Université Michel de Montaigne
Bordeaux III
Master 2 Recherche
Sciences de l'Information et de la Communication
Parcours : Images et Sociétés
Les implications socio-sémiotiques et
esthétiques du partage des photos numériques et des MMS :
Enquête par entretien collectif
|
Mémoire de
Mahdi AMRI
Préparé sous la direction de
M. Thierry LANCIEN
Juin 2006
A mes parents
A Imane et à Fouad
A Ghita et à Laïla
A Faïçal et à Maher
A Veronica
A tous mes amis en France,
au Maroc et en Tunisie
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier tout
particulièrement mon directeur de recherche M. Thierry LANCIEN qui a
toujours été disponible et attentif à mes questions. Ses
conseils et orientations méthodologiques m'ont été de
grande utilité pour finaliser ce mémoire.
Mes vifs remerciements vont notamment à tous les
camarades du Village 3 et de l'association AELMB qui m'ont accordé leur
temps précieux pour la réalisation des entretiens.
Merci de tout mon coeur à :
Alae, Amal, Amine, Effie, Faïçal, Ibrahim, Karim,
Madalina, Muslum, Rim, Saïd, Tamila, Wydade et Younes.
Je remercie également ma famille pour son soutien.
SOMMAIRE
INTRODUCTION
GENERALE...................................................................................
6
Préambule..................................................................................................................
7
Problématique..........................................................................................................
8
Méthodologie de
recherche...................................................................................
9
I- PREMIERE PARTIE - Du dessin pré-historique
à l'image numérique : histoire et traits
socio-sémiotiques.....................................................
12
Petite histoire de
l'image..................................................................................
13
La naissance de
l'image......................................................................................
14
La
perspective.......................................................................................................
15
La
gravure..............................................................................................................
16
La
photographie....................................................................................................
17
Images
numériques......................................................................................
21
Images numériques : naissance et
évolution.................................................. 21
Introduction...........................................................................................................
21
Cadre
militaire......................................................................................................
22
Cadre
médical.......................................................................................................
24
Photos numériques : aspects
socio-sémiotiques.................................... 27
Introduction...........................................................................................................
27
Images numériques : aspects
socio-sémiotiques........................................... 27
Image numérique et
indice................................................................................
28
Image numérique et
calcul................................................................................
30
Image numérique et
dématérialisation...........................................................
31
Les MMS : aspects
socio-sémiotiques........................................................
34
Indications
méthodologiques..............................................................................
34
Terminologies........................................................................................................
34
Les MMS : dimensions sociologiques et
sémiotiques..................................... 35
II- SECONDE PARTIE - Implications
socio-sémiotiques et esthétiques des photos numériques et
des MMS. Enquête par entretien collectif 40
Présentation de
l'échantillon.........................................................................
41
Guide de
l'entretien.........................................................................................
42
Photos numériques : implications
socio-sémiotiques et esthétiques. 44
Avantages et inconvénients des photos
numériques................................... 44
1.
Avantages :.......................................................................................................
44
La possibilité de faire plusieurs
photos......................................................... 44
La possibilité de faire des
retouches..............................................................
44
Accessibilité et facilité
d'usage......................................................................
45
2.Inconvénients.....................................................................................................
47
Photos numériques : implications
socio-sémiotiques.........................
48
Thèmes et contexte
d'échange...................................................................
48
La photo numérique comme moyen de
communication......................... 49
Photo numérique de
famille.........................................................................
51
Photo numérique et transmission du
patrimoine..................................... 52
Photos numériques : implications artistiques
et esthétiques 54
Photo numérique et mémorisation de la
réalité.................................... 54
Photos numériques et implications
esthétiques..................................... 57
Les MMS : enjeux sémiotiques et
communicationnels...............
60
Contextes et buts
d'échange..............................................................
60
Terminologies.........................................................................................
60
Thèmes
photographiés..........................................................................
61
Typologie de
réponse.............................................................................
63
Contextes
d'échange..............................................................................
63
Les MMS : enjeux sémiotiques et
communicationnels..................... 67
Les MMS et rapport
texte-image..........................................................
67
Les MMS comme pratique
communicationnelle................................
70
MMS et
intermédialité :.........................................................................
73
1- MMS et cartes
postales/virtuelles....................................................
74
2- MMS et messagerie
électronique.......................................................
76
Les MMS banalisent la
communication.................................................
77
CONCLUSIONS.............................................................................................
80
Conclusion
générale.................................................................................
81
Résumé.......................................................................................................
88
Abstract......................................................................................................
89
BIBLIOGRAPHIE..........................................................................................
90
INTRODUCTION GENERALE
Préambule
Depuis le début du XX ème
siècle, la photographie constitue un objet d'étude et un sujet de
réflexion qui rassemble de multiples domaines professionnels,
intellectuels et artistiques ( sociologie, anthropologie, sémiologie,
esthétique...). La photographie, dans son immobilité taciturne du
monde, instaure un point de rupture avec le brouhaha de la
société médiatique 1(*). La photographie fascine et la communauté des
chercheurs continue d'y porter un intérêt manifeste, vues ses
dimensions sociologiques, psychologiques et sensibles.
Bien qu'étant le
« déclencheur » du régime visuel
médiatique avec la reproductibilité technique de l'image qui la
caractérise, la photographie constitue aujourd'hui un contrepoint
remarquable à un ordre médiatique trépidant ; elle
offre un arrêt sur image et des moments de méditation par la
fixité de son regard et la sensibilité qui jaillit
d'elle. Tout en étant proche du réel, la photographie enregistre
notre quotidien et raconte l'histoire comme un progrès sans
limites.2(*)
L'image photographique entretient un rapport étroit
avec le réel et nous permet ainsi de l'approcher sous un angle
particulier. Elle est la trace d'une réalité certaine qui a bien
existé, mais en même temps, elle est l'oeuvre sensible et
subjective d'un artiste. Elle nous donne donc accès à une
signification où la réalité et l'imaginaire se
mêlent étroitement. D'autre part, la photographie consiste en une
représentation parcellaire du réel : elle fixe des fragments
choisis. Ceci semble lui conférer un pouvoir particulier de
signification. La photographie semble être douée de ce pouvoir de
restitution d'une réalité mouvante sous une forme
instantanée et statique. La fragmentation photographique n'enlève
rien à son pouvoir révélateur, au contraire, en se
rapprochant du détail, elle permet de saisir une globalité.
Avec l'introduction du numérique dans le champ de la
photographie, la « séance de prise de vues » n'est
plus distinguée. Prendre une photo n'est plus un arrêt sur image
mais plutôt une capture, ce qui donne à saisir l'acte
photographique comme une mécanique répétitive et
incarnationnelle, un recueil par consensus et un partage
immédiat médiatisé par le groupe. Le moment à vivre
se construit parallèlement à sa mise en boîte et
l'appropriation des photos est plus rapide par le plus grand nombre
d'utilisateurs ( maniabilité, facilités d'usage et
d'accès, notion de jeu...). D'autant plus que les usages sociaux de
cette technologie nouvelle s'inscrivent dans le mouvement du photographique
tout en faisant rupture sur certains points qu'il conviendrait d'expliciter en
détail dans ce travail de recherche.
De nos jours, les photos numériques circulent
partout. Elles constituent de par leur matérialité souple,
manipulable et leur haute qualité visuelle un vrai
phénomène de consommation de masse. Les photos numériques
prises au moyen du caméscope3(*) ou plus encore les MMS sont largement partagées
entre les sphères intimes (amis, amoureux, membres de famille). Elles
instaurent des ponts de liaison et créent des bulles de bavardage
convivial. Les photos numériques, les MMS surtout engendrent souvent des
messages en retour et des interactions possibles entre les groupes d'usagers.
Offrant des modalités de lecture probablement différentes des
photos argentiques, elles requièrent notamment des dimensions
sociologiques certaines et proposent un regard esthétique particulier
sur le monde et les objets du quotidien.
Problématique
Notre problématique de recherche s'inscrit donc au
coeur de la relation entre deux objets d'étude : la photographie et
la technologie numérique. La photographie étant un média
qui véhicule de l'information et qui reproduit le réel, la
technologie numérique surmédiatise la photo, dans la mesure
où elle permet une distribution rapide et massive des photos entre les
cercles d'usagers et à travers plusieurs supports médiatiques
(micro-ordinateurs, Internet, téléphones mobiles). La
prolifération des photos numériques et des MMS, et leur
nomadisme entre les réseaux d'utilisateurs laisse apparaître
des fonctions nouvelles qui y sont associées tout en inspirant des
interrogations de base sur les différentes implications des ces images.
Notre sujet de recherche consiste à analyser les
dimensions socio-sémiotiques et esthétiques de la circulation des
photos numériques et des MMS entre les sphères intimes. Pour ce
faire, nous allons essayer d'apporter des éléments de
réponse au triple questionnement suivant :
- En quoi différent les modalités de lecture
des photos numériques et des MMS par rapport aux photos argentiques et
quelles sont notamment leurs enjeux socio-sémiotiques ?
- Les photos numériques et les MMS en tant qu'images
hybrides et médiatisées par la technologie, quelles fonctions
esthétiques et artistiques laissent apparaître ?
- Quelles formes de sociabilité peuvent être
développées à travers l'échange des MMS et des
photos numériques entre les réseaux relationnels ?
Méthodologie de recherche
Pour tenter d'apporter quelques éclairages sur ces
différentes interrogations, l'approche la plus appropriée est
évidemment la méthode de l'entretien collectif qui consiste
à recueillir du discours dans le cadre d'un groupe partageant une
identité ou une expérience vécue (un film, un programme de
radio, une émission télévisée, etc.). Le contenu de
cette situation est analysé par le chercheur qui élabore des
hypothèses sur les effets prévisibles des divers stimuli
(tel thème, telle image sont susceptibles de provoquer telle
réaction chez les enquêtés ) et met au point un guide
d'entretien consacré à la perception subjective de cette
expérience, dont il importe peu que le compte rendu soit fait
individuellement ou collectivement.
L'entretien collectif est présent dans
différentes disciplines. Il a depuis longtemps sa place en
psychosociologie, il est de plus en plus employé en sociologie et
même en science politique, il apparaît aussi en anthropologie. Son
succès récent doit beaucoup à la sociologie
anglo-américaine4(*),
où il est de plus en plus utilisé, comme en témoigne le
nombre considérable d'ouvrages et de manuels, qui depuis une quinzaine
d'années, ont été consacrés au focus
group, selon la terminologie anglaise.
L'entretien collectif permet d'accéder au sens
commun, aux modèles culturels et aux normes du groupe. Consistant
à saisir du sens partagé, voire même du consensus,
l'entretien collectif permet de multiplier le nombre d'enquêtés et
d'élargir l'éventail des réponses recueillies ; en
bref, de gagner du temps et de l'argent. Cette méthode contribue
à réduire les inhibitions individuelles par un effet
d'entraînement (il suffit qu'un participant plus bavard, commence
à divulguer ses impressions personnelles pour que les autres soient
entraînés) et elle facilite le travail de remémoration
(l'échange des souvenirs opère comme un déclencheur).
Finalement, la dimension collective n'est jamais prise en compte pour
elle-même. Elle est même désignée comme le principal
inconvénient de la méthode : la dynamique du groupe et les
interactions entre participants sont considérés comme des
éléments risquant potentiellement de détourner l'entretien
du thème discuté. Dès lors, la tâche de l'animateur
consiste principalement, selon Merton, Kendall et Fiske, à
réduire les interactions parasites.
Tout en sachant que certains chercheurs utilisent
l'entretien collectif pour étudier des dispositions, des attitudes,
voire des raisonnements individuels, cette méthode nous semble plus
particulièrement intéressante pour tous ceux qui mettent au
premier plan de leur système théorique le fait que la
pensée n'est pas déjà donnée, qu'elle
résulte d'un processus de construction qui s'effectue via la parole,
dans un contexte social, c'est à dire dans un cadre collectif et
contradictoire. L'intérêt de l'entretien collectif paraît
alors évident : il est de saisir les prises de position en
interaction les unes avec les autres et non de manière isolée. Il
permet à la fois l'analyse des significations partagées et du
désaccord, grâce à la prise en compte des interactions
sociales qui se manifestent dans la discussion.
La sélection des personnes participant aux
entretiens collectifs doit contribuer à faciliter la construction du
groupe, autrement dit, à favoriser la prise de parole de chacun. Pour
que la discussion ne manifeste pas seulement l'inégalité de ces
rapports, il est nécessaire que la composition de chaque groupe doit
rechercher une certaine homogénéité, cependant la logique
d'échantillonnage de l'ensemble doit tendre vers la diversification.
L'objectif étant de construire des groupes permettant de saisir des
situations diverses et contrastées au regard du thème de la
discussion.
Le nombre minimum de groupes dépend principalement
du nombre de critères que l'on croit devoir prendre en compte dans la
construction de l'échantillon. La taille optimale d'un groupe est
également sujette à des appréciations diverses mais la
variabilité est moindre.5(*) La plupart des spécialistes s'accordent pour
établir que le nombre doit être compris entre 5 et 10 personnes.
Quant au lieu de l'entretien, il faut trouver une salle agréable,
spacieuse et calme, dans un endroit neutre et relativement facile
d'accès. L'espace est particulièrement nécessaire lorsque
la discussion s'accompagne d'un certain type d'activité qui suppose des
déplacements, comme utiliser des panneaux d'affichage, filmer ou faire
travailler les personnes en sous-groupes.
L'enregistrement des entretiens collectifs est une
opération délicate qui mérite d'être
préparée et testée. L'enregistrement d'une conversation
est techniquement difficile et nécessite un matériel
adapté. Et dans ce domaine, on n'est jamais assez prudent. La question
de l'enregistrement vidéo est controversée. L'argument en
défaveur de ce mode d'enregistrement est son caractère intrusif
et supposé refroidissant qui entraverait la spontanéité
des prises de paroles. Or, pour ce qui est des potentialités de
l'analyse, l'enregistrement vidéo est particulièrement
précieux, car il autorise un rendu des interactions sans commune mesure
avec ce que les voix permettent de restituer. Il permet surtout de saisir les
informations complémentaires aux voix enregistrées, à
savoir les silences, les mimiques et les gestes qui peuvent enrichir
ostensiblement l'analyse du corpus.
Une fois l'enregistrement terminé, la transcription
reste l'élément essentiel du corpus ; elle doit rendre
compte le plus finement possible de ce qui se joue pendant les entretiens. Le
débat sur l'exhaustivité et la fidélité d'une
transcription existe aussi à propos de l'entretien individuel. Les
utilisateurs de l'entretien dit « non directif » insistent
généralement sur l'importance qu'il y à inscrire dans le
texte les silences, les hésitations et les diverses manifestations de
l'interviewé et de l'interviewer. Et ce en vue de rendre compte des
raffinements les plus pointus, ce qu'une analyse de contenu classique par
exemple, ne fait pas.
L'analyse d'entretins collectifs commence par un long
travail de déchiffrage et d'interprétation de la pluralité
des significations du corpus.6(*) Cette phase d'interprétation est aussi une
phase d'imprégnation, qui doit permettre d'appréhender toute la
complexité du matériau, en évitant de chercher à
démêler ce qui est « significatif » de ce qui
peut paraître fortuit. Le processus fondamental de traitement
systématique des données textuelles est le codage qui remplit la
fonction essentielle de mise en relation des différents morceaux du
corpus les uns par rapport aux autres. Le codage peut être
utilisé de façon qualitative, au sens où l'objectif
même du codage est l'élaboration de catégories permettant
de rendre compte de façon fine et détaillée du
phénomène capturé par les données. Le principe est
donc de parcourir systématiquement les données en attribuant des
codes conçus sur le principe de la comparaison et de la
répétition.
Le codage qualitatif consiste ensuite à
repérer, en s'efforçant de les catégoriser, à la
fois la diversité et les éléments communes des
idées, des significations et des valeurs évoquées dans le
corpus. Il n'y a aucune définition préalable d'unité de
codage ou d'analyse. Chaque segment de texte peut être affecté de
plusieurs codes à la fois, lesquels ne se recouvrent qu'en partie. Ce
type de codage est donc particulièrement propice au collectif et
à la polysémie du discours qui le caractérise. L'objectif
est de se donner les moyens de décrire finement le contenu des
entretiens mais aussi et surtout de comprendre comment les catégories
ainsi construites sont organisées entre elles, de façon à
élaborer des théories qui en rendent compte.
L'analyse des entretiens collectifs peut s'effectuer au
moyen d'un autre type de codage, très différent dans son
inspiration et dans sa pratique. Il s'agit du codage quantitatif , reposant sur
les enseignements et les développements de l'analyse de contenu, et qui
consiste à réduire le corpus à des codes pouvant
être soumis à des traitements statistiques plus ou moins
sophistiqués afin d'en inférer une interprétation.
L'analyse de contenu appliquée à l'entretien collectif suppose de
définir, avant même la grille de codification, l'unité de
codage. Ce pourra être le mot, la phrase, le paragraphe, le texte ;
bref toute unité permettant d'affecter le code à un individu
statistique.
PREMIERE PARTIE
Du dessin pré-historique à l'image
numérique :
histoire et traits socio-sémiotiques
PETITE HISTOIRE DE L'IMAGE
Notre monde fourmille d'images. Il n'est guère de
lieux, d'espaces, de machines où l'image ne soit présente. Les
images sont partout pour nous informer, nous faire découvrir des mondes
invisibles, nous avertir, nous divertir, parfois pour être
contemplées et nous faire rêver. A travers elles, l'homme
représente la conception qu'il se fait du monde et qu'il veut donner
voir à ses contemporains.7(*)
Existant entre l'imaginaire et la réalité,
l'image est une perception humaine du monde transposée en une
représentation mentale que l'instrumentation technique a pour fonction
de traduire sous une forme graphique. Les outils n'opèrent que si la
volonté d'un individu en décide : l'image est le
résultat d'une mise en oeuvre volontaire où se combinent
l'utilisation des possibilités graphiques d'une technique et l'intention
de signifier quelque chose par son intermédiaire.8(*)
L'image ressemble à son modèle et pourrait
fort bien le remplacer, d'où la trouble séduction qu'elle ne
manque jamais d'exercer. Par définition, elle entretient un rapport
d'imitation avec son référent, la réalité qu'elle a
pour charge de représenter. C'est pourquoi l'image nous met en
présence d'une absence.9(*)
Cependant, les images ne sont pas de simples
décalques du monde. L'artiste ou l'artisan nourrissent, par leur cycle,
leur culture, leur personnalité et les outils mêmes qu'ils
utilisent, l'image de leur propre vision du monde. De l'abstraction au
réalisme, l'analogie recourt à maints stratagèmes mais,
toujours, l'image est un fantôme entre le monde commun et la
pensée de chacun.
Ainsi, l'image oscille-t-elle entre sa vérité
matérielle, qui n'est jamais que graphique, et le mystère de ce
qu'elle représente ; elle est une fenêtre ouverte sur
d'autres vérités, dissimulées derrière le geste
humain et créateur. Car l'image, à l'instar de la technique, est
une création spécifiquement humaine. C'est bien pourquoi la
méfiance envers les images fut de rigueur dès les temps bibliques
quand Yahvé proscrit l'adoration des images.
A l'aube de notre siècle et, certes, dans un tout
autre style, le peintre Maurice Denis ne dit pas autre chose quand il
recommande de « se rappeler qu'un tableau - avant d'être un
cheval de bataille, une femme, ou une quelconque anecdote - est essentiellement
une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre
assemblées ». Ce conseil servira d'antidote à
l'illusion naïve qui nous ferait prendre la carte d'un territoire pour le
territoire lui-même. Cette recommandation est précieuse quand on
sait que le charme de l'image agit par-delà son support
physique.10(*)
La naissance de l'image
La naissance de l'image remonte à la
préhistoire. Partout à travers le monde et l'histoire de toute
l'humanité, l'homme a laissé les traces de ses facultés
imaginatives sous forme de dessins, sur les rochers, qui vont des temps les
plus anciens du paléolithique à l'époque moderne. Ces
dessins étaient destinés à communiquer des messages et
nombre d'entre eux ont constitué ce qu'on l'a appelé
« les avant courriers de l'écriture », utilisant des
procédés de description-représentation qui ne retenaient
qu'un développement schématique de représentations de
choses réelles.11(*)
Il y a quelques 35 000 ans, les groupes d'Homo Sapiens
qui s'installent en Europe méridionale et qui vivent pour
l'essentiel de la chasse et de la pêche inventent l'image. Ces hommes
nous ont transmis les premières formes sensibles de l'humanité.
C'est dans l'obscurité des grottes qu'ils conçoivent les images
les plus élaborées et les plus complexes, dont la vallée
de la Vézère dans le Périgord recèle un grand
nombre de vestiges. La grotte de Lascaux (18 000 ans) et le plus
célèbre de ces sanctuaires préhistoriques en raison de
l'abondance et de la beauté des peintures qui recouvrent ses
parois.12(*)
La faune qui entoure et assure la vie quotidienne de ces
communautés fournit les motifs quasi exclusifs de cet art
pariétal. Chevaux, bisons, rennes, mammouths sont
représentés avec un réalisme qui témoigne d'une
observation patiente et précise de l'environnement. Si l'on en juge par
le style, c'est le réalisme de l'attitude qui l'emporte sur la rigueur
de la forme. Pourtant, ces premiers artistes disposent d'un nombre
limité de couleurs, des pigments sur des pinceaux pour les aplats et de
simples fragments de charbon de bois pour les dessins. Mais leur savoir-faire
pictural est incontestable : traits fins pour les contours, hachures pour
évoquer les ombres et les lumières, précision des courbes,
etc.
Rien ne semble improvisé dans ces images. Mais les
mystères qui entourent leur apparition subsistent. Quelles
significations recouvraient les cérémonies qui se
déroulaient dans ces sanctuaires ? A quels mondes invisibles ces
images donnaient-elles accès ? Rituels magiques de chasseurs,
hommage à des divinités animales, culte des morts ? Seule
certitude : la relation de ces groupes humains avec le monde animal, dont
ils tiraient l'essentiel de leur subsistance, devait conditionner
également toute leur vie spirituelle.
Il demeure que la facture très sophistiquée
de ces peintures fait ressortir l'existence de véritables artistes.
Cette naissance de l'art atteste ainsi d'un acte créatif prodigieux qui
allait marquer toutes les civilisations humaines.
La perspective
Du 14ème au 16ème
siècle, une révolution de la représentation de l'espace se
répand en Europe. Les divers progrès dans la navigation à
voile stimulent le commerce maritime qui fait la richesse des grands ports de
Flandres et d'Italie, en même temps qu'ils créent une nouvelle
conscience du monde. Les architectes, les peintres et les sculpteurs adoptent
la représentation perspective qui s'est, depuis, imposée comme le
code figuratif dominant sur toute la planète. Auparavant, les
représentations se souciaient bien moins de proportions réalistes
pour rendre compte des objets et des personnages dans un espace donné.
L'image était marquée avant tout par des fonctions religieuses et
symboliques.
Toutefois, la géométrie perspectiviste n'est
pas née en Italie au Quattrocento. En Asie et jusque dans la
plus lointaine Antiquité, des conceptions de représentation
spatiale, dites rayonnée, à vol d'oiseau ou parallèle, ont
cours.
Chaque époque historique possède ses propres
canons qui correspondent à une vision du monde. Celui qui émerge
à la Renaissance diffère des précédents en ce qu'il
vise à représenter le monde tel que le regard humain le
perçoit. Cette nouvelle convention est inséparable de l'humanisme
naissant qui place l'être humain à l'origine des savoirs. La
géométrie projective à point de fuite central
marque ainsi le passage d'une conception religieuse de la représentation
à une vision du monde dont la source se situe désormais dans le
regard humain.
La projection sur un plan bidimensionnel des objets à
trois dimensions est codifiée par quelques théoriciens, dont
l'Italien Leon Battista Alberti, en 1435, qui, le premier, appréhende le
tableau comme « une fenêtre ouverte sur le monde » et
le dessinateur allemand Albrecht Dürer, en 1525.13(*)
Au 15ème siècle, les écoles
italiennes et flamandes prennent déjà leurs distances avec les
récits bibliques et s'attachent à décrire des personnages
et des paysages contemporains. Quant aux motifs issus des mythes ou de la
littérature, ils sont désormais envisagés de façon
naturaliste. Le réalisme s'installe pour plusieurs siècles dans
les arts figuratifs, dont les genres de prédilection deviennent les
vedute, les scènes de rue, les portraits et les natures mortes.
La perspective témoigne de ce souci d'exactitude et
de vérification qui va ébranler l'ordre établi et
contribuer à l'essor des sciences expérimentales.
