REPUBLIQUE DU BURUNDI
Bujumbura, décembre 2015
MINISTERE DE L'EDUCATION, DE
L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
UNIVERSITE SAGESSE D'AFRIQUE (U.S.A.)
FACULTE DE DROIT
LA SOUVERAINETE DES ETATS FACE A
L'INGERENCE HUMANITAIRE
Par
Mr. SAHOKWASAMA Jean-Baptiste
et
Mme NISUBIRE Espérance
Sous la direction de :
M. A. Olivier Dismas NDAYAMBAJE Mémoire
présenté et défendu
publiquement en vue de l'obtention du grade de Licencié en
Droit
i
Table des matières
DEDICACE iii
REMERCIEMENTS iv
SIGLES ET ABREVIATIONS v
INTRODUCTION GENERALE 1
CHOIX ET INTERET DU SUJET 3
PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE 4
METHODOLOGIE DE RECHERCHE 5
CHAPITRE I : LES CONTOURS DE LA SOUVERAINETE 6
Section 1 : La souveraineté et l'Etat 6
§1 : Notion d'Etat 6
§2 : Notion de souveraineté 9
Section 2 : La souveraineté de l'Etat : une conception en
perpétuelle mutation 10
§1. La souveraineté-indépendance 10
§2. La souveraineté-responsabilité ou
souveraineté fonctionnelle 11 Section 3. Les contraintes de la
reconnaissance d'un Etat et l'ingérence politique sur
l'exercice de la souveraineté 14
§1. Notion de reconnaissance d'un Etat 14
a. Modes de formation des Etats 15
b. Théories de reconnaissance des Etats 17
§2. L'ingérence démocratique 19
CHAPITRE II : LES FONDEMENTS DE LA SOUVERAINETE DES ETATS 21
Section 1. Les principes fondamentaux du droit international
21
§1. Le principe de l'égalité souveraine 22
§2. Le principe de l'intégrité territoriale
22
§3. Le principe de la bonne foi 23
II
§4. Le principe de la non-intervention dans les affaires
intérieures d'un autre Etat ou
principe de non-ingérence 25
Section 2 : La souveraineté de l'Etat en pratique 27
§1. La coopération internationale : limitation
volontaire de la souveraineté 28
§2. L'assistance humanitaire : une violation de la
souveraineté 30
CHAPITRE III : LA JUSTIFICATION DE L'INGERENCE HUMANITAIRE 34
Section 1 : La base juridique du droit d'ingérence
humanitaire 35
§1. Les moyens de règlement pacifique des
différends en droit international 35
§2. L'article 2, §4 de la Charte des Nations Unies
38
§3. L'ingérence humanitaire comme une justification
du maintien de la paix 39
Section 2 : La violation des droits humains, une justification de
l'ingérence 42
§1. Les formes de violations des droits de l'homme 43
§2. Appréciation des situations de violation des
droits de l'homme. 45
CHAPITRE IV : LE DUEL SOUVERAINETE-INGERENCE 48
Section 1 : Les débuts de la mise en oeuvre de
l'ingérence humanitaire 48
§1. L'Arménie 49
§2. La Somalie 51
§3 Le Kurdistan irakien 53
Section 2. L'ingérence humanitaire en Libye 55
§1. La base juridique de l'intervention en Libye 55
§2. La strangulation de la souveraineté de l'Etat
libyen 58
CONCLUSION GENERALE 61
BIBLIOGRAPHIE 64
DEDICACE
A mes regrettés père et mère,
A ma chère épouse et à nos chers enfants,
A mes soeurs,
SAHOKWASAMA Jean-Baptiste
DEDICACE
A mon regretté père,
A ma mère,
A mon cher époux et à nos chers enfants, A mes
frères et soeurs,
NISUBIRE Espérance
iv
REMERCIEMENTS
Au seuil de ce travail, nous trouvons une heureuse occasion
d'exprimer nos remerciements à l'endroit de toutes les personnes avec
lesquelles notre travail a pu aboutir.
Nous exprimons nos vifs remerciements à tous les
professeurs de la faculté de droit de l'Université Sagesse
d'Afrique « USA » pour la formation tant juridique, scientifique
qu'humaine qu'ils nous ont dispensée.
Nos remerciements vont particulièrement à
Monsieur Olivier Dismas NDAYAMBAJE qui, avec une bienveillante attention a
accepté de guider nos premiers pas de chercheurs.
Qu'il veuille trouver ici l'hommage de notre gratitude.
Enfin, que tous ceux ou celles qui, de près ou de loin
ont contribué à la réalisation de ce mémoire
reçoivent le témoignage de notre entière
reconnaissance.
SIGLES ET ABREVIATIONS
CIA : Central Intelligence Agency
CICR : Comité International de la Croix Rouge
CIJ : Cour Internationale de Justice
CNT : Conseil National de Transition
CVDT : Convention de Vienne sur le Droit des Traités
DUDH : Déclaration Universelle des Droits de l'Homme
ECOSOC : Economic and Social Council ou Conseil Economique et
Social
EI : Etat Islamique
FIU : Force Internationale Unifiée
HCR : Haut Commissariat pour les Réfugiés
JCA : Joint Church Aid
LGDJ : Librairie Générale de Droit et de
Jurisprudence
MSF : Médecins Sans Frontières
ONG : Organisation Non Gouvernementale
ONU : Organisation des Nations Unies
ONUSOM : Opération des Nations Unies en Somalie
OSCE : Organization for Security and Co-operation in
Europe/Organisation pour la
Sécurité et la Coopération en Europe OTAN :
Organisation de l'Atlantique Nord
vi
PUF : Presses Universitaires de France
SDN : Société des Nations
URSS : Union des Républiques Socialistes
Soviétiques USA : Université Sagesse d'Afrique
1
INTRODUCTION GENERALE
Aucun Etat n'a le droit d'infliger des sévices
inhumains à l'encontre d'une quelconque partie de sa population, de
taire ou de camoufler une catastrophe humanitaire au nom de la
souveraineté.
Avec l'institution internationale, l'Organisation des Nations
Unies, l'interdépendance entre les Etats devient de plus en plus grande.
Au travers sa Charte, les Etats parties reconnaissent l'autorité du
Conseil de Sécurité dans l'exercice de leur souveraineté
et cèdent une partie de leurs prérogatives à cette
institution internationale. Les Etats ne peuvent donc plus prétendre
évoluer en vase clos. Chaque Etat est appelé à agir dans
l'esprit de recherche de la paix et de la sécurité
internationales.1 La cohabitation des Etats est basée sur le
respect mutuel. Ainsi « les membres de l'Organisation s'abstiennent, dans
leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à
l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre
manière incompatible avec les buts des Nations Unies
».2
Sans porter préjudice aux mesures coercitives qui
s'imposeraient, le cas échéant, l'Etat exerce ses
compétences sans aucune immixtion extérieure.3 Cela
démontre donc que la souveraineté doit être
respectée.
Bien que ce principe soit prôné par les
instruments internationaux, en l'occurrence la Charte des Nations Unies, les
voies empruntées pour le règlement de certains différends
à l'intérieur des Etats nécessitent une immixtion
inévitable dans les affaires intérieures des Etats. L'adoption de
ces voies donne naissance à une série de conséquences sur
le plan international mais aussi sur la configuration initiale des Etats. L'une
de ces voies qui va nous occuper est l'ingérence humanitaire.
Selon Mario Bettati, l'ingérence désigne en
droit international l'immixtion sans titre d'un Etat ou d'une organisation
intergouvernementale dans les affaires qui relèvent de la
compétence exclusive d'un Etat tiers. Sont donc exclues de la
définition
1 1er
Charte des Nations Unies adoptée le 26 juin 1945 par
l'Assemblée Générale des Nations Unies, art.
2 Charte des Nations Unies, art. 2, &4
3 Charte des Nations Unies, art. 2, &7
2
l'immixtion de personnes privées - individus,
entreprises, associations - qui constituent des infractions relevant du droit
interne de l'Etat concerné.4
Le Toupictionnaire souligne qu'étymologiquement,
l'ingérence est d'origine latine ingere qui signifie porter
dans. L'ingérence humanitaire est une doctrine qui prône la
possibilité d'envoyer des secours humanitaires ou des forces
armées internationales pour venir en aide à des populations
victimes de catastrophes naturelles ou de violations des droits de la personne
humaine, sans l'assentiment de l'Etat concerné.5
L'objectif est de porter secours, d'assister, d'aider et de
protéger les populations victimes des catastrophes naturelles et des
violations massives des droits de la personne humaine.
L'idée d'ingérence humanitaire est apparue
à l'occasion de la tentative de sécession biafraise
(Biafra-Nigéria) entre 1967 à 1970 qui a entraîné
une épouvantable famine médiatisée à outrance par
les média occidentaux, mais totalement ignorée par les autres
Etats, au nom de la neutralité et de la non-ingérence et de la
souveraineté. La Croix Rouge n'a pas pu obtenir d'autorisation des
autorités nigérianes de venir au secours des victimes. Dès
lors, les Conventions de Genève du 12 août 1949 se sont
révélées inopérantes. Forcés d'agir au nom
de la morale humanitaire, les intervenants de la Croix Rouge forcent les
frontières nigérianes. « Seuls les secours clandestins
aéroportés de nuit par cette ONG, avec atterrissage tous feux
éteints, au péril de la vie des pilotes assurent donc la survie
du Biafra à cette époque ».6 Arrivée de
nuit, les intervenants de la Croix Rouge se sont vus attaquer par
l'armée gouvernementale. C'est dans cette situation d'extrême
détresse que l'on a vu la naissance d'autres organisations non
gouvernementales humanitaires en l'occurrence Médecins Sans
Frontières.
Au cours des années 80, l'ingérence humanitaire
ou droit d'agir dans l'urgence, a été défendue et
consolidée par Mario Bettati, professeur de droit international public
et
4 B., MARIO, Le droit d'ingérence :
mutation de l'ordre international, Ed. Odile Jacob, Paris, 1996, p.12
5 Toupictionnaire : le dictionnaire de politique :
http://www.toupie.org/Dictionnaire/,
(consulté le 14 avril 2015)
6 B., MARIO, op. cit, p.79
3
Bernard Kouchner, Médecin et homme politique
français.7 Selon eux, certaines situations d'urgence peuvent
justifier moralement un devoir d'ingérence dans les affaires
intérieures d'un Etat, remettant ainsi en cause le principe universel de
souveraineté. Mario Bettati en fait une mention explicite : «
... cet art de se hâter lentement, propre à la diplomatie
juridique internationale, suscite naturellement l'indignation de ceux dont
l'action dominée par l'urgence exige la célérité.
La mort n'attend pas les secouristes étrangers qui ont sollicité,
par voie diplomatique ou consulaire, le visa d'un souverain peu empressé
de le leur accorder ».8
Justifiée essentiellement au nom d'une morale de
l'urgence et de la solidarité internationales, l'ingérence
humanitaire trouve son fondement dans la Déclaration Universelle des
Droits de l'Homme9. Elle n'est cependant légitime que s'il y
a violation massive des droits de la personne humaine et si elle est
encadrée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Notre travail porte le titre : la souveraineté des Etats
face à l'ingérence humanitaire. CHOIX ET INTERET DU
SUJET
Sur le plan du droit international public, le droit
d'ingérence humanitaire ne cesse de susciter des controverses.
Entreprise privée au départ, la France en a fait sienne et l'a
défendue avec bec et ongles auprès des Nations Unies pour qu'il
soit intégré dans l'ordre juridique international. Dans ce
combat, la France a fait adopter par l'Assemblée Générale
des Nations Unies deux résolutions destinées à secourir
des personnes en danger. Bien qu'adoptées à des périodes
différentes, les deux résolutions portent sur l'assistance
humanitaire aux victimes des catastrophes naturelles et situations d'urgence du
même ordre.10 Chacune d'entre elles renfermait ses
visées et ses spécificités.
