Les dons, phénomène anthropologique au coeur des élections au Burkina Faso: une analyse des comportements électoraux dans la ville de Ouagadougou( Télécharger le fichier original )par Oumarou Kologo Université de Ouagadougou - DEA de sciences politiques 2007 |
CONCLUSION« Une société n'est pas naturellement démocratique, elle le devient si la loi et les moeurs corrigent l'inégalité des ressources 168(*)». La démocratie doit donc être conquise à travers un processus de socialisation politique dans lequel les élections occupent une place de choix. Au fil des élections que le Burkina a connu depuis l'avènement du processus démocratique, le phénomène du « don électoral » s'est érigé en fait marquant. L'étude de ce fait social s'impose dès lors comme une nécessité scientifique permettant de situer sa genèse, ses causes et surtout ses conséquences sur la construction de la démocratie. Construit social, le don a toujours existé dans les sociétés humaines et servait à forger des relations, à les maintenir en vue de faire régner la cohésion sociale. Il contribuait à pacifier les rapports entre acteurs sociaux. La pratique du don a connu une évolution au regard de son incursion dans le terrain politique. Les dons qui se manifestent sur le champ électoral Ouagalais sont de plusieurs ordres. On distingue les dons matériels et immatériels ou symboliques. Si depuis 1978, ces deux types de dons ont été observés lors des élections dans cette ville, c'est surtout à partir des élections de 1992 qu'ils sont devenus plus prégnants. Il existe des mécanismes bien construits pour assurer l'acheminement des dons des partis vers l'électorat. Hormis la procédure de transmission directe assurée par les dirigeants politiques, certains dons sont remis aux électeurs par des intermédiaires. Ces intermédiaires sont entre autres certains leaders d'opinion et des mobilisateurs spontanés. Notons que certains intermédiaires s'érigent par moment en donateurs. Il s'agit généralement des opérateurs économiques qui, de plein gré, décident d'affecter certaines de leurs ressources pour battre la campagne au profit d'un parti qu'ils représentent. Les « dons électoraux » ne quittent pas seulement les partis vers l'électorat, les partis en reçoivent aussi soit dans leurs rapports avec d'autres partis, soit avec certains hommes d'affaires. Cette attitude des partis s'expliquerait par l'insuffisance du financement public. L'impossibilité de rassembler les cotisations des militants et des membres du bureau politique national et l'absence d'activités rentables pouvant permettre aux partis de financer leurs activités sont autant de difficultés auxquelles les partis burkinabè sont confrontés. Face aux sollicitations des populations lors des campagnes et dans l'intention de maintenir les liens avec celles-ci durant les périodes pré et post électorales, les partis se trouveraient dans l'obligation de recourir aux financements occultes (dons). Les dons privés ne viennent pas seulement combler un besoin de financement des partis, mais, ils servent aussi à satisfaire les objectifs inavoués de leurs dirigeants. L'incapacité qu'éprouvent certains partis à accomplir ces desseins les conduit dans la pratique des alliances. Par ces coalitions, certains dirigeants politiques seraient prêts à retourner leur veste pour souper avec leurs adversaires politiques d'hier. En outre, les dons alimentent les rapports entre l'opposition et le parti au pouvoir. Ce dernier est accusé de tentatives de déstabilisation, de corruption des opposants et de capture de certains partis d'opposition. Sans contester cette perception des choses, il faut souligner que certains opposants sont les fossoyeurs de l'opposition. Ils portent un masque, la nuit soupant avec le pouvoir et le jour clamant haut et fort leur loyauté. Nul doute que le pouvoir puisse avoir une quelconque responsabilité sur la situation chaotique de l'opposition, mais, l'on ne saurait lui faire porter la faute tout seul, car les opposants ne sont pas blancs comme la neige. S'agissant de l'influence des dons sur le comportement des électeurs, objet principal de notre travail, il faut noter que le don n'est jamais le seul élément de motivation du comportement des électeurs. L'électeur Ouagalais, comme partout ailleurs, est soumis à l'effet de son environnement social. Les analyses sociologiques ont toujours montré le primat du social sur le comportement de l'individu, car tout individu par la socialisation se conduit selon les codes de son milieu. Dans le cas de Ouagadougou, les rapports sociaux sont encore et ce, malgré l'urbanisation, influencés par les appartenances identitaires. Il s'en suit que l'individu se réfère à ces normes intériorisées dans ses choix. Dans cette logique, ses comportements de quelque nature qu'ils soient, trouvent