INTRODUCTION :
« J'avais uniquement une vocation
médicale, et je regrette l'avoir un peu négligée. Je me
serais livré entièrement à la médecine, je n'aurais
pas eu tant d'ennuis et alors je me suis livré...je me suis livré
à la littérature et il m'en a coûté très
cher »
L.F.Céline, interviewé par R.Sadoul, mars 1955 pour le
magazine littéraire
Louis Ferdinand Destouches est né le 27 mai
1894 à Courbevoie en région parisienne. De condition petite
bourgeoise (son père travaille dans les assurances et sa mère est
dentellière), ses parents le destinent au commerce et l'envoient,
rareté à l'époque, faire deux longs séjours
linguistiques en Angleterre et en Allemagne. Après divers
apprentissages, notamment chez de grands joailliers, il s'engage comme
cuirassier en 1912.Griévement blessé dés le début
de la guerre, il est réformé puis affecté au consulat
français de Londres. De retour à Paris, le jeune Destouches
repart en 1916 pour l'Afrique où l'attend un emploi de surveillant de
plantation. Atteint de paludisme, il est rapatrié et, tout en
travaillant, entreprend des études de médecine, en 1919,
études qu'il mènera à bien. Chargé de mission et
rapporteur pour la Société des Nations, médecin, il
s'engage dés 1928 dans la composition d'un vaste roman
autobiographique, Voyage au bout de la nuit, paru en 1932 sous le nom
de L.F Céline (Céline était le prénom de sa
grand-mère) et dédicacé à sa liaison d'alors la
danseuse Elisabeth Craig. Ce roman l'impose d'emblée comme l'un des
écrivains majeurs de son temps autant pour le style, transposition
originale de l'oralité populaire, que pour la modernité des
thèmes abordés : antibellicisme, injustice coloniale,
inhumanité du machinisme fordien... Il manque de peu le prix Goncourt
mais est consacré par ses pairs. Par la suite, Céline
déçut ses partisans en réinscrivant son oeuvre, de 1937
à 1943 dans une tradition pamphlétaire anticommuniste à
dominante antisémite. Réfugié au Danemark dés 1944
,puis mis en résidence surveillée,il entreprit après son
amnistie ,de rentrer en France pour y finir son oeuvre romanesque,en
n'affichant plus que des ambitions de pur styliste.
La postérité reconnaît donc Louis
Destouches comme un écrivain mais celui ci resta avant tout un
médecin. Son expérience de médecin nourrit d'ailleurs son
oeuvre autant que celle de la guerre, dont il fut acteur en 1914-18 et en
1939-45, ou ses voyages. On a parfois évoqué le médecin en
lui mais l'on n'a pas insisté sur cet aspect de l'homme, primordial et
déterminant finalement tous les autres qu'il n'a lui-même jamais
cessé de revendiquer .On pourrait même parler d'une
véritable condition médicale chez l'écrivain
Céline. Cette condition médicale apparaît parfois avec une
telle évidence qu'il arrive de confondre l'écrivain et le
médecin, de constater que les frontières entre sa
littérature et la médecine sont difficiles à trouver. En
revanche, la carrière médicale de l'homme, elle, est facile
à retracer : la vocation médicale de Céline est
très ancienne, sans nul doute antérieure à sa vocation
littéraire. Très tôt, l'hygiène s'est trouvée
associée pour lui à la médecine, ne fût ce que parce
que c'est à une activité d'hygiéniste qu'il a du
concrètement de pouvoir faire des études médicales et
d'accéder à la médecine soignante. Il est cependant
indéniable, comme le dit Jacques François dans sa thèse de
médecine consacrée à Céline, que « le
métier appris par Destouches à Rennes n'a jamais cessé de
transparaître dans les écrits de Céline »1(*) .Les textes purement
médicaux écrits durant la période 1924-1932,
essentiellement pour le compte de la SDN, tout comme le parcours médical
de Céline lui-même,fournissent ainsi,en quelque sorte,une
matière première qui va nourrir progressivement l'imaginaire
romanesque de Céline :la condition misérable,la
pauvreté,les difficultés d'exercer le métier de
médecin dans la société urbaine et industrielle du
début du XX è siècle,l'alcoolisme et la
déchéance humaine aussi...Tous ces thèmes ont
inspiré l'imaginaire romanesque célinien et nous constaterons
qu'il existe un véritable dialogue entre le texte médical et le
texte littéraire, l'écrivain Céline étant souvent
sollicité par le regard de l'hygiéniste Destouches : le
Voyage au bout de la nuit, par exemple, constitue une véritable
« géographie de la pauvreté » : il est
question d'insalubrité et de précarité des logements, d'un
environnement pollué, rance et de contraintes économiques
pénibles. Toutes ces choses ont aussi fait partie du vécu du
Docteur Destouches dans les dispensaires de Bezons, Clichy ou Sartrouville. Ces
thèmes ont également été traités de
manière abondante dans ses contributions de médecine sociale.
Aucune figure médicale n'est épargnée dans ses
romans :ni l'aliéniste,ni le généraliste,ni le
médecin de dispensaire,ni le chercheur,ni le chirurgien (voir les
personnages des docteurs Omanon,Frolichon,Baryton et Capron),professions qu'il
a ,là encore,approché d'une manière ou d'une autre au
cours de son parcours médical. Le discours pamphlétaire de
Céline, quant à lui, mêle regard médical et
convictions pacifistes au service d'un discours raciste et
antisémite : les pamphlets sont ainsi truffés de vocabulaire
et de pensée médicale. Cette pensée médicale qu'il
considérait pourtant comme « la seule pensée vraiment
humaine qu'il soit peut être au monde »2(*)...L'objet médical, nous
allons le voir, est donc transversal à tous les écrits de
Céline. Il n'y a pas, à l'intérieur de son oeuvre, qu'un
seul aspect dans la pensée médicale mais une pluralité,
celui-ci ayant touché à des aspects bien différents de la
pratique. Il est donc normal de retrouver, dans les écrits de
Céline, ses conceptions médico sociales personnelles.
Céline a en effet tiré de son regard quelques principes, parfois
très novateurs pour l'époque, qui sont en quelque sorte sa
réponse scientifique aux problèmes de son temps.
Les écrits médicaux de Céline
ont leur propre langage, un langage qui échappe au langage purement
médical. Le docteur Destouches exprimait ses idées
médicales comme un écrivain : son directeur de thèse,
le docteur Brindeau, dira même qu'il était fait pour
écrire .Le succès toujours croissant de l'écrivain va
ensuite permettre la publication progressive des écrits du
médecin. C'est donc aussi grâce à l'écrivain
Céline que nous connaissons non seulement Semmelweis, mais aussi tous
les textes publiés la plupart pour le compte de la Société
des Nations entre 1924 et 1933.Il n'est pas difficile de discerner tout ce par
quoi un personnage comme Semmelweis pouvait fasciner Céline : une
personnalité hors normes, sensible au malheur et à la souffrance
des hommes, une découverte qui aurait du faire de lui un bienfaiteur de
l'humanité, le calvaire qu'en réalité cette
découverte imposa au savant. Les textes de médecine sociale et
d'hygiène ne sont pas moins importants. Quoi qu'il en soit de leur
réelle valeur scientifique, il est clair que cet ensemble de
réflexion est au centre de l'univers de Céline et que ces textes
n'ont pas moins de rapport avec l'oeuvre proprement dite que
Semmelweis. En revanche, la progression des textes médicaux de
Louis Destouches nous montre aussi un cheminement vers une impasse : dans
l'écrit médical, on le sent à l'étroit, comme s'il
ne pouvait pas dire tout ce qu'il voulait dans ce genre d'écrit,
où la parole est insuffisante, alors que l'écriture romanesque
permet de faire passer des idées concernant l'Homme, la santé,
l'hygiène en dehors des contraintes de l'encadrement médical.
Certes, certains écrits médicaux, comme le Mémoire pour le
cours des hautes études de 1932, possèdent déjà un
regard critique sur le métier, destiné à le
réveiller mais pas à le scandaliser ou à le choquer .Le
mérite de ces textes tient essentiellement à ce qu'on peut les
situer au carrefour des pamphlets et des romans. La réalité
sociale dont ils traitent est la même que celle représentée
plus tard dans ces derniers, non sans d'éventuels changements de points
de vue, comme en témoigne le cas exemplaire du travail aux usines Ford
de Detroit. Mais ils ne sont pas moins liés aux pamphlets dont les
questions d'hygiène (alcoolisme, salubrité) sont un des fils
conducteurs. On pourra ainsi trouver dans l'étude de ces textes, un
point de repères où les questions d'hygiène sont
abordées pour elles mêmes, d'un point de vue professionnel et, en
principe, rationnel et en dehors de toute profession de foi et de tout
fanatisme. On peut avancer l'hypothèse que ces textes médicaux
constituent une étape préparatoire à la réalisation
de ses romans. Ce serait toutefois négliger le côté
proprement romanesque de l'oeuvre littéraire de Céline. Si l'on
compare attentivement ces deux types d'écrits,on s'aperçoit que
les principes médico-sociaux sont transposés de l'un à
l'autre,les idées du discours scientifique sont
répétées,plus que transcendées dans ses romans.
Elles le sont toutefois avec une grande précision et une certaine
systématisation. La question des romans s'inscrit donc dans un
prolongement immédiat : dans son imaginaire romanesque, nourri de
détails autobiographiques, la médecine joue un rôle
prépondérant. Dans sa visée iconoclaste du Voyage au
bout de la nuit, Céline n'a épargné ni la
médecine ni les médecins. Il a intégré le regard
médical à son style littéraire, argotique, populaire, ce
qui a pu choquer le public à l'époque de la parution de ses
premiers romans. Davantage que dans la structure même de ses romans
proprement dits, ce serait donc dans sa vision globale du monde qu'il faut voir
l'influence de la médecine. En conséquence, la vision
célinienne du monde semble être avant tout un regard, celui du
médecin, celui d'un homme penché sans cesse sur la misère
du monde , qui ne trahira jamais une vocation médicale toujours
revendiquée et servie. A cette vision un peu idéale, il
conviendra toutefois d'essayer de rétablir quelques
vérités sur une pensée médicale qui ne fut pas
claire du tout : ne faudrait il pas confronter cette vocation de
médecin, à laquelle correspond cet idéal qu'est
Semmelweis, véritable saint laïc au destin tragique, à cette
médecine sociale tendant vers une efficacité souvent dangereuse,
et cependant terriblement ancrée dans son époque ?
Pour appréhender les divers aspects de cette
pensée médicale riche, ambïgue et finalement passionnante,
nous avons dégagé trois angles d'étude à la
lumière d'outils d'analyse à chaque fois différents :
en premier lieu, la biographie, le parcours médical d'un homme, d'un
médecin qu'il nous a semblé indispensable de rappeler et de
préciser. Nous nous demanderons ici quelles furent les activités
de médecin de Céline, quel médecin il était,
comment il acquis la vocation médicale et hygiéniste. Ensuite,
nous poursuivrons notre étude en nous penchant de plus prés sur
les écrits médico-sociaux du docteur Destouches,contenus
essentiellement dans des textes réunis dans les Cahiers
Céline III ,soit les rapports effectués pour le compte de la
SDN. Sans oublier les pamphlets, Bagatelles pour un massacre, Les
Beaux draps, qui abordent un autre versant de l'hygiénisme
célinien. De l'étude de ces textes nous montrerons qu'il ressort
une véritable pensée hygiéniste ancrée dans son
époque, celle de l'industrialisation, de la guerre, des conditions de
vie difficiles en ville. Dans la continuité de ce dernier point, nous
nous interrogerons dans une troisième partie sur la symbiose parfaite
entre l'écrivain et le médecin qui amène Céline
à proposer dans l'intégralité de son oeuvre, de la
thèse de médecine sur Semmelweis à la figure du
médecin des pauvres dans ses romans, une sorte de personnage
médical idéal mais forcément déçu lorsqu'il
se heurte à la médiocrité et à la
« lourdeur » des hommes et du monde.
I : CELINE MEDECIN :
I: LES DEBUTS MEDICAUX DE LOUIS DESTOUCHES :
1917/1924
1.1 : LA VOCATION MEDICALE DE LOUIS DESTOUCHES:
La médecine est une activité que l'on
embrasse par vocation ; elle est une institutionnalisation de valeurs
altruistes, un service social et technique qui confère autorité
et responsabilité .Céline a, depuis sa lointaine enfance,
ressenti ce besoin d'aller vers la souffrance des hommes : « Ma
vocation c'était la médecine...Tout petit, je rêvais
d'être médecin, de soigner les gens...Vers 5 ans je crois
bien ».3(*)
Céline, à Meudon, à la fin de sa vie, malgré le
manque de clientèle au cabinet et sa santé défaillante,met
l'accent sur son activité médicale: « C'est
médecin que je suis (...), rien qu'un médecin tout à fait
ordinaire de banlieue. »4(*).Malgré le temps, les voyages, le succès
littéraire et les épreuves, Céline demeure médecin
et ne cesse de le répéter : « Non je ne suis
pas écrivain, c'est médecin que je suis, c'est ce dont je suis le
plus fier »5(*).L'écrivain n'a ainsi jamais manqué de
souligner les différences entre l'acte d'écrire et le pouvoir de
donner ou de maintenir en vie : « C'est que la vocation
littéraire, je l'avais pas du tout. Je considérais le
métier littéraire comme une chose tout à fait
grossière, prétentieuse, imbécile (...) alors que j'ai
toujours eu la vocation médicale...Oh, profonde... »6(*).C'est donc d'abord d'un profond
désir intérieur que semble être né le choix de la
médecine chez Céline.
On retrouve effectivement très tôt les
traces de cette envie : lorsqu'il est surveillant de plantation au
Cameroun, en 1916, il écrit ainsi à son amie Suzanne
Saintu : « A part cela je tâche de faire bien (...), je
soigne le plus de nègres possibles, quoique que je ne sois pas bien
persuadé de leur être utile »7(*).A cette époque, ses
préoccupations hygiénistes ultérieures sont
déjà en germe. Il fait ainsi quelques petites études
scientifiques, « pour (se) convaincre de visu de la
nocivité de ces alcools (...) sur les singes »8(*).Cette préoccupation, on
la retrouve aussi dans ses correspondances ultérieures, Céline
n'omettant jamais de prodiguer à son destinataire un conseil
médical ou d'hygiène. Ainsi à Simone Saintu, en
1917 : « N'omettez point de brûler cette lettre, elle doit
contenir des billions de microbes »9(*), ou à sa femme Lucette, trente ans plus tard,
qu'il couvre de recommandations depuis sa geôle danoise :
« (...) Mange surtout. Il le faut. Ne pas manger déprime
atrocement, plus de force pour combattre (...) Il faut que tu pèses et
vite 58 kilos. C'est la balance qui bat la tuberculose, pas la prière ni
les mots »10(*) , ou encore à son ami A.Parraz, atteint
de la tuberculose qu'il assiste de ses conseils, surveillant
régulièrement ses examens et son traitement.
Une composante essentielle de la vocation
médicale de Céline est l'admiration pour le geste technique, au
sens véritable de techné, du médecin. La
médecine, pour lui, sera avant tout un art qui vise à changer
l'état indésirable et négatif qu'est la maladie. Il s'agit
d'un savoir acquis, certes, mais requérant avant tout une
compétence technique spécifique. Cette fascination, Céline
l'avoue bien volontiers dans un entretien avec Jean Guenot, en 1960 :
« J'avais une admiration énorme pour les médecins (...)
c'est la médecine qui me passionnait (...) Je voyais un type, moi, qui
guérissait, qui faisait des choses étonnantes avec un corps qui
n'arrive pas à marcher. Je trouvais ça, absolument... un
magicien... »11(*).Le médecin était un homme qui faisait
des choses stupéfiantes avec les corps malades :il apparaît
aux yeux du jeune Destouches comme celui qui est capable de tous les miracles,
il peut réparer, ouvrir, fermer les corps, et donne l'image d'un
véritable sur-homme, voire un saint. Accent particulièrement
mystique de l'écrivain qui souligne la haute opinion qu'il s'est
faite,très tôt , de son métier et à quel niveau il
a voulu hausser l'exercice de sa profession pour revêtir ,le plus souvent
possible,le rôle d'intervenant magique qui ,d'un geste ou d'un mot ,peut
rendre la santé. Voilà qui aidera l'étudiant en
médecine Destouches qui se souviendra de ces impressions au moment de
choisir le sujet de sa thèse en 1924... Céline s'amuse à
déceler une rougeole, éprouve une satisfaction dans la
guérison d'une varicelle. C'est, naturellement, une question de
tempérament : « Quand j'ai pratiqué la
médecine, il y a trente cinq ans maintenant, ça me faisait
plaisir de guérir un rhume de cerveau (...) de m'amuser avec une
rougeole (...) j'étais soigneur de
tempérament »12(*).Mais l'essentiel de la vocation médicale n'est
pas là. Céline dépasse ce geste technique dont il
n'accepte que du bout des lèvres la rémunération, comme il
le rappelle dans D'un Château l'autre : « Rien
à me reprocher ! Seulement un petit truc...que je demande jamais
d'argent ; je peux pas tendre la main »13(*).Pour Céline il s'agit
d'un appel beaucoup plus profond qui l'engage à répondre à
la misère de l'homme : « La souffrance de l'homme (...)
si il souffre il va être encore plus méchant qu'il n'est
d'habitude (...) c'est pas la peine (...) qu'il aille bien
quoi... »14(*) ; Un acte médical que l'on ferait payer
serait une sorte de trahison de celui ci, gratuit par essence. Céline
l'a bien montré dans le Voyage au bout de la nuit :
« La médecine c'est ingrat. Quand on se fait honorer par les
riches on a l'air d'un larbin, par les pauvres on a tout du
voleur »15(*).Céline semble avoir toujours été
disponible et patient pour ceux qui l'approchaient. Il est toujours
resté réceptif à la misère concrète, celle
de sa clientèle médicale, mais aussi de ses amis, de ses proches.
La vocation médicale n'exclut personne. La souffrance, la maladie, la
blessure sont suffisantes pour intéresser le médecin :
« Je trouverai un soir Madame Jacob en plein cancer envahissant du
ligament large (...), je suis le charitable en personne ! Même
envers le plus pire rageur haineux...le plus pustuleux,
tétanique »16(*) ou encore : « Je varierai pas d'un
iota...mon style, ma façon...je suis le samaritain en
personne...samaritain des cloportes...je peux pas m'empêcher de les
aider »17(*). Son désintéressement semble total
comme le constate le chirurgien Thailhefer que Céline a
côtoyé au dispensaire de Clichy : « De tous les
médecins qui travaillaient au dispensaire de Clichy, il était le
seul qui n'utilisait pas ses heures de liberté à faire de la
clientèle. Il continuait à soigner les
indigents »18(*).L'attitude de Céline en tant que
médecin ne semble toutefois pas aussi clair qu'il n'y paraît et si
cette vocation semble bien réelle,et bien sincère ,nous allons
voir que dans la pratique,le docteur Destouches fut un bien étrange
médecin...
1.2: ETUDES ET DEBUTS MEDICAUX:
L'entrée de Louis Destouches dans le monde
médical s'est d'abord faite aux Urgences de l'hôpital militaire
d'Hazebrouck, le 25 octobre 1914 lorsque le cuirassier Destouches est
arrêté dans ses élans guerriers par un éclat d'obus
fracturant son bras droit. Une blessure qu'il devait amplifier par la suite, et
agrémenter l'image d'Épinal du mutilé de guerre... Si l'on
met à part cette hospitalisation à la suite de sa blessure de
guerre en 1914, c'est probablement en Afrique, en 1916 que Louis-Ferdinand
Destouches connaît sa première expérience médicale.
Il est alors surveillant de plantation au Cameroun dans une compagnie
forestière prés du village de Bikobimbo, le Fort Gono du
Voyage. Il doit alors s'improviser médecin et est ainsi
confronté à la nécessité de soigner :
« Je suis à la tête d'une pharmacie (...) je fais de
grandes quantités d'injections d'Atoxyl contre la maladie du sommeil
(...) ainsi que bien d'autres maladies »19(*) écrit il dans une
lettre adressée à son amie Suzanne Saintu. Pour lutter contre les
épidémies, il se voit contraint de demander à ses parents
l'envoi de divers médicaments et instruments médicaux qui lui
permettront ainsi de venir en aide aux populations qui vivent sur la
plantation. Durant cette période, Destouches est lui-même
confronté à la maladie et reste hospitalisé à
l'hôpital de Douala. Atteint de paludisme et ne voulant pas subir le sort
commun : « A Douala (...), j'ai vu bien des gens fondre,
s'avachir, disparaître engloutis »20(*), il est définitivement
rapatrié en France en avril 1917.Au début de cette même
année, l'un des organismes de la fondation Rockefeller - qui a pour
vocation d'améliorer la santé publique et favoriser la recherche
médicale, le bureau international d'hygiène, envoie une
commission d'enquête sur la tuberculose en France. Cette commission est
restée connue sous le nom de « mission
Rockefeller ».Ses conclusions sont accablantes : il recense
quelques 440 000 cas avérés de tuberculose en France. L'un
des bureaux de cette commission, le service propagande et publicité
dirigé par le docteur S.M Gunn recrute sur petites annonces du personnel
pour ses équipes ambulantes de propagande. Celles ci devaient aller de
ville en ville distribuer des brochures et dispenser des conseils
d'hygiène. Un des postes fut confié à Albert Milon,qui
attira son ami Louis Destouches,rencontré lors de leur hospitalisation
au Val de Grâce pendant la guerre, dans cette aventure. Le premier texte
médical auquel participe Destouches date de février 1918, il
s'agit d'un article paru dans le numéro de juin d' Eureka, revue de
l'invention dirigée par Raoul Marquis, inventeur et
vulgarisateur scientifique qu'il a rencontré à l'automne 1917 et
qui va lui aussi être engagé dans la mission Rockefeller. Il
s'agit en fait d'une traduction d'un message du docteur Nutting21(*) à
« l'Associated Engeneering society of Worcester »
concernant l' « Utilisation rationnelle du
progrès » dont l'idée principale était de
trouver des applications pratiques aux découvertes de la science et
montrer les difficultés soulevées par cette idée. Le 10
mars 1918, la Mission Rockefeller est à Rennes, ville choisie pour
donner le coup d'envoi de son action de propagande, à la demande du
docteur Anasthase Follet qui a grandement oeuvré pour le bon
déroulement de cette mission. Celle-ci parcourt toute la Bretagne
d'avril à décembre et a pour tâche d'informer les
populations de l'ouest de la France sur les dangers de la tuberculose qui,
encore à cette époque, fait des
ravages .Conférencier, Louis se révèle être un
orateur plutôt convaincant : « Il a parlé avec une
grande science de la question et avec un art goûté des plus fins
connaisseurs »22(*), rapporte un journaliste rennais. Sans être
brillant, avec le souci majeur de se faire comprendre, Louis apprend sur le tas
les ficelles d'orateur: « On faisait des conférences dans les
écoles sur la tuberculose. On en faisait parfois jusqu'à cinq ou
six par jour »23(*) .
img 1 : La mission
Rockefeller, Rennes ,1918 (Céline est 2é en partant de la
gauche)
En décembre 1918, le jeune Destouches, alors
âgé de vingt quatre ans, quitte provisoirement la fondation
Rockefeller. En effet, l'armistice lui offre la possibilité en tant
qu'ancien combattant de passer un baccalauréat au format restreint, il
est ainsi dispensé de certaines épreuves écrites. Il en
passe une partie en avril 1919 puis repart pour la mission Rockefeller
immédiatement après. En juillet 1919, il obtient officiellement
le précieux examen après en avoir passé la seconde partie.
Après s'être marié avec la fille du docteur Follet, Edith,
il s'installe à Rennes et obtient le PCN, un certificat d'études
en sciences physiques, chimiques et naturelles, préalable aux
études médicales, en mars 1920 .Avec la bienveillance et le
soutien du docteur Follet, il s'inscrit à la faculté de
médecine le mois suivant. Les deux années d'études qu'il
entreprend - aux lieu des quatre nécessaires en temps normal,toujours
grâce aux avantages prodigués aux anciens combattants- se
solderont par la réussite aux premiers examens (anatomie,physiologie et
médecine opératoire).C'est l'époque des premiers stages
hospitaliers où il laisse selon Jean Guenot,le souvenir d'
« une qualité rare chez les étudiants :la
facilité d'entrer en contact avec les malades »24(*).Durant cette même
période,il se lance dans une expérience pratique de recherche
dans le laboratoire de zoologie marine de M.Delage à la station
biologique de Roscoff,d'où il ressort une étude sur des petits
vers plats qui se fixent sur les algues,les Convoluta Roscoffensis...
Au printemps 1921, une deuxième étude est déposée
à l'Académie des sciences, consacrée à
« la prolongation de la vie chez Galleria
Mellonella ».Destouches rencontre à cette époque
le professeur Lwoff prix Nobel de médecine en 1965 qui dira à son
propos, probablement non sans raison et avec une condescendance indulgente pour
le jeune chercheur, que « Nul ne regrettera qu'il ait sacrifié
le métier de chercheur à celui
d'écrivain ... »25(*). Il sera également, brièvement,
chercheur en bactériologie dans le laboratoire du professeur Baudin. La
plupart des biographies de l'écrivain - celles de François
Gibault ou de Frédéric Vitoux notamment, s'accordent pour dire
que Destouches était au final un étudiant plutôt
doué et intelligent, proche des malades lorsqu'il effectuait ses stages,
généreux, passionné mais parfois naïf et souvent
désordonné dans son approche .Sa fréquentation de
l'institut Pasteur lui vaudra quelques pages inoubliables du Voyage au bout
de la nuit consacrées à la description de l'institut
Bioduret-Joseph et de ses fantoches :la tombe du grand savant
« parmi les ors et les marbres »,la crypte
« fantaisie bourgeoiso-byzantine »26(*),les manies du savant
Parapine,les lieux,les odeurs évoquent avec plus de vrai que nature la
célèbre maison Pasteur. S'il y avait sans doute,à cette
époque,de bons chercheurs à l'institut Pasteur,il y en avait
aussi,comme dans toute communauté scientifique,des médiocres...
l'oeil déjà inquisiteur de Céline s'était
attaché plutôt à eux qu'aux autres :
« Les plébéiens de la Recherche ne pouvaient compter
que sur leur propre peur de perdre leur place dans cette boîte à
ordures chaude , illustre et compartimentée »27(*).Et c'est Louis Pasteur en
personne qui porte la responsabilité de tout cela :
« C'est à cause de ce Bioduret que nombre de jeunes gens
optèrent depuis un demi-siècle pour la carrière
scientifique. Il en advint autant de ratés qu'à la sortie du
conservatoire »28(*).On peut s'interroger sur la vision
délibérément pessimiste ; s'exprime sans doute ici
une vive sensibilité, transformée en sarcasmes et en cynisme pour
construire l'oeuvre. Cette courte période, anodine au premier abord,
laissa donc plus de traces qu'il n'y parait... En décembre 1922,
Destouches est autorisé à poursuivre ses études à
Paris, où il continue aussi ses stages, en maternité (notamment
à la maternité Tarnier à Paris) ou en chirurgie, à
l'hôpital Cochin chez le professeur Delbet. Il continue son cursus
universitaire durant l'année 1923, effectuant même des premiers
remplacements à Rennes dans la seconde moitié de
l'année : du 1er juin au 31 août,c'est celui du
docteur Porée et d'août à novembre,celui du docteur
Follet,son beau père. Il passe ses derniers examens, réussit les
épreuves cliniques et est autorisé à soutenir sa
thèse ; c'est ainsi que le début de l'année 1924 va
être consacrée à ses travaux sur la vie et l'oeuvre de
Ignace Philippe Semmelweis. Les cent cinq exemplaires réglementaires
sont déposés à la faculté le 4 avril 1924 et
Destouches soutient sa thèse le 1er mai devant un jury
familier : la présidence en est assurée par le docteur
Brindeau, directeur de la thèse qui fut maître d'un de ses stages.
Il est entouré du professeur Marechal qui fut chef de clinique de
Destouches, d'Anasthase Follet son beau père et de Selskar Gunn, son
ancien patron à la fondation Rockefeller. La qualité de son
travail séduit et il obtiendra même une mention très
bien.Mais le docteur Destouches se cherche une nouvelle orientation, hors des
voies de la routine. Il effectuera encore quelques remplacements fin mai 1924
mais des contacts sont déjà pris avec la Société
des Nations. Il y est engagé à la fin du mois de juin 1924.
Céline va dés lors beaucoup s'impliquer dans la promotion de
l'hygiène, persuadé que les hommes sont responsables, par leur
mode de vie, de la plupart de leurs maux.
II: CELINE MEDECIN HYGIENISTE 1924/27
2.1 : L'ENTREE A L'
« EGLISE »
« - Mais pourquoi ce titre,
« L'Eglise » ?- parce qu'il me semble assez bien
résumer la Société des Nations, une église
quoi ! Avec ses dirigeants, son personnel. »29(*).
C'est donc bien dans une Eglise que le docteur Destouches a
l'impression de pénétrer ce jour là.
Réengagé par la fondation Rockefeller le 27 juin 1924, il est
aussitôt mis à la disposition de la section d'hygiène de la
Société Des Nations.Celle-ci est une grande organisation
internationale née du traité de Versailles en 1920 et la section
d'hygiène y représente une des organisations permanentes
contrôlées par le secrétariat général ;
elle est dirigée par le docteur Ludwig Rajchman, depuis 1921 que,
grâce à l'appui du professeur Gunn, son supérieur à
la mission Rockefeller, Destouches va rencontrer à Paris en mai
1924.Quelques lettres de recommandation et le passage du concours de
médecine maritime pour appuyer sa candidature d'un titre
d'hygiéniste complètent la recommandation du docteur Gunn.
Séduit par la personnalité du jeune médecin, Rachjman
l'engage en tant que « Technical Officer », c'est à
dire membre de section au secrétariat d'hygiène à
Genève. Réciproquement,Céline conservera,jusque dans
Bagatelles pour un massacre,un respect pour ce médecin juif
polonais : « Faut lui rendre justice,il était
beaucoup moins con que les autres ,dans le genre des grands savants,bien moins
mesquin,moins abruti,moins prétentieux »30(*).Louis,installé à
Genève, est enthousiaste à ses débuts :« C'est
ici que se trouve ton vieux Louis. Ici, dans la ruche internationale (...)
cette fois j'embrasse des problèmes d'hygiène de belle envergure
et, mon dieu, j'aime cela »31(*).Mais il va vite déchanter, cantonné, la
plupart du temps, aux tâches bureaucratiques à Genève. Il
participe également à divers travaux ,en qualité de
rédacteur,ayant en vue, notamment, l'organisation d'un système
d'échange entre les services sanitaires dans les colonies en
collaboration avec les Dr Brumpt et Abatucci .En novembre 1924, il
accomplit une première mission aux Pays-Bas. En janvier 1925,Rajchman
propose que Destouches ,revenu à Paris,fasse partie d'un voyage
d'information intercontinental avec une cohorte de médecins
latino-américains. C'est ainsi que Louis va découvrir, pour la
première fois l'Amérique du Nord, première destination
choisie pour cette mission. En février 1925 il embarque donc pour New
York. Il rejoint les participants à la mission le 1er mars
à La Havane ; le voyage commence donc par Cuba puis se poursuit en
Louisiane, dans le Mississipi et l'Alabama, soit tout le sud des Etats-Unis, et
est rythmé par divers discours, visites, conférences des
intervenants et visites guidées de différentes réalisation
en matière d'hygiène et de médecine du travail. Le groupe
rejoint ensuite Washington puis atteint New York et surtout Detroit et ses
usines Ford dont Destouches tirera un rapport pour la SDN, une communication
à la Société de Médecine de Paris et bien entendu
un fameux passage du Voyage au bout de la nuit. La mission en
Amérique se termine au Canada et Louis gardera toujours une grande
fascination pour ce continent qui apparaîtra dans beaucoup de ses
oeuvres. Dans une lettre à Rachjman le Docteur Destouches se plaint
d'ailleurs du programme « trop rapide et pas assez
technique ». Au retour, il accompagne encore les médecins en
Hollande, puis en Italie dans un véritable périple de 160 jours
qui se termine en août 1925.La même année,il rédige
quelques rapports et publie, à compte d'auteur, La quinine en
thérapeutique, une compilation très technique plus qu'un
véritable écrit personnel, une somme des connaissances de
l'époque sur ce médicament de plus de quatre vingt pages dont on
nous dit qu'elle est « sans objet et sans utilité
médicale ».Il s'agit probablement d'un travail pour
l'organisation de santé de la SDN,une sorte de
« commande ». L'année suivante, le docteur
Destouches repart en Afrique avec un autre groupe de médecins mais dans
des conditions bien différentes de son premier séjour, dix ans
auparavant. Les archives de la SDN ne conservent aucun rapport de Louis
Destouches sur son périple africain, pour la simple et bonne raison
qu'il n'en écrivit pas, traitant avec une certaine désinvolture
les obligations que lui conférait sa mission. De ce voyage difficile, il
tirera le premier acte de sa première pièce, L'Eglise,
où il donne sa propre vision du colonialisme. C'est l'ennui de
Céline pour le caractère trop administratif de la SDN qui
alimentera les second et troisième actes de L'Eglise et le
mettra de plus en plus à l'écart de l'organisation. Lui
même fait, dans l'acte III, une sévère appréciation
de son travail : « Docteur en médecine, français,
au service de nos commissions sanitaires pendant quatre ans (...)
scientifiquement médiocre, administrativement nul »32(*).
