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Louis Ferdinand Céline:une pensée médicale

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par David Labreure
Université Paris 1 panthéon sorbonne - DEA Histoire et philosophie des sciences 2005
  

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2.2 : UNE POLITIQUE ECONOMIQUE DE SANTE PUBLIQUE :

L'instance qui devait conduire cette nouvelle gestion collective de la maladie et de la santé n'est ni la médecine qui soigne l'individu, ni une quelconque instance politique. C'est l'économie. L'ère nouvelle de la mécanisation signifiait que maladie et santé cessaient d'être définies par rapport à des concepts biologiques mais devenaient des notions qui prenaient sens sur le terrain socio-économique. Comme le dit très justement Philippe Roussin : « Dans le monde du taylorisme (...) le savoir médical ne faisait plus autorité en tant que tel »141(*). Pour répondre à ce besoin particulier, « il faut créer des cadres de médecin d'assurance maladie « d'entreprise » qui auront la charge médicale spéciale des assurés, sur les lieux même et pendant la durée du travail »142(*). Céline, devant la misère des hommes et leur incapacité à se prendre en charge, prône l'interventionnisme plutôt que l'assistance. Le développement des assistances sociales, à partir des années 1930, en contribuant à déresponsabiliser le malade, va d'ailleurs considérablement modifier les rapports entre ce dernier et le médecin. Depuis 1900, l'Etat a tenté d'instituer un régime d'assurance vieillesse pour les travailleurs les plus modestes. Un projet de retraites ouvrières et paysannes fondées sur le système de capitalisation voit le jour en 1910 mais sa mise en place est interrompue par la guerre. Ce bouleversement est aussi un temps de rupture dans les mentalités : les besoins de sécurité engendrés par l'industrialisation et le retour dans la communauté française des populations d'Alsace Lorraine, qui ont bénéficié du système d'assurances sociales allemand, vont converger pour inciter les pouvoirs publics à déposer, en 1921, un projet d'assurances sociales, relatif cette fois à la santé en même temps qu'à la vieillesse. L'instauration de ce système allait susciter un des plus importants débats publics de l'entre deux guerres et provoqua les réactions de tous les secteurs de l'opinion et de tous les acteurs de la vie publique. Aucun gouvernement, toutefois, ne prit le risque d'abandonner un projet qui suscitait de grands espoirs dans la population et la loi fut promulguée le 5 avril 1928.L'assurance prévue couvre les risques de maladie, d'invalidité, de vieillesse, de décès, de maternité pour un très grand nombre de salariés. Dans un texte sur les assurances sociales, écrit et publié en mai 1928, soit pendant la rédaction des décrets fixant les modalités d'application de cette loi, Céline s'en prend à ce « collectivisme » qui semble gangrener tous les rouages de la société française de ce début de XX è siècle. Il parle même d'un « monopole de la santé publique par le collectivisme/socialisme »143(*).La loi « socialiste » (pourtant votée par une assemblée de droite, avec Poincaré...) sur l'assurance sociale ne va pas assez loin dans l'esprit réformateur et est une version de cette « pseudo-philantropie » qui risque d'alimenter à son tour la misère, puisque le « malade » ne touchera plus que « 10F par jour » au lieu de « 25F»144(*). Son opinion rejoint à première vue celle des nombreuses voix discordantes, notamment chez les médecins libéraux : celle du docteur E.Lick, notamment, qui dénonçait dans un livre sur « les méfaits des assurances sociales en Allemagne et les moyens d'y remédier », les dangers encourus tant par les praticiens que les malades. Les premiers n'exerceraient plus la médecine « qu'en vrac et en vitesse ». Les seconds seraient victimes d'une « dégénérescence mentale », incités à la paresse, voués au parasitisme social. Derrière tout cela se cache surtout la peur d'une étatisation de la médecine au détriment de la médecine libérale. On pourrait donc penser à un excès de conservatisme de la part de Céline,or,au contraire,il propose -dans son esprit tout du moins,d'aller beaucoup plus loin pour éviter le gaspillage Selon lui ,trois mesures doivent être prises principalement :d'une part :« l'assuré doit travailler le plus possible avec le moins d'interruption possible pour cause de maladie »145(*).D'autre part,le fait que la plupart des malades peuvent travailler,ce qui vient corroborer les dires de la communication à la société de Médecine de Paris sur les usines Ford. Enfin, les malades doivent être soignés pendant qu'ils travaillent et les entreprises de doivent d'« utiliser toutes les possibilités que l'industrie moderne offre à l'emploi des malades »146(*). Il est