Michel Foucault ,Psychiatrie et médecine( Télécharger le fichier original )par David Labreure Université Paris 1 panthéon sorbonne - Ma??trise 2004 |
II : CONTRE UNE METAPATHOLOGIE EN PSYCHOLOGIE :Les tous premiers textes peuvent être considérés comme d'influence canguilhemienne, en ce que leur contenu se rapporte beaucoup à la notion de normalité et en ce que cette normalité ne va pas être selon Foucault liée à une quelconque norme organique. Le normal est social, politique, institué : la normalité doit être ramenée à un ensemble de règles sociales d'après lesquelles vont être évaluées les pathologies. Dans le premier chapitre de Maladie mentale et personnalité, Foucault conteste l'idée d'une pathologie générale fondée sur une analogie entre pathologie mentale et pathologie organique, soit l'idée d'une « méta-pathologie ».Il va s'agir de montrer qu'une assimilation du terme même de maladie au domaine psychologique ne va pas de soi .Foucault va s'interroger une nouvelle fois sur le langage :doit-on employer le même vocabulaire (symptômes, maladies...) en médecine mentale et en médecine organique ? Foucault veut montrer qu'il y a un champ spécifique dans le domaine psychologique .Sur le plan nosographique, en tout cas, Foucault constate que les analyses sont basées sur les mêmes concepts pour une pathologie mentale que pour une pathologie organique : la maladie mentale est une entité réelle « repérable par les symptômes qui la manifestent » comme n'importe quelle autre pathologie. Selon Foucault, cette unité entre les diverses formes de maladies est purement factice, artificielle. Elle ne ferait que décrire un état global de l'individu, sans tenir compte de la spécificité de la maladie et du malade lui même .La notion de totalité supprime les problèmes, donne un climat d' « euphorie conceptuelle »6(*) à la pathologie sans véritable souci de rigueur. Elle serait une forme d'utopie. Foucault veut montrer ,quant à lui, que l'on doit analyser différemment une pathologie mentale et que cette notion de totalité est plus fondée sur une commodité du langage que sur des faits . Trois choses, selon Foucault vont permettre la distinction : -La notion d'abstraction des phénomènes pathologiques, possible en médecine organique ne l'est pas en médecine mentale : en pathologie organique, on peut aisément isoler le trouble d'un organe alors qu'en pathologie mentale, il est beaucoup plus difficile de faire ce genre d'abstraction (ex : les rêves). -La distinction normal/pathologique : cette distinction est pertinente en médecine organique, pas en psychiatrie, car la notion de personnalité, primordiale en pathologie mentale, est totalement différente de celle d'organisme qui prévaut ailleurs. Foucault condamne plus précisément l'assimilation du terme anormal au terme pathologique : selon lui, la pathologie est déjà, en quelque sorte, contenue dans le normal en ce qu'elle est une possibilité dans la vie de l'organisme. Elle serait un « normal privatif »7(*). Foucault va même jusqu'à dire, à l'instar de Canguilhem - pour qui la maladie est déjà une lutte pour retrouver la santé (voir Le normal et le pathologique) que « la possibilité de la guérison est décrite à l'intérieur des processus de la maladie »8(*). -Le rôle du milieu : en médecine organique, le patient est individualisé. Le sujet malade est isolé dans sa pathologie alors qu'en médecine mentale, le malade est pensé selon son milieu et les pratiques en vigueur dans ce milieu (l'internement). Après avoir affirmé et démontré l'impossibilité d'appliquer les mêmes concepts, de déduire les mêmes choses d'une maladie mentale et d'une maladie organique, Foucault va, dans la suite du texte, analyser plus spécifiquement la maladie mentale. La première partie de Maladie mentale et personnalité va s'attacher à définir la maladie mentale dans ses dimensions psychologiques. Foucault constate en premier lieu que la maladie mentale est plus sujette à la description qu'à l'explication : il critique ainsi la psychologie « évolutionniste » incarnée par Jackson, Freud ou Jaspers, qui fait de la régression - c'est à dire la résurgence d'attitudes simples et élémentaires au détriment des fonctions dites « complexes »- un principe d'explication de la maladie et non une description. Faux, rétorque Foucault qui dénonce deux mythes de cet « évolutionnisme » psychologique, celui de la notion de « substance psychologique », qui considère le psychisme comme susceptible d'involution et de l'assimilation du malade à la figure du primitif et de l'enfant. La personnalité du malade n'est pas,d'après Foucault, un retour à une personnalité