu
engagés sur le Web. Sur plus de 25 millions d'internautes
français, bon nombre ignore encore toute la richesse de la toile. Ce
public doit donc être touché en dehors de la sphère
virtuelle. Les alternatives aux médias traditionnels sont riches, c'est
donc par le biais de moyens hors média qu'il faut articuler les efforts
stratégiques.
Le contexte extrêmement favorable du débat sur le
devenir de la consommation culturelle numérique est largement entretenu
à travers la presse. Quotidiens nationaux, régionaux, gratuits,
supports d'information au service du public, beaucoup des journalistes
sensibles à cette notion du partage et de la connaissance se
mobiliseront pour célébrer toute la richesse de l'offre libre et
le lien si particulier du créateur à son public. Il est donc
primordial d'obtenir ce soutien stratégique, puissant de la presse.
Un travail de prospection et d'information doit être
intensifié afin de donner de la visibilité aux noms et logos de
ces sociétés/associations améliorant la
notoriété de cet univers du libre échange culturel.
Partout où la création d'un artiste est exploitée ou
pourrait l'être à des fins commerciales que ce soit lors d'un
événement (tournée événementielle) dans une
production télévisée (reportage),
cinématographique, chez les commerçants (boutiques de
vêtements) professions libérales (médecins), dans les
parkings souterrains (Vinci), et tous les lieux publics qui diffusent ou le
voudraient des oeuvres musicales sans avoir à payer à la SACEM
des droits d'auteurs parfois jugés exorbitants.... Beaucoup y
gagneraient à découvrir cette offre alternative.
Conclusion
Nous sommes bien engagés dans ce que Joël de
Rosnay appelle la « révolution pronétarienne » qui est
avant tout sociétale, aussi importante que celle du début de
l'ère industrielle car elle répond à une aspiration
profonde, à des modes participatifs et de partage posant des
problèmes culturels, politiques, sociologiques et économiques
nouveaux.
Cette génération numérique réalise
la place qu'elle est conduite à occuper dans le « Net du futur
» plaçant les responsables industriels et politiques face à
ces nouveaux défis. De même les producteurs de biens culturels
numériques sont à la recherche de formes alternatives de
financement.
Dans cette perspective, il apparaît indispensable et
urgent de dépasser la bataille de la communication telle qu'elle ressort
aujourd'hui de la confrontation entre les tenants d'un certain conservatisme
manifestant une réelle frilosité envers les évolutions des
technologies et d'Internet et la nouvelle classe d'usagers des réseaux
numériques adeptes d'échanges autres que marchands. En d'autres
termes l'urgence n'est-elle pas de sortir des logiques binaires si l'on veut
traiter positivement de stratégie de communications adaptées
à cet art de vivre et cette capacité à surmonter la peur
et à développer des logiques de coopération qui devraient
selon l'appel de Patrick Viveret constituer les « axes majeurs d'un
projet politique pour le siècle, un projet qui prendra la forme d'une
vision et d'une stratégie positive de la mondialité
»30.
30 VIVE RET, Patrick, « Pour une vision positive
de la mondialité », février 2005,
http://www.lesdialoguesstrategiques.com/index.php?option=com_content&task=view&id=41
Remerciements
Je remercie Jean Pelletier, Patrick Waelbroeck et Bertrand Le
Gendre pour avoir bien voulu répondre à mes questions.
Je remercie également la participation de tous les
sympathiques internautes qui ont accepté de remplir le questionnaire en
ligne.
Un grand merci à celle qui a su « dénicher
» les quelques fautes d'orthographe récalcitrantes de ce
mémoire ainsi que toutes les petites attentions maternelles qui ont
accompagné cette odyssée.
Enfin, je remercie tout particulièrement Dominique
Viandier pour ses conseils.
Bibliographie
Ouvrages
- Joël de Rosnay : « La révolte
du pronétariat, Des mass média aux média des masses
», éditions Fayard & Licences Creative Commons, décembre
2005.
http://www.pronetariat.com/livre/
- Florent Latrive : « Du bon usage de la
piraterie », éditions La Découverte & Licences Creative
Commons, 2007.
http://docs.
covertprestige. net/piraterie/00-titres. html
- Patrick Viveret : « Pourquoi ça ne
va pas plus mal », éditions Fayard 2005. - Pierre
Rosanvallon : « La légitimité démocratique
», éditions Seuil 2008.