La gravure
La gravure est la première technique de reproduction
en série de l'image dont le principe est de creuser différents
supports en enlevant de la matière. Cette technique consiste à
dessiner ou à reporter un dessin sur une matrice (en bois, zinc,
linoléum, cuivre), puis à graver avec des points
métalliques (burins) et d'autres procédés afin de pouvoir
reproduire le modèle à de nombreux exemplaires.14(*)
La gravure prend son essor en même temps que la
typographie que Gutenberg met au point en 1455. Cependant, l'usage de
la gravure est avéré avant cette date en Europe et en Asie
dès le 12ème siècle. Dans les pays bouddhistes,
la gravure sur bois sert à multiplier des effigies religieuses
nécessaires au culte. Dans l'Europe médiévale, cette
technique est utilisée par l'Eglise catholique pour
évangéliser les paysans illettrés. C'est à partir
de la Renaissance que cette pratique va s'affirmer comme un art destiné
à diffuser des images profanes principalement aux nouvelles classes
aisées de commerçants et de manufacturiers.
Profitant de cette vogue, les techniques de la gravure vont
se perfectionner avec un double objectif. Il s'agit toujours de fabriquer des
matrices plus résistantes pour augmenter le nombre des épreuves
et d'en diminuer les coûts de fabrication. En même temps, les
artisans graveurs cherchent à améliorer le rendu et la
précision des gravures.
La gravure sur bois peut être combinée
à la typographie, mais ne produit qu'une épreuve
grossière dont la matrice s'use rapidement. Pour sa part, la gravure sur
acier résiste mieux aux pressions répétées et,
ouvragée à l'eau-forte, elle fournit des tonalités
suffisamment fines pour permettre la diffusion de diverses reproductions
d'oeuvres d'art. Elle ne saurait, cependant, rivaliser avec les
subtilités de la gravure sur cuivre, qu'une matrice trop fragile rend
toutefois onéreuse.
A la fin du 19ème siècle, le
procédé de la photogravure réalise un compromis durable
entre les exigences liées à l'exactitude de la réplication
et celles d'une large diffusion. En outre, il permet d'introduire la
photographie dans la presse écrite.
En faisant circuler à grande échelle des
reproductions d'oeuvres d'art, la gravure a permis l'accès du plus grand
nombre au patrimoine artistique. La gravure a ainsi assuré une fonction
de démocratisation du savoir. Par ailleurs la gravure comme illustration
est un langage universel qui touche le public par-delà les
barrières culturelles et linguistiques. Aussi les gravures ont-elles
servi à répandre des idées, à édifier le
peuple en diffusant des convictions religieuses, politiques ou moralisatrices.
Pour ces deux raisons, les techniques de la gravure sont à ranger parmi
les grands moyens de communication de masse.15(*)
La photographie
La photographie est une image fixe qui suspend le temps. Si
son dispositif reproduit artificiellement certains mécanismes de la
vision, il donne lieu à une vue qu'aucun oeil n'a jamais observé
dans la réalité. L'immédiat de la perception humaine ne se
propose jamais sous une forme stable, mais dans un flux perpétuel. La
photographie arrête le temps au présent, elle le stabilise, mais
n'en conserve qu'une trace, aussitôt considérée comme une
présentification du passé, son embaument. En fabricant de
l'instantanéité, la photographie manipule la temporalité
et seul le vieillissement du support trahit l'écoulement du
temps.16(*)
L'apparition de la photographie a représenté
l'un des tournants médiologiques majeurs de l'histoire de
l'humanité. En favorisant l'essor d'un nouveau régime de
vérité fondé sur une expérience inédite de
la présence et du temps, l'édifice technologique, symbolique et
idéologique de la culture écrite s'est alors vu
déséquilibré par l'introduction d'un nouveau paradigme :
celui d'une indicialité généralisée , où le
symptôme, l'empreinte ou le document valent plus que l'aveu,
l'éloquence ou l'analyse critique.17(*)
Marquant une rupture décisive dans l'histoire des
images, la photographie permettait pour la première fois de reproduire
la réalité avec une totale objectivité grâce
à la mise en oeuvre de divers automatismes mécaniques et
chimiques18(*), ce qui
faisait accéder l'image au statut de preuve. Elle constitue aujourd'hui
selon Alain MONS « un contrepoint remarquable à un ordre
médiatique trépidant, par la fixité des choses
qu'elle produit en arrêt (sur image) et le silence qui émane
d'elle ».19(*)
Avant que l'histoire la reconnaisse comme une
alliée, la photographie naissante associe inventeurs, auteurs et
spectateurs dans le même rêve d'élargir la vision du
monde20(*) et d'en garder
la mémoire à travers un système d'inscription, de
conservation et de reproduction de la réalité.
L'appareil photographique est connu depuis le
11ème siècle. La camera obscura, simple
boîte percée d'un petit trou, ou sténopé, produit
des images lumineuses que la Renaissance améliore avec l'emploi du
premier objectif. Avec l'idée géniale de disposer au fond de
cette chambre noire un papier imprégné de nitrate d'argent
noircissant à la lumière, l'Anglais Thomas Wedgwood aurait pu
réaliser les premières images photographiques si le simple fait
de les observer au jour ne les transformait pas en plaques totalement noires. A
la suite de recherches entreprises en 1816 et en recourant à une plaque
de verre enduite de bitume de Judée, Nicéphore Niepce est le
premier en 1822 à fixer l'image projetée dans la chambre noire.
Dans son jardin à Saint Loup de Varennes, sa « table
servie » a nécessité plusieurs heures de pauses par
beau temps ; Niepce appellera son invention
« l'héliographie », l'écriture par le
soleil.21(*)
Le procédé intéresse Louis Daguerre,
créateur du spectacle Diorama qu'il exploite avec succès à
Paris. Les deux hommes s'associent en 1829 pour faire prospérer
l'héliographie. Malgré la mort de Niepce en 1833, Daguerre
améliore le procédé, élabore une surface sensible
constituée d'une plaque de cuivre argentée et frottée
d'iode, transformée par l'action conjuguée de la lumière
et de la vapeur de mercure produite dans la chambre noire. Cette
première substance révélatrice permet de réduire la
pause à quelques minutes. L'invention du Daguerréotype est
solennellement présentée par Louis Arago devant les deux
Académies des Sciences et des Beaux-Arts, le 19 août 1839, que
l'histoire retient comme la date de naissance de la photographie.
Le succès du Daguerréotype est prodigieux. Le
monde entier s'arrache ces images dont la finesse remarquable fait oublier
qu'elles sont renversées comme dans un miroir, qu'elles prennent un
rendu négatif si on les oriente d'une certaine manière et
qu'elles sont produites en exemplaire unique.22(*)
C'est en 1841 que le système photographique devient
complet lorsque l'Anglais Fox Talbot, avec le calotype, met au point
un procédé en négatif. Peu après les premiers
essais de photographie en couleur de Louis Ducos du Hauron et de Charles Cros,
la forme moderne du procédé négatif-positif voit le jour
au début des années 1870 avec l'émulsion au
gélatino-bromure d'argent utilisé par Richard Maddox et Peter
Mawdeslet. Ce qui permettait de reproduire la réalité sur une
image et effectuer par projection des tirages en série de cette
même image.23(*)
Dès lors, l'engouement pour la photographie est
immédiat et sa portée internationale. Des studios photographiques
ouvrent leurs portes dans les villes du monde entier pour « tirer des
portraits ». Avec la baisse des appareils photo qui permet à
chacun de constituer ses propres archives, la vogue s'amplifie.
La fidélité de la reproduction photographique
en fait très tôt un fait scientifique de premier ordre, tandis que
sa nature documentaire familiarise comme jamais le public avec les paysages et
les populations exotiques. Le lointain s'en trouve rapproché et divers
perfectionnements techniques assureront, dès la fin du siècle, le
succès du photojournalisme qui remise très vite la gravure de
presse au rang des antiquités.24(*)
Par ailleurs, au début des années 1890 la
photographie revendique sa place dans l'art, avec la constitution de groupes
comme le Linked Ring à Londres ou le Wiener Camera Club
de Vienne. La référence à la peinture, le
clair-obscur, l'usage du flou et les interventions au laboratoire ont
donné un nom à ce premier courant artistique, le pictorialisme.
Représenté par Frederyk Evans, Robert Demachy, Constant Puyo,
Alfred Stieglitz ou Edward Steichen, le pictorialisme disparaîtra avec
l'émergence des avant-gardes, vers 1920.
En 1929, l'exposition « Film und Foto »
de Stuttgart qui rassemble les contemporains du monde entier
révèle la maturité d'une photographie qui croise le
mouvement surréaliste à Paris autour de Man Ray et à
Prague avec Karel Teige, Jaromir Funke ou Jindrich Styrsky. En Union
Soviétique, Alexandre Rodchenko conduit le courant constructiviste
où la nouvelle esthétique s'associe à l'élan
industriel et social du jeune Etat. Aux Etats-Unis, la Farm Security
Administration commande à des photographes tels Walker Evans et Dorothea
Lange une vaste enquête sur les ravages de la crise de 1929, dont
plusieurs images seront exemplaires de la tradition humaine.
Dans les années 1940, le pouvoir reconnu à la
diffusion de la photographie intéresse les gouvernements de l'Allemagne
nazie, l'Italie fasciste ou plus encore l'Union soviétique qui se sont
fortement servis de la technique photographique dans leur propagande. Dans la
même décennie, l'Américain Robert Capa dont les photos ont
fait le tour du monde « couvre » les moments les plus forts
du débarquement des forces alliées du 6 juin 1944. Et pour
garantir la photographie d'une exploitation incontrôlée et parfois
mensongère, Capa fonde trois ans plus tard (1947) l'agence Magnum
Photos, la première de son genre gérée par les
photographes eux-mêmes.
Au début des années 1960, quand les
Actionnistes Viennois associent la photographie aux performances corporelles,
Bernd et Hilla Becher photographient en Europe les hauts-fourneaux comme des
sculptures monumentales, William Eggleston s'intéresse à
l'environnement banal de l'état de Tennessee. L'enseignement des Becher,
le succès tardif d'Eggleston en 1974 annoncent un courant où la
photographie, en grand format brillant et en couleur, s'applique à
donner du paysage urbain ou sauvage une vision souvent frontale, plus neutre
que contemplative, et à produire des portraits semblables à des
photos d'identité géantes.25(*)
IMAGES NUMERIQUES
Après une première phase d'exploitation de
ses possibilités de manipulation, la photographie numérique ou
plus généralement les images numériques se sont faites
introduire dès la fin des années 1970, d'une façon
échelonnée, aux divers niveaux des médias de l'image
faisant naître bien des interrogations et des fantasmes tant dans le
champ des médias que chez les chercheurs qui, parfois, les
célébraient utopiquement comme une nouvelle ère pour la
figuration.26(*)
Mais avant d'étudier les images numériques
comme des objets sémiotiques et d'appréhender notamment les
processus de signification engagés par ces technologies de
représentation, nous croyons primordial d'évoquer d'abord la
démarche généalogique de ces images, c'est-à-dire
le cadre historique dans lequel sont nées et ont
évolué.
Images numériques : naissance et
évolution
Introduction
La numérisation de l'image s'effectue dans une
configuration informatique où le traitement de l'information est
lié à des fonctions de stockage et de transmission. Ces fonctions
sont internes à l'ordinateur. Ce sont les mêmes fonctions qui sont
mises à contribution lorsque des moyens informatiques sont
utilisés pour transmettre des images à distance.
Stockée sous forme d'un fichier numérique,
l'image numérique est traitée comme un ensemble de données
informatiques. C'est le résultat de millions de calculs binaires
s'effectuant dans des circuits électroniques.27(*) La taille du fichier
dépend du format de l'image, de sa résolution. La
variété des nuances chromatiques enregistrées en
mémoire est en relation directe avec le nombre de bits affecté
à chaque pixel.
Les images numériques, traitées par des
calculs de plus en plus performants, repoussent les frontières du
visible et dispensent une lisibilité nouvelle. Issues de
différents types de saisie analogique opérée sur
la réalité, elles n'ont pas le caractère objectif et
passif de la photographie ou de la vidéographie. En codant à
l'aide de fausses couleurs les différentes intensités du
rayonnement, ces images vont bien au-delà de la simple reproduction du
réel : elles sont élaborées dans le but d'apporter
des connaissances très précises concernant la
réalité observée.
Les images numériques sont le fruit des efforts des
militaires, des industriels et des médecins qui se sont conjugués
pendant plusieurs décennies.
Cadre militaire
Dans les années qui suivent la Seconde Guerre
mondiale, l'instrumentalisation de la science et de la technique s'accentue
à tel point que la plupart des projets de recherche ne peuvent plus
être conduits sans de puissants outils financiers provenant des pouvoirs
politiques ou militaires ; lesquels ne récupèrent plus
à posteriori les inventions, mais choisissent, ou non, de les favoriser
à long terme en investissant dans la recherche, dont ils deviennent un
acteur central.
En effet, aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne,
des équipes de chercheurs mettent au point des dispositifs d'images
divers qui résultent de la détection et de la numérisation
de signaux électromagnétiques mais qui répondent à
des projets différents. Les Anglais utilisent le codage numérique
dans le dessein de rendre l'image plus précise et surtout plus lisible.
De leur côté, les Américains s'attachent à inventer
des dispositifs de visualisation qui accroissent l'accès à des
informations contextuelles. Des deux rives de l'Atlantique se façonnent
ainsi les fonctionnalités des images qui, aujourd'hui, circulent sur le
Web ou sont familières des usagers du logiciel Photoshop.28(*)
Les années trente et quarante du
20ème siècle ont connu une très forte
implication des chercheurs et des ingénieurs dans des programmes
militaires visant à la mise au point de la bombe atomique. La Guerre
froide entre les pays occidentaux et l'Union soviétique consolide cette
collaboration entre militaires et scientifiques. Dès lors que les deux
camps se sont dotés de l'armée nucléaire, les projets de
recherche s'orientent aussi vers des objectifs défensifs. L'image
numérique naîtra de ce contexte de hautes tensions.29(*)
Se déroulant sur plusieurs décennies, la
marche vers la numérisation de l'image est jalonnée par nombre de
difficultés que les informaticiens vont résoudre une à
une, principalement au rythme des crédits et des besoins de
l'armée américaine et de ceux des industries automobile et
aéronautique : les militaires comme les industriels ayant toujours
besoin de cartes, de schémas ou de dessins.30(*)
En 1949, l'Union soviétique fait exploser sa
première bombe atomique expérimentale et s'engage dans la
construction de nouveaux bombardiers à long moyen d'action, les
Etats-Unis s'inquiètent. L'éventuelle attaque à basse
altitude et la menace d'une attaque nucléaire incitent l'US Air Force
à rénover son système de défense. Dès
décembre 1950, l'état-major est résolu à
coordonner et à centraliser l'ensemble des informations recueillis par
les différents radars militaires et civils. Ces transmissions,
effectuées jusqu'alors par téléphone ou par
télégraphe, étaient devenus, du fait de l'augmentation des
données, longues, fastidieuses et d'autant moins fiables.
Le réseau américain de défense
continentale SAGE, Semi Automatic Ground Environment, sera mis en
chantier rapidement. Ce système a besoin de rassembler les
données amassées par les radars sous forme d'images afin de
permettre une lecture graphique plus rapide et plus efficace. La
difficulté du projet consiste à coordonner les détections
radars, à les transmettre sans « bruit » à
distance, puis à transformer ces informations en message iconique sur un
moniteur.31(*) Cette
difficulté ne peut être surmontée qu'en numérisant
les signaux émis en continu par les différents radars, ce qui
implique d'utiliser des ordinateurs plus puissants qui sont alors en usage.
Dès lors, le codage numérique se
révélait comme une solution d'autant plus
« économique » que les données de description
comme les instructions des programmes de traitement relevaient du même
codage. Mais, en attendant, pour numériser et transmettre des signaux
émis en continu à partir de plusieurs radars, la conception d'un
ordinateur conséquent est nécessaire.32(*)
C'est à partir de décembre 1950 que Jay
Forrester, ingénieur au laboratoire de servomécanique du MIT
(Massachusetts Institute of Technology) à Boston s'attache
à construire ce nouvel ordinateur, le Whirlwind, afin de
permettre l'affichage graphique instantané de données.
Grâce au soutien financier des services de recherche de la marine, le
nouveau calculateur est disponible en 1951.33(*)
Convaincue de l'intérêt du Whirlwind,
l'US Force propose d'importants crédits à Jay Forrester pour
contribuer à la mise au point du réseau continental de
défense, qui deviendra opérationnel en 1958. Un programme
informatique est alors en mesure de convertir les données de
l'écho d'un radar, d'en afficher la représentation graphique sur
un écran et d'effectuer simultanément ces mêmes
opérations avec les douze autres radars militaires de la surveillance
aérienne. Ce programme transmet non seulement des informations mais
fournit en même temps une représentation géographique du
trafic dans le ciel nord américain.
Cette opération répétée par le
nombre des radars en service et fournissant une cartographie
opérationnelle du ciel américain, donne naissance alors à
la première image numérique.
En fait, la première image numérique est plus
qu'une simple carte mise à jour instantanément, avantage
indiscutable du numérique sur le papier qui aurait déjà
suffi à ce que ce type de cartographie soit universellement
adopté. Cette nouvelle image est aussi dynamique : elle
évolue en temps réel en fonction des différentes
informations fournies par les repérages radar. L'image informatique se
révèle donc un outil de connaissance à double titre :
en rassemblant sur l'écran des informations éparses et en
fournissant des renseignements à la demande. Un outil de communication
simple se révèle toutefois indispensable pour dialoguer avec
cette image.
Conçu par un autre chercheur, Robert Everett, un
crayon optique permet de désigner les bases aériennes figurant
sur la carte.34(*) De
cette façon, les informations relatives à chacun des avions de
chasse prêts au décollage dans les bases militaires du pays
pouvaient être obtenues, ce qui autorise un questionnement direct de
l'image sans le recours aux cartes perforées ou aux bandes
magnétiques, alors en usage.
L'ordinateur, qui conservait en mémoire les
coordonnées des appareils disponibles, pouvait calculer et indiquer les
itinéraires d'interception. De part son caractère interactif, le
graphisme numérique introduit une nouvelle façon de communiquer
avec l'ordinateur.
Cependant, la qualité graphique du Whirlwind est
très faible : chaque avion est représenté
sommairement par un « T » sur l'écran. Les gains en
définition, et donc l'acquisition d'une image plus précise,
seront obtenues dans le cadre d'un autre projet, d'ordre médical
celui-là, quand il s'est agi de numériser les radiographies du
corps humain.35(*)
Cadre médical
L'idée de relier un ordinateur et un appareil de
radiographie à rayons X est très éloignée, au
départ, de toute préoccupation médicale. L'intuition de la
pertinence d'un tel couplage revient à Godfrey Hountfield,
ingénieur employé par la société d'édition
discographique anglaise EMI. En 1957, il a l'ambition d'automatiser
une tâche essentielle de l'industrie du disque : l'inspection de
conformité des microsillons de vinyle. Parmi les sources d'analyse et de
repérage envisagés, Hountfield retient le rayon X,
procédé qui a fait ses preuves dans le contrôle de
fabrication industrielle des pièces de précision.36(*) Ce projet suscite
l'intérêt des milieux médicaux, et très vite, le
ministère de la Santé de la Grande-Bretagne ?engage une
collaboration avec la société EMI et Godfrey Hountfield afin de
mettre au point une nouvelle machine capable de visualiser l'intérieur
du corps humain.
L'automatisation du procédé de
tomodensitométrie ou scanographie devra, à partir du balayage
horizontal de chaque tranche du corps, effectuer des centaines de milliers de
calculs pour obtenir une image en trois dimensions. Le codage numérique
permet, ici, de faciliter et d'accélérer les multiples
opérations nécessaires à l'obtention d'une image.
Hountfield et ses collaborateurs s'aperçoivent rapidement des
bénéfices que ce choix peut apporter au diagnostic médical
en agrégeant un traitement en « fausses couleurs »
à l'image du scanner. Ce principe de numérisation du signal
s'avère particulièrement fécond, et d'autres types
d'images numérisées vont s'en inspirer. Hounsfield, bien que
n'ayant jamais suivi d'études médicales, obtiendra le prix Nobel
de Médecine en 1979, au moment où il oriente ses recherches vers
la résonance magnétique nucléaire.
Le projet de scanographie s'oriente vers une nouvelle forme
d'interactivité quand un opérateur a la possibilité de
dialoguer avec le support de stockage de l'image pour transformer le message
visuel. La séparation entre le stockage et la visualisation est
maintenant mise à profit pour opérer des traitements internes
à l'image qui n'en altèrent pas l'objectivité, mais qui,
au contraire, doivent en améliorer le « rendement »
cognitif.
Issue de détections opérées à
l'intérieur du corps humain, l'image numérique médicale
n'a plus le caractère objectif et passif de la photographie ou de la
vidéographie. En codant à l'aide de fausses couleurs certaines
intensités de rayonnement, ces images vont au-delà de la seule
reproduction du réel pour mettre en évidence certains des
caractères de la réalité observée. En coloriant de
façon homogène les valeurs de signaux dont on sait qu'elles
correspondent statistiquement à une pathologie donnée, comme un
niveau de rayonnement, pour certains corps mous ou denses, le diagnostic est
alors délégué à l'image.37(*)
Pour s'approcher de la vérité, c'est à
dire d'une construction opératoire, les chercheurs et les
ingénieurs associent des hypothèses représentationnelles
et des traitements automatisés de signaux. Bref, ils n'opposent plus la
réalité tangible et les représentations de l'esprit, mais
les fusionnent. C'est en fonction du phénomène que l'on cherche
à mettre en évidence que les choix chromatiques se
décident : ils permettent de visualiser un savoir.
Faibles ou intenses, ondes ou particules, les
électrons ou les photons que produisent les rayonnements de la
matière peuvent être mesurés et traités par des
algorithmes. Ces algorithmes reposent sur la sélection des signaux
considérés comme « pertinents » pour ensuite
les amplifier et les coloriser. Ainsi le corps invisible lisible grâce
à la magie de la « lumière »
numérique.
PHOTOS NUMERIQUES :
ASPECTS SOCIO-SEMIOTIQUES
Introduction
Nous utilisons fréquemment les expressions «
images numériques » ou « photographies numériques
» en opposition à « images argentiques » ou « images
photographiques ». Une certaine ambiguïté réside dans
la juxtaposition des deux termes « photographie » et «
numérique » qui en fait se contredisent.38(*) Le terme même de
« photographie numérique » est à examiner
minutieusement surtout si l'on sait que « photographie »
signifie écriture de la lumière. À l'évidence avec
le numérique, nous ne sommes plus dans l'écriture de la
lumière, mais dans l'écriture d'un langage
algorithmique.39(*)
Toutefois, par « photographie numérique »,
on fait référence au fichier obtenu lors de la prise de vue (avec
un caméscope numérique ou après la numérisation
d'une image). Ce n'est pas en soi la question identitaire de ces images qui
nous intéresse ici - nous utiliserons le terme « image
numérique » ou « photographie
numérique » pour désigner le même objet - mais
plutôt l'étude de leurs aspects socio-sémiotiques
(notamment esthétiques) qui constituera le coeur de cette recherche.
Images numériques et aspects
socio-sémiotiques
L'apparition desdites "nouvelles technologies de l'image"
semble bouleverser profondément le régime de la
représentation optique et instaurer un nouvel ordre visuel 40(*), une nouvelle économie
symbolique de l'image marquée par une rupture radicale non seulement
dans la morphogenèse de l'image mais dans sa distribution et dans sa
socialisation. Les images numériques que certains ne considèrent
tout au plus que comme une mode passagère sont pour certains d'autres
des images nouvelles qui annoncent une nouvelle ère pour la
figuration.
En effet, il n'est pas difficile de comprendre que la
nouveauté de ces images est si largement défendue que les
industries culturelles elles-mêmes ont tout intérêt à
faire du numérique un phénomène de consommation, le
vecteur d'un monde entièrement neuf, qui pourrait advenir hors de toute
histoire et de toute culture.41(*) Cependant, n'étant pas si nouvelles qu'on le
dit, les images numériques s'inscrivent dans une histoire à
laquelle des acteurs humains ont participé - depuis les recherches
inaugurées par les militaires dans les années qui suivent la
Seconde Guerre mondiale, passant par la synthèse d'image qui date de
1963 pour le domaine civil jusqu'à l'irruption des images
numériques dans les différents champs médiatiques à
partir des années 1970.
Bien qu'elles soient en pleine évolution et capables
d'atteindre une complexité que nous ne prévoyons pas, il est
déjà possible de relever les caractères spécifiques
et inaliénables de ces nouvelles images : elles sont
générées par du langage, elles sont algorithmiques
(produites par du calcul) et elles sont dématérialisées.