leur sens dans ces valeurs. Notons en outre l'importance de l'instrumentalisation des leaders d'opinion sur le comportement des électeurs. Nombre d'électeurs restent soumis ou accrochés aux idées et aux analyses que font leurs leaders d'opinion. Ces types d'électeurs sont inconstants et irrésolus et peuvent être drainés par les leaders dans les camps auxquels ils appartiennent. Il serait cependant aberrant de croire que l'individu n'a pas de marge de manoeuvre pour faire des choix suivant des mobiles qui lui sont propres. C'est là un vieux débat entre les partisans de l'approche holiste et ceux de l'individualisme méthodologique. Tant il est vrai que le social exerce une force transformatrice sur l'individu, il est tout aussi admis que parfois, ce dernier dispose des possibilités d'opérer des choix libres. En effet, comme le dit bien Crozier : « un agent, si dominé soit-il, n'est jamais totalement dépourvu de ressources de pouvoir susceptibles d'être exploitées dans la situation vécue » 169(*). Loin de nous lancer dans ce débat théorique, nous essayons de montrer que l'influence des dons sur les choix électoraux mérite d'être relativisée. En effet, certains électeurs portent leurs choix sur un parti précis avant même que les campagnes ne soient lancées. La présence d'un proche parent, d'un ami ou d'une connaissance quelconque au sein de ce parti peut motiver ces choix. Dans ces cas précis, la distribution de dons dont ils peuvent être bénéficiaires ne changera pas leur objectif de vote. On note cependant, que d'autres électeurs plus sensibles aux dons, attendraient de choisir le plus offrant des partis pour monnayer leurs voix. Le vote se définit dans cette logique comme un canal pour assurer la transaction de biens entre l'électeur et l'homme politique, car sous ses apparences d'un acte noble, il couvre des systèmes de réseaux d'un marché où seuls les gains gouvernent les décisions et les engagements des acteurs. En somme, les dons sont des stimulants de vote pour une certaine catégorie de la population. Leur influence est pourtant réduite pour cette partie des populations qui reste encore soumise aux allégeances identitaires. Or, vu l'analphabétisme accru et le continuum rural urbain, la grande majorité de la population se retrouve dans cette dernière situation. On note par contre qu'il existe des électeurs capables d'opérer une analyse programmatique, eu égard à leur niveau d'instruction élevé et à l'habitude qu'ils ont développée de prendre part aux scrutins. Ainsi, ces électeurs seraient mieux outillés pour comprendre et bien analyser les programmes politiques que proposent les partis afin de faire un bon choix parmi les candidats. Nonobstant la maîtrise des programmes des partis par cette catégorie d'électeurs, il faut remarquer que certains d'entre eux ne votent pas toujours sur la base des programmes. Les liens d'appartenance et les relations clientélaires sont aussi actifs sur cette partie de la population. Dans le processus de la construction de la démocratie, les partis devraient s'investir dans la formation d'un type nouveau de citoyen débarrassé de toute allégeance identitaire et comprenant le sens réel de l'acte électoral. Ce citoyen (émancipé et domestiqué) verra le vote comme un acte conscient et civique et non comme un moyen de redistribution. La formation pourrait conduire à une prise de conscience des effets nocifs que pourraient revêtir les dons électoraux. Elle permettrait d'éviter l'institutionnalisation de la corruption dans les moeurs et les habitudes. Mais une meilleure formation du citoyen exige que les partis disposent de ressources humaines capables de l'assurer. La multitude de partis qui se crée sans aucune base de ressources humaines (des personnes pétries de compétence), ne permet pas à tous les partis de jouer ce rôle, même s'ils avaient le financement requis. Ils seraient tentés de rechercher les formateurs ailleurs pour combler ce vide. Il est impérieux que les partis aient en première ligne l'objectif de former des citoyens et qu'ils oublient leurs intérêts individualistes. C'est à ce titre qu'ils pourront investir le peu qu'ils ont pour cette cause. Ensuite, il faut que des règles soient créées pour encadrer les différents dons et leur gestion afin de placer, tous les partis sur le même pied. L'encadrement juridique actuel est peu efficient car, il ne prend pas en compte certaines dimensions. Les partis politiques peuvent justifier les financements occultes par le fait que la cour de compte ne prévoit pas dans ses méthodes de vérification certaines dépenses qui leur sont pourtant capitales. Il est de ce fait nécessaire de prévoir une partie du financement public pour les dépenses (comme l'achat de dolo) pour lesquelles les partis ne peuvent obtenir de pièces comptables. Si