Université PARIS I (Panthéon Sorbonne)
LABREURE David
MICHEL FOUCAULT
PSYCHIATRIE ET MEDECINE
Sous la direction de Mr
Jean-François Braunstein
Année 2003/2004
INTRODUCTION :
«Ce qui m'intéresse,c'est la manière
dont la connaissance est liée aux formes institutionnelles ,aux formes
sociales et politiques- en somme :l'analyse des relations entre le savoir
et le pouvoir»
M.Foucault, Folie une question de
pouvoir Dits et Ecrits Volume II
L'oeuvre de Michel Foucault, si on ne l'envisageait que
de manière superficielle, pourrait apparaître comme celle d'un
véritable historien, terminologie qu'il a pourtant toujours
refusée .Si l'Histoire, au sens classique du terme, suppose à la
fois continuité et intelligibilité, l'Histoire telle que la
pratique Foucault est, elle, au contraire, faite de ruptures, de
discontinuités. A l'Histoire, Foucault a d'abord
préféré la notion d'
« archéologie », qu'il définit lui-même
comme l'analyse de la somme des discours effectivement prononcés.
L'enquête archéologique, telle que la mènera Foucault au
début de sa carrière, ne sera donc pas l'histoire de telle ou
telle discipline, l'articulation de tel événement avec tel autre.
Elle sera d'abord l'analyse des conditions de possibilités d'un
discours particulier: Foucault veut, en quelque sorte, saisir le moment
où une culture s'affranchit de ce qui la constituait jusque-là et
se met à penser autrement. Michel Foucault a posé, en outre, des
questions sur le présent, notre présent. Foucault a ainsi mis au
point une méthode « généalogique »
qu'il applique en écrivant ce qu'il nomme lui-même une
« histoire du présent » ,au sens finalement
assez proche de celui que lui donne Friedrich Nietzsche,en rupture avec la
philosophie traditionnelle plutôt tournée vers
l'éternité: « Je me considère comme un
journaliste dans la mesure où ce qui m'intéresse c'est
l'actualité ,ce qui se passe autour de nous,ce que nous sommes,ce qui
arrive dans le monde »1(*).A d'autres occasions, d'ailleurs, Foucault prendra le
contre-pied de la plupart des objets communs de la philosophie (par exemple il
étudiera la folie quand la philosophie s'attache à définir
la raison).A la différence de l'archéologue, le
généalogiste admet les intérêts polémiques
qui motivent et constituent l'étude de l'émergence du pouvoir
dans la société moderne. La généalogie retrace donc
le mouvement d'apparition et le développement des institutions sociales
et repère les techniques et les disciplines des sciences humaines qui
permettront d'asseoir certaines pratiques sociales. Depuis la publication de
Maladie Mentale et personnalité, en 1954, jusqu'à sa
mort, trente ans après, Foucault a écrit sur des sujets tels que
la folie, la maladie, le crime, les discours, la sexualité. Toute cette
diversité de thèmes et d'objets présente une nouvelle
façon de mettre en question la modernité dont nous sommes
héritiers. En jouant à la fois le rôle d'historien, de
sociologue et de philosophe, il nous a légué une pensée
qui demeure une référence essentielle pour toute la
réflexion sur l'actualité. À côté de ses
principales oeuvres, L'Histoire de la folie (1961), Naissance de
la clinique (1963), Les Mots et les choses (1966), Surveiller
et punir (1975), des trois volumes de L'Histoire de la
sexualité (1976 et 1984) et de ses cours au Collège de
France (1970-1984), un vaste ensemble de conférences, entretiens et
articles nous offre de véritables « instruments à
penser » et continue à susciter de nombreuses questions sur
les thèmes des relations de pouvoir, de la formation des savoirs et des
formes de la subjectivité au présent. Son inventivité
conceptuelle, qui nous a donné les notions de dispositifs, de tactique
de pouvoir, de la gouvernementalité, permet encore aujourd'hui
d'entretenir une problématisation permanente de notre vie et de notre
société.
Foucault est né d'un père anatomiste et
d'une mère elle-même fille de chirurgien. Etait-ce
déjà un signe prémonitoire de l'intérêt quasi
permanent qu'il allait porter à la médecine ? Foucault s'est
en tout cas très tôt intéressé au domaine
médical. Il raconte même qu'il était
« très tenté, fasciné même par les
études médicales »2(*).Devant toutes les analyses et discussions
réalisées autour de ce thème, il apparaît que
l'existence de plusieurs images de la médecine se dessine chez Foucault.
Ces images ne peuvent pas être rapportées à une
considération générale sur la valeur ou la
vérité de la médecine en tant que savoir unifié. Au
contraire, elles sont le résultat de différentes manières
de repérer quelques aspects de cet ensemble mêlant savoirs,
pratiques et institutions .La considération de ces analyses de Foucault
sur les savoirs et les pratiques médicales s'accompagne d'un effort de
déchiffrement des implications entre les formations de savoir, les
exercices de pouvoir et les différentes formes de production de la
subjectivité. Dans Naissance de la clinique (1963), par
exemple, Foucault essaie d'écrire une histoire de la médecine
différente de son histoire traditionnelle, dans laquelle la naissance de
la science serait le résultat de la clinique moderne et cette clinique,
à son tour, serait le produit des progrès successifs de la
science médicale. Pour les historiens de la médecine, il s'agit,
selon ce modèle progressiste de l'histoire, de revenir aux moments
fondamentaux du progrès du savoir médical en montrant son
évolution. Pour Foucault, en contrepartie, il s'agit de montrer que le
regard clinique, qui est au fondement de la médecine moderne, n'est pas
le résultat du progrès ou de l'évolution du savoir
médical, mais qu'il a le sens même d'une invention historique. Les
réflexions de Foucault sur les conditions d'apparition de la
médecine clinique à la fin du XVIII éme
siècle montrent comment cette médecine a été
possible, étant donné la conjonction de plusieurs
éléments extérieurs (comme les épidémies
à la fin du XVIII éme siècle en Europe) et de
situations politico institutionnelles précises (comme l'absence d'un
modèle d'assistance qui puisse répondre à cette nouvelle
réalité). On voit s'organiser un nouvel espace, la clinique
moderne, qui réunit l'observation, la pratique et l'apprentissage,
chaque domaine médical spécifique répondant à cette
situation spécifique. Dans l'approche propre à Foucault se trouve
une réflexion sur le statut épistémologique de la
médecine et une critique de son histoire traditionnelle. Les
caractéristiques de la pensée de Foucault intègrent une
analyse de la formation d'un savoir et d'un pouvoir de normalisation. Une fois
fondée sur un partage essentiel entre le normal et l'anormal,
l'étude de Foucault échappe à une explication classique,
traditionnelle d'une théorie de la souveraineté. Ainsi, chez
Foucault, il ne s'agira pas de poser des questions sur le pouvoir en partant
d'un modèle juridique qui partage le légitime et
l'illégitime, mais plutôt de poser ce thème à partir
des notions de stratégies, de mécanismes et de relations de
pouvoirs. Le pouvoir de normalisation n'oblige ni n'interdit qui ou quoi que ce
soit, il ne définit pas les termes de l'ordre et du désordre,
mais il incite à la production des actes, des gestes et des discours
selon un critère de normalité. C'est justement pour bien
comprendre cette idée d'un modèle de normalité que le
partage entre le normal et l'anormal (par laquelle s'est structurée la
pensée médicale) est une référence fondamentale.
Ces recherches, autour d'un pouvoir de normalisation, trouvent une nouvelle
résonance à l'idée développée par Foucault
d'une technologie de pouvoir centrée sur la vie : le bio-pouvoir.
Et dans ce passage d'une analyse de la normalisation disciplinaire au
biopouvoir, la référence à la pensée
médicale a aussi une place importante. Dans les conférences
prononcées à Rio de Janeiro, au mois d'octobre 1974, Foucault va
aborder les stratégies et les politiques autour des systèmes
contemporains de santé, en étudiant l'apparition de la
médecine sociale au XVIII ème et au XIX
ème siècle. À partir de cette discussion sur
l'apparition de la médecine sociale, les conférences de Rio
annoncent déjà une série de nouvelles analyses (en
continuité avec celles des disciplines des corps) sur le sexe,
l'espèce et la race. Dans les cours au Collège de France de 1975
(Les Anormaux) et de 1976 (Il faut défendre la
société) ainsi que dans La Volonté de
savoir, et les Dits et écrits, les approches sur la
pensée et les pratiques médicales permettent à Foucault de
déplacer l'idée de normalisation des limites précises des
corps et des espaces individuels au champ amplifié des populations et de
leurs processus vitaux. La bio-politique met en relation les mécanismes
de pouvoir/savoir et les phénomènes liés à la vie.
La gestion de ces phénomènes est la marque de ce bio-pouvoir
où s'intègrent les mécanismes de la normalisation et les
systèmes plus généraux de la souveraineté. Dans ce
sens, les processus de médicalisation des comportements, des conduites
et des désirs, étayés par la supposition de la
neutralité d'un discours tenu comme scientifique par excellence, sont au
croisement de la normalisation et la gestion de la vie. C'est à travers
ces différentes approches que l'on mesure la façon dont Foucault
conserve, mais surtout infléchit et replace dans une nouvelle
perspective ses analyses sur la médecine. Enfin, une autre image de la
médecine est proposée par Foucault dans ses derniers ouvrages
où l'étude des thèmes des pratiques et du gouvernement de
soi présente une nouvelle perspective pour penser aux implications entre
pouvoir, savoir et subjectivité. Dans L'Usage des plaisirs,
Le Souci de soi et les cours au Collège de France du 1981
à 1984, les références à la médecine
ancienne renvoient aux arts de vivre et aux pratiques du souci. Dans
l'Antiquité, des arts de l'existence impliquent un régime et la
médecine a été un lieu de réflexion sur les
régimes qui intègrent les pratiques de soi. Il semble, enfin, que
ce repérage des différentes images de la médecine chez
Foucault exemplifie quelques-unes des questions fondamentales dont sa
philosophie est porteuse. A travers ces divers questionnements, il
apparaît que sa pensée ne cesse jamais de s'élaborer. On le
voit, l'objet médical est transversal à tous les écrits de
Foucault. D'une part, il n'y a pas, à l'intérieur de son oeuvre,
une seule pensée médicale mais une pluralité, le
philosophe s'étant intéressé à des aspects bien
différents de la médecine. D'autre part, la pratique de la
médecine n'est pas intéressante pour elle-même, elle se
situe plutôt à l'intérieur d'un immense champ discursif.
Nous constaterons également que l'étude de la médecine par
Foucault permet de nous interroger sur la méthode employée par le
philosophe pour sa recherche de sources, d'archives et de documents : elle
révèle avant tout leur nombre (conséquent), leur
diversité et leur étendue. Foucault s'est aventuré ,et
c'est ce qui fait aussi son originalité, dans un domaine qui
n'était que très peu étudié par des non
médecins ,des non praticiens .L'ensemble des écrits
étudiés montre ainsi la démarche historienne de
Foucault ,une démarche qui aura marqué la
profession :ses concepts de médicalisation ou de bio-politique
ayant participé à un vaste ensemble de ré-interrogations
sur cet « objet médecine ».Michel Foucault est le
philosophe français qui a le plus influencé ce domaine
très particulier de la médecine qu'est la psychiatrie, bien qu'il
n'y eut que très peu de débats réels entre lui et la
profession psychiatrique. On ne sait même pas vraiment si des rencontres
ont eu lieu entre Foucault et les psychiatres. Alors qu'il est encore
étudiant, il évite toute rencontre médicale et fuit la
psychanalyse. Son livre , Histoire de la folie à l'âge
classique, qui paraît en 1961, est le premier contact
« réflexif » avec l'institution psychiatrique,
contact qui ensuite est brisé de manière très nette durant
un long moment, jusqu'à ses réflexions du milieu des
années 1970. Un regard différent, nouveau sur le sujet, permet de
mieux formaliser les notions de pouvoir, de discipline, de tactique, soit tout
un ensemble de termes nouveaux qui constitue un champ d'investigations et de
réflexions inédit. Ce dernier va dépasser toute
théorisation sur le discours : C'est plutôt aux pratiques
qu'il va désormais s'attacher, aussi bien discursives que non
discursives.
Le terme « psychiatrie »a
été inventé par le médecin allemand Reil en 1803 et
n'est apparu en France qu'en 1809,mais ce n'est qu'en 1860 qu'il remplace ,dans
le langage médical français, le terme d'aliénisme ,dont on
peut faire remonter l'origine à Pinel. Il est clair, néanmoins
que l'objet de la psychiatrie, c'est à dire ce que nous appellerons la
folie, les troubles psychiques, a fait l'objet de nombreuses
spéculations dès le début de l'histoire humaine. Comme le
souligne Jackie.Pigeaud dans le Dictionnaire de la pensée
médicale de Dominique Lecourt, « la folie est de tout
temps » : il y a toujours eu des traitements de la folie. C'est
d'ailleurs ce que Foucault a voulu montrer à travers Histoire de la
folie à l'âge classique. Il constate toutefois que la
médicalisation de la folie est assez récente et que cette
expérience a apporté un regard sur le fou totalement
différent de celui que l'on portait à des époques plus
éloignées. On considère à partir de la fin du XVIII
éme siècle, la folie comme une maladie mentale. Cette
démarche médicale consiste en un traitement moral de la folie qui
repose d'une part sur un repérage et à un classement nosologique
de symptômes ,d'autre part sur un traitement ,le placement du malade dans
des établissements spécialisés, les asiles. La psychiatrie
fut la discipline médicale la plus sujette à la réflexion
de Foucault, et ce dès Histoire de la folie à l'âge
classique .Il semblerait, en tout cas, au regard de l'oeuvre a posteriori,
que ce livre laissait la porte ouverte à un autre genre d'étude,
à une réévaluation de la psychiatrie sous un aspect
différent avec d'autres moyens et d'autres outils. Les cours
donnés au Collège de France sur le pouvoir psychiatrique entre
1973 et 1974 vont ainsi permettre à Foucault d'appréhender la
médecine mentale par un biais totalement nouveau. Il déplace
l'enjeu d'Histoire de la folie à l'âge classique en
adaptant la question psychiatrique au contexte de l'époque, les
années 1970, où les questions portant sur le pouvoir -questions
ancrées dans la modernité- ont remplacé le questionnement
de la possibilité ou non pour la discipline d'atteindre une forme de
« scientificité ».
Il nous a semblé que Foucault a envisagé
la médecine et la psychiatrie sous plusieurs angles, à la
lumière de termes, de concepts et d'outils d'analyses à chaque
fois différents : Nous en avons dégagé trois :
En premier lieu le savoir médical et le savoir psychiatrique par rapport
aux discours. Nous nous demanderons ici comment Foucault a su dégager
les processus d'émergence de disciplines comme la clinique ou encore la
psychologie grâce notamment à la méthode
archéologique. Ensuite, nous poursuivrons notre étude avec
l'analyse de l'institution médicale et psychiatrique chez Foucault, en
nous interrogeant notamment sur sa vision de la médecine sociale, de la
médicalisation d'une part et sur son histoire de l'asile dans
Histoire de la folie d'autre part. Enfin, dans la continuité de
ce dernier point, nous nous interrogerons, dans un troisième temps, sur
la manière dont Foucault réinterroge « l'objet
psychiatrie » quelques années après son ouvrage de 1961
ainsi que les nombreuses remises en questions dont ce dernier a fait
l'objet.
C'est ce cheminement, somme toute assez particulier,
entre savoirs et pouvoirs, qu'il nous est paru intéressant
d'étudier, à travers ses contradictions, mais aussi une certaine
forme de cohérence.
I : UNE ANALYSE DES DISCOURS :
1 : Foucault et la psychologie :
I : LES PREMIERS PAS DE FOUCAULT EN
PSYCHOLOGIE :
Pourquoi Michel Foucault s'est-il
intéressé à la psychologie ? D'abord grâce
à l'influence du contexte intellectuel de son
époque :Merleau-Ponty et sa Phénoménologie de la
perception occupent le devant de la scène intellectuelle
française et beaucoup de jeunes se détournent de la philosophie
telle qu'elle est enseignée à l'université pour s'orienter
différemment,notamment vers la psychanalyse. Cet intérêt
vient aussi sans nul doute des propres problèmes de Foucault : il
tente de se suicider en 1948, est d'une santé psychologique plutôt
fragile .Son père l'amène consulter le professeur Jean Delay
à l'hôpital St Anne, le grand psychiatre français de
l'époque. Les premiers textes publiés de Foucault concernent la
psychologie. Dès ses premières années à
l'école normale supérieure, Michel Foucault commence à
s'intéresser à celle-ci de très près. Après
une licence de philosophie qu'il obtient à la Sorbonne, il entreprend de
passer une licence de psychologie, toujours à la Sorbonne, en 1949
à la faculté des lettres. Il suit ainsi assidûment les
cours de Daniel Lagache qui y assure l'enseignement de la discipline et qui
est, à cette époque, la grande figure de la psychologie
française. Il est, en outre, à partir de 1951
répétiteur de psychologie à l'Ecole normale, puis
psychologue lui même à l'hôpital St Anne, notamment dans le
service du professeur Delay, celui là même qui l'avait suivi
quelques années auparavant: « Dans les années 50, je
travaillais dans un hôpital psychiatrique .Après avoir
étudié la philosophie, j'ai voulu savoir ce qu'était la
folie : J'avais été assez fou pour étudier la raison,
j'ai été assez raisonnable pour étudier la
folie »3(*). A
cette époque, le statut professionnel des psychologues dans les
hôpitaux n'était pas clairement défini .Foucault y trouve
une totale liberté d'action ce qui lui permet d'occuper une position
intermédiaire entre le personnel et les patients. Il est surtout
impliqué dans l'unité d'électro-encéphalographie
à St Anne pour travailler sur la neurophysiologie et
l'émotivité et c'est ainsi qu'il participa à des travaux
sur les détecteurs de mensonges. Egalement passionné par les
techniques d'expérimentation en psychologie, il y apprend aussi la
pratique de tests comme celui de Rorschach, c'est-à-dire réagir
le plus librement possible à des tâches d'encre agencées de
différentes manières. Au même moment, il travaille pour le
compte du centre national d'orientation, chargé de l'examen
médico-psychologique des détenus à la prison de Fresnes.
C'est ainsi qu'il approche pour la première fois l'expérience de
la folie d'une part et celle de l'enfermement d'autre part. En juin 1952, il
passe son diplôme de psychopathologie à l'institut de psychologie
de Paris .Foucault entame par ailleurs une psychanalyse qu'il interrompt
au bout de quelques mois, se déclarant « totalement
ennuyé » par la démarche... L'intérêt de
Foucault pour la psychologie dépasse donc à cette époque
(1950-1954) son activité philosophique. D'ailleurs le livre de H.Dreyfus
et P.Rabinow intitulé Michel.Foucault, un parcours
philosophique, ne mentionne aucunement les écrits antérieurs
à Histoire de la folie. Son premier ouvrage, Maladie
mentale et personnalité, remanié en 1962 sous le titre de
Maladie mentale et psychologie, ainsi que les premiers textes
compilés dans Dits et écrits (l'introduction au livre de
Binswanger, le Rêve et l'existence, les divers articles sur la
psychologie de 1957) montrent eux aussi cet intérêt premier et
fondamental de Foucault pour la psychologie, à tel point qu'il envisagea
même une carrière médicale dans cette branche. Nous
interroger sur ces premiers textes nous paraît essentiel : d'une
part ils permettront de mieux comprendre certains écrits
ultérieurs comme Histoire de la folie et d'autre part pour
cerner une pensée très riche, notamment sur la notion de maladie
mentale.
David Macey rappelle très justement que
l'introduction au livre de Ludwig Binswanger,Le rêve et
l'existence,a longtemps été et demeure, du reste, assez
méconnue. Elle est toutefois un témoignage de plus des centres
d'intérêts de Foucault en ce milieu des années
50.Psychiatre d'origine suisse, il est intéressant de noter que
Binswanger fit des études simultanées en médecine et en
philosophie à Zurich. Fasciné par les écrits de S.Freud,
auquel il restera fidèle toute son existence, Binswanger est cependant
connu pour avoir développé une méthode
thérapeutique propre, la Daseinanalyse (ou analyse
existentielle).Cette méthode se proposait de faire une sorte de
synthèse entre la psychanalyse freudienne et les idées
philosophiques de son époque, notamment la phénoménologie
de Husserl. Foucault, tout comme Sartre par ailleurs, fut séduit voire
enthousiasmé par ces thèses et lorsqu'on lui proposa
d'écrire la préface à l'édition française du
Traum und existenz, il accepta sans hésiter. Didier Eribon
souligne d'ailleurs la place prise par la fréquentation et
l'étude de Binswanger en citant Foucault lui-même :
« La lecture de ce qu'on a défini comme '' l'analyse
existentielle'' ou ``psychiatrie phénoménologique'' a eu
indéniablement une importance pour moi (...) je crois que l'analyse
existentielle m'a servi à délimiter et à mieux cerner ce
qu'il y'avait de lourd et d'oppressant dans le savoir psychiatrique
académique »4(*).Ce texte est complètement différent (par
le style et l'objet) de Maladie mentale et personnalité qui lui
est pourtant strictement contemporain. Selon Macey, et de notre point de vue,
cette introduction va servir de point d'appui pour l'expression non seulement
des propres thèses de Foucault mais aussi et surtout de ses
premières critiques vis-à-vis de l'institution psychiatrique.
L'introduction à Rêve et Existence de Binswanger va ainsi
donner le coup d'envoi des relations tumultueuses de Foucault avec la
psychanalyse et lui donner l'occasion d'en montrer les insuffisances.
Autre intérêt pour Foucault, la place
donnée au rêve : A travers une critique de Freud, Foucault va
poser le rêve comme moyen de connaissance et non plus seulement comme
objet. L'interprétation des rêves de Freud marque
« l'entrée du rêve dans le champ des significations
humaines » : Auparavant, on considérait plutôt le
rêve comme une absence, un vide de sens. Certes, Freud a permis au monde
onirique de prendre sens mais, en même temps, son analyse n'explique que
la dimension symbolique du rêve. Si Freud a su dégager la fonction
sémantique du rêve, il n'a pas atteint sa structure syntactique et
morphologique : « La psychanalyse n'a donné du rêve
d'autre statut que celui de la parole ; elle n'a pas su le
reconnaître dans sa réalité de langage ».Foucault
pressent la nécessité d'une analyse anthropologique du
rêve qui irait plus loin, qui serait plus complexe que la vision univoque
donnée par la psychanalyse. Les images ne seraient pas seulement la
trame du rêve, mais ce que la conscience en retient ou en reconstruit: au
cours du rêve lui-même, le mouvement de l'imagination se dirige
vers le moment premier de l'existence où s'accomplit la constitution
originaire de l'individu. « Avant tout partage, le
rêve est ce moment qu'on retrouve dans l'âme romantique, où
le sujet et l'objet, la personne et l'univers naissent ensemble encore
indivises. » dira J.Lacroix à propos de la vision foucaldienne
du rêve. Le plus intéressant toutefois, indépendamment des
critiques adressées à la psychanalyse ou -ce qui nous
intéresse moins ici- à la phénoménologie, c'est que
Foucault introduit en quelque sorte le travail qu'il va effectuer sur la folie
quelques années plus tard en donnant au rêve une certaine valeur
de vérité, cachée, souterraine, voire inquiétante.
Comme il le dit lui même: "Ce que la folie dit d'elle même c'est,
pour la pensée et la poésie du début du XIXe , ce que dit
également le rêve dans le désordre de ses images : une
vérité de l'homme, très archaïque et très
proche, très silencieuse et très menaçante; une
vérité en dessous de toute vérité, la plus voisine
de la naissance de la subjectivité, et la plus répandue au ras
des choses; une vérité qui est la profonde retraite de
l'individualité de l'homme et la forme inchoative du cosmos. "5(*)
Parallèlement à son introduction au livre
de Binswanger, Foucault travaille à l'écriture d'un petit livre
pour la collection « Initiation philosophique » des
PUF : Maladie mentale et personnalité.
II : CONTRE UNE METAPATHOLOGIE EN
PSYCHOLOGIE :
Les tous premiers textes peuvent être
considérés comme d'influence canguilhemienne, en ce que leur
contenu se rapporte beaucoup à la notion de normalité et en ce
que cette normalité ne va pas être selon Foucault liée
à une quelconque norme organique. Le normal est social, politique,
institué : la normalité doit être ramenée
à un ensemble de règles sociales d'après lesquelles vont
être évaluées les pathologies.
Dans le premier chapitre de Maladie mentale et
personnalité, Foucault conteste l'idée d'une pathologie
générale fondée sur une analogie entre pathologie mentale
et pathologie organique, soit l'idée d'une
« méta-pathologie ».Il va s'agir de montrer qu'une
assimilation du terme même de maladie au domaine psychologique ne va pas
de soi .Foucault va s'interroger une nouvelle fois sur le
langage :doit-on employer le même vocabulaire (symptômes,
maladies...) en médecine mentale et en médecine organique ?
Foucault veut montrer qu'il y a un champ spécifique dans le domaine
psychologique .Sur le plan nosographique, en tout cas, Foucault constate que
les analyses sont basées sur les mêmes concepts pour une
pathologie mentale que pour une pathologie organique : la maladie mentale
est une entité réelle « repérable par les
symptômes qui la manifestent » comme n'importe quelle
autre pathologie. Selon Foucault, cette unité entre les diverses formes
de maladies est purement factice, artificielle. Elle ne ferait que
décrire un état global de l'individu, sans tenir compte de la
spécificité de la maladie et du malade lui même .La notion
de totalité supprime les problèmes, donne un climat d'
« euphorie conceptuelle »6(*) à la pathologie sans véritable
souci de rigueur. Elle serait une forme d'utopie. Foucault veut montrer ,quant
à lui, que l'on doit analyser différemment une pathologie mentale
et que cette notion de totalité est plus fondée sur une
commodité du langage que sur des faits . Trois choses, selon Foucault
vont permettre la distinction :
-La notion d'abstraction des phénomènes
pathologiques, possible en médecine organique ne l'est pas en
médecine mentale : en pathologie organique, on peut aisément
isoler le trouble d'un organe alors qu'en pathologie mentale, il est beaucoup
plus difficile de faire ce genre d'abstraction (ex : les rêves).
-La distinction normal/pathologique : cette distinction
est pertinente en médecine organique, pas en psychiatrie, car la notion
de personnalité, primordiale en pathologie mentale, est totalement
différente de celle d'organisme qui prévaut ailleurs. Foucault
condamne plus précisément l'assimilation du terme anormal au
terme pathologique : selon lui, la pathologie est déjà, en
quelque sorte, contenue dans le normal en ce qu'elle est une possibilité
dans la vie de l'organisme. Elle serait un « normal
privatif »7(*).
Foucault va même jusqu'à dire, à l'instar de
Canguilhem - pour qui la maladie est déjà une lutte pour
retrouver la santé (voir Le normal et le pathologique) que
« la possibilité de la guérison est décrite
à l'intérieur des processus de la maladie »8(*).
-Le rôle du milieu : en médecine organique,
le patient est individualisé. Le sujet malade est isolé dans sa
pathologie alors qu'en médecine mentale, le malade est pensé
selon son milieu et les pratiques en vigueur dans ce milieu (l'internement).
Après avoir affirmé et
démontré l'impossibilité d'appliquer les mêmes
concepts, de déduire les mêmes choses d'une maladie mentale et
d'une maladie organique, Foucault va, dans la suite du texte, analyser plus
spécifiquement la maladie mentale.
La première partie de Maladie mentale et
personnalité va s'attacher à définir la maladie
mentale dans ses dimensions psychologiques. Foucault constate en premier lieu
que la maladie mentale est plus sujette à la description qu'à
l'explication : il critique ainsi la psychologie
« évolutionniste » incarnée par Jackson,
Freud ou Jaspers, qui fait de la régression - c'est à dire la
résurgence d'attitudes simples et élémentaires au
détriment des fonctions dites « complexes »- un
principe d'explication de la maladie et non une description. Faux,
rétorque Foucault qui dénonce deux mythes de cet
« évolutionnisme » psychologique, celui de la notion
de « substance psychologique », qui considère le
psychisme comme susceptible d'involution et de l'assimilation du malade
à la figure du primitif et de l'enfant. La personnalité du malade
n'est pas,d'après Foucault, un retour à une personnalité
antérieure mais abolition de la personnalité :il est donc
impossible de la comparer à d'autres personnalités .Cette
assimilation n'a de valeur que descriptive et non explicative .Mais alors
est-il possible d'établir une science de la pathologie mentale ?
« La science de la pathologie mentale ne peut être que la
science de la personnalité malade »9(*) :il faut selon Foucault
renoncer à l'abstrait de la maladie pour le concret du malade,
l'individualiser en quelque sorte : « A tel moment, cette
personne ci »10(*).Pour remonter aux « causes » de
la maladie mentale, Foucault propose de connaître l'histoire personnelle
du malade en s'en référant notamment à Freud et
à la psychanalyse. Freud à qui il rend ici justice d'avoir
introduit l'histoire dans le psychisme humain. C'est en effet à travers
la psychanalyse que Foucault veut essayer de découvrir cette dimension
historique individuelle de la maladie mentale. A travers divers exemples,
Foucault développe la notion qu'il trouve centrale en psychanalyse,
celle de défense psychologique. La psychanalyse analyse le
phénomène de régression comme un refus de la terreur du
présent en se réfugiant dans d'anciennes situations qui
éveillent d'anciennes angoisses. Le malade se protégerait ainsi
contre ses propres contradictions internes par la conjonction de deux
comportements opposés qui formeraient une seule et même conduite.
La maladie exacerbe la contradiction intérieure au lieu de l'apaiser.
L'angoisse est selon Foucault la principale manifestation visible de nos
contradictions intérieures, elle est « l'expression majeure de
l'ambivalence », « la dimension affective de cette
contradiction interne »11(*).Il faut trouver à travers l'angoisse, un
« noeud de significations psychologiques », non plus
seulement un fait de l'existence individuelle mais une expérience
fondamentale d'existence : l'angoisse est « le principe, le
fondement (...) de l'histoire d'un individu »12(*).Cette expérience
fondamentale, Foucault veut en percer les mystères, comprendre l'essence
de la maladie. Toute la démarche de Foucault tend vers la
phénoménologie, ce que lui même ne dément pas bien
au contraire : « Compréhension de la conscience malade,
et reconstitution de son univers pathologique, telles sont les deux
tâches d'un phénoménologue de la maladie
mentale »13(*).Phénoménologie dans le sens où
il va s'agir d'étudier un ensemble de phénomènes dans le
temps et dans l'espace, faire l'inventaire de la conscience malade. Il s'agit
par exemple de comprendre l'auto-appréhension de sa maladie par le
malade lui-même. Trois possibilités existent : soit le
patient met une certaine distance entre lui et sa maladie, soit il accepte sa
maladie comme appartenant à un autre monde, différent du monde
réel, soit, enfin, le malade est tout entier absorbé par sa
maladie : « La conscience de la maladie n'est plus alors
qu'une immense souffrance morale devant un monde reconnu comme tel par
référence implicite à une réalité devenue
inacceptable »14(*).
Autre niveau de l'inventaire de la conscience malade,
l'analyse des structures du « monde »
pathologique ,c'est-à-dire entre autres dans l'espace et le temps
propres à la pathologie :il y a un temps différent pour le
malade, un autre espace qui constituent ce que Foucault nomme « monde
morbide » :Cette notion ,socle de la maladie mentale , permet de
nouer toutes les significations autour d'elle .Le monde morbide ,c'est
l'univers particulier au malade, son monde intérieur qui coïncide
à un éloignement par rapport au monde extérieur. Un monde
très riche, très divers ,c'est en tout cas ce que veut montrer
Foucault avec l'inventaire de ces structures propres au malade .Il
manifeste là comme une certaine tendresse, ou tout du moins un respect
pour ces autres mondes en ce qu'ils renferment du mystère, de
l'obscurité,du non élucidé : « Si cette
subjectivité de l'insensé est, en même temps, vacation et
abandon au monde, n'est ce pas au monde lui même qu'il faut demander le
secret de son énigmatique statut »15(*): Foucault se demande si ce
n'est pas le monde extérieur, garant de l'objectivité, qui serait
le plus apte à expliquer la maladie mentale.
