La politique étrangère des Etats-Unis au
Venezuela, la période Chavez
(1999-2007)
SOMMAIRE
Introduction.............................................................................................................p.
4
I- L'action des Etats-Unis sur le plan politique : une
volonté de contrecarrer la « révolution
bolivarienne ».....................................................................................p.
8
A) La promotion de la
démocratie..........................................................................p.
8
B) Une volonté d'isoler le Venezuela, tant sur le plan
régional qu'international....p. 13
II- La politique étrangère américaine en
matière économique ou la protection des intérêts
vitaux
américains.......................................................................................p.
17
A) La défense des intérêts
économiques
américains..............................................p. 17
B) Une nouvelle politique
énergétique...................................................................p.
18
Conclusion..............................................................................................................p.
21
INTRODUCTION
Tout au long du Xxe siècle, et
particulièrement depuis la Seconde Guerre Mondiale, les Etats-Unis ont
réussi à s'imposer comme un acteur incontournable des relations
internationales. En effet, depuis cette époque, les Etats-Unis ont
démontré à de nombreuses reprises leur capacité
à modifier le cours de la vie internationale. Leurs multiples
interventions, qu'elles soient diplomatiques ou militaires, directes ou
indirectes, mettent en lumière une volonté de jouer un rôle
prépondérant dans les affaires internationales, et ce, sur tous
les continents. La France et l'Allemagne à la fin de la Seconde Guerre
Mondiale, la Corée, Cuba, le Vietnam, la Grenade, le Nicaragua, la
Somalie, et, plus récemment, l'Afghanistan et l'Irak sont autant de
pays dans lesquels les Etats-Unis sont intervenus, avec plus ou moins de
succès selon les époques et les circonstances.
Egalement, sur le plan institutionnel, cette ambition se
traduit par la prééminence du Département d' Etat (il
s'agit de l'équivalent américain du Ministère des Affaires
Etrangères) au sein de l'administration fédérale. Les
services de ce Département d'Etat sont effectivement
particulièrement étoffés et le Secrétaire d'Etat,
personnage clé de l'administration, a vocation à seconder le
président dans la mise en oeuvre de la politique étrangère
des Etats-Unis.
En ce qui concerne l'Amérique du Sud, les
Etats-Unis ont démontré assez tôt l'intérêt
qu'ils portaient à ce sous-continent. Ainsi, James Monroe,
président des Etats-Unis de 1817 à 1825, est resté
célèbre pour avoir posé le principe de la non-intervention
des Européens dans les affaires de l'Amérique. C'est
effectivement le 2 décembre 1823, lors de son message annuel au
Congrès des Etats-Unis, que le président Monroe a prononcé
un discours à l'intention des puissances européennes. Il
s'agissait de ce qu'il est convenu d'appeler la doctrine Monroe. Selon
cette doctrine, toute intervention européenne, toute tentative de
colonisation d'une partie de l'Amérique par l'Europe était
proscrite. De la même façon, les Etats-Unis s'engageaient à
ne pas intervenir en Europe. Cette doctrine Monroe est importante
idéologiquement parlant dans la mesure où elle a fixé les
grandes orientations de la politique étrangère américaine
jusqu'au début du Xxe siècle et continue, d'une certaine
manière, à imprégner cette politique
étrangère de nos jours.
Tout au long du XIXe siècle et au début du
Xxe siècle, les Etats-Unis ont cherché à étendre
leur sphère d'influence à ce sous-continent qu'est
l'Amérique du Sud. Ainsi, la guerre contre le Mexique (1846-1848) permet
aux Etats-Unis d'acquérir le Nouveau-Mexique, l'Arizona et la
Californie. Plus tard, ils l'emportent face aux Espagnols à Porto-Rico
et à Cuba, qui devient une république indépendante. De la
même manière, les Etats-Unis font de Haiti et Saint-Domingue des
protectorats.
Au Xxe siècle, les Etats-Unis se montrent beaucoup
plus ambitieux dans leur politique étrangère
sud-américaine, n'hésitant plus à évincer certains
dirigeants dont les idées politiques sont, à leurs yeux,
incompatibles avec les intérêts américains. Ainsi, en 1973,
les Etats-Unis interviennent au Chili pour écarter le leader socialiste
Salvador Allende, qui est remplacé par Augusto Pinochet. De même,
quelques années plus tard, les Etats-Unis décident d'intervenir
au Nicaragua, dirigé par les sandinistes. Ces sandinistes se
réclament de Sandino, un patriote nicaraguayen assassiné par les
Américains en 1934. Craignant une montée du socialisme dans la
région et une propagation de celui-ci en Amérique du Sud, les
autorités américaines, dès la fin des années
soixante-dix, décident de tout mettre en oeuvre pour écarter les
sandinistes du pouvoir. Ainsi, l'administration de Ronald Reagan met sur pied
les contras, une force de 15000 hommes qui a vocation à
contrecarrer cette révolution sandiniste. Cependant, c'est sur le
terrain électoral, en 1989-1990, que les Américains parviennent
à leurs fins en réussissant à unifier les partis
politiques hostiles aux sandinistes. En effet, en 1990, Violeta Chamorro, la
candidate de l'UNO (Union nacional opositora), remporte les
élections face aux sandinistes. Par conséquent,
l'interventionnisme américain en Amérique latine apparaît
comme une véritable tradition, et semble avoir pris une importance
accrue dans la deuxième moitié du Xxe siècle.
Le Venezuela, quant à lui, est un pays dont
l'histoire récente est marquée par une succession de
régimes démocratiques, de tentatives de coups d'Etat et de
dictatures. Colonie espagnole, le Venezuela se révolte dès le
début du XIXe siècle. D'abord organisés par Miranda, ces
soulèvements le sont ensuite par Bolivar, surnommé el
Libertador. Ce dernier parvient à faire proclamer la
république de Grande-Colombie qui rassemble la Nouvelle-Grenade, le
Venezuela et l'Equateur. Par la suite, Bolivar réussit à
libérer la Colombie, la Bolivie ainsi que le Pérou actuels.
Cependant, la volonté de Bolivar d'unifier l'Amérique latine
reste un échec. La parenté idéologique entre Bolivar et le
dirigeant actuel du Venezuela, Hugo Chavez, est évidente. En effet, Hugo
Chavez a décidé de rebaptiser la République du Venezuela
en « République Bolivarienne du Venezuela ». De la
même manière, Hugo Chavez entend exporter sa révolution
bolivarienne et unifier l'Amérique latine. En d'autres termes, Hugo
Chavez se pose en héritier de Simon Bolivar et les
références au bolivarisme apparaissent comme un véritable
leitmotiv de son action politique.
En 1945, le dictateur Medina Angarita est
renversé et Romulo Betancourt, issu de l'Action Démocratique
(AD), devient président du Venezuela. Le pays entre alors dans une
transition démocratique : une nouvelle constitution est
promulguée en 1947 et le suffrage universel est instauré. Elu
président en 1947, l'écrivain Romulo Gallegos sera
renversé par l'armée. A partir de 1953, le pays est dirigé
par Pérez Jimenez et entre à nouveau dans une phase dictatoriale.
