Michel Foucault ,Psychiatrie et médecine( Télécharger le fichier original )par David Labreure Université Paris 1 panthéon sorbonne - Ma??trise 2004 |
II : LE PROBLEME ANTIPSYCHIATRIQUE :A sa sortie, Histoire de la folie ne fut pas considéré autrement que comme un travail universitaire intéressant relevant de la tradition épistémologique française initiée notamment par Bachelard et Canguilhem : « Quand Histoire de la folie a été publiée en France en 1961/62, il n'y a pas eu une seule revue (...) possédant des intérêts politiques qui en ait parlé. »184(*).Il aura fallu attendre les bouleversements de la fin des années 1960 pour qu'elle devienne un manifeste anti-répressif. Lors des événements de 1968 ,Foucault n'était pas à Paris et il fut tout surpris à son retour de voir que son ouvrage était maintenant devenu l'un des livres-phares de la contestation de tout enfermement. Il devint ainsi l'un des textes clés d'un mouvement baptisé Antipsychiatrie , surtout après le succès que connut un résumé publié en anglais préfacé par David Cooper, Madness and civilization :A History of Insanity in the Age of Reason. Le courant anti-psychiatrique anglais, issu des travaux du même David Cooper et de Ronald Laing est celui qui, en France, trouvera le plus d'écho. Ce mouvement développe dans les années 1960/1970 une contestation radicale de la psychiatrie et de sa violence institutionnelle : en janvier 1962, Cooper, psychiatre de son état, réorganise tout un service à l'intérieur d'un grand hôpital psychiatrique londonien afin d'accueillir les schizophrènes, service dans lequel il expérimente de nouvelles méthodes de l'expérience psychiatrique mêlant l'abolition des frontières entre raison et folie, une permissivité sans limite et une absence de hiérarchie. Cette expérience dura quatre ans, se heurtant au scepticisme de l'administration hospitalière. En 1965, ce même Cooper, avec l'aide de Laing et Esterson, va ouvrir des centres d'accueil spéciaux pour les schizophrènes, dont le plus connu d'entre eux est celui de Kingsley Hall à Londres. L'anti-psychiatrie se décrit d'abord comme un ensemble de refus. Refus d'abord de faire de la folie une pathologie dont la vérité scientifique serait détenue par la seule psychiatrie, refus ensuite des traitements médicamenteux d'une part, de nature répressive d'autre part. La folie est ainsi pensée non comme une maladie mais comme une difficulté, une réaction, un mal-être existentiel, une histoire dont les racines sont à chercher dans l'entourage proche du malade, la famille notamment. Si l'anti-psychiatrie anglaise se présente d'abord comme une défense de la folie comme choix existentiel, le mouvement développé en Italie par Basaglia se place lui d'un point de vue plus politique. Il s'agit de détruire une institution, l'asile, d'abord en en transformant les mécanismes internes, puis en le supprimant tout à fait. Foucault qui ne connaissait pratiquement rien du mouvement anti-psychiatrique anglais fut étonné d'être ainsi récupéré, surtout que ce mouvement était fortement inspiré de la phénoménologie sartrienne qu'il avait pris le parti de rejeter : « Lorsque j'écrivis Histoire de la folie, j'étais à ce point ignorant que je ne savais même pas que l'antipsychiatrie existait déjà en Angleterre ,et je me suis ainsi trouvé rétrospectivement à l'intérieur d'un courant» s'étonnait-il dans un entretien accordé en 1974 à M.D'Eramo. En France, le lien entre ce courant anglais et Foucault fut soutenu par un ouvrage de la psychanalyste Maud Mannoni, Le psychiatre, son fou et la psychanalyse paru en 1970 ,qui reprenait les grandes lignes de la position foucaldienne sur la psychiatrie. Foucault partageait donc avec les antipsychiatres l'idée que la folie était une histoire dont la psychiatrie, cachée derrière le masque de la raison, avait caché les archives. Les dénonciations étaient les mêmes : dénonciation des réseaux de pouvoir à l'intérieur de l'asile, mais aussi le droit absolu de la raison sur la non raison. Dans son résumé de cours de 1974, Le pouvoir psychiatrique, Foucault définit l'antipsychiatrie comme une lutte « dans et contre l'institution »185(*).Mais la différence principale réside dans le fait que Foucault n'est pas lui même praticien à la différence de Cooper par exemple. Il ne propose pas de thérapie, de remède et en reste au stade de la théorie. Foucault combattait pour la reconnaissance d'une histoire de la folie mais n'était pas lui même dans le milieu psychiatrique, ce qui lui fut d'ailleurs reproché comme nous l'avons vu. En outre ce courant s'est fixé comme point de contestation ultime, l'institution elle- même ;l'analyse que Michel Foucault n'a eu de cesse de développer dans son cours sur le pouvoir psychiatrique est allée ,comme nous l'avons vu au delà de la notion d'institution qui va révéler un certain nombre d'insuffisances. L'anti-psychiatrie a cependant ce mérite de poser différemment la relation à l'institution médicale et va conférer à la folie le droit de s'exprimer jusqu'au bout, la détacher enfin d'un statut médical dans le but de s'affranchir de ce pouvoir institutionnel qui l'emprisonne : « La démédicalisation de la folie est corrélative de cette mise en question primordiale du pouvoir dans la pratique antipsychiatrique »186(*). * 184 Michel Foucault, « prisons et asiles dans le mécanisme du pouvoir » in Dits et Ecrits, Quatro Gallimard, Paris, 1994, p. 1392. * 185 Michel Foucault, « Le pouvoir psychiatrique » in Dits et Ecrits, Quatro Gallimard, Paris, 1994, p.1552. * 186 Michel Foucault, « Le pouvoir psychiatrique » in Dits et Ecrits, Quatro Gallimard, Paris, 1994, p.1554. |
|