III : MALADIE MENTALE ET PERSONNALITE OU MALADIE
MENTALE ET PSYCHOLOGIE ?
Pour saisir tout l'intérêt de la seconde
moitié de l'ouvrage,il faut bien comprendre qu'entre la première
édition datant de 1954 et celle de 1962,de nombreux ajustements ont
été faits, Histoire de la folie étant notamment
passé par là... En effet, ce qui change, de Maladie mentale
et personnalité à Maladie mentale et psychologie,
c'est le contenu de la deuxième partie. Alors qu'en 1954, Foucault
complétait l'analyse des dimensions psychologiques de la maladie mentale
par une étude des «conditions réelles de la
maladie », en 1962, il la remplace par une réflexion sur
« la psychopathologie comme fait de civilisation ». Il y a ici
l'idée d'une culture occidentale qui produirait tel ou tel type de
maladie mentale à telle ou telle époque. Cette seconde partie
aurait donc plus à voir, à la limite, avec Histoire de la
folie qu'avec la première partie de Maladie mentale et
personnalité, écrite déjà huit ans auparavant.
Le chapitre V ne s'interroge plus sur « le sens historique de
l'aliénation » mais sur « la constitution historique de la
maladie mentale » et le chapitre VI abandonne « la psychologie du
conflit » pour traiter de « la folie, structure globale ».
« Conditions réelles », « sens
historique », « aliénation ».
D'après la nature de ces termes, c'est bien en effet à une
interprétation historique et matérialiste des pratiques entourant
la maladie mentale que se livre Foucault en 1954. Il rappelle que, de
l'Antiquité jusqu'au XVII ème siècle, le fou a
toujours eu sa place dans l'histoire de nos sociétés : En
suivant les transformations des formes primitives du fou,
(l'energoumenos des Grecs ou le mente captus des Latins) il
devient dès lors possible de montrer le sens historique de
l'aliénation, en partant de l'irruption de l'inhumain dans l'existence
humaine, puis progressivement incluse dans l'univers des hommes. Foucault
souligne que « l'oeuvre des XVIII ème et XIX
ème siècles est inverse: elle restitue à la
maladie mentale son sens humain, mais elle chasse le malade mental de l'univers
des hommes »16(*).
En favorisant une politique d'internement des malades
mentaux, la Révolution bourgeoise de 1789 aurait consacré le
caractère formel des libertés reconnues par la Déclaration
des Droits de l'homme. Pinel, en libérant les insensés de leurs
chaînes, ne fait que les soumettre à de nouvelles contraintes,
celles de la décision médicale, de l'intérêt
familial ou de la tranquillité publique: le fou est aliéné
moins parce qu'il est privé de ses facultés que parce que le
traitement qu'il subit le rend étranger à lui-même. Si
pendant des années, on a cru reconnaître des signes
schizophréniques chez nombre de psychotiques ou de névrotiques,
c'est tout simplement qu' « en le mettant entre
parenthèses, la société marque le malade de stigmates,
où le psychiatre lira les signes de la
schizophrénie »17(*). Non seulement la société capitaliste
enferme les improductifs mais elle génère, de par les
contradictions de classe qui la traversent, des « styles »
pathologiques. Par exemple, si Freud développe, en
réfléchissant sur les névroses de guerre, l'opposition
entre un instinct de vie, survivance du vieil optimisme bourgeois du XIX
éme siècle, et un instinct de mort, il identifie
là moins une scène psychologique originaire que les
contradictions propres à la société européenne du
début du siècle: le freudisme, ce pourrait être quelque
chose comme le stade suprême de théorisation inconsciente du
capitalisme. « Freud voulait expliquer la guerre, nous dit-on; mais
c'est la guerre qui explique ce tournant de la pensée
freudienne »18(*).La maladie mentale ,pour le Foucault de 1954,doit
être ramenée aux conditions réelles du développement
de l'individu,c'est-à-dire à ses propres contradictions internes
aussi bien qu'à celles de son environnement. La maladie mentale serait
le résultat d'un déséquilibre cérébral entre
fonctions excitatoires et inhibitoires : « Le
matérialisme, en psychopathologie doit donc éviter deux
erreurs : celle qui consisterait à identifier le conflit
psychologique et morbide avec les contradictions historiques du milieu, et
à confondre aussi aliénation sociale et aliénation mentale
et celle, d'autre part, à vouloir réduire toute maladie à
une perturbation du fonctionnement nerveux. »19(*) Dans un dernier chapitre,
où il expose la théorie psychologique pavlovienne et les courants
qui en ont découlé en Union Soviétique (courants
influencés par la réflexologie essentiellement), Foucault
soutient que, lorsque les contradictions entre milieu et individu deviennent
insupportables, c'est à ce moment qu'apparaissent les troubles
psychologiques. Cette idée, Foucault l'avait déjà
exposée en 1953 dans une conférence à la Maison des
Lettres, rue Férou. Devant un auditoire composé en
majorité d'étudiants très sensibles aux relations entre
science et politique, du fait, notamment, de l'affaire Lyssenko, il conclut sa
communication par un emprunt à Staline et à l'histoire du
cordonnier alcoolique qui bat femme et enfants, pour expliquer que les
pathologies mentales sont fruits de la misère et de l'exploitation et
que seule une transformation radicale des conditions d'existence pourrait y
mettre un terme. Le cordonnier, travaillant à la pièce pour un
revenu qui subvient à peine aux besoins des siens, trouve dans la
boisson un refuge lui permettant de diminuer les tensions psychologiques
suscitées par une situation contradictoire. En subissant la contrainte
réelle, il s'échappe dans un monde morbide où il retrouve,
mais sans la reconnaître, cette même contrainte réelle.
« Il y a maladie [...], selon Foucault, lorsque l'individu ne peut
maîtriser, au niveau de ses réactions, les contradictions de son
milieu, lorsque la dialectique psychologique de l'individu ne peut se retrouver
dans la dialectique de ses conditions d'existence »20(*). Désormais,
l'anthropologie médicale ne s'articulera plus sur l'opposition homme
sain-homme malade, mais sur la dialectique de l'ouvrier exploité se
soignant en devenant un révolutionnaire prolétarien: la
société communiste n'est pas seulement une société
sans classe, c'est aussi une société sans malade. C'est
à l'accomplissement de cette tâche que doit se consacrer la
psychologie, « s'il est vrai que, comme toute science de l'homme,
elle doit avoir pour but de le désaliéner »21(*). Pour comprendre la
genèse de ce passage, il faut aussi tenir compte du facteur
politique : Foucault a été membre du parti communiste
français de 1950 à 1953 ; cet engagement se retrouve dans ce
chapitre sur Pavlov, ce qui, à l'époque, en France était
un marqueur politique : La plupart des intellectuels communistes de
l'époque voulaient ainsi opposer la « psychologie
matérialiste » pavlovienne à la
psychanalyse. 1962, changement complet de point de vue:
c'en est fini du matérialisme pavlovien, au moins pour Foucault. Le
livre passe de cent dix à cent quatre pages et, pressé par son
éditeur de rééditer Maladie mentale et
personnalité, Foucault va modifier toute la seconde partie de
l'ouvrage (qui s'appellera désormais Maladie mentale et
psychologie) et rompre avec les idées de 1954. C'est qu'entre
temps, il a réalisé son grand oeuvre, Folie et
déraison. Histoire de la folie à l'âge classique
(1961) dont « Folie et culture » est, en quelque sorte, le
résumé. En s'appuyant sur les nombreux manuscrits médicaux
de la Bibliothèque d'Uppsala, Foucault expose le processus historique de
constitution de la maladie mentale dans une perspective totalement
détachée du marxisme. La folie n'est plus l'expression, au niveau
psychologique individuel, des contradictions de classes dans la
société capitaliste mais, bien plus profondément, le
produit d'une culture, d'une histoire qu'il faut retracer dans son
détail. La maladie va dépendre de conditions historiques, plus
encore, d'un contexte culturel particulier. Cette histoire, c'est d'abord celle
d'un partage, d'une exclusion. Si le Moyen-Âge et la Renaissance voient
encore dans la folie une expression de la puissance divine et une forme
supérieure de raison (dont témoignerait l'Eloge de la
folie d'Erasme), l'âge classique la confond avec toutes les autres
sortes de déviances (crime, vagabondage, libéralité,
libertinage), lui faisant ainsi perdre sa signification propre. Elle n'est
qu'une forme, parmi d'autres, d'oisiveté, et l'Hôpital
général se charge de la corriger: c'est la fameuse époque
du « grand renfermement ». Avec la naissance de l'asile, au tout
début du XIX éme siècle, la perception de la
folie s'affine en même temps que le partage s'accentue. Désormais,
les aliénés sont traités différemment des criminels
ou des pauvres. Mais l'humanisme supposé d'un Pinel ou d'un Tuke ne doit
pas tromper. Libérés de leurs chaînes, les malades n'en
subissent pas moins un gigantesque emprisonnement moral. Parole devenue
totalement inintelligible dans ce contexte, la folie trouve ses anciens
pouvoirs de révélation cloisonnés entre les murs du savoir
médical. De cette folie maîtrisée naît la
psychologie, monologue qui refuse d'entendre la voix de la déraison et
qui croit pourtant pouvoir en énoncer la vérité. Ambition
vaine d'un discours qui refuse d'affronter son Autre « présent
et visible dans les oeuvres de Hölderlin, de Nerval, de Roussel et
d'Artaud, et qui promet à l'homme qu'un jour peut-être, il pourra
se retrouver libre de toute psychologie pour le grand affrontement tragique
avec la folie »22(*).L'originalité de Maladie mentale et
psychologie tient ainsi dans la double idée qu'il
sous-tend,à savoir une approche historique de la maladie mentale et une
approche ontologique ,c'est-à-dire l'idée que la folie
échappe à la psychologie et soit une sorte de rapport primitif
à l'homme.
IV : UNE SCIENCE DE LA MALADIE MENTALE EST ELLE
POSSIBLE ?
Dans l'article « Philosophie et
psychologie » (1965), Foucault répondait ainsi
à la question « Qu'est ce que la
psychologie ? » : « Je ne pense pas qu'il faille
essayer de définir la psychologie comme une science »23(*).Dans un autre article ,
« La recherche scientifique et la psychologie »
daté de 1957,Foucault constate déjà que l'« un
des a priori historiques de la psychologie,dans sa forme actuelle,c'est cette
possibilité d'être ,sur le mode de l'exclusion ,scientifique
ou non »24(*).Le
fait même de se poser cette question implique elle-même un nouveau
champ d'interrogations :y a-t-il deux formes de psychologie,une qui serait
scientifique et l'autre « philosophique » ou
phénoménologique ,qui ressaisirait l'essence de l'homme
c'est-à-dire dans son existence et dans son histoire ? C'est le travail
de la recherche en psychologie qui va permettre selon Foucault de
déterminer la scientificité ou non de la psychologie. Ce travail
se fait dans un sens tout à fait différent de la manière
traditionnelle d'un travail scientifique. Le travail réel de la
recherche en psychologie n'est pas le produit d'une quelconque
objectivité, ni le fondement ou le progrès d'une technique, ni la
constitution d'une science : « Son mouvement, au contraire, est
celui d'une vérité qui se défait, d'un objet qui se
détruit. »25(*).Elle est une sorte de pendant d'une psychologie
« officielle », celle des cours, des enseignements en
université : « Elle forme l'envers nocturne d'une science
psychologique qu'elle a pour vocation de compromettre »26(*).La recherche serait
paradoxalement la condition principale de la suppression de la psychologie dans
le sens où elle renverse le savoir, et prétend démystifier
la pratique psychologique. En conclusion de son article, Foucault constate que
« la psychologie ne se sauvera que par un retour aux
enfers »27(*) : La psychologie doit ainsi retourner à
l'expérience de la négativité et des contradictions
humaines, notamment à travers l'étude des pathologies, et ne doit
plus se reposer sur une positivité et une objectivité qu'elle a
voulu elle-même s'imposer : il convient donc de retrouver le sens
originaire de la psychologie. En conséquence, la recherche psychologique
ne saurait être véritablement une recherche scientifique. Foucault
revient sur l'histoire de la psychologie et le moment où elle s'est
elle-même constituée comme science positive .L'article de
1957 intitulé « La psychologie de 1850 à
1950 » fut l'occasion de traiter de la scientificité de la
psychologie. Il y aurait deux formes de psychologie : l'une scientifique
et l'autre « philosophique » et
phénoménologique. A la différence des autres domaines de
savoir, les psychologues eux mêmes reconnaissent qu'il y'a une
psychologie scientifique et une psychologie non scientifique, objective et non
objective. Foucault pose ainsi la possibilité originaire d'un choix
quant à la manière de pratiquer la psychologie entre
« une psychologie qui mesure, compte et calcule, et une psychologie
qui pense, réfléchit »28(*).Ce choix, on ne l'envisage pas de la même
manière pour d'autres sciences comme la biologie ou la physique dont le
domaine scientifique est déjà bien délimité et dont
« l'objectivité est déjà
scientifique »29(*). La recherche en psychologie n'est pas a priori
scientifique comme elle peut l'être en physique .Si la psychologie
phénoménologique arrivait à contourner la distinction
normal-pathologique en s'intéressant prioritairement à la
conscience malade elle même ,la psychologie scientifique,elle, se heurte
à cette barrière .Le projet de la psychologie scientifique
est en effet d'être une science naturelle, ce qui suppose deux postulats
essentiels :d'une part que la vérité de l'homme soit
puisée dans son être naturel et d'autre part avoir recours
à une précision objective et mathématique, soit une
science à caractère expérimental ,rationnel et
quantitatif. Selon Foucault, la psychologie scientifique va découvrir
elle même ses propres contradictions et devoir renoncer à ces
postulats : les psychologies du développement et du milieu, par
exemple, réfléchissent en particulier sur les échecs, les
arrêts du développement, sur les divers phénomènes
d'inadaptation. La psychologie est donc avant tout une analyse des
contradictions internes de l'homme, du conflictuel, du pathologique donc de
« l'anormal » (par exemple les psychologies de la
mémoire sont d'abord des psychologies de l'oubli, du caché, de
l'inconscient, avant d'être celles du souvenir).Foucault s'est ensuite
proposé d'analyser la manière dont la psychologie allait faire
face à ces contradictions en étudiant son histoire. Il constate
d'emblée que la psychologie emprunte « aux sciences de
la nature leur style d'objectivité (...) leur méthode et leur
schéma d'analyse » : Ainsi, la psychologie va se
penser tour à tour sur les modèles physico-chimiques, organiques
ou évolutionnistes.
Selon Foucault, toutes ces tentatives ont
échoué avec la découverte du sens. Le premier postulat ne
pouvait être tenu : l'homme n'est pas purement un être de
nature. Cette découverte du sens s'est faite « par des chemins
bien divers »30(*) , notamment grâce à la
psychanalyse, décidément très présente au
début de son oeuvre : avec Freud on passe de l'analyse explicative
à la genèse des significations, à l'histoire ; au
recours à la nature s'est substituée l'analyse du concept
culturel : Dans « philosophie et psychologie »,
Foucault analysait la psychologie comme une formule culturelle qui s'inscrirait
dans des phénomènes déjà connus du monde
occidental. Freud a ainsi ouvert la voie à une étude objective
des significations, en allant le plus loin possible dans l'analyse du sens et
en donnant une histoire réelle au comportement humain dans la
société à laquelle il appartient. Par cette quête du
sens, Freud a ainsi « donné son orientation à la
psychologie moderne »31(*), notamment au béhaviourisme: Ce courant de la
psychologie scientifique, né au début du XX éme
siècle aux Etats-Unis, a pour objet l'étude des comportements
comme unique champ observable de l'activité psychologique, sans
référence à une quelconque subjectivité, ni
à la conscience. Foucault se demande, à partir de cette
théorie quelle peut être la part d'objectivité dans une
étude des comportements. Est il possible de généraliser ce
type d'étude ? N'y a-t-il pas forcément une contradiction
à prétendre à une telle objectivité dans un domaine
où finalement aucun individu ne semble pareil à un autre ?
Foucault a ainsi envisagé tous les différents types d'analyse des
significations objectives (gestalt théorie,psychologie des tests...) et
constaté qu'en définitive ces analyses se font toujours en termes
d'oppositions : « totalité ou
élément ;genèse intelligible ou évolution
biologique (...) manifestations expressives momentanées ou
constance d'un caractère latent (...) :termes contradictoires
dont la distance constitue le propre de la psychologie »32(*).Foucault remarque ainsi
l'existence permanente de deux pôles en psychologie mais s'interroge
aussi sur la capacité qu'a celle-ci à dépasser ses propres
contradictions. De toute manière, on ne peut, dans le cas d'une
discipline comme la physique ou la biologie, soutenir des positions aussi
contradictoires ; la psychologie doit faire face à beaucoup trop
d'incohérences pour véritablement prétendre à un
statut scientifique comparable aux mathématiques ou aux sciences
naturelles. Le reproche essentiel fait ici à la psychologie par Foucault
est que celle-ci trouve sa légitimation dans le repérage de
l'anormal par rapport au normal : ce qui est mauvais dans la psychologie,
c'est qu'elle demeure un discours normatif sur l'être humain. Quel est
donc l'avenir de la discipline ? Foucault propose de dépasser la
psychologie telle qu'elle se pratique et de la remplacer par un autre
modèle, une histoire de la condition humaine, une analyse de l'existence
humaine dans ses structures fondamentales. Cette histoire individuelle,
analysée par une nouvelle forme d' « anthropologie
existentielle » ne reste-t-elle pas « ce qu'il y a de plus
humain en l'homme » ?
V : CANGUILHEM ET POLITZER : D'AUTRES FORMES DE
REFLEXION SUR LA PSYCHOLOGIE:
Depuis ses débuts, la psychologie cherche donc sa
place, entre science humaine et science de la vie. Dans un article très
célèbre de 1956 ,« Qu'est ce que la
psychologie »,Georges Canguilhem soutient que la psychologie en tant
que discipline n'a jamais réussi a véritablement fixer son
objet,particulièrement depuis la fin du XIX ème
siècle, moment où la psychologie devient
« scientifique » : « Pour la psychologie,la
question de son essence (...) met en question aussi l'existence même du
psychologue,dans la mesure où ,faute de pouvoir répondre
exactement sur ce qu'il est ,il lui est bien difficile de répondre de ce
qu'il fait »33(*). D'après Canguilhem et contrairement à
ce qu'affirme Lagache dans son Unité de la psychologie (1947),
le statut de la psychologie n'est pas clair, et la discipline n'a pas de
véritable unité : « De bien des travaux de
psychologie, on retire l'impression qu'ils mélangent à une
philosophie sans rigueur une éthique sans exigence et une
médecine sans contrôle » 34(*): Le grand défaut de la
psychologie est que l'on ne peut pas directement vérifier son
efficacité thérapeutique. Le psychologue est plus un confesseur,
un juge qu'un véritable médecin. En outre, faute de pouvoir
prétendre véritablement au statut de science, la psychologie se
voit en quelque sorte contrainte, d'après l'interprétation de
Pascal Engel dans son essai Philosophie et psychologie, à une
oscillation perpétuelle entre deux solutions : La
possibilité d'être une science à part entière et une
« technologie pratique et sociale »35(*).La principale source de
l'incohérence de la discipline est la multiplicité des objectifs
qu'elle poursuit : Canguilhem en relève trois :
- La psychologie s'est d'abord voulue science naturelle. (Voir
Aristote et la critique des prédécesseurs dans le livre I du
De Anima, Gall ou encore Broca)
- Elle se veut aussi science de la subjectivité, de
Descartes à Freud. Elle poursuit un objectif d'étude du
« sujet homme ».
- Enfin la psychologie s'intéresse également aux
réactions et aux comportements humains. (notamment avec le
béhaviourisme et Watson).
La critique formulée par Georges Politzer est
d'une autre nature. L'auteur de La critique des fondements de la
psychologie ,fondateur de la Revue de psychologie
concrète,va plus loin en ce qu'il propose, lui, un nouveau
modèle de psychologie .La critique reprend les grandes lignes de la
position canguilhemienne ; la psychologie scientifique est « un
vernis de science », une fausse science et les psychologues qui la
pratiquent ne sont pas des scientifiques : « Les
psychologues,incapables de découvrir la vérité
,l'attendent chaque jour, de n'importe qui et de n'importe où mais comme
ils n'ont aucune idée de la vérité,ils (...) deviennent
victimes de toutes les illusions »36(*).Il va notamment reprocher aux trois grands courants
modernes de la psychologie (Gestalt théorie,psychanalyse et
béhaviourisme) de manquer le véritable but de la
psychologie,à savoir la vie « dramatique » de
l'homme et d'appliquer de façon systématique la méthode
scientifique à la psychologie. Le résultat n'aboutit qu'à
une description des processus psychologiques, faite le plus souvent en termes
mécanistes mettant de côté les particularités
individuelles. Mais la véritable innovation de Politzer réside
surtout dans l'orientation concrète qu'il veut donner à la
psychologie. Il va proposer ainsi trois conditions d'existence
préalables à cette psychologie concrète, conditions qui
selon lui n'ont encore jamais été réunies ensemble dans
l'histoire de la psychologie, cette « mare aux
grenouilles »37(*) :
- La psychologie devra être l'étude d'un ensemble
de faits a posteriori
- La psychologie doit être une science originale,
c'est-à-dire portant sur un domaine d'étude qui n'ait pas
été abordé par les autres sciences
- La psychologie doit être objective c'est-à-dire
vérifiable du point de vue méthodologique et du point de vue des
faits.
Politzer va d'après ces conditions définir la
psychologie concrète comme l'étude des faits psychologiques,qui
sont « l'ensemble des comportements ayant un sens
humain »38(*)
.Ces faits ne vont prendre sens que par le récit qui en sera fait par le
sujet humain .Le rêve par exemple, fait figure de fait psychologique
au sens le plus plein du terme car il ne prend véritablement son sens
que dans un milieu et pour un sujet particulier .Politzer veut redonner un
importance au « Moi » de la vie individuelle, au
« sujet » de la vie quotidienne. Ce qui lui permet de
déboucher ainsi sur une psychologie concrète, inspirée de
la psychanalyse, fondée sur l'homme en tant que sujet engagé dans
une action. Politzer condamne, prés de vingt cinq ans avant Foucault,
les affres d'une métapsychologie : « La métapsychologie
a vécu, l'histoire de la psychologie commence »39(*) .
Cette analyse des discours entreprise par Foucault,
dès le début de son oeuvre, s'est poursuivie avec l'Histoire
de la folie à l'âge classique qui a pour sujet d'étude
l'évolution du discours sur cet objet mouvant et difficile à
cerner qu'est la folie. Comme le note Frédéric Gros, c'est
dans Naissance de la clinique que, pour la première fois,
Foucault désigne son travail comme une étude des
« règles de formation » des discours, et
définit ceux-ci comme pratiques. On pourrait objecter qu'Histoire de
la folie poursuivait le même objectif mais il ne s'agit plus de
rechercher une expérience originaire mais d'expliquer comment, à
une époque donnée, un discours a pu se modifier, se transformer.
Cette analyse des discours s'est donc poursuivie avec Naissance de la
clinique, son troisième ouvrage de 1963 qui se propose de faire
l'archéologie du discours médical. Naissance de la
clinique est en outre le premier et le seul ouvrage de Foucault
consacré entièrement à la médecine. Le champ
d'étude délimité par Foucault concerne une période
relativement courte mais importante de l'histoire de la médecine, le
moment où l'expérience clinique est devenue anatomo-clinique lors
de la révolution de l'Ecole de Paris au début du XIX
éme siècle.
2 L'archéologie du discours médical
dans Naissance de la clinique
I : GENESE ET ELABORATION DE NAISSANCE DE LA
CLINIQUE:
On ne sait pas très précisément
où, ni quand, Foucault fit ses recherches concernant Naissance de la
clinique ; il se peut toutefois qu'il les ait faites en même
temps que celles pour Histoire de la folie, Foucault ayant eu
accès pour son premier livre à nombre d'archives et de documents
médicaux. Telle est la supposition de David Macey dans son
Foucault. La parution des deux livres étant
séparée d'à peine deux ans, l'hypothèse est
plausible. Foucault lui même parle de « chutes d'Histoire
de la folie » concernant Naissance de la clinique. En
tous les cas, l'ouvrage, fourmillant de références, fait montre
de recherches très assidues, comme en témoigne sa bibliographie
très exhaustive et il en est de même pour Histoire de la
folie. D'ouvrages médicaux en archives, décrets et autres
documents, Foucault a rassemblé un matériau de très grande
diversité et d'une très grande richesse. Tout cela en fait un
essai très technique, le plus technique que Foucault ait écrit
jusque là, de par l'emploi fréquent du vocabulaire
médical. C'est le moins apte en tout cas à toucher un grand
public. Le livre n'en est pas moins réussi de part la richesse et la
précision du matériau sur lequel il a travaillé.
Toutefois,Naissance de la Clinique, au contraire d'Histoire de la
folie est paru dans une indifférence quasi générale,
à l'exception d'un petit nombre de commentateurs
spécialisés, en histoire de la médecine notamment .
L'horizon théorique abordé par Foucault semble lui, en revanche,
totalement nouveau par rapport à ses écrits
antérieurs ; c'est le premier et d'ailleurs unique ouvrage
entièrement consacré à la médecine, un sujet
pourtant transversal dans l'oeuvre de Foucault. Naissance de la
clinique s'inscrit en outre dans la tradition de Canguilhem : il sert
en quelque sorte de pendant historique au grand ouvrage de ce dernier, Le
Normal et le Pathologique qui explique la signification des concepts de
base de la médecine moderne. Certaines thèses de Canguilhem sont
d'ailleurs reprises voire précisées dans Naissance de la
clinique .D'une part, le fait qu'un concept ou qu'une notion n'a de
sens que dans un contexte donné et d'autre part que l'histoire de la
médecine ne doit pas être une histoire de
« saints » de la médecine, une sorte de chronologie
consensuelle qui mettrait en avant certains personnages au détriment
d'autres. La continuité entre ces deux ouvrages est donc d'abord de
nature thématique, puisqu'il s'agit de pratiquer autrement l'histoire de
la médecine .Les deux ouvrages proposent en commun une forme
d'analyse originale, différente en tout cas des analyses classiques des
historiens de la médecine. Foucault, d'ailleurs, ne manquera pas de
reconnaître sa dette envers Canguilhem : « (...) C'est
à lui que je dois d'avoir compris que l'histoire de la science n'est pas
prise forcément dans l'alternative :chronique des
découvertes ou descriptions des idées (...) mais qu'on pouvait,
qu'on devait faire l'histoire de la science comme d'un ensemble à la
fois cohérent et transformable de modèles théoriques et
d'instruments conceptuels »40(*).Dans Naissance de la clinique , il
s'agit de donner au regard clinique (c'est à dire l'observation directe
et savante d'un cas) du XIX éme siècle un regain
d'intérêt, la vertu d'une pure attention au malade et à sa
souffrance ; un « rapport immédiat à la souffrance
et qui la soulage »41(*).Il y a là l'idée que la médecine
clinique ne peut redevenir vraiment une science qu'en retrouvant son aspiration
d'origine, c'est à dire soigner et être attentif à la
souffrance et à la douleur ,ce que le court épisode de la
médecine clinique a su faire selon Foucault. Le projet se veut
« à la fois historique et critique »42(*): Il s'agit de
déterminer les conditions de possibilité de cette
expérience médicale radicalement nouvelle et inédite, de
décrire ce qui peut être perçu et dit par le médecin
à un moment donné. Foucault s'interroge sur le comment un tel
regard a pu émerger, et énonce l'idée selon laquelle ce
discours médical précis ne peut être perçu
qu'à l'intérieur d'un certain champ de discours. Le regard
clinique suppose ainsi un certain nombre de conditions à la fois
scientifiques, politiques, philosophiques et linguistiques ; c'est
à l'intérieur de ces savoirs que la médecine clinique va
prendre naissance véritablement. C'est également dans
Naissance de la clinique que, pour la première fois (si l'on
excepte la première préface d'Histoire de la folie),
Foucault emploie le mot « archéologie » : faire
cette Archéologie, c'est à dire comprendre les structures, le
langage qui, à un moment donné, vont permettre ce nouveau regard.
Naissance de la clinique va donc faire l'histoire de cette
médecine moderne à travers le concept de clinique qu'il voit
émerger vers 1800 -1830.Il va en outre s'agir d'étudier la
genèse historique du savoir médical de la formation du discours
sur la maladie et son rapport avec des éléments
extérieurs. Foucault réfute la conception d'une histoire
évolutionniste des idées sur la clinique. C'est un
événement radical au XVIII éme siècle
qui a permis une mutation dans le savoir médical, et un nouveau rapport
de l'expérience du médecin. En effet, à un moment
donné, il y a eu mutation du savoir médical rendant ainsi
possible de nouvelles articulations (notamment grâce à la
médecine de Bichat).C'est un ensemble de réorganisations qui va
produire un nouveau type de regard et de discours et qui va complètement
modifier la représentation de la maladie.On peut parler de
réorganisation du discours possible sur la maladie. L'archéologie
« veut montrer non pas comment la pratique politique a
déterminé le sens et la forme du discours médical mais
comment et à quel titre elle fait partie de ses conditions
d'émergence, d'insertion et de fonctionnement »43(*) . Grâce à la
méthode archéologique, Foucault veut aller au-delà d'une
analyse des causes : il veut décrire le changement, mettre en avant
les discontinuités et analyser les différences, les
difficultés.
Naissance de la clinique peut se lire comme une
suite directe à Histoire de la folie : en effet, il
étend à la médecine en général les analyses
qu'il a pu pratiquer sur la maladie et la médecine mentales, c'est
à dire observer leurs conditions d'émergence et d'apparition, et
de possibilité. L'idée de saisir une cassure qui s'instaure au
moment de son institution rappelle quelque peu Histoire de la folie
dans le sens où celle ci cherchait à saisir le moment de la
césure entre raison et déraison .Naissance de la
clinique cherche à « saisir la mutation du discours
quand elle s'est produite » (préface) quand Histoire de la
folie avait pour ambition de « parler de ce geste de coupure, de
cette distance prise (...) entre la raison et ce qui n'est pas
elle »44(*).L'idée commune est celle d'une
archéologie ,terme que Foucault emploie dès 1961 dans la
première préface de Histoire de la folie :Foucault
parle d' « archéologie de ce silence » à
propos de la relation entre raison et folie .L'analyse repose en outre sur la
même étude exhaustive d'un très vaste ensemble de documents
,dans un cas comme dans l'autre ;il n'est pas étonnant que l'on
fasse remonter la genèse de Naissance de la clinique
à la même époque que celle d'Histoire de la
folie :Les deux bibliographies ont beaucoup de similitudes, de
nombreux ouvrages leur étant communs (celui de Pinel Nosographie
philosophique par exemple, ou encore la Médecine pratique
de Sydenham).Le champ de recherche est identique et la même
méthode est appliquée: saisir ce qui va rendre possible tel
ou tel type de discours sur un objet précis à un moment
précis. Toutefois, les ressemblances entre les deux ouvrages, si elles
existent indéniablement, ne sauraient masquer de nombreuses divergences,
faisant tout aussi bien de Naissance de la clinique une transition
entre Histoire de la folie et les livres suivants .D'une part
Histoire de la folie couvrait plusieurs siècles, du Moyen Age
à nos jours, au cours de 600 pages. Naissance de la clinique
est d'un format beaucoup plus réduit (200 pages seulement) qui ne couvre
qu'un petit nombre d'années (environ 30) au début du XIX
ème siècle car, selon Foucault, « la
médecine clinique s'est défaite aussitôt qu'elle est
apparue ».D'autre part le sujet du livre diffère
également : Dans Histoire de la folie, le sujet - la folie
- est intemporel, il traverse les époques et ne trouve sa forme
médicale que très tardivement. Naissance de la clinique
est, quant à lui, l'histoire précise d'une discipline de
connaissances, la médecine clinique. Il s'agit d'étudier la
conception d'une discipline de connaissance à un moment de
l'Histoire ; l'histoire de la clinique du XIX ème
siècle n'a rien à voir avec une relation intemporelle entre
le médecin et le patient comme pourrait être comprise la relation
entre le monde occidental et la folie, ou de la raison avec la folie.