Presse
- Le Monde - Les échos - Le Figaro -
Libération
Presse Online
-
www.numerama.com -
www.zdnet.fr
-
www.lepost.fr
-
www.pcinpact.com
Emissions TV
France 3 : « Débat HADOPI dans Ce soir ou jamais
» 5 mai 2009
http://ce-soir-ou-jamais.france3.fr/index-fr.php?page=emission&id_ru
brique =662
Enquêtes, études et rapports
- UFC Que choisir : « La loi
Création et Internet : une mauvaise solution à un faux
problème », 10 mars 2009.
http://www.quechoisir.org/positions/Une-mauvaise-solution-a-un-fauxprobleme/3BCE70FA2355
9B9AC 1257574003 7BDA4. htm
- FING (Fondation Internet Nouvelle
Génération) : « Débat public musique &
numérique créer de la valeur par l'innovation. Synthèse v1
» 5 février 2007.
http://www.fing.org/IMG/pdf/Musique_Innovation_FING_fev_2007.pdf
- Equancy-Tera Consultants : « Impact
économique de la copie illégale des biens numérisés
en France », novembre 2008.
http://www.droit-technologie.org/upload/dossier/doc/179-1.pdf
- Ministère de la culture et de la communication
(mission Olivenne) : « le développement et la protection
des oeuvres culturelles sur les nouveaux réseaux », novembre 2007.
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/index-olivennes231107.htm
- La Quadrature du Net : « HADOPI, Riposte
graduée : Une réponse inefficace, inapplicable et dangereuse
à un faux problème », 9 février 2009.
http://www.laquadrature.net/files/LaQuadratureduNet-Riposte-G
raduee_reponseinefficace-inapplicable-dangereuse-a-un-faux-probleme.
pdf
- Observatoire de la musique : « Les
marchés de la musique enregistrée », année 2008.
http://www.wbm.be/dbfiles/doc518_marchemusique2008France.pdf
- Marc Bourreau ENST, Département EGSH, et
CREST-LEI Benjamin Labarthe-Piol Université Paris Dauphine :
« Le peer to peer et la crise de l'industrie du disque : une perspective
historique », année 2004.
http://www.freescape.eu.org/biblio/IMG/pdf/music1.pdf
- ADAMI : « Filière de la musique
enregistrée : quels sont les véritables revenus des artistes
interprètes ? », avril 2006.
http://www.adami.fr/fileadmin/user_upload/pdf___docs/02_Defendre/etudes/avant_200
9/Etude_Adami_rem uneration_musique_avril_2006.pdf
- LEVY, Maurice & Jean-Pierre Jouyet :
« L'économie de l'immatériel », novembre 2006.
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000880/0000.pdf
Annexes
Annexe n°1 :
- Interview de Jean Pelletier, directeur de la communication -
chargé des relations extérieures de la Société
civile pour l'Administration des Droits des Artistes et Musiciens
Interprètes (ADAMI), mars 2009.
Présentation de l'intervenant :
Jean PELLETIER, né le 11 juin 1 952, ancien
élève de l'institut d'études politiques de Paris et
titulaire d'une Maîtrise de Lettres à l'Université de
Nancy2. Enseignant à l'Université d'Évry Val d'Essonne au
département "Administration de la musique et du spectacle vivant",
Directeur des Relations Extérieures de l'ADAM I (Société
civile pour l'administration des droits des artistes et musiciens
interprètes).
Présentation du mémoire :
Je réalise un mémoire qui porte sur les
nouvelles pratiques de consommation des oeuvres culturelles en France. Les
modèles commerciaux qui régissent la situation de l'industrie
musicale sont manifestement en crise. Cette crise serait liée à
l'essor de nouvelles technologies et de l'Internet qui conduisent à
redéfinir les pratiques de diffusion et d'échanges des oeuvres
musicales. L'entrecroisement d'enjeux économiques, culturels,
idéologiques et politiques entraînerait des conflits entres les
différents acteurs de l'industrie musicale et son public. Tous ces
constats m'amènent à une première conclusion : Le
système est actuellement dans une impasse.
