A- Les tentatives multiples d'intégration
régionale en Afrique
L'intégration régionale en Afrique s'est
inspirée de fondements historiques divers (1) et a donné lieu, au
sortir des indépendances, à des expériences pratiques au
niveau politique (2).
1)- La multiplicité des fondements
théorique et historique inspirant
l'intégration régionale
en Afrique
Deux courants idéologiques ont dominé les
débats politiques et les tentatives gouvernementales concernant la
coopération et l'unité africaine: le panafricanisme et la
négritude.
Le panafricanisme avait pour objectif l'autodétermination
et l'unité africaine à travers un projet politique
très ambitieux. Dans son livre, « Africa must unite », Kwame
krumah (leader politique ghanaen) préconisait la réalisation de
l'unité africaine par la formation des « Etats-Unis
d'Afrique », une Afrique continentale. Son idée a donné
lieu à de nombreux débats qui n'ont pu aboutir qu'à la
réalisation de l'Organisation de l'unité africaine en 1963. Pour
Kwame Nkrumah le panafricanisme doit bannir non seulement les frontières
et limites coloniales, mais également les différences tenant aux
particularismes ethniques et linguistiques.
Si le panafricanisme s'est situé sur le terrain politique,
un autre courant de libération du continent africain pour son
unité s'était formé à Paris. La négritude
est née de la rencontre, notamment, entre Léopold Sédar
Senghor, Léon Gontran Damas, Aimé Césaire et Birago Diop.
La négritude est définie comme l' «ensemble des valeurs
culturelles du monde noir, telles qu'elles s'expriment dans la vie, les
institutions, et oeuvres des noirs ». Mais contrairement au
panafricanisme, la négritude a négligé la lutte politique
pour se situer sur le terrain culturel. C'est ainsi qu'elle a été
utilisée par Léopold Sédar Senghor pour dénoncer la
balkanisation de l'Afrique. Senghor soutenait le processus d'intégration
sur une base culturelle. Et ce fondement culturel remonte dans le passé
lointain de l'Afrique.
Avec ses 30 millions de km2, l'Afrique est le deuxième
continent de la planète après l'Asie. Outre les grands empires
comme le royaume de Koush et le royaume d'Aksoum qui ont vécu
respectivement en 500 avant Jésus Christ et au Ier
siècle après Jésus Christ, l'histoire de l'Afrique est
jalonnée par l'existence de différents empires qui englobaient de
grands ensembles territoriaux. En effet c'est au début du Veme
siècle de notre ère qu'émergea, par exemple, en Afrique de
l'Ouest l'empire du Ghana sur le site de Koumbi saleh. Fondé par le
peuple Soniké, cet empire étendait son hégémonie
sur l'actuel sud-ouest de la Mauritanie, du Mali et du Nord du
Sénégal .C'est à partir de 1078 que les Almoravides, venus
du Maroc, envahissèrent le Ghana. Les Almoravides seront chassés
par les Soussou du fouta Djalon, anciens vassaux du Ghana. Ils
détruisirent Koumbi Saleh en 1203. Mais très vite le roi Soussou
subit une défaite par le petit « Etat » kangaba
dirigé par le mandingue Soudiata Kéita, fondateur de dynastie
mandingue, qui parvint à unifier les clans d'une vaste région qui
allait devenir l'empire du Mali. A son apogée, autour de 1300, l'empire
était une confédération de trois
« Etats » alliés indépendants (Mali,
Mémo,Wagadan) et s'étendait à la place du Mali, du
Sénégal et de la Guinée actuels; ses grandes villes
étaient Djenné et Tombouctou. Au XlVeme siècle les
provinces vassales de l'empire du Mali se sont révoltées. Parmi
celles-ci, le SonghaÏ qui commença à s'agrandir autour de
Gao et conquiert Djenné en 1471. Le peuple SonghaÏ venu de la
région du Dundi, Nord-Ouest de Niger s'est étendu en remontant le
fleuve Niger au Vlleme siècle. C'est sous la dynastie Soni que le
SonghaÏ se lança à la conquête du Mali. Mais c'est
surtout la dynastie Askia qui permit à l'empire SonghaÏ
d'étendre son influence sur Tombouctou en évinça l'empire
du Mali pour ensuite.
En 1591 le Sultan du Maroc, Ahmed Al Mansour conquiert
l'empire du Mali.
Cette batail consacra la fin de l'empire SongaÏ mais aussi
le déclin des villes sahéliennes tandis que la création
des comptoirs commerciaux européens à Saint-Louis, à
Gorée, au Cape Coast d'Accra etc.., assurait le triomphe du commerce
atlantique.
C'est dans l'ambition de vouloir reconstruire les unités
territoriales d'antan que les leaders africains ont expérimenté,
dès les premiers jours des indépendances, des regroupements
politiques puis économiques afin de parvenir à une
intégration régionale et de façon plus globale à
l'unité africaine.