La première phrase de la préface
résume à elle seule de quoi il va s'agir ici :
« il est question dans ce livre de l'espace, du langage et de la
mort ;il est question du regard ».Puis, suit abruptement la
description de deux pathologies par deux médecins (Pomme et Bayle)
à deux périodes différentes (1769 pour le premier et 1825
pour le second).On est saisi, à cette lecture, par la différence
très marquée entre les deux récits seulement
séparés d'une cinquantaine d'années :Pomme semble
encore englué dans les principes de l'ancienne médecine, des
vieilles expressions utilisées encore en son temps, peu précises,
et pas d'une rigoureuse véracité scientifique .Bayle ,en
revanche , fait montre d'une grande précision quant à la
description de la lésion qu'il observe, qui n'est pas sans rappeler les
diagnostics actuels : « chaque mot de Bayle guide notre regard
dans un monde de constante visibilité alors que le texte
précédant nous parle le langage (...) des
fantasmes »45(*).Que signifie cette entrée en matière
plutôt surprenante ? La stratégie de Foucault consiste
à nous faire prendre conscience que le premier récit de Pomme qui
a pu passer à son époque pour un modèle de
scientificité et d'objectivité nous semble à
présent, à nous, dénué de sens, et finalement
à nous montrer que nous avons tort de croire que même à
notre époque nous touchons à cette objectivité. C'est
là un des points fondamentaux de l'archéologie
foucaldienne : l'archéologue doit opérer une distanciation,
une relativité vis à vis de chaque discours ou de chaque savoir
sur le sujet dont il fait l'archéologie, qu'il vienne de l'âge
classique, de l'âge moderne ou de notre propre époque. Toutefois
l'archéologie n'est pas seulement basée sur cette
distanciation :elle nous permet aussi de comprendre que chaque discipline
,à quelque époque que ce soit ,a son ordre systématique
propre, même si elle nous semble incompréhensible avec notre
regard à nous, forcément façonné par notre
époque. En bref, il faut donc garder à l'esprit que la
médecine selon Pomme vaut bien celle qui se pratique actuellement et qui
apparaît comme régie par les différents contextes socio
culturels. Pourquoi serait elle donc moins vraie ? Moins
scientifique ? : « Qui peut nous assurer qu'un
médecin du XVIII ème siècle ne voyait pas
ce qu'il voyait »46(*) interroge Foucault : Pourquoi donner moins de
crédibilité à Pomme qu'à Bayle ? La
vérité se trouve à l'intérieur même du
discours ; Foucault réfute la notion de commentaire qui vient se
greffer sur le discours, ce qui reviendrait à admettre quelque chose de
non formulé par le langage : « Commenter c'est admettre
(...) un reste nécessairement non formulé de la pensée que
le langage a jeté dans l'ombre »47(*). Foucault rejette ce qui
serait un double fond de l'argumentation : le sens se trouve dans le
discours et pas ailleurs. L'archéologie s'arrête au discours et
à ce qui l'a rendu possible et ne traite en aucun cas du commentaire qui
« double » ce discours.
II : LES CONDITIONS D'EMERGENCE DE L'EXPERIENCE
CLINIQUE
Le corps humain est l'espace d'origine et de
répartition de la maladie, et c'est sur le corps et seulement lui que
pourra s'effectuer l'expérience clinique. Ce qui nous paraît
évident aujourd'hui ne l'était pas avant le début du XIX
ème siècle : la médecine traditionnelle,
celle que pratiquait, selon Foucault, un médecin comme Pinel (qui,
paradoxalement sera une des premières personnalités de l'Ecole de
Paris), était d'abord une classification hiérarchique des
maladies en formules, genres et espèces à l'intérieur d'un
tableau nosologique prévu à cet effet avec pour modèle les
systèmes classificatoires de Linné ou Dagognet .Mise en
oeuvre par Sydenham,c'est en effet dans la Nosographie philosophique
de Pinel que cette médecine classificatrice trouvera sa forme la plus
aboutie. La maladie n'était pas localisée sur le corps du malade
mais dans les colonnes de ce tableau. Le problème de la localisation
était selon Foucault un « problème
subalterne » 48(*) à l'époque ;ici on va plutôt
parler de ressemblances ,de différences et d'imbrications à
l'intérieur du système de classification .Lorsque le regard
est défini par un grand nombre d'analogies de formes, la maladie devient
ce qu'on appelle à l'époque une essence ;c'est le
règne de la « médecine des espèces »
pour laquelle chaque maladie constitue une entité idéale
placée dans un grand tableau ordonné ;la transmission des
maladies se produisait quand ,par « sympathie »,certaines
de leurs qualités se mélangeaient avec le type de
tempérament du patient.On est ici très proche de la
théorie de Galien sur les humeurs.On pensait que les environnements non
naturels favorisaient le développement des maladies et
qu'ainsi ,les populations paysannes étaient moins atteintes que les
classes urbaines. Le malade était perçu comme un lieu de
croissance et d'expansion d'une maladie « pure ». Celle ci
serait altérée dans sa pureté par les
particularités individuelles du malade : « à la
pure essence nosologique (...) le malade ajoute comme autant de perturbations
son âge, son mode de vie (...) qui font figure
d'accidents »49(*).La médecine des espèces maintient ainsi
le maximum de distance entre le médecin et le malade pour observer la
maladie dans toute sa pureté et son essence. Pour identifier une
maladie, il n'était donc pas obligatoire qu'un organe particulier soit
affecté puisque celle-ci pouvait se déplacer d'un point
à un autre à la surface du corps. L'intervention médicale
elle-même représentait une impureté, un geste
contre-naturel. L'hôpital est quant à lui considéré
comme un lieu trouble, une entrave où la maladie risque de perdre sa
pureté (par exemple au contact d'autres malades).Foucault va ensuite
analyser la manière d'appréhender les épidémies de
la fin du XVIII ème siècle : contrairement aux
maladies, les épidémies n'étaient pas
considérées comme des entités déterminées
mais comme le produit du climat, de la famille et d'autres facteurs
extérieurs. La perception de la maladie se fait de manière
quantitative .Au lieu de classer les maladies, on multiplie les observations
pour parvenir à une meilleure perception des remèdes et des
causes à apporter. Foucault constate là l'éclosion d'un
champ nouveau .En même temps, a lieu un contrôle social très
strict avec une étroite collaboration entre la médecine et la
police. Un acte illustre particulièrement cette mise en place aux yeux
de Foucault, la création de la Société royale de
médecine en 1776 : tout cela montre que ce qui est important
maintenant, c'est la maladie elle même et non plus le malade. Par
ailleurs,la médecine tend à se lier de plus en plus à
l'Etat ; elle ne se limite plus seulement à des techniques, voire
un art de guérison : la médecine s'attelle avant tout
à une définition modèle d'un homme « en
santé »50(*): les normes de santé deviennent collectives.
La médecine intervient directement dans l'espace social. Ici s'esquisse
une idée sur laquelle Foucault, comme nous le verrons , reviendra
ultérieurement dans son oeuvre, même si l'on ne peut pas encore
parler, comme ce sera le cas plus tard, de machine à guérir. En
outre, ce nouveau regard passe par l'abandon des vieux codes du savoir de la
médecine classique : Pour qu'émerge une nouvelle forme de
savoir, il fallait que ces codes volent en éclats et qu'apparaissent de
nouvelles modalités de savoir et de discours. Tout cela fut rendu
possible aussi par un ensemble d'évènements. On assiste à
une réorganisation du domaine hospitalier, au bouleversement de
l'enseignement médical, à de nouvelles théories et
pratiques scientifiques et à la montée des
préoccupations sociales et économiques,à la
redéfinition du statut social du patient ,soit à de nouveaux
rapports entre la santé et le savoir : Tout concourt donc à
une révolution, une rupture qui se prépare : «
D'un seul mouvement,médecins et hommes d'Etat réclament en un
vocabulaire différent (...) la suppression de tout ce qui peut faire
obstacle à la constitution de ce nouvel espace »51(*) .
M.Jay note dans l'ouvrage Foucault : Lectures
critiques de Luce Giard, qu'il y a, chez Foucault, une fascination pour le
regard dès le début de sa carrière qui coïncide avec
son intérêt primitif pour Merleau Ponty (et notamment son ouvrage
Phénoménologie de la perception), pour la psychologie
existentielle de Binswanger et l'oeuvre de Heidegger. La maladie n'est plus une
essence, elle devient visible ; l'hôpital va devenir le lieu
privilégié d'observation et d'élaboration du savoir qui va
permettre d'isoler les spécificités de la maladie. En outre,
c'est à l'hôpital, seulement, qu'est possible la comparaison de
plusieurs organismes malades entre eux, voire entre un organisme malade
et un organisme sain. Ainsi, se dessine la possibilité véritable
d'une lecture exhaustive de la maladie et s'affirme l'importance de l'oeil,
diseur de vérité : L'expérience clinique est d'abord
un regard : Foucault parle de la « souveraineté du
regard »52(*).Le
médecin va pouvoir, grâce à son « coup
d'oeil » appréhender et maîtriser le réel. La
refonte se fait donc au niveau du savoir lui même : l'oeil
pénètre à l'intérieur du corps, le parcourt et
isole ensuite les points communs ou les différences, se fixe sur les
événements particuliers et anormaux. Ce changement
« n'est pas à inscrire à l'ordre des purifications
psychologiques et épistémologiques ;ce n'est pas autre chose
qu'une réorganisation syntactique de la maladie où les limites
du visible et de l'invisible suivent un nouveau dessin »53(*) . Ce regard n'est pas au coeur
d'une évolution progressive mais d'une véritable
révolution où tout change au même moment:les objets,
théories, expériences, méthodes mais aussi le langage,
c'est précisément ce que Foucault identifie dans le chapitre 5 de
Naissance de la clinique intitulé « Des signes
et des cas ».Dans sa première phase,la médecine
clinique est une médecine des symptômes,qui considère les
maladies comme un ensemble de phénomènes dynamiques,des
mélanges de symptômes :Tout part du symptôme, qui est
la forme visible de la maladie : il est sa « transcription
première »54(*) , la toux, la fièvre etc... Le signe quant
à lui va être quelque chose de purement linguistique : Signes
et symptômes veulent dire la même chose mais le signe transforme le
symptôme, qui est pure expression de la maladie, en élément
signifiant par l'intermédiaire de la conscience ; c'est ce langage
du signe qui va aider le médecin à développer une vision
complète de la maladie. Cette perception rejoint celle de Condillac dans
son Essai sur l'origine des connaissances humaines où il admet
deux niveaux de connaissance, la sensation et la réflexion. Mais comme
la connaissance n'est qu'une imparfaite correspondance entre les signes et les
idées, elle doit être complétée par l'analyse, qui
nous fait ainsi remonter au fond des choses. « La science est une
langue bien faite » dira même Condillac. Dans
l'expérience médicale, cette analyse nous renvoie au
symptôme, premier signe de la maladie. En outre, cette dernière va
se donner d'une part dans sa description précise (au niveau du langage)
mais aussi directement et sans obstacle sur le corps du malade :
« Il n'y a de maladie que dans l'élément du visible, et
par conséquent de l'énonçable »55(*) :la clinique est une
articulation entre le langage et la perception d'une part mais elle est aussi
une ouverture à une lisibilité et une visibilité
grâce à l'entrée d'autres champs comme le langage ou
les probabilités que l'on fait lorsque l'on perçoit des
« cas » (analogies ,fréquences, diversité des
combinaisons) : « Connaître sera donc restituer le
mouvement par lequel la nature associe » 56(*).En outre,l'importation d'une
certaine forme de pensée probabilitaire en médecine permet
à l'incertitude caractéristique de la médecine des
espèces de devenir une valeur positive :chaque
difficulté,chaque nouveau symptôme est ainsi enregistré et
placé dans une nouvelle « série aléatoire
indéfiniment ouverte »57(*) .Les tableaux taxinomiques de la médecine
classique sont ainsi remplacés par des « continua
temporels » qui tiennent de plus en plus compte de l'étude des
cas. La clinique se trouve donc « devant la tâche de percevoir,
et à l'infini, les événements d'un domaine
ouvert. »58(*).Foucault va toutefois montrer les limites de ce
nouveau mode de perception. Ayant ainsi défini la clinique, il en
analyse aussitôt la défaillance voire l'échec :
« C'est dans l'effort pour penser un calcul des probabilités
médicales que l'échec va se dessiner et les raisons de
l'échec apparaître »59(*) . En effet, si l'apparition de la science
probabilitaire en médecine a bien constitué un progrès, le
strict transfert d'un modèle purement mathématique et objectif
à quelque chose d'aussi incertain que la science pathologique provoque
nécessairement des confusions et pose problème. C'est là
une des caractéristiques de l'analyse foucaldienne comme le note
Christiane Sinding dans l'ouvrage de Luce Giard, Michel Foucault, lire
l'oeuvre : « Foucault ne se contente pas d'analyser
les conditions d'un progrès,mais toujours traque les illusions,les
erreurs,les échecs dissimulés sous d'apparents
succès » 60(*).
III : LA REVOLUTION MEDICALE : ACTEURS ET
CONSEQUENCES
La médecine clinique va donc prendre naissance
à l'intersection de tous ces savoirs et selon toutes ces conditions. Au
seuil du XIX éme siècle va donc se constituer un
nouveau paradigme médical : La médecine des symptômes
est remplacée par la médecine des tissus, c'est-à-dire la
théorie anatomo-clinique. Il reste pour Foucault à
déterminer le lieu et les acteurs de cette révolution
médicale. Le lieu c'est l'Ecole de Paris dont la première
réunion eut lieu en décembre 1794 : On y discute de
l'importance et de l'urgence d'un enseignement qui se fasse aussi cliniquement
et non plus théoriquement. Cette révolution va être
influencée par une certaine philosophie, celle des idéologues de
Cabanis, qui considérait l'observation comme l'essence de la
médecine et rejetait la physique et la chimie pour ne retenir que
« le cercle des faits propres à la
médecine ».Cette Ecole de Paris va connaître plusieurs
périodes marquées par des personnages aux méthodes et aux
vues totalement différentes. Tout d'abord, celle marquée par
Philippe Pinel, qui prônait la classification comme l'objectif majeur de
toute science. La seconde période débute ce qu'est
réellement cette révolution médicale .Elle est
incarnée par Xavier Bichat ,né en 1771 , auteur de deux
ouvrages fondamentaux : le Traité des membranes et surtout
les Recherches physiologiques sur la vie et la mort .Dans le chapitre
8 « Ouvrez quelques cadavres » ,Foucault décrit ce
qui à travers ces deux ouvrages va accompagner la révolution
médicale accomplie par l'Ecole de Paris .C'est avec Bichat que vont
coïncider pour la première fois le regard clinique et l'anatomie
pathologique. Ces deux méthodes, préexistantes à l'Ecole
de Paris sont pour la première fois réunies en une seule,
permettant ainsi de regarder différemment les pathologies. Le regard de
Bichat va aller vers un au-delà jusqu'alors inexploré et
inexploité notamment lorsque sera décidé de
procéder à des dissections de cadavres. Bichat va partir des
autopsies pour essayer de découvrir la vérité du vivant.
Pour que le regard du médecin puisse déchiffrer les
symptômes en profondeur, il faut qu'il aille en rechercher la source au
plus près du corps : « Ouvrez quelques
cadavres » est une formule de Bichat, illustrant parfaitement ce
nouveau besoin clinique : « Vous auriez pendant vingt ans pris
du matin au soir des notes au lit des malades sur les affections du coeur ,du
poumon (...) que tout ne sera pour vous que confusion dans les symptômes
(...) Ouvrez quelques cadavres :vous verrez aussitôt
disparaître l'obscurité que la seule observation n'avait pu
dissiper »61(*).
Avec Pinel, à la première époque de l'Ecole de Paris, on
ne touchait pas à la maladie, on pratiquait une médecine que l'on
qualifierait d'attentiste. Bichat, dans sa vision locale de la maladie, insiste
sur l'importance des tissus corporels. Le discours est fondamentalement celui
de la connaissance, du savoir. La médecine doit avant tout être un
lieu d'exercice du savoir, de la compétence du médecin pour une
vision nosologique de la maladie : Décrire d'abord, pour mieux
pratiquer ensuite. L'ouverture des cadavres est plus qu'une simple
observation : « Le cadavre ouvert (...) C'est la
vérité intérieure de la maladie »62(*).
Une des premières innovations de Bichat porte sur
la notion de tissu, qui sera un concept déterminant de l'analyse
clinique : Ainsi dans l'autopsie pratiquée par Bichat, les tissus
sont les premiers composants anatomiques, devant les organes, organisant ces
derniers en de vastes systèmes complexes. Leur organisation et leur
agencement permettent la vie mais leur séparation vont de pair avec les
processus morbides. Cette analyse permet à Bichat de retrouver
« l'analyse dans le corps lui même »63(*).Foucault précisera que
« l'oeil de Bichat est un oeil de clinicien parce qu'il donne un
privilège épistémologique absolu au regard de
surface »64(*).Regard de surface où la maladie n'est plus
analysée passivement comme au temps de Pinel mais de façon
dynamique et mouvante.
Avec Bichat, la pensée du vivant va se tourner
vers la mort .Ce même Bichat définit d'ailleurs la vie comme
« l'ensemble des fonctions qui résistent à la
mort ».Cette mise en place de la mort dans la pensée
médicale, Foucault la constate également : « C'est
du haut de la mort qu'on peut voir et analyser les dépendances
organiques et les séquences pathologiques »65(*). Non seulement la
pratique médicale se transforme, mais c'est aussi notre perception de la
vie et de la mort qui change. L'anatomie clinique a besoin de la dissection des
cadavres morts de maladie afin d'en déterminer le siège. La
médecine clinique permet d'autopsier immédiatement après
la mort, et par conséquent de faire la distinction entre les processus
morbides et les processus d'acheminement à la mort : La mort ne
serait plus une rupture brusque mais une disparition successive de fonctions La
connaissance s'appuie paradoxalement sur la mort pour faire apparaître la
vérité du vivant .Elle possède dans
l'expérience clinique la vertu d'un révélateur. Elle rend
possible un savoir, une connaissance médicale : si la
médecine est bien la science de l'individu, la mort en est devenue sa
condition première : « la nuit vivante se dissipe
à la clarté de la mort »66(*). La médecine fonde un
savoir de l'homme comme objet médical qui part de la finitude humaine,
au sens de la mort. Réflexion sur des pratiques, la médecine
clinique est donc à un autre niveau, celui des sciences humaines (ou
plutôt des sciences de l'homme), une réflexion sur l'homme et sa
limite : La mort. C'est cette nouvelle dimension, absente dans
Histoire de la folie, qui apparaît là : Dans
Histoire de la folie, ne figure aucune réflexion
méthodologique sur l'histoire des sciences. Naissance de la
clinique débroussaille un champ radicalement nouveau qui, dans les
ouvrages futurs de Foucault, apparaîtra peut être plus nettement
encore (surtout dans Les mots et les choses) :
« L'homme occidental n'a pu se constituer comme objet de science
(...) qu'en référence à sa propre destruction (...). De la
mise en place de la mort dans la pensée médicale est née
une médecine qui se donne comme science de
l'individu »67(*) nous dit Foucault. D'après cette
citation, Naissance de la clinique ouvre sur les Mots et les
Choses, en ce sens qu'on aperçoit dans ce bref moment de la
médecine clinique la possibilité pour l'homme de se constituer
à la fois comme sujet et comme objet de connaissance.
Conclusion de la première partie :
Des premiers articles sur la psychologie à
Naissance de la clinique, il semble que Foucault ait d'abord mis en
oeuvre une véritable étude épistémologique.
Cependant le politique n'est jamais très loin : Dans Maladie
mentale et personnalité, on la perçoit sous la forme
idéologique. Mais pas seulement :Foucault s'est toujours
étonné que l'on n'ait quasiment pas remarqué la dimension
politique de Naissance de la clinique,malgré les analyses
historico-politico économiques qui y sont faites,concernant la
perception de la médecine de la fin du XVIII è
siècle : « Quand j'ai écris un texte sur la
formation de la médecine clinique ,un livre politique selon moi,personne
n'en a parlé »68(*) .C'est toutefois dans des ouvrages comme Histoire
de la folie (et notamment sa reprise tardive par le mouvement
anti-psychiatrique à la fin des années 60) ou des travaux comme
ceux que Foucault effectuera au début des années 70 sur la
médecine sociale que ces considérations seront affirmées
de manière plus systématiques :il va s'agir non plus
d'interroger une science,ou la manière dont elle se constitue mais bien
d'analyser certains gestes,certaines attitudes :Enfermer pour
guérir ou discipliner pour intégrer ,dans le cas de la folie par
exemple. C'est de cela dont il va s'agir maintenant.
II : L'INSTITUTION MEDICALE ET LA
MEDICALISATION :
1 : Vers une médecine sociale ?
Foucault revient sur la question de la
médecine d'une manière totalement différente de celle de
Naissance de la clinique : Si les questions de politique de
santé étaient effectivement présentes dans cet ouvrage, ce
n'était qu'en tant que conditions d'émergence du regard
médical. Mais elles n'étaient pas vraiment étudiées
pour elles même. Dans les années 1970, la problématisation
tourne autour de ce thème. C'est maintenant l'institution
médicale et son rôle social normalisateur qui va constituer son
champ d'observation : Foucault va désormais parler de
« médecine sociale » avant de déboucher
sur une réflexion sur le bio-pouvoir, comme dimension politique
fondamentale.
I : QU'EST-CE QUE LA MEDECINE SOCIALE?
« La médecine moderne est une
médecine sociale » affirme Foucault dans une des
conférences de Rio en 1974.D'après lui, seule une petite partie
de la médecine favorise des relations individuelles et la relation entre
le médecin et le patient. Foucault s'est attaqué plus
précisément au problème de l'hôpital dans ses
recherches de 1974/1975 avec son groupe de séminaire, recherches dont le
résultat figure en grande partie dans l'ouvrage collectif Les
Machines à guérir .Le point essentiel réside dans le
fait que la médecine soit une médecine sociale .Dans le
premier article ,au début du livre, Foucault parle d'une
véritable politique de santé en France à partir du
XVIII ème siècle:c'est seulement dans le courant du
XVII ème siècle que l'institutionnalisation de
préoccupations permanentes pour la santé d'une population devient
une affaire d'Etat,en Allemagne ,d'abord, comme Foucault le montrera lors
de ses conférences de 1974 ,puis en France,avec la création
de la Société royale de médecine (1772). A cette nouvelle
préoccupation,on peut trouver plusieurs causes :d'une
part,l'attention croissante portée à la santé au corps et
à la médecine dans les cours monarchiques,sans doute sous
l'influence des Lumières,d'autre part le développement d'une
administration publique ayant pour charge la collecte des impôts :en
effet,la mise en place de ce dispositif mettait en lumière la
difficulté à compter exactement les richesses du royaume et par
là même favorisait ainsi l'émergence de la notion de
population :la population définit ainsi le rapport d'un corps
social particulier,doté d'une certaine forme de vie organique, à
un espace géographique. On assiste là ,selon Foucault ,à
l'ébauche d'un processus qui voit l'Etat chercher à
étendre son autorité à la santé de la
population ; la Société royale de médecine
étant le meilleur exemple de ces soucis, à grande échelle,
pour la santé. La médecine s'appuie sur un appareil
législatif, elle devient de plus en plus sociale
« quantitativement » - il y a de plus en plus de
médecins et de structures d'accueil - mais aussi qualitativement. Cette
notion de « politique de santé » va servir de toile
de fond à la professionnalisation du corps médical et suppose
plusieurs choses :d'une part la notion de prévention ,il ne
s'agit plus seulement de guérir mais aussi de
« prévenir la maladie quelle qu'elle soit »69(*) .Autre point important ,
la prise en compte de la maladie comme phénomène statistique,
comme étant l'observation d'un certain nombre de données (le
milieu par exemple), de variables (comme le taux de mortalité) :la
médecine devient « un élément pour le maintien
et le développement de la société »70(*),elle va prendre place dans un
système administratif ayant pour but le bien être et la
santé d'une population. Il s'agit de prendre en compte non plus la somme
des individus mais aussi la manière dont ils co-existent .A la fin du
XVIII ème siècle, les médecins étaient
pour une part des spécialistes de l'espace. Ils posaient les
problèmes fondamentaux : celui des emplacements (climats
régionaux, nature des sols, humidité et sécheresse...),
celui de la co-existence (soit des hommes entre eux, soit des hommes et des
choses), celui de l'habitat et celui des déplacements des hommes et de
la propagation des virus. Selon Foucault, ils ont été
« avec les militaires, les premiers gestionnaires de l'espace
collectif » ; « En fait, poursuit il, si
l'intervention des médecins a été si capitale à
l'époque, c'est qu'elle était appelée par tout un ensemble
de problèmes politiques et économiques
nouveaux »71(*)
.
II : UNE HISTOIRE DE LA MEDECINE SOCIALE:
Foucault a retenu trois étapes historiques du
passage d'une médecine individuelle à une médecine
collective et sociale, coïncidant dans nos sociétés avec
l'avènement du capitalisme et de la socialisation du corps : La
médecine d'Etat en Allemagne, la médecine urbaine en France et la
médecine de la force de travail ou « Health
Service » en Angleterre.
- La médecine d'Etat : Foucault note que
« le concept de Staatwissenschaft (science d'Etat) est un produit de
l'Allemagne »72(*).En Allemagne, au début du XVIII
ème siècle, s'est développée une
pratique médicale consacrée à l'amélioration de la
santé publique. Une série de programmes de police médicale
aux tâches diverses a été ainsi instaurée, touchant
aussi bien l'organisation du corps médical, que l'enseignement ou
l'hygiène au niveau de l'Etat. Selon Foucault, le médecin
dépasse son rôle de soigneur, de guérisseur pour endosser
la tenue d'« administrateur de
santé ».L'Allemagne est le véritable premier
modèle de médecine sociale, jamais égalé du point
de vue de l'organisation selon Foucault : « Depuis
l'implantation de la médecine étatique en Allemagne, aucun Etat
n'a osé proposer une médecine aussi clairement
bureaucratisée, collectivisée et
étatisée »73(*).
- La médecine urbaine : mise en place en France
à la fin du XVIII ème siècle,elle se
différencie de la médecine d'Etat allemande dans le sens
où ,d'après Foucault,elle n'agit pas sur les mêmes
endroits : « Cette médecine restait très
éloignée de la médecine d'Etat telle qu'on pouvait la
rencontrer en Allemagne,mais elle était beaucoup plus proche des petites
communautés comme les villes ou les quartiers »74(*).A partir de 1750, la
médecine se développe parallèlement aux structures
urbaines .De nombreuses mesures de quarantaine sont mises en place, par peur
des épidémies, notamment à Paris. Cette mesure drastique
représentait toutefois l'idéal politico- médical d'une
bonne organisation sanitaire des villes au XVIII éme
siècle. La médecine urbaine va se baser sur le même
état d'esprit que ces mesures de quarantaine, avec quelques
améliorations cependant : On ne parlera plus de quarantaine mais
d'hygiène publique. Les objectifs principaux de cette médecine
urbaine sont d'une part l'étude de zones sensibles pouvant
générer des épidémies, d'autre part le
contrôle de circulation de l'air et de l'eau. A cette époque, la
médecine entre ainsi en contact avec d'autres sciences comme la chimie
par exemple (notamment pour les analyses de l'eau et de l'air) : Selon
Foucault, la médecine s'inscrit alors dans un champ scientifique de
discours et de savoir dans une optique collective, sociale et urbaine.
L'hygiène publique va être surtout basée sur l'étude
et le contrôle du milieu et va contribuer au développement au XIX
ème siècle de la médecine scientifique :
« Une grande partie de la médecine scientifique du XIX
ème siècle trouve son origine dans l'expérience
de cette médecine urbaine qui s'est développée à la
fin du XVIII ème siècle. »75(*).
- Le « Health Service » en
Angleterre : L'objectif diffère ici de celui la France et de
l'Allemagne. Il prend un tournant radicalement social .Il va s'agir de ne
plus considérer le pauvre comme un élément menaçant
pour la santé publique. Le contrôle médical pour les plus
nécessiteux va en même temps permettre de préserver les
populations les plus aisées : « Ainsi les riches se
libéraient du risque d'être victimes de phénomènes
épidémiques issus de la classe
défavorisée »76(*).Fut alors mis en place le système de
« Health service » qui avait des missions de localisation
des lieux insalubres, la détection des épidémies et le
contrôle de la vaccination. Il s'agissait d'une forme de protection de la
santé de la population sans distinction : Les soins
n'étaient pas individualisés mais concernaient la population
toute entière.
Seule la « version anglaise » de la
médecine sociale a eu un impact important sur la médecine
à venir, contrairement aux deux autres modèles européens.
Elle a permis d'établir trois choses : l'assistance médicale
du pauvre, le contrôle de la santé de la force de travail et les
enquêtes générales sur la salubrité sociale. Le
système anglais rendit possible selon Foucault l'organisation d'une
médecine aux aspects et aux formes de pouvoirs différents.
III : LE FONCTIONNEMENT MODERNE DU POUVOIR ET DU
SAVOIR MEDICAL:
Foucault a poursuivi son étude de la
médecine sociale en s'interrogeant sur le problème du
fonctionnement moderne du savoir et du pouvoir médical. Celà fit
l'objet d'une autre conférence, toujours à Rio, sur le même
thème de la médecine sociale. Foucault prend l'exemple du plan
Beveridge en Angleterre, mis en place pendant la seconde guerre mondiale, comme
étant l'archétype de la prise en charge de la santé par
une société. Ce plan comporte plusieurs caractéristiques
intéressantes : d'abord, la prise en charge de la santé par
l'Etat (ce qui n'est pas nouveau comme nous venons de le voir). Ensuite le fait
que la santé entre dans le champ macro-économique et devienne une
source de dépense importante. Avec ce plan, c'est donc bien
l'idée, nouvelle celle-ci, d'un droit à la santé qui
apparaît : « Le concept de l'état au service
de l'individu en bonne santé se substitue au concept de l'individu en
bonne santé au service de l'Etat »77(*). Foucault constate ainsi
l'émergence d'une nouvelle « politique du corps »
dans les années 1940/1950 : le corps devient un des principaux
objectifs de l'intervention de l'Etat. Foucault parle de
« somatocratie »78(*) : « Nous vivons sous un régime
pour lequel l'une des finalités de l'intervention étatique est le
soin du corps, la santé corporelle, la relation entre médecine et
santé »79(*).Autres aspects de cette nouvelle prise en charge de
l'individu,le droit,tout à fait nouveau,d'être malade et
d'interrompre son travail pour raisons de santé.Foucault veut montrer
que « la médecine a toujours été
sociale » que « ce qui n'existe pas c'est la
médecine non sociale, individualiste, clinique »80(*).La montée de cette
préoccupation coïncide notamment avec ce que Jean-Claude Monod
nomme une « lente métamorphose des
valeurs » 81(*): le fait que le souci du corps a , d'une certaine
manière, remplacé le souci de l'âme dont se chargeait la
religion. Trois points importants ont été
développés au cours de cette conférence au
Brésil:
- La bio-histoire : selon Foucault, elle est
« la trace que peut laisser dans l'histoire de l'espèce
humaine la plus forte intervention médicale qui débute au
XVIII éme siècle. »82(*).Foucault constate que la
médecine tue et a toujours tué. Avant, la médecine tuait
à cause de l'ignorance du médecin, du fait que les connaissances
n'étaient pas encore ce qu'elles sont aujourd'hui. Au XX
éme siècle, les progrès sont
considérables et la médecine tue parce qu'elle est une
science. Foucault parle de « risque médical » ;
c'est à dire le lien entre les effets positifs et négatifs de la
médecine. Par exemple, si la découverte des anesthésiques
dans les années 1845/1847 représente indubitablement une
avancée médicale de qualité, elle a pourtant
été accompagnée d'une hausse de la mortalité et il
s'est avéré que, sans asepsie, que l'on anesthésie ou non,
toute opération peut se révéler dangereuse. Selon
Foucault, ces avancées qualitatives de l'individu furent
d'emblée vérifiables pour l'espèce humaine en
général.