alors, en cette fin des années 20, un des seuls à évoquer la nécessité d'une médecine du travail institutionnalisée qui n'apparaîtra finalement en France qu'en 1946.Celle ci serait présente à l'usine, au contact des ouvriers, sur le terrain. La politique sanitaire française, inefficace, bureaucratique, dispersée, doit donc être transformée en profondeur dans son mode de fonctionnement et se penser en réelle activité économique ,avec une forme de « rentabilité » : « Il faudra bien se décider quelque jour à intégrer la santé publique dans l'économie nationale (...) comme les chemins de fer et la force hydraulique ,au lieu de la laisser au soin (...) de bureaux disparates »147(*).La médecine et l'hygiène doivent ainsi interagir avec le milieu industriel et lui permettre une rentabilité accrue : « L'hygiène sociale nouvelle ainsi basée sur l'industrie (...) ne se présente pas comme une expérience de politique sociale bienveillante mais comme un taylorisme agrandi »148(*).Selon Céline,on doit sur ce point là s'en tenir au fait purement économique qu'il est bon ,intéressant et rentable pour un chef d'entreprise d'employer et de faire travailler un malade ainsi que d'instaurer dans son entreprise une véritable médecine du travail : « Démontrer au patron qu'il a un intérêt pécuniaire à employer des malades à tous points de vue et à les laisser sous contrôle médical. C'est le bon système, selon nous, d'assurances maladies rationnelles »149(*).Dans la suite de son article sur les assurances sociales, Céline expose sa manière d'envisager cette médecine du travail, tellement indispensable à sa vision de la médecine sociale. Les médecins seront présents directement sur le lieu de travail, au contact de l'assuré : « Ils viendront se mettre au contact permanent du populaire »150(*).Il aura une mission d'information, d'éducation médicale auprès des ouvriers, imprégnés d'un nouveau discours en connexion avec l'univers du travail. Il faut balayer toute anxiété, toute crainte non fondée vis-à-vis de la maladie chez l'ouvrier. Le médecin devra expliquer directement, informer et mener une véritable politique de santé à l'intérieur de l'entreprise, ce qui irait bien au-delà de la simple « vulgarisation médicale » comme le dit Céline. Le rôle du médecin est multiple ; non seulement scientifique, mais aussi « sociologues et philosophes pratiques »151(*).Céline parle de coup d'oeil, d'un médecin capable d'analyser rapidement et assurément une pathologie, directement sur le lieu de travail. Il propose une médecine plus directe car en prise avec l'environnement du malade, une clinique du travail : « médecine d'expectative et de pratique spéciale adaptée à une population nombreuse et toujours au travail »152(*). Cette nouvelle pratique de la médecine sociale, présentée au premier abord comme une médecine qui rendrait service aux travailleurs serait aussi une sorte de « police » sanitaire, une instance de contrôle  sur les lieux de travail :  « Il faut aller patrouiller sur les lieux même où s'utilise la santé des assurés (...) instituer en somme une vaste police médicale et sanitaire »153(*).Tout cela dans le but d'être au plus prés du travailleur,de se rapprocher des réalités économiques ,de transformer le médecin en véritable « praticien du travail »154(*).En proposant d'organiser l'hygiène sociale à partir de l'univers de l'usine,Céline propose de substituer l'usine à la ville en se donnant pour but de réhabiliter la force de travail et d'assurer la santé de la main d'oeuvre nécessaire à la production.

* 141 P.Roussin, Misère de la littérature, terreur de l'histoire, Paris, NRF Gallimard, 2005, p.98

* 142L.F Céline, « Les assurances sociales et une politique de santé publique » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, pp 160-161

* 143 L.F Céline, « Les assurances sociales et une politique de santé publique » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.157

* 144 Ibid p.148

* 145 Ibid p.159

* 146 L.F Céline, « Les assurances sociales et une politique de santé publique » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.159

* 147L.F Céline, « A propos du service sanitaire des usines Ford » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, NRF Gallimard, p.151

* 148Ibid, p.152

* 149L.F Céline, « Les assurances sociales et une politique de santé publique » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.160

* 150 Ibid p.161

* 151 L.F Céline, « Les assurances sociales et une politique de santé publique » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard,p.162

* 152 Ibid p.163

* 153 L.F Céline, « Les assurances sociales et une politique de santé publique » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.165

* 154 Ibid p.165

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery