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Le mysticisme dans un enfant à  tout prix de Charles Soh


par Elsa Gamnye Souop
Université de Buéa - Licence es 2021
  

Disponible en mode multipage

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UNIVERSITÉ DE BUEA UNIVERSITY OF BUEA

FACULTÉ DES ARTS FACULTY OF ARTS

DÉPARTEMENT DE FRANÇAIS

DEPARTMENT OF FRENCH

LE MYSTICISME DANS UN ENFANT À TOUT PRIX DECHARLES SOH

Mémoire complémentaire en vue de l'obtention du diplôme de licence ès lettres bilingues (anglais/français)

Présenté par :

GAMNYE SOUOP ELSA

AR18A005

Sous la direction de :

ABOSSOLO PIERRE MARTIAL

Maître de Conférences - HDR

Buea, 13 juillet 2021

UNIVERSITÉ DE BUEA UNIVERSITY OF BUEA

FACULTÉ DES ARTS FACULTY OF ARTS

DÉPARTEMENT DE FRANÇAIS

DEPARTMENT OF FRENCH

LE MYSTICISME DANS UN ENFANT À TOUT PRIX DECHARLES SOH

Mémoire complémentaire en vue de l'obtention du diplôme de licence ès lettres bilingues (anglais/français)

Présenté par :

GAMNYE SOUOP ELSA

AR18A005

Sous la direction de :

ABOSSOLO PIERRE MARTIAL

Maître de Conférences - HDR

Buea, 13 juillet 2021

CERTIFICAT DE CONFORMITÉ

Je soussigné Abossolo Pierre Martial, enseignant au département de français de l'Université de Buea, certifie avoir dirigé et approuvé le travail de recherche de l'étudiante Gamnye Souop Elsa (AR18A005)intitulé « Le mysticisme dans Un enfant à tout prix de Charles Soh », en vue de l'obtention de la Licence ès-Lettres Bilingues (Français/Anglais).

En foi de quoi la présente attestation lui est délivrée pour servir et valoir ce que de droit

Fait à Buea, le juillet 2021

Le Directeur de recherches

Prof Pierre Martial Abossolo,

Maitre de Conférences

DÉDICACE

Je dédie ce mémoire à mes parents, qui oeuvrent chaque jour pour ma réussite.

REMERCIEMENTS

Je remercie le Seigneurpour le souffle de vie, et pour la grâce qu'il m'a donné d'achever ma formation dans des conditions favorables.

J'adresse ma gratitude au Professeur Abossolo pour sa rigueur, sa disponibilité et sa compréhension, durant la rédaction de ce mémoire.

Je suis aussi reconnaissante à tous mes enseignants des départements de français et d'anglais, dont leur enseignements et conseils m'ont permises d'aller jusqu'au bout de mon parcours.

Ma reconnaissance s'adresse aussi à mes parents pour leur soutien moral, spirituel et financier.

À tous ceux qui de près ou de loin ont contribués à l'achèvement de ce travail, je vous en remercie.

SOMMAIRE

CERTIFICAT DE CONFORMITE.................................................................... i

DEDICACE............................................................................................... ii

REMERCIEMENTS.................................................................................... iii

INTRODUCTION GENERALE....................................................................... 1

CHAPITRE I :LE MYSTICISME DANS LA LITTERATURE AFRICAINE

I.1- Thèmes abordés...................................................................................... 3

I.2- Les fonctions du surnaturel dans la littérature africaine....................................... 10

CHAPITRE II :LE RECOURS AU MYSTICISME DANS UN ENFANT À TOUT PRIX 

II.1- Motivation .......................................................................................... 14

II.2- Manifestations .................................................................................... 18

II.3- Conséquences....................................................................................... 21

CHAPITRE III :LE SENS D'UNE ÉCRITURE DU MYSTIQUE DANS UN ENFANT À TOUT PRIX DE CHARLES SOH

III.1- Sensibilisation sur les effets du mysticisme .................................................. 26

III.2- Souligner l'hybridité culturelle de l'africain ................................................. 28

III.3- Exposer les réalités mystiques ................................................................. 32

CONCLUSION GÉNÉRALE ....................................................................... 36

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ......................................................... 37

INTRODUCTION GÉNÉRALE

La littérature, comme le définit Louis Vicomte de Bonald1(*), « est l'expression de la société, comme la parole est l'expression de l'homme ». En tant que tel, la littérature se propose de montrer les différentes facettes de la vie humaine bonnes ou mauvaises. Les sujets de la littérature sont donc multiples et celui qui va être traité dans ce travail est le mysticisme. Ce terme peut se définir comme « ...une notion relative au secret » (Joseph Priera, 2020 : 489).

Parler du mysticisme revient à s'interroger sur tout ce qui dépasse l'entendement humain. C'est une réalité assez présente dans l'Afrique d'hier et d'aujourd'hui ; « Souvent liée à la religion, la marque du mystique entoure aussi une bonne partie des pratiques et réalités africaines » (Joseph Priera, 2020 : 489). On dira donc que le mysticisme est un mode de vie, qui rassemble un bon nombre de communautés africaines, et laisse percevoir que ce monde parallèle relève d'une force qui domine les pensées et les actions de ce peuple fortement croyant (religieux). Domination qui se reflète dans le quotidien des africains.

La prépondérance du mystique dans la vie se perçoit dans Un enfant à tout prix de Charles Soh, roman dans lequel l'étude des phénomènes mystiques sera faite. Ce roman est choisi pour illustrer ces propos de Joseph Priera (2020 : 489) : « le roman africain permet de mieux découvrir l'Afrique dans son intégralité à travers la représentation de certaines croyances culturelles et cultuelles des peuples noir ». La littérature est donc proche des réalités sociales.

Le problème qui se pose dans notre étude est de savoir comment s'opère le mysticisme en Afrique. Raison pour laquelle nous nous posons la question de savoir comment se présente le mysticisme dans Un enfant à tout prix, et pourquoi en parle-t-on.

Parlant du surnaturel, H. Leenhardt dit qu'il ne peut être le résultat de causes naturelles, parce que des phénomènes surnaturels ne suivent pas l'ordre naturel de ce qu'on appelle « lois de la nature ». Le surnaturel se présente donc comme un « extra-naturel » des choses.

Dans Unenfant à tout prix, l'auteur nous fait découvrir une société dans laquelle des pratiques magico-religieuses sont prépondérantes, et le christianisme, presque relégué au second plan. Ce roman aussi expose ce que vivent de nombreuses personnes aujourd'hui. On y voit des personnages plus ou moins puissants, et un couple désespéré, qui n'hésite pas à s'en remettre aux voies traditionnelles africaines, et les effets sont plus que dévastateurs. D'où notre intérêt pour les réalités mystiques en Afrique. Notre objectif est donc d'étudier comment se manifeste le mysticisme en Afrique et d'examiner les raisons qui poussent des gens à opter pour cette voie surnaturelle. Pour y parvenir nous comptons utiliser les approches thématiques et sociologiques. La première nous permettra de prendre connaissance des différentes préoccupations de l'auteur dans son roman, et la seconde nous aidera à comprendre un peu plus l'environnement dans lequel l'auteur écrit.

Ce travail comprend trois chapitres qui permettent de parcourir le monde mystique sur le continent africain, au travers de la littérature. Dans le premier chapitre, nous verrons quelques centres d'intérêts d'auteurs africains, et les raisons pour lesquelles ces auteurs parlent de l'univers mystique dans leurs oeuvres. Dans le deuxième chapitre, nous entrerons dans notre corpus, pour étudier comment l'auteur, use de ces réalités magico-religieuses dans son texte pour ressortir le bien-fondé de ce choix. Dans le dernier chapitre, nous nous proposons de donner quelques raisons pour lesquelles nous pensons que l'auteur décide d'écrire sur ce monde parallèle.

CHAPITRE I :

LE MYSTICISME DANS LA LITTÉRATURE AFRICAINE

Le mysticisme est une réalité assez vivante dans le contexte africain, étant donné les diverses croyances et pratiques ou rites qui sont perpétuées jusqu'à nos jours dans bon nombre de cultures africaines. Suite à cette partie importante que joue le mystique dans la vie quotidienne africaine, nombreux sont ces auteurs africains qui se sont inspirés de ces faits traditionnels, qui pour la plupart tendent vers le mystique, pour montrer à leurs lecteurs que ces phénomènes, qui pour beaucoup semblent être irréels, sont en fait une facette essentielle, et assez vivante d'une communauté africaine typique. Il est nécessaire de noter qu' « Il n'y a pas, en effet, un « homme africain » qui représente un type valable pour tout le continent, du nord au sud et de l'est à l'ouest. Il y a l'homme africain du nord, habitant le bassin de la Méditerranée ou les côtes de l'océan Atlantique. Il y a l'homme du Sahara, qui voisine avec celui de la savane. Il y a enfin l'homme de la forêt. Autant de types de caractère, de comportement, autant d'ethnies, autant de formes religieuses traditionnelles.»2(*) (Amadou Hampâté, cité par Jada Miconi, 2013 : 12)

Il sera question pour nous dans ce chapitre de faire le tour de quelques thèmes abordés dans la littérature africaine, et de présenter ensuite les différentes fonctions du surnaturel, ou encore les diverses raisons qui poussent des auteurs africains à écrire sur le monde mystique.