En janvier 1958, Pérez Jimenez est écarté du pouvoir
à son tour et est remplacé par l'ancien président Romulo
Betancourt. Ce dernier mène une politique de modernisation du pays, en
particulier dans les domaines de l'agriculture et de l'industrie. Au cours des
années soixante, une alternance voit le jour : l'AD (Action
Démocratique) et le COPEI (Parti social-chrétien) se
succèdent à la tête du pays au gré des
élections. Ainsi, en 1974, le pouvoir revient à l'Action
Démocratique. Carlos Andrés Pérez s'emploie alors à
mettre en lumière son hostilité à l'égard des
Etats-Unis. En effet, ce dernier critique la dictature du Chili et renoue des
relations diplomatiques avec Cuba. Dans une moindre mesure, sur le plan
économique, ce dirigeant décide de nationaliser le fer, l'acier
et le pétrole au milieu des années soixante-dix. Les
années quatre-vingt sont caractérisées par une crise
économique et par une défiance croissante du peuple à
l'égard des dirigeants vénézuéliens. C'est
pourquoi, en 1992, deux tentatives de coup d'Etat sont menées, dont
l'une par Hugo Chavez. Finalement, ces soulèvements militaires sont un
échec. En décembre 1993, Rafael Caldera, qui avait
accédé une première fois à la présidence en
1968, est réélu à la tête du pays. Ce dirigeant, sur
le plan interne, est animé par la volonté de répondre
à la crise économique et sociale. Sur le plan international,
l'action politique de cet homme est caractérisée par la recherche
d'un consensus avec les Etats-Unis. En effet, pendant la période
1993-1998, les relations entre le Venezuela et les Etats-Unis semblent assez
calmes, le Venezuela apparaissant comme un véritable partenaire des
Américains. Cependant, aux élections présidentielles de
1998, Hugo Chavez, à la tête du parti « Movimiento
Quinta Republica » (Mouvement Cinquième république),
remporte une large victoire électorale avec 56 % des voix. Il s'agit,
par ailleurs, du meilleur score jamais enregistré au Venezuela depuis
une quarantaine d'années. Officiellement investi président le 2
février 1999, Hugo Chavez fait rapidement proclamer une nouvelle
Constitution qui autorise des changements plus ou moins anecdotiques dans le
système politique vénézuélien. En effet, la
« République du Venezuela » devient la
« République Bolivarienne du Venezuela ». Outre ce
changement symbolique, la nouvelle Constitution abolit le Sénat, mettant
ainsi en place un système monocaméral. Egalement, le mandat du
président passe de 5 à 6 ans. Ce dernier, comme tout
fonctionnaire, peut faire l'objet d'un référendum
révocatoire. Cette procédure nouvelle permet au peuple de
destituer tout dirigeant vénézuélien, qu'il s'agisse du
président, d'un gouverneur ou d'un administrateur public. Cette
« Constitution Bolivarienne du Venezuela » a
été approuvée par un peu plus de 71 % des votants, ce qui
prouve que les vénézuéliens accordent une confiance
certaine à leur nouveau dirigeant.
Véritable chantre de l'anti-capitalisme, Hugo
Chavez entend remettre en cause le processus de privatisation de l'industrie
pétrolière engagé dans les années soixante-dix.
Plus généralement, le nouveau président se donne pour
objectif principal de modifier l'économie
vénézuélienne pour financer des programmes sociaux contre
la pauvreté et fournir des services sociaux aux
vénézuéliens dont les revenus sont les plus modestes. Sur
le plan international, Chavez entend remettre en cause la prétendue
suprématie américaine en Amérique du Sud. En d'autres
termes, il souhaite unifier l'Amérique latine contre des Etats-Unis
qu'il considère trop impérialistes, à l'instar de Simon
Bolivar qui avait libéré les peuples d'Amérique latine de
la tutelle coloniale à la fin du XIXe siècle.
Au début du premier mandat de Chavez, les
relations entre le Venezuela et les Etats-Unis apparaissent relativement
apaisées, l'administration Clinton se montrant assez indifférente
à l'égard du Venezuela. A cette époque, les relations
entre les deux pays semblent pacifiques et aucune tension majeure ne survient.
Cependant, l'arrivée à la Maison-Blanche de George W. Bush en
2000 va modifier durablement les relations qu'entretiennent ces deux pays.
Effectivement, le fait que Hugo Chavez soit idéologiquement proche de
Fidel Castro inquiète les Etats-Unis. Par ailleurs, Hugo Chavez
n'hésite pas à critiquer les bombardements américains en
Afghanistan, consécutifs aux attentats du 11 septembre 2001. Egalement,
sur le plan économique, les Etats-Unis sont dépendants du
pétrole vénézuélien, dont la production est
destinée en premier lieu à l'économie américaine.
Ainsi, en tant que membre de l'OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de
Pétrole) depuis 1960, le Venezuela dispose d'une influence certaine sur
les prix du pétrole, et, de facto, sur la croissance économique
américaine.
Dès lors, en quoi l'arrivée au pouvoir
d'Hugo Chavez a-t-elle modifié de façon durable la politique
étrangère des Etats-Unis au Venezuela ? Quelles sont les raisons
qui ont incité les Etats-Unis à adopter une attitude nouvelle
à l'égard de ce pays d'Amérique latine ? Par ailleurs,
cette politique étrangère n'est-elle pas ambivalente ?
Ainsi, il apparaît que l'action des Etats-Unis sur
le plan politique, depuis 1999, vise à contrecarrer la
« révolution bolivarienne » engagée par Hugo
Chavez. Il s'agit tout d'abord de promouvoir la démocratie, les
Etats-Unis considérant que le Venezuela n'est qu'un semblant de
régime démocratique, c'est-à-dire un régime
autoritaire qui ne dirait pas son nom. Il s'agit également de
réduire l'influence de ce pays en essayant de l'isoler tant sur le plan
régional qu'international (I). Par ailleurs, la politique
étrangère des Etats-Unis au Venezuela est marquée par un
souci de protéger les intérêts vitaux américains. Il
s'agit en premier lieu de défendre les intérêts
économiques des Etats-Unis et en second lieu de mettre en oeuvre une
nouvelle politique énergétique, qui permettra à terme de
réduire la dépendance des Etats-Unis dans le domaine de
l'énergie (II).
I- L'action des Etats-Unis sur le plan politique : une
volonté de contrecarrer la « révolution
bolivarienne ».
La politique étrangère des Etats-Unis a
d'abord vocation à promouvoir la démocratie dans le monde - c'est
à ce titre que l'on peut parler de messianisme - et
particulièrement au Venezuela, considéré par Washington
comme un régime autoritaire (A). De la même manière,
l'action politique des Etats-Unis dans ce pays se traduit par une
volonté d'isoler le Venezuela, que ce soit sur le plan régional
ou international (B).
