La maladie sacrée, les parthenoi dans le regard de la
médecine rationnelle en Grèce classique
INTRODUCTION
Pourquoi un travail de recherche sur la maladie
sacrée ?
Au commencement, étant moi-même
épileptique donc atteinte de ce que les anciens appelaient la maladie
sacrée, j'ai voulu comprendre ce qui se cachait derrière cette
appellation. Pourquoi sacrée ? Intervention divine ?
Possession par un Dieu ? Les croyances moyenâgeuse penchaient en ce
sens. Possédée par le diable. Toutefois, avant le Moyen-Age se
trouvait l'Antiquité. C'est donc vers cette période que j'ai
cherché des réponses.
J'ai ainsi trouvé le traité attribué
à un auteur du corpus hippocratique De la maladie
sacrée. Surprise, alors que les pré-socratiques attribuaient
bien cette maladie à une intervention divine, l'auteur avait
déjà compris ce que notre science contemporaine
déterminerait, à savoir que cette maladie est liée
à un dysfonctionnement du cerveau.
Ainsi il m'a semblé nécessaire d'étudier
cette science.
Au fil des lectures, j'ai découvert, notamment
grâce au traité de ce même corpus, Maladies des
jeunes filles, que cette maladie touchait les parthenoi, ces
filles qui, bientôt, allaient se marier.
Ainsi fut défini mon sujet. Restait à savoir ce
que l'étude des parthenoi chez les Hippocratiques allaient
apporter comme pierre à l'édifice de la science.
Ce travail a donc deux axes majeures, l'étude de la
médecine dite hippocratique et la parthenos dans le
corpus du même nom.
Comment définir des limites chronologiques ? On
aurait pu tenter un travail mettant en parallèle les croyances
traditionnelles et les croyances hippocratiques. Comme toujours en histoire
ancienne, l'apprenti chercheur propose et les sources disposent. Cette
lapalissade se trouve ici confirmée. Des époques
antérieures, on ne trouve qu'un papyrus égyptien décrivant
la crise et seul le texte du corpus hippocratique Maladie
sacrée, nous renseigne sur les causes que l'on donnait
antérieurement à cette maladie. Par conséquent, les
limites chronologiques se sont imposées d'elles-mêmes : ce
serait la période classique, qui correspond au Vème et
IVème siècle avant Jésus-Christ. Ainsi, quand une date
sera donnée dans ce mémoire, il ne sera pas rappelé
qu'elle concerne la période avant notre ère, ceci allant de soi
au vu du sujet choisi.
Cette délimitation m'amenait à m'interroger sur
la médecine rationnelle.
« Je recommande, pour ma part, aux jeunes
filles qui sont atteintes d'une telle affection de se marier au plus
vite ; car si elles deviennent enceintes, elle
guérissent. »1(*)
C'est en procédant de la sorte que l'auteur de
Maladies des jeunes filles entendaient mettre un terme aux
éventuelles crises d'épilepsie qui guettaient les
parthenoi, vision opposée à la tradition populaire qui
attribuait ces crises aux divinités auxquelles il était
nécessaire de faire des offrandes pour faire cesser la maladie.
Le Vème siècle vit l'éclosion des
sciences en Grèce. La médecine ne dérogea pas à la
tendance générale qui considérait que chaque
phénomène avait un cause naturelle, sans rapport avec
l'intervention des dieux. Ainsi se trouve défini la médecine
hippocratique : la maladie est le résultat de l'influence du milieu
sur l'homme, les maladies proviennent de l'extérieur et non de
l'influence des dieux. A ce titre, il est nécessaire de l'aborder avec
les moyens d'observation que nous avons à notre disposition. C'est la
promotion de la médecine par les cinq sens. Tout phénomène
a une cause naturelle.
Un des auteurs appartenant au courant de cette nouvelle
médecine, se pencha sur la maladie dite sacrée. La croyance
populaire considérait qu'elle était le résultat de la
possession du corps du malade par un dieu. Le traité sur cette maladie
nous est parvenu. Dans une première partie, l'auteur critique ceux qui,
les premiers, par ignorance et étonnement, ont fait croire que cette
maladie était due aux dieux. Puis, il expose ce qu'il considère,
comme étant la cause de cette maladie.
Même si le Vème siècle est la
période de la recherche rationnelle, on s'aperçoit que des
anciennes croyances sont encore vivaces. Que dire de cet utérus mobile,
petit animal vorace dont la femme est l'esclave ? Héritage de
Pandora ou motif pour justifier l'asservissement de la femme à
l'homme ? Il faut croire que les progrès de la médecine
s'arrêtaient là où commençait l'intérêt
de la société. Comment comprendre qu'une jeune fille de quatorze
ans soit considérée comme une adulte ? Cette théorie,
peut être fantaisiste pour nous autres contemporains était loin de
l'être aux yeux des classique. A la recherche d'un optimum biologique et,
bien que dénonçant les mariages avec des filles trop jeunes,
Aristote préconisait une différence d'âge entre l'homme et
la femme de quinze à vingt ans. Un homme devenant un citoyen accompli
à trente ans, âge auquel il pouvait entrer dans les
différentes assemblées où siégeaient les citoyens,
on peut donc déduire que la fille devait avoir entre dix et quinze ans.
Et pour appuyer cette démonstration, quoi de mieux que les discours
médicaux ?
Cette évolution de la pensée a eu un impact sur
la société du Vème siècle, même si les
anciennes croyances restèrent en vigueur. Puisqu'on voyait dans la
maladie sacrée une maladie qui touchait principalement les jeunes
filles, que les causes de l'épilepsie étaient
considérées comme fausses par les médecins hippocratiques,
il est nécessaire d'étudier l'impact, si impact il y a eu, de
cette nouvelle branche de la médecine sur la vision des
parthenoi, ainsi que leurs répercutions, si répercutions
il y a bien eu sur la société grecque du Vème
siècle. Qu'est ce qui caractérise la période
classique ? Le cinquième siècle vit l'émergence des
sciences. L'homme s'interroge sur le monde qui l'entoure, il suffit de lire
Platon pour le comprendre. Contrairement aux anciennes croyances, toute chose a
une cause naturelle ce qui va amener à une confrontation entre les
théories pré-cinquième siècle et celles qui se
développent à ce moment là. Le recours aux dieux n'est
plus systématique et on cherche à comprendre. Le but des hommes
étaient de fournir une vision cohérente et ordonnée du
monde.
Ce changement ne fut certainement pas perçu à
toutes les échelles de la société. Toutefois, n'ayant pas
d'autres sources que le corpus, il faudra accepter que ce point de vue
pouvait être représentatif de la pensée de
l'époque.
Dans le corpus hippocratique, peu de
référence à cette maladie. Trois cas dans les
Epidémies et pourtant un traité complet semble dire que ce mal
est typique des parthenoi. Doit-on voir dans cette explication une
implication autre que médicale ? La médecine servirait-elle
en partie, la société ?
Que sait-on des parthenoi ? En âge
d'être mariée, elles ne le sont pas encore. Non
domestiquée, elles vont subir, après le mariage, le joug du mari
qui va les civiliser. Or, à la lecture des phénomènes se
produisant lors d'une crise de la maladie sacrée, on comprend
aisément qu'on puisse lui attribuer un caractère sauvage. Quel
accès avons-nous à ses filles sur le point de devenir
mère ? Elles se taisent, comme les femmes qu'elles vont devenir. Il
faut donc accepter que les informations qui nous sont données soient
déformées par la vision masculine de la femme. Quelle
était-t-elle ?
Le passage à l'âge adulte est depuis la haute
Antiquité, considéré comme une période dangereuse.
En cela rien de nouveau. Les transformations visibles au niveau du corps laisse
présager une tempête intérieure, tempête
confirmée pour les Hippocratiques par le nombre de jeunes filles se
pendant à cause, dit le médecin, de leur sang, qui ne peut
s'écouler, l'orifice de sortie étant fermé. La
virginité est donc considérée comme étant
dangereuse. Quel remède ? Le mariage bien sûr. En effet, les
médecins ne conçoivent pas que le moment du mariage ne soit pas
celui de la défloration. Ainsi, l'homme ayant ouvert le passage, la
jeune fille n'est plus en proie à la maladie sacrée mais, en
retour, connaît les maux afférents au gyné car la
période la plus dangereuse pour une femme n'a jamais été
l'adolescence mais plutôt, le moment de la grossesse et
l'accouchement.
A nouveau, pourquoi, pour appréhender ce moment
difficile qu'est le pivotement du sacré, passer par le traité
Maladie sacrée ? Parce qu'il est, dans sa première
partie, représentatif du climat de l'époque et nous donne
à voir la médecine du Vème siècle,
déterminante dans toute recherche sur le fonctionnement du corps, et les
problèmes auxquels elle était confrontée. Parce que,
couplé au traité Maladie des jeunes filles, il montre
toute la problématique du passage à l'âge adulte, qui a
toujours été ritualisé, dans toutes les
sociétés et de tous temps (majorité à dix-huit ans
aujourd'hui, pourquoi cet âge et pas vingt et un an ?) car
considéré comme dangereux.
Pourquoi s'intéresser aux femmes et surtout aux jeunes
filles ? Parce que, depuis Prométhée, ce sont elles qui
transmettent la vie. Par conséquent, il est vital, puisque sans enfants
et surtout sans fils, pas de continuation de l'oikos, de
préserver la parthenos. En effet, la femme est un mâle
manqué. Etait-elle assignée uniquement à la
maternité ? On le verra dans le développement qui suit. Pour
devenir une femme accomplie, qui sert la société, elle devra
être domestiquée.
Hippocrate s'intéresse à ce corps
inquiétant, imprégné d'une sexualité
redoutée. La perception de ces médecins du corps de la femme est
celui d'un récipient qui s'emplit et se vide de son sang à toutes
les étapes de sa vie. Mais ce corps, aussi inquiétant soit-il,
doit être connu, car c'est grâce à lui que la race humaine
se perpétue. Il faut donc en comprendre les mécanismes.
Partir à la recherche des parthenoi grecques,
c'est suivre la trace de leur sang.
Ainsi, le projet du médecin est double. Assurer la
santé de sa patiente, lui permettre de faire des enfants et l'aider
à gagner sa place dans l'ordre établi de la cité. Car ne
nous y trompons pas : si, pour nos yeux de modernes, la prise de la
parthenos par un homme plus âgé choque car elle ressemble
à une soumission, la jeune fille s'y prépare depuis toujours, le
point phare de sa vie restant le mariage. La vie d'une femme est faite de deux
périodes, une avant et l'autre après le mari. C'est donc bien le
rapport à l'homme qui permet à la femme de se définir.
C'est grâce à lui que le sang est versé. C'est donc
grâce à lui que la jeune fille devient femme. Après avoir
eu ses règles, la jeune fille a franchit un cap, tant physiologique que
religieux social et politique. Elle est exclue de l'univers d'Artémis
pour celui de Déméter, elle est prête à occuper la
place qui sera la sienne. Le sang versé fait d'elle une femme, processus
achevé lorsqu'elle aura donné naissance (illustrée par le
fait qu'Artémis reste auprès des jeunes filles jusqu'à
l'accouchement).
Dans ces conditions, il devient judicieux de s'interroger sur
le sort des jeunes filles atteintes de la maladie sacrée. En effet,
maladie sacrée et mariage sont liés. Mais quelle place les filles
pouvaient-elles occuper si cette maladie perdurait après le
mariage ? Les symptômes sont proches de ceux de la transe de la
pythie. Entraient-elles en religion ? Peut-être... Mais cette
hypothèse restera au stade d'hypothèse puisqu' aucune sources n'a
pu me permettre d'établir la véracité de ce fait.
Pour mener à bien cette étude j'ai
emprunté, outre les deux textes du corpus
précédemment cités, sa Théogonie ainsi que
Des travaux et des jours à Hésiode. En effet,
ces textes ont le mérite de nous renseigner et de nous permettre de
comprendre quelle croyances tronquaient la vision grecque de la femme. De
même, L'Economique de Xénophon m'a permis de faire
connaissance avec les qualités qu'on attendait d'une parthenos.
Ainsi, s'est forgé un bouillon culturel qui m'a permis de mieux
comprendre les théories médicales concernant la femme et
d'accepter certains concepts qui auraient pu être
considérés comme des aberrations au regard de la
définition que les médecins hippocratiques donnaient de leur
matière.
Si on ne dispose que d'un traité concernant la maladie
sacrée, les traductions, en revanche, sont multiples. Malgré le
prestige dont Emile Littré est entouré, prestige visible dans le
fait que les ouvrages en langue étrangère se
réfèrent à sa traduction, les trois premières
parties de ce travail s'appuyant en grande partie sur les travaux de Jacques
Jouanna, j'ai préféré opter pour sa traduction des
traités hippocratiques quand cela était possible. Les
traités dont la traduction est d'Emile Littré sont annotés
en bas de page. Pour la quatrième et la cinquième partie, c'est
la traduction de ce dernier qui a été utilisée.
Au regard de ce qui précède, le plan de cette
étude se présentera ainsi : une présentation des
sources qui montrera sur quoi s'appuie notre argumentaire, une bibliographie
rapide pour toute personne désireuse de s'intéresser au sujet,
afin de mieux cerner les médecins hippocratiques et leur raisonnement,
une étude sur la naissance de cette médecine, ses
spécificités et son chef de file, Hippocrate ; pour mieux
appréhender ce qu'est une femme, on reviendra sur le mythe de Pandora
qui installa les femmes dans un écart originel. Une fois ces deux points
abordés, on sera en mesure d'accéder à la
parthenos et aux maladies qui la tourmente, notamment la maladie
sacrée. En effet, il était impossible d'étudier
l'état de parthenos sans aborder les constructions culturelles
qui s'établissent autour d'elle car, comme on le verra médecine
et société sont étroitement liées à
l'époque classique.
PREMIERE PARTIE
PRESENTATION DES
SOURCES
Au milieu du cinquième siècle avant Jésus
Christ, la philosophie prit un tournant dans la composition et l'organisation
du monde extérieur pour ce qui avait attrait aux valeurs morales et
éthiques de l'homme. Les théories sur la cosmologie (incluant
notamment la différence entre les sexes) gardèrent une place
importante dans les systèmes philosophiques mais leurs investigations
s'étendirent aux différents aspects de la physiologie humaine et,
en cela, la philosophie devint une matière proche de la médecine.
A la tête de cette tradition médicale, contemporain de Socrate, on
trouve Hippocrate.
Nous n'avons aucune certitude sur le fait qu'Hippocrate ait pu
écrire les soixante traités qui nous sont parvenus. Ils furent
probablement assemblés aux alentours du deuxième ou
troisième siècle avant Jésus-Christ, à Alexandrie.
Malgré l'incertitude concernant la date de la rédaction, on peut,
de part les connaissances anatomiques, pharmaceutiques, datés ces
écrits entre le cinquième et le deuxième siècle
avant notre ère, la plupart ayant été certainement
écrit au quatrième et cinquième siècle.
La langue utilisée est un dialecte de la langue
ionique. L'Ionie, patrie d'Hippocrate, n'est pas forcément celle de tous
les auteurs mais, la tendance grecque à absorber les différents
dialectes serait suffisante pour expliquer pourquoi les écrivains
médicaux continuèrent à utiliser cette langue, même
s'ils venaient d'une autre région du monde grec2(*).
Le contenu de la collection est très diverse. Elle
regroupe des monographies médicales, des notes sur des cas concrets
(Epidémies), et des discours destinés à gagner la
confiance de leurs contemporains (on verra plus loin pourquoi l'acquisition de
cette confiance était importante à l'époque classique).
Les différents traités n'ont pas d'unité entre eux. Ce
serait une erreur de croire que le corpus hippocratique ne renferme
qu'une seule doctrine. On trouve, notamment des désaccords quant aux
nombres de fluides vitaux présents dans le corps ainsi que concernant
les humeurs3(*).
Cette partie sera consacrée à la
présentation de la Collection hippocratique ainsi qu'à
l'étude des traités utilisés pour cette recherche.
CHAPITRE I
LA
COLLECTION HIPPOCRATIQUE
Qu'appelle t-on la
Collection hippocratique ? On verra comment a été
composé le Corpus, l'impact qu'il a pu avoir sur la
médecine de l'Antiquité, pour finir par la
postérité de l'ouvrage.
I.COMPOSITION DU CORPUS
La Collection hippocratique.
Pourquoi retenir cette oeuvre sous cette appellation alors que
la postérité l'attribue à Hippocrate ? Serait-ce
dû aux interrogations qui entourent sa rédaction ? On verra,
dans un premier temps, la polémique à laquelle les conditions de
la constitution de l'oeuvre a donné naissance, puis les tentatives
faites pour organiser la Collection, pour finir sur la question de
l'auteur du recueil.
I.1.
Une oeuvre constituée par le hasard ?
L'hypothèse la plus probable fait provenir la
Collection hippocratique de la bibliothèque de l'école de
Cos4(*). Celle-ci aurait
contenu les travaux des grands Asclépiades.5(*) On y trouvait les ouvrages des
maîtres, ceux à destination des étudiants, des ouvrages qui
n'avaient pas vocation à être publiés, d'autres
entrés en possession de la bibliothèque par hasard6(*). Le Corpus7(*) comprend une soixantaine de
traités8(*) et serait
composé de travaux de dates et d'écoles différentes.
Certains chercheurs estiment que les traités ont
été réunis par le hasard9(*), d'autres soutiennent la thèse
opposée10(*). Il
est difficile de se faire une opinion, les deux parties avançant des
arguments recevables. Pour les premiers, le corpus aurait
été réunis au hasard des copies et des
bibliothécaires. Cette affirmation est illustré par le fait que
certains traités ne sont pas terminés et trouvent la fin de
l'exposé dans un autre traité du corpus. C'est le cas du
traité « Régime »: sept chapitres
sont consacrés aux moyens de conserver une bonne santé et sont
organisés de façon logique puis, une brisure apparaît au
huitième chapitre qui renvoie au début de
« Maladies I », et le neuvième au
début des « Affections ». Or, il semble
aberrant à W.H.S. Jones qu'un auteur ou un éditeur soit à
l'origine de ce découpage. « What author or editor could be
so stupid as to complete an incomplete work by such unsuitable
additions?»11(*).La
reproduction se faisant sur des rouleaux de papyrus, la taille de ceux-ci
pourrait expliquer ces césures12(*).
Les partisans d'une compilation voulue soulignent que le noyau
dur du corpus est à attribuer à l'entourage direct d'Hippocrate
et explique la diversité des sujets des traités par le fait que
les médecins n'étaient pas des spécialistes mais des
généralistes13(*). Mais une difficulté se pose à ce
stade. En effet, G.E.R. Lloyd, dans son ouvrage Magie, raison et
expérience, l'auteur considère qu'à la
différence des médecins de la période homérique,
les médecins de l'époque classique étaient devenus des
spécialistes. La contradiction est levée par Jacques Jouanna qui
considère que les médecins hippocratiques pouvaient être
des spécialistes mais qu'ils étaient avant tout des
généralistes14(*).
Quelque soit l'hypothèse retenue, les chercheurs
s'accordent à dire que deux critères font l'unité de
l'oeuvre : elle est écrite en langage ionnien15(*) et rejette la magie et la
superstition comme moyens thérapeutiques16(*). Ce dernier point fera l'objet d'un
développement dans la troisième partie de ce travail.
Après avoir vu les débats dont les conditions de
constitution du corpus ont fait l'objet, examinons celui lié à
l'ordonnancement de celui-ci.
I.2. Le
problème d'ordonnancement du corpus.
Il existe différentes façons d'ordonner les
traités. Après avoir étudié celles proposées
par W.H.S. Jones et Jacques Jouanna, il semble que cette dernière soit
plus accessible. En effet, W.H.S. Jones distingue différents
groupes :
- les traités polémiques,
- les traités à dominante scientifique,
- les traités à dominante philosophique,
- les traités plus hippocratiques17(*).
Jacques Jouanna, pour sa part, distingue :
- les traités rattachés à l'école
de Cos,
- les traités rattachés à l'école
de Cnide,
- les traités indépendants18(*).
Il est difficile, même impossible19(*) de trouver le découpage
adéquat pour cette compilation de traités. Toutefois, sans
préjuger de la validité de l'ordre donné par W.H.S. Jones,
on préférera la décomposition de Jacques Jouanna, qui a le
mérite de nous renseigner sur les auteurs du corpus.
Examinons maintenant le problème de l'auteur du
Corpus.
I.3. La
question de l'auteur du corpus
On verra d'abord pourquoi le Corpus ne peut
être l'oeuvre d'un seul auteur, puis, les traités qui doivent
être attribués à l'école de Cnide, de Cos pour finir
avec les traités indépendants.
I.3.1. Un auteur unique ?
Il est désormais communément admis qu'Hippocrate
n'a pu écrire seul ces traités car plus d'une vie aurait
été nécessaire pour l'établissement de cette
oeuvre20(*). De plus, les
théories proposées présentent d'importantes divergences et
les différences de vocabulaire ne peuvent s'expliquer par
l'évolution du style de l'auteur. Les quelques témoignages
anciens encore disponibles valident la thèse d'auteurs
multiples.21(*) Ainsi,
Aristote22(*) attribue une
description des vaisseaux sanguins à Polybe, gendre
d'Hippocrate23(*).On
connaît cette description grâce au traité Nature de
l'homme dans lequel on retrouve la théorie des humeurs, qui selon
Galien, est l'un des principaux enseignement d'Hippocrate24(*). Selon Aristote, le
traité Nature des os est attribué à
Syennésis de Chypre25(*). Au fil du temps, la tradition a attribué
à Hippocrate, plus célèbre, la paternité de
traités de médecins plus obscurs alors qu'Aristote connaissait
encore le nom des auteurs des traités26(*). Les savant de l'Antiquité ont tenté de
déterminer les traités pouvant être attribués
à Hippocrate, suivit en cela par les modernes. Toutefois, en l'absence
de résultat et malgré
l'hétérogénéité de la Collection, il se
dégage une unité de pensée tant dans l'approche
rationnelle de la maladie que dans la réflexion sur l'art médical
et la déontologie. On peut donc parler d'une unité de
médecine ou de pensée hippocratique27(*).
Afin d'étudier les auteurs des traités, on
reprendra la division effectuée par Jacques Jouanna.
On n'étudiera pas ici les écoles de Cos et de
Cnide dans le détail, cette étude étant
réservée pour une autre partie de ce travail. On s'attachera
à faire ressortir quelques traits marquants permettant d'attribuer
à telle ou telle école chacun des traités.
I.3.2. Les traités
rattachés à l'Ecole de Cnide28(*)
La plus ancienne attestation d'une littérature
médicale cnidienne se trouve dans la collection hippocratique
elle-même29(*).
C'est dans le préambule du « Régimes dans les
maladies aiguës » que l'on entend parler pour la
première fois d'un ouvrage cnidien. Selon Galien30(*),
« Régimes dans les maladies aiguës »
aurait été écrit par Hippocrate lui-même. Il y
voyait une polémique de ce dernier contre ses parents, les
Asclépiades de Cnide31(*). Littré s'est rangé également
à cet avis. Nous n'avons toujours pas la preuve que ce traité fut
bien écrit par Hippocrate. On sait toutefois qu'il fait partie des
traités les plus anciens de la Collection car il est déjà
connu par Bacchéios.
On trouve dans ces traités, une tradition
médicale close, non orientée par l'expérience du
médecin voyageur comme c'est le cas dans les
« Epidémies »32(*). Les auteurs
s'intéressent moins aux malades individuels qu'aux maladies
codifiées et subdivisées en variété très
subtiles. Ces maladies sont décrites comme des entités
généralement indépendante du lieu, du moment, et
même assez souvent de la nature du malade. Ces traités ne
comportent pas non plus de réflexions générales sur la
méthode et l'art médical. Mais la description des symptômes
y est minutieuse et on y trouve, pour la première fois, dans l'histoire
de la médecine, la description de l'auscultation. Ce groupe de
traité représente une médecine plus traditionnelle que
celle de Cos33(*).
Cette position entraîne des reproches par l'auteur de
« régime dans les maladies aiguës ».
Il conteste :
- l' insuffisance de l'observation des signes pour
établir un véritable pronostic,
- un dénombrement trop précis des maladies au
point qu'à chaque symptôme différent correspond une
nouvelle maladie34(*),
- une thérapeutique sommaire privilégiant une
médication à base d'évacuants, de lait ou de petit-lait et
négligeant le régime35(*).
Or plusieurs traités de la collection présentent
des ressemblances avec ces caractéristiques. Par conséquent, il
est possible d'y voir des traités cnidiens.
C'est, par exemple, le cas de
« Maladies » II et III ainsi qu'
« Affections internes ». Comme les cnidiens,
l'auteur discerne quatre ictères36(*), quatre maladies des reins, trois tétanos,
trois phtisies37(*).
On peut rattacher à ce groupe les traités
gynécologiques qui présentent entre eux des rédactions
parallèles : « Nature de la femme »,
« Maladies des femmes » I,II et des
« Femmes stériles ». En effet, ils sont
constitués d'une succession de plusieurs notices sur les
différentes maladies. Ils sont rédigés suivant le
même schéma comprenant trois parties fondamentales : la
description des symptômes, le pronostic et la thérapeutique.
Parfois s'y ajoutent des listes de remèdes38(*).
I.3.3. Les traités
rattachés à l'Ecole de Cos
Le groupe des traités chirurgicaux sont
traditionnellement rattachés à l'école de Cos39(*). Ils décrivent avec
minutie les différentes plaies à la tête, les
méthodes pour réduire les luxations. Ces oeuvres étaient
destinées à la publication. A côté, on trouve des
oeuvres telles que Officine du médecin qui devaient servir
d'aide mémoire40(*).
Par ce qu'ils sont issus de l'expérience des
médecins qui ont voyagé et exercé dans différentes
cités éloignées de leur pays d'origine, on verra dans la
troisième partie de ce travail pourquoi cette caractéristique est
typique de l'école de Cos, il est possible de rattacher le groupe
des Epidémies dans lequel est noté, années
après années, les maladies dominantes mises en relation avec le
climat dans les différentes cités. De même,
l'évolution des maladies est noté avec soin en mentionnant les
jours pendant lesquels elles ont été observées. On y
trouve également des propositions générales tirées
de l'observation.
L'étude de la terminologie permet de rattacher
plusieurs autres traités, notamment celui des humeurs qui a des liens
étroits avec ce groupe, et plus particulièrement avec le
sous-groupe des « Epidémies II, IV, et VI »
à l'école de Cos41(*).
Le même raisonnement permet de rattacher
« Airs, Eaux, Lieux » à ce groupe car le
traité est destiné au médecin qui s'installe dans une
ville nouvelle. Y est expliqué comment les différents climats
peuvent avoir un impact sur les différents peuples :
« Dans la cité qui est située face aux
vents chauds - ce sont les vents qui soufflent entre le lever hivernal au
soleil et son coucher hivernal- et qui reçoit habituellement ces vents,
tandis qu'elle est à l'abri des vents venant des Ourses, dans cette
cité il est nécessaire qu'il en soit ainsi : les eaux son
abondantes, légèrement salées et proches de surface,
chaudes en été mais froides en hiver ; les habitants ont la
tête humide et phlegmatique, leurs cavités se dérangent
souvent du fait que le phlegme descendant de la tête flue sur elles, leur
constitution physique est généralement plutôt
relâchée et ils ne sont pas capable de bien manger ni de bien
boire ; car ceux qui ont la tête faible ne sauraient être
capables de bien boire : l'ivresse les accable plus que les autres. Et
quant aux maladies, voici celles qui sont locales : »
En suivant le raisonnement de l'auteur de ce traité, on
s'aperçoit que les croyances divines ne sont plus
considérées comme étant la cause des maladies. Par
conséquent, on peut intégrer dans ce groupe le traité
« Maladie Sacrée », attaque virulente
contre le charlatanisme où l'auteur soutient qu'il n'y a rien de plus
sacrée dans les causes de cette maladie que dans celles des
autres42(*).
Restant dans le principe de l'aide aux médecins
itinérants qui doit, quelles que soit les circonstances, savoir
interpréter les signes pour connaître la maladie dont souffre le
malade, on trouve le traité « Pronostic »
qui traite des signes favorables ou défavorables dans le cas des
maladies aiguës. Pour ce qui est de la thérapeutique à
mettre en oeuvre, elle est l'objet de « régime dans les
maladies aiguës »43(*).
A l'ensemble des traités de Cos peuvent s'adjoindre des
oeuvres dont la forme aphoristique a assuré une large diffusion du
savoir hippocratique. Les Aphorismes dont le début contient la
fameuse maxime « la vie est courte, l'art est long », est
le traité qui fut le plus lu, cité, édité et
commenté. Les « prénotions
coaques », peuvent également y être
rattachée44(*).
Le Serment était vraisemblablement
prêté, au sein de l'école médicale de Cos par les
disciples liés par un contrat d'association et recevant l'enseignement
moyennant salaire, à une époque où l'école
médicale s'ouvrit aux membres extérieurs à la familles des
Asclépiades45(*).
I.3.4. Les traités
indépendants
Des traités indépendants de Cos ou de Cnide sont
venus grossir la collection. Les plus important sont les traités
à tendance philosophique46(*). Ils affirment, comme un préalable à la
médecine, la nécessité d'une connaissance des
éléments constitutifs de la nature humaine. Ces
éléments premiers se confondent avec ceux de l'univers. Les deux
grands traités à tendance philosophique non attestés dans
la liste d'Erotien47(*)
sont les « Chairs » et le
« Régime ». Leur méthode est
comparable mais leurs conceptions de l'homme et de l'univers sont
différentes. Les « Chairs » part d'une
cosmologie à trois éléments alors que
« Régime » n'en retient que deux. Ces deux
traités sont contemporains d'Hippocrate48(*).
Plus récent est un autre traité à
tendance philosophique, les traités
« Semaines ». Il établit une correspondance
entre l'homme microcosme et l'univers macrocosme et prétend vouloir tout
expliquer par le nombre sept49(*).
Contre cette médecine philosophique, des
réactions avaient déjà été recensées.
Un traité attribué à l'école de Cos,
« Nature de l'homme » critique les philosophes qui
considèrent que la nature humaine est constituée d'un
élément unique que ce soit le feu ou l'eau.. Le suivant est
« Ancienne médecine ». Son auteur
dénonce les médecins qui veulent innover en expliquant les
maladies par des postulats simplificateurs tels que le chaud, le froid,
l'humide ou le sec. Il renverse les exigences de la médecine
philosophique en affirmant que toute connaissance positive sur la nature
humaine doit découler d'elle-même.
Ces deux traités font apparaître la
médecine comme science autonome dégagée de toute influence
philosophique50(*).
Certains traités, par leur connaissance anatomique sont
postérieurs à Hippocrate51(*). C'est le cas du traité Coeur qui
témoigne d'une connaissance inconnue à Hippocrate. Trois
traités déontologiques, Bienséance, Préceptes,
et Médecin prônent une éthique
médicale dans le droit fil de l'idéal hippocratique :
respect du malade et condamnation des charlatans52(*).
Même si aucun classement ne peut rendre compte du
corpus, celui-ci permet de voir sa formation dont le noyau le plus ancien est
issu d'Hippocrate et de ses disciples. Si le derniers est
hétérogène, les deux premiers sont plus homogènes
même si on ne peut pas dire avec certitude que tel ou tel traité
provient bien de Cos ou de Cnide.53(*)
Après avoir examiné le problème de la
constitution du corpus, de l'auteur, il est nécessaire
d'étudier les principales théories de cette Collection afin de
comprendre pourquoi elle a marqué durablement la médecine
occidentale.
II. L'APPORT DU CORPUS A LA
MEDECINE
Qu'est ce que le corpus a apporté de nouveau
aux théories médicales de l'Antiquité ?
Trois éléments font de l'oeuvre hippocratique,
un tournant dans la science médicale. Tout d'abord, sortant des sentiers
tracés par les philosophes monistes, émergea la théorie
des humeurs qui expliquait le fonctionnement du corps humain. De plus, les
maladies furent désormais considérées comme des
phénomènes naturels. Enfin, l'oeuvre attacha une grande
importance au diagnostic.
II.1.
La théorie des humeurs
« le corps de l'homme a en lui sang, pituite, bile
jaune et noire ; c'est là ce qui en constitue la nature et ce qui y
crée la maladie et la santé. »
La doctrine des humeurs eut probablement son origine dans
l'observation de la physiologie humaine mais fut fortement colorée par
la philosophie54(*) dont
les représentants s'intéressèrent aux fonctionnements du
corps humain. Selon Anaximandre,55(*) le corps de l'homme était composé
d'éléments opposés dont il ne cernait pas encore le
fonctionnement. Les penseurs qui lui succédèrent aboutirent
à la conclusion que l'homme était fait de quatre
éléments, la terre, l'air, l'eau et le feu. Toutefois, ils
n'étaient pas unanimes en ce qui concernait le nombre
d'éléments présent dans le corps56(*). Selon Alcméon de
Croton57(*), il y aurait
un nombre indéfini d'éléments dans le corps de
l'homme.58(*)
Beaucoup de penseurs, plus philosophes que médecins
considéraient que les principaux composants opposés dans l'homme
étaient le feu, l'air, l'eau et la terre59(*).
A cette théorie de composants air, eau, feu, terre,
succéda la théorie selon laquelle le chaud, le froid, l'humide et
le sec étaient des pouvoirs de seconde importance. Le corps avait des
éléments essentiels qui agissaient aussi bien sur la santé
que sur la température. Or, si le corps est composé d'humeurs
opposées, si la santé dépend d'un mélange
harmonieux, la maladie doit dépendre de la primauté de l'un sur
les autres60(*). On
retrouve cette théorie dans le traité hippocratique Ancienne
médecine qui retrace l'histoire de la médecine.
Les deux maladies les plus communes dans la Grèce
ancienne étaient la pneumonie et la malaria. Elles suggéraient
que les principales de ces quatre humeurs étaient le phlegme, la bile
noire et jaune ainsi que le sang61(*).
Cette doctrine admettait plusieurs
interprétations : Peltron d'Aegina considérait que les
maladies étaient dues à un régime
défectueux62(*) : la bile était le résultat, non
la cause de la maladie. Hippon pensait qu'une quantité convenable
d'humidité était la raison de la santé, Philolaus que la
maladie était due à la bile, au phlegme et au sang, Menecrates
que le corps était composé de bile jaune, de phlegme, de sang et
de bile noire63(*).
La Collection hippocratique montre la même
diversité d'opinion. « Maladies IV » donne
quatre humeurs, la bile jaune, le phlegme, le sang et la bile noire.
« Affections I » attribue toutes les maladies
à la bile et au phlegme tout comme « Airs, Eaux,
Lieux » et « Epidémies
I. »64(*).
Malgré ces différences, se distingue un principe
commun : la santé est un harmonieux mélange des
éléments constituants le corps 65(*).
Le traité qui en fit le plus clairement
état, Ancienne Médecine semble avoir été
écrit par différents auteurs66(*). On l'attribua, d'une part à Polybe, d'autre
part à Hippocrate. Le principal intérêt de ce texte
résidait dans l'établissement d'une doctrine sur la constitution
du corps qui remet en cause celle établie par les philosophes
monistes.67(*) Pour
l'auteur, il existe en l'homme quatre humeurs, analogue dans leurs fonctions et
leur exécutions68(*).
Selon les médecins hippocratiques, même si ces
humeurs étaient toujours présentes dans le corps, leur
augmentation et leur diminution variaient en fonction des saisons69(*). Le phlegme dominait en hiver,
le sang au printemps, la bile jaune en été et la bile noire en
automne.
Par conséquent, ces réflexions amenaient
à la conclusion que les causes des maladies étaient liées
aux lois de la nature et non aux dieux. C'est l'objet de notre seconde sous
partie.
II.2.
Toutes les maladies ont des causes naturelles : la recherche d'une
méthode et le divorce médecine/philosophie
Ce sont les physiologoi70(*) qui, les premiers ont
attribué à une cause physique les phénomènes
naturels et l'absence d'intervention des divinités dans ce
processus.71(*)
L'une des principales batailles que les médecins
hippocratiques eurent à mener fut de faire accepter que la maladie
puisse être un phénomène naturel, effet de causes
naturelles72(*). Les
milésiens73(*)
avaient rejeté l'idée d'intervention divine dans des domaines tel
que la météorologie et l'astronomie ; les médecins en
firent autant en médecine. Le traité « Maladie
sacrée » fournit une information précieuse pour
illustrer comment les médecins entendaient réfuter les croyances
magico religieuses74(*).
Les premiers mots du traités sont les suivants :
« sur la maladie dite sacrée, voici ce qu'il
en est. Elle ne me paraît nullement plus divine que les autres maladies
ni plus sacrée, mais de même que toutes les autres maladies ont
une origine naturelle à partir de laquelle elles naissent, cette maladie
a une origine naturelle et une cause déclenchante. Les hommes,
cependant, croient qu'elle est une oeuvre divine du fait de leur
incompétence et de leur étonnement devant une maladie qui ne leur
paraît nullement semblable aux autres. »
Il comparait ceux qui, les premiers, prirent cette maladie
pour une maladie sacrée avec « les magiciens, purificateurs et
charlatans ». Ces personnages se rendirent d'abord coupable de
malhonnêteté : appeler sacrée cette maladie,
n'était qu'un moyen de cacher leur ignorance sur celle-ci. Ils
prescrivaient une méthode de traitement qui comportait le recours aux
incantations et la prohibition de certains types d'aliments et de
vêtements.
Bien que l'on puisse relever quelques traces de superstition
dans les écrits hippocratiques, la majorité des médecins
étaient d'accord avec l'auteur du traité « Maladie
sacrée » pour rejeter l'idée que les maladies
pouvaient avoir pour causes des agents surnaturels75(*).
Toutefois, la variété des vues sur la causes des
maladies était importante. On pouvait aussi bien considérer que
les maladies avaient une origine unique tout comme que l'existence de deux
symptômes différents engendrait deux maladies
différentes.
Les traités qui s'attachèrent à ce
problème furent des morceaux de bravoure, destinées à des
exhibitions d'art oratoire. Par exemple, l'auteur du traité
« Des souffles » énumérait des
maladies banales, en faisant remarquer que chacune d'elles avaient un rapport
avec le souffle ou l'air puis déclarait triomphalement qu'il avait ainsi
démontré que l'air était la cause de toutes les maladies.
Plusieurs auteurs avaient ainsi des remarques intéressantes à
présenter, notamment sur le concept de cause. Ainsi l'auteur de
Ancienne médecine mettait en garde contre le fait de confondre
la maladie avec ce qui ne faisait que coïncider avec elle. Le
traité Régime dans les maladies aiguës, remarque
que les mêmes symptômes peuvent admettre des explications
très différentes.
C'est ici que la philosophie, très présente dans
le corpus, devait divorcer de la médecine. En effet, selon
l'auteur de Ancienne médecine, il ne convenait pas d'importer
dans la médecine les méthodes des philosophes. Il condamnait ceux
qui appuyaient leurs théories sur des postulats tel que le chaud, le
froid, le sec ou l'humide. La première critique était qu'elles
rétrécissaient le principe des causes de la maladies. Selon lui
le traitement n'était pas une affaire de chance, il demandait de
l'habileté76(*).
Cela revenait à affirmer qu'une théorie
scientifique devait nécessairement être contrôlable. On
n'étudiera pas les rapports entre la philosophie et la médecine
dans le détail, car, même si l'histoire de la médecine est
un point important de notre étude, l'objectif de ce travail est de mieux
connaître les parthenoi grecques.
L'auteur de Ancienne médecine laisse quelques
recommandations méthodologiques. Ses théories sur l'origine des
maladies sont plus complexes que celles sur le « chaud » et
le « froid » mais tout aussi arbitraires car il existe,
selon lui dans le corps, beaucoup de chose différentes ayant une grande
variété de pouvoir ou d'effets. Or, dans le chapitre 1, il
considère qu'une théorie ne doit pas se fonder sur des
présuppositions arbitraires et qu'elle doit être susceptible de
vérification.
De même dans Nature de l'homme, l'auteur
critique ceux qui considèrent que l'homme est composé d'air, de
feu, d'eau ou de terre chacun ajoutant à son explication des faits et
des preuves qui se réduisent à rien. Mais lui, énonce les
constituants de l'homme, soit les quatre humeurs. En quoi son argument est-il
plus recevable que celui des autres ? Le sien réside dans
l'utilisation de certaines drogues pour évacuer ou purger le flegme et
les deux sortes de bile, preuve de leur présence mais ne permettant pas
d'établir ce que, selon lui, elles permettent de démontrer.
Les traités Ancienne médecine et
Nature de l'homme opposent tous deux une résistance à
l'invasion de la médecine par les idées et par les
méthodes de la philosophie. Ils rejettent les spéculations
arbitraires, et soulignent la nécessité d'apporter des preuves en
faveur de toute théorie générale.
L'intérêt de ces traités consiste en ce
qu'il manifestent une conscience grandissante à l'égard de la
méthode et les thèses qu'ils présentent sont le reflet
d'une importante différence d'attitude entre les médecins et les
philosophes. Toutefois, renoncer aux postulats
« invérifiables » aurait signifié l'abandon
total de toute recherche théorique77(*).
On n'insistera pas plus sur la théorie des humeurs car,
bien que présente dans un grand nombre de traités, qu'elle ait
bénéficié d'un rayonnement prolongé, certainement
grâce à Galien, sur la médecine et sur la conception de
l'homme, c'est ce qu'il y a de plus périmé dans l'héritage
hippocratique78(*).
Conscient de la difficulté qu'il y avait à
pénétrer dans ce monde de l'invisible qu'est l'intérieur
du corps, les médecins tentèrent de guider et de justifier leur
reconstruction des phénomènes internes invisibles par analogie
avec les phénomènes visibles à l'extérieur.
Abordons maintenant le dernier apport du corpus à la
médecine, le pronostic, dans son importance pour le médecin puis
dans ses caractéristiques.
II.3.
Du pronostic
II.3.1.Du coté du médecin
Selon G.E.R. Lloyd, il est possible que le pronostic,
formellement reconnu comme un moyen de convaincre les patients d'accepter un
traitement, ait été vu comme une forme de divination79(*). Le début du
traité Pronostic en fournit un bon exemple :
« Pour un médecin, à mon avis, ce
qu'il y a de mieux c'est de savoir pratiquer le pronostic. Prévoyant et
prédisant, auprès des malades, le présent, le passé
et l'avenir de leurs maladies, et expliquant ce qu'ils omettent, il leur
persuadera qu'il connaît mieux qu'un autre les affaires des malades, si
bien que les gens oseront s'en remettre au médecin. Quant au traitement,
il le mènera de la meilleure façon, sachant d'avance ce qui
arrivera d'après les affections présentes,[...] De la sorte le
médecin sera admiré à juste titre et il sera un bon
médecin. En effet, ceux dont la guérison est possible, il sera
plus capable de les préserver du péril, en se
précautionnant de plus loin contre chaque accident ; et,
prévoyant et prédisant quels sont ceux qui doivent périr
ou réchapper, il sera exempt de blâme. »
Le pronostic porte sur le passé, le présent et
le futur. Cette vision se comprend dans le cadre du contexte de concurrence
dans lequel évolue les médecins hippocratiques80(*). Les devins, pour
guérir les hommes des maladies, semble s'être appuyés sur
le passé, le présent et le futur. On peut en trouver un exemple
au début de l'Iliade, lorsqu'une pestilence s'abat sur l'armée
d'Agamemnon qui assiège Troie. Calchas, devin, explique comment le mal
peut être éloigné de l'armée.
« Et voici que se lève Calchas, fils de
Thestor, de beaucoup le meilleur des devins, qui connaît le
présent, le futur, le passé[...] Ce n'est pas pour un voeu, une
hécatombe omise, qu'ici se plaint le dieu. C'est pour son prêtre,
à qui Agamemnon a fait affront naguère, en refusant de
délivrer sa fille et d'agréer une rançon. Voilà
pourquoi l'Archer vous a octroyé des souffrances et vous en octroiera
encore. Des Danaens il n'écartera pas le fléau outrageux, avant
qu'ils n'aient à son père rendu la vierge aux yeux vifs, sans
marché, sans rançon, et mené à Chrysé une
sainte hécatombe. Ce jour là seulement, nous le pourrons apaiser
et convaincre. »81(*)
Entre les attributs que l'on donnait à Calchas et ceux
du médecin décrit pas Pronostic, la coïncidence est
remarquable. On peut donc dire que le pronostic ressemble à une
prophétie, puisque que la connaissance porte sur le passé, le
présent et l'avenir. La différence réside dans le fait
qu'il tire son origine, non pas des signes envoyés par les dieux mais
des symptômes de l'état du malade82(*).
La prévision de l'avenir reste ce qui intéresse
le malade. Mais le médecin considère comme un beau succès
de pouvoir annoncer le passé, et le présent en retrouvant les
maux qu'il a pressenti83(*).
Ainsi, le médecin hippocratique, en découvrant
le passé, le présent et l'évolution de la maladie, se
rapproche du devin bien que sa technique afin de fonder sa prédiction,
la méthode rationnelle, soit différente. Toutefois, pour l'homme
du peuple qui a pu, au théâtre, voir des médecins mythiques
ou des dieux médecins84(*), la parole du médecin humain
énonçant un pronostic peut devenir, dans son esprit, une parole
prophétique suscitant étonnement et admiration85(*).
Cet état de fait a été compris par nombre
de médecins qui ont tenté de s'imposer avec des diagnostics
spectaculaires. Ainsi l'auteur du Prorrhétique II :
« Un malade paraît condamné à
son médecin traitant et aux autres personnes ; mais un autre
médecin survient et déclare que le malade ne périra pas,
mais qu'il deviendra aveugle ; ou auprès d'un autre malade qui
paraît être au plus mal, il survient et prédit que l'homme
se relèvera mais qu'il sera estropié d'un bras ; ou bien
chez un autre malade qui ne semble pas devoir en réchapper, il
déclare qu'il guérira mais que ces doigts de pied vont noircir et
tomber en pourriture. »
De telles pratiques sont condamnées par le
médecin auteur du Prorrhétique II :
«Pour moi, (dit l'auteur du Prorrhétique
II), je ne ferai point de telles divinations ; mais
j'écris les signes par lesquels on doit conjecturer ceux des malades qui
guériront, et ceux qui mourront, ceux qui guériront en peu de
temps ou en beaucoup de temps, et de même pour ceux qui
mourront. »
Toutefois, l'auteur admet qu'il est possible d'en faire si
elles reposaient sur le savoir médical :
« Il faut prédire en ayant une parfaite
connaissance de tout cela, quand on désire faire de telles
prédictions théâtrales. »
On retrouve ici l'esprit qui dominait dans le corpus,
ne pas faire plus de mal que nécessaire. Si les procédés
qui suscitent l'étonnement ne vont pas à l'encontre du malade et
de l'exigence de l'art, il est possible de les utiliser.