I.1 - Les thèmes abordés

Dans la littérature africaine de nature mystique, nous apercevons plusieurs sujets ou centres d'intérêts des auteurs, qui à travers leurs oeuvres, peignent une image assez vive des réalités du mystique dans la vie de tous les jours. Parmi ces cas se retrouvent : la mort, la superstition, le sacrifice, la métamorphose, la voyance, la tradition et la rivalité, qui seront tous présentés avec l'aide de certaines oeuvres mystiques africaine.

I.1.1- La mort

Le Petit Robert définit la mort comme « une cessation définitive de la vies d'un être vivant ». C'est un chemin du quel on ne revient pas. À ce sujet, on dira que « la mort est un vêtement que tout le monde portera », ou encore que « la mort engloutit l'homme, elle n'engloutit pas son nom et sa réputation. » Quoiqu'il en soit, la mort reste ce qu'elle est, l'inexistence. Cette définition reste cependant quelque peu figée. Alors, dirions-nous que cette conception de la mort s'applique ou est acceptable dans tous les contextes ?

On dit que la mort signifie la cessation définitive de la vie d'un être vivant. Or, on remarque qu'en Afrique, le plus souvent, il est dit que les morts ne meurent pas, qu'ils sont toujours parmi les vivants, que ce soit sous forme de d'esprit ou d'animaux, ou encore en tant qu'hommes. Ces propos, nous allons les illustrer avec le poème « Souffle » de Birago Diop, qui écrit :

Ceux qui sont morts ne sont jamais partis : Ils sont dans l'Ombre qui s'éclaire Et dans l'ombre qui s'épaissit. Les Morts ne sont pas sous la Terre... Les Morts ne sont pas morts. Écoute plus souvent Les Choses que les Êtres... Écoute dans le Vent Le Buisson en sanglots : C'est le Souffle des Ancêtres morts, Qui ne sont pas partis Qui ne sont pas sous la Terre Qui ne sont pas morts.

Cette conception que nous présente ce poète nous semble quelque peu mystique, voire surréaliste, vu que les morts ne sont plus censés être parmi les vivants sous quelque forme que ce soit.

Néanmoins, il semblerait bien que nos auteurs africains aient pris goût à ce phénomène de « mort-vivants » ou encore de « vampires » pour donner un peu de saveur à leurs textes littéraires. Comme illustration, on aura Sylvie Ntsame qui, dans son roman Malédiction, s'inspire de la croyance de « non-mort » des morts, donc, des esprits.

Dans ce texte, nous sommes témoins des répercussions négatives sur la vie du protagoniste, Joël, suite à son refus d'admettre que la loi traditionnelle qui régit sa société est au-dessus de lui, et que nul ne peut échapper au châtiment qu'il mérite après avoir osé défier cette autorité suprême. La résultante donc de son mépris lui a valu la mort de sa fiancée, Josiane, et de sa mère, qui sont toutes deux des dégâts collatéraux. Ces décès ne sont certainement pas le fruit du hasard : c'est Sandrine, fiancée qu'il devait épouser mais qui a vu sa vie s'arrêter grâce à la colère, et au dédain de Joël. Ces décès qu'elle orchestre est pour elle une manière de se venger de l'affreux traitement qu'elle a reçu de la part de Joël (à cause de son comportement ignoble, il a gagné la fureur de Sandrine). Il nous faut remarquer que Sandrine est morte, mais son esprit continue de roder sur terre autour de Joël.

I.1.2- La superstition

Ce terme se définit comme le fait de croire que certains actes ou signes entrainent automatiquement des conséquences bonnes ou mauvaises, qui généralement seraient de provenance occulte (Le Petit Robert). Il est impossible parfois de croire en quelque chose, aussi débile qu'elle soit ; sauf qu'une croyance démesurée entraine de la superstition, qui est irrationnelle. Elle est aussi basée sur la peur ou l'ignorance, ce qui donne un caractère surnaturel à certains phénomènes. C'est dans ce sens qu'il est dit dans l'article « Afrique et superstition » qu'« en Afrique, la perception du surnaturel semble tellement naturelle que c'est le naturel qui devient surnaturel », ce qui explique que la superstition soit assez rependue dans l'Afrique d'hier et d'aujourd'hui. On se demande à quoi les choses ressembleraient si les superstitions venaient un jour à disparaitre.

Dans « Afrique et superstition » encore, il est écrit que « la vie de la communauté [africaine], son organisation sociale et son équilibre sont basées sur des croyances supposées ou avérées, [qui] pour la plupart du temps, tirent leurs sources dans des contes et des légendes qui n'ont rien à voir avec une expérience directe ». Quelques superstitions les plus rependues en Afrique sont : ne pas balayer la nuit, parce que cela appellera dérage les esprits ou que des sorciers se montreront. Pour ceux qui croient en la réincarnation, il est déconseillé de montrer un miroir à un enfant, car il est dit que celui-ci pourrait se souvenir de ses précédentes vies, ou que le miroir pourrait emprisonner son âme.

Il est presque impossible de confirmer que ces superstitions, une fois brisées produisent quelques effets que ce soit, n'empêche que jusqu'à ce jour, bon nombre de ces superstitions s'appliquent dans leurs différents contextes.

Encore, pour ce qui est des jumeaux, ce phénomène est considéré en Afrique comme une malédiction parce que, selon la superstition populaire, ce sont des êtres malveillants ou malfaisants ; avec l'idée que l'un d'eux n'a pas de place dans le monde des vivants, mais celui des esprits. C'est la raison pour laquelle les jumeaux étaient mis à mort dans plusieurs coutumes africaines.

Dans Ceux qui sortent dans la nuit de Mutt-Lon, Ngambi dit : « Je viens de buter [mon orteil] contre une pierre en montant ici...Ça signifie qu'il y a des gens qui sont en train de me calomnier quelque part dans ce village. » (P. 234) Ceci se révèle être une superstition parce qu'il n'est pas prouvé que se faire mal à l'orteil est synonyme de calomnie.

Un autre exemple de superstition se trouve dans le roman Afoh Ahkom, de Christian Tiako, où il nous ait dit que : « Depuis dix heures, par pure superstition, des filles versaient à intervalle de temps régulier du sel sur le feu. Certains prétendaient que ce manège était susceptible de provoquer la pluie. » (P. 9)

I.1.3- La métamorphose

La métamorphose selon Le Petit Robert est un changement de forme, de nature ou de structure telle que l'objet ou la chose métamorphosé n'est plus reconnaissable, exemple un homme ou un animale. Ce mot peut avoir pour synonyme la transformation.

Il serait faux de croire qu'en Afrique la métamorphose soit une chose étrange, parce que nous avons à travers le temps, eu à entendre des contes ou des légendes dans lesquels on retrouvait souvent des scènes de transformations d'hommes en animaux : ce qui aurait certainement poussé certains auteurs africains à inclure des scènes de métamorphose dans leurs récits mystiques et surnaturels. Parmi ces auteurs donc, nous retrouvons Charles Soh, qui dans Un enfant à tout prix fait transparaitre la transformation d'un enfant en un serpent énorme.

Dans son article « Écriture du surnaturel et contexte : du fantastique occidental au réalisme magico-religieux africain », P. Abossolo dit : « l'explication à donner à cette façon de concevoir la métamorphose comme un phénomène naturel réside dans un trait fondamental de l'anthropologie africaine : l'être vivant n'étant pas uniquement constitué de ce qui tombe sous la vue, il faut lui reconnaitre la capacité de se mouvoir et de se métamorphoser selon les circonstances. » (P. Abossolo : 2010, P.37) Cette intervention nous fait comprendre que, la métamorphose est un phénomène qu'on pourrait décrire comme étant normalisée dans le cadre africain. Dans L'homme-dieu de Bisso d'Étienne Yanou par exemple, les autochtones de Bisso (village fictif) croient fermement que « certains individus peuvent se dédoubler en chouettes, oiseaux auxquels on prêtait le pouvoir magique de soutirer le sang du coeur ou de couper une partie du poumon ». Cette croyance que des êtres humains peuvent se changer en animaux est confirmée, quand à l'ouverture du texte, nous sommes informés de la présence d'un homme-panthère, et plus tard dans le texte, des hommes-chouettes.

Un autre cas de métamorphose est dans Un enfant à tout prix, quand Victoire beigne l'enfant dans le lac sacré de Baleng, et que celui-ci se transforme sous ses yeux.