Le choix et l'intérêt du sujet trouvent leur
fondement dans la mise en oeuvre de ce droit d'ingérence humanitaire qui
écorne, dans la plupart des cas, la souveraineté
7 Il est aussi connu au Burundi pour avoir
fondé la Radio Sans Frontières Bonesha FM anciennement
appelée Radio Umwizero, le 19 février 1996.
8 B., MARIO, op. cit, p11.
9 Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme, Art.3
10 Résolutions 43/131 du 8 décembre
1988 et 45/100 du 14 décembre 1990 adoptées par
l'Assemblée Générale des Nations Unies.
4
des Etats. Dans la plupart des cas, la mise en oeuvre de
l'ingérence humanitaire déborde ou passe carrément
à côté de ses objectifs. C'est dans ce cadre que les
interventions humanitaires effectuées en Arménie, en Somalie et
au Kurdistan irakien ont été mises à contribution.
Le sujet est abordé dans le cadre du droit
international public. C'est plus le cadre juridique qui nous intéresse
dans la mise en oeuvre de l'ingérence humanitaire et les
conséquences sur la souveraineté des Etats. En Libye, la mise en
oeuvre de l'ingérence humanitaire ne nous aurait pas
préoccupée n'eut été les conséquences
dramatiques sur sa souveraineté. Une intervention au départ
humanitaire, mais qui, au fur du temps, s'est écartée de son
cadre normatif pour assouvir des intérêts politiques.
Sur le plan du droit international, l'analyse du cas Libyen va
nous permettre de constater qu'il y a une évolution positive du concept
du droit d'ingérence. Il permettra également d'aborder le danger
que présente ce droit vis-à-vis de la souveraineté des
Etats.
PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE
Afin de mieux cerner le sujet, la problématique du
travail se pose en ces termes : l'ingérence humanitaire qui contribue
à alléger les souffrances des victimes des violations massives
des droits de la personne humaine ne porte-t-elle pas atteinte à la
souveraineté de l'Etat ?
Ici, il est question d'analyser la compatibilité entre
les fondements juridiques de la souveraineté et ceux de
l'ingérence humanitaire. Pour mieux étayer notre travail, nous
nous sommes basés sur des textes juridiques régionaux et
internationaux notamment, la Charte des Nations Unies, les conventions
internationales, les résolutions des Nations Unies, etc. Nous avons
parcouru les ouvrages constitués de monographies, d'exposés, des
coupures de presse, soit des principaux promoteurs du droit d'ingérence
humanitaire mais aussi, des chercheurs et des libres penseurs sur ce nouveau
droit.
5
METHODOLOGIE DE RECHERCHE
La souveraineté et l'ingérence humanitaire sont
des sujets d'actualité dans le domaine du droit international public.
Cela transparaît à travers une documentation abondante
constituée de textes normatifs, de monographies, de périodiques,
de dictionnaires, d'encyclopédies, d'informations sur internet, etc.
Sur base de l'ensemble de cette documentation, nous avons
analysé quelques cas d'espèce où le droit
d'ingérence humanitaire a fait recette tout en réservant une
place importante à la Libye.
Notre travail va démontrer la menace que le droit
d'ingérence humanitaire présente sur la souveraineté des
Etats. Mises à part l'introduction et la conclusion, il s'articule
autour :
- des contours de la souveraineté (CH. I) qui
développe la souveraineté de l'Etat (Section 1), la
souveraineté de l'Etat : une conception en perpétuelle mutation
(section 2) et les contraintes de la reconnaissance d'un Etat et
l'ingérence politique sur l'exercice de la souveraineté (section
3),
- les fondements de la souveraineté des Etats (CH. II)
qui s'appesantit sur les principes fondamentaux du droit international (section
1) et la souveraineté de l'Etat en pratique (section 2) ;
- la justification de l'ingérence humanitaire (CH. III)
qui traite de la base juridique du droit d'ingérence humanitaire
(section 1) et de la violation des droits humains comme une justification de
l'ingérence (section 2) ;
- le duel souveraineté-ingérence (CH. IV) qui
traite des débuts de la mise en oeuvre de l'ingérence humanitaire
(section 1) et l'ingérence humanitaire en Libye (section 2).
6
CHAPITRE I : LES CONTOURS DE LA SOUVERAINETE
Avant d'aborder le contenu de ce chapitre, il importe de
comprendre certains concepts clés qui seront utilisés. Ainsi,
nous définirons les notions d'Etat et de souveraineté (Section 1)
et nous aborderons les différentes mutations que subit cette
dernière (Section 2).
Section 1 : La souveraineté et l'Etat
La notion de souveraineté (§2) et celle d'Etat
(§1) sont souvent indissociables. Il importe donc d'aborder chacune pour
en comprendre davantage la substance.
§1 : Notion d'Etat
En droit international, l'Etat se définit comme un
groupement d'individus établi sur un territoire déterminé,
sous l'autorité exclusive et effective d'un gouvernement.
Dans sa thèse de doctorat en droit public
intitulée : Les métamorphoses de la souveraineté, Pauline
Mortier donne, en plus de cette définition, d'autres
éclaircissements afin de mieux comprendre ce concept d'Etat.
Elle avance que « l'Etat est d'abord une personne
morale de droit public, entité particulière qui possède
avant tout, une existence historique, une construction forgée dans
l'histoire. A l'exception de quelques cas particuliers, l'Etat ne
s'autoproclame pas en un seul jour, mais reste le fruit d'un cheminement propre
à chaque peuple, une construction lente à la recherche d'une
légitimité spécifique capable de pérenniser
l'entité ainsi créée.
L'Etat est ensuite un territoire sur lequel vit un
ensemble de personnes unies par l'idée de Nation et partageant des
règles juridiques et politiques communes, acceptées par tous.
L'Etat a donc une dimension abstraite avant d'être
matérialisé, voire identifié par ses
représentants.
7
L'Etat est enfin une entité qui s'inscrit à
l'échelon mondial dans une dynamique de puissance et dans une
stratégie diplomatique qui nécessite que l'Etat se heurte
à ses semblables ».11
Ces définitions ne s'écartent pas de celle
admise en droit international public mais, en donne davantage de clarté.
Dans tous les cas, l'Etat demeure une entité centrale dans le
fonctionnement des sociétés et dans l'organisation mondiale. Cet
Etat, qui a une existence dans l'ordre mondial, dispose d'un pouvoir
spécifique qui reste en réalité le véritable centre
d'intérêt des auteurs.
Pour obtenir le statut d'Etat, trois éléments
constitutifs doivent être réunis en droit international. Il s'agit
entre autre :
a. d'un territoire qui se définit
comme un espace à l'intérieur duquel l'État souverain
exerce ses compétences.
Selon Hans Kelsen, le territoire d'un Etat ne se compose pas
nécessairement d'une seule étendue de terre. Ce type de
territoire est dite intégré. Le territoire de l'Etat peut
être démembré. Il arrive qu'appartiennent à un seul
et même Etat des étendues qui ne soient pas contiguës mais
séparées par les territoires d'un autre Etat ou qui ne soient la
propriété d'aucun Etat.
Le territoire de l'Etat comprend des colonies, parfois
séparées de lui par l'océan, ainsi que des enclaves,
cernées de toutes parts par le territoire d'un autre Etat. Ces zones
sans contiguïté géographique forme une unité dans la
mesure où un seul et même ordre juridique vaut pour elles toutes.
L'unité territoriale de l'Etat est une unité juridique et non une
unité naturelle et géographique.12 Dans l'exercice de
sa souveraineté, l'Etat n'est limité que par la frontière
d'un autre Etat. Au risque de porter atteinte à
l'intégrité territoriale d'un autre Etat, l'exercice de la
souveraineté ne peut en aucun cas dépasser les frontières
préalablement déterminées.
11 M., PAULINE, Les métamorphoses de la
souveraineté : Thèse de doctorat en droit public, Ecole
Doctorale Pierre COUVRAT, Université d'Angers, avril 2012, p p.1-2.
12 H., KELSEN, La théorie
générale du droit et de l'Etat, Ed. Bruylant, Bruxelles, 1997,
p.260.
8
b. d'une population qui est un ensemble
d'individus soumis à un Etat ; totalité de personnes formant la
population d'un même Etat et soumises ensemble à son
autorité.13
Sur ce sujet, Hans Kelsen s'exprime en ces termes : « de
même que l'Etat a un seul territoire, il n'a qu'une seule population ;
l'unité de la population, comme celle du territoire, n'est pas
naturelle, mais juridique. Elle consiste en l'unité de l'ordre juridique
valide pour les individus considérés comme formant la population
de l'Etat.14
c. d'un gouvernement : Hans Kelsen affirme
qu'en vertu des normes de droit international, un gouvernement est un individu
ou un groupe d'individus qui, en vertu de la constitution effective de l'Etat,
représente celui-ci dans ses relations avec les autres Etats,
c'est-à-dire qu'il a compétence pour agir au nom de l'Etat dans
ses relations avec la communauté des Etats. Toutefois, puisque l'Etat
doit avoir un gouvernement et qu'une communauté sans gouvernement ne
forme pas un Etat au sens du droit international, la reconnaissance d'une
communauté comme un Etat implique que cette communauté ait un
gouvernement. Les actes juridiques de reconnaissance de l'Etat et du
gouvernement sont indissociables. Dans la mesure où un Etat admet qu'une
communauté forme un Etat au sens du droit international, dans la mesure
où il ne déclare pas que cette communauté a cessé
d'être un Etat, il ne peut déclarer que cet Etat n'a pas de
gouvernement.15
Il est donc évident que le gouvernement ne peut pas se
confondre avec l'Etat. Il s'agit donc de deux concepts distincts. Les
gouvernements se succèdent à la tête d'un Etat qui demeure
identique et inaltérable. La règle de succession des
gouvernements est garantie par une constitution. Le gouvernement dispose donc
d'un pouvoir politique. Il exprime la volonté de l'Etat et a en charge
sa défense et sa protection.
13 8ème
Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, PUF,
éd., Paris, 1987, p.925
14 H., KELSEN, op. cit, P.284.
15 Idem, p.279
9
Au-delà de tout, l'Etat se caractérise par la
souveraineté qui est le droit absolu d'exercer une autorité
(législative, judiciaire et/ou exécutive) sur une région,
un pays ou sur un peuple.
§2 : Notion de souveraineté
Ainsi, la souveraineté de l'Etat se définit
comme un pouvoir suprême reconnu à l'État, qui implique
l'exclusivité de sa compétence sur le territoire national
(souveraineté interne) et son indépendance absolue dans
l'ordre international où il n'est limité que par ses propres
engagements (souveraineté externe).16 L'association
Henri Capitant ne s'écarte pas de cette définition. Elle
l'éclaircit davantage. Selon elle, la souveraineté est un
caractère suprême d'une puissance qui n'est soumis à aucune
autre ; puissance suprême et inconditionnée dans laquelle l'ordre
international reconnaît un attribut essentiel de l'Etat mais qui est
aussi reconnue, par exception, à certaines
entités.17
La souveraineté ici abordée, est une notion qui
relève du droit international public. C'est donc celle qui est reconnue
à un Etat indépendant ayant toutes les capacités d'exercer
un pouvoir d'administration et de juridiction sur sa population. Son existence
et ses frontières doivent être reconnues par la communauté
internationale.