Ce que le médecin recherche dans son pronostic, c'est
la justesse et la rapidité car elles restent le meilleur moyen d'asseoir
une réputation86(*). L'idéal est un verdict rapide permettant de
calmer la famille et de devancer les rivaux.
Ce type de point de vue entraîne, quelquefois, des
pronostics à distance. On en retrouve la trace dans le traité
Plaies de la tête :
« Voilà ce qu'il faut dire après
avoir examiné de loin, sans toucher l'homme »
Examiner à distance un malade peut permettre au
médecin de décider si le malade était curable ou non.
Toutefois, la non intervention semble être restée exceptionnelle,
le Corpus ne nous en laissant que deux traces, l'une pour une
affection du poumon87(*),
« Dans ce cas, si désormais les cheveux
tombent et que la tête soit désormais dénudée et si,
lorsqu'il crache sur des charbons, les matières glaireuses
dégagent une odeur forte, prédisez qu'il mourra dans un bref
délai...Dans ce cas, ne traitez pas le malade. »
l'autre une maladie des femmes, la formation d'une
môle.
« Autant que possible, ne pas traiter un tel
cas ; et si on le traite, avertir »
Ailleurs, même en cas de maladie mortelle, un traitement
est indiqué88(*).
Néanmoins, il existe d'autres témoignages qui
font part d'un refus de soigner si le malade ne peut se prêter activement
au traitement89(*). A
l'époque d'Hippocrate, cette position faisait déjà
débat. On reproche aux médecins de ne soigner que des maladies
qui se guérissent sans aide extérieure tandis qu'ils refusent de
soigner celles dont la connaissance de la médecine est
nécessaire. Même si cette position peut paraître
scandaleuse, il faut se rappeler que le médecin hippocratique
évolue dans une période où la médecine
s'érige en science et que ces critiques sont, par conséquent,
plus dictées dans le but d'attaquer la médecine rationnelle que
pour le bien être des malades90(*).
A :
« Si l'art existait vraiment, il faudrait soigner
toutes les maladies sans distinctions. »
l'auteur de l'Art répond :
« Exiger que l'art ait la puissance dans les
domaines qui ne relèvent pas de l'art, ou la nature dans des domaines
qui ne relèvent pas de la nature, c'est être ignorant d'une
ignorance qui tient plus de la folie que de l'absence de savoir. »
Selon lui, le fait de ne soigner que des malades curables
relèvent de la définition même de la
médecine :
« je vais définir, ce qu'est selon moi la
médecine. C'est délivrer complètement les malades de leurs
souffrances ou émousser la violence des maladies, et ne pas traiter les
malades qui sont vaincus par la maladie. »
On retrouve cette vision dans République de
Platon qui considère que ce raisonnement vaut pour toutes les
sciences :
« Les hommes de l'art experts, par exemple le pilote
et le médecin éminents, savent faire la distinction dans leur art
entre l'impossible et le possible, et entreprennent le possible mais laissent
l'impossible. »
Mais, la position des médecins hippocratiques sur le
curable et l'incurable peut varier :
« De tel cas, dira-t-on, sont extérieurs
à la médecine ; à quoi bon, dès lors, porter
encore sa connaissance sur les affections devenues désormais
incurable ? Mais il s'en faut de beaucoup qu'on doive raisonner ainsi.
C'est au même domaine de la réflexion qu'appartient aussi le fait
de les connaître ; car il n'est pas possible de les séparer
des autres. En effet, pour les affections curables, on doit faire en sorte
qu'elles ne deviennent pas incurable, en connaissant quelle est la meilleure
voie pour les empêcher de passer à la catégorie de
l'incurable ; quant aux affections incurables, on doit les
connaître, afin de ne pas causer des dommages inutiles. »
Derrière ces inquiétudes concernant le patient,
s'en dessine une autre, concernant le médecin lui-même. L'auteur
de Fractures le rappelle :
« Il faut autant que possible échapper
à de tels cas, si l'on possède une échappatoire honorable.
Les chances de salut sont rares tandis que les dangers sont nombreux. Si on ne
fait pas la réduction, on peut passer pour un ignorant de l'Art ;
et si on la fait, on peut amener le blessé plus près de la mort
que du salut. »
On voit ici la fragilité de la profession de
médecin, prisonnier du jugement du public. En refusant de soigner le
malade, ne nuit-il pas à sa réputation ? Au moment
où aucune loi, au sens moderne du terme, ne peut l'inquiéter,
c'est l'existence d'une censure sociale qui retient parfois la main du
médecin. Toutefois, rappelons que, si parfois le médecin se
dérobe, c'est souvent plus par égard à l'adresse du malade
que pour sauver sa réputation91(*).
II.2.2. Caractéristique du pronostic
Toujours dans le souci de voir les maladies comme des choses
naturelles, les médecins hippocratiques considèrent que des
observations méthodiques et détaillées sont
nécessaires pour connaître celle dont était affectée
le patient92(*).
C'est particulièrement visible chez l'auteur du
Pronostic qui s'intéresse aux maladies aiguës, c'est
à dire celles qui s'accompagnent d'une forte fièvre, telle que la
pneumonie ou la malaria. Il est nécessaire d'examiner le visage en
prenant garde à la texture et à la couleur de la peau. Les yeux
ont également une importance particulière :
« En effet, s'ils évitent l'éclat de
la lumière, ou s'ils larmoient sans cause normale,... si le blanc de
l'oeil est livide, ou si l'on y remarque la présence de veinules
sombres, ou si les yeux sont chassieux, si leurs mouvements sont
désordonnés, s'ils sont saillants, ou au contraire
enfoncés profondément,... tous ces symptômes doivent
être considérés comme de mauvais signes annonciateurs de la
mort. »
Le médecin doit aussi se renseigner sur la façon
dont le patient a dormi, sur ses intestins, sur son appétit ; il
doit prendre en note la posture du malade, sa respiration, la
température de sa tête, de ses mains, de ses pieds ;
plusieurs chapitres à part sont consacrés à l'art
d'interpréter les symptômes que l'on peut relever dans les selles,
l'urine, la matière vomies ou expectorées.
C'est grâce à ce type de théorie que le
Corpus a laissé sa marque dans l'histoire de la
médecine. Mais la diversité des auteurs a très vite
été oubliée pour ne laisser qu'à Hippocrate le
prestige de ce recueil. On terminera cette étude sur la globalité
du corpus par le rayonnement que ce dernier a eu sur les vingt derniers
siècles.
III.
LA POSTERITE DU CORPUS HIPPOCRATIQUE.
On abordera simultanément la période classique
jusqu' à Galien, puis de Galien jusqu'à l'Antiquité
tardive, le Moyen Age pour terminer avec la période moderne. Pour cette
partie, on se réfèrera au chapitre du même nom dans
l'ouvrage de Jacques Jouanna, La maladie sacrée, paru aux
Belles Lettres.
III.1. De l'époque
classique à Galien
Platon et Aristote témoignent du renom d'Hippocrate.
Malgré les progrès en anatomie qui périment nombre
d'affirmations du Corpus, son prestige ne s'est pas démenti.
Dès l'époque hellénistique, Hippocrate
est devenu un objet d'étude classique : c'est de cette
époque que datent les travaux d'érudition, réalisés
à Alexandrie. Ces ouvrages étaient déjà rares ou
introuvables à l'époque de Galien, et rien de la production des
III et IIème siècle avant Jésus-Christ ne nous est
parvenue si ce n'est sous forme de brève citation dans des travaux
ultérieurs.
Cette époque est également celle de nouvelles
éditions du Corpus mais dont il ne nous reste rien.
Parmi les écoles médicales de l'époque
hellénistique et romaine93(*), certaines, comme l'école dogmatique94(*) ou empirique95(*), revendiquent le patronage
d'Hippocrate, tandis que d'autres, telle que l'école méthodique,
s'en éloignent96(*). L'école pneumatique, pour sa part,
réserve un témoignage étonnant : Arétée
de Cappadoce, manifeste jusque dans son langage l'influence d'Hippocrate :
il écrit en ionien et remet au goût du jour des termes rares non
usité depuis le Corpus hippocratique.
L'influence d'Hippocrate s'étend également aux
auteurs littéraires tel que Cicéron et Sénèque.
Ceux-ci le considèrent comme le plus illustre représentant de la
médecine97(*). Le
corpus fait d'ores et déjà partie du patrimoine
culturel.
III.2.
Galien et l'Antiquité tardive
C'est au IIème siècle que les études
hippocratiques atteignent leur apogée, avec Galien, qui accorde, dans
ses oeuvres médicales, une part importante à son modèle,
Hippocrate. Il revient, durant toute sa carrière, sur l'oeuvre
hippocratique et rédige les commentaires des traités
importants98(*) dont il
orientera l'interprétation durant plusieurs siècles. Il produit
plusieurs ouvrages sur différents points des doctrines hippocratiques
auxquelles il donne une conception personnelle. C'est avec lui qu'Hippocrate
prend les traits du médecin idéal, afin, dans l'esprit de Galien,
de montrer les défauts des médecins de son temps, corrompus par
la cupidité et la volupté. La personnalité de Galien,
praticien, théoricien, philologue, philosophe imprime sa marque à
l'héritage hippocratique et en modifie profondément la lecture.
En effet, après Galien, considéré comme l'aboutissement du
savoir antique, la médecine ne crée plus mais compile et
réorganise les connaissances accumulées. C'est l'époque
des grandes encyclopédies telle celle d'Oribase, médecin de
l'empereur Julien au IVème siècle, d'Aetius, au VIème
siècle, de Paul d'Egine, au VIIème siècle. Si le
corpus hippocratique reste présent dans les
ouvrages, c'est Galien qui occupe la première place.
De même, dans l'enseignement médical :
l'école d'Alexandrie inscrit à son programme d'étude
plusieurs traité hippocratiques, dont quatre, Aphorismes, Pronostic,
Régime des maladies aiguës et Airs, eaux, lieux, figurent dans
le canon alexandrin, fondement des études médicales, contre seize
pour Galien. A côté de ces ouvrages imposés, d'autres
étaient étudiés tels que : Nature de l'homme,
Nature de l'enfant, Humeurs, Aliment, Articulations, Fractures,
Epidémies, Maladies des femmes. Tous étaient
commentés par les professeurs, à la fois philosophes et
médecins mais s'il existait, pour les ouvrages au programme, un
commentaire de Galien, les travaux des professeurs d'Alexandrie portaient plus
sur le commentaire de Galien que sur les textes hippocratiques.
III.3. Le temps des
traductions
A partir du V-VIème siècle, des traductions
latines anonymes ont été élaborées en Italie,
à l'intention de ceux qui ne maîtrisaient pas le grec. Les
traductions se distinguent par leur fidélité à
l'original.
Au même moment, l'Orient traduit à son tour
massivement des ouvrages grecs, essentiellement philosophiques et
scientifiques. Dès le VIème siècle, une douzaine de
traités hippocratiques sont traduits en syriaque par Serge de Res'ayna,
mais ne laissent aucune trace. Les premières traductions
conservées sont datées du IXème siècle,
élaborées dans le cadre de la maison de la sagesse. Le texte est
souvent traduit en syriaque puis en arabe. On retrouve ici l'influence de
Galien car sont traduits ceux qu'il a commentés et la traduction ne
reprend, souvent, que ses commentaires. On peut qualifier cet hippocratisme
à l'oriental d'hippocratisme galénique. Les savants arabes,
à leur tour, s'emparent de ces textes mis à leur disposition pour
rédiger des commentaires.
Le XIème siècle marque une étape
décisive dans l'histoire du Corpus. En effet, les traductions
arabes faites au IXème siècle arrivent en Occident où
elles sont retraduites en latin, notamment par Constantin l'Africain, ce qui
donne un nouvel essor aux études médicales dans le monde
occidental. A Salerne, apparaît une école qui appuie son
enseignement sur ce nouveau corpus de traductions qu'elle imposera
comme la « vulgate » du texte hippocratique durant
plusieurs siècle. Réduit aux Aphorismes, Pronostic,
Régime des maladies aiguës, l'ensemble s'étoffe et
entre dans le recueil de l'Articella, corpus de textes qui
figurent au programme des études médicales des premières
grandes universités du Moyen Âge, que sont Montpellier, Bologne,
et Paris. A leur tour, ces traductions donnent matière à des
commentaires rédigés par les professeurs de médecine dans
leur enseignement. Face aux pesanteurs de la traduction universitaire, d'autres
traductions, réalisées à partir du grec, ne parviennent
pas à s'imposer malgré leur grandes précisions :
L'Articella, imprimée en 1473 règnera jusqu'en 1525,
année où Calvus publie la première traduction latine de
l'ensemble du corpus faite sur le modèle grec hippocratique et
non galénique. La parutions en 1526, de la première
édition grecque chez les Aldes, par Jean-François d'Asola, marque
le début d'une nouvelle époque : à la scolastique du
Moyen-Âge succèdent les travaux des philologues, traducteurs et
éditeurs, qui se poursuivent encore.
III.4. Les temps modernes
Dégagés du filtre galénique, grâce
à l'imprimerie, accessibles à tous les savants, les textes
hippocratiques continuent à nourrir la réflexion des modernes, en
particulier certains traités comme Aphorisme ou Airs, eaux,
lieux.
Chez les médecins se développe un courant de
retour à Hippocrate qui dure jusqu'au XVIIIème siècle, et
qui recherche dans l'oeuvre hippocratique des enseignements utiles ou des
modèles d'observations cliniques. Guilllaume de Baillou (XVIème
siècle), l'Anglais Thomas Sydenham (1624-1689) en sont les meilleurs
représentants avec le Hollandais Boerhaave (1668-1738), et Philippe
Pinel (1745-1826) ou encore Laennec, au XIXème siècle. Mais c'est
aussi au nom d'Hippocrate qu'on combat certains progrès, comme la
circulation sanguine de Harvey. Les partisans de Galien et d'Hippocrate
s'opposent vivement et montrent à quel point l'héritage des deux
médecins de l'Antiquité est encore vivant. Il faut attendre la
XIXème siècle pour que les progrès de la médecine
rendent caduques les théories de l'Antiquité. Désormais,
c'est par sa profondeur humaine qu'on lit le Corpus hippocratique,
l'un des témoignages de l'éveil de l'esprit scientifique en
Grèce.
Ce qui rend le Corpus précieux, c'est que, non
seulement il nous renseigne sur l'étendue des connaissances d'une
certaine médecine mais également sur le climat dans lequel
évoluait les médecins du Vème siècle. On peut,
grâce à lui, suivre les débats sur la reconnaissance de la
médecine comme art, ou sur l'histoire des croyances médicales. A
ce titre, on trouvera dans le second chapitre l'analyse du traité
Maladie sacrée mais également celle de ceux qui nous
renseignent sur la vision qu'un médecin pouvait avoir du corps d'une
femme, notamment l'ensemble Maladie des femmes ainsi que le
traité Maladie des jeunes filles.
Chapitre II
PRESENTATION DES TRAITES UTILES A CETTE
ETUDE
Voyons maintenant les traités qui nous ont
été utiles. O verra, dans un premier temps, Maladie
sacrée. Ce qui suit s'appuie sur les travaux de Jacques Jouanna.
Puis on abordera Maladie des jeunes filles en examinera la question de l'auteur
et du contenu. On fera de même pour l'ensemble Maladie des femmes.
I.
MALADIE SACREE
Le traité Maladie sacrée est le premier
témoignage conservé où la médecine rationnelle
s'oppose à la médecine magico-religieuse.
Le corpus hippocratique contient des traités
oraux. Maladie sacrée semble en être un. On peut diviser
les oraux en deux sous-sections, celle des cours et des discours99(*). Dans un premier temps, on
s'attachera à déterminer de quelle section relève le
traité Maladie Sacrée, puis, on étudiera le
contenu du traité, enfin, on abordera le problème de la date et
de l'auteur du traité.
I.1.
Fond et forme
Au regard du texte, il semble que celui-ci était lu. En
effet, tous les termes employés pour faire référence
à l'oeuvre appartient au champ lexical du mot
« dire »100(*). Pour souligner ces affirmations, bien que
n'apportant rien à la démonstration, l'auteur utilise le verbe
déclaratif à la première personne du singulier.
« D'autre part, je vois des gens tomber dans la folie et
le délire sans aucune cause apparente et accomplir bien des actes
inconvenants, et je sais que dans le sommeil bien des gens gémissent et
crient [...] A mon avis, ceux qui, les premiers, ont attribué un
caractère sacrée à cette maladie étaient des gens
comparable à ce que sont aujourd'hui encore mages, purificateurs,
mendiants et charlatans [...] Mais je crois, pour ma part, qu'aucun des Lybiens
qui habitent à l'intérieur des terres [...] Dans ces conditions,
à mon avis, tous ceux entreprennent de soigner de cette façon
[...] »Cependant je n'etime pas, pour ma part[...] Voilà
à mon avis, ce qu'il en est des purifications »
La façon dont l'auteur fait participer le public
conforte cette thèse. Enfin, il utilise le même champ lexical pour
parler de ses opposants101(*).
Le traité fait donc partie des oeuvres orales, reste
à savoir s'il s'agit d'un cours ou d'un discours.
Les différences entre ces deux catégories se
retrouvent d'abord dans la durée de l'exposé : le discours
est bref (vingt huit à trente minutes) tandis que le cours couvre une
heure dix à une heure trente102(*). Lors de ces conférences, le but de l'orateur
est d'être clair103(*).
Seconde différence, le début et la fin de
l'exposé oral. Pour entamer le sujet, la phrase est courte, sans
rhétorique : « sur la maladie dite sacrée, voici
ce qu'il en est. »104(*)Comparons avec le traité Art,
considéré par Jacques Jouanna comme appartenant à la
catégorie des discours.
« Il y a des gens qui se font un art de
décrier les arts , alors qu'ils s'imaginent, eux, non pas obtenir le
résultat que je dis, mais faire montre de leur propre savoir. A mon
avis, pourtant, découvrir une chose parmi celles qui n'ont pas
été trouvées, et qui, une fois trouvée, vaille
mieux que si elle n'avait pas été découverte, c'est
l'ambition et l'oeuvre de l'intelligence, comme aussi accomplir jusqu'à
son terme ce qui était à moitié accompli. Au contraire,
s'évertuer, par un art des discours qui n'ont rien d'honorable, à
discréditer ce qui a été trouvé par les autres,
sans apporter aucune amélioration, mais en calomniant les
découvertes de ceux qui savent auprès de ceux qui ne savent pas,
ce n'est plus, à ce qu'il me semble, l'ambition et l'oeuvre de
l'intelligence ; c'est au contraire un indice fâcheux sur le naturel
plutôt qu'une ignorance de l'art. »
Les phrases sont longues et il est peu probable que la
clarté fut le but recherché par cet auteur.
De même pour la fin de l'exposé. Les cours se
terminent par une brève phrase de conclusion très
générale. Toutes les théories du Vème siècle
considèrent que la conclusion d'un discours doit rappeler chacun des
point du sujet105(*)
C'est le cas dans le traité de l'Art.
L'introduction, la conclusion et la durée de
l'exposé semble indiqué que le traité « Maladie
Sacrée » est à classer dans la catégorie des
cours. Cette impression est renforcée par le souci de
démonstration et d'enseignement106(*). En effet, l'auteur promet de montrer et
d'enseigner. On peut donc en conclure que le public auquel il s'adresse est
composé d'élèves. Cette hypothèse permet
d'expliquer pourquoi l'auteur décrit avec tant de minutie le
système sanguin et l'orientation de sa conclusion vers les conseils au
médecin sur ce qu'il doit savoir pour traiter le malade.
Examinons à présent sur le contenu du
traité Maladie sacrée
I.2.
Contenu
L'une des notions fondamentales que sous-tend tend la critique
adressée aux purificateurs dans le traité est la notion de
cause107(*). Beaucoup
d'écrits médicaux attestent d'une réflexion sur la nature
de la causalité. On voit l'importance des critiques concernant les
croyance traditionnelles en revenant sur des arguments utilisées par
l'auteur de Maladie sacrée contre ses adversaires. Si on
prescrivait certaines choses, on était en contradiction avec
l'idée que la maladie provenait des dieux. Pour l'auteur, c'est ce qui
était régulièrement associé à la maladie qui
devait être tenu pour responsable108(*). Certes, les purificateurs pourraient dire qu'une
cause divine s'ajoute aux causes physiques. Néanmoins, plus on
établit des liens visibles et réguliers entre causes et effets
physiques, plus il est facile au médecin qui juge bon de soutenir qu'il
n'est pas nécessaire ni justifié de faire appel à d'autres
facteurs pour expliquer les maladies109(*).
Bien que le titre ne rappelle que la première partie du
traité, celui-ci en compte deux 110(*). Selon G.E.R. Lloyd111(*), le but du traité
serait de démontrer que la maladie dite sacrée n'était pas
plus sacrée que les autres, de dénoncer ceux qui
prétendaient la guérir par des purifications, des charmes.
Contrairement à Hippocrate, les croyances magico-religieuses
considéraient que l'apparition d'une crise était liée
à la possession du corps de l'être humain par un dieu112(*). Puis, il montre que le
cerveau est le siège de la pensée et que l'épilepsie lui
est due113(*).
L'étude qui suit s'attachera donc à respecter cette division du
texte. On verra dans un premier temps la critique que fait l'auteur de ceux
qu'ils considèrent comme des « charlatans » et qui
concerne le chapitre un de la traduction d'Emile Littré, puis
l'exposé des causes qui, selon lui, sont à l'origine de la
maladie. On reprend, pour la première partie, l'analyse faite par
Jacques Jouanna, dans son ouvrage consacré à la maladie
sacrée114(*).
L'idée de base du traité est que la maladie dite
sacrée n'est pas différente des autres et donc pas plus
sacrée. Comme les autres, ses causes sont d'origines naturelles. On
retrouve cette affirmation aux grandes articulations du traité,
notamment entre la partie polémique et la partie positive au chapitre
deux de l'édition de Jacques Jouanna :
« Quant à la maladie dont il s'agit ici, elle
ne me paraît pas plus divine que le reste, mais elle a la nature qu'ont
les autres maladies, et la cause dont chacune dérive. »
L'auteur voit deux raisons expliquant le caractère
divin de la maladie, l'incompétence et l'étonnement.
S'ensuit un développement sur l'incompétence de
ses adversaires qu'il accuse de tromperie, d'imposture, d'incohérence et
d'impiété. Il critique tous les purificateurs et toutes les
conceptions attribuant la maladie sacrée ou d'autres à une
intervention divine qui concéderait aux purifications rituelles une
influence quelconque sur les phénomènes naturels115(*). Sont ainsi mis en cause
tous les praticiens et toutes les croyances en général. La
divinité de la maladie, selon l'auteur, est un moyen de cacher leur
ignorance. Par conséquent, ils prescrivent un traitement en rapport avec
le divin (purification, incantation, interdit alimentaire et vestimentaire). Si
le malade guérit, alors le mérite leur en revient, si tel n'est
pas le cas, c'était le souhait de la divinité et l'on ne peut
rien faire. L'examen critique de cette thérapeutique par les
interdictions et les purifications conduit l'auteur à contester le
bien-fondé de l'une de leurs interdictions. En effet, il est
nécessaire de se tenir éloigné des chèvres, animaux
considérés comme épileptiques. Toutefois, les libyens de
l'intérieur sont en bonne santé alors qu'ils sont en contact avec
des chèvres. Il met également leur action en contradiction avec
leur parole : si l'on met en place des interdictions de type alimentaire,
cela signifie que la maladie est causée par le régime, non par la
divinité. Ainsi, les purifications sont inutiles. Même les
purifications prescrites à cause du caractère sacré de la
maladie se révèlent n'être que des pratiques humaines car
si les purifications écartent le mal par transfert, rien n'empêche
que l'on puisse le provoquer.
A ce moment, on assiste à un élargissement de la
polémique. Certes la critique de l'origine divine demeure mais on
bascule vers une critique de la conception du divin car les pratiques magiques
reviennent à vouloir soumettre la puissance du divin et par
conséquent il devient possible de les accuser
d'impiété.
La fin de la polémique porte sur la
thérapeutique par les purifications dont l'auteur montre le
caractère impie. En effet, les purifications sont inappropriées
car elles prétendent nettoyer une souillure. Or, il n'y a rien de plus
sacrée que la divinité.
Dans la seconde partie du traité, l'auteur nous donne
son point de vue sur la maladie, qu'il considère comme supérieur
à celui des guérisseurs Toutefois, force est de constater que son
explication est tout aussi surprenante. En effet, les vents seraient à
l'origine des crises, et sa façon de guérir l'épilepsie ne
semble pas plus soulager les malades que les remèdes des
guérisseurs116(*). Toutefois, l'auteur, et c'est ce qui le
différencie des guérisseurs, fit un effort pour fournir des
données observables. C'est certainement l'une des raisons qui lui fait
vouloir pratiquer l'autopsie, idée exceptionnelle dans
l'Antiquité. Sans doute ne l'a-t-il jamais pratiquée mais il est
intéressant de voir ce qu'il omet et ce qu'il inclut dans le but
d'établir que la maladie était due à des causes
naturelles. Toutefois, il ne pensa pas vérifier la description des
veines, description qui aurait pu être vérifiée par
l'observation. Ce texte montre que l'auteur a pensé à
étayer ses théories en faisant appel à ce qu'on pouvait
observer mais également que ses investigations furent les
résultats d'une recherche délibérée117(*).
De plus, l'auteur considère
comme un postulat que la nature était uniforme alors que celle-ci fait
encore débat118(*).
La seconde partie du traité
concerne la conception de la maladie selon l'auteur. Le développement
qui suit s'appuie sur un extrait d'un article d'Oswei TEMKIN119(*) dans lequel il explique,
chapitre par chapitre le traité.
Puisque la première partie a permis de conclure que la
maladie dite sacrée n'avait pas pour cause la volonté d'un dieu,
c'est que la cause de cette maladie est naturelle et par conséquent
curable. Selon l'auteur, l'épilepsie serait héréditaire et
toucherait surtout les individus au tempérament phlegmatique. L'agent
responsable de la crise serait le cerveau, qui, en l'absence d'une purge
correcte pendant la grossesse, génèrerait des crises. Afin de
comprendre cette thèse, l'auteur fait une description du système
de vaisseaux sanguins qui relie toutes les parties du corps au cerveau.
Les origines du mal doivent être cherchées
dès le stade embryonnaire. En effet, le cerveau se purge. Si la purge
n'est pas effectuée, le sujet devient phlegmatique et risque la maladie
si le phlegme n'est pas purgé après la naissance sous forme
d'écoulement. A ce moment, le flux de phlegme descendant du cerveau
cause des troubles divers suivant le trajet qu'il emprunte et peut se porter
sur le coeur, les poumons ou le ventre. S'il descend dans les deux gros
vaisseaux du foie et de la rate, le malade risque la crise d'épilepsie.
L'auteur énumère les symptômes et les reprend pour les
expliquer. La cause générale en est le refroidissement du sang
par le phlegme qui entraîne des perturbations du mouvement de l'air. De
même, il examine l'incidence de l'âge sur la manifestation et
l'issue de la maladie dans la perspective du pronostic. Même chose pour
les causes déclenchantes. Chez les adultes épileptiques
dès l'enfance, la cause de la crise réside dans le changement des
vents.
Ce traité est important pour l'histoire des
idées biologiques. C'est la première fois que la pensée
est dans le cerveau et non dans le coeur ou le diaphragme120(*).
Toutefois, sans rien enlever à la valeur du texte, on
peut rappeler les faiblesses de l'argumentaire. L'auteur rejetait toute
explication de la maladie par des causes divines et cherchait des arguments
dans l'observation. Mais, par des vérifications simples, ces
théories auraient pu être ébranlées. La notion
d'uniformité de la nature était un postulat, pas une
théorie qu'il chercherait à démontrer121(*) ; la distinction entre
les praticiens est peu claire, les connaissances anatomiques sont peu
précises et fantaisistes. A l'inverse, le point fort du texte se
retrouve dans l'efficacité pratique. Il faut savoir qu'après le
Vème siècle, la médecine des temples a continué
à prospérer et à même connu une véritable
expansion122(*).
Bien que l'unité de l'auteur ne soit plus remise en
question, tel ne fut pas le cas au début du vingtième
siècle. On va donc aborder les débats qui ont entouré la
désignation d'un auteur à ce traité ainsi que le
problème de sa datation.
I.3.
Date et auteur
I.3.1. Comment dater le
traité ?
On dispose de rares témoignages sur ce texte123(*), toutefois son existence
était déjà avérée à l'époque
hellénistique124(*). Il faisait déjà partie de la
Collection hippocratique vers 200 avant Jésus-Christ puisque cité
par Bacchéios de Tanagra, puis par Erotien, contemporain de
Néron125(*) qui
le considère comme écrit par Hippocrate lui-même.
Galien126(*) le
mentionne également. Il reste trois témoignages faisant
références au traité127(*) : une dans le traité Sur les
maladies aiguës et chroniques, une citation sur le régime chez
le médecin latin Caelius Aurelianus128(*) et un référence à la
curabilité de la maladie chez Paul de Nicée, médecin
byzantin. Les historiens129(*) s'accordent pour le dater du Vème ou
IVème siècle avant Jésus-Christ comme le traité
Airs, eaux, lieux considéré comme écrit par le
même auteur130(*).
Voyons maintenant le débat lié à l'auteur du
traité.
I.3.2. Dualité ou
unicité de l'auteur du traité ?
Au début du vingtième siècle, Wilamowitz,
dans son article sur Maladie Sacrée émet une
hypothèse selon laquelle le développement sur le cerveau aurait
été ajouté. Toutefois, il considère que les deux
parties sont du même auteur mais qu'elles ont été
réunies par insertions de l'une ou de l'autre.
Regenbogen, va plus loin131(*). Selon lui, le développement sur le cerveau
n'est pas du même auteur que le reste et serait un ajout d'un auteur plus
récent. Pour étayer sa thèse, il s'appuie sur des
différences dans le contenu, notamment l'anatomie des vaisseaux
sanguins, qui dans le corps du traité, parviennent au cerveau alors
qu'au chapitre 17, les vaisseaux parviennent au coeur. Regenbogen y voit un
moyen de distinguer deux auteurs de deux époques différentes,
l'un se rattachant à l'ancienne conception d'un système de
vaisseaux accordant la prééminence au cerveau et remontant
à Alcméon de Crotone, l'autre accordant la
prééminence au coeur et dérivant d'Empédocle.
S'y ajoutent des différences dans la langue et le
vocabulaire, toutefois, Regenbogen reconnaît qu'elles ne sont pas
significatives si elles sont prises séparément132(*).
La majeure partie des érudits du début du
vingtième siècle ont réagi et on soutenu le parti d'un
auteur unique133(*). Le
développement sur le cerveau a permit d'élargir et d'approfondir
ce qu'il avait dit de l'importance du cerveau pour expliquer la maladie
sacrée.
Examinons maintenant le deuxième traité fort utile
à notre argumentaire, Maladies des jeunes filles ainsi que,
brièvement, l'ensemble Maladies des femmes.
II. LE
TRAITE MALADIES DES JEUNES FILLES
II.1.
L'auteur : hypothèse
Selon Emile Littré, dans les arguments qui
précèdent chaque traduction des traités d'Hippocrate,
l'auteur de Des maladies des jeunes filles, serait le même que
celui de Maladies des femmes. En effet, ce traité est
cité deux fois dans le premier livre Maladies des femmes.
« Il est certain que l'auteur des livres sur les
Maladies des femmes avait composé un traité sur les maladies des
jeunes filles ; car il cite deux fois ce traité dans le premier
livre.[...] Mais de ce traité nous n'avons qu'un très court
fragment134(*) »
On a vu plus haut que, selon Jacques Jouanna,
différentes écoles avaient apporté leurs contributions au
corpus hippocratique. Je me suis donc demandée de qui pouvait
provenir ce traité, au regard de la classification établie par
Jacques Jouanna et ce que la connaissance de son identité pouvait nous
apporter pour la compréhension du texte.
Jacques Jouanna fait une distinction entre l'Ecole de Cos et
l'Ecole de Cnide. Avec celle-ci, on resterait, dit-il, dans le corridor de la
science135(*). On sait
que, dans Maladies des femmes, le thèse d'un utérus
vagabond est défendue. Par conséquent, ne serait-il pas possible
de rattacher Des maladies des jeunes filles à l'école de
Cnide ? Il ne s'agit ici que d'une supposition. Toutefois, sachant que
Maladies des femmes y est rattaché, cette hypothèse
n'est pas trop fantaisiste.
Une phrase, qui pourrait nous renseigner sur l'auteur,
m'interpelle. L'auteur explique ce que les femmes font quand, suite à
une attaque de la maladie sacrée, elles retrouvent la raison :
« Elles consacrent à Diane beaucoup
d'objets136(*) »
Il n'est pas possible de considérer que ce
traité date de l'époque romaine pour les raisons que l'on a
déjà exposé. Toutefois, on sait que les écoles de
médecine se sont, à une période de leur histoire, ouvertes
aux étrangers. On sait également que, de part leur prestige des
étrangers de Grande Grèce y ont suivi les enseignements
proposés137(*).
Deux possibilités peuvent expliquer l'utilisation de Diane et non
d'Artémis, son équivalent grec : soit, Emile Littré a
fait une erreur dans la traduction, soit l'auteur venait de Grande
Grèce. Je penche bien évidemment pour la seconde
hypothèse.
II.2.
Contenu
Un problème se pose lors de l'étude de ce
traité : il est nécessaire de savoir que nous n'en n'avons
qu'un fragment. Voici ce qu'il nous en reste ;
Dans un premier temps, l'auteur explique ce qu'il entend par
la médecine.
« Car il n'est pas possible de connaître la
nature des maladies, objet des recherches de l'art, si l'on ne connaît
pas la nature à son indivision, à ce début d'où
elle se développe138(*). »
On retrouve ici la vision hippocratique : toute chose
à une cause naturelle. L'auteur n'aurait certainement pas
éprouvé le besoin de rappeler ce postulat si nous n'étions
pas en pleine période de découverte de cette médecine. Il
n'est donc pas possible de dater ce texte de l'époque romaine. On peut
plutôt le situer aux alentours du Vème siècle, moment
où la médecine s'érige en science.
Puis, il expose les conséquences de la maladie dite
sacrée et explique pourquoi les femmes y sont plus exposées que
les hommes. Si elles sont plus touchées, c'est, dit-il à cause de
leur naturel moins fort qui, ne leur permettant pas de lutter contre les
visions d'horreur qu'engendrent la maladie, les pousse à se pendre. On
abordera ce rapport étroit qu'entretient la femme avec la pendaison dans
le titre trois de ce travail.
Parmi les femmes, les jeunes filles non mariées y sont
plus sensibles.
« Quand vient l'époque du mariage, ne se
mariant pas, éprouvent de préférence, à la
première éruption des règles,c es accidents auxquels,
auparavant elles n'étaient guère exposées139(*). »
En effet, lors des premières règles, le sang
s'écoule vers l'utérus pour atteindre l'orifice de sortie. Or si
celui-ci est fermé, du fait de la présence, encore intact, de
l'hymen, le sang remonte. La parthenos n'a pas les mêmes
conditions de vie que les garçons, (pas d'activités physiques
demandeuses d'énergie) le sang arrive en abondance causé par un
trop plein de nourriture non utilisé. Ceci implique, pour les
médecins hippocratiques, que la jeune fille a atteint sa taille d'adulte
et est prête à tenir ce rôle. C'est certainement cette
vision qui a fait dire aux Hippocratiques que la puberté se terminait au
moment où la parthenos voyait l'apparition de ses
règles.
L'auteur explique ensuite pourquoi ces symptômes sont
développés par les femmes :
« la femme a le transport à cause de
l'inflammation aïgue, l'envie de tuer à cause de la
putridité, des craintes et des frayeurs à cause des
ténèbres, le désir de s'étrangler à cause de
la pression autour du coeur140(*) »
critique le fait de consacrer des offrandes à Diane et
recommande aux jeunes filles de se marier le plus tôt possible car les
premiers rapports sexuels déchireront la membrane qui obstrue le
passage.
« Parmi les femmes mariées les femmes
stériles y sont plus exposées141(*). »
Ce qui revient à dire que, outre le sang,
l'utérus à quelque rapport avec la maladie dite sacrée.
Nous reviendrons sur ce point plus loin.
III.
MALADIES DES FEMMES
L'intérêt des Hippocratiques pour les femmes est
illustrée par le fait que, sur soixante traités conservés,
dix leur font référence et ceux-ci constituent certainement les
survivants d'un ensemble plus vaste. Hermann Grensemann argumente sur les
ressemblances de vocabulaire, sur la théorie des humeurs, et sur le fait
que ces traités ont été composés aux alentours de
450 avant Jésus-Christ. Certains chapitres auraient été
ajoutés ensuite. Toutefois il est possible que certains remaniements
aient eu lieu. Des considération de style, de vocabulaire
suggèrent le remaniement des chapitres de Maladies des femmes
stériles par au moins deux auteurs de la fin du cinquième
siècle142(*). Les
traités auraient été augmentés par un processus
d'accumulation ou auraient été compilés et
édités par l'auteur des dernières sections ou par le
dernier éditeur. Dans tous les cas, ce recueil est l'oeuvre de
différents auteurs et permet de voir que la gynécologie antique
n'était pas, elle n'ont plus, unitaire. Il est vrai que les sections
identifiées comme plus anciennes semblent avoir moins
élaborées la théorie humorale et que les sections plus
tardives sont en générale plus concernées par la
théorie que par la thérapie, mais l'étude des
différentes parties montre plus une complémentarité qu'une
opposition. Ainsi, Maladies des femmes 1.1 décrit le processus
de menstruation. Même s'il n'y a implicitement aucun écho à
ceci dans les autres traités, la description des symptômes de la
femme, des maladies qui la touche et des thérapies à entreprendre
se retrouve à travers Nature de la femmes, Maladies des femmes 1-2
et Maladies des femmes stériles143(*).
P11 : Le traité Nature des enfants semble
suivre le traité Génération. La phrase finale
Génération semble clairement indiquer que Nature des
enfants est la continuité de Génération et
donc du même auteur. Dans Génération, 4, l'auteur
explique pourquoi la femme tombe malade quand ses règles sont
supprimées. La référence apparaît être
Maladies des femmes 1-2-5. De plus, l'auteur des dernières
section de Maladies des femmes 1-2 et Maladies des femmes
stériles se réfère au travail qu'il a écrit
sous le nom de la Nature de l'enfant dans un contexte qui correspond
au passage de Nature de l'enfant 21 et 30. Le même auteur dit
qu'il a écrit un traité sur la maladie des jeunes filles dans
lequel il traite du passage des règles à travers l'anus. On ne
retrouve pas ce passage dans le traité De la maladie des jeunes
filles mais on a toutes les raisons de croire que ce qui nous est parvenu
n'est qu'un fragment du texte originel. Cependant la théorie
avancée dans ce dernier traité est tout à fait compatible
avec l'ensemble Maladies des femmes144(*).
Superfétation et De l'excision du
foetus traitent brièvement de ces deux seuls sujets. On a toutes
les raisons de croire qu'ils ont été écrits par Polybe,
gendre d'Hippocrate et qu'ils pourraient être datés de 400 avant
Jésus-Christ. En effet, ils sont discordants sur plusieurs points sans
toutefois être complètement étrangés à la
tradition hippocratique. Au vue des ces différentes connections, la
gynécologie hippocratique peut être considérée comme
étant unitaire145(*).
En plus des cet ensemble, les femmes sont abordées dans
d'autres traités, les Epidémiques, compilation de cas
auxquels les médecins furent confrontés146(*).
Parmi les textes anciens qui m'ont servi d'appui, on trouve
également Tthéogonie, Des travaux et des jours
d'Hésiode ainsi que Economique de Xenophon. Toutefois, ne
m'étant pas servi de ces textes dans leur intégralité mais
n'ayant emprunté que quelques extraits, je développerai leur
explication dans les différentes partie de ce mémoire.
DEUXIEME PARTIE
HISTORIOGRAPHIE
POUR UNE APPROCHE RAPIDE
DU SUJET
Bien que chaque auteur de la bibliographie ai apporté
sa pierre à l'édifice actuellement entre vos mains, il est
possible d'avoir une solide vue d'ensemble sur le sujet à partir de
treize ouvrages.
L'Hippocrate de Jacques Jouanna, est une bonne
entrée en matière.
Dans un premier temps, Jacques Jouanna fait une distinction
entre la part de légende qui entoure la vie d'Hippocrate et la
réalité. Il consacre un développement à
l'école de Cos dont Hippocrate a contribué à assurer la
renommée. La célébrité d'Hippocrate l'ayant
amené à être considéré comme l'auteur des
traités du corpus hippocratique, Jacques Jouanna, s'attache
à montrer le résultat des recherches sur les auteurs du
corpus qui aboutissent à la conclusion qu'une vie n'aurait pas
été suffisante pour qu'un seul homme l'écrive.
Puis, Jacques Jouanna propose une approche de ce que pouvait
être la vie d'un médecin à l'époque d'Hippocrate. La
profession de médecin n'est pas réglementée par la
cité et d'autres formes de médecine existent. L'auteur s'attache
donc à montrer que le médecin doit avant tout convaincre du
bien-fondé de ses soins. Ensuite, Jacques Jouanna brosse un tableau des
règles que le médecin s'imposait, tant dans sa relation avec le
malade qu'avec la maladie elle-même.
La troisième partie de l'oeuvre est consacrée au
contexte dans lequel naît la médecine dite hippocratique. Jacques
Jouanna nous permet ici de connaître l'atmosphère du Vème
siècle qui vit l'affrontement de croyances anciennes attribuant aux
dieux les différents phénomènes naturels et celles des
sciences émergentes telle que la médecine, la philosophie,
l'épistémologie qui mettent l'homme au centre du monde et
considèrent que toutes les choses sur terre ont une explication
rationnelle.
Enfin Jacques Jouanna conclut sur l'impact et l'importance que
la médecine hippocratique a pu avoir dans l'Antiquité.
Ce livre, outre le fait qu'il nous renseigne sur l'auteur
auquel le corpus a été attribué, a le mérite
d'élargir la problématique au-delà même du
personnage d'Hippocrate en ce sens qu'il nous plonge dans le climat culturel du
Vème siècle, sans lequel, peut-être, la médecine
hippocratique n'aurait pas eu le rayonnement qu'on lui connaît.
Le deuxième ouvrage essentiel est également
à attribuer à Jacques Jouanna. Il s'agit de sa traduction du
traité Maladie sacrée, qui est
précédé d'une analyse du texte.
L'auteur, dans un premier temps, propose une étude de
la nature, du contenu et de l'unité de l'oeuvre. Il conclut que le
traité appartient à la catégorie des cours, qu'il
dénonce les charlatans qui prétendent que la maladie est à
attribuer à un dieu et que seul le cerveau est responsable de celle-ci,
et, enfin, qu'après les interrogations du début du
vingtième siècle, le traité, dans son
intégralité, a été écrit par un seul et
même auteur.
Dans un deuxième temps, l'auteur s'interroge sur le
dénominatif de maladie sacrée. Il rappelle que durant le
Vème et le IVème siècle avant Jésus-Christ, la
maladie n'était pas connue sous le nom d'épilepsie. L'auteur du
traité prend ses distances d'avec les devins qui considèrent
cette maladie comme divine et leur attribue un blâme d'une rare violence
dans la Collection. Même si Maladie sacrée n'est pas le
seul traité dans lequel les croyances magico-religieuses sont mises en
doute, il est le seul qui les condamne avec tant de violences.
On retrouve ensuite la vision hippocratique de la maladie.
Selon elle, les causes de cette maladies sont aussi naturelles que celles des
autres et fonctionne de la même façon. Ainsi, si un bilieux donne
naissance à un bilieux, un épileptique donne naissance à
un épileptique. De plus, ce qui peut générer une crise est
lié à une mauvaise purge du cerveau pendant la grossesse.L'auteur
expose aussi les causes déclenchantes des crises, à savoir les
changements brusques (de température, de vents).
L'auteur nous convie ensuite au débat sur l'origine de
la pensée, le coeur, le cerveau ou le diaphragme pour conclure que le
cerveau en est à l'origine et que c'est l'air qui est à l'origine
de la pensée.
Enfin, Jacques Jouanna nous rappelle comment le traité
est parvenu jusqu'à nous.
Ce petit livre a l'avantage de procéder à
l'analyse du traité, et, tout comme le premier livre cité, de
replacer le texte dans le contexte de sa rédaction.
Restant dans les différentes approches de la maladie
sacrée, l'ouvrage d'Oswei Temkin, the Falling Sickness propose
une histoire de l'épilepsie de l'Antiquité à nos jours.
Pour la présente étude, il est nécessaire de lire les
quatre vingt une premières pages car elles traitent de
l'Antiquité.
Dans un premier temps, l'auteur se penche sur le concept
même de Maladie Sacrée. Il explique pourquoi l'épilepsie et
plus sujette que d'autres maladies à la controverse. Selon lui, ce
traité est révélateur des croyances du Vème
siècle. Il explique ensuite que ce traité est
représentatif de la vision des médecins de l'époque mais
indique également quelles sont les causes, selon les devins, de la
maladie et les moyens qu'ils utilisent afin de contrer la maladie. L'auteur
établit une distinction subtile : selon lui, la médecine
hippocratique ne s'est jamais opposée à la médecine des
temples, médecine dite officielle, mais uniquement à la
médecine magico-religieuse. Toutefois, bien que les auteurs
hippocratiques considèrent que les causes de la maladie soient à
rechercher dans la nature, certains considèrent que les pratiques
magiques peuvent aider à la guérison.
Enfin, l'auteur rappelle la place de l'épilepsie dans
la science médicale antique et propose un historique des théories
de la période classique (V-IVème siècle) à Galien
ainsi que les remèdes permettant de la guérir.
L'autre ouvrage permettant une approche du sujet est celui de
Julie LASKARIS, the art is long, on the sacred disease.
Dans une première partie, l'auteur rappelle quelle
était la transmission du savoir médical et établit le
rapport entre les guérisseurs et la religion.
