6.2) Discussion
Une étude de l'auto-emploi a été
réalisée pour mettre en lumière le profil des travailleurs
indépendants du Bénin. Dans un premier temps, une analyse
factorielle multiple a permis de mettre en lumière les
caractéristiques de l'auto-emploi. Nous avons identifié le
travail indépendant comme une alternative au chômage et au
sous-emploi. Il se développe principalement dans le secteur informel qui
reste prédominant de part l'environnement familial, surtout pour les
activités liées à l'agriculture et au commerce, où
il ressort un transfert de capital culturel significatif. Dans cette analyse
économétrique, nous dégageons de plus l'influence
négative du niveau d'instruction (qu'il soit primaire, ou secondaire) le
plus élevé atteint par le jeune travailleur dans l'auto-emploi
(voir modèle VI). Cette influence négative comparée
à ceux n'ayant reçu aucune
éducation formelle, reste particulièrement
significative, et accentuée par le niveau d'instruction le plus
élevé atteint par le père3 (surtout lorsqu'il
est primaire), et celui atteint par la mère (lorsqu'il est primaire ou
post-secondaire). Ceux des ménages à situations
financières difficiles sont les plus concernés. Ils le sont
encore plus dans le cas de la formation professionnelle, à laquelle ils
n'ont pas forcément tous accès. Par ailleurs, bien que la
formation professionnelle facilite l'insertion professionnelle (voir
Modèle VII), elle n'incite pas le travailleur à s'orienter vers
l'auto-emploi. Lorsque le père ou la mère a également
reçu une formation professionnelle4, cela réduit
davantage les chances de l'individu d'opter pour le travail indépendant.
Les hypothèses H1et H2 ne sont donc pas
vérifiées. Ces résultats ne sont pas en accord avec ceux
de Kim et al. (2006) pour qui les travailleurs potentiels dans l'auto-emploi
possèdent des niveaux élevés de capital humain. Pour eux,
un enseignement supérieur et une expérience de gestion sont
significativement associés positivement à l'accès aux
groupes des entreprenants. En réalité, tout dépend de
l'environnement socioéconomique.
Par ailleurs, en nous concentrant sur la variable sexe, il
ressort que les femmes sont significativement les mieux
représentées dans l'auto-emploi (voir modèle II) : un
homme a deux fois moins de chances qu'une femme d'avoir un travail
indépendant. Mais, l'étude révèle aussi que
l'auto-emploi des femmes est grandement précarisé. Tout en
créant de nouvelles opportunités d'emploi pour les femmes, le
travail indépendant a plutôt renforcé leur
vulnérabilité. Les femmes représentent la majorité
de la main d'oeuvre du secteur informel, avec notamment des sources de
subsistances précaires telles que la production pour consommation
propre, les activités de personnel de maison, le travail à
domicile et le travail ambulant, ou encore les ventes des marchés
informels sous-comptabilisés. Elles subissent non seulement les
déconvenues d'un environnement familial et culturel défavorable
décrit par Sibylle Gollac (2008), mais aussi la précarité
inhérente à ces secteurs à savoir l'absence de protection
sociale, l'absence de réglementation déterminant leurs droits et
la faiblesse des revenus. Moins instruites aussi, elles ont un accès
plus réduit aux ressources (éducation, formation
professionnelle). Elles sont donc par ricochet moins bien armées que les
hommes pour développer leurs potentialités à créer
des richesses.
Aucune des variables de santé n'est significative : on
peut donc soutenir que le marché de l'auto-emploi n'est pas un
marché relégué aux handicapés. Par ailleurs, les
autres facteurs démographiques restent significatifs, notamment le
milieu de résidence (favorable quand il est rural compte tenu de la
prédominance des activités agricole). Le statut d'immigrant a une
influence considérable aussi du fait que les jeunes représentent
une part importante des migrants internationaux, et forment la majorité
des migrants ruraux-urbains (OIM et GIP, 2012). La migration peut servir
à renforcer le capital humain de la jeunesse, mais les expose aussi
à plusieurs risques. Dans l'ensemble, les immigrants sont plus
susceptibles d'être des travailleurs
3. Il en est de même pour le père et la mère
: c'est une analyse comparée aux parents n'ayant reçu aucune
éducation formelle.
4. Comparés également aux parents ne l'ayant pas
reçu.
autonomes que les citoyens nés au pays. Ils peuvent
avoir des difficultés à trouver du travail en raison de
l'insuffisance des compétences, ou d'information sur les
opportunités de travail, et préférer la création de
leur propre job, comme un moyen de mobilité et de
stabilité sociale. Il serait également important de regarder le
statut d'immigrant des parents, mais cette information n'est pas disponible
dans notre base. Deux autres variables significatives sont
dégagées par le modèle de sélection : le fait
d'avoir d'enfant ou non (pour les femmes les plus âgées du groupe
des mères : économie de subsistance où la production pour
consommation propre est forte), le fait de cohabiter avec ses parents ou non
(le goût du risque pourrait en être la raison).
Pratiquement toutes les personnes actives au Bénin sont
en activité, d'après les précédentes statistiques.
Avec cette étude, on comprend pourquoi paradoxalement, ces
dernières demeurent pauvres : en effet, elles occupent des emplois
à faible productivité, et par conséquent mal
rémunérées. Peut-on miser toujours sur l'auto-emploi pour
répondre à la demande des jeunes et des femmes en matière
d'activités socioprofessionnelles? La réponse est oui, mais
à condition que l'on ne maintienne point le secteur informel tel quel,
et que l'on améliore la qualité de l'auto-emploi, tout en
favorisant le basculement à terme de l'informel dans le formel.
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