I.1.4- La tradition

Il n'existe pas de communauté sans tradition. La tradition est, nous pouvons dire, l'élément même qui fait d'une société ce qu'elle est. On définira donc la tradition comme la manière d'agir ou de penser transmise de génération en génération à l'intérieur d'un groupe. Le dictionnaire Le Petit Robert la définit comme une « manière de penser, de faire ou d'agir qui est un héritage du passé ». Pour Honorat Aguessy3(*), ce terme exprime « ce qui, du plus profond de l'histoire de la vie d'une population, ne cesse d'être charrié et transmis à travers les multiples transformations et qui donne du poids aux faits, gestes et coutumes, et aux pensées de cette population. Non statique encombrant, mais changement enrichissant. » (Cité par René Tabard dans « Religions et cultures traditionnelles africaines : Un défi à la formation théologique », 2010)

Dans Ceux qui sortent dans la nuit, lors de la cérémonie d'adieux de la jeune Dodo, certains rites sont faits de la manière la plus traditionnel possible : « Ce matin-là, on posa une cuvette sur sa tombe, remplie d'une mixture de feuilles et écorces de la brousse...Certains murmuraient quelque chose comme s'ils parlaient à la disparue, avant de se laver les mains dans la cuvette. Ici on est attentifs à peu de traditions qui subsistent, et il reste un ou deux patriarches qui savent organiser la cérémonie des adieux. » (P.8-9) Nous voyons là que cette communauté est rigoureuse lorsqu'il s'agit de l'application des rites ancestraux, ce qui montre l'intérêt de l'auteur sur la question. Raison pour laquelle il décide d'en parler dans son texte.

Parlant toujours de la tradition africaine, on entrera dans Malédiction, pour voir à quel point l'auteure met l'emphase sur ce point. La tradition dans ce texte joue au niveau du mépris de Joël vis-à-vis d'elle, et des conséquences douloureuses auxquelles il a dû faire face ; pour dire que la tradition en Afrique est une chose sacrée, et nul n'a le droit de commettre des actes qui pourraient le mettre dans la même situation que Joël.

I.1.5- La sorcellerie

Le Petit Robert défini la sorcellerie comme « [des] pratiques de sorciers ; magie de caractère populaire ou rudimentaire, qui accorde une grande place aux pratiques secrètes, illicites ou effrayantes ».

D'après Augé, la sorcellerie est : « un ensemble de croyances structurées et partagées par une population donnée touchant à l'origine du malheur, de la maladie ou de la mort, et l'ensemble des pratiques de détection, de thérapie et de sanction qui correspondent à ces croyances. » (Augé, 1974 : 55, cité par Laura Coakley, 2015 : 12)

La sorcellerie est une réalité sociale et culturelle bien imprégnée sur le continent africain, avec des rites propres à elle qui se pratiquent dans presque toutes les communautés africaines. La sorcellerie de ce fait accompli ce qui en temps normal ne pourrait être accompli, exemple : les transformations d'hommes en objets, ou en animaux. On prendra là un extrait de La Bête noire d'Isaïe Koulibaly, où il est écrit : « La sorcellerie. Je faisais partie d'une confrérie de sorciers dans ce village. Et c'est moi qui ai livré ton père. On l'a transformé en singe pour le manger, la veille d'une fête chrétienne » (P. 50)

On notera que : « La notion de sorcellerie, bien qu'elle ait une sémiologie plurielle, peut être définie, dans une grande partie des pays africains, comme une capacité de nuire à une personne grâce au pouvoir mystique. Par conséquent, le sorcier ou la sorcière incarne ce personnage maléfique, poussé à faire du mal sous l'influence de cette force/pouvoir de lasorcellerie. »(Cimpric, 2010 : 5)

I.2 - Les fonctions du surnaturel dans la littérature africaine

H. Leenhardt dans « Essai sur la notion du surnaturel » dit à propos du surnaturel : qu'on ne peut lui donner une définition précise parce que « n'étant pas l'objet d'une appréhension sensorielle directe, ni d'une conception rationnelle [il ne saurait] être qu'objet de croyance et non objet de connaissance. ». C'est dire qu'il est difficile de définir ce terme parce que ce n'est pas quelque chose de concret, ou quelque chose que l'on peut prouver facilement.

Par « fonction du surnaturel », on entend le rôle joué par le surnaturel en littérature africaine, et, nous voyons, au vu des différents thèmes abordés plus haut, que le surnaturel occupe une place primordiale dans une société africaine lambda. Les raisons pour lesquelles on décide d'en parler constitueront la suite de ce travail. On verra donc dans cette partie : les fonctions sociales et politiques du surnaturel en littérature africaine au travers desquelles les auteurs nous montrent les situations sociales et politiques du surnaturel en Afrique, c'est-à-dire, comment les gens emploient le surnaturel pour mener à bien leurs activités.

I.2.1- Les fonctions sociales

Quand on parle de « sociale », on parle de la société, et en littérature africaine les évènements relatés (aussi incroyable qu'ils soient) sont inspirés du vécu passé et présent des africains.

S'agissant donc des fonctions sociales du surnaturel, on pourrait avoir le désir de nombreux d'acquérir un statut respectable, prestigieux dans la société, ce qui pousserait des auteurs à en parler dans leurs textes littéraires. Exemple dans La Bête noire, Monsieur Yantala use du pouvoir mystique pour sortir de la misère dans laquelle il se trouvait, et de se faire respecter par tout le monde.

Dans des textes comme Ceux qui sortes dans la nuit, on retrouve des personnes qui s'immiscent dans le monde occulte, pas pour gagner quelque statut que ce soit en société, mais juste parce que c'est leur mode de vie (pratique transmise de génération en génération). Là, on verra la vielle Mispa par exemple qui est dans ce monde mystique depuis fort longtemps, et tente d'y initier sa petite-fille, mais celle-ci est tuée parce qu'elle a « parlé », chose qui est interdite.

Une autre fonction sociale du mysticisme est l'acquisition du pouvoir absolu. Pour cela, nous prendrons le cas de La Bête noire, où nous voyons Frédéric Yantala, qui, poussé par le désir d'être puissant, rejoint dans des cercles mystique, et va jusqu'à sacrifier des personnes, juste pour être considéré grandement dans la société. Le texte nous dit que : « Fédy était professeur d'histoire et géographie et ne voulait plus vivre dans la misère » (P.9). Ceci explique pourquoi le jeune-homme s'engage sur ce chemin ténébreux qui tôt ou tard aura des conséquences importantes dans sa vie.

I.2.2- Les fonctions politiques

Le mot « politique » est « relatif à l'organisation, et à l'exercice du pouvoir dans une société organisée » (Le Petit Robert).

Vu que la politique est le plus souvent liée au pouvoir, on se rend compte que de plus en plus, les gens s'engagent dans le monde mystique pour assouvir leur soif de ce pouvoir qui semble interminable, et de fait rendent ses victimes insatiables, car « le pouvoir est par nature criminel » (Marquis de Sade). Le « pouvoir » par définition signifie être en position de puissance, être au-dessus, au contrôle des personnes sous soi. Ce mot pourrait aussi tout simplement signifier avoir de l'autorité, la puissance de faire quelque chose, ou encore la « puissance particulière de quelqu'un ou de quelque chose » (Dictionnaire Larousse).

Dans la littérature africaine, on est parfois exposé à des scènes de rituels ou d'incantations auxquels des gens font part, ou pratiquent pour se sécuriser une place favorable dans le cercle restreint de ceux qui règnent, de ces gens-là qui, du haut de leurs statuts, font la loi. On pourrait se demander pourquoi de plus en plus de personnes se ruent vers de tels actes pour acquérir le pouvoir, et on répondrait en disant que ces gens-là, parfois, se sentent rapetissés par ceux qui sont en position de pouvoir. Une autre raison pour laquelle des gens tendent vers des voies mystiques peut être que ces personnes seraient juste orgueilleux, et ne voudraient pas être considérés aux mêmes égards que leurs collègues, c'est-à-dire qu'ils cherchent de plus en plus à être au-dessus des autres.

Pour illustrer ce concept de la quête du pouvoir et du recours au surnaturel, on prendra le cas de La Bête noire d'Isaïe Koulibaly, roman dans lequel l'auteur nous plonge dans une Afrique contemporaine, où le désir du pouvoir met en péril l'existence de certains au profit de celle des autres.

Dans ce roman, nous rencontrons Frédéric Darco Yantala, le personnage principal, qui n'a qu'un seul rêve : être riche et puissant et pour cela, il n'hésite pas à consulter des marabouts, et à faire partie d'une société mystique. Tout ceci dans le but d'atteindre le sommet. Dans sa quête du pouvoir, on le voit réciter une prière ésotérique que lui avait remise un de ses camarades de cabaret... ; fréquenter des marabouts ; et même tuer des personnes.

Il a été question pour nous dans ce chapitre d'explorer le mystique, tel qu'il est perçu en Afrique, au travers des différents thèmes abordés dans des textes littéraires portant sur le mystique et de donner les raisons pour lesquels des personnes décident de s'engager sur la voie du surnaturel dans la société africaine. Dans le chapitre suivant on entrera dans le vif du sujet, c'est-à-dire qu'on présentera l'univers mystique dans notre roman.

CHAPITRE II :

LE RECOURS AU MYSTICISME DANS UN ENFANT À TOUT PRIX : MOTIVATIONS, MANIFESTATIONS ET CONSÉQUENCES

La croyance au paranormal est assez rependue, que devient naturel ce qui est surnaturel, et mystique ce qui est naturel. La résultante de cette croyance, le plus souvent, est que des personnes sont parfois accusées à tort de sorcellerie à cause de leur état physique (handicap), leur âge, ou encore d'un lien quelconque avec une personne accusée, comme il est le cas pour nous ici.