Puis, l'auteur fait une analyse linéaire du texte en
rappelant ses différentes sections. Elle aborde ensuite la
réception du texte par les contemporains d'Hippocrate auprès
desquels le texte, ne semble pas avoir eu un impact lors de sa publication.
Chez les modernes, certains considèrent que Maladie
sacrée fut les prémisses de la médecine rationnelle.
Pour d'autres, Maladie sacrée est le texte du corpus
dans lequel il y a le plus de trace du divin. Julie Laskarsis considère
que l'auteur du traité n'a pas une position si différente des
devins qu'il considère comme des charlatans mais les devins ne cherchent
pas à démontrer ce qu'ils énoncent.
L'auteur rappelle ensuite les spécificités du
texte, la définition d'une technique médicale, la marque des
sophistes dans le texte et ce qui permet de soutenir cette idée
(utilisation du je) avant d'étudier l'attaque de l'auteur contre ceux
qu'il qualifie de charlatans.
L'auteur termine son exposé sur l'aspect physiologique
de la maladie sacrée.
Lesley Ann Dean Jones, Women's Bodies in Classical Greek
Science
Dans un premier temps, l'auteur traite l'anatomie et la
physiologie féminine. Partant de la construction culturelle pour chaque
sexe dans les mythes grecs, elle enchaîne sur les différences
entre les deux sexes chez les pré-socratiques, chez Hippocrate et
Aristote en distinguant l'avant et l'après-puberté. S'ensuit un
développement sur les menstrues que ce soit sur son évacuation,
son accumulation, sa qualité, son tarissement lors de la
ménopause.
Puis, l'auteur s'intéresse à la pathologie
féminine c'est-à-dire aux actions permettant le maintien de la
santé, les maladies liées aux menstrues et à la vie
sexuelle, les remèdes.
Enfin, l'auteur examine le rôle de la femme dans la
reproduction en analysant le rôle de l'homme ou la hiérarchie des
rapports. Elle indique également l'intérêt que peut avoir
le sang des menstrues pendant la grossesse qui, selon l'auteur, se transforme
en lait.
L'ouvrage suivant est celui d'Helen King, Reading the
Female Body in Ancient Greece.
L'auteur, dans un premier temps, étudie le rapport que
la femme entretient avec son corps, et s'interroge sur le rapport entre
l'utilisation du sang des menstrues dans les relations des femmes avec les
divinités. Puis Helen King aborde le rapport entre Asclépios,
dieu de la médecine et les femmes. Elle s'interroge ensuite sur ce que
l'on peut qualifier de médecine et l'utilité qu'elle peut avoir
pour les femmes. Enfin, elle consacre la dernière partie de son ouvrage
à la question de la qualification hystérique qu'on a donné
à certaines maladies, les débats autour d'elle afin de savoir si
l'hystérie existait réellement aux yeux des Hippocratiques.
Les travaux de Lydie Bodiou sont également à
connaître. Dans un premier temps, sa thèse
« Histoire du sang des femmes grecques : filles, femmes,
mères » qui nous renseigne, dans la première
partie sur la parthenos : elle y aborde un point très
utile à notre étude pour expliquer la distance que l'on se doit
de prendre entre les sources et ce qu'était le réel : le
fait que le corps des femmes ne nous est transmis que par les médecins
et que ceux-ci étaient des hommes dont les honoraires étaient
payés par des hommes. Elle y explique le poids que les contraintes
culturelles ont pu faire peser sur le jugement de certains médecins.
Deux autres points me furent utiles, la description de
l'utérus dans la partie concernant l'anatomie féminine et
l'anthropomorphisme de la matrice qui reprend les maladies dont l'utérus
est responsable.
Ensuite, un article parus dans le recueil Au jardin des
Hespérides intitulé « Désordres et malheur
du corps féminin en Grèce antique ». Au nouveau, elle
rappelle que le corps des femmes n'est connu que par le biais des
médecins. Elle explique pourquoi les filles sont censées pouvoir
tenir leur rôle bien plus tôt que les garçons, et les
désordres féminins auxquels elles sont soumises lors de la
menarchè ainsi que les remèdes apportés par les
médecins hippocratiques. Elle montre ainsi comment la médecine
légitime les comportements sociologiques des grecs. Enfin, elle aborde
les problèmes que l'utérus peut causer à une femme,
même une fois mariée car seul un utérus ouvert est
nécessaire pour être en bonne santé. Or, pour que celui-ci
le soit, il est nécessaire d'avoir des rapports sexuels. Si l'on est
dans l'impossibilité de consulter la thèse de Lydie Bodiou cet,
article en est un raccourci.
Restant dans la période où la jeune fille va
devenir femme, un articles paru dans les Annales A.E.S. mérite notre
attention. Il s'agit de celui de Giulia Sissa « une
virginité sans hymen : le corps féminin en Grèce
classique » où est abordé le problème de la
parthenia, souvent traduit par le mot virginité. En effet,
certaines jeunes filles ont eu des enfants (visité par Zeus sous la
forme d'une pluie dorée) alors que leur hymen était intact. Dans
ces conditions, quel en est l'impact sur elle ? L'auteur explique qu'une
fois la sexualité de la jeune fille dévoilée, elle est
exclue du cercle des oikos et montre ainsi que la parthenia
est une prise politique qui se monnaie entre le père et le futur
époux
Toujours aux Annales, on trouve l'article d'Aline Rousselle
« Observation féminine et idéologie
masculine : le corps de la femme d'après les médecins
grecs ».
A nouveau est abordé la question de l'accès au
corps des femmes, ce que celles-ci ont pu apprendre aux hommes de leur propre
anatomie, ce qu'elles ne leur ont pas dit et pourquoi l'anatomie
féminine devait être connu du médecin grec. Toute maladie
féminine étant un obstacle à la fécondation, il
était nécessaire d'y remédier au plus vite. Ensuite
l'auteur aborde le problème de la matrice. Inquiétante pour les
médecins, indomptable pour les femmes, il est nécessaire de la
connaître. Enfin, l'auteur donne le point de vue des médecins plus
tardifs sur la question tel Aristote ou Galien.
Un livre, concernant cette fois la première partie de
notre titre IV me fut fort utile. Il s'agit des enfants d'Athéna,
écrit par Nicole Loraux. Le chapitre 2 de cet ouvrage, intitulé
« sur la race des femmes et quelques-unes de ses
tribus » nous rappelle à quel point la femme est, pour
l'homme, la plus grande des calamités. Elle explique d'où
viennent ces créatures, qui les a façonnées, en quoi cela
les installe dans un écart originel vis-à-vis des hommes. Puis,
elle expose le point de vue d'un auteur, Sémonide d'Armogos, qui
défait l'unité hésiodique pour faire de la femme, non pas
une race mais dix.
L'ouvrage de Jean-Pierre Vernant, L'univers, les dieux,
les hommes, dans ses deux chapitres intitulés « Guerre
des Dieux, royauté de Zeus » et « Le monde des
humains » explique bien le mythe de Pandora et la séparation
des hommes et des Dieux.
Enfin, pour la dernière partie de notre travail,
Histoire de l'hystérie d'Etienne Vrillat, dans son introduction
ainsi que dans le premier chapitre nommé « Hystérie,
utérus, l'Antiquité gréco-latine », nous
rappelle que l'hystérie fut parfois confondue avec l'épilepsie ou
maladie sacrée, que celle-ci était liée à
l'utérus et ses divagations, que les croyances traditionnelles à
son égard perdurèrent même à l'époque
d'Hippocrate, à savoir que l'utérus est un petit animal vorace
qui se déplace dans le corps des femmes et qu'il est à l'origine
de la plupart des maux féminins.
TROISIEME PARTIE
LA NAISSANCE DE LA
MEDECINE RATIONNELLE
Pendant longtemps la
médecine d'Orient, d'Occident, de l'Islam demeurèrent sous le
rayonnement de la médecine grecque. Aujourd'hui, son esprit est toujours
vivant. Mais, les débuts en restent mystérieux et obscurs. Or,
les commencements sont d'une importance particulière car Hippocrate
s'insère dans une tradition dont les premiers chaînons nous
échappent. Avant d'être un initiateur, il fut un continuateur.
C'est seulement plus tard que son oeuvre devint un point de départ et un
modèle147(*).
L'auteur de « Ancienne médecine » retrace
l'histoire de son art. A l'origine, le but était de donner à
l'homme un régime de vie adapté à ses besoins. La
méthode médicale résidait dans l'idée de partir des
faits et de rejeter toutes hypothèses ne s'appuyant pas sur eux. Par
conséquent, on peut dire que l'habitude de l'observation n'était
pas une conquête de l'époque classique mais le fruit d'une solide
tradition148(*).
Toutefois, la médecine hippocratique n'était pas
la seule présente à l'époque classique, il nous faut
également étudier les différents types de médecine
que côtoyaient Hippocrate et ses contemporains. Enfin, on verra pourquoi
le Vème siècle fut la période où l'on s'interrogea
sur la médecine magico-religieuse.
Chapitre I
Hippocrate et le Vème siècle
Avant d'aborder toute étude sur la médecine du
Vème siècle, il nous faut consacrer une partie à celui qui
est considéré comme le père de notre
médecine149(*) : Hippocrate. On verra ensuite comment le
savoir médical était transmis ainsi que la défense qui fut
organisée pour celui-ci dans un contexte de concurrence entre les
différentes médecines.
I. HIPPOCRATE
Faire des recherches sur l'histoire de la médecine au
Vème siècle fait émerger un homme : Hippocrate. C'est
sans doute le prestige dont il est auréolé qui nous a permis de
sauvegarder les ouvrages du Vème siècle que la
postérité lui a attribué150(*). Pour connaître la médecine de la
période classique, on ne dispose, en effet, d'aucune autre source que le
corpus hippocratique151(*). Sans la renommée d'Hippocrate, il est
probable que ces écrits auraient disparu comme les restes des travaux de
ses confrères152(*).
Le problème des sources médicales du
IVème et Vème siècle réside dans le fait que nous
ne disposons que de fragments à partir desquels il nous faut restituer
avec prudence et méfiance153(*) sans la garantie de ne commettre aucune
erreur154(*).
I.1. Les témoignages des
auteurs anciens
Bien des mythes entourent Hippocrate155(*). Sur l'île de Cos, on
trouve, de nos jours, un platane sous lequel Hippocrate et ses disciples se
seraient réunis. Or cet arbre est bien plus jeune
qu'Hippocrate156(*). Les
sources nous permettant de connaître le véritable Hippocrate sont
littéraires157(*).
Dans l'une de ses oeuvres de jeunesse, Protagoras,
Platon158(*), choisit
comme personnage un Athénien nommé Hippocrate. Socrate159(*) lui demande ce qu'il attend
de l'enseignement de Protagoras160(*). Pour ce faire, il le fait réfléchir
sur des exemples :
« supposons que l'idée te fût venue
d'aller trouver ton homonyme, Hippocrate de Cos l'Asclépiade, et de lui
offrir de l'argent pour qu'il s'occupa de toi ; à quel titre cet
Hippocrate recevrait-il ton argent ?_Je répondrais, dit-il,
à titre de médecin. Et que voudrais-tu devenir
toi-même ?_Médecin. »
Cette oeuvre est écrite par Platon au début du
IVème siècle mais le dialogue s'est déroulé plus
tôt, aux alentours de 430161(*). Ainsi, on peut donc en conclure qu'Hippocrate est
connu dès le Vème siècle pour son enseignement et qu'il
est considéré comme le représentant de l'art
médical. On retrouve des allusions à Hippocrate dans d'autres
oeuvres de Platon tel que Phèdre, ou
Politique :
« On peut dire qu'Hippocrate est plus grand, non pas
comme homme mais comme médecin, que quelque autre qui lui serait
supérieur en taille »
Ici, alors que le prénom Hippocrate est très
répandu, on ne mentionne plus Hippocrate de Cos l'Asclépiade ce
qui corrobore la thèse de sa célébrité162(*).
On retrouve Hippocrate dans d'autres oeuvres tel les
Thesmophories d'Aristophane163(*) et la Politique d'Aristote164(*).
Ces témoignages attestent donc de l'existence
historique d'Hippocrate, des lieux dans lesquels il vécut, la
notoriété de son enseignement et sa réputation
après sa mort.
I.2. Hippocrate (460-375/351)
Hippocrate naquit en 460 avant Jésus-Christ dans
l'île de Cos au sein de la famille des Asclépiades165(*).Hippocrate en serait un
descendant par Podalire, seul des deux fils d'Asclépios à avoir
survécu à la guerre de Troie166(*). Ayant rencontré des difficultés pour
revenir dans sa patrie, il s'installa sur les côtes de l'Asie Mineure,
à Syrna. De cette cité, les descendants de Podalire partirent et
se scindèrent en trois branches, celle de Cos, de Cnide et de
Rhodes167(*) mais, selon
Galien168(*), cette
dernière disparut rapidement :
« Double, dit-il, était cette famille des
Asclépiades d'Asie, car la branche de Rhodes s'était
éteinte169(*). »
Né d'une famille doublement
célèbre170(*), Hippocrate reçut sa formation de
médecin par son grand-père Hippocrate et son père
Héracleidas avant d'initier lui-même ses fils, Thessalos et Dracon
ainsi que son gendre et disciple, Polybe. L'enseignement était oral et
pratique. Toutefois, Hippocrate aurait pu recevoir également un
enseignement écrit, son grand père étant peut être
l'auteur d' ouvrage médicaux171(*).
Hippocrate exerça d'abord sur l'île où il
semblait déjà être célèbre. Deux exemples
l'attestent : la cité d'Abdère172(*) aurait fait appel à
lui pour soigner le philosophe Démocrite qui riait de tout et que les
citoyens de la cité considéraient comme fou. De même,
Artaxerxès 1er, roi de Perse demanda l'aide d'Hippocrate pour
mettre fin à la pestilence qui régnait sur son armée.
Hippocrate refusa au motif qu'il ne soignait pas les ennemis des cités
grecques173(*).
Parvenu à l'âge mur, Hippocrate et ses deux fils
quittèrent Cos et laissèrent l'école à
Polybe174(*). On a
soutenu l'idée que ce départ était lié à
l'incendie de la bibliothèque de Cnide dont ils auraient
été les auteurs. Cette thèse, désormais, est
considérée comme irrecevable car témoignant d'un courant
de pensée anti-hippocratique175(*).
Hippocrate parcourut la Grèce du Nord et la Thessalie
où il sembla mener la vie d'un médecin itinérant176(*). Cette idée pourrait
être corroborée par le traité Epidémies qui
se compose de fiches individuelles pour chaque malade à
l'intérieur desquelles était parfois précisées
l'origine géographique des patients. Bien que
Epidémies177(*) ne puisse être l'oeuvre d'un seul homme,
le traité pourrait être le témoin de l'implantation des
disciples d'Hippocrate178(*).
La renommée d'Hippocrate durant cette période se
confirme au travers de quelques exemples179(*). Le roi Perdiccas II dépérissait
après la mort d'Alexandre 1er, son père. On fit appel
au médecin de Cos afin d'établir un diagnostic. Celui-ci conclut
que le roi était atteint d'une passion amoureuse pour l'une des
courtisanes de son père. Contacté par les Illyriens et les
Péoniens en proie à une pestilence, il aurait refusé de
leur apporter son aide tout en soutirant des informations afin d'établir
un remède et prévenir les cités grecques de cette maladie.
Pour cette raison, on lui décerna récompenses et
privilèges religieux.
La célébrité d'Hippocrate
s'étendit assez pour que Platon, son cadet de trente ans le cite, dans
le Protagoras, comme l'équivalent, pour la médecine, de
Polyclète et Phydias180(*) pour la sculpture181(*).
Hippocrate, profitant de son prestige, envoya son fils
Thessalos intercéder auprès d'Athènes peu après
l'expédition de Sicile, alors que l'île, membre la
confédération de Délos182(*), est la proie de pillage ennemi et souffre de
l'impérialisme athénien183(*). Restant sans suite, Hippocrate se déplace
lui-même pour demander l'aide des Thessaliens contre Athènes.
Hippocrate mourut en Thessalie à Larissa, entre 375 et
351. La légende raconte que des abeilles ayant élu domicile sur
sa tombe produisirent un miel aux vertus thérapeutiques184(*).
Après sa mort, Hippocrate devint héros
guérisseur. Un culte public lui est rendu sur l'île le jour de sa
naissance185(*) et une
monnaie de l'île de Cos est frappée à son effigie.
Hippocrate devint même un guérisseur des âmes dans
l'au-delà. On trouva dans une tombe d'un membre de la famille du
médecin Marcos Démétrios ayant vécu au premier
siècle après Jésus-Christ, une inscription sur le pilier
qui devait servir de base au buste d'Hippocrate le début des
Aphorismes modifié à des fins funéraires
« la vie est courte » mais au lieu de la suite,
« l'art est long » on trouve : « mais long
est le temps que nous passons sous terre186(*). »
II. La transmission du savoir
médical
On examinera la façon dont le savoir médical se
transmettait, l'expansion de la médecine d'Hippocrate, le but des
écoles médicales du Vème siècle pour finir sur la
défense de l'art médical.
II.1. Comment le savoir
médical se transmettait-il ?
L'enseignement se faisait au sein
de la famille de père en fils187(*). La cité n'organisait pas l'enseignement et
n'intervenait en rien dans l'autorisation de la pratique de la médecine.
Comme on l'a déjà
vu, la famille des Asclépiades ne dérogeait pas à la
règle. Hippocrate enseigna à ses deux fils Thessalos, Dracon
ainsi qu' à son gendre, l'art de la médecine. A leur tour, ils
perpétuèrent la tradition.
Mais Hippocrate transmit
également son savoir à d'autres habitants de l'île
appartenant à la famille des Asclépiades ainsi qu'à des
disciples extérieurs à sa famille. Il a ainsi permis à son
enseignement de se diffuser dans toute la Grèce. Pour Galien :
« Avec le temps, dit
Galien, il parut bon de transmettre l'art non seulement à ceux qui
appartenaient à la famille mais aussi à ceux qui y étaient
extérieurs...Ainsi donc l'art sortit de la famille des
Asclépiades188(*). »
Bien que nous ne sachions pas si
ce point de vue date d'Hippocrate, c'est durant la période à
laquelle vécut Hippocrate qu'elle prit de l'ampleur189(*) »
En contrepartie de cette
ouverture, le maître demandait des garanties à ses
élèves. C'est cette idée qui est à l'origine du
Serment.
« Je jure par Apollon médecin, par
Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les
déesses, les prenant à témoin, de remplir, selon ma
capacité et mon jugement, ce serment et ce contrat ; de
considérer d'abord mon maître en cet art à l'égal de
mes propres parents ; de mettre à sa disposition des subsides et,
s'il est dans le besoin, de lui transmettre une part de mes biens ; de
considérer sa descendance à l'égal de mes frères,
et de leur enseigner cet art, s'ils désirent l'apprendre, sans salaire
ni contrat ; de transmettre les préceptes, les leçons orales
et le reste de l'enseignement à mes fils, à ceux de mon
maître et aux disciples liés par un contrat et un serment, suivant
la loi médical, mais à nul autre. »
Ce serment ne concernait pas les
membres de la famille des Asclépiades, pour qui l'enseignement allait de
soi190(*). Il
était prononcé par le disciple au moment où il
s'apprêtait à recevoir l'enseignement de son maître et avait
peut être pour objet de préserver les intérêts et les
privilèges de la famille détentrice du savoir médical.
II.2.
L'expansion du savoir médical
Pourquoi l'ouverture se fit à ce moment
précis ? Selon Galien, Hippocrate aurait décidé
d'ouvrir à des étrangers son enseignement car le nombre des
membres de la famille pouvant perpétuer le savoir médical
devenait trop petit191(*). Il est possible que, suite à l'extinction de
la branche des Asclépiades de Rhodes, Hippocrate souhaita
prévenir cet évènement afin que la transmission du savoir
médical ne soit pas interrompue192(*).
De tous les disciples
étrangers qui suivirent l'enseignement d'Hippocrate, c'est Polybe, son
gendre, qui en resta le plus proche193(*). D'autres, tel que Syennésis194(*) attestèrent de la
réputation d'Hippocrate.
On examinera en premier lieu les caractéristiques des
écoles de médecine en général, puis en
étudiera l'école de Cnide pour terminer avec celle de Cos.
II.2.1. Les caractéristiques
générales des écoles médicales
Pourquoi parler
d'école ? Le nombre de disciple en justifiait
l'utilisation.195(*) A
l'époque classique, le terme école désignait un centre
localisé dans une cité où un maître, dans le cadre
d'une tradition familiale, dispensait son enseignement à ses fils et ses
disciples196(*). Les
écoles sont attachées à un lieu géographique. Le
corpus nous permet de préciser certains aspects de leur vies.
Sur le plan intellectuel, l'individu associait son effort de recherche à
celui du groupe197(*).
Une telle communauté impliquait une solidarité
sur le plan social et humain. Ceci est réaffirmé par le
serment :
« Je jure par Apollon médecin, par
Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les
déesses, les prenant à témoin, de remplir, selon ma
capacité et mon jugement, ce serment et ce contrat ; de
considérer d'abord mon maître en cet art à l'égal de
mes propres parents ; de mettre à sa disposition des subsides et,
s'il est dans le besoin, de lui transmettre une part de mes biens ; de
considérer sa descendance à l'égal de mes frères,
et de leur enseigner cet art, s'ils désirent l'apprendre, sans salaire
ni contrat ; de transmettre les préceptes, les leçons orales
et le reste de l'enseignement à mes fils, à ceux de mon
maître et aux disciples liés par un contrat et un serment, suivant
la loi médicale, mais à nul autre. »
L'autre aspect qui se dégageait concernant les
écoles dans le corpus était la scientificité de
l'organisation de celles-ci. Ce n'était pas en vue de promouvoir et de
défendre une conception de l'homme, de la santé, de la
médecine, que ces hommes se réunissaient de père en fils,
ce souci vint plus tard. Leur but était d'étudier ensemble le
moyen de guérir en utilisant l'expérience des Anciens et en se
fondant sur une observation directe et la plus large possible. Aussi ne
constate-t-on jamais la présence d'école rivale originaire du
même lieu198(*).
Quel était l'idéal de ces écoles ?
Montrer que guérir était un art véritable capable de
s'enseigner et dont les résultats étaient valables. Ceci
s'explique par les conditions du moment. Au Vème siècle, en
Grèce, les techniques s'épanouissent. Etre un technicien,
c'était être capable d'une certaine excellence, posséder un
savoir faire commandé par la raison. C'était ce savoir que
revendiquait les médecins199(*).
Deux écoles se
distinguaient : Cos et Cnide.
Chaque école avait ses
traditions propres200(*). Dans chacune, la transmission de l'art était
locale et familiale. Chacune a eu ses personnalités, Hippocrate pour
Cos, Euryphon201(*) pour
Cnide. Par contre, il n'est pas certain que l'organisation de l'enseignement
ait été similaire202(*). A Cnide, la production littéraire comportait
des ouvrages collectifs tels que Sentences cnidiennes.
L'équivalent ne semble pas exister à Cos203(*).
Il est possible qu'il y ait eu
concurrence entre les deux écoles. Galien nous en donne le
témoignage,
« Ceux qui ont
reproché à Hippocrate de réduire la luxation de
l'articulation de la hanche, en arguant que l'os ressortait aussitôt,
sont en premier Ctésias de Cnide, son parent_de fait lui-même
appartenait à la famille des Asclepiades_, et à la suite de
Ctésias certains autres aussi. »
mais la considère de bon
aloi204(*).
La question des centres a
divisé les experts. Certains se sont interrogés sur l'existence
des deux écoles. Au même moment, on découvre, à
Delphes, une inscription sur les Asclépiades de Cos et de Cnide. Par
conséquent,certains concluent qu'il existe une association entre les
deux écoles, et qu'il n'y avait donc pas d'écoles
distinctes205(*).
D'autres ont considérés que l'école de Cos était
une association professionnelle de médecins. Toutefois, selon Jacques
Jouanna, ces thèses reflètent une confusion entre le plan
familial et le plan professionnel. Le développement qui suit s'inspire
de l'ouvrage de René Taton, La médecine ancienne et
médiévale.
II.2.2. La tendance empirique : l'école de
Cnide
C'est la plus ancienne (ces écrits sont
antérieurs à celle de Cos) et la plus
célèbre206(*). Elle présente des formes d'expérience
et de pensée moins élaborée encore proche de la
connaissance vulgaire. Et pourtant, la qualité des différentes
observations, la hardiesse de certaines opérations frappent : Cnide
est à l'origine de l'auscultation. Ceci montre une qualité
d'observation que la tradition médicale ultérieure, loin de
développer, ne sut pas toujours conserver puisque la pratique de
l'auscultation est restée oubliée pendant deux mille ans.
Les traités rattachés à Cnide montrent
une grande précision. Des dispositifs expérimentaux sont
systématiquement proposés pour illustrer les idées
émises. La rigueur de la preuve fait cependant défaut puisqu'il
ne s'agit habituellement que d'analogies grossières207(*). Toutefois, le souci de
trouver des points des références concrets et de penser par
soi-même sans recourir aux dieux est remarquable. La
variété d'aspect de la recherche cnidienne ainsi que la
qualité des résultats atteints apparaissent manifestes.
Mais de graves insuffisances demeurent, notamment dans les
descriptions, et les auteurs ne dégagent pas une véritable
pensée médicale.
L'autre particularité de Cnide réside dans sa
médication. On retrouve une grande multiplicité de formules pour
constituer des remèdes et de préparations servant à
établir expérimentalement un pronostic208(*). Toutefois, les
remèdes se groupent autour d'un petit nombre de types.
En réalité, la masse de connaissance est
constituée, non par l'observation personnelle et directe mais par
l'apport d'une longue série de génération. Toutes les
expériences ayant réussi plus ou moins ont été
retenues, que le succès soit dû à une raison
médicale ou à une heureuse coïncidence. On est proche d'un
savoir encore empirique209(*) ; c'est en tâtonnant que le
médecin le plus savant utilisera tel remède plutôt que tel
autre. «Donne et expérimente » revient plusieurs fois.
Cette phrase montre que l'on en est encore aux coups de sonde
préliminaires, dont l'emploi est justifié par l'obligation de
tenter quelque chose pour secourir le malade. On est encore au stade
préscientifique mais les médecins de Cnide ne paraissent pas
sentir le besoin de le dépasser. Même les tentatives d'explication
expérimentale n'aboutissent à aucun résultat positif,
quelque soit l'intérêt que ces tentatives présentent par
elles-mêmes. L'échec de l'école de Cnide est liée au
manque de liaison entre la pensée et l'expérience. Quand le
médecin devient théoricien, sa pensée vagabonde et il
reste empirique sur le plan de l'expérience. Cet empirisme foncier se
manifeste jusque dans les interventions actives auprès des malades.
Elles sont souvent hardies mais également brutales (pour les affection
cérébrales, rhumatismales, ils préconisent comme
traitement l'ivresse).
II.2.3. La tendance rationnelle : l'école
de Cos
L'apport de l'Ecole de Cos est tel
qu'il a paru nécessaire, à la différence de Cnide,
d'opérer des sous-parties. On verra, en premier lieu, le rôle de
l'observation, puis l'importance que revêt les sens dans cette
école, le rôle de la réflexion qui aboutit à
l'apparition de l'esprit scientifique pour finir sur le rayonnement de cette
école grâce au départ d'Hippocrate pour la Thessalie.
II.2.3.1. L'observation valable
Avec Cnide, on sent encore le poids d'une tradition
acceptée, alourdie d'apports variés et médiocre, on reste
dans le vestibule de la science.
L'école de Cos a aussi un très long passé
d'observation, et atteindra un niveau bien supérieur dans les attitudes
couramment prises. Hostile avec vivacité à toute
spéculation étrangère, soucieuse de bien connaître
les faits, c'est avec Cos que se fait la véritable promotion de
l'expérience. Elle était utilisée depuis longtemps mais
une manière rationnelle de conduire l'observation n'avait pas encore
été découverte ni pratiquée par un ensemble
d'hommes animés du même esprit.
II.2.3.2. La promotion des sens
Face à un malade, le médecin doit
considérer ce qu'il est possible de voir toucher, entendre, ce qui est
accessible par l'intermédiaire de la vue et du toucher, l'ouïe, le
nez, la langue, la pensée considérée comme naturelle,
partie intégrante de l' expérience et non surajoutée
à elle.
Il semble qu'il n'y ait pas de classement par catégorie
de maladie comme à Cnide, mais un compte rendu direct d'observation
personnelle. Nul médecine ne fut jamais plus reliée à une
expérience directe et vivante. Toutefois, selon René Taton, cette
observation est commode. En fait, la sensation est importante car elle est la
mesure à laquelle il faut avoir recours dans les cas complexes, elle est
un guide que rien ne peut remplacer car ce ne sont pas les calculs qui disent
s'il faut ou non prescrire un bain. De plus, quand on ne disposait pas
d'instrument pour connaître l'état du corps du patient,
l'attention aux nuances de la connaissance sensible était
nécessaire. Mais pour cela, le débutant recevait en accompagnant
le praticien expérimenté une éducation spéciale
qui, toutefois, ne supprimait pas tous les risques d'erreurs. La sensation les
renseignait sur les signes distinctifs et les moments décisifs de la
maladie. Toutefois, elle ne se sépare pas dans la perspective de Cos,
d'un usage élevé de la raison.
Avec Cnide, on observait les détails particuliers mais
on aboutissait à des classifications arbitraires car le détail
saisissant était recherché pour lui-même. A Cos, il s'agit
de la connaissance d'un fait ordinairement difficile à percevoir qui ne
prend de sens que par rapport à une pensée médicale.
II.2.3.3. Rôle de la
réflexion
Dans les récits hippocratique, il est demandé de
bien réfléchir sur les faits, d'observer l'action des patients et
leur réaction. Cette intelligence des gestes est si importante qu'elle
est demandée à des simples aides opérateurs.
Le pronostic hippocratique est une pensée complexe se
rapportant au devenir de la maladie et tenant compte d'une grand nombre de
signes différents et changeants. La direction du traitement dans un
maladie aiguë ne consiste pas en l'application automatique de
règles rigides. L'important pour le médecin est de pratiquer uen
médecine souple et intellectuelle avec quelques principes nés
d'une réflexion sur l'expérience. Parce qu'elle est liée
à l'expérience mobile, la pensée du médecin ne peut
se reposer dans une sécurité paresseuse.
Ici apparaît l'art médical qui suppose une
attitude positive et rigoureuse sans se conformer toujours aux normes d'une
certitude purement scientifique.
II.2.3.4. Apparition de l'esprit
scientifique
On comprend pourquoi une médecine commandée par
cette esprit possède une valeur scientifique et peut même
atteindre, grâce à une largeur de ses horizons, à une
sagesse d'un ordre encore supérieur. Au sens rigoureux du terme, les
découvertes positives ne sont pas toujours facile à
préciser car ces hommes étaient des cliniciens et le domaine de
la maladie est plus ou moins mobile, impossible à fixer absolument. Au
contraire, la qualité de l'esprit scientifique qui apparaît dans
ces textes suscite l'admiration. Cette qualité se manifeste à
propos de l'établissement des faits.
On trouve ici le souci de se soumettre aux faits mais l'esprit
critique doit s'exercer sur soi pour se prémunir contre les causes des
erreurs. Ceci est rare dans l'Antiquité et entraîne chez les
médecins de Cos une modestie constante. Ils ont toujours à
l'esprit la grandeur de l'art, la difficulté d'un jugement droit. Pour
cela, il rejette tous ce qui est ostentatoire : pour atteindre un but
médical il faut utiliser les moyens les plus sobres ce qui leur fait
refuser les grandes théories de la philosophie ambiante. Une
règle doit diriger leurs actions : ne pas nuire.
II.2.3.5. L'impact du
départ d'Hippocrate pour la Thessalie210(*)
L'arrivée d'Hippocrate en
Grèce continentale a dû favoriser la diffusion de la
médecine de Cos. En effet, en Thessalie, Hippocrate a dû former
d'autres élèves211(*). La vie de médecin itinérant lui
permis d'enrichir les observations cliniques. Les Epidémies en
sont un bon exemple. Elles nous permettent de connaître l'influence des
facteurs propres à chaque cité sur la santé des habitants
que cela concerne les vents, la qualité des eaux, la nature du sol et le
régime des habitants. Sans cette partie de la vie d'Hippocrate, un
traité tel que Airs, Eaux, Lieux n'aurait certainement pas
été réalisé212(*).
A Cos, le départ
d'Hippocrate, ne porta pas un coup d'arrêt à l'école. La
continuité fut assuré par Polybe, son gendre. Ainsi,
l'enseignement d'Hippocrate continua d'être dispensé.
Jusqu'à l'époque hellénistique, l'école jouissait
encore d'un certain prestige.Les cités continuèrent à
faire appel aux médecins de cette île pour occuper la charge de
médecin public213(*).
Après deux mille cinq cent ans la doctrine
hippocratique garde un intérêt historique et actuel. Même si
elle n'exprime pas toute la réalité médicale, elle attire
l'attention sur des idées qui restent fondées, elle peut servir
à interpréter un certain nombre de fait. En comparaison, d'autres
doctrines qui ont fleuri en ce domaine apparaissent comme des bizarreries de
l'esprit humain. C'est avec Hippocrate que la médecine grecque
apparaît sous sa vraie grandeur. Il refusait la spéculation pure.
L'organisme est un ensemble complexe et un, la vraie sagesse consiste à
aider l'activité naturelle, on est pas médecin si on est pas
attentif à la vie du malade. De plus, la médecine exigeait, pour
eux, un savoir universel, une forme élevée de culture214(*).
Au IVème siècle, les
grandes écoles perdent de leur cohésion. Des praticiens de haute
valeur tel que Dioclès de Caryste, qui n'appartient à aucune
école, apparaissent. Il est considéré comme le second
Hippocrate. Une page se tourne. Les anciennes familles
méditerranéennes disparaissent avec ce qu'elles
représentaient pour les membres d'exigences sur le plan de la discipline
intellectuelle et la rigueur morale. Des groupes d'un type nouveau surgiront,
des écoles au sens moderne se substitueront à une
communauté vivante et souple.215(*) L'école de Cos perd sa primauté au
moment où les cités grecques laissent la place aux royaumes
hellénistiques et à leurs capitales, Alexandrie et
Pergame.216(*)
Les savoir enseignés dans ces écoles, ont, au
Vème siècle, été l'occasion de débat.
S'érigeant en art, la médecine a dû faire face à ces
détracteurs et élaborer sa technè.
II.3. Défense et
illustration de l'art médical
II.3.1. La naissance d'un art
Si la médecine est envisagée en tant qu'art, il
n'est pas illégitime de parler de naissance.217(*)En effet, le Vème
siècle est la période où la médecine se constitue
une technè.218(*) Les médecins décrivent
les maladies, prévoient l'évolution, énumèrent les
remèdes mais s'interrogent également sur la finalité de
leur art.219(*)
Pour ce qui des procédés de l'art, il n'y a pas
d'art médical sans méthode. Toutefois, les avis divergent sur ce
qu'on appelle méthode. Certains posent des postulats nouveaux, d'autres
s'inscrivent dans une tradition.
La diversité des problèmes soulevés par
les discussions sur l'art, la vivacité des polémiques ne se
comprennent qu'à partir du moment où on les replace dans
l'activité intellectuelle de la seconde partie du Vème
siècle. En effet, sous l'impulsion des sophistes220(*), la réflexion sur
l'homme devient le centre des préoccupations. L'homme découvre sa
raison et soumet au questionnement sa raison. A ce moment, il définit
les règles du savoir scientifique221(*). Ainsi, dans la seconde moitié du Vème
siècle et au début du IVème siècle, des
technai222(*)
apparaissent.
Au moment où naissent ces arts, on voit se lever les
négateurs de la médecine et des technai en
général qui contestent leurs acquis, leurs résultats et
leur existence223(*).
Les médecins sont dans l'obligation, face à
leurs détracteurs de prendre la défense de leur discipline et,
par conséquent, de définir les critères de leur art en en
codifiant les règles224(*). Le corpus en garde quelques traces. Ainsi,
le traité Maladie Sacrée. On est à une
période où les sophistes exercent une influence sur la
médecine. Dans le traité Maladie sacrée le
débat est engagé contre ceux que l'auteur considère comme
des charlatans. Il entend montrer à son auditoire la
supériorité de sa médecine au regard de la leur. On peut
dire que la médecine doit beaucoup aux débats des sophistes pour
élaborer sa technè. En effet, ils demandent une certaine
méthode qui influence les concepts en eux même225(*).
Le traité de l'Art présente les
arguments des détracteurs de la médecine qui considère que
les guérisons des malades ne sont que coïncidence et
relèvent du hasard. L'auteur répond par une défense de
l'ensemble des arts. Il revient ensuite sur l'antithèse entre art et
hasard. Il minimise le rôle de la chance dont il ne nie pas l'existence
au profit des notions de maîtrise et de compétence226(*). Selon lui, le hasard
relève de l'indifférencié et de l'indistinct alors que
l'art repose sur des distinctions entre le correct et l'incorrect, le savoir et
l'ignorance, la compétence et l'incompétence, le
spécialiste et le profane. De plus, le hasard et le domaine du
spontané alors que l'art relève de la causalité227(*). Ainsi, on voit dans la
connaissance de la cause le critère distinctif entre profanes et hommes
de l'art. Pour les hippocratiques, c'est la raison nécessaire pour
mettre en place un traitement car seul la connaissance des causes permet de
prévoir le cours de la maladie228(*).
II.3.2. La finalité de l'art
médical : la naissance d'une déontologie
« avoir, dans les maladies, deux choses en
vue : être utile ou du moins ne pas nuire229(*). »
La médecine est l'art de l'oubli de soi et du
dévouement. Le médecin est conscient de ses limites : mieux
vaut ne pas intervenir que de risquer une aggravation de l'état du
patient. Ainsi, certains médecins refusent de prendre en charge des cas
désespérés et incurables. En effet, l'incurable est
extérieur à l'art et ne relève pas de ses
compétences. De plus une intervention ne ferait qu'ajouter des
souffrances inutiles, l'issue étant inévitable. C'est donc dans
l'intérêt des malades que les incurables sont abandonnés
à leur sort230(*).
Au regard des Epidémies, il semble que le
médecin, à quelques exceptions près, soigne tous les
malades avec la même attention. Le corpus ne fait pas mention
comme Platon dans les Lois d'une répartition des tâches
où le médecin libre ne soignerait que les libres tandis que les
aides du médecins soigneraient les non libres. Il semble aussi sacrifier
son avantage personnel financier à celui du malade au nom de l'amour des
hommes231(*).
C'est encore au nom de l'intérêt du patient que
les hippocratiques s'élèvent contre le spectaculaire et le
sensationnel dans le traitement. Ainsi, pour redresser une colonne
vertébrale, au lieu d'utiliser la succussion par
l'échelle232(*)
Le médecin hippocratique refuse de se mettre en avant pour sa gloire
personnelle et considère ses procédés comme indignes d'un
vrai médecin.
De plus, le médecin a des devoirs envers le malade. Il
doit respecter des normes d'hygiènes telle que la taille des ongles ou
des cheveux, durant ses visites aux malades, faire bonne impression et obtenir
sa confiance, en aucun cas entrer dans une maison pour donner la mort sous
toutes les formes que ce soit (poison, avortement) ou profiter de son
rôle de médecin pour séduire un membre de la
maisonnée.Enfin, il se doit d'être discret ce qui constitue peut
être un prémisse au secret médical233(*).
Il est par conséquent possible de dire que
l'humanité caractérise les médecins hippocratiques, tant
dans la douceur du traitement que dans l'attention portée aux malades.
Chapitre II
LA MEDECINE RATIONNELLE ET
LES AUTRES FORMES DE MEDECINE
Le Vème siècle en Grèce voit
l'augmentation rapide de la demande de connaissance.234(*)Au IVème
siècle, Aristote distingue trois types de personnes habilitées
à traiter des sujets médicaux : le praticien ordinaire, le
maître de l'art, l'homme qui avait étudié la
médecine235(*).
Ainsi l'auteur du traité Maladie
Sacrée, n'est le représentant que d'une branche de la
médecine grecque du IV-Vème siècle. Le corpus distingue
différents types de médecins ; on dénombre des
coupeurs de racines, des vendeurs de drogue, des sages femmes et des
gymnastes236(*). On le
voit, il n'existait pas d'équivalence de notre qualification
médicale. Les accusations de charlatanisme étaient faciles
à porter et difficile à réfuter. Il n'est donc pas
étonnant que les auteurs hippocratiques apparaissent soucieux de montrer
que leur médecine est la médecine véritable et qu'ils
insistent sur la distinction profane/médecin et
médecin/charlatans237(*). On retrouve donc en Grèce, trois types de
médecine : la médecine rationnelle, la médecine
religieuse et la médecine magique238(*). Toutefois, la pensée spéculative n'a
pas été entièrement hostile à tous les aspects de
l'irrationnel, on peut dire que le développement de la magie
après l'époques des lumières qu'est le Vème
siècle, à elle-même dépendu de la philosophie et de
la science et qu'elle en a suivi le modèle. La médecine des
temples pourrait devoir beaucoup à la médecine
rationnelle239(*).
I. La médecine
rationnelle
On retrouve dans la collection hippocratique le même
esprit que dans l'oeuvre de Thucydide qui refuse d'expliquer la marche des
évènements historiques par l'intervention des dieux dans les
sociétés humaines. Bien que des résurgences de
pensées archaïques soient présentes (la maladie est une
force démoniaque), la pensée hippocratique refuse l'intervention
divine pour expliquer les maladies et rejette la thérapeutique magique
par incantations ou purification240(*).
La médecine hippocratique apparaît comme une
médecine laïque, rationnelle, exercée par des
médecins qui soignent en prescrivant des remèdes, des
régimes ou en pratiquant des interventions chirurgicales241(*).
Pour l'auteur hippocratique, ce sont les causes naturelles qui
sont à l'origine des maladies et plus particulièrement un flux
d'humeurs froides provoqué par les changements de vent. Par
conséquent, le traitement doit être naturel, par les contraires
qu'il oppose242(*).
Selon l'auteur, il faut chercher les causes dans l'histoire de
la famille du malade, dès avant la naissance et au cours de sa
vie243(*).Toutefois,
cette histoire s'inscrit dans des processus internes qui sont les mêmes
chez tous les individus.
Même si des différences existaient entre les
doctrines et les procédures de chaque groupe, il y avait aussi de vastes
zones communes244(*). Le
traité Maladie Sacrée révèle que les
adversaires d'Hippocrate emploient des purifications, charmes, incantations et
recommandations d'ordre diététique. En considérant que
certains mets sont nuisibles au malade, l'auteur leur reconnaît un
intérêt245(*). Ceci est confirmé par les inscriptions
à Epidaure du culte d'Asclépios. Le dieu guérirait les
malades en les touchant avec un anneau mais également grâce aux
aliments et aux médicaments.
II. La médecine
magico-religieuse
En la matière, le travail de Dodds246(*) a permis que certaines
thèses soient désormais admises. On sait aujourd'hui que
l'irrationnel fut présent à toutes les périodes de la
pensée grecque mais que quelques variations existaient. Ainsi, Dodds
décèle au IVème siècle une sorte de retour en
réponse au Vème siècle247(*), époque des Lumières qui s'intensifie
à partir du deuxième siècle après
Jésus-Christ. Toutefois, même si cela s'avère exact, on
s'accorde à dire que le monde antique a développé des
enquêtes dans lesquelles on reconnaît science et philosophie.
Tout en dénonçant l'ignorance totale de l'art
chez ses adversaires, le médecin hippocratique leur reconnaît une
certaine habileté. Leur responsabilité est rejetée sur les
dieux en cas de décès du patient alors qu'il s'arroge le
mérite en cas de guérison248(*). Grâce à différents artifices,
ils semblent être les détenteurs d'une science supérieure,
auxquels ils ont recours, que ce soit dans le diagnostic ou dans le
traitement.
Le médecin hippocratique reproche à la
médecine magico-religieuse de chercher à être plus
affective, expressive ou symbolique, qu'efficace. Le critère qui
permettait de la juger était de savoir si elle avait été
accomplie comme il le fallait et non si elle avait obtenu des résultats
pratiques249(*).
Pour ce qui est du traitement, la médecine
magico-religieuse allie purifications, incantations et interdits
alimentaires.
« Il ordonnent de s'abstenir de bain et de nombreux
aliments qui sont inappropriés aux malades ; por les poissons de
mer, le trigle, le mélanure, le mulet, l'anguille ; pour les
viandes, celles de chèvres, de cerf, de porcelet et de chien ; pour
les oiseaux, la poule, la tourterelle, l'outarde ; pour les
légumes, la menthe, l'ail, l'oignon ; et ils ordonnent de ne pas
porter un manteau noir, de ne pas se coucher sur une peau de chèvre ni
d'en porter sur soi ».
De même, des distinctions sont faites dans le
diagnostic :
« Si le malade imite la chèvre, s'il rugit et
s'il a des convulsions du côté droit, ils disent que la
mère des dieux est responsable ; s'il fait entendre des sons
plutôt aigus et perçant, ils comparent le malade à un
cheval et disent que Poséidon est responsable »
Ce passage permet de comprendre comment la médecine
magico-religieuse a pu rivaliser avec la médecine hippocratique. En
effet, les principes du diagnostic rappellent des traités du corpus dans
lesquels la variation des symptômes permet de conclure à deux
maladies différentes. On comprend mieux l'aspect paradoxal de la
polémique qui assimile ses adversaires à des charlatans mais qui
leur reconnaît une certaine habileté sophistique.
Cette médecine est d'autant plus un adversaire que la
mentalité populaire devait certainement conserver la conception divine
de la maladie, celle-ci étant intensément relayé par le
théâtre dans lequel on voit les dieux infligés des maladies
ou les guérir. Ainsi, dans OEdipe Roi, où une
épidémie s'abat sur la ville tant que le meurtrier du
précédent roi n'est pas retrouvé. La tragédie est
donc le témoin de la crédulité populaire qui pouvait
facilement être utilisée par les charlatans250(*).
III. La médecine des
temples
Il existe une grande différence entre la
médecine des temples et la médecine magico-religieuse ; la
première est infaillible251(*). La médecine rationnelle ne s'y est pas
trompée ; en décrivant ses pratiques, les médecins
hippocratiques employaient parfois les termes même qui avaient une
utilisation analogue dans un contexte religieux. Le développement qui
suit reprend les idées développées par Jacques Jouanna
dans son ouvrage Hippocrate précédemment cité.
