La maladie sacrée, les parthenoi dans le regard de la médecine grecque( Télécharger le fichier original )par Virginie TORDEUX Université Rennes 2 - Master 2006 |
II.3. Défense et illustration de l'art médicalSi la médecine est envisagée en tant qu'art, il n'est pas illégitime de parler de naissance.217(*)En effet, le Vème siècle est la période où la médecine se constitue une technè.218(*) Les médecins décrivent les maladies, prévoient l'évolution, énumèrent les remèdes mais s'interrogent également sur la finalité de leur art.219(*) Pour ce qui des procédés de l'art, il n'y a pas d'art médical sans méthode. Toutefois, les avis divergent sur ce qu'on appelle méthode. Certains posent des postulats nouveaux, d'autres s'inscrivent dans une tradition. La diversité des problèmes soulevés par les discussions sur l'art, la vivacité des polémiques ne se comprennent qu'à partir du moment où on les replace dans l'activité intellectuelle de la seconde partie du Vème siècle. En effet, sous l'impulsion des sophistes220(*), la réflexion sur l'homme devient le centre des préoccupations. L'homme découvre sa raison et soumet au questionnement sa raison. A ce moment, il définit les règles du savoir scientifique221(*). Ainsi, dans la seconde moitié du Vème siècle et au début du IVème siècle, des technai222(*) apparaissent. Au moment où naissent ces arts, on voit se lever les négateurs de la médecine et des technai en général qui contestent leurs acquis, leurs résultats et leur existence223(*). Les médecins sont dans l'obligation, face à leurs détracteurs de prendre la défense de leur discipline et, par conséquent, de définir les critères de leur art en en codifiant les règles224(*). Le corpus en garde quelques traces. Ainsi, le traité Maladie Sacrée. On est à une période où les sophistes exercent une influence sur la médecine. Dans le traité Maladie sacrée le débat est engagé contre ceux que l'auteur considère comme des charlatans. Il entend montrer à son auditoire la supériorité de sa médecine au regard de la leur. On peut dire que la médecine doit beaucoup aux débats des sophistes pour élaborer sa technè. En effet, ils demandent une certaine méthode qui influence les concepts en eux même225(*). Le traité de l'Art présente les arguments des détracteurs de la médecine qui considère que les guérisons des malades ne sont que coïncidence et relèvent du hasard. L'auteur répond par une défense de l'ensemble des arts. Il revient ensuite sur l'antithèse entre art et hasard. Il minimise le rôle de la chance dont il ne nie pas l'existence au profit des notions de maîtrise et de compétence226(*). Selon lui, le hasard relève de l'indifférencié et de l'indistinct alors que l'art repose sur des distinctions entre le correct et l'incorrect, le savoir et l'ignorance, la compétence et l'incompétence, le spécialiste et le profane. De plus, le hasard et le domaine du spontané alors que l'art relève de la causalité227(*). Ainsi, on voit dans la connaissance de la cause le critère distinctif entre profanes et hommes de l'art. Pour les hippocratiques, c'est la raison nécessaire pour mettre en place un traitement car seul la connaissance des causes permet de prévoir le cours de la maladie228(*). II.3.2. La finalité de l'art médical : la naissance d'une déontologie « avoir, dans les maladies, deux choses en vue : être utile ou du moins ne pas nuire229(*). » La médecine est l'art de l'oubli de soi et du dévouement. Le médecin est conscient de ses limites : mieux vaut ne pas intervenir que de risquer une aggravation de l'état du patient. Ainsi, certains médecins refusent de prendre en charge des cas désespérés et incurables. En effet, l'incurable est extérieur à l'art et ne relève pas de ses compétences. De plus une intervention ne ferait qu'ajouter des souffrances inutiles, l'issue étant inévitable. C'est donc dans l'intérêt des malades que les incurables sont abandonnés à leur sort230(*). Au regard des Epidémies, il semble que le médecin, à quelques exceptions près, soigne tous les malades avec la même attention. Le corpus ne fait pas mention comme Platon dans les Lois d'une répartition des tâches où le médecin libre ne soignerait que les libres tandis que les aides du médecins soigneraient