B/ La discipline pénitentiaire prise en
défaut
Le modèle totalisant implique un minimum de soumission
des membres de la communauté qui vont y être soumis. Or,
l'observation des nouvelles populations carcérales et de leurs pratiques
révèle les limites à l'application de ce modèle, et
parfois sa possible perversion.
Des quelques entretiens préparatoires à
l'étude de cet ouvrage, une constante a émergé des
témoignages des acteurs de la vie carcérale. Personnels de
direction et surveillants sont unanimes pour constater de nets changements dans
les comportements des détenus sur les vingt dernières
années. Des changements principalement dus au rajeunissement de la
population criminelle et à ses habitudes. Ces populations venant souvent
de grands ensembles urbains bruyants et lumineux, elles ne savent trouver de
tranquillité que dans le bruit, voire le vacarme, des postes de radio ou
de télévision mis sur le rebord des fenêtres, et ce toute
la nuit parfois. Bien souvent accoutumées à une vie nocturne,
demander à ces population de pratiquer une activité quotidienne
dès le matin est une mission quasi impossible pour l'administration
pénitentiaire. Il faut reconnaître que ces pratiques tiennent plus
souvent des centres de détention, où cohabitent prévenus
et courtes peines, mais la promiscuité avec les maisons d'arrêt
sur un même lieu géographique, et le glissement progressif de ses
populations vers la criminalité, entraînent un mimétisme de
comportement de plus en plus fréquent dans les quartiers pour longues
peines des Maisons d'Arrêt, mais aussi des Centrales. Prétendre
imposer une discipline presque militaire à ces populations
déjà très éloignée des principes
disciplinaires, se heurte à la simple réalité de la
massification de la population carcérale et à sa mutation.
D'autre part, les expériences de la discipline
pénitentiaire et de l'application de ses sanctions montrent que certains
individus réfractaires finissent par la pervertir. Pour illustrer ceci,
prenons un exemple plus fréquent qu'a priori
imaginable. Un détenu, après plusieurs infractions de
première ou de deuxième catégorie au règlement, ou
quelques unes de troisième, voit tous ses privilèges et son
crédit de réduction de peine épuisés. Une nouvelle
infraction, comme des insultes ou des menaces envers un personnel de
surveillance, le conduit en quartier disciplinaire (Q.D.). Après
quelques jours en Q.D., le prévenu en question simule un suicide. La
simulation est prise pour une tentative réelle de suicide par le
personnel de surveillance qui fait venir le médecin psychiatre de la
prison. Celui-ci conclut à l'incompatibilité de l'isolement avec
la santé et la sécurité du détenu. Ce dernier peut
alors regagner sa cellule d'origine. Il devient le champion de son étage
pour avoir défié l'autorité des personnels de surveillance
et s'en sortir à très bon compte. Il ne peut plus être
soumis à des sanctions disciplinaires puisqu'elles ont toutes
été épuisées, jusqu'à la plus importante de
toutes, le Q.D., qui ne peut plus lui être appliqué pour lui
être trop dangereux. L'administration pénitentiaire devient
particulièrement démunie envers ce détenu puisqu'elle n'a
plus de moyen de coercition. Le rapport de force qui a tourné en la
défaveur de l'autorité disciplinaire peut alors créer un
climat de défiance généralisé à son encontre
dans le couloir du dit détenu, puis dans son étage, et enfin
jusqu'à l'établissement. Voilà un type de perversion du
système disciplinaire carcérale qui peut générer de
l'insécurité plutôt que la sécurité entre ses
murs.
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