A) La promotion de la démocratie.
1) Une tradition des Etats-Unis : le messianisme.
Au Xxe siècle, l'action extérieure des
Etats-Unis a toujours été marquée, avec plus ou moins
d'intensité selon les époques, par le messianisme.
Particulièrement présent pendant la Guerre Froide, le messianisme
continue d'imprégner fortement la politique étrangère
américaine de nos jours. En effet, il s'agit pour les Etats-Unis de
faire triompher leurs idées politiques à l'étranger,
d'éclairer les pays qui ne sont pas encore des démocraties. En
d'autres termes, la politique extérieure américaine a
principalement vocation à exporter la démocratie dans les pays
dans lesquels sont établis des régimes autoritaires ou des
dictatures. Il s'agit de créer les conditions d'un régime
démocratique durable en suscitant le pluralisme partisan, la
séparation des pouvoirs,... C'est sous cet angle que nous pouvons
analyser l'intervention américaine au Vietnam ou, plus récemment,
en Afghanistan ou en Irak. En ce qui concerne le Venezuela, l'élection
démocratique du président Hugo Chavez aurait dû inciter les
Etats-Unis à reconnaître ce pays comme une démocratie
à part entière et entretenir des relations pacifiques avec ce
dernier. Cependant, les relations entre ces deux pays se sont rapidement
détériorées, dans la mesure où le président
vénézuélien n'a eu de cesse de se montrer critique
à l'égard du comportement des Etats-Unis sur la scène
internationale, en particulier après les événements du 11
septembre 2001. Ainsi, selon Michel Allner et Larry Portis1(*), les Etats-Unis ont, depuis la
fin de la Seconde Guerre Mondiale, cherché à
« promouvoir la démocratie en Amérique
latine ». Il s'agit donc pour les Américains de jeter les
bases d'une véritable « pax americana »2(*), qui leur permettrait d'assurer
une stabilité internationale qui leur serait favorable. A cet
égard, la tentative de coup d'Etat contre Chavez en 2002 est
incontestablement liée à la recherche de cette « pax
americana ».
2) Une diplomatie préventive : l'exemple de la
tentative de coup d'Etat de 2002.
Dans les mois qui suivent l'élection de Chavez
à la présidence du Venezuela, les relations entre les Etats-Unis
et le Venezuela semblent assez calmes. Cependant, l'arrivée au pouvoir
de George W. Bush en 2000 ainsi que les événements du 11
septembre 2001 vont modifier durablement les relations qu'entretiennent ces
deux pays. A partir de cette période, l'attitude du Venezuela semble en
effet incorrecte aux yeux des Etats-Unis. Dans un rapport rédigé
à la demande du Sénateur démocrate Christopher J. Dodd
à propos des événements d'avril 2002 au Venezuela3(*), l'inspecteur
général du Département d'Etat dresse la liste des actions
dont s'est rendu coupable le président vénézuélien
Hugo Chavez. Ainsi, il est notamment fait mention des visites de Chavez
à Cuba, en Irak, en Iran et en Libye, que le rapport qualifie de
« gouvernements anti-américains ». De la même
manière, dans ce rapport, l'inspecteur général explique
que le gouvernement vénézuélien ne soutient pas
suffisamment la guerre contre le terrorisme engagée par l'administration
Bush. Enfin, le rapport condamne l'immixtion du gouvernement de Caracas dans
l'industrie pétrolière du pays et son impact potentiel sur les
prix du pétrole. Ainsi, depuis l'arrivée de George Bush à
la Maison-Blanche, le gouvernement américain semble vouloir
évincer Chavez de la présidence. Il s'agit, sur le plan
idéologique, de contrecarrer le bolivarisme et, sur le plan
économique, d'assurer un approvisionnement vital pour les Etats-Unis :
le pétrole.
L'année 2001 apparaît à bien des
égards comme l'année au cours de laquelle les relations entre le
Venezuela et les Etats-Unis se sont tendues. Tout d'abord, en avril, lors du
sommet des Amériques de Québec, le président du Venezuela
se manifeste clairement contre le Free Trade of the Americas Act (FTAA). Il
s'agit d'un projet de coopération économique proposé par
les Etats-Unis. Chavez préférerait en effet la mise en place
d'une intégration économique régionale en Amérique
du Sud. Un peu plus tard, en septembre, Hugo Chavez décide de ne pas
renouveler un accord de coopération militaire avec les Etats-Unis
signé 50 ans auparavant. Enfin, en octobre, le leader
vénézuélien déplore publiquement les attaques
militaires américaines en Afghanistan qui s'inscrivent dans le cadre de
la guerre contre le terrorisme. Les Etats-Unis décident alors de
réagir à ces propos. Ainsi, le 2 novembre, le porte-parole du
Département d'Etat, Richard Boucher, estime que les commentaires de
Chavez sont « surprenants et très
décevants »4(*).
Progressivement, les Etats-Unis vont agir sur la
scène politique vénézuélienne en suscitant une
opposition au gouvernement de Hugo Chavez. Ainsi, l'IRI ou
« International Republican Institute » (il s'agit de la
branche internationale du Parti républicain américain) s'emploie
dès 2001 à renforcer les différents partis d'opposition.
L'IRI jette alors son dévolu sur un parti récemment
constitué, « Primero Justicia » (Justice d'abord)
qu'il forme en le dotant de véritables chefs de parti et d'une
plate-forme électorale. Progressivement, Primero Justicia, fort de
quelques succès électoraux au niveau régional, parvient
à s'imposer comme le principal parti d'opposition au Venezuela. De la
même manière, les Etats-Unis choisissent rapidement celui qui
serait le successeur de Chavez si ce dernier était évincé
de la présidence. Il s'agit de Pedro Carmona, président de la
« Fedcamaras », la Chambre de commerce du Venezuela. Cet
homme est en effet bien considéré par Washington, dans la mesure
où il a joué un rôle important dans la promotion des
intérêts économiques nord-américains.
Ainsi, le 10 décembre 2001, la Fedcamaras ainsi
que les principaux partis de l'opposition lancent un appel à la
grève générale au cours de laquelle les manifestations
hostiles au gouvernement Chavez se multiplient. Cette grève est d'autant
plus importante qu'elle peut être considérée comme
annonciatrice du coup d'Etat d'avril 2002.
Le 5 mars 2002, l'ambassade des Etats-unis au Venezuela
annonce au gouvernement américain la conclusion d'un pacte de transition
entre le monde du travail, celui des affaires et l'église. De la
même manière, les Etats-Unis sont informés, quelques jours
avant le coup d'Etat, que des militaires dissidents ont prévu
d'arrêter le président Chavez ainsi que des hauts fonctionnaires.