Le mysticisme peut assez bien se définir, selon l'étymologie, comme le " sens du mystère " (du grec fermer), le sens de l'au-delà, de l'autre monde ", qui dépasse les limites de notre expérience objective, soit dans la vie présente, soit dans une survie éventuelle.

Comme nous l'avons dit dans le chapitre précédent, le recours au mysticisme se fait pour plusieurs raisons, mais dans notre cas, il est une bouée de sauvetage, une porte de secours. Le mysticisme est employé comme tel parce que dans le texte, nous voyons le couple Mbah qui s'engage vers des voies mystiques, dans le but de sauver leur union, et ils sont prêts à tout pour y parvenir. Il sera question au long de ce chapitre, de faire ressortir les motivations du couple, d'examiner les manifestations du mysticisme, et d'évaluer les effets du mystique sur leur vie.

II.1- Motivations/raisons du recours au mysticisme

Dans notre corpus, les motivations du couple sont : le tempérament de Xavier, le regard des autres, et l'incompétence des gynécologues.

II.1.1- Le tempérament de Xavier

Le tempérament se définit comme une disposition de l'humeur et de la sensibilité d'un sujet, en relation avec soi et avec l'extérieur. On pourrait aussi le définir comme un ensemble de caractères physiologiques propres à un individu.

Dans le corpus soumis à notre étude, nous avons tout d'abord la détresse, le désespoir et la haine de Xavier face à leur situation. Celui-ci devient « ...nerveux, grincheux, agressif » (P.31), parce qu'il n'arrive pas à se faire à l'idée qu'ils n'aient pas d'enfants après six années de vie commune. Il est aussi dit qu'il « supportait de moins en moins les absences répétées de son épouse et s'irritait du fait que malgré ses interminables soirées de prières...elle continuait à croire qu'un miracle viendra...pour la rendre enceinte » (P.32). Cette persévérance dans la prière de son épouse alimente de plus en plus sa haine contre le fait que malgré tout cela, elle n'est toujours pas enceinte.

En psychologie, on distingue quatre types de tempéraments, dont le tempérament nerveux, dont souffre Xavier. Nous lisons dans « les quatre tempéraments de la naturopathie » que les personnes avec des tempéraments nerveux sont tout le temps agités et inquiets.

Xavier en a marre d'entendre parler de ce Dieu bon et miséricordieux, comme le décrit Victoire, qui ne daigne pas exaucer les supplications de son épouse, au vue de toutes les prières auxquels elle assiste sans faute :

Et franchement, je me demande à quoi te servent les messes tous les dimanches, la chorale, les interminables prières [...] [tu] as tenu à te marier à l'Église [...] pour lui confier ton mariage...ton mari, tes enfants...on ne peut pas dire qu'il t'a entendue. Il s'est arrangé à ne même pas te donner un enfant handicapé...Réveille-toi Victoire [...] Tu sais, tu devrais avoir honte de continuer à croire à ces conneries. (P.37-38)

Dans cet extrait nous voyons un Xavier furieux, qui n'hésite pas de reprocher à son épouse d'être trop naïve, parce que malgré l'absence d'une réponse favorable de Dieu, elle demeure ferme dans sa foi, et n'hésite pas à confronter son époux s'il le faut : « Dieu a d'autres manières d'exaucer les prières des gens. Ses voies ne sont pas les nôtres, et il n'agit pas toujours selon nos désirs. » (P.37)

Dans son amertume toujours, il martèle ceci : «  Si ce Dieu que tu pries tous les jours t'écoutait, tu aurais au moins trois à quatre enfants aujourd'hui comme tes amies. C'est dommage que ton Dieu soit sourd à toutes ces nuits de prières... » (P.38) Ceci parce que Victoire s'obstine à prier ce Dieu, qui pour Xavier, n'a visiblement aucune intention de tourner vers eux son regard, et donc il est inutile de poursuivre ce chemin de croyance à l'aveugle.

La mélancolie de Xavier se perçoit quand on dit : « ...les larmes de Xavier coulaient à l'intérieure, il pleurait au-dedans de lui-même. Il était devenu un masque, comme si le manque d'enfant avait laissé sur son visage une épouvantable grimace » (P.40). On voit là que Xavier est à bout, au point de composer une chanson dans un moment de profonde tristesse, mélodie dédiée à cet enfant qui tarde à arriver.

II.1.2- Le regard des autres

Selon l'article « pourquoi a-t-on peur du regard des autres », le regard des autres « a un impact décisif sur la manière dont nous nous percevons. Il influe sur notre jugement ». Jean-Paul Sartre aussi, dit : « Nous ne sommes nous qu'aux regards des autres et c'est à partir du regard des autres que nous nous assumons comme nous-mêmes »4(*).

Nous lisons dans le texte que « ...les voisins s'interrogeaient. Les amis de son mari étaient gênés par cette situation qu'ils ne comprenaient pas, eux qui étaient tous pères... » (P.31)Ces remarques ont suscité en eux un sentiment de peine qui était déjà très présent dans leurs esprits. Cette peine qu'ils ressentent relève du fait qu'ils sont constamment jugés par tous. Dans l'article en ligne « Pourquoi a-t-on peur du regard des autres »5(*), nous lisons que le jugement constat des autres influence ses faits et gestes, parce qu'on a peur de décevoir.

Toujours dans cet article, nous apprenons que la société met en avant la notion de compétitivité et de performance, qui rend parfois difficile l'intégration sociale. En effet, des clichés tels que le fait qu'il y ait un manque d'enfant dans une maison signifient automatiquement que ce couple n'est pas conforme parce que les autres en ont. Dans notre texte, la mère de Victoire dit : « [la présence d'un enfant] justifierait leur présence sur terre » (P.51), ce qui veut dire que l'absence d'un enfant dans leur foyer les rend, socialement parlant, des « gens inutiles ».

II.1.3- La pression familiale

La pression familiale est aussi un point qui prompte le couple à s'engager sur cette voie mystique. Nous disons cela parce qu'à la page 37, Xavier dit à Victoire que : « Bon... Euh... cette histoire d'une deuxième femme, tu sais que c'est mon père qui fait pression, moi...bon...tu sais...on a fait le tour des guérisseurs qui nous ont arnaqués ». Nous savons qu'en Afrique, il est primordial pour une femme de donner des enfants à son époux, surtout un fils, et que quand la première épouse est « incompétente » ou dans l'incapacité de lui en donner, l'idée d'une deuxième épouse se pose. Raison pour laquelle les parents de Xavier lui demandent de prendre une deuxième épouse, pour pouvoir avoir une progéniture. En effet, il se pourrait que ce soit à cause du refus de Xavier de céder à cette pression de prendre une seconde épouse, que tous deux persévèrent dans leurs efforts d'enfanter, et finissent par s'en remettre aux voies magico-religieuses.

Ces points viennent nous montrer à quel point l'opinion des autres sur soi peut pousser à accomplir des actes à la hâte, sans toutefois songer aux conséquences.

II.1.4- L'incompétence des gynécologues

Une autre raison qui aurait pu pousser le couple à emprunter la voie du mysticisme est, selon Xavier, l'incompétence des gynécologues. En effet, nous apprenons de ce dernier qu'ils ont « ...fait le tour des gynécologues » sans aucun résultat : « ...vous savez, vos collègues me disent la même chose depuis six ans, et pourtant rien ne change... Nous avons fait le tour des gynécologues de la ville... » (P.35) On voit que Xavier a atteint ses limites, et veut des résultats concrets, et non des estimations.

II.2- Les manifestations du mysticisme dans l'oeuvre

Ayant donné les raisons qui animent le couple plus haut, il sera question pour nous maintenant d'examiner leur cheminement sur cette voie qu'est le mysticisme. Dans le roman, nous voyons que le mysticisme se manifeste pour tomber enceinte, et pour la délivrance.

II.2.1- Tomber enceinte

Pour connaitre la joie d'être un jour des parents, le couple n'hésite pas à consulter de nombreux guérisseurs, qui leur donnent des prescriptions, chacun selon son expertise. Xavier mentionne le fait qu'au préalable, ils sont allés chez des guérisseurs qui les ont arnaqués. On nous dit aussi qu'il y avait un autre, un pygmée, qui avait aussi travaillé sur eux. Ces derniers avaient été aussi incompétents les uns comme les autres. L'auteur cherche sans doute à nous montrer que le désespoir peut mener à accomplir des actes à l'aveuglette, sans toutefois évaluer dès le départ, si le chemin que nous empruntons est le bon.