1 - Partagez vous ce constat ?
Tout à fait, finalement ce problème
dépasse de loin celui de la création, c'est un
phénomène de société qui découle d'un grand
nombre de convergences
liées aux technologiques numériques qui remettent
en question les pratiques sociales et culturelles.
2- Quelle est la position de l'ADAMI concernant les
initiatives législatives du gouvernement (DADVSI & HADOPI)
?
L'ADAMI a eu plusieurs visions sur ce phénomène.
Pendant le débat de la loi DADVSI, l'ADAMI et ses partenaires ont
proposé le concept de la « Licence Globale » (dont les bases
juridiques ont été élaborées à l'ADAMI) Par
la suite un partenariat s'est créé avec d'autres
sociétés et plus particulièrement l'alliance « Public
Artiste ». Si l'amendement de la « Licence Globale » avait
été retenu à l'époque, au regard du nombre
d'abonnements ADSL aujourd'hui, cela représenterait 1,4 milliards
d'euros par an ! En ne voulant pas adapter le code de la
propriété intellectuelle, la filière de l'industrie
musicale dont le chiffre d'affaire annuel est d'environ 600 millions d'euros,
est passée à côté d'une formidable occasion de
compenser ses pertes...
En adoptant cette position, l'ADAMI s'est coupée de son
milieu naturel, mise à l'index de la SACEM, SACD, producteurs et acteurs
de la création qui étaient tous opposés à la «
Licence Globale ». Face à cette situation, la « petite »
ADAMI a choisi de réintégrer son milieu naturel en adoptant une
stratégie de retrait, tout en continuant de soutenir ses positions
initiales.
Vis-à-vis du projet HADOPI, l'ADAMI restera neutre lors
du vote, mais dénonce le manque d'utilité et de
faisabilité du projet. Finalement cette cause ne nous intéresse
guère car à aucun moment elle n'envisage la moindre
rémunération pour les artistes interprètes et tous les
amendements qui ont été présentés aussi bien au
Sénat qu'à l'assemblée ont systématiquement
été rejetés.
Le droit n'est plus du tout adapté à la
réalité, il en est même contradictoire. Je me suis
demandé pendant les débats DADVSI, comment on avait pu en arriver
là... Je me suis rendu compte que dans les sociétés de
gestion, les maisons de disques, « les majors », tous les
décisionnaires et dirigeants se faisaient imprimer leurs mails par leurs
secrétaires ! C'est une image bien sûr
mais cela souligne à quel point ceux qui
décident de l'avenir du monde sont littéralement «
arriérés » face aux nouvelles technologies, ça fait
froid dans le dos...
3- Finalement, le business model de l'industrie
musicale, basé sur une économie de support, semble largement
menacé, non pas essentiellement par les échanges illégaux
mais surtout par la mort du CDROM. Partagez vous ce constat ?
Bien entendu, l'économie de support est en train de
disparaître et c'est bien cela qui constitue un épisode
périlleux dans l'histoire de l'industrie du disque. Son manque de
réactivité lui a déjà coûté des
centaines de millions d'euros ! Notez que dans un sens, le fichier MP3 est lui
aussi un support car il faut le stocker. Ce n'est pas en basant son offre
commerciale sur le téléchargement payant de titres que
l'industrie va réellement réajuster son économie. La
solution c'est le streaming ! C'est un peu comme l'eau qui coule du robinet, on
n'est pas obligé d'y mettre un jeton chaque fois que l'on veut un verre
d'eau ! C'est cela que l'industrie doit comprendre. Des solutions allant dans
ce sens on déjà été proposées, on y arrivera
quoi qu'il arrive, c'est dommage d'avoir perdu tout ce temps...
Que pensez-vous des campagnes de communication
menées par l'Etat et l'industrie ? Croyez-vous qu'elles ont un impact,
qu'elles génèrent la prise de conscience escomptée
auprès du public ?