2.3 :LES PREMIERS TRAVAUX POUR LA SDN:LA MISSION
AMERICAINE :
Ces premiers écrits auxquels on peut
accéder dans le numéro III des Cahiers Céline (NRF
Gallimard) sont en fait une série de rapports commandés par le
docteur Rachjman au docteur Destouches lors de sa mission d'accompagnement de
médecins latino américains à travers les Etats-Unis,
mission dont nous avons déjà parlé. Ces rapports sont
intéressants dans ce qu'ils montrent un souci d'analyse et un
véritable intérêt pour ce que nous appellerions
« politiques de santé ».Destouches, fasciné
par l'Amérique, anglophile depuis longtemps, trouve là un premier
terrain d'observation qui va anticiper d'une part certains des plus beaux
passages du Voyage au bout de la nuit mais aussi la réflexion
qui ne cessera de s'affiner sur les problèmes d'hygiène et de
santé publique. Cependant, Destouches n'émet aucune idée,
aucun programme médico-social quelconque. Le docteur Destouches observe,
accumule les expériences sans, pour l'instant, les interpréter.
Le ton reste ainsi relativement neutre. Ces textes sont donc à
différencier de certains écrits ultérieurs beaucoup plus
intéressants du point de vue des idées personnelles et d'une
véritable « vision » hygiéniste.
La première étape du voyage est la
Louisiane, du 12 au 21 mars 1925.Louis et les autres médecins sont
accueillis par le président du conseil de santé et emmenés
dans plusieurs villages pour s'enquérir des « conditions
agricoles, industrielles et sociales ».Ils observent la population en
général, la population blanche comme la population noire. Si la
première semble en relative bonne santé, l'état
général de la seconde est plus mystérieux. La
mortalité est nettement supérieure chez les noirs. Destouches
constate dans son rapport que la préoccupation de la population aux
questions d'hygiène est plutôt correcte. Il vérifie cela
à l'abondance des articles dans les journaux ou au recensement des
activités incitatrices à l'hygiène à
l'école. Destouches salue le développement de cette
préoccupation sur le continent européen : « En
Amérique, ces qualités n'ont fait que se
développer »33(*).Un bémol, cependant : la vaccination
n'est pas totalement rentrée dans les moeurs aux Etats-Unis. Elle est
même déconseillée. Cela peut s'expliquer par la
présence de nombreux « charlatans/ devins »34(*) parmi les médecins
américains. Cet état de fait n'est « pas explicable par
la raison »35(*)
mais est probablement imputable à la religion selon Destouches. En ce
qui concerne le paludisme, il est peu présent en ville : les
habitants vivent dans une relative prospérité matérielle
donc respectent plus l'hygiène que les ruraux. Un fait notable pour le
docteur Destouches est que l'on se sert de l'hygiène pour attirer de
nouveaux habitants dans les villes afin de contribuer à leur
développement.
La seconde étape du voyage est Detroit,dans
les usines Ford 5 au 8 mai 1925 :Ce premier rapport sera
réutilisé ultérieurement ,avec certaines modifications
,dans une conférence à la société de
médecine de Paris ,en 1928.Céline transposera ensuite cette
visite dans les usines Ford dans le Voyage au bout de la nuit,ce qui
montre à quel point cette visite l'a marqué...L'entreprise
Ford,à l'époque,incarne la réussite,le capitalisme et la
production de masse aux Etats-Unis et Céline va se montrer admiratif de
l'organisation sanitaire des usines : la mécanisation très
poussée des moyens de production nécessite une moindre force
physique pour l'accomplissement du travail , les ouvriers agissant de
façon mécanique,à raison d'un ou deux gestes
répétés autour d'une machine ; l'entreprise emploie
ainsi un grand nombre de vieux, d'handicapés ou de malades, dont
« l'état de santé (...) destine à
l'hôpital plutôt qu'à l'industrie »36(*).Céline décrit
une visite médicale avant embauche où ne se présentent que
des éclopés, malades aussi bien physiquement que mentalement.
Sont ainsi embauchés un bon nombre de ce que Céline nomme
« nerveux ».Un des médecins de l'usine lui dit
d'ailleurs que des animaux feraient le travail tout aussi bien :
« Le médecin chargé des admissions nous confiait
d'ailleurs que ce qu'il leur fallait ,c'était des chimpanzés,que
cela suffisait pour le travail auquel ils étaient
destinés »37(*).Une anecdote reprise dans le Voyage au bout de la
nuit, exception faite que c'est un chauffeur de taxi qui lui explique
« que ce qu'il trouvait bien chez Ford c'est (...) qu'on y embauchait
n'importe qui et n'importe quoi »38(*).Céline décrit ensuite le service
social. Ce service a pour but principal « d'éviter les
départs d'ouvriers mécontents »39(*).Il n'existe pas d'assurance
maladie, puisque les malades travaillent ni d'assurance vieillesse pour la
même raison. Les accidents sont pris en charge par l'Etat et non par
l'entreprise. La rentabilité de la masse productive a ainsi rendu
inutile que l'on s'occupe individuellement de l'ouvrier ; il n'y a, par
exemple, plus de visite médicale. Le service social est réduit au
minimum : il ne compte que douze employés, dans le but de
« faire des économies »40(*).L'hypothèse de
Céline est que l'on a supprimé les services d'hygiène, de
santé pour augmenter la rentabilité de l'entreprise et
« rassurer les actionnaires par des économies
massives »41(*).L'augmentation du nombre de machines, la
mécanisation nécessitent moins d'ouvriers
spécialisés. Il devient donc inutile, en terme de
rentabilité, de faire attention à leur santé.
Céline ne semble étrangement pas scandalisé ou
indigné par cet état de fait : « Cet état
des choses,à tout prendre au point de vue sanitaire et même humain
,n'est point désastreux quant au présent »42(*). Toutefois, l'avance de Ford
se situe surtout en matière technologique, du point de vue de
l'outillage. La projection sur l'avenir semble moins
réjouissante et Céline imagine un « Henry Ford
vaincu par ses propres ingéniosités, dirigeant seul avec quelques
hommes chimpanzés cette monstrueuse usine »43(*).Son constat final montre un
certain désabus : « Chez Ford, la santé de
l'ouvrier est sans importance, c'est la machine qui lui fait la charité
d'avoir encore besoin de lui »44(*).
Un troisième rapport d'un intérêt
moindre,si ce n'est en ce qu'il diffère complètement de la vision
fordiste ,nous est parvenu,il s'agit de celui concernant le service sanitaire
de la compagnie Westinghouse à Pittsburgh qui représente une
branche très diversifiée et hautement spécialisée
de l'industrie électrique. La formation d'un nouvel ouvrier est longue
et coûteuse, d'où l'intérêt de réduire le turn
over, les absences pour maladies et les accidents du travail ; ici, le
rendement de l'entreprise va être amélioré par
l'intermédiaire, précisément, de la prise de certaines
mesures sanitaires et sociales. Le service sanitaire va ici être
lié à la politique de débauchage de l'entreprise. Celle ci
licenciait ses employés au bout d'une seule année, les
remplaçant automatiquement par d'autres. Le service sanitaire va
être un moyen de garder l'ouvrier par le développement, notamment,
d'un système d'assurances. Une assurance maladie a été
crée, ainsi qu'une assurance vieillesse, ayant pour effet direct,
semble-t-il une baisse substantielle des accidents dus à l'inattention,
crée notamment par la peur de l'invalidité pour cause de maladie,
de vieillesse ou de pauvreté ou par des problèmes physiques,
comme la tuberculose ou certaines maladies vénériennes. On a
également développé la vente d'actions aux ouvriers
à un tarif préférentiel, un crédit d'habitation et
un restaurant coopératif Cette organisation sanitaire est
ingénieuse et intéressante en terme de rentabilité pour
l'entreprise car celle-ci, moins mécanisée que les usines Ford, a
besoin d'une main d'oeuvre valide et en bonne santé :
« Le système est intéressant pour ces industries
où la main d'oeuvre joue un grand rôle dans la
production »45(*). C'est d'ailleurs essentiellement dans le contraste
saisissant avec la politique pratiquée dans les usines de Detroit que
réside l'intérêt principal de ce
rapport. L'intérêt et la précision des constats de
Céline à propos de l'organisation des usines Ford se distingue
fortement de la neutralité de ton utilisée dans ce rapport,sans
doute parce que le terrain de la production de masse ,de l'industrialisation
qui se développe ,intéresse déjà plus le futur
hygiéniste ... : « En somme, nous nous trouvons chez
Westinghouse devant une institution sanitaire à la fois
ingénieuse et logique peut être un peu trop rationnelle comme tout
ce qui est conçu par l'élite intellectuelle américaine,
mais qui doit, je crois, concourir dans une mesure assez grande à faire
réaliser les économies qu'on en attend »46(*). Les thèmes contenus
dans le rapport sur l'entreprise Westinghouse ne seront pas
réutilisés par la suite. Celui ci est moins dramatique, moins
angoissant que le rapport Ford. Il convient toutefois de préciser,
à la lecture des ces rapports que Céline se place toujours du
point de vue de l'employeur, jamais du point de vue du malade... Une
visée « économiste », voire
« rentabiliste » que l'on retrouvera plus tard.
Ces premiers textes ne contiennent qu'en germe les
véritables réflexions de Céline sur l'hygiène et la
médecine sociale. Les thèmes seront reprécisés
ultérieurement et d'une manière complètement
différente. Il ne s'agit là que de rapports, dont le contenu
favorable, d'une certaine manière, aux dispositifs de santé en
vigueur dans ces entreprises ne laissent augurer en aucune façon des
vigoureuses dénonciations du fordisme dans le Voyage au bout de la
nuit. Ils sont précieux toutefois dans le sens où ils sont
un véritable socle des préoccupations futures de
l'hygiéniste Destouches.
III: CELINE MEDECIN DE BANLIEUE ET D'AILLEURS :
3.1:DEPART DE LA SDN : LES PREMIERES EXPERIENCES EN
CABINET
Après son divorce d'avec Edith Follet le 21
juin 1926, Destouches ne fait rien pour que son contrat à la SDN ne soit
renouvelé .Il en avait assez de la SDN et de sa bureaucratie et la
bienveillance de Rachjman ne pouvait le protéger éternellement de
ses errements administratifs. Rentré à Paris, il fait enregistrer
son diplôme de médecin en juillet 1927.Mais où et dans
quelles conditions exercer son métier ? Il s'installe à
Clichy en août 1927 et ouvre un premier cabinet qu'il doit rapidement
fermer, faute de clientèle : « Depuis que j'ai ouvert mon
cabinet, c'est la déche ! Pas de clientèle...Rien à
foutre de la journée ...Faudra le temps de démarrer qu'on
m'a dit (...) Faut il que je sois con de l'avoir cru »47(*). Sans fonction officielle,
Destouches s'initie alors à la médecine de dispensaire dans le
service du professeur Léon Bernard à l'hôpital Laennec,
où il côtoie notamment Robert
Debré : « Louis s'intégra
immédiatement à l'équipe de Laennec.J'atteste aujourd'hui
qu'il y'a beaucoup travaillé, justifiant tout le bien que
Rajchman avait dit de lui et forçant littéralement l'estime
de ses confrères»48(*). Le 14 novembre, il retente l'expérience
privée en ouvrant un nouveau cabinet de « médecine
générale, maladie des enfants » dans l'appartement
qu'il partage avec sa nouvelle compagne, la danseuse américaine
Elisabeth Craig, au 36 rue d'Alsace. De par ses idées, sa
personnalité un peu fantasque et malgré un premier contact
réussi, il se trouve bien vite isolé parmi les autres
médecins de la ville : il vit en concubinage, ne se fait pas
toujours payer et pratique une médecine « sociale »
peu en accord avec celle -privée, pratiquée habituellement. Il
est toutefois apprécié de sa clientèle car attentif
à son égard et fait preuve en toute occasion d'une grande
humanité : F.Balta rapporte ainsi le témoignage d'une de ses
voisines, Jeanne Carayon : « Il avait une grande faculté
d'attention et un don d'expression inoubliable. J'ai pu vérifier plus
tard la sagesse de certains conseils médicaux qu'il m'avait
donnés »49(*).La gratuité occasionnelle (mais
répétée) de ses consultations ,lorsqu'il estimait que ses
clients n'avait pas les moyens de le payer était cependant
considérée comme suspecte : « Je ne
présentais qu'un seul avantage, moi, en somme, mais alors celui qui vous
est difficilement pardonnable, celui d'être presque gratuit ;
ça fait tort au malade et à sa famille un médecin
gratuit, si pauvre soit elle »50(*) faisait il dire à Bardamu dans le Voyage
au bout de la nuit.
L'année 1928 se voit partagée pour
Céline entre son activité privée à Clichy et sa
fréquentation active du service du professeur Bernard à Laennec.
En outre, voulant exercer une activité plus marquante, plus publique
aussi, il présente sa candidature de membre adhérant à la
société de médecine de Paris. Il est élu le 13
avril et ne tarde pas à exprimer ses idées à ses
collègues : le 26 mai il fait une communication
« à propos du service sanitaire des usines Ford »,
bilan de ses pérégrinations outre-atlantique où il reprend
les conclusions du rapport qu'il avait fait à la SDN trois ans plus
tôt. Dés lors, il fera plusieurs communications sur
l'hygiène ou encore le système des assurances sociales. En
ressortira un article paru dans la revue Presse
Médicale du mois de novembre : « Les assurances
publiques et une politique économique de la santé publique
».L'humanité quotidienne est aussi de son domaine à Clichy,
même si les clients se font encore rares. Le docteur Destouches est donc
à cours d'argent et dut multiplier les activités annexes pour
trouver d'autres sources de revenus.
3.2 :MEDECIN EN DISPENSAIRE VISITEUR MEDICAL
ET ECRIVAIN...:
En janvier 1929 s'ouvre le dispensaire de Clichy, rue
Fanny .Céline, grâce à ses nombreux appuis (le docteur
Rajchman, le professeur Bernard notamment) y trouve un emploi qui
l'amène a abandonner sa clientèle de la rue d'Alsace.
Contrairement à ce qui a pu être affirmé, Destouches
n'était pas le médecin chef de Clichy, même si il convoita
un temps le poste. Dans ce dispensaire travaillait une douzaine de
médecins, avec à leur tête, le docteur Grégoire
Ichok qu'il décrira en ces termes : « Au dispensaire
municipal sur lequel je m'étais rabattu, je vis arriver un certain Idouc
(sic), lithuanien (...) imposé par les dirigeants communistes (...) La
direction du dispensaire, confiée à ce médecin
probablement faux, n'étant sans doute qu'un
camouflage »51(*).Espion ? Véritable docteur ? Ce qui
est sûr, c'est qu'il fut mal aimé de la plupart des
médecins du dispensaire et ses relations avec Céline iront en se
détériorant. Pendant neuf ans, toutefois, Destouches tiendra au
dispensaire des vacations régulières de médecine
générale, vingt deux heures de consultation par semaine
payées 2000F par mois, selon F.Balta, jusqu'à sa
démission en 1937.Ce dispensaire est un des premiers à offrir des
consultations et quelques examens gratuits. C'est ici que le docteur Destouches
fera, pour la première fois, la véritable expérience
de la misère des banlieues. Il y travaillera pendant neuf ans, laissant
le souvenir d'un médecin enthousiaste, généreux,
« de bon diagnostic » mais utilisant peu de
médicaments. François Balta ,dans sa thèse,nous confie
qu'il n'hésitait pas toutefois,lorsque le problème
dépassait ses compétences et demandait des investigations plus
poussées, à le confier à des collègues plus
compétents. Céline va, parallèlement à ses
activités au dispensaire, publier des articles dans des revues
spécialisées dans l'hygiène et la médecine sociale
et travailler, grâce à l'aide du docteur Ichok, un
passionné, comme lui, d'hygiène sociale, dans le laboratoire de
la Biothérapie, fondé par le pharmacien Charles Weisbram en 1921
et dirigé par Abraham Alpérine. Il y occupa simultanément
les fonctions de conseiller médical, rédacteur publicitaire (pour
le dentifrice Sanogyl), visiteur médical, à domicile ou à
l'hôpital, médecin d'entreprise et touchait mille francs par mois.
Il multiplia aussi, durant l'année 1929,les articles médicaux sur
les sujets les plus divers : « L'infection puerpérale et
les antivirus » pour la revue La médecine en Avril ou
« Notes sur l'emploi des antivirus de Besredka en pansements
humides » pour la Société de Médecine de Paris.
Ce n'est pas tout ... Décidément débordant
d'activité durant cette période, Destouches travaillait
également, depuis 1930, chez un autre pharmacien, Gallier, ancien de la
Biothérapie qui avait depuis fondé son propre laboratoire, 38
boulevard du Montparnasse. C'est ici que Destouches mit au point deux produits
pharmaceutiques : La kidoline, d'abord, une huile nasale
adrénalisée contre le coryza du nourrisson qui fit son apparition
sur la marché en 1927 et commercialisée jusqu'en 1971.Destouches
en parle en disant « ma kidoline » et son ami Henri
Mahé ajoute « un produit qu'il avait
imaginé »52(*).Il est donc probable que ce médicament est
bien de sa fabrication. Quant à la Basdowin, un médicament pour
lutter contre les règles douloureuses, qui sera commercialisé de
1933 à 1971, il est certain qu'elle est le fruit de ses
réflexions. Il ne s'arrêta pas seulement à sa
création mais s'impliqua aussi dans sa publicité et dans sa
promotion. Lui-même se livrait au démarchage, prenant des rendez
vous avec les médecins, allant de ville en ville, montant les
étages... Robert Gallier recommanda ensuite Destouches à son
confrère René Arnold, directeur des laboratoires Cantin à
Palaiseau, avec lequel il signe un contrat en juin 1931, pour une
rémunération de 500 F par mois. Pour les laboratoires Cantin, le
docteur Destouches met au point un comprimé contre la toux, le Nican,
à base de serpolet et de coquelicot. Grand insomniaque depuis la guerre,
il invente aussi le Somnothryl, un médicament contre l'insomnie dont il
vente les bienfaits dans un article pour la Revue médicale de
l'Est, « l'insomnie des intellectuels ».Durant
l'été 1931, il profite de ses congés pour effectuer des
tournées en province afin de placer ses deux médicaments .A ces
activités déjà nombreuses s'ajoute une consultation au
dispensaire Marthe Brandes, tenu par des religieuses, dans le XVIII è
arrondissement de Paris. La durée et la nature de son travail ainsi que
les relations qu'il y eut ici est toutefois impossible à
préciser.
Ces occupations médicales diverses
n'empêchent pas le docteur Destouches de publier, en 1932, le Voyage
au bout de la nuit. De même, son activité littéraire
naissante ne changera pas grand-chose à son activité au
dispensaire, la plupart de ses patients, d'origine modeste, ne sachant pas qui
les soigne. De plus, Louis voyage sans arrêt : il a ainsi
découvert, début 1929, la médecine de dispensaire en
Allemagne, en Angleterre ou en Scandinavie grâce à des bourses
fournies par le comité d'hygiène de la SDN, au sein duquel il a
conservé de bonnes relations, notamment avec le docteur Rajchman. Ses
relations lui ont ainsi grandement facilité la tâche pour
accomplir ces nombreux déplacements. Il en rapporte son dernier texte
médical, « Pour tuer le chômage, tueront-ils les
chômeurs », publié en 1933.Là finit tout contact
apparent avec le comité d'hygiène de la Société des
Nations. On ne sait pas exactement ce qui arriva, toujours est il que
Destouches, malgré le certain respect qu'il accordait au Dr Rachjman, se
fâcha avec ce dernier à la parution, en 1933, de
l'Eglise, pièce qui tourne en dérision l'organisation et
le fonctionnement de l'institution, où s'exprime déjà
,bien qu'encore larvé,son antisémitisme. Là se tiennent
sans doute les raisons de son départ. Au sein du dispensaire de Clichy,
ce sont également ses positions politiques qui
détérioreront ses relations avec le personnel et prendront une
part prépondérante dans son départ. Parti en URSS
réclamer les droits d'auteur sur le Voyage au bout de la
nuit aux éditeurs soviétiques du roman, Céline, sans
prendre garde au fait que la commune de banlieue où il exerce a pour
maire et pour édiles des communistes militants, se répand en
propos sarcastiques, un peu provocateurs sur les nouvelles institutions russes.
Cela n'a pas été sans conséquence... D'autant que son
remplaçant se trouva être un médecin juif fraîchement
naturalisé...Il n'en fallut certainement pas beaucoup plus à
Céline pour englober dans une réprobation générale
juifs, communistes ,socialistes et gouvernement Blum. Une petite
série de hasards aux graves conséquences : en 1937,
Destouches, devenu Céline (son pseudonyme d'écrivain) depuis le
Voyage au bout de la nuit, encore écoeuré par les
souvenirs de la première guerre mondiale, et sentant l'approche
imminente d'un nouveau conflit écrivit ensuite ce texte pacifiste mais
foncièrement antisémite qu'est Bagatelles pour un
massacre.
3.3 : LE DOCTEUR DESTOUCHES :
Qui était le docteur Destouches ?
Authentique pauvre n'ayant pas oublié sa condition misérable et
venant en aide, en retour de sa réussite médicale, à ceux
dont il est toujours resté proche ? Faux médecin ?
Là encore les témoignages et les faits même sont
contradictoires. Il convient pour y voir un peu plus clair d'étudier,
les unes après les autres, les diverses images qui nous sont parvenues
sur le comportement, le caractère et le personnage médical de
Louis Destouches...
« J'ai toujours soigné avec
beaucoup de douceur, si j'ose dire, tous ceux qui m'ont approché. J'ai
sauvé énormément de gens,
d'animaux... »53(*).Bâtie sur une vocation, l'expérience
médicale, en dispensaire notamment, a conféré au docteur
Destouches une lucidité qui le plonge et l'implique au coeur des choses
et des êtres. Pour Céline, la pratique médicale est une
expérience décisive, une sensibilisation aigue au désarroi
des plus défavorisés. La grande majorité des
témoignages concernant l'activité médicale du docteur
Destouches convergent pour affirmer son caractère profondément
humain et sociable,illustrant un désir de se rapprocher le plus
prés possible de la souffrance de ses congénères. Dans
L'année Céline 94,le professeur Henri Mondor
témoigne : « Mon métier m'a permis de voir des
malades qui m'ont dit avec quel dévouement et quel
désintéressement il (le docteur Destouches) les avait
soignés »54(*).Le professeur Robert Debré ,qui rencontra
Céline en 1928,avait déjà remarqué cette vocation
en parlant avec lui des malades tuberculeux ;il le voyait ainsi
« s'enfoncer dans cette contemplation de la misère,voulant en
être le témoin et désirant porter ses efforts qu'il savait
peu efficaces vers l'amélioration du sort de ces
malades »55(*).Idem lors de son passage au dispensaire de
Sartrouville : « Tout le monde l'aimait bien. Les malades
l'aimaient bien »56(*) affirme ainsi une infirmière. Ainsi de la
plupart des témoignages sur le comportement de Céline se
dégage une impression forte de bonté et de dévouement
rendue par la confiance qu'on lui accordait. La somme de témoignages
contenue dans la thèse de François Balta nous en donne encore une
parfaite illustration : « Il était très
aimé de la clientèle, restant longtemps à parler avec les
malades »57(*)
se souvient le fils du docteur Malouvier, dont Céline fut le
remplaçant au Havre. Il fit preuve, et ce tout au long de sa
carrière, d'un effort de dialogue, d'écoute qu'il trouvait
pourtant lui-même bien vain. On mesure bien ce désarroi face
à la vanité dans cet extrait de D'un Château
l'autre à propos d'une patiente de Meudon, Mme Niçois :
« La subtilité, le tact des soins du cancer des vieillardes,
c'est peu ou prou impossible croyable (...) ce qu'il vous faut, vous, pour que
votre patiente ne vous envoie pas foutre ! »58(*).Une infirmière ayant
travaillé avec lui au dispensaire de Sartrouville appuie l'effort de
dialogue que le docteur Destouches engageait avec ses patients :
« Il les dépouillait, il les épluchait tous...Il avait
énormément de psychologie »59(*).
Il convient toutefois de tempérer ce jugement.
Il serait faux de proposer une telle vision de l'attitude du docteur Destouches
sans apporter d'autres témoignages qui semblent aller dans un tout autre
sens : le docteur Guy Morin note,dans les Cahiers de l'Herne :
« Je passe sur les conversations médicales ,au moins
étranges tenues devant les malades sans le moindre souci de leur
réaction »60(*).Dans une lettre à Cillie Pam,datée de
1937,Céline écrit ceci : « Il me faut subir encore
les malades et même les patrons et puis mère et fille
hélas »61(*).La légende du médecin proche de ses
malades parce que pauvre lui-même paraît elle aussi
exagérée :son activité s'est surtout trouvée
au sein des dispensaires qui le rémunérait et le problème
de l'argent ne s'est donc pas réellement posé... Ses
expériences de médecine libérale, à Clichy ou
à Saint Germain en Laye sont beaucoup trop peu nombreuses pour que l'on
en déduise immédiatement et d'après cela un
désintéressement sans bornes... Un dernier témoignage,
celui du docteur Gaston Ferdiére qui a travaillé au service
psychiatrique du dispensaire de Clichy, s'avère déjà plus
contrasté: « Mme Bleuze était aussi l'assistance
sociale d'un généraliste, le docteur Louis Destouches,
célèbre en littérature sous le nom de Céline, et
qu'elle ne portait pas dans son coeur, le trouvant rébarbatif,
très sec avec les malades et un peu rapide dans ses observations quoique
parfois capable de paroles bienveillantes. Un jour, elle fut choquée
profondément de le voir taper sur son ventre de femme
enceinte : « Alors ça se passe bien, là
dedans ? » »62(*).
De plus, Céline n'a eu de cesse d'entretenir
ce mythe, encore tenace, du « pauvre médecin des
pauvres ».La responsabilité de cette légende peut
être attribuée à son éditeur Denoël, datant du
lancement du Voyage au bout de la nuit. Cette oeuvre magistrale aurait
été écrite par un médecin n'ayant pu aller au
lycée, qui aurait du travailler dés l'âge de onze ans, et
qui, devenu médecin, serait resté fidèle au peuple qu'il
soigne gratuitement. Alors que le succès littéraire se fait
grandissant, que le docteur Destouches devient Céline, les entretiens
qu'il accorde se font presque toujours sur son lieu de travail, au dispensaire
de Clichy : « Céline,en tenue blanche de clinique
(...) m'accueille avec cette bonhomie qu'on retrouve dans les salles de garde
(...) puis il faut que Céline voir un malade ;or ,il me fait passer
sans façon dans une salle voisine ,où il revient me trouver
dés qu'il a écrit son ordonnance »63(*),rapporte ainsi un interviewer
venu trouver l'auteur du Voyage au bout de la nuit. Il s'est
inventé ce véritable rôle social, cette figure du
« médecin des pauvres », attaché à son
métier et revendiquant sans cesse, et avec exagération, son
origine modeste : « J'ai commencé dans la misère
et je finis comme tel d'ailleurs»64(*).Cette position, cette identité
médicale, issue des milieux populaires, l'éloigne en tout cas, et
c'est un choix volontaire de la part de Céline, du monde de la lecture,
des lettres et de la littérature. Cette affirmation perpétuelle
de sa condition médicale au détriment de son métier
d'écrivain nous permet en tout cas de le penser : Céline
renvoie l'image d'un médecin vivant loin du monde, en banlieue, au
milieu des pauvres. Son oeuvre véritable ne serait pas littéraire
mais consisterait plutôt à prendre en charge la misère
régnante. L'écriture est plutôt de l'ordre de
l'à-côté alimentaire, du besoin matériel que du
véritable appel vers le souci d'autrui que constitue la médecine
qui est, au contraire de la littérature, une activité se situant
dans la réciprocité avec le monde.
Au final, Céline apparaît plus comme un
humaniste que comme un véritable homme de science, mais il
n'était pas pour autant un charlatan: les descriptions purement
médicales, en particulier physiologiques, qui ponctuent l'oeuvre,
attestent de la bonne connaissance de son métier par Céline. Par
exemple l'évocation, dans D'un château l'autre, de sa
crise de paludisme : « vous prenez le frisson solennel !...
et vous saccadez votre lit ! Qu'il crie ! craque ! vous allez
d'accès en accès ! »65(*). L'exemple du Voyage
au bout de la nuit est lui aussi saisissant :on peut y relever tout
un vocabulaire technique concernant la maladie (typhoïde, syphilis,
cancer...) ainsi que des signes d'affections dues à des conditions
particulières, notamment en ce qui concerne le séjour de Bardamu
en Afrique (diarrhée, nausée, fièvre...).Les maladies
physiques sont présentes tout au long de l'univers miséreux de
Bardamu : phtisie, bronchites, méningites. Ce dont nous pouvons
être certain, c'est qu'il s'est toujours efforcé de mieux
connaître les hommes à travers, notamment, la pratique
médicale. Et si cette expérience s'est parfois
révélée décevante, il n'a jamais abandonné
ni renié sa passion pour la médecine et ne s'en est jamais
détourné. Il est resté jusqu'au bout au service de ses
patients, fidèle à sa vocation : « Oh j'ai
été bien des choses il paraît...Mais je suis sur d'avoir
été un acharné médecin »66(*).
3.4 : CELINE MEDECIN PENDANT ET APRES LA
GUERRE :
Entre Décembre 1937 et Novembre 1938, soit les
dates de parutions successives de Bagatelles pour un massacre et
L'école des cadavres, Céline perd,à cause de ses
prises de positions politiques de plus en plus tapageuses,ses emplois au
dispensaire de Clichy, mais aussi au laboratoire La Biothérapie. C'est
paradoxalement la vente de ces deux pamphlets qui lui permettent
néanmoins de survivre. Mais le docteur Destouches tient à
conserver une activité médicale. En juillet 1937, il effectue le
remplacement du docteur Malouvier au Havre. Il conserve aussi, mais sans
être rémunéré, son emploi au laboratoire Gallier. Au
moment où éclate la seconde guerre mondiale en septembre 1939,
Céline monte un cabinet dans un pavillon de Saint-Germain-en-Laye. Il
consulte de 13 à 15h au 15 rue de Bellevue. Il n'est pas mobilisé
pour le conflit car réformé et médaillé militaire
comme cela est précisé dans l'en-tête de ses ordonnances.