- Le second phénomène caractéristique de
la médecine moderne est celui d'une médicalisation
indéfinie, c'est-à-dire « le fait que l'existence, la
conduite, le comportement, le corps humain s'intègrent à partir
du XVIII éme siècle dans un réseau de
médicalisation de plus en plus dense et important »83(*) .La médecine a
traditionnellement un domaine qui lui est propre, celui de répondre
à la douleur du malade et de circonscrire son champ d'activité
aux maladies. Au XX éme siècle, constate Foucault, la
médecine est allée bien au delà de son champ
d'action : la médecine s'impose à nous
d'autorité : « On n'embauche plus quelqu'un sans l'avis
du médecin qui examine autoritairement l'individu ».En outre,
les objets du domaine médical s'étend bien au delà des
maladies : elle s'occupe de sexualité ou d'hygiène par
exemple. La santé en général est devenue objet
d'intervention du médecin .Le rôle de l'Hôpital a
également évolué : celui ci est devenu un
« appareil de médicalisation collective »84(*).La médecine est ainsi
passée d'une pratique essentiellement individuelle à une pratique
presque exclusivement sociale. Selon Foucault, la médecine moderne est
caractérisée par le fait que très peu de domaines lui sont
maintenant étrangers : « On ne parvient pas à
sortir de la médicalisation (...) la prépondérance
conférée à la pathologie devient une forme
générale de régulation de la
société»85(*).Comme le note B.Cabestan dans l'ouvrage de
P.Artières et E.Da Silva Foucault et la médecine,
« Toute pratique est comme colonisée par le savoir
médical ».
- La question économique : c'est-à-dire
« l'intégration de l'amélioration de la santé,
des services de santé et de la consommation de santé dans le
développement économique des sociétés
privilégiées »86(*). Foucault constate que « la santé
est devenue comme un objet de consommation ».En effet, les hommes
produisent, à très grande échelle, des médicaments
que d'autres hommes consomment ensuite .Les sociétés occidentales
ont intégré dans la notion de développement
économique l'amélioration des services, et de la consommation de
produits de santé. On parle actuellement de « marché
de la santé » .Toutefois, Foucault constate que si au
niveau économique une hausse de la consommation induit une hausse du
niveau de vie, il n'en va pas de même pour la médecine : une
hausse de la consommation de produits de santé n'entraîne pas un
meilleur niveau de santé.
IV : UNE CRITIQUE DE LA MEDECINE
TRADITIONELLE :
Par le constat de cet ensemble de
phénomènes, Foucault a notamment voulu se démarquer des
mouvements anti-médecine, notamment celui d'Ivan Illich (voir pour cela
le titre de l'une des deux conférences de Rio : Une crise de la
médecine ou de l'anti-médecine).Pour Illich, la médecine
actuelle crée des nuisances au lieu de soigner : les indicateurs de
santé sont faux et privilégient l'individu malade au lieu de
mettre en lumière l'environnement pathogène autour de cet
individu. Selon Foucault, il n'y a selon lui pas de crise actuelle de la
médecine mais l'aboutissement d'un fonctionnement historique
débuté dés le XVIII ème siècle.
On ne doit ni rejeter en bloc la médecine et ses institutions (comme le
fait Illich), ni les accepter non plus : Celles-ci sont tellement
ancrées dans la société qu'il est impossible d'envisager
autre chose que leurs modifications, leurs évolutions. Cette
médicalisation progressive n'est pas dangereuse en elle-même,
Foucault n'ayant jamais considéré comme nuisible les
progrès de la médecine et l'amélioration des soins... En
revanche,on peut accréditer la thèse de Jean Claude Monod selon
laquelle Foucault trouverait anormal que des pays
sous-médicalisés ou sujets à de graves maladies
guérissables pourtant dans notre monde occidental,ne profiteraient pas
de ce « boum » de la médecine. Il nous faut
toutefois admettre que la médecine appartient à un ensemble de
systèmes, historiques, économiques ou encore un système de
pouvoir qui s'il n'est pas mieux maîtrisé à l'avenir
peuvent constituer un réel danger. Les grandes difficultés
rencontrées actuellement dans certaines branches de la
thérapeutique (clonage, bio-éthique...) peuvent en tout cas
donner crédit aux inquiétudes de Foucault. Dans « Les
grandes fonctions de la médecine dans notre
société », cité dans Dits et
écrits et datant de 1972, Foucault réagit violemment sur le
reproche fait à des élèves d'avoir flirté dans un
lycée de Corbeil et, surtout, sur un rapport du docteur J.Carpentier,
radié de l'ordre des médecins à cause d'un tract
intitulé « Apprenons à faire
l'amour ».Foucault s'interroge sur les raisons pour lesquelles le
corps médical a pu se sentir attaqué. Il nous donne de
précieux indices sur sa vision du corps médical, en dépit
du contexte houleux de cette affaire qui a peut être exacerbé son
sens critique. Foucault se démarque de ces « quatre ou cinq
grandes fonctions de la médecine traditionnelle »87(*) et déplore les faits
suivants :
- Que la médecine soit une pratique essentiellement
individuelle, un dialogue médecin-malade.
- Que la médecine soit devenue un facteur de
discrimination sociale et morale : il n'y a pas une mais plusieurs
sortes de médecines adaptées aux différentes classes de la
société.
- Que la médecine (essentiellement la médecine
psychiatrique) ait pour fonction principale de remplacer la religion en tant
que gardienne d'un certain ordre moral.
- Que la médecine juge de la normalité ou de
l'anormalité de tel ou tel acte : La médecine outrepasse sa
vocation originaire en se faisant aussi une instance judiciaire.
Outre ce constat d'une médecine en crise, Foucault
s'est intéressé à la manière dont la
médecine s'organisait à l'échelle de la
société, comment elle
s' « épanouissait » à l'hôpital et
comment celui ci était le véritable instrument de la
médecine sociale.
2 :L'hôpital, instrument de la
médecine sociale
I:LE PROBLEME DE L'HOPITAL
L'idée de l'hôpital naît au XVIII
ème siècle, autour de 1760 et suit de près une
volonté de contrôle social qui prend la forme d'une
médicalisation. Il s'agit dès le départ de contrôler
la propagation des maladies imputées à la pauvreté.
« Jusqu'au XVIII ème siècle, le personnage
idéal de l'hôpital n'était donc pas le malade, celui qu'il
fallait soigner, mais le pauvre, qui était déjà moribond.
Il s'agit d'une personne qui nécessite une assistance matérielle
et spirituelle, qui a besoin de recevoir les ultimes secours et les derniers
sacrements. C'était la fonction essentielle de
l'hôpital. »88(*) .L'hôpital affirme donc la volonté des
pouvoirs politiques et biomédicaux de juguler le
« désordre ».Ainsi, il s'inscrit dans un processus
de médicalisation, entendue ici comme une volonté disciplinaire.
La « discipline » et l'hôpital sont ainsi liés
par une relation essentielle. Cette "discipline" hospitalière
représente « le pouvoir de l'individualisation dont
l'instrument fondamental réside dans l'examen. L'examen, c'est la
surveillance permanente, classificatrice, qui permet de répartir les
individus, de les juger de les évaluer, de les localiser et, ainsi, de
les utiliser au maximum. »89(*) .L'hôpital va apparaître comme le maillon
essentiel de la médecine sociale comme l'a décrite Foucault. Dans
Naissance de la clinique, l'hôpital apparaît clairement
comme un lieu de savoir. Dans les Machines à guérir, il
en va tout autrement:l'émergence de la médecine moderne doit
avant tout passer par la remise en cause, en profondeur, des structures
hospitalières. L'hôpital du XVIII éme
siècle apparaît comme dépassé, obsolète,
à la limite de l'inutilité .Il est considéré
non comme une structure qui enrayerait le mal, mais comme continuant à
le propager à l'intérieur comme à l'extérieur de
lui, un « foyer de mort » peu en adéquation avec la
médicalisation de la population à cette époque. On songe
à le remplacer par la médecine à domicile, qui
coûterait moins cher, les dispensaires ou la famille elle même, qui
serait capable d'offrir des soins de nature plus personnalisée. De
nombreux projets visant à étendre la distribution de la
médecine de cette manière furent élaborés, dans un
mouvement généralisé de
« déshospitalisation ».Ces tentatives
échouèrent : c'est l'hôpital lui même qui va
entamer sa mutation et s'impliquer dans l'espace urbain. Ainsi, on proposa
à la fin du XVIII ème siècle de nombreux
projets architecturaux, qui devaient faire de l'hôpital un
« élément fondamental », une machine à
guérir, c'est à dire allant vers la rentabilité de
l'opération thérapeutique au détriment de l'assistance. Le
traitement de la maladie devient un choix politique, l'hôpital un
instrument de guérison, au profit d'une technique générale
de santé. On va parler, à propos de l'hôpital, d'un
équipement de santé. Ces réformes des hôpitaux
à la fin du XVIII ème siècle viennent en grande
partie de cette nouvelle vision de l'aide thérapeutique ,la prise en
compte de nouveaux facteurs comme la quantification des besoins médicaux
ou l'apparition de la population comme nouveau lieu de savoir médical.
Cette réforme va d'abord être architecturale,
« physique » nous dit Foucault 90(*).L'incendie de l'Hôtel
Dieu en 1772 n'aurait pu être qu'un accident parmi d'autres, les
incendies et autres accidents de ce type étant légion à
cette époque,mais il fut à la base d'une totale
redéfinition de l'architecture hospitalière traditionnelle. De
1772 à 1788 on proposa plus de deux cents plans de réforme :
Fallait il reconstruire l'Hôtel Dieu tel qu'il était ou innover
totalement ? En 1788, on proposa la construction de quatre hôpitaux
à sa place. Le projet échoua finalement. Plusieurs traits communs
de spatialisation caractérisent ces projets : d'une part la
création d'entités médicales spécialisées
par type de maladie (les hôpitaux spécialisés) et par
individu malade (lits individuels, ce qui ne va pas de soi à cette
époque) : On adapte les espaces aux malades. D'autre part,
l'émergence des structures dites pavillonnaires, c'est à dire la
séparation à l'intérieur même du bâtiment
hospitalier en unités indépendantes. Deux typologies
architecturales dominent l'ensemble de ces propositions :le modèle
pavillonnaire (c'est à dire l'idée d'un morcellement de la
structure hospitalière ) et le modèle panoptique
(« donner la facilité de tout voir d'un seul point et
d'arriver à tout dans le moindre espace de temps
possible »91(*)).Le modèle panoptique semblait ainsi offrir le
meilleur moyen de contrôle possible par l'unité et la liaison
entres les structures intra-hospitalières ,ce que le modèle
pavillonnaire semblait moins apte à offrir. C'est finalement le projet
du médecin Jacques Tenon qui sera retenu, un modèle
inspiré de l'infirmerie royale Stone house à Plymouth, une
architecture dite « ventilée » où
semble absente toute volonté de contrôle direct, tant il semble
morcelé (voir illustration).A partir de 1788, l'affaire est
entendue : La distribution architecturale qu'adoptera le XIX
ème siècle sera celle de longs pavillons
parallèles agencés symétriquement. Ce type d'architecture,
d'apparence assez austère et disgracieux répondait à des
exigences autres qu'esthétiques .Ce que Foucault montre à
travers cette question c'est la dimension prise par les conséquences de
cet incendie somme toute banal : L'incendie qui embrasa les
bâtiments de l'Hôtel-Dieu la nuit du 29 décembre 1772
déclenche une prise de conscience, dans les milieux politiques et
médicaux, de l'état déplorable de l'hygiène
hospitalière .L'hôpital devient l'affaire de l'Etat, son espace
une préoccupation nationale et la « nouvelle distribution des
chances de guérison » :l'hôpital devient un
équipement, un instrument de guérison de service public, puisque
nous passons à cette même époque, d'une médecine
individualisée et essentiellement privée à une
médecine collective et publique .
fig. 1:Le modèle Tenon (1788)
II : L'ARCHEOLOGIE DES MACHINES A GUERIR:
A l'occasion d'une autre conférence
prononcée en octobre 1974,toujours à Rio et toujours sur le
thème de la médecine sociale,Foucault s'est interrogé sur
ce moment crucial où l'on considère désormais
l'hôpital comme un instrument capable de dispenser des soins à des
malades. Il propose, en quelque sorte, une
« archéologie » des machines à guérir.
Tout débute aux alentours de 1760, au moment où s'instaure une
nouvelle pratique, la visite des hôpitaux, qui a principalement pour
tâche principalement d'aboutir à un programme de réformes
de l'institution médicale. Des médecins comme Howard, entre
autres, vont ainsi rendre compte de l'hygiène, du nombre de lits, et,
par l'intermédiaire de la statistique, du taux de mortalité et de
natalité et constater que l'hôpital agit sur les maladies. On se
propose alors de déterminer précisément les relations
entre les maladies et l'hygiène à l'hôpital :
« C'est ainsi qu'apparut une nouvelle façon de voir
l'hôpital, considéré comme un mécanisme devant
soigner et pour cela devant d'abord corriger les effets pathologiques qu'il
pouvait produire »92(*) . Foucault soutient donc l'idée que la
fonction de l'hôpital en tant que structure de soins est assez
nouvelle : à la base, il n'était pas du tout fait pour
celà. Au Moyen Age, la médecine était loin d'être
une profession hospitalière, c'était plutôt une initiative
d'assistance à la misère et à la pauvreté. Le
pauvre est, rappelons le, « une personne qui nécessite une
assistance matérielle et spirituelle, qui a besoin de recevoir les
ultimes secours et les derniers sacrements. C'était là la
fonction essentielle de l'hôpital »93(*) .Le personnel hospitalier
était en grande majorité constitué par des religieux et
non par des médecins. La pratique médicale de cette époque
ne se rencontre donc pas du tout à l'hôpital : La
médecine est essentiellement individualisante : l'expérience
hospitalière ne rentrait pas dans l'expérience du
médecin : « En conséquence, jusqu'au milieu du
XVIII éme siècle, l'hôpital et la
médecine restent deux domaines
séparés. »94(*) .Restait, pour Foucault, à comprendre les
conditions d'émergence de la réforme hospitalière qui
s'opère à cette époque. On a d'abord cherché
à gommer les défauts de l'hôpital, c'est-à-dire les
pathologies qu'il pouvait lui-même engendrer. Le point de départ
se trouve dans le cadre de l'hôpital militaire et dans celui de
l'hôpital maritime, soit dans un cadre autre que celui du civil,
grâce à l'apparition de la notion de discipline. La
réorganisation de l'hôpital va donc se faire non pas
d'après une base médico-scientifique mais bien politique :
« La discipline est une technique d'exercice du pouvoir qui n'a pas
été, à proprement parler, inventée, mais
plutôt élaborée au XVIII ème
siècle »95(*).En effet, si les mécanismes disciplinaires
datent de la nuit des temps, l'utilisation de ces mécanismes à
des fins de contrôle et de gestion du comportement humain est en revanche
tout à fait nouvelle. L'introduction de la discipline à
l'hôpital implique plusieurs choses :
- Une nouvelle répartition spatiale des
individus : on place les individus dans un soucis d'optimisation de leur
efficacité (comme c'est notamment le cas à l'école et
à l'armée) : « La discipline est avant tout une
analyse de l'espace : C'est l'individualisation par
l'espace »96(*)
.
- Le développement d'un art du corps humain :
c'est-à-dire déterminer les mouvements les plus efficaces
à allouer à telle ou telle tâche
- Une surveillance continuelle des individus (comme nous
l'avons vu à propos des problèmes architecturaux lors de la
réforme hospitalière d'après l'incendie de l'Hôtel
Dieu et comme nous le verrons aussi à propos du pouvoir
psychiatrique)
- Un rapport constant sur l'individu, par divers moyens
(annotations, écriture...) : « Aucun détail
n'échappe au sommet de la hiérarchie ».97(*)
Foucault définit ainsi la discipline : Elle est
« l'ensemble des techniques en vertu desquelles les systèmes
de pouvoir ont pour objectif et résultat la singularisation des
individus »98(*).Introduite dans le domaine hospitalier, la discipline
va ainsi permettre la médicalisation de ce dernier. Toutefois, la
discipline s'accompagne d'un autre facteur, à savoir la transformation
du savoir médical qui va de plus en plus s'orienter vers une
étude sur le milieu et de son interaction avec l'individu. C'est ainsi
l'action conjuguée de ces deux phénomènes qui va donner
naissance à « l'hôpital
médical »99(*) .
III:QUELLES CARACTERISTIQUES POUR L'HOPITAL
MEDICAL ?
La première caractéristique importante de
cet hôpital qui a enfin pris sa valeur médicale est l'importance
accordée à la question de l'espace, et ce à deux
niveaux :
- Savoir, dans un premier temps, où situer
l'hôpital ; décision qui sera prise au final en fonction de
la manière dont va s'organiser l'espace urbain
- Construire un milieu adéquat autour du malade, un
« petit espace individuel, spécifique, modifiable selon le
patient, la maladie et son évolution »100(*), ajouté à la
possibilité de modifier le milieu ambiant (actions sur la
température, le taux d'humidité par exemple).
Seconde caractéristique, le changement dans la
gestion et l'organisation administrative de l'hôpital : avant,
le pouvoir était détenu, principalement, par le pouvoir
religieux. Le médecin n'était réellement appelé
qu'en cas d'urgence et dépendait administrativement du personnel
religieux, véritable gestionnaire de l'hôpital. Au moment
où l'on réorganise l'espace hospitalier, c'est le médecin
qui en devient le principal responsable. Sa présence à
l'hôpital devient de plus en plus importante : « La
présence du médecin dans l'hôpital se réaffirme et
s'intensifie » note Foucault.101(*)
Dernière caractéristique et non des moindres car
c'est elle que l'on va retrouver ultérieurement, plus
spécifiquement lorsque Foucault s'interrogera sur cette discipline
particulière qu'est la psychiatrie et la manière dont elle
s'exerce, le système de contrôle et de surveillance permanent,
à tous les niveaux de l'organisation hospitalière, notamment par
la constitution d'archives documentaires qui aboutiront à la formation
d'une toute nouvelle forme de savoir médical. L'hôpital
apparaît ainsi comme « un lieu de transmission du
savoir »102(*)
et l'individu comme « un objet du savoir et de la pratique
médicale »103(*) .
3 : La folie devient objet médical :
La naissance de l'asile :
I : UNE HISTOIRE DE L'INSTITUTION
PSYCHIATRIQUE ?
Foucault a commencé la rédaction
d'Histoire de la folie en 1955 pour l'achever quasiment en 1958,
durant son séjour à Uppsala en Suède en tant que
détaché de l'éducation nationale pour les affaires
étrangères et lecteur de français à
l'université d'Uppsala. Ce séjour sera donc marqué, sur le
plan professionnel, par ses nombreuses activités officielles, mais aussi
consacré à la rédaction de sa thèse. Avec
Maladie mentale et personnalité, Foucault avait voulu cerner ce
qu'était l'aliénation d'un point de vue psychiatrique et sa
critique était fortement marquée par le marxisme. Lorsqu'il
travaillait à l'hôpital psychiatrique, de nombreux médecins
lui avaient proposé d'écrire une histoire de leur
profession ; Foucault, lui, était plus intéressé par
les fous que par les médecins, par l'objet de cette discipline plus que
par la discipline elle-même, la folie, ou plutôt par le rapport
entre la raison et la folie qui se traduira à l'époque moderne
par le rapport médecin - patient. C'est en grande partie dans la
très fournie bibliothèque de l'université d'Uppsala que
Foucault va collecter la grande partie du fonds documentaire de son ouvrage. Il
y trouvera un grand nombre de lettres de manuscrits et d'archives
médicaux .Il envisagea même un temps de soutenir sa thèse
en Suède, mais elle sera refusée par le titulaire de la chaire
d'histoire des sciences de l'université qui trouva l'ouvrage trop
« alambiqué ». Toutefois il n'est pas exclu non plus
que son travail n'ait pas été entièrement
réalisé en « exil » mais aussi à
Paris, à la bibliothèque de l'hôpital St-Anne ou à
la bibliothèque nationale. Foucault devra ainsi attendre plusieurs
années avant de soutenir son travail qui, s'il est terminé du
point de vue de la recherche, reste néanmoins perfectible sur le plan de
la rédaction. Il retourne en France en 1960.A cette époque son
livre est terminé et le titre définitif en sera Folie et
déraison. Histoire de la folie à l'âge classique ,un
titre qui ne fut pas la première idée de Foucault (l'ouvrage
aurait pu se nommer l'autre tour de la folie).Cet ouvrage est donc
d'abord le travail d'un universitaire:la somme de documents et d'archives y est
impressionnante comme le constate le rapporteur de sa thèse ,Georges
Canguilhem : « Quant à la documentation, M.Foucault a lu
et revu (...) une quantité considérable
d'archives ».L'importance de l'auteur du Normal et du
pathologique n'est pas négligeable dans la publication et l'impact
futur de l'ouvrage. La présence de ce grand personnage de la philosophie
des sciences tout au long de la genèse de l'ouvrage, si elle fut plus
souterraine que directe aida Foucault dans la diffusion de sa thèse et
à obtenir un impact certain, comme nous le verrons, dans divers cercles
médicaux et philosophiques.
La première préface d'Histoire de la
folie exprime l'ambition philosophique et critique de l'ouvrage mais sera
supprimée définitivement en 1972, dans la seconde édition.
C'est cette préface qui donne le meilleur aperçu du projet de
Foucault. Elle commence par une citation de Pascal : « les
hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou par un
autre tour de folie de n'être pas fou »104(*) : Il faut faire
l'histoire de cet « autre tour de folie », ce moment dans
la pensée occidentale où les hommes vont se retrouver dans le
langage de la « raison souveraine »105(*), c'est à dire le
moment précis où va changer la perception de la folie à
l'intérieur de nos sociétés. La démarche de
Foucault a donc ceci d'intéressant qu'étant lui-même
censé être du côté de la rationalité, de la
philosophie, il décide d'écrire ce livre sur la folie...Il faut
« retrouver le moment de cette conjuration, avant qu'elle n'ait
été définitivement établie dans le règne de
la vérité »106(*).Foucault nous invite ici à revenir à
une sorte d'expérience primordiale de la folie, en en réduisant
les vérités délivrées par le savoir positif. Il
faut « renoncer aux confort des vérités
terminales »107(*) : Il faut se défendre d'utiliser
l'arsenal de concepts qui régit la psychopathologie de son époque
afin de mieux entrevoir une expérience primaire. Celle-ci ne serait pas
une expérience de la folie elle même mais l'histoire d'un moment
trouble et saisissant, celui de la césure qui va établir le
partage entre raison et non raison. C'est à partir de ce point seulement
qu'ont pu se constituer des vérités positives sur la
folie et se constituer la folie comme maladie mentale. Foucault va tenter
de ressaisir un « noeud » historique sur lequel ensuite
vont pouvoir s'organiser les discours positifs de la psychiatrie .Le ton est
ici emprunté à la phénoménologie de Merleau-Ponty
qui parlait, en deçà des discours positifs, d'une
expérience « primaire de la peinture ». Pour
ressaisir le sens primordial de cette expérience, il convient de se
débarrasser de toutes les catégories médicales dans
lesquelles la folie a été enfermée. Le fou emmuré
dans des définitions positives ne peut plus parler avec l'homme de
raison : « De langage commun il n'y en a pas ; ou
plutôt il n'y en a plus : la constatation de la folie comme maladie
mentale (...) dresse le constat d'un dialogue rompu »108(*).Le langage est ici du seul
côté de la raison et non plus, sous une forme différente,
aussi du côté de la folie. La folie n'a pas toujours
été muette mais elle a été réduite au
silence, forcée de se taire par la raison : « Le langage
de la psychiatrie, qui est monologue de la raison sur la folie n'a pu
s'établir que sur un tel silence »109(*). Une phrase, plus
particulièrement, définit le projet de Foucault :
« je n'ai pas voulu faire l'histoire de ce langage mais plutôt
l'archéologie de ce silence » 110(*): faire l'archéologie
de ce silence c'est réunir un certain nombre d'indices, de fouiller les
archives de toute la culture occidentale pour trouver le point précis de
ce tournant dans nos civilisations : « l'homme européen
depuis le fond du Moyen Age a rapport à quelque chose qu'il nomme
confusément Folie démence,
déraison... »111(*). C'est sur ce nouveau contexte culturel original qui
va esquisser la radicale altérité entre raison et folie et va se
développer progressivement, que Foucault développe son analyse.
Il semble penser qu'il existe quelque chose comme un pur état de la
folie, un quelque chose que ces diverses formes culturelles chercheraient
à cacher, à enfouir. L'histoire de la folie va être, en
outre, l'histoire de limites, une « histoire de limites, de ces
gestes obscurs (...) par lesquels une culture rejette ce qui n'est pas
elle. »112(*).Foucault aurait pu faire une histoire de la
psychiatrie qui soit comme la plupart des histoires de la médecine, une
galerie de portraits de nombreux personnages centraux de la discipline (Pinel,
Tuke ...).Au contraire, cette histoire est celle d'un objet intemporel,
difficile à manier, vaste et dont la perception est très
changeante au cours du temps. Ce qui intéresse Foucault ce n'est pas de
décrire une série d'événements fondateurs de la
psychiatrie mais bien ses conditions d'apparition à un moment
donné, ce qui fait que ,à un moment donné ,on ait,
dans nos sociétés, cette perception et pas une autre. Il va
s'agir d'étudier l'agencement des différentes formes d'indices,
de reconstituer les bases d'un changement de mentalité. La
démarche reste historique en ce qu'elle se base sur un ensemble de faits
et qu'elle suit une évolution horizontale, linéaire mais elle
est, à un autre niveau, la reconstitution de la mise en ouvre du partage
raison/déraison, reconstitution sur le mode vertical dans le sens
où Foucault repère les choix constitutifs d'une
société face à ce qui n'est pas elle.
Histoire de la folie est donc une histoire positive
du passage de la « folie » à la maladie mentale,
tout en étant cependant un effort pour redonner la parole à la
folie, réduite au silence par les structures aliénantes de
l'internement.
II : DE L'AGE CLASSIQUE A LA GRANDE PEUR:
L'Histoire de la folie à l'âge
classique permet de nous renseigner de manière précise sur
ce que Foucault considère comme un tournant de la prise en compte de la
folie à l'intérieur des sociétés. L'âge
classique avait consacré la folie comme déraison, comme le
contraire absolu de la raison. La Renaissance avait donné la parole
à la folie et aux fous (littérairement avec Erasme, picturalement
avec Bosch notamment), ceux-ci étant devenus des personnages majeurs de
la littérature et de l'art du XV ème au XVII
ème siècle car symbolisant un autre
« nous » qui fait peur, la source de tous les
défauts humains. Cette vision se fane à l'âge classique qui
la réduit au silence et ne la perçoit plus que comme un
écart par rapport à une norme sociale comme la pauvreté et
la misère. La folie est exclue de la vie intellectuelle ou bien ne
survit qu'à travers quelques chefs d'oeuvre de Goya ou Sade. La
voilà reléguée au statut purement négatif de
déraison. Le renversement est donc total .Jean Claude Monod dans
son petit ouvrage consacré à l'étude des institutions et
du juridique dans l'oeuvre de Foucault (La police des conduites) parle
d'un « basculement qui s'opère,de l'altérité
à l'aliénation »113(*) .Altérité dans le sens où
la folie était mise sur un pied d'égalité avec la
raison,et se présentait comme autre
vérité ;aliénation car la déraison devient une
nature amputée de la raison,enfermée dans une
détermination normative,sociale au même titre que les homosexuels
et autres dépravés. Ce nouveau statut de la folie au milieu du
XVII ème siècle accompagne un changement
décisif des institutions dans son traitement. La création de
l'Hôpital Général à Paris, en 1656, marque pour
Foucault le début de l'ère du grand renfermement qui est
« la structure la plus visible dans l'expérience classique de
la folie »114(*).Jean-Claude Monod note que l'Hôpital
Général est d'abord,au même titre que d'autres structures
du même acabit qui apparaissent en Europe à la même
époque,une institution répondant à de nouveaux besoins
matériels comme le manque de main d'oeuvre et la nécessité
de remettre au travail une certaine catégorie de population,mais qu'elle
est aussi pour Foucault une « transformation de la pensée
même de la folie »115(*). Le XVIII ème siècle
invente pour Foucault l'espace de l'internement. Désormais, on enferme
les fous aux côtés des délinquants, mendiants et autres
marginaux dans des espaces visant le plus souvent à corriger, à
redresser ,en vue de remettre au travail , ceux qui apparaissent comme une
charge pour la société. La folie est réduite à la
déraison dans le sens où elle devient une inadaptation à
certaines valeurs, à certains comportements sociaux conformes à
la pensée classique. Toutefois cette forme d'internement, loin d'avoir
encore une quelconque portée médicale ou thérapeutique,
poursuit un but moralisateur et normatif. Le fou n'est plus pensé que
sous un angle moral .La folie n'est plus ce qui fascine ou intrigue mais
bien ce qui fait scandale et trouble l'ordre public. C'est le sentiment
objectif, à la fois moral et économique, qui prévaut.
L'enfermement du fou au XVII ème siècle n'est en aucun
cas le pressentiment de son internement thérapeutique : le fou fait
honte à toute sa famille et à la société toute
entière. La folie n'est plus cet objet cauchemardesque de nos
imaginations, mais est devenue ce qui scandalise notre conscience morale et ce
qui nous choque comme dégénérescence de la raison.
C'est au milieu du XVIII ème
siècle que Foucault constate le surgissement du médecin dans les
structures d'internement propres à l'âge classique. Les raisons de
cette brusque apparition ne sont cependant pas à chercher dans le besoin
d'une intervention thérapeutique. Ce n'est pas pour soigner le fou
brusquement identifié comme malade que ce besoin se fit sentir. C'est
dans le chapitre « La grande peur » que Foucault nous
enseigne que c'est dans la crainte des épidémies que s'installe
à cette époque « un mal assez mystérieux qui se
répandrait (...) à partir des maisons d'internement. (...) on
parle de fièvres des prisons. »116(*). Cette fièvre des
prisons sonne comme une sorte de retour au Moyen Age, au temps de la
lèpre. Ressurgissent ainsi les vieux démons de l'imaginaire
collectif, une sorte de nouvelle lèpre qui revêtirait des aspects
non seulement physiques mais aussi moraux, selon Foucault « aussi
bien la corruption des moeurs que la décomposition de la
chair »117(*),
comme un phénomène de pourriture ambiante. Ainsi, le premier
contact de la folie avec le monde médical ne s'est pas fait sous la
pression d'une quelconque sollicitude, mais dans l'urgence de cette
« grande peur » collective : « C'est donc
dans le fantastique, non dans la rigueur de la pensée médicale,
que la déraison affronte la maladie et s'en rapproche »
constate Foucault. Ce rapprochement ne se fait pas à l'occasion d'un
progrès ou d'une découverte conceptuels mais dans la
réactivation d'un imaginaire ancestral, celui de la contagion. Cette
résurgence de figures terrifiantes s'inscrit en parallèle avec
une crainte spécifique de la folie ;on parle d'une
« multiplication des maladies de nerfs ».On ne critique
plus explicitement l'internement du fou mais le fait que les gens de raison
soient mêlés et enfermés avec les fous :
« la folie apparaît finalement comme la seule raison d'un
internement dont elle symbolise la profonde déraison ».D'un
autre côté, toute une réflexion économique et
sociale, inspirée des idéaux révolutionnaires ,conclut
à l'obsolescence d'un encadrement de la pauvreté, de la
misère par l'internement (mais cela ne vaut pas, bien entendu , pour les
fous).Ainsi privé de ses relations avec le monde de la misère
(les mendiants, les chômeurs) et de la morale (les libertins),le fou se
retrouve dans une position nouvelle. Ces mesures d'internement sont
balayées comme symboles de l'Ancien Régime et d'une certaine
forme de despotisme en contradiction avec ses idéaux. Les fous se
retrouvent désormais seuls internés, la médicalisation de
la folie devient alors possible : «...on voit comment a
fonctionné au XVIII ème siècle la critique
politique de l'internement. Pas du tout dans le sens d'une libération
(...) au contraire, elle a lié plus solidement que jamais la folie
à l'internement »118(*).