C'est trop tard, beaucoup trop tard... ces lois, ces
campagnes, cette logique auraient eu leurs intérêts il y a dix
ans... Ce n'est pas le bon angle. La première fois que j'ai
expérimenté le P2P il y a quelques années, j'ai eu froid
dans le dos. Cela m'a donné l'impression de me réveiller au
milieu des rayons de la FNAC seul, en pleine nuit, personne, pas de vigile, je
peux prendre ce que je veux... c'est l'effet que cela m'a fait à
l'époque.
Bref, ces campagnes suivent un axe de répression du
piratage mais on est déjà plus dans le piratage ! Quand
j'entendais les parlementaires à l'assemblée parler sans cesse de
P2P j'ai réalisé à quel point ils étaient
dépassés par les événements. On
légifère contre le téléchargement et le stockage
illégal alors que la musique devient aussi volatile qu'un courant d'air
avec le streaming... il n'y a plus de piratage...
Ce n'est pas la bonne méthode. Sur ce sujet le
gouvernement n'a eu de cesse depuis plusieurs années de stigmatiser les
gens, de créer des clivages, d'éloigner l'artiste de son public,
sous l'influence des producteurs bien entendu...
Dans le triptyque artistes-producteurs-publics, les
producteurs devraient comprendre qu'ils ne sont pas les maîtres du monde
! Sans création que vont- ils produire ? Et sans public qui
écoutera la création ? Le producteur a un rôle loin
d'être négligeable mais il faudrait qu'il cesse de se mettre
constamment au devant de la scène et de passer pour une victime sans qui
rien n'existerait... Quand on voit la manière dont-ils traitent les
associations de consommateur et font pression sur les artistes
interprètes...
Et «
jaimelesartistes.fr
» ?
Propagande ! C'est comme la liste des 1 00.000 artistes de la
SACEM ! Madame Albanel n'a pas tous les artistes avec elle, certains sont
bâillonnés par leurs producteurs pieds et poings liés
financièrement... et puis il faut aussi comprendre que de nombreux
artistes ne sont pas de cette époque et ils ont très
légitimement la sensation de se faire voler...
Annexe n°2 :
- Interview de Patrick Wealbroeck chercheur et professeur
associé à l'Ecole Nationale des Télécommunications
(ENST), avril 2009.
Présentation de l'intervenant :
Patrick Waelbroeck est professeur associé à
l'ENST au département Economie et Science Sociale. Il y enseigne
l'économie industrielle et l'économétrie. Il est
détenteur d'un doctorat obtenu à la Sorbonne et fait une partie
de ses études à Yale. Ses recherches actuelles portent sur une
approche à la fois pratique, scientifique et empirique du piratage sur
internet et la protection technologique des industries créatives. Il est
également membre du comité éditorial du Journal of
Cultural Economics. Il a publié de nombreux travaux sur le sujet du
piratage et de l'industrie culturelle et fait parti des sommités
mondiales sur le sujet.
Pouvez-vous nous expliquer le déclin du
modèle économique de l'industrie musicale ?
D'un point de vue économique, deux facteurs structurels
montrent que la musique est en déclin :
- Premièrement un déclin du support, car aucun
nouveau support sérieux n'est parvenu à concurrencer le CD (mini
disque de Sony, cassette digitale de Philips). Or, une grande partie de la
demande de musique est dictée par un renouvellement de la
bibliothèque, un renouvellement lié à chaque nouvelle
apparition de support (ceux qui possédaient des vinyles ont
racheté leurs albums en CD). Mais aujourd'hui grâce aux
technologies numériques, « dématérialiser » sa
bibliothèque devient enfantin et surtout gratuit ! Inutile donc de
racheter via une plateforme de téléchargement commerciale un
fichier numérique que l'on peut créer soit même !
- Deuxièmement un facteur lié au secteur du
loisir. On sait qu'aujourd'hui la TV et la musique occupent la plus grande part
en termes de loisir dans le quotidien d'un consommateur, le jeu vidéo
arrive juste après. Que ce soit en termes d'heures d'activités ou
en termes de budget, toutes les prévisions indiquent que dans 5
à10 ans le jeu vidéo viendra en première position. La
musique va forcement continuer son déclin structurel qui est lié
à des effets de substitution entre les différents types de
loisirs. Tout ceci est indépendant du piratage qui ne fait
qu'accélérer le processus.