Une commission confirmera cette réforme qui ne sera finalement effective
qu'en juillet 1942.La clientèle est toutefois peu abondante à
Saint Germain et Louis embarque comme médecin de bord sur un navire
réquisitionné pour des transports d'armes, le Chella, sur lequel
il embarque en décembre 1939 : « Militaire comme tu me
connais, tu ne seras pas surpris de me voir devenu médecin de la marine
de guerre et embarqué à bord d'un paquebot
armé »67(*) écrit il à un de ses amis, le docteur
Camus. Le 30 janvier 1940, son contrat prend fin et il retourne à Paris.
De Janvier à Mars 1940, Céline est chez sa mère, sans
emploi. En Mars, il est nommé médecin chef au dispensaire
municipal de Sartrouville, dans lequel il avait déjà
travaillé en tant que médecin scolaire. Il y assure des
consultations de médecine générale et le service
d'inspection médicale des écoles. Alors que les Allemands
approchent de Paris, Il participe à l'exode de juin en accompagnant
jusqu'à la Rochelle l'ambulance de son dispensaire. Il rentre à
Sartrouville le 14 juillet mais se retrouve sans emploi au retour du front des
médecins titulaires.
Img 2 : Céline sur la route
de l'exode avec l'ambulance du dispensaire de Sartrouville
En octobre 1940, Destouches apprend que le poste de
Bezons doit se libérer en application d'une loi de 1934 sur
l'interdiction de l'accès à la fonction publique pour les
étrangers. Or ,le médecin de Bezons, le docteur Hogarth, n'est
pas naturalisé français et ne remplit pas les critères
d'un emploi public. Le docteur Destouches se propose de prendre sa place,
multiplie les démarches et est finalement nommé, en
décembre 1940, au dispensaire de Bezons qui assure non seulement des
consultations mais aussi des visites à domicile. Il exerce sa
consultation deux heures par jour, en fin d'après-midi avec des
congés de convenance. A cette époque, Destouches s'investit de
moins en moins dans sa profession de médecin, même si il garde la
même sensibilité et la même attention vis-à-vis de
ses patients. En revanche, son activité littéraire est prolixe
puisqu'en 1941, il sort un dernier pamphlet contre la guerre, Les beaux
draps, passé assez inaperçu et pourtant fondamentalement
anti-pétainiste, et travaille à l'écriture de
Guignol's band I. En février 1942, son activité
médicale se résume essentiellement à une communication
à l'école libre des sciences médicales sur le thème
de « la médecine standard ».L'activité de
Céline médecin pendant la guerre est très mal connue,
très peu d'écrits médicaux de cette période nous
sont parvenus et seule est certaine son activité aux dispensaires de
Sartrouville et Bezons ainsi que sa participation à plusieurs
conférences sur l'hygiène. Il est toutefois évident que le
médecin Destouches a été confronté aux
problèmes de pénurie inhérents à tous les
médecins de l'époque : les privations, le manque de
médicaments et la distribution des tickets de rationnement. Les
témoignages sur son dévouement durant cette période sont
nombreux et ne font jamais état d'opinions politiques ou du
caractère hautain que l'on pourrait prêter à
l'écrivain. Destouches reste au dispensaire de Bezons jusqu'en 1944.
Cette année là, Céline est
menacé, de par ses prises de positions politiques tapageuses. Il
décide de se réfugier au Danemark où, avant guerre, il
avait entreposé une partie de l'argent de ses droits d'auteur. En
Allemagne, Céline et Lucette, sa femme depuis 1943, sont retenus
à Baden-Baden et n'obtiennent pas de visa pour le Danemark. Ils sont
d'abord transférés à Kränzlin, village du nord de
l'Allemagne et y séjournent jusqu'en octobre 1944 avant de rejoindre la
« colonie » française de Sigmaringen, dans le
sud,à la suite de l'installation forcée du Maréchal
Pétain et du gouvernement de l'Etat Français :
« Je suis descendu à Siegmaringen par patriotisme pour
entendre parler le français »68(*).Installé à l'hôtel Löwen
avec sa femme ,il est immédiatement engagé par la
délégation gouvernementale comme médecin de la colonie
française,fonction qu'il partagera avec le docteur André Jacquot
qui attestera plus tard de « son attitude parfaitement correcte (...)
ne sortant de l'affreuse chambre où on l'avait relégué que
pour se consacrer à ses obligations,c'est-à-dire pour essayer de
soulager ,dans des conditions lamentables,ses concitoyens. »69(*).Car si les besoins sanitaires
sont énormes,les moyens dont dispose Céline sont très
limités : « J'ai dépensé en Allemagne plus
de 500 000 francs emportés de France (...) pour acheter à
mes frais tous les médicaments que je trouvais dans les pharmacies
allemandes (...) dont nous étions totalement
dépourvus »70(*).C'est donc apparemment sans compter que Céline
reprit son activité médicale,qui fut
brève,cependant : de novembre 1944 à Mars 1945.Le couple
Destouches arrive finalement au Danemark le 27 mars. Le 8 mai, la guerre est
finie, l'armistice signée et un représentant français au
Danemark se charge de faire emprisonner Céline, pour trahison, en
décembre 1945.Il ne sera libéré, sur parole et faute de
preuve, qu'en juin 1947, après dix huit mois de détention dont
plus de la moitié à être soigné pour cause de
dénutrition ou de déshydratation. En mai 48, Céline et sa
femme s'installent à Klaskovgaard chez leur avocat danois. Son
procès, en 1950, le condamne à un an de prison ,50 000 francs
d'amende, à la confiscation d'une partie de ses biens et à
l'indignité nationale. Il est amnistié en avril 1951 et quitte le
Danemark pour rentrer en France, à Meudon, où il ouvre un cabinet
médical, dans une maison, au 25 ter. Route des Gardes. Affaibli,
très diminué, Céline manifeste toutefois le désir
de repratiquer la médecine, activité qui reste un de ses centres
d'intérêt majeurs. Il se réinscrit à l'Ordre des
médecins de Seine et Oise le 16 septembre 1953 et renoue ainsi,
même à petite échelle (il n'aurait eu qu'une vingtaine de
patients réguliers en dix ans), avec la compassion et la
générosité dont il a, semble-t-il, toujours su faire
preuve quand il exerçait avant la guerre. Un témoignage du
docteur R.B dans Les cahiers de l'Herne le confirme :
« Il devait parfois regretter, étant donné son
état physique, de ne plus exercer son art que rarement .Examiner,
interpréter des clichés radiographiques, conseiller certains
malades (...) était pour lui une source de joie »71(*).Une lettre de Céline au
président du conseil de l'ordre du 26 novembre 1956 explique qu'il ne
peut plus payer de cotisations parce qu'il n'a pas eu un seul client depuis
trois ans...Il consultera presque jusqu'à l'extrême fin de sa vie.
Dans sa dernière interview, donnée six mois avant sa mort, il
confie ainsi : «J'ai pratiqué jusqu'au mois
dernier »72(*),
ce qui est probablement faux. La date de mars 1959 est
généralement retenue. Mais ses derniers mois d'existence ne sont
que souffrance, angoisses et douleur et, le premier juillet 1961, il meurt
d'une congestion cérébrale.
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE :
Voici donc exposés les éléments
actuellement connus de la vie du docteur Destouches : un médecin
apparemment dévoué, chaleureux, même si techniquement
limité. Cela n'est certainement qu'une image trompeuse de l'homme qu'il
fut en réalité, bien plus diverse et contradictoire. A sa vie de
médecin correspondent toutefois des préoccupations
hygiénistes que nous allons tenter d'analyser maintenant. Ni
médecin chercheur- il ne le fut que trop brièvement - ni
vraiment médecin des pauvres, comme il le suggéra
continuellement, Céline était avant tout un médecin de
santé publique.
Son souci pour ces questions fut constant et ce n'est pas
là sa moindre originalité. L'étude de ces textes, ainsi
que le traitement de la question de l'hygiène dans les pamphlets, est
une étape décisive avant toute tentative de synthèse. Peut
être existe-t il encore d'autres textes non exhumés mais la
pensée du docteur Destouches semble suffisamment cohérente pour
que des textes nouveaux ne puissent la bouleverser totalement.
II : LA PENSEE HYGIENISTE :
I : LE DISCOURS HYGIENISTE:
Louis Destouches croit à l'hygiène. Il
est un partisan de la médecine préventive, sujet
d'intérêt qui s'était éveillé en lui à
la fondation Rockefeller. Ses études hâtives et son ignorance des
médications spécialisées étaient peut être
pour quelque chose dans cet « humanisme » médical.
Il allait être une sorte de nouveau Semmelweis .Comme lui, il allait
débarrasser l'humanité de ses fléaux. Car il n'y avait pas
que la seule fièvre puerpérale : la tuberculose,
l'alcoolisme, le tabac, la misère, le taylorisme... Autant de maux qui
tuent plus lentement mais tout aussi sûrement que la fièvre des
accouchées. La désillusion et la résignation l'emporteront
finalement... Ce que nous entendons par discours médico-social est la
prise de position de Céline le médecin, l'hygiéniste mais
aussi l'écrivain, sur des questions relevant du logement,des conditions
de travail,de la santé publique ,des assurances maladies, de la
médecine sociale ,de l'éducation,de l'insalubrité ou
encore de la pollution. L'une des originalités dans ce discours
médico-social est que Céline ne s'est pas contenté
d'aborder des problèmes,de critiquer des états de faits ou des
solutions préconisées par les instances dirigeantes en place,mais
d'en formuler lui-même,en termes généraux il est vrai.
L'ensemble de ces textes façonne l'image d'un docteur Destouches
spécialiste de la santé publique, d'une porte parole efficace de
la diffusion des conceptions héritées de la fondation Rockefeller
en matière d'hygiène. Ils témoignent aussi d'une
époque et notamment des mouvements de rationalisation du travail et de
la société dans les années 1920.
1.1 : AUX ORIGINES DE LA PASSION POUR
L'HYGIENE :
En révélant le rôle des agents
infectieux dans les années 1870, Louis Pasteur a du même coup
éclairci le mystère de la contagion, indiqué les moyens de
l'éviter et par là même jeté les bases de la
prophylaxie des maladies et de l'hygiène personnelle et sociale. Cette
découverte a donné une véritable justification
scientifique à des pratiques d'hygiène prônées
depuis des décennies, mais qui n'avaient que des fondements empiriques.
De désordonné, parfois contradictoire, l'hygiénisme tend
donc à devenir systématique et ce dés la fin du XIX
è siècle. C'est dans le sillage des découvertes
pasteuriennes que l'on trouve l'origine des idées hygiénistes et
prophylactiques de Louis Destouches élevé dans la hantise
du microbe. En voyage en Angleterre, Louis, à 10 ans, écrit ainsi
à ses parents : « Je prends régulièrement
mon bain tous les jours (...) mardi soir je suis allé au bain (...) A 4
heures je suis allé prendre mon bain »73(*).Cette obsession familiale de
la propreté se lit aussi dans les messages qu'il découvre dans
ses lectures d'enfant. Des textes sur le fléau de l'alcool, la lutte
contre l'alcoolisme ou contre la tuberculose sont présents dans des
revues comme Lecture pour tous qui s'adressent aux enfants et que le
jeune Destouches lit beaucoup. L'entourage du jeune homme a également
joué un grand rôle : dans la maison des Destouches, on
travaillait avec beaucoup de soins la dentelle (la mère de Louis,
dentellière, installée passage Choiseul).Il fallait pour que tout
soit impeccable, que la maison soit vierge d'odeurs pour que les ouvrages n'en
soient imprégnés. L'alimentation de la famille consistait donc en
grande partie en nouilles à l'eau,une habitude alimentaire qui allait
marquer le futur Céline... L'antisepsie régnait
déjà, dés l'enfance du jeune Destouches :
« Enfant, tous les conseils de santé m'ont été
prodigués, je suis hygiéniste, formé à
l'hygiène stérile depuis mes couches »74(*).
Devenu adulte,il conserve un style de vie
sain :Céline a avoué plus d'une fois être un
« hygiéniste »,ne buvant pas,ne fumant pas,mangeant
peu,vivant presque en ascète. Il a le sens de la vie saine et de son
influence générale sur l'état général de
l'homme. Dans Bagatelles pour un massacre, nous y reviendrons, il part
en guerre contre l'alcoolisme, les mauvaises habitudes alimentaires, les
mauvaises conditions d'existence dans les villes, l'absence d'activité
physique : « Je suis essentiellement raffiné et
essentiellement...euh... plutôt puritain. Je bois de l'eau, je mange des
nouilles et je ne fume pas »75(*).Il dira encore : « Je
m'intéresse pas à la bouffe (...) je ne fume pas, je ne bois pas
.J'ai pas de vie sexuelle... Ca me dégoûte tout ça. C'est
sale. Je n'ai pas envie de toucher à ce genre de
chose. »76(*).La
lutte contre l'alcoolisme sera, avec tout son cortége de règles
d'hygiène et de tempérance, un leitmotiv permanent dans la vie de
Céline : « L'anesthésique moral le plus complet,
le plus économique qu'on connaisse, c'est le vin ! Et de
première force... »77(*), écrit il. A Clichy Destouches a la
réputation d'un médecin de « bon
diagnostic », cernant rapidement les problèmes et se terminant
souvent par les mêmes prescriptions : repos, eau, ou
« pas de café, pas de vin »78(*), qu'il inscrivait en
tête de presque toutes ses ordonnances. Ces conseils prennent même
la forme d'un réquisitoire contre la société
contemporaine. Marcel Aymé nous a rapporté ceci à ce
propos : « Ses plus grandes colères ,je les ai vues
déferler contre ce qu'il jugeait propre à l'abaissement de
l'homme,à l'abandon de soi même :l'alcool,les
stupéfiants,les excès de mangeaille,le débridement de la
sexualité,le luxe,la misère,les fausses barrières,la
religion,les hypocrisies sociales ou mondaines qui ,sous une honnête
couverture,favorisent le déchaînement des mauvais
instincts »79(*).On retrouve ces colères dans D'un
château l'autre : « Le monde sera seulement
tranquille toutes les villes rasées ! Je dis ! C'est elles qui
rendent le monde furieux (...) plus de music halls, plus de cinéma, plus
de jalousies ! Plus
d'hystéries ! ... »80(*).
Tout aussi sûrement, nous pouvons faire
remonter l'expérience clinique de Céline en matière
d'hygiène à des circonstances beaucoup plus proches de ses
débuts de praticien: peu après l'armistice, Destouches est
engagé, comme nous l'avons vu, par la fondation Rockefeller au sein
d'une mission de propagande pour la prophylaxie de la tuberculose. Cette
campagne fait suite à l'énorme effort sanitaire engagé
pendant le conflit et où s'est engagé le docteur Follet, son
futur beau père. Spécialiste de « la tuberculose des
soldats », il a écrit, en 1916, un ouvrage sur le
sujet intitulé Les blessés de la tuberculose. Ce que
tout le monde doit savoir pour se préserver et guérir .Ici
se précise la vocation du docteur Destouches, au contact d'un acteur
privilégié de l'hygiène de guerre.
1.2 : FORDISME, TAYLORISME, HYGIENE DANS LES ANNEES
20 :
Dans son essai consacré à Céline,
Misère de la littérature, terreur de l'histoire,
Philippe Roussin rappelle que, dans les années 1920, à travers
les ouvrages de l'architecte et urbaniste Le Corbusier ou de Pierre Drieu La
Rochelle, se « diffusaient alors en France l'idéologie du
taylorisme, du fordisme (...) qui érigeaient l'Amérique
industrielle au rang de modèle des sociétés
européennes »81(*). Au début des années 1920, le
taylorisme et le fordisme sont les modèles dominants d'organisation des
entreprises : ces deux termes désignaient un modèle qui
opérait la division des tâches dans le travail et constituait un
moyen d'amélioration, de rénovation de la capacité de
production industrielle. Mais pas seulement. Comme le souligne Philippe Roussin
, « ils semblaient promettre l'éloignement du spectre de la
misère et de la rareté,la multiplication des biens
matériels,une politique de hauts salaires conjuguée à une
moindre pénibilité du travail »82(*),en bref une
amélioration sensible du niveau de vie. Céline voit dans cette
industrialisation la possibilité effective d'une socialisation et d'une
standardisation de la médecine à l'échelle de l'usine. A
l'usine oui, mais pas seulement... Ce mouvement devait pénétrer
dans d'autres domaines, d'autres champs : celui de l'urbanisme, de la
santé et de l'hygiène. Les préoccupations sanitaires sont
ainsi au coeur de ce nouvel état d'esprit industriel. Créer une
architecture particulière mais aussi ériger la santé comme
valeur dominante de cette société industrielle. On insistait
beaucoup,à l'époque ,sur le contraste entre les modes de
production modernes des usines et la vétusté et
l'insalubrité des villes, et particulièrement celles de la
banlieue qui semblait laisser ses habitants à l'abandon. Il faut donc
à la ville une « architecture salubre »83(*) et s'intéresser
à cette pathologie urbaine que Céline décrira si bien,
nous le verrons, dans le Voyage au bout de la nuit. Il y a ,à
cette époque,l'idée d'intégrer les préoccupations
des hygiénistes dans ces programmes urbains de modernisation. Au cours
de la seconde moitié du XIX è siècle, une meilleure
compréhension de la propagation des maladies infectieuses allait
renforcer l'idée que, pour éviter les contagions, il fallait
protéger les plus pauvres et les plus faibles. Des mesures ponctuelles
d'hygiène publique (drainage, propreté des chaussées,
ramassage des ordures) se révèlent avoir un effet immédiat
sur la santé. La saleté devient une sorte d'ennemi public. Cette
progression de la santé publique illustre de nouvelles interactions
entre la médecine, la réflexion philosophique, les données
économiques et sociales et la volonté politique dominante. On
maintient que, dans le domaine sanitaire, une intervention étatique et
des règlements précis devaient être indispensables à
ce bon fonctionnement. Dans le dernier tiers du XIX è siècle,
à la suite des travaux de Pasteur notamment, l'aspect scientifique de
l'hygiène prend cependant le pas sur l'aspect social. Pourtant,
l'amélioration du niveau de vie et la rigueur de l'application de
certaines mesures simples comme le pavage des rues ou le tout à
l'égout avaient obtenus de très bons résultats dans les
villes. Mais à la fin du XIX è siècle et au début
du XXé, le domaine de la santé publique est
négligé. L'hygiène individuelle, cet ensemble de pratiques
simples, hérités des principes pasteuriens, lui est
préférée: les leçons d'hygiène
instaurées par Jules Ferry, en 1883 participent de cette grande vague de
« pasteurisation ». En France, une loi sur l'Hygiène
publique est votée en 1902 mais la situation reste très
préoccupante. Les campagnes se dépeuplent de plus en plus,
s'appauvrissent et les conditions sanitaires des faubourgs surpeuplés de
villes comme Paris ,par exemple, sont catastrophiques. La description du
faubourg ouvrier de Rancy, en banlieue parisienne, dans le Voyage au bout
de la nuit, lorsque Bardamu revient de son voyage en Amérique est
imprégnée du regard médical de l'hygiéniste et de
ces constatations de délabrement et de déchéance des
banlieues. Aux premières pages du récit,Bardamu évoque les
habitants de Rancy,leur décor et leur condition. Le nom de la banlieue,
Rancy, suggère déjà un élément fondamental
de cette description : la pourriture...Au niveau de la
réalité, la pourriture est d'abord un phénomène
biologique ,elle est aussi une dégradation : « Au
bout du tramway voici le pont poisseux qui se lance au dessus de la Seine ,ce
gros égout qui montre tout »84(*).A l'origine de cette dégradation,la domination
du système économique sur lequel les hommes n'ont que très
peu de contrôle mais qui exerce un pouvoir déterminant sur leur
destinée : le travail n'est pas ,pour ces gens,une source de
sécurité matérielle,bien au contraire :
« ils ont énormément peur de le perdre,les
lâches(...) souvenirs de « crise » (...) de la
dernière fois sans place (...) ces mémoires vous
étranglent un homme »85(*).L'intégration des hommes au système
économique sert de base à une autre série
d'images ,celle des machines,autre avatar du système
économique dominant : ces machines,comme le tramway ou le
métro qui « compriment » ou
« avalent » les gens,les transforment même en
« ordures »,ces machines qui semblent contrôler la
vie de l'ouvrier banlieusard. La zone ressemble à un immense atelier
dans lequel errent, sans but précis des êtres humains hirsutes,
malades qui ne font que survivre dans un climat malsain, reflétant la
dépravation de leur environnement, cette « poubelle gazeuse
pour tortures imbéciles »86(*).Comment ne pas voir un parallèle saisissant
avec les usines Ford telles que Céline les décrit dans ses notes,
avec leurs handicapés moteurs et mentaux, littéralement
cloués devant leur machine ? Où se trouve la
différence entre les usines, « cages à mouche sans fin
dans lesquelles on discernait les hommes à remuer » et Paris
où « les hommes se traînent » ? Dans ce
monde, l'homme semble toujours et partout soumis à quelque chose qui le
dépasse. Le système économique, représenté
par le travail, les machines, écrasent l'homme et produisent la peur, la
claustration : « Au matin donc le tramway emporte sa foule se
faire comprimer dans le métro. On dirait à les voir tous s'enfuir
de ce là, qu'il leur est arrivé une
catastrophe »87(*).Comme aux Etats-Unis, le règne de
l'industrialisation, du travail, écrase la condition humaine.
Conséquence irrémédiable de cette compression
générale, la saleté, la pourriture, la véritable
obsession de Céline, qui revient sans cesse. Dans ce passage descriptif
de Rancy, la saleté est directement liée aux effets de
l'industrialisation : « la lumière du ciel à
Rancy, c'est la même qu'à Detroit, du jus de fumée qui
trempe la plaine depuis Levallois. Un rebut de bâtisses tenues par des
gadoues noires au sol »88(*).La permanence de cette saleté suggère
que les conditions de Rancy sont éternelles .Plusieurs autres
ressemblances se dégagent d'un passage décrivant les pauvres en
Amérique : « Les relents d'une continuelle friture
possédaient ces quartiers (...) Tout me rappelait les environs de mon
hôpital à Villejuif,même les petits enfants à gros
genoux cagneux (...) Je serais bien resté là avec eux mais ils ne
m'auraient pas nourri non plus les pauvres et je les aurais tous vus ,toujours
et leur trop de misère me faisait peur »89(*).La plupart des thèmes
qui constituent le décor de Rancy ont déjà
été utilisés pour évoquer les conditions de vie des
classes désavantagées dans les descriptions de l'Afrique,de
l'Amérique ou même de Paris pendant la guerre :
« Dans le grand abandon mou qui entoure la ville ,là où
le mensonge de son luxe vient suinter et finir en pourriture,la ville montre
à qui veut le voir son grand derrière en boîtes à
ordures »90(*).En plus d'être persistantes et
indélébiles,la misère et la pauvreté de Rancy sont
universelles...L'insalubrité touche tout le
monde :l'écrivain se désole face à la
passivité des banlieusards qui se contentent de vivoter ,ne pensant
qu'à leur pension,obsédés par les problèmes
économiques mais constate que,loin d'être responsables de leur
passivité,les pauvres sont victimes de leur environnement
malsain .La fatalité sociale n'est toutefois pas l'apanage des
seules classes défavorisées : tout le monde est
concerné par une mauvaise alimentation, une mauvaise
diététique :les rues de la banlieue
pénétrées du « petit bruit du graillon qui
crépite à midi, orage des mauvaises graisses »91(*) mais aussi les hommes
d'église comme l'Abbé Protiste , « un homme qui
mangeait trop vite et qui buvait du vin blanc »92(*) ou les Henrouille dont le
« pavillon payé,(...) plus un sou de
dettes »93(*) de
Rancy n'empêche pas l'eau d'y pénétrer : «Les
murs du pavillon se gardaient encore bien secs autrefois (...) mais a
présent que les hautes maisons de rapport le cernaient, tout suintait
chez eux, même les rideaux qui se tachaient en moisi »94(*).
La banlieue n'est pas la seule pourvoyeuse de
maladies : pendant la guerre de 14-18, la tuberculose et d'autres maladies
infectieuses causent des centaines de milliers de morts et mettent en
évidence l'inadéquation des structures. Le rôle, nous
l'avons vu, de la fondation Rockefeller aux missions de laquelle a
participé le docteur Destouches fut vaine dans la prise de conscience
populaire et dans la sensibilisation à ces questions de santé
publique. Celle ci reste, à l'aube des années 1920,
dédaignée par les cliniciens et la médecine
libérale.
1.3 : LES SOLUTIONS PRECONISEES PAR
L'HYGIENISTE :
Pour lutter contre cet état des choses,si
admirablement décrite dans ses romans, la solution de Céline,
explicitée dans son article sur l'enseignement de la médecine (le
mémoire pour le cours des Hautes Etudes) est du même ordre que
l'encadrement des classes populaires préconisé par le Front
Populaire. Ce texte, rédigé en 1932, présente les
réflexions spontanées, émotives d'une introduction pour un
enseignement international d'hygiène qui devait se créer et ne
verra finalement jamais le jour : « tout ceci ne constitue qu'un
programme à très large trait (...) on peut envisager les
choses sous un jour bien différent. Provisoirement je les vois ainsi,
mais je ne demande pas mieux de les voir autrement »95(*).Il s'agit à travers ce
cours de donner une véritable pensée dynamique à
l'hygiène et en particulier à son enseignement, « une
pensée critique et permanente, point religieuse et
sporadique »96(*). Céline s'attache à décrire la
réalité de l'hygiène académique de l'époque
,c'est-à-dire les raisons de son pessimisme : « C'est un
fait hélas d'expérience qu'en hygiène on ne pense jamais
,on croit (...) Faire le point du « bateau hygiène »
serait pourtant le premier effort,le premier acte un peu intelligent et
sérieux que pourraient tenter les (...) Rien de tel qu'un grand
problème pour dissimuler flatteusement une radicale inaptitude à
saisir des humbles contingences de la réalité (...) c'est l'abri
naturel de tous les fainéants profonds »97(*).En effet,à cette
époque,les « hygiénistes » n'ont que peu
d'influence sur le corps médical. Leur rôle s'amenuise dans les
facultés de médecine où la clinique règne en
maître. Céline est donc bien au courant du peu de portée de
ses attaques : « Il ne servirait à rien d'accabler
sous la démonstration de sa presque entière niaiserie et
absurdité l'hygiène actuelle ,si nous n'avions pas l'intention de
mettre à sa place quelque chose de plus actif ,de plus réel ,de
meilleur et de lui faire réaliser un véritable
progrès »98(*).La première étape d'un véritable
tournant médico social serait de faire l'étude des
résistances à l'hygiène sociale ,de comprendre ce qui
empêche son progrès dans les différents pays. Au cours de
ses dissertations sur l'hygiène, Céline semble toujours commencer
par la fin, en fondant la cohérence de son discours sur les
« impossibilités fondamentales » du
« progrès sanitaire ». Il s'agit là d'un
principe inaugural du polémisme célinien : inscrire la
faillite des réponses au sein même du questionnement et toute
solution au sein d'une insolubilité première. Céline
analyse ainsi les différents facteurs de non progrès, les
conditions d'impossibilité de la médecine sociale pour remonter
aux conditions de possibilités de la misère.
D'abord l'alcoolisme : « Non point
l'étude niaise et bienveillante du fléau alcoolique .Non !
L'étude de ses véritables tenants politiques, budgétaires,
commerciaux. »99(*).Destouches compte, par la statistique notamment,
prouver les méfaits de l'alcool sur la population et sur le budget de
l'Etat et espère, à plus ou moins long terme, rétablir une
forme de prohibition ou du moins se rendre compte des
« Progrès entraînés par la
prohibition »100(*). Tout cela par les chiffres, la statistique, outil
indispensable du médecin hygiéniste moderne. Céline ne
propose dés lors plus de traiter des « cas » mais
envisage plutôt une médecine où le malade
disparaîtrait complètement derrière des colonnes de
chiffres.
L'alimentation vient ensuite : « ce
qui est nécessaire, ce qui est superflu et nocif (...) étude des
possibilités d'alimentation en commun »101(*).Des statistiques
précises devront être établies et comparées à
celles d'autres pays afin de mettre à jour les gaspillages
effectués dans le domaine de l'alimentation. Ainsi l'alimentation sera
moins coûteuse et les stocks gaspillés seraient employés
à nourrir les pauvres et les chômeurs. Dans Les Beaux
draps, Céline précise sa pensée : agissant en
nutritionniste, il décrète l'égalité devant la
faim : « Pour tous les vivants la même chose, les
3000 calories standard, pour le génie, pour Beethoven, comme pour Putois
Jules, terrassier »102(*).
Autres facteurs d'importance, le travail (avec une
nouvelle référence à Ford),sur lequel nous reviendrons
plus précisément, et le facteur financier qui impliquent
d'étudier des « maladies caractéristiques des
pauvres,des prolétaires et des riches »103(*) ,toujours dans un seul
but :réduire les coûts. Céline dénonce ensuite
l'influence des guerres et des budgets de guerre sur les dépenses
sociales et sur la vie « moderne », c'est à dire la
possibilité (ou plutôt l'impossibilité...) de mener de
front une politique militaire très coûteuse et de
véritables travaux sanitaires ; un passage très
intéressant qui corrobore sa propre vision du monde et son
expérience de la guerre : « Recherches de ce qu'on
pourrait faire avec l'argent des budgets de guerre pour la santé
publique. »104(*). Il déplore, dans un même ordre
d'idée, l'impossibilité, du fait de la rigueur du système
capitaliste, d'employer l'argent à un meilleur entretien des logements
sociaux et à la construction de nouveaux : « Mais en
même temps faire comprendre que ces ambitions sont tout à fait
irréalisables en système capitaliste »105(*).Un argument mort dans l'oeuf
,en quelque sorte... Dans une toute autre optique cette fois, Céline
pense aussi qu'il serait nécessaire de prendre en compte d'autres
séries de facteurs, ayant plus à voir avec les habitudes de vie
des populations : la religion, les sports mais aussi « La Vie
sexuelle dans les villes (...) l'existence du surmenage, la
monotonie »106(*), soit l'étude de l'influence de la vie
moderne sur le système nerveux. De cette première vue rapide
Céline conclut qu'il faut essayer de délimiter les
possibilités d'améliorer cette situation, après en avoir
observé les obstacles majeurs. Il en arrive cependant à se poser
la question de savoir si « dans l'état actuel des choses, il
n'est pas plus économique de considérer que la maladie plus ou
moins chronique est l'état normal de l'individu dans la
société où nous vivons et la santé un état
tout à fait exceptionnel »107(*).Céline l'hygiéniste accepte le fait,
indéniable, que, faisant partie de ce monde, autant essayer de
l'améliorer,sans toutefois se faire d'illusion quant à la
possibilité d'appliquer des méthodes radicales. C'est d'ailleurs
ce qui explique son pessimisme foncier et lui permet de renvoyer dos à
dos, sur le plan idéologique, le capitalisme et le marxisme, tout en
cherchant des palliatifs. Plus question de chercher à préserver
l'ordre établi : du début à la fin cet ordre social
est dénoncé,même si Céline n'envisage pas qu'il
puisse être renversé dans un avenir proche. La réflexion
reste fondée sur l'hypothèse du maintien d'un régime en
place et ne porte que sur des aménagements très limités
mais très précis qui peuvent ,à la rigueur,être
apportés. Jamais toutefois Céline n'a fait tant de place aux
facteurs économiques et sociaux et jamais il n'a été aussi
sur le point d'imaginer que la suppression des entraves à cette fausse
médecine qu'il dénonce puisse apporter ces améliorations.
Dans une verve là encore toute littéraire il parle aussi de
l'homme, le voit égoïste, matérialiste, se complaisant dans
une série de défauts, «leur masochisme, leur crasseux
conservatisme, leur narcissisme myope, leur inépuisable je-m'en
foutisme »108(*) : affirmation de la lourdeur, de la
bêtise et de la vanité humaine, obstacle majeur, selon lui, de la
réalisation de son dessein à l'échelle planétaire.