Selon « L'action des guérisseurs traditionnels » (2006)6(*), article d'Itai Madamombe, « la médecine traditionnelle relève d'un système de pensées qui reste essentiel dans la vie de la plupart des Africains ». Il dit aussi des guérisseurs qu'ils sont, le plus souvent, le seul et unique ressort contre des maux qui ruinent la vie humaine. Le résultat est que les africains ont le plus souvent confiance en ces guérisseurs et en leurs traitements, qu'en la médecine moderne, parce que pour l'africain, tout ce qui se produit a une explication. C'est peut-être à cause de ce système de pensée que dans Un enfant à tout prix, l'auteur détail de fond en comble le traitement rituel que reçoit Victoire au bord de la rivière. L'objectif de ce rituel est de purifier Victoire de tout ce qui l'empêche de concevoir et, en quelque sorte, préparer la venue imminente de leur enfant. On voit là que le guérisseur est sûr de son traitement, et que le couple aussi est prêt à prendre tous les risques nécessaires pour devenir parents.

L'auteur, quelque part, cherche à exposer le fait que les couples, et surtout les femmes, sont prêts à tout lorsqu'il s'agit d'enfanter, même si cela va à l'encontre de leurs croyances religieuses. En effet, Victoire est une fervente chrétienne, mais nous voyons qu'elle se livre corps et âme à ce rite.

II.2.2- La délivrance

La délivrance se définit comme la fin d'un mal, d'un tourment, d'où résulte une impression agréable. Il a pour synonyme soulagement. Dans notre texte, le désir de soulagement apparait après la naissance de Jonbé Pamphile, quand il est découvert que ce dernier est en fait un serpent déguisé.

Pour se débarrasser de l'enfant et être libre, un inconnu propose à Xavier d'abandonner l'enfant dans la forêt. Comment cet inconnu a-t-il fait pour savoir que leur enfant est un serpent, reste un mystère. Nous pouvons toutefois supposer qu'il a des dons de voyance, puisqu'il dit : « ...j'ai le don de lire, et je vois... La souffrance du serpent se lit sur votre visage...je vois aussi un serpent qui vous enserre... » (P.113). La consigne est claire : Xavier devait déposer l'enfant dans une broussaille au bord de l'eau, dans une forêt, puis s'en aller en courant sans se retourner. Dans « symbolisme de la forêt et des arbres dans le folklore »7(*), article de Judith Crews, il est dit que les arbres et la forêt ont une certaine mystification depuis l'antiquité. Clarissa Pinkola dit : « Si tu ne vas pas dans les bois, jamais rien n'arrivera, jamais ta vie ne commencera. Va dans les bois, va »8(*). Nous apprenons aussi dans « le symbolisme de la forêt »9(*) que la forêt peut être synonyme d'oppression ou de libération. Pour expliquer ces citations, on dira que c'est justement pour ces deux raisons que l'inconnu invite Xavier à se rendre dans la forêt : pour que sa vie prenne une tournure nouvelle dans cette forêt, qui est un lieu de libération.

Autre instance de délivrance apparait quand le prêtre et les paroissiens effectuent le chemin de croix autour de la borne fontaine habitée par le serpent. Durant cette séance, des prières sont faites, et, peu à peu, le serpent libère la fontaine : « Plus la prière était forte, plus elle semblait provoquer la montée en force d'une eau boueuse qui jaillissait du robinet... La force de leurs prières semblait augmenter la pression de l'eau noire et boueuse... » (P.149-150). Au préalable, le serpent s'était immiscé dans le lit du curé : « [il trouva] un énorme serpent grisâtre lové dans sa couverture. [Il] porta la main au crucifix qui pendait toujours à son cou... [et] lentement et majestueusement, le serpent descendit du lit, puis il sortit de la chambre en frôlant la soutane du père Lesco. » (P.141) Cette scène pourrait être traduite comme un défi direct lancé à Dieu, avec comme intention de faire régner la loi du plus fort.

Pamphile a des blessures au dos, suite aux prières faites par les paroissiens autour de la borne fontaine. Il a ces plaies parce que son double, le serpent, est aspergé d'eau bénite dans la fontaine. Ceci nous montre que l'enfant est capable de se dédoubler, et d'être à deux endroits à la fois.

Toujours dans l'optique de la délivrance, le dénommé Su Fo Ngang s'engage à libérer la famille de Xavier de cet enfant serpent. Pour ce faire « Le groupe se mit en marche en pleine nuit pour le cimetière... [Su Fo Ngang avait] autour de son cou... une amulette d'argent en forme de coquille d'escargot...il leur avait demandé de s'oindre les pieds et les mains avec un produit noir et gluant... » (P.156). Afin de pousser le double animal à se dévoiler, « ...Su Fo Ngang se mit [à chanter,] à pleurer en battant le tambourin et en exécutant une danse mystique » (P.158), après quoi « un monstrueux serpent » apparait.

Nous voyons dans cette scène que le mysticisme est à son comble parce que toutes les actions menées, que ce soit l'oignement des membres ou encore le chant, ont une connotation non dévoilée par l'auteur. Mais nous pouvons supposer que l'oignement sert à les blinder, et le chant sert à cajoler le serpent.

Le jujube, pour les africains en général et le peuple bamiléké en particulier, est, par essence, le symbole de la paix. Ceci explique pourquoi Su Fo Ngang donne un mélange à base de jus de jujube au couple et à l'enfant de boire. Vu que c'est un fruit sacré, l'enfant quand il le prend, ne le supporte pas, et, regardant le feu « [dégage] une odeur animale...et...son visage prit progressivement une couleur effrayante... » (P.164)

II.3- Conséquences du mysticisme dans l'oeuvre

II.3.1- Grossesse de Victoire

L'effet immédiat de ce choix est que Victoire tombe enfin enceinte : « Deux mois après, la nouvelle fut confirmée... Elle est effectivement enceinte ». Leur vie de couple semble voir un nouveau jour : « L'amour dans leur coeur avait transformé la maison en un havre de bonheur » (P.60). Ces idées nous montrent que grâce à la grossesse de Victoire, le couple file le parfait amour, et ils se sentent de plus en plus considérés par leur entourage, car rappelons nous, tout le monde les voyait différemment : ils étaient comme exclus.

II.3.2- L'affrontement

On entend par affrontement l'action de défier. Nous retrouvons dans Un enfant à tout prix un instant d'affrontement entre Victoire et un serpent. Victoire, mue par une curiosité excessive, s'aventure à toucher un énorme serpent que présente un marchand d'illusions aux passants faibles d'esprit : « ...sa main droite effleura le corps de l'énorme serpent... L'animal se retourna d'un geste sec, leurs yeux se croisèrent en une fraction de seconde. Un ange passa » (P.63-64)

Nous considérons cet affrontement visuel comme une conséquence du mystique parce que nous ne pensons pas que le serpent l'ait fixé autant par hasard, vu qu'elle n'était pas la seule personne présente. En effet, nous croyons que le traitement de Môt aurait laissé des traces senties par le serpent. Ceci parce que ledit traitement était un processus de « lavage » qui consistait à la mettre en contact avec les « serpents fertiles ». Coïncidence ou pas, toujours est-il que cet échange de regards a bouleversé Victoire, malgré le fait qu'elle l'ait mis sur le compte de l'émotion.

II.3.3- Naissance de Pamphile

Cette décision d'user des voies mystiques a permis au couple de donner naissance à un garçon, qui malheureusement présente d'énormes déficiences. Ces anormalités montrent clairement qu'il y a un énorme problème en ce qui concerne le fond ou la provenance de cet enfant. Nous pensons là au traitement de Môt, ou encore à la rencontre de Victoire avec le serpent. Quoi qu'il en soit, cet enfant handicapé serait le fruit de ces nombreuses procédures quelque point douteuses par lesquels le couple est passé. On pense ceci parce qu'il est dit dans le texte que l'enfant ne supportait pas les prières faites par sa mère et les gens de l'église.

Étant donné que cet enfant n'est pas tout à fait ordinaire, les paragraphes qui suivent porteront sur les effets de son passage dans la vie du couple et de leur entourage.

Jonbé Pamphile est un enfant serpent, comme nous l'informe Mevom, la soeur d'un guérisseur chez qui le couple est allé traiter l'enfant, et le guérisseur lui-même : « C'est un serpent qui est entré chez vous. Je ne sais pas comment ni pourquoi. Il ne sera jamais un enfant, c'est un serpent qui se cache dans la peau d'un enfant [...] C'est un animal qui se nourrit de sang et de viande fraîche. Je l'ai vu dans ses yeux. » (P.91) De ce passage on apprend que Mevom a le don de voyance, qui est un trait particulier dans l'univers mystique. Sans doute elle aurait aperçu un serpent dans l'enfant.

II.3.4- La peur

La peur est un sentiment d'angoisse éprouvé en présence ou à la pensée d'un danger réel ou supposé, d'une menace. (Dictionnaire Larousse). Ce mot est issu du latin pavor qui signifie l'effroi, l'épouvante.

La peur dans notre corpus se ressent à chaque fois qu'un individu croise le regard de Pamphile,« Cet enfant faisait peur » (P.82). Non seulement il est effrayant, mais il dispose d'un outil lui permettant de se défendre, sa salive. Le texte dit que cette salive est  « irritant comme de l'acide » (P.83). On voit là que l'enfant a des traits caractéristiques du serpent, qui emmène les gens être épouvantés par son seul regard. Nous remarquons aussi que cet enfant est imposant et féroce, qui prouvent qu'il est bien loin de ce qu'on pourrait appeler un enfant ordinaire. Il est de ce fait maléfique. Ce serpent crée une psychose dans l'esprit des personnes qui croisent son chemin.