Image numérique et indice
La production de la photographie numérique, à
partir du fait qu'il ne s'agit pas de la transcription d'une trace, mais une
conversion d'information (code numérique), déplace la
photographie du côté du symbole, bien que sa nature iconique reste
a priori inchangée. Le numérique opère quasiment une
transmutation du procédé photographique : lorsque
l'intensité lumineuse est transformée en une matrice de chiffres,
il y a une rupture fondamentale dans cette continuité entre l'image et
son référent qui définissait la photographie de type
indiciel.42(*)
Avec la photographie numérique,
« L'écriture de la lumière » est totalement
devenue sélection et calcul algorithmique. La relation indicielle, comme
trace directement provoquée par le phénomène qui lui donne
naissance semble devenir rompue. Ce serait alors un ensemble de règles
arbitraires, affectant des valeurs numériques à des
intensités lumineuses, qui donnerait naissance à l'image dans une
pure logique symbolique, c'est à dire, comme on le sait,
gouvernée par l'arbitraire de règles conventionnelles.43(*)
Pour qu'un signe soit pleinement indiciaire, il doit
à la fois relever de la contiguïté et de l'indication. Ce
sont là des propriétés qui depuis Peirce sont
attribuées à la photographie et tout particulièrement
à la photographie instantanée.44(*) A ce niveau-là, nous posons la question
suivante : la photographie numérique instantanée peut-elle
bénéficier du même statut sémiotique que la
photographie chimique ? Est-elle indicielle ?
C'est précisément la binarisation et le
truchement des langages correspondants à la photographie
numérique qui sont considérés par certains
spécialistes comme une perte d'indicialité. Selon eux, il y a
là une rupture de nature entre les images photographiques
et numériques.
La vie post-photographique de la photographie
numérique met en question sa dimension indicielle : c'est
après la capture numérique que la spécificité de la
photographie numérique s'exprime plus nettement.45(*) Celle-ci n'est plus un
résultat mais devient un point de départ d'un travail qui,
grâce à des logiciels répandus, peut altérer
totalement sa ressemblance avec la réalité visuelle initialement
capturée. C'est cette visibilité de l'image en train de se faire
qui modifie profondément l'expérience photographique.
Ainsi, avec la photo numérique le statut de
la preuve change. L'image fonctionnera de moins en moins comme attestation
irréfutable d'un ça-a-été, et de plus en plus comme
simulation. Cela ne signifie pas qu'elle cessera de modéliser notre
croyance, mais qu'elle produira probablement un nouveau modèle de
vérité.46(*)
Dans son ouvrage « Du photographique au
numérique : la parenthèse indicielle dans l'histoire des
images » Pierre BARBOZA explicite ce point. Il considère
que le passage par le langage informatique fait perdre à la photographie
numérique sa dimension indicielle. Selon Barboza : « Les
technologies numériques ne manipulent pas directement les indices du
temps, mais des représentations symboliques des signaux temporels. Le
respect de la continuité du présent, de la fixité ou du
mouvement ne dépend plus du procédé. La
représentation n'est plus déterminée par la seule
présence du référent au moment de la prise de vue, mais
toujours plus par des considérations, purement conventionnelles
d'intelligibilité et de lisibilité. » 47(*)
Néanmoins, la photographie numérique reste
malgré tout - contrairement à ce que l'on peut croire - un objet
indiciel. Elle est à la fois comme le souligne Louise MERZEAU 48(*) information et indice, (elle
intègre des modalités indicielles spécifiques) ; elle
reproduit la réalité mais avec des promesses de traitement. Sur
ce point, les capteurs numériques sont de bons opérateurs de
correspondance pixel par pixel. Ils sont physiquement forcés de
correspondre à la nature. Par conséquent, une photographie
numérique tout comme une photographie analogique est
sémiotiquement indicielle.
Image numérique et calcul
L'histoire de la création des premières
images numériques montrera que l'effort porte sur des moyens qui, en
eux-mêmes, ont peu à voir avec l'image, mais plutôt avec la
puissance de calcul des ordinateurs. L'image numérique est en effet
indissociable de l'ordinateur, c'est à dire du traitement automatique de
l'information.
Le calcul résume bien l'étrange
nouveauté des images numériques. Que le support d'inscription
soit chimique ou bien électronique, la chambre noire - la camera
obscura dessinée par Léonard de Vinci au
16ème siècle - reste le principe de base des images
qui reproduisent directement, par saisie optique de la lumière, un
fragment de la réalité. Mais avec les algorithmes de
l'ordinateur, la figure n'est plus émanation, mais calcul. Ce qui veut
dire : projection en acte d'un modèle abstrait, indéfiniment
mobile et transformable. Numériser l'image, c'est donc couper ce cordon
de lumière ombilical qui la reliait à un corps, et restaurer la
coupure sémiotique suspendue par la "parenthèse indicielle" de la
photographie.49(*)
Plus concrètement parlant, la numérisation des
images consiste à découper ces données sous forme
d'informations élémentaires et à coder chaque
élément obtenu sous forme de nombres entiers. Les nombres
binaires composés uniquement de zéros et de uns, peuvent
s'écrire sur une multitude de supports, bandes magnétiques,
disques durs, supports optiques.50(*) Une image sera découpée en
une mosaïque de pixels de façon à la convertir en mode
points. C'est le calcul donc qui se trouve enrôlé pour imiter tout
à la fois la saisie optique et l'enregistrement physique.
En fait, l'image numérique est composée de
petits fragments "discrets", ou points élémentaires
appelés pixels, à chacun desquels sont affectées des
valeurs numériques qui permettent à l'ordinateur de donner
à chaque pixel une position précise dans l'espace bidimensionnel
du support (une feuille de papier ou le plus souvent un écran
vidéo) à l'intérieur d'un système de
coordonnées généralement cartésien. A ces
coordonnées spatiales s'ajoutent le plus souvent des coordonnées
chromatiques auxquelles correspondent sur l'écran des
éléments phosphorescents rouges, verts, bleus dont le niveau de
luminosité peut également varier et qui par synthèse
additive sont susceptibles de restituer un grand nombre de teintes, couramment
supérieur à 16 millions par point.
Ces valeurs numériques font de chaque fragment un
élément entièrement discontinu et quantifié,
distinct des autres éléments, sur lequel s'exerce un
contrôle total. Ainsi, une image numérique peut être
dupliquée à l'infini 51(*) - grâce aux technologies informatiques qui
permettent effectivement de recopier bit à bit ces images. Ce
qui fait du pixel l'objet d'un traitement autonome et distinct. De ce fait,
manipulation, mélange mais aussi dématérialisation
seront-ils les maîtres mots utilisés pour évoquer la
nouveauté des images numériques.52(*)
Le numérique introduit en effet la coupure
du calcul dans la relation de contiguïté qui unissait l'empreinte
au référent. Pour autant « la parenthèse
indicielle » ne se referme pas aussi simplement. C'est cette
combinaison de l'intraitable et du traitement qu'il faut penser pour comprendre
comment le régime de vérité attaché à la
photographie risque d'évoluer. D'un côté, le
caractère fondamentalement (et non plus accessoirement) manipulable de
toute image provoque une crise de la croyance, qui rejaillit sur l'ensemble des
médiations. D'un autre côté, les images deviennent des
simulacres toujours plus séduisants et convaincants,
précisément parce que les algorithmes dont elles sont issues
s'appliquent indifféremment à des objets réels ou
imaginaires.
A ce niveau, et au-delà de ces questions
techniques, on peut légitimement se demander : qu'est ce qui change
le plus profondément avec l'introduction du calcul dans le monde des
images ? En d'autres termes, quelles sont les conséquences de ce
changement de codage sur la matérialité de l'image
numérique ?
Image numérique et dématérialisation
Les discours sur l'immatérialité du
numérique recouvrent des arrières-pensées très
différentes. Pour les uns, c'est un argument de vente destiné
à dissimuler la lourdeur, le coût et la complexité des
équipements qu'on nous demande d'acheter et de renouveler de plus en
plus fréquemment. Pour les autres, c'est un argument pour disqualifier
les compétences mises en oeuvre dans la production comme dans la
réception des objets numériques, dès lors qu'elles
menacent les pouvoirs établis sur d'autres savoir faire.
Du moment que le numérique introduit la coupure du
calcul dans la relation de contiguïté qui unissait l'empreinte au
référent, l'image vaut pour sa matière
allégée, elle n'a pas de relief. Car potentiellement investie de
polymorphie et dépendante du support sur lequel on l'affiche, l'image
numérique est totalement versatile 53(*). En effet, faite de main d'homme, immatérielle
et vouée à la manipulation, l'image numérique,
reproductible sans perte, ne possède pas la même
matérialité que l'image analogique obtenue par la captation de la
lumière suivant des données physiques, puis reports
successifs.54(*)
Elle est manipulée et même manipulable par son
« utilisateur » et semble étrangère
à cette vocation incarnationnelle que les icônes prototypiques
partagent avec la photographie.55(*)
Alors que l'image photonique est l'épreuve
même du continuum qui relit l'émulsion à la lumière,
et la lumière à la temporalité d'un corps, le fichier
informatique est régi par la discontinuité : il peut
revêtir de différentes morphologies après chaque traitement
automatisé. L'image numérique est recyclable à
l'extrême, un peu à la manière d'un territoire dont chaque
partie pourrait être exploitée, dont on peut en une seule
opération logicielle faire varier couleur, textures, formes pour aboutir
à de nouvelles formes découlant du métissage ou de
l'hybridation des formes anciennes.
Néanmoins, le numérique ne place
évidemment pas les images hors de toute matérialité, mais
il introduit dans le monde des signes iconiques ce que les technologies
littérales étaient jusqu'à maintenant les seules à
autoriser : la possibilité de détacher le message de son
support, pour le transporter à travers l'espace et le temps d'un
contexte communicationnel à un autre.
En effet, avec les machines informatiques on a la
possibilité aujourd'hui de voir chaque étape de l'image en train
de se faire, avant même qu'elle ne se fixe ou se matérialise sur
un support externe , ce qui permet au praticien de voir
instantanément, sur l'écran des appareils de capture ou sur celui
des tables de montage, le résultat de chaque action.
Le plus frappant, lorsque l'on passe d'une pratique
classique au mode numérique, repose dans la disparition de la valeur du
cliché. Une image peut être ou non enregistrée,
effacée ou conservée, sans autre conséquence que
l'occupation de l'espace-mémoire.
Cette capacité incite à multiplier les essais
rendant l'acte photographique moins engageant, cassant le temps de la
révélation et le caractère unique de chaque photo prise.
C'est sans doute l'une des découvertes les plus satisfaisantes du
nouveau médium que de comprendre qu'une image n'a virtuellement plus
aucun coût 56(*).
Ce caractère modifie concrètement la
manière de faire des images. La perception de l'acte de prise de vue se
transforme : l'instant privilégié de la pratique argentique
se voit dépouillé de son aura , car l'image numérique
est sans arrêt perfectible. Désormais la technologie
numérique permet facilement et rapidement des trucages, donnant un
résultat de qualité exceptionnelle.57(*) Et tout comme le
disait déjà Walter BENJAMIN du film « cette
perfectibilité procède directement de son renoncement radical
à toute valeur d'éternité. ». De ce fait, la
photographie numérique rend la prise de vue libre et gratuite, et la
visualisation de l'image capturée instantanée avec des
possibilités importantes de retouches et de traitement. Ce qui permettra
à n'importe quel utilisateur de modifier volontairement l'image, qui en
retour, lui fournira de nouvelles informations ou lui proposera une nouvelle
situation virtuelle.
LES MMS : ASPECTS SOCIO-SEMIOTIQUES
Indications méthodologiques
Aujourd'hui, la numérisation se considère
comme un véritable phénomène de société qui
marque une mutation considérable dans toute l'histoire de l'image
contemporaine. N'étant pas présente uniquement au monde du
journalisme ou de celui de la peinture, la technologie numérique s'est
introduite d'une façon échelonnée aux divers niveaux des
médias de l'image. Elle touche de nos jours tous les champs
médiatiques : télévision, presse, cinéma,
publicité, Internet...avec autant de profondeur que de force. L'image
numérique s'est intégrée notamment à d'autres
dispositifs comme les appareils photographiques ou plus récemment encore
aux téléphones mobiles. Cette intégration a placé
les MMS au centre des thématiques de la société mobile du
futur 58(*) tout en
modifiant les habitudes de dialogue des différents usagers de la
téléphonie mobile.
Dans ce chapitre, nous allons essayer de porter quelques
éclairages sur les nouveaux usages des messages visuels mobiles (MMS).
A travers une démarche socio-sémiotique, que nous estimons la
plus appropriée à notre recherche, nous tenterons
d'élucider des éléments de réponses aux questions
suivantes :
Les MMS proposent-ils une nouvelle pratique
d'écriture par l'image ? Comment la photographie est-elle
requalifiée avec ces nouvelles pratiques communicationnelles que sont
les MMS ? Que modifieront les MMS dans notre rapport aux autres ? Et
finalement, quelles conséquences auront les MMS sur l'interaction des
différents groupes d'utilisateurs ?
Terminologies
Les MMS sont des messages multimédias
constitués d'une combinaison de photographies numériques et de
textes que les groupes de destinataires échangent à travers les
téléphones mobiles. Ce mode de communication peut prendre des
formes surprenantes lorsque les utilisateurs mobilisent des ressources
informatiques situées à la lisière des messages visuels
mobiles : Internet, le PC, et les logiciels sophistiqués de
traitement d'images.
Le MMS est donc un espace d'écriture assistée
par une interface médiatisée dans une perspective
communicationnelle interpersonnelle 59(*). Il offre la possibilité à son auteur
d'associer différents médias numériques entre eux pour
constituer un énoncé d'un genre nouveau dans la sphère de
la communication. Dans la pratique, on pourrait comparer le MMS à un
message texte (SMS), associé à une image, la plupart du temps
prise par le biais de l'appareil photographique numérique
intégré au téléphone mobile. Ainsi le MMS offre
d'un certain point de vue un caractère inédit pour le champ de la
recherche en sémiotique, celui de confronter les énoncés
visuels aux énoncés verbaux dans le cadre très
formalisé d'une pratique non pas essentiellement artistique mais
principalement communicationnelle entre deux individus possédant
l'équipement nécessaire.
Le MMS est un objet composite. Il peut contenir du texte,
une photographie numérique, un document sonore, et une vidéo, ou
bien tous ces documents réunis. Le MMS est donc avant tout un document
numérique à effet de composition, où le choix
proposé des différentes pièces jointes, convoque de la
part de l'émetteur des effets d'harmonie entre les différents
documents proposés.60(*)
Les MMS : dimensions sociologiques et
sémiotiques
1- Dimensions sociologiques
Les MMS, ces photos numériques apparaissant à
la fin des années 90 et s'inscrivant dans la dernière
génération de messages multimédias issus des
téléphones mobiles, semblent constituer un objet
intéressant d'analyse et de réflexion. Puisque récemment
apparus, ces messages visuels transmettent en plus des informations et des
idées - (fonction remplie par les SMS), des images et icônes
s'ajoutant à la voix et au texte, et dont les dimensions
communicationnelle et émotionnelle pour les usagers du
téléphone portable sont effectivement certaines.
La production des MMS est une pratique finement
située et organisée en tous points. A travers les MMS, les
utilisateurs cherchent à expérimenter de nouvelles significations
issues d'activités médiatisées par la technologie. Les MMS
sont les premiers témoins des catastrophes naturelles et des
attentats ; ils participent à la couverture médiatique des
événements non prévisibles. Les MMS sont utilisés
à des fins aussi banales que pragmatiques. Ils sont largement
échangés entre les utilisateurs pour partager des
expériences et des sensations, plutôt que pour organiser et
contrôler des activités et des relations 61(*). Ils peuvent se rapporter
à des rites de passage ou de fête. Dans certains cas, les messages
peuvent prendre la forme d'insultes, de blagues ou de récits sous forme
de jeux, de séquences ordinaires, familières et connus par les
membres d'un groupe. Ils peuvent contribuer à la fondation des liens
sociaux de nature amicale tout en offrant de plus grandes possibilités
d'y répondre.62(*)
Les MMS peuvent remplir toutes sortes de fonctions. Ils
sont utilisés pour taquiner ou défier, pour communiquer des
sentiments de bien-être, dans un but de jeu sexuel, ou pour apporter des
précisions sur l'environnement et les amis du photographe. L'humour et
l'expression des sentiments apparaissent comme des trais saillants de la
production des MMS. Selon des études récentes sur les messages
visuels mobiles, la production des MMS est considérée plus comme
outil amusant de communication d'émotions entre les utilisateurs qu'un
médium destiné à véhiculer des informations
sérieuses. Ce point recoupe parfaitement les résultats des
études menées sur les utilisations des téléphones
portables et de SMS qui mettent l'accent sur des usages ludiques et sur leur
capacité à alimenter des bavardages.
Les thèmes des objets photographiés et/ou
envoyés par MMS sont assez diversifiés. Les études
sociologiques menées en particulier au Japon montrent que la
définition de ce qui mérite d'être photographié a
notablement évolué pour se centrer sur les petites
épiphanies du quotidien : un dessert dans une vitrine, un angle bizarre
qui transfigure un objet banal, une preuve d'une belle prise à la
pêche, etc. Les photos de voyage ne représentent qu'un
cinquième du volume total, derrière « un truc
intéressant du quotidien » (42,4%), un membre de la famille
(39,5%), des amis (36,6%), soi-même (26,4%), son animal de compagnie
(23,4%). La gamme va du journal intime à la communication, à son
réseau de relations en passant par le partage privé dans la
sphère du couple ou de la famille.63(*)
Par ailleurs, avec les MMS les usages des
caméraphones prennent aujourd'hui de nouvelles formes qui
méritent d'être attentivement observées. En effet, la
filiale britannique du leader mondial du téléphone mobile
Vodafone a mené une enquête auprès de 3500 femmes. Elle
leur a demandées comment elles utilisaient leurs caméraphones.
Les résultats sont les suivants : 20% se photographient
elles-mêmes dans de nouvelles tenues pour les montrer à leurs
copines, 18% flashent des chaussures et des vêtements dans les vitrines
pour les mêmes raisons, environ 15% prennent leur nuque pour contempler
ou faire contempler leur coiffure, 10% s'en servent pour inspecter leurs dents
après un dîner, etc. Les adolescentes japonaises, quant à
elles, griffonnent des messages sur le papier avant de les photographier et de
les envoyer par MMS pour les rendre moins impersonnels et y intégrer des
codes communicationnels ésotériques, également.
2- Dimensions sémiotiques
A la différence d'autres objets photographiques, les
objets numériques, dont les MMS n'ont pas de forme matérielle.
Dès lors, comment peut-on interpréter ces messages ?
En fait, avec ce nouveau support qu'est le
caméraphone, la photographie devient banalisée, à la
façon des messages SMS, et l'échange des MMS entre les
destinataires acquiert de nouvelles significations. En effet, avec un logiciel
et un ordinateur adaptés, il est relativement facile de prendre une
image numérique envoyée par MMS et de l'importer. Avec le
logiciel et les compétences appropriées, il devient ensuite
possible de la manipuler, de lui ajouter un texte ou de la recadrer sous un
jour nouveau pour la renvoyer. Par conséquent, on entre dans une forme
pure d'interaction visuelle, qui se base sur le sens visuel et l'imagination en
tant que tels, au moins autant que sur le langage et la réflexion.
Que devient donc réellement la photographie lorsque
les acteurs sociaux s'en emparent et s'échangent des
clichés ? Peut-ont attribuer au MMS une certaine
immatérialité et « intemporalité » qui
le distingue nettement de la photo argentique à la fois
matérielle, indicielle et inscrite dans le temps ? (car le MMS
peut « voyager » d'un destinataire à un autre sous
de nouvelles morphologies visuelles). De plus, quelles pourront être les
caractéristiques sémio-techniques du MMS et quelle est finalement
la singularité de ce nouveau mode de communication visuelle ?
En fait , à travers les MMS, les utilisateurs
cherchent de plus en plus à expérimenter de nouvelles
significations issues d'activités médiatisées par la
technologie. Ils semblent construire avec leur entourage un rapport
codé à leur environnement et leur intimité, grâce au
jeu métaphorique que permet l'image accolée à un
texte.64(*) Ce rapport
texte/image est essentiel dans le cas du MMS, car la photographie
envoyée et reçue par MMS porte en elle les signes d'une intention
communicationnelle tacitement admise. Ainsi, la même image,
envoyée sans le texte de précaution, devient un autre message,
livré à l'univers des possibles et des interprétations
diverses.
En effet, les jeux de signification que permet l'image par
rapport au texte sont riches et variés, et nous renvoient directement
à des structures linguistiques qu'il est tentant de rapprocher de la
pratique MMS. A ce propos, la prédiction initiale d'Anne BEYAERT,
partagée sans doute par beaucoup de chercheurs en sciences humaines, est
à minimiser : les nouveaux médias informatisés ne
produisent pas nécessairement des nouvelles formes sémiotiques
inédites, mais plutôt des assemblages plus vifs - les outils
linguistiques demeurent toujours valides dans une certaine mesure pour leur
appréhension.65(*)
En fait, Le texte qui accompagne la plupart du temps les
photos envoyées par MMS n'est qu'une instruction de lecture de l'image,
( Ceci est mon nouveau costume de soirée) comme peut l'être par
exemple le commentaire que l'on fait, lorsque l'on tend une photo
traditionnelle à un ami. Cependant, l'emploi redondant et
pléonasmique du texte envers l'image dans le MMS est une
spécificité qui nous semble par son caractère paradoxal,
ou du moins curieux, signifier quelque chose dans l'économie
générale des messages MMS. Et ce pour deux raisons
essentielles :
Premièrement, pour ancrer le message que l'on
voudrait transmettre par un MMS en s'éloignant des sens
polysémiques que peut avoir un seul texte/image. Deuxièmement,
parce que le cadrage particulier du MMS « exige » l'ajout
du texte à l'image envoyée. En effet, opérant un
découpage focal particulier sur les événements, le
caméraphone offre une vision directe sur l'intimité du
propriétaire du téléphone dans un espace circonscrit
étroitement par son bras.66(*) Par conséquent, les textes qui accompagnent
les MMS sont donc autant les instructions pour décoder les indices
manquants que pour pointer dans l'image les signes de la proximité que
l'on veut partager avec son interlocuteur privilégié.
Les messages recueillis montrent que les utilisateurs
dosent savamment les indices visibles que donne à voir la photographie
avec les instructions de lecture et les commentaires présents dans le
texte : l'utilisateur s'arrange toujours pour offrir à son lecteur
les moyens de décoder les signes cognitifs usuels présents dans
la photo (« Me voici dans le parc», avec une image d'un
autoportrait derrière lequel on voit des arbres) en balance avec leurs
propres codes personnels (« Je suis à MC Donald avec mes
camarades de classe », on distingue le logotype de MC Donald sur les
verres de boissons gazeuses au milieu de la photo.
Si l'on réfléchit un moment à ce
rapport texte/image dans le MMS on peut en déduire que le MMS est une
combinaison d'un visuel avec du texte dans une visée manifeste de
communication interpersonnelle. Ainsi, le MMS est à la photographie
numérique ce qu'est dans une certaine mesure la carte postale dans son
rapport à la photographie argentique : une volonté de faire
partager une photo de vacances avec ses proches , incluant un commentaire
de quelques mots. En effet, dans le cas des cartes postales, les gens les
envoient typiquement quand ils sont en vacances : c'est leur lieu de
prédilection dans la vie ordinaire. Les gens s'en servent pour dire
qu'ils sont loin, pour partager quelques informations concernant leurs
activités et pour formuler les émotions qui s'y rattachent.
En apparaissant depuis cet arrière-plan, les MMS
sont interprétés comme des cartes postales. Leurs usages ne
peuvent par la suite que prolonger ou « remplacer » des
pratiques photographiques existantes.67(*)
SECONDE PARTIE
Le partage des photos numériques et des MMS,
implications socio-sémiotiques et esthétiques :
Entretien collectif
Présentation de l'échantillon
Ce que nous proposons dans cette partie repose
essentiellement sur les données de 2 entretiens collectifs conduits
auprès de 14 personnes ayant une utilisation fréquente des photos
numériques dans la vie quotidienne. Ces personnes résidant dans
la ville de Bordeaux sont pour la plupart de jeunes étudiants dont les
âges varient entre 19 et 33 ans.
Pour la réalisation de nos entretiens nous
nous sommes appuyé sur des enregistrements audio. La durée totale
des entretiens s'élève à 2h16 minutes. Les entretiens ont
été conduits en mars 2006 auprès de 2 groupes naturels,
c'est à dire auprès de personnes qui se connaissent
déjà ; ce sont soit des amis résidant presque dans
la même cité universitaire (Groupe 1), ou bien des amis
appartenant à la même association (Groupe 2 ). Nous entretenons
d'ailleurs des relations d'amitié avec les deux groupes avant même
la réalisation des deux enquêtes.