Malgré les différences politiques,
économiques et sociales, l'Etat souverain devient l'égal des
autres membres de la communauté internationale. Hans Kelsen fait
constater que les Etats sont égaux devant le droit international dans la
mesure où le droit international est également applicable
à tous les Etats. Cet énoncé signifie que les Etats sont
les sujets du droit international, ou qu'en vertu du droit international, ils
ont des droits et des obligations ; mais il ne précise nullement que ces
droits et ces obligations sont égaux.18
L'Etat est doté d'une personnalité morale de
droit international qui lui confère le droit d'ester en justice devant
les juridictions internationales, de conclure des traités de
16 J.M., ISABELLE, Le Petit Larousse illustré,
Larousse, Paris, Juillet 2007, p.958
17 8ème
Association Henri Capitant (sous la dir de Gérard Cornu),
Vocabulaire juridique, PUF, éd., Paris, 1987,
p.925
18 H., KELSEN, op. cit, p.302
19M., SERGE, Vers un effacement des
Etats:
http://www.asmp.fr/travaux/
communications/ 20121210sur.htm (consulté le 16 juin 2015)
10
toutes sortes, d'établir des relations diplomatiques,
de porter secours aux autres membres de la communauté internationale le
cas échéant, etc.
La Charte des Nations Unies reconnaît en outre la notion
de domaine réservé de l'Etat qui doit se manifester à
travers l'exercice en toute indépendance des pouvoirs exécutif,
législatif et judiciaire. Elle interdit formellement l'immixtion dans
les affaires intérieures des Etats. Mais, l'évolution constante
du droit international tend à mettre au placard cette interdiction par
l'introduction d'un concept nouveau, celui du droit ou du devoir
d'ingérence humanitaire.
Aussi, faut-il remarquer que le développement de la
communication et des échanges économiques par des entreprises
multinationales fragilise de plus en plus la souveraineté des
États. La souveraineté est donc accordée à
l'Etat.
Section 2 : La souveraineté de l'Etat : une
conception en perpétuelle mutation
Dans cette section, il sera analysé l'évolution
des conditions d'exercice de la souveraineté dans un contexte nationale,
internationale ou régionale. L'on constatera que « la
souveraineté des Etats est aujourd'hui soumise à diverses
tribulations, souvent spectaculaires et parfois dangereuses »19
qui la transforme et modifie profondément les conditions de son
exercice.
§1. La
souveraineté-indépendance
En principe, la souveraineté ne peut pas se concevoir
sans indépendance. L'Etat souverain doit être indépendant
et exercer ses compétences à l'intérieur et à
l'extérieur. Dans l'exercice de sa souveraineté, il n'est soumis
à aucune contrainte extérieure. Aucune autorité
suprême n'est au dessus de lui.
Pour pouvoir agir, l'Etat souverain jouit d'une
personnalité juridique au niveau international. En tant qu'unité
politique indépendante, l'Etat souverain est libre d'agir sans
contraintes sauf celles auxquelles il aura volontairement adhéré.
La
11
personnalité juridique lui met à l'abri d'une
quelconque autorité qui lui soit supérieure. Il est donc
maître absolu de ses actions.
La perte de la personnalité juridique entraîne la
perte de la souveraineté. Cela arrive dans certains cas «
lorsqu'il y a intégration à un autre État, disparition
de son existence matérielle, ou scission en plusieurs composantes
politiques ayant chacune sa propre souveraineté nationale
».20
Les relations avec d'autres entités internationales
sont également susceptibles de limiter ou de geler la
souveraineté. Cela peut arriver si un Etat est placé sous
protectorat ou s'il est occupé par un autre.
§2. La souveraineté-responsabilité ou
souveraineté fonctionnelle
Normalement, l'Etat exerce sa souveraineté sans
contraintes extérieures. Selon Max Weber, l'Etat détient le
monopole de la violence légitime. Avec la mondialisation, l'Etat perd de
plus en plus l'espace de souveraineté. L'impératif de respecter
les droits de la personne humaine concourt au rétrécissement de
l'espace d'exercice de la souveraineté. « La
souveraineté s'exerce désormais dans le cadre du droit
international qui en limite les manifestations discrétionnaires. Le
rempart de la souveraineté ne permet plus aux gouvernements, comme
autrefois, de faire n'importe quoi sans avoir à répondre, au
moins politiquement ou diplomatiquement, de leurs actes
».21 Aucun Etat ne peut infliger des souffrances
inhumaines indicibles à sa population sans s'attirer les foudres des
Etats puisqu'ils sont tous parties à l'Organisation des Nations
Unies.
La responsabilité première de protéger la
population contre les génocides et autres atrocités commises en
masse revient à l'Etat mais, s'il n'en a pas la volonté ou la
capacité, c'est la responsabilité de l'Organisation des Nations
Unies qui entre en jeu.
Dans le but d'éviter d'être prises de court par
l'éclatement des situations de déchirures internes sans
précédent, les Nations Unies ont pris des stratégies
20 A, AL-RASHIDI, « Les développements
internationaux actuels et le concept de souveraineté nationale
», in Centre de recherches et d'études politiques de
l'université du Caire, n° 85, Le Caire, septembre 1994, pp.
4-5.
21 B., MARIO, op. cit, p.15.
22 B., KI-MOON, Secrétaire
général de l'ONU, Allocution prononcée lors de la
séance plénière du Forum économique mondial (29
janvier 2009, Davos, Suisse).
12
importantes. Dans l'exercice de la souveraineté
nationale (intérieure) et la souveraineté internationale
(extérieure) qu'exerce un Etat s'intercalent d'autres acteurs de plus en
plus écoutés que sont les Acteurs Non Etatiques de droits de la
personne humaine constitués d'acteurs de la société civile
et des organisations internationales qui ont du crédit auprès de
l'Organisation des Nations Unies.
Sur ce sujet, le Secrétaire Général des
Nations Unies a déclaré que cette nouvelle époque exige de
redéfinir la notion de leadership - de leadership mondial d'où
l'exigence d'une nouvelle coopération internationale entre tous -
gouvernements, société civile et secteur privé,
travaillant ensemble pour le bien collectif du monde entier.22
Cette déclaration de Ban Ki-Moon, Secrétaire
Général des Nations Unies, trouve ses racines dans la
résolution 1297 (XLIV) du Conseil Economique et Social (ECOSOC) qui, en
1968, a appelé le département de l'information à
s'associer aux ONG, tout en restant fidèle à la lettre et
à l'esprit de la résolution 1296 (XLIV).
Certaines Organisations Non Gouvernementales (ONG) (nationales
et internationales) ont donc une audience auprès de l'Organisation des
Nations Unies dont sont parties les Etats. Cette crédibilité qui
leur est accordée pèse lourdement sur l'exercice de la
souveraineté. Il s'agit là d'une nouvelle donne, mutation ou
évolution : la responsabilité ou l'obligation de rendre
compte.
Les temps sont donc révolus. Les Etats ne sont plus
responsables que devant eux-mêmes. Ils ne sont plus juges
supérieurs de leurs actions.
Sur base d'expérience des affres de la première
guerre mondiale, les Etats se sont convenus de donner priorité aux
droits fondamentaux de la personne humaine. C'est dans ce contexte qu'a vu le
jour la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme du 10
décembre 1948, une déclaration sans force contraignante mais, de
laquelle
13
découlent la quasi-totalité des textes
juridiques internationaux, régionaux voire nationaux.
Un accent particulier a été mis sur le droit
à la vie et à l'intégrité physique. Ainsi «
Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à
la sûreté de sa personne »23 et « Nul ne sera
soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants ».24
Sans pour autant aborder les différents textes
juridiques internationaux des droits de la personne humaine, il importe de
signaler qu'ils sont des références légales des
Organisations Non Gouvernementales dans l'établissement de la
responsabilité des Etats.
Les Organisations Non Gouvernementales présentent un
défi pour les Etats. Elles sont à la base de l'orientation des
politiques par des contributions, ajustements ou des contestations. Elles sont
à l'avant-garde des résistances et des pressions qui conduisent
l'Etat à plus de retenue dans l'exercice de la souveraineté.
En définitive, les Organisations Non Gouvernementales
s'invitent et s'imposent dans la façon de l'exercice de la
souveraineté. Il s'agit donc d'un combat inégal mais qui conduit
l'Etat à l'exercice de la souveraineté-responsabilité.
L'expression « responsabilité de protéger
» a été énoncée pour la première fois
dans le rapport de la commission internationale de l'intervention et de la
souveraineté (ICISS), instituée par le gouvernement canadien en
décembre 2001. La Commission avait été formée en
réponse à la question posée par Kofi Annan de savoir quand
la communauté internationale doit intervenir à des fins
humanitaires. Le rapport de la Commission, La responsabilité de
protéger, a conclu que la souveraineté non seulement donnait
à un État le droit de contrôler ses propres affaires, mais
aussi lui conférait la responsabilité première de
protéger les personnes vivant à l'intérieur de ses
frontières. Le rapport énonçait la thèse que
lorsqu'un État se montre incapable
23 Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme du 10 décembre 1948, Article 3.
24 Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme, Article 5.
14
de protéger sa population - qu'il ne le puisse pas ou
qu'il ne le veuille pas - la responsabilité en passe à la
communauté internationale au sens large25.
Section 3. Les contraintes de la reconnaissance d'un Etat
et l'ingérence politique sur l'exercice de la
souveraineté
Nous parlerons de la reconnaissance de l'Etat dans le premier
paragraphe et de l'ingérence politique dans le deuxième
paragraphe.
§1. Notion de reconnaissance d'un Etat
L'Encyclopedia Universalis définit la reconnaissance de
l'Etat comme « l'acte par lequel un État constate un faisceau de
faits qui sont les conditions d'existence d'un autre État et manifeste
la volonté de le considérer comme membre de la
société internationale ».
Une fois l'Etat reconnu, il lui incombe d'engager un combat
pour s'intégrer parmi les autres Etats préexistants. Ainsi, il
doit décrocher la reconnaissance de la légitimité de son
gouvernement ainsi que l'indépendance (souveraineté) sur son
territoire.
La reconnaissance du gouvernement s'entend comme l'acte par
lequel un État reconnaît l'autorité politique qui a pris le
pouvoir dans un État après une révolution ou un coup
d'État, et qui a prouvé qu'elle pouvait se maintenir
26 tandis que la reconnaissance de l'indépendance est l'acte
par lequel un État reconnaît l'existence, comme État
indépendant, d'un État dont le statut international a
été modifié ou d'un État nouveau issu du
démembrement d'un État déjà
existant.27
La reconnaissance d'un Etat confère à celui-ci
des droits et des obligations définis dans la Convention de Montevideo
(Uruguay) du 26 décembre 1933. Cette
25
http://www.un.org/fr/preventgenocide/rwanda/about/bgresponsability.shtml
(consulté le 14 décembre 2015).
26 Encyclopedia Universalis.
27 Encyclopedia Universalis.
15
Convention personnifie l'Etat, sujet de droit international.
Elle dégage les éléments constitutifs d'un Etat souverain.
Ainsi, « l'Etat en tant que personne du droit international doit
posséder les qualifications suivantes : a) une population permanente ;
b) un territoire défini ; c) le gouvernement et ; d) la capacité
d'entrer en relation avec les autres Etats ».28 De ce fait,
« l'Etat fédéral constitue une seule personne aux yeux du
droit international ».29
Pour mériter une reconnaissance, il faut que l'Etat
existe préalablement, du moins dans les faits.
a. Modes de formation des Etats
Avant d'explorer les théories de reconnaissance d'un
Etat, il importe d'examiner certaines circonstances qui conduisent à la
formation des Etats30 :
- La décolonisation :
La résolution 1514 de l'Assemblée
Générale des Nations du 14 décembre 1960, autorise les
peuples encore sous le joug colonial à mener une lutte par tous les
moyens nécessaires, y compris la force armée le cas
échéant. Dans le cas de la lutte pour l'indépendance, il
est formellement interdit de recourir aux mercenaires pour s'opposer aux
mouvements de décolonisation, et cette décolonisation ne peut se
faire que dans le respect des frontières préexistantes et s'il y
a un critère sûr de non-autonomie (subjugation à un
régime discriminatoire).31
- La sécession d'Etat :
Il s'agit d'un Etat qui naît de la séparation
d'un Etat préexistant en emportant une partie de son patrimoine sans
pour autant porter atteinte à sa subsistance. La sécession
conduit donc à la formation d'un nouvel Etat qui devient partie de la
communauté internationale. Elle est considérée comme un
fait de droit interne à
28 Convention de Montevideo sur les droits et devoirs
des Etats, art. 1er.