antérieure mais abolition de la personnalité :il est donc impossible de la comparer à d'autres personnalités .Cette assimilation n'a de valeur que descriptive et non explicative .Mais alors est-il possible d'établir une science de la pathologie mentale ? « La science de la pathologie mentale ne peut être que la science de la personnalité malade »9(*) :il faut selon Foucault renoncer à l'abstrait de la maladie pour le concret du malade, l'individualiser en quelque sorte : « A tel moment, cette personne ci »10(*).Pour remonter aux « causes » de la maladie mentale, Foucault propose de connaître l'histoire personnelle du malade en s'en référant notamment à Freud et à la psychanalyse. Freud à qui il rend ici justice d'avoir introduit l'histoire dans le psychisme humain. C'est en effet à travers la psychanalyse que Foucault veut essayer de découvrir cette dimension historique individuelle de la maladie mentale. A travers divers exemples, Foucault développe la notion qu'il trouve centrale en psychanalyse, celle de défense psychologique. La psychanalyse analyse le phénomène de régression comme un refus de la terreur du présent en se réfugiant dans d'anciennes situations qui éveillent d'anciennes angoisses. Le malade se protégerait ainsi contre ses propres contradictions internes par la conjonction de deux comportements opposés qui formeraient une seule et même conduite. La maladie exacerbe la contradiction intérieure au lieu de l'apaiser. L'angoisse est selon Foucault la principale manifestation visible de nos contradictions intérieures, elle est « l'expression majeure de l'ambivalence », « la dimension affective de cette contradiction interne »11(*).Il faut trouver à travers l'angoisse, un « noeud de significations psychologiques », non plus seulement un fait de l'existence individuelle mais une expérience fondamentale d'existence : l'angoisse est « le principe, le fondement (...) de l'histoire d'un individu »12(*).Cette expérience fondamentale, Foucault veut en percer les mystères, comprendre l'essence de la maladie. Toute la démarche de Foucault tend vers la phénoménologie, ce que lui même ne dément pas bien au contraire : « Compréhension de la conscience malade, et reconstitution de son univers pathologique, telles sont les deux tâches d'un phénoménologue de la maladie mentale »13(*).Phénoménologie dans le sens où il va s'agir d'étudier un ensemble de phénomènes dans le temps et dans l'espace, faire l'inventaire de la conscience malade. Il s'agit par exemple de comprendre l'auto-appréhension de sa maladie par le malade lui-même. Trois possibilités existent : soit le patient met une certaine distance entre lui et sa maladie, soit il accepte sa maladie comme appartenant à un autre monde, différent du monde réel, soit, enfin, le malade est tout entier absorbé par sa maladie : « La conscience de la maladie n'est plus alors qu'une immense souffrance morale devant un monde reconnu comme tel par référence implicite à une réalité devenue inacceptable »14(*). Autre niveau de l'inventaire de la conscience malade, l'analyse des structures du « monde » pathologique ,c'est-à-dire entre autres dans l'espace et le temps propres à la pathologie :il y a un temps différent pour le malade, un autre espace qui constituent ce que Foucault nomme « monde morbide » :Cette notion ,socle de la maladie mentale , permet de nouer toutes les significations autour d'elle .Le monde morbide ,c'est l'univers particulier au malade, son monde intérieur qui coïncide à un éloignement par rapport au monde extérieur. Un monde très riche, très divers ,c'est en tout cas ce que veut montrer Foucault avec l'inventaire de ces structures propres au malade .Il manifeste là comme une certaine tendresse, ou tout du moins un respect pour ces autres mondes en ce qu'ils renferment du mystère, de l'obscurité,du non élucidé : « Si cette subjectivité de l'insensé est, en même temps, vacation et abandon au monde, n'est ce pas au monde lui même qu'il faut demander le secret de son énigmatique statut »15(*): Foucault se demande si ce n'est pas le monde extérieur, garant de l'objectivité, qui serait le plus apte à expliquer la maladie mentale. * 6 Michel Foucault, Maladie mentale et personnalité, PUF, Paris, 1954, p.11. * 7 Ibid.p.14. * 8 Ibid.p.14. * 9 Michel Foucault, Maladie mentale et personnalité, PUF, Paris, 1954, p.14. * 10 Ibid. p.34. * 11Michel Foucault, Maladie mentale et personnalité, PUF Paris, 1954, p.34. * 12 Ibid p.48. * 13 Ibid.p.52. * 14 Ibid.p.60. * 15 Michel Foucault, Maladie mentale et personnalité, PUF, Paris, 1954, p 69. |
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