Inutile de préciser combien il y reviendra par la suite et combien cette
constante imprègne toute son oeuvre depuis Semmelweis :
« « Ils étaient lourds », voilà ce
que je pense. Les hommes en général, ils sont horriblement
lourds »109(*). L'hygiène a isolé les
symptômes qu'elle est censée traiter de leur contexte réel.
La science sanitaire s'est rendue abstraite et a séparé son
savoir médical du corps social. Céline pourfend
« l'imbécile optimisme » d'un hygiénisme
archaïque, hérité de l'idéalisme bourgeois du XIX
è siècle : « l'oeuvre pastorienne est toute
entière vermoulue,il serait peut être temps de faire un bilan
sérieux entre ce qu'on peut demander dans la pratique pour ne point
gaspiller l'argent aux méthodes pastoriennes appliquées , aux
laboratoires d'hygiène,aux prophylaxies massives ».Il y a
là l'idée,encore une fois, d'une opposition très nette
entre cette médecine de savants en blouses blanches,cette
médecine scientifique « qui peut aller,si elle le veut,de
subtilité en subtilité jusqu'à se perdre dans les
nuages »110(*)
et une médecine standardisée aidée par la statistique,plus
proche des réalités qui s'impose donc de fait dans l'esprit du
docteur Destouches.
1.4 :L'IDEE DE LA MEDECINE STANDARD:LE NIHILISME
THERAPEUTIQUE DE CELINE
Il reste donc à entreprendre l'étude de
la médecine et de la pharmacie. L'idée d'une
« médecine standard » apparaît alors:
« Importance d'enlever pareillement ces maladies à la
médecine et à la pharmacie commercialo-byzantine actuelles pour
les ramener économiquement à une médecine sociale
économique plus ou moins standardisée,simplifiée à
une thérapeutique active, expéditive,
contrôlable »111(*).En 1930,Céline transmet à la
Société de Médecine de Paris un essai de diagnostic et de
thérapeutique méthodiques en série sur certains malades en
dispensaire où il donne une approche très innovante du
problème de la tuberculose. Il propose en effet de procéder
à un dépistage systématique de cette maladie au moyen d'un
test biologique et d'effectuer ensuite un traitement systématique avec
suivi et adaptation en fonction des résultats biologiques. Son
exposé traduit bien les efforts de rigueur scientifique fournis par
Céline ainsi qu'une certaine précocité de ses
idées. Dans le mémoire pour le cours des Hautes Etudes, deux ans
plus tard, les phrases sans verbe se succèdent, pointant ainsi les
préoccupations essentielles de l'hygiéniste Destouches :
« Oppositions entre cette façon fausse et entièrement
théorique d'enseigner la médecine et les manières dont
tous les praticiens pratiquent dans la vie courante (...) l'ère
pastorienne est accomplie (...) »112(*).La médecine standard de Céline
s'accompagne d'une critique acerbe des habitudes thérapeutiques
contemporaines. Il n'hésite pas à parler de
« l'empoisonnement du malade par la médecine et la pharmacie
libérale »113(*) et de « toxicomanie populaire, par
tolérance quasi illimitée des licences
pharmaceutiques »114(*).Il reconnaît même, dans une lettre
à Albert Paraz,un écrivain de ses amis,tuberculeux, quelques
bienfaits à l'homéopathie : « Je ne veux pas dire
de mal de l'homéopathie. C'est une hygiène »115(*).Céline a toujours
été, de toute façon, un petit prescripteur. Dans sa
thèse de médecine consacrée à Céline,
François Balta parle d'une « vingtaine de
produits »116(*) au dispensaire de Bezons en 1941, ce qui,même
en temps de guerre,reste dérisoire. Il fut aussi d'un grand scepticisme
pour les nouveaux médicaments. Céline respecte en matière
de prescription des règles de prudence et d'économie telles qu'il
les définit dans D'un château l'autre :
« Je prescris jamais que des remèdes absolument impeccables
(...) je vous vois faire avec au bas mot ,au plus juste,trois cent milliards
d'économie par an ... et les malades joliment mieux ! Moins ahuris,
vaniteux, empoisonnés !...je sais ce que
j'affirme »117(*).Céline reste un médecin anti-potions,
un médecine hostile à une médecine omnipotente, trop
invasive et sûre d'elle. D'où provient cette idée chez
Céline ? Probablement de l'époque où il
s'intéressait, via ses recherches sur Semmelweis, à
l'école de Vienne. En effet, il y eut dans l'histoire de la
médecine, des phases où le progrès consista surtout
à éliminer les traitements inutiles ou nuisibles. L'apparition de
la médecine statistique dans les années 1830, en lieu et place de
la révolution médicale anatomo-clinique imprimée par
l'Ecole de Paris auparavant a conduit, selon l'historien de la médecine
Shryock, à tout un « repensement » de la maladie.
Les échecs thérapeutiques de la nouvelle vision de la
médecine clinique lors de l'épidémie de choléra
à Paris en 1832 ont prouvé l'inefficacité des
médecins parisiens et contribué à l'émergence d'une
nouvelle vision de la maladie où le collectif primerait avant
tout : il s'agit de prescrire moins mais de prescrire mieux. C'est ainsi
que, comme nous l'avons vu, Josef Skoda, un des maîtres de Semmelweis et
une des gloires de la médecine viennoise au XIX è siècle,
se rendit célèbre par sa méthode du « nihilisme
thérapeutique » c'est-à-dire qu'il interdisait la
prescription de médicaments dangereux ou, tout du moins, dont on
n'était pas sûrs, à une époque où la
pharmacologie expérimentale n'existait pas encore. En fait, Skoda
n'était pas vraiment un nihiliste mais plutôt un sceptique, qui ne
prescrivait que des médicaments à l'efficacité
prouvée. Dans un autre domaine,le célèbre psychiatre Eugen
Bleuler, sans aller aussi loin que Skoda, pratiqua souvent ce qu'il appelait
l'"oudénothérapie".A l'instar de ces deux praticiens de
renom,Céline préférait n'administrer aucun
médicament d'efficacité incertaine : « Lorsqu'on
n'est pas absolument certain qu'un médicament peut avoir une action
favorable (ce qui est le cas une fois sur mille) le devoir est de ne prescrire
que de l'eau ... et de l'hygiène...Charlatanerie 999 fois sur
1000...les malades veulent être bafouillés...On leur en
donne ! »118(*).Par quelle méthode former des praticiens
aptes à l'exercice d'une telle médecine standard ? En
premier lieu,en instaurant au cours des deux dernières années
d'études,un cours de « pratique médicale
courante »,qui aura pour vocation de faire oublier aux
étudiants les 9/10é des connaissances par eux
précédemment acquises mais à conserver
précieusement le 1/10é restant :
« Irréalité naïve ou hypocrite de la
médecine ou de la thérapeutique telles qu'elles sont
enseignées dans les écoles de médecine »119(*).En second lieu ,imposer,en
conséquence ,au jeune médecin six mois de stage chez un praticien
rural ou urbain. Enfin, en mettant à la disposition du corps
médical de bonnes statistiques de morbidité, permettant d'aider
à l'établissement rapide d'un diagnostic et donc d'écarter
ainsi « les maladies les plus coûteuses et les plus banales,
celles qui sont en réalité des véritables maladies
d'hygiène par leur fréquence, leur simplicité et leur
curabilité, rhumatismes, bronchites,
diarrhées... »120(*).Une médecine rapide, expéditive
même, dans la droite lignée de la verve diagnostique d'un Skoda
dans son hôpital de Vienne au milieu du XIX è siècle...
Il s'agit, en tous les cas, de prévenir, de
soigner plutôt que de guérir, de contrôler ce qui peut
l'être, comme cette surconsommation médicale par exemple :
« Ce que je voudrais établir, c'est une médecine
efficace et standardisée (...) une médecine sociale et
générale »121(*).Le but de la médecine c'est de soulager le
plus rapidement possible pour permettre à l'homme de travailler et de
prendre un peu de plaisir. Et Céline de préconiser des tests
sérologiques, régimes alimentaires, recherches de
médicaments pour les affections usuelles : « en
résumé, sortir de la farce des parodies et des grimaces
administratives pour entrer dans l'efficacité »122(*).Efficacité :
voilà le maître mot... L'image qui ressort là du docteur
Destouches est celle d'un praticien moderne, américain, soucieux du
résultat, ennemi du verbiage philantropo-clinique, médecin des
pauvres soucieux avant tout de rentabiliser un temps limité. Sa
fonction,il l'a décrite lui-même dans une communication à
la Société de médecine en 1930 sur le
« dépistage de la tuberculose par les tests
sérologiques du Vernes Resorcine »123(*) : Vingt heures de
consultation par semaine ,deux mille deux cents nouveaux malades par an avec
« consultation de cinq à dix minutes par
malade »124(*).L'auteur parle d' « empirisme partiel
mais avoué »125(*).Le docteur Destouches pratique sa
spécialité,la médecine sociale,avec tout le sérieux
scientifique possible,il s'informe,il réfléchit. Les voyages aux
Etats-Unis, chez Ford, sont, de ce point de vue, loin de n'être que de
simples escapades : compte tenu des conditions de travail, il cherche
toujours la méthode la plus pratique, le résultat maximum. Il va
donc s'agir de repenser la médecine, la ramener au sujet, à la
« réalité », imposer l'hygiène,
éliminer l'alcool, revoir l'alimentation,avoir pour but l'assainissement
des conditions de vie des populations urbaines mais aussi et surtout,
soigner les malades au travail. Il faut remettre l'hygiène sur pied,
soit réinterpréter toute pathologie à partir de son
terrain socio-économique, assurer la santé de la main d'oeuvre
nécessaire à la production industrielle.
II : POUR UNE MEDECINE DU TRAVAIL:
2.1: LE FACTEUR TRAVAIL:
L'essentiel du propos du Céline
hygiéniste est de corriger l'un par l'autre les vices de la
médecine et de l'hygiène : « hygiéniser la
médecine »126(*), « ramener l'hygiène dans la
médecine »127(*).Ayant fait l'expérience de l'hygiène
à la SDN et de la médecine en cabinet puis en dispensaire
à Clichy, et ayant conclu à l'échec de l'un et de l'autre
dans leurs formes actuelles,Céline entreprend de les fondre dans la
seule pratique qui pourrait avoir une efficacité,une
« médecine du prolétariat »128(*),éloignée de
toute théorie et de toute utopie,mais connaissant les véritables
conditions de travail,l'état de santé réel des
travailleurs. Ces idées ne sont pas nouvelles chez
Céline : elles datent de ses premiers contacts avec la
médecine sociale, en particulier lors de la mission américaine.
Céline développe alors des principes d'organisation
économique et sociale qui s'accordent avec sa vision des hommes.
D'après la thèse de Elise Alay, le monde célinien est un
monde où « le pathologique n'est plus accidentel mais
constitutif de l'existence. L'homme n'existe qu'à partir du terrain
physiologique et psychologique qui le constitue et qui répond au milieu
(société, culture) dans lequel il se
développe ».Rappelons ici l'une des phrases les plus
célèbres de la pensée hygiéniste de Céline
,qui nous conforte dans cette idée : « Il faut se
demander si dans l'état actuel des choses ,il n'est pas plus
économique de considérer que la maladie plus ou moins chronique
est l'état normal de l'individu dans la société où
nous vivons et la santé un état tout à fait
exceptionnel »129(*).Céline propose de parvenir,en France,à
un changement des perception de l'hygiène sociale en « les
envisageant sous l'angle réellement moderne »130(*),c'est-à-dire en
prenant en compte l'industrialisation et la mécanisation de plus en
plus importantes des nouveaux systèmes de production. Le système
de santé français lui semble inadéquat, inadapté et
ne prend pas assez en compte ces facteurs économiques et surtout le
facteur Travail : « considérer l'état de
santé et de maladie en fonction du facteur travail et presque uniquement
en fonction de ce facteur,cela nous semble être la seule attitude
vraiment sage et fructueuse de l'hygiéniste »131(*) ou encore ne pas oublier que
« les assurés sont tous des travailleurs (...) c'est en cet
état seul qu'il faut les considérer »132(*).Céline semble penser
que ,dans une certaine mesure,le modèle de Ford pourrait s'appliquer en
France même si,évidemment,notre pays n'a pas acquis le
degré de mécanisation et d'industrialisation des Etats-Unis.
Céline remarque, de ce fait, « l'existence d'une nombreuse
main d'oeuvre gaspillée et parfaitement utilisable »133(*) dans les usines. Le travail
industriel serait ainsi capable de nourrir des personnes que l'on trouverait
plutôt à l'hôpital ou dans les hospices :
« Il serait sans doute possible d'étudier
sérieusement,dès à présent ,les modalités
éventuelles d'emploi de certains malades chroniques dans
l'industrie »134(*).Ford ayant prouvé que l'emploi de ces malades
chroniques était dans le domaine du possible,leur utilisation pourrait
néanmoins être « plus rationnelle chez nous,moins
indifférente humainement ».Céline argue du fait que
,comme n'importe qui,les malades ont à subvenir aux besoins de leur
famille et doivent donc travailler. Alors qu'un système d'assurances
sociales se met en place en France à cette époque ,visant
à améliorer le niveau sanitaire des ouvriers en leur donnant la
possibilité de ne pas travailler en cas de maladie,Céline
défend l'idée que « l'emploi des malades doit
être le mot d'ordre social de demain »135(*).Cette idée n'est pas
propre à Céline et des projets de loi ont déjà
été présentés ,en 1915, sur l'emploi obligatoire
des mutilés dans l'industrie ,le commerce et l'agriculture. La guerre
s'éternisant, le problème des soldats blessés va vite
devenir un enjeu socio-économique de première importance.
Dès 1915, donc, le patronat commence à se préoccuper
sérieusement des effets de l'intégration d'une masse
ouvrière diminuée physiquement au sein de la production
industrielle. Certains sont encore réticents mais d'autres jugent
l'idée indispensable. Paul Virilio ,dans un ouvrage intitulé
Vitesse et politique,précise que cette politique de
récupérés fut,en Allemagne,poussée à son
maximum dans le cadre militaire lui-même :
« l'armée allemande ne connaît pas ou peu
d'irrécupérables,car elle a pris le parti de fonctionnaliser les
handicapés physiques en utilisant selon chacun sa diminution
d'activité ».Cet ancien dispositif de rentabilisation des
corps mutilés hante le tableau du fordisme célinien :
« On se demande souvent ce que peuvent faire les aveugles chez Ford
(...) nous en avons vu travailler une dizaine,ils sont attachés à
des besognes très minuscules et généralement
surveillés par un autre invalide pourvu celui là d'une claire
vision »136(*).Mais Céline propose d'améliorer le
système Ford en apportant des solutions thérapeutiques à
ces malades chroniques,de leur fournir un suivi médical plus
poussé : « Non point n'importe comment mais sous
permanent conseil et surveillance médicale »137(*) .Persuadé de la
nécessité de maintenir les hommes au travail pour ces raisons,il
pense qu'il faut « démontrer au patron (...) que c'est le bon
système,selon nous,d'assurances médicales
rationnelles »138(*).Dans le fond,Céline se rend compte de
l'impossibilité de faire marche arrière ,que le travail en usine
est une nécessité , honnie peut être mais une
nécessité tout de même. En 1932, il préconise
« d'admettre une fois pour toute les conditions de fait du monde du
travail 139(*)» ; en 1941, il constate que
« l'usine c'est un mal comme les chiots, c'est pas plus beau, pas
moins utile, c'est une triste nécessité de la condition
matérielle »140(*).
2.2 : UNE POLITIQUE ECONOMIQUE DE SANTE
PUBLIQUE :
L'instance qui devait conduire cette nouvelle gestion
collective de la maladie et de la santé n'est ni la médecine qui
soigne l'individu, ni une quelconque instance politique. C'est
l'économie. L'ère nouvelle de la mécanisation signifiait
que maladie et santé cessaient d'être définies par rapport
à des concepts biologiques mais devenaient des notions qui prenaient
sens sur le terrain socio-économique. Comme le dit très justement
Philippe Roussin : « Dans le monde du taylorisme (...) le savoir
médical ne faisait plus autorité en tant que
tel »141(*).
Pour répondre à ce besoin particulier, « il faut
créer des cadres de médecin d'assurance maladie
« d'entreprise » qui auront la charge médicale
spéciale des assurés, sur les lieux même et pendant la
durée du travail »142(*). Céline, devant la misère des hommes
et leur incapacité à se prendre en charge, prône
l'interventionnisme plutôt que l'assistance. Le développement des
assistances sociales, à partir des années 1930, en contribuant
à déresponsabiliser le malade, va d'ailleurs
considérablement modifier les rapports entre ce dernier et le
médecin. Depuis 1900, l'Etat a tenté d'instituer un régime
d'assurance vieillesse pour les travailleurs les plus modestes. Un projet de
retraites ouvrières et paysannes fondées sur le système de
capitalisation voit le jour en 1910 mais sa mise en place est interrompue par
la guerre. Ce bouleversement est aussi un temps de rupture dans les
mentalités : les besoins de sécurité engendrés
par l'industrialisation et le retour dans la communauté française
des populations d'Alsace Lorraine, qui ont bénéficié du
système d'assurances sociales allemand, vont converger pour inciter les
pouvoirs publics à déposer, en 1921, un projet d'assurances
sociales, relatif cette fois à la santé en même temps
qu'à la vieillesse. L'instauration de ce système allait susciter
un des plus importants débats publics de l'entre deux guerres et
provoqua les réactions de tous les secteurs de l'opinion et de tous les
acteurs de la vie publique. Aucun gouvernement, toutefois, ne prit le risque
d'abandonner un projet qui suscitait de grands espoirs dans la population et la
loi fut promulguée le 5 avril 1928.L'assurance prévue couvre les
risques de maladie, d'invalidité, de vieillesse, de décès,
de maternité pour un très grand nombre de salariés. Dans
un texte sur les assurances sociales, écrit et publié en mai
1928, soit pendant la rédaction des décrets fixant les
modalités d'application de cette loi, Céline s'en prend à
ce « collectivisme » qui semble gangrener tous les rouages
de la société française de ce début de XX è
siècle. Il parle même d'un « monopole de la santé
publique par le collectivisme/socialisme »143(*).La loi
« socialiste » (pourtant votée par une
assemblée de droite, avec Poincaré...) sur l'assurance sociale ne
va pas assez loin dans l'esprit réformateur et est une version de cette
« pseudo-philantropie » qui risque d'alimenter à son
tour la misère, puisque le « malade » ne touchera
plus que « 10F par jour » au lieu de
« 25F»144(*). Son opinion rejoint à première vue
celle des nombreuses voix discordantes, notamment chez les médecins
libéraux : celle du docteur E.Lick, notamment, qui
dénonçait dans un livre sur « les méfaits
des assurances sociales en Allemagne et les moyens d'y
remédier », les dangers encourus tant par les praticiens
que les malades. Les premiers n'exerceraient plus la médecine
« qu'en vrac et en vitesse ». Les seconds seraient victimes
d'une « dégénérescence mentale »,
incités à la paresse, voués au parasitisme social.
Derrière tout cela se cache surtout la peur d'une étatisation de
la médecine au détriment de la médecine libérale.
On pourrait donc penser à un excès de conservatisme de la part de
Céline,or,au contraire,il propose -dans son esprit tout du moins,d'aller
beaucoup plus loin pour éviter le gaspillage Selon lui ,trois mesures
doivent être prises principalement :d'une
part :« l'assuré doit travailler le plus possible avec le
moins d'interruption possible pour cause de maladie »145(*).D'autre part,le fait que la
plupart des malades peuvent travailler,ce qui vient corroborer les dires de la
communication à la société de Médecine de Paris sur
les usines Ford. Enfin, les malades doivent être soignés pendant
qu'ils travaillent et les entreprises de doivent d'« utiliser toutes
les possibilités que l'industrie moderne offre à l'emploi des
malades »146(*). Il est alors, en cette fin des années
20, un des seuls à évoquer la nécessité d'une
médecine du travail institutionnalisée qui n'apparaîtra
finalement en France qu'en 1946.Celle ci serait présente à
l'usine, au contact des ouvriers, sur le terrain. La politique sanitaire
française, inefficace, bureaucratique, dispersée, doit donc
être transformée en profondeur dans son mode de fonctionnement et
se penser en réelle activité économique ,avec une forme de
« rentabilité » : « Il faudra bien se
décider quelque jour à intégrer la santé publique
dans l'économie nationale (...) comme les chemins de fer et la force
hydraulique ,au lieu de la laisser au soin (...) de bureaux
disparates »147(*).La médecine et l'hygiène doivent ainsi
interagir avec le milieu industriel et lui permettre une rentabilité
accrue : « L'hygiène sociale nouvelle ainsi basée
sur l'industrie (...) ne se présente pas comme une expérience de
politique sociale bienveillante mais comme un taylorisme
agrandi »148(*).Selon Céline,on doit sur ce point là
s'en tenir au fait purement économique qu'il est bon ,intéressant
et rentable pour un chef d'entreprise d'employer et de faire travailler un
malade ainsi que d'instaurer dans son entreprise une véritable
médecine du travail : « Démontrer au patron qu'il
a un intérêt pécuniaire à employer des malades
à tous points de vue et à les laisser sous contrôle
médical. C'est le bon système, selon nous, d'assurances maladies
rationnelles »149(*).Dans la suite de son article sur les assurances
sociales, Céline expose sa manière d'envisager cette
médecine du travail, tellement indispensable à sa vision de la
médecine sociale. Les médecins seront présents directement
sur le lieu de travail, au contact de
l'assuré : « Ils viendront se mettre au contact
permanent du populaire »150(*).Il aura une mission d'information,
d'éducation médicale auprès des ouvriers,
imprégnés d'un nouveau discours en connexion avec l'univers du
travail. Il faut balayer toute anxiété, toute crainte non
fondée vis-à-vis de la maladie chez l'ouvrier. Le médecin
devra expliquer directement, informer et mener une véritable politique
de santé à l'intérieur de l'entreprise, ce qui irait bien
au-delà de la simple « vulgarisation
médicale » comme le dit Céline. Le rôle du
médecin est multiple ; non seulement scientifique, mais aussi
« sociologues et philosophes pratiques »151(*).Céline parle de coup
d'oeil, d'un médecin capable d'analyser rapidement et assurément
une pathologie, directement sur le lieu de travail. Il propose une
médecine plus directe car en prise avec l'environnement du malade, une
clinique du travail : « médecine d'expectative et de
pratique spéciale adaptée à une population nombreuse et
toujours au travail »152(*). Cette nouvelle pratique de la médecine
sociale, présentée au premier abord comme une médecine qui
rendrait service aux travailleurs serait aussi une sorte de
« police » sanitaire, une instance de contrôle
sur les lieux de travail : « Il faut aller patrouiller sur
les lieux même où s'utilise la santé des assurés
(...) instituer en somme une vaste police médicale et
sanitaire »153(*).Tout cela dans le but d'être au plus
prés du travailleur,de se rapprocher des réalités
économiques ,de transformer le médecin en véritable
« praticien du travail »154(*).En proposant d'organiser l'hygiène sociale
à partir de l'univers de l'usine,Céline propose de substituer
l'usine à la ville en se donnant pour but de réhabiliter la
force de travail et d'assurer la santé de la main d'oeuvre
nécessaire à la production.
2.3: UNE NOUVELLE DIVISION DES TÂCHES ET DES
CORPS : UTOPIE MEDICALE DE CELINE :
La rémanence de la « mobilisation
générale du travail », lors de la première
guerre mondiale, dans la pensée sanitaire du docteur Destouches des
années 1920 paraît évidente .L'ancien pensionnaire du Val
de Grâce a trop connu la cohorte des blessés de guerre pour ne pas
nourrir la vision, dix ans plus tard, de l'optique sanitaire du rapporteur de
la SDN. Sans vraiment nier le fordisme, Céline n'y décèle
finalement qu'une copie exacte des ateliers hôpitaux de la guerre
1914-18.Les symptômes de la guerre pèsent, ici encore, de tout
leur poids : parmi les ouvriers de Ford il n'y a « presque pas
d'indemnes, certains complètement déchus »155(*).Les invalides de la vie
civile succèdent aux invalides de guerre. La pensée
célinienne maintient ainsi une certaine forme de cohérence :
c'est bien dans la relation qu'ont pu entretenir à un moment
donné l'effort de guerre et l'effort de production qu'est né cet
« angle unique du travail »156(*) moderne. Les
impératifs industriels, en se confondant pendant ces quatre
années de guerre avec ceux de la mobilisation armée trouvent ici
une seconde nature. Le travail est un « état de
guerre » permanent, l'usine son champ de bataille, ses ouvriers les
soldats du rendement et ses invalides les récupérés du
front productif. On comprend alors mieux le double langage de l'armement
sanitaire prôné par Céline .L'hygiéniste
s'adresse à ceux qui « à l'usine effectuent par ordre
un travail »157(*), dans un monde où « peu d'individus
échapperont à la loi du travail »158(*), allant ainsi à
l'extrême limite de son rapprochement. Comme la guerre, le fordisme est
une sorte de fatalité absolue qui ne laisse plus de place à
d'autres possibilités : « Il faut en prendre son
partie »159(*), note Céline. En ce nouvel espace de travail,
l'hygiène doit se plier à une médecine militaire parce que
le corps social est devenu une « armée » de
travailleurs. On ne doit pas ignorer, à ce stade, ce qui dans la vision
célinienne colle à la réalité historique : les
premiers essais d'industrialisation standard sont introduits en France en 1915
dans le domaine de la métallurgie. Dés 1916, une circulaire
ministérielle préconise l'application massive du taylorisme dans
l'industrie. Ces modèles sont aussitôt soumis à une
idéologie combattante, pensés dans le cadre d'une discipline de
travail militarisée. L'adoption généralisée du
taylorisme en Europe a été conditionnée par le
nécessaire mise en route d'une industrie au service de la défense
nationale. Céline, quelques années plus tard n'a fait que tirer
les ultimes conséquences de ce processus : l'apparition d'une
production standard et rationalisée et l'adaptation fonctionnelle de
l'inapte. L'espace-temps du travail semble n'avoir plus de limite, il abolit
les effets de l'âge : « La vieillesse n'est pas un facteur
d'invalidité »160(*), il étend son emprise au domicile
privé de l'ouvrier : « (...) ou alors le travail
viendra à la maison »161(*).L'usine ne met pas à l'écart, elle
n'incarne pas une zone clinique, elle désincarne tout ce qui pourrait
lui échapper.
Dans le Voyage au bout de la nuit,
l'écrivain Céline revient sur le thème du fordisme :
A un moment donné,Bardamu se fait embaucher à l'usine Ford. Alors
se concrétise la suggestion indirecte que la société
technique est néfaste. Ce monde de l'usine est dominé par les
machines, totalement saturé de violence, de bruit et de vibration :
« Et j'ai vu en effet les grands bâtiments trapus et
vitrés, des sortes de cages à mouches sans fin (...)
C'était ça Ford ? (...) Tout tremblait dans l'immense
édifice (...) on en devenait machine soi même à
force »162(*).
La violence,le bruit,les tremblements...plusieurs éléments de
l'univers guerrier sont présents dans cette description : l'image
des ouvriers « répartis en files (...) en renfort vers ces
endroits d'où nous arrivaient les fracas
énormes »163(*) transforme ces hommes en soldats montant au front
.Un parallélisme explicite le lien crée par l'image des ouvriers
soldats : « on cède au bruit comme on cède
à la guerre »164(*).On retrouve là un des thèmes du
rapport du docteur Destouches à savoir le fordisme comme fatalité
absolue où les ouvriers sont devenus une véritable armée
du travail : l'usine correspond aussi à l'univers guerrier dans le
roman. Cette équivalence se montre d'ailleurs indispensable pour la
compréhension des effets de l'usine sur l'ouvrier : « On
discernait des hommes à remuer, mais remuer à peine comme si ils
se débattaient plus que faiblement contre je ne sais quoi
d'impossible ».165(*)Dans ce monde dominé par les forces
mécaniques,les êtres humains sont affaiblis : ils sont un
univers d'êtres dégradés par la maladie :
« De leur masse [ces hommes] montait l'odeur d'entrejambes urineux
comme à l'hôpital »166(*). Cette diminution rappelle indirectement
l'abrutissement de l'univers guerrier et prépare un autre
phénomène : l'odeur d'huile,associée au feu ,s'empare
du corps de l'ouvrier et lui «brûle les tympans et les dedans
des oreilles par la gorge »,lui crée « un nez
nouveau ,un cerveau nouveau pour toujours »167(*).Le bruit agit de
manière semblable : « on emporte le bruit dans sa
tête,j'en avais encore moi pour la nuit entière de
bruit »168(*).Les machines tournent vibrent et imposent aux hommes
leur rythme infernal : «nous on tourne dedans et avec les
machines et avec la terre ».Le monde de l'usine qui résume la
société technique s'empare littéralement du corps de
Bardamu. Les nombreuses allusions que ce dernier fait à son corps
lorsqu'il évoque l'usine répondent également à un
grand nombre d'évocations semblables dans les premières
descriptions de l'univers guerrier au début du roman. Perdu dans la
menace généralisée de la guerre,Bardamu aurait voulu faire
arrêter les hostilités mais reconnaissait ne pas le pouvoir. A
l'usine, il insiste : « on voudrait bien arrêter tout
ça (...) mais ça ne se peut plus.Ca ne peut plus
finir »169(*).
Si Ford embauche des malades - près de 10 000 sur 45 000
ouvriers d'après Henry Ford, le travail lui-même ,sa nature
répétitive ,son environnement malsain,ses dangers,sont
également causes de maladie comme le laisse entendre Céline dans
ses rapports et comme il l'écrit en clair dans le
Voyage .Ceci lui fera dénoncer
« l'atrocité matérielle de l'usine » et le
« gâtisme industriel »170(*).Cette dernière notion
a trait à l'un des aspects de l'industrialisation largement
ignorée par Taylor : la fatigue. C'est Céline médecin
qui s'exprime ici par la voix de Bardamu : il a compris que les
méthodes de production dans une usine taylorisée pouvaient
être la cause d'une usure prématurée de l'ouvrier qui n'a
rien à voir avec le processus normal de vieillissement. La fatigue
industrielle, en effet, n'est pas mesurable et résulte de
l'accommodation au rythme de travail. Chez Ford,Bardamu finit ainsi par
ressembler aux machines. Il constate qu'on « se laisse aller aux
machines » et qu' « on en devenait machine aussi soi
même »171(*).Ce qui frappe dans la description de la condition
ouvrière chez Ford, c'est la passivité, la résignation des
ouvriers. Cette passivité des démunis est l'une des
caractéristiques de l'oeuvre de Céline qui
désespère de les voir se révolter : « C'est
pas la honte qui leur fait baisser la tête»172(*).L'homme joue donc à
l'usine un rôle singulier : « les ouvriers penchés
soucieux de faire tout le plaisir possible aux machines vous
écoeurent »173(*).Une machine est censée remplacer ou faciliter
le travail humain .Chez Ford,ce sont les machines qui commandent et les hommes
en revanche,les servent au point de se soucier de leur
« plaisir ».Il se trouve dans l'usine un renversement de
valeurs frappant , que l'on retrouve à certains passages du rapport de
1925 ,lorsque le docteur Destouches évoque Ford et
l'« armée de chimpanzés » à son
service. A l'usine, l'homme n'est plus un homme, il est asservi, il perd sa
liberté et se retrouve dénué de toute réflexion, au
niveau de l'animal. Toutefois, alors que l'hygiéniste Destouches,
rationnel,d'un réalisme implacable , tenant compte de
l'inéluctabilité de la mécanisation semble y voir comme un
moindre mal,l'écrivain Céline la rejette ,la condamne sans
rémission. Création de l'homme, la société
technique se retourne contre lui. Ford est ainsi une sorte de microcosme de
l'univers, celui des miteux, des « mal foutus », des sans
qualification, « ceux qui font marcher la
machine »174(*). La solitude et la conscience de sa faiblesse, dans
ce monde où tout concourt au service des machines semble provoquer chez
Bardamu un sentiment qui va au-delà du simple dépaysement :
il témoigne qu'il n'y a pas ici pas de place pour les hommes ni pour les
considérations humaines, chose qui semble intolérable à
l'écrivain comme au médecin.