Le premier entretien a été d'une
durée de 43 minutes, il a été mené auprès
d'un groupe de 5 personnes. Quant au deuxième entretien, il a
duré 93 minutes et a été mené auprès d'un
groupe de 9 personnes.
Les personnes interviewées appartiennent
toutes à une tranche sociale intellectuelle, ce sont en fait des
étudiants de différentes disciplines, elles disposent toutes d'un
téléphone portable, la majorité possèdent un
ordinateur, mais rares sont celles qui possèdent un caméraphone
ou un appareil photo numérique proprement dit. Cependant, leur rapport
aux nouvelles technologies de la communication étant relativement moyen,
elles ont une culture affichée de la photographie en
général et des photos numériques en particulier, et ce
tant au niveau du partage de ces photos avec les proches (échange
fréquent avec la famille et les amis) , tant au niveau de leurs
implications sociologiques et esthétiques.
GUIDE DE L'ENTRETIEN
I - Les Photos Numériques
1- A votre avis, quels avantages offre la photo
numérique par rapport à la photo argentique ?
2- Certaines personnes prétendent qu'avec le
numérique, la photographie devient banalisée, perd son
originalité et sa fonction de mémorisation de la
réalité.
3- Selon vous, quelles différences peuvent exister
entre photo numérique et photo argentique ?
4- Quels sont en général les sujets de vos
photos numériques ?
5- Selon vous, quelles sont les options importantes que nous
offre le caméscope ?
6- Avec les avantages importants qu'offre le caméscope
que devient notre relation à la photographie ?
7- Quelles sont les pratiques photographiques associées
à l'instantanéité des photos numériques ?
8- A votre avis, quelles sont les effets positifs et
négatifs de la circulation des photos numériques dans la vie
quotidienne ?
9- Avec la possibilité de retouche, de manipulation ou
d'élimination des photos qu'offre le caméscope, jusqu'à
quel point les photos numériques peuvent représenter la
réalité ?
10- Les photos numériques qu'on visionne sur
l'écran de son ordinateur peuvent être regardées par les
membres de la famille, les groupes d'amis tout en ouvrant des conversations
d'ordre amical, sympathique, amusant, etc. Quelles dimensions sociologiques
alors peuvent acquérir ces photos ?
11- Les photos numériques enregistrées sur le
PC peuvent être modifiées ou carrément supprimées,
à la différence des photos traditionnelles. Qu'induit cela sur
les notions du cliché et d'album de la famille ?
12- « Les scènes de la vie quotidienne
acquièrent une nouvelle dimension avec la photo
numérique ».
13- Le caméscope permet la prise des photos et leur
visualisation de manière instantanée ce qui incite à
multiplier le nombre des essais et à prendre des photos n'importe
où (dans le tram, dans la ville, dans la maison, etc.). Qu'induit cela
sur l'acte photographique ?
14- Que devient la vie privée avec la
photographie numérique ?
15- La transportabilité et
légèreté des photos numériques (enregistrement sur
CD), facilitent leur échange entre les groupes d'utilisateurs. Quelles
seront les conséquences de cet échange ?
II- Les MMS
16- Comment vous pouvez définir les MMS ?
17- Quels sont les objets que vous pouvez photographier avec
votre caméraphone ? Et quelles significations vous y
attribuez ?
18- Est ce que vous recevez toujours des réponses
à vos MMS ? Si oui, quelles formes peuvent prendre ces
réponses (MMS, SMS, etc.) ?
19- Dans quels contextes vous échangez les MMS avec
vos amis ou les membres de votre famille ?
20- Selon les résultas d'une recherche sur les
MMS : « les MMS peuvent avoir la capacité d'alimenter des
bavardages et de développer des liens amicaux entre les groupes
d'utilisateurs ».
21- Les photos que vous envoyez par MMS
nécessitent-elles toujours du texte ?
22- Dans quelles circonstances vous utilisez les MMS ?
(Échange d'images renvoyant à des blagues, séquences de
vie quotidienne, fêtes, anniversaires...) ?
23- Pour quels buts vous échangez des MMS avec
les amis ou les membres de la famille ?
24- Quels sont les points de ressemblance et/ou de divergence
entre :
- Les MMS et les cartes postales
- Les MMS et les cartes de voeux (électroniques)
- Les MMS et les e-mails
25- Les MMS remplacent-ils ou prolongent-ils ces pratiques
communicationnelles ?
26- Comment devient la communication avec l'échange des
photos numériques et des MMS entre les différents groupes
d'utilisateurs ?
PHOTOS NUMERIQUES
Avantages et inconvénients des photos
numériques
1- Avantages :
La possibilité de faire plusieurs photos
Le premier avantage de la photo numérique par
rapport à la photo argentique c'est la possibilité de faire
plusieurs photos, autrement dit la liberté de prendre des photos autant
qu'on veux.
« L'appareil numérique ça prend
énormément de photos par rapport à l'appareil
traditionnel », Amal, 24 ans
Si l'acte photographique est considéré plus
réfléchi avec l'appareil photo argentique à cause de sa
capacité très limitée (36 pauses le plus souvent ) le
caméscope offre par contre à son utilisateur une grande
flexibilité. Il lui offre l'avantage de refaire les photos
ratées, de répéter les essais et donc de multiplier le
nombre de photos prises pour ne garder en final que les meilleures pauses.
« Avec un appareil photo numérique on
peut répéter les essais, on peut prendre deux ou trois photos de
la même personne ou du même paysage et c'est bien ».
Alae, 22 ans
La possibilité de faire des retouches
Le deuxième avantage de la photo numérique
par rapport à la photo argentique c'est de pouvoir faire des
manipulations et retouches au niveau de la photo en ce qui concerne la
qualité de l'image, la possibilité d'ajouter des effets
spéciaux, de régler la luminosité de l'appareil photo
numérique afin d'éviter les effets indésirables (les yeux
rouges) et ce avant le développement des photos. Ces valeurs nutritives
que la technologie numérique ajoute à la photographie
garantissent une manipulation souple et libre de la photo tout en incitant
à économiser de l'argent (du tirage) et à obtenir de
bonnes photos sur le plan esthétique.
« Bon, pour les avantages qu'offre la photo
numérique par rapport à la photo traditionnelle , ben parlons du
premier avantage, c'est que déjà on peut changer la
qualité de la photo, on peut changer la photo si elle ne nous convient
pas, c'est la facilité de changer la qualité de l'image, on peut
faire ou ajouter un effet spécial, justement ou dans le cas contraire on
peut régler la luminosité de l'appareil photographique pour
éviter les yeux rouges, zoomer évidemment, donc par rapport
à la photo traditionnelle qu'on prend de premier abord, la photo
numérique on peut la retoucher après, je crois que parmi les
avantages c'est ça ». Amal, 24 ans
Toutefois, si le caméscope ne permet pas la
réalisation des chefs-d'oeuvre comme c'est le cas de l'appareil photo
argentique, il offre au moins la possibilité de faire des photos
rapides, instantanées et retouchables. Cette possibilité de
retoucher les photos numériques peut être vue pour certains comme
un inconvénient. Avec laquelle la photo devient manipulable
(dans le sens péjoratif du terme) et perd sa beauté naturelle.
En plus, grâce au progrès techniques des
appareils photo numériques actuels la résolution de l'image et sa
qualité sont devenues nettement plus développées que
celles de l'appareil photo argentique. Néanmoins, ce dernier que
beaucoup de photographes professionnels continuent d'utiliser
« offre toujours ces sensations d'arrêt sur image, de
saisir l'instant et le moment véridique, et de se souvenir plus ou moins
parce qu'il est plus naturel ». Alae, 22 ans
Accessibilité et facilité
d'usage
Toutes les personnes enquêtées se sont
accordées que le plus important avantage qui caractérise la photo
numérique est l'accessibilité et la facilité
opératoire d'utilisation. Grâce à son aspect
immatériel, la photo numérique devient accessible à un
nombre important de gens, elle devient aussi rapidement échangeable
à travers les mails entre les différents groupes
d'utilisateurs.
« Moi je suis toujours dans l'optique de dire
que les photos numériques ça permet plus de facilité ,
plus d'accessibilité aux gens, plus d'échange comme l'a dit Amine
, et on peut les échanger facilement à travers les mails avec une
rapidité tellement... voilà, alors que les photos normales on
peut toujours les échanger dans un temps, un lieu, ou un moment
voulu ». Alae, 22 ans
Par ailleurs, par rapport à l'appareil photo
argentique, le caméscope est léger et facile à
transporter, ce qui génère systématiquement une
mécanique photographique plus répétitive et donc plus
productive au niveau du nombre des photos prises. Le caméscope offre
notamment une grande souplesse. Il est doté de plusieurs fonctions
faciles à utiliser (zoomer, filmer des petits clips, photographier en
mode noir et blanc, gérer la saturation des couleurs, etc.)
Les photos numériques peuvent être
visionnées et stockées directement sur l'ordinateur, ce qui
induit la disparition de la notion du cliché et annule carrément
la phase du développement des photos. « Comme ça on
la liberté de prendre tout ce qu'on veut » Effie, 32 ans
La technologie numérique permet de capturer des
photos simples, de la vie quotidienne. Elle permet de prendre des photos
instantanées, de supprimer les photos prises ou de les visionner
directement sur l'ordinateur. Maintenant avec certains appareils photo
numériques on a la possibilité de brancher le caméscope
à une imprimante et tirer les photos directement, donc il n'y a plus
besoin d'attente.
Le caméscope permet de voir en temps réel
toutes les photos prises. S'il y a des photos ratées, on peut les
refaire facilement ce qui permet de sauter la phase du développement
pour voir les photos.
Après leur visionnage, les photos numériques
sont faciles à partager, on peut les envoyer par Internet en peu de
temps et très facilement à ses amis. C'est une manière
d'économiser l'argent et de créer le budget parce l'on peut se
passer du tirage des photos sur papier - contrairement à la photo
argentique - ou à la rigueur on peut tirer seulement les photos dont on
a envie.
En effet, se passer du tirage des photos avec le
numérique semble être la pratique la plus courante pour la plupart
des usagers. Alae explique en détails les motifs de cette tradition
photographique :
« Je veux parler de la différence au
niveau du budget, parce que avec un budget énorme dans un appareil photo
numérique on ne voit pas le rapport pourquoi on doit aller après
chez un photographe pour développer les photos, voilà. C'est
à dire que si c'était un appareil photo normal qui coûte
moins cher et que après je dépense 10 euros pour
développer les photos c'est pas grave, alors que quand j'achète
un appareil numérique à 300 euros, je préfère
stocker les photos sur mon ordinateur, ainsi je peux les repasser, les
revoir ». Alae, 22 ans
La technologie numérique nous donne accès
plus facilement à la photographie. De ce fait, il y a un effet de
démocratisation intrinsèquement lié à la photo
numérique, puisque plusieurs étapes de la production de la
photographie sont annulées par rapport à la photo argentique.
Maintenant, avec la technologie numérique on peut prendre des photos
instantanément , ce qui constitue un avantage et un inconvénient
en même temps dans la mesure où il y aura des emplois qui peuvent
disparaître ; c'est à dire qu'on aura de moins en moins
besoin de labos pour le développement des photos, pour ne pas oublier le
fait que la plupart des commerces des photos traditionnelles ont
déjà disparu à cause de l'explosion du marché de la
photo numérique.
Les avantages des photos numériques étant
largement défendus et argumentés par nos personnes
interrogées - ce qui va à l'encontre du discours soutenu par
quelques technophobes accordant uniquement à la photo argentique les
valeurs du charme et d'authenticité - il en demeure que cela ne place
pas la photo numérique en position de supériorité par
rapport à la photo argentique. La raison étant que le
numérique marque simplement une nouvelle époque pour la
photographie. C'est à dire que c'est un signe parmi d'autres du
progrès scientifique et technologique de la société
moderne.
Cela va nous permettre d'aborder les failles des photos
numériques telles qu'elles ont été décrites par la
population enquêtée.
2- Inconvénients :
Le premier inconvénient qu'on accorde à
l'appareil photo numérique c'est son manque de précision. Il
s'agit en fait de l'incapacité du caméscope à capturer les
scènes mouvementées (une personne qui danse, qui se jette dans
l'eau, etc. ) et ce contrairement à l'appareil photo argentique.
« Les appareils numériques peuvent
souvent louper les pauses qu'on désire prendre , parfois il y a des
discordes et là tu boucles le truc, et malheureusement les chercheurs
ils ne sont pas encore arrivés à faire.. à trouver cet
appareil numérique vraiment hyper-efficace », Saïd, 24
ans
Le discours sur l'immatérialité des photos
numériques a été également débattu dans les
interventions des personnes enquêtées. Il relève d'un
certain rapport intime avec la photo en tant que support visuel tactile qui
offre des sensations de souvenir et de frôlement du passé. La
photo numérique rompt avec cette tradition de photo avec la
possibilité de se passer du tirage sur papier et de regarder les photos
prises sur l'écran de son caméscope ou ordinateur. Ecoutons
à cet effet le témoignage de Saïd qui corrobore ce
constat :
« Moi, j'aime bien tirer les photos sur papier,
et c'est bien de les toucher, de les sentir, c'est plus original et aussi c'est
plus convivial , c'est comme si tu es avec une personne, c'est comme si tu
touches le passé en fait ...parce que le contact d'une personne avec une
photo, quand il la touche quand il la voit devant soi c'est à dire il
sent l'action et aussi le temps » Saïd, 24 ans
Selon les personnes enquêtées, la pratique
photographique devient banalisée avec l'introduction du
numérique. Celui-ci augmente les chances pour prendre autant qu'on veut
de photos et n'importe comment. Du coup, photographier dans le mode
numérique devient moins agréable et sans grande valeur. Par
contre, avec l'appareil photo argentique on a souvent affaire à un acte
photographique plus réfléchi qui consiste à gérer
avec économie les pauses limitées dont on dispose afin de saisir
le meilleur moment. De surcroît, avec le numérique l'effet de
personnalisation qui consiste à prendre les photos soi-même et
à choisir les bonnes photos au moment du tirage à la
différence des étapes successives qu'on doit suivre pour la
réalisation d'une photo selon le mode argentique, ne peut que limiter le
rôle du photographe et banaliser par la suite l'acte photographique qui
devient largement accessible à quiconque qui le désire.
« En fait c'est une idée assez bizarre
dans le mesure où ce n'est pas normal parce que ça limite le
rôle du photographe qui prend la photo et la développe, donc c'est
comme par exemple des métiers d'artisanat qui étaient
considérés comme traditionnels et qui maintenant avec les
nouvelles technologies de l'information ont tendance à...
(disparaître),sont menacées, donc maintenant on fait le travail du
photographe soi-même, c'est une banalisation de la photo ».
Wydade, 26 ans
Si la quasi-totalité des personnes
enquêtées ont exprimé leur enthousiasme vis-à-vis de
l'insertion de la technologie numérique dans le champ de la photographie
et ses valeurs ajoutées au niveau de la démocratisation de la
photo, de son esthétisation ainsi que de son « confort
visuel », nous avons recueilli quand même l'avis opposé
d'une personne enquêtée qui mérite d'être cité
en raison de son intérêt.
Amine pense que la photo numérique n'offre pas des
avantages réels à ses utilisateurs. Elle crée par contre
une relation de dépendance à la technologie compte tenu des
avantages énormes qu'elle offre (facilité d'usage et
d'accès, qualité visuelle, etc.)
La photo numérique n'est en fait qu'une
conséquence du développement technologique qui abrutit
l'être humain et qui le rend plus fainéant et moins
créatif. En effet, explique-t-il, lorsqu'on parle de la photo que ce
soit argentique ou numérique l'on parle aussi de l'être humain qui
est à l'origine du progrès touchant les domaines multiples de la
vie.
« C'est vrai, ce qu'on cherche actuellement
c'est plus de confort et plus d'accessibilité à la photo, plus de
démocratisation , mais ce qui ressort, le point fort c'est que la
technologie nous abrutit et je vois pas là un avantage ».
Amine, 25 ans
Photos numériques : implications
socio-sémiotiques
Thèmes et contextes d'échange
Le partage des photos numériques pour
l'échantillon enquêté obéit à une
fréquence régulière. La plupart des personnes
enquêtées déclarent échanger des photos
numériques avec leurs familles ou amis souvent et plus
particulièrement lors des voyages et des grandes
cérémonies. Les thèmes des photos échangées
peuvent se rapporter à « tout et n'importe quoi »
selon l'expression de Amine. Et c'est justement « le forfait
illimité » qu'offre le caméscope (Prise
instantanée des photos avec visualisation directe sur l'ordinateur) qui
est à l'origine de cette pratique du tout photographiable.
Les scènes de la nature font partie
prépondérante des objets photographiés. Elles
requièrent pour la population enquêtée des dimensions
purement esthétiques tout en offrant aux personnes qui les
méditent des modalités de lecture variées.
Nous citons à ce propos le témoignage de
Tamila :
« Parfois les images de la nature, le soleil qui
se couche c'est incroyable, parfois c'est une petite fleur, un visage,...Tu
vois ? Maintenant c'est très facile de faire des photos et dire
ensuite ce sont des chef-d'oeuvres, des tableaux artistiques auxquels ont peut
donner de différentes interprétations ». Tamila, 33
ans
Les thèmes des objets photographiés avec le
caméscope renvoient également à des portraits
intéressants d'hommes ou de femmes, à des auto-portraits,
à des fêtes et des instants d'amitié et plus
généralement à des objets différents de la vie
quotidienne.
La photo numérique comme moyen de
communication
Etant donné que l'appareil photo numérique
offre la possibilité de voir instantanément les photos prises,
les cadres de l'acte photographie deviennent très réduits tout en
élargissant l'imagination du photographe, ce qui accroît le nombre
des photos réalisées dans des postures bizarres et
« débranchées ». Or, même si l'on peut
prendre de telles photos dans le mode argentique, le numérique demeure
plus propice et encourageant :
« Même avec l'appareil traditionnel tu
peux faire des photos de différents endroits : des pieds , de la
tête, des différentes parties du corps, mais le numérique
encourage plus, tu vois c'est comme un film ». Tamila, 33 ans
Si la photo numérique est considérée
comme un moyen de communication c'est parce qu'elle nous renseigne sur la vie
privée des gens. Avec laquelle, les scènes de la vie quotidienne,
les moindres détails même bêtes ou futiles peuvent
requérir des significations intenses chez les différents usagers.
A cet effet, Amine nous relate l'histoire de ce monsieur parti en voyage au
Japon et qui s'amusait à prendre des photos des toilettes, des sandwichs
qu'il consommait, bref de tout ce qui s'offrait au champ visuel de son appareil
photo numérique.
Saïd soutient l'histoire de Amine tout en ajoutant
qu'avec la technologie beaucoup de personnes cherchent à s'affirmer.
Cela ne se réalise pas uniquement à travers la photo
numérique mais aussi par d'autres moyens. Dans le domaine d'Internet, il
peut s'agir par exemple des gens qui construisent leurs sites perso avec des
touches très personnelles au niveau du contenu, de la conception
graphique, des couleurs, etc.
Pour appuyer l'histoire de l'homme japonais racontée
par Amine, Saïd fait référence à un autre exemple qui
rentre dans le cadre de l'art culinaire. C'est l'histoire du tajine qu'il a
réussi, qu'il a photographié avec son caméraphone, qu'il a
montré à ses parents pour leur faire preuve de son progrès
: « Je peux montrer la photo à mes parents, à
ma mère, voici j'ai appris à faire un tajine... C'est comme la
preuve, voilà j'ai réussi à faire ça, j'ai la
preuve que j'ai fait ça, donc je veux dire il faut me croire ».
Saïd, 24 ans
Il ressort de ces deux exemples que la technologie
altère notre rapport au quotidien. Elle révèle une
certaine volonté de s'approprier les choses et de dominer l'espace. Nous
pouvons aisément comprendre cette idée si l'on constate que dans
le champ de la photo numérique en particulier, n'importe quel objet,
n'importe quelle situation peuvent être photographiés et
montrés aux autres, selon une mécanique répétitive
qui donne aux objets qui semblent les plus banals les dimensions les plus
larges.
Les situations de la vie privée appartiennent
évidemment à la sphère des objets photographiés
selon le mode numérique. Pour la plupart des personnes
interrogées, la circulation des photos numériques dans la vie
quotidienne est devenue une pratique courante ; elle est favorisée
par la facilité de prendre un grand nombre de photos et de les
échanger entre un nombre assez important d'utilisateurs. Cet
échange est tout à fait normal lorsqu'il s'agit de partager des
photos entre amis ou membres de la famille, mais parfois il peut
entraîner des conséquences graves sur la vie privée. Parmi
lesquelles par exemple la manipulation des photos personnelles et leur partage
entre les différents usagers ou notamment leur diffusion sur le
réseau Internet. Les photos argentiques, faut-il préciser, sont
également soumises à la possibilité de manipulation et de
diffusion à travers Internet (après leur scanérisation),
mais avec des chances beaucoup plus moindres par rapport aux photos
numériques qui sont plus accessibles
En fait, l'exposition de la vie intime à travers les
photos numériques est qualifiée par l'ensemble des
enquêtés comme étant un acte inadmissible sauf s'il s'agit
d'envois nécessaires de photos pour les services de renseignements. Mais
en général photographier la vie privée sans permission de
l'autre reste toujours un acte « moralement et éthiquement
interdit ». Cette exhibition de la vie privée au biais des
photos numériques menace, selon notre échantillon
interrogé, le droit à la vie privée d'autant plus qu'elle
nuit à l'image de soi qui devient appropriée par l'autre.
« Ça agresse l'intimité, donc
finalement la personne a pris ce choix de donner une image de soi, donc on a
plus ce droit à l'image, quand on se l'approprie on la
touche ». Amal, 24 ans
Photo numérique de famille
La notion de l'album de famille disparaît-elle ou
persiste-elle avec l'irruption du numérique dans le champ de la
photographie ?
Cette question nous l'avons posée à
l'ensemble des enquêtés à laquelle ils ont fourni des
éléments de réponses à la fois intéressants
et disparates.
Pour les personnes interviewées, la notion de
l'album de famille ne perd pas sa valeur mais devient plutôt plus
exponentielle avec le numérique. Si on avait auparavant, c'est à
dire avec la photo argentique, un unique album papier regroupant les souvenirs
de plusieurs générations, l'album de famille actuel s'est
métamorphosé tout simplement en un CD, d'autant plus qu'on peut
avoir maintenant grâce au numérique une multitude d'albums
gravés sur CD pour chaque année.
« Avec le numérique on peut avoir
plusieurs albums chaque année et c'est comme des montagnes ».
Tamila, 33 ans
Mais est ce qu'on peut utiliser le terme d'album lorsqu'il
s'agit d'un support électronique ? Est ce que le terme album n'est
pas forcément propre à un livre en papier qui rassemble des
photos de la famille ?
La réponse des enquêtés c'est que du
moment qu'on dispose d'une collection de photos sur CD retraçant
l'histoire d'une période de notre vie, on peut parler d'un album
puisque « un album c'est toujours un album même si c'est
numérique ». Cependant, l'album de famille traditionnel semble
avoir plus de valeur symbolique étant donné que c'est un support
tactile qui offre des instants de méditation et d'arrêt sur image,
en plus l'album de famille donne toujours un plaisir réel à celui
qui le feuillette tout en alimentant des commentaires et éveillant dans
l'inconscient des souvenirs lointains.
« Pour moi l'album traditionnel ça se
voit , c'est quelque chose qui a une valeur ». Alae, 22 ans
Le point fort qui ressort du discours de la population
enquêtée sur le concept d'album de famille numérique c'est
que la technologie élargit la dimension de l'album de la famille qui
devient de plus en plus progressive. En outre, si l'album de famille
traditionnel a pour fonction principale de mémoriser les
événements importants de la vie comme les
cérémonies, les mariages, les moments heureux bref tout ce qui a
trait au vécu personnel et collectif, l'album numérique offre en
même temps cet avantage, mais sa valeur ajoutée réside
essentiellement dans la préservation des séquences banales de la
vie quotidienne.
« Dans les albums des familles on garde toujours
les photos qui mémorisent les événements majeurs comme les
mariages, les fêtes, comme ça. Et on CD on grave les photos qu'on
prend dans la vie quotidienne et qui ne sont pas toujours très
importantes ». Muslum, 26 ans
Selon l'avis de Faïçal, la photo
numérique pourra avoir le mérite de rassembler les membres de la
même famille. Elle peut constituer notamment un moyen parmi d'autres
à travers lequel se matérialise l'esprit de la famille.
L'originalité de cette idée réside dans le fait que du
moment que le caméscope offre la possibilité de prendre
énormément de photos, cela pourra représenter une certaine
façon pour la transmission de l'histoire familiale en photos sur CD
d'une génération à une autre. Du coup, nourrie d'un esprit
de curiosité, la famille peut se rassembler facilement pour voir et se
questionner sur la vie des ancêtres. Ce qui peut être
considéré comme un moyen efficace pour souder les familles de nos
jours, de plus en plus dispersées.
Pour ce qui concerne les traditions de lecture des photos,
il s'avère bien qu'elles ne sont pas les mêmes lorsqu'il s'agit
d'un album de famille traditionnel ou numérique. En fait, si les photos
argentiques semblent être plus valorisées, voire même plus
« sacrées » une fois classées dans l'album de
famille traditionnel, c'est parce que ce dernier rassemble les membres de la
seule famille sur d'anciens souvenirs en ouvrant souvent des conversations
d'ordre convivial. Alors qu'avec l'album familial numérique les photos
sont si nombreuses qu'elles deviennent peu signifiantes et donc presque
personne ne prend le temps pour les regarder dans leur totalité.
« Tu trouves pas le temps pour regarder toutes
ces photos , mais avec l'appareil traditionnel les photos sont plus
sacrées ». Ibrahim, 22 ans
Au sein de l'album de famille traditionnel, le nombre de
photos qu'on garde est relativement limité par rapport à ce qu'on
peut appeler album numérique, mais ces photos-là
prennent plus de valeur. Elles requièrent plus de dimensions
émotionnelles et affectives chez la famille parce qu'elles sont
authentiques ; elles sont matérielles et quand on les touche on a
l'impression d'effleurer le passé.
Photo numérique et transmission du patrimoine
L'appareil photo numérique offrant la
possibilité d'enregistrer des scènes innombrables et des
détails pointus de la vie quotidienne, jusqu'à quel point nous
assure-t-il la transmission du patrimoine aux générations
futures ?
La réponse à cette interrogation par
l'ensemble des personnes interviewées a donné des
éléments de réflexion assez originaux. Il convient de les
mettre en lumière dans ce chapitre.
De prime abord, la transmission du patrimoine aux
générations futures au moyen de la photographie numérique
semble être une entreprise largement réalisable, mais le
problème qui se pose c'est l'intention qui se cache derrière
cette transmission, en d'autres termes est ce qu'elle est fidèle ou
non.
Du moment qu'avec le caméscope on arrive à
multiplier sensiblement le nombre de photos prises et à les sauvegarder
sur des supports électroniques transportables et légers, la photo
numérique communiquerait aux générations futures de plus
amples renseignements sur la vie des ancêtres. C'est à dire leurs
modes de vie, leurs rites, leurs fêtes, leurs modes de s'habiller, leurs
villes, leur civilisation... et ce dans les plus petits détails. La
photo numérique est un moyen en fait pour enregistrer l'histoire et
d'inscrire la vie des ancêtres dans une ligne d'évolution et de
continuité.
« l'appareil photo numérique, je crois
que ça pourrait permettre aux générations qui vont venir
d'avoir plus de détails, plus de précision sur la vie de leurs
ancêtres, c'est à dire tu vas voir plusieurs photos en toute
précision, un ensemble de photos, c'est à dire donner plus
d'idées ». Faïçal, 21 ans
La photo numérique pourra notamment constituer un
bon moyen pour écrire l'histoire de la famille qui passe normalement par
la voie orale. La valeur ajoutée de la photo numérique c'est plus
de précision et de détails sur les événements du
passé, ce qui veut dire un enregistrement plus fiable et une vision plus
globale. Certainement, la photo numérique ne sera qu'un médium
parmi d'autres (la littérature, la peinture, la vidéo, etc.) pour
la transmission de l'histoire d'une génération à une
autre. D'où la légitimité de poser la question
suivante : Est ce que nous avons réellement besoin de la photo
numérique pour transmettre notre patrimoine civilisationnel aux
générations à venir ?
Selon l'opinion de Amine, l'être humain ne va plus
s'exprimer lorsqu'il choisit la photo comme moyen de communication.
Puisqu'à partir du moment qu'il ne s'exprime pas il ne pense plus donc
il va cesser d'exister en tant qu'être doué de capacités
créatives et réflexives. Certes, la photo est essentielle mais
à côté d'elle se profilent d'autres moyens de communication
importants comme la littérature écrite qui est censée
être le médium original pour l'écriture de l'histoire.
« Le patrimoine ne passe pas que par la photo,
il passe par plusieurs moyens de communication, la littérature... un tas
de choses, mais la photo est essentielle ». Amine, 25 ans
La littérature écrite offre en effet
l'avantage d'éveiller l'esprit de l'homme et de libérer son
imagination. De ce point de vue, les images n'auront qu'une valeur
supplémentaire à côté du texte écrit. Les
photos numériques de par leur matérialité manipulable et
leur aspect jetable se trouvent incapables d'enregistrer l'histoire de
manière fidèle. Cela étant dit, c'est à la photo
argentique - spécialement en noir et blanc- qu'on confie le plus
souvent cette mission. Cette dernière garde toujours des
qualités de charme et de magie qu'on lui attribue parce qu'elle s'offre
à notre toucher et parce qu'à travers laquelle on éprouve
le sentiment de rêver, de voyager et de saisir le passé en
fragments.
Photos numériques et implications artistiques et
esthétiques
Photo numérique et mémorisation de la
réalité
Avec l'introduction de la technologie numérique dans
la sphère de la photographie, quelle configuration va prendre la
mémorisation de la réalité à travers la photo ?
Quels sont les caractéristiques spécifiques de cette
mémorisation ?
En réponse à cette interrogation de base, les
enquêtés affirment qu'au moyen de la photographie numérique
les photographes d'aujourd'hui peuvent réussir à saisir la
réalité dans ses détails infinitésimaux. Si jadis
on reproduisait la réalité à travers quelques photos
représentatives - c'est l'exemple des expositions photo dans les
musées d'histoire -, les photographes de nos jours peuvent grâce
aux capacités énormes qu'offre le caméscope produire une
multitude de photos qui témoignent de notre époque et donc il
leur est largement possible d'écrire notre histoire au biais de la photo
numérique.
« Maintenant c'est énorme, on a une
multitude des photos qui reproduisent la réalité, notre
patrimoine on peut l'enregistrer avec beaucoup de détails ».
Effie, 32 ans
Cette mission d'enregistrement de la réalité
à travers la photo peut être remplie par n'importe quelle personne
qui possède un appareil photo numérique. Les
événements majeurs de la vie, les instants joyeux, les moments
d'amitié constituent autant d'éléments à
préserver et le caméscope offre à ce niveau une grande
flexibilité. Cela étant dit, nous ne sommes pas obligés de
garder en souvenir tous les évènements de sa vie mais
principalement les plus marquants.
« Moi par exemple quand je pars en voyage, je
pars avec des amies, en famille , c'est là que je choisis les moments
à saisir avec plus de flexibilité au niveau de la photo avec
l'appareil numérique ». Wydade, 26 ans
Les photos numériques de par leur grande
accessibilité enregistrent souvent dans les plus petits détails
les grands voyages qu'on n'a pas l'occasion de faire souvent. Elles nous
rappellent toujours des moments et gestes précis tout en
suggérant le rassemblement des amis ou des proches pour des
séances de visionnage commun, ouvrant ainsi des pistes de bavardage et
de convivialité. A la différence des textes écrits ou
oraux, les photos des voyages -que ce soient numériques ou argentiques-
offrent grâce à leur fonction ample de description l'avantage de
rapprocher les souvenirs et de les faire partager facilement avec les autres.
Ces photos semblent constituer une mémoire qu'on
fabrique soi-même et qu'on garde. C'est la trace visible d'un état
d'esprit vécu ou d'un instant d'amitié partagé. C'est
aussi en quelque sorte un regard subjectif sur un objet observé et
apprécié. Dans ce sens, ce n'est pas la photo prise qui importe
en soi mais c'est la sensation qui s'en dégage.
Si la définition de ce qui mérite
d'être photographié et mémorisé diffère
manifestement d'une personne à une autre, les objets rencontrés
lors des voyages représentent des « cibles
prioritaires » pour la majorité des usagers des photos
numériques. Dans cette case, nous recensons les monuments, les endroits
touristiques, les objets bizarres et plus généralement tout ce
qui offre la sensation du mouvement.
Le caméscope avec son poids léger, sa
facilité d'utilisation et sa capacité focale importante permet la
captation et l'enregistrement en temps réel de l'ensemble de ces
décors. En visionnant les photos enregistrées on se rend compte
de leur allure vivante et animée. Pour illustrer cette idée,
Saïd fait référence aux touristes Japonais et Chinois qui,
durant leurs voyages dans les citées européennes, s'amusent
à photographier tout et n'importe quoi avec leurs caméscopes.
Mais c'est justement le cas de quelques personnes ayant une certaine
dépendance vis-à-vis de la technologie qu'il ne peut pas
être généralisé.
« Moi par exemple j'ai un appareil photo, je
vais pas, je sors pas avec mon appareil photo pour photographier n'importe
qui... donc c'est vrai que... bon, c'est un cas
spécial » ; Wydade, 26 ans
Mais, revenant à notre questionnement du
départ nous nous permettons de poser la question suivante :
jusqu'à quelle limite la photo peut représenter la
réalité ? Cet enjeu est-il possible surtout si l'on sait que
la réalité est difficile à saisir ?
Si l'acte photographique est chargé symboliquement
du fait que c'est une immortalisation du moment, une préservation de la
mémoire individuelle et collective en vue de la transmettre aux
générations futures, la prolifération des photos
numériques représentatives de la réalité ne pourra
que réduire les temps d'arrêt sur image et casser l'unicité
du moment. En effet, prendre énormément de photos avec son
caméscope contribue à banaliser les photos de telle sorte qu'on
ne trouvera pas le temps nécessaire pour les regarder dans leur ensemble
ce qui induit systématiquement la baisse sinon la perte de la fonction
de mémoire photographique avec le mode numérique.
En d'autres termes, avec l'effet de banalisation de la
photo intimement rattaché au numérique, nous ne retrouvons pas la
beauté des scènes photographiées. Ce n'est plus la
contemplation de l'objet comme c'est le cas dans le mode argentique, c'est
plutôt sa captation et son appropriation rapide. C'est comme si
l'être humain veut remplacer sa mémoire cérébrale
par une autre photographique.
La méditation de l'instant disparaît avec la
photo numérique car cette dernière ne peut offrir qu'un temps
d'arrêt éphémère à celui qui la regarde. La
notion d'instant, observe notre population enquêtée, peut
être également absente dans le film vidéo du fait que c'est
un défilé d'images qui capture l'action. Mais ce qui reste
à souligner, c'est que la disparition du concept d'instant dans la photo
numérique n'est pas due à sa matérialité
différente de la photo argentique, elle est due plutôt à
cette mécanique assez reproductive des images que peut facilement offrir
l'appareil photo numérique.
Selon l'avis de Alae, la photo argentique et la photo
numérique semblent être toutes les deux non représentatives
de la réalité. La raison étant que si la première
porte un regard esthétique sur la réalité, la
deuxième de par sa grande netteté visuelle et son sens pointu du
détail semble décrire la réalité de façon
crue c'est à dire « trop réelle ».
Pour ce qui concerne le même point, c'est à
dire la représentation de la réalité au moyen de la photo,
Karim remarque de sa part que la photo argentique est incapable de saisir la
réalité observée. La raison étant que la phase du
développement chimique de la pellicule dans le laboratoire implique une
certaine fabrication, alors qu'avec l'appareil photo numérique les
photos sont plus réelles parce qu'elles sont prises
instantanément.
« Disons par exemple que je vois un chat passer
je le prends à l'instant avec mon appareil photo numérique ,
c'est une chose que ne permettait pas l'appareil photo avant ».
Karim, 19 ans
Toutefois, et sans se questionner trop sur son degré
du réalisme, la photo représente toujours pour notre population
enquêtée un besoin nécessaire pour l'être humain du
fait que c'est un document historique à part entière. La
sauvegarde de l'histoire se réalise par des matériaux multiples
telles la littérature et la peinture par exemple, le support
photographique que ce soit argentique ou numérique constitue
également un matériel figuratif intéressant ;
grâce à sa force d'attraction, sa vitesse et sa précision
il a la capacité de décrire des situations et de communiquer des
émotions avec beaucoup de force.
Mais à ce niveau-là il faut se
demander : combien de photos faut-il prendre par exemple d'un tel
événement pour le mémoriser ? Selon quelles
règles doit-on prendre ces photos ? Quelles sont les
démarches esthétiques à tenir en compte pour la
réalisation des photos historiques ? Ces interrogations sont tout
à fait légitimes si l'on sait qu'une seule photo bien
réfléchie peut nous impressionner et éveiller nos sens
méditatifs alors que devant un panorama de photo on peut rester parfois
indifférent.
« Des fois on va rester dans un panorama
pendant une heure et des fois on prend une photo (photo
réfléchie), en fait juste le fait de la contempler on a tellement
apprécié sa beauté qu'on veut s'approprier ».
Amine, 25 ans
Photo numérique et implications esthétiques
Le discours sur les photos numériques s'inscrit dans
un cadre plus large, celui de l'image dont le positionnement est devenu
très stratégique dans l'espace médiatique. Maintenant, il
y a de plus en plus d'images qui circulent à travers les médias,
il y a plus d'intérêt porté sur l'image et ses effets
psychologiques et sensibles. Les photos numériques distribuées en
particulier sur le réseau Internet représentent une masse
importante des images qui circulent dans notre vie quotidienne, elles offrent
des possibilités d'échange entre les personnes ou l'ensemble des
communautés virtuelles.
Pour ce qui concerne notre échantillon
enquêté, les photos numériques représentant des
paysages et des scènes de la nature diffusées sur le Net sont
caractérisées par leur grande qualité qui offre une
sensation de confort visuel, elles requièrent des implications
esthétiques certaines pour les internautes. A travers lesquelles, on
peut visiter des mondes lointains en un simple clic, on a le sentiment de
voyager et de traverser l'espace sans même se déplacer. C'est un
voyage virtuel à travers Internet qu'offrent ces photos doublé
d'un effet de rêve, et c'est justement quelques images
représentatives qui donnent l'illusion à ceux qui les regardent
d'être partis en voyage.
Ceci suppose que les photos numériques ont la
capacité de faire naître des représentations mentales pour
ceux qui les regardent. Mais, une image mentale peut-elle reproduire la
réalité telle qu'elle s'est déroulée ? Le souvenir
d'un voyage réel ne serait-il pas plus authentique et vif qu'une photo
restée dans la mémoire d'un paysage vu un certain moment lors
d'un voyage virtuel à travers Internet ? La question essentielle
qui se pose : Est ce que nous avons besoin de ces photos numériques
publiées sur Internet (représentant des coins paradisiaques) pour
simuler des voyages ?
Pour ne pas prétendre apporter des réponses
instantanées à ces interrogations (nous estimons que cela sera
possible ultérieurement dans le cadre d'une recherche approfondie) nous
revenons à notre problématique initiale, c'est à dire les
dimensions socio-sémiotiques et esthétiques des photos
numériques. A cet effet, Tamila pense qu'avec la
pénétration de la technologie numérique dans le champ de
la photographie, la photo perd sa magie et son charme. Pour expliquer son point
de vue, elle fait référence aux photos classiques du début
du 20ème siècle qui étaient d'une beauté
artistique irréprochable qui leur donnait le statut de vrais
chefs-d'oeuvre. Elles correspondent par exemple à quelques photos
anciennes des grands parents qu'on prend soin de garder précieusement
pour les générations à venir au contraire des photos
numériques qui sont si nombreuses qu'on oublie souvent de les
préserver.
Tamila pense qu'avec l'appareil photo numérique l'on
ne peut pas reproduire des photos artistiques qui touchent les sentiments des
gens, étant donné que de nos jours les traditions photographiques
ont changé. Autrement dit, avec le numérique on est plus dans
l'éphémère et l'irréfléchi que dans le
méditatif. La photo numérique de ce fait n'est plus un
arrêt sur image, une traduction iconique d'un moment unique ou une
contemplation lucide d'une scène précise, c'est plutôt une
mécanique incarnationnelle et froide des images, une captation
rapide de l'instant, et tout le monde peut facilement en accéder.
Cette possibilité de prendre autant de photos qu'on
veut avec le numérique et notamment de les visualiser et de les
supprimer ne peut que tuer le plaisir lié à l'acte photographique
considéré comme un moment privilégié et une
réflexion iconique sur un instant apprécié. C'est la
raison pour laquelle on peut se rendre compte que quelques photos argentiques
portant notre touche personnelle vaudront mieux qu'une multitude de photos
numériques prises de manière rapide et irréfléchie.
« On prend beaucoup de photos mais on ne se rend
pas compte que (l'acte photographique) c'est un point privilégié
pour se préparer, je ne sais pas... ça donne pas une valeur
à la photo en elle-même ». Faïçal, 21 ans
En fait, du moment que l'appareil photo numérique
assure une prise déchaînée de photos avec des
possibilités parallèles de retouche on n'arrive pas à
saisir l'instant véridique. Avec le numérique, les photos des
voyages par exemple vont avoir tendance à être plus
répétitives (plusieurs versions photos du même endroit ou
paysage de différents angles), donc plus futiles et moins signifiantes.
De plus, le fait de partir en voyage avec son caméscope peut parfois
nous priver de profiter des instants heureux que l'on s'efforce de capturer un
à un avec son appareil photo. Ceci va nous inciter à se
demander : A quoi cela sert de mémoriser toujours l'instant avec
son caméscope ? sommes-nous toujours contraints de mémoriser
nos voyages ou notre quotidien en général à travers des
photos ? La mémoire photographique enrichit-elle ou appauvrit-elle
notre mémoire cérébrale ?
De sa part, Effie considère que le passage de
l'argentique au numérique ne peut pas constituer un dilemme pour la
photographie. Le numérique participe par contre à la
démocratisation de l'art en donnant accès à tous ceux qui
le désirent à la photo. Il appartient plus tard aux photographes
professionnels de choisir le support convenable pour représenter la
réalité à travers des photos artistiques.
« Après si les vrais photographes, les
spécialistes veulent prendre des photos artistiques , eh bien c'est
à eux de choisir l'appareil ou le support (numérique ou
analogique) qui préfèrent pour reconstituer la
réalité à travers la photo, tu vois ? ».
Effie, 32 ans
Cela étant dit, le numérique reste le
médium le plus favorable pour la réalisation de photos
réussies. Ses fonctionnalités souples, sa simplicité
d'usage et le nombre assez important de photos qu'il permet de prendre en sont
apparemment les raisons majeures. Toutefois, le numérique multipliant le
nombre des photos prises entraîne leur banalisation et c'est justement
avec l'argentique qu'on arrive à apprécier plus les photos. Cela
renvoie aux phases successives pour la production de la photo dont la phase du
développement chimique de la pellicule qui va décider du destin
de l'image (la teinte qu'elle va prendre, photo ratée ou
réussie...).
Pour les personnes qu'on a interrogées sur leurs
usages des photos numériques dans la vie quotidienne, c'est un vrai
bonheur de faire une photo en mode argentique, parce que l'on ne connaît
pas le résultat du développement du film ce qui rend
précieux et le temps d'attente et d'expectation et la photo obtenue
elle-même. La photo argentique prend notamment plus de valeur et devient
une source de plaisir ; on peut la toucher et la sentir comme un
être humain, à travers laquelle des souvenirs lointains
s'éveillent en nous et nous pouvons revoir le passé se
reconstituer en morceaux.
« Il y a vraiment un réel contact quand
tu prends la chose dans ta main, tu sens...C'est inconscient et après tu
dégustes ce moment ». Amal, 24 ans
Les MMS : enjeux sémiotiques et
communicationnels
Contextes et buts d'échange
Terminologies
Avant d'aborder les contextes et buts d'échange des
MMS entre les usagers de ce moyen de communication, il convient d'abord de
mettre en lumière les différents essais de terminologie
attribués au terme MMS par les personnes constituant notre population
enquêtée.
Le mot MMS renvoie le plus souvent à des photos en
couleur envoyées d'un téléphone mobile à un autre
ou du réseau Internet au téléphone mobile avec la
possibilité d'ajouter du texte ou du son, mais cette option
s'avère un peu compliquée pour la majorité des
destinataires, ce qui limite l'envoi des MMS ,dans la plupart des cas, à
des simples photos ne nécessitant pas toujours des commentaires verbaux
ou sonores. Le MMS remplie la fonction d'un texte, à travers lequel nous
communiquons une idée, un sentiment ou un état d'âme . De
manière générale, il s'agit d'un message multimédia
qui offre la possibilité d'envoi direct, rapide et instantané de
photos d'objets intéressants rencontrés dans la vie quotidienne
et saisies au moyen de son caméraphone.
« Le MMS, c'est déjà un texte, une
information, un message, c'est l'information que tu peux envoyer tout de suite,
et parfois tu vois quelque chose d'intéressant, tu la photographies et
tu l'envoies ». Tamila, 33 ans
La pratique des MMS renvoie à un effet double
d'information et d'animation. Par information nous désignons le message
véhiculé par la photo envoyée d'un destinataire à
un autre, et par animation nous faisons référence à la
typologie variante des MMS : des annonces de publicité reçues sur
le téléphone portable, un coeur qui bât, un clown qui
danse, une fleur qui s'ouvre ; ces éléments portent des
couleurs et des teintes éclatantes qui éveillent l'attention du
récepteur.
Etant définis en référence aux
premières lettres du terme comme Message Multimédia
Service, les MMS proposent un dispositif matériel complexe, alliant
par exemple le langage visuel avec la vidéo, les photos, au langage
sonore avec le texte écrit. La pluralité des langages - recours
aux modalités visuelle, sonore, cinétique, verbale -, des genres
et des médias ajoute à la volonté d'ouverture
énonciative une capacité d'ouverture polysensorielle. Ce qui
donne à saisir le MMS comme un corps matériel malléable
que l'on peut creuser, ouvrir, fermer, voir, entendre, sentir,
développer, incitant ainsi les usagers de ce mode de communication
visuelle mobile à une co-énonciation plus corporelle que le fait
un récepteur d'une image unique ou d'un texte isolé.
Thèmes photographiés
Quels objets photographie-t-on avec la caméra de son
téléphone portable ? Quels sont les contextes et les buts
d'échange des MMS entre les différents acteurs sociaux
utilisateurs de ce moyen de communication ?
Pour ce qui concerne les objets photographiés au
biais de son caméraphone, les personnes ayant participé à
notre entretien en citent une multitude. Les scènes de la nature, les
auto-portraits, les photos des amis et de la famille ainsi que les
événements heureux et marquants de la vie (mariages, fêtes,
anniversaires, etc.) rentrent dans la gamme des objets photographiés.
Les thèmes photographiés et/ou envoyées varient selon les
circonstances. Tout de même ce sont les grands voyages qui offrent des
opportunités réelles pour la transmission des MMS.
« La première fois, c'était un
voyage et j'ai envoyé ça à une amie, c'était en
Roumanie. Je lui ai envoyée une photo de moi le jour ou j'ai pris la
bourse pour la première fois , moi souriant : ouiii (elle rit avec
joie), comme ça et après quand j'ai fêté mon
anniversaire j'ai envoyé une photo à tous mes amis, tu
vois ? ». Madalina, 22 ans
Avec le caméraphone on prend notamment l'habitude de
photographier en gros plans les visages des personnes, les plats de cuisine
qu'on a réussi, les objets banals de la vie quotidienne (un meuble, un
arbre, une fenêtre...), bref tout ce qui nous parait beau et digne de
valeur de partage. A la manière du caméscope, le
caméraphone élargie le champ photographique. Il assure de par sa
souplesse et sa facilité d'usage de prendre des photos de tout ce qui
peut être photographiable, c'est à dire de tout et de n'importe
quoi.
« Je photographie avec le téléphone
portable tout ce que je peux photographier avec l'appareil photo
numérique ». Karim, 19 ans
Le caméraphone transgresse les barrières de
l'intimité en permettant l'échange de photos relevant de la vie
privée. Le caméraphone opérant un découpage focal
particulier sur les événements, donne souvent l'occasion de
prendre des photos en gros plans parce qu'il offre une vision directe sur
l'intimité du propriétaire du téléphone dans un
espace circonscrit étroitement par son bras (Voir Première
Partie, Chapitre : Les MMS, aspects socio-sémiotiques, p.
38. ).
