Louis Ferdinand Céline:une pensée médicale( Télécharger le fichier original )par David Labreure Université Paris 1 panthéon sorbonne - DEA Histoire et philosophie des sciences 2005 |
III : UN HYGIENISME ANTISEMITE : MISERE DE CELINE :3.1 :CELINE TEMOIN DE LA DECADENCE SOCIALE :DE L'HYGIENISME A L'EUGENISME :
Chez Céline, le discours médical ou, plus exactement, celui de l'hygiéniste s'est souvent pris dans le délire du pamphlétaire comme nous le verrons. De même, le discours de l'hygiéniste tient dans le pamphlet une place assez importante : le pamphlétaire Céline met en garde ses concitoyens... Des textes rapportés à la Société des Nations au milieu des années 20 et jusqu'à 1933, il ne reste que de vagues souvenirs tant la radicalisation de la position hygiéniste de Céline est flagrante. Considérons un aspect de la société française qui émaille son oeuvre tant littéraire que médicale : l'alcoolisme. Les références de Céline à l'alcool, l'alcoolisme sont innombrables, en particulier le mot « vinasse » qu'il affectionne particulièrement et qui dénote le dégoût et le mépris qu'il éprouve envers l'ivrognerie. Celle ci, clinique d'abord, dans le Voyage au bout de la nuit, est inhérente à la condition misérable est déjà présente dans l'évocation de Rancy : « Cent ivrognes mâles et femelles peuplent ces briques et farcissent l'écho de leurs querelles vantardes (...) Dès le troisième verre de vin,le noir ,le plus mauvais,c'est le chien qui commence à souffrir »176(*).Comment ne pas être saisi par ce passage terrible,poignant,concernant les méfaits de la boisson sur le comportement humain : « les enfants dans l'horreur glapissent. Ils découvrent tout ce qu'il y a dans papa et maman »177(*).Le père n'est même plus un homme, il est un mâle, la mère une femelle. Lorsqu'il boit, l'homme en est réduit à l'état de bête, une bête assoiffée, excitée. L'alcool entraîne une intensification de la violence déjà inhérente à la pauvreté et à l'univers misérable. En tout cas, il ne résout rien : « On a beau faire, on a beau boire, et du rouge encore, épais comme de l'encre, le ciel reste ce qu'il est là bas, bien renfermé dessus, comme une grande mare pour les fumées de la banlieue »178(*).On remarquera à quel point cette description d'une banlieue insalubre rappelle celle qu'il nous donne dans Bagatelles pour un massacre : « Les humains se traînent dans Paris. Ils ne vivent plus c'est pas vrai ! (...) ils n'existent qu'au ralenti, en larves inquiètes (...) Ils ne s'émoustillent qu'à l'alcool »179(*). Répondant à l'écrivain Georges Duhamel qui se plaignait que les français lisaient peu et se demandaient où passait leur argent,Céline répond :«Tout leur pognon part à la vinasse !»180(*).Se basant sur un rapport établi par la CGT remis à lui par son éditeur Denoël, Céline, dans Bagatelles pour un massacre, en extrapole certaines conclusions : « C'est pas difficile à trouver ! Ce petit pognon des clients, voyons, remettons nos lunettes, admirons d'autres chiffres ... « l'Alcoolisme en France » parfaitement éloquents, substantiels aussi. « La France est le pays le plus fort consommateur d'alcool du monde...21 litres 300 d'alcool pur (...) La consommation de vin qui était avant 1900 d'environ 35 millions d'hectolitres annuels, devenue ces dernières années d'environ 50 millions d'hectolitres. Il est donc faux de dire que l'alcoolisme diminue,au contraire,il progresse...La répartition,l'habitude de boire a gagné les milieux féminins,certaines habitudes alcooliques sont devenues particulièrement tyranniques ,par exemple celle de l'apéritif »181(*).Voici maintenant la réaction de Céline à ce rapport : « Sur la question du casse poitrine ,il est donc totalement officiel,tangible,palpable que le français ne craint personne (...) lecteur piteux,c'est possible,mais insupportable alcoolique (...) aucun sauvage,aucun civilisé non plus n'approche de très loin le français pour la rapidité,la capacité de pompage vinassier »182(*) .Dans l'entre deux guerres,tout le monde,en France,constate un phénomène accablant,la décadence de la France. Et au centre de cette décadence,la France des apéritifs : « le roi bistrot (...) qui souille,endort,assassine,putréfie »183(*)L'alcoolisme est en effet,à l'époque où Céline écrit Bagatelles pour un massacre,au centre des préoccupations de tous les partis politiques et l'on craint les conséquences néfastes des accords de Matignon de 1936 et des congés payés sur la consommation d'alcool dans le milieu ouvrier...En réalité n'est ce pas aussi pour structurer ,organiser des loisirs (à la montagne,à la mer) pour remédier à la décadence physique et morale du pays ? Eloigner le peuple des bistrots ? On peut faire un parallèle avec Céline déclarant, au sujet du chômage en Allemagne qu'il ne s'agissait «ni de capitalisme ou de communisme (...) mais d'ordre et de bonne foi »184(*).C'est la recherche de l'efficacité qui prime. Dans le même texte, datant de 1933, Céline fait jouer cette notion d'efficacité concernant les problèmes alimentaires outre-Rhin : « Sur quatre Allemands, le premier mange beaucoup trop, les deux autres mangent à leur faim et le quatrième crève lentement de sous-alimentation. Voilà un problème qu'un enfant de dix ans (...) pourrait résoudre en dix secondes (...) Hitler, tout führer qu'il est, aura bien du mal à sortir de ce marasme alimentaire imbécile »185(*). Cette attitude n'est pas sans rappeler les conceptions de Céline en hygiène sociale et en médecine du travail. Celles ci aboutissent sans aucun doute à l'établissement d'une société dirigiste et autoritaire...Mais c'est encore le médecin,le professionnel qui s'exprime ici ,et nous verrons que lorsque l'écrivain prend la parole,la société qui découle logiquement de sa vision est toute autre ,et ce dans beaucoup de domaines. Le Céline de Bagatelles pour un massacre ne pouvait donc qu'applaudir à la politique de loisirs ,du plein air et du sport du front populaire ,reprise plus tard,sous une autre forme et avec d'autres motivations,par le gouvernement de Vichy. Céline passerait presque pour un austère... Or il aime la musique, la danse, la chanson et regrette un passé relativement récent où les gens du peuple étaient gais. Il pense que l'industrialisation, surtout l'urbanisation a tué la joie : « Sozial ! sozial ! C'est vite dit... mais « sozial » d'abord, avant tout, c'est une question d'air et de globules »186(*). La banlieue parisienne de 1914 constitue déjà un cercueil pour ses habitants qui sont des ivrognes,des déséquilibrés,des malades...Pour y remédier,Céline va proposer une solution très proche de celle du Front Populaire : « Tout le monde,toute la ville à la mer ! ... sur des artères de la campagne pour se refaire du sang généreux,éparpiller dans la nature,au vent,aux embruns,toutes les hontes,les fientes de la ville »187(*).Quand Céline constate que « Paris ,à présent,manque de tout (...) l'eau claire ,le vent,les poumons,les fleurs,les espaces,les jardins,les globules rouges,le silence... »188(*),il résume en quelques lignes l'essentiel de tous les programmes urbanistes de l'époque contemporaine,c'est-à-dire des années 1970-90. Cette constatation de la décadence sociale de la France, en cette fin des années 30 est un retour à l'idée, déjà contenue dans les textes médicaux des années 1920, de l'hygiénisme comme politique de santé. Tout s'y trouve : les colonies de vacances de l'après guerre,la politique des espaces verts en ville,les lois anti-pollutions,le bruit considéré comme une nuisance... Ce discours social contient en germes la majorité des difficultés auxquelles sont confrontés ceux qui, de nos jours, se préoccupent de la qualité de vie. * 176 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.264 * 177 Ibid, p.264 * 178 Ibid p.94 * 179 L.F Céline, Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937,p.147 * 180 Ibid p.97 * 181 L.F Céline, citant P.Rieman dans Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937, p 92 * 182 Ibid, p.93 * 183 L.F Céline, Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937, p.93 * 184 L.F Céline, « Pour tuer le chômage tueront ils tous les chômeurs », in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.218 * 185 Ibid, p.218 * 186 L.F Céline, Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937, p.148 * 187 Ibid p.147 * 188 Ibid p.148 |
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