Quelle est votre opinion sur cette tendance à
la répression visant à limiter les accès à la
technologie à ceux dont les pratiques sont jugées
illégales ? (téléchargement de musiques sur Internet)
Pensez vous que cette démarche relancera le secteur économique de
l'industrie musicale ?
On distingue deux types d'internautes :
- « Les pirates » majoritaires, qui
téléchargent beaucoup, stockent mais ne consomment pas
réellement ce qu'ils téléchargent. Ils cherchent plus
à se constituer une bibliothèque dans l'idée d'«
amasser » quelques richesses plus que d'en disposer. Ce genre d'internaute
n'achète pas de musique. Il n'en a jamais vraiment acheté et il
n'en n'achètera probablement jamais (pas plus que quelques CD par an et
encore...). Ceux là ne se sentent pas concernés par ces mesures
répressives car ils connaissent les méthodes pour les
contourner.
- « Les explorateurs », minoritaire (25%), ne
téléchargent pas pour stocker une musique qu'ils
n'écouteraient pas, au contraire, ils l'effacent une fois qu'ils l'ont
consommé. Ils téléchargent des volumes qu'ils n'auraient
pas pu se payer. On constate que ce sont eux les plus gros acheteurs et ils ont
notamment des rôles de prescriptions dans leur communauté. Si on
réduit leur accès à Internet, ils n'exploreront plus ce
domaine et ils transféreront leur budget ailleurs (jeu vidéo par
exemple). Ainsi, couper l'accès à Internet ne
fera pas gagner grand-chose à l'industrie, il y a
même fort à parier que cela ne fasse qu'empirer son
état.
Expliquez-moi pourquoi les scientifiques sont-ils
finalement si peu présent dans le débat public... ?
Comme vous vous en êtes aperçu dans vos
recherches, très peu d'études sérieuses sur le domaine ont
été réalisées. Les premières datent de 4
à 5 ans et ne concernent qu'une quarantaine de chercheur dans le monde
(pas plus de 10 vrais experts). Ce ne sont pas des sujets économiques
classiques. Il est d'ailleurs regrettable que le seul scientifique choisit par
la commission Olivenne, Olivier Bomsel, loin de douter de ses qualités
de scientifique, paraisse aussi orienté en faveur de cette tendance
à la répression.
Certes la commission a acquis une légitimité
scientifique mais malheureusement pas suffisamment neutre.
Annexe n°3 :
- Interview de Bertrand Le Gendre, chroniqueur
éditorialiste au journal Le Monde, avril 2009.
Présentation de l'intervenant :
Journaliste au Monde depuis 1 974, Bertrand Le Gendre a
été rédacteur à la rubrique Education, chef adjoint
du service des Informations générales, chef de la rubrique
Justice, grand reporter, rédacteur en chef (1 993-2006),
désormais éditorialiste depuis septembre 2006.
Bertrand Le Gendre est professeur associé à
l'université Paris-II Panthéon- Assas depuis septembre 2000 et a
été directeur de collection aux éditions Gallimard (1
986-1989).
Pourquoi, le public ne semble-t-il pas réellement
sensible aux messages alarmistes de la filière musicale prédisant
la mort de la création à venir ?
Vous savez il existe quand même des gens qui sont
convaincus que ce système de téléchargement illégal
fait du mal à la création. Mais il faut reconnaître que les
gros industriels de la culture musicale tels que les majors ont pendant
longtemps fait fortune prenant les mélomanes en otage, les
forçant à acheter des albums de 12-15 titres dont seulement 2 ou
3 valaient le coup ! Ils ont bénéficié de ce
système pendant des années jusqu'à ce qu'ils l'asphyxient
eux-mêmes ! Ils ont été les plus forts pendant des
nombreuses décennies mais depuis près de 1 5 ans qu'Internet
existe, ils ont été stratégiquement incapables d'anticiper
ce qui est en train de leur arriver...
Et puis vous savez, il y a usages et discours, regarder les
usages ! Les usages ne sont finalement pas modifiés par ces discours
alarmistes et culpabilisants. Peut-être qu'ils le seront par les menaces
de la coupure d'Internet...
Les discours qui paraissent avoir de l'impact aujourd'hui en
auront peut-être moins demain. On est dans un système mouvant,
dans un brouillard complet où personne n'a de certitudes...