Les contributions de médecine sociale de
Céline partent de cet ensemble de constats pour en déduire un
horizon du travail quasi apocalyptique ,matérialisé sous la forme
d'une utopie hygiéniste en rapport avec la société
productive de son temps. Ce sont d'abord des textes diagnostics qui
repèrent, au-delà d'une « médecine bourgeoise
(...) bien morte », un dispositif sanitaire apparu au cours des
années 20 et issu d'une rupture dans les pratiques productives
provoquée par la guerre. L'hygiénisme quitte ainsi « la
sphère de la cité civique et domestique où elle avait vu
le jour pour investir la société
industrielle »175(*).
III : UN HYGIENISME ANTISEMITE : MISERE DE
CELINE :
3.1 :CELINE TEMOIN DE LA DECADENCE SOCIALE :DE
L'HYGIENISME A L'EUGENISME :
Chez Céline, le discours médical ou,
plus exactement, celui de l'hygiéniste s'est souvent pris dans le
délire du pamphlétaire comme nous le verrons. De même, le
discours de l'hygiéniste tient dans le pamphlet une place assez
importante : le pamphlétaire Céline met en garde ses
concitoyens... Des textes rapportés à la Société
des Nations au milieu des années 20 et jusqu'à 1933, il ne reste
que de vagues souvenirs tant la radicalisation de la position
hygiéniste de Céline est flagrante. Considérons un aspect
de la société française qui émaille son oeuvre tant
littéraire que médicale : l'alcoolisme. Les
références de Céline à l'alcool, l'alcoolisme sont
innombrables, en particulier le mot « vinasse » qu'il
affectionne particulièrement et qui dénote le dégoût
et le mépris qu'il éprouve envers l'ivrognerie. Celle ci,
clinique d'abord, dans le Voyage au bout de la nuit, est
inhérente à la condition misérable est déjà
présente dans l'évocation de Rancy : « Cent
ivrognes mâles et femelles peuplent ces briques et farcissent
l'écho de leurs querelles vantardes (...) Dès le troisième
verre de vin,le noir ,le plus mauvais,c'est le chien qui commence à
souffrir »176(*).Comment ne pas être saisi par ce passage
terrible,poignant,concernant les méfaits de la boisson sur le
comportement humain : « les enfants dans l'horreur glapissent.
Ils découvrent tout ce qu'il y a dans papa et
maman »177(*).Le père n'est même plus un homme, il
est un mâle, la mère une femelle. Lorsqu'il boit, l'homme en est
réduit à l'état de bête, une bête
assoiffée, excitée. L'alcool entraîne une intensification
de la violence déjà inhérente à la pauvreté
et à l'univers misérable. En tout cas, il ne résout
rien : « On a beau faire, on a beau boire, et du rouge encore,
épais comme de l'encre, le ciel reste ce qu'il est là bas, bien
renfermé dessus, comme une grande mare pour les fumées de la
banlieue »178(*).On remarquera à quel point cette description
d'une banlieue insalubre rappelle celle qu'il nous donne dans Bagatelles
pour un massacre : « Les humains se traînent dans
Paris. Ils ne vivent plus c'est pas vrai ! (...) ils n'existent qu'au
ralenti, en larves inquiètes (...) Ils ne s'émoustillent
qu'à l'alcool »179(*). Répondant à l'écrivain Georges
Duhamel qui se plaignait que les français lisaient peu et se demandaient
où passait leur argent,Céline répond :«Tout leur
pognon part à la vinasse !»180(*).Se basant sur un rapport
établi par la CGT remis à lui par son éditeur Denoël,
Céline, dans Bagatelles pour un massacre, en extrapole
certaines conclusions : « C'est pas difficile à
trouver ! Ce petit pognon des clients, voyons, remettons nos lunettes,
admirons d'autres chiffres ... « l'Alcoolisme en France »
parfaitement éloquents, substantiels aussi. « La France est le
pays le plus fort consommateur d'alcool du monde...21 litres 300 d'alcool pur
(...) La consommation de vin qui était avant 1900 d'environ 35 millions
d'hectolitres annuels, devenue ces dernières années d'environ 50
millions d'hectolitres. Il est donc faux de dire que l'alcoolisme diminue,au
contraire,il progresse...La répartition,l'habitude de boire a
gagné les milieux féminins,certaines habitudes alcooliques sont
devenues particulièrement tyranniques ,par exemple celle de
l'apéritif »181(*).Voici maintenant la réaction de Céline
à ce rapport : « Sur la question du casse poitrine ,il
est donc totalement officiel,tangible,palpable que le français ne craint
personne (...) lecteur piteux,c'est possible,mais insupportable alcoolique
(...) aucun sauvage,aucun civilisé non plus n'approche de très
loin le français pour la rapidité,la capacité de pompage
vinassier »182(*) .Dans l'entre deux guerres,tout le monde,en
France,constate un phénomène accablant,la décadence de la
France. Et au centre de cette décadence,la France des
apéritifs : « le roi bistrot (...) qui
souille,endort,assassine,putréfie »183(*)L'alcoolisme est en
effet,à l'époque où Céline écrit
Bagatelles pour un massacre,au centre des préoccupations de
tous les partis politiques et l'on craint les conséquences
néfastes des accords de Matignon de 1936 et des congés
payés sur la consommation d'alcool dans le milieu ouvrier...En
réalité n'est ce pas aussi pour structurer ,organiser des loisirs
(à la montagne,à la mer) pour remédier à la
décadence physique et morale du pays ? Eloigner le peuple des
bistrots ? On peut faire un parallèle avec Céline
déclarant, au sujet du chômage en Allemagne qu'il ne s'agissait
«ni de capitalisme ou de communisme (...) mais d'ordre et de bonne
foi »184(*).C'est la recherche de l'efficacité qui prime.
Dans le même texte, datant de 1933, Céline fait jouer cette notion
d'efficacité concernant les problèmes alimentaires
outre-Rhin : « Sur quatre Allemands, le premier mange beaucoup
trop, les deux autres mangent à leur faim et le quatrième
crève lentement de sous-alimentation. Voilà un problème
qu'un enfant de dix ans (...) pourrait résoudre en dix secondes (...)
Hitler, tout führer qu'il est, aura bien du mal à sortir de ce
marasme alimentaire imbécile »185(*). Cette attitude n'est pas
sans rappeler les conceptions de Céline en hygiène sociale et en
médecine du travail. Celles ci aboutissent sans aucun doute à
l'établissement d'une société dirigiste et
autoritaire...Mais c'est encore le médecin,le professionnel qui
s'exprime ici ,et nous verrons que lorsque l'écrivain prend la parole,la
société qui découle logiquement de sa vision est toute
autre ,et ce dans beaucoup de domaines. Le Céline de Bagatelles pour
un massacre ne pouvait donc qu'applaudir à la politique de loisirs
,du plein air et du sport du front populaire ,reprise plus tard,sous une autre
forme et avec d'autres motivations,par le gouvernement de Vichy. Céline
passerait presque pour un austère... Or il aime la musique, la danse, la
chanson et regrette un passé relativement récent où les
gens du peuple étaient gais. Il pense que l'industrialisation, surtout
l'urbanisation a tué la joie : « Sozial !
sozial ! C'est vite dit... mais « sozial » d'abord,
avant tout, c'est une question d'air et de globules »186(*). La banlieue parisienne de
1914 constitue déjà un cercueil pour ses habitants qui sont des
ivrognes,des déséquilibrés,des malades...Pour y
remédier,Céline va proposer une solution très proche de
celle du Front Populaire : « Tout le monde,toute la ville
à la mer ! ... sur des artères de la campagne pour se
refaire du sang généreux,éparpiller dans la nature,au
vent,aux embruns,toutes les hontes,les fientes de la
ville »187(*).Quand Céline constate que « Paris
,à présent,manque de tout (...) l'eau claire ,le vent,les
poumons,les fleurs,les espaces,les jardins,les globules rouges,le
silence... »188(*),il résume en quelques lignes l'essentiel de
tous les programmes urbanistes de l'époque
contemporaine,c'est-à-dire des années 1970-90. Cette constatation
de la décadence sociale de la France, en cette fin des années 30
est un retour à l'idée, déjà contenue dans les
textes médicaux des années 1920, de l'hygiénisme comme
politique de santé. Tout s'y trouve : les colonies de vacances de
l'après guerre,la politique des espaces verts en ville,les lois
anti-pollutions,le bruit considéré comme une nuisance... Ce
discours social contient en germes la majorité des difficultés
auxquelles sont confrontés ceux qui, de nos jours, se préoccupent
de la qualité de vie.
3.2 : LE MEDECIN ANTISEMITE :
Relevons donc que pour Céline, c'est toujours
l'insalubrité de l'environnement qui affecte le comportement, la
santé, les émotions des habitants. Ce qui est intéressant,
toutefois, c'est de constater que Céline l'écrivain, le
pamphlétaire et le médecin se rejoignent dans l'analyse ou le
diagnostic ainsi que dans les solutions proposées. La seule
différence entre le médecin et l'artiste est une question de ton
et surtout, au niveau des solutions, l'absence de toute solution absolue. Il
serait impensable pour un médecin de dire que l'homme est
« loupé », bien que cela ne le soit pas de le
penser... Dans cet univers malsain, en écho aux écrits
médico-sociaux du docteur Destouches, est normal celui qui est
essentiellement et entièrement malade ; la santé et
l'être sain sont relégués à une sorte d'idéal
forcément inatteignable. C'est toutefois à l'échelle de la
société française que le Céline des pamphlets de la
fin des années 1930 voit cet état généralisé
de dégénérescence s'affirmer. Et la cause de ce
délabrement, de cette déliquescence
généralisée, c'est le Juif... Les rapports entre la
condition médicale de Céline et son antisémitisme
existent : cette forme d'antisémitisme médical
apparaît chez Céline dès la pièce écrite en
1929, prélude au Voyage au bout de la nuit :
L'Eglise. En démontant les rouages administratifs de la
prestigieuse Société des Nations, Céline ébauche
une critique que l'on retrouvera de manière encore plus flagrante dans
Bagatelles pour un massacre quelques années plus tard. Ce sont
les médecins juifs qui sont en cause :Yubbenblat,le directeur du
bureau d'hygiène,qui n'est autre que le personnage incarné dans
la réalité par le Dr Rachjman : « Par les
circonstances de la vie ,je me suis trouvé pendant quatre ans titulaire
d'un petit emploi à la SDN,secrétaire technique d'un juif (...)
les places notables ,les vrais nougats sont occupés,là comme
ailleurs,par les juifs et les maçons »189(*).L'antisémitisme de
Céline s'est ainsi incontestablement ancré au coeur des tensions
qui agitaient la profession médicale dans les années 1930.On
craignait notamment,et nous l'avons constaté chez Céline,une
bureaucratisation de la médecine et la concurrence
étrangère devenait le cheval de bataille de la profession. Les
médecins étrangers étaient ainsi accusés de
pratiquer une concurrence déloyale et de contribuer à transformer
une activité désintéressée en un simple commerce.
Une loi en 1933 fut votée, visant à interdire l'exercice de la
médecine en France aux étrangers et imposait de strictes
règles de naturalisation. Celle ci ne fut, au goût d'une
majorité de médecins de l'époque, pas assez bien
appliquée et Céline s'indigne de la soi disante
concurrence des médecins juifs et étrangers et de la
poursuite des nombreuses naturalisations dans la profession médicale au
cours des années 1930, craignant un grave problème, à
terme, pour l'équilibre des effectifs. Dans l'esprit de beaucoup de
praticiens français de cette époque, le médecin
étranger, juif en particulier, avait remplacé le charlatan ou le
guérisseur du XIX è siècle : il usurpait une fonction
dévolue de droit à un médecin français .Cette
tendance, à laquelle appartenait Céline était
nommée le « prolétariat
médical » : « Bernard Léon de Paris, ce
gros rabbin médical (...) il a fait énormément pour
l'invasion des médecins youtres, de leur triomphe en ville. Toute sa
carrière a consisté à faire naturaliser 5 ou 6
médecins juifs par semaine (...) ils lui doivent une vraie statue
dans la cour de la faculté en or ! »190(*).Cette campagne odieuse
visant à l'élimination de la concurrence étrangère
dans la profession trouva un nouvel écho sous l'occupation lors de la
promulgation des lois antijuives durant l'année 1940.Céline
lui-même en profita, lors de son arrivée au dispensaire de
Bezons,en novembre,où il remplaça le docteur
Hogarth,frappé de l'interdiction d'exercer son métier au titre
des lois xénophobes et antisémites de Vichy. L'élimination
de la concurrence des médecins juifs ne constitue qu'un des aspects des
préoccupations médicales de Céline dans ses pamphlets .Les
métaphores de la « France malade des juifs » y sont
très répandues. Le
polémiste,littéralement,décrit le Juif comme un agent
virulent,une maladie de la société française :
« Tout est mystérieux dans le microbe comme tout est
mystérieux dans le juif, (...) les vagues de virulence passent sur
l'espace et puis c'est tout comme elles veulent,quand elles veulent.
Saprophytes inoffensifs, juifs inoffensifs germes semi virulents, virulents
seront demain virulents, foudroyants (...) Personne n'a le droit de se risquer
d'introduire un seul microbe, un seul juif dit inoffensif dans le champ
opératoire »191(*).Le juif contamine la race française en
l'infectant et en l'affaiblissant, du plus haut niveau de richesse, jusque dans
les masses laborieuses et populaires. La référence pasteurienne
sert de socle scientifique idéal à la lutte contre l'invasion
d'un ennemi, d'un parasite, procédé classique des
antisémites durant les années 30.La société de
cette époque a interprété à sens unique ces
travaux : le juif y joue le même rôle à
l'échelon de la personne que le microbe à l'échelle de la
cellule : c'est le bouc émissaire idéal en cas de
difficulté. Philippe Roussin cite même le Adolf Hitler de Mein
Kampf qui parlait du juif comme d'un « ver dans un corps en
putréfaction ». La mission du médecin
pamphlétaire est donc de désinfecter la société, de
l'aseptiser en éliminant les juifs. Dans Bagatelles pour un
Massacre, la santé passe donc réellement de
l'hygiénisme à une véritable propagande pour
l'eugénisme. L'antisémitisme des pamphlets est partie
intégrante d'une politique de santé très proche du nazisme
et de sa politique raciale qui excluait juifs, faibles, pauvres,
handicapés et autres races
« inférieures ».Dans L'école des
cadavres,Céline lui-même confirme ce point de vue :
« Hitler (...) est du côté de la vie (...) soucieux de
la vie des peuples ».Céline s'éloigne du nationalisme
type Action Française et lui préfère un eugénisme
biologique fondé sur la dégénérescence de la
population,un racisme authentique en somme,au strict sens du terme :
« Racisme d'abord (...).Désinfection ! Nettoyage !
Une seule race en France : l'Aryenne (...) les juifs (...) doivent foutre
le camp ».Dans les Beaux draps, Céline va encore plus
loin en rêvant à voix haute d'un peuple pur, en
santé, délivré de cette
dégénérescence constatée dans les pamphlets
antérieurs : « Que le corps reprenne goût de vivre,
retrouve son plaisir, son rythme, sa verve déchue (...) l'esprit suivra
bien ! L'esprit c'est un corps parfait, une ligne mystique avant
tout. ».Céline entendait parler en tant que médecin.
Là aussi. En tant que médecin, il a cru à la doctrine
pastorienne qu'il a transposé pour le pire dans le domaine sociologique
et il n'est pas excusable sur ce point.
CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE :
Plus même que l'exercice quotidien de la
médecine,l'hygiène ,pendant très longtemps,occupa au
même titre que la littérature,non seulement le temps mais aussi la
pensée de Céline. C'est pour lui tout autre qu'un second
métier. Par son caractère technique mais surtout par le type de
relation qu'elle entretient avec les hommes, cette réflexion est de
nature à polariser l'esprit. Quoi qu'il en soit,les
préoccupations de Céline avec le monde de la santé
publique sont d'actualité,et si certaines solutions peuvent nous
paraître aujourd'hui de nature trop autoritaire,d'autres,en revanche,ont
été adoptées depuis 1945 par le gouvernement
français : aménagement des centres
ville,sécurité sociale,médecine du travail...Ainsi se
construit donc le discours médico-social célinien moderne
,volontiers scientifique quand il faut faire prendre au sérieux ,il
traduit avant tout une volonté de prendre en charge les hommes au plus
près,si possible au niveau de leur vie quotidienne. Les pamphlets nous
ont offert l'autre versant de son hygiénisme, un hygiénisme
racial, indéniable qui n'est plus une simple prise en charge, mais bien
une épuration, une stérilisation de type pasteurienne d'une
partie entière de la population. Un hygiénisme
« à tiroirs » donc, qu'il est au final difficile de
comprendre de par la différence de ton entre ces deux formes
d'écrits mais qui ont tous deux pour origine une certaine thèse
de médecine où se mêlent déjà
préoccupations d'hygiène et vision du monde
désenchantée, plus proche de la paranoïa que de la simple
résignation. Semmelweis,prochaine étape de notre
étude,si elle concerne un haut personnage de l'histoire de la
médecine en général et de l'hygiénisme en
particulier n'est pas,de notre point de vue,un écrit proprement de
médecine sociale. Elle est avant tout une image du médecin, ce
saint laïc, définitivement au service des autres, image que
Céline n'a cessé de donner de sa profession, comme nous allons le
voir maintenant, et ce, notamment, à travers son oeuvre romanesque. Car
Céline a bien compris que c'est l'expérience pratique du
médecin qui aide en priorité à la compréhension des
malades, de leurs habitudes et de leur condition.
III : LE MEDECIN CELINIEN:
I:L' « IDEAL » SEMMELWEIS
:
« Ma vocation était médicale
-mon idéal : Semmelweis ou même Axel
Münthe »192(*).Point d'orgue des études du futur docteur
Destouches, Semmelweis, le plus littéraire de ses écrits
médicaux ,ne fut pourtant vulgarisé qu'après les
débuts de l'écrivain Céline. Il fut ainsi refusé
par le comité de lecture des éditions Gallimard en 1925 à
qui il l'avait envoyé. Son choix du sujet ne se limite pas, comme la
plupart des thèses en ces matières, à une étude
technique mais montre le drame exemplaire d'une vie et d'une carrière
exceptionnellement tragiques : « Dans l'histoire de
l'obstétrique,il y'a une page sombre,elle s'appelle
Semmelweis »193(*).D'autre part cette étude biographique
dépasse le simple domaine médical :à travers
l'histoire de ce chirurgien novateur,qui s'efforce vainement de sauver ses
malades,d'imposer sa découverte géniale :l'asepsie,mais qui
se heurte à la bêtise,au conformisme,et, réduit au silence
,meurt dans un asile,Céline promène déjà sur les
hommes un regard de moraliste désenchanté et indigné qui
ne dit certes rien de l'hygiénisme qui sera plus tard celui du docteur
Destouches mais est plutôt une version idéalisée du
personnage médical : « Toute la vie de celui-ci
démontre le danger de vouloir trop de bien aux hommes. C'est une vieille
leçon toujours jeune... »194(*).
img 3 :Page de présentation originale
de La vie et l'oeuvre de Philippe Ignace Semmelweis
1.1 : L'ECOLE DE VIENNE:
Semmelweis...Avec cette histoire qu'il racontera en
la transposant, le docteur Destouches remonte à un point tournant de la
médecine. Tout au long du XIX è siècle, des progrès
importants sont réalisés tant au niveau de l'investigation
clinique qu'aux niveaux thérapeutiques, étiologique et
prophylactique. Les historiens de la médecine195(*) s'accordent à dire
que la première moitié du XIX è siècle est
marquée par le triomphe de la confrontation entre l'examen clinique,
amélioré par des méthodes nouvelles, l'auscultation (une
méthode d'examen permettant de reconnaître si les bruits entendus
à l'intérieur du corps résultent du fonctionnement normal
des organes ou si ils sont dus à des lésions) et la percussion
(qui consiste à écouter le bruit produit en frappant une partie
du corps),inventée par le viennois Leopold Auenbrugger en 1761 (dont
l'ouvrage ,L'Auscultation est jugé
« capital »196(*) par Céline) , et les données de
l'autopsie. En Europe, l'école de Paris, puis l'école de Vienne
sont de véritables phares dans cette évolution. La
médecine devient de plus en plus scientifique, les diagnostics plus
précis en mettant à l'écart les considérations
philosophiques et privilégiant les faits observés. La
médecine s'éloigne progressivement de l'abstraction pour se
consacrer à l'observation et aux sciences exactes. Paris fut le premier
pôle mondial de la médecine dans la première moitié
du XIX è siècle. Cette génération de
médecins, de l'ancien régime au premier Empire, compte de
nombreux esprits remarquables : Bichat, Laennec, Broussais...197(*) En confrontant sans cesse
symptômes cliniques et lésions organiques, les médecins
sont a même d'associer tel désordre tissulaire à tel signe
particulier et à tel trouble fonctionnel. Et si , au milieu du XIX
è siècle, Paris n'a plus l'exclusivité ni même la
primauté dans la recherche pathologique de pointe, la plupart des
médecins de l'école de Paris ont une influence décisive
sur les médecins de Vienne. Ceux ci ne peuvent en effet rester
insensibles aux innovations : Karl Rokitansky (1804-1878) et son
élève, Josef Skoda (1805-1881) s'imposent comme les chefs de
cette école de Vienne et enseignent aussitôt la percussion et
l'auscultation. En outre, ils adhérent à la méthode
anatomo-clinique en vigueur à l'école de Paris ; Rokitansky
est un grand professeur d'anatomie et les étudiants viennent en nombre
pour assister à l'une de ses dissections. Ignaz Philippe Semmelweis est
de ceux là... Rokitansky fut le principal protagoniste d'une pathologie
à la fois solidiste (la maladie est liée à une
lésion d'une partie solide de l'organisme) et humorale (la maladie est
causée par un déséquilibre de liquides dans l'organisme).
Ses investigations sont facilitées par l'appui des cliniciens de Vienne,
notamment par Josef Skoda, qui perfectionne les méthodes d'examen
physique inaugurées par Auenbrugger, Corvisart ou Laennec.
L'école de Vienne est marquée, en outre, par l'importance,
héritée de l'école de Paris, de l'interprétation
des signes de la maladie. L'exercice du diagnostic semble ainsi permettre
d'atteindre un haut degré de certitudes dans ces interprétations.
A Vienne, Skoda, selon Erna Lesky, porta le diagnostic médical
« à un degré de certitudes précédemment
tout simplement inimaginable »198(*).Par ailleurs, à Vienne s'affirma une attitude
profondément sceptique envers toute forme de traitement. Dés
1755,le médecin allemand Samuel Hahnemann exposa une nouvelle doctrine
médicale,l'homéopathie, née du sentiment
d'inutilité et du danger de la plupart des pratiques médicales
communément admises. De cette prudence, on passa, à Vienne,
à une véritable méfiance chez certains médecins
à l'égard des pouvoirs qu'auraient les techniques
thérapeutiques habituelles de modifier le cours des maladies. Cette
attitude se répandit de plus en plus, probablement encouragée par
le grand succès de la méthode anatomo-clinique. Josep Skoda se
signale par ce « nihilisme thérapeutique » qui
devait marquer la médecine à venir : les médecins des
siècles passés avaient confiance en les drogues qu'ils
prescrivaient, pourtant, le plus souvent, elles étaient inefficaces. La
tâche du médecin devait donc se limiter, à cette
époque, à poser un diagnostic, formuler un pronostic, sans se
préoccuper du traitement. Ce moment marque une transition dans
l'évolution de la médecine : les traitements traditionnels
n'étaient plus réellement dignes de confiance, tandis que la
médecine nouvelle n'était pas encore capable d'obtenir des
résultats thérapeutiques incontestables. Comment ne pas
immédiatement faire le parallèle avec le docteur Destouches, le
clinicien qui abhorre la médecine et la recherche scientifiques depuis
sa fréquentation de l'Institut Pasteur alors qu'il n'était encore
qu'étudiant ...
1.2 : LE PERSONNAGE SEMMELWEIS:
« On me l'avait racontée...parce que
j'ai fait mes études à Rennes (...) et j'avais un brave
professeur d'obstétrique qui m'avait raconté l'histoire de
Semmelweis, bon. Ah ben j'ai dit nom de dieu tiens voilà une affaire que
je vais raconter et puis ça va me faire une thèse ,j'avais le
droit. Alors j'ai fait cette thèse, et, ben mon Dieu, elle a
passé, et le bonhomme c'était le professeur Brindeau, qui
était musicien et qui dit : « Ah ben il est fait pour
écrire cet homme là »199(*).Louis Destouches a choisi de devenir médecin
en racontant une histoire comme c'est en racontant sa propre histoire qu'il
deviendra Louis Ferdinand Céline. Une amie de Céline explique
ainsi ce choix : « L'histoire de Semmelweis était faite
pour lui. Il ne goûtait que le désastre »...
Anticipation flagrante des gloires et déboires du futur écrivain,
La vie de Semmelweis est transparente d'autobiographie
célinienne et pose les bases du drame de toute sa vie. Il semble dresser
un véritable autre lui-même : enfance petite bourgeoise
commerçante près du peuple, études non conformistes mais
pragmatiques... Le futur Céline élargit les expériences
morales, les aspirations de son héros à l'image de sa propre
vie : « Vraiment c'est chaque fois la même
infirmité, le même entêtement stupide dans la routine
aveugle et sourde autour de l'enfance d'un être exceptionnel...Personne
ne se doute... personne ne les aide. »200(*).La thèse en
médecine est d'emblée une communion avec un personnage qui
fascine, envoûte et hante L.F.Destouches. Les deux hommes ont la vocation
médicale. C'est un fait. Ils étaient pourtant destinés
à autre chose : Semmelweis pour le droit, Céline pour le
commerce comme le voulait son père. La médecine va s'imposer
à eux comme une évidence : pour Semmelweis c'est à la
vue d'une dissection, pour Destouches lors de son premier voyage en Afrique en
1916 puis lors de ses tournées hygiénistes en Bretagne, pour la
fondation Rockefeller : « Il alla vers elle (la
médecine) tout naturellement. Le droit ne le retint pas
longtemps »201(*) .Nous avons vu aussi que le jeune Destouches
baignait dans un environnement familial largement aseptisé. On prenait
bien garde de ne rien faire qui pourrait gâter la pureté d'une
dentelle, notamment du point de vue des odeurs. C'est dans ce conditionnement
là qu'il faut aussi chercher l'intérêt de Céline
pour Semmelweis.
Né à Buda, en Hongrie, le 18 juillet
1818, Ignace Philippe Semmelweis est le quatrième fils d'un père
épicier. Il fit ses études au lycée de Pest puis quitta
Budapest pour apprendre d'abord le droit, puis la médecine à
Vienne. Il eut des maîtres prestigieux ; Skoda en clinique,
« un homme de tout premier plan, jouissant d'un grand renom, qu'il
méritait »202(*) et Rokitansky en anatomie pathologique .Ce
dernier, note Destouches, fut peut être encore plus important pour le
jeune étudiant en médecine : « Un autre homme
(...) enrichit la pensée de Semmelweis d'une méthode scientifique
indispensable, ce maître fut Rokitansky »203(*).De nature
dépressive,sensible aux moqueries de certains de ses camarades
étudiants qui raillent son fort accent hongrois,Semmelweis décide
de rejoindre Budapest avant la fin de ses études,en 1839.Après
quelques mois,il retourne à Vienne. Reçu docteur en
médecine au printemps de 1844, intéressé, comme beaucoup
de médecins du XIX è siècle, par la botanique, il soutint
une thèse d'une douzaine de pages intitulée La Vie des
Plantes. Semmelweis oriente ensuite ses études vers
l'obstétrique. Nommé maître en chirurgie le 10 janvier
1846, il devint peu après l'assistant titulaire du professeur Klin qui
régnait sur un des deux grands pavillons de la Maternité de la
ville de Vienne. L'autre pavillon était dirigé par le professeur
Bracht. Céline décrit, dans un style inimitable, la
« danse macabre » de la fièvre puerpérale
dans les maternités de la capitale autrichienne : « Dans
les deux pavillons, la fièvre, un instant menacée,
triomphe...impunément, elle tue, comme elle veut, où elle veut,
quand elle veut (...) la mort conduit la danse, tout clochette autour
d'elle »204(*). Cette véritable hécatombe fauchait un
pourcentage effrayant de jeunes femmes atteintes par cette fièvre des
accouchées. Montrant les premières impressions du chirurgien
hongrois dans les pavillons de l'hôpital de Vienne, Destouches revit de
l'intérieur sa tristesse et sa révolte :
« L'âme d'un homme y va fleurir d'une pitié si grande,
(...) que le sort de l'humanité en sera, par elle, adouci pour
toujours »205(*). Il fallait un destin exceptionnel pour que la
fascination s'exerce. Il fallait une opposition, un conflit, des
péripéties à son héros...Cette
péripétie s'appellera Klin, un des deux chefs de
l'obstétrique à Vienne, que Céline décrit comme un
« pauvre homme, rempli de suffisance et strictement médiocre
(...) à jamais criminel et ridicule devant la
postérité »206(*), débordant de haine contre Semmelweis et qui
n'aura de cesse de lui nuire. Klin et la plupart des autres médecins
invoquèrent plusieurs raisons pour expliquer cette spectaculaire
recrudescence : surpeuplement des salles, vétusté des
bâtiments et autres influences épidémiques. Mais comment,
se disait Semmelweis, la fièvre puerpérale pouvait elle
être si sélective, ne toucher que l'hôpital et non les
autres quartiers de Vienne ? Semmelweis, avec perspicacité, mit au
jour pour la première fois le rôle de la transmission du
« processus pathogène » : constatant que les
étudiants en médecine qui venaient examiner les femmes sur le
point d'accoucher après avoir disséqué des cadavres, ne
s'étaient pas lavés les mains,Semmelweis les désigna comme
responsables .Il remarqua ainsi que s'exhalent des relents
cadavériques des mains des professeurs, assistants, étudiants qui
pratiquent des dissections sur les cadavres et que c'est ainsi qu'ils se
rendent au chevet des femmes en couches. Il en conclut qu'il devait y avoir un
agent invisible, causant la mort et que l'on devait éviter de
transférer cet agent de la salle d'autopsie à la salle
d'accouchement: « Je maintiens que la fièvre puerpérale
est produite par l'infection apportée chez la femme par une
matière organique animale décomposée. Ce n'est pas une
maladie spécifique, c'est une pyohémie, une infection du sang, et
le porteur (...) de cette matière en décomposition, c'est la
main, le doigt, les draps, les éponges »207(*) disait il dans la
préface de son traité d'obstétrique. Il constata que les
femmes examinées par les élèves sages-femmes, qui
n'avaient pas accès à la salle d'anatomie, étaient
beaucoup moins souvent atteintes par la fièvre puerpérale. Il
nota également que les femmes qui accouchaient dans la rue, de peur de
mourir à l'hôpital, étaient épargnées par la
maladie. Si on meurt moins chez Bartch, c'est que ,chez lui, le toucher est
exclusivement pratiqué par des élèves sages-femmes alors
que chez Klin les étudiants procèdent à la même
manoeuvre chez les femmes enceintes sans aucune douceur et provoquent par leur
brutalité une inflammation fatale. Semmelweis propose que les
sages-femmes dont le stage s'accomplissait chez Bartch soient
échangées avec les étudiants de Klin et que soit
engagé le combat pour que les étudiants et les médecins
accoucheurs se lavent les mains avec une solution de chlorure de chaux avant
d'examiner les patientes, bien que cette mesure ne corresponde à aucune
exigence scientifique à l'époque : « Les
mains des médecins, des sages-femmes, des infirmières (...)
doivent être lavées et désinfectées dans ma solution
de chlorure de chaux pour ne pas infecter les parties génitales des
femmes enceintes et surtout des femmes en travail »208(*).L'échange
étudiants-sage femmes eut lieu. L'évolution de la
mortalité est d'emblée spectaculaire. En mai 1847, celle-ci monte
chez Bartch à 27 %, soit 18 % de plus que le mois
précédent. La mort suit les étudiants, les statistiques de
Bartch deviennent angoissantes et Bartch,
« affolé », renvoie les étudiants d'où
ils venaient. La démonstration était faite, à
présent, et avec certitude, que les étudiants jouaient un
rôle de première importance dans ce désastre. La
prophylaxie était née, Semmelweis devenait le précurseur
de l'asepsie, affinée, plus tard, par Pasteur. A partir de 1847, il
interdit formellement aux étudiants en médecine de quitter les
salles de dissection sans s'être lavé les mains.