2) - Les tentatives de
regroupement politique
L'accession à l'indépendance avait ouvert de
nouvelles perspectives aux peuples africains qui se trouvèrent
partagés entre deux objectifs contradictoires, celui de l'unité
et celui de la construction de l'Etat-Nation. Ainsi malgré les
mouvements panafricanistes et la négritude, les nouveaux Etats
sacralisèrent leurs frontières par le biais d'une
résolution de Modibo Kéita, adoptée par l'Organisation de
l'unité africaine. Auparavant, à la fin des années 1960,
le débat sur la forme des futurs Etats indépendants suscitait de
profonds antagonismes au sein des classes politiques africaines.
En Afrique de l'Ouest, quatre Etats vont porter un projet de
constituer une fédération. Cependant sous la pression du
Général de Gaule et d'Houphouet Boigny, président de la
Côte d'Ivoire, le Dahomey (Bénin) et la Haute Volta (Burkina Faso)
vont se retirer du projet. L'union est alors réduite à un
tête à tête entre le Sénégal et Soudan (Mali).
Le 4 avril 1960, l'Assemblée fédérale va élire son
président en la personne de Léopol Sédar Senghor et un
chef de gouvernement, Modibo Kéita (futur président du Mali).
La fédération du Mali était née.
Ratification des accords de compétence entre le chef
du gouvernement de la fédération du Mali, Modibo
Kéita et le
Ministre d'Etat français, Louis Jacquinot
Modibo Kéita (assis) est applaudi
Debout à gauche: Jacques Foccart lisant son
discours par l'Assemblée fédérale qui vient de
l'élire
à droite : Léopold Sédar
Senghor
Assis de gauche à droite : Louis Jacquinot
Modibo Kéita
Mamadou Dia
Mais très vite des désaccords subsistèrent
entre les leaders de la fédération nouvellement instituée.
Dans la nuit du 19 au 20 août 1960, la fédération va
connaître son éclatement irréversible. Les
désaccords portaient sur cinq points :
1- Une différence de conception de l'expérience
fédérale :
Les soudanais voyaient en la fédération du Mali,
une étape vers un Etat unitaire, les sénégalais s'en
tenaient à l'idée d'une confédération plus
souple.
2- Un désaccord sur le type de relation avec la
France.
Partisan de l'africanisation des cadres de la
fédération, Modibo Kéita dénonçait la
présence de fonctionnaires français à certains postes de
responsabilité au sein de l'administration sénégalaise et
affirmait ouvertement ses sympathies pour le FLN pendant la guerre
d'Algérie, Senghor lui, était opposé à de telles
positions qui ne pouvaient que déplaire à la France.
3-Certaines initiatives politiques des soudanais étaient
considérées comme une immixtion dans les affaires
intérieures du Sénégal. Cette accusation concernait
notamment les contacts que Modibo Kéita avait noués avec les
chefs religieux locaux.
4- Les vues controversées à propos du choix du
futur président de la fédération dont l'élection
était prévue pour le 27aoùt 1960, les soudanais ne voulant
pas de Senghor à la tête de la fédération du Mali,
vont déployer de grandes manoeuvres politiques pour empêcher son
élection . Ils iront même jusqu'à susciter les candidatures
des sénégalais comme Mamadou Dia puis Lamine Gueye contre leur
chef de fil.
5- Les divergences portaient également sur la constitution
d'un marché commun et la création d'une grande zone
monétaire africaine ne se limitant pas seulement aux anciennes colonies
françaises.
D'autres expériences de ce type vont être
tentées mais sans grands succès. Le 1er mai 1959 fut
la date de la création de l'Union Ghana- Guinée entre deux pays
sans frontière géographique. Cette union sera
concrétisée par la nomination d'Ambassadeur au rang de
ministre-résident au conseil des ministres des deux Etats et par un
prêt de 10 millions de livres sterling du Ghana à la
Guinée. Le 24 décembre 1960, le Mali rejoint cette Union qui
devient Ghana- Guinée - Mali. L'Union qui n'a jamais fonctionné,
apparaissait plus symbolique que réelle; elle n'a pas été
dissoute non plus. Par ailleurs le projet de l'Union des Républiques
d'Afrique centrale n'a pas pu voir le jour à cause de l'hostilité
de la France et de Léon Mba (président du Gabon). Tout ce
balbutiement aboutit le 25 mai 1963 à la création, à Addis
Abéba, de l'Organisation de l'unité africaine, qui fut une
institution de coopération économique et de lutte politique au
niveau du continent africain dans son ensemble.
Telles sont l'essentiel des initiatives prises par les Etats
africains sur le plan politique pour créer les bases de
l'intégration régionale, qui s'est toujours heurtée
à des obstacles multiples.
B- La nature des obstacles
freinant à l'intégration régionale en
Afrique
Depuis l'accession des Etats africains à
l'indépendance, les leaders de ces derniers n'ont cessé
d'affirmer leur volonté de parvenir à une intégration
régionale à moyen et long terme. Nonobstant les engagements des
différents Etats africains, il faut constater que l'intégration
régionale butte sur des obstacles de nature endogènes (1), qui
n'occultent pas pour autant ceux liés à l'histoire
spécifique de l'Afrique (2).
|