Les dons, phénomène anthropologique au coeur des élections au Burkina Faso: une analyse des comportements électoraux dans la ville de Ouagadougou( Télécharger le fichier original )par Oumarou Kologo Université de Ouagadougou - DEA de sciences politiques 2007 |
Section II. La mobilisation de l'électoratLa mobilisation des électeurs est indispensable pour la tenue d'une élection et aucune élection ne peut réussir sans une participation des électeurs. La marchandisation des voix (§1) et l'instrumentalisation des leaders d'opinion semblent se présenter comme des moyens privilégiés par certains partis pour assurer l'adhésion de l'électorat.
§1- La marchandisation des voixA quoi servent les multiples dons observés sur le champ électoral ? Les appréciations ont beaucoup divergé dans les entretiens. Si on opère un classement de ces objectifs dans l'ordre de croissance (voir tableau 10 en annexe), il apparaît que la mobilisation et la conquête de l'électorat est le premier objectif. En effet, tous les enquêtés se sont accordés sur l'importance de cet objectif dans la manifestation des dons électoraux. En deuxième position les dons, de l'avis des populations, faciliteraient l'organisation des élections en permettant aux partis d'accéder aux ressources qui leur sont indispensables. Selon cette perception, les partis et les électeurs ont tous dans une certaine mesure besoin des dons pour mieux s'impliquer dans les élections. Sur les 40 enquêteurs, 38 soit 95% d'entre eux l'ont souligné. Les dons serviraient en suite à fausser le jeu politique c'est-à-dire, rendre le jeu politique inégal et la concurrence déloyale entre les partis, mettre des bâtons dans les roues des autres partis (ceux qui donnent moins ou qui n'en ont pas pour donner). Ainsi, 92.5% des personnes rencontrées ont signalé cet état de fait. Toujours selon le tableau, trois objectifs sont visés par les dons après ceux déjà évoqués : séduire ou flatter, corrompre par l'achat de conscience et véhiculer un message. Les hommes définissent comme objectifs de premier ordre les critères suivants : il s'agit de fausser le jeu politique, d'assurer la transmission de message, de faciliter l'organisation des élections et d'assurer la mobilisation électorale. Du coté des femmes, les objectifs fondamentaux sont en premier lieu la facilitation de l'organisation des élections, la séduction des électeurs, la corruption et la possibilité de fausser le jeu politique. Ces classements sont parfois variables en fonction des statuts des agents sociaux mais les raisons avancées restent les mêmes et mériteraient que l'on s'y penche sérieusement. Comme le souligne Bailey, « un leader ne peut influencer et diriger les actes de ses partisans que dans la mesure où il dépense des ressources. Ce qui se passe entre eux est moins une interaction qu'une transaction 92(*)». Cette relation de transaction décrite entre le leader et le partisan (électeur) semble s'inscrire dans l'ordre normal des choses c'est-à-dire dans une logique sociale. Dans cette optique, pour diriger et se faire respecter, le leader d'un parti politique mettrait tout en oeuvre pour rendre disponibles les ressources nécessaires et susciter l'adhésion du peuple. Les transformations suscitées par la greffe de l'Etat occidental, ont conduit à un dépérissement des solidarités communautaires. Cette situation a entraîné une demande du moins une potentialité de mobilisation partisane qui apportait une satisfaction à l'individu adhérent. Les partis ont aujourd'hui emboîté le même pas en cherchant les voies et moyens de satisfaction de leurs adhérents (partisans). La mobilisation électorale implique des efforts logistiques et économiques que ne peuvent avoir tous les partis. Aussi convient t-il de noter que le capital politique varie d'un parti à l'autre. Or, l'ensemble des partis est appelé à lutter pour les mêmes sièges. Dans cette conquête sans mesure des électeurs, chacun emploie les moyens qui lui paraissent adéquats. Pour mieux cerner les raisons de l'usage des dons, nous avons tenté de déterminer les périodes au cours desquelles ils sont offerts aux populations par les partis politiques. Le tableau suivant en donne la substance. Tableau n03.. L'appréciation des périodes de la manifestation des dons en fonction de l'âge.