29 2ème
Convention de Montevideo sur les droits et devoirs des Etats,
art. .
30Convention de Vienne du 23 août 1978 sur la
succession d'Etats en matière de traités. Entrée en
vigueur le 6 novembre 1996, in Recueil des Traités, vol. 1946,
p. 3.
31 Nations Unies, Convention internationale contre
le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction des
mercenaires, 4 décembre 1989.
16
l'État du fait du principe de l'intégrité
territoriale de l'État. Vers les années 70, les Nations Unies se
sont montrées de plus en plus réticentes au
phénomène de sécession puisqu'elle présentait une
menace évidente à la souveraineté étatique,
puisqu'une sécession entraîne un affaiblissement des trois
éléments constitutifs d'un État : la population, le
territoire et le gouvernement.
- La dissolution d'Etat :
La dissolution concerne les Etats fédéraux ou
d'anciennes entités fédérées. L'Etat
préexistant éclate en plusieurs États nouveaux ce qui
conduit à la création de nouveaux Etats et aucun d'entre eux ne
peut prétendre continuer l'ancien, sauf en cas d'accord explicite entre
tous les États (les ex-Républiques de l'URSS).
- La fusion d'Etat :
Il s'agit d'un nouvel Etat qui naît de la disparition de
deux ou de plusieurs Etats lui laissant seul la personnalité
internationale (Tanganyika et Zanzibar). Cet Etat acquiert un autre nom qui lui
est propre.
- L'absorption :
Sur base d'accords, un Etat peut engloutir d'autres Etats tout
en gardant son nom initial. Il s'agit donc d'une incorporation pacifique
à un État existant d'un ou de plusieurs États
préexistants qui disparaissent.
- La réunification :
Il s'agit de deux ou plusieurs Etats qui se réunifient
après une certaine époque de désunion. (ex. l'Allemagne
est le fruit de la réunification de la République
Démocratique d'Allemagne et la République Fédérale
d'Allemagne en 1991).32
Normalement, la reconnaissance ne précède pas
l'existence de l'Etat. Aussi, la reconnaissance n'est pas en soi une
nécessité au point de vue juridique de l'État, mais
plutôt un objectif à atteindre pour pouvoir fonctionner
efficacement sur la scène
32L'État en droit international :
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tatendroitinternation-
al#Successiond.E2.80.99.C3.89tatetdroitinternational (consulté le 12
février 2015)
17
politique nationale et internationale. D'ailleurs, l'enfant
n'acquiert le nom qu'une fois né.33
b. Théories de reconnaissance des
Etats
L'Etat doit donc mener une lutte pour décrocher la
reconnaissance des autres Etats puisqu'elle lui confère, au niveau
national et international les pleins pouvoirs d'exercer sa souveraineté.
En droit international, deux théories s'opposent : la théorie
constitutive, d'un côté, et la théorie déclarative,
de l'autre.34
- Pour les partisans de la théorie constitutive, un
nouvel Etat n'acquiert de personnalité juridique que s'il est reconnu
par les Etats préexistants. Cette théorie puise sa raison
d'être dans le volontarisme juridique. Le droit n'existe pas en dehors de
la volonté des États. Cette théorie est jugée
dangereuse d'autant plus qu'elle s'inscrit en faux contre le principe de
l'égalité souveraine des États prônée par la
Charte des Nations Unies. En définitive, cette théorie
réduit l'État non reconnu à un non-être
dépourvu de tous les droits et de toutes les
obligations.35
- La théorie déclarative, quant à elle,
reste la privilégiée dans la pratique internationale. Elle
établit que l'État existe comme personne du droit des gens au
moment même où ses éléments constitutifs sont
réunis. Les éléments, dont il est question ici, sont ceux
prévus par la Convention de Montevideo pour qu'un Etat soit reconnu
comme une personne de droit international (a) une population
permanente, b) un territoire déterminé, c) un
gouvernement et d) la capacité d'entrer en relation avec les
autres États.36
Pour ce qui est de l'existence d'un Etat, la Convention de
Montevideo est claire. Elle prévoit, en son article 3, que «
L'existence politique de l'Etat est indépendante de sa
reconnaissance par les autres Etats. Même avant la reconnaissance, l'Etat
a le droit
33 L'État en droit international:
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tatendroitinternation-
al#Successiond.E2.80.99.C3.89tatetdroitinternational (consulté le
12 février 2015)
34 L'État en droit international:
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tatendroitinternation-
al#Succession d.E2.80.99.C3.89tat et droit international (consulté
le 12 février 2015)
35 L'État en droit international:
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tatendroitinternation-
al#Successiond.E2.80.99.C3.89tatetdroitinternational (consulté le
12 février 2015)
36 Convention de Montevideo du 26 décembre 1933
sur les droits et obligations des Etats, article 1er
18
de défendre son intégrité et son
indépendance, d'assurer sa conservation et sa prospérité,
et par conséquent, de s'organiser comme il l'entend, de
légiférer sur ses intérêts, d'administrer ses
services, et de définir la juridiction et la compétence de ses
tribunaux.
L'exercice de ces droits n'a d'autre limite que l'exercice
des droits des autres Etats conformément au droit international
».
La reconnaissance d'un Etat signifie simplement que l'Etat qui
reconnaît accepte la personnalité de l'autre avec tous les droits
et devoirs déterminés par le droit international. La
reconnaissance est inconditionnelle et irrévocable.37
Cette Convention revient aussi sur l'égalité
souveraine et la non-ingérence dans les affaires intérieures des
autres Etats prônées par la Charte des Nations Unies. Elle
souligne que « les Etats sont juridiquement égaux, ils jouissent
des mêmes droits et ont une capacité égale dans leur
exercice. Les droits de chacun ne dépendent pas de la puissance qu'elle
possède pour assurer son exercice, mais sur le simple fait de son
existence comme une personne en vertu du droit international
»38 et « aucun Etat n'a le droit d'intervenir dans les
affaires intérieures ou extérieures d'un autre
».39
A propos de la reconnaissance d'un Etat, il y a lieu de
constater, sans risque de se tromper, que même si la reconnaissance par
d'autres États n'est pas nécessaire, du moins en théorie,
pour accéder au statut d'État, la viabilité d'une
entité aspirant à ce statut au sein de la communauté
internationale dépend, sur le plan pratique, de sa reconnaissance par
d'autres États. Il en va d'ailleurs de son intérêt pour sa
viabilité sur l'échiquier international puisqu'il doit interagir
politiquement, économiquement et même juridiquement avec d'autres
Etats.
Dans la pratique, l'Organisation des Nations Unies se taille
une part importante dans la reconnaissance des Etats puisqu'une reconnaissance
partagée par plusieurs États peut passer par un vote en son sein.
Dans la pratique, les Etats préexistants usent
37 Convention de Montevideo du 26 décembre 1933
sur les droits et obligations des Etats, article 6.
38 Convention de Montevideo, article 4.
39Convention de Montevideo, article 8.
19
de l'acte discrétionnaire dans la reconnaissance d'un
nouvel Etat. Cet acte n'est pas une obligation et dépend en grande
partie des considérations d'ordre politique.
§2. L'ingérence
démocratique
« L'ingérence démocratique est née
de l'universalité des droits de l'homme qui autorise la
communauté internationale à demander aux gouvernements des
comptes sur leur manière de traiter leurs sujets ».40
Les objectifs de l'ingérence politique sont à
prendre avec des pincettes puisqu'ils vont d'une simple intervention pour
instaurer ou restaurer la démocratie tout en aboutissant à
l'imposition des dirigeants au peuple. L'intervention armée pour imposer
un système de gouvernance n'est qu'un moyen utilisé parmi tant
d'autres. La perfusion financière ou l'aide au développement
assortie de conditionnalités diverses conduit à l'asphyxie des
gouvernements des Etats faibles et partant, à leur déliquescence.
Ils font place à des gouvernements fantoches savamment taillés
sur mesure par les Etats puissants qui sautent sur l'occasion pour imposer tout
ce qu'ils veulent au détriment de la volonté du
peuple.41
A y voir de plus près, les puissances
étrangères accordent l'aide d'une main pour la
récupérer par une autre. C'est ce qui peut justifier la
rapidité ou le refus de l'intervention. L'intervention sera rapide
suivant que l'Etat présente des intérêts évidents
directs ou regorge de richesses utiles pour les Etats intervenants. Dans ce
dessein, même les principes démocratiques ne sont pas
épargnés. En effet, les puissances étrangères
peuvent torpiller le processus électoral. Elles dressent les
protagonistes politiques les uns contre les autres dans le but de semer le
« chaos constructeur ».42 Dans toute cette manigance, les
puissances étrangères n'ont pas
40 B., MARIO, op. cit,
p.15.
41 Les limites et les dangers du devoir
d'ingérence démocratique :
https://aymard.wordpress.com
/2011/08/25/les-limites-et-les-dangers-du-devoir-dingerence-democratique/
(consulté le 28 janvier 2015)
42 Interview exclusive de Honoré NGBANDA :
http://www.apareco-rdc.com/index.php/a-la-une/le-fil-de-linfo/2229-version-ecrite-interview-exclusive-de-mr-honore-ngbanda-du-vendredi-20-mars-2015-a-21h00-heure-de-kinshasa.html
(consulté le 25 octobre 2015)
20
besoin de dirigeants bien formés ou intelligents mais,
des « idiots utiles » ou des serviteurs acquis à leur cause.
43
Les rapports entre les Etats sont dictés par des
intérêts. Un Etat ne peut pas prendre l'initiative de faire le
bonheur d'un autre sous le prétexte que celui-ci ne respecte pas quelque
droit de la personne humaine. La célérité de la
réunion des arguments tendant à légitimer la
licéité et la légitimité de l'intervention
dépend des intérêts des puissances intervenantes,
d'où sa sélectivité. Le principe de «
responsabilité de protéger » invoqué pour justifier
l'intervention humanitaire armée, n'est donc appliqué qu'au cas
par cas.44
Pour légitimer l'intervention armée dont le
dessein est de secourir les peuples en danger, les puissances intervenantes
exploitent extrêmement les médias. Ces derniers
discréditent à longueur de journée le gouvernement de
l'Etat qui est dans leur collimateur. Ils ne laissent aucune minute de
réflexion à l'auditeur qui finit par croire à la
nécessité et à la légitimité des
interventions armées dans les Etats sous développés.