II.3.5- La mort

Une autre répercussion du mysticisme est que cet enfant mène à mort des hommes comme des animaux. La mort s'entend comme la cessation définitive de la vie d'un être vivant. Il est communément appelé le voyage sans retour. Dans le roman, Pamphile entraine à mort plusieurs, hommes comme animaux.

a) Mort des hommes

Sa première victime fut un chauffeur de taxi, qui trouva la mort dans une décharge d'ordures. C'est Pamphile, sous forme de serpent, qui en est responsable.

Une autre de ses victimes était un homme surnommé "Go help man", qui « fut retrouvé un matin sur le pas de sa porte, mort. Une plaie béante sur son visage déchiqueté. » (P.140)

b) Mort des animaux

Après que sa famille et lui se soient refugiés au village, Pamphile, pour assouvir sa faim démesuré, mange, toujours sous forme de serpent, une truie, des poussins.

Il orchestre ces morts pour satisfaire sa faim, suite au refus de son de continuer à gaver de viande un enfant qui refuse de guérir.

II.3.6- La délivrance

Suite au chemin de croix fait par les paroissiens autour de la borne fontaine, le serpent qui avait pris refuge à l'intérieur fut expulsé. Cette expulsion se fit grâce aux prières, et à l'eau bénite aspergé par le curé. Bernard Berger dans La Formidable Puissance de l'Eau Bénite (2009) dit de l'eau bénite qu'elle est purificatrice. Cela dit, l'usage qu'en fait le curé est plus que judicieux dans cette circonstance, parce que son objectif est de chasser le serpent, tout en purifiant la fontaine de tout ce que ce dernier aurait pu laisser.

Au terme de ce chapitre, il apparait que le mystique dans Un enfant à tout prix sert d'échappatoire pour le couple, pour espérer atteindre ses objectifs (celui d'être parents). Ce chapitre a traitédes différents facteurs qui ont, d'une manière ou d'une autre encouragé le couple à s'en remettre aux voies mystiques. Ensuite nous avons vu comment se présentent les différentes pratiques ou méthodes employés dans l'accomplissement de ce souhait, puis nous avons analysés les conséquences de ce choix dans leur vie et de celle de leur entourage, proche comme éloigné. Dans le troisième chapitre, une analyse des intentions de l'auteursera faite.

CHAPITRE III :

LE SENS D'UNE ECRITURE DU MYSTIQUE DANS UN ENFANT À TOUT PRIX DE CHARLES SOH

Le mysticisme est le principal intérêt de Charles Soh dans Un enfant à tout prix. C'est un sujet assez préoccupant, qui transparait tout le long du récit. Nous donnerons dans ce chapitre les raisons pour lesquelles nous pensons que l'auteur aurait choisi d'écrire sur ce thème, basé sur les évènements qu'il décrit dans son texte.

III.1- Sensibilisation sur les effets du mysticisme

Sensibiliser veut dire informer sur quelque chose au quel on ne prête pas attention. Plusieurs optent pour des méthodes mystiques pour résoudre leurs problèmes, sans toutefois chercher à prendre connaissance des risques ou des bienfaits de leur démarche. Dans notre corpus, l'auteur nous présente le bon, ainsi que le mauvais côté de cet univers si présent dans nos vies.

III.1.1- Les méfaits du mysticisme

Des contacts avec les guérisseurs, voyants et autres médiums peuvent avoir des répercussions, parfois sérieuses, dans les vies de ceux qui y font appel. Emmanuel Maennlein dans « L'intérêt pour l'occultisme et ses conséquences » (2012) pense que les conséquences de ces pratiques sont rarement abordées, et qu'il vaut la peine de parler de cette face cachée souvent banalisé.

Dans ce roman, les effets dévastateurs sont les plus soulignés. L'auteur nous met en garde contre cette dépendance qu'on a souvent à se tourner vers des chemins qui ne sont pas toujours fiables. En voulant arranger les choses, nous nous empressons le plus souvent pour rendre notre existence plus complexe qu'elle ne l'est déjà. Nous avons l'exemple du couple Mbah qui, dans sa quête pour un enfant, consultent des guérisseurs, pas toujours fiables, et se retrouvent avec un serpent pour enfant.

On peut citer un autre cas, celui de Mutt-Lon, qui dans Ceux qui sortent dans la nuit, relate que Mispa, la grand-mère, introduit la jeune Dodo, sa petite-fille, dans le monde des ewusu, pour perpétuer la tradition ; mais cette dernière fini par trouver la mort. Ceci à cause de ce monde aux lois rigoureuses qu'elle a, par inadvertance, transgressé. L'auteur ici souligne la sévérité avec laquelle ce monde mystique traite les transgressions, sans considération d'âge. C'est dans cette lumière que nous lisons dans « les conséquences à la course de la richesse mystique »10(*) qu'un homme a perdu la vie, parce qu'il était incapable d'offrir les sacrifices réclamés pour s'enrichir. On se rend compte que ce monde est très demandant en matière de respect de certaines ordonnances.

L'auteur en écrivant son roman cherchait à montrer que dans l'univers mystique, tous les évènements relèvent du paranormal : de la scène où Victoire touche le serpent, passant par la scène où Xavier abandonne l'enfant dans la forêt, jusqu'à la scène du cimetière où Su Fo chante pour attirer le totem de Pamphile. De toutes ces scènes, nous remarquons qu'aucune d'entre elles ne peut réellement être expliquée de manière rationnelle.

III.1.2- Les bienfaits du mysticisme

Le mysticisme comporte certes des effets néfastes, mais il y a aussi du bon dans cette sa pratique, comme quoi, ce n'est pas parce que c'est « mystique » que c'est forcément mauvais.

Le mysticisme dans Un enfant à tout prix résout le problème de l'enfant dans le couple Mbah. Au vu des évènements décrits dans le texte, il est plus qu'évident que l'enfant qu'ont Victoire et Xavier arrive en partie grâce au traitement du guérisseur Môt.

Dans Ceux qui sortent dans la nuit, Mutt-Lon emploie le mysticisme comme solution à un problème scientifique qui se pose, celui du « dégagement matériel » (P.107). C'est grâce aux efforts de ses compères qu'Alain Nsona réussit à rentrer dans le passé et récupérer la formule nécessaire pour cette expérience.

III.2- Souligner l'hybridité culturelle de l'africain

Dans le mot hybridité on voit « hybride ». Le Petit Robert dit qu'est hybride, ce qui est « composé de deux éléments de nature différente anormalement réunis ». C'est dans le cadre de la religion que cette hybridité s'impose. Dans Un enfant à tout prix, Charles Soh fait un mélange de christianisme et de religions africaines pour faire passer son message.

Pour G. Van der Leeuw, cité par E. Dammann, la religion est la « relation avec une Transcendance », qui en effet, contient deux choses essentielles : la Puissance, supérieure à l'homme (en face de quoi il est objet) ; et la relation qu'entretien l'homme et cette puissance. Selon Le petit Larousse, la religion est « un ensemble de croyances et de dogmes définissant le rapport de l'homme avec le sacré », ou encore « un ensemble de pratiques et rites propres à chacune de chacune de ces croyances ».

L'Afrique, à la base, a un peuple très croyant. La rencontre entre les cultures noires et occidentales s'est faite d'abord par le biais de la religion. « La religion imprègne toute la trame de la vie individuelle et communautaire en Afrique. Ce n'est pas seulement un ensemble de croyances, mais un mode de vie, le fondement de la culture, de l'identité et des valeurs morales » (A.A. Mazrui et C. Wondji, 1998 : 325). La religion traditionnelle en Afrique a été, depuis les temps anciens, un moyen pour l'africain d'explorer les forces de la nature (plantes), et d'user de ces connaissances pour son bien-être. Les religions en Afrique sont, pour la plupart, animistes. L'animisme est une religion qui croit que tout ce qui vit a une âme. Selon Philippe Descola, dans « L'animisme est-il une religion ? » (2006), l'animisme « se conçoit mieux comme une façon de voir le monde, présent de tout temps dans l'esprit humain»11(*).

Le christianisme quant à lui est une « religion fondée sur l'enseignement, la personne et la vie de Jésus-Christ » (Dictionnaire Le Robert). Le dictionnaire Larousse le définit comme l' « ensemble des religions fondées sur la personne et les écrits rapportant les paroles et la pensée de Jésus-Christ » ; ou encore, c'est une « religion chrétienne : système de croyance religieuse monothéiste dont les pratiques sont fondées sur l'Ancient Testament et les enseignements de Jésus contenus dans le Nouveau Testament ; le christianisme insiste sur le rôle de Jésus comme Sauveur »12(*). De toutes ces définitions, on remarque quelque chose de commun : Jésus-Christ et son enseignement.