Source : enquête de terrain, Mars 2007 (Pour complément, voir le tableau n0 15 en annexe) Il apparaît en clair que quelque soit l'âge des personnes rencontrées dans cette étude, les périodes électorales sont les moments privilégiés de la manifestation des dons émanant des partis politiques vers les populations. En somme 31 personnes (soit 77.5% des enquêtés) ont signalé que c'est surtout pendant les campagnes électorales que beaucoup de partis font des offres aux populations. Ces données sont confirmées par les divers entretiens que nous avons réalisés. O.W. ex conseiller du CDP dit dans ce sens que : «notre parti fait souvent des offres avant et après les campagnes mais les offres les plus significatives et consistantes sont données aux populations pendant les périodes d'élection. Ce n'est pas le seul parti qui donne, certains partis d'opposition bien qu'ils se soient toujours plaints d'être pauvres, se lancent dans les mêmes pratiques pendant les élections ». Cette ruée des partis politiques dans la pratique des dons semble s'inscrire dans les habitudes à tel point qu'elle est devenue un fait banal. Cette pratique, devenue un moyen pour atteindre le but de la mobilisation de l'électorat, semble se généraliser dans les démocraties africaines. Socpa montre en effet que le champ électoral au Cameroun porte fortement les marques de ce phénomène. Cette tendance des partis à offrir des dons se justifierait selon De Sardan, par l'importance de la monétarisation des relations sociales sur le continent. Il voit en cela un facteur favorable au clientélisme. Ainsi note t-il que « les relations interpersonnelles courantes, elles-mêmes, affectent en permanence une forme monétaire »93(*). Il n'existe de l'avis de l'auteur aucun domaine (même les rapports conjugaux) où l'argent n'intervienne permanemment. C'est donc à l'aune de cette monétarisation des formes quotidiennes de sociabilité que doivent se comprendre les attitudes des électeurs à l'égard du pouvoir et des élections. « L'achat des consciences, et plus largement, la relation clientélaire tirent d'abord leur légitimité de leur banalité quotidienne, de leur inscription dans un continuum d'échanges sociaux monétarisés qui leur confère leur caractère enchanté »94(*). Pratique sociale devenue par la répétition comme inscrite dans l'ordre normal des choses, elle favoriserait une forme de transaction entre les électeurs et les ``offreurs politiques''. Pour Kiéma « lorsque l'électeur ne sent pas l'impact positif de son vote dans sa sphère économique, il s'en suit une démotivation pouvant avoir un impact négatif sur sa participation95(*) ». L'électeur serait dans cette logique capable de s'abstenir s'il est certain que sa voix ne lui apporterait rien comme faveur. Il révèle en outre que la paupérisation dans laquelle vivent les couches sociales dans la ville de Ouagadougou pousse celles-ci dans une quête permanente de moyens de subsistance. La ville de Ouagadougou regorge d'exemples palpables de transactions entre les responsables politiques et les populations. Selon les jeunes qui ont formé le groupe du focus au secteur 29, « les élections sont des occasions où l'on peut monnayer ses talents d'orateur, son temps, ses relations et sa voix pour manger. Ce sont les seuls moments où on peut établir des relations franches avec les hommes politiques ». La même analyse est ressortie du focus du secteur 27. D'après ce groupe, « sans dons, il n'y a pas d'élection ; car les populations ne sont pas prêtes à laisser sans contre partie leurs activités (leurs « bisness ») pour battre campagne ». Les jeunes des focus confient que lorsqu'ils entrent dans les habitations, ils ne peuvent pas ressortir sans rien y laisser pour motiver la participation des habitants aux meetings dont ils sont les organisateurs. Généralement les représentants des partis politiques dans les quartiers font leurs propres démarches pour assurer la mobilisation des populations qui les