Louis Ferdinand Céline:une pensée médicale( Télécharger le fichier original )par David Labreure Université Paris 1 panthéon sorbonne - DEA Histoire et philosophie des sciences 2005 |
3.4 : CELINE MEDECIN PENDANT ET APRES LA GUERRE :Entre Décembre 1937 et Novembre 1938, soit les dates de parutions successives de Bagatelles pour un massacre et L'école des cadavres, Céline perd,à cause de ses prises de positions politiques de plus en plus tapageuses,ses emplois au dispensaire de Clichy, mais aussi au laboratoire La Biothérapie. C'est paradoxalement la vente de ces deux pamphlets qui lui permettent néanmoins de survivre. Mais le docteur Destouches tient à conserver une activité médicale. En juillet 1937, il effectue le remplacement du docteur Malouvier au Havre. Il conserve aussi, mais sans être rémunéré, son emploi au laboratoire Gallier. Au moment où éclate la seconde guerre mondiale en septembre 1939, Céline monte un cabinet dans un pavillon de Saint-Germain-en-Laye. Il consulte de 13 à 15h au 15 rue de Bellevue. Il n'est pas mobilisé pour le conflit car réformé et médaillé militaire comme cela est précisé dans l'en-tête de ses ordonnances. Une commission confirmera cette réforme qui ne sera finalement effective qu'en juillet 1942.La clientèle est toutefois peu abondante à Saint Germain et Louis embarque comme médecin de bord sur un navire réquisitionné pour des transports d'armes, le Chella, sur lequel il embarque en décembre 1939 : « Militaire comme tu me connais, tu ne seras pas surpris de me voir devenu médecin de la marine de guerre et embarqué à bord d'un paquebot armé »67(*) écrit il à un de ses amis, le docteur Camus. Le 30 janvier 1940, son contrat prend fin et il retourne à Paris. De Janvier à Mars 1940, Céline est chez sa mère, sans emploi. En Mars, il est nommé médecin chef au dispensaire municipal de Sartrouville, dans lequel il avait déjà travaillé en tant que médecin scolaire. Il y assure des consultations de médecine générale et le service d'inspection médicale des écoles. Alors que les Allemands approchent de Paris, Il participe à l'exode de juin en accompagnant jusqu'à la Rochelle l'ambulance de son dispensaire. Il rentre à Sartrouville le 14 juillet mais se retrouve sans emploi au retour du front des médecins titulaires. Img 2 : Céline sur la route de l'exode avec l'ambulance du dispensaire de Sartrouville En octobre 1940, Destouches apprend que le poste de Bezons doit se libérer en application d'une loi de 1934 sur l'interdiction de l'accès à la fonction publique pour les étrangers. Or ,le médecin de Bezons, le docteur Hogarth, n'est pas naturalisé français et ne remplit pas les critères d'un emploi public. Le docteur Destouches se propose de prendre sa place, multiplie les démarches et est finalement nommé, en décembre 1940, au dispensaire de Bezons qui assure non seulement des consultations mais aussi des visites à domicile. Il exerce sa consultation deux heures par jour, en fin d'après-midi avec des congés de convenance. A cette époque, Destouches s'investit de moins en moins dans sa profession de médecin, même si il garde la même sensibilité et la même attention vis-à-vis de ses patients. En revanche, son activité littéraire est prolixe puisqu'en 1941, il sort un dernier pamphlet contre la guerre, Les beaux draps, passé assez inaperçu et pourtant fondamentalement anti-pétainiste, et travaille à l'écriture de Guignol's band I. En février 1942, son activité médicale se résume essentiellement à une communication à l'école libre des sciences médicales sur le thème de « la médecine standard ».L'activité de Céline médecin pendant la guerre est très mal connue, très peu d'écrits médicaux de cette période nous sont parvenus et seule est certaine son activité aux dispensaires de Sartrouville et Bezons ainsi que sa participation à plusieurs conférences sur l'hygiène. Il est toutefois évident que le médecin Destouches a été confronté aux problèmes de pénurie inhérents à tous les médecins de l'époque : les privations, le manque de médicaments et la distribution des tickets de rationnement. Les témoignages sur son dévouement durant cette période sont nombreux et ne font jamais état d'opinions politiques ou du caractère hautain que l'on pourrait prêter à l'écrivain. Destouches reste au dispensaire de Bezons jusqu'en 1944. Cette