43 Interview exclusive de Honoré NGBANDA :
http://www.apareco-rdc.com/index.php/a-la-une/le-fil-de-linfo/2229-version-ecrite-interview-exclusive-de-mr-honore-ngbanda-du-vendredi-20-mars-2015-a-21h00-heure-de-kinshasa.html
(consulté le 25 octobre 2015)
44 44 Les limites et les dangers du devoir d'ingérence
démocratique :
https://aymard.wordpress.com
/2011/08/25/les-limites-et-les-dangers-du-devoir-dingerence-democratique/
(consulté le 28 janvier 2015)
21
CHAPITRE II : LES FONDEMENTS DE LA SOUVERAINETE DES
ETATS
La souveraineté des Etats est la notion clef de la
structure de juxtaposition qui prévaut dans les relations
internationales. D'une manière générale, celle-ci met
l'accent sur les finalités sociales et morales du pouvoir
étatique. Plus précisément, elle a pour objet, en
introduisant un certain nombre de distinctions dans les pouvoirs de l'Etat, de
résoudre au mieux les problèmes qui naissent de la
multiplicité des Etats.45
La théorie de la souveraineté exige d'un Etat
qu'il respecte la souveraineté des Etats étrangers. C'est le
territoire qui est le support physique de la souveraineté et c'est donc
l'intégrité du territoire étranger qui est l'objet le plus
précis de l'obligation. Les Etats doivent alors respecter strictement le
territoire des autres Etats ; mais, le respect de la souveraineté des
autres Etats implique aussi que l'on laisse les Etats exercer librement leurs
compétences dans tous les domaines non touchés par le droit
international.46
Ce chapitre permettra donc de développer les principes
fondamentaux du droit international (Section 1) et la souveraineté de
l'Etat en pratique (Section 2).
Section 1. Les principes fondamentaux du droit
international
Dans la présente section, nous allons développer
cinq principes fondamentaux qui gouvernent le droit international à
savoir le principe de l'égalité souveraine, le principe de
l'intégrité territoriale, le principe de la bonne foi et le
principe de la nonintervention dans les affaires intérieures d'un autre
Etat ou principe de non-ingérence.
Ces principes traversent le temps depuis la création du
droit international jusqu'aujourd'hui et limitent l'autonomie de la
volonté des Etats.
45 P., REUTER, Droit International Public,
PUF, Paris, 1992, p. 181. 46Idem, p. 183.
22
§1. Le principe de l'égalité
souveraine
L'organisation des Nations Unies est fondée sur le
principe de l'égalité souveraine. Ce principe représente
le dernier volet de la dimension juridique de la souveraineté. Il
constitue le principe de base des relations internationales contemporaines.
A la différence de la situation de droit interne
caractérisée par l'existence d'une puissance publique, l'absence
d'autorité supérieure à l'Etat souverain en droit
international implique l'égalité de statut juridique des Etats de
la société internationale.47 Il résulte de
cette égalité qu'aucun Etat ne peut imposer à un autre tel
ou tel autre comportement dans le système international dans lequel
chaque Etat est souverain.
La notion d'égalité souveraine des Etats
conçue de façon absolue paraît très critiquable du
point de vue de l'intérêt général international et
du réalisme juridique. Face à l'inégalité
matérielle, l'égalité juridique est une fiction
regrettable dans la mesure où elle est absolue et où elle
attribue à des Etats, dont le potentiel est très
différent, des responsabilités juridiques
identiques.48 Quelle autorité réelle peut avoir une
décision prise par une conférence ou une organisation
internationale sur la base de l'égalité de vote des Etats lorsque
cette décision est prise à la majorité, majorité
dans laquelle ne figurent que de petites puissances dépourvues de moyens
d'imposer effectivement l'exécution de la décision adoptée
?
§2. Le principe de l'intégrité
territoriale
Ce principe signifie qu'entre les Etats souverains et
égaux chacun doit respecter le territoire de l'autre. Chaque Etat a donc
le droit d'exercer les pleines prérogatives sur son territoire et a
l'obligation de laisser les autres d'en faire autant sur les leurs. Sous peine
d'être poursuivi pour violation d'intégrité territoriale,
les membres de l'organisation s'abstiennent, dans leurs relations
internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la
force, soit contre l'intégrité territoriale ou
l'indépendance
47 R., RANJEVA et C. CADOUX, Droit international
public, EDICEF, Paris, 1992, p. 83.
48 P., VELLAS, Droit international public:
institutions internationales, méthodologie, Historique, sources, sujet
de la Société Internationale, Organisation Internationale,
LGDJ, 2è Ed., Paris, 1967, p. 248.
23
politique de tout Etat, soit de toute autre manière
incompatible avec les buts des Nations Unies.49
Exemples de violations à ce principe :50
y' l'occupation d'un territoire étranger par une force
armée d'un autre Etat,
y' le démembrement d'un ancien territoire
extérieur et la création d'une nouvelle entité. (Chypre
turque envahie en 1974- proclamation unilatérale de la République
turque de chypre du Nord 1983, le Kosovo 1990) ;
y' l'entretien et l'encouragement de forces
sécessionnistes ; y' l'envoi de mercenaires ;
y' l'annexion totale ou partielle d'un territoire ;
y' l'exercice de la prérogative de la force publique
sur un territoire étranger sans le consentement de ce dernier.
§3. Le principe de la bonne foi
Le terme bona fides, dérivé de
fides et fido, semble étymologiquement descendre de la racine
indoeuropéenne bheidh/bhidh signigifiant lier, relier,
entrelacer, enlacer, tresser et du terme grec pisto/pistis, signifiant
foi, confiance. L'élément de confiance est donc une racine
essentielle du mot bonne foi. La bonne foi a été soutenue par la
Convention de Vienne sur le Droit des Traités (CVDT). C'est pourquoi
elle est reconnue par le droit international public.
Le droit international général est avant tout un
droit coordinatif et horizontal. Cela signifie qu'il est
caractérisé par l'absence d'autorité supérieure aux
sujets individuels qui composent la société internationale.
49 Charte des Nations Unies, art. 2, §4.
50I., NAHIGOMBEYE, Syllabus de cours du droit
International public, Université Sagesse d'Afrique, Faculté de
1ère
Droit, licence, AA2011-2012.
24
La délimitation de la bonne foi par rapport
à des notions juridiques voisines
Le principe de la bonne foi est très proche de certains
autres principes de droit international tels que pacta sunt servanda
ou l'équité. La confusion n'est pas rare. Il importe
dès lors de fixer leurs sphères d'application respectives.
a) Bonne foi et pacta sunt servanda
Pour nombre d'auteurs, le principe de la bonne foi comprend,
domine et fonde la règle Pacta sunt servanda qui en est
l'expression exécutoire. Parfois la bonne foi va jusqu'à
éclipser le principe pacta sunt servanda : la bonne foi
régit à tel point la validité de
l'obligatoriété du traité qu'une formulation autonome du
principe pacta sunt servanda devient inutile.
Cette argumentation plonge ses racines dans la tradition
juridique la plus ancienne. Avant l'époque des lumières, quand
pacta sunt servanda devint un axiome péremptoire de la raison
abstraite, le principe était inconnu dans cette ampleur. Le ius
civile romain était un droit formaliste qui précisait
énumérativement les contrats protégés par la
loi.51
Les simples pactes (nuda pact), ne donnaient aucun
droit d'action ; le magistrat se bornait à concéder une exception
contre l'action d'un demandeur l'exceptio pacti.52 Le
formalisme du droit civil avait été progressivement
écarté avec l'avènement du ius
gentium.53 Ce droit régissant les rapports de citoyens
romains avec les ressortissants étrangers devait se libérer des
formalismes du ius civile dont l'étranger ne relevait pas.
Certains pactes commerciaux devinrent donc obligatoires sur la seule foi de la
parole donnée. La foi, la confiance donnée, était la cause
historique de l'obligatoriété de l'engagement. Il en
découle qu'en matière de ius gentium, c'est la bonne foi
qui fonde et légitime le principe pacta sunt
servanda.54
51 R., KOLD, La bonne foi en droit international
public, Ed. Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 675.
52 Ibidem.
53 Ibidem.
54 Ibidem.
25
b) Bonne foi et équité
Le problème de l'équité se situe dans
l'antinomie abstraction/individualisation des règles de droit. L'ordre
juridique est essentiellement un ordre composé de normes abstraites
(ratione materiae) et générales (ratione personae) capables de
régir les innombrables espèces susceptibles de se
présenter à l'avenir. Pour suffire à cette fonction, ces
règles doivent s'abstraire jusqu'à un certain point des
spécificités que les espèces peuvent manifester. Les
normes juridiques s'adressent à la « normalité », au
cas « typique ». Mais alors, leur application à des cas
où prédominent des caractéristiques très
particulières et atypiques pourrait produire un résultat injuste
: summum ius, summa iniuria. La somme des critères propres
à une justice pour de tels cas individuels constitue le corps de
l'équité. L'équité intervient dans ce cas à
la place du droit strict ou en tant que correcteur du droit strict, pour en
adoucir aux fins de l'espèce les injustes rigueurs.
Les rapports entre bonne foi et équité souffrent
de quelque obscurité. Tantôt la bonne foi fait partie
intégrante de l'équité et constitue une
considération équitable ; tantôt c'est
l'équité qui émane de la bonne foi. Il est vrai que
l'aequitas, le ius gentium et les bonae didi iudicia
étaient liés dès le droit romain. L'indivision
relative de l'équité et de la bonne foi a aussi été
maintenue dans la jurisprudence ou dans les contrats quasi-internationaux
conclus par les sociétés commerciales avec les Etats sur les sols
desquels elles opèrent.55
§4. Le principe de la non-intervention dans les
affaires intérieures d'un autre Etat ou principe de
non-ingérence
Le principe de non-ingérence ou non intervention
représente le second corollaire du principe de souveraineté de
l'Etat. Il signifie le droit de chaque Etat souverain de jouir de
l'exclusivité de sa compétence dans les domaines relevant de sa
compétence nationale.56 A contrario, nulle autorité ne
peut se prévaloir d'un titre juridique quelconque pour intervenir ou
agir dans la sphère de compétence d'un Etat. Ce principe est
absolu en ce qui concerne l'étendue et la portée de son
opposabilité.
55 R., KOLD, op. cit, p.675.
56 R., RANJEVA et C., CADOUX, Op. cit, p.
84.
26
Concernant l'étendue de l'opposabilité du
principe de non-ingérence, cela veut dire que la prohibition de
l'ingérence s'impose à tous les sujets de droit international :
Etats et organisations internationales. L'intervention directe ne
nécessite pas de développements particuliers, ce d'autant plus
que l'action directe reste exceptionnelle bien que parfois réelle avec
l'utilisation de la force armée. Quant à la portée, on
précise que sur le plan juridique, le principe de non-ingérence
des Etats tiers pose le problème des conflits de juridictions et des
lois, domaine par excellence du droit international privé. Les jugements
étrangers doivent être revêtus de l'exequatur du juge
national pour pouvoir produire ses effets.57
Dans sa sphère de liberté résiduelle,
chaque Etat est légalement protégé de l'immixtion des
tiers par le principe de non-ingérence, qui leur impose une stricte
obligation d'abstention.58 Le principe de non-ingérence des
tiers dans les affaires intérieures de l'Etat est très
directement liée à l'affirmation de son autonomie puisque d'une
part seul le droit international peut limiter la liberté d'action de
l'Etat, et que d'autre part, tantôt il lui reconnaît une
autorité exclusive pour régir une matière, tantôt il
ne la restreint que partiellement. Il en résulte que nul n'est
compétent pour se mêler dans ce que fait l'Etat à
l'intérieur de la sphère que le droit international laisse
à son autorité : ni les autres Etats, ni les institutions
internationales.59
Il a été énoncé à de
multiples reprises à la charge des Etats comme des organisations
internationales ; pour les premiers, la déclaration relative aux
principes du droit international touchant les relations amicales et la
coopération entre Etats, retient le « devoir de ne pas intervenir
dans les affaires relevant de la compétence nationale d'un Etat »,
pour les secondes, on cite habituellement l'article 2, Paragraphe 7 de la
Charte des Nations Unies dont, y est-il dit, aucune disposition de les autorise
à « intervenir dans les affaires qui relèvent
essentiellement de la compétence nationale d'un Etat
».60
57 R., RANJEVA et C., CADOUX, op. cit, p.
87.
58 5ème
J., COMBACAU et S., SUR, Droit international public,
Montchrestien, éd, Paris, 2001, p.260.