Dans le mois qui suivit l'application de cette
mesure, la mortalité tombe de 12 % à 3%.Semmelweis étendit
alors ses formalités de désinfection à toute personne
ayant été au contact d'une malade, d'instruments de chirurgie ou
de pansements, il ordonne l'isolement des femmes malades : la mortalité
tombe à 1%.Semmelweis fait part de son observation à son
Maître Klin, auquel il demande de se soumettre également au lavage
systématique des mains. Sans doute vexé, Klin révoqua son
assistant sans ménagement. Semmelweis s'éloigne alors à
Venise avec son ami Markusovsky. A son retour à Vienne, il peut se faire
engager chez Bartch comme assistant surnuméraire par recommandation d'un
de ses Maîtres. Il apprend la mort de son ami Kolletchka professeur
d'anatomie, des suites d'une piqûre anatomique. La nécropsie avait
montré une suppuration des méninges, de la plèvre, du
péritoine, les mêmes observations qui avaient été
faites sur les cadavres des femmes mortes de fièvre puerpérale,
observe immédiatement Semmelweis. Puisque Kolletchka, pensa-t-il,
est mort des suites d'une piqûre cadavérique, ce sont donc les
exsudats prélevés sur les cadavres qui doivent être
incriminées dans le phénomène de contagion. Au mois de
juin, entra dans le service de Bartch une femme qu'on avait crue gravide
d'après les symptômes mal vérifiés. Semmelweis
à son tour l'examine et découvre chez elle un cancer du col
utérin et puis, sans songer à se laver les mains, il pratique le
toucher successivement sur cinq femmes à la période de
dilatation. Dans les semaines qui suivent, ces cinq femmes meurent de
l'infection puerpérale typique. "Les mains, par leur simple contact,
peuvent être infectantes" écrit-il. Chacun désormais, ayant
disséqué ou non dans les jours qui précèdent, doit
se soumettre à une désinfection soigneuse des mains par la
solution de chlorure de chaux. Dans le mois suivant, le résultat est
spectaculaire; la mortalité s'abaisse pour la première fois au
chiffre record de 0,23 %. La découverte ne connut point le succès
qu'on pouvait supposer...Des communications sont faites à
l'Académie des sciences par Skoda, ou à la Société
de Médecine par le professeur Hebra, tous deux favorables à
Semmelweis qui, jalousé et persécuté, n'arrive pas
à faire reconnaître sa découverte par ses collègues
qui considèrent le lavage des mains comme contraignant et inopportun.
Hebra déclara même : « Quand on fera l'histoire des
erreurs humaines, on trouvera difficilement des exemples de cette force et on
restera étonné que des hommes aussi compétents, aussi
spécialisés, puissent, dans leur propre science, demeurer aussi
aveugles, aussi stupides. » 209(*).Ce à quoi Klin répondit :
« Monsieur Semmelweis prétend que nous transportons sur nos
mains de petites choses qui seraient la cause de la fièvre
puerpérale. Quelles sont ces petites choses, ces particules qu'aucun
oeil ne peut voir ? C'est ridicule ! Les petites choses de Monsieur Semmelweis
n'existent que dans son imagination ! ». De cabale en cabale,
Semmelweis - qui n'était pas un grand diplomate - est
révoqué en mars 1849 et doit quitter Vienne pour Budapest. Dans
la mélancolie et la misère, il y pratique la médecine
générale puis il reprend, en 1851, un service
d'obstétrique en qualité de médecin chef honoraire de la
Maternité de Saint-Roch, dirigée par le professeur Birley mais il
ne parviendra jamais à faire accepter sa découverte. En juillet
1858, il est nommé professeur d'obstétrique théorique et
pratique à l'Université de Pesth. Après avoir
prononcé quelques discours et écrit des articles, il publie, en
1861, l'exposé complet de sa doctrine : L'Etiologie de la
fièvre puerpérale, son essence et sa prophylaxie. L'ouvrage
reste sans écho. Méconnu, Semmelweis adresse des lettres ouvertes
à différents médecins, dont une, particulièrement
virulente à l'encontre de ses collègues
obstétriciens : « Assassins ! Je les appelle tous
ceux qui s'élèvent contre les règles que j'ai prescrites
pour éviter la fièvre puerpérale »210(*). On ne peut manquer
d'être frappé par la conclusion de Semmelweis : La
thèse de 1924 reste d'abord l'histoire d'une persécution, d'un
échec. Elle se conclut par une démission : Semmelweis,
ironie du sort, périra d'une infection. Traqué par ceux qu'il
comptait sauver de la mort, détesté par les étudiants, les
médecins et les malades, Semmelweis perd santé et raison. Il
meurt de cette même infection qu'il avait combattue toute sa vie.
Céline ne connut pas le sort tragique de Semmelweis mais il vivra les
mêmes conditions de « paria pourri » .Il
sombrera dans un délire de persécution assez voisin. On pourrait
même établir un rapprochement entre certains passages de la
« trilogie allemande »
(Féerie,Rigodon,D'un château l'autre)
et de Semmelweis,où Céline représente Semmelweis
« plongé dans une sorte de verbiage incessant,dans une
réminiscence interminable au cours de laquelle sa tête
brisée parut se vider en longues phrases mortes » .En
effet,les attaques de la meute des adversaires de Semmelweis à la fin de
sa vie rejoint le propre délire de persécution de
l'écrivain Céline,trente cinq ans plus tard ,où celui-ci
se voit cerné,poursuivi,attaqué par ses détracteurs. La
postérité, toutefois, reconnut les mérites de Semmelweis
et sa perspicacité : Carl Hempel, dans ses Eléments
d'épistémologie211(*), en fait l'exemple introductif de son chapitre
sur la recherche dans les sciences...
1.3 : UNE BIOGRAPHIE PARTICULIERE:
Il ne faut pas aller plus loin que la préface
originale de Semmelweis pour en trouver la première
originalité :« Dans ce moment où notre profession
paraît subir, (...) un renouveau d'agaceries de la part d'un certain
nombre de flatteurs publics, (...) au moment où chaque profane (...)
prétend dévoiler nos tares (...) il nous a été
agréable de consacrer notre thèse de Doctorat à la vie
d'un grand médecin »212(*).Dans cette préface, Céline commence
par dénoncer ceux qui critiquent un peu trop facilement la profession
médicale,critique portée généralement par des non
médecins ,des « profanes ».C'est bien le futur
docteur Destouches qui défend ici le corps médical auquel il va
bientôt appartenir,avec véhémence et acharnement,sur un ton
polémique , contre ces « faciles satyres qui croient nous
fustiger »213(*).Ce premier texte préfaciel présente un
Destouches divisé,qui se sent tenu de se défendre .Mais quels
sont ces détracteurs imaginaires ,en dehors de la sphère
professionnelle qui ne parleraient pas son langage et à qui il
refuserait de répondre ? Tout se passe comme si on avait
déjà, à l'entrée de Semmelweis, les principales
composantes d'un scénario de persécution avec un Céline
répondant à d'obscurs bonimenteurs, innommables et
indéfinissables. Sa thèse sera d'abord un éloge de
Semmelweis : on sent dès ces premières lignes que le docteur
Destouches lui voue une admiration extrême : « La
pensée médicale (...) la seule véritablement humaine (...)
s'est illustrée très lisiblement dans chaque page de son
existence »214(*).Semmelweis sera l'exemple parfait d'un
médecin entièrement dévoué à son art, qui
fera don corps et âme de son existence pour pratiquer. Il va être
la meilleure réponse aux innombrables détracteurs que compte la
médecine à son égard : « Qu'il nous
suffise de demander à d'autres sectes professionnelles de produire des
exemples humains aussi sincères, aussi lumineux que celui de P.I
Semmelweis »215(*).A cette époque, Céline ne couve pas
encore derrière l'étudiant en médecine Destouches :
le « nous » est très présent pour
défendre les médecins et exprimer son attachement au corps
médical. Il est l'un des leurs, à part entière.
La thèse commence par un coup
d'éclat,un « morceau de bravoure »216(*) comme le dit Emile Brami
dans la biographie qu'il consacre à Céline :au début
,un tableau d'histoire, l'horreur de la révolution, l'Europe accouchant
douloureusement d'une nouvelle ère .Le vocabulaire, le ton et le lyrisme
peuvent faire penser à Victor Hugo : « Mirabeau criait si
fort que Versailles eut peur .Depuis la chute de l'empire romain, jamais
semblable tempête ne s'était abattue sur les hommes, les passions
en vagues effrayantes s'élevaient jusqu'au ciel (...)L'humanité
s`ennuyait, elle brûla quelques dieux, changea de costumes et paya
l'histoire de quelques gloires nouvelles »217(*).Ce qui semble
intéresser Céline ,ici, c'est la fièvre qui s'empare des
peuples tourmentés, ce qu'il nomme « cet immense royaume de
frénésie »218(*) .La principale fonction de ce prologue pourrait
être de montrer les interactions entre le destin collectif (de l'Europe)
et le destin de Semmelweis. Le narrateur affirme d'abord que le médecin
hongrois naît dans cette époque de
« convalescence » qui succède à la furie des
peuples, mais il démontrera finalement que le délire regagne la
collectivité dans les dernières années de Semmelweis pour
accomplir le destin de celui-ci. La façon dont l'Histoire
réfléchit ou infléchit le cours de l'histoire de
Semmelweis annonce la projection du délire du sujet célinien sur
la scène historique. Il apparaît ainsi que la place de l'Histoire
dans Semmelweis n'est pas loin d'annoncer l'intrication de l'histoire
de Céline et de l'histoire européenne avant et pendant la seconde
guerre mondiale.
Dans la préface de 1936, Céline avertit
son lecteur qu'il ne devra pas « se laisser rebuter par les chiffres,
les détails ou les explications minutieuses ».Est ce parce que
c'est sur ces informations que le biographe semble le moins rigoureux ? A
lire La vie et l'oeuvre de Philippe Ignace Semmelweis 1818-1865, on
est frappé par certains écarts existant entre les affirmations de
l'auteur et les faits historiques. On serait même tentés de croire
à des affabulations de la part de Céline ou tout du moins une
vision très romancée et exagérée de son existence
réelle. Cette hypothèse est, en effet, assez
séduisante...Elle est néanmoins erronée :
Céline s'est bien renseigné sur la vie de Semmelweis. Non pas
pour en faire une présentation fidèle mais pour créer une
variante personnelle qui exprimerait ses propres aspirations et conceptions de
l'humanité.
La thèse prend ses sources dans des ouvrages
de langue allemande et de langue anglaise, ainsi que dans le discours
commémoratif d'un professeur français, Adolphe Pinard (1906)
et,très certainement ,dans l'article de L.Hahn dans le Dictionnaire
encyclopédique des sciences médicales de Dechambre. Ces
ouvrages auraient pu servir de base suffisante pour réaliser une
thèse correcte et fidèle sur la vie de Semmelweis, mais le fait
est que la « version Céline » fait peu de cas
de cette riche bibliographie. Le titre même comporte une erreur
initiale : L'inversion des prénoms de Semmelweis (Ignace Philippe
et non Philippe Ignace).Peu importent les raisons de ce tour de passe-passe, le
fait même de l'inversion témoigne d'une nonchalance à
l'égard des faits, en tout cas d'une grande autonomie de
l'écrivain avec le sujet de sa thèse. Dans un article de
L'année Céline 91 sur « Médecine et
littérature », Judith Karafiah a relevé nombre
d'écarts de types divers : manipulation des dates (notamment la
date de naissance de Semmelweis que Céline situe le 18 juillet, ce
qu'aucune biographie antérieure ne confirme...), Omission de certains
événements importants et ajout de scènes de pure
fiction : la volonté de persécution, l'auto
inoculation, le suicide. Il a même bâti un épilogue
truqué, une version mythifiante. On peut également douter de la
véracité scientifique de certains chiffres comme ceux, notamment,
de la mortalité : Céline avance des
« séries mortuaires de 96 pour 100 chez
Klin »219(*).Il s'agissait d'une exagération : la
biographie de Pinard avance un chiffre compris entre 16 et 31 pour 100, ce qui
est déjà énorme. Ce genre d'exagérations,
d'inexactitudes sera tout à fait courant chez l'écrivain
Céline. Loin de respecter l'être réel de son modèle,
il l'a chargé de projections réellement subjectivistes.
Céline ne fut pas le seul écrivain à être
inspiré par la vie de l'obstétricien hongrois : F.G
Slaughter, lui aussi médecin et écrivain, décrit en ces
termes, dans Semmelweis cet inconnu, les derniers jours de
Semmelweis : « Sa femme et ses amis s'inquiétaient pour
sa raison et commençaient à le surveiller de près,
craignant que dans un moment d'excitation il mit ses jours en danger. Son
humeur s'assombrit encore (...) Enfin, le médecin de l'asile
découvrit une plaie infectée de la main droite, très
vraisemblablement consécutive à une intervention
obstétricale. La blessure se gangrena... La mort s'en suivit le 13
août 1865 ».Le futur docteur Louis Destouches, lui, dramatise
largement l'évènement : « Vers deux heures on le
vit dévaler à travers les rues, poursuivi par la meute de ses
ennemis fictifs. C'est en hurlant, débraillé, qu'il parvint de la
sorte jusqu'aux amphithéâtres de la faculté. Un cadavre
était là sur le marbre (...) Semmelweis, s'emparant d'un scalpel
(...) incise la peau du cadavre (...) Il accompagne ses manoeuvres
d'exclamations et de phrases sans suite...Les étudiants l'ont reconnu,
mais son attitude est si menaçante que personne n'ose l'interrompre
(...) Par un geste plus saccadé que les autres, il se coupe
profondément. Sa blessure saigne. Il crie...Il menace (...) Comme
Kolletchka naguère, il vient de s'infecter
mortellement »220(*). En réponse à la thèse de Louis
Destouches, le professeur Tibérius de Györy, dans un ensemble de
rectifications à la version abrégée, Les Derniers
jours de Semmelweis, rétablit quelques vérités de
chiffres, de faits et de dates. Outre la fameuse exagération concernant
les chiffres exacts de la mortalité due à la fièvre
puerpérale, il souligne que les collègues de Semmelweis ne se
sont jamais tournés a priori contre lui. Il nie, en outre l'existence
d'affiches, de « manifestes » que Semmelweis aurait
affichés sur tous les murs de Vienne. Enfin, la scène finale est,
selon de Györy, une pure et simple invention. Guido Ceronetti
dégage, à juste titre, deux moments importants dans la
« tragédie Semmelweis » : La découverte
de Semmelweis d'une part et sa fin misérable d'autre part. Car c'est
bien d'une tragédie dont il s'agit. Une tragédie non seulement
humaine mais aussi biologique, subordonnant les hommes à des puissances
qui les dépassent de loin .Ce sont bien ces deux moments qui font passer
Semmelweis d'une vie normale à un statut de mythe. Les falsifications,
exagérations et autres erreurs de chiffre ne sont là que pour
accentuer le côté déjà dramatique de la vie de
Semmelweis, lui donner plus de relief. Il faut aussi voir comment les erreurs
statistiques viennent à l'appui de la thèse de la
persécution : pour montrer que c'est volontairement que les
prescriptions de Semmelweis ne sont pas respectées et que l'accoucheur
se trouve seul contre les « mesquineries » et les
« bassesses ».Certains évènements,nous
l'avons vu ,ont été passés sous silence par Céline
et cette manoeuvre entre dans le même esprit :il ne dit pas que
Semmelweis a refusé,en 1857,une chaire d'obstétrique à
l'université de Zurich. De même il ne fait aucune allusion au fait
qu'il ait été nommé, en juillet 1858, professeur
d'obstétrique théorique et pratique à l'université
de Pesth. Pourtant,à la fin du récit,Céline fait comme si
il avait été question de cette nomination :il parle des
cours de Semmelweis,transformés en « longs
développements injurieux »221(*) et mentionne que la Faculté ,ayant
constaté que Semmelweis était atteint de troubles de la
personnalité, « décida de lui trouver un
remplaçant »222(*).Comme pour la lecture des romans,il faut donc se
garder de donner une interprétation trop restrictive de ses
transpositions mais ne pas oublier de mettre l'accent sur le fait que dans
chaque récit célinien,on trouve cette continuité
fantasmatique et affabulatrice : Semmelweis s'accorde bien aux autres
oeuvres de Céline dans cet ordre de la persécution.
1.4:UNE PREMIERE VISION DU MONDE,UNE PREMIERE
DECEPTION :
Présenter une thèse de médecine
sur Semmelweis, c'est déclarer que l'on n'a aucun goût pour le
travail minutieux des cliniques, pour la collaboration avec une équipe
spécialisée : c'est se placer en marge du travail
médical. En effet,en 1924,si certains étudiants ont pu aspirer au
titre de médecin en présentant une thèse sur la vie d'une
figure importante de l'histoire de la médecine,cela demeure plutôt
exceptionnel,et,pour la plupart,les thèses de médecine sont
techniques. Dans le domaine particulier de l'obstétrique,notons que
cette thèse se retrouve,cette année là ,parmi d'autres
portant sur la fièvre puerpérale mais qui étudient la
maladie elle-même ou ses complications voire révèlent de
nouveaux traitements. Il apparaît clairement alors que, d'un strict point
de vue médical, voire même d'un point de vue historique,
Semmelweis n'apporte à proprement parler rien de nouveau. Ce fut
pourtant l'occasion pour Louis Destouches de montrer que sans être un
clinicien, il avait une véritable vocation médicale et, sur un
autre plan, d'affirmer que, sans être sentimental, il avait un
sentiment profond de la souffrance des plus pauvres et une vision, pour ainsi
dire « héroïque » de son métier de
médecin. Semmelweis était l'image même de l'apôtre,
de tous ceux qui se dévouent passionnément pour les hommes, en
vain, et ne récoltent que la haine. Pour continuer dans le même
ordre d'idée, Guido Ceronetti dans L'année Céline 1991
parle ,à propos de Semmelweis, d'une « figure quasi
christique », d'un « saint »
précipité « dans le martyre
final. »223(*).Au fil de La vie de Semmelweis, la
sensibilité coule, apparente et suscite même certains morceaux de
pur lyrisme. Le choix de Semmelweis, une victime, et la dramatisation
théâtrale des véritables péripéties de la
biographie du médecin viennois montrent déjà que se fait
jour chez Céline, l'obsession fondamentale de la persécution du
juste. Semmelweis est le seul qui, dans son hôpital, soit
désintéressé, comme plus tard Bardamu qui, dans son
cabinet de banlieue, rechigne à faire payer ses
patients : « En ce qui le concerne, il n'avait aucune
ambition, il ne cherchait pas non plus ce souci de la vérité pure
qui anime les chercheurs scientifiques »224(*). Dés la
préface de sa thèse, Céline met en place le postulat de
malheur sur lequel va désormais se fonder toute son oeuvre. Il
démontre avec l'élection de ce personnage singulier qu'est
Semmelweis, « le danger de vouloir trop de bien aux
hommes. »225(*). Le caractère
désespérément borné, buté de l'Ecole de
Vienne rejoint là le pessimisme que l'on retrouvera plus tard chez
l'écrivain Céline. Il entre dans un schéma que nous
retrouverons dans les romans successifs, d'un côté une sorte
d'absolu de pureté, de transcendance ,qui serait Semmelweis et de
l'autre un monde qui se désagrége, se dégrade au point de
devenir un « anti-absolu ».Cette recherche de pureté
quasi religieuse est présente dés 1924... La vie de
Semmelweis est ,en ce sens ,un texte précurseur de ce pessimisme
foncier et de cette dichotomie entre un monde idéal, pur, beau et ce
monde qui s'enfonce dans la déchéance, se complaît dans la
crasse et la médiocrité. Et même au niveau des personnages,
entre ce héros quasi christique qu'est Semmelweis et que pourrait
être Bardamu et cette horde de médiocres, ces personnages
ridicules, grotesques mais gagnants au bout du compte comme peut l'être
Klin. En rappelant le combat de Semmelweis, on a ainsi l'impression que c'est
bien Céline lui-même qui est en révolte : le
« pillage atroce de cette vie lumineuse par la meute de toutes les
haines sociales »226(*) est une parabole de la lutte entre la
lucidité, incarnée par Semmelweis et l'inertie, celle des
médecins viennois. La lucidité est une forme d'aventure,
solitaire et douloureuse, incomprise, en même temps que l'inertie est un
confort, un moyen de se rassurer. L'étude de la version
abrégée de la thèse, les Derniers jours de
Semmelweis est, dans ce sens, significative : Céline relate
rapidement les principaux événements de la carrière du
médecin et reprend intégralement le passage sur son agonie et sa
déchéance finale. Alors que le médecin aurait du
s'intéresser au combat de l'accoucheur hongrois et à la
résistance des milieux médicaux à l'importante
découverte, Céline lui, en reste à la fin tragique de
Semmelweis. Non seulement il noircit le trait, mais il présente cette
fin comme l'aboutissement d'une obscure persécution, dépassant la
mesure humaine, relevant de puissances biologiques incontrôlables. Ce qui
l'intéresse dans l'histoire de Semmelweis, c'est moins sa
« découverte magnifique » que la scène finale
où il apparaît comme la victime d'une méchanceté qui
aura « la grandeur et la fatalité d'une
guerre »227(*). La médecine que propose ici Destouches est
une médecine concrète, qui sauve plus efficacement au moment
où des pauvres, des faibles ont besoin d'être sauvés :
« La médecine, dans l'univers ce n'est qu'un sentiment, un
regret, une pitié plus agissante que les autres »228(*).C'est en cela que
l'hygiéniste Destouches, qui n'est pas encore médecin,
réagit et se sent comme un vrai médecin. Cette thèse
signifie que son auteur refuse le seul combat du médecin contre la
maladie, et en même temps qu'il méprise les garanties que ce
combat exige : dans l'exemple que lui donne Semmelweis, Céline
constate qu'un médecin qui n'était rien, un rejeté de
l'« establishment », a été le plus savant, le
plus efficace des médecins de son époque. Il y a là
à la fois un hommage à un authentique héros
(considéré comme tel par lui en tout cas) et une critique
adressée au corps médical tout entier. En outre, si
l'étude biographique de ce personnage hors normes est loin d'atteindre
l'objectivité d'un véritable historien de la médecine,
elle n'est pas non plus la « petite thèse sans
prétention » que son auteur dira avoir écrite
« en vitesse ».Plus qu'une biographie a posteriori de
Semmelweis, c'est une biographie a priori de Céline qui se
dessine : ce qui importe, c'est que la persécution du
médecin hongrois soit racontée par le sujet célinien
lui-même, avant sa propre histoire. Céline est donc loin de
l'enthousiasme rationaliste d'un jeune médecin en début de
carrière : il est déçu par la médecine. De
plus, faire sa thèse sur un accoucheur, Semmelweis, lui a fait prendre
conscience d'emblée que la vie est très tôt mise à
mal : si sa vision des hommes, par son réalisme cru, peut
apparaître empreinte de pessimisme voire de cynisme, une seconde
dimension vient de temps à autre, tempérer cette
impression : pour Céline, si l'homme semble irrésistiblement
tiré vers la déchéance par sa lourdeur physique et morale,
il lui arrive d'échapper à son destin. L'homme trouve une forme
de rédemption lorsqu'il refuse son état et cherche à se
dépasser et Céline ne cesse d'exalter tous ceux qui, selon lui,
se trouvent du côté de la vie. La vie de médecin prend
ainsi son sens dans ce combat singulier qu'il livre à la maladie. Dans
sa mission guérisseuse, sauveteur plus que soigneur, le personnage du
médecin semble entretenir l'espoir...
II : DESILLUSION ET MISERE DE LA MEDECINE
2.1 : DEVOUEMENT, PROTECTION ET
CULPABILITE :
Le trait caractéristique de tous les
personnages médecins, de Semmelweis à Bardamu,
hérité de ce qui semblent être les pratiques mêmes du
Docteur Destouches, comme certains témoignages nous l'ont
confirmé, est cette disponibilité exemplaire, absolue, pour ceux
qui souffrent et qui recherchent des remèdes à leur souffrance.
Le médecin est toujours en quête de l'attitude bienveillante qui
sera la plus profitable au patient. Le personnage médical est toutefois
empreint à de nombreux doutes : sa conscience est
tourmentée, écrasée par l'idée qu'elle se fait de
son devoir. Cette conscience professionnelle participe au refus de la mort, de
la résignation du personnage médical : « Je suis
seul avec ma conscience ! (...) moi elle transige pas ma conscience, elle
me fait un mouron de tout (...) jamais en quelque circonstance je n'ai pu me
résoudre à la mort »229(*).Ce sens des responsabilités correspond
à un sentiment de culpabilité manifesté par l'envie de
répondre à tous les malheurs ,à toutes les
souffrances : « J'effectuais une fois de plus les 2 ou 3 menus
simulacres professionnels qu'on attendait et puis j'allais reprendre la nuit
,pas fier ,parce que (...) je n'avais jamais à me sentir
entièrement innocent des malheurs qui arrivaient »230(*) ;la médecine est
donc avant tout un moyen de soulager la douleur.La guérison,l'apport
d'un remède,elle seule peut et doit l'offrir : « Tout
douceur ! (...) Morphine 2 c.c ! »231(*).C'est surtout l'idée
d'une corruption inéluctable des corps qui est présente,la peur
d'une certaine forme de pourrissement qui renvoie directement à une
crainte de la mort qui parcourt toute l'oeuvre de Céline :
«J'ai (...) un énorme tas d'horreurs en souffrance que je voudrais
rafistoler avant d'en finir »232(*).Cette inéluctabilité de la mort,si
elle ne peut être complètement vaincue,peut être
repoussée par la médecine et sa pratique :le Céline
médecin ,pendant la guerre,redouble son activité médicale
et propose même la mise en place d'une armée de volontaires qui
,au lieu de se battre,irait soigner les blessés : « Assez
de bras qui frappent ! quelques mains qui réparent ...un peu de
charité ,de bonté,de secours actif dans cet énorme
charnier »233(*).La médecine telle que Céline la
conçoit se doit de secourir,de protéger tous les
« faibles »,femmes,enfants , vieillards,pauvres,malades...
Céline souligne bien cette faiblesse des personnes à secourir
dès Semmelweis : « Chez Klin ne vont en
définitive que celles qui parviennent à ces derniers instants,
sans argent, sans soutien, pas même celui d'un bras pour les chasser de
ce lieu maudit »234(*).Ce genre de situation
désespérée permet ainsi au médecin
d'éprouver des sentiments « positifs » à
l'égard des patients. Ce rapport d'infériorité est
indispensable pour que le narrateur célinien oublie sa crainte des
hommes et retrouve enfin des sentiments d'amour et de
confiance : « Quand ils sont debout, ils pensent à
vous tuer... tandis que quand ils sont malades, y'a pas à dire, ils sont
moins à craindre »235(*). La maladie est le moteur des romans de
Céline mais un moteur fort singulier. Céline s'est, dès le
début de sa carrière littéraire, engagé sous la
bannière du naturalisme et du réalisme. Le tableau qu'il dresse
de l'humanité est fait de chair et de sang, de souffrance de
misère, mais il s'y trouve toujours un havre de paix ou de
rédemption. La « mystique » célinienne est
toujours imprimée d'une certaine forme de christianisme, à
laquelle il manque une foi en Dieu que Céline a toujours
écarté : « La misère humaine me bouleverse,
qu'elle soit physique ou morale, elle a toujours existé, d'accord ;
mais dans le temps on l'offrait à un Dieu, n'importe lequel
(...). Notre époque d'ailleurs est une époque de
misère sans art, c'est pitoyable »236(*).Il y a donc aussi, chez
Céline, cet implacable réalisme qui provoque parfois chez le
lecteur des réactions de rejet ou d'incompréhension. Pierre Drieu
La Rochelle disait d'ailleurs de Céline : « Céline
lui est bien équilibré. Céline a le sens de la
santé. Ce n'est pas sa faute si le sens de la santé l'oblige
à voir et à mettre en lumière toute la sanie de l'homme de
notre temps. C'est le sort du médecin qu'il est, du psychologue
foudroyant et du moine visionnaire et prophétisant qu'il est
aussi »237(*).On retrouve dans D'un Château l'Autre
cet hyperréalisme où se côtoient misère et maladie,
dans cette description, par exemple, de l'ambiance microbienne à la gare
de Sigmaringen : « J'avais des autres calamités !
...gale, morpions, puces, gonos, poux... et que ça repassait !
Joyeusement !vous auriez dit la gare faite pour !...je voyais aboutir
pour finir, une saloperie, un nouveau microbe, un fléau, une rigolade de
tréponème, qui pousserait sur
désinfectants ! »238(*) .Ou encore dans cette insouciance aveugle
devant la vie et la mort : « Et le cas Caron ?...
zut ! ...ils voient rien !...ils nient, ils fument, ils rotent, ils
sont tout goguenards satisfaits, à peu près certains de vivre
cent ans grâce à de ces petites
pilules ! »239(*).Un réalisme, un fatalisme même, qui
touche d'abord le médecin lui même
2.2 : LE MEDECIN MALADE
« Pour parler franc, là entre nous,
je finis plus mal que j'ai commencé...Oh j'ai pas très bien
commencé... Je suis né à Courbevoie, Seine (...) Je suis
médecin... »240(*). D'un Château l'autre commence comme
c'est le cas de la plupart des romans de Céline, par une entrée
en matière qui nous amène sans détour à l'essentiel
pour ce qui est de la présentation de la médecine.
L'écrivain reprend la plume et il se proclame médecin. Et le
médecin est forcément « au plus mal »,
« fini »...comme l'écrivain d'ailleurs...On peut
donc difficilement ne pas confondre l'écrivain et le médecin, les
clients et les lecteurs. Même situation, même posture
dérisoire et revendicative, même ton comique, agressif,
cynique...La médecine permet de faire interférer la
misère, l'absurde, la cruauté. Céline en parle d'un point
de vue à la fois psychologique, moral, concret,insistant sur la
nécessité de plaire et de compter,comme il le fait à
propos de ses rapports avec les éditeurs : « La
clientèle médicale,de vous à moi,confidentiellement,est
pas seulement une affaire de science ou de conscience... mais avant
tout,par-dessus tout,de charme personnel »241(*).La médecine apprend
bien des choses sur la superficialité des gens,elle confronte à
la misère ,ce qui n'a rien de surprenant mais en fait du
médecin le premier qui être à en souffrir. C'est donc la
misère sociale autant que physique qui frappe en premier lieu.
