Michel Foucault ,Psychiatrie et médecine( Télécharger le fichier original )par David Labreure Université Paris 1 panthéon sorbonne - Ma??trise 2004 |
V : ANALYSER LA FOLIE COMME STRUCTURE GLOBALE :Dans le chapitre VI de Maladie mentale et psychologie, Foucault constate l'impuissance de la psychologie à véritablement cerner ce qu'est la folie. La notion de maladie mentale ne couvrirait ainsi qu'un des nombreux visages de la folie, celui de « la folie aliénée »192(*) , c'est-à-dire enfermée dans une définition médicale qui lui est propre. Foucault soutient ainsi que la psychologie ne parle pas le langage de la folie, qu'il y a là comme un décalage entre elle et son objet. Il prône un retour à une étude de la folie comme d'une « structure globale », c'est-à-dire détachée de son carcan médical et interrogée dans ses formes et son langage d'origine qui prenait chez Bosch en peinture ou chez Erasme en littérature ses formes visibles. Il y a ici comme une sorte de « romantisme » de la folie prise comme moyen de combattre les formes contemporaines de la pensée, une expérience mystérieuse, autre, qui serait engagée dans la contestation des modes actuels de pensée au travers le génie de l'oeuvre d'un Artaud, d'un Nietzsche ou d'un Van Gogh. Macey parle, dans sa biographie consacrée à Foucault, d'un « bruit assourdi, rebelle à la tentative de l'enfermement pour le réduire au silence »193(*) . Ce que la folie met en cause, c'est l'essence même de la réalité, l'idée même que l'on se fait du réel. Dans les dernières pages d'Histoire de la folie, Foucault nous dit que la folie est absence d'oeuvre. En effet, Foucault a constamment rappelé au cours de ses nombreux textes sur les asiles et la psychiatrie que la folie était avant tout souffrance et que l'on n'a jamais vu de fous composer d'oeuvre. Pourtant, quand Foucault parle de ces fous, il y a bien une « présence »d'oeuvre, qu'elle soit philosophique, littéraire ou bien encore artistique: « Le monde de la folie,qui avait été mis à l'écart à partir du XVII ème siècle a soudain fait irruption dans la littérature. C'est ainsi que mon intérêt pour la littérature rejoint mon intérêt pour la folie »194(*) . Ces « fous » là ont bien une oeuvre... La folie philosophique de Nietzsche par exemple, c'est l'abandon de la métaphysique, la découverte de la véritable Histoire : la folie en philosophie c'est nier le continuisme historique. Dés le XIX ème siècle, bon nombre de poètes, d'écrivains et de philosophes ont été taxés de folie : Hölderlin, Nietzsche, Nerval, Artaud qui connurent plus souvent qu'à leur tour des épisodes délirants que les psychiatres de leur époque n'arrivèrent pas à traiter. La folie de ces artistes échappe encore au psychiatre. Dans le chapitre « Le cercle anthropologique » qui clôt Histoire de la folie, Foucault parle de la folie comme d'une « absence d'oeuvre »195(*)dans le sens où elle participe au risque qu'il n'y ait pas d'oeuvre comme le fait remarquer Yves Roussel dans Foucault, lire l'oeuvre. Mais la folie n'est pas absence mais bien plutôt condition de l'oeuvre : non seulement les fous ont une oeuvre mais peut-être même faut il payer le prix de la folie pour aboutir à une oeuvre : en cela, l'écriture moderne aboutit en somme à une conception dépsychiatrisée et démédicalisée de la folie, ainsi rendue à son origine. Dans la folie de ces artistes et de ces penseurs dont la portée échappe au psychiatre, Foucault décèle un nouveau langage poétique de la folie qui échappe à toute médicalisation et la présence des ces quelques éclairs de génie montrent la permanence (même si elle n'est plus aussi omniprésente qu'à la Renaissance) de la folie « originelle » maintenant réduite au silence. A partir du XIX ème siècle, les médecins ne s'intéressent plus à la parole du fou mais à son cerveau (notamment avec la phrénologie et Gall).La folie vient s'aligner sur les figures déjà nombreuses du savoir scientifique et médical. Les vrais « héros de la folie »,ceux qui vont subsister au XIX ème siècle,ne sont donc pas les savants médecins en blouse blanche qui tentent de nous révéler la véritable nature de la folie, mais ces « écrivains fous » qui explorèrent le terrain encore peu défriché de la déraison. * 192 Michel Foucault, Maladie mentale et psychologie, PUF, Paris, 1962, p.90. * 193 David Macey ,Foucault,Gallimard, Paris ,1981,pp 121-122. * 194 Michel Foucault, « Folie littérature société », entretien avec T.Shimizu et M.Watanabe in Dits et Ecrits Vol I et II, Quatro-Gallimard, Paris, 1994, p.972. * 195 Michel Foucault, Histoire de la Folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.580. |
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