Que pensez-vous de la position du gouvernement dans
cette affaire ? Pensez- vous qu'il a réellement intérêt
à faire face à des millions de citoyens français juste
pour sauvegarder une industrie vieillissante et peu encline au changement
?
Je crois que le gouvernement est l'objet d'une intense
opération de lobbying de la part de ceux qui ont intérêt au
statut quo c'est-à-dire préserver la chaîne de valeur
traditionnelle du disque car, vous l'avez compris, Internet déplace
cette chaîne de valeurs. Ces industriels de la culture musicale perdent
actuellement du terrain et qui sait peut-être la partie un de ces jours.
Ils n'ont pas su réagir à temps et se retournent donc vers leur
interlocuteur habituel, le ministère d'une culture
régulée, règlementée, afin qu'ils puissent
espérer éradiquer des pratiques qui, soit disant les blessent.
Le ministère de la culture et de la communication
reconnaît lui-même qu'une diminution significative des
échanges, même à la marge, serait satisfaisante. Car en fin
de compte, le gouvernement n'est pas dupe et bien qu'il n'ait guère le
choix face à la pression des lobbys, il est sans illusion sur les
nécessaires évolutions du business model de l'industrie
musicale.
Pensez-vous que les français sont sensibles aux
discours de communication du gouvernement et de la filière musicale ? Se
considèrent-ils comme des pirates ?
Les citoyens français sont très ambivalents, une
partie d'eux-mêmes est consciente que leur comportement nuit à la
filière et la création, quoique surtout à Universal et
à la FNAC et une autre partie d'eux-mêmes demeure animée
par l'attractivité (gratuite) de la pratique.
Il ne faut non plus oublier que pendant un temps, les
fournisseurs d'accès Internet ont largement profité de ces
pratiques illégales, faisant campagne de façon « subliminale
» sur tous les bénéfices que leurs offres pouvaient apporter
au phénomène du téléchargement
(Téléchargez encore plus rapidement avec nos offres etc...).
Mais en fin de compte le téléchargement reste
une pratique assez marginale dans le sens qu'elle concerne essentiellement les
jeunes et donc les cycles de vie. Un cadre de 40 ans ne s'intéresse pas
au téléchargement. J'enseigne à l'université, quand
je demande aux étudiants : qui télécharge
régulièrement ? Plus des deux tiers des mains se lèvent
pour la simple raison que la majorité d'entre eux n'a pas les moyens de
se payer des albums à la FNAC ! C'est avant tout un fossé
générationnel, avec l'âge, les jeunes délaisseront
peu à peu ces pratiques (d'autres prendront leur place
naturellement...)
Vous et le peer to peer ?
J'ai déjà essayé mais ça ne
m'intéresse pas, je n'ai pas envie d'attraper un virus ! Non moi vous
savez, si une musique me plaît, je l'écoute en streaming ;-)
Annexe n°4 :
- « Screenshot » (imprimé-écran) du
site Internet et courts métrages, campagne de communication Buzz de
l'association « UFC Que Choisir » sur le sujet « Avec,
Dédé ça va couper ! » -
http://www.ca-va-couper.fr/
Annexe 5 :
- Visuel de la campagne de communication du Syndicat national
de l'édition phonographique (SNEP) réalisé par l'agence de
communication Nogoodindustry, mars 2004.
Annexe n°6 :
- Divers visuels de campagnes de communication - sensibilisation
- Buzz - Sites Internet de 2005 à 2009.
Source : TNS media intelligence -
http://www.adscope.fr
1. Campagne d'affichage nationale janvier 2005 :
2. Site Internet du ministère de la culture et de la
communication «
jaimelesartistes.fr »
janvier 2009 -
www.jaimelesartistes.fr
3. « Screenshot » (imprimé-écran) des
spots de sensibilisation contre le piratage, précédents la
diffusion d'un film en DVD et Cinéma.
Source : TNS media intelligence -
http://www.adscope.fr
Annexe n°7 :
- Enquête réalisée auprès
d'internautes volontaires par le biais d'un générateur de
questionnaire en ligne : Limesurvey -
www.limesurvey.org
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