Après avoir défini le christianisme et religions africaines, nous remarquons que ces deux religions n'ont rien en commun, ou presque. La seule chose qui les unis est le concept de « croyance ». La croyance selon Le Petit Robert, est « le fait de croire une chose vraie, vraisemblable ou possible ». Il peut avoir comme synonyme la foi. En effet, dans les religions africaines la foi est mise en des divinités, et dans le christianisme, la foi est mise en Jésus Christ.

III.2.1- La gestion du conflit de la religion dans Un enfant à tout prix

En combinant les religions traditionnelles africaines et le christianisme, l'auteur a voulu montrer que l'homme africain est hybride, qu'il a une double identité : celle de chrétien, et une autre traditionnelle. Nous adhérons donc aux propos de René Tabard, qui dit : « ... le baptême d'un adulte ne fait pas disparaitre dans l'eau bénite toute la culture qui le constitue dans son être d'Homme et d'Africain » (René Tabard, 2010 : 192). Nous retenons de cet extrait que l'africain reste fortement attaché aux méthodes africaines, malgré la prépondérance du Christianisme. Xavier est un exemple adéquat parce que c'est lui qui prend l'initiative, malgré les contraintes de son épouse, de résoudre aux méthodes traditionnelles africaines. Su Fo Ngang est aussi un exemple palpable parce que nous constatons qu'il a chez lui « une grosse image de Jésus...un prie-Dieu et une sorte de sanctuaire avec une statue de la Vierge Marie » (P.153), donc il est chrétien catholique, mais en même temps il emprunte la voie la plus traditionnellement possible pour délivrer les Mbahs de l'enfant serpent. Ces deux religions fonctionnent dans le texte quand Victoire cherche à concevoir, et quand le couple doit se protéger de leur enfant.

Au début du roman quand le couple Mbah tente par tous les moyens d'avoir un enfant, nous apprenons qu'ils ont, au préalable, consultés de nombreux guérisseurs, qui fussent tous d'aucune aide : « Elle avait consulté les guérisseurs traditionnels un peu partout [...] elle multipliait les veillées de prières et les retraites spirituelles » (P.31-32). Plus tard, ils vont encore à la rencontre d'un autre, et là, Victoire s'aventure à rencontrer les « serpents fertiles » en suivant à la lettre les instructions de Môt. Sauf qu'après avoir rencontré ces « serpents », elle va vers Dieu, lui demander un miracle de sa part : «  Seigneur Jésus...me voici à genoux devant toi... Donne-moi mon miracle... » (P.54). Nous voyons là que l'auteur s'inspire de ce qui se produit réellement dans la société, car nombreuses sont ces personnes qui s'aventurent à magner Dieu et surnaturel pour avoir un enfant.

La naissance de Pamphile vient avec beaucoup de complications. Il a d'énormes déficiences. Pour tenter donc de le sauver des griffes de cette maladie inconnue, ses parents n'hésitent pas à consulter des voyants (le vieillard d'Olembé, sa soeur Mevom, et le guérisseur de Bameka) : « Il ne peut pas entrer ici... J'ai vu quel genre d'enfant il est » (P.89). Après avoir consulté ces gens, Victoire dit : « Pourquoi m'as-tu abandonnée, Seigneur ? Pourquoi m'as-tu abandonnée ? » (P.100). On voit là une sorte de cause à effet parce que quand elle se fie à ces guérisseurs et qu'ils échouent, elle s'en va vers Dieu pour savoir pourquoi est-ce que ces gens-là n'ont pas réussi. Ce phénomène est typique même dans la vie en société parce que, de plus en plus, on a tendance à questionner Dieu quand ce que nous entreprenons de nous-mêmes n'aboutit pas en notre faveur.

Pour protéger le couple des griffes de l'enfant serpent, l'époux est conseillé par un inconnu de se débarrasser de l'enfant d'une certaine manière : poser l'enfant dans une forêt et courir les jambes à son cou sans se retourner. Dans cette scène, nous voyons Xavier prier Dieu de le sauver lui et son enfant, lui qui était sceptique : « Seigneur, soupira-t-il, aide-moi, sauve cet enfant, Seigneur, sauve mon enfant » (P.117). Ceci nous montre que dans la vie, malgré le fait que nous nous obstinons à aller à l'encontre des voies de Dieu, nous finissons tôt ou tard, à reconnaitre que lui seul peut nous sortir de gouffre dans lequel nous sommes entrés, comme le fait Xavier, après s'être engagé dans un couloir sombre sous instructions d'un inconnu.

Dans la scène où Su Fo Ngang s'apprête à dévoiler le totem de Pamphile, on voit Victoire égrainer son chapelet en s'approchant du cimetière. Elle le fait peut-être avec l'intention de se protéger de tout ce qui pourrait se produire une fois arrivé. Ce geste deVictoire pourrait aussi être traduit comme un désengagement de ce qui pourrait se produire dans le cimetière.

La purification qu'effectue Victoire dans le lac est la suite du traitement commandité par Su Fo Ngang. Il nous est dit dans le texte qu'avant d'accéder à cette eau purificatrice, il y a une formalité à remplir : « saluer les gardiens des lieux qui attendent dans une vieille case en toit de paille » (P.170). Une fois dans l'eau, nous voyons Victoire prier l'eau, le soleil, et Dieu, tout en immergeant l'enfant dans l'eau du lac. Cette action est un mélange fulgurant de Dieu et dieux dans le sens où elle termine une séance d'augure mystique, et s'avance une fois de plus vers Dieu, demandant à ce dernier de prendre pitié d'elle, et de libérer l'enfant. L'on croirait que ce mélange de Dieu et des dieux est une sorte de moquerie envers soi, mais surtout envers Dieu, parce qu'il dit dans sa parole qu'il est le seul et l'unique, et qu'il n'y a pas deux comme lui.

Terminant cette sous-section, nous dirons que l'amalgame du christianisme et du mysticisme dans ce roman entretien une relation de cause à effet. Ce qui veut dire que les personnages, quand ils s'engagent sur la voie du mysticisme et que celle-ci ne produit pas le résultat espéré, reviennent vers Dieu, comme pour lui demander pourquoi cette voie d'à côté ne fonctionne pas.

III.3- Exposer les réalités mystiques

L'univers mystique, comme nous l'avons dit tantôt, relève de tout ce qui est caché. C'est un monde parallèle qui est très présent en contexte africain. La plupart du temps, on entend juste parler du mysticisme, sans toutefois savoir comment celle-ci se manifeste. Ce roman montrecomment se manifeste réellement le mysticisme. Cette étude se fera sous quatre thèmes : le lavage, le blindage, le chant et la danse.

III.3.1- Le rite de lavage

Ce rite a pour mission principale de purifier, et la purification « a pour fonction première d'éloigner le mauvais sort et de redorer notre blason d'or aux yeux des esprits protecteurs »13(*). Les motifs pour lesquels des rites de purification sont effectués sont pour la chance, le désenvoutement et la guérison entre autres. Dans notre cas, le rite de lavage est fait dans le but de guérir de la stérilité. Pour traiter Victoire donc, et la rendre féconde, le guérisseur lui fait effectuer des rites de « lavage » en pleine nuit :

Au coeur de la nuit... Môt remit une petite jarre remplie d'un produit visqueux et gluant à Victoire. Il lui remit aussi cinq oeufs de cane et un chasse-mouches. - Tu vas te laver avec ce produit en cassant les oeufs sur ta tête l'un après l'autre [...] Mélangé aux oeufs qu'elle cassait, le produit avec lequel elle se lavait exhalait une odeur nauséabonde. Lorsqu'elle eut fini, Môt jeta le bout de pagne dans les ruisseaux... la consigne « stricte » voulait qu'elle marche nue jusqu'à la maison et qu'ils « jouent cette nuit-là le match de leur vie » (P.53-54)

Nous assistons là à un rite de purification, qui s'opère la nuit, loin des regards indiscrets et qui relève du mystique, parce qu'il est anormal de se baigner dans une rivière en pleine nuit.

III.3.2- Le blindage

Le blindage est le fait de se protéger par des moyens contre le mauvais sort14(*). Les méthodes de blindage sont diverses. Dans Un enfant à tout prix, le blindage se fait avec des colliers, des boissons, et des oignements.

Dans la scène du cimetière, nous lisons : « Autour de son cou, attaché à une cordelette bleue, pendait une amulette d'argent en forme de coquille d'escargot...il leur avait demandé de s'oindre les mains et les pieds avec un produit noir et gluant extrait d'une petite boite [...] » (P.156). Nous voyons là que le guérisseur avant d'entamer le processus de révélation prend soin de se protéger avec une amulette surement destiné pour cette occasion, et incite les autres à s'oindre avec le produit noir et gluant. Le fait déjà de chercher des moyens de protection signifie que les choses ne sont pas claires, et que l'action qu'ils s'apprêtent à entreprendre a une portée mystique. L'heure aussi et le lieu font douter de la nature de leur mission ; ils s'avancent vers le cimetière, dans une nuit de pleine lune.