entourent et à leur niveau, ils remettent directement des sommes ou des produits divers. Les élections seraient un marché politique, un ``marché de dupes96(*) dans lequel les entrepreneurs politiques (les partis) et les électeurs viennent échanger leurs marchandises. C'est une tradition qui s'inscrit dans l'analyse stratégique illustrée par Weber mais aussi Schumpeter.97(*) Selon De Walle98(*) « l'une des caractéristiques des régimes africains est leur recours plus ou moins systématique au clientélisme pour obtenir ou maintenir l'appui politique ». Engueleguele fait remarquer dans le même sens que c'est probablement dans la marchandisation du vote que se jouent les véritables processus de formation et de consolidation de la démocratie au sud du Sahara. S'inscrivant dans la ligne des théories dites utilitaristes, il met l'accent sur la notion d'individualisme. Selon cet auteur, l'observation du vote utilitaire, d'avertissement et de sanction met en jeu le recul de l'identité partisane couplé à une certaine volatilité électorale. C'est l'avènement d'électeurs relativement autonomes et imprévisibles mais aussi calculateurs. Electeurs de la deuxième génération, ils sont réticents aux identités partisanes préfabriquées, moins captives, ayant des attitudes idéologiques relativement cohérentes et se prononçant de façon plus affirmée sur des enjeux et questions politiques. L'apparition de ce type d'électeurs coïncide avec des élections organisées sur un fond de multiples offres comme appâts pour certains dans leur stratégie de maintien ou d'obtention d'une position et des conditions pour d'autres d'exprimer leurs choix. Dans la même lignée, Gaxie99(*) voit le champ politique comme la structure d'un espace de transactions entre les agents politiques actifs et des profanes. L'auteur précise par ailleurs que l'engagement politique est la conséquence d'un statut social jugé insatisfaisant et qui prédispose à délaisser les enjeux d'un milieu subjectivement peu gratifiant pour se lancer dans d'autres investissements. L'élection se présente donc comme un cadre d'investissement. Les hommes politiques investissent leurs moyens pour obtenir des voix, les populations font un placement de leurs voix en vue de changer leurs conditions d'existence. Boy et Mayer100(*)abondant dans ce sens soulignent : « comme des consommateurs, les électeurs réagissent à chaque élection en fonction de l'éventail de biens qui leur sont proposés et de leur promotion (campagne) ». Ces réactions sont des prises de positions calculées pour atteindre la satisfaction de leurs besoins. Dans le marché, l'électeur ne monnaie pas seulement sa voix pour ses besoins immédiats mais il maximise aussi pour tirer un profit certain dans les jours, les mois et les années qui suivront les élections. Dans ces formes de sociabilité, seul l'intérêt, le gain présent et futur importe aux partis au marché politique. Il est fait cas par exemple dans les entretiens de la construction du mur d'une mosquée du secteur 17. Ce mur aurait été érigé en une seule nuit à l'approche des élections municipales. Le matin en allant à la prière, certains fidèles ont eu la grande surprise de constater que leur joyau était bien clôturé et ils auraient vu les ouvriers s'atteler à ramasser le reste de leur matériel101(*). Les populations de Ouagadougou semblent avoir bien compris le système du marché et s'investissent pour le transformer à leur avantage. Le focus du secteur 29, montre bien que les jeunes du groupe s'organisent pour mieux tirer partie de chaque élection. « Les hommes politiques savent ce que nous voulons et nous aussi nous savons ce qu'ils veulent. Mais pour que personne ne perdent, ils doivent ``mouiller nos bouches102(*)''. Ils comprennent que nous ne les suivons pas pour leurs idées mais pour manger, donc ils sont tenus de ``bien parler103(*)'' pour nous avoir avec eux ». Ces réactions des populations pourraient se justifier par ce que Bayart104(*) qualifient