Dés le Voyage au bout de la nuit, Céline avait choisi de
se décrire en pauvre médecin des pauvres, description assez peu
fidèle, comme nous l'avons vu,à sa situation d'hygiéniste
de la SDN ... Le personnage de Bardamu,en effet,ne bénéficie pas
vraiment d'une promotion sociale lorsqu'il va « s'accrocher en
banlieue » et poser sa plaque de médecin
généraliste sur sa porte ,sans autre ambition que de
« souffler un peu et bouffer mieux un peu ».Même
à ses débuts,le médecin est déjà vieux pour
ainsi dire,déjà accablé par l'expérience de la
guerre. Dès le début,Bardamu mange peu,dort mal ,est
toujours à la limite de l'épuisement : « Le malade
pour l'instant ,c'était surtout moi »242(*) constate-t il... Il souffre
lui-même constamment de ce fameux vacarme de l'oreille interne qui
l'empêche de dormir et le fait souffrir ,ce qui menace son
équilibre. Il est lui-même un bien étrange médecin
,qui se présente avec cette vocation de malade perpétuel :
« Moi,j'avais la vocation d'être malade (...) je me promenais
autour des bâtiments hospitaliers (...) et ne les quittais qu'avec
regret ,eux et leur emprise antiseptique »243(*) .Comme pendant la guerre
où il attendait la blessure salvatrice ou en Afrique les fièvres
qui justifieraient un rapatriement,Bardamu en vient,à chaque
fois,à souhaiter une bonne maladie qui le fixerait sur son sort :
« J'avais perdu comme l'habitude de cette confiance (...) il m'aurait
fallu au moins une maladie,une fièvre ,une catastrophe précise
pour que je puisse retrouver un peu de cette
indifférence »244(*).On se souvient notamment d'une scène de
Mort à Crédit où le narrateur médecin est
montré au plus mal, pris de délire. Le médecin est
précocement vieux car avant les études de médecine, il y a
eu celle de la vie, ou plutôt celle de la mort, le
« dépucelage » de la guerre qui initie à
l'horreur et à la folie : « Fièvre ou pas, je
bourdonne toujours et tellement des deux oreilles que ça peut plus
m'apprendre grand-chose. Depuis la guerre ça m'a sonné. Elle a
couru derrière moi la folie... »245(*). Le thème de la folie
est aussi prépondérant dans le Voyage au bout de la
nuit, toujours lié, cependant, au physiologique, à
l'organique : la folie est explicitement décrite comme une maladie.
C'est à la fin du roman que la maladie mentale trouve son terrain
privilégié d'expression, dans l'asile de Baryton : elle est
la manifestation des mensonges de l'homme : « la vie n'est qu'un
délire tout bouffi de mensonges »246(*).Ce délire, forme
physique et visible de la maladie mentale, est omniprésent :
« Une marmelade de symptômes de délire »
constate même le docteur Baryton. En outre la guerre a provoqué de
nombreuses commotions cérébrales parmi les soldats traités
au Val de Grâce ou à Issy : « Beaucoup de
malades,(...) plus émotifs que les autres (...) se levaient la nuit au
lieu de dormir,protestaient tout haut contre leur propre angoisse
,crispés entre l'espérance et le
désespoir »247(*).En temps de guerre,la psychiatrie consiste surtout
à distinguer les véritables malades mentaux,victimes de
commotions cérébrales,des simples simulateurs
immédiatement renvoyés sur le front. Bardamu lui-même a
été victime d'un accès de folie dont il se demande s'il
n'est pas lié à la rencontre de son alter ego, Robinson :
« De le rencontrer à nouveau, Robinson, ça m'avait donc
donné un coup et comme une espèce de maladie qui me
reprenait »248(*).Le paradoxe est, qu'après avoir eu sa propre
expérience de la folie,Bardamu doive s'occuper de malades mentaux dans
l'asile dirigé par le docteur Baryton ,la fameuse « maison de
santé » ,où elle atteint son apogée. Bref, le
médecin est à la fois malade et presque fou, plongé dans
la même misère que ses patients : « a force de me
faire du mauvais sang et de passer entre les averses glacées de la
saison, je prenais plutôt l'air d'un espèce de tuberculeux
à mon tour »249(*) constate Bardamu. Et Céline y reviendra sans
cesse, que ce soit dans D'un Château l'autre, Féerie
pour une autre fois, Nord ou encore Rigodon. Mais il n'y
a pas que son propre cas de médecin écrivain .Le motif du
docteur malade est,d'une certaine manière, emblématique :on
trouve,dans Guignol's band,un médecin bien mal en
point,l'interne du London Hospital,Clodovitz, jeune, mais pourtant
« perclus,souffreteux,traviole et des arthrites plein les
jointures »250(*).Rigodon n'est pas en reste,avec cette
scène entre le médecin narrateur délirant à
l'extrême et le médecin revenant, Vaudremer,lui-même
souffrant mais qui rend tout de même visite à son
collègue... Dans son souci de mettre en relief cette misère de la
médecine,Céline développe également le motif du
médecin se faisant ausculter,sachant que l'auscultation est aussi une
humiliation ,une mise à nu,sachant que le nu n'a rien de très
glorieux (sauf quand il s'agit de certaines femmes) chez Céline...Ainsi
le docteur Destouches se fait lui-même ausculter dans Féerie
pour une autre fois...Dans D'un château l'autre, le
médecin ausculté et rabaissé se trouve être cette
fois un officier nazi,médecin chef de Siegmaringen ayant donc le pouvoir
de vie et de mort sur le narrateur et sur ses proches : « A ce
moment là Traub change de figure,de mine...(...) il me parle autrement
(...) « est ce que je suis un peu
spécialiste ?... » Oh non ! ... mais je connais un
peu... (....) « Voulez vous m'examiner ? » -
Certainement ! Otez votre pantalon, je vous prie !... »
(...) il se décontracte, il se met on dirait en confiance... à
table ! Il m'avoue (...) que son hostau est un enfer !... une lutte,
un pancrace entre les services ! Médecins !
Chirurgiens !bonnes soeurs ! »251(*).Pourquoi faut il que le
médecin soit malade, au moins autant, sinon plus que ses clients ?
Est-ce un choix quasi masochiste de l'échec ? Un besoin de se
précipiter au coeur de la misère et de la souffrance ? On
pourrait expliquer cela comme une transcription du voyage de
l'hygiéniste Destouches dans les usines Ford en 1925 : Dans le
Voyage au bout de la nuit, Destouches n'a plus ce regard
extérieur du médecin : il est l'un des leurs, il est, lui
aussi, un ouvrier comme les autres, écrasé par les machines. Le
médecin ne doit pas être au dessus du lot, comme un observateur au
dessus de la fange, mais au contraire impliqué de toute son âme et
de tout son corps, et jusqu'à l'écoeurement, dans les conditions
les plus misérables.Le médecin, dans les romans de Céline,
ne peut être lui-même en bonne santé. Mais on ne
s'étonnera pas non plus du fait qu'il n'est pas capable de soigner et
encore moins de guérir ses malades.
2.3: LA MEDECINE IMPUISSANTE :
Le plus souvent, le médecin, dans les romans
de Céline, ne guérit pas. Il soulage même a peine... Il se
contente plutôt d'être un témoin abattu, défait du
règne de la souffrance. Ainsi le docteur Bardamu ne sait que s'asseoir
et attendre tête basse pendant qu'une jeune avortée perd
inexorablement son sang, goutte à goutte. Cette scène est peut
être une des plus choquantes du Voyage au bout de la nuit. Peu
d'autres passages, en tout cas, signifient avec plus de force l'impuissance de
la médecine : «Je voulus l'examiner, mais elle perdait
tellement de sang, c'était une telle bouillie qu'on ne pouvait rien voir
de son vagin (...) Trop d'humiliation, trop de gêne portent
à l'inertie définitive. Le monde est trop lourd pour
vous »252(*).Dans le même roman,Bardamu s'agite davantage
pour Bebert,le fils de la concierge,fait même tout son possible ,mais il
n'obtient pas plus de résultat,échoue ,lui et toute la
médecine ,présentée à cette occasion sous un jour
bien dérisoire.
Il est vrai que l'exercice de la médecine se
pratique le plus souvent dans les pires conditions, celles de la guerre ou des
débâcles qui s'ensuivent. Par ailleurs il resterait à voir
si les consultations du médecin dans les romans évoquent
également la pratique de l'illustre obstétricien Semmelweis. Dans
le Voyage,Bardamu est appelé au chevet de femmes en couches.
Les deux fois il s'agit de grossesses qui sont tragiquement interrompues.
Femmes « à la dérive »253(*) qui avortent ou perdent tout
leur sang par des vagins où suintent des caillots. C'est par
exemple aussi, dans D'un Château l'autre, l'humiliation de
« toucher » sans gants, et les mains sales qui plus est,
une femme sur le point d'accoucher dans un train : « Je
touche... mais sans gants ! ...où me laverais je les
mains ?... jamais j'ai été si humilié,
misérable, « toucher » sans
gants ! »254(*).Un comble pour un docteur qui a fait sa thèse
sur I.P Semmelweis, l' « accoucheur aux mains
propres »... Idem dans Bagatelles pour un massacre où
l'on trouve une scène qui paraît tirée de Semmelweis. Le
pamphlétaire-narrateur y relate les examens gynécologiques d'un
médecin russe (le docteur Toutvabienovitch...)ne respectant pas les
précautions d'hygiène élémentaires,examinant les
femmes à toute vitesse ,les unes à la suite des autre avec un
« jet de permanganate » pour tout antiseptique :
«Il manipulait fort crânement avec une rude dextérité
tous ces attirails en déroute (...) un petit jet de permanganate et
floutt !... je te plonge dans une autre motte ,la moitié du bras
(...) pas une seconde de perdue !... comme ça ! Mains
nues !... velues... dégoulinantes de pus jaune... sans doigtier
absolument »255(*). Dans le même registre, c'est
également le manque de soufre ou de mercure pour soigner les femmes de
Sigmaringen, dans D'un château l'autre, ou encore l'obligation
de faire des piqûres sans avoir désinfecté l'aiguille dans
Nord : « Alors morphine !... J'injecte...le Revizor
d'abord... et puis les deux dames... la même seringue les trois...et la
même aiguille ... »256(*). Ce manque de moyens atteint de telles
proportions qu'il finit, comme souvent chez Céline, par déboucher
sur un cynisme à la limite du supportable... Dans Nord, par
exemple, lors d'un dialogue entre le narrateur et l'un de ses
collègues : « Je lui raconte que moi-même
médecin du Chella j'ai du faire une nuit plus de 200 piqûres... la
même façon ! ...Aucun abcès ! (...) horreur pour
horreur, il me raconte que, prisonnier à Krasnodar il avait dû
amputer, à vif, absolument sans chloroforme, toute une salle de
prisonniers russes... Harras ! ... comme Ambroise Paré ! - Oh
les russes, remarquables, confrère ! ... les bêtes se
plaignent, eux presque jamais !...et encore en plus, vous savez ce qu'ils
me demandaient ? Puisque j'y étais ?... Que je leur arrache
une dent !... deux dents !... en plus de leurs jambe... très
rares les dentistes chez eux... » »257(*).
Les conditions sont donc effroyables, mais
l'impuissance de la médecine n'en est pas pour autant seulement
conjoncturelle... Céline est très clair là-dessus. Car,
tout d'abord, et c'est le premier point, il n'y a pas de progrès de la
médecine du point de vue du narrateur:
« Progrès ! ... ils sont comme les ministères, ils
se montent, on les gonfle, ils se défont... le temps de les voir, ils
existent plus... »258(*).Et tant pis si le même homme a défendu
avec vigueur, enthousiasme et lyrisme, dans sa thèse de doctorat, un
certain Semmelweis, qui a fait faire à la médecine le
progrès décisif de la prévention des infections de
l'accouchement en insistant sur l'hygiène. Il est vrai que dans
l'univers chaotique que nous décrit Céline, ce progrès, on
l'a vu, ne peut guère être efficacement mis en pratique. Les
médecins en sont donc réduits, dans cet univers, à
distribuer des remèdes de fortune : les deux fameux CC de morphine
dans D'un Château l'autre ; à faire en outre de
dérisoires prescriptions : les nouilles, toujours dans D'un
Château l'autre, réminiscences de l'enfance, au cours de
laquelle la morale a été inculquée « à
coups de torgnoles »...Des nouilles, de l'abstinence, pas d'alcool,
pas de sexe... Voilà ce que préconise le docteur Destouches en
cas de douleur à la prostate : « Vous Traub, vous
ferez attention c'est tout ! vous vous surveillerez...pas d'alcool...pas
de bière... pas d'épices... pas de
cöit »259(*).Des prescriptions dérisoires,essentiellement
hygiéniques, des soins minimes, pas d'opérations chirurgicales
mais surtout, surtout : attendre que cela passe...Car de toute
façon,les malades ne tiennent pas tant que ça à
guérir,c'est à leur maladie qu'ils tiennent...L'univers
misérable de Rancy modifie les conditions de la pratique médicale
de Bardamu : les malades sont dominés par d'autres
impératifs que leur guérison :étant donné la
situation économique des habitants de Rancy,la santé ne leur vaut
plus rien ;la seule chose nécessaire,c'est la
sécurité financière : « Ils comptaient sur
leur tuberculose pour se faire passer de l'état de misère absolue
où ils étouffaient depuis toujours à l'état de
misère relative que confèrent les pensions gouvernementales
minuscules (...) la guérison ne venait que bien après leur
pension dans leurs espérances »260(*). Ses malades sont
dominés par les soucis économiques qui, en partie,
définissent leur univers. Puisque le médecin épouse leur
« cause » et essaie de leur être utile,il travaille
non pas pour une guérison mais pour une continuation,au moins
apparente,de leur maladie,ce qui justifierait l'allocation de la pension
tellement souhaitée. Bardamu pratique, en quelque sorte, une fausse
médecine. Plus étrange encore, ces maladies sont également
un divertissement contre le néant et l'ennui absolu, comme le fait
remarquer avec justesse Gustin à Ferdinand, dans Mort à
Crédit: « Aux malheureux, retiens mon avis, c'est
l'occupation qui manque, c'est pas la santé... Ce qu'ils veulent c'est
que tu les distrayes, les émoustilles, les intrigues avec leurs
renvois...leurs gaz...leurs craquements... que tu découvres des
rapports, des fièvres... (...) que tu t'étendes.... Que tu te
passionnes... C'est pour ça que t'as tes
diplômes... »261(*).On peut retrouver les échos d'un tel discours
dans Guignol's band où les malades et les blessés, au
nombre desquels le narrateur lui-même, exhibent fièrement leurs
diverses plaies et blessures et en font même d'authentiques sujets de
conversation... Le médecin soulage parfois, et c'est déjà
beaucoup, quand il réussit à divertir les malades, mais surtout,
il a pour véritable pouvoir d'abréger pour de bon leur souffrance
en leur donnant la mort. La mort est en quelque sorte tout ce dont le
médecin dispose comme arme pour se guérir de la maladie de la
vie. Ainsi, dans D'un château l'autre, ces conseils hallucinants
pour un suicide réussi : « Les gens qui peuvent plus se
passent au gaz... la belle affaire ! Pensez que j'en connais un petit
bout, en trente cinq ans de pratique (...) ils réussissent pas à
tous les coups, de loin ! (...) Non ! Le gaz est pas une bonne
affaire !... le plus sûr moyen croyez-moi, j'ai été
consulté cent fois : le fusil de chasse dans la bouche !
Enfoncé, profond !... et pfang !... vous vous
éclatez le cinéma !... un inconvénient : ces
éclaboussures ! »262(*) .Tout comme l'insistance, dans le même roman
et dans Féerie pour une autre fois, sur le seul
véritable pouvoir du médecin, si démuni de tout par
ailleurs : il posséde en effet du cyanure : « Jamais
j'ai trahi les confiances, jamais j'ai rien abandonné ! ... ni un
malade ni un soldat, ni un animal !... du cyanure tout de suite, et en
joie... »263(*).Les médecins sont fondamentalement
impuissants car c'est la vie elle-même qui est malade... Une citation de
Montaigne, dans les Essais, illustre cette
maxime : « Mais tu ne meurs pas de ce que tu es
malade ; tu meurs de ce que tu es vivant ».Si Montaigne propose
des solutions à cet état de fait, en s'engageant dans la voie de
la sagesse, Céline en reste à ce constat
désespéré de cette imperfection de la vie et ne cesse de
se confronter à la mort la plus concrète en tant
qu'écrivain et médecin.
2.4 : VERS UNE MEDECINE PLUS PROCHE DES
HOMMES :
Le monde pour Céline est sans illusion et sans
maquillage. Il nous présente les hommes tels qu'il les voit vivre,
souffrir et mourir. Céline lui-même le dit, ses romans
« payent » avant tout parce qu'ils se situent du
côté de la vérité et ne s'accommodent pas de faux
semblants. C'est exactement le cas des médecins qui, parce qu'ils sont
du côté du corps, ne s'en laissent pas compter :
« L'esprit est content avec des phrases, le corps c'est pas pareil,
il lui faut des muscles .C'est quelque chose de toujours vrai un corps,
c'est pour ça que c'est presque toujours triste et
dégoûtant à regarder »264(*). Cette vérité,
comme on pouvait s'y attendre, n'est donc pas très belle à voir.
Ce que le médecin et l'écrivain rencontrent c'est la peur, la
cruauté, la souffrance, bref toute la misère de la condition
humaine : « La vérité, c'est une agonie qui n'en
finit pas. La vérité de ce monde, c'est la
mort »265(*),
affirme avec force Bardamu dans le Voyage. Difficile de tromper un
médecin ayant pris l'habitude d'aller directement au coeur des choses.
Une scène du Voyage est particulièrement saisissante
à ce propos : alors que sa fille se vide de son sang, la
mère jouit littéralement d'avoir enfin une occasion de jouer la
comédie .Mais rien n'échappe à l'oeil du
médecin-ecrivain des rapports entre les individus et de la
« comédie sociale » :« La mère
ne regardait rien, n'entendait qu'elle-même « j'en mourrais
docteur ! Qu'elle clamait. J'en mourrais de honte ! »Je
n'essayais point de la dissuader. Je ne savais que faire (...) elle tenait le
rôle capital, entre la fille et moi. Le théâtre pouvait
crouler, elle s'en foutait elle, s'y trouvait bien et bonne et belle. Je ne
pouvais compter que sur moi-même pour rompre ce merdeux
charme »266(*).
Certes, nous avons vu que le médecin
s'avérait impuissant dans cette circonstance. Mais le narrateur et le
médecin ont encore cette petite supériorité qui est celle
du regard qui ne se laisse pas envoûter par les illusions de la
comédie humaine. Au début du Voyage, Bardamu,
blessé au front, se voit conduit dans un hôpital de fortune
à Issy les Moulineaux : « Nous étions
hébergés ,nous les blessés troubles ,dans un lycée
d'Issy les Moulineaux (...)on ne nous traitait absolument pas mal,mais on se
sentait tout le temps,tout de même ,guetté par un personnel
d'infirmiers silencieux (...) après quelques temps de soumission
à cette surveillance,on sortait
discrètement »267(*).L'organisation de l'hôpital prend ici une
allure spécifique de lieu d'inquisition et de jugement permanent ,avec
un développement de ce champ
lexical ,« guetté »,
« soumission », « surveillance »,
en même temps qu'il est un endroit de menace et de mort :
« les médecins s'promènent dans des mines toujours
affables,la condamnation à mort ».Tout ,ici ,va a l'encontre
du fonctionnement normal de ce type d'institution. Et cela dans un but bien
précis :remettre dans les droit chemin des soldats dont
l'idéal patriotique s'effrite ou paraît même
complètement absent : nouvelle preuve que la vocation de ce lieu
faisant office d'hôpital n'est pas la guérison mais plutôt
un certain traitement moral .Bardamu est ensuite amené au Val de
Grâce ,décrit assez sommairement : « citadelle
ventrue si noble et toute barbue d'arbres (...) nous ne fîmes pas long
feu au Val »,puis à l'hôpital Bicêtre où
les angoisses ,les peurs,restent les mêmes :
« Ici,à l'hôpital,comme dans la nuit des Flandres,la
mort nous tracassait. »268(*).Bicêtre se situe dans le même univers
que l'hôpital d'Issy : l'univers guerrier est mêlé
à l'univers hospitalier. Preuve en est l'entrée en scène
du médecin chef Bestombes : « Tout content de nous voir,
qu'il semblait, toute cordialité dehors »269(*).S'ensuit un vif discours
patriotique, visant à encourager le retour des hommes au front, un
discours sonnant de manière très discordante aux oreilles de
Bardamu, impression corroborée par les termes
« mimiques »270(*) ou « entonne »271(*), qui transforment
l'hôpital Bicêtre en un immense théâtre de la
fausseté. Le regard du narrateur est, on peut le dire, un regard
« clinique ».Pas seulement sur le plan scientifique...Le
regard du médecin va au plus profond des choses,voit ce que les autres
ne voient pas. De même, dans D'un Château l'autre le
narrateur a le privilège de voir « l'envers » des
anciens puissants du régime de Vichy, jusqu'à la description et
la connaissance précise de la prostate de chacun d'entre eux. C'est un
procédé cher à Céline : imaginer ou montrer
les hommes, surtout les plus respectables, surtout les plus puissants dans un
état de complète nudité, afin qu'ils en perdent leur
« sale prestige »272(*).Nus, c'est-à-dire réduits à
l'état de corps matériels, à leur vérité la
plus crue d' « asticots mous et roses ».Dans D'un
Château l'autre,le commandant Raumnitz devient
« là,allongé sur ce lit,à poil,il est comme il
est,ancien athlète épuisé... les chevilles
enflées... (...) les muscles fondus, flasques...le squelette encore
présentable... »273(*).Mais comme l'abbé Protiste dans le Voyage
au bout de la nuit ,l'homme nu « ne reste plus devant vous
en somme qu'une pauvre besace prétentieuse et vantarde qui
s'évertue a bafouiller futilement dans un genre ou un
autre »274(*).
Médecin voyeur certes, mais aussi médecin à
l'écoute : le personnage médical célinien
préfère une médecine plus humaine, plus proche des hommes,
à l'écoute de leurs souffrances. Dans D'un château
l'autre, il se définit comme médecin tel qu'il le
conçoit : « Moi c'est vu... je suis le Docteur
« tant mieux »... (...) préposé :
« remonteur de moral... »275(*).La pratique médicale chez Céline
s'affirme aussi comme un point de rencontre, un espace de relation que le
médecin entretient avec les autres hommes. Cette possibilité de
contact et d'échange oral avec le patient va bien au-delà des
problèmes de santé...Elle va s'étendre à
l'environnement social et familial du patient. Cette psychologie
médicale doit permettre de mieux comprendre en se rapprochant de la
vraie souffrance. La pratique du docteur Destouches dans les dispensaires lui a
vite appris à tenir compte des conditions de vie du malade, loin des
abstraites considérations médicales. Il s'agit là de
proposer une solution à chaque cas. Cette pratique médicale ne
s'apprend pas seulement dans les livres ou par l'intermédiaire de
grandes idées sur la profession : « On agite bien pour la
galerie ,les grands problèmes comme on dit (...) rien de tel qu'un grand
problème pour dissimuler flatteusement une radicale inaptitude à
saisir les humbles contingences de la réalité,les exigences de la
vie même »276(*).La sensibilité et l'intuition
prédominent sur une connaissance froide et déshumanisée
.Céline apparaît plus comme un humaniste que comme un
véritable homme de science. S'il ne fut peut être pas un grand
médecin, il fut toujours à l'écoute de ses patients.
L'intégration de la médecine à l'univers misérable
bouleverse la relation entre Bardamu, le narrateur du Voyage, et cet
univers. Son attitude personnelle et sa profession semblaient aller de pair
pour l'opposer à l'univers misérable et pour lui imposer la
tâche de vaincre cet univers. Bien qu'il soit à l'intérieur
de l'univers misérable à Rancy et quoique la médecine
qu'il pratique soit partie prenante de cet univers, Bardamu fait en sorte,
pendant quelque temps, de ne pas se laisser dominer par celui-ci. A plusieurs
reprises, il refuse ou n'exige pas ses honoraires. Il justifie ainsi ce
désintéressement au sujet de l'argent : « Les
malades ne manquaient pas, mais il n'y en avait pas beaucoup qui voulaient
payer. (...)Ils n'en ont déjà pas assez pour bouffer et aller au
cinéma les malades, faut il encore en prendre du pognon pour faire des
honoraires avec ? ». L'apport thérapeutique de la science
semble donc bien mince :Céline, tout au long de son oeuvre va ainsi
nous montrer son mépris de la recherche scientifique et des chercheurs,
réduits à l'état de simples fonctionnaires. Ainsi dans le
Voyage au bout de la nuit avec la description de l'institut
Bioduret-Joseph et les préoccupations toutes matérielles du
docteur Parapine : Bardamu se dit ,un jour,qu'il ferait bien d'aller
consulter ,à propos d'un cas de typhoïde,ce savant reconnu qu'est
Parapine. Mais ce dernier « avait appris lui, en vingt
années,tellement de choses et des si diverses et de si souvent
contradictoires sur le compte de la typhoïde,qu'il lui était devenu
bien pénible à présent et comme qui dirait impensable,de
formuler au sujet de cette affection si banale (...) le moindre avis net ou
catégorique ».En réalité,Parapine n'attend rien
de la recherche mais se préoccupe d'obtenir un prix d'académie
pour pouvoir s'offrir un voyage à Venise... Céline exprime
là un profond dégoût pour la médecine dont le
principal souci est le profit personnel et l'avancement de la carrière,
préférant les spéculations abstraites à la
recherche d'un véritable remède. A cet opportunisme s'ajoute une
pratique de la médecine dénuée de la moindre once
d'humanité, voir même empreinte de violence, en témoigne
cette violente diatribe contre les chirurgiens dans D'un Château
l'autre : « Vous avez un fils qui se destine ? Se sent
il réel assassin ?... inné ?décerveleur ?
(...) qu'il le proclame, il a le don !... La chirurgie est son
affaire ! Il a l'étoffe du grand
patron ! »277(*)..La pratique médicale de Céline est
aux antipodes : elle est avant tout une affaire de relation et
d'échange, de compréhension de l'autre : « Avec la
médecine (...), je m'étais bien rapproché des
hommes »278(*).La recherche d'une profonde relation humaine
à autrui est recherchée à travers la médecine ainsi
qu'une prédominance de la sensibilité et de l'intuition sur une
connaissance scientifique froide et déshumanisée.
CONCLUSION :
Si Louis Destouches est toujours resté
fidèle à ce but premier de la médecine qu'est le
soulagement des peines et de la douleur, il a aussi toujours insisté sur
la nécessité d'une médecine rentable axée sur
l'efficacité. Il n'y a aucun domaine touchant à la
médecine où il n'ait été présent :
jamais titulaire des pleins pouvoirs, toujours un peu en marge ce qui lui
permet d'y être mais surtout d'observer. La recherche, la médecine
internationale, l'industrie pharmaceutique, la médecine en dispensaire,
la médecine coloniale... il n'y a pas de branche dans laquelle puisse
s'exercer l'art médical dans laquelle il ne se soit investi, avec une
compétence parfois limitée certes, mais toujours avec
dévouement. Mais à cette image de la vie médicale du
docteur Destouches correspond aussi la vision qu'il avait de la
médecine. Vision complexe car s'y superposant finalement plusieurs
images.
D'abord celle d'une médecine toute puissante,
auréolée de prestige : un médecin
« c'était un seigneur » lorsqu'il venait soigner
dans le quartier du jeune Destouches à Paris. Mais à cette forme
de puissance correspond une impuissance totale face à la mort. Alors la
médecine devient « cette merde »279(*)incapable et
dévalorisée. Céline demeura également toute sa vie
hantée par cette vision complexe : adapter les moyens d'une
médecine populaire aux conditions de vie moderne du prolétaire,
médicaliser le malade travailleur. Sa position épouse deux lieux
communs contradictoires :d'un côté un certain conservatisme
défendant une médecine privée confinée à son
exercice,en cabinet,et de l'autre un certain progressisme défendant un
système de soins socialisés pour le prolétaire. A une
médecine proche du malade,à son écoute,à son chevet
s'oppose donc ,de prime abord,une médecine statistique,standard,oeuvrant
pour le plus grand nombre et négligeant les cas. Une
ambiguïté qui, sur le plan purement scientifique semble totalement
inconciliable. Il n'en reste pas moins que la pensée sanitaire du
Docteur Destouches nous est également d'autant plus précieuse
qu'elle permet de revenir aux sources paradoxales du devenir-écrivain de
Céline.
Mais l'amélioration de l'hygiène, de la
médecine du travail ou des habitudes alimentaires ne changerait que
superficiellement les choses car, pour Céline, l'homme est vicié
au départ, « loupé » en quelque sorte. C'est
une des nombreuses contradictions du personnage mais en même temps elle
se comprend de par sa fonction de médecin. Il nous faut donc faire la
part des choses : lorsque l'écrivain travaille dans l'absolu, il
est en plein pessimisme et même l'exercice de l'écriture ne
saurait masquer la faillite de l'homme, son irrémédiable
échec. En revanche, lorsque le médecin s'exprime, par la force
des choses, il oeuvre à un niveau relatif où l'action est
souhaitable et réalisable. Changer la nature profonde de l'homme,
l'anoblir n'est pas réalisable. L'améliorer quelque peu par
l'hygiène et la médecine du travail, en revanche, l'est. C'est
cette soif d'absolu en tant qu'écrivain qui rend Céline parfois
amer et son goût pour la perfection des corps, des émotions et du
style qui le rend exigeant. Mais c'est bien son sens des réalités
qui en fait un homme d'action. Son engagement se fait sur le
« terrain »,dans le sens où il essaie de surmonter
l'absurdité de la vie,l'imperfection de l'Homme par une activité
à son service,qui aille dans le sens de son amélioration,mais
surtout dans une atténuation du malheur et de la misère comme il
l'écrit dans Bagatelles pour un Massacre :
« Permettre à l'homme une vie à peu près
supportable »280(*).Nous ne sommes donc pas ,en ce qui concerne
Céline ,en présence d'une contradiction entre l'écrivain
et le médecin :la fiction romanesque permet une approche plus
rigoureuse de la vérité de ce monde et de la condition
humaine ;l'écrivain approfondit,en quelque sorte,le point de vue du
médecin hygiéniste. En effet, en ce qui concerne les
idées sociales, surtout médicales, exprimées tant dans ses
écrits professionnels que littéraires, nous constatons une
remarquable continuité. Le médecin et l'écrivain
travaillent simplement dans des sphères différentes : le
médecin toujours dans le relatif et l'écrivain toujours dans
l'absolu. On ne peut isoler l'un de l'autre. Dans la plupart des entretiens
accordés par Céline, leur association se fait sur le mode d'un
reniement de toute vocation littéraire et l'affirmation d'une vocation
médicale. Celle ci serait un rêve d'enfant, l'autre un accident
purement alimentaire. Il insistera d'ailleurs d'autant plus sur cette
idée qu'il sera de moins en moins médecin et de plus en plus
écrivain... Les publications romanesques prenant largement le dessus
dès après la publication du Voyage au bout de la nuit
(rappelons que le dernier texte purement médical, « Pour tuer
le chômage, tueront ils tous les chômeurs » date de
1933).Et les reproches qu'adresse Céline à la littérature
sont nombreux, notamment en raison de l'illusion qu'elle crée. Encore
moins que la médecine elle aura été un refuge pourtant
tant recherché.
Tous les aspects, et de l'écrivain et du
médecin forment donc la vie de cet homme. La dualité
Céline/Destouches et Ecrits médicaux/Romans est finalement
unifiée, elles sont les deux versants d'une même vocation,
vouée à l'échec, confrontée inéluctablement
à la mort, thématique par excellence du tragique célinien,
ennemi tôt ou tard vainqueur de la médecine et des
médecins. Céline se démarque en effet des autres
romanciers médecins,Franck G Slaughter ou encore le français
André Soubiran ,qui tous deux n'ont cherché qu'à
décrire une activité médicale en la rendant accessible
à la compréhension du public ,tout en essayant d'y mettre un peu
de l'esprit qui anime cette profession. Les préoccupations de
Céline ont été tout autres : comme on l'a vu, il a
cherché d'abord à transmettre sa vision poétique du monde,
à montrer les hommes sous un jour particulier à travers un
message d'abord émotionnel et mystique. Fidèle à sa
vocation, Céline a projeté son regard de médecin sur le
monde avec toute la puissance du langage de l'écrivain.