III.3.3- Les chansons

Les chansons sont des textes accompagnés de mélodies qui plaisent à l'oreille. Le chant est cet élément qui connecte en profondeur, l'homme et l'Haut delà. Les chants peuvent avoir diverses significations en fonction du contexte. Ils signifier la jubilation ou la tristesse. Dans le roman, nous lisons :« Sous la pleine lune, au milieu des tombes...il enchaînait avec un chant d'une très grande tristesse » :

Si tu es serpent, serpent, serpent, viens, nous voulons te libérer.

Si tu es vampire, vampire, viens, nous allons te libérer.

Oh ! oh ! oh !

...

Sors de ta cachette, viens sous la lune de cette nuit.

...

Qui es-tu donc ?

Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?

...

Viens donc, viens mon ami, viens voir qui est là.

(P.158)

Il fait ceci dans le but de cajoler le double animal de Pamphile, et de le faire sortir de sa cachette. Cette chanson, il la chante au rythme du tambourin qu'il battait de plus en plus fort, en pleurant, comme pour réveiller se double animal si jamais il s'était endormi. Les larmes que versent le guérisseur et les autres font croire que la chanson a une tonalité pathétique.

III.3.4- La danse

Une danse se fait le plus souvent sur une chanson. Il existe plusieurs types de danses, dont la danse mystique. Cette danse mystique est réalisée par Su Fo, pendant qu'il chantait sur son tambourin : « Su Fo se mit à pleurer en battant le tambourin et en exécutant une danse mystique. Un petit cercle de deuil se forma autour de lui. Toute la famille pleurait ».

Les éléments ci-dessus présentés montrent que l'auteur se soucie de faire connaitre comment se présente le mysticisme, qui le plus souvent, reste inconnu.

A la fin de ce chapitre, on retiendra que la religion fait partie de la vie de l'homme en générale, et de l'africain en particulier. Nous voyons dans ce chapitre que le couple Mbah, malgré sa christianité, combine à leur foi chrétienne, l'espérance aux voies magico-religieuses. Etre chrétien africain ne veut certainement pas dire qu'il nous faut oublier qu'avant l'avènement du christianisme, ces pratiques mises sur le compte du mal, étaient notre manière de vivre. Nous serons de ce fait d'accord avec Pacere F. Ttinga, qui dit : « Si la branche veut fleurir, qu'elle honore ses racines »15(*), qui veut dire que l'homme africain ne doit pas abandonner sa culture à lui, au profit de celle d'un autre.

CONCLUSION GÉNÉRALE

Ce mémoire avait pour titre « Le mysticisme dans Un enfant à tout prix ». Nous nous sommes rendu compte que le mysticisme est un phénomène assez rependu en Afrique noire, et qu'ils étaient nombreux ces auteurs-là qui se sont engagés à étayer des faits d'augures mystiques dans leurs textes littéraires. Nous nous sommes proposées d'étudier dans Un enfant à tout prixles différentes facettes du monde mystique, et d'émettre des hypothèses sur ce que pensait l'auteur de ce monde-là dans la rédaction de son roman.

Le premier chapitre de notre travail portait sur les généralités. Dans ce chapitre, nous avons présenté le mysticisme en Afrique au travers de la littérature, car le texte littéraire reproduit juste ce qui se passe en société. Dans ce parcours du mysticisme en Afrique, nous avons évoqué quelques thèmes développés par des auteurs africains dans leurs oeuvres. Nous avons après analysé le rôle que joue le surnatureldans la littérature africaine, sur les plans social et politique.

Dans notre deuxième chapitre, nous avons étudié les motivations des personnages à emprunter les voies mystiques, où nous avons vu que le regard des autres sur sa situation est un facteur crucial. Les manifestations de ce mysticisme étaient l'une de nos préoccupations dans cette partie du travail. Là, nous y avons explicité comment le mystique s'opère dans le roman. Autre centre d'intérêt dans ce chapitre était les effets du mysticisme sur les personnages.

Le troisième et dernier chapitre de notre travail a traité de la signification du mysticisme dans l'oeuvre.Là, nous avons vu entre autres, l'amalgame du christianisme et du mysticisme. Arrivée au terme de cette analyse, nous remarquons que le mysticisme est ancré dans la société africaine, et qu'il est difficile de s'en défaire radicalement. Une question se pose à la fin de cette étude : le mysticisme peut-il participer au développement de l'Afrique au vu de sa prépondérance sur le continent ?

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Corpus

- Soh, Charles, Un enfant à tout prix, Paris, L'Harmattan, 2011.

Ouvrages et Articles

a) Articles

- Abossolo, Pierre Martial, « Du conflit des formes dans le roman moderne camerounais : une lecture ethno-structurale de Le sorcier signe et persiste de Camille Nkoa Atenga et L'A-fric de Jacques Fame Ndongo » in Nnomo, Marcelline et al, Rupture et transversalité de la littérature camerounaise, Yaoundé, Éditions CLE, 2010.

- Abossolo, Pierre Martial, « Écriture du surnaturel et contexte : du fantastique occidental au réalisme magico-religieux africain » in Revue internationale des arts, lettres et sciences sociales (RIALSS) volume 1, n°4, Yaoundé, Les grandes éditions, 2011.

- Assouman, Bamba, « L'Afrique entre Dieu et dieux : le mouvement pendulaire de la foi » in Identity, Culture and Politics: an Afro-Asian Dialogue,volume 12, n°2, Université de Bouaké, Côte d'Ivoire, p.67-82, 2011.

- Cimpric, Aleksandra, Les enfants accusés de sorcellerie. Étude anthropologique des pratiques contemporaines relatives aux enfants en Afrique, UNICEF Bureau Afrique de l'ouest et du centre (BRAOC), Dakar, 2010.

- Journet, Nicolas, « L'animisme est-il une religion ? » in Les Grands dossiers des sciences humaines, 2006.

- Leendhart, Henry, « Essai sur la notion du surnaturel » in Revue d'Histoire de philosophie religieuse, p.212-244, 1932.

- Tabard, René, « Religions et cultures traditionnelles africaines : Un défi à la formation théologique » in Revue des sciences religieuse 84 n° 2, p.191-205, 2010.

- Lucien, Lévy-Bruhl, Le surnaturel et la nature dans la mentalité primitive, 1931.

b) Romans

- Koulibaly, Isaïe, La Bête noire, Abidjan, Éditions Frat Mat, 2008.

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- Ntsame, Sylvie, Malédiction, Paris, L'Harmattan, 2005.

- Tiako, Christian, Afoh Ahkom, Yaoundé, Éditions Ifrikiya, 2014.

-Yanou, Etienne, L'homme-dieu de Bisso, Éditions CLE, 1984.

c) Ouvrages critiques

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- Dammann, Ernest, Les Religions de l'Afrique, Paris, Éditions Payot, 1978.

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- A.A. Mazrui et C. Wondji, Histoire générale de l'Afrique tome 8 : L'Afrique depuis 1935, Édicef, 1998.

Webographie

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- Joseph Preira, « Le récit mystique dans le roman africain francophone », Revue Akofena en ligne https://www.jstor.org/stable/25836486 p.489-502, 2020.

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- Adrien Choeur,« Le symbolisme de la forêt », https://www-jepense-org

Thèses et mémoires

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- Coakley, Laura, Impact de la sorcellerie en Afrique francophone subsaharienne : des femmes agissantes dans les nouvelles de Florent Couao-Zotti et d'Éveline Mankou, Mémoire de Master, Université de Waterloo 2015.

- Mewa Taptue Saurelle, Étude du mystique dans la littérature africaine : cas de Mistirijo, la mangeuse d'âmes  de Djaili Ahmadou Amal, Mémoire de licence, Université de Buea, 2019.

- Wanko Nono Prudence, Le problème de la religion dans le roman camerounais : les cas de Le Pauvre Christ de Bomba et de White man of God, Mémoire de licence, Université de Buea, 2000.

Dictionnaires

- Le Petit Robert, 2013.

- Dictionnaire Larousse

* 1Pensées sur divers sujets

* 2Amadou Hampâté BÂ, Aspects de la civilisation africaine : personne, culture, religion, africaine, cit. P. 113

* 3 H.AGUESSY, La religion africaine comme valeur de culture et de civilisation, Colloque international de Kinshasa, Religions africaines et christianisme, Janvier 1978.

* 4 L'Etre et le Néant, 1943

* 5Emma R., article en ligne www.cosmopolitan.fr

* 6 https://www.un.org/africarenewal/fr/

* 7 https://www.fao.org/

* 8 Femmes qui courent avec les loups, 1992

* 9 Adrien Choeur, https://www-jepense-org

* 10 templierindien.centerblog.net

* 11 Propos recueillis par Nicolas Journet, Grands Dossiers n°5- Décembre 2006 - janvier - février 2007

* 12 Dictionnaire tv5monde, en ligne : https://langue-francaise.tv5monde.com/decouvrir/dictionnaire/c/christianisme

* 13« Le "lavage" ou "bain de purification" », en ligne www.visionchannelafrica.com

* 14 Dictionnaire des francophones

* 15Pensées africaines : Proverbes, dictons et sagesse des anciens, l'Harmattan 2004, P.9






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