les non libres. Il semble aussi sacrifier son avantage personnel financier à celui du malade au nom de l'amour des hommes231(*). C'est encore au nom de l'intérêt du patient que les hippocratiques s'élèvent contre le spectaculaire et le sensationnel dans le traitement. Ainsi, pour redresser une colonne vertébrale, au lieu d'utiliser la succussion par l'échelle232(*) Le médecin hippocratique refuse de se mettre en avant pour sa gloire personnelle et considère ses procédés comme indignes d'un vrai médecin. De plus, le médecin a des devoirs envers le malade. Il doit respecter des normes d'hygiènes telle que la taille des ongles ou des cheveux, durant ses visites aux malades, faire bonne impression et obtenir sa confiance, en aucun cas entrer dans une maison pour donner la mort sous toutes les formes que ce soit (poison, avortement) ou profiter de son rôle de médecin pour séduire un membre de la maisonnée.Enfin, il se doit d'être discret ce qui constitue peut être un prémisse au secret médical233(*). Il est par conséquent possible de dire que l'humanité caractérise les médecins hippocratiques, tant dans la douceur du traitement que dans l'attention portée aux malades. LA MEDECINE RATIONNELLE ET LES AUTRES FORMES DE MEDECINE Le Vème siècle en Grèce voit l'augmentation rapide de la demande de connaissance.234(*)Au IVème siècle, Aristote distingue trois types de personnes habilitées à traiter des sujets médicaux : le praticien ordinaire, le maître de l'art, l'homme qui avait étudié la médecine235(*). Ainsi l'auteur du traité Maladie Sacrée, n'est le représentant que d'une branche de la médecine grecque du IV-Vème siècle. Le corpus distingue différents types de médecins ; on dénombre des coupeurs de racines, des vendeurs de drogue, des sages femmes et des gymnastes236(*). On le voit, il n'existait pas d'équivalence de notre qualification médicale. Les accusations de charlatanisme étaient faciles à porter et difficile à réfuter. Il n'est donc pas étonnant que les auteurs hippocratiques apparaissent soucieux de montrer que leur médecine est la médecine véritable et qu'ils insistent sur la distinction profane/médecin et médecin/charlatans237(*). On retrouve donc en Grèce, trois types de médecine : la médecine rationnelle, la médecine religieuse et la médecine magique238(*). Toutefois, la pensée spéculative n'a pas été entièrement hostile à tous les aspects de l'irrationnel, on peut dire que le développement de la magie après l'époques des lumières qu'est le Vème siècle, à elle-même dépendu de la philosophie et de la science et qu'elle en a suivi le modèle. La médecine des temples pourrait devoir beaucoup à la médecine rationnelle239(*). * 217 Histoire de la pensée médicale en Occident, op. cit. * 218 technè : terme qui recouvre les notions d'art et de science, indissociable à cette période. * 219 Jacques Jouanna, l'Art de la médecine, p 39. * 220 Sophiste : philosophe qui enseignait l'art de l'éloquence et les moyens de défendre n'importe quelle thèse par le raisonnement ou des artifices rhétoriques * 221 Jacques Jouanna,, l'Art de la médecine, p 39. * 222 Technai : ouvrages définissant les règles de l'art * 223 Jacques Jouanna, op. cit., p 43. * 224 Ibid. * 225 Julie Laskarsis : the Art is Long: On the Sacred Disease and the Scientific Tradition, ,Los Angeles, Université de Californie 1999, 171p. * 226 Ibid., p44. * 227 Ibid. * 228 Ibid. * 229 Epidémies, I, 5. * 230 Jacques Jouanna, l'Art de la médecine, p 53. * 231 Ibid, p 54. * 232 Méthode consistant à attacher le malade à une échelle qu'on hisse sur le sommet d'une maison ou d'une tour puis qu'on laisse brutalement retomber à la verticale dans l'idée que le choc redressera la colonne vertébrale. * 233 Jacques Jouanna, Hippocrate, op. cit., p 135. * 234 G.E.R. Lloyd, Une histoire de la science grecque, Paris, édition Seuil la découverte, 1990, p 67. * 235 G.E.R. Lloyd, Magie,raison et expérience, Paris, Flammarion, 1990, 488p. * 236 GER Lloyd, Une histoire de la science grecque, Paris, édition Seuil la découverte, 1990. * 237 Ibid. * 238 Jacques Jouanna, Hippocrate, p 260. * 239 GER Lloyd, Magie,raison et expérience, Paris, Flammarion, 1990, 488p. |
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