59 4ème
H., THIERRY, S., SUR, J., COMBACAU et CH., VALLEE, Droit
international public, Montchrestien, éd, Paris,
1984, p.234.
60 J., COMBACAU et S., SUR, op. cit, p.260.
27
Section 2 : La souveraineté de l'Etat en
pratique
La conception de la souveraineté admise par la doctrine
contemporaine, spécialement par la doctrine positiviste est très
différente de la doctrine traditionnelle. Au lieu de voir dans
souveraineté une notion extra ou supra juridique, la doctrine
actuellement dominante s'est efforcée de présenter celle-ci comme
une notion strictement juridique, s'analysant en un pouvoir limité par
le droit.
La conception moderne de la souveraineté est
généralement construite sur la base des constatations de fait
suivantes :
V' refus par les Etats de reconnaître au dessus d'eux
aucune autorité humaine établie,
V' affirmation par chaque Etat de sa propre souveraineté
;
V' impossibilité d'enlever à un Etat par des
moyens juridiques les compétences qui lui appartiennent sans le
consentement des organes propres ;
V' appréciations par chaque Etat des situations
internationales le concernant.61
La souveraineté implique l'indépendance de
chacun des Etats de la société internationale et a 3
caractéristiques suivantes :
a) la plénitude des compétences : l'Etat a la
compétence de sa compétence, il décide de l'étendue
de ses prérogatives sur son territoire et des limites qu'il va y
accepter ;
b) l'autonomie de la compétence : les autorités
de l'Etat ne peuvent pas être soumises à des directives ou ordres
provenant d'autorités extérieures. Cette autonomie est
liée au principe d'égalité des Etats rappelé dans
la Charte des Nations Unies à l'article 2 §1 (égalité
juridique à défaut d'une égalité réelle). Le
corollaire de ce principe est celui de la non-intervention dans les affaires
intérieures d'un autre Etat ou principe de
non-ingérence.62
61 CH., ROUSSEAU, Droit international public,
Tome II : Les sujets de Droit, Editions Sirey, Paris, 1974.
P. 62.
62 Charte des Nations Unies, art 2, §7.
28
c) l'exclusivité de la compétence : seules les
autorités nationales peuvent engager l'Etat pour exercer au plan
international les compétences qui lui sont reconnues. L'Etat a sur son
territoire le monopole de la législation, de contrainte et de
juridiction.
La notion de domaine réservée est
également une notion indispensable dans la souveraineté d'un
Etat. C'est le domaine des activités étatiques où la
compétence de l'Etat n'est pas liée par le droit international et
dans lequel les autres Etats ou les organisations internationales ne peuvent
s'immiscer.63 Il va être limité par les engagements
internationaux pris par l'Etat ainsi que par le principe du respect des droits
fondamentaux de l'individu.
§1. La coopération internationale :
limitation volontaire de la souveraineté
La coexistence est le degré le plus bas de la
socialisation dans les relations internationales. Les Etats s'y
présentent à ce point comme des unités juxtaposées
qu'on hésite même à parler de « relations » pour
qualifier des rapports fondés sur le désir d'éviter les
points de contact. Ce ne sont pourtant pas les seuls qu'ils entretiennent : il
ne suffit pas toujours aux Etats de se répartir l'autorité entre
eux et de respecter ensuite la sphère que chacun a reconnue aux autres.
Il arrive aussi qu'ils soient obligés de s'entendre pour agir en commun.
On parle alors non plus de coexistence mais de « coopération »
internationale. La coopération correspond à un nouveau pallier
dans la socialisation des rapports entre les Etats.64
Dans la coexistence, les Etats fixent en commun les limites de
l'activité de chacun d'eux ; ils définissent ensemble les
sphères de leurs futures actions séparées ; ils posent les
règles par lesquelles ils reconnaissent les frontières qu'ils
assignent à leurs pouvoirs respectifs et s'entendent pour ne pas
empiéter mutuellement sur le domaine, matériel (territoires
nationaux) ou intellectuel (compétence réservée) de
l'autre. Après quoi chacun retourne à son ignorance du partenaire
pour agir dans la sphère ainsi définie, qui est tantôt
exclusive (son autorité sur le territoire par
63 3ème
C., ROCHE, L'essentiel du droit international public et du
droit des relations internationales, Gualino Eds,
éd, Paris, 2008, p.57
64 P., REUTER et J., COMBACAU, Institution et
relations internationales, PUF, Paris, 1980, p267.
29
exemple), tantôt concurrente (ainsi son droit de
participer à une activité commune, par exemple d'avoir
accès aux richesses de la haute mer).
La coopération obéit à des principes tous
différents. Cette fois encore, les Etats posent ensemble des
règles mais cette relation momentanée, loin d'être le terme
de leurs activités communes, constitue le début et la base d'une
collaboration continue. Leurs futurs rapports ne sont pas, comme dans la
coexistence fondés sur l'abstention réciproque, mais au contraire
une mise en commun de leur autorité et de leurs pouvoirs.
Il s'agit donc d'une possible limitation voulue de la
souveraineté mais qui peut être considérée,
elle-même, comme une manifestation d'exercice de sa
souveraineté.
Le Conseil Constitutionnel français a affirmé
que l'État peut renoncer, en s'en dessaisissant de façon pure et
simple, en les transférant à un autre sujet, État ou
organisation internationale, ou en en mettant en commun l'exercice, toutes
opérations qui résultent d'un engagement international, notamment
conventionnel. En droit international cependant, lorsqu'il prend un engagement
de cette sorte, l'État n'est pas perçu comme "limitant sa
souveraineté" ou la transférant, mais comme exerçant
souverainement l'un de ses pouvoirs, celui de conclure un traité, de
façon à limiter des pouvoirs qu'il exerçait jusqu'alors
librement et à restreindre ou partager des compétences qui lui
étaient jusqu'alors reconnues. Selon cette conception, formelle et non
substantielle, de la souveraineté au sens du droit international, on ne
peut donc dire d'un État qu'il consent à des limitations de
souveraineté à telle ou telle condition, mais qu'il
considère comme compatibles avec sa souveraineté les limitations
de sa liberté d'action, pour autant qu'elles respectent les conditions
en cause : soit que ces traités modifient, par renonciation totale ou
partielle, l'étendue du champ de la compétence internationale
dont il jouissait, à titre exclusif ou concurremment avec d'autres
États, ou portent atteinte à son monopole dans les
30
domaines où elle était exclusive ; soit qu'ils
réduisent les pouvoirs qui lui étaient internationalement
reconnus dans le cadre de cette compétence65.
§2. L'assistance humanitaire : une violation de la
souveraineté
La formalisation juridique de l'ingérence humanitaire
passe naturellement par l'ONU afin d'obtenir sa reconnaissance par l'ensemble
de la société internationale. Cela est rendu possible au travers
ses organes principaux à savoir : l'Assemblée
Générale et le Conseil de Sécurité.
S'agissant de l'Assemblée Générale
d'abord, la question ici est de savoir si un Etat peut intervenir
unilatéralement lorsque les individus se trouvent en danger sur le
territoire d'un autre Etat. Faut-il le consentement de ces individus ou bien un
Etat peut agir de façon unilatérale ?
Cela pose un problème délicat car
l'ingérence humanitaire met en cause la notion même de
souveraineté en faveur de celle de la protection internationale des
droits de l'Homme.
Pour répondre à cette question, nous nous
inspirons de la pratique internationale. Les Etats ont d'abord adopté
une position théorique à ce sujet. On peut se
référer à la résolution 43/131 adoptée par
l'Assemblée Générale des Nations Unies du 8
décembre 1988 qui préconise une assistance humanitaire en cas de
catastrophe naturelle ou de situation d'urgence du même ordre et qui
invite les Etats à faciliter la mise en oeuvre de l'assistance
humanitaire par les organisations internationales et les organisations non
gouvernementales. Elle a été complétée par la
Résolution 45/100 du 14 décembre 1990 qui a créé la
notion de couloirs d'urgence humanitaire devant permettre l'accès aux
victimes, toujours avec l'accord de l'Etat en cause.66
65 J., COMBACAU, La souveraineté
internationale de l'État dans la jurisprudence du Conseil
constitutionnel français- Cahiers du Conseil constitutionnel n° 9
(Dossier : Souveraineté de l'Etat et hiérarchie des normes) -
février 2001, Disponible sur :
http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil- constitutionnel/francais/nouveaux-cahiers-du-conseil/cahier-n-9/la-souverainete-internationale-de-l-etat-dans-la-jurisprudence-du-conseil-constitutionnel-francais.52497.html
(Consulté le 14 décembre 2015)
66 C., ROCHE, op.cit, p.58.
31
Ces résolutions préservaient toujours la
souveraineté et le consentement des Etats pour toute intervention sur
leur territoire. Elles ne reconnaissent donc pas un quelque droit
d'intervention et n'ont que la valeur de recommandations, ne mettant pas de
véritables obligations à la charge des Etats.
Dans le paragraphe 2 de la résolution 43/131 par
exemple, l'assemblée générale des Nations Unies
réaffirme l'initiative, l'organisation, la coordination et la mise en
oeuvre de l'assistance humanitaire sur leurs territoires respectifs. La Cour
Internationale de Justice « CIJ » quant à elle, dans sa
jurisprudence dans l'affaire Nicaragwa contre Etats Unis (1986), affirme qu'un
Etat peut intervenir à l'intérieur d'un autre pour une question
d'assistance humanitaire. Mais pour que cette action soit licite, elle pose
deux conditions :
V' l'assistance doit concerner strictement une
question humanitaire ; V' elle doit être
distribuée sans aucune discrimination.
S'agissant ensuite du Conseil de Sécurité, c'est
plus sa pratique qui nous éclaire sur le principe d'ingérence
humanitaire. L'action du Conseil de Sécurité s'inscrit dans le
cadre du Chapitre VII, art. 39 de la Charte des Nations Unies, qui lui donne la
prérogative de constater l'existence d'une menace contre la paix et la
sécurité internationale et par conséquent de prendre des
mesures qui s'imposent selon les articles 41 et 42 de ladite Charte. L'article
25 précise que les décisions du Conseil de Sécurité
doivent être appliquées par les Etats c'est-à-dire qu'elles
sont obligatoires.
Alors que les résolutions précitées
avaient été adoptées par l'organe
délibérant, l'Assemblée Générale, sans
être dotées d'une force obligatoire, quand bien même
l'adoption par consensus reflétait l'adhésion de tous les Etats
membres des Nations Unies, il fallait encore l'oeuvre d'un organe
décisionnel, le Conseil de Sécurité.
Deux parties de la population de l'Irak, les Kurdes au Nord et
au Nord Est de l'Etat, les Chiites au Sud, se soulevèrent contre le
régime de Bagdad, ce qui provoqua une répression armée
sévère de la part du pouvoir central, d'où un exode massif
des populations décimées tant vers la Turquie que vers l'Iran.
Cette situation dramatique provoqua des centaines de milliers de
réfugiés, encore que l'Iran ayant interdit aux
32
journalistes étrangers l'accès sur son
territoire, les seules images reçues provenaient de la frontière
avec la Turquie.
Les Etats membres de la coalition contre l'Irak ne pouvaient
demeurer passifs, et c'est dans ces conditions que le projet de
résolution d'origine française parrainé par les Etats
Unis, le Royaume Uni et la Belgique, fut adopté le 5 avril 1991. Cette
résolution a été abondamment citée et
commentée, on peut se contenter d'en rappeler l'essentiel. D'abord, il
faut relever qu'elle prend soin de se référer à l'article
2, §7, de la Charte, qui interdit aux Nations Unies de s'immiscer dans les
affaires intérieures des Etats membres.