Parallèlement à ces événements, Chavez, le 7 avril,
décide de licencier plusieurs dirigeants de la PDVSA (il s'agit d'une
compagnie pétrolière détenue par l'Etat
vénézuélien). Cette décision de Chavez est
motivée par des désaccords politiques entre l'exécutif
vénézuélien et les dirigeants de cette entreprise.
Dès lors, ces dirigeants ainsi que les partis de l'opposition, parmi
lesquels Primero Justicia, appellent à une grève
illimitée.
Le 11 avril, les partis de l'opposition ainsi que la
Fedcamaras, soutenus d'ailleurs par le NED (National Endowment for
Democracy5(*)) suscitent un
grand rassemblement à Caracas. Ce groupe décide de se rendre au
palais présidentiel pour réclamer la démission du
président. Cependant, devant ce même palais, un rassemblement
favorable à Chavez se tient en même temps. Rapidement, les
affrontements entre les deux rassemblements font plusieurs morts. Le
président Hugo Chavez, qui refuse de démissionner, est
arrêté et emprisonné. L'opposition occupe alors le palais
présidentiel et, en fin de journée, Pedro Carmona,
président de la Chambre de commerce du Venezuela, est nommé
président par interim.
Dès le 12 avril, le porte-parole du
président des Etats-Unis, Ari Fleischer, annonce que les Etats-Unis
soutiennent le gouvernement Carmona. En d'autres termes, Pedro Carmona est
officiellement reconnu par Washington comme le président légitime
du Venezuela. Le même jour, Carmona décide de dissoudre le
Congrès et d'abroger la Constitution.
Cependant, le 13 avril, de nombreux partisans du
président Chavez manifestent et réclament son retour à la
tête de l'Etat. La Garde présidentielle, aidée par
l'armée, procède rapidement à l'arrestation de Carmona et
de son entourage avant d'aller délivrer le président Chavez.
Ainsi, cette tentative de coup d'Etat n'est pas
allée jusqu' à son terme. Cependant, les Etats-Unis ne perdent
pas espoir. Ils espèrent voir Chavez quitter le pouvoir, mais en
utilisant des moyens constitutionnels cette fois-ci. La Constitution
vénézuélienne de 1999 prévoit en effet
l'organisation d'un référendum révocatoire à
l'égard des élus, et ce, sur l'initiative d'au moins 20 % de
l'électorat. L'opposition obtient finalement les 2,4 millions de
signatures nécessaires et la date du référendum
révocatoire est fixée au 15 août 2004. Cependant, le
résultat apparaît comme un second échec pour les
Etats-Unis, dans la mesure où les vénézuéliens
décident, à une majorité de 59 %, de maintenir le
président Chavez en fonction.
Dès lors, cette tentative de coup d'Etat ainsi que
la tenue du référendum révocatoire illustrent à
quel point, sur le plan politique, l'action extérieure des Etats-Unis
vise à contrecarrer ou, tout du moins, à affaiblir le
bolivarisme. Pourtant, le retour au pouvoir de Chavez dès le 13 avril
2002 ainsi que son maintien à la tête de l'Etat
vénézuélien après la victoire du
« oui » au référendum d'août 2004
mettent en lumière l'incapacité de la diplomatie
américaine à mettre un terme à la révolution
bolivarienne. Bien qu'il s'agisse d'un échec - les Etats-Unis auraient
sans aucun doute souhaité que Chavez quitte le pouvoir - , il semble
intéressant d'analyser la politique étrangère
américaine en termes idéologiques. En effet, la diplomatie
américaine est, dans le cas du Venezuela, une « diplomatie
préventive6(*) », qui se donne pour but de prévenir,
d'anticiper les torts que pourrait causer une régime autoritaire aux
intérêts américains. Il s'agit, en d'autres termes,
d'empêcher toute nation de se montrer agressive à l'égard
de l'Amérique. Les Etats-Unis utilisent la promotion de la
démocratie pour légitimer cette diplomatie préventive.
Ainsi, dans le rapport de l'inspecteur général du
Département d'Etat relatif à la politique étrangère
américaine au Venezuela de novembre 2001 à avril 2002, il est
fait mention, à de nombreuses reprises, de l'importance que les
Etats-Unis accordent à la promotion de la démocratie.
L'inspecteur affirme en effet que, durant le week-end du 12 au 14 avril 2002,
« l'ambassade de Caracas et le département d'Etat ont soutenu
la démocratie et la constitutionnalité au
Venezuela »7(*).
Plus loin, l'inspecteur explique que « le Département d'Etat
et l'ambassade ont [pendant la tentative de coup d'Etat] exhorté le
gouvernement Chavez à se conduire de façon démocratique et
constitutionnelle ». Enfin, l'inspecteur général
affirme que la politique étrangère des Etats-Unis au Venezuela
pendant cette période avait vocation à encourager une
démocratie respectueuse des droits de l'homme, la liberté
d'expression ainsi qu'une justice honnête et efficace. Ces exemples
montrent que les Etats-Unis ont souhaité contrecarrer le bolivarisme en
invoquant la défense de valeurs telles que la démocratie et les
droits de l'homme. En d'autres termes, ces valeurs servent à
légitimer une politique étrangère ambitieuse; elles sont
au service d'une diplomatie spécifique : la diplomatie
préventive. Par ailleurs, le rapprochement réel de Chavez avec
des pays tels que Cuba et l'Iran incite Washington à une surveillance
accrue du Venezuela.
3) Le problème du rapprochement avec des pays tels
que Cuba et l'Iran.
Si les Etats-Unis s'inquiètent des dérives
autoritaires du régime politique vénézuélien, il
n'en reste pas moins qu'ils s'inquiètent également des liens que
peut tisser Hugo Chavez sur le plan international. En condamnant l'intervention
américaine en Afghanistan en 2001, Hugo Chavez s'est en effet rapidement
imposé comme l'un des principaux protagonistes de
l'anti-américanisme. Par là même, le président
vénézuélien s'est progressivement rapproché des
pays ou des dirigeants qui manifestent une indépendance certaine
à l'égard des Etats-Unis. Ainsi, la parenté
idéologique entre Hugo Chavez et Fidel Castro est notoire. Hugo Chavez,
depuis qu'il dirige le Venezuela, met en effet en oeuvre une politique amicale
envers Cuba. Plus étonnant, le rapprochement de l'Iran et du Venezuela
semble être une réalité depuis 2006, c'est-à-dire
depuis que Chavez soutient le programme nucléaire de l'Iran. Ainsi,
dès la réélection de Chavez - avec 61 % des suffrages - le
3 décembre 2006, le dirigeant iranien Mahmoud Ahmadinejad s'est
empressé de féliciter Hugo Chavez, considérant ce
résultat comme un signe « d'indépendance » de
la région contre « l'attitude arrogante des
Etats-Unis »8(*).