III : LE TOURNANT DU XIX è SIECLE :
La généralisation de l'enfermement va donc
disparaître à la Révolution. C'est d'abord une certaine
indécision qui se fait jour : où donc placer le
fou ? : « La disparition de l'internement laisse la folie
sans point d'insertion précis dans l'espace social »119(*).De plus, en cette
période de troubles, aucun lieu ne semble se prêter à leur
regroupement : « les hôpitaux pour aliénés
n'existent toujours pas ».Dans le chapitre « du bon usage
de la liberté »120(*), Foucault note l'apparition d'un nouvel espace
spécifique d'internement, avec de nouvelles structures plus
spécialement adaptées. Il serait donc vain d'après
Foucault de chercher une date précise de l'avènement de la folie
comme savoir positif. C'est parce que le fou nécessite une assistance
publique d'une part et la présence de structures le maintenant loin de
la société d'autre part, que cette nouvelle forme d'internement
émerge à cet instant précis. C'est pourquoi l'on va
conserver la pratique de l'internement tout en lui assignant cette fois une
dimension médicale et thérapeutique. C'est toute cette
synthèse de l'âge classique qui va progressivement constituer la
possibilité historique de ce traitement particulier de la folie :
« Enfermer les fous c'est essentiellement prémunir la
société contre le péril qu'ils
représentent »121(*).On présente cet internement comme technique
de désaliénation : on va guérir le fou, lui redonner
une vérité perdue, sa vraie nature. En tout cas c'est comme tel
qu'est présenté l'asile... Ainsi va se réaliser une
progressive médicalisation de l'espace d'internement, qui va devenir le
véritable lieu d'affrontement entre la folie et l'objectivité
positive du regard médical : « Voilà la folie
offerte aux regards »122(*) constate Foucault. Cette médicalisation va
ainsi permettre d'interpréter la folie comme maladie mentale. La folie
va se retrouver à nouveau enfermée dans une définition
univoque établie depuis le seul regard objectif du médecin :
« l'internement a pris ses lettres de noblesse médicale, il
est devenu lieu de la guérison »123(*) .Il n'y a toutefois pas eu
non plus de découverte subite, immédiate de la folie en tant que
maladie ; elle n'a pas non plus conquis sa liberté en quittant les
prisons pour être soignée dans un endroit spécialement
aménagé pour elle. Pour Foucault, on a d'emblée
imposé cette image médicale à la folie ; seul le sens
de l'internement a apparemment changé : on n'enferme plus pour
corriger une erreur, mais pour soigner une maladie, établir une
thérapeutique : « le statut d'objet sera imposé
d'entrée de jeu à tout individu reconnu
aliéné ; l'aliénation sera déposée
comme une vérité secrète au coeur de toute connaissance
objective de l'homme »124(*).
Foucault a noté dans sa préface à
l'Histoire de la folie que les histoires de la médecine sont
souvent l'occasion de mythifier voir de déifier certains personnages
importants, dont on faisait le plus souvent de flatteuses biographies. La
psychiatrie ne fait pas exception à la règle et deux mythes
subsistent particulièrement parmi les spécialistes : celui
de Philippe Pinel d'une part et celui des réformateurs anglais, des
« quakers » emmenés par Tuke. Tous deux illustrent
une seule et même perception du nouveau traitement de la folie comme
maladie mentale : « cet âge heureux où la folie est
enfin reconnue et traitée selon une vérité à
laquelle on est trop longtemps restée aveugle »125(*).Pinel est l'exemple le plus
parlant pour nous Français .En 1793, décision est prise
d'ôter leurs chaînes aux aliénés de l'hôpital
Bicêtre à Paris par Pinel, considéré comme
l'illustre ancêtre de la psychiatrie. Cet événement
coïncidant avec les mouvements révolutionnaires en France à
cette époque, on eut tôt fait d'assimiler ce mouvement de
« libération » des fous à une
libération de la folie. Selon Foucault, tout cela relève d'une
relecture un peu rapide de la réalité : « C'est
bien de ce mythe qu'il faut parler lorsqu'on fait passer (...) pour
libération d'une vérité ce qui n'est que reconstitution
d'une morale »126(*).Ce geste ,apparemment plein de grandeur
d'âme et d'altruisme, ne correspond en rien, comme la plupart des
historiens de la médecine l'avancent , à une continuité
des idéaux révolutionnaires ou à un retour à la
folie « bavarde » de la Renaissance. Sans doute, Pinel
a-t-il délivré les fous de leurs chaînes mais dans la
mouvance d'un processus prolongé, à la suite d'une pratique dont
on usait déjà en Angleterre, à la suite également
de son surveillant, Pussin, qui avait entamé ce processus bien avant
l'arrivée de Pinel à Bicêtre (voir sur le sujet
« Pinel, père fondateur, mythes et
réalité » ; Gourevitch, Evolution psychiatrique 56 - 3,
1991, P 595 à 602). Ainsi, l'image de ce père fondateur se
dégrade-t-elle quelque peu. Elle se dégrade plus encore avec H.
Ey pour lequel le héros livre les fous à la loi mais
également conforte le traitement moral de la folie (traitement moral qui
n'est pas tout à fait, nous le verrons, le simple maniement du transfert
individuel ou institutionnel).Avec Foucault, le grand homme est comme
précipité aux enfers car, selon lui, commence avec Pinel
l'apothéose du personnage médical dont la figure reste
thaumaturgique et magique. « Le savoir de ce médecin n'est pas
objectif : c'est une chosification d'ombres magiques »127(*).D'autre part, Foucault a
relevé, lui aussi, que Pinel supprime peut-être la
persécution des fous, mais au prix de les murer dans le silence et de
les verrouiller dans la morale. Le geste pinelien signifie donc tout autre
chose : si le fou semble libéré de ses chaînes, il est
maintenant asservi au regard du médecin. « Oter leurs
chaînes aux aliénés, c'est leur ouvrir le domaine d'une
liberté qui sera en même temps celui d'une vérification
(...) c'est constituer un champ asilaire pur »128(*) ,c'est à dire,
libérer en apparence les fous pour mieux les surveiller, les enfermer
dans une autre image, une autre détermination ,celle d'une
positivité, d'une objectivité médicale dans le cadre de
l'asile .Dans son cours sur le pouvoir psychiatrique, Foucault
dénonce une nouvelle fois le mythe Pinel comme scène fondatrice
de la psychiatrie en lui préférant la scène de folie du
roi d'Angleterre Georges III :avec Pinel il s'agissait d'établir un
rapport entre le libérateur et les libérés sous la forme
d'une dette de reconnaissance envers les libérateurs, par
l'obéissance et l'assujettissement d'une part, mais aussi par la
guérison qui devra découler de cette
obéissance : « Nous voyons que (...) cette
scène de la délivrance ,bien sûr ,on le sait, ce n'est pas
exactement une scène d'humanisme. »129(*). Cette objectivité
médicale qui légitime en apparence le mythe Pinel ne sera pas un
pur espace de diagnostic et de thérapeutique, mais aussi le lieu d'un
traitement moral : « l'asile de l'âge positiviste, tel
qu'on a fait gloire à Pinel de l'avoir fondé, n'est pas un libre
domaine d'observation et de thérapeutique, c'est un espace judiciaire
(...) dont on ne se libère (...) que par le repentir. La folie est (...)
pour longtemps emprisonnée dans un monde moral »130(*).Pour Tuke, il en va un peu
différemment dans la forme, même si le sens de l'internement est
quasiment le même : à la « Retraite », le
malade était traité selon une structure hiérarchique
basée sur l'idée d'une grande famille. Ainsi c'est en
recréant, en quelque sorte, un milieu naturel, à l'écart
de cette société, que l'on comptait rendre son équilibre
au fou, tout cela sous le joug d'un contrôle religieux très
strict. A première vue, d'ailleurs, la grande différence entre
Pinel et Tuke se situe dans cet emploi par le second de la religion. En
réalité, chez Pinel, c'est le contenu moral de la religion et non
sa forme imaginaire qui a été utilisé, accompagné
des valeurs dominantes du travail et de la famille. En tout cas,que ce soit
chez Pinel ou chez Tuke,Foucault constate que l'aliénation est devenue
nature inverse de l'homme et véritable nature de la folie :
« L'internement avait crée un état
d'aliénation,qui n'existait que du dehors,pour ceux qui internaient ,et
ne reconnaissaient l'aliéné que comme Etranger ou
Animal ;Pinel et Tuke (...) ont intériorisé
l'aliénation,(...) l'ont délimitée comme distance du fou
à lui-même,et par là l'ont constituée comme
mythe »131(*).
Foucault ajoute « Tuke et Pinel (...) n'ont pas introduit une
science, mais un personnage dont les pouvoirs n'empruntaient à ce savoir
que les déguisements »132(*).Pinel et Tuke n'étaient ni psychiatres, ni
médecins et ne fondaient leur légitimité sur aucun
diagnostic médical, ni sur une définition objective de la maladie
mentale, mais bien sur des mécanismes d'inspiration religieuse :
famille, autorité, châtiment, amour, pardon... Le paradoxe
réside dans le fait qu'au moment où l'on arrivait à cette
appréhension là de la folie, la médecine mettait en place,
doucement, sa positivité. L'âge moderne va ainsi se
révéler être l'apogée du personnage médical
et de la structure asilaire.
C'est à la lecture du chapitre IV de la
troisième partie d'Histoire de la folie que s'est
constitué l'essentiel des polémiques à venir autour de
l'ouvrage, tout en servant de base, de terreau aux travaux ultérieurs
sur le pouvoir psychiatrique.
« Libérée » de son horizon de
délinquance, la folie est susceptible d'être guérie dans ce
lieu de « liberté en cage » où on lui
applique le savoir psychiatrique : l'asile. Comme nous l'avons vu, la
semi-liberté des fous dans les asiles est justifiée par la valeur
thérapeutique de ce type d'internement La transformation de la maison
d'internement en asile, la valorisation de celui-ci comme un lieu de
guérison constituent en fait une manière de renforcer
l'internement, de substituer l'autorité et le jugement moral à la
simple répression. Foucault a vu dans l'étude des archives qu'il
a eues à sa disposition, chez Tuke comme chez Pinel un
développement analogue des traitements de la folie, finalement
très proche du traitement des criminels. Une forme de
« traitement moral » : ce traitement repose sur une
démarche médicale qui décrit, classe les symptômes
et propose ensuite l'internement dans des lieux spécifiques, les asiles.
L'opinion généralement admise veut que ces asiles
préservent le patient des évènements extérieurs,
notamment de leur famille et de leurs relations sociales qui pourraient
constituer un élément perturbateur. L'ensemble des règles
de vie y serait pensé de manière à offrir des
repères aux patients et à réduire leurs symptômes.
Toute l'opération thérapeutique dans les premiers asiles va au
contraire consister, d'après Foucault, en un processus de
« culpabilisation » au caractère normalisateur. Le
fou doit prendre conscience de son état, voir sa propre
vérité se révéler à lui. Le fou doit
ressentir sa folie, son délire comme une faute voire une anomalie :
« Tuke a crée un asile où il a substitué
à la terreur libre de la folie l'angoisse close de la
responsabilité. »133(*).Foucault met l'accent sur la nécessité
pour le fou d'accepter sa culpabilité et sa responsabilité quant
à son état. Vont alors, en conséquence, se dessiner
à l'intérieur de l'asile, de nouveaux dispositifs institutionnels
basés sur une hiérarchie au bas de laquelle on trouve le fou,
bien entendu. Puisque le malade est tenu pour responsable de son état,
l'intervention thérapeutique sous forme de châtiment devient alors
le mode de traitement classique : « Le fou devient objet de
châtiment toujours offert à lui même et à
l'autre »134(*).Tout cela dans le but de susciter chez le fou un
état de souffrance qui lui permettrait, à terme, d'abandonner les
manifestations délirantes de sa folie. Ainsi le patient, d'abord
observé et soumis au jugement perpétuel du personnel asilaire qui
l'entoure et puni par le gardien, devra être amené lui même
à prendre conscience de sa souffrance pour le mener à terme
à se juger et à se punir lui même. Foucault examine, chez
Tuke notamment, les formes de ce traitement. Il en dégage un certain
nombre d'aspects :
- la peur d'abord, qui selon Foucault
« apparaît comme personnage essentiel de
l'asile »135(*): Il s'agit de menacer par des châtiments,
corporels pour la plupart, toute manifestation de la folie afin que le fou
puisse se sentir responsable et ne s'en prendre qu'à lui même en
tant qu'il trouble l'ordre moral et social. On l'oblige, comme nous l'avons vu,
à un contrôle permanent de lui même.
- le regard de l'autre ensuite : il s'agit d'entourer le
fou de regards inquisiteurs, traqueurs de la moindre trace de folie en lui afin
qu'il puisse mesurer la distance qui le sépare encore de la norme morale
et sociale.
Ces deux pratiques, surveillance et jugement, fondent, selon
Foucault, le personnage de l'asile au XIX éme
siècle : la liberté n'est selon lui qu'une
illusion136(*) ; au
lieu d'être libérée, la folie est en fait
contrôlée, maîtrisée par la raison à
l'intérieur de l'asile. Le regard du médecin aliéniste n'a
rien fait d'autre que de prendre l'exemple de l'Hôpital
Général deux siècles auparavant. Il s'agirait même
d'une régression selon Foucault car, dans le système
d'internement de Pinel, le silence prend une part
prépondérante : « Il n'y a plus entre la folie et
la raison de langue commune »137(*).Le dialogue qui s'était instauré au
Moyen Age est maintenant rompu. L'absence de langage devient un point
fondamental du système asilaire. L'asile ne va plus seulement être
une simple mise à l'écart de la société comme au
XVII ème siècle, il est le lieu d'un jugement
perpétuel, lieu de regard ,il est une instance essentiellement
judiciaire et morale : « L'asile de l'âge positiviste, tel
qu'on fait gloire à Pinel de l'avoir fondé, n'est pas un libre
domaine d'observation et de thérapeutique ;c'est un espace
judiciaire (...) dont on ne se libère (...) que par le
repentir »138(*).L'asile ne serait, dans cette approche, qu'une
nouvelle prison, « une autre scène, c'est à dire un
espace différent qui est aussi le même »139(*) :L'asile n'a pas
retiré leurs chaînes aux aliénés, il leur en a
donné d'autres.
Nouvelle particularité dans l'avènement de
l'asile, ce que Foucault nomme « l'apothéose du personnage
médical »140(*).C'est lui qui va rendre possible notre vision
actuelle de la folie comme maladie mentale : « La maladie
mentale, dans les significations que nous lui connaissons actuellement, est
alors rendue possible »141(*).Jusqu'à la naissance de l'asile, Foucault a
en effet montré que le médecin intervenait peu, voire pas du
tout, dans le processus d'internement. C'est à cette date que son
importance devient prépondérante. C'est d'abord lui qui fait
rentrer ou non les malades, qui délivre les certificats médicaux.
Sa tâche est autant juridique et morale que médicale ; il n'a
pas de tâche réellement scientifique mais s'inscrit dans l'immense
champ asilaire comme une garantie de sagesse : « Un homme
d'une haute conscience, d'une vertu intègre »142(*).Nouvelle illusion
dénoncée par Foucault : Pinel et Tuke n'ont pas introduit la
science médicale à l'asile mais un nouveau personnage de pouvoir,
une nouvelle autorité. Le médecin de l'asile ne va pas être
chargé d'une quelconque mission thérapeutique, sa vocation
première, mais d'une mission moralisatrice, se servant de sa science
comme d'une justification, « ... un personnage dont les pouvoirs
n'empruntaient à ce savoir que leur
déguisement »143(*).Le fou doit d'abord être surveillé,
maîtrisé, contrôlé avant d'éventuellement
être soigné. Le médecin emprunte différents visages
de l'autorité : il est tour à tour le
« père », le
« justicier »144(*) mais se sert peu de ses connaissances
médicales ; le médecin est une autorité avant
d'être un savant. Foucault remarque cependant, qu'étrangement,
cette vision du médecin en tant qu'autorité coïncide avec
l'éclosion d'une véritable science de la maladie mentale, sans
pour autant que s'effectue un rapprochement entre les deux. A l'asile, c'est le
« couple » médecin- patient qui
prédomine ;ce couple garde comme bases les valeurs ,les structures
de la société bourgeoise axée sur l'autorité
familiale, l'ordre moral... Dans le cours du XIX ème
siècle, le médecin devient progressivement une sorte de
divinité détenant le pouvoir de libérer la folie du
malade. Foucault pense à un pouvoir d'ordre
« magique »145(*) dans le sens où aucune connaissance
rationnelle, aucun savoir positif ne fonde cette autorité, seulement une
croyance. Tout cela sur les bases des pratiques morales initiées par
Pinel et Tuke à la fin du XVIII ème siècle,
jusqu'à ce que la médecine puisse se justifier autrement, c'est
à dire dans l'objectivité scientifique : « Ce
qu'on appelle la pratique psychiatrique, c'est une certaine tactique morale,
contemporaine de la fin du XVIII ème siècle,
conservée dans les rites de la vie asilaire, et recouverte par les
mythes du positivisme »146(*).
IV : D'UNE PSYCHIATRIE A L'AUTRE: 1830/1850 :
Dans le cours sur les anormaux, prononcé entre
janvier et mars 1975, Foucault reprend en quelque sorte d'une manière
historique ce qu'il avait laissé dans Histoire de la folie à
l'âge classique. Il voit une rupture à l'intérieur
même de la discipline psychiatrique qui se serait opérée
entre une certaine médecine mentale (celle de Pinel, d'Esquirol au
début du XIX ème siècle) et une
« nouvelle psychiatrie » qui serait apparue au milieu du
XIX ème siècle .Cette transformation se fait
d'abord à travers la notion d'instinct : celui-ci n'est pas plus,
selon les médecins aliénistes, qu'un signe visuel de la
démence et du délire. Pour cette nouvelle psychiatrie
émergeante vers 1850, il va plutôt s'agir de restituer
derrière l'apparence délirante et démentielle les erreurs
de l'instinct, les failles du comportement instinctif. Trois
éléments fondent selon Foucault cette nouvelle organisation de la
psychiatrie :
- la loi de 1838 : elle signifie le placement
systématique de l'aliéné dans un hôpital
psychiatrique ;la psychiatrie se constitue ainsi définitivement
comme discipline médicale (c'est à dire comme la guérison
d'un certain type de maladie) : « A partir du moment
où la loi de 1838 entre en vigueur,(...) nous avons devant nous un
individu qui est capable de perturber l'ordre social ou de menacer la
sûreté publique »147(*) :A partir de là ,selon Foucault ,la
maladie mentale est donc considérée comme un danger
menaçant l'ordre social tout entier, et non plus un problème
seulement individuel.
- Un changement de la demande familiale : Dans la loi de
1838, la famille peut demander l'internement dans le seul cas où est
avérée la potentialité du danger que le fou peut faire
courir à ses proches.
- Une demande politique : la psychiatrie, à partir
de cette date et à l'échelle de la société doit
dire qui sont les normaux et qui sont les anormaux. On assiste alors à
un partage de la société entre le sain et le malsain, entre le
normal et l'anormal, le dangereux et le non-dangereux.
La nouvelle psychiatrie joue ainsi un rôle social
majeur : pour devenir un pouvoir, elle a dû transformer et
réformer son savoir .Désormais, la notion de discipline
s'allie avec la prise en charge médicale originelle. L'ordre social se
sert maintenant de la psychiatrie comme d'une machine à neutraliser les
dangers qui le menace. Foucault va parler de « société
de normalisation » à propos de nos sociétés
modernes : « Les disciplines vont donc porter un discours qui
sera celui (...) de la norme. Elles définiront un code qui sera celui,
non pas de la loi, mais de la normalisation »148(*).Dans cette notion de
normalisation, la médecine joue un rôle certain : cette
nouvelle forme de psychiatrie sera un des aspects de la médicalisation
des comportements et de la normalisation de la société, au
même titre que les prisons, par exemple. La psychiatrie détient
ainsi beaucoup plus de pouvoirs qu'elle n'en avait au début du XIX
ème siècle .Selon Foucault, « toute
conduite doit pouvoir être située également par rapport
à et en fonction d'une norme qui est (...) perçue comme telle
par la psychiatrie »149(*).Foucault définit même la psychiatrie
comme « la science et la technique des anormaux, des individus
anormaux et des conduites anormales »150(*).Toute
référence médicale semble être abandonnée par
la « nouvelle psychiatrie » .Il s'agit maintenant de
repérer ,de distinguer, de classer les individus susceptibles
d'être dangereux pour la société. La psychiatrie
étend son champ de vision, sort du carcan strict de la guérison
de la maladie. Elle doit valoir comme médecine du corps social plus que
comme médecine du corps humain : « La psychiatrie a
lâché à la fois le délire, l'aliénation
mentale, la référence à la vérité puis
à la maladie. Ce qu'elle prend en compte maintenant, c'est le
comportement, ce sont ses déviations, ses
anomalies »151(*).En outre, alors que la médecine
aliéniste excluait l'enfance du processus de la pathologie mentale,
celle-ci tient dans la nouvelle psychiatrie un rôle essentiel. Il s'agit
de trouver dans l'enfance les prémisses d'un comportement adulte
dégénéré et déviant. L'enfance devient une
raison qui va faire qu'un individu bascule d'un côté ou de l'autre
de la normalité. C'est donc la vie entière de la personne qui est
désormais contrôlée, ou tout du moins surveillée par
la psychiatrie, de l'enfance à l'âge adulte. La psychiatrie
devient une discipline générale de l'existence humaine,
discipline dont la puissance vient essentiellement et paradoxalement du fait
qu'elle se démédicalise de plus en plus pour rejoindre un plus
vaste champ social : « La psychiatrie ne cherche plus
seulement à guérir. Elle peut (...) fonctionner comme protection
de la société contre les dangers (...) dont elle peut être
la victime de la part des gens qui sont dans un état
anormal »152(*).
Selon Foucault, la psychiatrie est devenue une instance
scientifique de contrôle et de protection du social contre des individus
qu'elle a, elle-même, déclarés dangereux.
V : CONCLUSION : QUELLE HISTOIRE POUR LA
PSYCHIATRIE ?
« Les sciences n'existent vraiment que le jour
où leur passé ne les scandalise plus (...) Méfions nous
donc de celles qui font avec trop de soins le ménage de leur histoire
(...) La psychiatrie,elle ,a poussé loin le zèle :longtemps
elle n'a toléré que l'amnésie » .Foucault ,dans
un article de 1977 , « L'asile
illimité »,rapporté dans Dits et
Ecrits,s'élève contre une fausse histoire de la psychiatrie
,qui serait née « au fond de quelque cage à
fou ».Selon Foucault,la psychiatrie n'est pas née à
l'asile mais est dès le départ au coeur d'un projet social
global. La psychiatrie s'est ainsi intégrée à toute une
stratégie de normalisation, d'assistance et de surveillance des
délinquants, des pauvres et des ouvriers, comme Foucault le montre dans
son Histoire de la Folie. La psychiatrie s'affirme ainsi comme la
figure de proue d'une médecine qui allait de plus en plus clairement
s'affirmer comme une technologie générale du corps social. On
peut lire Histoire de la folie comme un récit des
différents modes de placement et de déplacements (voir la Nef des
fous) des fous au cours des derniers siècles. Rapporté dans
Dits et Ecrits, le petit entretien accordé à J.P Weber
pour le journal Le Monde, « La folie n'existe que dans une
société », revient sur Histoire de la folie
à l'âge classique .Foucault y résume en quelques
phrases le propos essentiel de son ouvrage : « La folie ne peut
se trouver à l'état sauvage. La folie n'existe que dans une
société,elle n'existe pas en dehors des formes de la
sensibilité qui l'isolent et des formes de répulsion qui
l'excluent ou la capturent »153(*) .La folie est
historiquement,culturellement et socialement constituée,tel est
l'enseignement principal de l'ouvrage. Entre 1954 et 1961,c'est à dire
entre son premier ouvrage, « Maladie mentale et
personnalité » et Histoire de la folie à
l'âge classique, la position de Michel Foucault sur la
détermination de la folie comme maladie mentale a
changé :dans Maladie mentale et personnalité, il
montrait que la genèse des formes modernes de l'aliénation devait
être saisie à partir de ses formes anciennes
(l'énergumène grec, le captivé des latins et le
démoniaque des chrétiens),attitude évolutionniste que ses
détracteurs lui reprocheront plus tard d'avoir abandonnée. La
maladie mentale apparaît comme le point ultime d'un regard sur la folie
commencé depuis l'Antiquité. En 1954, Foucault
présupposait donc une permanence de l'aliénation à travers
l'histoire. En 1961, dans son histoire de la folie, il renonce à son
évolutionnisme pour privilégier la notion de partage raison/folie
fondée sur l'exclusion de cette dernière. Ce partage a eu lieu
« à un moment donné », il est une
rupture due à la concordance de faits historiques, politiques et sociaux
qui « à un moment donné » ont rendu
ce partage possible. Foucault rappelle donc par l'intermédiaire de cet
ouvrage que la genèse de la psychiatrie n'a pas été si
simple que cela. Elle dépend d'une série de décisions,
d'opérations et de choix culturels qui ont tous concourus à
préparer une relation médicale et objective avec la folie. Il y a
en outre dans Histoire de la folie, un véritable jeu
dialectique du rapport entre le fou et son médecin auquel va se
substituer dans les années 1970 l'ordre disciplinaire et la machine
asilaire. Dès 1972,les bases d'une réflexion sur le pouvoir sont
posées :c'est en constatant les transformations de l'organisation
hospitalière à la fin du XVIII éme
siècle et l'émergence d'une médecine qui sera à la
fois sociale (car collective) et individualisante (chaque individu est
annoté dans les registres hospitaliers) que Foucault semble
progressivement se détourner de l'analyse des discours pour passer
à ce qu'il nommera lui-même « microphysique du
pouvoir »,soit l'étude de l'ensemble des petits pouvoirs qui
nous gouvernent quotidiennement. La psychiatrie en est l'archétype.
III) LE POUVOIR PSYCHIATRIQUE :
1 :Une relecture tardive d'Histoire de la
folie :
I : DES PROBLEMES HISTORIQUES:
Histoire de la folie à l'âge
classique a suscité de nombreuses réactions. Cette histoire
de la folie ne ressemble à aucune autre, Foucault jouant sur des angles
différents des histoires classiques de la psychiatrie. La critique des
psychiatres, psychologues et historiens de la médecine fut d'une part
violente mais également équivoque. La première
réaction ,peut être la moins percutante, fut faite par une
série d'auteurs, notamment des historiens de la psychiatrie, qui
estimaient que les descriptions dans Histoire de la folie
n'étaient pas conformes à la réalité, en
particulier dans le domaine chronologique. Ainsi, P.Morel et C.Quétel,
dans Les médecines de la folie, soutiennent le fait que le
grand renfermement dont parle Foucault au chapitre II de Histoire de la
folie a plutôt eu lieu au XIX ème
siècle et non au XVII ème (1656
précisément).Les historiens de la psychiatrie ont ainsi
opposé une certaine résistance à l'ouvrage, en dressant
toute une série d'erreurs de dates et en remettant en cause la
solidité et la fiabilité des archives utilisées par
Foucault. On reprocha notamment à Foucault d'avoir
sélectionné sciemment des documents, d'avoir
privilégié certains faits et d'en avoir occulté d'autres
et qu'à cet égard il ne pouvait s'agir d'une
« vraie » histoire de l'institution psychiatrique ;
comme si, dans sa volonté de séparer de façon
tranchée les époques et les épistémè,
Foucault avait été obligé de déformer les faits
historiques, de commettre des anachronismes. A cette levée de boucliers
plusieurs raisons : les historiens de la psychiatrie supportaient
difficilement qu'un non médecin (et non historien) ,et c'est le cas de
Foucault , se permette d'écrire une histoire critique de leur
objet, une histoire qui ne serait pas qu'un simple enchaînement de faits
glorieux accomplis par des médecins libérateurs - comme la
libération des fous par Pinel à Bicêtre ; on parle
même de « mythe » Pinel - transmettant leurs exploits
de génération en génération de psychiatres. Or,
Foucault dénonçait tous ces mythes fondateurs du savoir
psychiatrique, notamment l'humanisme pinélien. Foucault fut ainsi
accusé d'avoir inventé une histoire de la folie
considérée comme non conforme à la vérité
des faits car ne correspondant à aucune archive employée en
histoire de la psychiatrie. L'illustre psychiatre Henri Ey
réfléchit longtemps sur l'ouvrage qu'il dénonça
d'abord comme un « psychiatricide »154(*).Il consacra même un
colloque entier autour d'Histoire de la folie à Toulouse, sans
que Foucault pourtant invité, ne daigne y participer .Ey remarquait
notamment le fait que Foucault réduisait la maladie mentale à un
simple phénomène culturel : « Quant à ceux
qui professent que la folie n'est tombée sous le regard enfin
sereinement scientifique du psychiatre qu'une fois libérée des
vieilles participations religieuses ou éthiques dans lesquelles le Moyen
Age l'avait prise, il ne faut pas cesser de les ramener à ce mouvement
décisif où la déraison a pris ses mesures d'objet, en
partant pour cet exil où pendant des siècles elle est
demeurée muette »155(*).Ey souligne que Foucault est animé d'une
« évidente mauvaise humeur à l'endroit de la
psychiatrie » . Cette histoire , dit Henry Ey, « ...
fait suite à un long travail de sape qui prépare la psychiatrie
à se faire le Hara-kiri auquel devrait nous contraindre l'idée
que le savoir psychiatrique et son action portent à faux, n'ayant pour
objet qu'une illusion. »156(*).Il renouvelle ensuite son opposition à
Foucault en répétant que la psychiatrie est née de
l'élan révolutionnaire français. Dans les discussions
suivant ce colloque, les anecdotes dénonçant l'emprise
malveillante de la philosophie de Foucault sur les étudiants se
multiplient. On le traite de « luciférien »,on
dénonce sa « pensée
désincarnée ».Le professeur Georges Daumézon
reproche à l'ancien élève de l'Ecole normale
supérieure de confondre constamment le mot
« folie »,comme on l'entend dans le langage quotidien et
les « troubles mentaux » - qui justifient un traitement. Il
conteste, d'autre part, la séquence « Léproserie - Nef
des fous - Hôpital Général - Asile », et trace
une frontière entre la folie romanesque de Foucault et la pathologie
mentale "Irréductible" aux appréhensions plus ou moins
romantiques. Enfin, Daumézon avance trois arguments:
1) Les catégories pathologiques auraient
été très tôt perçues et la conscience
collective en aurait tenu compte ne serait-ce que dans l'extinction de la
pratique de la sorcellerie.
2) Foucault aurait méconnu Pinel qui aurait eu un
rôle non de délivreur de fous, mais celui ayant consisté
à séparer le trouble global et les troubles partiels chez les
individus « fous ».
3) Absolument rien ne permet d'affirmer comme l'écrit
Foucault, que Pinel avait pour but de "...rendre moins visible l'espace
asilaire..."
Ce congrès qui réunissait les forces vives de la
psychiatrie de l'époque n'atteignit toutefois pas vraiment Foucault
lui-même. Lui, de part sa non appartenance au
« milieu » psychiatrique, avait un autre point de vue sur
la folie dans lequel se mêlaient archives hospitalières et
références littéraires, artistiques et philosophiques.
Mais si le travail d'exhumation de ces références fut
salué, au moins comme déclencheur d'un débat et d'une
réflexion, il ne fut pas tout de suite considéré comme
sérieux par la profession. Toutefois, les problèmes
« historiques » soulevés par les historiens de la
psychiatrie sont plus une critique de la forme que du fond de l'ouvrage et
d'autres critiques, sans doute plus intéressantes de ce point de vue, se
sont formées. De plus, ces réactions unanimes, justifiées
en tant qu'elles viennent de professionnels de la psychiatries contiennent en
elle une approbation sous-jacente : Henry Ey dans sa conclusion du
colloque sur l'évolution psychiatrique dira que l'Histoire de la
folie à l'âge classique « nous montre clairement le
lieu de la mauvaise conscience de nos devanciers. Elle valide dans une certaine
part la dénonciation d'un pêché originel de
l'Aliéniste ».De plus, Foucault a toujours bien
précisé qu'il ne s'agissait pas véritablement d'une
histoire de la psychiatrie mais d'une archéologie mettant en
lumière les conditions d'apparition de cette discipline.