Ensuite, le Conseil de Sécurité ne manque pas de
se justifier en rappelant les obligations qui sont les siennes en vertu de la
Charte, à savoir le maintien de la paix et de la sécurité
internationales. Mais ce qui était nouveau et à souligner,
c'était que pour la première fois, un problème
réellement humanitaire, le sort de certains réfugiés
irakiens, était considéré comme internationalisé
dans mesure où, entrainant des violations de frontières avec des
Etats voisins de l'Irak, il y avait une menace contre la paix et la
sécurité internationales dans la région, ce qui permettait
l'intervention du Conseil de Sécurité sur base du Chapitre VII de
la Charte.
Après avoir exigé que l'Irak mette fin à
la répression, le Conseil de Sécurité insistait pour que
l'Irak permette un accès immédiat des organisations humanitaires
internationales à tous ceux qui ont besoin d'assistance dans toutes les
parties de l'Irak, et qu'il mette à leur disposition tous les moyens
nécessaires à leur action.
La Charte confie la responsabilité principale du
maintien de la paix au Conseil de Sécurité, c'est-à-dire
principalement à grandes puissances victorieuses de la seconde guerre
mondiale. Les termes utilisés dans l'article 39 ne sont pas
définis et sont suffisamment neutres pour ne pas enfermer le Conseil de
Sécurité dans un cadre trop strict.67
C'est également le Conseil de Sécurité
qui choisit de façon discrétionnaire la forme de l'action
à entreprendre. Il peut aussi décider pour stabiliser une
situation avant qu'elle ne dégénère, d'inviter les parties
intéressées à se conformer aux mesures
67 C., ROCHE,
op. cit, p. 109.
33
provisoires qu'il juge nécessaires ou souhaitables (art
40). Ces mesures « de sauvegarde » ne sont pas non listées :
ce peut être une invitation à suspendre les hostilités ou
un embargo sur les fournitures d'armes, etc.
Le Conseil peut ensuite décider des mesures qui seront
prises : celles qui n'impliquent pas l'usage de la force armée et qui
seront mises en oeuvre par les Etats (art.41) comme par exemple l'interruption
des relations diplomatiques. Il peut aussi fixer des mesures qui n'impliquent
pas l'usage de la force armée (art. 42). Pour cela, l'article 43
prévoit que les Etats membres mettront des forces armées à
la disposition du Conseil de Sécurité, forces armées qui
seront placées sous la responsabilité d'un comité d'Etat
Major (art. 47) qui n'a jamais été
créé.68
Il faut également rappeler que la Charte dans son
article 51 permet l'usage de la force dans un cas précis qui est celui
de la légitime défense individuelle et collective. Un Etat
victime d'une agression armée conserve le droit de se défendre
seul ou avec l'aide d'autres Etats. Ce droit cesse lorsque le Conseil de
Sécurité prend les mesures nécessaires au maintien de la
paix.69
Nous constatons donc que, lorsque cette décision
d'intervention est prise par l'organisation des Nations Unies, cela s'assimile
à un respect de la souveraineté mais lorsqu'un Etat ou une
organisation internationale autre que les Nations Unies la décide
unilatéralement, dans ce cas, c'est un abus et une violation du droit
international.
68 C., ROCHE, op. cit, p. 110.
69 Charte des Nations Unies, art. 51.
34
CHAPITRE III : LA JUSTIFICATION DE L'INGERENCE
HUMANITAIRE
Comme on l'a déjà souligné dans le
chapitre précédent, la souveraineté signifie que les Etats
ne peuvent pas être juridiquement soumis à une autorité qui
leur soit supérieur. Or, si le principe de non ingérence
constitue l'un des principes fondamentaux des relations entre Etats, on peut se
demander si dans certaines situations, on ne pouvait pas accepter une exception
prenant la forme d'un droit d'ingérence humanitaire.
Il existerait donc un droit (voire un devoir) pour les Etats
et les organisations non gouvernementales à apporter une aide
humanitaire aux populations en détresse.70 Si le gouvernement
en place sollicite une telle intervention, celle-ci devrait se faire sans
problème même sans le consentement de l'Etat en cause, ce qui
semble peu compatible avec le principe de souveraineté.
De même, selon Mario Bettati, professeur de droit
international public et Bernard Kouchner, fondateur de Médecins sans
frontières et homme politique français, certaines situations
d'urgence peuvent justifier moralement un « devoir d'ingérence
» dans les affaires d'un Etat, remettant ainsi en cause le principe
universel de souveraineté des Etats. Si l'intervention humanitaire est
relativement peu « traumatisante » pour la souveraineté
étatique lorsqu'elle se limite à la fourniture de vivres, de
médicaments, voire à l'envoi de personnels civils
compétents pour faire face à certaines situations de
détresse précitées, il en va très
différemment si elle se traduit par un véritable recours à
la force armée pour faire cesser des violations graves et massives des
droits de l'homme dont un Etat se rendrait coupable vis-à-vis de sa
population.71
Ici, il est question des fondements juridiques de
l'ingérence humanitaire (Section 1) et de l'apport des violations des
droits de l'Homme dans la justification de l'ingérence humanitaire
(Section 2).
70 C., ROCHE, op. cit, p. 57.
71 PH., BRETTON, "Ingérence humanitaire et
souveraineté", Pouvoirs, revue française d'études
constitutionnelles et politiques, n°67, 1993, p.59.
35
Section 1 : La base juridique du droit
d'ingérence humanitaire
Dans cette section, nous allons nous référer
à la seule voie ouverte à la volonté des Etats pour
éviter l'émergence des conflits internationaux qui est le
règlement pacifique des différends ainsi que sur certaines
analyses du fond de la Charte des Nations Unies.
§1. Les moyens de règlement pacifique des
différends en droit international
Selon la Cour Internationale de Justice « CIJ », un
différend est un désaccord sur un point de droit ou de fait, une
contradiction, une opposition de thèses juridiques ou
d'intérêts entre deux personnes. La volonté d'inciter les
Etats à régler pacifiquement leurs différends a
été pour la première fois codifiée dans la
Convention de la Haye pour le règlement des conflits internationaux du
18 octobre 1907. Cette obligation se retrouve aujourd'hui dans la Charte des
Nations Unies (Art.2, §3 et art 33) et dans la déclaration relative
aux principes du droit international touchant les relations amicales et la
coopération entre les Etats du 24 octobre 1970 qui dispose que : «
Tous les Etas doivent régler leurs différends internationaux avec
d'autres Etats par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix
et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas
mises en danger ».72
Usant de cette liberté, les Etats utilisent plus
volontiers les procédés politiques que les procédés
juridiques. Parmi ces derniers, ils accordent la priorité au
règlement non juridictionnel, dont les résultats ont une
portée contraignante, plutôt qu'aux procédures arbitrales
et juridictionnelles. Ces préférences marquées
découlent de leur volonté de préserver leur
souveraineté et aussi d'une raison de politique générale
qu'il convient de mettre en lumière immédiatement, car elle
éclaire d'un jour particulier toute la matière de la solution
pacifique des conflits internationaux.73
Pour le mode règlement non juridictionnel, seuls les
Etats intéressés sont en présence et il n'existe qu'une
seule voie ouverte à leur volonté pacifique : la
72 6ème
P., DAILLIER et A., PELLET, Droit international public,
LGDJ, éd. entièrement refondue, Paris, 1999, p.
788.
73 Idem, p. 789.
36
négociation empruntant d'abord le canal diplomatique
pour aboutir à la conclusion d'un accord international.
Le canal diplomatique et la négociation reste la
méthode essentielle et première d'éliminer les
états de tensions entre les Etats.74
Mais le succès de la voie diplomatique dépend de
la bonne volonté des Etats et du rapport des forces en présence
qui invite parfois un des adversaires à céder «
volontairement ». La pratique internationale a défini un certain
nombre de procédés qui mettent en oeuvre le recours à un
tiers. Mais quels que soient ces procédés, aucun Etat n'est
obligé d'y recourir sauf par engagement exprès.
Parmi les modes de règlement non juridictionnel, on
distingue : le règlement inter-étatique et le règlement
dans le cadre d'une organisation internationale.
S'agissant du règlement inter-étatique on peut
citer : - Les bons offices et la médiation :
Ce sont deux techniques qui font intervenir des tiers, pour
aider à résoudre le désaccord. Le tiers peut être un
Etat ou une personnalité. Dans le cadre des bons offices, un tiers vient
offrir ses services pour aider les parties à débuter la
négociation, notamment en organisant la rencontre. Une fois le contact
établi entre les Etats intéressés et la négociation
commencée, le tiers se retire et n'intervient plus.
La technique de bons offices est généralement
l'intervention d'un Etat tiers provoquée ou spontanément offerte,
en vue de faciliter un arrangement entre les partis sans proposer directement
une solution du différend. Dans le cadre de la médiation, le
tiers va plus loin puisqu'il propose en plus une solution sans cependant
pouvoir l'imposer. Il peut aussi intervenir tout au long des
négociations pour aider les parties à trouver des points
d'accord.75
Contrairement aux bons offices, c'est l'intervention
spontanée ou provoquée d'un tiers qui propose en son nom les
termes d'une solution que les parties ne sont pas
74 3ème
P., REUTER et A., GROS, Traités et documents
diplomatiques, PUF, éd., Paris, 1976, p. 179.
75 C., ROCHE, op. cit, p. 100.
37
tenues de suivre et qui n'est pas nécessairement
fondée sur des considérations juridiques.
- L'enquête et la conciliation :
Ce sont aussi deux techniques assez semblables et qui font
intervenir les tiers. L'enquête permet, avec l'accord des Etats
intéressés en application du principe de souveraineté, de
charger une commission d'enquête d'établir les faits à
l'origine du différend notamment leurs circonstances, leur nature... La
composition de la commission dépend de la volonté des parties. Le
rapport rendu par la commission n'a aucune portée obligatoire.
C'est-à-dire qu'il ne lie pas les Etas intéressés.
Dans les grandes organisations internationales modernes
(SDN-ONU), l'enquête est souvent une phase des procédures
engagées par ces organisations en faveur de la paix.76
L'expérience prouve d'ailleurs que les commissions d'enquête ont
toujours dépassé le stade de la simple déclaration des
faits.
La conciliation quant à elle permet d'aller plus loin :
comme précédemment, la commission de conciliation commence par
une enquête portant sur les faits. En d'autres termes, les commissions de
conciliation sont des commissions permanentes formées de nationaux des
parties et des nationaux d'Etats tiers et habilitées pour proposer
à un litige une solution non fondée nécessairement sur le
droit et non obligatoire pour les Etats intéressés. Leur
rôle est donc plus large que celui de la commission d'enquête ;
elles ne constituent qu'une forme de médiation, mais leur
originalité par rapport à celle-ci réside dans le
caractère non politique et quasi arbitral de la
commission.77
76 P. REUTER et A. GROS, op. cit, p.181.
77Ibidem.
38
§2. L'article 2, §4 de la Charte des Nations
Unies
L'article 2§4 de la Charte des Nations Unies
prévoit que : « les membres de l'organisation s'abstiennent, dans
leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à
l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre
manière incompatible avec les buts des Nations Unies ».
C'est incontestable que cette disposition n'interdit pas
explicitement tout recours à la force dans les relations
internationales. Selon l'article 2§4, l'emploi de la force n'est pas
interdit mais seulement lorsqu'il est dirigé contre
l'intégrité territoriale, l'indépendance politique de
l'Etat visé ou lorsqu'il est incompatible avec les buts des Nations
Unies. L'interprétation de la dernière phrase de l'article
2§4 de la Charte, qui interdit tout recours à la force qui
s'opérait, dans les relations internationales, de toute manière
incompatible avec les buts des Nations Unies pose également de nombreux
problèmes.