de modes populaires d'action politique. Les entretiens ont montré en effet, que les dons sont même devenus une exigence des électeurs. Il ressort que 65% des enquêtés (voir tableau 16 en annexe) pense que les dons électoraux ne sont plus une simple émanation des partis mais, une condition que les électeurs établissent pour prendre part aux élections. Selon Kieffer105(*), les campagnes électorales ouagalaises sont en effet l'occasion de ``profiter financièrement'', c'est-à-dire de recevoir un peu d'argent en échange de services : le vote, le déplacement à un meeting ou la mobilisation des personnes. Certains grins de thé ont été créés dans cette ville spécialement pendant les périodes électorales. Les jeunes constitueraient ainsi des bureaux bien organisés et chaque membre contribue financièrement à leurs animations. L'objet premier étant de se faire remarquer par les partis politiques qui chercheraient des mobilisateurs. L'engagement partisan est marchandé et ne correspond pas nécessairement à une identification aux objectifs du parti politique, ou tout au moins l'idéologie ne constitue pas le facteur central de l'engagement106(*). Les électeurs dans leur engagement attendent une contre partie qui peut être immédiate ou reportée après les élections. Mais dans l'ensemble et pour la plupart des personnes interrogées, l'immédiateté des besoins implique que l'engagement soit rapidement récompensé par les hommes politiques. Banégas107(*)concluait que pour les électeurs béninois, « le bon candidat, le bon chef ou le bon président sont certes évalués au regard de leurs compétences politiques ou de leur capacité gestionnaire, mais aussi et surtout à partir de leur « bon comportement ». Le vote est un canal pour assurer la transaction de biens entre l'électeur et l'homme politique, car sous les apparences d'un acte noble, il couvre des systèmes de réseaux d'un marché où seuls les gains gouvernent les décisions et les engagements des acteurs. Dans la logique de mobilisation, hormis le marchandage des voix, les politiques procèdent aussi par l'instrumentalisation des leaders d'opinion.
* 92 Voir Bailey op . cit. p 50. * 93 Voir « l'économie morale de la corruption en Afrique », J-P. O. De Sardan, in politique africaine, n0 63, octobre 1996, p110. * 94 A. Socpa, op. cit. p110. * 95 B. Kiéma, La problématique de l'abstentionnisme électoral au Burkina Faso : cas spécifique du secteur 27 de l'arrondissement de Nongr-Mâasom dans la commune de Ouagadougou, Mémoire de Maîtrise, Université de Ougadougou, UFR/SH, 2006, p45. * 96 Il s'agit d'un jeu instauré dans lequel les plus rusés s'en sortent toujours. Tous les coups y sont permis. * 97P. Braud,Sociologie politique, Paris, L.G.D.J., 6e édition, 2002, p365. * 98 Voir « presidentialism and clientelism in Africa's emerging party system », N. V. De Walle in Voter en Afrique, comparaisons et différenciations, P. Quantin, l'Harmattan, 2004, p121. * 99 D. Gaxie, La démocratie représentative, collection Clefs, 2e édition, Paris, Montchrestien, 1996, p123. * 100 D. Boy, N.Mayer,, L'électeur a ses raisons, Paris, Presse sciences politiques, 1997, p23. * 101 K.B. est habitant du secteur 17 et membre du bureau de la section CDP du Kadiogo. * 102 Expression populaire de plus en plus usitée. Elle signifie donner à manger. Mais tous les plats ne mouillent pas la bouche, seuls les plats succulents, les repas copieux sont visés, ce qui suppose qu'il faut beaucoup d'argent. * 103 Comme la première expression, celle-ci veut dire financer, mettre la main dans la poche au lieu de beaucoup parler. * 104 J.F. Bayart, A. Mbembe et Toulabour Comi, Le politique par le bas en Afrique noire, Paris Karthala, 1992. * 105 Voir « Les jeunes des grins de thé et la campagne électorale », J.Kieffer, politique africaine, n0 101, Paris, Karthala, 2006, p75-77. * 106 J. Kieffer, op.cit. p76. * 107 R. Banégas, op cit p82. |
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