D'après notre population enquêtée, si
avec l'appareil photo numérique on a l'habitude de saisir des photos ou
des petits clips d'une gamme considérablement élevée
d'objets côtoyés dans la vie quotidienne, c'est à dire de
choses utiles ou inutiles, la pratique photographique avec le
caméraphone change. Avec ce dernier, les gens ont tendance à
photographier tout ce qui est agréable et utile. En effet, avec les MMS
le choix porte sur des objets intéressants qui sont censés
attirer l'attention de ceux qui les reçoivent. Impliquant le partage
avec des amis proches, les photos envoyés par MMS doivent
être minutieusement choisies. La valeur d'échange se
développe à travers l'envoi des photos par MMS parce que c'est un
acte de communication significatif du fait qu'on ne transmet ces messages
visuels mobiles qu'aux personnes avec qui on partage une certaine
intimité.
« Alors que pour le MMS la facilité
d'envoi et surtout le fait de vouloir envoyer à quelqu'un, donc c'est de
vouloir partager des images et tout donc on ne fait pas ça avec tout le
monde ». Amal, 24 ans
Le caméraphone a une double fonction
opérationnelle dans la mesure où il permet soit de prendre des
photos des objets rencontrés sur son chemin tout en les gardant pour
soi, ou bien de les envoyer par MMS aux autres. Associé au langages
visuel, cinétique et sonore il permet une expression plus ample de ses
idées et sentiments tout en invitant à saisir les moments forts,
intenses et qui ne se répètent pas toujours. Dans la plupart des
cas, les photos qu'on envoie à travers les MMS d'un
téléphone mobile à un autre ou qu'on garde simplement pour
soi en guise de souvenir, sont la traduction d'une sensation personnelle ou
d'un état d'âme. Pour ce qui concerne Karim qui est sorti de chez
lui le dimanche à 6 heures du matin pour se promener, il a pensé
à photographier avec son caméraphone la place du parlement, qui
étant totalement déserte, lui a inspiré une photo qui
mémorise sa promenade.
« Par exemple la place du parlement à 6h50
du matin ». Karim, 19 ans.
Qu'il s'agit d'un objet ridicule saisi par son
caméraphone, d'un événement important ou d'un grand voyage
que l'on veut inscrire dans la mémoire personnelle et collective, on
envoie des MMS aux autres pour les inviter à sentir les mêmes
sensations, à partager les mêmes sentiments et à participer
à la mémorisation de l'événement qui nous touche et
importe. La technologie mobile offre à cet effet de véritables
chances pour consolider la communication duelle ou groupale, et ce à
travers le partage d'un échantillon de photos tirées de la vie
quotidienne. De ce point de vue il nous semblerait conséquent que le
caméraphone contribue à la publicisation de la sphère du
privé en offrant la possibilité de partager des photos
personnelles avec les autres.
La catégorie des objets photographiés avec le
caméraphone est pratiquement la même pour le caméscope
(voir Chapitre : Photos numériques et implications
socio-sémiotiques, Thèmes et contextes d'échange,
p.48), mais avec la seule différence qu'avec le caméraphone
on photographie tout ce qui est bizarre et émotionnel. Autre
point de différence, c'est qu'avec le caméraphone le nombre des
objets photographiés est beaucoup moins important qu'avec le
caméscope ce qui réduit sensiblement le nombre des photos
jetables. Les capacités techniques limitées du caméraphone
(mémoire petite) ainsi que les modalités d'envoi payant des
photos qui lui sont associées sont certainement les facteurs qui
décident du nombre des photos prises avec son caméraphone.
Typologie de réponses
Quelle est la nature des réponses qu'on
reçoit à ses MMS ? L'envoi des MMS est-il toujours
succédé de réactions de la part des
récepteurs ?
Les messages mobiles contenant des images constituent de
possibles « premières » actions dans le cadre des
interactions médiatisées par le réseau mobile.68(*) Pour définir à
quels types d'objets interactionnels nous avons à faire, les
enquêtés se sont tous accordés que dans la plupart des cas,
la réponse à leurs photos envoyées par MMS prend la forme
d'un autre MMS accompagné d'un petit commentaire. Des fois, il s'agit
d'un SMS tout simplement et de manière générale la
transmission des MMS projette souvent des actions en retour. Cela ne peut
qu'illustrer la fonction sociale de ce mode de communication ayant la
capacité de nourrir des conversations et d'établir des connexions
de type interactionnel entre les destinataires. Or, si l'on n'arrive pas
à soumettre des réponses au MMS reçus, cela ne signifie
pas l'absence d'une réaction. A causes des contraintes d'ordre technique
(saturation du réseau) ou d'ordre financier (épuisement de
crédit du téléphone portable) on se trouve des fois dans
l'incapacité de fournir des réponses aux photos reçues par
MMS.
Cela étant dit, un MMS, comme explique Amal, qu'il
soit suivi ou non suivi d'une réponse « produit toujours
chez la personne qui le reçoit un réflexe »,
c'est l'expression d'un but de communication manifeste doublé d'une
volonté de partage.
Contextes d'échange
L'échange des MMS est une pratique finement
structurée dans le contexte social. Récents, les usages en sont
devenus importants et constituent un vecteur de sociabilité quotidienne.
Ses amateurs y recourent fréquemment en réponse à un
besoin social dont ils constituent la révélation. Animés
par un esprit de concurrence, les opérateurs téléphoniques
ont équipé, dans les dernières années, leurs
téléphones mobiles de caméras permettant l'envoi des MMS.
Ils ont proposé à leurs clients l'accès à cette
technologie innovante avec des prix largement abordables par rapport à
l'appareil photo numérique proprement dit. Du coup, une grande tranche
de la société peut aujourd'hui se procurer un
téléphone portable avec caméra intégrée et
donc accéder à la technologie MMS avec tout ce qu'elle peut
offrir d'options simples et de services rapides. A travers cette pratique
médiatique des moments intimes sont partagés avec sa famille ou
ses amis, des instants heureux traduits en images sont échangés
selon un esprit de communication rapide qui peut entraîner des
interactions, c'est à dire des réponses possibles.
Le principal avantage du caméraphone, en tant que
dispositif de télécommunication moderne et révolutionnaire
inscrit dans l'espace public69(*), est de réduire les limitations spatiales et
temporelles en connectant n'importe qui, n'importe où, permettant ainsi
aux usagers des MMS de vivre ensemble tout en étant
séparés. De ce point de vue, le caméraphone institue un
espace de vie sociale marqué par les valeurs de convivialité et
de partage.
« Des fois, on te demande t'es où ?
et tu dis je suis chez moiiii (elle le dit d'un air joyeux et enthousiaste
) ». Madalina, 22 ans
Les MMS sont appréciés par l'ensemble des
enquêtés grâce à leur puissance expressive et
éloquente. Ecoutons à cet effet le témoignage de Madalina
qui s'intéresse manifestement aux usages à la fois ludiques et
documentaires des MMS :
« C'est éloquent. Quand tu es dans un
voyage et tu dis à un ami « wééé je suis
devant l'éléphant ! », ou je suis devant je ne
sais pas quoi, « Ah c'est magnifique ! » tu envoies la
photo et tu dis « Je suis là ! ». Madalina, 22
ans
Le MMS est un moyen de communication qui permet de
révéler une masse riche d'information et de détails sur
les expériences de la vie quotidienne. A partir du concept
élémentaire que l'image se caractérise par sa force
d'attraction et l'immanence de son sens, les MMS que l'on peut envoyer d'un
téléphone portable à un autre fournissent des descriptions
minutieuses sur les situations photographiées ; il en ressort
qu'avec les MMS la communication devient facile, plus forte et véridique
parce qu'elle est basée sur la transmission de supports visuels
tangibles qui sont susceptibles d'intéresser et/ou d'émouvoir les
personnes qui les reçoivent.
Les contextes d'échange des MMS entre les groupes de
destinataires sont aussi différents que variés. Mais de
manière générale, on a tendance à communiquer par
MMS avec un nombre restreint de personnes qui comprend normalement les amis
intimes. Cela étant dit, il y aura certainement d'autres moyens de
communication préférentiels qu'on choisit pour garder le contact
avec les autres. Pendant les cérémonies et les grandes occasions
l'échange des MMS devient sensiblement important. Tout de même,
beaucoup de personnes s'échangent les MMS de manière
fréquente, presque tous les jours, parce que ce service de
télécommunication leur est simplement gratuit.
« En fait, moi je trouve que je les utilise
beaucoup c'est juste parce que je les ai gratuits ». Rim, 24 ans
L'émotionnel est un caractère intimement
rattaché à la circulation des MMS entre les différents
usagers. D'après nos enquêtés, les MMS renvoient souvent
à des situations de la vie quotidienne marquées par
l'émotion. Qu'ils soient joyeux (anniversaires, succès aux
concours, mariages) ou tristes (deuils) , les MMS les recopient facilement et
les transmettent aux autres avec lesquels l'on désire partager
l'émotion ressentie. Vecteurs de communication instantanée, les
MMS brisent la notion d'espace-temps en réunissant mentalement et
affectivement les communautés de destinataires. Mais, ces messages
visuels réussissent-ils vraiment à rassembler des personnes
distanciées ? Leur valeur ajoutée à la communication
est-elle effective ou bien le contraire étant donné que la
communication directe est toujours la plus vivante et marquante ?
Si l'on estime qu'à travers les MMS les utilisateurs
expérimentent de nouvelles pratiques médiatiques marquées
par le partage de scènes qui renvoient à des moments particuliers
dans la vie, on peut s'apercevoir de la dimension typiquement affective de ce
mode de communication. Les MMS constituent à cet effet un nouveau
phénomène de société, ils permettent de connecter
des personnes éloignées, de les faire penser et vivre en temps
réel les même situations et sentiments. L'intérêt de
ces messages ne peut qu'être particulier si nous savons que dans les
sociétés actuelles, les gens ont tendance à être de
plus en plus dispersés à cause de différentes
contraintes : professionnelles, familiales, etc.
Envoyer des MMS ou en recevoir représente pour notre
population interrogée « quelque chose de vraiment
attractif ». Les photos qui s'affichent sur leurs
téléphones mobiles sont souvent assez significatives. Elles
créent des espaces privés temporaires où s'organisent des
interactions qui prennent la forme d'autres messages en retour (des MMS ou des
SMS normalement), le caméraphone étant dans ces interactions un
catalyseur de bulles de convivialité.
Les personnes enquêtées croient à
l'impact efficace des MMS sur les récepteurs. Pour eux, envoyer un MMS
à quelqu'un est plus touchant et authentique qu'un SMS. Un MMS dit
toujours quelque chose de plus, il marque bien son destinataire, il verbalise
mieux le message adressé et donc il est plus perceptible et touchant.
Nous citons à ce niveau le témoignage de Saïd qui illustre
ce constat :
« Si quelqu'un t'envoie un coeur qui bat au lieu
de t'écrire je t'aime, ou un coeur brisé c'est à dire que
tu m'as fais mal ou quelque chose comme ça, je pense que ça passe
mieux et ça se sent plus ». Saïd, 24 ans
Les MMS tissent et entretiennent un réseau de
sociabilité purement informel à travers l'envoi de photos banales
empruntées du quotidien, mais qui revêtent des significations
particulières pour les destinataires. Ils permettent le
développement et la perpétuation de liens, ou de réseaux
de liens. Ordinaires pour les uns, les MMS sont plutôt porteurs de sens
pour les destinataires. Ils traduisent des instants d'amitié, de
convivialité et des souvenirs vécus ensemble. Pour argumenter ce
point, Saïd relate l'anecdote du tajine qu'il a préparé avec
Amine et que ce dernier a photographié pour le lui envoyer plus tard par
MMS. Le simple fait de voir cette photo émeut Saïd et lui rappelle
systématiquement les moments heureux durant lesquels il a trouvé
du plaisir à cuisiner un tajine avec son ami.
« Quand je vois cette photo ça me touche,
ça me rappelle l'instant qu'on a passé ensemble, c'est à
dire la convivialité, le moment qu'on a passé
ensemble ». Saïd, 24 ans
Regarder ensemble, entre amis, les photos
échangées par MMS représente une habitude courante pour
les personnes qu'on a interrogées sur leurs usages de ces messages. Il
entraîne l'émission de commentaires sympathiques, de petites
conversations intimes et un rappel nostalgique de certains moments
d'amitié partagée. Regarder ensemble ces MMS, c'est absolument
penser en deux ou en groupe au même souvenir, au même geste,
à un instant unique non répétitif qui laisse ses traces
visibles dans le temps, qui s'inscrit dans une histoire collective et dans un
passé commun. Bien entendu, une autre personne étrangère
au groupe ne sentira pas les mêmes sensations qu'offre l'arrêt sur
le MMS, elle ne sera donc pas touchée parce que voir un MMS entre amis
n'est pas un fait passager, c'est un acte très chargé
symboliquement.
Les MMS étant des supports visuels nomades
instituent un «lien virtuel permanent » entre des individus qui
se trouveraient autrement coupés les uns des autres. Ce sont des
messages qui possèdent tout de même les caractéristiques
sémiologiques de toute image : ils donnent une vision sur le monde,
ils représentent la réalité sociale observée. C'est
en quelque sorte un moyen parmi d'autres pour nous reporter, nous projeter
à un certain moment vécu. La naissance du service MMS et son
évolution répondent dans un contexte plus large à un
besoin de société, celui d'accompagner le progrès
technologique réalisé dans le domaine des
télécommunications, d'autant plus qu'il comble le manque de
communication interpersonnelle entre les sphères intimes. En effet,
aujourd'hui il y a une nécessité réelle pour les MMS parce
que les gens ont tendance à voyager souvent et à être
séparés par les barrières spatio-temporelles. Pour cela,
les MMS représentent une invention crédible, ils peuvent voyager
d'un mobile à un autre pour dissoudre les frontières et briser
les distances. Ils offrent l'avantage surtout d'établir le contact en
temps réel entre les membres de la famille de plus en plus
dispersés à cause des obligations de la vie moderne. Le
téléphone portable d'ailleurs qui permet l'envoi et la
réception des photos par MMS a été conçu pour
relier des personnes séparées.
Par ailleurs, l'homme moderne vivant selon un rythme de vie
stressant et accéléré trouve dans ce mode de communication
visuelle un médium qui satisfait son besoin de conservation des traces.
Ainsi, les MMS figent le temps, ils recopient le présent avec ses
moments agréables, émotionnels, même banals mais qui sont
assez signifiants pour les usagers. Du moment qu'on les repasse
individuellement ou en groupe, les souvenirs se déclenchent et le
passé se métamorphose en un présent touchant la
sensibilité des destinataires. Posant un regard subjectif sur le monde
du fait qu'ils opèrent un découpage sélectif du quotidien,
les MMS actualisent le passé, ils répertorient les
événements majeurs de la vie et permettent de les sauvegarder et
mémoriser.
MMS : enjeux sémiotiques et
communicationnels
Les MMS et rapport texte-image
Quels sont les modalités de lecture et
d'interprétation des MMS ? Le MMS étant un document
numérique à effet de composition qui peut contenir en plus de
l'image, des éléments verbaux, sonores ou cinétiques,
quels mécanismes de codage sémiotique implique-t-il ? Nous
ne prétendons pas apporter des réponses promptes à ces
interrogations. Nous allons traiter en particulier les rapports texte-image
tels qu'ils ont été explicités par notre population
enquêtée.
De prime abord, les photos échangées par MMS
ne sont pas toujours accompagnées de textes. Les MMS circulant entre les
individus ou les groupes d'usagers font référence à des
moments passés ensemble, à des instants d'amitié dont
l'appréhension se fait selon l'environnement et le contexte propres
à la production de ces messages. La réception des MMS implique de
ce fait des modalités de lecture pas très contrastées
entre les destinataires, à travers l'échange des MMS on ressent
en temps quasi-réel la même sensation et en pense presque à
la même chose.
Les MMS prenant en général la forme de
messages visuels peuvent être enrichis d'un texte ou commentaire qui
remplissent une fonction explicative. Le texte est un guide de lecture, une
légende pour la photo, c'est un commentaire qui porte des
éléments de précision sur son environnement afin d'ancrer
le message véhiculé et de délimiter la gamme des
interprétations possibles. L'ajout du texte à l'image vise donc
à combattre la polysémie et d'imposer un mode de lecture unique
et non personnel même si parfois l'image parle d'elle-même sans
aucun complément verbal.
« Tu ajoutes le texte pour préciser, parce
que parfois la photo sans texte c'est pas suffisant ». Madalina, 22
ans
Etant donné que le MMS est une image utilitaire
(c'est à dire qui porte un sens précis) la fonction de
confortation jouée par le texte ajouté est nettement visible. Car
entre redondance et développement, le contenu verbal a pour tâche
de conforter le contenu visuel tout en y infusant des affects, explicitant de
la sorte les attendus de l'image. Cela ne peut qu'appuyer notre analyse des
rapports texte-image aux MMS tels qu'ils ont été
présentés dans le volet théorique de ce mémoire
(voir Chapitre : MMS, aspects socio-sémiotiques, p. 34).
Si dans l'ensemble images/mots, l'oeil lit d'abord les
images et ensuite les textes pour préciser et concrétiser le
contenu de ce que l'oeil vient voir, le passage image/texte se passe en une ou
deux secondes et peut comporter par la suite plusieurs aller et retour. Cela
étant dit, il est certain que l'oeil va d'abord à l'image et que
la communication iconique est la première à rechercher 70(*) à travers la lecture
des MMS.
Dès lors, plutôt que de confirmer totalement
cette idée, nous avons demandé à nos personnes
interrogées qu'est ce qu'ils mémorisent le plus suite à la
lecture d'un MMS : le texte ou l'image ? A cette question, nous avons
recueilli des réponses diversifiées mais complémentaires.
Néanmoins, nous avons enregistré un accord général
sur la priorité et la suprématie du langage visuel sur le langage
verbal dans le cas des MMS.
Dans cette pratique médiatique que constituent les
MMS, l'image transmet un message, elle vise à produire un effet et
obtenir une réaction de la part du récepteur. Même si le
message écrit recherche les mêmes objectifs que l'image, le
pouvoir du visuel demeure plus touchant, plus convaincant et plus
séduisant. Le MMS est donc pansémique, à la manière
de l'image publicitaire « il vise à suggérer un sens
bien précis et c'est dans ce sens que l'ajout de texte peut être
efficace, celui-ci permettant d'exercer une fonction de contrôle face
à la puissance projective de l'image »71(*). De plus, grâce à
sa composition riche (couleurs saturées offrant la sensation du
mouvement, effets d'animation) l'image transmise par MMS attire l'attention du
récepteur tout en lui présentant de par sa simplicité et
sa force d'élocution les éléments nécessaires pour
une meilleure appréhension du message.
« Moi je dis que c'est l'image parce que
ça contient des couleurs et ça contient des petites animations et
la couleur ça attire l'attention ». Faïçal, 21 ans
La lecture des MMS s'inscrit dans un processus de codage
sémantique à travers lequel les destinataires attribuent un sens
unique à la même image par référence commune au
contexte de sa production et à sa visée communicationnelle.
L'image, n'étant pas la même chose que la scène de la
perception réelle, n'obéit pas aux mêmes lois que cette
dernière; mais en tant que surface traitée d'une certaine
manière, l'image existe aussi dans un environnement perceptif
particulier. Avec les MMS, ces messages associés à des petits
textes commentateurs et qui portent la touche personnelle de leur
émetteur, nous assistons tout de même à la mobilisation des
modalités de lecture conventionnelles selon lesquelles l'acte
interprétatif opère en fonction d'un environnement de
transmission particulier.
La paire texte-image dans les MMS implique des tensions
sémiotiques chez les personnes interviewées. La polysémie
de l'image étant délimitée par l'ajout d'un texte qui
canalise le sens de la lecture, les deux langages, visuel et verbal se
chevauchent et se complètent en vue de l'appréhension du message
véhiculé. Si le texte peut étayer l'image dans le cas du
MMS, la co-présence des deux systèmes de signes dans un
même message ne se traduit pas par une somme (image + texte), mais par
une interrelation (image <-> texte), laquelle engendre un sens nouveau,
supplémentaire. Or, il n'en demeure pas que la rhétorique du MMS
dans toute sa « complexité » est essentiellement
visuelle, le texte n'étant qu'un renfort et adjuvant pour l'image.
Lors de nos entretiens, les personnes interrogées
ont soulevé de forts questionnements sur la capacité
éventuelle du combiné texte et/ou image à transmettre les
sentiments véhiculés par les MMS. Dans le registre des relations
amoureuses, Faïçal explique que les MMS offrent l'avantage de
consolider le contact entre les partenaires et de libérer les handicaps
d'expression. Le recours à l'image devient une alternative de base pour
l'extériorisation de ses sentiments et la transgression des
barrières de timidité. L'image dans ce cas substitue le texte
tout en mettant fin aux malaises de communication. Même si l'image ne
peut pas être un moyen sincère pour la verbalisation de ses
sentiments et idées du fait que c'est un élément
« préfabriqué », elle joue dans cette
situation un rôle d'importance capitale, et ce dans la mesure où
les icônes d'un coeur qui bat ou d'un bouquet de fleurs, par exemple,
sont plus éloquents et touchants qu'une longue dissertation d'amour ou
du simple mot « Je t'aime ».
Comparé sous cet angle au SMS, le MMS a la
particularité de décrire de manière plus rapide et
efficace les sentiments. Son effet sur le récepteur est
assurément réel et perceptible. Afin de corroborer cette
idée, Alae nous explique qu'il préfère le MMS au SMS, car
maintes fois il « se cassait la tête » afin de
trouver les mots convenables qui communiquent son message. Alors qu'avec le
MMS, il arrivait toujours à s'exprimer mieux qu'en écrit et
à verbaliser parfaitement ce qu'il ressent et donc à
émouvoir le destinataire de son message.
Ecoutons à cet effet son témoignage :
« J'allais dire aussi qu'à travers un
SMS, des fois je me casse... je me gratte la tête pour trouver les mots,
pour écrire, pour dire est ce qu'il va aimer ? Est ce que
l'idée va passer, est ce que le courant va passer ? alors que des
fois la photo, tu prends une fois la photo , je ne sais pas quelle photo, tu
l'envoies en même pas une seconde, la personne la reçoit et t'es
carrément sûr que ça va faire l'effet positif »,
Alae, 23 ans
L'image comme message visuel composé de
différents types de signes72(*) est un véritable moyen d'expression. Outil de
connaissance, elle sert à voir le monde et à
l'interpréter, elle donne des informations sur les objets, les lieux ou
les personnes sous des formes visuelles diverses. Dans le cas des MMS, l'image
est placée au centre de la communication. Elle révèle plus
que le texte qui l'accompagne, elle est une commémoration quelque part
des événements. Plus dense que le message verbal, l'image exprime
de manière plus fidèle les sentiments, elle décrit plus en
détails les situations. Quand l'inspiration manque et l'on ne trouve pas
les mots justes pour communiquer, l'image vient appuyer le texte et parfois
elle le remplace.
Les MMS comme pratique communicationnelle
L'inscription des MMS dans l'espace public et leur
circulation massive entre les sphères sociales donne à saisir le
MMS comme une pratique communicationnelle à part entière. Le MMS
en tant que support visuel léger et facilement transmissible permet
l'instauration d'un pacte de communication entre les usagers basé sur
les valeurs de mouvance et d'immédiateté. Avec le MMS, tout se
passe comme si, justement, les propriétés de mouvance et
d'immédiateté et accessoirement celles d'ouverture
polysensorielle, multimodale et leurs effets énonciatifs possibles sur
la révélation et la participation ; permettraient de croire
à cette promesse de communication instantanée. En
conséquence, les destinataires positionnent cette nouvelle forme de
médiation sur les expériences humaines et personnelles.
L'engouement pour les MMS ne s'expliquerait donc pas par
une promesse nouvelle mais par une mise en oeuvre nouvelle de cette promesse,
le MMS se donne comme un corps vivant qui fait participer mentalement les
destinataires dans une forme collective extensible par son nombre de
participants, dans laquelle des photos à sujets multiples
opéreraient par contagion transgressive.
Notre population enquêtée rapporte que les MMS
semblent être largement échangés plus que les photos
saisies au moyen de son appareil photo numérique qui ne sont pas tout
à fait partagées par un grand nombre de personnes. Etant
incorporé au téléphone mobile, le caméraphone
facilite et multiplie le nombre des photos envoyées par MMS. Le
caméraphone étant un dispositif technique accessible, il
accélère la transmission des MMS, il leur permet des
déplacements souples et des aller-retour permanents.
Pour voyager d'un mobile à un autre , les MMS
peuvent emprunter des trajectoires autres que celles habituelles, c'est
à dire qui passent par l'envoi payant. On peut parfaitement
s'échanger des MMS tout en étant proches les uns des autres,
c'est à dire côte à côte et sans même se
déplacer. Il s'agit bien évidemment de l'infrarouge
(Bluetooths) qui assure le partage des photos entre les personnes
ayant des téléphones portables dotés de cette technique.