Le président vénézuélien a également
reçu les congratulations des Frères musulmans d'Egypte, qui ont
vu en lui un « soutien à la cause de la nation arabe et des
musulmans ». En effet, Chavez a condamné en 2006 les attaques
israéliennes contre le Liban. De la même manière, le
déplacement qu'a effectué Mahmoud Ahmadinejad au Venezuela au
début de l'année 2007 met en lumière l'union de Caracas et
de Téhéran contre Washington9(*). En d'autres termes, le Venezuela et l'Iran
apparaissent comme deux pays qui revendiquent une totale indépendance
à l'égard des Etats-Unis et qui fustigent
l'« impérialisme » de ce pays.
Ainsi, il semble patent que le Venezuela se rapproche
insensiblement de pays appartenant à « l'axe du
mal »10(*)
défini par le président des Etats-Unis au début de
l'année 2002. Cet « axe du mal » englobe la
Corée du Nord, l'Irak ainsi que l'Iran. Dès lors, il semble
difficilement acceptable pour Washington que Chavez tisse des liens avec des
pays tels que l'Iran. Au nom de la défense de la démocratie, les
Etats-Unis tendent régulièrement la main au Venezuela pour
l'inviter à modérer son comportement sur le plan international.
Par conséquent, le Venezuela fait l'objet d'une surveillance accrue de
la part des Etats-Unis, qui ont par ailleurs mis en oeuvre une stratégie
d'isolement à son endroit, que ce soit sur le plan régional ou
international.
B) Une volonté d'isoler le Venezuela, tant sur la
plan régional qu'international.
1) Une stratégie d'isolement au niveau
régional.
La politique américaine envers le Venezuela vise
à modérer les ardeurs révolutionnaires de son dirigeant,
c'est-à-dire à faire en sorte de réduire l'influence du
bolivarisme au niveau régional. Il s'agit d'éviter toute
exportation de la révolution bolivarienne. Effectivement, le Venezuela,
véritable « bête noire11(*) » de Washington, a souhaité
renforcer ses moyens militaires depuis l'arrivée d' Hugo Chavez à
la présidence. Ainsi, en 2005, le Venezuela s'est rapproché de
l'Espagne dans le but de conclure un contrat d'armement avec cette
dernière. Il s'agissait pour le Venezuela d'acquérir dix avions
de transport de troupes et huit corvettes. Washington, après avoir
été informé de cette volonté du Venezuela de
renforcer ses équipements militaires, a exercé des pressions
renouvelées sur l'Espagne pour qu'elle refuse de conclure ce contrat.
Cependant, cette tentative a été infructueuse et le contrat
hispano-vénézuélien a bien été conclu. De la
même manière, le Venezuela s'est porté acquéreur de
100 000 fusils mitrailleurs AK 47 ainsi que 33 hélicoptères
auprès de la Russie en 2005, ce qui a, cette fois-ci, réellement
inquiété les Etats-Unis. Effectivement, aux yeux des Etats-Unis,
cette acquisition n'avait qu'un seul but : renforcer la guérilla
colombienne, c'est-à-dire les FARC12(*). La réaction américaine a donc
été prompte, le secrétaire à la défense de
l'époque, Donald Rumsfeld, affirmant : « je ne peux pas
imaginer ce que le Venezuela va faire de 100 000 fusils mitrailleurs AK
4713(*) ». Dans
le même ordre d'idées, la secrétaire d'Etat
américaine Condoleeza Rice a qualifié Chavez, en janvier 2005, de
« force négative » dans la région. Il
apparaît donc clairement que les Etats-Unis accusent le Venezuela de
déstabiliser la région. Les Américains craignent en effet
que le Venezuela n'exporte sa révolution bolivarienne à
l'étranger, et notamment en Colombie, où un conflit armé
déchire le pays depuis plusieurs années. Plus
généralement, les Etats-Unis incitent le Brésil, qui est
une puissance régionale, à modérer le Venezuela.
Effectivement, les moyens économiques et commerciaux dont dispose le
Brésil peuvent lui permettre d'exercer une influence non
négligeable sur ses voisins et en premier lieu sur le Venezuela de
Chavez.
Ainsi, l'action extérieure des Etats-Unis au
Venezuela, qui n'est d'ailleurs pas toujours couronnée de succès,
a vocation à réduire l'influence de ce pays sur le plan
régional. Il s'agit, dans le domaine militaire, d'éviter que le
Venezuela ne devienne suffisamment puissant pour modifier la situation
régionale, pour exporter le bolivarisme. Autrement dit, les Etats-Unis
souhaitent limiter la militarisation du régime de Chavez qui pourrait,
selon eux, avoir des conséquences néfastes pour leurs
intérêts dans la région. Si cette stratégie
d'isolement s'exerce en critiquant la militarisation du Venezuela, elle
s'exerce également par l'intermédiaire d'un rapprochement avec
les voisins du Venezuela : il s'agit pour Washington de prendre Hugo Chavez
à revers.
Les Etats-Unis entendent réduire l'influence de
Chavez et contenir l'expansion du bolivarisme en se rapprochant de certains
pays d'Amérique latine. Ainsi, les Etats-Unis accordent une attention
particulière à un pays tel que le Brésil, qui a vocation,
étant donné son potentiel économique, à exercer un
leadership régional. Le déplacement du président des
Etats-Unis dans plusieurs pays d'Amérique du Sud au début de
l'année 2007 est significatif à cet égard. George Bush, en
se rapprochant du Brésil en concluant avec ce pays un pacte
énergétique, a mis en lumière sa volonté d'isoler
le président vénézuélien. En effet, comme le
souligne Peter Hakim, de l'Institut d'études interaméricaines de
Washington, « promouvoir le Brésil, c'est réduire
l'importance de Chavez »14(*). Dans le même ordre d'idées, le
déplacement de George W. Bush en mars 2007 au Brésil, en Uruguay,
en Colombie ainsi qu'au Mexique apparaît comme une volonté
très claire de « défier Hugo Chavez sur son
terrain »15(*).
Plus précisément, le rapprochement récent des Etats-Unis
et du Mexique permet à Washington de contenir l'influence de Chavez. En
effet, le président du Mexique, Felipe Calderon, a d'abord eu le
mérite de « contenir la vague rose et rouge qui submerge
l'Amérique latine en battant le candidat de la gauche à la
présidentielle, Andres Manuel Lopez Obrador »16(*). Cette alliance apparaît
d'autant plus importante pour Washington que le nouveau président
mexicain se considère comme un véritable rempart contre
l'expansion de la révolution bolivarienne dont Hugo Chavez est le
promoteur. En d'autres termes, le chef d'Etat mexicain est, aux yeux des
Américains, autant un allié politique qu'un voisin
stratégique.