l'encadrement paraît évident en théorie, dans la pratique, il ne pourra donner objectivement les mêmes chances aux partis car, ceux-ci n'ont pas le même capital politique. Les dirigeants des partis n'ont pas les mêmes types de relations avec les milieux des affaires et en plus les dons occultes sont difficiles à démasquer. Malgré tous ces obstacles à l'assainissement du champ électoral, l'encadrement juridique reste un moyen important d'atténuation des écarts des moyens entre les partis et pour pacifier le champ électoral. Les élections ouagalaises se présentent comme de simples fêtes publiques où les offreurs politiques font la cour aux électeurs sans se douter du type de citoyen qu'ils sont entrain de former à travers les processus électoraux. Il est temps que les acteurs politiques prennent des garde-fous pour éviter de conduire cette jeune démocratie dans l'hécatombe de la corruption. Or, comme le souligne le CGD : «la contrepartie que tirent les électeurs de la corruption (gains) est le fruit de l'aliénation de leur liberté et de leur citoyenneté »170(*). Déjà, ce phénomène de la corruption électorale prend de l'ampleur, mais l'avenir de notre démocratie sera sans lendemains si les partis et les dirigeants politiques ne l'extirpent pas du gouffre dans lequel elle est entrain de s'enfoncer. La suppression totale des dons reçus par les partis serait une solution prématurée bien qu'ils soient la cause de la corruption. Mais, il serait plus judicieux de supprimer les dons offerts aux électeurs par les partis comme cela se fait au Bénin. Ce qui veut dire que pendant les campagnes et les élections, les dirigeants des partis ou les populations ne seront pas autorisés ni à porter des pagnes ou gadgets portant l'effigie des partis encore ni à partager publiquement des cadeaux aux électeurs. Une telle situation offrirait une chance égale aux partis face à électeurs et conduirait ces derniers à opérer leurs choix sur la base d'une analyse programmatique. Quant aux dons faits par les opérateurs économiques aux partis, ils devraient être encouragés dans des proportions acceptables et sur la base de mesures que pourraient développer l'Etat. En d'autres termes, il s'agit de trouver des conditions permettant à ces types de donneurs de continuer à apporter leurs soutiens aux partis, tout en bénéficiant des retombées positives sur leurs affaires grâce à un abattement de leurs taxes. Au terme de ce travail, signalons que notre hypothèse a été confirmée car il a été démontré que les dons ont une part d'influence dans les comportements des électeurs à Ouagadougou. Ce déterminisme lié aux dons et auquel seraient soumis les électeurs, est cependant relatif. En effet, plusieurs autres facteurs dont les pesanteurs sociologiques, les promesses non tenues, la présence des observateurs lors des scrutins ainsi que les détournements des dons auraient un impact sur les choix des électeurs. Ces facteurs constituent dans une certaine mesure des freins voire des limites de l'influence des dons sur les comportements des électeurs. En d'autres termes, les dons ont une influence effective mais celle-ci ne saurait être le seul stimulant des choix électoraux dans la ville de Ouagadougou. Une approche plus large portant sur une taille assez importante de la population aurait pu permettre d'accéder à des données plus riches et plus étoffées pour généraliser les résultats de cette étude. Somme toute, cette recherche ouvre une perspective pour des réflexions futures plus poussées sur les « dons électoraux ». Elle pourrait en outre, être enrichie par une analyse comparative entre la manifestation du phénomène en milieu rural et celle en milieu urbain. De nouvelles perspectives intégrant une telle démarche pourraient s'ouvrir pour d'éventuels travaux de recherche. La politique est une question passionnante dans un certain nombre de villes au Burkina Faso. On note que dans les autres grandes villes (Bobo dioulasso, Koudougou et Ouahigouya) elle est souvent vécue et exprimée sur fond de tensions. Dans cette optique, un regard scientifique sur la manifestation des dons électoraux dans ces principales villes du pays, permettrait de donner une vue générale du rôle des dons dans la détermination des comportements électoraux au Burkina Faso. * 168 A..Touraine, cité par B.Kiéma, in « la problématique de l'abstentionnisme électoral au Burkina Faso, cas spécifique du secteur 27 de l'arrondissement de Nongr-mâassom dans la commune de Ouagadougou, mémoire de maîtrise en sociologie, 2007. p10. * 169 Cité par P.Braud, in, Sociologie politique, Paris, LGDJ, 2002, p614. * 170 Voir, Rapport du séminaire international sur la corruption électorale en Afrique de l'Ouest », CGD, Ouagadougou, les 27 et 28 novembre 2003, p6. |
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