III.1.
La médecine des sanctuaires d'Asclépios.
Bien que les médecins hippocratiques puissent entrer en
conflit avec certains devins à cause de la concurrence pouvant
s'installer entre eux, ils n'ont jamais couru le risque de remettre en cause la
religion des sanctuaires. Si ce fait est souligné, c'est parce
qu'à la période où les médecins hippocratiques
exerçaient, la médecine religieuse des sanctuaires
d'Asclépios connaissait un essor sans précédent
grâce aux guérisons miraculeuses où se manifestait la
présence du dieu.
Le culte d'Asclépios, bien qu'on trouve le plus ancien
temple à Tricca en Thessalie, s'étend sur la Grèce
continentale à partir du sanctuaire d'Epidaure. Les guérisons
miraculeuses sont attestées par deux témoignages du IVème
siècle. Le premier est l'oeuvre d'Aristophane,
« Il s'assit auprès de Ploutos et
commença par lui palper la tête ; ensuite, prenant une
compresse propre, il lui essuya les paupières tout autour. Quant
à Panacée, elle étendit sur sa tête et sur tout son
visage un voile pourpre. Puis le dieu se mit à siffler. Du temples
s'élancèrent alors deux serpent d'une taille prodigieuse... Eux
deux, se glissant doucement sous le voile de pourpre, lui
léchèrent les paupières tout autour, à ce qu'il me
semblait. Et, en moins de temps qu'il ne faut pour boire dix cotyles de vin,
Ploutos était debout et voyait clair. Moi je me mis à applaudir
de joie et je réveillai mon maître. Quant au dieu, il
s'éclipsa dans le temples avec les serpents252(*). »
le second, des inscriptions sur des stèles
trouvées à Epidaure qui livrent soixante dix récits de
guérisons miraculeuses.Y était inscrit le nom du malade, la
cité d'origine et la maladie. Le malade vient au sanctuaire en suppliant
le dieu, se couche dans le portique d'incubation et se relève
guéri le lendemain. Plusieurs cas de guérison d'aveugle confirme
le Ploutos d'Aristophane :
« Ambrosia d'Athènes était aveugle
d'un oeil. Celle-ci vint en suppliante vers le dieu. Faisant le tour du
sanctuaire, elle se moquait de certaines guérisons qu'elle jugeait
incroyables et impossibles, à savoir que des boiteux et des aveugles
guérissent par le seul fait d'avoir une vision en dormant.
S'étant couché dans, [le portique d'incubation] elle eut une
vision. A ce qu'il lui semblait, le dieu se tenant au-dessus d'elle lui disait
qu'il la guérirait, mais qu'elle devait déposer en salaire dans
le sanctuaire une truie d'argent pour commémorer sa sottise ;
après ces mots, il incisa l'oeil malade et y versa un remède.
Quand le jour vint, elle s'en alla guérie. »
Une intervention du dieu lors d'un rêve était
donc à l'origine des guérisons quelle que soit la maladie.
Asclépios guérissait sans distinction les hommes et les femmes,
les adultes et les enfants et toutes sortes de maladies, de la paralysie
à la stérilité des femmes. L'origine géographique
des malades montre la même diversité : les régions
proches d'Epidaure telle que Argos, ou Trézène mais aussi des
régions plus éloignées comme l'Achaïe, l'Arcadie, la
Messénie, la Laconie, la Thessalie.
La variété des maladies et la diversité
de provenance des malades attestent du caractère florissant de la
médecine religieuse des grands sanctuaires au IVème siècle
et probablement dans le dernier quart du Vème siècle.
III.2.
Médecine d'Asclépios et médecine des
Asclépiades.
Ce succès de la médecine des prêtres
d'Asclépios pose le problème de son rapport avec les
Asclépiades de Cnide et de Cos.
D'abord, du point de vue des religieux. A partir des
stèles conservées à Epidaure, il semble que le
clergé ait éprouvé le besoin de se préserver des
réactions d'esprits trop rationalistes pour imposer une médecine
miraculeuse. L'exemple de l'athénienne cité plus haut l'exprime
bien ; le dieu la guérit mais lui fait aussi la leçon. De
plus, quand les médecins ne pouvaient plus rien pour le malade, celui-ci
se tournait vers Asclépios :
« Etant désespéré pour l'art
des mortels, en la divinité j'ai mis ton mon espoir ; quittant
Athènes aux beaux enfants, je vins, ô Asclépios, dans ton
bois sacré, où je fus guéri en trois mois d'un
ulcère à la tête qui durait depuis un an »
Du point de vue de la médecine laïque, on ne
trouve pas de trace d'un conflit entre les deux médecines. Les maladies
sont soignées par des méthodes très différentes. On
en possède un exemple avec le cas d'un homme épileptique. En
premier lieu, voyons comment Asclépios soigne cette maladie :
« Un habitant d'Argos. Epileptique. Celui-ci
s'étant endormi dans [le portique d'incubation] eut une vision. Il lui
semblait que le dieu se tenant au-dessus de lui pressait avec sa bague sa
bouche, ses narines et ses oreilles, et il guérit. »
La guérison repose sur un moyen magique, la bague du
dieu, à laquelle on attribuait, dans la croyances populaires des vertus
curatives253(*). Or, un
médecin hippocratique ne pouvait en aucun cas adhérer à ce
type d'argument pour expliquer un cas de guérison bien qu'il puisse,
parfois, reconnaître le caractère extraordinaire d'une
guérison mais sans porter de jugement.
« L'homme qui fut blessé à l'aine par
une flèche, et que nous avons vu, fut sauver de la façon la plus
inattendue : la pointe n'avait pas été extraite _ elle
était située trop en profondeur_ ; aucune hémorragie
digne d'être mentionnée ne s'était produite ; pas
d'inflammation ; le blessé ne devint pas boiteux. Au moment
où nous quittâmes les lieux, six ans après, il conservait
encore cette pointe. »
Si le médecin hippocratique constate le
caractère exceptionnel de certaines guérisons, il n'en remet pas
le mérite au dieu à la différence de la médecine
des temples qui les considèrent comme la manifestation normale de la
puissance du dieu.
Toutefois les médecins hippocratiques ne prennent
jamais ouvertement position contre la médecine des sanctuaires.
Même dans le traité Maladie sacrée, attaque de la
médecine rationnelle contre ceux qui considèrent que cette
maladie a des causes divines, l'auteur fait remarquer que :
« ils devraient faire tout le contraire, sacrifier,
prier et porter les malades dans les sanctuaires pour supplier les
dieux. »
Cette position peut paraître étonnante venant
d'un auteur hippocratique. Mais, si lui ne croit pas en la cause divine de la
maladie, il reconnaît que la seule thérapie pouvant coïncider
avec l'idée qu'il est nécessaire de se faire du divin est la
médecine religieuse des grands sanctuaires.
Cette vision s'explique peut-être par le fait que les
Asclépiades prétendaient avoir Asclépios pour
ancêtre. Le dieu pouvait donc être un trait d'union entre la
médecine rationnelle et la médecine religieuse des prêtres
d'Asclépios. Les rapports d'Hippocrate et de sa famille avec le
sanctuaire d'Apollon à Delphes montrent que pratiques religieuses et
médecine rationnelle n'étaient pas incompatibles. Les
privilèges religieux dont pouvaient bénéficier les
médecins appartenant à la famille aristocrate des
Asclépiades ne pouvaient que renforcer leur prestige social et pouvait
être utile à une période où les titres scientifiques
n'existaient pas encore.
Malgré la non agression des médecins à
l'égard des temples, il semble que ceux-ci n'en est pas fait de
même avec la médecine rationnelle. En effet, à Epidaure,
une inscription mentionne une guérison effectuée par le dieu avec
une consigne : il est interdit de suivre les traitements prescrit par des
médecins. Car les praticiens de la médecine des temples
revendiquaient des résultats concrets, ce sont ceux-ci que rappelle les
inscription d'Epidaure : il semble que le dieux ait guéri une
grande diversité de maladie dont l'épilepsie254(*). Il est difficile de
déterminer les facteurs à l'origine des guérisons. La
suggestion joue peut-être un rôle important mais cela ne change
rien au fait que le temple revendique des résultats concrets dans de
nombreux cas. Toutefois, on pourrait également parler du pouvoir de
suggestion chez l'auteur de Maladie sacrée. En effet, rappelons
que l'auteur est aussi impuissant que ceux qu'il attaque, le soulagement
éprouvé par ses malades ne serait il par lié à la
confiance qu'ils avaient en lui plutôt qu'à l'efficacité de
ses moyens de guérison ?
Par conséquent, aucune explication facile, où la
science et la philosophie s'opposeraient ensemble et unanimement à la
magie et à l'irrationnel n'est possible255(*).
IV. L'opposition de la
médecine rationnelle à la médecine magique
Deux raisons peuvent être à l'origine des
accusations des médecins hippocratiques : une rivalité mais
également, une position qui relève de l'impiété.
IV.1.
Une rivalité
On rencontre deux attitudes chez les médecins
hippocratiques. Certains ne font que donner leur avis en n'incriminant pas les
croyances liées à elle pendant que d'autres ajoutent à
leur théorie une vigoureuse critique de ceux qui considèrent que
les origines des maladies sont divines.
« Quand la jeune fille retrouve sa raison, c'est
à Artémis que les femmes consacre beaucoup d'offrandes en
général et en particulier les vêtements féminins les
plus précieux, sur la recommandation des devins, mais elles sont
complètements trompées. La délivrance de cette maladie se
produit quand l'écoulement du sang n'est pas empêché. Je
recommande, pour ma part, aux jeunes filles qui sont atteintes d'une telle
affection de se marier au plus vite ; car si elles deviennent enceinte,
elles guérissent256(*). »
Ainsi dans Maladies des jeunes filles, l'opposition
entre devin et médecin est essentielle. Cette attaque virulente permet
de penser qu'une grande rivalité existait entre les médecins et
les devins.
On trouve la meilleure illustration de cette critique dans le
traité Maladie sacrée. Dès les premières
lignes, l'auteur émet des réserves sur la sacralité de
cette maladie. En effet, il ne parle pas de maladie sacrée, mais de
« maladie dite sacrée ». Chez les hippocratiques,
les explications, bien que celles-ci puissent différer, sont toutes
physiologiques.
Maladie sacrée est le premier
témoignage où la médecine rationnelle s'oppose à
une médecine magico-religieuse. Il compare ceux qui ont sacralisé
cette maladie à des charlatans. Il s'agit là d'une accusation
très violente. Elle dénonce l'appât du gain et l'ignorance
de ces personnes de leur art. Ainsi il considère que le recours à
la divinité n'est qu'un moyen de cacher l'incompétence de ses
adversaires.
« Ces gens-là, déclare-til,
plaçant le divin comme un voile et un rempart pour cacher leur
incapacité à disposer d'aucune description utile, ont émis
l'idée que cette maladie était sacrée pour éviter
que n'éclate en plein jour leur totale ignorance »
L'attaque est sans appel et d'une réelle violence.
Pourquoi ? Sans doute parce que les adversaires de l'auteur ne sont pas
aussi insignifiants qu'il le fait entendre. La profession médicale
n'était, rappelons-le, pas réglementé, et là
où l'assemblée du peuple procédait au recrutement des
médecins publics, il était nécessaire de convaincre que
l'on était le détenteur de la méthode assurant le plus de
guérison possible.
IV. 2.
Un crime d'impiété ?
La pensée grecque du Vème siècle ne
pouvait s'accommoder des pratiques de la sorcellerie. En effet, tout oppose ces
deux modes de pensée. La philosophie, dont l'influence est fortement
marquée dans certains traités tel que celui de Maladie
Sacrée se pratique avec le concours de la parole, l'autre se
pratique dans le silence et la solitude257(*).
Hippocrate, penseur et praticien, a fortement influencé
le rejet de la magie dans la médecine.Ayant vécu en Thessalie,
patrie où les sorcière sont fameuses, n'a pas été
convaincu par leur art258(*). Dans le traité Maladie
Sacrée, Hippocrate considère que cette maladie n'est pas
plus sacrée que les autres. Alors que certains voient dans le
traité Maladie Sacrée les prémisses de la
médecine rationnelle, d'autres ont soutenu que ce texte était le
plus religieux de tous le corpus. En effet ; ce que l'auteur n'admet pas,
c'est le recours à des procédés non médicaux pour
expliquer une maladie dont les causes sont naturelles avec comme justification
la religion. Par conséquent, l'auteur, qui pour certains est Hippocrate,
considère ces charlatans comme des impies et l'explique :
« celui qui par des purifications et de la magie,
à la pouvoir de chasser une telle affection, celui-là est en
état, par des procédés différents, de la
provoquer ; et une telle argumentation supprime, sans plus, l'intervention
divine. Avec ces discours est ces artifices, ils se donnent pour
posséder un savoir supérieur et trompent le monde en prescrivant
des expiations et des purifications ; car ils ne parlent guère que
de l'influence des dieux et des démons. Dans leur opinion de tels
discours vont à la piété ; mais, dans la mienne, ils
vont à l'impiété, et nient l'existence des dieux ; ce
qui, d'après ces gens, est religieux et divin est comme je vais le faire
voir, irréligieux et impie. En effet, ils prétendent savoir les
moyens de faire descendre la lune, d'éclipser le soleil, de provoquer
l'orage et le beau temps, la pluie et la sécheresse, de rendre la terre
et la mer infécondes et tant d'autres merveilles. Quelque soit la cause,
soit rites, soit tout autres connaissance ou pratique, dont les gens de ce
métier disent tenir leur pouvoir, ils ne m'en paraissent pas moins
être dans l'impiété et ne pas croire qu'il y ait des dieux,
ou, le croyant, penser que ces dieux sont sans force et dans l'impuissance
d'empêcher aucune de ces merveilles suprêmes qu'ils
promettent »
Pour Hippocrate, les charlatans se posent en rivaux des
divinités. A l'époque classique, c'est une h?bris259(*), au même titre
que Phèdre, Médée ou OEdipe, personnages des
tragédies de Sophocle et d'Euripide260(*). Les charlatans ne pratiqueraient qu'une caricature
de religion et leurs rites ne procéderaient donc pas de la
piété. Hippocrate décrit les diagnostics de ces
guérisseurs qui font appel aux divinités invoquées par les
charlatans et prouve, en même temps, qu'il connaît bien ces rites.
Médecin et croyant, Hippocrate est doublement choqué par ces
inefficaces recettes de magie261(*).
La conclusion qu'Hippocrate en tire, c'est que la maladie
sacrée ne peut être soignée que par un médecin
connaissant son art et n'utilisant ni charmes ni procédés
magiques.
A l'égard de la sorcellerie, les réactions des
penseurs grecs se révèlent donc tout à fait
négatives. Les exigences de la pensée rationnelle étaient
incompatibles avec ces pratiques primitives.Les philosophes grecs ayant voulu
une éthique fondée sur des principes, ils ne pouvaient admettre
des procédés échappant à tout contrôle de la
raison. Pour Hippocrate, l'observation objective des faits et la rigueur morale
au service des autres excluaient les pratiques grossières des
guérisseurs. Toutefois, l'utilisation de remède tel que la
pivoine262(*) connue
pour ses vertus médicales continue d'être pratiquée.Ainsi,
on peut dire qu'au Vème et IVème siècle, des
empiètements entre les différents courants de la médecine
ont lieu et bien que ces derniers restent distinct, il est certain que les
praticiens sont en concurrence directe263(*), pour notamment, le titre de médecin de la
cité.
De quoi est née cette réaction
hippocratique ? Quels sont les facteurs qui ont favorisé les
interrogations sur la médecine magico-religieuse ?
Chapitre III
Les facteurs responsables de l'interrogation sur la
médecine magico-religieuse
Cette troisième partie s'appuie essentiellement sur
l'ouvrage de G.E.R. Lloyd, Magie, raison et expérience
précédemment cité. On se demandera pourquoi la
remise en cause de certaines pratiques religieuses a eu lieu durant la
période classique, si le contexte social et les changements politiques
de l'époque ont eu un impact sur cette remise en question.
I. Les premières
tentatives
La première tentative de réfutation des
pratiques religieuses date de la fin du Vème siècle et du
début du IVème siècle264(*). Pourquoi ?
Hésiode et Homère sont des auteurs des
cosmogonies théologiques. Les premiers philosophes de la nature sont
aussi des innovateurs dans ce domaine265(*). D'une part, ils donnent des explications
naturalistes dans certains domaines et d'autre part, ils considèrent
comme divin le principe qu'ils placent à l'origine du monde. Par
conséquent, on trouve, du VIIème au Vème siècle des
auteurs innovant en matière de religion. Ainsi
Xénophane266(*),
mis en cause pour des raisons morales car il attribue des défauts aux
Dieux et se moque de l'anthropomorphisme267(*) ou Héraclite268(*) qui condamne les
purifications rituelles accomplit après un meurtre :
« ils se purifient en vain par le sang et ils
adressent des prières aux statues comme quelqu'un qui parleraient
à des maisons »
De plus, il considère que certains cultes sont
l'occasion d'avoir une attitude qui, en temps normal, serait qualifié de
honteuse et s'oppose au fait d'accomplir des actes sans en connaître le
vrai sens.
Ainsi, au Vième et Vème siècle, il est
possible de critiquer les idées et les pratiques religieuses existantes
afin d'en introduire de nouvelles.
II. Le contexte social
Quelle est le contexte social de cette évolution de la
pensée grecques ? Jusqu'où peut- on aller dans le
repérage des conditions sociales qui ont permis ou favorisées
l'émergence de la philosophie et de la science ? Pour cela, il faut
prendre en compte la nature exacte et les limites des changements intellectuels
qui se sont produits en Grèce, analyser les ressemblances et les
dissemblances entre les données grecques et les sociétés
différentes de la même époque.
II.1.
Les grecs et le Proche-Orient
La médecine, comme d'autres sciences telles que
l'astronomie ou les mathématiques, bénéficie d'une
contribution apportée par l'Egypte et la Mésopotamie. Toutefois,
on trouve quelques différences entre leur travaux et ceux des
Grecs269(*). Au coeur
même de cette différence, la recherche d'une démonstration
rigoureuse. Ainsi, à Babylone, on observait les astres car ils
influençaient et déterminaient les évènements
terrestres. Les grecs ont fait l'effort de construire des modèles
géométriques capables de rendre compte des mouvements
célestes. De même en médecine, les attaques contre
l'utilisation de la magie sont typiquement grecs. C'est avec eux que
l'enquête se dote d'une méthode sur laquelle elle a
réfléchi270(*).
II.2.
Quelques hypothèses explicatives
Comment peut-on identifier les facteurs qui ont
favorisé cette évolution ? Dans quelle mesure peut-on
expliquer ce phénomène ? Tout d'abord, il faut avouer notre
impuissance. Quand on veut savoir ce qui s'est passé et pourquoi on a
abouti à une révolution de la pensée, il est difficile
d'exercer un contrôle réel.
Commençons par quelques remarques
négatives : le traité Maladie Sacrée est une
critique des croyances religieuses. Le texte est censé être un
progrès vers un meilleur contrôle de la maladie mais l'auteur
n'est pas plus capable que ceux qu'il attaque de soulager les
épileptiques. Une autre considération interdit d'établir
un lien entre maîtrise technique et développement de
l'enquête critique en suggérant que la première serait la
condition suffisante de la seconde : du VIème siècle au
IVème siècle, on remarque une uniformité
générale du niveau de technologie dans les pays de la
Méditerranée orientale et du Proche-Orient. En Grèce, il
n'y a pas de progrès technique important, la révolution urbaine
datant du troisième ou deuxième millénaire (poterie,
tissage, agriculture). Par conséquent, on ne peut pas la tenir
responsable des avancées intellectuelles.
Pour les même raisons, il faut se méfier d'une
interprétation purement économique. Aristote associe le
développement de la pensée spéculative avec le loisir que
permet la richesse mais cela ne peut pas être suffisant pour expliquer
l'essor intellectuel. Ici encore les exemples de l'Egypte et de Babylone sont
des moyens de contrôle car sur le plan économique, au VIème
siècle, elles sont plus puissantes que n'importe quelle cité
grecque.
Dans le développement d'une attitude ouverte et
critique à l'égard de présupposés fondamentaux
d'une société, la connaissance de sociétés et de
système de croyances autres constitue un facteur déterminant. Il
semble que les sages grecs aient cherché à s'informer sur les
sociétés non grecques et trouvent beaucoup à y
apprendre271(*). Ainsi,
à la fin du Vème siècle, ce que les grecs savaient ou
croyaient savoir sur des sociétés différentes fut un
réservoir d'argument dans les débats entre nature et
convention.
Toutefois, la connaissance des peuples étrangers et
l'intérêts pour leur culture n'est pas un privilège
grec272(*). Là
encore la comparaison avec des sociétés proche-orientales
permettent de nuancer nos conclusions relatives à la Grèce. Si la
connaissance des sociétés différentes est, au mieux, une
condition nécessaire pour l'émergence des changements
intellectuels en Grèce, cela n'est pas une condition suffisante.
La dernière hypothèse semble prometteuse car
elle met en cause le développement de l'écriture. L'étude
des changements affectant les moyens techniques par lesquels les idées
sont communiquées et enregistrées, a permis d'évaluer
à quel point ces moyens pouvaient influencer ou déterminer la
nature de la chose communiquée. L'enregistrement écrit rend
possible le développement d'une forme de jugement critique sur le
passé et l'accumulation du scepticisme sur ce sujet comme sur d'autres.
Il est possible que la prise de conscience, dans le domaine rhétorique,
des procédures formalisées dépendent de la
possibilité de recourir à des textes que l'on peut étudier
à loisir.
Cette théorie a permis d'ébranler la vue
simpliste qui oppose les sociétés primitives aux avancées.
Deux remarques doivent être retenues : l'existence de moyens de
communication spécifiques, surtout de documents écrits sont des
facteurs importants pour les avancées intellectuelles des
sociétés du Proche Orient et sont quelquefois même une
condition nécessaire. Dans la série complexe des changements dans
les modes de communication qui ont affecté le Proche Orient Ancien, il
est une innovation majeure : l'invention d'un système
d'écriture alphabétique. Ce progrès facilite l'expansion
de l'écriture au-delà du cercle étroit dans lequel il
avait été confiné.
Par conséquent, des réserves s'imposent,
même si le développement de la pensée critique a
dépendu en partie de l'existence de textes et de gens capable de les
lire. Cependant au Vème et IVème siècle, la communication
des idées est plus orales qu'écrite. S'il n'y a pas de doute sur
le fait que l'étude des changements dans les moyens de communication ont
été fondamentaux pour le développement intellectuel au
Proche Orient, en revanche, pour la Grèce, ce facteur ne peut apporter
qu'une solution partielle au problème que pose l'émergence d'un
type d'enquêtes radicales et critiques.
Pour tenter de comprendre pourquoi certaines formes
d'enquêtes intellectuelles sont nées en Grèce ancienne, il
faut prendre en compte les facteurs économiques et techniques qui ont
affecté la Grèce et ses proches voisins. Ainsi, on peut
dénombrer ;
-l'existence d'un surplus économique et d'un moyen
d'échange spécifique, la monnaie.
-l'accès à d'autres sociétés,
intérêt pour leur culture,
-le changement dans les moyens de communication, le
commencement de l'écriture.
Sans le premier de ces deux facteurs, l'institution de la
cité-état n'est pas concevable. Le second facteur a étendu
l'horizon mental, géographique. Sans le dernier, la nouvelle science
était mort-née. Lorsqu'on a fait part de ces trois facteurs, les
autres sont, au sens large des facteurs politiques. Ce qui caractérise
la Grèce ancienne, ce sont les changements intellectuels et une
situation politique exceptionnelle.
Quatre éléments permettent d'estimer que les
changements intellectuels ont été directement influencés
par des aspects de l'expérience politique grecque.
-la possibilité d'innovations radicales,
-l'accès ouvert au forum du débat,
-l'habitude de soumettre les choses à l'examen,
-le sentiment qu'il est nécessaire de justifier ou
rendre compte au méthodes rationnelles.
II.3. Les changements
politiques
Pour faire avancer notre enquête, il est
nécessaire de considérer les changements apparaissant dans le
cadre de l'émergence de la cité état. C'est là que
le contraste entre le monde grec et le reste du monde est le plus important. La
signification de ces différences mérite un examen attentif.
II.3.1. La participation populaire à la
politique.
Du VIIème au IVème siècle, la
souveraineté est logée dans une foule d'unités autonomes
sur le plan politique, instable et turbulente. On y trouve une activité
visant à formuler, discuter, réviser et parfois renverser les
codes de lois et de constitution.
Les grecs ne sont pas les premiers à faire des codes.
Babylone et l'Egypte ont également des chartes mais essentiellement des
chartes juridiques. Chaque état est gouverné par un roi absolu
soutenu par une bureaucratie puissante qui lui obéissait. Un changement
de gouvernement revenait à un changement de personne, pas à une
modification du système constitutionnel. Les grecs traitent des
relations entre les différents types d'esclaves et les hommes libres
mais restent muets sur les droits proprement politiques de ces derniers.
(prendre la parole, voter pour les assemblées) On ne peut donc pas
parler des constitutions.
En Grèce, il existe une prolifération de formes
constitutionnelles. Elles vont de la monarchie constitutionnelle à la
plus extrême démocratie en passant par l'oligarchie. A partir du
VIIème siècle, beaucoup de cités-Etats sont
affectées par des bouleversements constitutionnels.
Dans les nouvelles cités-Etats, les citoyens ont
l'habitude de participer pleinement au gouvernement effectif de leur
cité, s'engager dans une délibération active sur des
problèmes constitutionnels. On peut donner la cité
d'Athènes comme exemple car c'est celle pour laquelle nous avons le plus
de renseignement. Trois traits la caractérisent : les charges sont
tirées au sort, elles ne doivent pas être exercées plus
d'une fois et chaque citoyen peut participer au tribunal populaire ce qui lui
donne droit à un salaire. Un éventail de texte du V-IVème
siècle montre l'intérêt des grecs pour les
différents systèmes constitutionnels, sur leur passions pour la
liberté et surtout celle de la parole.
Au Vème siècle, ce qui caractérise les
grecs des barbares, c'est la liberté, l'autonomie politique, le droit de
se gouverner soi-même. Parmi ceux qui expriment cette idée, se
trouve l'auteur du traité Airs, Eaux, Lieux273(*). Il oppose
peut-être de façon exagéré les grecs et les barbares
mais ceci ne diminue pas la valeur du témoignage pour ce qui est de nous
renseigner sur la manière grecque d'appréhender cette opposition.
Selon l'auteur, ce qui différencie le plus la vie politique de la
cité grecque des autres, c'est que le grec est son propre
maître.
II.3.2. Des rapports de la
science avec la politique
Ces différences entre les grecs et les autres pays sont
ils pertinents pour notre problème ? La sphère du droit et
de la justice propose d'importants modèles cosmiques. L'univers est un
Kosmos, un ordre, les phénomènes naturels sont
réguliers, soumis à des séquences ordonnées de
causes et effets. Dans cette perspective, c'est une société
régie par des institutions juridiques régulières qui
fournit le contexte indispensable dans lequel peut se développer
l'idée que le monde est un tout ordonné.
Cette proposition se heurte à une difficulté.
Les grecs ne furent pas les seuls à élaborer des systèmes
juridiques complexes. Il faut souligner les différences dans les
attitudes possibles à l'égard du droit, sa nature, de son
fondement. Ailleurs, l'ultime sanction des codes de lois est Dieu ou le roi qui
le représente sur terre dans le Proche Orient ancien. La justice
dépend toujours d'une autorité personnelle. En Grèce, des
codes de lois portent le nom de leur auteur, Solon invoque Zeus dans ses
poèmes mais l'accent a changé. L'idée selon laquelle la
loi est une chose abstraite, impersonnelle à laquelle se trouve soumis
le législateur, gagne du terrain. On parle encore d'une vengeance divine
mais les dieux perdent leur caractéristique de divinité
personnelle et se transforment en pure personnification du gouvernement de la
loi. A mesure que cette loi devient l'objet d'un débat ouvert, qu'elle
dépend de plus en plus de l'accord des citoyens, la notion d'une
autorité personnelle plus haute se trouve ébranlée.
L'opposition entre physis nature et nomos, loi établie
pas l'homme exprime cette évolution.
Un des traits remarquables de l'expérience politique
grecque à partir du VIème siècle est le caractère
ouvert des discussions sur la meilleure manière de régler une
société, les avantages ou désavantages des
différents types de constitutions, discussion qui ne sont pas seulement
théoriques. Ainsi, on a la possibilité de contester deux
présupposés enracinés à propos de la nature,de
soumettre à l'examen des questions comme l'origine du monde. Ici, on ne
peut nier un certain parallélisme entre les deux évolutions. La
cité-Etat exige, de la part des dirigeants politique l'exercice de
savoir faire nouveaux. Ces hommes d'une grande sagesse exceptionnelle l'avaient
acquis pour des raisons très variées et auprès de publics
différents. Certains le devaient à un charisme personnel,
d'autres, à un savoir ésotérique. Toutefois, il est de
moins en moins possible de faire accepter des idées uniquement parce
qu'elles viennent d'un individu qui a l'autorité. Cela s'applique en
politique, en médecine, en philosophie. On a déjà
noté la compétition qui se développe. Ce qui passait pour
argument convaincant variait d'un groupe à l'autre. L'importance de la
participation à la vie politique eut des répercussions
importantes sur la vie intellectuelle dans son ensemble. Beaucoup
d'écrivains d'époque classique décrivent une
assemblée où les citoyens se sont pris d'un intérêt
passionné pour leur rôle, leur responsabilité politique et
l'exercice de leur droit274(*). Athènes, est, par exemple, le seul endroit
où un homme qui ne prend pas part au gouvernement est un homme
inutile.Enfin, on oppose domination par la force et domination par la raison ou
l'argumentation.
L'idée que tout homme a le droit d'avoir une voix et
une opinion dans tous les domaines se retrouve dans quantité de textes
philosophiques, historiques et médicaux. Même si les choses
pouvaient tourner mal pour les contestataires en raison des étroites
relations interpersonnelles qui se nouaient à l'intérieur de la
cité-Etat et grâce au nombre élevé de ces
cités indépendantes, le monde grec montrait une tolérance
entre les divergences d'opinion.
Cependant, si on peut dire que le développement de
l'enquête critique en Grèce à un rapport avec
l'expérience politique grecque, la thèse se heurte à des
objections évidentes dont trois méritent discussion :
-la thèse pourrait faire penser que l'enquête
philosophique, scientifique doit être concentrée aux
démocraties alors qu'il s'agit d'un phénomène
répandu,
-on peut objecter que l'émergence de la pensée
spéculative précède le plein épanouissement des
institutions de la cité Etat et l'établissement de la
démocratie clisthénienne en 508,
-on peut penser que les choses auraient dû aller plus
loin. Si on considère que les caractères généraux
de la vie politique et sociales grecques ont joué un rôle dans
l'émergence de l'enquête critique radicale, comment expliquer qu'
aient survécu au-delà du Vème siècle,
quantité de pratiques magiques ?
On peut répondre en appliquant à toutes les
trois des réserves et des précisions :
Si des institutions comme l'ostracisme275(*) n'apparaissent que dans
certaines démocraties, les différences entre cités
démocratiques et oligarchiques qui sont pertinentes pour nous ne sont
que l'affaire de degré. Démocrates ou oligarques, les grands
philosophes ou savants appartiennent tous ou presque à une élite
plus ou moins définie. Même si la situation des philosophes est
très différente de celle des praticiens de la médecine.
Les philosophes et les sophistes recrutent leurs étudiants dans la
classe la plus riche, les médecins cherchent à exercer leur
pouvoir de persuasion sur leurs élèves ou les auditeurs de leur
conférence, mais aussi sur une clientèle potentielle qui
s'étendait au-delà de la minorité cultivée. Et
pourtant, l'exigence de discussion rationnelle, partie intégrante de
l'expérience commune dans la cité-Etat s'imposait à tous
et les influençait tous.
Si les productions des premiers philosophes milésiens,
Thalès276(*) et
Anaximandre277(*)
contemporains de Solon278(*) et de Pisistrate279(*) sont antérieures à l'introduction
à Athènes de la démocratie à la suite des
réformes de Clisthène280(*), quantité de traits qui apparaîtront
plus tard dans la discussion politique sont déjà présents
ou esquissé dans les poèmes de Solon. Ensuite, nous avons
souligné le caractère limité de ses avancées. Dans
deux grands pans de l'enquête physique, mathématique,
éthique, c'est au milieu du Vème siècle que s'institue un
grand débat. Il en est ainsi, par exemple de la controverse sur la
nature et la convention, le principal texte qui s'en prend aux croyances
magiques en médecine date de la fin du Vème siècle au plus
tôt. La conclusion s'impose : dans les deux cas, les changements
dont nous avons traité ont été progressifs, ils ont mis du
temps à s'imposer et leur installation ne se fit pas sans retour en
arrière intermittents.
On a tenté de prouver que l'expérience du
débat critique radical dans le domaine politique et juridique avait
accompagné et influencé le développement d'une
enquête également critique et radicale, dans d'autres champs de
pensée. Or, l'existence de certaines institutions politiques, d'un
climat général de l'opinion publique autorisant la critique
fondamentale ne signifie pas que le spectre des croyances populaires sera
soumis à un semblable examen, que toute les manifestation de
l'irrationnel seront mises sur la sellette. Trois observations
s'imposent :
Tout d'abord, la capacité des arguments rationnels
à déraciner des convictions établies est assez
limitées.
Ensuite, le succès des nouveaux professionnels de la
parole suscite des réactions hostiles chez Aristophane281(*) ou Platon282(*). Les citoyens avaient
l'occasion d'exercer leur compétence de juges en matière
d'habileté à manier les arguments mais à la fin du
Vème siècle, ils étaient souvent mis en garde contre la
rhétorique dans son ensemble.
Enfin, on fut obligé de reconnaître qu'il y avait
d'autres restrictions d'ordre général à l'expansion de
l'enquête critique : dans le domaine politique, seuls les hommes
libres pouvaient exercer la politique. En médecine, les idées des
médecins et des philosophes combattaient les croyances populaires
partagées par les hommes, les femmes, les libres et les esclaves. La
révolution de l'enquête critique est un phénomène
circonscrit par les barrières créées par les divisions
sociales, politiques, par l'analphabétisation et l'ignorance. La
vraisemblance des arguments de Maladie sacrée sont
étudiés pour le public auquel ils sont destinés. Tous le
monde ne les a pas jugés convaincants et l'ensemble des personnes qui
tombaient malade était plus considérable que celui des
participants à la vie politique de la cité-Etat.
Même si au Vème siècle, les croyances
traditionnelles furent attaquées, elles perdurent chez les gens du
commun et même chez certains représentants des
lumières283(*)
comme Hérodote. Selon lui, les maladies peuvent être le fait du
mécontentement divin. Il est donc possible d'enquêter sur la
nature des différents phénomènes tout en croyant que les
maladies sont envoyées par les dieux.
Il n'est pas question ici, de parler d'une quelconque victoire
de la rationalité sur la magie, celle-ci n'ayant jamais eu lieu. C'est
la raison pour laquelle la critique de la magie a trouvé une certaine
audience. Les attaques de l'auteur s'inscrivent dans un contexte de
compétition entre deux types de guérisseurs. Pour quantité
de croyances traditionnelles, une telle situation avait peu de chance de se
produire, beaucoup de croyances ayant été rationalisées et
incluses dans la philosophie de la nature, dans la médecine
hippocratique ou dans les deux. Enfin, si les arguments utilisées dans
Maladie sacrée appartiennent à une catégorie
propre à les rendre convaincants dans certains milieux, il ne s'ensuit
pas que les purificateurs ou les praticiens de la médecine des temples
furent réduits au chômage. Les faiblesses de certaines de leurs
prétentions furent dénoncées par des auteurs
extrêmement vulnérable à des objections. S'il ne faut pas
mésestimer la nature exceptionnelle de ce changement, il ne faut pas non
plus en exagérer la portée en voyant dans l'approche de la
critique radicale une caractéristique de la pensée grecque tout
entière.
En effet, notre deuxième partie va s'attacher à
montrer à quel point les mythes ont pu imprégner leurs marques
dans la société et comment on retrouve ces marques dans le
corpus hippocratique.
QUATRIEME PARTIE
LA PARTHENOS, PROLOGUE DE LA FEMME, RACE A
PART
Pourquoi parler de race à part ? C'est que, dans
l'imaginaire des hommes du cinquième siècle, le mythe de Pandora
a contribué à installer les femmes dans un écart originel.
Comment appréhender plausiblement ce qu'est une parthenos pour
un médecin si l'on ne sait, puisqu'une aucune autopsie ne semble avoir
été pratiquée, quelle vision pouvait avoir un homme du
corps d'une femme au cinquième siècle. Car bien que la
méthode hippocratique soit basée sur l'observation, on verra que
les croyances traditionnelles, notamment pour les femmes, persistent dans le
Corpus.
Il m'a semblé nécessaire de rappeler le mythe de
Pandora qui donna, culturellement parlant, naissance aux femmes ; qui
justifie, de par son contenu, une nature différente et donc la
nécessité d'une médecine à part, pour conclure par
le renforcement que la médecine apportent aux règles
régissant la vie d'une parthenos, puis d'une
gyné, à savoir la soumission à son
époux.
CHAPITRE I
PANDORA, NAISSANCE DE LA RACE DES FEMMES
Parce que Prométhée avait trompé Zeus,
celui-ci envoya aux hommes un fléau. Prométhée avait
volé le feu, Zeus envoya aux hommes un feu voleur. On verra ensuite
comment un autre auteur, Sémonide d'Armogos, explique la nature des
femmes à travers leurs défauts.
I. ET
VINT PROMETHEE.
Il fut un âge d'or où dieux et hommes vivaient
ensemble284(*). Lorsque
les hommes apparaissent pour la première fois dans nos sources, Zeus
occupe déjà le trône de l'univers.
« Eux désormais eurent pour lui grande
reconnaissance, ils lui donnèrent le tonnerre et la foudre
étincelante et l'éclair. Jusque là Terre l'immense tenait
caché ce pouvoir qui le fait roi de ceux qui meurent et de ceux qui
vivent à jamais285(*). »
Il a vaincu Cronos, les Titans et les Géants. Le monde
divin s'est stabilisé. Les dieux vivent sur l'Olympe mais partagent
également certaines terres avec les humains, notamment celle de
Mékoné, plaine de Corinthe. Dieux et hommes y festoient ensemble,
on écoute les aventures des dieux, les muses chantent les louanges de
Zeus. Tout est pour le mieux. C'est ce qu'on a appelé l'âge de
Cronos286(*), temps
antérieur au moment où la lutte se déclenche entre Zeus et
les hommes. Ces derniers ne connaissent aucuns des maux actuels, tout pousse
spontanément sans être soumis aux saisons.
« Autrefois les tribus des hommes vivaient sur la
terre, protégées, loin des malheurs sans travailler durement,
sans souffrir des tristes maladies qui font que les hommes meurent287(*). »
Les hommes restent jeunes, semblables à ce qu'ils sont
dès le début. Ils ne naissent pas tel que nous l'entendons
aujourd'hui, peut-être surgissent-ils de Terre, Gaïa, qui les aurait
enfanté de la même façon que les dieux. Les hommes ne
connaissent ni la mort, ni la naissance, ni le temps qui use les forces et fait
vieillir. Après des centaines d'années, les hommes disparaissent.
La vie ressemble à ce que raconte certains éthiopiens : une
table du soleil attend ceux-ci chaque matin où ils trouvent à
boire et à manger. Les viandes sont déjà cuites, le
blé poussent sans être cultivé, la nature offre tous les
biens de la vie domestique la plus raffinée, la plus civilisée.
La femme n'existe pas encore.
Mais le moment de la séparation hommes et dieux est
venu. Il s'opère quand les dieux font entre eux leur répartition.
C'est dans la violence qu'ils ont d'abord réglé la question des
honneurs et des privilèges réservés à chacun. Une
fois que les Olympiens se sont installés en haut du ciel, il a fallu
régler les problèmes entre eux. Zeus est chargé
d'opérer la répartition qui se fait, soit au terme d'un conflit
ouvert, soit d'un accord consensuel entre tous les Olympiens288(*).
Comment répartir les places entre les dieux et les
hommes ? L'usage de la violence n'est pas pensable car les humains sont
trop faibles. Comment faire des hommes les égaux des dieux ? Pour
trancher cette situation, Zeus fait appel à Prométhée, car
il a un statut ambigu. On dit de lui que c'est un Titan. Il est le fils de
Japet, frère de Cronos. Il n'est ni un Titan, ni un Olympien.
Prométhée possède un esprit de rébellion, malin et
indiscipliné. Zeus et Prométhée partagent plusieurs traits
communs sur le plan de l'intelligence et de l'esprit. Tout deux se
définissent par un esprit subtil.
« Elle enfanta Ménoïtios le superbe
Prométhée qui joue avec mille pensées289(*). »
Prométhée est dans un rapport de
complicité avec les hommes. Son statut est proche de celui des humains,
parce que ceux-ci sont aussi des créatures ambiguës, qui
détiennent un aspect de divinité et en même temps un aspect
d'animalité, de bestialité.
La scène se déroule ainsi : dieux et hommes
sont rassemblés comme à l'ordinaire. Lors d'un banquet, Zeus
charge Prométhée de faire la répartition. Il amène
un taureau qu'il abat, découpe et fait deux parts. Chacune va exprimer
la différence de statut entre dieux et hommes. Chacun des tas se
présente ainsi : un rempli de la graisse appétissante
entourant seulement des os blancs nus, l'autre une panse peu ragoûtante
avec à l'intérieur tout ce qui est bon à manger.
« Ah ! Prométhée, toi qui est si
malin, si fourbe, tu as fait un partage bien inégal290(*). »
Zeus, qui a vu d'avance la ruse, accepte de jouer le jeu,
prend la part remplie de graisse appétissante et entre dans une
colère épouvantable contre celui qui a voulu le duper.
Prométhée va payer sa faute : Zeus décide de cacher
le blé et le feu aux hommes : Prométhée a
caché la viande, Zeus soustrait aux hommes ce qui était à
leur disposition. La perte du feu est un catastrophe pour les hommes qui ne
mangent la viande que cuite. Mais Prométhée trouve une
parade : il monte au ciel avec une branche de fenouil qui brûle
à l'intérieur mais pas à l'extérieur.
Prométhée redescend et personne ne s'aperçoit que la tige
brûle à l'intérieur. Ce feu, Prométhée va le
donner aux hommes ce qui rend Zeus fou de colère.
Même si les humains ont retrouvé le feu, ce n'est
pas le même que celui que Zeus a caché, celui qu'il a dans la main
en permanence et qui ne faiblit jamais. Le premier est issue d'une semence, il
est né, par conséquent il demande à être nourri. Il
faut le conserver et veiller sur lui. Or, il possède un appétit
insatiable tout comme les mortels.
En même temps que le feu, Zeus a caché aux hommes
les céréales, sources de vie. Au temps de Cronos, les
céréales poussaient toutes seules, désormais il devient
laborieux et difficile de les cultiver et il faudra penser à les stocker
pour la période de l'année durant laquelle aucune semence ne peut
germer.
Pour les grecs, le blé est une plante cuite par
l'ardeur du soleil mais aussi par le travail des hommes. Le feu est la vrai
marque de la culture humaine. Le feu de Prométhée est celui de la
technique, une procédure intellectuelle qui démarque les hommes
des bêtes et consacre leur caractère de créatures
civilisées. Et pourtant, dans la mesure où ce feu humain a besoin
de s'alimenter pour vivre, il revêt aussi l'aspect d'une bête
sauvage. Le feu rappelle la spécificité de l'homme, son origine
divine et sa marque bestiale.
Toutefois, Zeus considère que sa victoire sur
Prométhée n'est pas complète : certes il a pris le
feu aux hommes mais Prométhée lui a repris. Zeus a pris le
blé mais les hommes, désormais, se le procurent en travaillant.
L'échec de son adversaire n'est pas éclatant. Alors, Zeus
réserve une surprise aux humains.
Le châtiment que Prométhée reçut
est connu291(*) et Zeus
décide de punir à nouveau les hommes. Il leur envoie un
fléau, Pandora, sous la forme d'une parthenos, modelée
par Héphaïstos, parée par Athéna, qui lui noue sa
ceinture, doté par Hermès de la parole, « d'un esprit
impudent et d'un coeur artificieux », une créature mixte
tenant du dieu, de l'homme et de la bête292(*).Ce mannequin, dont est issue
la race des femmes, se présente comme les parts du sacrifice ou le
fenouil, avec un extérieur trompeur.
Prométhée (dont le nom signifie qui comprend
d'avance) comprenant ce qui menace les hommes prévient son frère,
Epiméthée (qui signifie comprend trop tard) de n'accepter aucun
cadeau des dieux.
« Quand il eut mis au point ce piège
terrible, imparable, le père d'Epiméthée
dépêche le fameux Argeïphontes, messager des dieux, pour
apporter le cadeau. Epiméthée ne réfléchit pas.
Prométhée lui avait dit pourtant de ne jamais accepter un cadeau
de Zeus l'Olympien mais de lui retourner, de peur qu'un mal n'advienne à
ceux qui meurent293(*).
»
Mais lorsque Pandora se présente à lui,
Epiméthée, ébloui, la fait entrer dans sa demeure, (telle
une épouse). Il se marie dès le lendemain et Pandora est
installée en épouse chez les humains. Or, chez lui, des jarres
sont entassées et l'une d'entre elle ne doit pas être ouverte.
Profitant de l'absence de celui-ci, Pandora, guidée par Zeus, ouvre la
jarre interdite : tous les maux, tous les malheurs s'en échappent
et, bien qu'elle referme vite, seul reste l'espoir, Elpis. Le mal est
fait : tous les maux sont dans le monde à cause de Pandora. Elle
qui incarnait déjà tous les maux les a encore multipliés.
Ils sont invisibles, ne restent pas en place, de sorte que les hommes ne
peuvent les éviter, ainsi l'a voulu Zeus.