Par conséquent, les relations cordiales
qu'entretiennent les Etats-Unis avec le Brésil et le Mexique permettent
à l'exécutif américain de réduire tant soit peu
l'influence « néfaste » qu'exerce Hugo Chavez en
Amérique du Sud. Cette diplomatie américaine peut donc être
considérée comme une véritable « diplomatie
bismarckienne »17(*). Il s'agit en effet pour les Etats-Unis de mettre en
place de véritables alliances de rééquilibrage qui soient
à même de protéger les intérêts
américains en Amérique latine face à la montée en
puissance du leader bolivariste qu'est Hugo Chavez. C'est sous cet angle que
peut être lu le rapprochement récent des Etats-Unis avec le
Mexique et le Brésil. Il s'agit en effet, selon Jean-Jacques Roche, de
mettre en place des « alliances permanentes et ponctuelles
organisées autour de la grande puissance en titre ». Par
ailleurs, si les Etats-Unis ont mis en place une stratégie d'isolement
du Venezuela au niveau régional, c'est également vrai au niveau
international.
2) Une stratégie d'isolement au niveau
international.
La politique étrangère des Etats-Unis au
Venezuela consiste également à réduire l'influence du
Venezuela au sein des grandes organisations internationales, et
particulièrement à l'ONU (Organisation des Nations Unies). Ainsi,
quand il s'est agi d'élire un nouveau pays membre non-permanent du
Conseil de Sécurité de l'ONU en 2006, le Venezuela a
d'emblée proposé sa candidature. Dès lors, les Etats-Unis,
qui ne souhaitaient pas voir le Venezuela acquérir une autorité
certaine au sein de l'ONU,et, de facto, une influence non
négligeable sur le plan international, ont décidé de
promouvoir la candidature d'un petit pays acquis à leur cause : le
Guatemala. Washington a en effet déployé d'importants moyens
diplomatiques pour faire en sorte qu'un grand nombre de pays accordent leur
vote au Guatemala et non au Venezuela de Chavez. L'exécutif
américain s'est employé à utiliser ses réseaux
ainsi que ses finances pour peser de tout son poids sur cette élection
considérée comme cruciale et permettre à un candidat
« anti-Venezuela » de l'emporter. Ainsi, pendant des
semaines, chaque visite d'un fonctionnaire américain dans un pays
étranger s'est conclue par une invitation à voter pour le
Guatemala. De son côté, le président
vénézuélien a réussi à obtenir le soutien de
pays tels que la Russie, la Chine ou le Brésil. Hugo Chavez a
multiplié les déplacements à l'étranger en 2006
(Chine, Russie, Vietnam, Iran) pour pouvoir recevoir le soutien de ces pays.
Cependant, la stratégie d'isolement mise en place par Washington s'est
révélée très efficace. Effectivement, le 16 octobre
2006, le Guatemala a obtenu 109 voix contre 76 seulement pour le
Venezuela18(*). Ce
résultat apparaît comme un revers sérieux pour le dirigeant
vénézuélien et est dû en particulier à une
mobilisation accrue des moyens diplomatiques américains.
Par conséquent, la politique américaine au
Venezuela a vocation à isoler ce dernier par tous les moyens. En
empêchant le Venezuela d'obtenir un siège (non-permanent) au
Conseil de Sécurité des Nations Unies, les Etats-Unis ont tout
d'abord mis en lumière l'efficacité de leurs moyens
diplomatiques. Ce succès leur a également permis de
réduire préventivement l'influence du Venezuela sur le plan
international : si le Venezuela avait obtenu ce siège, Hugo Chavez
aurait pu en effet s'en servir comme d'un levier d'action pour peser sur les
relations internationales.
Ainsi, la politique étrangère américaine
au Venezuela se caractérise d'abord par une volonté de
réduire l'influence de Hugo Chavez et, par là même, de
lutter contre l'expansion du bolivarisme en Amérique latine. Cette
action politique se traduit tout d'abord par la promotion de la
démocratie. Il s'agit en effet de promouvoir la démocratie au
Venezuela pour contrer les dérives autoritaires du régime
politique vénézuélien. Egalement, cette action politique
se traduit par la mise en oeuvre d'une stratégie d'isolement sur le plan
régional - les Etats-Unis s'emploient à mettre en place des
alliances qui ont vocation à réduire l'influence du Venezuela -
et sur le plan international - Washington ayant tout fait pour que le Venezuela
n'obtienne pas de siège au Conseil de Sécurité de
l'ONU.
Pour autant, la politique américaine au Venezuela
ne se limite pas à la défense de la démocratie ni à
la lutte contre l'expansion de la révolution bolivarienne. Il convient
en effet de remarquer que la politique étrangère
américaine au Venezuela a également vocation à
protéger les intérêts économiques des Etats-Unis. Le
Venezuela est à cet égard un partenaire économique
crucial, dans la mesure où ce pays fournit une part importante du
pétrole américain, vital pour l'économie des Etats-Unis.
Dans le même ordre d'idées, les Etats-Unis tentent depuis peu
d'isoler le Venezuela sur le plan économique en dessinant les contours
d'une nouvelle politique énergétique.
II- La politique étrangère
américaine en matière économique ou la protection des
intérêts vitaux américains.
Préoccupés par la bonne marche de
l'économie américaine, les différents acteurs de la
politique américaine au Venezuela s'emploient avant tout à
défendre les intérêts économiques des Etats-Unis
(A); par ailleurs, Washington a récemment décidé de
réduire l'importance du pétrole de Chavez dans l'économie
américaine en mettant en oeuvre une nouvelle politique
énergétique (B).
A) La défense des intérêts
économiques américains.
1) Dépendance énergétique et
idéologie anti-capitaliste.
Sur le plan économique, la politique
étrangère des Etats-Unis au Venezuela a vocation à assurer
l'approvisionnement du marché américain en pétrole. A cet
égard, le Venezuela, considéré comme le port de
l'Amérique latine, joue un rôle essentiel. En effet, le Venezuela
(le cinquième producteur mondial de pétrole) fournit à lui
seul 13 % des besoins américains en pétrole et la majeure partie
du pétrole exportée par le Venezuela est destinée aux
Etats-Unis. Ainsi, les Etats-Unis apparaissent dépendants à
l'égard du Venezuela : il apparaît difficile pour les
Américains - qui consomment 20 millions de barils par jour - de se
passer de ce pétrole vénézuélien, dans la mesure
où l'Amérique latine en général et le Venezuela en
particulier tendent à devenir prééminents dans l'offre
pétrolière mondiale. Le Venezuela est par ailleurs membre de
l'OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole) depuis 1960 et
joue, de facto, un rôle important dans l'offre
pétrolière. Cette dépendance énergétique est
aggravée par le fait que le président
vénézuélien se réclame d'une idéologie
clairement anti-capitaliste. Effectivement, Hugo Chavez entend relever les
taxes versées par les compagnies étrangères
présentes au Venezuela parmi lesquelles Chevron Texaco, Exxon Mobil,
Conoco Phillip,... Cette véritable bataille fiscale engagée
contre les grands groupes pétroliers occidentaux met en lumière
un « regain de nationalisme pétrolier19(*) » au Venezuela. Plus
généralement, Hugo Chavez entend exercer un contrôle
certain sur l'activité pétrolière de son pays. L'exemple
le plus significatif à cet égard est la PDVSA ( Petroleos De
Venezuela SA). Cette entreprise d'Etat est effectivement étroitement
contrôlée par les autorités
vénézuéliennes. Ainsi, les Etats-Unis considèrent
que l'arrivée au pouvoir de Hugo Chavez et son idéologie
anti-capitaliste peuvent représenter une menace pour les
intérêts vitaux américains, et en premier lieu
l'approvisionnement en pétrole. Depuis quelques années, les
Etats-Unis accordent donc une importance croissante à la diplomatie
économique.