année là, Céline est menacé, de par ses prises de positions politiques tapageuses. Il décide de se réfugier au Danemark où, avant guerre, il avait entreposé une partie de l'argent de ses droits d'auteur. En Allemagne, Céline et Lucette, sa femme depuis 1943, sont retenus à Baden-Baden et n'obtiennent pas de visa pour le Danemark. Ils sont d'abord transférés à Kränzlin, village du nord de l'Allemagne et y séjournent jusqu'en octobre 1944 avant de rejoindre la « colonie » française de Sigmaringen, dans le sud,à la suite de l'installation forcée du Maréchal Pétain et du gouvernement de l'Etat Français : « Je suis descendu à Siegmaringen par patriotisme pour entendre parler le français »68(*).Installé à l'hôtel Löwen avec sa femme ,il est immédiatement engagé par la délégation gouvernementale comme médecin de la colonie française,fonction qu'il partagera avec le docteur André Jacquot qui attestera plus tard de « son attitude parfaitement correcte (...) ne sortant de l'affreuse chambre où on l'avait relégué que pour se consacrer à ses obligations,c'est-à-dire pour essayer de soulager ,dans des conditions lamentables,ses concitoyens. »69(*).Car si les besoins sanitaires sont énormes,les moyens dont dispose Céline sont très limités : « J'ai dépensé en Allemagne plus de 500 000 francs emportés de France (...) pour acheter à mes frais tous les médicaments que je trouvais dans les pharmacies allemandes (...) dont nous étions totalement dépourvus »70(*).C'est donc apparemment sans compter que Céline reprit son activité médicale,qui fut brève,cependant : de novembre 1944 à Mars 1945.Le couple Destouches arrive finalement au Danemark le 27 mars. Le 8 mai, la guerre est finie, l'armistice signée et un représentant français au Danemark se charge de faire emprisonner Céline, pour trahison, en décembre 1945.Il ne sera libéré, sur parole et faute de preuve, qu'en juin 1947, après dix huit mois de détention dont plus de la moitié à être soigné pour cause de dénutrition ou de déshydratation. En mai 48, Céline et sa femme s'installent à Klaskovgaard chez leur avocat danois. Son procès, en 1950, le condamne à un an de prison ,50 000 francs d'amende, à la confiscation d'une partie de ses biens et à l'indignité nationale. Il est amnistié en avril 1951 et quitte le Danemark pour rentrer en France, à Meudon, où il ouvre un cabinet médical, dans une maison, au 25 ter. Route des Gardes. Affaibli, très diminué, Céline manifeste toutefois le désir de repratiquer la médecine, activité qui reste un de ses centres d'intérêt majeurs. Il se réinscrit à l'Ordre des médecins de Seine et Oise le 16 septembre 1953 et renoue ainsi, même à petite échelle (il n'aurait eu qu'une vingtaine de patients réguliers en dix ans), avec la compassion et la générosité dont il a, semble-t-il, toujours su faire preuve quand il exerçait avant la guerre. Un témoignage du docteur R.B dans Les cahiers de l'Herne le confirme : « Il devait parfois regretter, étant donné son état physique, de ne plus exercer son art que rarement .Examiner, interpréter des clichés radiographiques, conseiller certains malades (...) était pour lui une source de joie »71(*).Une lettre de Céline au président du conseil de l'ordre du 26 novembre 1956 explique qu'il ne peut plus payer de cotisations parce qu'il n'a pas eu un seul client depuis trois ans...Il consultera presque jusqu'à l'extrême fin de sa vie. Dans sa dernière interview, donnée six mois avant sa mort, il confie ainsi : «J'ai pratiqué jusqu'au mois dernier »72(*), ce qui est probablement faux. La date de mars 1959 est généralement retenue. Mais ses derniers mois d'existence ne sont que souffrance, angoisses et douleur et, le premier juillet 1961, il meurt d'une congestion cérébrale. * 67 L.F.Céline, « Lettre au docteur Camus » in Cahiers de l'Herne,1972, p.104 * 68 L.F Céline in Albert Paraz, Valsez saucisses, Paris, 1950 p.329 * 69 A.Jacquot, Lettre au président de la Cour de Justice du 3/2/1950 in F.Gibault, Cavalier de l'apocalypse, Paris, Editions du Cherche Midi, 1981, p.49 * 70 L.F Céline in F.Gibault, Cavalier de l'apocalypse, Paris, éditions du Cherche Midi, 1981, p.50 * 71 Docteur RB, « Le médecin de Meudon » in Cahiers de l'Herne, p.272 * 72 L.F Céline « la dernière interview de L.F Céline » in Cahiers Céline II Paris, Gallimard, p.227 |
|