« C'est de la première femme qu'est sortie la
race des femmes en leur féminité. D'elle est sortie la race
maudite, les tribus des femmes294(*). »
Deux vers pour dire la même chose295(*) ? Pas tout à
fait, tout se passe comme si, au moment où est introduit le
génos gynaikôn, le texte hésiodique consacrait
deux vers à détailler les éléments constitutifs du
syntagme. Redoublant l'expression de la féminité, le vers 590
campe les femmes dans leur qualités de femmes. En adjoignant le vers
591, on redouble la fermeture de la race des femmes, groupe isolé sur
lui-même. Ainsi, en deux vers, le poète a dit l'essentiel :
les femmes sont dérivées de la femme, elle-même produite
à l'origine en un seul exemplaire face à la collectivité
déjà constituée des hommes.
La race des femmes, née de la femme : la
féminité s'autoreproduirait-elle dans le circuit fermé du
genos ? Il faut accepter que Pandora soit, non pas la mère
de l'humanité mais celle des femmes296(*).
Voilà qui nous entraîne loin de la femme
reproductrice, ce mal nécessaire. Ainsi, la tradition naît dans
l'hétérodoxie, et le texte fondateur installe la race des femmes
dans un écart originel.
Ce écart est intéressant car en lui s'enracinent
toutes les questions grecques sur l'origine : dans le récit, la
femme apparaît sous le signe de la séparation.
L'outrage est fait, la punition trouvée, voyons quel
impact l'arrivée de Pandora a eu sur les hommes.
II. LA
FEMME, FRAUDULEUX FLEAU
« A Héphaïstos le fameux il donne
l'ordre au plus vite de mêler de l'eau, de la terre, d'y mettre une voix,
une force humaine, d'y façonner la forme d'une déesse immortelle,
belle forme d'une fille qu'on aimerait297(*). »
Qu'est ce qu'une femme ? Un être qui est tout sauf
naturel298(*). Elle est
faite de terre mais de terre glaise, et non pas née de la glèbe
féconde comme les autochtones. Elle est un produit artisanale qu'ont
réalisé Zeus et les autres divinités.
L'humanité est désormais double, elle n'est plus
uniquement constitué des hommes mais de deux sexes différents
nécessaires à la descendance humaine. A partir de ce moment les
hommes ne sont plus là d'emblée, ils naissent des femmes et ont
besoin d'elles pour se reproduire.
« O Zeus, pourquoi donc as-tu infligé aux
humains ce frauduleux fléau, les femmes, en l'établissant
à la lumière du soleil ? Si tu voulais propager la race
mortelle, ce n'est pas aux femmes qu'il fallait en demander le moyen299(*). »
Pourquoi la première femme est-elle un frauduleux
fléau ? Ceci est en lien avec le fait que les hommes ne disposent
plus du feu et de la nourriture sans effort. Le labeur fait dorénavant
partie de leur existence ; les hommes mènent une vie
précaire, ils doivent sans cesse se restreindre. Or, Pandora a pour
caractéristique d'être toujours insatisfaite, insatiable,
revendicatrice, incontinente. Elle veut être satisfaite et sa chiennerie
est de deux ordres :
Une chiennerie alimentaire : elle ne cesse de manger,
elle a un appétit insatiable. La situation est semblable à ce qui
se passe dans les ruches, il y a les abeilles laborieuses qui ramènent
du miel dans la ruche et les frelons qui ne quittent jamais le logis et qui ne
sont jamais rassasiés. De même, dans les maisons des humains, ils
y a les hommes qui transpirent sur les champs, s'échinent pour creuser
les sillons, pour surveiller et ramasser le grain et de l'autre, à
l'intérieur, se trouve des femmes qui, comme les frelons, avalent la
récolte. Elles épuisent toutes les réserves mais c'est
aussi la raison principale pour laquelle une femme cherche à
séduire un homme. Ce que veut la femme, c'est la grange. Avec sa
« croupe attifée », elle joue au jeune
célibataire le grand air de la séduction parce qu'elle lorgne la
réserve de blé. Et chaque homme, comme Epiméthée,
ébahi, se laisse capter.
Deuxième chiennerie : un appétit sexuel
dévorant : ainsi, les femmes, même les meilleures, celles qui
possèdent un caractère mesuré, ont ceci de particulier
qu'ayant été fabriquées avec de la glaise et de l'eau leur
tempérament appartient à l'univers humide, alors que les hommes
ont un tempérament qui est plutôt apparenté au sec, au
chaud, au feu. Ainsi, durant la saison du chien, quand la chaleur est
accablante, les hommes secs, s'épuisent, affaiblis. Les femmes,
grâce à leur humidité s'épanouissent et exigent de
leur époux une assiduité matrimoniale qui le met sur le flanc.
Si Prométhée à voler le feu pour les
hommes, la sanction est de même nature que le vol. La femme est un feu
qui brûle son mari, qui le dessèche et le rend vieux avant
l'âge. Feu voleur répondant au feu qui a été
volé. L'homme va jusqu'à aimer ce qui lui coûte tant et
tant de malheurs300(*)
pourtant il eut été logique que les hommes cherchent à se
débarrasser de cette créature. Mais la femme, insatiable, est un
ventre, un ventre nécessaire. Si un homme se marie, il connaîtra
tous les tourments, s'il ne le fait pas, il aura une vie heureuse, tout
à satiété mais, au moment de mourir, à qui
transmettra t-il ces biens si patiemment accumulés ? Ils iront
grossir l'oikos d'un autre car, punition ultime, c'est à la
femme que Zeus à donner le pouvoir de perpétuer l'espèce
humaine. L'homme a donc le choix entre deux types de catastrophe, à
chacun d'apprécier.
La femme est double : elle est la panse, ce ventre qui
engloutit toute ce que son époux a péniblement
récolté au prix de sa peine, de son labeur, mais ce ventre est
aussi le seul qui puisse produire ce qui prolonge la vie d'un homme, un enfant.
L'épouse incarne la voracité qui détruit et la
fécondité qui produit. Elle résume toutes les
contradictions de notre existence. Comme le feu, elle est à la fois la
marque du proprement humain, parce que seuls les hommes se marient. La femme
est donc la marque d'une vie cultivée ; en même temps, elle a
été créée à l'image des déesses
immortelles. Quand on regarde une femme , on voit Héra, Aphrodite et
Athéna. Elle est d'une certaine façon la présente du divin
sur cette terre par sa beauté, sa charis, sa séduction.
La femme conjoint la chiennerie de la vie humaine et sa part divine. Elle
oscille entre les dieux et les bêtes, ce qui est le propre de
l'humanité.
Sous quelle apparence est arrivé ce
fléau ?
Pandora n'arrive qu'avec une apparence extérieure digne
d'une déesse vierge. Instruments des Dieux, elle fut introduite par
Zeus, au grand jour ce qui n'est pas sans rappeler la publicité dont le
mariage est entourée pour être reconnu aux yeux de la
polis, la présentation d'une merveille inconnue et l'expulsion
des mortels loin du monde divin, où la stratégie de Zeus,
monté contre les ruses de Prométhée, se retourne contre
les hommes.
Piège de la parure, piège du trop beau dehors,
piège de l'apparence et pourtant Pandora ne dissimule pas qu'elle est
autre chose qu'une femme un dieu, un démon, un homme, elle ne cache rien
parce que la femme n'a pas d'intérieur, elle n'a rien à
cacher : la première femme est sa parure, elle n'a pas de corps.
Qu'est donc la femme ?
« Un être tout semblable à une chaste
vierge301(*). »
Gyné parthenos : la femme qui est la
jeune fille. S'il est conseillé d'épouser une jeune fille pour
lui inculquer de sages principes, dans l'univers du mythe, il n'est pas de
figure plus ambigu que la parthenos, qui concentre en elle tout
l'interdit redoutable de la féminité. Si elle ignore les travaux
d'Aphrodite d'or, la vierge n'en est pas moins l'alliée de la
déesse qui lui apporte « la grâce, le douloureux
désir, les soucis qui rompent les membres302(*). » Pire, la
parthenos pactise toujours peu ou prou avec la mort, et, parce que,
pour les hommes, la première femme porte en elle la condition mortelle
en même temps que le tourment de la sexualité, nulle semblance ne
lui convenait mieux que celle d'une chaste vierge.
Cette femme qui n'apporte que des malheurs, est, selon les
auteurs, soit unique, soit multiple. On abordera ici la vision de
Sémonide qui prolonge celle d'Hésiode.
III.
LA FEMME SELON LES AUTEURS.
Ainsi s'établit la misogynie du monde grec. La femme
forme une race à part, « un mal destiné aux
humains ». Elle constitue, pour l'homme un piège sans
issue : une belle apparence ; elle est la faim, tant sur le plan
sexuel que sur le plan alimentaire. Elle brûle l'homme ce qui fait dire
à Palladas, auteur d'Alexandrie, que
« La femme, c'est la colère de Zeus ;
elle nous fut donnée pour racheter le feu, don funeste qui du feu est un
contre-don. Car elle brûle l'homme de soucis ; elle le
consume ; elle change sa jeunesse en vieillesse
prématurée. »
Dans la lignée d'Hésiode, on rencontre Iambe
des femmes oeuvre de Sémonide d'Amorgos :
« A l'origine, la divinité créa
l'esprit sans tenir compte de la femme »
« C'est de la première femme qu'est sortie la
race des femmes en leur féminité. D'elle est sortie la race
maudite, les tribus des femmes.303(*) »
Aussi, faudrait-il se garder de trop vite naturaliser la femme
de la Théogonie car ce n'est pas ici que l'on retrouvera
l'image de la bonne épouse reproductrice, la fécondité y
est occultée. En lisant la Théogonie, on
s'aperçoit que les puissances de destruction l'emportent sur le principe
de fécondité304(*).
Donc la race des femmes est issue de la première
gyné parthenos et d'elle seule. Y a-t-il une place pour un
époux ?
Génos, phyla : la race, les tribus des
femmes. En ces termes se lit le statut des femmes, complémentaire en
même temps qu'isolé. Complémentaire parce que meurt
l'oikos de celui qui fuit le mariage. Isolé parce que, dans la
pensée masculine des Grecs où se passe toutes ces
opérations, il n'y a pas loin de la constitution des femmes en
genos à leur sécession, hors du monde des hommes.
Refus du mariage, refus de l'enfantement, les formes de cet
isolement sont variées. Mais l'expression la plus fréquente de ce
fantasme est encore l'idée qu'une fille est avant tout fille de sa
mère, comme Perséphone, et étudiant les lois de la
reproduction, Aristote peut énoncer une règle couramment admise,
la ressemblance de la fille avec la mère. Un pas de plus et les mythes
diraient que la femme peut engendrer seule.305(*) C'est donc bien une reproduction en circuit
fermé que suggère le texte hésiodique. Constituées
en génos et formant ainsi un groupe, les femmes tendent
à échapper à la loi du mariage qui les distribuerait, une
par une, dans les oikoi masculins : la représentation du
génos gynaikôn menace le rêve hésiodique de
la cité juste où, leur différence enfin annulée,
les femmes « enfantent des fils semblables aux
pères ».
« C'est de là qu'est sortie la race maudite,
les tribus des femmes »
Génos, phyla, deux mots pour dire la
même chose ? Je me range à l'avis de Nicole Loraux qui
considère qu'il n'y a, dans un texte, pas un mot pour rien. Phyla,
préciserait le sens de génos : la race des
femmes, ou l'unité bien close du groupe, les tribus des femmes ou la
diversité vivante du nombre au sein de l'unité. En effet, la
suite du texte dit qu'il existe plusieurs types d'épouses : formule
qui éclaire la signification d'ensemble du développement sur le
mariage. Engeance maudite, incarnation du malheur des hommes, tel est le
génos des femmes du seul fait de son existence. Dans ce
malheur, il est cependant des degrés, autant qu'il y a de
phyla : supportable avec la bonne épouse, le mal est
incurable pour celui qui tombe sur une espèce malfaisante.
Génos dit le mal absolu, phyla rend l'espoir
possible.
Pour Hésiode, l'unité devait certainement primer
sur le multiple et la plupart de ces lecteurs devaient penser la même
chose. Sémonide d'Amorgos, pour sa part, ignora l'unité du
génos et fit primer la phyla. Dans l'iambe des
femmes, cet auteur fait éclater l'unité du mythe.
Puisque la femme échappe au genre humain, l'homme grec,
qui s'attache à connaître le monde qui l'entoure, va la faire
entrer dans le monde des animaux.306(*). Sémonide énumère les dix types
de femmes, dont huit sont issus d'animaux- porc, renard, chien,âne,
belette, jument, signe, abeille et deux sont issus d'un élément,
la terre ou la mer.Toutes illustrent l'idée que la femme est une
kakon : souillon, rusée, coquine, impudente, amorphe,
cyclothymique, gloutonne impénitente, lubrique, folle de son corps,
laide à faire rire et partagent toutes un défaut :
l'incontinence dans les travaux d'Aphrodite. En résumé, quel plus
grand mal que la femme aurait pu être crée pour l'homme307(*) ?
Une seule forme de femme est fréquentable : la
femme abeille :
« Bienheureux celui qui l'a reçue, car seule
elle échappe au blâme ; sa fortune prospère et grandit
grâce à elle et elle vieillit aux côtés de son mari
qui l'aime et qu'elle aime, après lui avoir donné une belle et
louable descendance ; elle se distingue parmi toutes les femmes et une
grâce divine l'entoure...Ce genre de femme est le meilleur et le plus
avisé dont Zeus ait fait don aux hommes. »
C'est une joie de posséder un tel oikos quand
elle imite ainsi la ruche308(*) : une armée de travailleuses avec,
à leur tête, une travailleuse en chef, travailleuse
elle-même et inspiratrice. Elle contribue à la bonne gestion des
richesses et elle contribue à la prospérité de la maison
de son époux. Avec la femme-abeille, il peut y avoir avantage à
vivre avec une femme. Toutefois, l'abeille ne revalorise pas le genre auquel
elle appartient car elle n'a de valeur que relative moins en elle-même
que pour ce qu'elle apporte à son mari. Elle donne sans cesse :
enfants, travail, et sollicitude. Pourtant, étant femme, elle reste
dénuée, par essence, d'intellect.
Dans Les Travaux et les Jours, Hésiode avait
fait Pandora de terre et d'eau : dissociant les éléments du
mélange, Sémonide oppose entre elle une femme de la terre et une
de la mer. Chacune d'elle parodie, à sa façon, le texte
hésiodique. Après une description des différentes
caractéristiques de chaque femme, Sémonide, dans une seconde
partie de son poème, à la vie de douleurs du malheureux
anèr, semble oublier qu'il est autant de femmes que de
phyla pour mettre en avant une généralité. Dans
ce cas, pourquoi avoir développé un arsenal animalier. Alors,
quel discours tient Sémonide ? La femme descendrait elle des
animaux ?
A la diversité des espèces féminines
correspond la diversité de leur mode d'apparition. En
général, c'est un dieu qui les a faites. Mais le dieu peut aussi
s'effacer, laissant la cavale enfanter la femme narcissique, et, dans la
majorité des cas, on est seulement informé, sans plus de
précisions sur un éventuel créateur, que telle femme vient
de la chienne, de la mer, de l'âne, de la belette, de l'abeille.
L'apparition de la femme peut résulter d'un geste artisanal, tel celui
des Olympiens façonnant la femme de terre mais elle peut aussi prendre
la forme de l'enfantement qui, avec la femme-cavale, fait soudain irruption
dans le texte. Peut-être faut-il admettre que l'origine, chez
Sémonide, est frappée d'indétermination parce que le
poète se moque complètement de la question des origines309(*).
Quelle opération intellectuelle accomplit
Sémonide affirmant que telle ou telle femme
« tient » du chien, du porc, du renard et que vise t-il par
là ?
A la seconde question, on répondra qu'il cherche
à isoler les femmes dans la fermeture de sa tribu. Sans communication
entre elles et privées de la complexité qui caractérise
l'esprit humain, les femmes animales sont figées dans leur
disparité, aussi incapable d'échange que le renard et le
lion310(*). Pourquoi les
animaux, ? Parce qu'ils sont rivés à eux-mêmes. Dans
cet univers fait d'une addition de monde clos qui s'ignorent, rien ne se passe.
En fait, Sémonide effectue là une métaphore afin de
montrer la disparité constitutive de l'esprit féminin311(*). Après cette
classification, pourquoi Sémonide les résorbe t-il dans
l'espèce féminine ? En guise de réponse, on avancera
d'abord le caractère dérivé de toutes ces femmes. Pour
parler des femmes, Sémonide passe par la dérivation. La femme
hésiodique était dérivée de la terre et de l'eau,
de la beauté des déesses, de la force et de la voix humaines, de
l'esprit de la chienne, du tempérament d'Hermès le voleur. Pour
Sémonide, il y a un esprit de la femme mais distinct de l'homme au point
d'être séparé des autres et de soi-même. Parce que la
femme ne se définit que par des assimilations avec autre chose, autre
chose que l'homme, elle se pense sous la double catégorie de la
dérivation et du multiple. Des phyla, pas de
génos. A moins que le génos ne
s'appréhende jamais qu'éclaté.
Ce texte permet de reconstruire la femme toute entière.
A force de définir ainsi chaque femme par son rapport, toujours
négatif, à quelques actes essentiels de l'existence,
Sémonide finit par explorer le noos gynaikos dans toute son
extension. En creux, les critères de bonnes conduites, ne pas chercher
à trop en savoir mais penser plutôt au travail, ne pas trop
manger, ne pas trop jouir mais faire des enfants à son mari ; dans
le tableau des espèces, la vrai nature de la femme : un être
curieux, malfaisant, paresseux, gourmand, dont la sexualité
incontrôlable est marquée par l'indifférence ou
l'excès312(*). En
effet, d'un point de vue mythologique, la femme est sauvage, il importe donc de
domestiquer cette nature. Comme chacun le sait, la femme n'écoute que
ses pulsions, risque toujours de souiller ce qui l'entoure : d'où
la colère divine. On retrouve cette idée chez la prêtresse
parthenos Komaithô qui déclencha la colère
d'Artémis en abritant ses amours avec Mélanippos dans le
sanctuaire d'Artémis. Pour calmer la déesse, il fallut, chaque
année, mettre à mort le plus beau couple.
De la Pandora hésiodique aux femmes animales de
Sémonide, il n'y a qu'un pas313(*). Elles figurent une même conception
d'ensemble :
« Ô Zeus ! A quoi bon dire du mal des
femmes ? N'est-il pas suffisant de dire : « C'est une
femme » ?
Un auteur, Stobée, dans son Anthologie
résume ainsi sa pensée concernant les femmes :
« le mieux avec les femmes seraient de n'avoir pas
à parler d'elle »
Considérées comme étant à part, il
était donc tout à fait concevable que des traités
particuliers leur soient consacrés.
Avec Pandora, c'est à la naissance de la
gynécologie qu'Hésiode nous convie. Mais les anciens avaient-ils
un point de vue commun sur la question. La femme n'était-elle atteinte
que de maux qui lui étaient propre ? On verra ce que le
Corpus en dit. Toutefois, il est nécessaire de constater que,
dans beaucoup de traité, l'utérus est responsable de bien des
maux féminins. On l'abordera sommairement pour marquer la
différence avec les hommes et on développera plus dans le titre
trois de ce travail de recherche. Mais il n'y a pas que l'anatomie qui, pour
les grecs, différencie les hommes des femmes. En effet, pour eux, la
physis de ces deux êtres est différente. Enfin, arrivant
au terme de cette partie consacrée à la nature des femmes, on
tentera une esquisse de définition de la parthenos.
CHAPITRE II
UNE NATURE DIFFERENTE
Parler de la gynécologie hippocratique en utilisant le
terme de notre gynécologie actuel ne serait pas honnête314(*) pour trouver un
équivalent du mot grec gynaikeia. Ce mot englobe, chez les
Hippocratiques, les organes sexuels de la femme, les règles, les
maladies féminines, les thérapies liées à ces
maladies. On examinera successivement les raisons qui ont rendu
nécessaire la naissance d'une médecine spécifique, et
comment la connaissance du corps des femmes est parvenue jusqu'aux
Hippocratiques.
I.
ANCIENS ET GYNECOLOGIE.
I.1 Justification d'une
médecine à part
Pourquoi une branche particulière de la médecine
pour les femmes ?
Au début du livre 3 de sa Gynécologie,
Soranos rappelle le débat qui a opposé les médecins de
l'Antiquité. Le contenu en était le suivant : les femmes
devaient-elles avoir une branche de la médecine
particulière ? Soranos était d'accord avec le fait que, au
vu de son système reproductif, des grossesses, des accouchements et des
naissances des nouveaux nés, les femmes avaient besoin d'une branche
spécifique de la médecine ; d'un autre côté,
elles pouvaient souffrir des mêmes maux que les hommes et, pour ceux-ci,
elles devaient être traitées avec les mêmes
remèdes315(*). Si
l'on suit cet argumentaire, on reconnaît que les hommes n'ont pas le
même appareil reproducteur que les femmes mais également que
certaines maladies leurs sont communes.
Beaucoup de traités hippocratiques
révèlent un point de vue parallèle à celui de
Soranos. Comme lui, les Hippocratiques considèrent que la
gynécologie est avant tout la médecine concernant l'appareil
reproducteur des femmes à l'origine, selon eux, de beaucoup de maladies
féminines. Comme chez Soranos, on retrouve chez ces médecins,
d'un côté, une médecine exclusivement
réservée aux femmes et, d'un autre côté, une
médecine androgène, concernant hommes et femmes. Disjoindre les
deux aboutirait à la dichotomie qui régente la vie des anciens
grecs et les idées des docteurs concernant la vie et la
maladie316(*).
I.2. Comment atteindre le corps
des femmes ?
L'intérêt pour les femmes de la part des
Hippocratiques est illustré par le fait que, sur les soixante
traités qui nous sont parvenus, dix traitent de la
gynécologie317(*)..Pour atteindre le corps des femmes, il nous faut
passer par le prisme déformant de l'homme. En effet, la plupart des
textes sur les femmes qui nous sont parvenus sont le fait d'auteurs masculins.
Par conséquent, les textes transmis reflètent, certainement, les
positions sociales respectives des hommes et des femmes ou plutôt la
façon dont les hommes pensaient les femmes318(*).
Toutefois, on ne peut affirmer avec certitude que les hommes
ne tenaient pas compte de l'opinion des femmes. En témoigne ce passage
d'un des texte du corpus.
« je ne sais que ce qu'elles ont bien voulu me
transmettre »
De plus, la profession n'étant pas
réglementée, d'autres praticiens tels les sages femmes
exerçaient l'art de guérir dans la Grèce classique. Or,
les informations dont ont été rendues destinataires les
médecins hippocratiques proviennent essentiellement de celle-ci
auxquelles ils accordent la plus grande attention :
« il ne faut pas refuser de croire les femmes sur
les accouchements ; [...] ni fait ni parole ne pourraient persuader
qu'elles ne savent pas ce qui se passe dans leur corps319(*). »
et n'hésite pas à reconnaître que tout ne
lui a pas été confié320(*).
« je ne sais du reste que ce que les femmes m'ont
appris321(*). »
Un détail de taille ne transparaît pas ici.
Comment savoir ce qui relève réellement de la connaissance que
les femmes ont de leur corps et ce qui leur est imposée par une
société masculine ? Il existe, même dans les
définitions que les femmes donnent de leur corps, une part de
représentation idéologique du rôle des sexes. La
société fait d'elles des mères potentielles et la
définition de leurs corps se fait par rapport à cela322(*).
Pour avoir accès au corps, il faut convaincre les
femmes d'accorder leur confiance aux médecins. On retrouve ici
l'importance de la rhétorique soulignée dans le chapitre
concernant la naissance de la médecine rationnelle : il faut que
les femmes acceptent la venue du médecin hippocratique en lieu et place
des croyances traditionnelles. Or, celles-ci faisaient volontiers plus appel
à leurs voisines qu'à un médecin323(*). Il n'est, semble t-il,
appelé qu'en cas d'absolue nécessité. L'évidence
suggère que les femmes continuaient à avoir recours à la
médecine traditionnelle. La persistance de l'utilisation de la
médecine traditionnelle dans la vie des femmes, parallèlement
à l'émergence de la médecine scientifique n'implique pas
que la médecine hippocratique était moins efficace mais exprime
un préjugé féminin bien compréhensible.
Le médecin devait donc s'informer indirectement. Dans
la gynécologie hippocratique, le toucher est essentiel. Or il semblerait
que ce soit la femme qui se touche :
« C'est surtout par le toucher et en interrogeant
sur ce qui a été dit que l'affection se reconnaît324(*) »
Mais, souvent, l'ordre d'inspecter est un infinitif,
adressé soit à la seconde, soit à la troisième
personne, ce qui fait dire à Lydie Bodiou325(*), que, combiné
à l'utilisation de participe masculin, l'examen pouvait, parfois,
être le fait du médecin.
Ainsi, que ce soit pour satisfaire une société
d'hommes considérant les femmes comme inférieures ou simplement
parce que ne pouvant pas accéder à l'information, les
médecins ont été dans l'obligation de déduire
l'intérieur de l'extérieur326(*).
Il peut sembler surprenant que, dans l'ensemble
« Maladies des femmes », une grande place soit
faite à la gynécologie. Je partage le point de vue d'Aline
Rousselle qui souligne que le but des soins prescrits à la femme est de
permettre la procréation327(*) mais je pense également que la matrice
étant l'organe dominant chez les femmes, le reste de l'anatomie devient
secondaire.
En observant les théories avancées dans les
traités, on s'aperçoit que celles-ci ne diffèrent pas
nécessairement des idées traditionnelles sur la physiologie
féminine. L'affection rapportée dans Maladies des jeunes
filles était acceptée avant Hippocrate. Celui-ci accepte
l'idée traditionnelle selon laquelle le passage à l'état
de femme est difficile et explique l'origine de la maladie comme une
accumulation de sang dans les poumons. La seule façon de soigner la
fille est de la marier328(*). La différence entre la médecine
hippocratique et les croyances traditionnelles réside plus dans
l'explication données aux faits que dans les faits eux-mêmes.
La femme et l'homme ont donc des maladies en commun.
Toutefois, au regard des traités hippocratiques, on voit que la
gynécologie y tient une place importante. Pourquoi ? Parce que
l'homme et la femme diffèrent, au regard de l'anatomie, dans leur
système de reproduction mais également dans leur
physis.
II.
HOMME/ FEMME : DIFFERENCES
II.2.
Un système de reproduction différent.
Pour les Hippocratiques, la théorie des quatre
humeurs329(*) permet de
comprendre le fonctionnement du corps humain.
Dans le tome VIII de ses OEuvres complètes, Hippocrate
consacre 250 pages aux « maladies des femmes ». Ce chapitre
est un traité de gynécologie qui témoigne d'une attention
constante envers les femmes frappées de tant de maladies liées
à leur sexe.
« En effet, par pudeur, elles n'en parlent pas,
même quand elles savent ; et l'inexpérience et l'ignorance
leur font regarder cela comme honteux pour elle330(*). »
Or, on ne retrouve pas la théorie humorale dans
Maladies des femmes de façon significative. Pourquoi ? Il
est possible, là encore, que l'on assiste à l'héritage de
Pandora. On assiste, là encore, à l'héritage de
Pandora : la femme n'est pas gouvernée par les humeurs mais par un
organe, la matrice, dont nous étudierons le fonctionnement plus loin, on
se contente ici d'énoncer les différences entre hommes et femmes.
Donc, la matrice.
Certains parlent d'un animal intérieur331(*), d'autres considèrent
qu'elle est responsable de tous les maux qui affectent les femmes. Hippocrate
et Platon n'ont fait que reprendre à leur compte des croyances
millénaires : l'utérus comme organisme vivant doué
d'une certaine autonomie et d'une possibilité de déplacement
remonte à la plus haute-Antiquité, près de 2000 ans avant
Jésus-Christ332(*). On retrouve pendant toute l'Antiquité ce
schéma thérapeutique de la « suffocation de la
matrice », suffocation qui deviendra l'hystérie333(*). Dans l'ensemble de l'oeuvre
attribuée à Hippocrate, cette croyance garde la marque de ses
origines, celle d'une pièce rapportée, tout à fait
étrangère aux théories humorales qui étaient celles
d'Hippocrate.
La théorie d'un animal vorace aura la vie dure ;
elle servira de support, de matrice.
C'est donc l'utérus qui est responsable si la femme ne
peut contrôler son activité sexuelle, c'est un besoin physique.
Ainsi, dans Nature des femmes, l'auteur préconise que la femme
rejoigne la couche de son époux dans la dernière phase des
maladies qui la touchent. Or, comment imaginer que « la femme
dormira avec son mari » ne soit pas, pour le médecin
hippocratique un moment d'union charnelle entre les deux époux ? On
en arrive bien vite à l'idée selon laquelle l'activité
sexuelle protège de tous les maux et permet de glisser vers une main
mise de l'homme sur la femme par la sexualité334(*).
La femme se différencie de l'homme par son anatomie
mais en quoi cela pouvait servir les intérêts de la
société grecque ? Il faudra plus. Et quoi de plus facile que
déclarer la femme inférieure de par sa physis ?
II.2.
Une physis, facteur de la dichotomie du monde grec.
Au-delà des différences anatomiques, la femme
est d'une nature autre que l'homme et ne pourra en aucun cas s'y soustraire. Si
celle de l'homme est la mesure de toute chose parce que la plus parfaite, la
femme est reléguée à un rang bien moins élogieux.
Ecoutons Aristote335(*) :
« Même chez les mollusques, lorsqu'on frappe
la seiche à coup de trident, le mâle vient au secours de la
femelle, tandis que la femelle s'enfuit quand c'est le mâle qui est
frappé. »
Le courage est donc mâle, la lâcheté
femelle. C'est sa physis. Physis bien pratique pour les
hommes qui leur permet de légitimer leur pouvoir sur les femmes.
« La femme et l'esclave [y] sont au même
rang : la cause en est qu'il n'existe pas chez eux de chefs naturels que
la nature ait destiné à commander. »
Un des aspect de la physiologie féminine sur lequel les
Hippocratiques sont d'accord, c'est que la femme est de physis humide.
C'est un excès d'humidité qui fait que la femme diffère
totalement de l'homme. Ce qui le prouve, c'est l'apparition du flot
menstruel336(*).
Maladies des femmes attribue l'apparition des
règles à la nature froide de la femme337(*), qui est molle et spongieuse
à cause de son corps qui absorbe l'excès de sang dans son ventre.
L'auteur utilise cette analogie pour expliquer la différence entre la
peau de l'homme et celle de la femme. Si de la laine et de l'étoffe sont
laissés durant deux jours et deux nuits dans de l'eau, à la fin
de cette période, la laine deviendra plus lourde que l'étoffe.
Ceci est du à un excès d'humidité parce qu'elle est plus
poreuse. C'est la même chose pour l'homme et la femme : la femme est
comme la laine. On remarque que la femme peut avoir une peau épaisse,
donc on reconnaît que le corps des femmes n'est pas exactement semblable
mais que la différence entre eux est une question de
degré338(*).
Pour l'auteur du traité des glandes, si un
homme, après sa journée de travail et d'exercice à un
excès d'humidité dans le corps, celle-ci est absorbée par
des glandes construite à cet effet. Toutefois, toujours selon cette
auteur, au chapitre 16, la nature des glandes de la femme est poreuse comme le
reste de son corps. Dans son chapitre 1, il décrit les glandes chez la
femme : le corps de la femme adulte est une immense glande similaire
à la peau dans le corps de l'homme lequel fonctionne seulement
après que l'homme ait utilisé le surplus de fluide pour l'une de
ses activités demandant un effort. Le fait que l'on refuse aux femmes la
possibilité de développer cette sorte de peau signifie qu'on ne
les croit pas capable d'accomplir les même performances alors même
que des esclaves de sexes féminin travaillent autant que les hommes et
sont aussi musclées qu'eux339(*).
La classification à laquelle s'est livrée
Hippocrate permet aux grecs de définir ce qui est bon de ce qui est
mauvais : le corps de l'homme est ferme et compact par conséquent,
ce sont les qualités à rechercher ; les femmes sont molles
et humides, ces deux caractéristiques sont donc mauvaises. Parce que
l'homme travaille et exerce des activités à l'extérieur de
l'oikos, son corps, en règle générale, est plus
ferme et compact que celui de sa compagne qui reste dans la maison. Inactive,
elle n'a donc pas la possibilité d'évacuer l'humidité qui
la caractérise, de toute façon, plus que son époux, qui,
par nature, avant même de parler de son activité, est plus
sec340(*).
Après cette description de ce qu'est la femme au regard
de l'homme, on mesure le fossé qui existe entre ces deux individus,
fossé que la parthenos, qui se prépare au mariage, va
être obligée d'accepter. Mais avant de voir dans notre chapitre
trois les difficultés auxquelles elle va se heurter, tentons une
définition de son état
III.
ESQUISSE DE DEFINITION D'UNE PARTHENOS.
Quand on cherche à définir ce qu'est une
parthenos, il est difficile de savoir quels critères doivent
être pris en compte. Différents chercheurs ont
privilégié tel ou tel critère (statut social, âge).
Au fil des lectures, j'ai constaté qu'aucun d'eux, pris
séparément, ne pouvaient rendre compte de la
réalité. C'est avec une grande modestie que je vais tenter de
définir ce qu'est une parthenos, que ce soit à travers
les qualités requises pour cette période de sa vie, son âge
ou son statut dans l'oikos. Toutefois, le sujet de ce mémoire
portant sur les parthenoi dans le regard de la médecine grecque
rationnelle, j'apporterai également la vision des hippocratiques.
III.1
Ce qu'en dit la société.
Deux mots désignent en grec celle que nous appelons
« jeune fille », korè et
parthenos341(*).
Koré met l'accent sur la jeunesse et la filiation, et est souvent
suivi du nom du père. Il se traduit, en anglais par le mot
daughter. Le second, désigne le statut de la jeune fille avant
le mariage, que l'on traduit souvent par vierge.
Dans la cité grecque antique, une des oppositions
fortes qui structurent les représentations est celle qui passe entre
adultes et non adultes ; dans la catégorie des
« jeunes » ainsi constituée, les filles s'opposent
aux garçons d'une part, aux femmes mariées d'autre part. Au
carrefour de ces catégories, la parthenos est la fille qui a
atteint la puberté et a franchi, si elle appartient à
l'élite sociale de la cité, les étapes de l'initiation qui
font d'elle « une fille à marier ». La
parthenos est la vierge, celle qui ne connaît pas le mariage
mais est en âge d'être montrée et d'y être offerte.
C'est dire que c'est toujours son rapport à l'homme, son père,
celui qui la donne en mariage, ou son époux encore à venir,celui
qui la recevra et au foyer duquel elle sera désormais liée,
qu'elle est définie. La parthenos est à un statut
intermédiaire, dans le pivotement du sacré, qui comme tous les
passages, est un moment dangereux et chargé de significations. C'est
pourquoi il est ritualisé, plus ou moins marqué selon les
cités et selon l'appartenance sociale des parthenoi, et garde
les caractèristiques d'une initiation. A travers le destin de ces jeunes
filles choisies se laisse deviner celui de leurs compagnes d'âge.
Les sources judiciaires nous permettent également de
dater la puberté. Il s'agit du moment où l'on peut jouir de ses
droits civiques (quatorze ans pour le garçon, 12 pour la fille).
La littérature a conservé des parthenoi
célèbres et nous permet d'approcher ce que pouvait être le
quotidien d'une parthenos. Dans l'Odyssée, cette
figure s'incarne sous les traits de Nausicaa, fille du roi Alkinoos qui
recueille Ulysse après son dernier naufrage. Celui-ci résume ce
qu'une jeune fille peut attendre d'un mariage
« un mari, une maison, sans oublier la concorde
précieuse »
Ceci définit ce qu'attendent les jeunes filles
grecques, le mariage. Cette idée est renforcée par un autre
document, dont la véracité, à la différence de
l'Odyssée, est établie. C'est un sema, consacré
par un père à sa fille morte. L'inscription est datée de
540 par les archéologues :
« pour toujours je serai appelée jeune fille
les dieux m'ayant, au lieu du mariage attribué ce nom »
Figure ambiguë342(*), la parthenos se situe au carrefour des
catégories. Elle a atteint la puberté et a,
éventuellement, franchi les étapes de l'initiation. C'est une
fille à marier en âge d'être montrée, offerte au
mariage. Le statut de parthenos relève donc également du
rapport entretenu avec les hommes. Il a pour horizon l'entrée dans un
nouvel oikos.
Cependant, n'y a-t-il pas de changement plus radical que le
passage de l'oikos de son père à celui de
l'époux ? Que dire de la mère de Persée,
visitée par Zeus sous la forme d'une pluie d'or.C'est dans ce contexte
que le rapport de la parthenos avec la parthenia doit aussi
être étudiée343(*). Parthenia désigne une prise, un
trésor qu'il faut respecter. Une fois que la sexualité d'une
jeune fille est découverte, son statut change, de façon bien plus
radical que lorsqu'elle se marie. Vendue ou tuée, elle est hors du
réseau des relations affectives où elle conduit son existence de
femme non mariée, hors du lieu qui l'a fait être une
parthenos. Elle ne peut être ni une épouse ni une
hetaïre. C'est une sorte de mise à mort maquillée
et sans souillure.
Autre caractéristique, la pureté. Pureté
de corps et d'esprit. L'Economique de Xenophon nous renseigne sur ce
que le commun attendait d'une pro gamou.
« Que pouvait-elle bien savoir quand je l'ai prise
à la maison ? Elle n'avait pas encore quinze ans quand elle est
venue chez moi ; jusque-là, elle vivait sous une stricte
surveillance, elle devait voir le moins de choses possibles, en entendre le
moins possible, poser le moins de questions possibles344(*). »
La parthenos est une jeune pousse, traduite
thalos, qui fleurit. C'est l'image biologique et sexuée de la
parthenos. Elle est celle qui atteint un certain développement,
qui est sur le point de fleurir, comme la fille de cet âge. Si la
parthenos appartient encore à la maison de son père,
elle se sait disponible. Par conséquent, elle est irrésistible.
On a proposé une étymologie du mot parthenos qui place
à son origine l'idée de protubérance. Ainsi, l'âge
de parthenos serait celui du gonflement des seins345(*).
III.2.
Les sources médicales
Les sources médicales nous permettent de
connaître l'âge biologique auquel on a rattaché la
menarche période qui concerne donc la parthenos. La
plupart des écrivains médicaux s'accordent pour la fixer aux
alentours de quatorze ans346(*). D'autres la situe entre onze et quatorze.
« Il faut s'attendre à ne rencontrer aucune
de ces maladies avant la puberté. De quatorze à quarante deux ans
jusqu'à soixante trois ans347(*) »
Mais la nature de l'adolescence change selon les
régions. Le climat, la race, l'environnement, seraient des facteurs
permettant de définir la puberté.348(*) Le souci auquel on se heurte
pour la décrire reste celui de la diversité. C'est un jour le
travail de l'air, un autre le souffle ou l'humidité qui explique la
puberté dans tous ses aspects. Toutes ces théories gardent des
traces de croyances populaires jusqu'à la fin de l'Antiquité,
sans qu'une doctrine universelle ne soit clairement dégagée.
La principale caractéristique de la menarche
reste la maturité sexuelle. Il s'agit de la production de sperme chez
les garçons, de l'apparition des règles chez les filles. Elle se
repère également à l'apparition de la poitrine :
« Ils sont aussi gros que deux doigts quand la jeune
fille à ses règles pour la première fois349(*). »
L'apparition des poils est liée au fait que la peau
devient poreuse. Il y a des poils là où la peau est poreuse et
où l'humidité est là pour la nourrir. De plus, les veines
s'agrandissent pour que le sang menstruel puisse s'écouler.
Dans les termes grecs, être une parthenos,
c'est être une fille qui combine le fait de ne plus être une
enfant, non mariée mais déjà en âge de l'être
comme indiqué sur l'épitaphe de la fille de Philostrate (EG 463).
Pour être considérée comme une femme en pleine
maturité, une gyné, il est nécessaire d'avoir
donné naissance. C'est la naissance du premier enfant qui achève
le processus faisant de la jeune fille une femme, processus commencé
avec l'apparition des règles, la disponibilité du sang pour qu'un
foetus puisse se former, et la possibilité pour le sperme masculin
d'entrer dans l'utérus. Les grecs essaient de comprimer ce processus
dans un temps aussi court que possible, datant la menarche à
l'âge de 13 ans et recommande que les jeunes filles se marient à
14 ans350(*).
De son côté, Aristote croit que le
développement des garçons et des filles, durant la puberté
se fait en parallèle et explique que la nourriture, jusque là
utilisé pour grandir permet désormais de produire le sperme et
les règles. Il lui est facile de tenir ce parallèle car, pour
lui, la femme ne produit pas de sperme féminin.
Aristote poste la puberté à l'âge de 14
ans pour les garçons ainsi que pour les filles mais considère que
hommes et femmes ne sont pas en état de procréer avant 21
ans351(*). On sait
aujourd'hui que le sperme est fertile à partir de la première
éjaculation et que les jeunes filles ne peuvent produirent d'ovule
durant les deux premières années de leur cycle.
La confusion hippocratique entre sang ménarchal et sang
hyménal montre l'importance du sang menstruel dans la définition
classique du corps de la femme. Si un corps est celui d'une femme, il comporte
du sang menstruel même si cela ne se vérifie pas par des indices
extérieurs du corps. Les textes hippocratiques permettent de soutenir
l'âge reconnu par la société comme étant celui
auquel une jeune fille devient une femme, soit à 14 ans, âge
auquel elle est capable d'assumer les tâches d'une adulte. Si Aristote
croit également que les jeunes filles passent la puberté à
l'âge de 14 ans, il ne considère pas que c'est à cet
âge qu'elles sont capables d'assumer le rôle d'une adulte. En
effet, Aristote, à la différence de ces
prédécesseurs, considère qu'une jeune fille commence sa
puberté au moment où ses règles apparaissent et non
qu'elle la finit352(*).
Nous savons donc quand cette puberté, commence mais
quelle en est le point final ? Galien et Hippocrate la situe à
vingt cinq ans, en liaison, certainement, avec le fait d'être majeur et
légalement indépendant, Aristote vers vingt et un an353(*).
Une parthenos pourrait, par conséquent, se
résumer à ceci : jeune fille d'environ quatorze ans, n'ayant
pas forcément vu apparaître ses menstrues, non encore
mariée ayant gardé intacte sa parthenia,
idéalement vierge de toutes idées afin que l'homme grec puisse y
imprégner sa marque.
Quand Pandora est donnée en mariage aux hommes par les
dieux, elle l'est sous l'apparence d'une parthenos ou d'une vierge non
mariée. Etre devenu une gyné dans le sens propre du
terme, c'est avoir donné naissance, ce qui nous amène au mariage,
période phare dans la vie d'une jeune fille.
Mettre sous le joug, dompter. Comment justifier cette
soumission de la femme à l'homme ? Alors que le texte
hésiodique nous renvoyait une image de l'homme soumis à la femme,
les grecs ont réussi à asservir, même si le mot est un peu
fort, les femmes. Le mariage est nécessaire car conforme à
l'intérêt de la cité et de l'oikos. Cette
idée est renforcée par les théories médicales qui
rendent la fréquentation du lit conjugal nécessaire à la
survie des femmes.
CHAPITRE III
METTRE SOUS LE JOUG
On va aborder les risques qu'encourent les jeunes filles si
elles restent vierges, mais sommairement, pour l'étudier dans la
troisième partie de ce travail. Sa place ici se justifie par le fait que
ces risques permettent de rendre le mariage nécessaire. On abordera
aussi la question de l'hymen, qui selon les hypothèses, serait ou non
responsable des maladies touchant les jeunes filles pour finir sur le point de
vue d'Aristote qui, même si hors de notre champs d'étude, se place
dans la droite ligne d'Hippocrate.
I. LE
SANG DOMESTIQUE PAR LE MARIAGE.
Je dois, pour cette sous-partie, rendre hommage au travail de
Lydie Bodiou dont la thèse, Histoire du sang des femmes
grecques :filles, femmes, mères, a inspiré ce qui va
suivre.
La puberté est considérée comme
l'âge auquel les jeunes filles ont un trop plein de sang dans leur corps.
Ce sang se dirige dans leur utérus et s'écoule si la fille est
« ouverte ». Si celui-ci ne parvient pas à sortir,
la jeune fille en tombe malade de son sang. car il se porte à la zone
entourant le coeur où il cause une sensation d'engourdissement,
provoquant des symptômes similaires à ceux de l'épilepsie.
« le sang n'ayant pas de sortie, s'élance, vu
la quantité sur le coeur et le diaphragme. Ces parties étant
remplies, le coeur devient torpide ; à la torpeur succède
l'engourdissement, et l'engourdissement, le délire354(*). »
L'issue est terrible :
« la femme a le transport à cause de
l'inflammation aiguës, l'envie de tuer à cause de la
putridité, des craintes et des frayeurs à causes des
ténèbres, le désir de l'étrangler à cause de
la pression autour du coeur. (...) La maladie dit des choses terribles. Les
visions lui ordonnent de sauter, de se jeter dans les puits, de
s'étrangler comme étant meilleur et ayant toute sorte
d'utilité »355(*)
A ce désordre du corps et de la raison, le praticien
cherche une cause logique, il recommande aux jeunes filles de
« se marier le plus tôt possible : en
effet, si elles deviennent enceintes, elles guérissent, à
l'époque de la puberté ou peu après 356(*) »
Mariée et déflorée dès qu'elle a
atteint la puberté. Pour ce médecin, il semble aller de soi que
le premier rapport sexuel après le mariage verra la défloration
de la jeune fille. La fin de ses maux de parthenos, le début
des maladies du gunai. Cet « obstacle » à
la menarche dans le corps d'une jeune fille est, dès lors,
ôté :
« Elles sont délivrées de cette
maladie, quand rien n'empêche l'éruption du sang. Je recommande
aux jeunes filles, éprouvant des accidents pareils, de se marier le plus
tôt possible ; en effet, si elles deviennent enceintes, elles
guérissent357(*) »
Tout cela illustre parfaitement l'extrême
précocité du mariage. Ainsi, sans doute sont-elles mariées
avant d'être pubères avant que la « maladie des jeunes
filles » ne les frappe.
Déflorée. Qu'entend-t-on par là ? La
question divise.
Selon G. Sissa, la défloration n'est pas une rupture de
l'hymen ( qu'elle pense être une idée chrétienne) mais la
dilatation du tissu des veines du corps et de la bouche du col de
l'utérus (stoma)358(*). Comment accréditer cette idée ?