2) La diplomatie économique américaine.
La politique américaine au Venezuela, sur le plan
économique, a vocation à sécuriser les approvisionnements
énergétiques. En effet, les Etats-Unis doivent faire face, au
Venezuela, à un certain retour de ce que l'on peut appeler le
nationalisme économique, après une longue période
marquée par la diffusion des normes libérales en matière
d'industrie pétrolière. Ainsi, pour l'Amérique latine en
général et le Venezuela en particulier, les Etats-Unis ont fait
le choix de ce que Pierre Noël appelle « l'extension du
marché 20(*)». Il s'agit de parvenir à une
sécurisation de l'approvisionnement américain en pétrole
en étendant le terrain d'opération des compagnies
pétrolières privées. Les Américains s'emploient en
effet à garantir l'ouverture aux investissements étrangers, car,
selon Pierre Noël, « la région possède un
important potentiel d'augmentation de ses capacités de
production ». En d'autres termes, les Etats-Unis mettent en oeuvre au
Venezuela une véritable diplomatie économique qui a vocation
à assurer un approvisionnement suffisant et stable en pétrole.
D' ailleurs, la tentative de coup d'Etat d'avril 2002
peut être analysée, à certains égards, comme une
volonté de protéger les intérêts vitaux de
l'Amérique, Chavez et son idéologie anti-capitaliste étant
perçus comme un danger par l'administration Bush. Ainsi, quelques jours
avant le coup d'Etat du 11 avril 2002, Hugo Chavez décide de licencier
la plupart des dirigeants de PDVSA sur fond de mauvaise gestion et de
divergences avec le gouvernement Chavez. Cette compagnie
pétrolière d'Etat peut produire jusqu'à quatre millions de
barils par jour et est d'autant plus importante aux yeux des Etats-Unis qu'elle
possède 50 % de Citgo, une marque d'essence américaine.
Après l'annonce de ces licenciements, l'opposition lance un appel
à la grève générale. Bientôt, les
employés de PDVSA cessent le travail, provoquant par là
même un arrêt de la production du pétrole. Après
l'éviction du président Chavez à la suite du coup d'Etat,
les principaux dirigeants de PDVSA, qui avaient été
licenciés par le président vénézuélien, sont
réinstallés dans leurs fonctions. Le jour même,
l'ambassadeur des Etats-Unis à Caracas, Charles Shapiro, envoie un
télégramme au Département d'Etat dont voici un extrait :
« les exécutifs de la PDVSA soulignent que la compagnie
devrait revenir à ses activités normales dès le
début de la semaine prochaine. On attend la reprise des livraisons
aujourd'hui. Le porte-parole de la PDVSA a déclaré publiquement
que pas une goutte de pétrole ne sera envoyée à
Cuba21(*) ». Par
conséquent, l'approvisionnement en pétrole apparaît comme
un enjeu crucial pour les Etats-Unis et semble être l'un des principaux
motifs de l'organisation du coup d'Etat contre Chavez. A ce titre, la politique
étrangère américaine au Venezuela comporte un volet
politique mais également économique. Il s'agit avant tout de
veiller à la bonne marche de l'économie nord-américaine en
sécurisant sur le terrain les approvisionnements
énergétiques. Les Etats-Unis mettent donc en oeuvre une
véritable diplomatie économique qui a pour but de protéger
leurs intérêts vitaux. Par ailleurs, Washington a récemment
mis en lumière la nécessité d'une politique
énergétique nouvelle qui aura, à terme, vocation à
isoler le Venezuela de Chavez.
B) Une nouvelle politique
énergétique.
Les Etats-Unis, parce qu'ils s'estiment trop
dépendants du pétrole vénézuélien, ont
récemment envisagé de réduire leur dépendance
énergétique vis-à-vis de Hugo Chavez en se rapprochant du
Brésil. Effectivement, le Brésil apparaît comme le premier
producteur d'éthanol au monde et est produit à partir de canne
à sucre, ce qui permet de réduire fortement son coût.
Egalement, depuis que Bush a fixé comme objectif de réduire de 20
% la consommation de pétrole d'ici à 201722(*), d'aucuns se demandent comment
les Etats-Unis parviendront à se procurer les 130 milliards de litres
d'esence que cette réduction représenterait chaque année.
Ainsi, au début de l'année 2007, la diplomatie amériaine a
cherché à se rapprocher du Brésil pour obtenir un accord
sur ce biocombustible. Nicholas Burns, le sous-secrétaire d'Etat ainsi
que Thomas Shannon, l'émissaire en charge de l'hémisphère
occidental se sont rendus au Brésil en février 2007. Un accord
sur le plan énergétique entre le Brésil et les Etats-Unis
permettrait à ces derniers de diversifier leurs approvisionnements
énergétiques mais surtout d'isoler le Venezuela de Chavez.
Nicholas Burns a en effet affirmé : « nous voulons freiner
notre dépendance au pétrole dont souffre mon pays ainsi que
d'autres dans la région et diversifier nos sources d'énergie
parce que le pétrole a pour habitude de provoquer une distorsion
négative dans le pouvoir de certains Etats23(*) ». Bien qu'aucun
pays ne soit mentionné ici, c'est clairement au Venezuela que Nicholas
Burns fait allusion. Les Américains entendent en effet réduire le
poids économique et politique d'un pays qui exporte les quatre
cinquièmes de son pétrole vers les Etats-Unis. Ainsi, le
rapprochement des Etats-Unis et du Brésil sur le plan
énergétique participe d'une diplomatie ambitieuse et
conquérante : il s'agit, pour Washington, de réduire la
dépendance des Etats-Unis à l'égard du Venezuela et,
de facto, d'isoler le président
vénézuélien dans la région. En d'autres termes, il
s'agit de contrecarrer la diplomatie du pétrole de Chavez en mettant en
oeuvre cette « nouvelle diplomatie de l'éthanol24(*) ». Par
conséquent, l'administration Bush souhaite réussir sur le terrain
économique ce qu'elle n'a que partiellement réussi à faire
sur le terrain politique : isoler et, par conséquent, affaiblir un
président vénézuélien qui, à leurs yeux, se
réclame d'une idéologie incompatible avec les
intérêts de l'Amérique.
CONCLUSION
En somme, la politique étrangère des
Etats-Unis au Venezuela a connu des changements très importants depuis
l'accession de Hugo Chavez à la présidence du Venezuela en 1999.