Les conversations via les MMS se déroulent notamment
dans des espaces marqués par la proximité même si on
présente généralement les MMS comme des messages visuels
nomades qui instaurent la connexion des personnes se trouvant dans des
territoires séparés. Il en ressort qu'avec le MMS les usagers
réorganisent la pratique de la communication mobile en fonction de leurs
besoins et désirs de maintenir le contact. Ce type d'échange
étant répandu montre que l'échange des MMS via
l'infrarouge laisse apparaître de multiples traces de confirmation de
soi, d'occupation de l'espace public et d'adhésion sociale au groupe.
Par cet opération simple de partage des MMS, non notera d'autre part que
les usagers n'ont pas le monopole de la publicisation de l'intime. Il est tout
à fait possible et commun de participer à ce type de
communication médiatisée lorsque des individus discutent en
étant physiquement ensemble.
L'usager utilisant fréquemment des MMS se positionne
dans la sphère sociale. Ce faisant il propose ou impose à son
entourage immédiat et à son récepteur des positionnements
distincts du sien, que ce soit une place complémentaire ou antagoniste
à celle qu'il cherche à s'attribuer. Dans la majorité des
cas, le contenu des MMS échangés n'est pas important ou
indispensable pour maintenir la communication. Ce qui importe plutôt dans
ce mode de communication est nécessairement le geste symbolique qu'il
implique.
Les figures communicatives des MMS se concrétisent
à travers des modalités particulières d'expression de
l'identité interne des acteurs. L'apparition du MMS et son essor
réactualisent justement d'autres modalités d'appropriation d'une
nouvelle technologie. Dans les dernières décennies, nous avons vu
apparaître les « fous » d'ordinateurs et plus
récemment les « fous » d'Internet et du
téléphone portable, soucieux passionnément de se
différencier du commun en créant une sorte de secte, avec ses
codes, lexique, usages et idéologie.73(*)
Il en va de même pour les usagers du MMS qui
cherchent à travers ce médium de se distinguer, d'être au
travers d'un paraître pour être valorisés et plus
particulièrement d'afficher une image de soi qui renvoie aux valeurs de
communication, du non-conformisme et du « branchement ».
Notons à cet effet que le terme « branché »
d'apparition récente est spécialement adapté aux usagers
des différents services du téléphone portable
(Conversation téléphonique, SMS, MMS, WAP). Car la technologie
mobile assure une connexion potentielle permanente entre un individu et le
monde entier, mieux que n'importe quelle autre nouvelle technologie de
l'information et de la communication.74(*)
Les MMS sont des formes d'expression de soi qui
relèvent pour beaucoup de l'individualisme, voire de l'exhibitionnisme.
Les MMS constituent des temps d'arrêt sur l'intimité quotidienne
des utilisateurs. Dans ce sens, Rim nous raconte qu'elle a pris l'habitude de
se photographier plusieurs fois le matin dès son réveil et de
transmettre ses photos à son amie, et ce pour le simple plaisir de
rigoler. Cet acte institue une relation étroite à la
sphère privée, il nous montre qu'avec son caméraphone on
peut photographier tout, n'importe quoi et n'importe comment.
Ceci laisse à saisir les MMS comme des vecteurs de
communication et d'échange. Avec ces messages l'acte photographique se
donne comme une mécanique répétitive et joyeuse, un
recueil par consensus, un partage immédiat médiatisé par
le groupe ; des blagues, des récits sous forme de jeux, des
séquences ordinaires relevant de la vie personnelle, des émotions
et des expériences personnelles se trouvent exhibées et
partagées par les individus ou les groupes d'usagers.
En effet, et c'est probablement sa caractéristique
la plus frappante, le MMS réduit le geste photographique au minimalisme.
La facilité d'utilisation des nouvelles modes des caméraphones
associée à la possibilité énorme de manipuler avec
la main rend l'acte photographique plus souple et rapide. Le
téléphone portable est doté déjà d'une
micro-gestualité particulière75(*) parce qu'il possède comme chaque dispositif
médiatique un langage gestuel largement accessible. L'exemple typique de
prendre un bout de papier, d'y écrire une petite lettre de le
photographier et d'envoyer le message composé par MMS à son ami
démontre jusqu'à quelle limite le caméraphone
réduit les efforts fournis pour l'instauration de la communication
interpersonnelle.
Pour notre population enquêtée, dans ce cas
spécifique, le MMS développe une sorte de fainéantise chez
l'individu. Plutôt que d'écrire une lettre réelle et la
transmettre par la voie postale, l'on peut recourir avec le caméraphone
à cette « astuce » qui a pour avantage de raccourcir
le délai d'envoi (de quelques jours à quelques secondes), mais
pour inconvénient de déraciner la lettre de ses valeurs
authentiques : la composition du message sur une surface
matérielle, la réception de la lettre selon les délais de
son cheminement normal en plus du temps d'attente de cette lettre qui implique
des sentiments d'impatience et de curiosité.
L'exemple de lettres photographiées et transmises
à travers les MMS renvoie à l'une des valeurs essentielles de
l'époque postmoderne. C'est la vitesse du flux de l'information qui se
mesure désormais non par la minute ou la seconde mais par la fraction de
seconde, cette unité très infime. Cet exemple signifie notamment
qu'avec le MMS on assiste à des nouvelles formes de communication
médiatisées par la technologie dans lesquelles on détruit
les calibres conventionnels de la communication, et ce par l'invention de
méthodes singulières voire
« anti-conformistes ». Ces méthodes s'inscrivent
sans doute dans l'esprit fédérateur des nouvelles technologies
médiatisées (SMS, mails, cartes virtuelles, etc. ).
MMS et intermédialité
La communication moderne et postmoderne se
caractérise par des fusions et des transformations
intermédiatiques.76(*) Les produits médiatiques dont les MMS
conçus comme des systèmes de signes organisés par des
codes spécifiques prolongent, à notre sens, des pratiques
communicationnelles déjà existantes.
L'intermédialité proprement dite ne consisterait pas en un simple
mélange des médias, mais désignerait plutôt des
effets d'interpénétration et d'hybridation entre les
médias. La notion d'intermédialité ne considère pas
les médias comme des phénomènes isolés, mais comme
des processus où il y a des interactions constantes entre des concepts
médiatiques et des processus qui ne doivent pas être confondus
avec une simple addition. Du coup on assiste avec
l'intermédialité à l'émergence de nouvelles formes
de discours, de transmission et de réception des contenus
médiatiques. Sous cet angle, nous estimons que les MMS inscrivent des
pratiques médiatiques anciennes dans une perspective de continuation.
Ces pratiques médiatiques sont respectivement les cartes postales et
virtuelles, les courriers électroniques et les SMS. Mais les MMS
prolongent-ils vraiment ces pratiques communicationnelles ?
Du point de vue de notre échantillon
enquêté, les MMS marquent une évolution certaine dans la
communication médiatisée, mais ils ne peuvent en aucun sens
substituer les moyens de communications précédents.
Dans les lignes qui suivent, nous allons analyser les
traits de ressemblance et de divergence entre les MMS, les cartes postales et
les courriers électroniques, selon le point de vue des personnes
enquêtées.
1- MMS et cartes postales / virtuelles
Si le MMS partage avec la carte postale des
similarités morphologiques et symboliques (Images accompagnées
d'un texte, partage de souvenirs et de moments émotionnels), les deux
médias laissent apparaître des points de divergence qu'il
conviendrait d'expliciter. La carte postale traverse de longs trajets, elle
passe les frontières pour arriver à son destinataire. Elle
établit la liaison entre des personnes géographiquement
éloignées. A la différence des usages instrumentaux des
moyens de communication multimédia, le MMS notamment, la carte postale
instaure des communications affectives et sociales entre les individus, tout en
cimentant leurs rapports amicaux déjà existants. Envoyer une
carte postale à un ami est un geste unique au cours d'une vie, geste qui
témoigne d'une ouverture et d'une attention particulière pour
l'autre , c'est pourquoi sa lecture nous touche et émeut.
La carte postale est un document papier tactile, la saisir
entre les mains, la sentir comme un morceau d'images et souvenirs transmis dans
un but pur de communication est un réel plaisir. Le MMS reste toujours
un message fabriqué et envoyé dans des délais de
transmission rapide, ce qui renvoie à une communication froide et
« industrialisée ». Alors que derrière chaque
carte postale envoyée se dissimulent des efforts fournis pour son envoi
(Achat de la carte postale, composition du texte accompagnant, collage de
timbres, postage). Ces efforts donnent à saisir la carte postale comme
un fragment de souvenirs communiqués à l'autre et comme
l'expression d'un sentiment personnel, alors qu'avec le MMS on assiste souvent
à la compilation de visuels avec d'autres éléments
multimédia, ce qui renvoie à une fabrication.
« Cette carte postale elle est à toi...
alors que le MMS bon ça reste toujours quelque chose de
fabriqué ». Alae, 22 ans
Même si les délais de réception de la
carte postale sont très lents en comparaison avec le MMS (quelques
secondes), la carte postale demeure pour les personnes qui la reçoivent
plus animée, vivante et romantique. Etant un document indiciel, la carte
postale laisse des traces marquantes dans la mémoire affective de son
récepteur. La carte postale offre l'avantage d'être facilement
archivée et conservée parce qu'elle est matérielle, alors
que le MMS peut être supprimé donc perdu d'un simple clic sur le
clavier de son mobile.
Que ce soit carte postale matérielle ou carte
virtuelle77(*), la carte
qu'on envoie à l'autre est une communication qu'on apprécie et
estime. A la différence du MMS qui relève des
« sentiments formatés » du fait des modalités
d'envoi très rapide selon l'avis de notre population interrogée,
cette carte préserve toujours les qualités de magie et de charme
car à travers laquelle on exprime des émotions et des
expériences personnelles et l'on est plus tourné vers les autres.
Dès lors, plutôt que de croire que
l'affinité des personnes interviewées pour la carte postale comme
moyen d'expression traduit un penchant pour les médias traditionnels de
communication, il faut souligner qu'opter pour la carte postale / virtuelle ou
le MMS pour partager une expérience ou communiquer une émotion
relève de la sensibilité pour le média choisi. Dans cette
optique, les goûts des individus sont différents. Il y en a qui
préfèrent les cartes postales / virtuelles et certains d'autres
sont plus orientés vers le MMS. Le premier groupe trouvant dans la carte
postale une communication authentique et plus sincère puisqu'elle arrive
à son destinataire lentement, suivant des démarches d'envoi
successives. Le deuxième groupe trouvant dans le MMS une figure de
communication spontanée et basée sur les concepts de
proximité spatiale et temporelle (« Je suis ici »,
« En ce moment je suis content »). Ceci dit, ce sont les
nouvelles générations - les jeunes - qui s'intéressent
plus aux moyens de communication innovants comme le MMS.
Contrairement à la carte postale, les MMS
établissent la connexion rapide entre les destinataires, mais leurs
modalités d'envoi à force d'être faciles risquent de
devenir exagérés, ce qui banalise cette pratique
communicationnelle. A cet effet, Ibrahim rapporte qu'il s'abstient d'envoyer
souvent des MMS à ses amis pour ne pas puiser les sujets possibles de
discussions une fois réuni avec eux. Pour les personnes ayant tendance
à voyager souvent avec leurs mobiles à caméra
incorporée, il vaut mieux, continue-t-il, d'envoyer occasionnellement
des MMS aux autres. La raison étant de profiter de ses voyages et de
sentir le plaisir d'être dépaysé.
A la différence des cartes postales ou des cartes
virtuelles qu'on prend le soin de choisir avant d'envoyer pour impressionner
l'autre , le MMS se trouve dans l'inaptitude de refléter tous les
sentiments qu'on désire communiquer aux pairs. La carte postale ou
virtuelle ,de par sa taille relativement grande et la surface animée et
plus visible qu'elle laisse apparaître, par rapport au MMS,
dépeint de façon plus expressive les sentiments. Certes, avec le
MMS la communication interpersonnelle est devenue plus rapide et moderne, mais
il faut insister lourdement sur le fait que c'est la carte postale/virtuelle
qui requiert plus de valeurs symbolique et affective chez ses utilisateurs.
Mise a part sa fonction esthétique, c'est un document historique qui
conserve le vécu individuel et collectif tout en inscrivant le
passé dans une ligne de continuité.
« Parfois on dit que ce n'est pas la peine,
mais on peut garder (les cartes postales/virtuelles) pour aujourd'hui, pour un
autre jour ça sera une histoire, et ça peut permettre de faire un
grand ouvrage que je peux montrer à ma fille dans le futur ».
Tamila, 33 ans.
2- MMS et messagerie électronique
Quels sont les points communs et divergents entre le MMS et
l'e-mail ? Quels mouvance et nomadisme nouveaux s'apparentent au MMS
par rapport au courrier électronique ?
De prime abord, il faut souligner que par courrier
électronique nous désignons ce type de messages transmis via
Internet entre des terminaux informatiques. Sur ce, le MMS offre de par sa
circulation d'un téléphone portable à autre des
propriétés intéressantes de nomadisme. Nous tenterons ici
de relever ces propriétés et respectivement leurs effets sur la
sociabilité.
D'après les données de nos entretiens, les
MMS facilitent la communication interpersonnelle plus que les e-mails. Les MMS
s'échangent de manière régulière surtout entre les
sphères intimes (liens amicaux et amoureux, liens entre pairs). Les
personnes interviewées opposent assez nettement l'échange du MMS
(un geste immédiat et spontané) à la conversation à
travers les e-mails. Du moment qu'une interaction où une forme de
partage émergent du cours même du dialogue, c'est à dire
dans son épaisseur et sa durée, les e-mails offrent des espaces
plus étendus pour la structuration du message composé et pour
l'échange qui devient avec ce moyen de communication plus favorable.
Pour les très gros utilisateurs du courrier électronique, ce
dernier assure la continuité du tissu relationnel, sans trop s'imposer
aux correspondants. Les courriers électroniques constituent une
ressource pour les acteurs gérant déjà leur
sociabilité sur un mode « connecté ».
Les MMS étant moins
« volubiles » que les e-mails, ils offrent des espaces trop
réduits pour la communication. C'est souvent une image unique ou
accompagnée d'un élément textuel, sonore ou
cinétique. Toutefois, et probablement c'est leur point le plus fort, le
nomadisme des MMS permet de les recevoir instantanément n'importe
où et à tout moment.
« Déjà le téléphone
(mobile) tu l'as toujours sur toi, c'est à dire le message (MMS) tu
peux le recevoir sur ton lit, ta cuisine, dans le tram...». Amal, 24 ans
Les MMS s'imposent à l'autre, ils transgressent
l'intimité et altèrent notre conception du personnel. A la
différence des courriers électroniques dont la consultation exige
des modalités d'accès relativement contraignantes, les MMS
pénètrent la sphère intime des destinataires
établissant la connectivité instantanée entre les
usagers. Ainsi, même si l'on n'a pas « vraiment »
envie de recevoir des MMS sur son mobile, celui-ci instaure
impérativement la liaison entre les gens et demeure l'une des pierres
angulaires des technologies de communication de la société
postmoderne.
Les MMS, étant des messages personnalisés et
plus spontanés que les e-mails, offrent un niveau d'intimité
bien supérieur à la conversation électronique. Dans ce
mode de communication, le visuel retrace une représentation sensible du
quotidien photographié et envoyé à l'autre en
révélant tout de suite des sentiments de joie, d'émotion,
d'amitié. Plus pénétrants et imposants que les courriers
électroniques, les MMS permettent aux individus de créer une
bulle de proximité, un espace dialogique distinct de la maison, de
l'école ou du travail, où les règles du monde
extérieur ne s'appliquent plus. C'est une zone virtuelle où la
communication se déroule selon l'hybridation de plusieurs langages
(visuel, verbal, sonore, cinétique) selon un mode de conversation
innovant et « débranché » qui permet aux
participants de se partager des émotions et de reprendre leur souffle
malgré le rythme accéléré de leurs vies.
Les MMS banalisent la communication
Comment devient la communication avec l'échange des
MMS entre les individus et les sphères d'utilisateurs ?
Notre population enquêtée rapporte qu'avec les
MMS l'effort de communication interpersonnelle est réduit au
minimalisme. En effet, offrant la possibilité de transmettre des
éléments multimédia compilés, les MMS
développent chez l'usager une baisse de créativité au
niveau de la composition du message ce qui entraîne une paresse
intellectuelle. Le MMS comme message visuel immédiat aurait des
retombées « négatives » sur la communication.
N'étant plus réfléchie avec la pratique MMS, la
communication devient abrutie, froide et vide de sens. Avec les MMS, on
s'envoie des images enrichies de commentaires verbaux aberrants ou
d'abréviations en fonction de l'espace limité de composition. Il
en résulte qu'à force de recourir à des formes de
communications médiatisées par la technologie et
commandées par les normes de rapidité et de raccourcissement,
l'on porte atteinte à la langue (fautes de syntaxe, d'orthographe) et on
perd le vrai goût de la communication.
De manière générale, les
abréviations, les mots codés, les jeux de mots qui accompagnent
les MMS ou même les autres composants multimédia offrent une
possibilité de cimenter les relations entre les utilisateurs
connectés selon un jargon innovant et non conformiste. Mais,
malgré cela, le MMS se donne à saisir comme un acte robotique.
L'émotion, le rire, les sentiments humains comme la joie ou la
mélancolie transmis à travers le MMS, subissent un effet
d'industrialisation. Le fait de demander à quelqu'un d'émettre un
sourire ou de faire une grimace et de photographier ces expressions avec un
caméraphone pour les envoyer à quelqu'un d'autre montrerait ,dans
certains cas, le caractère artificiel des MMS. Ceci dit, les MMS restent
des vecteurs importants de sociabilité et de partage d'émotions,
car à travers lesquels la parole se libère et la communication
passe aisément d'un destinataire à un autre.
Nos personnes interviewées ont lourdement
insisté sur le fait que l'usage fréquent des MMS dans la vie
quotidienne banalise la communication. Pour appuyer ce constat, Amine cite
l'exemple des gens qui sont habitués à photographier les
scènes les plus banales du quotidien avec leurs caméraphone. De
sa part, il rapporte qu'un jour alors qu'il circulait en voiture avec un ami,
il a eu l'idée de saisir avec son caméraphone le signal de
vitesse qui marquait 200km/h pour le mémoriser et avertir surtout son
ami contre l'excès de vitesse.
Ce simple geste parmi tant d'autres qui se déroulent
au fil de notre quotidien illustre bien que le MMS ajoute une mémoire
photographique, supplémentaire, à celle qu'on possède
déjà : la mémoire cérébrale. C'est
comme si avec le MMS l'on se rend compte de l'insuffisance de notre
mémoire et l'on recourt à des méthodes nouvelles pour la
reproduction du monde réel. Ceci renvoie à un autre type de
constat ; c'est qu'avec le caméraphone - comme avec le
caméscope pour les photos numériques - on a la possibilité
de prendre autant de photos qu'on veut et de capturer le moment. Alors qu'avec
l'appareil photo argentique on cherche à saisir la beauté. Et
c'est là probablement tout la différence qui existe entre photo
numérique, le MMS notamment, (captation de l'instant) et photo
argentique (réflexion et arrêt sur l'instant).
« Lorsqu'on prend les photos traditionnelles on
réalise quelque chose de beau et même très beau, alors
qu'avec l'appareil photo numérique (le caméraphone notamment) si
tu vois quelqu'un courir tu lui prends une photo, c'est à dire qu'il n'y
a pas de contemplation... ». Amine, 25 ans
Avec le MMS, l'acte photographique perd son
authenticité. Il n'est plus une réflexion sur un moment
apprécié, mais plutôt une saisie brusque d'un instant dans
un but de partage immédiat. La « frivolité »
du MMS laisse apparaître ce type de messagerie comme un moyen de
communication utilitaire et pragmatique qui établit la liaison entre des
personnes séparées en leur permettant de s'échanger des
émotions et des expériences personnelles. Le MMS, de par sa
corporalité souple et hybride, inscrit la communication interpersonnelle
dans le cadre d'une société postmoderne, marquée par les
valeurs d'échange, de flux et de connexion permanents.
CONCLUSIONS
Conclusion générale
Notre mémoire de recherche est
intitulé : « Les implications socio-sémiotiques et
esthétiques du partage des photos numériques et des MMS».
L'approche adoptée dans le traitement de ce travail consiste en un
entretien collectif semi-directif d'ordre qualitatif. L'objectif étant
de relever les usages sociologiques des photos numériques et des MMS et
notamment leurs dimensions sémiotiques et esthétiques.
Notre échantillon est composé de 14 personnes
résidant toutes dans la ville de Bordeaux et dont les âges varient
entre 19 et 33 ans. Cet échantillon appartient dans sa majorité
à la tranche estudiantine. Il englobe des personnes ayant une culture
affichée de la photographie, notamment les photos
médiatisées par la technologie : photos numériques
familiales et MMS.
Pour appréhender les nouveaux usages sociaux des
photos numériques et des MMS et également leurs dimensions
sémiotiques et esthétiques, nous avons opté pour la
méthode de l'entretien collectif. Le focus group, cette
méthode de recherche empirique largement utilisée par la
sociologie anglo-américaine , nous a semblé la plus
appropriée à notre sujet de mémoire en raison des
résultats intéressants qu'elle laisse apparaître. Selon
MORGAN, l'entretien collectif peut être défini comme une
série « d'entretiens de recherche, autrement dit de
données discursives destinées à l'analyse,
provoquées et recueillies par un chercheur sur des thèmes qu'il a
déterminés et qui peuvent bien évidemment concerner les
enquêtés ».78(*)
Pour le traitement de ce sujet, nous avons subdivisé
notre mémoire en deux grandes parties :
- Une partie théorique :
Dans ce volet, nous avons abordé l'évolution historique des
images, de la naissance de l'image qui remonte à la préhistoire ,
passant par la perspective (14ème-16ème
siècles), la gravure, la photographie, pour aboutir aux images
numériques et plus précisément les photos
numériques à usage familial et celles médiatisées
par la technologie mobile : les MMS. Nous nous sommes penché dans
cette partie sur l'étude des traits socio-sémiotiques des deux
genres de photos.
- Une partie empirique : Cette
partie consiste en une analyse qualitative des données des 2 entretiens
collectifs que nous avons conduits auprès des 14 personnes sur leurs
usages des photos numériques et des MMS dans la vie quotidienne. Cette
partie valide et enrichit les données du développement
théorique de notre sujet de recherche. Elle développe plus en
profondeur les axes traités dans les chapitres correspondant aux photos
numériques et aux MMS.
Notre analyse qualitative des entretiens collectifs nous a
permis d'aboutir aux résultats suivants :
I- Les photos numériques :
Par rapport à l'appareil photo argentique, le
caméscope offre à son utilisateur une grande flexibilité.
Il lui offre l'avantage de refaire les photos ratées, de
répéter les essais et donc de multiplier le nombre de photos
prises pour ne garder en final que les meilleures pauses. Le caméscope
offre la possibilité de faire des photos rapides, instantanées et
retouchables. Le plus important avantage qui caractérise la photo
numérique est l'accessibilité et la facilité
opératoire d'utilisation.
La notion du tout photographiable est
intrinsèquement liée aux photos numériques ce qui
entraîne des effets de banalisation sur l'acte photographique selon le
mode numérique. Si la photo numérique est
considérée comme un moyen de communication c'est parce qu'elle
nous renseigne sur la vie privée des gens. Avec laquelle, les
scènes de la vie quotidienne, les moindres détails même
bêtes ou futiles peuvent revêtir des significations
intenses chez les différents usagers.
La notion de l'album de famille ne perd pas sa valeur mais
devient plus exponentielle avec le numérique. La technologie
élargit la dimension de l'album de la famille qui devient de plus en
plus progressive. L'album numérique offre en même temps cet
avantage , mais sa valeur ajoutée réside essentiellement dans la
préservation des séquences banales de la vie quotidienne.
La photo numérique constitue un moyen (parmi
d'autres) pour enregistrer l'histoire et inscrire la vie des ancêtres
dans une ligne d'évolution et de continuité. Cela étant
dit, c'est à la photo argentique - spécialement en noir et blanc
- qu'on confie le plus souvent cette mission. Cette dernière garde
toujours des qualités de charme et de magie qu'on lui attribue parce
qu'elle s'offre à notre toucher , et parce qu'à travers laquelle
on éprouve le sentiment de rêver, de voyager et de saisir le
passé en fragments.
Au moyen de la photographie numérique les
photographes contemporains peuvent réussir à saisir la
réalité dans ses détails infinitésimaux. Les photos
numériques de par leur grande accessibilité enregistrent souvent
dans les plus petits détails les grands voyages qu'on n'a pas l'occasion
de faire souvent. Elles nous rappellent toujours des moments et gestes
précis tout en suggérant le rassemblement des amis ou des proches
pour les regarder en commun, ouvrant ainsi des pistes de bavardage et de
convivialité.