Il n'est qu'à citer l'évidence de Maladies de jeunes
filles. Qui plus est, la métaphore de la jarre de vin
scellée pour désigner l'utérus d'une jeune fille confirme
que le rapport sexuel équivaut à rompre un sceau ou à
arracher un voile. Elle cite les arguments de Soranos contre l'existence d'un
hymen :
On pense parfois qu'une mince membrane, qui s'est
développé en travers du vagin, l'obstrue : que la rupture de
cette membrane intervient au cours de la défloration et cause une
douleur, ou qu'elle a lieu en cas d'apparition des règles avant la
défloration ; que si ladite membrane, demeurant en place, prend
constance et durcit, elle est à l'origine de l'état pathologique
nommé atrésie : tout cela n'est que mensonge. D'abord, la
dissection ne révèle pas semblable membrane ; ensuite, chez
les vierges, on devrait buter sur elle en explorant le vagin à la
sonde : or la sonde entre profondément. De plus, si c'est bien la
rupture de la membrane lors de la défloration qui cause une douleur, il
faudrait alors nécessairement que, chez les vierges, une menstruation
antérieure à toute défloration entraînait une
sensation douloureuse, et qu'il n'en fût plus ainsi au cours de la
défloration359(*) »
Selon G. Sissa, ces théories contre lesquelles Soranos
argumente sont anonymes et ne peuvent être attribuées à une
école médicale avant la période
chrétienne360(*).
Elle argue que les médecins hippocratiques voient une membrane
hermétique sur le vagin comme un état pathologique plutôt
qu'un état naturel361(*), et que Maladies des jeunes filles peut
être expliquée de façon plus cohérente si le sang
est emprisonné à l'intérieur du corps, du fait de
l'étroitesse des veines de la jeune fille. Superfétation
confirme cette interprétation. En effet ce médecin décrit
les symptômes des parthenoi souffrant, si leurs règles
n'apparaissent pas :
« Elle souffre de la bile, à la
fièvre, des douleurs, soif, faim, des vomissements, du délire et
puis des retours à la raison362(*) »
Ces termes sont très similaires à ceux que l'on
a rencontré dans Maladies des jeunes filles. Par contre, ce
passage de Superfétation recommande des fumigations et des
applications chaudes pour soulager ces symptômes, et non pas des rapports
sexuels, montrant ainsi que l'on soignait la nature rétrécie du
corps, plus qu'une membrane imperforée dans le vagin. Bien plus,
Maladies de jeunes filles ne décrit pas le sang
emprisonné descendant de l'utérus dans la partie
supérieure du vagin, (endroit où il aurait dû
s'arrêter), si la forte poussée ascendante du pénis
à travers la membrane était pensée la percer. Le sang est
emprisonné dans l'utérus par un stoma resserré
que la friction réchauffante du rapport sexuel ouvre. En l'absence de
rapport sexuel, cette fermeture est l'état normal du stoma.
C'est la raison pour laquelle toutes les femmes dans leurs années
reproductives doivent rester actives sexuellement :
« A un niveau, c'est la cause de l'utérus se
fermant dans le cas d'une femme qui n'use pas du coït363(*) »
Mettre en équation la défloration et
l'élargissement du stoma plutôt que la rupture d'une
membrane hermétique, permet au sang qui apparaît souvent lors du
premier rapport, d'être rapport, d'être confondu avec le sang se
collectant supposément dans l'utérus d'une jeune fille, et
d'affirmer que la jeune fille était prête à tenir son
rôle d'adulte. Le sang hyménal peut ainsi être
expliqué comme les premières gouttes de sang menstruel. Si la
menstruation entière ne commence pas immédiatement après
la défloration, c'est soit parce qu'une grande quantité de sang
n'a pas été accumulée, soit que le sang s'est
déplacé vers une autre partie du corps et avait besoin de temps
pour retourner dans l'utérus 364(*).
De façon similaire, pour Aristote, les filles
commencent à devenir femme vers 14 ans et le signe patent de ce
changement est la présence de sang à l'intérieur de leur
corps. Alors que le corps masculin prend plusieurs années à
atteindre ses entières capacités génératives, une
fois qu'il a commencé à produire du sperme, cela lui permet de
prouver que la présence de sang dans un corps féminin, ne
signifie pas automatiquement qu'elle soit prête à assumer son
rôle de femme.
Ainsi la virginité n'est pas saine, les rapports
sexuels sont conçus dans l'espace d'une médication salutaire pour
la jeune fille. Ils permettent l'écoulement des menstrues et humidifient
la matrice. Mieux, la maternité accomplira la femme, car elle s'accorde
alors avec elle-même, en réalisant pleinement sa vocation. Cette
logique correspond parfaitement à une raison sociale, car la
période à hauts risques pour le corps des femmes n'a jamais
été la puberté, mais bien la grossesse et l'accouchement.
Le médecin se conforme aux réalités de son temps : le
salut de la parthenos passe par le mariage.
Ainsi donc, la jeune fille, prisonnière d'un temps
cyclique, porte en elle la source de maux bien spécifiques.
L'échéance de son destin la voue au silence de l'attente dont
seule la grossesse saura la délivrer. Elle ne peut espérer
s'épanouir que sous le joug marital. La maladie est donc bien un
langage, le médecin hippocratique érigeant en modèle
social la sujétion de la jeune fille.
Selon Aristote, les développements des garçons
et filles à la puberté sont parallèles et expliquent la
réexpédition de l'alimentation précédemment
utilisée dans la croissance, pour la production des fluides
reproductifs : sperme et règles. Il est plus aisé pour lui
de maintenir ce parallélisme que pour le médecin de Nature de
l'enfant, puisque selon lui, une femme ne produit pas de la semence en
même temps que les règles sont le parallèle du sperme
mâle, elles doivent nécessairement être un résidu
séminal de la femme :
« Puisque le flux menstruel est la
sécrétion qui, chez les femmes, correspond au liquide
séminal des mâles ; comme d'autre part, il n'est pas possible
que deux sécrétions spermatiques se produisent dans le même
être, il est évident que la femelle ne contribue pas à
l'émission du sperme dans la génération : car si elle
émettait du sperme, elle n'aurait pas les menstrues365(*) »
Alors qu'il établit la puberté à 14 ans
pour les garçons et les filles, en revanche, le sperme d'un
garçon reste infertile jusqu'à l'âge de 21 ans et cela bien
que des jeunes femmes concevassent volontiers :
Jusqu'à 21 ans, le sperme est infécond. Ensuite,
il est fécond mais les jeunes gens et les jeunes femmes ont des enfants
de petite taille et imparfaitement formés. Quoiqu'il en soit, les jeunes
femmes conçoivent, elles ont un accouchement plus laborieux. (...)
Après 21 ans, les femmes sont désormais en bonne condition pour
faire des enfants, tandis que les hommes ont encore à se
développer366(*) »
Elles doivent donc attendre, elle aussi, 21 ans pour se
reproduire. En fait, la recherche moderne a montré que la plupart des
hommes sont infertiles lors de leur première éjaculation, alors
que les jeunes filles n'ovulent pas à chaque cycle menstruel pendant au
moins les deux premières années. Donc il serai plus correct de
considérer un temps de latence plus important entre la puberté et
la capacité de reproduire pour les filles que pour les garçons.
Aristote a pu être mené à cette conclusion parce qu'il a
rencontré quelques très jeunes mères dans la
société de son temps, alors que, les hommes n'étant pas
encouragés à se marier avant 30 ans, les jeunes pères sans
doute rares367(*).
Mais Aristote est surtout de ceux qui milite contre les
mariages trop précoces et pour des raisons physiologiques, il propose
que l'homme épouse une femme de 15 à 20 ans sa cadette. Pour des
raisons économiques aussi (le mariage oblique est le plus prisé),
pour des raisons de mainmise, la femme a largement le temps d'être
dressée à ses devoirs. Néanmoins, parce qu'il croit que le
corps féminin est plus proche de celui du mâle que ne le croient
les Hippocratiques, Aristote soutient que la puberté pour une femme
s'étend sur un certain laps de temps comme pour l'homme ; tout
comme ce dernier, si la jeune fille peut concevoir, cela ne signifie pas
qu'elle doive le faire.
La fermeture hermétique de l'utérus est pour
Aristote, une condition pathologique. La croissance du stoma est une
pathologie qui doit être soignée par un traitement :
« Il existe des femmes chez qui l'orifice de
l'utérus, après être resté soudé, se
déchire au moment des règles et au prix des douleurs : chez
certains cas l'issue est fatale quand l'ouverture est faite de force ou qu'elle
ne peut être obtenue »
Sa combinaison anatomique du vagin et de l'urètre
l'empêche d'imaginer une membrane imperforée sur le passage de
l'urètre au vagin. Il est difficile de savoir comment il explique le
sang hyménal puisqu'il ne parle pas la défloration dans ces
travaux biologiques. On peut penser qu'il sent probablement ce rapport sexuel
initial comme signifiant dans un contexte social, plus que dans un contexte
biologique. Il ne peut avoir cru en un stoma rétréci qui
serait ouvert par le rapport sexuel, alors qu'il argumente contre les mariages
précoces et l'expérience sexuelle prématurée
à la fois pour les garçons et les filles et par
conséquent, doit penser qu'il n'y a pas d'obstacle à la
menstruation des vierges. Pour lui, les rapports sexuels élargissent les
passages (poroi) dans les corps mâles et féminins et son
affirmation selon laquelle les tentatives prématurées
d'éjaculation par la masturbation causent autant de douleur que de
plaisir chez les jeunes garçons, peut être une assimilation
inappropriée de la première expérience sexuelle d'un
garçon par rapport à celle d'une fille368(*).
Après l'exposé de ces théories
médicales, nous allons voir comment elles ont servi à renforcer
l'image d'une femme ne pouvant se passer de son époux pour sa survie
mais surtout que, pour satisfaire au croyances culturelles, certains postulats
n'ont pas été remis en cause par la médecine
d'observation.
II.
MEDECINE ET SOCIETE
De Sémonide à Euripide, la femme est
créature de Zeus, et, dans sa cohésion, le génos
gynaikon menace l'unité de la société masculine.
Fidélité à Hésiode ? Bien plus :
rencontre d'un texte et d'une pratique politique. Car la
référence à Hésiode permet d'exprimer une question
toujours rouverte dans l'idéologie grecque de la citoyenneté,
l'exclusion à la fois nécessaire et impossible des femmes,
« moitié » paradoxale de la polis grecque,
et cette permanence du discours sur elles mérite d'être
soulignée face à la prolifération, dans le monde des
cités, de discours rivaux sur l'origine du premier homme369(*).
On a déjà vu le point de vue de Sémonide
d'Amorgos dans Iambe des femmes qui met en évidence la
pluralité de cette race en la classant selon dix categories dont neuf
ont une nuance fortement péjorative : la femme-chienne, la
femme-porc, la femme-singe, une seule semble échapper à cette
vision, la femme-abeille, mélissa, emblème des vertus domestiques
mais qui n'est, pour Sémonide, qu'un idéal. En
réalité, la femme peut être un mélange de tous ces
types370(*).
C'est dans cet esprit que s'organise la société
grecque et que, par conséquent, la jeune fille se prépare
à sa vie de femme et de mère.
On retrouve souvent l'expression parthenos
admès qui désigne la parthenos sans maître.
Admès, littéralement indomptée s'applique aussi
bien aux animaux qu'aux humains371(*). Les filles, et parmi elles, les
prépubères, sont souvent désignées collectivement
par des noms d'animaux, on les appelle des ourses, des pouliches, des taures...
Leurs propres noms rappellent souvent cette nature animale primitive, ainsi
Briséis qui s'est d'abord appelée Hippodamie « Cavale
domptée ». L'idée qu'en chaque parthenos se
cache un animal sauvage qui n'a pas encore été soumis au
processus de civilisation correspond bien à l'idée que les Grecs
se font de l'évolution du féminin. Le dompteur du féminin
sauvage, c'est le mari ; c'est en prenant la parthenos chez lui
comme épouse qu'il la civilise. Toutes les jeunes filles candidates au
mariage devront ployer le col et sentir sur leurs nuques peser la main du
bienheureux mortel dont les présents vainqueurs l'emmèneront chez
lui. Il devra détruire, par contrainte ou persuasion, ce que la
parthenos a de rebelle, l'obliger à quitter le monde de
l'enfance, du ballon, des choeurs et d'Artémis. La procédure du
désensauvagement vise à l'amener à endosser les
responsabilités de sa nouvelle « maison », qu'elle
fasse sienne les vertus que ses nouvelles responsabilités exigent, et,
tout cela, en devenant la compagne de lit d'un homme, c'est-à-dire en
découvrant d'autres contraintes, celles de l'amour-séduction,
désir, plaisir. Voilà ce que c'est que d'être
domptée , mise « sous le joug », même si c'est
ensemble qu'on tire le char de la « maison ». Qu'est ce que
ces jeunes filles peuvent connaître de cette vie qui va être la
leur ?
« Que pouvait-elle bien savoir quand je l'ai prise
à la maison ? Elle n'avait pas encore quinze ans quand elle est
venue chez moi ; jusque-là elle sous une stricte surveillance, elle
devait voir le moins de choses possibles, en entendre le moins possible, poser
le moins de questions possibles372(*) »
La raison de vivre de la parthenos, c'est le
mariage : elle s'y prépare. La nymphé idéale est plus
vierge que vierge. A la virginité du corps s'ajoutent celle de
l'esprit373(*).
Ce rôle est assumé par le mari, et ce d'autant
mieux que celui-ci est l'aîné et que les grecs sont
attachés à la valorisation de l'âge.
Face à cette nature difficile, la cité met en
place un processus de socialisation de la jeune fille et le mariage est la
dernière étape de cette domestication. Dès la naissance,
la différence de destin est marquée entre le garçon et la
fille : dans le premier cas, on accroche un rameau d'olivier au-dessus de
la porte, dans le second, un brin de laine. Le premier est un futur
citoyen ; la seconde ne le sera jamais car il n'y a pas de citoyenne
à Athènes, ni à Sparte, ni à Gorcyne, cités
à propos desquelles nous disposons de quelques informations.
La religion est un processus d'intégration des filles
dans la cité. A Athènes, même si une minorité est
concernée par des pratiques religieuses particulières, c'est la
communauté de jeunes filles qui est engagée par le service
temporaire d'une divinité. Le premier niveau est destiné aux
fillettes de sept à onze ans. Ce sont les quatre arréphores dont
la charge est de tisser le péplos offert tous les ans à
Athéna lors de la grande procession des Panathénées ;
elles accomplissent en outre au mois de juin le rituel des Arréphoria
qui consiste, la nuit, à descendre de l'Acropole des objets
sacrés et de les déposer dans une grotte ; en même
temps, elles en remontent d'autres, des gâteaux en forme de serpents et
de phallus : rituel d'initiation après leur service après
leur service auprès de la déesse. Un deuxième groupe a
trait aux petites ourses, une centaine de fillettes de dix ans au plus qui sont
attachées à un sanctuaire de la déesse Artémis,
à proximité d'Athènes. Elles sont habillées d'un
vêtement de couleur safran, la crocotte est sont censées faire
l'ourse, c'est-à-dire à vivre cet aspect du sauvage qui
caractérise à la fois la condition féminine et l'enfance
et à apprendre à dominer ou du moins à canaliser cette
sauvagerie. La cérémonie finale marque la fin de cette
période sauvage et l'entrée dans la phase qui va mener la fille
vers le mariage. L'ultime fonction de la jeune fille et de faire la
canéphore, c'est-à-dire de porter la corbeille de sacrifice lors
de la grande cérémonie religieuse des Panathénées.
Cette période est aussi marquée par la puberté : la
jeune fille entre dans un âge où l'on peut la montrer aux
hommes.
La dernière étape de cette maturation est donc
le mariage. Là aussi, le rituel marque le caractère
spécifique de la femme. A Athènes, ce mariage illustre le passage
de la vie sauvage à la vie civilisée grâce au mari :
la fiancée est parée avec une couronne d'épines et de
glands de chêne sur la tête ; elle est accueillie dans la
chambre nuptiale où on lui remet une poêle à griller
l'orge, un pilon à mortier et un crible, symbole du grain moulu, de la
culture ; elle est accompagnée par un enfant qui porte une couronne
d'épines et qui distribue du pain en disant « j'ai fui le
mal ; j'ai trouvé le mieux » : la femme trouve enfin
sa place dans la cité ; elle devient un champ de labour où
l'homme pourra déposer sa semence.
Le cas de la ville de Sparte est aussi intéressant. Le
système éducatif insiste sur la nécessité pour les
filles d'avoir une bonne préparation physique pour leur futur rôle
de mère. Lycurgue, législateur de Sparte voulait que les jeunes
filles pratiquent la lutte, la course, le javelot, le lancement de disque pour
que « la semence de l'homme fortement enracinée dans des corps
robustes poussât des plus beaux germes et que les filles fussent assez
fortes pour supporter l'enfantement et lutter avec aisance et succès
contre les douleurs de l'accouchement ». Le rituel du mariage
relève aussi d'une cérémonie d'initiation où la
jeune fille, après avoir été enlevée par son mari,
a les cheveux coupés et reçoit un habit d'homme avant que l'acte
sexuel ne soit accompli ; c'est bien là aussi une certaine forme de
refus de la féminité.
Dans tout ce que nous venons d'évoquer, c'est bien une
situation d'opposition qui transparaît ente l'homme et la femme. Du
côté de l'homme, la culture, la civilisation, la politique, la
raison, la lumière, le cuit, le sec et le chaud ; du
côté de la femme, la nature, la sauvagerie, les activités
domestiques, la démesure, la nuit, le cru, l'humide et le froid.
Dans le mythe de Pandora, la femme est une construction, une
illusion qui contient l'esprit d'une sorcière et un utérus en
forme de jarre374(*).
Des thèses ont été avancées
concernant l'idée d'un utérus vagabond dans la pensée
grecque375(*). Simon
avance que, les symptômes de l'hystérie chez la femme permet une
expression saine de certains besoins et permet avec la permission du docteur
une forme de gratification qui aurait été interdite dans un
contexte différent. Lefkowitz croit que les symptômes du
déplacements de l'utérus ou de la possession dionysiaque
développent chez la femme le sentiment d'oppression. Selon Manuli, la
conception d'un utérus migrateur est purement masculine. Cette vision
illustrerait le fait que la femme est incapable de se contrôler et
justifierait la subordination à son mari376(*). Cette vision est reprise du
Timée de Platon qui considère que l'utérus,
animal intérieur, est un danger pour la femme, incapable de
résister à la force de cet animal, s'il n'est pas dompté
par quelqu'un. Ce quelqu'un est, bien évidemment, son mari. Danger
d'autant plus grand pour les femmes que ses destinations
préférées sont le coeur, le cerveau et le foie, lieux
pouvant, dans la pensée du Vème siècle, abrité
l'âme, la psyche.
Ces différents points de vue concernant la
sexualité de la femme ont tous un point en commun : ils justifient
la subordination de la femme à l'homme pour être en bonne
santé, que la femme soit d'accord ou non. Cependant, ce point de vue
présente un danger pour l'épouse. En effet, l'homme grec n'est
pas monogame. Outre sa femme, il entretient des relations avec des
hétaïres, des hommes, des esclaves, des concubines et des
prostituées.
« Nous avons les hétaïres pour le
plaisir de l'esprit, les concubines pour les plaisirs du corps et nos
épouses comme gardiennes fidèles du foyer377(*) »
Par conséquent, cette pluralité des rapports
sexuels peut être dangereux pour la femme légitime car, en cas de
maladie due à un manque de relations sexuelles, sa santé est mise
en danger . Par conséquent, l'existence d'un utérus vagabond
permet également aux femmes de justifier leurs demandes sexuelles
à leur époux378(*).
Toutes ces théories servent à réaffirmer,
par le détour du daimon intérieur de la femme, que
celle-ci devait se soumettre à l'appétit sexuel de son mari, pour
son propre bien, qu'elle le désire ou non.
« si les règles ne coulent pas, la femme
devient malade379(*) »
La santé pour la femme est de saigner comme une victime
sacrifiée.
CINQUIEME PARTIE
UN ETRE GOUVERNE PAR UN ORGANE, L'UTERUS
Comment, à l'heure où l'observation était
à l'honneur, où les Hippocratiques prônaient l'utilisation
des cinq sens, a-t-on pu continuer à concevoir l'utérus comme un
animal intérieur ? Il faut étudier l'anatomie de cet organe
mais surtout ce qu'il renferme comme représentation idéologique
pour le comprendre. De lui découlerait la plupart des divers
problèmes féminins. Toutefois, il est à noter, au
crédit des Hippocratiques, que des réserves ont été
émises sur l'existence des divagations de l'utérus. Cette
sous-partie sera aussi l'occasion d'aborder les remèdes aux maladies
liées à cet organe, qu'ils soient discutables ou non aux yeux des
modernes que nous sommes. C'est donc une sous-partie qu'il est
nécessaire d'aborder sans préjugés et d'y voir les
prémisses de notre médecine actuelle.
Dans une seconde partie, on verra plus
précisément les dangers qui touchent les parthenoi. En
effet, dans cette période qu'est le pivotement du sacré, le
passage du domaine d'Artémis à celui de Déméter, la
parthenos est en danger et la maladie des jeunes filles la guette. Et
le remède, comme tous les maux qui assaillent les femmes reste le
même : le mariage, seul moyen de faire couler ce trop plein de sang
qui les pousse à chercher l'air par le haut et les mène à
l'étranglement.
Enfin, on terminera sur l'objet initial de notre étude,
qui, faute de sources, de première ou de seconde main n'a pu aboutir
à l'hypothèse formulée il y a deux ans, l'épilepsie
ou maladie sacrée.
CHAPITRE I
L'UTERUS
Sachant que les Hippocratiques n'ont certainement jamais
pratiqué d'autopsie sur un utérus, comment le voyait-il ?
Par quoi leur vision était-elle dictée et à quelle
conclusion aboutirent-ils ? On verra également sommairement la
vision d'Aristote, car comme nous l'avons déjà dit, il semble
difficile de le séparer des Hippocratiques puisqu'il constitue le
prolongement de leur oeuvre.
I.
ANATOMIE DE L'UTERUS.
Dans le mythe de Pandora, la femme est une construction, une
illusion qui contient l'esprit d'une sorcière et un utérus en
forme de jarre380(*).
Culturellement parlant, l'utérus est une source riche
d'image. Les études de Janice Boddy montre que, au Soudan, il est
représenté par une maison avec une porte, la comédie
grecque utilise porte et portail dans l'imagerie sexuelle. L'utérus peut
aussi être considérée comme un récipient ou un
jardin à cultiver. Dans l'imagerie grecque, les femmes sont de nature
chaude ou froide, l'utérus est chaud puisqu'il lui est nécessaire
de l'être afin de cuisiner la petite graine et en faire un bel
enfant381(*). La
métaphore du four exprime également très bien ce que les
hommes grecs attendaient de l'utérus.
Les médecins grecs et biologistes grecs utilisent le
mot cheilê pour désigner les lèvres du col de
l'utérus, le mot stoma qui désigne la bouche pour nommer
l'orifice utérin382(*). Ils utilisent le même vocabulaire pour
évoquer le vagin383(*), mais ils attachent plus d'attention à la
bouche intérieure et invisible de la matrice qu'à l'entrée
bien visible du vagin. Dans le traité Ancienne Médecine,
la bouche d'en haut et ses lèvres sont clairement comparées
à la matrice384(*), leur forme étant identique :
étroite d'abord, puis creuse et large afin de pouvoir aspirer un
liquide. D'ailleurs les médecins n'hésitent pas à
établir une liaison directe entre la bouche d'en haut et la bouche d'en
bas. Un teste de grossesse est très parlant à ce sujet :
« Cela fait, versant dans une phiale d'argent ou de
cuivre du parfum blanc égyptien et du sel, et s'enveloppant, la femme
s'assoira sur la phiale. Si l'odeur du parfum lui vient par la bouche on
déclarera qu'elle peut concevoir et que la matrice est encore saine. Si
l'odeur ne pénètre pas, on ne perdra pas courage ; au moment
de se coucher, elle s'appliquera le parfum égyptien dans de la laine. Le
lendemain, elle examinera si l'orifice utérin est plus
droit »385(*)
Comme l'a affirmé Robert Joly, « la matrice
est une personne dans une personne », elle a donc un cou. En grec, le
cou se dit auchên ou trachêlos, comme le col de
l'utérus. Nicole Loraux affirme que :
« la femme est prise entre deux bouches, entre deux
cols, où les errances de la matrice entravent brutalement la voix dans
la gorge des femmes, où mainte jeune fille en âge d'être
nymphè se pend pour échapper à
l'étouffement redoutable qui, à l'intérieur de son corps,
l'affole386(*) »
Les Hippocratiques considèrent la matrice comme un
récipient387(*),
Dean-Jones et Hanson ont suggéré que c'était un pot.
Métaphore du vase, on retrouve dans les traités toute une
physique du récipient. Le vase, comme l'utérus, à des
lèvres, un col, et une panse388(*).
Le askos semble avoir été l'image
générale que se faisait les Hippocratiques de l'utérus.
Ceci semble lié à sa capacité à s'étendre
pour recevoir le foetus durant la grossesse389(*). En effet, Nature de l'enfant décrit
l'utérus comme souple, les Hippocratiques l'ont sans doute
imaginé ainsi afin de contenir le foetus durant la grossesse.
Quelle est la nature de ce récipient ? Selon
Maladies des femmes, si la matrice est béante contre nature,
elle est incapable d'attirer le sperme. Il n'y a conception que si le sperme
est retenu par la matrice. Pour le médecin d'Ancienne
médecine, la forme est due aux organes creux qui conviennent mieux
à attirer l'humidité du reste du corps.
« Rétrécis en une portion
étroite après une portion creuse et large. Pour le comprendre, il
convient de se référer à ce qui est visible à
l'extérieur. D'une part, en gardant la bouche ouverte, vous ne pouvez
aspirer aucun liquide ; mais en avançant les lèvres, en les
contractant et en les comprimant, vous aspirerez ; et même si de
surcroît vous appliquez une canule contre les lèvres, c'est avec
facilité que vous pourrez aspirer tout ce que vous voudrez (...). Les
parties à l'intérieur de l'homme qui ont une configuration
naturelle de ce type sont la vessie, la tête et, chez les femmes, la
matrice. Manifestement ces parties là sont celles qui attirent le plus
et elles sont constamment remplies d'un liquide amené du
dehors390(*). »
Ici, l'utérus a davantage la forme d'une outre que d'un
vase. Ainsi, quand trop de sang s'accumule dans l'utérus, il ne
déborde pas simplement dans les organes qui l'entourent, ce qui aurait
été le cas s'il avait eu la forme d'un vase mais se diffuse
à d'autres parties du corps par des passages. Les ouvertures de la
vessie et de l'utérus dans l'urètre et le vagin se rapprochent de
cette forme donnée au passage, celle de lèvres pincées,
mais elles pointent dans la mauvaise direction pour attirer à elles les
fluides du corps. Pour comprendre le système hippocratique, il faut
imaginer des ouvertures similaires de l'autre côté de la vessie et
de l'utérus, des ouvertures dirigées vers l'intérieurs du
corps. Lors de la grossesse,
« un passage vers l'extérieur se forme du
ventre et des intestins par l'anus et un autre par la
vessie »391(*)
C'est, peut être, cette portion étroite que
l'auteur de Ancienne médecine décrit par laquelle la
vessie s'attire les fluides de tout le corps392(*).
Il n'y a pas de description d'un tel tube vers l'utérus
mais selon Superfétation l'utérus possède des
cornes, terme qui s'applique aussi bien à l'anatomie des animaux
qu'à celle du sexe de l'homme (verge), mais aussi une partie des organes
génitaux féminins puisqu'il désigne les trompes de
l'utérus :
« Mais si le premier enfant est dans l'une des
cornes, la femme met au monde en dernier lieu le produit non viable une fois
que la matrice s'est relâchée et humectée, après
s'être délivrée du produit viable393(*) »
L'utérus est donc multiple,
« La matrice a des poches recourbées et
multiples, les unes plus loin, les autres plus près du sexe : les
animaux qui portent beaucoup de petits en ont plus que ceux qui en portent peu.
Il en est de même du bétail, des bêtes sauvages et des
oiseaux. Quand la semence à son arrivée se trouve répartie
dans les deux poches, que la matrice garde la semence et qu'aucune de ses
poches ne se vident dans l'autre, la semence séparée dans chacune
des deux poches394(*)
s'entoure d'une membrane et s'anime de la façon que j'ai dite pour une
seule395(*) »
il contient plusieurs poches. En effet, certains animaux sont
capables d'avoir plusieurs petits en une portée car leur semence est
divisée en plusieurs poches et un foetus se développe
séparément dans chacune. C'est ainsi qu'on explique la naissance
de jumeaux chez la femme. Ce phénomène pouvait paraître
anormal mais il montrait simplement au médecin que la femme qui avait
deux poches dans l'utérus était un phénomène
inhabituel mais pas anormal, ce qui explique qu'il n'en soit pas fait mention
dans le Corpus.
Les Hippocratiques croyaient que l'appareil reproducteur
féminin était limité à l'utérus.
Comme une jarre, l'utérus a une bouche, ou depuis que
l'utérus est pluriel, des bouches. On retrouve, occasionnellement,
référence aux plusieurs bouches de l'utérus mais
peut-être, suggère t-il que le bec de la jarre-utérus est
double une bouche du corps dans l'utérus et une dans le vagin. Plus
communément, la bouche de l'utérus doit être alignée
avec une seconde bouche à l'autre extrémité du tube,
où le sang ne pourra pas s'écouler. On l'appelle la bouche du
vagin ou la bouche de sortie. La condition intérieure, la bouche
utérine peut être déterminée par la femme
elle-même, qui peut dire, en touchant, si elle est dure ou molle, ouverte
ou fermée, verticale ou inclinée396(*).
Si Hippocrate a intégré certaines croyances
folkloriques à ses méthodes, cela ne veut pas dire pour autant
qu'il accorde crédit aux causes avancées de ladite divagation. Le
traité Maladie Sacrée en est un excellent exemple :
nous reviendrons sur l'épilepsie dans la dernière partie de notre
mémoire. Si les Hippocratiques ne rejettent pas l'idée d'un
utérus vagabond, c'est certainement parce que cela a une incidence sur
l'aspect culturel lié au sexe de la femme.
Chez Aristote, le concept n'est pas le même. Le
rôle de l'utérus serait mineur dans l'attirance du sang vers lui
et il considère qu'il lui est bien difficile d'être capable de
sentir les odeurs. Pour lui, les femmes ont le même utérus que les
autres races d'animaux, à savoir qu'il est soutenu par des tendons.
Aristote explique la descente d'organe à cause d'un manque de relations
sexuelles. Il descend et ne remonte plus à l'emplacement auquel il
devait être.397(*)
La descente d'organe est l'une des rares maladies pour laquelle les
Hippocratiques recommande l'abstinence sexuelles.
La mobilité de l'utérus à
l'intérieur du corps sert d'explication à bien des maladies des
femmes, et pas seulement à la « suffocation de la
matrice » qui n'est qu'un cas particulier398(*).
« Les règles ne pourront pas trouver d'issue
tant que la matrice ne sera pas remise à sa condition naturelle. Cette
maladie se produit surtout chez celles qui ont l'orifice utérin
étroit. Si l'un de ces cas existe, que la femme n'ait pas de rapports
sexuels et que le ventre se vide plus qu'il faut par quelques souffrances, la
matrice subit un déplacement, car elle n'est pas humide par
soi-même, vu qu'il n'y a pas eu de coït, et qu'elle a de l'espace,
vu que le ventre est devenu vide ; de sorte qu'elle se déplace en
raison de sa sécheresse et de sa légèreté plus
grande qu'à l'ordinaire... Au contraire, quand la matrice est humide par
le coït et que le ventre ne se vide pas, elle ne se déplace pas
facilement 399(*) »
La « suffocation utérine » est un
cas particulier où les mêmes mécanismes sont en jeu, sauf
qu'ils sont plus précis. Voici ce qu'en dit Hippocrate :
« Cette affection survient surtout chez les femmes
qui n'ont pas de rapports sexuels, et chez les femmes qui d'un certain
âge plutôt que chez les jeunes ; en effet, leur matrice est
plus légère. Voici comment cela se fait : la femme ayant les
vaisseaux plus vides que d'ordinaire et ayant plus fatigué, la matrice
desséchée par la fatigue se déplace, attendu qu'elle est
vide et légère ; la vacuité du ventre fait qu'il y a
de la place pour qu'elle se déplace ; s'étant
déplacée, elle se jette sur le foie, y adhère et se porte
aux hypocondres ; en effet, elle court et va en haut vers le fluide, vu
qu'elle a été desséchée à l'excès par
la fatigue. Or, le foie est plein de fluide. Quand elle s'est jetée sur
le foie, elle cause une suffocation subite, interceptant la voie respiratoire
qui est dans le ventre. Parfois, en même temps que la matrice commence
à se jeter sur le foie, du phlegme descend de la tête aux
hypocondres, attendu que la femme est suffoquée ; et parfois, avec
cette descente du phlegme, la matrice quitte le foie, retourne à sa
place et la suffocation cesse...Quand la matrice est au foie et aux hypocondres
et produit la suffocation, le blanc des yeux se renverse, la femme devient
froide et même quelquefois livide. Elle grince des dents ;la salive
afflue dans la bouche et elle ressemble aux épileptiques. Si la matrice
reste longtemps fixe au foie et aux hypocondres, la femme succombe
étouffée400(*) »
Hippocrate préconise comme remède, notamment
pour les jeunes filles, plutôt comme prévention, le mariage.
A nouveau, science et intérêt de la
médecine se rejoignent.
Pour ce qui est des femmes, on va voir que les croyances
traditionnelles ont perdurées longtemps. La question qui se pose est de
savoir pourquoi. Comment Hippocrate justifiait les divagations de cet animal
vorace ? Que cela supposait-il de l'anatomie féminine ?
II.
L'UTERUS ET SES DIVAGATIONS.
II.1. Le corps des femmes et les
Hippocratiques
Il y a une corrélation entre la gynécologie et
le rôle de l'individu dans la propagation de l'espèce, mais peu de
cultures considèrent les organes génitaux extérieurs pour
justifier la séparation des rôles entre l'homme et la femme dans
la société. Les traits que la société
considère comme s'attachant respectivement aux hommes et aux femmes
permettent de construire le sexe dans la société. Ces traits
entrent souvent en contradiction avec les individus pris
séparément. Par exemple, dans notre culture, une femme peut
être plus musclée ou plus agressive qu'un homme et inversement.
Cependant, ils sont toujours considérés comme des exceptions
à la loi naturelle. Cette croyance en la loi naturelle trouve son
expression initiale dans la mythologie et la religion et peut influencer les
théories médicales tant et si bien que l'on finit par croire que
cette différence est plus basée sur la biologie que sur les
conditionnements sociaux401(*).
Les médecins hippocratiques n'ont jamais vu
d'utérus humain402(*). Dans ces conditions, l'utérus n'est vu que
comme un récipient capable de conserver la semence et de protéger
l'embryon.
403(*)
Contrairement à l'intégralité du
Corpus qui repose sur la dynamique des fluides, les traités
gynécologiques restent influencés par les croyances
traditionnelles concernant l'utérus404(*).Dans le schéma humoral hippocratique, une
fois que le sang a coulé dans l'utérus, il est
déchargé par le stoma dans le vagin. Ces médecins
croyaient qu'hors le temps de la grossesse un stoma fermé
était une condition pathologique. Dans ce cas, le sang pouvait soit
rester et fermenter dans l'utérus, soit se déplacer vers une
autre partie du corps et former un abcès. Quand on sait que les
médecins décrivaient le corps féminin comme parsemé
d'un tissu de canaux arrivant à l'utérus de toutes les parties du
corps, on peut aussi comprendre qu'ils aient conçu que le sang menstruel
revenait dans ces canaux et allaient vers un autre point du corps. On peut
comprendre que les Hippocratiques aient pu croire que l'utérus pouvait
pointer en une direction ou dans une autre et emprisonner le sang à
l'intérieur ou le ramener vers les canaux. En revanche, il est difficile
de concevoir comment et pourquoi ces médecins ont pu imaginer un
utérus possédant la capacité de voyager dans le
corps : il peut aller au dehors405(*), remonter jusqu'au foie406(*), se porter à la
tête407(*), au
coeur ou au hypocondres, sur la vessie vers la fraîcheur
extérieure quand il est échauffé et qu'il sue, vers les
lombes ou les hanches.
Un aspect particulier du corps féminin par rapport
à celui de l'homme est le possession d'espaces, de sortes de voies de
communication le long desquelles l'utérus se déplace. Alors qu'un
corps de femme est d'une texture plus lâche que celui de l'homme, les
Hippocratiques ne semblent pas avoir pensé l'abdomen comme une
cavité vide du corps. Une large partie du dysfonctionnement menstruel
féminin est attribuée aux vaisseaux et à la chair trop
fortement compacté pour fournir le sang en excès chez une femme,
dont le corps n'a pas été altéré par les lochies.
Pourtant, l'utérus est connecté à toutes les parties du
corps par la phlebia et les phlebes et, après
altération du corps, lors de l'accouchement, eux aussi pouvaient se
développer dans un « espace large » afin qu'ils ne
deviennent pas trop pleins ou filtrés avec les règles.
« En effet, à se remplir, la matrice y est
habituée et le corps y est disposé, vu la grossesse ; en
même temps plus d'espace pour l'accouchement est dans le corps pour le
sang, à cause que le corps s'est fondu ; et le sang, étant
au large, cause moins de mal, à moins que les veines n'éprouvent
un excès de plénitude et de ton408(*). »
Un utérus malléable pouvait se mouvoir par ces
chemins larges, avec une certaine aise, et les femmes, les plus sensibles aux
déplacements de l'utérus étaient celles dont les passages
étaient élargis par les lochies (les veuves ayant eu des enfants,
femmes actives sexuellement mais qui avaient cessé de l'être),
soit par la durée pendant laquelle la menstruation était survenue
dans leur corps (les vieilles et les vierges).
Toutefois, bien que les Hippocratiques aient accepté et
rationalisé beaucoup de croyances traditionnelles dans leur
médecine, ils n'accordaient habituellement pas de crédit à
une croyance qui retentissait comme une superstition purement irrationnelle
(Maladie sacrée tourne au ridicule les explications
traditionnelles sur les causes de l'épilepsie), cette position permet
aux médecins d'être en désaccord avec l'opinion commune
selon laquelle l'utérus réagit aux odeurs. En effet, bien que la
physiologie féminine hippocratique puisse s'accommoder d'un
utérus mobile, il n'y a rien dans la théorie physique des
Hippocratiques qui le requiert (les maladies attribuées aux transferts
de l'utérus peuvent toutes être expliquées plus facilement
comme une dégénérescence du sang menstruel), se baser sur
l'efficacité des thérapies olfactives pouvait leur causer un
certain embarras. Cette médecine rationnelle ne rejette pas le concept
d'un utérus mobile, et d'un autre côté, elle suggère
que l'utérus vagabond remplit un rôle culturel important dans la
caractérisation du sexe féminin409(*). On peut donc supposer, une fois encore, qu'entre en
jeu d'autres intérêts et notamment ceux de la cité.
II.2. Un utérus mobile
Le concept d'un utérus mobile n'est pas propre aux
Hippocratiques. Platon y a largement contribué. En ce qui le concerne,
il s'agit de situer la place de l'homme dans l'univers entre la matière
et l'esprit ; et dans l'échelle de la vie. De montrer en quoi la
nature de l'homme diffère de la nature végétale et comment
se combine la nature animale ou psychè animale, avec la nature
spirituelle qu'il tient des dieux410(*). Le philosophe disserte donc sur l'organisation du
corps humain avec celle du cosmos. L'homme est dans le monde et le monde est
dans l'homme. Jeux de miroir où l'image de l'un renvoie celle de
l'autre. Mais ici et là, images abstraites, quintessenciées,
copies toujours imparfaites de l'Etre éternel et immuable. La communion
de l'organisation du corps avec celle du monde visible conduit Platon à
parler du monde en terme anthropomorphiques.
Les Hippocratiques n'ont jamais explicitement décrit
l'utérus comme un animal individuel errant à l'intérieur
du corps de la femme ; d'ailleurs, les gynécologues n'ont jamais
utilisé le verbe « errer » pour décrire les
mouvements de l'utérus. Ils expliquent les mouvements de l'utérus
à travers le corps d'une femme en prétendant que, s'il n'est pas
ancré en place par la grossesse ou gardé humide par le rapport
sexuel, il est attiré par d'autres organes plus humides. La
thérapeutique hippocratique a consisté à recommander
à toutes ces femmes de se marier et de devenir enceintes. Ainsi, la
thérapeutique rejoint-elle la finalité du mariage grec.
II.3. Remèdes
Même chez les jeunes vierges ou celles qui n'ont pas
donné naissance, les destinations préférées de
l'utérus (coeur, foie, cerveau) étaient connectés à
l'utérus par les plus larges phlebes et puisqu'ils
étaient parmi les plus humides du corps, ils étaient donc
desservis par un vaisseau capable de porter une grande quantité de sang.
Il est probable, comme l'affirment P. Manuli et E. King, que ces phlebes
étaient tributaires d'un « tube » qui passerait
à travers le diaphragme et se connecterait aux narines et au vagin de la
femme, donnant à l'utérus un passage libre du haut jusqu'au bas
du corps411(*).
L'illustration est fournie par la méthode hippocratique permettant de
savoir si une femme peut concevoir ou non : le médecin l'assoit sur
quelque chose qui sent fort (l'ail est l'ingrédient standard pour ces
recettes) et teste si on peut le sentir par sa bouche. Si c'est le cas, tout va
bien, sinon, le tube est bloqué et des soins doivent être
administrés pour le débloquer avant qu'elle puisse
concevoir411(*). De
même, la méthode pour faire redescendre un utérus à
sa place : on fait respirer à la femme une odeur nauséabonde
par les narines et on place un récipient au niveau du vagin rempli
d'odeurs agréables. Attiré par ces dernières,
l'utérus redescendra. La croyance dans l'efficacité de cette
méthode dépend de la croyance en laquelle l'utérus peut ou
non sentir412(*). Le
modèle d'un tube se connectant de la tête au vagin donne une
explication au fait que la gynécologie inclut une cure spécifique
pour la mauvaise haleine chez les femmes. Il s'agit de :
« Brûler à part une tête de
lièvre et trois rats (dont on ôtera les intestins à deux,
mais pas le foie et les reins), piler dans un mortier et tamiser puis
mêler partie égale de ces ingrédients, en frotter les dents
et l'intérieur de la bouche413(*) »
Lequel est le meilleur, la maladie ou le remède ?
Apparemment, le transfert de l'utérus en des zones
différentes du corps peut être appuyé par des principes
scientifiques dans la construction hippocratique du corps féminin.
Toutefois, ces principes ne sont pas apparents dans la méthode
suggérée par ces médecins pour faire revenir
l'utérus à sa position initiale. La procédure
générale est d'administrer des substances olfactives
fétides aux narines en même temps que la femme s'assoit sur le bol
empli de parfums délicats, repoussant simultanément
l'utérus d'un côté du corps et l'attirant de l'autre (les
bonnes et mauvaises odeurs sont inversées si l'utérus à
voyagé vers le bas du corps)414(*). L'efficacité de cette thérapie
dépendait du fait que l'on pensait que l'utérus avait, d'une
certaine façon, un sens olfactif développé, restes d'une
théorie pré-rationnelle des mouvements de
l'utérus415(*).
L'utérus peut être soumis à ce que nous
appelons la descente d'organe et sortir de la vulve : c'est le
résultat de rapports sexuels trop rapprochés de la naissance et
d'un accouchement difficile416(*). Cette situation a pu apporter du crédit
à la thèse de l'utérus migrateur. Cependant la descente
d'organe ne se fait qu'à l'intérieur du vagin. Il peut arriver
que, malgré les tendons, il ne tienne pas en place mais cela ne signifie
en aucun cas que l'utérus déambule à l'intérieur du
corps féminin417(*). Plus significatif est la remarque d'Hanson qui
indique que le corps des hommes n'ayant pas de place pour un utérus, le
corps humain n'a pas de place attitrée pour que celui-ci y
réside. Une fois encore, malgré le fait que les Hippocratiques
étaient probablement conscient du fait que les utérus des
femelles animales tenaient généralement en place grâce aux
tendons dans la partie basse de l'abdomen, ils n'ont pas appliqué ce
savoir à la construction du corps de la femme et la croyance selon
laquelle la femme est radicalement différente de l'homme signifie que le
savoir gagné par l'observation de la nature des organes du corps humain
à travers les blessures de guerre pouvaient ne pas être pris en
compte si elles engendraient une quelconque difficulté dans leur
croyance concernant le corps des femmes.
« Chez la plupart, durant les fièvres, les
règles se montrèrent, et chez beaucoup de jeunes filles la
menstruation parut alors pour la première fois. [...] Aucune de celles
chez qui ces phénomènes se manifestèrent
régulièrement, ne mourut, à ma connaissance418(*) »
Les cas individuels rappelés dans
Epidémiques corroborent une généralisation. La
première parthenos qui n'a jamais eu ses règles meurt,
les deux autres ayant commencé leurs règles durant la maladie
survivent419(*). Pour
les Hippocratiques, les règles sont un moyen naturel de purger le corps
des maladies qui l'assaillent420(*).
Face à cet utérus mobile, que faire ? On verra
pourquoi celui-ci peut poser problème, la faute en revient aux femmes,
est - ce étrange ? Quels sont les types de remèdes ? On
ne sera pas plus étonné que l'homme y joue une place
prépondérante.
II.
L'UTERUS, RESPONSABLE DE TOUS LES MAUX
Fermé, l'utérus-jarre permet à l'enfant
de se développer mais sa fermeture, en dehors de cette période,
est néfaste pour la femme et engendre des maladies, maladies pouvant
être prévenues par des rapports sexuels. On a ici une symbolique
en rapport avec l'âge d'or ayant précédé
l'arrivée de Pandora. Avant qu'elle n'arrive, les jarres dans la maison
d'Epiméthée sont fermées, on est dans l'âge d'or.
Avec son arrivée, les jarres ouvertes déversent sur le monde tous
les malheurs y compris les maladies. Une fois tous les maux sortis, à
l'intérieur, ne reste que l'espoir mais un espoir neutre. On le retrouve
dans l'utérus ; on ne sait pas s'il contient un enfant ou une masse
de chair informe. Zeitlin suggère que, en ouvrant la jarre
elle-même, Pandora a accomplit un acte équivalent au vol de sa
virginité421(*).