Ces changements ont d'ailleurs été accélérés
par l'élection de George W. Bush en 2000. Il s'agit donc principalement
pour les Etats-Unis de contrecarrer une idéologie qu'ils jugent
incompatibles avec leurs intérêts; le bolivarisme est en effet une
idéologie qui souhaite que l'Amérique du Sud soit unie et
indépendante. Pour contrer le bolivarisme, la diplomatie
américaine a mis en oeuvre deux mécanismes : la promotion de la
démocratie d'une part et l'isolement du Venezuela aux niveaux
régional et international d'autre part. Par ailleurs, l'action
extérieure des Etats-Unis est caractérisée par un souci de
préserver les intérêts économiques
américains, c'est-à-dire l'approvisionnement en pétrole.
Véritable « hyperpuissance25(*) », les Etats-Unis
continuent donc de mettre en lumière, à travers l'exemple du
Venezuela, le rôle prépondérant qu'ils ont joué et
qu'ils continuent à jouer dans les relations internationales; ils
occupent une place unique au sein du système international. A cet
égard, d'aucuns considèrent que la politique extérieure de
l'administration Bush est marquée par « l'obsession de la
suprématie26(*) ». Ainsi, la politique
étrangère des Etats-Unis au Venezuela s'inscrit dans le cadre
d'un leadership que les Américains ont toujours souhaité exercer
en Amérique latine.
Cependant, il semble que cette politique
extérieure des Etats-Unis au Venezuela soit ambivalente. En effet, au
premier abord, les Etats-Unis ont, semble-t-il, promu la « politique
de la main tendue ». Il s'agit de mettre le dialogue au premier plan
pour pouvoir résoudre pacifiquement les différends entre ces deux
pays. Toutefois, cette politique de la main tendue, dans le cadre du Venezuela,
n'a pas duré longtemps et a rapidement laissé place à la
stigmatisation. Effectivement, les différents acteurs de la politique
étrangère américaine se sont employés à
critiquer fortement le Venezuela. Les propos tenus par Condoleezza Rice, la
Secrétaire d'Etat américaine, sont significatifs à cet
égard. Cette dernière a en effet considéré au
début de l'année 2005 que Hugo Chavez était une
« force négative27(*) » dans la région. Quelques mois plus
tard, Condoleezza Rice a haussé le ton à l'égard de Hugo
Chavez en affirmant qu' « il ne suffit pas d'être
démocratiquement élu, si on ne gouverne pas de manière
démocratique »28(*). Ce genre de propos, qui ne sont pas le fait de la
seule Secrétaire d'Etat, mettent en lumière une diplomatie
conquérante. Il s'agit de réduire l'aura dont peut jouir le
président vénézuélien.
Par conséquent, si la politique étrangère
des Etats-Unis au Venezuela ne peut être considérée ni
comme un échec définitif - les Etats-Unis ont par exemple
réussi à empêcher le Venezuela d'obtenir un siège au
Conseil de Sécurité de l'ONU- ni comme un franc succès -
la tentative de coup d'Etat en 2002 s'est révélée
inefficace, elle met en lumière les ambitions d'un pays qui souhaite
devenir « une puissance sans égal ni concurrent, au centre du
monde29(*) ».
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages généraux sur les relations
internationales :
-Relations internationales, Jean-Jacques Roche, LGDJ,
2004.
-Relations internationales contemporaines,
Jean-François Guilhaudis, Litec, 2004.
-Ramsès 2007, sous la direction de Thierry de
Montbrial et de Philippe Moreau Defarges, Dunod, 2006. Rapport annuel mondial
sur le système économique et les stratégies publié
par l'Institut français des relations internationales.
Ouvrages spécifiques sur la politique
étrangère des Etats-Unis :
-La politique étrangère des Etats-Unis
depuis 1945, de la guerre mondiale à la mondialisation, Michel
Allner et Larry Portis, Ellipses, 2004.
-Code Chavez, Eva Golinger, Oser dire, 2006.
Autres sources :
- « Les Etats-Unis et le
pétrole d'Amérique latine dans le monde de l'après
11-septembre », Pierre Noël, Centre français sur les
Etats-Unis à l'Ifri (Institut français des relations
internationales).
-La presse française : Le Figaro, le
Monde.
-La presse étrangère : The New York
Times, The Washington Post.
-Le site internet du Département d'Etat
américain : www.state.gov.
* 1 La politique
étrangère des Etats-Unis depuis 1945, de la guerre mondiale
à la mondialisation, Ellipses, p.61.
* 2 Relations internationales,
Jean-Jacques Roche, LGDJ, 2004, p.69.
* 3 « A review of US Policy
toward Venezuela, November 2001-April 2002 », Report Number
02-OIG-003, July 2002 (United States Department of State), p. 37-38.
* 4 Département d'Etat, Daily
press briefing, 2 novembre 2001.
* 5 Le NED ou Fonds national pour la
Démocratie a été créé aux Etats-Unis en
1982. Cette organisation a vocation à promouvoir la démocratie
dans le monde.
* 6 Jean-Jacques Roche,
op.cit., p.77.
* 7 « A review of US Policy
toward Venezuela, November 2001-April 2002 », Report Number
02-OIG-003, July 2002 (United States Department of State), p.1.
* 8 Le Figaro, 5 décembre
2006.
* 9 Le Figaro, 15 janvier 2007.
* 10 George W. Bush, discours sur
l'état de l'Union, 2002.
* 11 Le Figaro, 15 janvier
2007.
* 12 Forces Armées
Révolutionnaires de Colombie. Il s'agit de la principale force rebelle
colombienne, considérée comme une organisation terroriste par
l'Union européenne et les Etats-Unis.
* 13 Le Monde, 31 mars 2005.
* 14 Le Monde, 9 février
2007.
* 15 Le Figaro, 8 mars 2007.
* 16 Le Figaro, 13 mars 2007.
* 17 Jean-Jacques Roche, op.cit
., p. 74.
* 18 Le Figaro, 17 octobre
2006.
* 19 Ramsès 2007, Institut
Français des Relations Internationales, sous la direction de
Thierry de Montbrial et Philippe Moreau Defarges, Dunod, 2006, p. 277.
* 20 « Les Etats-Unis et le
pétrole d'Amérique latine dans le monde de l'après
11-septembre », Centre français sur les Etats-Unis à
l'Ifri (Institut français des relations internationales).
* 21 In Code Chavez, Eva
Golinger, Oser dire, 2006, p.116.
* 22 Discours sur l'état de
l'Union, 2007.
* 23 Le Figaro, 9 février
2007.
* 24 Le Figaro, 8 mars 2007.
* 25 Relations internationales
contemporaines, Jean-françois Guilhaudis, Litec, 2004, p.102.
* 26 Jean-François Guilhaudis,
op. cit. , p. 104.
* 27 Le Monde, 31 mars 2005.
* 28 Le Monde, 29 avril 2005.
* 29 Jean-françois Guilhaudis,
op. cit. p. 103.
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