BIBLIOGRAPHIE
OEuvres de Céline :
Romans 1.Voyage au bout de la nuit, Mort à
Crédit, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1981
Romans 2.D'un Château l'autre, Nord,
Rigodon, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1979
Romans 3.Casse Pipe, Guignol's Band I et II,
Paris, Gallimard, La Pléiade, 1988
Romans 4.Féérie pour une autre fois I
et II, Entretiens avec le professeurY, Paris, Gallimard, La
Pléiade, 1981
Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard, 1924
(1999)
L'Eglise, Paris, Denoël, 1929 (1937)
Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard,
1932 (1997)
Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël,
1937
L'Ecole des Cadavres, Paris, Denoël, 1938
Les Beaux Draps, Paris, Nouvelles Editions
Françaises, 1941
D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard,
1957(2002)
Autres écrits de
Céline :
Cahiers Céline II : Céline et
l'actualité littéraire 1957-1961, Paris, Gallimard, 1976
Cahiers Céline III : Semmelweis et autres
écrits médicaux, Paris, Gallimard ,1977
Cahiers Céline IV : Lettres et premiers
écrits d'Afrique 1916-1917, Paris, Gallimard, 1978
Cahiers Céline V : Lettres à des
amies, Paris, Gallimard, 1979
Cahiers Céline VI : Lettres à
Albert Paraz, Paris, Gallimard, 1980
Documents sur Céline :
Année Céline 1990, Du Lérot/IMEC
Editions, Tusson-Paris, 1991
Année Céline 1991, Du Lérot/IMEC
Editions, Tusson-Paris, 1992
Année Céline 1993, Du Lérot/IMEC
Editions, Tusson-Paris, 1994
Année Céline 1996, Du Lérot/IMEC
Editions, Tusson-Paris, 1997
Année Céline 1998, Du Lérot/IMEC
Editions, Tusson-Paris, 1999
Les Cahiers de l'Herne : Céline, Editions
de l'Herne, Paris, 1972
Etudes sur Céline :
ALMERAS Philippe, Céline entre haines et
passion, Paris, Robert Laffont ,1994
ALMERAS Philippe, Dictionnaire Céline, Paris,
Plon, 2004
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vie médicale de Louis Destouches, 1894-1961, Paris, 1977
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Paris, La Table ronde, 1986
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Montréal, Editions Balzac, 2000
BRAMI Emile, Céline, Paris, Ecriture, 2003
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Contribution à l'étude des années rennaises du Docteur
Destouches, 1918-1924, Rennes, 1967
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espérances 1894-1932, Paris, Mercure de France, 1977
GIBAULT François, Céline 2,
Délires et persécutions 1932-1944, Paris, Mercure de
France, 1985
GIBAULT François, Céline 3,
Cavalier de l'apocalypse 1944-1961, Paris, Mercure de France, 1981
GODARD Henri, Poétique de Céline,
Paris, « Bibliothèque des idées », Gallimard,
1985
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l'écriture,Paris,Diffusion M.P,1973
HENRY Anne, Céline Ecrivain, Paris,
L'Harmattan, 1994
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Paris, Editions de l'Herne, 1969
HUON de KERMADEC Philippe, Thèse médicale,
Contribution à la biographie de L.F Céline : les
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Montpellier, Fata Morgana, 1973
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ROUSSIN Philippe, Misère de la Littérature,
terreur de l'Histoire, Paris, NRF Essais,Gallimard, 2005
VITOUX Frédéric, La vie de
Céline, Paris, Grasset, 1988
Autres Ouvrages :
ACKERKNECHT Erwin.H, La médecine
hospitalière à Paris (1794/1848) trad.F.Blateau, Payot,
Paris, 1986
BOURDELAIS Patrice (sous la direction de), Les
Hygiénistes : enjeux modèles et pratiques, Paris,
Belin, 2001
DACHEZ, Histoire de la médecine, de
l'Antiquité au XX è siècle, Paris, Tallandier,
2004
FOUCAULT Michel, Naissance de la clinique,
Paris, PUF, 1966
GUILLAUME Pierre, Le rôle social du médecin
depuis deux siècles (1800-1945), Paris, Association pour
l'étude de l'histoire de la sécurité sociale, 1996
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d'épistémologie, Paris, Armand Colin, 1996
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la pensée médicale, Paris, PUF Quadrige, 2003
SLAUGHTER F.G, Cet Inconnu Semmelweis, Paris, Presses
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SOURNIA Jean Charles, Histoire de la médecine,
Paris, La Découverte Poches, 1997
THUILLIER Jean, La vie passionnée de
Semmelweis, Paris, Editions Josette Lyon, 1996
TUBIANA Maurice, Histoire de la pensée
médicale- les chemins d'Esculape, Paris, Champs Flammarion, 1995
Revues et publications :
Le Bulletin Célinien, périodique
mensuel, n°161(février 1996) « Drieu, Céline et la
fin du monde... » Par Frédéric Saenen, n°177 (juin
1997) « Entretien avec le docteur Destouches » par Michel
Pacaud, n°208 (avril 2000) « Semmelweis et
Céline » par François Klotz,n°210 (juin
2000), «Le Docteur Destouches à
Sartrouville », Bruxelles
Le Point ,21 octobre 2004,
Le Nouvel Observateur, 25 avril-5 mai 1999,
« Voyage au bout de la haine »,P.A Taguieff
interviewé par Laurent Lemire.
Le Magazine Littéraire, Hors série
n°4 consacré à Louis Ferdinand Céline, 4é
trimestre 2002
INDEX DES NOMS DE PERSONNES :
Abatucci (docteur): 14
Auenbrugger,Leopold: 63
Aymé,Marcel: 33
Barcht (professeur):66,67,68
Bernard,Léon:19, 20, 59
Bichat (Xavier) 63
Birley (professeur) 69
Bleuler (Eugene): 43
Blum,Léon: 23
Brindeau (professeur): 3, 12, 65
Broussais ,François: 63
Brumpt (Professeur): 14
Ceronetti (Guido): 73, 75
Corvisart ,Jean-Nicolas 64
Debré,Robert: 19, 24
Delbet (professeur): 12
Drieu La Rochelle,Pierre: 34, 79
Duhamel, Georges:55
Follet, Anasthase:10, 11, 19, 33
Gallier, 21, 27
Gunn, Selskar:9, 12, 13
Györy,Tibérius de: 73
Hahnemann Samuel: 64
Hebra (docteur)69
Hempel, Carl:70
Hitler,Adolf: 56, 59
Hogarth (docteur): 28, 59
Ichok,Grégor:20
Karafiah,Judith 72
Klin (professeur) 66, 68, 73, 76, 78
Kolletchka (professeur) 68, 73
Laennec,René: 19, 20, 63
Le Corbusier,François: 33
Lesky,Erna: 64
Lick, 48
Lwoff,André:11
Malouvier (docteur) 24, 27
Marechal (professeur) 12
Münthe,Axel: 62
Pasteur,Louis: 11, 31, 35, 64, 68
Pinard,Adolphe: 72
Porée (Docteur)12
Rachjman,Ludwig13, 15, 19, 22, 58
Rockefeller (fondation), 9, 10, 11, 13, 31, 33, 37, 65
Rokitansky,Karl 63, 66
Semmelweis,Ignace-Philippe: 3, 5, 12, 31, 40, 42, 61, 62, 63, 64,
65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 83, 84, 94, 96, 100
Shryock, Richard H:42
Skoda,Joseph 42, 63, 66, 69
Slaughter,Franck.G: 73, 93
Soubiran,André:93
Thailhefer (professeur) 8
TABLE DES MATIERES :
INTRODUCTION :
p.1
I :CELINE MEDECIN
p.6
1. LES DEBUTS MEDICAUX DE LOUIS DESTOUCHES 1917-1924
p.6
· 1.1 : La vocation médicale de Louis
Destouches
· 1.2 : Etudes et débuts médicaux
2. CELINE MEDECIN HYGIENISTE 1924-1927
p.13
· 2.1 :L'entrée à
« L'Eglise »
· 2.2 : Les premiers travaux pour la SDN : la
mission américaine
3. CELINE MEDECIN DE BANLIEUE ET D'AILLEURS 1927-1961
p.19
· 3.1 : Départ de la SDN :
premières expériences en cabinet
· 3.2 : Médecin en dispensaire,visiteur
médical...et écrivain
· 3.3 : Le docteur Destouches
· 3.4 : Céline médecin pendant et
après la guerre
II :LA PENSEE HYGIENISTE :
p.31
1. LE DISCOURS HYGIENISTE
p.31
· 1.1 : Aux origines de la passion pour
l'hygiène
· 1.2 : Fordisme, taylorisme et hygiène dans
les années 1920
· 1.3 : Les solutions préconisées par
l'hygiéniste
· 1.4 :L'idée de la médecine
standard : nihilisme thérapeutique de Céline
2. POUR UNE MEDECINE DU TRAVAIL
p.44
· 2.1 : Le facteur Travail
· 2.2 : Une politique économique de
santé publique
· 2.3 : Une nouvelle division des tâches et
des corps
3. UN HYGIENISME ANTISEMITE : MISERE
DE CELINE : p.54
· 3.1 : Céline témoin de la
décadence sociale :de l'hygiénisme à
l'eugénisme
· 3.2 : Le médecin antisémite
III :LE MEDECIN CELINIEN :
p.62
1. L' « IDEAL » SEMMELWEIS :
p.62
· 1.1 :L'école de Vienne
· 1.2 : Le personnage Semmelweis
· 1.3 : Une biographie particulière
· 1.4 : Première vision du monde et
première déception...
2. DESILLUSION ET MISERE DE LA MEDECINE :
p.77
· 2.1 : Protection,dévouement et
culpabilité
· 2.2 : Le médecin malade
· 2.3 : La médecine impuissante
· 2.4 : Vers une médecine plus proche des
hommes
CONCLUSION GENERALE :
p.91
BIBLIOGRAPHIE :
p.94
INDEX DES NOMS DE PERSONNES :
p.98
* 1 J.Francois, Contribution
à l'étude des années rennaises du docteur Destouches,
Thèse médicale1967, p.56
* 2 L.F Céline,
Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard, 1924 p.23
* 3 L.F Céline, entretien
avec Claude Bonnefoy (1961) Cahiers Céline II, Paris,
Gallimard, p .207
* 4 L.F Céline,propos
tenus au Sundby Hospital (1946) rapportés par le Dr Knud Lundbaeck in
L'année Céline 95 Du Lérot, IMEC éditions,
p.59
* 5 Ibid. p.59
* 6 L.F Céline, Entretien
avec J.Guénot et J.Darribehaude in Cahiers Céline II,
Paris, Gallimard, p.177
* 7 L.F Céline, Lettre
à Simone Saintu (1916) in Cahiers Céline II, Paris,
Gallimard, p.207
* 8 L.F Céline, Lettre
à Simone Saintu (12/10/1916) in Cahiers Céline IV,
Paris, Gallimard p.117
* 9 L.F Céline, Lettre
à Simone Saintu (1/1/1917) in Cahiers Céline IV, Paris,
Gallimard p.170
* 10 L.F Céline, Lettre
à sa femme (août 1946), in François Gibault, Cavalier
de l'apocalypse, Paris, éditions du cherche midi, p.107
* 11 L.F Céline,
entretien avec Jean Guénot (1960) in Cahiers Céline II,
Paris, Gallimard, p.159
* 12 L.F Céline,
Entretien radiophonique avec L.Pauwels, in Cahiers Céline II,
Paris, Gallimard p.135
* 13 L.F Céline,
D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.17
* 14 L.F Céline,
Entretien radiophonique avec L.Pauwels (1960) in Anthologie Céline sous
la direction de Paul Chambrillon
* 15 L.F Céline,
Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932 p.264
* 16 L.F.Céline,
D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957 p.99
* 17 Ibid.p.63
* 18 Pr Tailhefer, cité
par P.Monnier dans Les Cahiers de l'Herne, Paris, Editions de l'Herne,
1972, p.265
* 19 F.Balta, La vie
médicale de Louis Destouches, Paris, Thèse médicale,
1977 p.4
* 20 Céline cité
dans P.Ory, l'anarchisme de droite, Paris, Grasset, 1985 op. Cit.
* 21 « De
l'utilisation rationnelle du progrès », traduction de Louis
Destouches pour la revue Eurêka, février 1918 in F.Balta,La
vie médicale de Louis Destouches
* 22 L.F Céline
Cité par P.Huon de Kermadec in Les années Destouches,
Paris, Thèse Médicale, 1976 p.35
* 23 L.F.Céline,
interview avec C.Bonnefoy in Cahiers Céline II p.214
* 24 J.Guenot, L.F.
Céline damné par l'écriture, Paris, diffusion MP,
1973 p.37
* 25 Pr A.Lwoff (1921), in
Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.242
* 26 L.F Céline,
Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.279
* 27 Ibid, p.280
* 28 Ibid, p.279
* 29 L.F Céline, Lettre
à Max Descaves, (1933) in Cahiers Céline 1, Paris,
Gallimard p.48
* 30 L.F.Céline
Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937 p.64
* 31 L.F.Céline à
Albert Milon, cité par F.Gibault in Le temps des
Espérances, Paris, Mercure de France, 1977, p.249
* 32 L.F.Céline
L'Eglise, acte III, Paris, NRF Gallimard, 1929, p.173
* 33 L.F Céline,
«Louisiane » (1925) in Cahiers Céline III,
Paris, Gallimard, p.114
* 34 Ibid p.115
* 35 Ibid p.115
* 36 L.F Céline,
« Note sur l'organisation des usines Ford à
Detroit » (1925) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard,
p.123
* 37 Ibid p.123
* 38 L.F Céline,
Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.224
* 39 L.F Céline,
« Notes sur l'organisation sanitaire des usines Ford à
Detroit » (1925) in Cahiers Céline III, Paris,
Gallimard, p.128
* 40 Ibid p 128
* 41 Ibid p 128
* 42 Ibid p 129
* 43 Ibid p 130
* 44 Ibid p 130
* 45 L.F Céline,
« Notes sur le service sanitaire de la compagnie Westinghouse
à Pittsburgh » (1925) in Cahiers Céline III,
Paris, Gallimard, p.135
* 46 Ibid, p135
* 47 Lettre de L.F
Céline à un ami non identifié, cité dans
A.Rossel-Kirschen Céline et le grand mensonge, Paris, Mille et
une nuit, p.188
* 48 R.Debré,
Témoignage oral 5/12/1968 in Philippe Alméras, Dictionnaire
Céline, Paris, Plon, 2004, p.246
* 49 F .Balta La vie
médicale de Louis Destouches, Paris, 1970, p.29
* 50 L.F Céline,
Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.272
* 51 L.F Céline in J.P
Richard, Nausée de Céline, Montpellier,Fata
Morgana,1973, p.51
* 52 H.Mahé in
J.Morand, Les idées politiques de Louis Ferdinand
Céline, Paris, LGDJ, 1972, p.67
* 53 L.F Céline,
entretien avec M.Pacaud in Bulletin Célinien n°177, Juin
1997 p.21
* 54 Pr H.Mondor, cité
dans L'année Céline 1994, Du Lérot, IMEC
éditions, 1995 p.226
* 55 F.Balta La vie
médicale de Louis Destouches, Paris, Thèse médicale,
1977, p.29
* 56 Témoignage anonyme,
in Bulletin célinien n°210, juin 2000, p.7
* 57 F.Balta La vie
médicale de Louis Destouches, Paris, Thèse médicale,
1977, p.54
* 58 L.F.Céline,
D'un château l'autre, Paris, Gallimard, 1957, pp.60-61
* 59 Entretien avec des
infirmières du dispensaire de Sartrouville, Bulletin célinien
n°210, juin 2000, p.7
* 60 Dr Guy Morin in
Cahiers de l'Herne : Céline, p.208
* 61 L.F Céline
« Lettre à Cillie Pam» (1937), in Cahiers
Céline 5, Paris, Gallimard, p.143
* 62 Gaston
Ferdiéres, La mauvaise fréquentation rapporté
dans L'Année Céline 1991, Du Lérot
Editions, 1992, pp 148-150
* 63 Interview datant de 1933
rapporté dans P.Roussin,Misère de la
littérature,terreur de l'histoire, Paris,NRF Gallimard,2005 p.30
* 64 L.F Céline,
rapporté par Jean Guénot in Cahiers de l'Herne,
éditions de l'Herne, op.cit
* 65 L.F Céline,
D'un château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957 p.90
* 66 L.F.Céline,
Lettre à un correspondant non identifié in
L'année Céline 90, Du Lérot, IMEC
éditions, p.82
* 67 L.F.Céline,
« Lettre au docteur Camus » in Cahiers de
l'Herne,1972, p.104
* 68 L.F Céline in
Albert Paraz, Valsez saucisses, Paris, 1950 p.329
* 69 A.Jacquot, Lettre au
président de la Cour de Justice du 3/2/1950 in F.Gibault, Cavalier
de l'apocalypse, Paris, Editions du Cherche Midi, 1981, p.49
* 70 L.F Céline in
F.Gibault, Cavalier de l'apocalypse, Paris, éditions du Cherche
Midi, 1981, p.50
* 71 Docteur RB, « Le
médecin de Meudon » in Cahiers de l'Herne, p.272
* 72 L.F Céline
« la dernière interview de L.F Céline » in
Cahiers Céline II Paris, Gallimard, p.227
* 73 L.F Céline in
F.Gibault, Le temps des espérances, Paris, éditions du
cherche midi, p.64
* 74 L.F Céline, Lettre
à J.Garcin (1935) in Cahiers Céline II, Paris,
Gallimard, p.125
* 75 L.F.Céline in
l'année Céline 90, p .82
* 76 L.F Céline
entretien radiophonique avec Louis Pauwels (1960), in Anthologie
Céline sous la direction de Paul Chambrillon
* 77 L.F Céline,
Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937, p.238
* 78 Témoignage
recueilli par M.Baudillet, retranscrit in F.Balta, La vie médicale
de Louis Destouches, Paris, thèse médicale, 1977
* 79 M.Aymé,
« Sur une légende », Cahiers de l'Herne, 1972,
p.279
* 80 L.F Céline,
D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.286
* 81 P.Roussin,
Misère de la littérature terreur de l'histoire, Paris,
NRF Gallimard, 2005, p.86
* 82 Ibid p.88
* 83 Ibid p.92
* 84 L.F Céline,
Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.238
* 85 Ibid p.238
* 86 L.F Céline,
Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.239
* 87 Ibid p.238
* 88 Ibid p.238
* 89 Ibid p.204
* 90 Ibid p.94
* 91 L.F Céline,
Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.95
* 92 Ibid p.339
* 93 Ibid p.249
* 94 Ibid p.250
* 95 L.F Céline,
« Mémoire pour le cours des hautes études »
(1932) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.209
* 96 Ibid p.204
* 97 Ibid p.183
* 98 Ibid p.185-186
* 99 Ibid p.189
* 100 L.F Céline,
« Mémoire pour le cours des Hautes Etudes » (1932)
in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard,p.189
* 101 Ibid p.190
* 102 L.F Céline,
Les Beaux draps, Paris, Denöel, 1941, p.187
* 103 L.F Céline,
« Mémoire pour le cours des Hautes Etudes » (1932)
in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard,p.191
* 104 Ibid p.192
* 105 Ibid p.192
* 106 L.F Céline,
« Mémoire pour le cours des Hautes Etudes » (1932),
in Cahiers Céline III,Paris,Gallimard, p.193
* 107 Ibid p.194
* 108 Ibid p.186
* 109 L.F Céline,
Interview avec A.Zbinden le 25/7/1957 in Cahiers Céline II, Paris,
Gallimard, p.79
* 110 L.F Céline,
« Mémoire pour le cours des hautes études »
(1932), in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.212
* 111 Ibid p.195
* 112 Ibid p.196
* 113 L.F Céline,
« Mémoire pour le cours des hautes études »
(1932), in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.196
* 114 Ibid p.195
* 115 L.F Céline,
« Lettre à Albert Paraz » (27/8/1956) in Cahiers
Céline VI, Paris, Gallimard, p.412
* 116 F.Balta La vie
médicale de Louis Destouches, Paris, Thèse médicale,
1977, p.59
* 117 L.F Céline,
D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.136
* 118 L.F
Céline, « Lettre à Albert Paraz »
(27/8/1956), in Cahiers Céline VI, Paris, Gallimard, p.413
* 119 L.F Céline,
« Mémoire pour le cours des Hautes Etudes » in
Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.196
* 120 Ibid p.195
* 121 L.F Céline,
« Lettre au docteur Boudreau » (1929) in Cahiers
Céline III, Paris, Gallimard, p.236
* 122 L.F Céline,
« Lettre au docteur Boudreau » (1929) in Cahiers
Céline III, Paris, Gallimard, p.237
* 123 L.F
Céline, « Essai de diagnostic et de thérapeutique
méthodiques en série sur certains malades en
dispensaire » (1930) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard,
p.172
* 124 Ibid p.171-172
* 125 Ibid p.173
* 126 L.F Céline,
« Mémoire pour le cours des hautes études »
in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.207
* 127 Ibid.p.210
* 128L.F Céline,
« Mémoire pour le cours des hautes études »
(1932) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, pp 210-211
* 129 Ibid p.194
* 130 L.F Céline,
«A propos du service sanitaire des usines Ford à Detroit»
(1925) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.146
* 131 Ibid p.147
* 132 L.F
Céline, « Les assurances sociales et une politique de
santé publique » (1928) in Cahiers Céline III,
Paris, Gallimard, p.160
* 133 L.F Céline,
« A propos du service sanitaire des usines Ford » (1928) in
Cahiers Céline III, Paris, Gallimard p.147
* 134L.F Céline,
« A propos du service sanitaire des usines Ford » (1928) in
Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, pp.147-148
* 135 L.F
Céline, « Les assurances sociales et une politique de
santé publique » (1928) in Cahiers Céline III,
Paris, Gallimard, p.165
* 136 L.F Céline,
« A propos du service sanitaire des usines Ford à
Detroit » (1925) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard,
p.144
* 137 L.F
Céline, « Les assurances sociales et une politique de
santé publique » (1928) in Cahiers Céline III,
Paris, Gallimard, p.165
* 138 L.F
Céline, « Les assurances sociales et une politique de
santé publique » (1928) in Cahiers Céline III,
Paris, Gallimard, p.160
* 139 L.F
Céline, « Les assurances sociales et une politique de
santé publique » (1928) in Cahiers Céline III,
Paris, Gallimard, p.164
* 140L.F Céline,
Les beaux draps, Paris, Denoël, 1941, p.146
* 141 P.Roussin,
Misère de la littérature, terreur de l'histoire, Paris,
NRF Gallimard, 2005, p.98
* 142L.F
Céline, « Les assurances sociales et une politique de
santé publique » (1928) in Cahiers Céline III,
Paris, Gallimard, pp 160-161
* 143 L.F
Céline, « Les assurances sociales et une politique de
santé publique » (1928) in Cahiers Céline III,
Paris, Gallimard, p.157
* 144 Ibid p.148
* 145 Ibid p.159
* 146 L.F
Céline, « Les assurances sociales et une politique de
santé publique » (1928) in Cahiers Céline III,
Paris, Gallimard, p.159
* 147L.F Céline,
« A propos du service sanitaire des usines Ford » (1928) in
Cahiers Céline III, Paris, NRF Gallimard, p.151
* 148Ibid, p.152
* 149L.F
Céline, « Les assurances sociales et une politique de
santé publique » (1928) in Cahiers Céline III,
Paris, Gallimard, p.160
* 150 Ibid p.161
* 151 L.F
Céline, « Les assurances sociales et une politique de
santé publique » (1928) in Cahiers Céline III,
Paris, Gallimard,p.162
* 152 Ibid p.163
* 153 L.F
Céline, « Les assurances sociales et une politique de
santé publique » (1928) in Cahiers Céline III,
Paris, Gallimard, p.165
* 154 Ibid p.165
* 155 L.F Céline,
« A propos du service sanitaire des usines Ford à
Detroit » (1925) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard,
p.143
* 156 Ibid p.152
* 157 Ibid p.150
* 158 Ibid p.147
* 159 L.F Céline,
« A propos du service sanitaire des usines Ford à
Detroit » (1925) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard,
p.151
* 160 Ibid,p.146
* 161 L.F Céline,
« A propos du service sanitaire des usines Ford à
Detroit » (1925) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard,
p.146
* 162 L.F Céline,
Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.223
* 163 Ibid p.224
* 164 Ibid p.224
* 165 Ibid p.223
* 166 Ibid p.223
* 167 Ibid p.224
* 168 L.F Céline,
Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.224
* 169 Ibid p.225
* 170 Ibid p.291
* 171 Ibid p.224
* 172 Ibid p.288
* 173 Ibid p.224
* 174 L.F Céline,
« A propos du service sanitaire chez Ford » (1928) in
Cahiers Céline III, Paris, Gallimard p.138
* 175 P.Roussin,
Misère de la littérature, terreur de l'histoire, Paris, NRF
Gallimard, 2005, p.102
* 176 L.F Céline,
Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.264
* 177 Ibid, p.264
* 178 Ibid p.94
* 179 L.F Céline,
Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937,p.147
* 180 Ibid p.97
* 181 L.F Céline,
citant P.Rieman dans Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël,
1937, p 92
* 182 Ibid, p.93
* 183 L.F Céline,
Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937, p.93
* 184 L.F Céline,
« Pour tuer le chômage tueront ils tous les
chômeurs », in Cahiers Céline III, Paris,
Gallimard, p.218
* 185 Ibid, p.218
* 186 L.F Céline,
Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937, p.148
* 187 Ibid p.147
* 188 Ibid p.148
* 189 L.F Céline,
Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937, p.66
* 190L.F Céline,
Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937, p.67
* 191 L.F Céline,
L'école des cadavres, Paris, Denoël, 1941, p.121-122
* 192 L.F Céline,
Lettre à A.Paraz,7/3/1949 in Cahiers Céline VI, Paris, Gallimard,
p.136
* 193 L.F Céline
Semmelweis, préface de 1936 in Cahiers Céline
III, Paris, Gallimard, p.96
* 194 L.F Céline,
Entretien avec Michel Pacaud in Bulletin Célinien
n°177(juin 1997)
* 195 Ouvrages principaux
consultés : Maurice Tubiana,Histoire de la pensée
médicale-les chemins d'Esculape , Paris,Champs Flammarion,1995 et
J.C Sournia ,Histoire de la médecine,Paris,La Découverte
Poche,1992 (1997)
* 196 L.F Céline,
Semmelweis, Paris, L'Imaginaire Gallimard, 1999, p.32
* 197 Sur la question de
l'école de Paris ,se reporter au livre d'E.H.Aeckerknecht, La
médecine hospitalière à Paris,Paris,Payot,1967 et
à celui de Michel Foucault,Naissance de la
Clinique,Paris,PUF,Quadrige,1966
* 198 E.Lesky,Ignaz
Philipp Semmelweis und die Wiener Medizinische Schule,Vienne,1964
* 199 L.F Céline,
Interview avec Francine Bloch, 1959, in Cahiers Céline VII,
Paris, Gallimard pp.427-428
* 200 L.F Céline,
Semmelweis, Paris, Imaginaire Gallimard, 1999, p.33
* 201 Ibid. p.38
* 202L.F Céline,
Semmelweis, Paris, Imaginaire Gallimard, 1999, p.39
* 203Ibid p.39
* 204Ibid p.62
* 205Ibid p.33
* 206L.F Céline,
Semmelweis, Paris, Imaginaire Gallimard, 1999, p.49
* 207I.P Semmelweis, Die
Aetiologie, der Begriff und der Prophylaxis der Kindbettfiebers,
cité par J.Thuiller dans La Vie passionnée de
Semmelweis,Paris, éditions Josette Lyon,1996,p.240
* 208I.P Semmelweis, Die
Aetiologie, der Begriff und der Prophylaxis der Kindbettfiebers,
cité par J.Thuiller dans La Vie passionnée de
Semmelweis,Lyon,1996,éditions Josette p.240
* 209 Dr Hebra, Cité
par L.F Céline in Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard,
1999, p.76
* 210 I.P Semmelweis,
cité par L.F Céline in Semmelweis, Paris, L'imaginaire
Gallimard, 1999 p.87
* 211 Voir à ce propos
les pages 5 à 13 de l'ouvrage, Editions Armand Colin, Paris, 1966
(1996)
* 212 L.F.Céline,
Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard 1999, p.23
* 213 Ibid.p.23
* 214 L.F.Céline,
Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard 1999, p.23
* 215 Ibid, p.24
* 216 E.Brami,
Céline, Paris, Ecriture, 2002, p.278
* 217 L.F.Céline,
Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard, 1999 , p.27
* 218 Ibid.p.27
* 219L.F.Céline,
Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard, 1999, p.55
* 220 Ibid pp 96-97
* 221 L.F Céline,
Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard, 1999 ,p.93
* 222 Ibid p.96
* 223 Guido Ceronetti in
L'année Céline 1991, Du Lérot, IMEC
éditions, 1992, p.164
* 224 L.F Céline
Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard, 1999, p.67.
* 225 L.F
Céline,Deuxième Préface de Semmelweis, 1936, in
Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.96
* 226 L.F Céline,
Les derniers jours de Semmelweis in Semmelweis,
Paris, L'imaginaire Gallimard, 1999, p.108
* 227 Ibid p.111
* 228 L.F.Céline
Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard, 1999, p.38
* 229 L.F Céline,
Féerie pour une autre fois, Paris, La Pléiade Gallimard,
tome IV, 1952,p.136
* 230 L.F Céline,
Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.279
* 231 L.F Céline,
D'un château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1956, p.151
* 232 L.F Céline,
Lettre à Lucienne Delfaye 26 août 1935 in Cahiers Céline V,
Paris, Gallimard, p.121
* 233 L.F Céline,
Lettre à A.de Chateaubriant 14/9/41 in Cahiers Céline II, Paris,
Gallimard, pp 288-289
* 234 L.F Céline,
Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard, 1924, p.52
* 235 L.F Céline,
Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.306
* 236 L.F Céline,
Interview avec P.J Launay, novembre 1932
* 237 P.Drieu LaRochelle, NRF,
mai 1941, le Bulletin célinien n°161 (février 1996), p.6
* 238 L.F Céline,
D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.243
* 239 Ibid pp.26-27
* 240 Ibid, p.9
* 241 L.F Céline,
D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.9
* 242 L.F Céline,
Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.240
* 243 Ibid p.186
* 244 Ibid.p.540
* 245 L.F Céline,
Mort à crédit, La pléiade vol II, Paris, Gallimard,
1936, p.536
* 246 L.F Céline,
Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932 p.365
* 247 Ibid, p.85
* 248 Ibid p.343
* 249 Ibid p.265
* 250 L.F Céline,
Guignol's band, La pléiade vol III, Paris, Gallimard,1964,
p.158-159
* 251 L.F Céline
D'un château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, pp
387-388
* 252 L.F Céline,
Voyage au bout de la nuit, Folio Gallimard, 1932, pp.260-261
* 253 Ibid p.260
* 254 L.F Céline,
D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.422
* 255 L.F Céline,
Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937, pp.121-122
* 256 L.F Céline,
Nord, Paris, La pléiade Vol II, Gallimard, 1960, pp 694-695
* 257 Ibid, p 695
* 258 Ibid p.270
* 259 L.F Céline,
D'un château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.387
* 260 L.F Céline,
Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, pp.333-334
* 261 L.F Céline,
Mort à Crédit, Paris, La Pléiade vol II, Gallimard,
1936, p.521
* 262 L.F Céline,
D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.29
* 263 L.F Céline,
Féerie pour une autre fois, Paris, La Pléiade Gallimard,
tome IV, 1952, p.230.
* 264 L.F Céline,
Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.277
* 265 Ibid, p.200
* 266L.F Céline,
Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.260
* 267 Ibid p.62
* 268 Ibid p.87
* 269 L.F Céline,
Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.85
* 270 Ibid p.85
* 271 Ibid p.86
* 272 Ibid p.336
* 273 L.F Céline,
D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.295
* 274 L.F Céline,
Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.336
* 275 L.F Céline,
D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.63
* 276 L.F Céline,
« Mémoire pour les hautes études » (1932) in
Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.184
* 277 L.F Céline,
D'un château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.317
* 278 L.F Céline,
Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.240
* 279 L.F Céline,
Mort à crédit, Paris, La Pléiade Gallimard, 1936,
p.501
* 280 L.F Céline,
Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, p.239
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