Chez les Hippocratiques, l'anatomie de la femme est plus
complexe que chez Aristote qui considère que la femme est un homme
mutilé422(*).
Quand une femme tombe malade, les Hippocratiques n'y voient
pas d'autres causes que la rétention du sang menstruel. L'origine de
tous les maux des femmes est dans l'utérus423(*).
« si les menstrues ne cheminent pas les menstrues
deviennent maladives424(*).»
La plus commune des pathologie causée par le sang
menstruel est la souffrance normale présente juste avant les
règles. Aristote décrit les règles comme une maladie
douloureuse en soi alors que les Hippocratiques disent qu'elles sont le
messager de la froideur, de la fatigue, des migraines et d'une gorge
douloureuse (doit-on y voir un rapport avec la pendaison ou avec le fait que
l'utérus peut remonter vers la gorge et étouffer la
femme ?). Une brume peut apparaître devant les yeux si la
circulation du flux est pesante. Cette souffrance est attribuée à
l'accumulation du sang à l'intérieur de la femme qui fait des
efforts pour sortir de l'utérus. Nature des enfants dit que
chez une femme qui n'est pas enceinte, le sang est représenté
traversant l'utérus d'un seul coup chaque mois alors que chez une femme
qui a déjà été enceinte il coule petit à
petit. Le sang provient de la femme dans son entier, pas d'une petite part
d'elle-même425(*).
Quand le sang se déverse de la matrice, il est envoyé du ventre
vers le vagin. Les Hippocratiques croyaient qu'une grossesse avec un
stoma fermé était une maladie, particulièrement
fréquente chez les vierges et les femmes ayant cessées tous
rapports sexuels426(*).
Dans le cas d'un stoma fermé, le sang ne reste pas dans l'utérus
et remonte vers d'autres lieux du corps. Quand on se rappelle que, pour les
Hippocratiques, le corps d'une femme est un réseau de canaux menant
à la matrice, on peut comprendre comment ils concevaient que le sang
menstruel se déversait dans le corps si le sang venait à sortir
de la matrice.
L'hystérie est, à l'origine, une affaire de
femmes ou plutôt de sages-femmes. Elle appartient à ce domaine
réservé que les matrones se sont taillées à
l'écart des hommes et dans lequel elles ont accumulées tout un
savoir sur l'art d'enfanter, sur le sexe de la femme et les maladies qui le
frappent. Parmi elles, il en est une qui est impressionnante et qui se traduit
par des suffocations427(*), l'hystérie.
Le terme Hystérie n'apparaît pas, à
proprement parler dans les textes hippocratiques. C'est Emile Littré qui
ajoute ce terme dans les intertitres de sa traduction428(*). Selon Helen King, le mot
Hystérie n'est pas seulement inapplicable aux maladies décrites
par Hippocrate mais son utilisation gène notre compréhension de
la gynécologie hippocratique.
L'utilisation du mot hystérie a divisé les
auteurs, certains considérant que l'hystérie était un
terme déjà employé à l'époque
d'Hippocrate429(*),
d'autre comme Trillat ont reconnu que les différents traités
hippocratiques appliquant le terme hystérie à beaucoup de
maladies n'existaient pas. De plus, suggérer que la gynécologie
hippocratique nommait presque toutes choses « hysteria »
était une simplification grossière. Une révision totale de
notre compréhension de la tradition est donc en cours.
Le problème qui se pose est de savoir ce que le terme
Hysterika signifie réellement. Dans ces commentaires sur les
Aphorismes, Galien expliquait déjà la difficulté
qu'il rencontrait pour traduire ce mot430(*). Il regroupe, selon lui, toutes les maladies
liées à la matrice et pas seulement la suffocation
utérine.
Dans le texte Maladie Sacrée, les menstrues
d'une femme en pleine santé s'écoule comme :
« celui d'une victime sacrifiée, il coagule
rapidement si la femme n'est pas malade.431(*) »
Quelle est la solution aux problèmes
féminins ? Etre enceinte, porter un enfant.
En donnant naissance, on facilite le passage mais on n'a pas
la garantie que l'écoulement menstruel se fera sans
problème432(*).
Les Hippocratiques croyaient que le fait, pour une femme, d'avoir des rapports
sexuels fréquents permettaient d'éviter ces
désagréments. L'idée selon laquelle les rapports
permettaient d'assurer des règles normales montre le besoin des hommes
grecs de jouer un rôle dans les causes des règles, comme ils le
voient déjà dans la défloration et la grossesse433(*).
Pour saigner comme une victime sacrifiée, il faut
perdre du sang chaud, rouge et coagulant rapidement. Le sang d'une femme en
pleine santé reproductive a une signification, elle affirme qu'elle peut
remplir le corps citoyen aussi bien que le sien. Pour les Hippocratiques, le
sang d'une femme en pleine santé doit se comporter comme celui d'un
animal sacrifié.
CHAPITRE II
LE PIVOTEMENT DU SACRE
Nous terminons notre étude par l'arrivée de
l'enfant à l'âge où l'on peut l'appeler parthenos,
où elle est prête pour exercer sa fonction dans la cité,
celle de femme de citoyen, gérante au côté de son
époux de l'oikos434(*), mais aussi son rôle de mère.
Avant cela, elle devra passer les dangers propres à son âge, en
rapport avec son statut de parthenos, auxquels tous à l'heure,
après le mariage, elle ne sera plus soumise par la grâce de son
mari435(*). Et pour que
ce passage se déroule le mieux possible, quoi de plus simple qu'un
mariage précoce pour éviter la « maladie
sacrée » ?
L'âge de tous les dangers mais un remède, le
mariage. Et qu'importe si les règles n'apparaissent pas. Même si
physiologiquement l'enfant n'est pas prête, ce retard lui permettra
d'éviter les risques liés à l'état de
parthenos.
I. LE
SANG : DANGER ET REMEDE
1.1
Par les hommes
Danger de par la vision que les grecs avaient des
parthenoi. En effet, elles sont celles qui n'ont pas encore
saigné. Elles sont donc vierges et propices au sacrifice qui les fera
saigner.
La sang est important pour la définition grecque de
l'humanité de différentes manières. En effet, la
présence de sang dans le corps permet de séparer l'humain du
divin ; les dieux, parce qu'ils ne mangent pas les produits du cycle
agraire, sont sans sang et immortels, les hommes, eux, ont du sang et sont
mortels. A l'intérieur de la catégorie des mortels, la production
et la perte de sang en excès permet de différencier l'homme de la
femme. A travers le développement d'une anatomie
différenciée les textes hippocratiques présentent la femme
comme différente de l'homme. La chair féminine, différente
par sa texture, absorbe un plus grand volume de fluide en excès à
intervalle régulier. Enfin, le sang permet de distinguer cette fille
immature, la parthenos qui ne saigne pas encore.
Il y a une analogie entre sang menstruel et sacrificiel car on
peut trouver des sources concernant la société et l'engendrement
hors des sources médicales Ce n'est pas un hasard si le boeuf, le
premier animal sacrifié par Prométhée à
Mékone436(*), est
lié à la création de la première femme. Le
sacrifice permet de rétablir le contact avec les dieux et
d'établir l'humanité comme différente de la
bestialité. On retrouve cette idée de rétablissement du
contact entre hommes et dieux dans l'Iliade, lorsqu' Agamemnon est dans
l'obligation de sacrifier sa fille afin de retrouver la clémence des
dieux. Le sacrifice permet d'autres affirmations idéologiques, comme la
séparation des sphères d'action masculine et féminine.
Ainsi, l'acte du sacrifice ne peut être effectué que par un homme
et les femmes participent seulement aux cercles qui distribuent la viande. On
peut dire que cela fait partie d'un système plus large de classification
de l'homme et de la femme, dans lequel les femmes sont exclues des actes
culturellement signifiants qui impliquent de verser le sang d'un autre et cela
peut être étendue jusqu'à la vision du fonctionnement de
l'anatomie et de la physiologie féminine. Les hommes répandent le
sang d'autres hommes, les femmes saignent naturellement de leur propre
corps.
Les images gynécologiques de la femme qui font
référence à celle de la victime sacrificielle peuvent
également être vues comme une reprise d'un aspect des descriptions
hésiodiques de la première femme, Pandora. Hésiode
décrit la préparation de Pandora comme celle d'une
parthenos prête pour le mariage. Dans le mythe et la
tragédie, c'est le plus souvent une parthenos à
l'âge du mariage, qui sera sacrifiée, et la description de Pandora
rappelle celle de l'animal sacrifié. Beaucoup d'éléments
dans le mariage grec rappelle la notion de sacrifice (coupe des cheveux,
lavage, signe de consentement). Dans l'Iliade437(*) et
L'Odyssée438(*), la génisse choisie pour le sacrifice
est sauvage, comme les jeunes filles avant qu'elles plient sous le joug d'un
époux. Ceci est traduit par les noms qui leurs sont donnés (la
cavale, l'ours). Elle apparaît avec des cornes couvertes d'or tout comme
Pandora avec des colliers et des couronnes d'or données par Peithô
et Héphaïstos. La fiancée est préparée pour
être une victime sacrifiée, pour perdre son sang. Le sang et le
sacrifice séparent les humains des dieux et les hommes des femmes. Non
seulement la première apparaît dans le monde comme le
résultat direct des circonstances du premier sacrifice, mais elle est,
elle-même, objet de sacrifice.
Derrière cette analogie médicale, on peut voir
davantage qu'une dette de la connaissance médicale à la
procédure sacrificielle. C'est seulement le sang menstruel qui est
analogue au sang d'une bête sacrifiée. Elle saigne, et son sang
rappelle la qualité de sa chair et, en cela, sa différence par
rapport à l'homme, dans sa création et sa structure car
« si les règles ne coulent pas, la femme
devient malade439(*) »
I.2. De par leur nature
La fille, alors qu'elle se développe plus lentement au
sein du ventre de sa mère, vieillit prématurément
après sa naissance, comme si l'ordre naturel mettait quelque hâte
à la conduire à la puberté alors que la formation du
garçon, précoce en ses origines, exige ensuite une maturation
progressive sans rupture décisive. C'est que la fille,
déterminée dès sa conception par un héritage
physiologique, connaît une seconde naissance au moment de la
puberté en exprimant la vocation fondamentale de son corps.
Le traité Maladies des jeunes filles explique
que les difficultés commencent pour les femmes avec le début de
la menarche si elle n'est pas mariée, à l'époque
de l'âge du mariage, à la puberté ou un peu plus tard. Ces
difficultés coïncident avec la descente des règles à
travers le corps. L'auteur explique qu'il y a trop de sang dans le corps durant
cette période de la vie des jeunes filles à cause de la
nourriture et la poussée du corps.
Selon l'auteur, du fait de l'alimentation et de la croissance,
il y a davantage de sang qu'il ne lui en est nécessaire. En effet,
toujours selon l'auteur, les jeunes filles n'ayant pas d'activité
difficile comme le travail des champs, elles n'ont pas besoin de beaucoup de
sang pour alimenter le corps. Il présume certainement que, pour grandir,
les jeunes filles utilisent beaucoup de nourriture et de sang. Une fois cette
croissance achevée, elles n'ont plus besoin de ce sang ni d'autant de
nourriture, par conséquent, il doit s'écouler à
l'extérieur du corps. Or, la sortie se trouve au niveau du vagin. Si
celui-ci est obstrué par une membrane que nous appelons aujourd'hui
hymen, alors le sang ne peut être évacué et donne des
désirs morbides aux jeunes filles. Par conséquent, il est
nécessaire qu'elle soit mis en contact ave un homme ou plutôt
qu'elle se marie.
« Quand l'orifice d'issue n'est pas ouvert et que le
sang arrive en plus grande abondance, tant par les aliments que par
l'accroissement440(*) »
Par contre, le médecin reste obscur sur le
rapprochement de ces deux éléments avec la production de sang en
excès pendant la puberté. Ce rôle de l'alimentation est
suggéré dans Maladies des femmes quand le médecin
affirme qu'une des raisons pour lesquelles les femmes produisent du sang
menstruel, c'est qu'elle ne travaillent pas assez dur pour utiliser toute leur
alimentation :
« l'homme puise ce que demande la nourriture du
corps, et le corps n'étant pas mou, n'est sujet à un
excès, ni de ton, ni de chaleur par l'effet de la pléthore comme
chez la femme. Ce qui contribue grandement à cette effet chez l'homme,
c'est qu'il fatigue bien plus que la femme ; la fatigue dissipe une partie
du fluide441(*) »
Ce médecin semble croire qu'à la puberté,
les filles utilisent tout ou la plupart de leur alimentation pour leur
croissance et que le peu qu'il leur reste, même s'il reste
emprisonné, ne présente aucun danger pour leur santé.
Lorsque la croissance ralentit ou cesse, les filles n'utilisent plus toute leur
nourriture, celle-ci se transforme en abondance en sang. Le volume produit
devient trop important pour se « fondre » dans le corps, il
commence alors à couler dans l'utérus pour être
évacué.
Il peut sembler surprenant que la seconde raison que donne le
médecin de Maladies des jeunes filles, en plus de la
nourriture, soit la croissance. L'enfant grandit, les vaisseaux du corps
grandissent avec lui, donc il y a davantage de place pour que les humeurs se
mettent en mouvement :
« quand grandissent la fille et le garçon,
les veines qui vont à la verge chez ce dernier et à la matrice
chez la première deviennent coulantes à cause de la croissance et
elles s'ouvrent : un va-et-vient s'y produit à travers les voies
(encore) étroites. Alors l'humeur s'agite, puisqu'elle a de la place
pour s'agiter442(*) »
Le sang menstruel est donc provoqué par une agitation
soumise à l'influence des températures du corps :
« les mois diffèrent beaucoup entre eux pour
le froid et la chaleur, et le corps de la femme s'en ressent, car il est plus
humide que celui de l'homme. Le sang troublé remplissant les veines, il
en sort une partie443(*) »
Les règles soulagent un corps saturé. C'est cet
aspect de la croissance, motif initial de la menstruation auquel le
médecin de Maladies des jeunes filles fait allusion.
Toutefois, il était seulement nécessaire au
médecin de Maladies des jeunes filles de citer une seule de ces
causes pour expliquer la menarche. L'utilisation de toute
l'alimentation pour la croissance à la puberté est suffisante
pour expliquer l'absence de menstruation des jeunes filles. D'ailleurs, le
médecin de Maladies de femmes ne fait aucune
référence à une expansion des vaisseaux du corps pour
permettre la menstruation. Par contre, il prête fréquemment
attention à l'étroitesse des passages dans le corps
féminin avant qu'elle ait donné naissance. Pour l'auteur de
Nature de l'enfant, les filles sont considérablement plus
humides que les garçons à cet âge. Il doit
nécessairement trouver une autre raison à l'absence de
règles avant la puberté, qu'un manque de fluide en excès.
Les traités embryologiques Génération et
Nature de l'enfant décrivent les développements
parallèles du mâle et de la femelle et leur explication de la
puberté, et ainsi comparent la production des règles chez la
fille et du sperme chez le garçon. En revanche, Maladies des
femmes ne tente pas de corréler le processus menstruel avec une
fonction physiologique normative chez l'homme. D'ailleurs, même dans les
traités embryologiques, le parallélisme entre le sperme et les
règles s'effondre s'il est poussé trop loin. Car le sperme est
produit quand l'homme est stimulé sexuellement (comme l'est
« la semence féminine »), mais ce n'est pas vrai des
règles. Le médecin de Nature des enfants semble
s'apercevoir des difficultés inhérentes à sa
théorie, quand il atteste que
« la voie s'ouvre en même temps pour les
règles et le sperme444(*) »
c'est-à-dire qu'au même moment, le chemin est
ouvert chez les jeunes filles, pour le passage, non seulement des
règles, mais aussi de la semence féminine : deux
sécrétions là où l'homme n'en a qu'une. En
général, tout au long du traité, le médecin
hippocratique traite le sperme et la semence féminine comme étant
semblables au sperme et aux règles, alors qu'il n'y a pas d'indication
d'un processus où la semence féminine serait
dérivée du fluide menstruel. Ailleurs dans le corpus
hippocratique, le sperme correspond à la semence féminine, non
aux règles. L'auteur de Nature de l'enfant fait
l'équation additionnelle du sperme et des règles parce qu'ils
apparaissent à peu près au même moment, chez les jeunes
garçons et filles, alors qu'il n'y a pas nécessairement un signe
extérieur de la semence féminine chez les filles pubères.
La théorie ménarchale de Nature de l'enfant peut
être combinée avec la théorie menstruelle de Maladies
de femmes comme elle est exposée dans Maladies des jeunes
filles, mais ensemble, elles produisent une surdétermination du
phénomène de la menarche et de menstruation qui
suggère que l'auteur de Maladies de jeunes filles essayait de
prendre en compte deux théories séparées.
A ce moment de leur vie, les filles sont en danger. Elles
connaissent ces états de terreur, de folie, que la raison ne parvient
pas à contrôler : l'hystérie. Elles sont malades de
désir. Le médecin hippocratique de Maladies des jeunes
filles a attribué les tendances suicidaires des jeunes vierges au
sang ménarchal, qui, emprisonné à l'intérieur de
leur corps ne peut sortir ; alors, ce sang voyage de l'utérus au
coeur et aux poumons, provoquant ces pathologies hystériques. Pour ce
médecin, le meilleur soin à leur apporter : les marier afin
que l'utérus soit ouvert, que le sang coule.
Les changements physiologiques de la puberté arrivent
à peu près à la même période pour les jeunes
garçons et les jeunes filles, mais alors que ces changements marquent le
commencement d'une période étendue pour les garçons qui
les mènera à la citoyenneté pleine et
entière ; les filles sont censées être capables de
remplir le rôle de femme adulte dans le mariage et dans la
maternité souvent dès treize ans, voir plus tôt445(*).
Quels sont les maux qui guettent nos parthenoi ?
On abordera ici la pendaison et l'épilepsie, qui touchent, toujours pour
une raison de physis, plus les femmes que les hommes.
II.
DES MALADIES EN RAPPORT AVEC LA NATURE DES FEMMES.
II.1.
La pendaison
La pendaison, en Grèce, est un mode
d'asphyxie446(*). Pour
les médecins, toutes les formes d'asphyxie communiquent entre
elles ; lorsqu'un auteur hippocratique énumérant les
troubles qui saisissent les jeunes filles à l'âge de la
puberté, évoque côte à côte l'envie de se
noyer et celle de se pendre, peut-être y a-t-il plus qu'un effet de
hasard dans une telle juxtaposition. Du moins le médecin sait-il
rapprocher le pendu de l'épileptique, parce qu'avec ce dernier il a en
commun de présenter le symptôme essentiel de l'asphyxie :
l'écume à la bouche, signe d'étouffement. Enserrer le cou,
c'est perdre la voix ou se suicider.
Aux douteuses valeurs qui, de la pendaison ou de
l'étranglement, font une mauvaise mort, il serait temps d'en ajouter
encore une, décisive : L'agkhone est d'abord une mort
féminine. Il n'est que d'évoquer les héroïnes pendues
de la mythologie et du culte. Phèdre, Ariane, Erigone, Kharila.
Serait-ce à mettre en rapport avec un naturel féminin moins
courageux et moins ferme ? L'auteur de Maladies des jeunes filles
recourait à cette hypothèse de faiblesse psychologique pour
rendre compte des épidémies de suicides qui mettent la corde au
cou des jeunes filles. Mourir la corde au cou revient à ne jamais voir
couler son sang. Le corps féminin est à la fois clos et ouvert et
laisse couler le sang naturellement. En sa cohérence, l'imaginaire grec
du corps choisit d'insister sur la clôture féminine et le sang des
femmes, en dehors des périodes où il s'écoule, est
pensé comme enfermé dans leur corps. Qu'en est-il, dans cette
perspective, d'un corps féminin par trop fermé parce que
l'écoulement est entravé ? C'est dans le discours
médical que l'on trouve la thématique de l'étranglement
pour caractériser ces états redoutables, où dans le corps
des femmes, le sang l'étouffe. Soit une jeune fille encore non
mariée, lors de la première éruption de ses règles.
La chose ne saurait bien se passer :
« Car à ce moment, le sang se porte à
la matrice comme pour s'écouler au dehors (...). Et quand l'orifice de
l'issue n'est pas ouvert, (...) alors le sang, n'ayant point de sortie,
s'élance, vu la quantité, sur le coeur et le diaphragme447(*) »
Il s'ensuit la folie, l'inflammation aiguë et le
désir de l'ankhonè, du fait de la pression autour du
coeur. Et de fait, peu s'en faut que la patiente ne s'étrangle ;
alors il faut vite la marier : rien n'entravant plus l'écoulement
du sang, elle sera délivrée de la maladie. Dans le
corpus hippocratique, nul texte ne dit mieux les méfaits de la
pression du sang dans le corps féminin que ce traité Des
Maladies des jeunes filles : les vierges il est vrai, sont tout
particulièrement portées à la pendaison, parce qu'en elles
le sang s'affole. Etouffée par le bas, la femme cherche une issue vers
le haut, en se pendant. Il arrive aussi qu'en nouant une corde autour de son
cou, elle se contente d'obéir aux sollicitations de sa matrice errante,
remontée vers le haut du corps, comme en quête de l'ultime
étouffement.
Etrange logique que celle d'un corps deux fois voué
à s'étrangler, par le bas et par le haut ; plus exactement,
on dira que l'étranglement d'en haut répète celui d'en
bas, car toujours la pendaison ou le désir de mort répond
à une suffocation de la matrice448(*). Telle est la réponse que le discours
gynécologique apporte à une question grecque que l'on pourrait
formuler ainsi : qu'est-ce donc qui pousse les femmes à se
pendre ? De la réponse médicale à celle ouverte dans
l'univers politico-religieux, à la réponse apportée par
les médecins, il existe un écart qu'on ne peut tenter de
dissimuler. Mais il importe qu'en l'occurrence, la logique de la pensée
médicale se fonde sur une représentation du corps féminin
très largement répandue dans l'imaginaire grec : le corps
des femmes y est conduit, canal, voie de passage du bas vers le haut, de la
« bouche » de la matrice à la bouche qui parle ou se
tait, du col suffoquant de l'utérus au cou serré dans le
lacet449(*). Prise entre
deux orifices, orientée dans les deux sens, comment la femme
échapperait-elle à l'ankhonè ?
Mais il est des maladies somatiques dont certaines expressions
peuvent sembler psychiatriques. Ainsi dans l'épilepsie,
« l'orage électrique cortical450(*) », qui chez la
femme, longtemps encore après les Anciens, a été mal
distinguée de l'hystérie. Il semble qu'une telle confusion a
été commise maintes fois : par exemple, dans Maladies
des femmes : on y voit une femme qui cesse brusquement de parler,
dont le coeur a des palpitations, qui grince des dents, et « a qui
arrivent aussi les autres incidents des personnes atteintes de la maladie
sacrée451(*) ». L'auteur incrimine la matrice qui seul,
chez la femme, peut être à l'origine de ces troubles.
L'épilepsie, ce mal sacré, sera
étudié plus en détail. Au travers du traité
« Maladie sacrée », on verra les causes
traditionnelles de cette maladie ainsi que les remèdes qui lui
étaient apportés. On verra ensuite le point de vue des
Hippocratiques sur la question qu'il s'agisse des causes, des symptômes
de l'attaque, des remèdes et comment les théories sur
l'épilepsie ont évolué au fil des siècles.
II.2.
La maladie sacrée
II.2.1 Problème de définition
Le mot épilepsie est utilisé pour dire deux
choses : la maladie et l'attaque.
Les Hippocratiques avaient rangé cette maladies dans la
liste des maladies chroniques car ils avaient repéré que les
crises avaient tendance à se répéter. Oswei Temkin en
donne la définition suivante : l'épilepsie est une
convulsion du corps dans son intégralité avec
détérioration des fonctions de premier plan. Définition
trouvée chez beaucoup d'auteurs qui décrivent les attaques dont
furent victimes les patients qu'ils suivaient. Des maladies telles que
l'éclampsie infantum et gravidarum furent aussi
appelées épilepsie. Ceci nous permet d'expliquer pourquoi durant
l'Antiquité, l'épilepsie était considérée
comme étant la maladie des enfants.
Selon Arétée, c'est une maladie aux formes
différentes et horribles.
Dans le corpus hippocratique, un problème se
pose quand on veut essayer de définir ce qu'était la maladie
sacrée pour Hippocrate : les mots convulsions et épilepsie
sont interchangeables. Quand Hippocrate aborde l'effet bénéfique
des fièvres quartes, un passage se réfère à
l'épilepsie, l'autre aux convulsions452(*).
De nos jours, il n'existe pas d'accord sur la pathologie de
l'épilepsie, mais toutes les personnes travaillant sur le sujet sont
d'accord sur le fait que les recherches doivent être faite sur la base de
procédés scientifiques. Ce n'était pas le cas dans
l'Antiquité, quand les considérations scientifiques
étaient rejetées par beaucoup de médecins. Les croyances
médicales différaient beaucoup selon l'école de
médecine à laquelle on était rattaché. Après
Hippocrate, trois écoles se sont formées ; les
méthodistes, les empiriques et les dogmatiques et toutes les trois
avaient un point de vue différents sur l'épilepsie.
II.2.2 Les causes
L'histoire des anciennes théories sur
l'épilepsie peut être divisées en trois
périodes : la période hippocratique, le temps des
écoles médicales, la période dominée par Galien.
Dans le cadre de cette étude, nous n'aborderons que la période
hippocratique recouvrant le V-IVème siècle453(*).
Un des traits les plus étonnant chez les
médecins et les philosophes antiques est leur attitude face aux troubles
impliquant l'esprit et la connaissance. La résistance de ces penseurs
aux croyances magiques est, de nos jours, considérées comme l'une
des plus grande réussite454(*). Alors qu'il est facile de comprendre qu'une maladie
somatique soit expliquée par des procédés somatiques, il
est plus difficile de soutenir qu'une maladie psychique reposait sur des
facteurs somatiques, naturels et également somatique. La tendance
matérialiste mena les fondations des la tradition médicale
à interpréter toutes les maladies comme des troubles du
corps455(*). Dans le cas
de l'épilepsie, cette interprétation trouva son application dans
le fait que cette maladie était rangée parmi les affections du
corps et que ces manifestations somatiques et psychiques étaient
imputables aux mêmes causes de départ. Les Hippocratiques, Platon,
et Aristote partageait cette croyance, cependant les explications variaient
à quelques détails près456(*). Trois traités de la Collection
présentent des arguments théoriques et chacun diffère des
deux autres. Le traité Maladie sacrée est celui qui a eu
le plus de succès. L'auteur considère que l'épilepsie est
une maladie naturelle, curable par des remèdes naturels si le traitement
est commencé tôt. Ce motif est le fil rouge de ses arguments et le
contraint à laisser des caractéristiques de la maladie
inexpliquées457(*).
Comme toutes les maladies, l'épilepsie est
héréditaire. Toutefois, l'épilepsie n'arrive que chez les
phlegmatiques, jamais chez les colériques (bilieux). La théorie
des humeurs, ajoutée au fait que l'épilepsie, comme les autres
grandes maladies, trouve sa naissance dans le cerveau, est la pierre angulaire
de la théorie458(*).
Pour appuyer celle-ci, l'auteur donne quelques concepts
physiologiques et anatomiques. Le cerveau humain est double, une
délicate membrane sépare les deux ensembles. Du corps entier, des
veines arrivent au cerveau, lequel est connecté au foie et à la
rate par deux grosses veines. L'une est appelée la veine cave et
s'étend jusqu'au pied, alors que l'autre pénètre le
diaphragme et les poumons, avec des ramifications jusqu'au coeur et au bras
droit. Dans sa course vers le cerveau, elle se divise à la hauteur de
l'oreille, une branche va vers lui, mais l'oreille, l'oeil et le nez
reçoivent également des ramifications. A part le fait que la
veine qui va à la rate est plus mince, il est évident que le
côté gauche correspond à celle de foie et l'autre au
côté droit459(*). Ces deux veines oxygènent l'ensemble des
organes du corps. Elles véhiculent l'air, le propage à
l'intérieur des organes par l'intermédiaire de petites veines,
refroidissent l'organisme et laisse l'air ressortir. L'air est en
perpétuel mouvement ; s'il est bloqué dans une partie du
corps et qu'il est forcé de rester, cette partie du corps devient
impuissante460(*).
Après ses explications, l'auteur revient à la
pathologie de l'épilepsie faisant remonter les prémisses de la
maladie au foetus. A ce stade, toutes les parties du corps sont engagées
dans un processus de purification. Si cette purification n'a pas lieu dans le
cerveau, la personne deviendra phlegmatique, et si elle ne développe pas
d'ulcères et de surcharge pondérale durant l'enfance, elle peut
risquer de devenir épileptique461(*). Il est également possible que l'excès
de phlegme se dirige vers les poumons, le coeur et l'abdomen, causant
palpitations, asthme ou diarrhée. Mais si ces routes sont
bloquées, le phlegme refroidit se rue vers le cerveau par le biais des
petits vaisseaux et cause les symptômes d'une crise d'épilepsie en
obstruant les vaisseaux, refroidissant le sang et en interférant avec
les mouvements de l'air. Ordinairement, l'air est pris, en premier lieu, par le
cerveau, puis par les membres. Le cerveau, comme l'indique l'auteur, est
l'organe central des phénomènes psychiques. Quand l'air, dans le
processus respiratoire, atteint le cerveau, il y dépose l'intelligence
et s'en va vers les autres parties du corps. Par conséquent, le cerveau
sert d'interprète au reste du corps. Mais si l'air n'atteint pas en
premier le cerveau, la personne devient muette et inconsciente. Surgissent des
suffocations, lesquelles par leur violence, peuvent amener à la
production d'excréments. Les poumons, coupés du souffle, cause de
l'écume sur la bouche, les petites veines des yeux frémissent et
les yeux commencent à se troubler. Dans la jambe, l'air
incarcéré cause des crampes et des douleurs qui font donner au
patient des coups de pied. Dans les mains, cependant, le sang est encore
présent, le phlegme froid congèlera le sang et le patient mourra.
Il est également possible qu'il se disperse dans le sang tout comme
l'air, mettant ainsi fin à l'attaque462(*).
Le volume des vaisseaux change avec l'âge, tout comme la
qualité du sang. La puissance du flux peut varier et affecter un seul
côté, et le vent sera poussé dans différentes
directions. Tous ces facteurs, comme l'auteur l'indique, décide de
l'issue de l'attaque et rendent compte des possibles complications.
Le changement des vents et des températures sont les
causes principales des crises. Les adultes épileptiques, quand le vent
est le facteur principal, le cerveau est si humide que le phlegme ne peut pas
l'isoler et il reste humide malgré l'augmentation de la fréquence
des attaques. Le crâne des épileptiques en donne la preuve ;
si on en ouvre un, le cerveau apparaît, humide, et sent mauvais. Le
phlegme divise le cerveau qui fond dans l'eau. Quand ce stade est atteint, la
maladie devient incurable463(*).
En lisant cette monographie, on voit que l'anatomie et la
physiologie de la maladie sont considérées comme essentielles
pour comprendre les causes de l'attaque et le mécanismes de l'action.
Dans cette hypothèse, l'air apporte l'intelligence au cerveau et est le
messager pour le reste du corps. On peut y voir l'influence d'un philosophe
Diogènes d'Apollonie. Cependant, la théorie indiquant que le
cerveau jour un rôle essentiel dans l'explication de cette maladie est
également présente chez Platon. Selon lui, la partie la plus
divine de l'homme à son siège dans le cerveau, et quand le
phlegme blanc se mêle à la bile noire, il en résulte la
maladie sacrée. Dans le traité Maladie sacrée,
qui exclue expressément les colériques de l'épilepsie, le
point de vue de Platon sur la bile noire comme facteur causal est
corroboré par un autre traité hippocratique464(*). Quand le souffle est
arrêter dans les vaisseaux et que la bile noire coule vers l'avant, des
crampes apparaissent si le flux atteint le coeur, le foie ou les veines. Dans
le cas où ce sont les parties environnantes de ces organes qui sont
atteintes le flux et les dernières à se tarir par la stagnation
de l'air, l'épilepsie viendra.
Pour un lecteur moderne, le point de vue de Platon peut
paraître négligeable mais pas pour un homme comme Galien qui le
considère comme la plus grande autorité en philosophie, de
même pour Hippocrate en médecine. En témoigne cette courte
phrase de Galien « la cause de l'affection est, comme Platon et
Hippocrate l'ont dit, le phlegme et la bile noire465(*) »
Les théoriciens de la période n'étaient
pas unanimes. Ainsi dans le traité Des vents, c'est le phlegme
qui cause la maladie en interférant avec le souffle. Dans ce
traité, c'est le souffle qui est l'agent morbide. La condition de
l'esprit dépend de la condition du sang ; s'il est agité,
l'esprit est dérangé. Ici, l'épilepsie est causé
par le mélange de l'air et du sang qui obstrue les veines. Le passage du
sang est, par conséquent gêné et devient irrégulier.
Ces irrégularités engendrent des convulsions et des mouvements
saccadés du corps autant que la perte de conscience. L'air monte
à la bouche, se transporte le long du sang et de l'écume est
produite. Mais l'attaque provient, elle-même, de son propre
rétrécissement. Réchauffé par les efforts du corps,
le sang, à son tour, réchauffe l'air qui se disperse et, ainsi,
met fin à l'attaque466(*).
Le traité Maladie sacrée
n'appréhende la maladie que comme une crise. Les explications se
réfèrent uniquement à l'attaque. Il est vrai que la
théorie mené par le meilleur élève de Platon,
Aristote, indiquait que la nourriture produit une évaporation dans les
veines, qui remonte, tourne et redescend. Ce procédé serait
à l'origine du sommeil, et explique également certaines maladies,
dont l'épilepsie. Dans un certain sens, dormir est une crise
d'épilepsie et pour cette raison la crise se déroule souvent
durant le sommeil. Si trop de vapeur remonte, il fabrique de la houle dans les
veines et empêche la respiration467(*).
L'influence d'Aristote sur le développement dans la
biologie ancienne et médiévale peut à peine être
surfait. La théorie du souffle du dessus pour l'épilepsie se
retrouve chez Galien et chez d'autre. Cependant, c'est un contraste avec
l'idée du pseudo-Aristote, Problemata, où
l'épilepsie est considérée comme une maladie
mélancolique, engendré par la bile noire. Cette dernière
idée n'est qu'en accord qu'avec le texte du Timée mais
également avec l'écrit hippocratique disant que
« beaucoup de mélancolique deviennent des épileptiques
et les épileptiques des mélancoliques ».
Néanmoins, les médecins tels que Diocles et Proxagoras disent
qu'il a été influencé par le philosophe et que, au moins,
sa théorie selon laquelle le coeur est un organe psychique lui est
dû. Ils proposent une théorie différente : Praxagore
dit que l'épilepsie est engendrée dans la région de
l'aorte par une agrégation d'humeurs phlegmatique. Ceci, forme des
bulles, bloque le passage de l'air psychique vers le coeur, le pneuma
engendre des secousses dans le corps et convulse. Quand les bulles
disparaissent, l'attaque s'arrête468(*).
La période d'approximativement cent ans entre le temps
d'Hippocrate et la fin du IVème siècle montre une multitude de
théories. La seule chose sur laquelle tout le monde s'entend, c'est que
le phlegme est un facteur étiologique reconnu par une relative
majorité469(*).
La puberté est l'âge socialement reconnu comme
celui auquel les jeunes filles ont un trop plein de sang dans leur corps qui se
dirige vers la matrice. Si celle-ci n'est pas ouverte, alors le sang remonte
vers le coeur ce qui cause des symptômes similaires à
l'épilepsie et peuvent déboucher sur un suicide. Pour pallier
à cela, les jeunes filles doivent se marier afin d'être
déflorées470(*).
On acceptait que les crises d'épilepsie donnent souvent
lieu à des tentatives de suicides chez les adolescentes avant que les
théories médicales hippocratiques ne soient
élaborées471(*) et les Hippocratiques ont repris à leur
compte l'idée que le passage de l'état de jeune fille à
celui de femme soit difficile.
Ce qui diffère des croyances pré-hippocratique
réside dans les causes même de la maladie.
« Voici ce qu'il en est de la maladie dite
sacrée : elle ne me paraît rient avoir de plus divin ni de
plus sacrée que les autres maladies [...] la cause n'est pas plus divine
et elle est tout humaine472(*). »
Pour eux, cette maladie est causée par la
rétention du sang dans la matrice. C'est le sujet du traité
Maladies des jeunes filles précédemment abordé
Or, si l'orifice, l'hymen, n'a pas été déchiré,
alors le sang s'accumule et une fois la matrice remplie, remonte dans le corps
afin de sortir par l'autre orifice, la bouche. Ainsi peut s'expliquer la
suffocation chez les jeunes filles. Par conséquent, quel meilleur
remède que le mariage ? En effet, il y a fort à parier que
les grecs considèrent le moment du mariage comme celui pendant lequel la
jeune fille est déflorée. On voit ici à quel point
hystérie et maladie sacrée sont proches. Toutefois, rappelons que
le mot hystérie n'est pas utilisé par Hippocrate mais que c'est
Emile Littré qui l'emploie. De plus, hystérie et épilepsie
ont des causes différentes selon les traités.
Il est communément reconnu que l'épilepsie
survient tôt, notamment lors de la poussée des dents.
L'arrivée de cette maladie après l'âge de vingt ans reste
exceptionnelle. On pense même que cette maladie est congénitale et
l'auteur de Maladie sacrée n'hésite pas à dire
qu'elle est peut être héréditaire. C'est sous cette
formulation qu'on retrouve des traces de cette maladie dans la
littérature ancienne. Ce n'est, en soi, pas très
étonnant : toutes les maladies sont héréditaires et
la maladie sacrée ne forme pas une exception. C'est pourquoi, on peut
dire que la maladie sacrée a une explication toute aussi naturelle que
celle des autres maladies. Cette formulation isolée, par
conséquent, représente un argument dialectique contre les
croyances magiques plutôt que la reconnaissance précoce du
caractère héréditaire de l'épilepsie473(*).
La crise épileptique, d'Hippocrate à
Démocrite, est comparée à un petit coït.
De façon générale, la période de
la puberté était considérée comme étant
décisive dans le cas de l'épilepsie et dans beaucoup de cas, les
crises d'épilepsies s'arrêteront à cette période. Si
tel n'est pas le cas, la maladie sera incurable. Par conséquent,
beaucoup de médecins attribuent comme remède à cette
maladie, la pratique de rapports sexuels474(*). Quoi qu'il en soit, les crise d'épilepsie
seraient à relier à l'absence de flux menstruels.
L'épilepsie, quelle que soit ces formes, tous au long
des siècles est attribuées à l'utérus475(*).
Le traité Airs, Eaux, Lieux, montre
également le fait que, dans la pensée des grecs anciens, le
climat avait un impact sur la santé.
« Celui qui veut approfondir la médecine,
doit faire ce qui suit ; il considérera d'abord les saisons de
l'année et l'influence respective que chacune d'elle exerce476(*). »
Cette dépendance aux types de vents est accentué
par l'auteur du traité Maladie Sacrée, qui ajoute aux
types de vent, la saison, la température et l âge du patient.
« les enfants tout petits qui sont pris de cette
affection, succombent pour la plupart, si la fluxion est considérable et
que le vent souffle du midi477(*). »
« Mais à un âge plus avancée,
l'épilepsie, quand elle survient, ne cause ni la mort ni des
distorsions478(*)
Autres facteurs, la peur et la colère sont reconnues
comme facilitant les crises d'épilepsie, notamment la peur de
l'invisible ou celle lorsqu'on est victime de la colère de quelqu'un.
Dans cette catégorie, on peut mentionner des impressions variées
comme les mauvaises odeurs. Même des philosophes tel que Plutarque
connaissent les causes qui peuvent produire les crises et note l'influence
fatale, sur les épileptiques, des vertiges479(*).
Aristote, pour sa part, considère que
l'épilepsie est pareil au sommeil et le sommeil pareil à
l'épilepsie.
Les irrégularités diététiques,
telle que l'excès d'alcool, les indigestions, les
irrégularités dans la vie sexuelle est spécialement la
cessation des flux menstruels sont d'autres causes des crises
d'épilepsie480(*).
II.2.3.Symptômes précédant la
crise
Les Hippocratiques avaient noté quelques
symptômes annonçant l'arrivée d'une crise qu'ils soient
tactiles, sensoriels, moteurs ou psychiques. Un des auteurs hippocratiques
décrit le patient qui, alors qu'il n'avait pas de fièvre
souffrait de maux de tête, de bruits, de vertiges, parlait lentement et
de raideur dans les mains. Il s'attendait à ce qu'il soit atteint d'une
crise d'épilepsie ou d'apoplexie. Beaucoup de raisons expliquent
l'intérêt des anciens pour les signes prémonitoires :
on pensait que la place d'origine avait un sens dans le pronostic possible de
la maladie481(*). Ainsi,
le traité Maladie Sacrée indique que des terreurs
nocturnes ont été attribuées à Hécate et aux
héros alors que, si le patient bave, c'est Mars qui est
inculpé482(*).
« Avec l'écume à la bouche et des
battements de pieds, c'est Mars qui est inculpé. Quand, la nuit,
surviennent des peurs, des terreurs, des délires, des sauts hors du lit,
des visions effrayantes, des fuites hors de la maison, ce sont, disent-ils, des
assauts d'Hécate, des irruptions des Héros483(*).
« Le flux est-il au contraire coupé de ces
voies, et pénètre-t-il dans les veines que j'ai indiqué
plus haut ? Le sujet perd la voix et étouffe, l'écume lui
sort de la bouche, il grince des dents, les mains se tordent, les yeux
divergent, toute connaissance est perdue, quelquefois même il y a sortie
des excréments484(*)
Au regard des auteurs plus tardifs, le corpus
hippocratique ne montre que les aspects principaux de la crise : le
patient est muet, perd conscience, est insensible aux sons, à la
lumière et à la douleur. Son corps est tendu et bouge dans tous
les sens, ses mains sont tordus et ses dents grinces. Il donne des coups avec
ses jambes et ses yeux se révulsent. De l'écume sort de sa
bouche, il suffoque et peut produire des excréments. On retrouve de la
froideur dans les jambes et dans les mains, un aspect livide, des palpitations
du coeur.
II.2.4. Les remèdes
Le remède traditionnel consistait à offrir
à Artémis, déesse régnant notamment sur la
puberté et les difficultés qui y sont liées, des objets
appartenant à la jeune fille pour apaiser sa colère. Or, c'est ce
lien que remette en cause les Hippocratiques. Cette maladie est liée
à des phénomènes naturels et non à une quelconque
intervention divine.
Au regard de ce que l'on a dit précédemment, les
menstrues sont considérées comme étant capable de
prévenir l'épilepsie485(*).
Les médecins grecs abordaient le traitement de cette
maladie sans grande conviction de pouvoir en venir à bout. Même le
plus optimiste d'entre eux, l'auteur du traité Maladie
sacrée, considère que, pour pouvoir se débarrasser de
cette maladie, il faut agir avant que celle-ci ne devienne chronique. Si elle
apparaît chez les personnes âgées, les aider revient
à les laisser seuls car dans ce cas la médecine n'est pas
très utile486(*).
Ces principes seront repris 400 ans après Hippocrate par Celsus.
L'auteur du traité Maladie sacrée,
utilise des mesures drastiques contre l'épilepsie incluant des drogues
et des prescriptions de régime. Mais, les anciens avaient
également noté, avec désapprobation, qu'il ne donnait pas
de détails concernant sa méthode. La seule mesure
thérapeutique contre l'épilepsie enregistré dans la
collection hippocratique se réfère au cas d'un homme qui a
été saisi par une convulsion épileptique après
s'être oint lui-même en hiver avant le feu dans une baignoire. Une
abstinence concernant la nourriture et la boisson était prescrit, et une
cure doit être effectuée487(*).
A la fin du quatrième siècle, les
méthodes utilisées pour traiter l'épilepsie sont
diététiques, chirurgicales, et pharmacologiques. Les efforts pour
trouver un traitement furent peu important durant les siècles qui
précédèrent le christianisme.
II.2.5. Pronostic et complication
Une crise sévère d'épilepsie peut tuer le
patient tout de suite488(*).
Les petits enfants voient leur vie mise en danger quand les
attaques se produisent alors que souffle le vent du sud489(*). Si l'attaques survient
alors que le patient est dans le vieil âge, l'issue lui est
fatale490(*).
Une question concernant l'épilepsie a beaucoup
intéressé Aristote : pourquoi, de tout les animaux de la
création, l'homme est il le seul à subir
l'épilepsie ? Outre le strabisme, la déviation d'un oeil
peut avoir pour cause une crise d'épilepsie tout comme d'autres troubles
plus sérieux tel que la cécité491(*). Une paralysie d'un
côté du visage est également envisageable. Une main peut
être atrophiée ou un pied paralysé492(*).
Concernant les chances de récupérer, il faut
voir à quel âge la maladie est apparue. Si elle date de la
naissance, elle sera difficile à guérir. Si elle cesse à
l'apparition de la puberté, la maladie peut ne plus apparaître.
Quand on s'éloigne de cet âge de changement, que l'on change de
lieu et de mode de vie, tous ceci est très bénéfique pour
le jeune épileptique493(*). Même si une épilepsie a
commencé à l'adolescence et ne se poursuit pas ensuite il faut
adapter sa façon de se nourrir494(*). Si la maladie commence à la puberté
et continue ensuite, il sera presque impossible de ne pas être
épileptique jusqu'à la mort495(*). Les Hippocratiques considèrent que les
chances pour un épileptique de guérir définitivement sont
très minces, surtout quand son épilepsie a pris une forme
chronique. Un médecin qui arrive à guérir un
épileptique est considéré comme un dieu !496(*).
Autre remarque, les maladies liées à
l'utérus ont souvent été mis en parallèle avec
l'épilepsie dans le Corpus, notamment l'hystérie et
beaucoup de médecins ont emboîté le pas à
Hippocrate497(*).
CONCLUSION
« La femme piège, la femme
piégée, porteuse de la fleur qui attire et de l'atelier qui
fabrique, la femme, quels que soient ses amours, son indépendance, son
intelligence, sa beauté, n'est rien d'autre qu'une fantastique machine
à faire des vivants, avec, autour de cette machine, ronde, fragile,
solide, géniale, des formes sublimes ou repoussantes, une peau de soie
ou de gravier, un cerveau coincé ou épanoui, des seins
éteints ou exquis, tout un ensemble d'outils d'une
ingéniosité divine n'ayant absolument aucune autre raison
d'être que servir l'usine à fabriquer la vie498(*). »
Cette citation de Barjavel, auteur du vingtième
siècle montre à quel point la fonction première de la
femme revendiquée par les grecs, celle de mère, est encore
vivante aujourd'hui.