II : LA CRITIQUE DE GAUCHET ET SWAIN: LA PRATIQUE DE
L'ESPRIT HUMAIN
La critique formulée par ces deux auteurs est
toute autre : en 1980, Gladys Swain et Marcel Gauchet rédigent
La pratique de l'esprit humain sous-titré L'institution
asilaire et la révolution démocratique, ouvrage qui portait
sur le traitement moral et la genèse de l'institution asilaire. Ils vont
montrer que la « révolution » qui a lieu dans
Histoire de la folie à propos de l'asile va être
démocratique .Gladys Swain avait déjà écrit
trois ans auparavant Le sujet de la folie dans lequel elle montrait
que Foucault simplifie les choses quant au « mythe » Pinel,
qu'il se laisse d'une certaine manière prendre par le mythe lui
même. Swain veut réhabiliter Pinel non en le mythifiant mais en
lui accordant un véritable impact historique. Dans La pratique de
l'esprit humain, Swain et Gauchet vont être ainsi amenés
à relire les textes fondateurs de Pinel, d'Esquirol. Leur thèse
positive s'appuie sur le fait qu'il y a un lien entre l'histoire de l'asile et
la révolution démocratique. L'asile devient un laboratoire
politique, une manière de tester cette révolution scientifique,
où l'égalité de droits entre les hommes rencontre la
différence radicale des fous par rapport aux autres hommes. On constate
bien la différence et l'impossibilité de transformer le fou en
homme normal mais on constate aussi sa proximité avec lui : il ne
va donc pas s'agir d'exclure les fous mais au contraire de les intégrer
dans un milieu favorable. L'asile serait une « machine à
socialiser le fou », « un retranchement provisoire à
des fins d'inclusion dans la socialité », une tentative de
rétablir une communication avec le fou qui en était purement et
simplement exclu, au même titre que les aveugles, les sourds et muets ou
les idiots... Il faudrait ainsi reconnaître dans tous ces infirmes des
hommes qu'il convient de réinsérer dans la société.
L'asile n'est pas synonyme d'exclusion comme le pense Foucault mais bien un
lieu pour traiter différemment dans le but d'intégrer. L'asile
serait un espace où l'on essaierait de renouer des liens sociaux rompus.
Gauchet et Swain parlent d'une volonté démocratique et
égalitariste de considérer les malades mentaux comme des hommes
à part entière. Cette volonté passe par la
réhabilitation de l'oeuvre et du travail de Pinel:dans le traitement
moral, il faut à la fois ne pas écouter le fou tout en le
contrariant le moins possible. Il faut lui proposer une écoute
bienveillante tout en évitant d'entrer dans son délire (voir le
chapitre « comment parler aux
aliénés »).Toute une série d'activités
serait en outre proposée au fou ,une vie active, du travail mais
également des liens poussés avec le personnel de l'asile. La
vraie découverte de Pinel aurait été d'avoir vu en ces
fous un autre nous même et décelé chez eux une trace de
raison contenant en elle-même le principe de leur guérison. Loin
d'exclure le fou, le geste pinelien est en fait une reconnaissance de la part
raisonnable présente en chaque homme. La folie n'est pas la perte
absolue de la raison, elle n'est qu'une forme de contradiction de la raison qui
ne cesse cependant d'exister en l'individu malade. Jean Claude Monod, dans
Foucault, la police des conduites, note très justement que
selon ces deux auteurs « l'idée même
d'aliénation montre que le fou est désormais
considéré comme raison potentielle, raison à restaurer et
que « celle de maladie mentale fait de la folie un accident qui
arrive du dehors à l'individu sans l'altérer
définitivement »157(*). Si pour Foucault, le traitement moral de Pinel
mettait les fous sous le regard d'un jugement perpétuel, pour Gauchet et
Swain, l'asile est plutôt considéré comme une
société utopique où l'on va renouer des liens sociaux et
tenter de restituer aux fous la raison qui sommeille en eux.
III : UNE AUTRE HISTOIRE DE L'INSTITUTION
PSYCHIATRIQUE:J.GOLDSTEIN :
Dans L'essor de la psychiatrie
française, Jan Goldstein va traiter de l'histoire de
l'évolution psychiatrique du XIX éme siècle,
soit au moment même où Foucault termine son Histoire de la
folie. Ce travail, résolument historique, s'applique à
reconstituer l'évolution de la psychiatrie aux travers d'archives, de
différentes sources imprimées et également d'écrits
et de propos d'acteurs historiques : psychiatres mais aussi bureaucrates
et législateurs. A la démarche politique prônée par
Foucault, mais aussi dans une certaine mesure par Gauchet et Swain, Goldstein
préfère une approche historique et
sociologique : « Une dernière différence
entre mon approche et celle de mes prédécesseurs français
concerne les aspects de la psychiatrie que nous avons décidé de
mettre en valeur. Pour Foucault (...), Gauchet et Swain, cet aspect est la
pratique carcérale de la psychiatrie telle qu'elle se manifeste dans
l'institution asilaire (...). Je m'intéresse davantage à la
psychiatrie comme ensemble de catégories, une façon de regarder
et de faire sens du comportement humain qui peut s'appliquer dans l'asile comme
hors de lui »158(*).Ainsi deux aspects importants se dégagent de
cet ouvrage :
- d'une part le fait que la profession psychiatrique a un
contenu scientifique particulier et qu'elle est pratiquée par de
véritables spécialistes : il existe des courants, des
écoles de psychiatrie différents. Le contenu de la profession
psychiatrique a ses propres particularités ; les psychiatres
existent en tant que tels et se différencient des autres
médecins. La psychiatrie serait donc un corps de doctrine relativement
organisé avec la classification pour activité principale.
- Le second aspect important de l'ouvrage concerne la
sécularisation de la profession : les psychiatres du XIX
éme siècle reprennent d'une part et laïcisent
d'autre part des pratiques de consolation héritées de la religion
(voir le chapitre 6 : « la concurrence ironique de la
religion »). La psychiatrie se serait ainsi constituée en
concurrence avec la religion.
Par rapport à l'ouvrage de Foucault, la démarche
de Goldstein se situe ailleurs bien qu'abordant le même sujet. Si
Foucault se montre volontiers polémique et politique, Goldstein
privilégie une approche plus en rapport avec l'émergence d'une
profession que d'un véritable regard de la raison sur ce qui n'est pas
elle.
Les nombreux remous que va susciter, longtemps encore
après sa parution, Histoire de la folie et la concordance de
nombreux mouvements de « contre pouvoir » ,à la
fin des années 1960, vont donner l'occasion à Foucault de se
positionner différemment par rapport à la psychiatrie. C'est dans
les cours qu'il donnera au Collège de France entre 1973 et 1974 que
cette évolution se manifestera de la manière la plus
évidente.
2 : le pouvoir psychiatrique :
Le cours de Michel Foucault sur le pouvoir psychiatrique
a été donné entre le 7 novembre 1973 et le 6
février 1974 au Collège de France. Foucault indiquera lui
même qu'il s'agit du « point d'arrivée ou en tous cas
d'interruption du travail qu' [il] avait fait autrefois dans Histoire de la
folie »159(*), d'une reprise d'un travail jusque-là
abandonné, ou tout du moins laissé de côté. Car ce
cours, selon la remarque de Robert Castel, inaugure la « seconde
lecture » de L'Histoire de la folie : non plus une
lecture romantique, centrée sur l'histoire des représentations et
la crise des limites du représentable que la folie incarne, comme
« déraison », mais une lecture militante, exhumant
les racines de « l'ordre disciplinaire » que fut
l'aliénisme, ordre dont la forme n'attend plus que d'être
exportée partout dans la vie sociale comme type original du pouvoir, et
de survivre ,au-delà du modèle psychiatrique, dans la
généralisation de la « fonction-psy »
à l'école, dans la justice, etc... En effet, entre 1961 et
1973,Foucault a très peu (ou pas du tout) écrit sur la
psychiatrie et tout ce qui a fait le début de son oeuvre ,pour se
consacrer entièrement à son entreprise d' archéologie
des sciences humaines dans des ouvrages comme Les mots et les choses
(1965),L'archéologie du savoir (1969) et L'ordre du
discours (1971).Toutefois il serait évidemment trop rapide de
conclure à la lecture de ces travaux à une simple suite à
Histoire de la folie .Le sujet est abordé plus sur l'angle
de la médecine mentale que sur celui de la maladie
mentale, différence énorme qui affirme l'intérêt
croissant de Foucault pour le cadre institutionnel par rapport à
l'objet, au savoir. Il s'agit donc de voir à travers un nouveau spectre,
celui de la psychiatrie en tant qu'institution et pouvoir, un sujet
déjà abordé à travers les premiers ouvrages mais
sous l'angle différent d'une archéologie des savoirs. Foucault
précisait bien dans la préface d'Histoire de la folie
qu'il ne s'agissait pas d'une histoire de la psychiatrie mais d'une
histoire de l'objet folie : Il ne faisait pas l'histoire d'une discipline
mais d'un objet intemporel. Ces cours sont donc aussi en rupture par rapport
à ce qui a été fait précédemment ,il va
s'agir « d'apercevoir ce que l'on a fait sous un angle
différent et sous une lumière plus nette »160(*).En tout cas les cours de
cette époque marquent un déplacement conceptuel de Foucault par
rapport à la psychiatrie :les travaux convoquant de façon
plus ou moins directe la psychiatrie contestaient sa possibilité
d'accéder à la vérité de la maladie mentale, comme
l'ont montré des ouvrages comme Maladie mentale et psychologie
et Histoire de la folie .Foucault a posé dans ces travaux le
problème de l'analyse des rapports de pouvoirs en tant que producteurs
d'un certain nombre de vérités.
I : UN DEPLACEMENT D'INTERET DANS L'OEUVRE DE
FOUCAULT:
Dans Maladie mentale et personnalité, la
psychiatrie est bien appréhendée sous la forme du savoir et non
comme étant à l'intersection d'un jeu de pouvoirs :
dès son premier ouvrage, Foucault se veut toutefois déjà
critique vis à vis de la discipline : il se propose de
démontrer que les fondements de la psychiatrie ne doivent pas reposer
sur l'exemple d'une méta-pathologie qui appliquerait à la
médecine organique et à la médecine mentale les
mêmes méthodes et les mêmes concepts. Foucault propose un
déplacement vers une réflexion de l'homme sur lui-même
axée sur l'analyse existentielle de sa maladie ainsi que sur une
approche historique et culturelle. Ainsi, un malade n'est il pas
aliéné de par sa maladie mentale mais plutôt par un
contexte historico-culturel qui l'aura aliéné auparavant. Selon
Foucault, la psychiatrie s'est ainsi interdite de voir qu'elle est avant toute
chose « une projection de thèmes
culturels »161(*). L'objectif de Foucault, au début de son
oeuvre, est d'abord de mettre en cause la prétention de la psychiatrie
à être une science comme une autre ou en tout cas se baser sur les
mêmes méthodes qu'une science pour développer sa pratique.
La psychiatrie doit se libérer de certains postulats pour
prétendre à la rigueur scientifique. Il en va un peu
différemment dans l'ouvrage remanié Maladie mentale et
psychologie. Si Foucault considérait la maladie mentale
d'après son environnement social concret dans son ouvrage de 1954, il
s'agit d'analyser, dans celui de 1962, un contexte, des pratiques historiques
dans lesquelles une psychiatrie est pensable (voir le chapitre « la
constitution historique de la maladie mentale »).La dimension
historique a pris le pas, en 1962, sur une étude de la folie comme
structure globale.
L'Histoire de la folie à l'âge classique
ne traite pas à proprement parler de psychiatrie comme l'a souvent
rappelé Foucault, mais cherche à comprendre l'émergence
d'une constitution possible de la folie comme maladie mentale. C'est une
histoire culturelle, ou plutôt une histoire de choix culturel. Il ne
s'agissait donc pas de faire une histoire de la psychiatrie comme discipline
mais de ce qui a permis qu'elle s'installe comme savoir positif sur la folie,
soit essentiellement comme la résurgence d'anciennes structures
autoritaires, aliénantes et punitives, ce qui en a fait un savoir
scientifique peu sûr, voire douteux. Toutefois si la psychiatrie est
convoquée, elle ne l'est pas encore sur le terrain qui sera celui du
cours de 1973/1974.Il ne s'agit pas encore d'interroger la psychiatrie dans ce
qu'elle peut avoir comme effet de pouvoir, voir constituer elle même une
forme de pouvoir.D'après Jacques Lagrange (voir l'annexe
« enjeux du cours »,à la fin du Pouvoir
psychiatrique), le déplacement conceptuel constaté dans les
cours sur le pouvoir psychiatrique de 1973 s'est opéré selon
deux modalités ayant à voir avec Foucault lui même, c'est
à dire dans une continuité logique qui l'a progressivement
amené à s'interroger sur ces questions de pouvoir ainsi que son
intérêt croissant pour les expertises
médico-légales, qui sont déjà un lien entre
médecine et pouvoir, et le contexte intellectuel de l'époque (la
charnière 1968/1970).Ce contexte, c'est celui d'une remise en cause
profonde de la discipline psychiatrique à la fin des années 1960
et au début des années 1970,simultanément à ce
revirement conceptuel propre à Foucault. Pourquoi ces problèmes
n'ont ils pu être posés avant et surtout pourquoi ne le sont ils
pas spécialement par les médecins de cette discipline eux
mêmes ? Il y a eu certes des tentatives, à partir des
années 1930/1940 notamment par un psychiatre tel que Lucien
Bonnafé et par le mouvement désaliéniste mais ces
interrogations, voire ces remises en cause, ne dépassaient pas le cadre
de la profession et ne remettaient pas en cause le fond véritable de la
discipline et ses rapports avec le pouvoir. Il a ainsi fallu que, du dehors, un
certain nombre de mouvements et d'évènements ait pu poser des
questions relatives à la psychiatrie et à son pouvoir
supposé. Ce sont des mouvements, principalement extérieurs,
très politisés qui vont prendre en charge au début des
années 1970,soit en même temps que Foucault, la contestation de la
psychiatrie en tant que pouvoir :les mouvements dits
« antipsychiatriques ».Michel Foucault reconnaîtra
d'ailleurs le rôle important que ces courants ont pu jouer sur ses
propres travaux : « L'importance de l'anti-psychiatrie
réside en ce qu'elle met en question le pouvoir que le médecin
détient de décider de l'état de santé mental d'un
individu » .
II: DE NOUVELLES METHODES:
Entreprendre une analyse encore inédite sous
entend également un changement de méthodes. L'archéologie,
au sens où Foucault l'a entendu et appliqué dans des ouvrages
comme Naissance de la clinique ou Les Mots et les choses n'a
ici plus cours :il ne va pas s'agir d'analyser les conditions de
possibilité de tel ou tel savoir ,de révéler ce qui serait
resté muet ,de mettre à jour les « plis » de
discours .Finies également les références
littéraires ,artistiques ou philosophiques très riches,
citées dans Histoire de la folie ; Foucault ne
s'intéresse plus aux représentations de la folie, c'est à
dire à l'image qu'on s'en faisait mais à des
« dispositifs de pouvoirs ». Le cours sur le pouvoir
psychiatrique entreprend une analyse d'une autre nature : elle va se faire
en surface, au moment précis où les discours psychiatriques se
forment, au moment où ils s'inscrivent délibérément
dans ces « dispositifs de pouvoirs » où sont
également mêlées des mesures disciplinaires, des lois, des
institutions, l'architecture de certains bâtiments etc... Le discours
n'est plus le fond de l'analyse, il est mêlé à tout un jeu
de pouvoirs, constitué par un ensemble très disparate de domaines
et de structures .On ne peut rendre compte de tout celà qu'à
partir des dispositifs et des structures qui permettent la psychiatrie telle
qu'elle se pratique. En aucun cas, il ne sera question de
« vérité positive », de
« savoir ». Ici, la psychiatrie ne naît pas d'une
meilleure connaissance de la folie mais des dispositifs disciplinaires dans
lesquels elle s'organise directement par rapport au malade. Il ne sera pas non
plus question de l'institutionnalisation de la maladie mentale comme dans les
derniers chapitres d'Histoire de la folie qui se voulait, selon
Foucault, une « histoire de l'institution
psychiatrique »162(*) mais de replacer cette institution dans un champ de
pouvoir beaucoup plus vaste, à plus grande échelle, celle de la
société toute entière. Des notions nouvelles
s'avèrent les instruments épistémologiques utiles dans
cette optique : Foucault parlera de « microphysique du
pouvoir »,qu'il définira dans l'article « Folie ,
une question de pouvoir » rapporté dans Dits et
écrits , comme « l'ensemble des petits pouvoirs qui
s'imposent à nous ,qui domestiquent notre corps,notre langage et nos
habitudes »163(*) .Ce qui apparaît désormais
nécessaire dans le mouvement propre à la méthode
archéologique, c'est de faire surgir des rapports de pouvoir avant
même les institutions. Cette redéfinition conceptuelle est
clairement énoncée dès le premier cours du 7 novembre
1973 : Foucault se rend compte qu'il a surtout étudié la
folie sous l'angle de la représentation et de la perception .Or, ici,
Foucault veut « essayer de voir (...) S'il était possible de
faire une analyse radicalement différente »164(*) , c'est à dire en
l'occurrence d'analyser les dispositifs de pouvoir comme eux-mêmes
producteurs de discours et énonciateurs de vérité.
Toujours par rapport à Histoire de la folie, Foucault
procède lui-même à ce changement dans la démarche,
dans le vocabulaire et les outils d'analyse. Jacques Lagrange, dans les annexes
du cours sur le pouvoir psychiatrique, note que Foucault abandonne en premier
lieu la notion de « violence » connotée trop
péjorativement selon lui et qui suggérait un pouvoir physique
contraignant, un « mauvais pouvoir »165(*) . Au contraire, le pouvoir
asilaire va plutôt être tactique, méticuleux,
calculé... A la notion même d'institution en tant que
processus d'individualisation, Foucault va préférer les notions
de relais, de réseaux de pouvoir. Enfin, Foucault tient à
rectifier son explication du fonctionnement de l'asile calqué sur le
modèle familial dans Histoire de la Folie : en fait le
modèle du « médecin/père » n'est pas
en vigueur dés la naissance de l'asile, comme il l'affirmait à
l'époque, mais apparaît beaucoup plus tard, dans le courant du XX
éme siècle. Foucault manifeste ainsi, dés son
premier cours, sa volonté de faire table rase des méthodes et des
outils qu'il a lui même employés au cours de ses premiers travaux,
outils qui lui semblent inadaptés pour décrire et analyser ce
nouveau champ. On pourrait donc croire que Foucault se répète, le
fonctionnement de l'institution psychiatrique ayant déjà
été étudié dans Histoire de la folie. En
effet, Foucault va à nouveau enlever au médecin de l'asile son
masque de grand humaniste à la sollicitude bienveillante, afin de
dénoncer la guérison mise en oeuvre à l'asile comme une
véritable « tactique de pouvoir ».Histoire de la
folie mettait en avant la relation médecin - patient comme un jeu
dialectique mettant en scène ces deux personnages. Dans Le pouvoir
psychiatrique va s'y substituer l'étude de scènes
fondatrices de la psychiatrie, l'étude, également, de l'ordre
disciplinaire .Foucault va aussi se montrer attentif aux dispositifs
concrets,aux effets architecturaux de l'institution asilaire par exemple .
III: CARACTERISTIQUES DU POUVOIR PSYCHIATRIQUE : LE
POUVOIR DISCIPLINAIRE
Dés le premier cours, daté du 7 novembre
1973, Foucault énonce que le savoir médical a pour condition un
certain rapport à l'ordre.Et Foucault de commencer son cours en citant
Pinel et l'anecdote concernant le roi Georges III 166(*)... La notion de pouvoir
disciplinaire n'est toutefois pas tout à fait nouvelle chez Foucault,
étant déjà apparue, nous l'avons vu, à propos de la
réorganisation de l'hôpital à la fin du XVIII
éme siècle. C'est dés le début du XIX
éme siècle que le savoir psychiatrique s'insère
dans le champ médical et se définit comme
spécialité. Foucault insiste sur l'importance du premier regard
et la présence physique voire corporelle du médecin ,qui est
« le noeud du rapport psychiatrique »167(*) .Le médecin n'est pas
tout seul et dispose de toute une série de relais ,les surveillants
et les servants :l'organisation à l'intérieur de l'asile se
caractérise par sa hiérarchisation .Le système de
pouvoir fonctionne par l'intermédiaire d'une multiplicité de
réseaux à l'intérieur même de l'asile, cadre du
pouvoir : « Le pouvoir n'appartient ni à quelqu'un, ni
à un groupe (...) il n'y a pouvoir que parce qu'il y a dispersion,
réseau, relais »168(*) .Le discours psychiatrique ne pourra être
objectif que grâce à ce dispositif. Foucault parle même de
« tactique de pouvoir »169(*) , or pour qu'il y ait tactique, il faut qu'il y ait
quelque chose à vaincre ou à maîtriser, quelque chose qui
menace en somme. Ce quelque chose c'est le fou : l'objectif de l'asile,
grâce à l'ensemble de ce dispositif, va être de situer le
point où la folie se déchaîne et ainsi modifier le
comportement de l'individu. Deux types d'interventions sont possible :
médicamenteuse et proprement médicale d'une part , par
l'intermédiaire d'un traitement moral d'autre part. Ce traitement moral
prend sa source dans ce que Foucault nomme le pouvoir disciplinaire. La
psychiatrie ne pourra ainsi être comprise que grâce au
fonctionnement du pouvoir disciplinaire et non à partir de l'institution
asilaire, comme c'était le cas dans Histoire de la folie
Foucault va ainsi distinguer deux formes différentes de pouvoir :
d'abord le pouvoir de souveraineté, qui est un rapport liant le
souverain à ses sujets fondé sur une antériorité
fondatrice (le droit divin par exemple) et le prélèvement de
sommes d'argent en échange de la protection par le souverain
,l'autorité politique. Le pouvoir disciplinaire, lui, est une prise
totale sur le corps et le comportement de l'individu. Il implique un
contrôle et une surveillance continus. Dans le pouvoir
disciplinaire ,on est toujours soumis au regard ,au jugement
perpétuel de quelqu'un :la discipline est « la prise en
charge permanente et globale du corps de l'individu »170(*) .Elle se différencie
du pouvoir souverain dans le sens aussi où il ne fonde pas sa
légitimité sur l'antériorité .Au contraire, le
pouvoir disciplinaire « regarde vers l'avenir »171(*) c'est à dire va
transformer ce jugement perpétuel en habitude ,grâce à de
nombreux outils comme l'écriture, gage de complète
visibilité ,instrument qui consigne tous les faits ,transmet
l'information à la hiérarchie .Tout système disciplinaire
implique des déviances, des inclassables, des
« résidus » qui échappent à toute
surveillance (comme le déserteur à l'armée par exemple).
En psychiatrie, c'est le malade mental. C'est la présence de ces
« résidus » qui va favoriser la création
d'instances disciplinaires supplémentaires. A ce point de
l'argumentation, on imagine très bien les effets du pouvoir
disciplinaire : la remise en cause, principalement, du rapport entre le
sujet et l'individu, mais aussi entre le sujet et le corps .Le pouvoir
disciplinaire, d'une certaine manière, normalise les corps,
« fabrique des corps assujettis »172(*) , par l'intermédiaire
de cette surveillance « panoptique » dans le sens le plus
strict. Foucault utilise le terme d' « individu
disciplinaire » qui ajuste le pouvoir politique sur le corps de
l'individu. Ainsi, conclut Foucault, l'homme se voit défini
juridiquement comme sujet de droit, mais aussi disciplinairement, comme corps
assujetti soumis à la surveillance perpétuelle. C'est en faisant
un historique des processus disciplinaires que Foucault constate
l'émergence d'une « société
disciplinaire » s'appliquant à tous les niveaux de l'existence
humaine.
IV : LE PANOPTICON :
Le modèle panoptique inventé par Jeremy
Bentham en 1787 est l'aboutissement le mieux formalisé de cette
société disciplinaire. Considéré la plupart du
temps comme un projet de prison modèle pour la réformation des
détenus ,réintégrés dans le circuit de la
production ou dans les rangs de l'armée, c'est aussi un plan type qui
s'applique à d'autres institutions parmi lesquelles l'école,
mais aussi et surtout l'hôpital - comme nous l'avons vu - et
l'asile ; en outre,il est une solution économique aux
problèmes de l'encadrement , « l'esquisse
géométrique d'une société
rationnelle » , comme le dira Foucault dans son
introduction au Panopticon. Bentham parle lui-même d'un schéma qui
donne force à toute institution .Le but est d'optimiser, de
maximiser le pouvoir et ses effets. La surveillance se fera sur chaque
individu, sur chaque corps. Chacun doit se sentir observé, jugé,
par un regard qui sera le plus discret possible, voir même invisible et
anonyme : « Le vrai effet du Panopticon c'est d'être
tel que, même lorsqu'il n'y a personne, l'individu dans sa cellule non
seulement se croie mais se sache observé, qu'il ait l'expérience
constante d'être dans un état de visibilité pour le
regard »173(*)
. Il est « appareil de savoir et de pouvoir à la
fois »174(*) .
Dans l'introduction au Panopticon de Bentham, L'oeil du
pouvoir, Foucault résume très bien le principe
général du panopticon : « A la
périphérie, un bâtiment en anneau ; au centre une
tour ; celle-ci percée de larges fenêtres, qui ouvrent sur la
face intérieure de l'anneau. Le bâtiment
périphérique est divisé en cellules, dont chacune traverse
toute l'épaisseur du bâtiment. Ces cellules ont deux
fenêtres : L'une ouverte vers l'intérieur, (...) l'autre
donnant sur l'extérieur permet à la lumière de
traverser la cellule de part en part. Il suffit de placer un surveillant dans
la tour centrale, et dans chaque cellule d'enfermer un fou, un malade ou un
condamné »175(*).
Fig 2:The Panopticon of Jeremy Bentham
De plus, associé à une notation, une
transcription perpétuelle du comportement par l'intermédiaire de
l'écriture, le panopticon permet ainsi la « constitution d'un
savoir permanent de l'individu »176(*) : L'individu doit être soumis à un
regard, une surveillance et une observation continus. Il est
« appareil de savoir et de pouvoir à la
fois »177(*) .
Le panoptique tel quel ne fut jamais réalisé. Le panoptisme, en
revanche, en tant que principe de surveillance centrale va peu à peu
modifier le système carcéral, l'architecture pénitentiaire
et asilaire. Foucault pense ainsi que la société moderne est
dominée par des schémas de pouvoir disciplinaire (dont le
panoptique est l'illustration la plus visible et la plus parlante), tout comme
le Moyen Age était dominé par le modèle de pouvoir
souverain. Il subsiste toutefois des modèles de pouvoir souverain
à l'intérieur des sociétés modernes, comme la
famille. On pourrait croire que la famille est un type de pouvoir
disciplinaire. Ce n'est pas le cas :la famille est avant tout selon
Foucault l'individualisation maximale du pouvoir souverain dans les mains du
père. La famille sert plutôt de point de liaison ,de
« charnière » entre l'individu et le pouvoir
disciplinaire :c'est la famille qui « oblige »
l'enfant à entrer dans le système scolaire, ou l'envoie au
service militaire qui sont deux instances que l'on peut qualifier de
disciplinaires : « Ce n'est pas échapper au
mécanisme de la discipline que de se référer à la
souveraineté du pouvoir familial, c'est , au contraire , renforcer ce
jeu entre souveraineté familiale et fonctionnement
disciplinaire »178(*). Lorsqu'un individu, par contre, échappe au
pouvoir de souveraineté familial, on le place en hôpital
psychiatrique où on lui inculque la discipline dans le but de le
« re-familiariser ».C'est ce que Foucault nomme la
« fonction psy ». C'est dans le fonctionnement de l'asile
que Foucault va repérer la mise en oeuvre de ce pouvoir disciplinaire
gagnant une toute nouvelle prééminence sur le pouvoir de
souveraineté.
V: LE FONCTIONNEMENT DE L'ASILE:
L'émergence de l'ordre disciplinaire est
retracée jusqu'aux années 1840. La loi de 1838, ni aucun grand
événement ponctuel, n'ont plus d'intérêt l'un que
l'autre aux yeux de Foucault: c'est au mouvement général qui a
pu, pour d'obscures raisons, faire de l'asile la solution à un
problème majeur (anthropologique), que Foucault s'attache. Il
prend ainsi l'exemple du traitement moral de Leuret, médecin psychiatre
du XIX éme siècle, qui considérait les fous
comme étant des êtres dans l'erreur et qui leur infligeait des
traitements pour le moins sévères (douches froides, douleurs,
intimidations...). Mais loin de voir chez Leuret la
dégénérescence autoritaire de l' humanisme et du
rationalisme d'un Pinel, Foucault fait de lui un des chantres du
« traitement moral » comme discipline : le
savoir, réputé si faible des aliénistes, s'y
révèle comme pouvoir, mais comme pouvoir
« capillaire », objet d'une
« microphysique », qui façonne et assujettit chaque
individu à sa propre mesure (mesure censée, circulairement,
conférer au savoir aliéniste sa teneur d'objectivité
quasi-scientifique).Avant 1838,date de la fameuse loi qui régit encore
de nos jours notre système d'internement ,le fou était
encore pris en charge ,d'une manière ou d'une autre par la structure
familiale. La procédure d'interdiction, notamment, permettait à
la famille d'intervenir encore dans le traitement du fou. Il s'agissait de lui
accorder un statut, et cela seule la famille y était habilitée.
La loi de 1838 va quant à elle systématiser la procédure
d'internement, qui va, en quelque sorte, remplacer l'interdiction purement
juridique. Cette systématisation de l'internement est un acte essentiel
dans la prise de possession du fou .On prend le corps du fou et non plus
seulement ses droits et si cette « prise du corps »
était encore en grande partie demandée par la famille, d'autres
institutions administratives pouvaient le faire. Le fou sort ainsi de la
structure familiale pour se retrouver dans un nouvel espace où se
mêlent le médical et l'administratif. Le rôle de la famille
devient de plus en plus limité et le fou apparaît non plus comme
un danger pour son seul entourage mais pour la société toute
entière. Il apparaît comme un « ennemi de
l'état » : « Le milieu familial apparaît
désormais comme absolument incompatible avec la gestion de toute action
thérapeutique »179(*) : tout contact avec la famille serait donc à
la limite perçu comme une menace, une erreur : Il faut pour que le
pouvoir du médecin s'exerce, que le pouvoir familial soit en retrait.
Foucault distingue deux « âges » de l'asile :
L'hôpital psychiatrique, au moins jusque dans les années 1860, est
une « machine à guérir » à
l'échelle de la psychiatrie, d'inspiration panoptique:La surveillance
y'est ici non pas centralisée mais hiérarchisée,
pyramidale, des surveillants au médecin chef, situé au sommet de
cette hiérarchie. Le fou est isolé dans l'asile,
individualisé à l'extrême, puni, châtié de
façon permanente par le personnel de l'hôpital au moyen de toute
une série d'instruments les plus divers qui constituent selon Foucault
une « véritable technologie du corps »180(*) allant de la ceinture de
chasteté avant le XIX ème siècle aux
instruments orthopédiques et autres appareils de supplice. C'est vers
1850/1860 que l'asile change :On a maintenant l'idée que le fou est
identifiable à l'enfant et qu'il doit être par conséquent
placé dans un entourage calqué sur le modèle familial,
réactivé comme élément essentiel de la
guérison. Le schéma devient simple :On demande à la
famille de faire interner ses anormaux, ses déviants, pour pouvoir les
re-discipliner dans un établissement spécialisé
conçu sur le même modèle que la famille, puis les rendre
ainsi « guéris » à leur famille ,et au
pouvoir de souveraineté qu'elle sous entend. Ce deuxième
âge semble faire prévaloir le sentiment d'humanité, comme
lors de la colonisation où il s'agissait de conquérir d'abord
puis de s'installer ensuite. Ce modèle peut, selon Foucault, être
transposé dans l'évolution historique à l'intérieur
de l'asile.