Prendre énormément de photos avec son
caméscope contribue à banaliser les photos de telle sorte qu'on
ne trouvera pas le temps nécessaire pour les regarder dans leur ensemble
ce qui induit systématiquement la baisse sinon la perte de la fonction
de mémoire photographique avec le mode numérique. Par
conséquent, la méditation de l'instant disparaît avec la
photo numérique car cette dernière ne peut offrir qu'un temps
d'arrêt éphémère à celui qui la regarde.
En effet, avec le numérique on est placé plus
dans l'éphémère et l'irréfléchi que dans le
méditatif. La photo numérique de ce fait n'est plus un
arrêt sur image, une traduction iconique d'un moment unique ou une
contemplation lucide d'une scène précise, c'est plutôt une
mécanique incarnationnelle et froide des images, une captation
rapide de l'instant. Parce que du moment que l'appareil photo numérique
assure une prise déchaînée de photos avec des
possibilités parallèles de retouche on n'arrive pas à
saisir l'instant véridique. Par contre, le numérique participe
à la démocratisation de l'art en donnant accès à
tous ceux qui le désirent à la photo.
Pour les personnes qu'on a interrogées sur leurs
usages des photos numériques dans la vie quotidienne, c'est un vrai
bonheur de faire une photo en mode argentique, parce que l'on ne connaît
pas le résultat du développement du film ce qui rend
précieux et le temps d'attente et d'expectation et la photo obtenue
elle-même. La photo argentique prend notamment plus de valeur et devient
une source de plaisir ; on peut la toucher et la sentir comme un
être humain, à travers laquelle des souvenirs lointains
s'éveillent en nous et nous pouvons revoir le passé se
reconstituer en morceaux.
II- Les MMS :
Les MMS proposent un dispositif matériel complexe,
alliant par exemple le langage visuel avec la vidéo, les photos , au
langage sonore avec le texte écrit. La pluralité des langages -
recours aux modalités visuelle, sonore, cinétique, verbale -, des
genres et des médias ajoute à la volonté d'ouverture
énonciative une capacité d'ouverture polysensorielle. Ce qui
donne à saisir le MMS comme un corps matériel malléable
que l'on peut creuser, ouvrir, fermer, voir, entendre, sentir,
développer, incitant ainsi les usagers de ce mode de communication
visuelle mobile à une co-énonciation plus corporelle que le fait
un récepteur d'une image unique ou d'un texte isolé.
Les objets photographiées et/ou envoyées par
MMS sont très variées. Toutefois, ce sont les grands voyages qui
offrent des opportunités réelles pour la transmission des MMS.
Avec le caméraphone on prend notamment l'habitude de photographier en
gros plans les visages des personnes, les plats de cuisine qu'on
réussis, les objets banals de la vie quotidienne (un meuble, un arbre,
une fenêtre...), bref tout ce qui nous parait beau et digne de valeur de
partage. A la manière du caméscope, le caméraphone
élargie le champ photographique. Il assure de par sa souplesse et sa
facilité d'usage de prendre des photos de tout ce qui peut être
photographiable, c'est à dire de tout et de n'importe quoi. De ce fait,
la valeur d'échange se développe à travers l'envoi des
photos par MMS parce que c'est un acte de communication significatif du
fait qu'on ne transmet ces messages visuels mobiles qu'aux personnes avec qui
on partage une certaine intimité.
Associé au langages visuel, cinétique et
sonore, le caméraphone permet une expression plus ample de ses
idées et sentiments tout en invitant à saisir les moments forts,
intenses et uniques. Qu'il s'agit d'un objet ridicule saisi par son
caméraphone, d'un événement important ou d'un grand voyage
que l'on veut inscrire dans la mémoire personnelle et collective, on
envoie des MMS aux autres pour les inviter à sentir les mêmes
sensations, à partager les mêmes sentiments et à participer
à la mémorisation de l'événement qui nous touche et
importe. De ce point de vue le caméraphone contribue à la
publicisation de la sphère du privé en offrant la
possibilité de partager des photos personnelles avec les autres.
Pour définir à quels types d'objets
interactionnels nous avons à faire, les enquêtés se sont
tous accordés que dans la plupart des cas, la réponse à
leurs photos envoyées par MMS prend la forme d'un autre MMS
accompagné d'un petit commentaire. Des fois, il s'agit d'un SMS tout
simplement et de manière générale la transmission des MMS
projette souvent des actions en retour. Cela ne peut qu'illustrer la fonction
sociale de ce mode de communication ayant la capacité de nourrir des
conversations et d'établir des connexions de type interactionnel entre
les destinataires. On peut ainsi conclure que l'échange des MMS est une
pratique finement structurée dans le contexte social. Récents,
les usages en sont devenus importants et constituent un vecteur de
sociabilité quotidienne. Ses amateurs y recourent fréquemment en
réponse à un besoin social dont ils constituent la
révélation.
Pour ce qui concerne le caméraphone proprement dit,
le principal avantage de cet objet, en tant que dispositif de
télécommunication moderne et révolutionnaire, est de
réduire les limitations spatiales et temporelles en connectant n'importe
qui, n'importe où, permettant ainsi aux usagers des MMS de vivre
ensemble tout en étant séparés. De ce point de vue, le
caméraphone institue un espace de vie sociale marqué par les
valeurs de convivialité et de partage. D' autant plus que les MMS que
l'on peut envoyer d'un téléphone portable à un autre
fournissent des descriptions minutieuses sur les situations
photographiées. Il en ressort qu'avec les MMS la communication devient
facile, plus spontanée et véridique parce qu'elle est
basée sur la transmission de supports visuels tangibles qui sont
susceptibles d'intéresser et/ou d'émouvoir leurs destinataires.
L'émotionnel est un caractère intimement
rattaché à la circulation des MMS entre les différents
usagers. Vecteurs de communication instantanée, les MMS brisent la
notion d'espace-temps en réunissant mentalement et affectivement les
communautés de destinataires. Les MMS créent des espaces
privés temporaires où s'organisent des interactions qui prennent
la forme d'autres messages en retour (des MMS ou des SMS normalement), le
caméraphone étant dans ces interactions un catalyseur de bulles
de convivialité.
Les personnes enquêtées croient à
l'impact sûr des MMS sur les récepteurs. Pour eux, envoyer un MMS
à quelqu'un est plus touchant et authentique qu'un SMS. Un MMS dit
toujours quelque chose de plus, il est éloquent, il marque bien son
destinataire, il verbalise mieux le message adressé et donc il est plus
perceptible et touchant. Notre population enquêtée rapporte
notamment que les MMS tissent et entretiennent un réseau de
sociabilité purement informel à travers l'envoi de photos banales
empruntées du quotidien, mais qui revêtent des significations
particulières pour les destinataires. Ils permettent le
développement et la perpétuation de liens, ou de réseaux
de liens. Etant des supports visuels nomades, les MMS instituent un «lien
virtuel permanent » entre des individus qui se trouveraient autrement
coupés les uns des autres. Mais dans un contexte plus large, la
naissance du service MMS et son évolution répondent à un
besoin de société, celui d'accompagner le progrès
technologique réalisé dans le domaine des
télécommunications, d'autant plus qu'il comble le manque de
communication interpersonnelle entre les sphères intimes.
Pour ce qui concerne les rapports texte-image dans le cas
du MMS, le texte est un guide de lecture pour la photo, c'est un commentaire
qui porte des éléments de précision sur son environnement
afin d'ancrer le message véhiculé et de délimiter la gamme
des interprétations possibles. Etant donné que le MMS est une
image utilitaire (c'est à dire qui porte un sens précis), la
fonction de confortation jouée par le texte ajouté est nettement
visible. Car entre redondance et développement, le contenu verbal a
pour tâche de conforter le contenu visuel tout en y infusant des affects,
explicitant de la sorte les attendus de l'image. Il en résulte que le
MMS est un message pansémique ; à la manière de
l'image publicitaire il vise à suggérer un sens bien
précis et c'est dans ce sens que l'ajout de texte peut être
efficace, celui-ci permettant d'exercer une fonction de contrôle face
à la puissance projective de l'image.
Dans le registre des relations amoureuses, les MMS offrent
l'avantage de consolider le contact entre les partenaires et de libérer
les handicaps d'expression. Le recours à l'image devient une alternative
de base pour l'extériorisation de ses sentiments et la transgression des
barrières de timidité. Le MMS en tant que support visuel
léger et facilement transmissible permet l'instauration d'un pacte de
communication entre les usagers basé sur les valeurs de mouvance et
d'immédiateté.
Les conversations via les MMS se déroulent
également dans des espaces marqués par la proximité
(échange gratuit des MMS entre des personnes se trouvant dans le
même lieu et ayant des mobiles dotés de l'infrarouge), même
si on présente généralement les MMS comme des messages
visuels nomades qui instaurent la connexion des personnes se trouvant dans des
territoires séparés. Il en ressort qu'avec le MMS les usagers
réorganisent la pratique de la communication mobile en fonction de leurs
besoins et désirs de maintenir le contact. Ce type d'échange
étant répandu montre que l'échange des MMS via
l'infrarouge laisse apparaître de multiples traces de confirmation de
soi, d'occupation de l'espace public et d'adhésion sociale au groupe.
Par cet opération simple de partage des MMS, non notera d'autre part que
les usagers n'ont pas le monopole de la publicisation de l'intime. Il est tout
à fait possible et commun de participer à ce type de
communication médiatisée lorsque des individus s'échangent
des images en étant physiquement ensemble.
Les figures communicatives des MMS se concrétisent
à travers des modalités particulières d'expression de
l'identité interne des acteurs. L'apparition du MMS et son essor
réactualisent justement d'autres modalités d'appropriation d'une
nouvelle technologie. Il en va de même pour les usagers du MMS qui
cherchent à travers ce médium de se distinguer, d'être au
travers d'un paraître pour être valorisés et plus
particulièrement d'afficher une image de soi qui renvoie aux valeurs de
communication, du non-conformisme et du « branchement ».
Les MMS sont des formes d'expression de soi qui
relèvent pour beaucoup de l'individualisme, voire de l'exhibitionnisme.
Les MMS constituent des temps d'arrêt sur l'intimité quotidienne
des utilisateurs. Ces messages instaurent un nouveau rapport à la
photographie. Le MMS réduit le geste photographique au minimalisme. La
facilité d'utilisation des nouvelles modes des caméraphones
associée à la possibilité énorme de manipuler avec
la main rend l'acte photographique plus souple et rapide.
Avec le MMS on assiste à des nouvelles formes de
communication médiatisées par la technologie dans lesquelles on
détruit les calibres conventionnels de la communication, et ce par
l'invention de méthodes singulières voire
« anti-conformistes ». Ces méthodes s'inscrivent
sans doute dans l'esprit fédérateur des nouvelles technologies
médiatisées (SMS, mails, cartes virtuelles, etc. ).
Les MMS inscrivent des pratiques médiatiques
anciennes dans une perspective de continuation. Du point de vue de notre
échantillon enquêté, les MMS marquent une évolution
certaine dans la communication médiatisée, mais ils ne peuvent en
aucun sens substituer les moyens de communication précédents. En
ce qui concerne les points de similarité/divergence entre le MMS et la
carte postale, il convient de souligner qu'à la différence des
usages instrumentaux des moyens de communication multimédia dont le MMS,
la carte postale instaure des communications affectives et sociales entre les
individus, tout en cimentant leurs rapports amicaux déjà
existants. A la différence du MMS qui relève des
« sentiments formatés » du fait des modalités
d'envoi très rapide selon l'avis de notre population interrogée,
la carte postale préserve toujours les qualités de magie et de
charme : à travers laquelle on exprime des émotions et des
expériences personnelles et l'on consolide le contact avec l'autre.
S'agissant des points de ressemblance/divergence entre le
MMS et le courrier électronique, notre échantillon
enquêté observe que les MMS facilitent la communication
interpersonnelle plus que les e-mails. Les MMS s'échangent de
manière régulière surtout entre intimes (liens amicaux et
amoureux, liens entre pairs). Les personnes interviewées opposent assez
nettement l'échange du MMS (un geste immédiat et spontané)
à la conversation à travers les e-mails. Du moment qu'une
interaction où une forme de partage émergent du cours même
du dialogue, c'est à dire dans son épaisseur et sa durée,
les e-mails offrent des espaces plus étendus pour la structuration du
message composé et pour l'échange qui devient avec ce moyen de
communication plus favorable.
Notre population enquêtée rapporte qu'avec les
MMS l'effort de communication interpersonnelle est réduit au
minimalisme. En effet, à force de recourir à des formes de
communications médiatisées par la technologie et
commandées par les normes de rapidité et de raccourcissement,
l'on porte atteinte à la langue (fautes de syntaxe, d'orthographe) et on
perd le vrai goût de la communication. Par ailleurs, avec l'usage
fréquent des MMS dans la vie quotidienne l'acte photographique perd son
authenticité parce qu'il n'est plus une réflexion sur un moment
apprécié, mais plutôt une saisie brusque d'un instant dans
un but de partage immédiat.
De par leur corporalité souple et hybride, les MMS
inscrivent la communication interpersonnelle dans le cadre d'une
société postmoderne, marquée par les valeurs
d'échange, de flux et de connexion permanents. Associés souvent
à la communication mobile, ils prolongent une tradition issue de
plusieurs années des SMS. De manière générale, les
MMS font partie intégrante des services nombreux offerts par le
téléphone mobile. Ce dispositif de communication complexe offre
en effet sur un même terminal portable la possibilité de
médiations très différentes, conversations orales si on
l'utilise comme téléphone, échanges écrits avec les
SMS et les services qui en sont dérivés, échanges d'images
et de vidéos dans le cas des MMS.
Tout en étant apparemment si individuel le
téléphone mobile est inséré dans l'espace
public ; il permet souvent d'entamer un échange et de constituer un
support de bavardage et un point d'appui pour une sociabilité en
présence.79(*)
L'utilisateur est donc amené à réfléchir sur ses
usages et ses pratiques communicationnelles tout en étant conscient de
ses effets certains sur l'identité sociale et le comportement humain. Et
c'est justement dans cette perspective que nous envisageons d'amorcer une
étude plus approfondie sur les dimensions culturelles et
socio-sémiotiques du téléphone mobile, dans le cadre d'une
thèse de doctorat ultérieure.
Résumé
Le partage des photos numériques et des MMS entre les
sphères amicales et familiales est une pratique finement
structurée et située dans le contexte social. Ces nouvelles
images laissent apparaître des modalités de lecture bien
différentes de celles relatives aux photos argentiques. Elles se
caractérisent par leur spontanéité,
instantanéité, maniabilité, et facilité
opératoire d'usage et d'échange. Ce sont de véritables
vecteurs de sociabilité du fait qu'elles garantissent la connexion de
personnes totalement séparées par les limitations
spatio-temporelles. Etant des images hybrides dotées d'une
matérialité singulière, les photos numériques et
les MMS remplissent des fonctions sémiotiques, communicationnelles et
esthétiques certaines. Banalisées pour certains, elles offrent
pour d'autres des possibilités énormes pour la
démocratisation de l'art, la mémorisation du quotidien dans ses
détails infinitésimaux et la transmission du patrimoine aux
générations à venir. Les photos numériques et les
MMS renvoient à des thèmes très variés. Mais, tout
en étant axées sur les scènes de la vie quotidienne, elles
matérialisent la notion du tout photographiable. Avec ces images
médiatisées par la technologie, les groupes d'usagers publicisent
leur vie privée et s'échangent des émotions et des
sensations intenses. Des liaisons amicales et affectives se cimentent à
travers ces images, participant ainsi au développement des bulles
conviviales.
Abstract
The share of the numerical photos and the MMS between the
friendly and family spheres is a practice finely structured and located in the
social context. These new images let appear methods of reading quite different
from those relating to the digital photos. They are characterized by their
spontaneousness, instantaneity, handiness, and facilitated operational of use
and exchange. They are true vectors of sociability owing to the fact that they
guarantee the connection of people completely separated by the space-time
limitations. Being hybrid images equipped with a singular materiality, the
numerical photographs and the MMS fill of the unquestionable functions
semiotics, communication and aesthetics. Standardized for some, they offer for
others of the enormous possibilities for the democratization of art, the
memorizing of the daily newspaper in its infinitesimal details and the
transmission of the inheritance to the generations to come. The numerical
photos and the MMS return to very varied topics. But, while being centered on
the scenes of the everyday life, they materialize the notion of the whole
photographiable. With these images mediatized by technology, the groups of
users publicize their private life and exchange intense emotions and feelings.
Friendly and emotional connections are cemented through these images, thus
taking part in the development of the convivial bubbles.
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* 1 MONS A. (1998 ),
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* 2 LANCIEN T. (2005),
Permutabilité des rôles dans l'acte photographique à
l'ère du numérique, Entretien avec CAHUZAC Hubert et
CHRISTIAN Malaurie, Laboratoire Imagines, Université Bordeaux III.
* 3 Appareil photo
numérique.
* 4 DUCHESNE S., HAEGEL F.
(2005) , L'enquête et ses méthodes : l'entretien
collectif, Paris, Armand Colin, p. 9.
* 5 Idem. p. 53.
* 6 Ibidem. p. 95.
* 7 BELTING H. (2004 ) ,
Pour une anthropologie des images, Paris, Gallimard, p. 8.
* 8 BARBOZA P. (1996) ,
Du photographique au numérique : la parenthèse
indicielle dans l'histoire des images, Paris, L'Harmattan, p. 9.
* 9 BARBOZA P. (1997) ,
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* 10 BARBOZA P. (1997) ,
Les nouvelles images, Idem. p. 8.
* 11 JOLY M. (1994 ) ,
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* 12 BARBOZA P. (1997) ,
Les nouvelles images, Ibidem. p. 14.
* 13 BARBOZA P. (1997) ,
Les nouvelles images, op. cit. p. 16.
* 14 PAOLUZZI M.C. (2004) ,
La gravure, Paris, Solar, p. 23.
* 15 BARBOZA P. (1997) ,
Les nouvelles images, op. cit. p. 19.
* 16 BARBOZA P. (1996) ,
Du photographique au numérique : la parenthèse
indicielle dans l'histoire des images, Idem. p. 29.
* 17 MERZEAU L. (2002), Des
images à écrire, Dossier : Quand les images rencontrent
le numérique, Médiamorphoses , n° 6, p. 50.
* 18 BARBOZA P. (1997) ,
Les nouvelles images, op. cit. p. 20.
* 19 MONS A. (1998 ),
« Le silence de la photographie, la brûlure de
l'image » , Idem. p. 115.
* 20 LE GOFF H. ( 2003) ,
La photographie, Paris, Cercle d'Art, p. 5.
* 21 Idem. p. 5.
* 22 Ibidem. p. 5.
* 23 BARBOZA P. (1997) ,
Les nouvelles images, op. cit. p. 20.
* 24 Op.cit. p. 21.
* 25 LE GOFF H. ( 2003) ,
La photographie, op. cit. p. 7.
* 26 BABOU I. (1997),
« Images numériques et médiatisation des
sciences », Hermès, n° 21 , pp. 55-66.
http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00000067.html
* 27 BARBOZA P. (1996) , Du
photographique au numérique : la parenthèse indicielle dans
l'histoire des images, op. cit. p. 101.
* 28 BARBOZA P. (2002),
« Petite histoire de l'image numérique : le fil rouge de
l'interactivité », Dossier : Quand les images
rencontrent le numérique, Médiamorphoses, n° 6 , p.
24.
* 29 Idem. p.24.
* 30 BARBOZA P. (1997) ,
Les nouvelles images, op. cit. p. 28.
* 31 BARBOZA P. (2002),
« Petite histoire de l'image numérique : le fil rouge de
l'interactivité », op. cit. p. 25.
* 32 Ibidem. p. 25.
* 33 Ibidem. p. 29.
* 34 BARBOZA P. (1996) , Du
photographique au numérique : la parenthèse indicielle dans
l'histoire des images, op. cit. p.104.
* 35 BARBOZA P. (2002),
« Petite histoire de l'image numérique : le fil rouge de
l'interactivité », op. cit. p. 26.
* 36 BARBOZA P. (1997), Les
nouvelles images, op. cit. p. 31.
* 37 BARBOZA P. (2002),
« Petite histoire de l'image numérique : le fil rouge de
l'interactivité », op. cit. p. 27.
* 38 LAVEDRINE B. (1999),
« La conservation du numérique et ses enjeux »,
Actes de la journée : Image scientifique, de l'argentique au
numérique, IRD / Institut Pasteur, Paris , p. 2.
www.ird.fr/fr/info/phototheque/arret/lavedr.pdf
* 39 Cet article a
été rédigé à partir d'une conférence
publique donnée le 29 mars 2001, lors du cycle de conférences
« Les jeudis de la Sorbonne » consacré au
thème « La Photographie et le Multimédia ».
Ce cycle de conférences est organisé par le second cycle de
Conception et Mise en OEuvre de Projets Culturels de l'Université Paris
I Panthéon-Sorbonne. Cette conférence consacrée à
la Photographie et au Multimédia a été organisée et
transcrite par Aldjia Aneb, Léticia Dargère et Anne-Laure Zini.
* 40 COUCHOT E. (1987),
« Sujet, Objet, Image », Cahiers internationaux de
sociologie, vol LXXXII, Paris, PUF, pp. 85-97.
* 41 Entretien avec Louise
MERZEAU, document remis par Thierry LANCIEN, Université Bordeaux III,
p. 2.
* 42 BARBOZA P. (2001) ,
« Photographie et multimédia » , Actes
2001, Université Paris I.
http://www.univ-paris1.fr/recherche/e-publications/jeudis_de_la_sorbonne/actes/actes_2001/article2230.html
* 43 WEISSBERG J.L. (1997) ,
« Les images hybrides : virtualité et
indicialité », MEI « Médiation et
information », n° 7, p.113.
* 44 DARRAS B. (2002),
« Indicialité et photographie numérique
instantanée », Dossier : Quand les images rencontrent
le numérique, Médiamorphoses, n° 6 , p. 65.
* 45 WEISSBERG J.L. (1997) ,
« Les images hybrides : virtualité et
indicialité », Idem. p. 118.
* 46 Entretien avec Louise
MERZEAU, Idem. p. 3.
* 47 BARBOZA P. (1996) , Du
photographique au numérique : la parenthèse indicielle dans
l'histoire des images, op. cit. p. 31.
* 48 Entretien avec Louise
MERZEAU, Ibidem. p. 3.
* 49 MERZEAU L. (2002 ) ,
« Des images à écrire », Dossier :
Quand les images rencontrent le numérique, op. cit. p. 50.
* 50 GAUDIN J. (2002 ),
«Qu'est ce qu'une image numérique ? »,
Dossier : Quand les images rencontrent le numérique ,
Médiamorphoses, n°6 , p. 100.
* 51 GAUDIN J. (2002) ,
« Qu'est ce qu'une image numérique ? »,
Médiamorphoses , Idem. p. 100.
* 52 COUCHOT E. (1987) ,
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* 61 KOSKINEN I., KURVINEN E.
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* 62 KOSKINEN I., KURVINEN E.
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* 64 HOREL B. (2005),
« Analyse socio-sémiotique du message multimédia
mobile (MMS) : de la plasticité de l'image numérique vers une
nouvelle poétique d'écriture », op. cit.
* 65 Ibidem.
* 66 Ibidem.
* 67 KOSKINEN I., KURVINEN E.
(2002 ), « Messages visuels mobiles : Nouvelle technologie et
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* 68 KOSKINEN I., KURVINEN E.
(2002 ), « Messages visuels mobiles : Nouvelle technologie et
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* 69 MOREL J. (2002),
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* 77 Une carte virtuelle est
à la carte postale ce que le courriel est au courrier postal.
Généralement, il s'agit d'un texte illustré par une image
, avec parfois des options comme l'agrémentation d'une musique (au
format MIDI ) ou l'animation de l'image (GIF animé ou Flash ).
L'expéditeur choisit son image parmi les choix proposés par le
site proposant le service, compose son texte et choisit les éventuelles
options supplémentaires. Il lui suffit ensuite d'indiquer à qui
cette carte est adressée, un courriel lui est alors adressé pour
lui indiquer le lien lui permettant d'afficher la carte virtuelle. Parmi les
options possibles il peut être proposé de remettre l'envoi
à une date future ou encore d'avoir un accusé lorsque la personne
lit la carte.
Cf :
www.wikipedia.fr
* 78 DUCHESNE S., HAEGEL F.
(2005) , L'enquête et ses méthodes : l'entretien
collectif, op. cit. p. 42.
* 79 LICOPPE C. (2005 ), ouv.
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nouvelles mobilités, Introduction, chapitre 3, p. 149.
http://www.fing.org/
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