A travers la femme piège, comment ne pas voir
l'héritage de Pandora ? A travers la femme piégée,
comment ne pas voir la soumission au mari mais, plus encore, la soumission
à son sang, piégé entre deux ouvertures, piège
pouvant s'avérer fatal ?
Enfin, à travers l'ingéniosité divine,
comment ne pas entendre l'esprit subtil de Zeus (car c'est l'un de ces
attributs) ordonnant aux dieux de l'Olympe de fabriquer une créature
qu'on trouverait belle ?
Au début de ce travail, j'aurais voulu prouver que la
maladie sacrée, que je pensais marginale, était un obstacle
à l'intégration des parthenoi atteintes de ce mal dans
la cité. Je percevais cette maladie comme un obstacle au mariage car,
étant héréditaire, aucun grec, surtout pas les spartiates,
n'avait intérêt à posséder pour femme une
épouse malade susceptible de transmettre ce mal.
Laisser vieillir des filles dans les oikos
était mal vu. Il me semblait donc probable que celles-ci entraient en
religion. Ceci me semblait d'autant plus vrai que la transe de la pythie
pouvait donner à penser qu'on était en présence de crise.
Comme l'a montré Oswei Temkin, on a réussi à
déterminer les facteurs déclenchants de cette maladie. Quoi de
plus simple que d'exposer une jeune fille aux vents ou à la chaleur afin
qu'elle fasse ou crise ou, pardon, qu'entre en transe ?Qui plus est la
maladie sacrée était, selon les croyances traditionnelles, vu
comme une possession par un Dieu. On pouvait donc rapprocher cette croyance de
la possession de la pythie par Apollon, qui ainsi, lui communiquait ses
oracles.
Malheureusement, rien dans la mantique apollinienne ne vient
corroborer cette hypothèse, et bien que selon Jean-Pierre Vernant,
l'impur, donc la maladie et même la femme, côtoie, chez les grecs
le plus pur, donc le dieu, je ne peux prétendre soutenir cette
hypothèse.
De plus, le traité Maladie des jeunes filles a
mis en avant un point auquel je ne m'attendais pas : bien loin de relayer
ces jeunes filles dans les oikos, on considérait leur
état comme, certes, pathologique, mais normal au regard de leur
âge et on y cherchait des remèdes.
Ce que cette recherche a surtout mis en avant, c'est
l`incroyable emprise qu'exerçait la société des hommes sur
les femmes. Non pas qu'elle me soit inconnue, le statut de mineure
perpétuelle, Sparte excepté, le disait bien. Mais le fait que la
médecine rationnelle, qui se veut médecine d'observation et donc,
ici, la lectrice contemporaine que je suis transparaît peut-être,
un temps soit peu objective fasse sienne des croyances millénaires pour
ne pas remettre en cause l'ordre établit m'interpelle quelque peu.
Même si cette vision s'explique par le fait que les
grecs recherchaient un ordre dans toute chose, même si le médecin
dont la profession n'était pas réglementée et donc soumis
à l'approbation populaire dont il dépendait pour vivre, on
perçoit le chemin qu'il reste à parcourir pour atteindre la
médecine objective dégagée de toutes superstitions. En
même temps, comment demander à des médecins ayant
vécu il y a 2500 ans d'effectuer le tour de force de se dégager
de toutes influences culturelles alors que, dans notre société
où l'Etat s'est détaché de l'Eglise depuis un
siècle, nous n'en sommes pas capable ?
Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître que cette
médecine a eu le mérite d'ouvrir le champs des explications
possible aux maux féminins et que la parthenos a,
peut-être une chance, même si le remède n'est pas parfait,
d'échapper à la pendaison. Car, pour diverses raisons
déjà abordées et selon l'auteur du traité
Maladie des jeunes filles, des épidémies de jeunes
filles pendues semblent bien avoir existé. Des théories
récentes soutenues par des pédopsychiatres reconnaissent que la
puberté est comme une deuxième naissance et que, chacun,
consciemment ou non, vit une dépression à cette période de
la vie, même si elle est plus ou moins ressentie par les individus.
Ainsi, même si ce procédé peut nous
paraître choquant la conclusion à laquelle j'arrive est que les
grecs ont réussi dans leur tâche. Ils voulaient prouver que le
monde était un tout ordonné, c'est chose faite ; pour le
bien des jeunes filles et celui des oikos, le mariage est la solution
à la maladie sacrée.
Je laisse à chacun le soin de réfuter ou
d'acquiescer cette position.
INTRODUCTION
1
PREMIERE PARTIE
8
PRESENTATION DES SOURCES
8
CHAPITRE I
10
LA COLLECTION HIPPOCRATIQUE
10
I.COMPOSITION DU CORPUS
11
I.1. Une oeuvre constituée par le
hasard ?
11
I.2. Le problème d'ordonnancement du
corpus.
13
I.3. La question de l'auteur du corpus
14
II. L'APPORT DU CORPUS A LA MEDECINE
20
II.1. La théorie des humeurs
20
II.2. Toutes les maladies ont des causes
naturelles : la recherche d'une méthode et le divorce
médecine/philosophie
22
II.3. Du pronostic
26
III. LA POSTERITE DU CORPUS
HIPPOCRATIQUE.
32
III.1. De l'époque classique à
Galien
32
III.2. Galien et l'Antiquité tardive
33
III.3. Le temps des traductions
34
III.4. Les temps modernes
35
Chapitre II
37
PRESENTATION DES TRAITES UTILES A CETTE ETUDE
37
I. MALADIE SACREE
38
I.1. Fond et forme
38
I.2. Contenu
40
I.3. Date et auteur
45
II. LE TRAITE MALADIES DES JEUNES
FILLES
47
II.1. L'auteur : hypothèse
47
II.2. Contenu
48
III. MALADIES DES FEMMES
50
DEUXIEME PARTIE
53
HISTORIOGRAPHIE
53
POUR UNE APPROCHE RAPIDE DU SUJET
53
TROISIEME PARTIE
61
LA NAISSANCE DE LA MEDECINE RATIONNELLE
61
Chapitre I
63
Hippocrate et le Vème siècle
63
I. HIPPOCRATE
64
I.1. Les témoignages des auteurs anciens
65
I.2. Hippocrate (460-375/351)
66
II. La transmission du savoir médical
69
II.1. Comment le savoir médical se
transmettait-il ?
69
II.2. L'expansion du savoir médical
70
II.3. Défense et illustration de l'art
médical
78
Chapitre
82
I. La médecine rationnelle
84
II. La médecine magico-religieuse
85
III. La médecine des temples
87
III.1. La médecine des sanctuaires
d'Asclépios.
87
III.2. Médecine d'Asclépios et
médecine des Asclépiades.
89
IV. L'opposition de la médecine rationnelle
à la médecine magique
91
IV.1. Une rivalité
91
IV. 2. Un crime d'impiété ?
93
Chapitre III
95
Les facteurs responsables de l'interrogation sur la
médecine magico-religieuse
95
I. Les premières tentatives
96
II. Le contexte social
97
II.1. Les grecs et le Proche-Orient
97
II.2. Quelques hypothèses explicatives
98
II.3. Les changements politiques
100
QUATRIEME PARTIE
107
LA PARTHENOS, PROLOGUE DE LA FEMME, RACE A
PART
107
CHAPITRE I
109
PANDORA, NAISSANCE DE LA RACE DES FEMMES
109
I. ET VINT PROMETHEE.
110
II. LA FEMME, FRAUDULEUX FLEAU
116
III. LA FEMME SELON LES AUTEURS.
120
CHAPITRE II
127
UNE NATURE DIFFERENTE
127
I. ANCIENS ET GYNECOLOGIE.
128
I.1 Justification d'une médecine à
part
128
I.2. Comment atteindre le corps des
femmes ?
129
II. HOMME/ FEMME : DIFFERENCES
132
II.2. Un système de reproduction
différent.
132
II.2. Une physis, facteur de la dichotomie
du monde grec.
134
III. ESQUISSE DE DEFINITION D'UNE
PARTHENOS.
136
III.1 Ce qu'en dit la société.
136
III.2. Les sources médicales
139
CHAPITRE III
143
METTRE SOUS LE JOUG
143
I. LE SANG DOMESTIQUE PAR LE MARIAGE.
144
II. MEDECINE ET SOCIETE
150
CINQUIEME PARTIE
156
UN ETRE GOUVERNE PAR UN ORGANE, L'UTERUS
156
CHAPITRE I
158
L'UTERUS
158
I. ANATOMIE DE L'UTERUS.
159
II. L'UTERUS ET SES DIVAGATIONS.
165
II.1. Le corps des femmes et les Hippocratiques
165
II.2. Un utérus mobile
168
II.3. Remèdes
169
II. L'UTERUS, RESPONSABLE DE TOUS LES MAUX
172
CHAPITRE II
176
LE PIVOTEMENT DU SACRE
176
I. LE SANG : DANGER ET REMEDE
178
1.1 Par les hommes
178
I.2. De par leur nature
180
II. DES MALADIES EN RAPPORT AVEC LA NATURE DES
FEMMES.
185
II.1. La pendaison
185
II.2. La maladie sacrée
187
CONCLUSION
200
* 1 Hippocrate, De la
maladie des jeunes filles, traduction de Jacques Jouanna.
* 2 Lesley Ann Dean-Jones,
Women's Bodies en Classical Greek Science, Oxford, Clarendon Press,
2001, p 6.
* 3 Ibid.
* 4 W.H.S.Jones,
Hippocrate, tome I, London, The Loeb Classical Library, 1952.
* 5 Famille des deux fils
d'Asclépios, qui, avant d'être divinisé, fut un homme
initié par le centaure Chiron à l'art de la médecine. Pour
avoir trouvé le secret de l'immortalité, il fut foudroyé
avant de devenir le dieu de la médecine supplantant ainsi Apollon.
* 6 W.H.S. Jones, op.
cit.
* 7 Corpus :
Recueil concernant une même matière.
* 8 Jacques Jouanna,
Hippocrate, Paris, Fayard, p 85.
* 9 W.H.S. Jones, , op.
cit., tome 4.
* 10 Jacques Jouanna, , op.
cit., p 87.
* 11 W.H.S. Jones,
Hippocrate, , op. cit., tome 4.
* 12 Jacques Jouanna,
Hippocrate, op cit.,p 87.
* 13 Ibid.
* 14 Ibid.
* 15 Langage ionien :
langue d'une école de philosophes et de physiciens grecs
(VIème-Vème siècle) principalement
représentés par Anaxagore, Thalès, Anaximandre et
Héraclite.
* 16 W.H.S. Jones,
Hippocrate, op. cit., tome 4.
* 17 WHS Jones, Hippocrate,
Tome I, London, The Loeb Classical Library, 1952.
* 18 Jacques Jouanna,
Hippocrate, Paris, Fayard,1992, p 97-98.
* 19 Ibid., p 104.
* 20 Jacques Jouanna, op.
cit., p 85.
* 21 Jacques Jouanna, l'Art
de la médecine, Paris, Flammarion, 1999, p 16.
* 22 Aristote : (384-322).
Philosophe grec, fils du médecin Nicomaque, disciple de Platon,
précepteur d'Alexandre le Grand.
* 23 Aristote, Histoire des
animaux, III, 3, 512b12-513a7.
* 24 Jacques Jouanna, op.
cit. p 17.
* 25 Aristote, Histoire des
animaux, III, 3, 512b12-513a7.
* 26Jacques Jouanna, op.
cit., p 17.
* 27 Jacques Jouanna,
Hippocrate, Paris, Fayard 1992, p 105.
* 28 Cnide : ville d'Asie
Mineure située en face de l'île de Cos.
* 29 Jacques Jouanna, op.
cit., p 100.
* 30 Ibid. p 101.
* 31 La famille des
Asclépiades se scinda en trois branches: la branche de Cos, de Cnide, et
de Rhodes qui s'éteint très vite.
* 32 Jacques Jouanna, op.
cit., p 102.
* 33 Ibid.
* 34 W.H.S. Jones, op.
cit. tome 4.
* 35 Jacques Jouanna, op
cit., p 102.
* 36 Ictère :
coloration jaune de la peau et des muqueuses.
* 37 Phtisies :
tuberculose pulmonaire.
* 38 Jacques Jouanna, op
cit., p 102.
* 39 Ibid. p 98.
* 40 Ibid.
* 41 Ibid, p 99.
* 42 Jacques Jouanna, op.
cit., p 100.
* 43 Ibid.
* 44 Ibid., p 101.
* 45 Ibid.
* 46 Ibid., p 103.
* 47 Erotien vécut au
1er siècle après Jésus-Christ.
* 48 Jacques Jouanna, op.
cit., p 103.
* 49 Jacques Jouanna, op.
cit., p 104.
* 50 Ibid.
* 51 Ibid.
* 52 Ibid.
* 53 Ibid.
* 54 W.H.S. Jones, op.
cit., tome 1.
* 55 Anaximandre: 610-547 avant
JC, philosophe grec de l'école ionienne.
* 56 W.H.S. Jones, op.
cit., tome 1.
* 57 Jeune homme Durant la
vieillesse de Pythagore dans W.H.S. Jones, op. cit., tome 1.
* 58 W.H.S. Jones, op.
cit., tome 1.
* 59 Ibid.
* 60 W.H.S. Jones, op.
cit., Hippocrate tome 2, London, The Loeb Classical Library, 1952.
* 61 Ibid.
* 62 Ibid.
* 63 Ibid.
* 64 Ibid.
* 65 Jacques Jouanna, ,
L'Art de la medecine, Paris, Fayard, 1999, p 27.
* 66 W.H.S. Jones, op.
cit., tome 2.
* 67 Philosophes
monistes : philosophe considérant que l'être humain est
composé d'une seule substance.
* 68 Jacques Jouanna,
Hippocrate, Paris, Fayard, 1992, p 86.
* 69 W.H.S. Jones, op.
cit. tome 2.
* 70 Physiologoi :
philosophe présocratique qui enquêtait sur la nature.
* 71 G.E.R. Lloyd,
Magie,raison et expérience, Paris, Flammarion, 1990, 488p.
* 72 G.E.R. Lloyd, Une
histoire de la science grecque, édition La découverte, 1990,
p 71.
* 73 Milésiens :
habitant de Milet, ville d'Asie Mineure, considérée comme la plus
grande métropole grecque à partir du VIIIème siècle
avant JC. On y trouve une école philosophique dont firent partie
Thalès et Anaximandre. Elle déclina avec les invasions perses du
Vème siècle.
* 74 Jacques Jouanna, L'Art
de la médecine, Paris, Flammarion,1999, p 35.
* 75 Jacques Jouanna,
Hippocrate, Paris, Fayard, 1992, p 99-100.
* 76 Jacques Jouanna,,
L'art de la médecine, Paris, Flammarion, 1999, p 50.
* 77 Jacques Jouanna,
Hippocrate, Paris, Fayard, 1992, p 104.
* 78 Ibid.
* 79 G.E.R. Lloyd,op.
cit.
* 80 Jacques Jouanna,
Hippocrate, Paris, Fayard, 1992, p 145.
* 81 Homère,
Iliade, Paris, Gallimard, 1986.
* 82 Jacques Jouanna,
Hippocrate, Paris, Fayard, 1992, p 146.
* 83 Ibid.
* 84 Eschyle,
Suppliantes, v.263, Euménides,v.62 Agamemnon,
v.1623.
* 85 Jacques Jouanna,
Hippocrate, Paris, Fayard, 1992 p 147.
* 86 Jacques Jouanna,
Hippocrate, Paris, Fayard, 1992 p 149.
* 87 Ibid. p 154.
* 88 Ibid.
* 89 Ibid. p 155.
* 90 Ibid.
* 91 Ibid., p 158.
* 92 Ibid., p 153.
* 93 Ph Mudry et Jacky Pijeaud,
Les écoles médicales à Rome, Genève,
1991.
* 94 Cette école s'est
établie à partir des travaux d'Hippocrate. Elle se base sur
l'idée qu'une bonne santé n'est acquise que dans
l'équilibre des humeurs (sang, bile noire et jaune, phlegme).En outre,
elle ne sépare pas les maladies du corps de celles de l'esprit.
* 95 L'école empirique
s'oppose à la précédente et considère que
l'expérience prime sur la recherche des causes. Cette expérience
est acquise soit par l'expérience directe du médecin soit par la
transmission d'écrits.
* 96 Le représentant le
plus éminent de l'école méthodique est le grand
gynécologue Soranos d'Ephèse (I-IIème siècle
après Jésus-Christ), qui prend souvent position contre certaines
affirmations du Corpus en ce domaine.
* 97 Cicéron, Lettres
à Atticus, XVI, 15, 5 ; De la nature des dieux, III, 38, 91 ;
De l'orateur, III, 33,132. Sénèque, Lettres, 95,20.
* 98 Il a
commenté :Aphorismes, Fractures, Articulations, Pronostic,
Régime des maladies aiguës, Plaies, Blessures de tête,
Epidémies I-II-III-IV, Humeurs, Aliment, Prorrhétique, Nature de
l'homme, Officine du médecin, Airs, Eaux, Lieux, Serment.
* 99 Jacques Jouanna,
« Rhétorique et médecine », Revue des
études grecques,1984, p 32.
* 100 Jacques Jouanna,
« Notice », p X, La maladie sacrée, Paris,
les Belles Lettres,2003, 161p.
* 101 Ibid.
* 102 Jacques Jouanna,
« Rhétorique et médecine », Revue des
études grecques,1984, p33.
* 103 Jacques Jouanna, op.
cit., pp 41-42.
* 104 la traduction des deux
extraits est celle de Jacques Jouanna.
* 105 PLATON,
Phèdre.
* 106 Jacques Jouanna, La
Maladie Sacrée, Paris,Les Belles Lettres, 2003, p XII.
* 107 Ibid., p
XXXIX.
* 108 Ibid.
* 109 GER Lloyd, op.
cit.
* 110 Jacques Jouanna, op.
cit., p XIII.
* 111 G.E.R. Lloyd, op
cit.
* 112 Ibid.
* 113 Jacques Jouanna, op.
cit. p XLVI.
* 114 Ibid.
* 115 G.E.R. Lloyd, op.
cit.
* 116 G.E.R. Lloyd, op.
cit.
* 117 Ibid.
* 118 Ibid.
* 119 Oswei Temkin, «The
Doctrine Of Epilepsy In The Hippocratic Writing», Bulletin of the
Institute of the History of Medicine, 1933, pp 277-322.
* 120 Jacques Jouanna, op.
cit. p LXII.
* 121 G.E.R. Lloyd, op.
cit.
* 122 Ibid.
* 123 Jacques Jouanna, op.
cit., p VIII.
* 124 Période
hellénistique : période de l'histoire grecques qui suit
l'époque classique et qui s'étend de 281 à 146, date
à laquelle, Rome, étend sa domination sur la Grèce.
* 125 Néron :
empereur romain de 54 à 68 après Jésus-Christ.
* 126 Galien :
médecin du deuxième siècle après
Jésus-Christ.
* 127 Jacques Jouanna, op.
cit., p IX.
* 128 Caelius
Aurelianus : médecin du Vème siècle après
Jésus-Christ.
* 129 G.E.R. Lloyd, op.
cit.,.
* 130 Robert Joly, le
niveau de la science hippocratique, Paris, Les Belles Lettres, 1966.
* 131 O.Regenbogen, Symbola
Hippocratea, Diss. Berlin, 1914, p 36-42.
* 132 Jacques Jouanna, op.
cit., p XIX.
* 133 Ibid, p XX.
* 134 Emile Littré,
Traduction du corpus hippocratique, Livre VIII, p 464. source
disponible sur le site internet de la Bibliothèque inter universitaire
de médecine.
* 135 Jacques Jouanna,
Hippocrate, Paris, Fayard, p 101-102.
* 136 Hippocrate, Maladies
des jeunes filles, Livre VIII, p 469, traduction d'Emile Littré.
* 137 Jacques Jouanna, op.
cit., p 75.
* 138 Hippocrate, op.
cit., Livre VIII, p 467.
* 139 Ibid., p
467.
* 140 Ibid., p
469.
* 141 Ibid., p
471.
* 142 Lesley Ann Dean-Jones,
op. cit. p 11.
* 143 Ibid.
* 144 Ibid., p 12.
* 145 Ibid.
* 146 Ibid.
* 147 René Taton,
La science antique et médiévale, « La science
dans le monde gréco-romain », Paris, PUF, 1957.
* 148 Ibid.
* 149 Histoire de la
pensée médicale en Occident, sous la direction de
Mirko.D.Grmek, « la naissance de l'art médical » pp
25-66, tome 1, Antiquité et Moyen Âge, Paris, Seuil,1995,
382p.
* 150 Jacques Jouanna,
L'Art de la médecine, Paris, Flammarion, 1999, 362p.
* 151 René Taton,
op. cit. note 131.
* 152 Jacques Jouanna, ,
op. cit., L'Art de la médecine, p 8.
* 153 René Taton,
op. cit.
* 154 Voir le débat,
dans la partie sur la maladie sacrée concernant l'unité de
l'auteur du traité.
* 155 Jacques Jouanna,
« Hippocrate de Cos » pp 13-42, Hippocrate,
Paris, Fayard, 1992.
* 156 Ibid., p 13.
* 157 Ibid., p 15.
* 158 Platon : (428-348),
philosophe grec, disciple de Socrate.
* 159 Socrate :
(470-399), philosophe grec. Accusé d'impiété et de
corruption de la jeunesse, il est condamné à mort par le tribunal
populaire d'Athènes, l'héliée.
* 160 sophiste ayant
donné des conférences à Athènes.
* 161 Jacques Jouanna, op.
cit. p 16.
* 162 Ibid., p 18.
* 163 Aristophane (445-380),
poète comique.
* 164 Aristote (384-322),
philosophe grec, fils du médecin Nicomaque.
* 165 Famille des deux fils
d'Asclépios, Podalire et Machaon ainsi que leurs descendants qui
prétendaient descendre en ligne directe d'Asclépios qui, avant
d'être divinisé, fut un homme initié par le centaure Chiron
à l'art de la médecine. Pour avoir trouver le secret de
l'immortalité, il fut foudroyé avant de devenir le dieu de la
médecine supplantant ainsi Apollon.
* 166 A la suite d'une
querelle entre trois déesses, Aphrodite, Athéna et Héra,
Paris s'éprit d'Hélène, reine de Sparte, et provoqua la
guerre entre les troupes d'Agamemnon et celle de la ville de Troie dont Paris
était l'un des princes. La cité de Troie tomba après dix
ans de guerre mais bien des hommes de l'armée d'Agamemnon
rencontrèrent des difficultés pour rejoindre leur patrie.
* 167 Cos est une île
près du continent asiatique. Cnide est une presqu'île en face de
Cos.
* 168 Galien : (131-201),
médecin grec, anatomiste et thérapeute.
* 169 Jacques Jouanna, op.
cit. p 25.
* 170 Du côté de
son père, Hippocrate descend d'une famille célèbre tant
par son savoir médical que par les services rendus aux cités
grecques. Du côté maternelle, Hippocrate serait un descendant
d'Héraclès dans Jacques Jouanna, op. cit., p 32.
* 171 Ibid., p 33.
* 172 Ile située sur la
côte thrace en face de l'île de Thasos.
* 173 Jacques Jouanna, op.
cit., p 40.
* 174 Ibid., p 46.
* 175 Ibid., p 45.
* 176 Ibid., p 47.
* 177 Les
Epidémies sont constituées de sept livres dont les plus
anciens datent de 410 avant Jésus-Christ et les plus récents des
années 358-348 avant Jésus-Christ.
* 178 Jacques Jouanna, op.
cit. p 49.
* 179 Ibid., p
50-54.
* 180 Phydias et
Polyclète sont considérés comme les plus grands sculpteurs
de l'Antiquité.
* 181 Jacques Jouanna,
L'art de la médecine, Paris, Flammarion, 1999, p 12.
* 182Alliance de plusieurs
cités grecques autour d'Athènes suite à une scission entre
les partisans de Sparte, défavorable à une guerre de
conquête contre les Perses, et ceux d'Athènes qui souhaitent
continuer la lutte. Chaque allié jure assistance aux autres en cas
d'attaque militaire. La ligue est également une alliance politique dont
le centre théorique est le sanctuaire de Délos où se
tiennent les réunion des alliés et où est
déposé le trésor. En effet, afin de financer cette ligue
chaque cité doit payer un tribut à Athènes qui, en tant
que première puissance maritime, prend la tête de la
ligue.Toutefois, les cités se plaignent d'Athènes qui exerce une
politique colonialiste et des révoltes auront lieu et seront (Thasos)
réprimées très durement.
* 183 Jacques Jouanna,,
Hippocrate, Paris, Fayard, 1992, p 58.
* 184 Ibid., p 59.
* 185 Pour chaque
défunt l'anniversaire de la naissance est l'occasion d'une
célébration familiale. Ce qui, dans le cas d'Hippocrate, est
remarquable, c'est que cette célébration fut publique.
* 186 Jacques Jouanna, op.
cit., p 68.
* 187 Histoire de la
pensée médicale en Occident, op.cit.
* 188 Ibid.
* 189 Ibid.
* 190 Jacques Jouanna, op.
cit. p 73.
* 191 Ibid., p 74.
* 192 Ibid.
* 193 Histoire de la
pensée médicale en Occident, op.cit.
* 194 Syennésis
était originaire de Chypre, situé à l'est de Cos.
* 195 Histoire de la
pensée médicale en Occident, loc. cit.
* 196René Taton,
loc. cit.
* 197 Histoire de la
pensée médicale en Occident, loc. cit.
* 198René Taton,
loc. cit.
* 199 René Taton,
loc. cit.
* 200 Histoire de la
pensée médicale en Occident, loc. cit.
* 201 Ibid.
* 202 Ibid.
* 203 Ibid.
* 204 Ibid.
* 205 Ibid.
* 206 René Taton,
loc. cit.
* 207 L'expérience des
vases communicants prétend éclairer l'existence de
l'équilibre vital entre les humeurs.
* 208 Maladie III,
dernière division.
* 209 Empirisme :
méthode que se fondent uniquement sur l'expérience.
* 210 Jacques Jouanna,,
Hippocrate, op. cit. p 80.
* 211 Ibid.
* 212 Ibid.
* 213 personnage nommé
par la cité à la charge de médecin de la cité.
* 214 René Taton,
loc. cit.
* 215 René Taton,
loc. cit.
* 216 Jacques Jouanna,
Hippocrate, pp 84-85.
* 217 Histoire de la
pensée médicale en Occident, op. cit.
* 218 technè :
terme qui recouvre les notions d'art et de science, indissociable à
cette période.
* 219 Jacques Jouanna,
l'Art de la médecine, p 39.
* 220 Sophiste :
philosophe qui enseignait l'art de l'éloquence et les moyens de
défendre n'importe quelle thèse par le raisonnement ou des
artifices rhétoriques
* 221 Jacques Jouanna,,
l'Art de la médecine, p 39.
* 222 Technai : ouvrages
définissant les règles de l'art
* 223 Jacques Jouanna, op.
cit., p 43.
* 224 Ibid.
* 225 Julie Laskarsis :
the Art is Long: On the Sacred Disease and the Scientific Tradition,
,Los Angeles, Université de Californie 1999, 171p.
* 226 Ibid., p44.
* 227 Ibid.
* 228 Ibid.
* 229
Epidémies, I, 5.
* 230 Jacques Jouanna,
l'Art de la médecine, p 53.
* 231 Ibid, p 54.
* 232 Méthode
consistant à attacher le malade à une échelle qu'on hisse
sur le sommet d'une maison ou d'une tour puis qu'on laisse brutalement retomber
à la verticale dans l'idée que le choc redressera la colonne
vertébrale.
* 233 Jacques Jouanna,
Hippocrate, op. cit., p 135.
* 234 G.E.R. Lloyd, Une
histoire de la science grecque, Paris, édition Seuil la
découverte, 1990, p 67.
* 235 G.E.R. Lloyd,
Magie,raison et expérience, Paris, Flammarion, 1990, 488p.
* 236 GER Lloyd, Une
histoire de la science grecque, Paris, édition Seuil la
découverte, 1990.
* 237 Ibid.
* 238 Jacques Jouanna,
Hippocrate, p 260.
* 239 GER Lloyd,
Magie,raison et expérience, Paris, Flammarion, 1990, 488p.
* 240 Jacques Jouanna, La
maladie sacrée, Paris, Les Belles Lettres, p XXVI.
* 241 Jacques Jouanna,
l'Art de la médecine, Paris, Flammarion, 1999, p 31.
* 242 Ibid, p 30.
* 243 Jacques Jouanna, La
maladie sacrée, p XXXIX.
* 244 G.E.R. Lloyd, loc.
cit.
* 245 Jacques Jouanna, La
maladie sacrée, p XXXIV.
* 246 Eric Robertson, Dodds,
Les grecs et l'irrationnel, Paris, Flammarion, 1985, 316p.
* 247 G.E.R. Lloyd, loc.
cit.
* 248 Jacques Jouanna, La
maladie sacrée, PXXI.
* 249 G.E.R. Lloyd, loc.
cit.
* 250 Ibid.
* 251 G.E.R. Lloyd, loc.
cit.
* 252 Aristophane,
Ploutos, v727 à 741.
* 253 Aristophane,
Ploutos.
* 254 G.E.R. Lloyd, loc.
cit.
* 255 Ibid.
* 256 Traduction d'Emile
Littré.
* 257 André BERNAND,
Sorciers grecs, Paris, Fayard, 1991, 513p.
* 258 Ibid.
* 259 Une h?bris est
un crime impardonnable de démesure.
* 260 Phèdre tombe
amoureuse de son beau fils, Hyppolite et le pousse, involontairement au
suicide, Médée, pour punir son mari de son
infidélité, tue ses deux fils, tandis qu'OEdipe, sans le savoir,
épouse sa mère et tue son père.
* 261 André BERNAND,
loc. cit.
* 262 Julie Laskarsis, the
art is long: on the sacred desease and the scientific tradition,
Université de Californie, Los Angeles, 1999, 171p.
* 263 G.E.R. Lloyd, loc.
cit.
* 264 G.E.R. Lloyd, loc.
cit.
* 265 Ibid.
* 266 Xénophane :
(570-470) philosophe grec.
* 267 Anthropomorphisme :
représentation d'un dieu sous l'apparence humaine.
* 268 Héraclite :
(540-480), philosophe grec.
* 269 G.E.R. Lloyd, loc.
cit.
* 270 G.E.R. Lloyd, loc.
cit.
* 271 Hérodote.
* 272 Mèdes et
Perses.
* 273 Selon le traité
Airs, Eaux, Lieux, si les peuples asiatiques sont plus doux, c'est
à cause du climat de leur pays, de leurs coutumes et de leurs
institutions : ils sont gouvernés par des despotes qui manque de
courage et d'énergie.
* 274 Selon G.E.R. Lloyd dans
son libre précédemment cité, cette idée serait
récurrente chez Aristophane.
* 275 Ostracisme :
à Athènes au Vème siècle, procédure
d'exclusion temporaire à l'égard d'un citoyen jugé
dangereux pour la démocratie.
* 276 Thalès :
(fin VII-deb VIème siècle), mathématicien et philosophe
grec de l'école ionienne.
* 277
Anaximandre :(610-547), philosophe grec de l'école ionienne.
* 278 Solon (640-558),
législateur et poète athénien.
* 279
Pisistrate :(600-527) tyran d'Athènes.
* 280 Clisthène :
(VIème siècle avant JC) homme politique athénien.
* 281 Aristophane :
(445-380) poète comique grec.
* 282 Platon : (428-348)
philosophe grec, disciple de Socrate.
* 283 G.E.R. Lloyd, Magie,
raison et expérience, Paris, Flammarion, 1990, 448p.
* 284 Alain Tranoy,
« La parthenos, mythes et
réalités », Revadosanté, 2001,
n°2, site internet.
* 285 Hésiode,
Théogonie divine, Folio classique, 2004, p 63.
* 286 Jean Pierre Vernant,
L'univers, les dieux, les hommes, 510-512.
* 287 Hésiode, Des
travaux et des jours, Folio classique, 2004, 90-93.
* 288 Jean Pierre Vernant,
op. cit. p 65.
* 289 Hésiode,
Théogonie divine, 510-512.
* 290 Ibid., p
542-545.
* 291 Pour avoir rendu le feu
aux humains, Zeus le cloue entre le ciel et la terre, à mi hauteur d'une
montagne, d'une colonne, où il enchaîne et le ligote.
Prométhée sert de nourriture à l'oiseau de Zeus, à
l'aigle porteur de sa foudre. Tous les jours, cet aigle dévore le foie
totalement et celui-ci repousse dans la nuit. Prométhée sera
délivré par Héraclès avec l'assentiment de Zeus.
* 292 Nicole Loraux, Les
enfants d'Athéna, Paris, Edition du Seuil, 1990, p 75-117.
* 293 Hésiode, Des
travaux et des jours, 83-88.
* 294 Hésiode,
Théogonie, 590-591.
* 295 Nicole Loraux, op.
cit. p 77.
* 296 Ibid., p 78.
* 297 Hésiode, Des
travaux et des jours, 66-68.
* 298 Jean-Pierre Vernant,
« le monde des humains », L'univers, les dieux, les hommes,
p 79.
* 299 Euripide, Hippolyte
porte-couronnes, 616-619.
* 300 Pierre BRULE, La vie
quotidienne des femmes grecques, Paris, Hachette, 2001, p 53.
* 301 Hésiode,
Théogonie, 572.
* 302 Hésiode, Des
travaux et des jours, 65-66.
* 303 Hésiode,
Théogonie, 590-591
* 304 Nicole Loraux, op
cit., p 90.
* 305 Ibid., p 91.
* 306 Pierre Brulé,
op. cit., p46.
* 307 Sémonide,
Iambe des femmes.
* 308 Pierre Brulé,
op. cit., p 49.
* 309 Nicole Loraux, op.
cit. p 101.
* 310 Pindare, Olympiques, XI,
18 et suivantes.
* 311 Nicole Loraux, op.
cit. p 105.
* 312 Ibid., p
106.
* 313 Pierre Brulé,
op. cit., p 54.
* 314 Helen King, op.
cit., p 23.
* 315 Lesley-Ann Dean-Jones,
Women's Bodies in Classical Greek Science, Oxford University Press,
1994, p 110.
* 316 Ibid, p 114.
* 317 Ibid, p 10.
* 318 Ibid, p 26.
* 319 Hippocrate : Du
foetus de 7 mois, 4.
* 320 Aline Rousselle,
A.E.S. « Observation féminine et idéologie
masculine : le corps de la femme d'après les médecins
grecs », 1980, p 1091.
* 321 Hippocrate, Des
chairs, XIX.
* 322 Lydie Bodiou,
Histoire du sang des femmes grecques :filles, femmes,
mères. Thèse de Doctorat.
* 323 Ibid,.
* 324 Hippocrate, Maladie
des femmes, Tome VIII, 1,21.
* 325 Lydie Bodiou, op.
cit.
* 326 Aline Rousselle,
A.E.S.C., « Observation féminine et idéologie
masculine : le corps de la femme d'après les médecins
grecs » p 1089-1115, 1980.
* 327 Ibid,.p
1092.
* 328 Hippocrate,
Maladies des jeunes filles, traduction d'Emile Littré.
* 329 Voir première
partie, présentation des sources, la collection hippocratique.
* 330 Hippocrate, tome VIII, p
127, trad. Emile Littré, Paris, Baillière, 1839-1881.
* 331 Platon,
Timée.
* 332 Etienne Trillat,
Histoire de l'hystérie, Seghers, 1986, p 13.
* 333 Ibid. p13.
* 334 Lydie Bodiou, op.
cit. p 222.
* 335 Pierre Brulé,
op.cit., p 98.
* 336 Lesley-Ann Dean-Jones,
op. cit., p 46.
* 337 Hippocrate, Maladies
des femmes, I.2.
* 338 Ibid.
* 339 Ibid.
* 340 Ibid., p 58.
* 341 Louise Bruit-Zaidmann,
le temps des jeunes filles, revue Clio, site Internet.
* 342 Nicole Loraux, les
enfants d'Athéna, « sur la race des femmes et
quelques-unes de ses tribus », p 75-117, Paris, Edition du Seuil,
1990, 303 pages.
* 343 Giulia Sissa,
A.E.S.C., « une virginité sans hymen : le corps
féminin en Grèce ancienne », 1984, p 1119-1139.
* 344 Xénophon,
Economique, VII, 4.
* 345 Pierre Brulé,
op. cit. p 79.
* 346 D.W. Amundsen and C.J.
Diers, «the Age of Menarche in Classical Greece and Rome»
Human Biology, Wayne State University Press, USA, 1969, pages
125-132.
* 347 Hippocrate,
Pregnitions coaques, 5, XXX, 502.
* 348 Emiel Eyben:
«Antiquity's View of puberty» Latomus, 1972, pages
677-697.
* 349 Aristote.
* 350 Helen King,
Hippocrate's Woman : reading the Female Body in Ancient Greece,
London, Routledge, 1998,p 23.
* 351 Ibid.
* 352 Ibid., p54.
* 353Emiel Eyben :
«Antiquity's View of puberty» Latomus, 1972, pages
677-697.
* 354 Hippocrate, Maladies
de jeunes filles, Tome.VIII, 466.
* 355 Ibid., Tome
VIII,468.
* 356 Ibid., Tome
VIII, 470.
* 357 Ibid.,Tome
VIII, 468.
* 358 G.Sissa, op.
cit., p 1133-1134.
* 359 Soranos, 1, 16-17.
* 360 G. Sissa, op.
cit., p 1131.
* 361 Hippocrate, Maladies
des femmes, Tome VIII. I.20.
* 362 Hippocrate,
Superfétation, Tome VIII, 16, 1-2.
* 363 Hippocrate, Maladies
des femmes, Tome VIII, 16, 1-2.
* 364 Hippocrate,Femmes
stériles, 246, Tome VII, 458.
* 365 GA, 727a
26-30
* 366 HA, 582a
16-29
* 367 A.M. Verilhac, Cl Vial,
Le mariage grec du VIè à l'époque d'Auguste,
Suppl. BCH, 1998, 214-218.
* 368 Hippocrate,
Epidémies, Tome V, 300, 1-2.
* 369 Nicole Loraux, op.
cit., p 79.
* 370 Alain Tranoy, op,
cit.
* 371 Pierre Brulé,
op, cit., p 79.
* 372 Xénophon,
Economique.
* 373 Pierre Brulé,
« Des tambourins pour Artémis », site internet
Clio.
* 374 Helen King, op.
cit. p 27.
* 375 Lesley Ann Dean-Jones,
op, cit. p 74.
* 376 Ibid., p 75.
* 377 Dans cous de Licence
SUED, par Pierre Brulé. Année universitaire 2003-2004.
* 378 Ibid., p 76.
* 379
Génération, 4, (L. VII, 476)
* 380 Helen King, op.
cit., p 27.
* 381 Ibid., p 33.
* 382 Hippocrate, Maladies
des femmes, Tome VIII, 348.
* 383 Hippocrate, Maladies
des femmes, Tome VIII, 96.
* 384 Hippocrate, Ancienne
Médecine, Tome I, 626, 1-634,17.
* 385 Hippocrate,Maladies
des femmes, Tome VIII, 322.
* 386 Nicole Loraux,
Façons tragique de tuer une femme, Hachette, 1985, p 97-98.
* 387 Hippocrate,
Epidémies, Tome VI.5.2.
* 388 Lydie Bodiou,
Histoire du sang des femmes grecques : filles, femmes,
mères.
* 389 Lesley Ann
Dean-Jones, op. cit. p 65.
* 390 Hippocrate, Ancienne
médecine.
* 391 Hippocrate, Nature
de l'enfant, Tome VII, 498, 14-15.
* 392 Lydie Bodiou,
Histoire du sang des femmes grecques :filles, femmes,
mères.
* 393Hippocrate,
Superfétation, Tome VIII, 476, 3.
* 394 Lydie Bodiou,
Histoire du sang des femmes grecques :filles, femmes,
mères.
* 395 Hippocrate, Nature
de l'enfant, Tome VII, 540, 1-16.
* 396 Helen King, op.
cit. p 35.
* 397 Ibid., p 76.
* 398 Emile Trillat,
Histoire de l'hystérie, p15.
* 399 Emile Littré,
Tome VIII, p 15.
* 400 Hippocrate, Maladies
des femmes, Tome VIII, p33-34.
* 401 Lesley Ann Dean-Jones,
op. cit., p 42.
* 402 Lydie Bodiou,
Histoire du sang des femmes grecques : filles, femmes,
mères.
* 403 Lesley Ann Dean-Jones,
op. cit., p 158.
* 404 Lydie Bodiou, loc.
cit.
* 405 Hippocrate, De
l'excision du foetus,Tome VIII, 516.
* 406 Hippocrate, Maladie
des femmes, Tome VIII, 388-392.
* 407 Hippocrate, Maladie
des femmes,Tome VIII, 266.
* 408 Hippocrate Maladies
des femmes, Tome VIII,10, 16-19.
* 409 Lydie Bodiou, op.
cit.
* 410 L. Brisson,
« Le corps animal comme signe de la valeur d'une âme chez
Platon », dans L'animal dans l'Antiquité, Edition B.
Cassin, J.L. Labarrière, Vrin, 1997, 227-246.
* 411 Hippocrate Maladies
des femmes, Tome VIII, 322, 8-14.
* 412 Helen King, op.
cit. p 73.
* 413 Hippocrate, Maladies
des femmes, Tome VIII, 366, 6-20.
* 414 Hippocrate, Nature
de la femme, Tome VII, 314, 21 ; 332,6-7.
* 415 Lydie Bodiou, loc.
cit.
* 416 Helen King, op.
cit., p 71.
* 417 Ibid.
* 418 Hippocrate,
Epidémies, 1.8.
* 419 Lesley Ann Dean-Jones,
op. cit., p 140.
* 420 Ibid.
* 421 Helen King,
Hippocrate's Woman : reading the Female Body in Ancient Greece,
London, Routledge, 1998,p 26.
* 422 Ibid., p33.
* 423 Ibid.
* 424 Hippocrate,
Génération, 4.
* 425 Lesley Ann Dean-Jones,
op. cit., p 26.
* 426 Ibid., p 69.
* 427 Etienne Trillat, op.
cit., p 13.
* 428 Helen King, op.
cit., p 208.
* 429 Ibid, p 206, il
s'agit de Woodruff qui s'appuie sur les théories de Veith, à qui
Aline Rousselle reproche de lire les auteurs antiques avec nos conceptions
contemporaines.
* 430 Ibid, p 207.
* 431 Hippocrate, Maladie
Sacrée, Livre VI.
* 432 Helen King, op.
cit., p207.
* 433 Ibid., p
127.
* 434 Xenophon, Economique.
* 435 Maladie des jeunes
filles
* 436 Hésiode,
Théogonie, 535.
* 437 Homère,
Iliade, 10, 293.
* 438 Homère,
Odyssée, 3, 382-84 et 430-63.
* 439 Hippocrate
Génération, 4, Tome VII, 476.
* 440 Hippocrate, Maladies
des jeunes filles, Tome VIII, 14, 6-7.
* 441 Hippocrate, Maladies
des femmes, Tome VIII, 14, 6-7.
* 442 Hippocrate,
Génération, TomeVII, 472, 19-26.
* 443 Hippocrate, Nature
de l'enfant, Tome VIII, 494, 18-24.
* 444 Ibid. Tome VII,
494, 13-15.
* 445 Amundsen, D.W. and
Diers, C.J., « The age of Menarche in Classical Greece and
Rome» Human Biology, Wayne State University Press, USA,
1969, pages 125-132.
* 446 Nicole Loraux, Les
expériences de Tirésias : le féminin et l'homme grec,
Paris, Gallimard, 1994, p 130.
* 447 Hippocrate, Maladies
des jeunes filles, Tome VIII, 466-467.
* 448 Hippocrate, Maladies
des femmes, Tome VIII, 360.
* 449 Lydie Bodiou,
Histoire du sang des femmes grecques :filles, femmes,
mères.
* 450 Veith I, Histoire de
l'hystérie, Seghers, 1973.
* 451 Hippocrate, Maladies
des femmes, Tome VIII, 326.
* 452 Oswei TEMKIN, op.
cit., p 50.
* 453 Ibid., p51.
* 454 Ibid.
* 455 Ibid.
* 456 Ibid., p 52.
* 457 Ibid.
* 458 Ibid.
* 459 Ibid., p 52.
* 460 Ibid.
* 461 Ibid., p 53.
* 462 Ibid., p 53.
* 463 Ibid., p 54.
* 464 Ibid.
* 465 Galien, Introductio
seu medicus, c. 13, vol 14, p 739.
* 466 Oswei Temkin, op.
cit., p 55.
* 467 Ibid.
* 468 Ibid., p 56.
* 469 Ibid.
* 470 Lesley Ann Dean-Jones,
op. cit. p 50.
* 471 Oswei Temkin, op.
cit., p 29.
* 472 Hippocrate, De la
maladie sacrée, 1, p 23 et 359, traduction d'Emile
Littré.
* 473 Oswei Temkin, op.
cit., p 28-31.
* 474 Ibid., p 32.
* 475 Ibid.
* 476 Hippocrate, Airs,
Eaux, Lieux, 1.
* 477 Hippocrate, De la
maladie sacrée, Livre VI.8.
* 478 Hippocrate, De la
maladie sacrée, Livre VI.9.
* 479 Oswei Temkin, op.
cit., p 32.
* 480 Ibid., p 35.
* 481 Ibid., p 39.
* 482 Ibid., p 43.
* 483 Hippocrate, De la
maladie sacrée, Livre VI.1, p 363.
* 484 Ibid., Livre
VI. 7, p 373.
* 485 Ibid., p 34.
* 486 Ibid., p 65.
* 487 Ibid., p 67.
* 488 Ibid., p 44.
* 489 Ibid., p 45.
* 490 Ibid.
* 491 Ibid.
* 492 Ibid.
* 493 Ibid., p 46.
* 494 Ibid.
* 495 Ibid.
* 496 Ibid.
* 497 Ibid., p 50.
* 498 Barjavel, L'ultime
secret.