VI: GENERALISATION DU PARADIGME ALIENISTE:
Foucault suit alors, dans la deuxième partie de
son cours, l'extension du modèle aliéniste, puis cherche à
identifier le lieu de sa crise, et les formes originales de sa
généralisation sociale. Un des passages historiquement les plus
convaincants du cours est l'analyse consacrée, bien avant la naissance
du thème de l'enfant fou, à la psychiatrisation des idiots. La
sur-normalisation des enfants produits comme hors normes par le système
pédagogique lui-même aboutirait alors à ce qu'on invoque
« l'instinct » comme foyer d'irréductibilité
-- et de l'instinct à la perversion,le pas serait alors aisément
franchissable... Mais trois autres dimensions intellectuelles et pratiques du
post-aliénisme entretiennent entre elles des rapports
étroits : l'apparition du savoir neurologique, la
« crise » de l'hystérie, et l'horizon de la
psychanalyse, entendue comme première dépsychiatrisation, parce
qu'elle prélève justement dans la crise hystérique, non
l'hystérie, mais la crise elle-même, comme régime autonome,
oublié et faisant là retour, de la vérité
elle-même. Foucault conçoit la naissance de la neurologie comme la
conjugaison paradoxale de la médecine anatomo-clinque telle que pouvait
la pratiquer un Bichat ou un Laennec (quand la médecine évoluait
vers l'étiologie physiologique profonde des symptômes) et d'une
technologie de l'examen par ordre et réponse motrice, qui les
normalisent radicalement sous l'oeil médical. Mais si le scandale de
l'hystérie a éclaté chez les neurologues, c'est
précisément, d'après Foucault, parce que le contrôle
disciplinaire y était devenu absolu, poussé jusqu'aux
« fibres du cerveau ». Car que le savoir aliéniste
craint une chose en particulier : la simulation : non pas la
normalité simulant la folie, mais la folie simulant la folie et
se repliant par là tellement en soi-même qu'elle ferait avorter
son objectivation, minant la caution ultime du savoir-pouvoir. Et voilà
les hystériques, du coup, promus par Foucault « vrais
militants de l'antipsychiatrie »181(*) .Le fou, pour échapper au pouvoir
psychiatrique va simuler...Ainsi, le ressort de l'hystérie est, en tant
que simulation, d'après Foucault, l' « envers
militant » de ce pouvoir. Ce danger étendu à tout le
champ couvert par l'aliénisme explique le recours aux trois
procédés qui ont marqué la psychiatrie de la seconde
moitié du XIX ème siècle : la drogue
(surtout le haschich), l'hypnose et la présentation de malades,
formalisée comme une démonstration de la clinique. Pour Foucault,
il ne s'agit de redémontrer qu'une seule chose, un seul partage, celui
de la folie et de la non folie, de la raison et de la non-raison, partage dont
tout le reste découle.
3:VERS UNE DEPSYCHIATRISATION ?
Dans l'article « Le pouvoir
psychiatrique » transcrit dans les Dits et Ecrits,
Foucault constate la « crise de ces disciplines »182(*) que sont la médecine
et la psychiatrie, entrées toutes deux comme nous venons de le voir dans
un système de pouvoir. Foucault ne préconise pas de solution en
particulier mais tente de trouver des ouvertures,des pistes .Il trouve
même surprenant que ce soit lui le philosophe, l'archéologue des
sciences humaines qui réfléchisse sur la psychiatrie, qui ose la
remettre en cause et non la profession elle même. Il semble ainsi
très attentif à certaines orientations prises par des mouvements
de dépsychiatrisation et d'anti psychiatrie apparus dans les
années 1960/1970 :
I : UN CONSTAT:LE MONDE EST UN GRAND ASILE :
D'après Foucault, « Le monde est en
train d'évoluer vers un modèle hospitalier et le gouvernement
acquiert une force thérapeutique »183(*) .Il s'agit là d'un
des effets pervers de la médicalisation à l'extrême :
le pouvoir ne peut désormais exercer sa compétence que parce que
la médecine psychiatrique possède en même temps un
savoir. « La thérapie médicale est une forme de
répression » note Foucault : le thérapeute a un
pouvoir sur le patient dans le sens où il va décider de
l'état mental de tel ou tel individu, de dire si il est normal ou fou.
Selon Foucault, la pratique actuelle de la psychiatrie, qui s'effectue à
l'intérieur des cabinets spécialisés, voire même
à l'hôpital, n'est pas bonne car on isole d'abord le malade du
lieu duquel on le retire dans le but, ensuite, de le réadapter à
ce milieu...Il y a donc là comme une contradiction : c'est
plutôt le psychiatre lui-même qui devrait aller vers le malade,
vers le lieu où il habite. Le psychologue lui aussi exerce une certaine
forme de pouvoir car il influe sur les choix de vie d'un individu, ou sur
plusieurs - dans le cas des thérapies de groupe .Plus encore que
contre une médicalisation, Foucault nous met donc en garde contre une
« psychiatrisation », ce qui lui fait dire que
« Le monde est un grand asile » : Aux yeux des
gouvernants, l'état mental des individus prend de plus en plus
d'importance. Dans un article de 1977, écrit pour Le Nouvel Observateur
, concernant le livre de Robert Castel ,l'Ordre psychiatrique,Foucault
constate,à l'instar de Castel que la psychiatrie s'est
intégrée à toute une stratégie de
normalisation,d'assistance et de surveillance. Les deux hommes sont d'accord
pour faire de la psychiatrie la figure de proue d'une médecine
s'affirmant de plus en plus comme une technologie générale du
corps social et pour dénoncer les risques de manipulation et de
contrôle social que la psychiatrie recèle. La grande phrase de
Castel sera d'ailleurs de dire que « nous sommes tous des
psychiatrisables en puissance ».C'est d'après cet ensemble de
constats que se pose le problème de la dépsychiatrisation :
Ne serait il pas plus raisonnable d'enrayer ce processus d'emprise totale sur
les corps et trouver des solutions pour en sortir ?
II : LE PROBLEME ANTIPSYCHIATRIQUE :
A sa sortie, Histoire de la folie ne fut pas
considéré autrement que comme un travail universitaire
intéressant relevant de la tradition épistémologique
française initiée notamment par Bachelard et Canguilhem :
« Quand Histoire de la folie a été
publiée en France en 1961/62, il n'y a pas eu une seule revue (...)
possédant des intérêts politiques qui en ait
parlé. »184(*).Il aura fallu attendre les bouleversements de la fin
des années 1960 pour qu'elle devienne un manifeste
anti-répressif. Lors des événements de 1968 ,Foucault
n'était pas à Paris et il fut tout surpris à son retour de
voir que son ouvrage était maintenant devenu l'un des livres-phares de
la contestation de tout enfermement. Il devint ainsi l'un des textes
clés d'un mouvement baptisé Antipsychiatrie , surtout
après le succès que connut un résumé publié
en anglais préfacé par David Cooper, Madness and
civilization :A History of Insanity in the Age of Reason. Le courant
anti-psychiatrique anglais, issu des travaux du même David Cooper et de
Ronald Laing est celui qui, en France, trouvera le plus d'écho. Ce
mouvement développe dans les années 1960/1970 une contestation
radicale de la psychiatrie et de sa violence institutionnelle : en janvier
1962, Cooper, psychiatre de son état, réorganise tout un service
à l'intérieur d'un grand hôpital psychiatrique londonien
afin d'accueillir les schizophrènes, service dans lequel il
expérimente de nouvelles méthodes de l'expérience
psychiatrique mêlant l'abolition des frontières entre raison
et folie, une permissivité sans limite et une absence de
hiérarchie. Cette expérience dura quatre ans, se heurtant au
scepticisme de l'administration hospitalière. En 1965, ce même
Cooper, avec l'aide de Laing et Esterson, va ouvrir des centres d'accueil
spéciaux pour les schizophrènes, dont le plus connu d'entre eux
est celui de Kingsley Hall à Londres. L'anti-psychiatrie se
décrit d'abord comme un ensemble de refus. Refus d'abord de faire de la
folie une pathologie dont la vérité scientifique serait
détenue par la seule psychiatrie, refus ensuite des traitements
médicamenteux d'une part, de nature répressive d'autre part. La
folie est ainsi pensée non comme une maladie mais comme une
difficulté, une réaction, un mal-être existentiel, une
histoire dont les racines sont à chercher dans l'entourage proche du
malade, la famille notamment. Si l'anti-psychiatrie anglaise se présente
d'abord comme une défense de la folie comme choix existentiel, le
mouvement développé en Italie par Basaglia se place lui d'un
point de vue plus politique. Il s'agit de détruire une institution,
l'asile, d'abord en en transformant les mécanismes internes, puis en le
supprimant tout à fait. Foucault qui ne connaissait pratiquement rien du
mouvement anti-psychiatrique anglais fut étonné d'être
ainsi récupéré, surtout que ce mouvement était
fortement inspiré de la phénoménologie sartrienne qu'il
avait pris le parti de rejeter : « Lorsque j'écrivis
Histoire de la folie, j'étais à ce point ignorant que je
ne savais même pas que l'antipsychiatrie existait déjà en
Angleterre ,et je me suis ainsi trouvé rétrospectivement
à l'intérieur d'un courant» s'étonnait-il dans un
entretien accordé en 1974 à M.D'Eramo. En France, le lien entre
ce courant anglais et Foucault fut soutenu par un ouvrage de la psychanalyste
Maud Mannoni, Le psychiatre, son fou et la psychanalyse paru en 1970
,qui reprenait les grandes lignes de la position foucaldienne sur la
psychiatrie. Foucault partageait donc avec les antipsychiatres l'idée
que la folie était une histoire dont la psychiatrie, cachée
derrière le masque de la raison, avait caché les archives. Les
dénonciations étaient les mêmes : dénonciation
des réseaux de pouvoir à l'intérieur de l'asile, mais
aussi le droit absolu de la raison sur la non raison. Dans son
résumé de cours de 1974, Le pouvoir psychiatrique,
Foucault définit l'antipsychiatrie comme une lutte « dans
et contre l'institution »185(*).Mais la différence principale réside
dans le fait que Foucault n'est pas lui même praticien à la
différence de Cooper par exemple. Il ne propose pas de thérapie,
de remède et en reste au stade de la théorie. Foucault combattait
pour la reconnaissance d'une histoire de la folie mais n'était pas lui
même dans le milieu psychiatrique, ce qui lui fut d'ailleurs
reproché comme nous l'avons vu. En outre ce courant s'est fixé
comme point de contestation ultime, l'institution elle-
même ;l'analyse que Michel Foucault n'a eu de cesse de
développer dans son cours sur le pouvoir psychiatrique est allée
,comme nous l'avons vu au delà de la notion d'institution qui va
révéler un certain nombre d'insuffisances. L'anti-psychiatrie a
cependant ce mérite de poser différemment la relation à
l'institution médicale et va conférer à la folie le droit
de s'exprimer jusqu'au bout, la détacher enfin d'un statut
médical dans le but de s'affranchir de ce pouvoir institutionnel qui
l'emprisonne : « La démédicalisation de la folie
est corrélative de cette mise en question primordiale du pouvoir dans la
pratique antipsychiatrique »186(*).
III: LA SOLUTION PSYCHANALYTIQUE?
Les rapports de Michel Foucault avec la psychanalyse
n'ont pas toujours été très explicites ni toujours bien
compris. La psychanalyse peut être considérée comme une
forme de dépsychiatrisation dans la mesure où le pouvoir est
transféré hors de l'espace asilaire. Il est déplacé
et reconstitué dans un espace (le cabinet du psychanalyste)
spécialement aménagé. Avec Foucault on parlera donc de
« dépsychiatrisation » pour évoquer la
manière dont la psychanalyse a permis d'envisager une sortie du monde
thérapeutique, ou plutôt un nouveau type de relation
thérapeutique, pure, dégagée de toute contrainte
autoritaire et rendant possible un nouveau champ de soins :une relation
dans laquelle le malade ne serait plus un objet sous le regard objectif du
médecin qui serait le seul détenteur de la vérité
scientifique ,mais qui serait plutôt quelque chose de
dynamique,d'enrichissant. La position foucaldienne à l'égard de
la psychanalyse n'a jamais été très claire :
« Profondément ennuyé » par son
expérience personnelle de psychanalysé, critique à son
égard sur la question des rêves dans son Introduction à
Rêve et Existence de Binswanger, il semble en reconnaître
les mérites face à un certain type de psychiatries et de tenter
de rétablir par ce biais un certain dialogue avec la déraison.
Dans Histoire de la folie à l'âge classique,
Foucault reconnaît même qu'il faut « être juste
avec Freud »187(*).Jacques Derrida dans Penser la folie, Essai sur
Michel Foucault interprète cette formule comme étant une
forme de résistance à la tentation d'assimiler Freud à la
psychopathologie : Foucault reconnaît au grand psychanalyste
autrichien la vertu d'avoir essayé de refaire parler la folie à
une époque où elle semblait définitivement réduite
au silence par la psychiatrie. Tout l'effort de Foucault, au cours de ces
quelques lignes, semble aller dans le sens d'une sorte de réhabilitation
de la psychanalyse, à tempérer toutefois...C'est néanmoins
tout le mérite de la psychanalyse d'avoir essayé de
rétablir quelque chose, comme une sorte d'expérience interactive
avec la folie, déjà présente à l'âge
classique sous la forme du délire .Freud a cerné une autre
forme de sens de signification et non un sens perdu qu'il s'agirait de
retrouver. La folie apparaît désormais comme une
« prodigieuse réserve de sens »188(*) .L' expérience
psychanalytique est fondamentalement celle du langage : « Le
langage est la structure première et dernière de la
folie » ; c'est l'articulation de la folie au langage qui
l'exprime, qui la « dit » qui permet d'établir ce
jeu de ressemblances avec l'époque classique. Freud, affirme-t-il, nous
a libérés de la stratégie des quakers (Tuke) consistant
à faire accepter à chaque malade la responsabilité (et la
punition qui en est la conséquence logique) de sa maladie, ou encore des
approches françaises, parallèles, avec lesquelles l'asile
d'Esquirol ou de Pinel « devint un instrument d'uniformisation
morale, où l'on fait comprendre aux fous qu'ils ont transgressé
les critères éthiques universels ».Freud,
d'après Foucault, a démystifié toutes les structures
asilaires, en isolant l'importance de cette composante essentielle : la
relation qui s'instaure entre patient et
médecin : « Elle [la psychanalyse] a permis de voir
que l'internement n'était pas la meilleure forme
thérapeutique »189(*). Sans Freud, tout ce qui faisait le sens de
l'expérience classique de la folie, c'est-à-dire celle-ci prise
comme langage aurait pu disparaître. Toutefois, l'expérience
psychanalytique a ses limites : « Mais il (Freud) a
exploité en revanche la structure qui enveloppe le personnage
médical ; il a amplifié ses vertus de
thaumaturge.»190(*)
.La psychiatrie du XIX ème siècle semblait ainsi
contenir en germe des éléments de psychanalyse et ,au final,
« la psychanalyse n'est pas une coupure totale et radicale par
rapport à la psychiatrie ».Beaucoup d'éléments
de la psychanalyse proviennent ainsi des techniques élaborées en
psychiatrie.Si Freud avait donc très bien compris que le noeud essentiel
de la maladie mentale se situait dans la relation du médecin avec son
patient, il n'a en revanche pas su fournir une thérapeutique dans
laquelle la relation de pouvoir serait totalement absente. Foucault ira
même jusqu'à dire que la psychanalyse ne pourra donc
réellement comprendre l'essence de la maladie mentale :
« La psychanalyse peut dénouer quelques unes des formes de la
folie ; elle demeure étrangère au travail souverain de la
déraison »191(*) .De plus, la psychanalyse n'a pas
véritablement remplacé la psychiatrie : Beaucoup de gens
sont ou restent internés ; il y a plutôt cohabitation entre
les deux. En outre, ces deux pratiques ne sont pas seules au monde :
Foucault note qu'il existe d'autres formes d'
« orthopédie médicale » telles que la
psychothérapie ou la psychiatrie communautaire. Au final, deux
idées semblent se détacher à propos de la
psychanalyse :
- d'une part la psychanalyse a permis, effectivement,
d'adresser des critiques à la pratique psychiatrique en proposant une
autre forme de traitement que l'internement
- d'autre part, la psychanalyse n'est toutefois pas une
rupture radicale avec la psychiatrie et a entre autres amplifié le
rôle du médecin thaumaturge défini au XIX
ème siècle.
V : ANALYSER LA FOLIE COMME STRUCTURE
GLOBALE :
Dans le chapitre VI de Maladie mentale et
psychologie, Foucault constate l'impuissance de la psychologie à
véritablement cerner ce qu'est la folie. La notion de maladie mentale ne
couvrirait ainsi qu'un des nombreux visages de la folie, celui de
« la folie aliénée »192(*) , c'est-à-dire
enfermée dans une définition médicale qui lui est propre.
Foucault soutient ainsi que la psychologie ne parle pas le langage de la folie,
qu'il y a là comme un décalage entre elle et son objet. Il
prône un retour à une étude de la folie comme d'une
« structure globale », c'est-à-dire
détachée de son carcan médical et interrogée dans
ses formes et son langage d'origine qui prenait chez Bosch en peinture ou chez
Erasme en littérature ses formes visibles. Il y a ici comme une sorte de
« romantisme » de la folie prise comme moyen de combattre
les formes contemporaines de la pensée, une expérience
mystérieuse, autre, qui serait engagée dans la contestation des
modes actuels de pensée au travers le génie de l'oeuvre d'un
Artaud, d'un Nietzsche ou d'un Van Gogh. Macey parle, dans sa biographie
consacrée à Foucault, d'un « bruit assourdi, rebelle
à la tentative de l'enfermement pour le réduire au
silence »193(*) . Ce que la folie met en cause, c'est l'essence
même de la réalité, l'idée même que l'on se
fait du réel. Dans les dernières pages d'Histoire de la
folie, Foucault nous dit que la folie est absence d'oeuvre. En effet,
Foucault a constamment rappelé au cours de ses nombreux textes sur les
asiles et la psychiatrie que la folie était avant tout souffrance et que
l'on n'a jamais vu de fous composer d'oeuvre. Pourtant, quand Foucault parle de
ces fous, il y a bien une « présence »d'oeuvre,
qu'elle soit philosophique, littéraire ou bien encore
artistique: « Le monde de la folie,qui avait été
mis à l'écart à partir du XVII ème
siècle a soudain fait irruption dans la littérature. C'est
ainsi que mon intérêt pour la littérature rejoint mon
intérêt pour la folie »194(*) . Ces
« fous » là ont bien une oeuvre... La folie
philosophique de Nietzsche par exemple, c'est l'abandon de la
métaphysique, la découverte de la véritable
Histoire : la folie en philosophie c'est nier le continuisme historique.
Dés le XIX ème siècle, bon nombre de
poètes, d'écrivains et de philosophes ont été
taxés de folie : Hölderlin, Nietzsche, Nerval, Artaud qui
connurent plus souvent qu'à leur tour des épisodes
délirants que les psychiatres de leur époque n'arrivèrent
pas à traiter. La folie de ces artistes échappe encore au
psychiatre. Dans le chapitre « Le cercle anthropologique »
qui clôt Histoire de la folie, Foucault parle de la folie comme
d'une « absence d'oeuvre »195(*)dans le sens où elle
participe au risque qu'il n'y ait pas d'oeuvre comme le fait remarquer Yves
Roussel dans Foucault, lire l'oeuvre. Mais la folie n'est pas absence
mais bien plutôt condition de l'oeuvre : non seulement les fous ont
une oeuvre mais peut-être même faut il payer le prix de la folie
pour aboutir à une oeuvre : en cela, l'écriture moderne
aboutit en somme à une conception dépsychiatrisée et
démédicalisée de la folie, ainsi rendue à son
origine. Dans la folie de ces artistes et de ces penseurs dont la portée
échappe au psychiatre, Foucault décèle un nouveau langage
poétique de la folie qui échappe à toute
médicalisation et la présence des ces quelques éclairs de
génie montrent la permanence (même si elle n'est plus aussi
omniprésente qu'à la Renaissance) de la folie
« originelle » maintenant réduite au silence. A
partir du XIX ème siècle, les médecins ne
s'intéressent plus à la parole du fou mais à son cerveau
(notamment avec la phrénologie et Gall).La folie vient s'aligner sur les
figures déjà nombreuses du savoir scientifique et médical.
Les vrais « héros de la folie »,ceux qui vont
subsister au XIX ème siècle,ne sont donc pas les
savants médecins en blouse blanche qui tentent de nous
révéler la véritable nature de la folie, mais ces
« écrivains fous » qui explorèrent le terrain
encore peu défriché de la déraison.
CONCLUSION GENERALE :
On ne peut pas parler de
« système » foucaldien, à propos de la
médecine et de la psychiatrie, dans le sens d'une véritable
cohérence interne de l'oeuvre.Foucault a sans cesse
réévalué, enrichi ou même parfois totalement repris
ses analyses sur le sujet. Chaque ouvrage, voire chaque article, semble, en
effet, avoir sa propre méthodologie, ses nouveaux concepts, son angle
d'analyse. Une chose, toutefois, semble assurer une certaine forme
d'unité, sinon de ressemblance entre tous ces écrits : les
analyses de la modernité chez Foucault découlent d'une
histoire des sciences humaines ; c'est l'étude du langage qui prime
et, en son sein, les régimes de signes qui, à chaque
époque, commandent ce qui est visible et ce qui est dit. Il semble ainsi
possible de trouver dans les textes de Foucault sur le pouvoir, écrits
dans les années 1970, la question, déjà en germe dans les
premiers écrits et notamment Maladie mentale et
personnalité, portant sur la manière dont les normes
définissent, à une époque donnée, les individus et
leurs discours. Ainsi, de l'étude sur le passage de la folie à la
maladie mentale (dans Histoire de la folie à l'âge
classique),jusqu'à la notion de bio-politique en tant que mode de
régulation de la vie (exposée lors des conférences de Rio
en 1974),en passant par l'archéologie du regard médical (dans
Naissance de la clinique) et par l'imposition des techniques de
disciplines corporelles (dans les cours sur le pouvoir psychiatrique),on
assiste bien avec Foucault à la mise en place d'une pensée
politique de la médicalisation,même si,bien entendu,elle ne s'y
résume pas. Comme le notent assez justement Daniel Delanöe et
Pierre Aïach dans leur ouvrage L'ère de la
médicalisation,ce qui domine dans la pensée de
Foucault,c'est aussi « la question du contrôle
social,et,spécifiquement,de la surveillance autour,par exemple,de la
figure du panoptique ».Ce contrôle s'effectue à deux
niveaux :d'une part au niveau de l'individu,avec un contrôle sur le
corps (contrôle mettant en jeu la notion de microphysique du
pouvoir) ,mais aussi au niveau de la population par le biais de l'Etat. Un
dénominateur commun à toute la pensée de Foucault sur la
médecine est donc la question de l'individu par rapport à la
totalité : Naissance de la clinique nous montrait comment la
médecine des singularités,des particularités individuelles
s'insérait dans des « séries »
pathologiques,les cours de 1974 comment s'exercent sur nous ces micro-pouvoirs
quotidiens,comme la psychiatrie. Dés la fin des années 50 on
peut dire,sans trop se tromper, que Foucault entend mettre en oeuvre une
nouvelle pratique de l'Histoire des sciences, discontinuiste,qui ne serait pas
basée sur de quelconques normes mais qui s'interrogerait plutôt
sur la manière dont les sciences interfèrent ou s'insèrent
dans des structures sociales et politiques.
Les progrès des techniques médicales au
cours de ces trente dernières années tendent vers une certaine
maîtrise du vivant, repoussant toujours plus loin ce que l'homme peut
connaître : cette « biologisation » de la
médecine actuelle aurait mérité un prolongement dans
l'oeuvre de Foucault comme le note Christiane Sinding dans l'ouvrage de Luce
Giard, Michel Foucault, lire l'oeuvre. La médecine n'est plus
seulement une science de la guérison, mais elle est une science qui
prédit, qui pronostique. Elle est devenue « une science du
devenir de l'individu »196(*).Qu'aurait donc pensé Foucault de la
médecine actuelle ? Sa présence n'aurait-elle pas
été intéressante pour apporter un éclairage sur les
bouleversements que l'apparition et le développement du SIDA, notamment,
ont fait naître ? Dans un article du Magazine littéraire
datant de 1994, le célèbre médecin Jean-Paul Escande
souligne que « la médecine, depuis 10 ans (...) a vécu
par axe de référence au SIDA »197(*) . Escande rajoute, fort
justement : « Lui (Foucault), extérieur au système
et cherchant à le comprendre, aurait pu, pour l'opinion, éclairer
et aider à comprendre comment on était passé de la
médecine de l'espoir à la médecine de
l'attente »198(*).Les années 80/90 ont totalement
bouleversé la perception, les pratiques et les discours médicaux
pour les médecins comme pour les patients. Quels axes de
réflexion Foucault aurait il dégagés ? En tous les
cas, le fait que l'on puisse s'interroger sur l'impact qu'auraient eu les
idées d'un homme qui n'était pas médecin lui même,
sur une discipline aussi difficile à cerner pour les profanes, montre
à quel point sa pensée a marqué la profession. Même
chose pour la psychiatrie : la crise actuelle du domaine
psychothérapeutique, la difficulté qu'a cette branche ô
combien particulière de la médecine à clarifier son
statut, symbolisée notamment par les remous autour de la loi
Accoyer/Mattei d'octobre 2003, tendrait à donner raison à
Foucault ... La « folie » est ,à l'heure
actuelle, plus médicalisée encore qu'à l'époque
où Foucault écrivait Histoire de la folie :
multiplication des psychotropes, des anti-dépresseurs (la
dépression est même parfois surnommée le « mal du
siècle »...), sectorisation de la psychiatrie... Tant que le
psychiatre ne saura pas s'il doit soigner la maladie mentale ou prendre en
charge la santé mentale de la société, la psychiatrie
oscillera entre thérapeutique et instance de pouvoir. Autant de mesures
et d'évolutions allant dans le sens d'une médicalisation et d'une
psychiatrisation accrue dans nos sociétés , la constante de la
notion de médicalisation étant que le pouvoir disciplinaire ou
politique s'exerce sur des objets qui n'étaient pas,jusqu'alors ,
considérés comme relevant de cette forme de pouvoir ,comme
le corps, omniprésent dans la pensée de Foucault,ou encore la vie
elle-même : « Le pouvoir politique ,avant même
d'agir sur l'idéologie,la conscience des personnes , s'exerce de
façon beaucoup plus physique sur leurs corps ;la manière
dont on leur impose des gestes,des attitudes ,des usages,des
répartitions dans l'espace (...) Cette distribution physique,spatiale
des gens appartient me semble t-il à une technologie politique du
corps »199(*).
Comment sortir de cette médicalisation et de
cette psychiatrisation, de cette emprise du pouvoir sur nos corps ? Il serait
pourtant vain d'attendre de Foucault une quelconque réponse à
cette question... Nous pensons d'ailleurs que ce serait faire un contresens
que de demander à l'auteur de l'Histoire de la folie et
de Naissance de la clinique des prescriptions sur une juste
politique de la santé. Etudier les conditions de l'histoire d'un
discours psychiatrique, s'interroger sur ce qui a rendu possible
l'hôpital, dépister les stratégies de pouvoir
masquées sous de prétendus progrès moraux de
l'humanité, n'a pas pour fin de porter des jugements de valeurs :
Foucault nous invite plutôt à un engagement à de petites
luttes quotidiennes et à l'interpellation de nos évidences, de
nos postulats, de nos opinions admises, de nos habitudes, de nos
manières de penser ou façons de faire.
BIBLIOGRAPHIE :
1. TRAVAUX DE MICHEL FOUCAULT
A : Livres :
Maladie mentale et personnalité, PUF, Paris,
1954, seconde édition revisitée parue sous le titre Maladie
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TEL Gallimard, Paris, 1961 pour la première édition,
réed.1972.
Naissance de la clinique, PUF, Paris, 1963
Archéologie du savoir, Gallimard, Paris,
1969
L'ordre du discours, Gallimard, Paris, 1971
Les Machines à guérir (aux
origines de l'hôpital moderne), Mardaga, Bruxelles, 1976 (ouvrage
collectif)
Dits et Ecrits volume 1 et volume 2 1954/1975,
Gallimard, Paris, 1994 collection Quatro
Dits et Ecrits volume 3 1976/1979, Gallimard, Paris,
1994, collection Bibliothèque des sciences humaines
B : Préfaces et introductions :
Ludwig BINSWANGER, le rêve et l'existence,
Gallimard 1954, Paris, rapporté dans Dits et Ecrits volume 1
et 2. 1994, Quatro Gallimard (introduction par Michel Foucault)
Folie et déraison, préface ,1961
rapporté dans Dits et Ecrits volume 1 et 2, Quatro Gallimard,
Paris, 1994
C : Articles (dans Dits et
Ecrits):
« Histoire de la psychologie de 1850 à
1950 » 1957, Dits et Ecrits volume 1 et 2
« La recherche scientifique en
psychologie » 1957, Dits et Ecrits volume 1 et 2
« La folie absence d'oeuvre » 1964, Dits
et Ecrits volume 1 et 2
« Le monde est un grand asile » 1973, Dits et
Ecrits volume 1 et 2
« Le pouvoir psychiatrique » 1974, Dits et
Ecrits volume 1 et 2
« Crise de la médecine ou crise de
l'anti-médecine » 1976, Dits et Ecrits volume 3
« Bio histoire et bio politique » 1976,
Dits et Ecrits volume 3
« La naissance de la médecine
sociale » 1977, Dits et Ecrits volume 3
« L'asile illimité » 1977, Dits et
Ecrits volume 3
« L'incorporation de l'hôpital dans la
technologie moderne » 1978 Dits et Ecrits volume 3
D : entretiens (dans Dits et
Ecrits) :
« La folie n'existe que dans une
société » 1961, Dits et Ecrits volume 1 et 2
« Philosophie et psychologie » 1965, Dits
et Ecrits volume 1 et 2
« Interview avec Michel Foucault » 1968,
Dits et Ecrits volume 1 et 2
« La folie et la société »
1970, Dits et Ecrits volume 1 et 2
« Folie, une question de pouvoir » 1974,
Dits et Ecrits volume 1 et 2
« L'oeil du pouvoir » 1977, Dits et Ecrits
volume 3
« Enfermement, psychiatrie, prison » 1977,
Dits et Ecrits volume 3
« La folie et la société »
1978, Dits et Ecrits volume 3
« Le pouvoir, une bête magnifique »
1977, Dits et Ecrits volume 3
E : cours au Collège de France :
Le Pouvoir psychiatrique, Gallimard-le seuil, Paris,
2002 Hautes études
Les anormaux, Gallimard-le seuil 1999, Paris,
Hautes études
Il faut défendre la société,
Gallimard le seuil, Paris, 2001 Hautes études
2. TRAVAUX CONCERNANT
FOUCAULT (par ordre alphabétique)
A : Livres :
ARTIERES Philippe/DA SILVA Emmanuel : Foucault et la
médecine, éditions Kimé, Paris 2001
AUZIAS Jean-Marie : Qui suis-je ? Michel
Foucault, éditions La manufacture, Lyon, 1986
DREYFUS Hubert/RABINOW Paul : Michel Foucault un
parcours philosophique, trad.F.Durand-Bogaert, Folio, Paris 1984,
collection essais.
