CONCLUSION
Notre travail s'est voulu un essai de compréhension de
la pensée politique de H. Arendt afin de faire une relecture de la
politique contemporaine. Il s'agissait plus spécialement de
reconsidérer, à la suite de Arendt, la place de l'homme face
à la politique. Au terme de notre propos, nous nous trouvons, en guise
de conclusion, dans l'obligation de récapituler succinctement les
grandes étapes du chemin parcouru.
Nous avons essayé de situer dans un premier temps la
personne qui a guidé notre réflexion. H. Arendt, l'avons-nous
dit, a pensé son temps. Le totalitarisme est l'occasion de sa
pensée politique. Elle s'est efforcée de comprendre ce mal
politique moderne qui dépasse toutes les catégories humaines
de pensée, ce mal banalisé, s'exprimant par une extrême
violence et domination. Pour elle, l'auteur principal de ce mal reste l'homme.
Ce dernier est caractérisé par une perte du monde commun et du
déracinement par rapport à la tradition. Et pour pallier à
cette perte, l'époque contemporaine a inventé l'idéologie.
Celle-ci nous tient lieu de pensée. En réalité elle
traduit notre incapacité foncière à appréhender les
évènements historiques et à comprendre le sens des actions
humaines autrement qu`en les enfermant dans le carcan de la logique.
D'où le souci de H. Arendt de rétablir le statut de l'homme et sa
responsabilité vis-à-vis de ce qui constitue le lieu de son
épiphanie, la politique. Ce rétablissement est un exercice de
pensée. Se livrer à cet exercice nécessite sans doute
un recours à la tradition. Telle est la méthode de notre auteur
qui fait constamment appel aux Grecs et aux Romains, parce que convaincue que
pour mieux penser le nouveau, il faut partir de l'ancien.
Le deuxième temps de notre essai a abordé la
question de l'homme et spécialement sous son statut ontologique de
l'animal politique. Il revenait à notre auteur, qui veut
rétablir la politique moderne, s'appuyant sur Aristote, de
réconcilier la pensée platonicienne, voire même
heideggérienne (son ontologie) avec le monde. H. Arendt s'oppose
à ces philosophes qui affirment le primat de la contemplation pour
l'homme. Ils prônent la solitude l'homme, son retrait et son
désintéressement des affaires humaines dont on ne peut pas
espérer atteindre la vérité. Notre auteur affirme
cependant que l'homme est essentiellement un
« être-avec » et qu'il est impossible de rencontrer
un être humain soustrait complètement de l'exigence de vivre en
compagnie des autres. La réalité humaine d' «être
avec» est une donnée tout à fait ontologique dans ce sens
qu'elle intervient comme élément définitionnel de
«l'être homme de l'homme» (de son essence). Aristote dire que
l'homme est un zôon politikon. Et H. Arendt d'ajouter qu'aucune
vie humaine, fût-ce la vie de l'ermite au désert, n'est possible
sans un monde qui, directement ou indirectement, témoigne de la
présence d'autres êtres humains. Ceci revient à dire que
l'homme, bien que contemplatif, ne s'accomplit que dans une polis. Il est donc
par nature porté à y vivre activement. C'est ce que nous avons
appelé le droit à la politique comme lieu de l'épiphanie
de l'homme. Mais qu'est-ce que cette politique, comment jouir de ce
droit ? Ainsi, intervenait le troisième temps de notre propos.
Pour H. Arendt, la question n'est pas : Qu'est-ce que la
politique ? , car à cette question, il est relativement aisé de
répondre. La question est : La politique a-t-elle encore un sens ?
Comment lui redonner sans cesse un espace de déploiement et la faire
grandir dans les subjectivités résistantes ? Formulée
positivement, la vie politique selon Arendt est à la fois l'institution
d'un espace particulier (telle est la leçon romaine de la loi) et la vie
des hommes dans cet espace (telle est la leçon de l'Agora
homérique et de Solon). Le domaine politique est cet espace
institué qui permet aux hommes d'agir et de parler et par là de
manifester leur singularité. Il est celui de pluralité humaine
qui agit ensemble. Il fait surgir un monde commun où nous
débattons de son sens, où nous agissons ensemble, le monde
étant cela même qui surgit entre les hommes et où tout
ce que chacun apporte, par naissance, peut devenir visible et audible, faisant
surgir dans le champ de l'histoire, de situations inédites.
Bref, parler de la politique implique la notion de la
pluralité comme condition. Et cette pluralité n'est pas du
conformisme ou une masse informe de personnes. Elle nécessite la prise
en compte de l'égalité ainsi que de la distinction. Par ailleurs,
la pluralité actualise la politique par le moyen de la parole (lexis) et
de l'action (praxis) à l'opposé de la violence et de la
domination que l'on rencontre dans le totalitarisme. Chaque fois que quelqu'un
prend une initiative, que quelque chose de nouveau se produit, c'est de
manière inattendue, incalculable. Il produit un commencement absolu.
Mais ce faisant, il inaugure une chaîne d'action humaines
interdépendantes. C'est à l'agir (et non au faire) qu'il revient
d'inaugurer quelque chose de neuf, de commencer par soi-même une
chaîne. Et la liberté consiste, pour H. Arendt, en ce pouvoir
commencer, d'où il résulte que des initiatives humaines sont
sans cesse interrompues par de nouvelles initiatives, qui, dans leur
multiplicité et leurs incessants mouvements, forment la base même
du vivre ensemble, et nous poussent à débattre de notre devenir
commun.
Ainsi, le sens de la politique consiste en ce que les hommes
libres, ces hommes qui, par leur agir, font que les choses sont autrement,
par-delà la violence, la domination, la contrainte, ont entre eux des
relations d'égaux, tout en centrant leur agir commun sur l'expression de
la liberté. Différence absolue et égalité relative
donc : sans une pluralité d'hommes qui sont mes pairs, il n'y aurait pas
de liberté. La question n'est pas seulement que nous soyons tous
égaux devant la loi, ou que la loi soit la même pour tous. La
question proprement politique est que nous ayons tous les mêmes titres
à l'action politique, et aux débats qui doivent l'animer.
Nous avons donc constaté, avec H. Arendt que la
politique, dans son vrai sens est biaisée dans les
sociétés modernes et particulièrement l'Afrique. Tel
était le dernier moment de notre travail avant de critiquer, mieux
dépasser la pensée arendtienne. Nous avons loué l'effort
de la démocratie moderne de vouloir éradiquer le totalitarisme
avec tous les lots de violence et de domination qui l'accompagnent. Et avec le
Père Valadier, nous avons montré qu'il importe, pour les
contemporains, d'exercer la mémoire, de questionner l'histoire et de
faire preuve de responsabilité par rapport à ce qu'ils tirent du
passé et par rapport aux actes qu'ils posent au présent en vue de
mieux orienter le futur. H. Arendt dirait tout simplement : penser ce
que nous faisons.
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