ERIBON Didier, Michel Foucault, Flammarion, Paris,
1991, collection champs
ERIBON Didier Foucault et ses contemporains, Fayard,
Paris, 1994
EVRARD F. Michel Foucault et l'histoire du sujet en
occident ,Bertrand Lacoste,Paris,1995
FIMIANI Mariapaola Foucault et Kant critique, clinique
éthique, trad. N.Le Lirzin, l'Harmattan, Paris, 1998, Ouverture
philosophique
GIARD Luce, Michel Foucault lire l'oeuvre,
Jérôme Million, Grenoble, 1992
GROS Frédéric, Michel Foucault, PUF,
Paris, 1996, collection Que sais je
GROS Frédéric, Foucault et la folie,
PUF, Paris, 1997, collection philosophies
KREMER-MARIETTI Angéle Michel Foucault, Seghers,
Paris, 1974
LEBLANC Guillaume/TERREL Jean (sous la direction de),
Foucault au Collège de France, un itinéraire, PUB, Bordeaux,
2003, collection Histoire des pensées
MACEY David Foucault,trad.P.E.Dauzat, Gallimard,
Paris, 1993,collection NRF
MERQUIOS José-Guilherme Foucault ou le nihilisme de
la chaire, PUF, Paris, 1986
MONOD Jean-Claude La police des conduites, Michalon,
Paris, 1997 collection Le bien commun
REVEL Judith Le vocabulaire de Foucault, Ellipses,
Paris, 2002 collection vocabulaire de...
SHERIDAN Allan Discours, sexualité et pouvoir
initiation à Michel Foucault, Mardaga, Bruxelles, 1980
(Collectif) Penser la folie, Essais sur Michel
Foucault, Galilée, Paris, 1992, collection Débats
B : Revues :
CITES : Michel Foucault : De la guerre des races
au biopouvoir, PUF, Paris, 2001
CRITIQUE : Michel Foucault : Du monde
entier, Editions de minuit, Paris, Août/Septembre 1986
MAGAZINE LITTERAIRE : Foucault aujourd'hui
Octobre 1994 n°325
SCIENCES HUMAINES : n° 147
dossier : « Ou en est la psychiatrie ? »
Mars 2004
C : Actes de colloques :
(Collectif) Michel Foucault philosophe, rencontre
internationale Paris 9, 10,11 janvier 1988, Seuil, 1989
3. AUTRES OUVRAGES :
ACKERKNECHT Erwin.H : La médecine
hospitalière à Paris (1794/1848) trad.F.Blateau, Payot,
Paris, 1986
AIACH Pierre, DELANOE Daniel (sous la direction
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sanitas , Anthropos, Paris, 1998
ARTIERES Philippe/LASCOUMES Pierre : Gouverner,
enfermer La prison, un modèle indépassable, Presses de
sciences po, Paris, 2004
BENTHAM Jeremy : Le Panoptique, Belfond, Paris,
1977
CANGUILHEM Georges : Le normal et le
pathologique, PUF, Paris, 1966 collections Quadrige
CANGUILHEM Georges : Ecrits sur la
médecine, Seuil, Paris, 1989 collection Champ Freudien
CANGUILHEM Georges : Etudes d'Histoire et de
Philosophie des sciences, Vrin, Paris, 1975 Polémiques et
controverses
CRIGNON-DE OLIVEIRA Claire/GAILLE-NIKODIMOV Marie A
qui appartient le corps humain ?médecine politique et droit,
Les belles lettres, Paris, 2004 collection Médecine et sciences
humaines
ENGEL Pascal Philosophie et psychologie, Gallimard,
Paris, 1996 collection Folio essais
GAUCHET Marcel/SWAIN Gladys : La pratique de l'esprit
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GOLDSTEIN Jan Consoler et classifier, l'essor de la
psychiatrie française, trad.F.Bouillot, Institut Synthélabo,
Plessis Robinson, 1997 collection Les empêcheurs de penser en rond
LECOURT Dominique (sous la direction de) :
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Quadrige dicos poche
POLITZER Georges Critique des fondements de la
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POSTEL Jacques/QUETEL Claude (sous la direction de) :
Nouvelle histoire de la psychiatrie, Dunod, Paris, 1994
SWAIN Gladys : Le sujet de la folie, Gallimard,
Paris, 1978 NRF
Dr THUILLER Jean: La folie ; Histoire et
dictionnaire, Robert Laffont, Paris, 1996 Bouquins
ZARIFIAN Edouard : Les jardiniers de la folie,
Odile Jacob, Paris 1994 Poches
INDEX DES
NOTIONS:
Aliénation, 14, 15, 50, 53, 56, 58, 64, 65, 70
Aliéné, 15, 56, 58, 63, 74
Aliénisme, 5, 73, 83
Anormal, 3, 11, 19, 21, 42, 63, 64
Anti-psychiatrie, 75, 87
Archéologie, 1, 23, 24, 25, 26, 28, 47, 52, 69, 73, 76,
93, 104
Architecture, 45, 76, 81
Asile, 1, 6, 17, 50, 56, 58, 59, 60, 61, 65,66 69, 71, 77, 78,
79, 81, 85, 87,88, 89, 97, 105
Béhaviourisme, 20, 22
Clinique, 2, 6, 23, 24-35, 36, 40, 44, 76, 84, 93, 94, 95, 96,
98, 103
Corps, 4, 28, 31, 33, 34, 36, 38, 40, 41, 43, 48, 64, 65, 71, 76,
78, 80, 82, 86, 93, 95, 99
Dépsychiatrisation, 83, 85, 86, 88
Déraison, 16, 26, 50, 52, 53, 55, 68, 73, 88, 92, 96
Discipline, 1,3,5, 6, 7, 20, 21, 27, 28, 44, 47, 48, 49, 50, 52,
62, 63, 66, 69, 73, 74, 75,77,78, 79, 81, 82,84, 94,95,105
Discours, 1, 3, 6, 17, 21, 23, 24, 25, 26, 28, 30, 33, 39, 51,
63, 66, 73, 76, 78, 93, 94, 95, 96
Dispositifs, 2, 60, 76
Enfermement, 8, 54, 55, 86, 91
Etat, 30, 36, 38, 40, 46, 93
Famille, 29, 44, 54, 58, 59, 63, 81, 82, 87
Folie, 1, 5, 6, 7, 10, 14, 16, 23, 24, 26, 35, 50, 51, 52, 53,
54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 65, 67, 69, 71, 72, 73, 74, 76, 78, 84, 86,
88, 89, 90, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 100, 104, 105
Fou, 5, 7, 14, 15, 51, 54, 55, 57, 59, 60, 62, 63, 65, 70, 78,
80, 82, 83, 85, 87, 92
Histoire, 1, 2, 5, 6, 8, 10, 12,14, 16,18, 20, 21, 22, 23, 24,
26,27, 35, 41,50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 64, 65, 67,
69, 70, 71, 72, 73, 74, 76, 78, 86, 87,88, 89, 90, 91, 93, 94, 95, 96,97, 98,
99, 100,104
Hôpital, 7, 29, 30, 36, 42,44-49, 50, 57, 63, 78, 79, 81,
82, 85, 86, 95, 96, 97, 104
Individu, 9, 11, 13, 15, 20, 34, 40, 41, 42, 45, 48, 49, 56, 63,
64, 66, 70, 75, 78, 80, 81, 82, 85, 93, 94
Institution, 1,2,5, 6, 9, 26, 36,42, 47,53, 54, 67, 69, 71, 73,
76, 78,79, 80,82, 87, 104
Internement, 11, 15, 53, 54, 55, 58, 59, 61, 63, 82, 89, 90
Langage, 5, 9, 10, 25, 27, 31, 51, 61, 68, 76, 89, 90, 93
Maladie, 2, 5, 8, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 25, 26, 28, 30, 33, 34,
37, 45, 49, 51, 53, 55, 56, 57, 61, 63, 64, 65, 68, 70, 73, 74, 76, 87, 89, 90,
93, 95, 103
- maladie mentale, 11, 12, 14, 15, 52, 59, 61, 63,
65, 74, 89
Médecin, 5, 21, 25, 27, 28, 31, 33, 36, 38, 41, 43, 45,
47, 49, 50, 54, 56, 57, 60, 61, 66, 67, 75, 77, 78, 82, 88, 90, 94
Médecine sociale, 4, 6, 35, 36-49
Médicalisation, 4, 5, 6, 41, 42, 44, 48, 55, 56, 63, 85,
91, 93, 95, 99
Mort, 2, 15, 27, 33, 34, 44
Normalisation, 3, 63, 65, 83, 86
Norme, 10, 30,53, 60, 63,83,93
Panopticon/panoptique,45,79,80, 81,82,93
Pathologie, 10, 11, 12, 13, 41, 64, 68, 74, 87, 103
Personnalité, 2, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 35, 50,
65, 74, 93, 96, 103
Politique, 4, 10, 15, 26, 35, 36, 40, 45, 47, 55, 63, 70, 71, 72,
78, 87, 93, 95, 97, 99
Population, 36, 39, 44, 54, 93
Pouvoir, 1, 2, 3, 6, 17, 21, 31, 35, 36, 37,39, 40, 43, 44, 47,
48, 49, 51, 58, 59, 61, 63, 66, 72, 73,74, 75, 76, 77, 78, 80, 81, 82, 83, 84,
85, 86, 87, 88, 89, 93, 95, 97, 98, 104, 105
Pratiques, 2, 11, 14, 23, 30, 34, 60, 62, 71, 74, 83, 90, 94
Présent, 1, 12, 17, 27
Psychanalyse, 5, 7, 8, 9, 12, 16, 20, 22, 23, 83, 87, 88, 90
Psychiatrisation, 83, 85, 95
Psychologie, 6, 7-23,29, 30, 35, 74, 90, 96, 97, 99, 100, 103
Santé, 4, 7, 11, 30, 36, 38, 39, 40, 41, 42, 45, 75, 95
Savoir, 1, 2, 6, 7, 9, 17, 18, 22, 25, 26, 28, 30,32, 33, 34, 39,
40, 42, 44, 48, 49, 51, 56, 57, 59, 61, 63, 67, 73, 74, 75, 76, 78, 80, 81, 82,
83, 85, 92, 96, 104
Science,1, 3, 12, 16, 18,19,20, 21, 22, 25, 31, 33, 34, 35, 38,
39,41, 50, 59, 61, 64, 73 ,74, 85, 93, 94, 96, 99, 103
Signe, 2, 31, 62
Société, 1, 4, 15, 20, 37, 40, 42, 43, 53, 54, 56,
58, 61, 62, 63, 64, 65, 70, 76, 79, 81, 82, 91, 95, 97
Souveraineté, 3, 31, 78, 81, 83
Traitement moral, 5, 57, 59, 69, 78, 82
INDEX DES NOMS DE
PERSONNES:
Artaud (Antonin), 17, 91
Bachelard (Gaston), 86
Basaglia (Franco), 87
Bayle (G.L), 27
Bentham (Jeremy), 79, 80
Bichat (Xavier), 26, 33, 34, 83
Binswanger (Ludwig), 8, 10, 30, 88
Bosch (Jérôme), 53, 90
Cabanis (P.J.G), 33
Canguilhem ( Georges), 11, 21, 24, 50, 86, 105
Castel (Robert), 73, 86
Condillac (Etienne B. de), 31
Cooper (David), 86
D'Eramo (M.), 87, 95
Daumézon (Georges), 68
Delay (jean), 7
Derrida (Jacques), 57, 88
Engel (Pascal), 21, 22
Erasme, 17, 53, 90
Eribon (Didier), 7, 9
Escande (Jean-Paul), 94
Esquirol (J.E.D), 62, 70, 89
Esterson (Aaron), 87
Ey (Henri), 57, 68, 69
Freud (Sigmund), 8, 9, 12, 15, 20, 22, 88
Galien (Claudius Galenus), 29
Gauchet (Marcel), 69, 71, 106
Giard (Luce), 30, 32, 94
Goldstein (Jan), 71, 72, 106
Goya (Francisco), 53
Gros (Frédéric), 23
Hölderlin (Friedrich), 17, 91
Howard (Richard), 47
Husserl (Edmund), 8
Jackson (C.), 12
Lagache (Daniel), 7, 21
Lagrange (Jacques), 73, 75, 77
Laing (Ronald), 86
Lecourt (Dominique), 5
Leuret (Francois), 82
Macey (David), 8, 24, 91
Mannoni (Maud), 87
Merleau-Ponty (Maurice), 7, 51
Monod (Jean-Claude), 40, 42, 53, 54, 70, 71
Nietzsche (Friedrich), 1, 91
Pinel (Philippe), 5, 15, 26, 28, 33, 34, 52, 57, 59, 61, 62, 67,
69, 78, 82, 89
Politzer (Georges), 22, 23, 105
Pomme (P.), 27
Pussin (Jean-Baptiste), 57
Roussel (Raymond), 17
Sade (Marquis de), 53
Sinding (Christiane), 32, 94
Swain (Gladys), 69, 71, 106
Sydenham (Thomas), 26, 28
Tuke (Samuel), 17, 52, 57, 59, 61, 89
TABLE DES
MATIERES :
INTRODUCTION
p.1
I UNE ANALYSE DES DISCOURS MEDICAUX
p.7
1. FOUCAULT ET LA PSYCHOLOGIE
p.7
· 1. 1 : Les premiers pas de Foucault en
psychologie.
· 1. 2 : Contre une méta-pathologie en
psychologie.
· 1. 3 : Maladie mentale et
personnalité ou Maladie mentale et psychologie ?
· 1. 4 : Une science de la maladie mentale est elle
possible ?
· 1. 5 : Canguilhem et Politzer, un autre regard sur
la psychologie.
2. LE REGARD MEDICAL DANS NAISSANCE DE LA CLINIQUE
p.24
· 1. 1 : Genèse et élaboration
de Naissance de la clinique.
· 1. 2 : Les conditions d'émergence de
l'expérience clinique.
· 1. 3 : La révolution médicale :
acteurs et conséquences.
3. CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
p.35
II L'INSTITUTION MEDICALE ET LA MEDICALISATION
p.36
1. VERS UNE MEDECINE SOCIALE
p.36
· 1. 1 : Qu'est-ce que la médecine
sociale ?
· 1. 2 : Une histoire de la médecine
sociale.
· 1. 3 : Le fonctionnement actuel du savoir et du
pouvoir médical.
· 1. 4 : Une critique de la médecine
traditionnelle.
2. L'HOPITAL INSTRUMENT DE LA MEDECINE SOCIALE
p.44
· 1. 1 : Le problème de l'hôpital.
· 1. 2 : L'archéologie des machines à
guérir.
· 1. 3 : Quelles caractéristiques pour
l'hôpital médical ?
3. LA FOLIE DEVIENT OBJET MEDICAL : NAISSANCE DE
L'ASILE p.50
· 1. 1 : Une histoire de l'institution
psychiatrique ?
· 1. 2 : Différents âges de la
folie.
· 1. 3 : Le tournant du XIX ème
siècle.
· 1. 4 : D'une psychiatrie à l'autre.
· 1. 5 : Conclusion : quelle histoire pour la
psychiatrie ?
III : LE POUVOIR PSYCHIATRIQUE
p.67
1. UNE RELECTURE TARDIVE D'HISTOIRE DE LA FOLIE
p.67
· 1. 1 : Des problèmes historiques.
· 1. 2 : La critique de Gauchet et Swain.
· 1. 3 : Une autre vision de l'institution
psychiatrique : J.Goldstein.
2. LE POUVOIR PSYCHIATRIQUE
p.73
· 1. 1 : Un déplacement
d'intérêt dans l'oeuvre de Foucault.
· 1. 2 : De nouvelles méthodes.
· 1. 3 : Le pouvoir disciplinaire.
· 1. 4 : Le Panopticon.
· 1. 5 : Le fonctionnement de l'asile.
· 1. 6 : La généralisation du
paradigme aliéniste.
3. VERS UNE DEPSYCHIATRISATION ?
p.85
· 1. 1 : Un constat : le monde est un grand
asile.
· 1. 2 : Le problème antipsychiatrique.
· 1. 3 : La solution psychanalytique ?
· 1. 4 : La folie comme structure globale.
CONCLUSION GENERALE
p.92
BIBLIOGRAPHIE
p.96
INDEX DES NOTIONS
p.101
INDEX DES NOMS DE PERSONNES
p.103
* 1 Michel Foucault,
« Le monde est un grand asile » in Dits et Ecrits
vol I et II, Quatro Gallimard, Paris, 1994, p.1302.
* 2 Michel Foucault
« Le pouvoir une bête magnifique », entretien avec
M.Osirio in Dits et écrits vol III, Gallimard, Paris, 1994,
p.369.
* 3
«Truth,power,self :An interview»in Technologies of the
self,a seminar with Michel Foucault cité par Didier Eribon,
Michel Foucault, Flammarion,Paris, 1989, p.104.
* 4 Ducio Trombadori,
Colloqui con Foucault, in Didier Eribon, Michel Foucault,
Champs-Flammarion, 1989, p.66.
* 5 Michel Foucault,
Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p. 638.
* 6 Michel Foucault, Maladie
mentale et personnalité, PUF, Paris, 1954, p.11.
* 7 Ibid.p.14.
* 8 Ibid.p.14.
* 9 Michel Foucault, Maladie
mentale et personnalité, PUF, Paris, 1954, p.14.
* 10 Ibid. p.34.
* 11Michel Foucault,
Maladie mentale et personnalité, PUF Paris, 1954, p.34.
* 12 Ibid p.48.
* 13 Ibid.p.52.
* 14 Ibid.p.60.
* 15 Michel Foucault,
Maladie mentale et personnalité, PUF, Paris, 1954, p 69.
* 16 Ibid. p.79.
* 17 Michel Foucault,
Maladie mentale et personnalité, PUF, Paris, 1954, p.83.
* 18 Ibid p.87.
* 19 Ibid p.106.
* 20 Michel Foucault,
Maladie mentale et personnalité, Paris, PUF, 1954, p.90.
* 21 Ibid. p.110.
* 22 Michel Foucault,
Maladie mentale et psychologie, PUF, Paris, 1962, p.89.
* 23 Michel Foucault,
« Philosophie et psychologie » in Dits et Ecrits,
vol I Quatro Gallimard, Paris, 1994, p.466.
* 24 Michel Foucault,
«La recherche scientifique en psychologie » in Dits et
Ecrits, vol I Quatro Gallimard, Paris, p.166.
* 25 Ibid p.166.
* 26 Ibid p.173.
* 27 Ibid p.186.
* 28 Michel Foucault,
« La recherche scientifique en psychologie » in Dits et
Ecrits, Vol I et II, Quatro-Gallimard, Paris, 1994, p.166.
* 29 Ibid.p.166.
* 30 Michel Foucault,
« La recherche scientifique en psychologie » in Dits et
Ecrits Vol 1 Quatro Gallimard, Paris, 1994, p.150.
* 31 Michel Foucault,
« Histoire de la psychologie de 1850 à 1950 » in
Dits et Ecrits, Vol 1 Quatro Gallimard, Paris, 1994, p.155.
* 32 Ibid. p.163.
* 33 Georges Canguilhem,
« Qu'est ce que la psychologie » in Etudes d'Histoire
et de philosophie des sciences, Vrin, Paris, 1968, p.365
* 34 Ibid p 366
* 35 Pascal Engel,
Philosophie et psychologie, Folio Gallimard, Paris, 1995, p.11.
* 36 Georges Politzer,
Critique des fondements de la psychologie, PUF, Paris, 1968,
pp 2 et 3.
* 37 Ibid p.2.
* 38 Georges Politzer,
Critique des fondements de la psychologie, PUF, Paris, 1968, p.249.
* 39 Ibid.p.262.
* 40 Michel Foucault,
L'ordre du discours, Gallimard, Paris, 1969, pp.73 et 74 .
* 41 Michel Foucault,
Naissance de la clinique, PUF, Paris, 1963, pp.53 et 54.
* 42 Ibid. Préface
p.XIV.
* 43 Michel Foucault,
Archéologie du savoir, Gallimard, Paris, 1969, p.213.
* 44 Michel Foucault,
préface 1961 d'Histoire de la folie in Dits et Ecrits,
Vol I et II, Quatro Gallimard, Paris, 1994, p.188.
* 45 Michel Foucault,
Naissance de la clinique, PUF, Paris, 1963, préface p I.
* 46 Michel Foucault,
Naissance de la clinique, PUF, Paris, 1963, Préface p.VI.
* 47 Ibid.p.XII.
* 48 Michel Foucault,
Naissance de la clinique, PUF, Paris, 1963, p.3.
* 49 Ibid. p.6.
* 50 Michel Foucault,
Naissance de la clinique, PUF, Paris, 1963, p.35.
* 51 Ibid.pp.37 et 38.
* 52Michel Foucault,
Naissance de la clinique, PUF, Paris, 1963, p.88.
* 53 Ibid.p.197.
* 54 Ibid. p.89.
* 55 Ibid. p.95.
* 56 Michel Foucault,
Naissance de la clinique, PUF, Paris ,1963 p.99.
* 57 Ibid p.97.
* 58 Ibid p.97.
* 59 Ibid p.102.
* 60 Luce Giard, Michel
Foucault, lire l'oeuvre, Jérôme Million, Paris, 1992,
p.68.
* 61 Xavier Bichat
,Anatomie générale ,avant-propos p.XCIX cité par
Michel Foucault dans Naissance de la Clinique,PUF ,Paris,1963,
p.149.
* 62 Michel Foucault,
Naissance de la clinique, PUF, Paris, 1963, p.138.
* 63 Ibid.p.131.
* 64 Ibid.p.130.
* 65 Ibid.p.146.
* 66 Ibid.p.149.
* 67 Michel Foucault,
Naissance de la clinique, PUF, Paris, pp.200/201.
* 68 Michel Foucault,
« Prisons et asiles dans le mécanisme du pouvoir »,
in Dits et Ecrits vol I et II,Quatro- Gallimard,
Paris ,1994,p.1392.
* 69 Michel Foucault,
Les machines à guérir, Mardaga, Bruxelles, 1979, p.7.
* 70 Ibid. p.8.
* 71 Michel Foucault,
« L'oeil du pouvoir » in Dits et Ecrits Vol III, Gallimard,
Paris, 1994, p.194.
* 72 Michel Foucault,
« La Naissance de la médecine sociale » in Dits
et Ecrits, Vol III, Gallimard, Paris, 1994, p.210.
* 73 Ibid p.214.
* 74 Ibid p.223.
* 75 Michel
Foucault, « La Naissance de la médecine
sociale » in Dits et Ecrits, Vol III, Gallimard, Paris,
1994, p. 223.
* 76 Ibid p.225.
* 77 Michel Foucault,
« Crise de la médecine ou crise de
l'anti-médecine »,in Dits et Ecrits,Vol
III,Gallimard,Paris,1994,p.41.
* 78 Ibid.p.43.
* 79 Ibid.p.43.
* 80 Ibid.p.44.
* 81 Jean-Claude Monod,La
police des conduites,Le bien commun,Paris,1997,p.52.
* 82 Michel Foucault,
« La naissance de la médecine sociale » in Dits
et Ecrits, Vol III, Gallimard, Paris, 1994, p.207.
* 83 Ibid.p.208.
* 84 Michel Foucault,
« Crise de la médecine ou crise de
l'anti-médecine ? » in Dits et Ecrits, Vol III,
Gallimard, 1994, Paris, p.50.
* 85 Michel Foucault,
« Crise de la médecine ou crise de
l'anti-médecine ? » in Dits et Ecrits, Vol III,
Gallimard, 1994, Paris, p.53.
* 86 Michel Foucault,
« La naissance de la médecine sociale » in Dits
et Ecrits, Vol III Gallimard, Paris, 1994, p.208.
* 87 Michel
Foucault, « Les grandes fonctions de la médecine dans
notre société » in Dits et Ecrits, Vol I et
II, Quatro Gallimard, Paris, pp.1249 et 1250.
* 88 Michel Foucault,
« L'incorporation de l'hôpital dans la technologie
moderne » in Dits et Ecrits, Vol III, Gallimard, Paris, 1994,
p.511.
* 89 Ibid p.517.
* 90 Michel Foucault, Les
Machines à guérir, Mardaga, Bruxelles, 1979, p.17.
* 91 Ibid. p.48.
* 92 Michel Foucault,
« L'incorporation de l'hôpital dans la technologie
moderne » in Dits et Ecrits Vol III, Gallimard, Paris, 1994,
p.510.
* 93 Ibid p.511.
* 94 Ibid p.512.
* 95 Michel Foucault,
« L'incorporation de l'hôpital dans la technologie
moderne » in Dits et Ecrits Vol III, Gallimard, Paris, 1994,
p.514.
* 96 Ibid p.516.
* 97 Ibid p.516.
* 98 Ibid p.517.
* 99 Ibid p.517.
* 100 Michel Foucault,
« L'incorporation de l'hôpital dans la technologie
moderne » in Dits et Ecrits vol III, Gallimard, Paris, 1994,
p.518.
* 101 Ibid p.519.
* 102 Ibid p.521.
* 103 Ibid p.521.
* 104 Michel Foucault,
Préface d'Histoire de la folie in Dits et
écrits, vol I et II Quatro-Gallimard, Paris, 1994, p.187.
* 105 Ibid p.187.
* 106 Ibid p.187
* 107 Ibid p.187
* 108 Michel Foucault,
Préface d'Histoire de la folie in Dits et Ecrits, Vol
I et II Quatro Gallimard, Paris, 1994, p.188.
* 109 Ibid p.188.
* 110 Ibid p.188.
* 111 Ibid p.189.
* 112 Ibid p.189.
* 113 Jean Claude
Monod, La police des conduites, Le bien commun, Paris, 1997,
p.22.
* 114 Michel Foucault,
Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.59.
* 115 Jean Claude Monod,
La police des conduites, Le bien commun, Paris, 1997, p.23.
* 116 Michel Foucault,
Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.445.
* 117 Michel Foucault,
Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972),.p.446.
* 118 Ibid.p.501.
* 119 Ibid.p.530.
* 120 Michel Foucault,
Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.532.
* 121 Ibid.p.541.
* 122 Ibid p.552.
* 123 Ibid.p.545.
* 124 Ibid.p.575.
* 125 Michel Foucault,
Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.576.
* 126 Ibid.p.596.
* 127 Jacques Derrida, in
Penser la folie, essais sur Michel Foucault, Galilée, Paris,
1992, p.165
* 128 Michel Foucault,
Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972) p.585.
* 129 Michel Foucault, Le
pouvoir psychiatrique, TEL Gallimard seuil, Paris, 2003, p.30.
* 130 Michel Foucault,
Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris ,1961 (-1972), p.623.
* 131 Michel Foucault,
Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris ,1961 (-1972), p.501.
* 132 Ibid. p.501.
* 133 Michel Foucault,
Histoire de la Folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.602.
* 134 Ibid p.602 .
* 135 Ibid p.600.
* 136 Ibid p.601.
* 137 Michel Foucault,
Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.616.
* 138 Ibid p.623.
* 139 Ibid p.530.
* 140 Ibid p.623.
* 141 Ibid p.623.
* 142 Ibid p.624.
* 143 Michel Foucault,
Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.626.
* 144 Ibid.p.627.
* 145 Ibid p.629.
* 146 Ibid.p.630.
* 147
Leblanc/Terrel, Foucault au collège de France, un
itinéraire, PUB, Bordeaux, 2003, p.31.
* 148 Michel Foucault, Il
faut défendre la société, Gallimard-le seuil, Paris,
1999, p.34.
* 149 Michel Foucault, Il
faut défendre la société, Gallimard-le seuil, Paris,
1999, p.35.
* 150 Michel Foucault, Les
anormaux, Gallimard -le seuil, Paris, 2001, p .151.
* 151 Ibid p.251.
* 152 Ibid p.298.
* 153 Michel Foucault,
« La folie n'existe que dans une société » in
Dits et Ecrits, Quatro Gallimard, Vol I et II, Paris, 1994, p.197.
* 154 Henri Ey, Evolution
psychiatrique, tome 36 fasc. II, Actes du colloque, Privat, Toulouse 1971,
p.226.
* 155 Ibid.
* 156 Ibid.
* 157 Jean Claude Monod,
La police des conduites, Michalon, Paris, 1997, p.37.
* 158 Jan Goldstein,
Consoler et classifier, l'essor de la psychiatrie française,
Institut Synthélabo, Plessis Robinson, 1997, p.23 .
* 159 Michel Foucault, le
pouvoir psychiatrique, Gallimard seuil, Paris, 2003, p.35.
* 160 Michel Foucault ,
« Usage des plaisirs et techniques de soi » in Dits et
Ecrits, Vol IV,Gallimard,Paris,p.545 cité par Jacques Lagrange in
Le pouvoir psychiatrique,Gallimard-Seuil,Paris,p.355.
* 161 Michel Foucault,
Maladie mentale et personnalité, PUF, Paris, 1954, p.75.
* 162 Michel Foucault,
« Pouvoir et savoir »in Dits et Ecrits, Quatro
Gallimard, Paris, 1994, p.400.
* 163 Michel Foucault,
« Folie, une question de pouvoir » in Dits et
Ecrits, Quatre Gallimard, Paris, 1994, p.1530.
* 164 Michel Foucault, Le
pouvoir psychiatrique, Gallimard seuil, Paris, 2003, p.13.
* 165 Ibid.p.14.
* 166 Michel Foucault, Le
pouvoir psychiatrique, Gallimard Seuil, Paris, 2003, p.22.
* 167 Ibid.p.6.
* 168 Ibid.p.6.
* 169 Ibid.p.8.
* 170 Michel Foucault, Le
Pouvoir psychiatrique, Gallimard Seuil, Paris, 2003, p.50.
* 171 Ibid.p.49.
* 172 Ibid.p.57.
* 173 Michel Foucault, Le
Pouvoir Psychiatrique, Gallimard seuil, Paris, 2003, p.78.
* 174 Ibid.p.80.
* 175 Michel Foucault,
« L'oeil du pouvoir » in Dits et Ecrits Vol III,
Gallimard, Paris, 1994, p.190 et p.191.
* 176 Michel Foucault, Le
Pouvoir Psychiatrique, Gallimard seuil, Paris, 2003, p.79.
* 177 Ibid.p.80.
* 178 Ibid.p.88.
* 179 Michel Foucault, Le
pouvoir psychiatrique, Gallimard Seuil, Paris, 2003, p.99.
* 180 Michel Foucault, Le
pouvoir psychiatrique, Gallimard Seuil, Paris, 2003, p.106.
* 181 Michel Foucault, Le
Pouvoir psychiatrique, Gallimard Seuil, Paris, 2003, p.253.
* 182 Michel Foucault,
« le pouvoir psychiatrique » in Dits et Ecrits,
Quatro Gallimard, Paris vol I et II, 1994, p.1543.
* 183 Michel Foucault,
« Le monde est un grand asile » in Dits et Ecrits,
Quatro Gallimard, Paris vol I et II, 1994, p.1301.
* 184 Michel Foucault,
« prisons et asiles dans le mécanisme du pouvoir »
in Dits et Ecrits, Quatro Gallimard, Paris, 1994, p. 1392.
* 185 Michel Foucault,
« Le pouvoir psychiatrique » in Dits et Ecrits,
Quatro Gallimard, Paris, 1994, p.1552.
* 186 Michel Foucault,
« Le pouvoir psychiatrique » in Dits et Ecrits,
Quatro Gallimard, Paris, 1994, p.1554.
* 187 Michel Foucault,
Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.428.
* 188 Michel Foucault,
« La folie absence d'oeuvre » in Dits et Ecrits
volume 1 et 2, Quatro Gallimard, Paris, 1994, p. 441.
* 189 Michel Foucault,
« Folie, une question de pouvoir » in Dits et
Ecrits volume 1 et 2, Quatro Gallimard, Paris, 1994, p.1529.
* 190 Michel Foucault,
Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.529.
* 191 Michel Foucault,
Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.632.
* 192 Michel Foucault,
Maladie mentale et psychologie, PUF, Paris, 1962, p.90.
* 193 David Macey
,Foucault,Gallimard, Paris ,1981,pp 121-122.
* 194 Michel
Foucault, « Folie littérature
société », entretien avec T.Shimizu et M.Watanabe in
Dits et Ecrits Vol I et II, Quatro-Gallimard, Paris, 1994, p.972.
* 195 Michel Foucault,
Histoire de la Folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.580.
* 196 Christiane Sinding,
article « La méthode de la clinique » in Luce
Giard, Foucault Lire l'oeuvre, Jérôme Million, Grenoble,
1992 p.80.
* 197 Jean-Paul Escande,
article « Appel à Foucault » in Le Magazine
Littéraire,n°325,Octobre 1994,p.49
* 198 Ibid.p.49.
* 199 Michel Foucault,
« Prisons et asiles dans le mécanisme du pouvoir »,
entretien avec M .D'Eramo in Dits et Ecrits, Quatro-Gallimard,
Paris, 1994, p.1391.
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