Si l'on procède maintenant à la lecture du
corollaire de l'interdiction du recours à la force, qui est l'obligation
de régler pacifiquement les différends (article 33 de la Charte),
l'on verra qu'il n'y a rien dans l'article 2§4 qui peut affirmer qu'une
action peut enfreindre un but des Nations Unies. Les partisans de la doctrine
du droit d'ingérence humanitaire se fondent uniquement sur le texte de
l'article 2§4 pour soutenir leur thèse.
Or, le texte du troisième paragraphe du même
article dispose : « les membres de l'organisation règlent leurs
différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle
manière que la paix et la sécurité internationales ainsi
que la justice ne soient pas mises en danger. Ainsi, selon les termes de
l'article 2§3, une réaction d'un Etat membre des Nations Unies,
même à des violations massives des droits de la personne, doit
s'effectuer de manière pacifique sans mettre en danger, ni la paix et la
sécurité internationales, ni la justice. Par ailleurs, l'article
33 de la Charte énumère les moyens pacifiques de règlement
des différends78 et complète l'article 2§4. Ici,
encore, la Charte ne prévoit aucune exception relative à une
intervention armée
78 La Charte des Nations Unies, art. 33.
39
humanitaire. Par conséquent, on peut dire que la Charte
interdit expressément toute intervention armée
unilatérale, dans la mesure où elle menace la paix et la
sécurité internationales.
Certains auteurs, favorables à cette tendance du droit
d'ingérence humanitaire, mettent en exergue l'argument selon lequel une
intervention armée humanitaire respecte en soi l'objectif du maintien de
la paix. Ils considèrent qu'une intervention armée humanitaire,
en mettant fin à des violations massives des droits de la personne
humaine, empêche une évolution historique qui mènerait
à une menace ou à une rupture de la paix par l'Etat dictateur
visé.79
Cet argument est doublement critiqué sur le plan de
fait et sur le plan de droit. D'une part, sur le plan de fait, ce n'est pas du
tout évident que les violations massives des droits de la personne
humaine dans un Etat amèneraient à une menace ou encore moins
à une rupture de la paix. D'autre part, sur le plan juridique, la Charte
a bien pour préoccupation principale le maintien de la paix. On voit mal
comment la charte pourrait légitimer une rupture bien réelle de
la paix en invoquant une rupture hypothétique et
éventuelle.80
En effet, on constate que le but principal des Nations Unies
est le maintien de la paix et l'article 3§4, invoqué par la
doctrine favorable au droit de l'ingérence humanitaire, renvoie bien
à ce but. Les dispositions de l'article 2§4 de la Charte
interdisent bien tout recours à la force, même motivé par
des considérations humanitaires.
§3. L'ingérence humanitaire comme une
justification du maintien de la paix
En 1945, un système de sécurité
collective a été élaboré pour permettre à la
communauté internationale d'empêcher la naissance de conflits
armés ou d'y mettre fin rapidement. Paradoxalement, l'efficacité
des Nations Unies dans ce domaine est due à une autre procédure.
Le maintien de la paix et de la sécurité internationale est l'un
des buts principaux des Nations Unies.
79 K., TSAGARIS, le droit d'ingérence
humanitaire, Mémoire en vue de l'obtention du DEA en droit
international et communication (mention Droit international), Université
de Lille II, 2001, p.35.
80Idem, p.36.
40
En 1945, il a paru essentiel au rédacteur de la Charte
des Nations Unies de prévoir un système de sécurité
collective plus efficace que celui de la Société des Nations
« SDN ». L'idée étant alors que toute agression contre
un Etat membre des Nations Unies soit considérée comme une
agression contre la paix internationale et qu'elle devienne donc l'affaire de
tous les Etats.81
Pour que les Etats puissent renoncer à l'emploi de la
force dans les relations internationales, ils doivent avoir à leur
disposition des procédures pacifiques de règlement qui leur
donnent les garanties de justice qu'ils sont en droit d'attendre comme
contrepartie de la renonciation à la guerre. Ainsi, la Charte
précise bien que les Etats doivent utiliser les procédés
en dehors de l'organisation qu'offre le droit international positif
(négociation, enquête, médiation, conciliation) arbitrage,
juridiction, procédures régionales) avant d'avoir recours au
Conseil de Sécurité.82
En particulier, les conflits juridiques doivent normalement
être réglés par la Cour Internationale de Justice. La
procédure devant le Conseil de Sécurité n'a donc pas pour
objet de résoudre les questions sous l'angle de la justice ou du droit :
la préoccupation fondamentale ici est le maintien de la paix.
Comme on l'a déjà souligné au paragraphe
précédent, l'article 2§4 de la Charte des Nations Unies
prévoit que : « les membres de l'organisation s'abstiennent, dans
leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à
l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre
manière incompatible avec les buts des Nations Unies ».
De cette disposition, on constate que le but principal de
l'Organisation des Nations Unies est le maintien de la paix étant
donné que cet article interdit bien tout recours à la force,
même motivé par des considérations humanitaires. Sur le
plan de la définition du droit d'ingérence humanitaire et sans
s'interroger sur les fondements de la doctrine, on peut émettre
certaines réserves. Le droit d'ingérence humanitaire consiste
à légitimer une intervention armée afin d'aider une
population qui a besoin d'être secourue, même si l'Etat «
hôte » devrait s'y opposer. Les Etats ont depuis des siècles
tenté de justifier leurs interventions armées dans les affaires
intérieures des
81 C., ROCHE,
op. cit, p. 109.
82 6ème
CH., CHAUMONT, L'Organisation des Nations
Unies, PUF, éd. mise à jour, Paris, 1968, pp
64-65.
41
autres Etats par des motifs tels que la défense des
droits de l'homme, la défense des minorités, celles de leurs
ressortissants expatriés ou d'autres motifs d'humanité.
On pourrait dire que le contenu de cette définition du
droit d'ingérence humanitaire reste imprécis dans la mesure
où aucun Etat n'a le droit de mener une intervention armée
unilatérale pour quelques motifs que ce soient dans les affaires
intérieures des autres Etats sauf si cette décision
d'intervention est prise par l'organisation des Nations Unies.
L'article 2 alinéa 7 de la Charte des Nations Unies
quant à lui dispose que : « aucune disposition de la
présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans
les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence
nationale d'un Etat ni n'oblige les membres à soumettre des affaires de
ce genre à une procédure de règlement au terme de la
présente Charte ; toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte
à l'application des mesures de coercition prévue au Chapitre VII
».
Progressivement, la place prise par la philosophie des droits
de la personne humaine dans les relations internationales a conduit à
s'interroger à nouveau sur le principe de non intervention
consacré dans la Charte des Nations Unies (art. 2§7). Dans ce
domaine, des intérêts s'affrontent souvent contradictoires : ceux
de l'Etat et ceux de l'individu auxquels se juxtaposent en droit international,
la dialectique opposant les droits de la personne humaine et la
souveraineté de l'Etat, cette souveraineté se traduisant dans les
rapports internationaux par le principe de non intervention. Il est peut
être nécessaire que cette disposition de la Charte des Nations
Unies soit réinterprétée.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les
rédacteurs de la Charte étaient soucieux de l'indépendance
et de l'intégrité des Etats. Mais, le caractère humaniste
de cette Charte devrait permettre aux Nations Unies d'intervenir et faire
cesser les crimes commis au sein d'un Etat.83
Des définitions précises des crimes contre
l'humanité pourraient être données, définitions qui,
par leur précision empêcheraient toute interprétation
extensive. Lors de la conférence de Téhéran sur les droits
de la personne humaine en 1968, les
83 P., BUIRETTE, op. cit, p. 6.
42
Nations Unies se saisissent du problème de
l'application de ces droits en cas de conflits armés. Cette attitude est
totalement nouvelle : jusqu'alors, l'Organisation des Nations Unies n'avait
jamais pris en compte le droit international humanitaire, droit concernant les
conflits armés. Cela aurait été en contradiction avec son
objectif principal qui est d'interdire le recours à la force dans les
relations internationales.84 A ce stade, le droit international
humanitaire devient une des préoccupations de l'Organisation des Nations
Unies.
Section 2 : La violation des droits humains, une
justification de l'ingérence
Les interventions extérieures déclenchées
pour des motifs humanitaires sont aussi anciennes que la guerre. Mais le regain
des droits de l'homme et des idées démocratiques favorisent
aujourd'hui leur recours, avec ou sans le soutien des Nations Unies.
Charles Rousseau définit généralement
l'intervention d'humanité comme l'action exercée par un Etat
contre un gouvernement étrange dans le but de faire cesser les
traitements contraires aux lois d'humanité qu'il applique à ses
propres ressortissants.85
De même que Perez-Vera ; la condition essentielle que
doit remplir l'intervention d'humanité quant au fond est la poursuite
exclusive de l'intérêt humanitaire par l'état qui
s'érige en protecteur.86
Par ailleurs, sans même s'interroger sur les fondements
juridiques de la doctrine du droit d'ingérence humanitaire, on peut
émettre de sérieuses réserves sur le seul plan de la
définition de ce droit. Et cela pour dire que son contenu reste
imprécis et surtout laisse la porte ouverte à tous les abus. Il
reste que la violation des droits de l'Homme est toujours la raison
avancée pour déclencher une ingérence humanitaire.
84 P., BUIRETTE, op. cit, p. 6
85 Y., GORRAM, Le droit d'ingérence
humanitaire,
http://www.memoireonline.com/07/09/2439/mLe-
droit-dingerence-humanitaire2.html (consulté le 16 décembre
2015)
86 Ibidem.
43
§1. Les formes de violations des droits de
l'homme
Les défenseurs des droits de l'homme reconnaissent que
la Déclaration Universelle des droits de l'homme est toujours davantage
un rêve qu'une réalité. Des violations se produisent dans
chaque partie du monde. Les femmes et les enfants en particulier sont
marginalisés de diverses façons, la presse n'est pas libre dans
beaucoup d'Etats, et les contestataires sont réduits au silence trop
souvent de manière permanente.87
Pour que vous puissiez cerner certaines des violations
courantes des droits de la personne humaine dans le monde, voici des exemples
sur six articles de la Déclaration Universelle des droits de l'homme
(DUDH) :88
Article 3 : Le droit de vivre : « Chacun
a droit à la vie, à la liberté et à la
sécurité de sa personne. »
On estime à environ 6500 le nombre de personnes
tuées en 2007 dans le conflit armé en Afghanistan, la
moitié au moins étant des civils non combattants aux moins
d'insurgés. Des centaines de civils ont été
également tués lors d'attentats-suicides par des groupes
armées.
Au Brésil, en 2007, selon des chiffres officiels, la
police a tué au moins 1260 personnes, un record à ce jour.
En Ouganda, 1500 personnes meurent chaque semaine dans les
camps de personnes déplacées. Selon l'Organisation Mondiale de la
Santé, cinq cent mille personnes sont mortes dans ces camps.
Article 4 : Pas d'esclavage : « Nul ne
doit être tenu en esclavage même en servitude ; l'esclavage et la
traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes. »
87 J.P, GUEVARA, « L'agenda caché des
interventions humanitaires», in Revue Alternatives Sud, Vol 11,
N°3, 2004.
88 Les violations des droits de l'Homme :
http://www.humanrights.com/fr/what-are-human-rights/violations-of-human-rights/slavery-and-torture.html
(consulté le 15 mai 2015).
44
Au Nord de l'Ouganda, les guérilleros du LRA (Lord's
Résistance Army) ont enlevé 20.000 enfants au cours des 20
dernières années et les ont enrôlés de forme comme
soldats ou comme esclaves sexuels pour l'armée.
En Asie, le Japon est le principal Etat destinataire de trafic
de femmes venant en particulier des philippins et de Thaïlande. L'UNICEF
estime à 60.000 le nombre d'enfants prostitués aux
philippines.
En 2007, en Somalie, plus de 1400 Somaliens
déplacés et de ressortissants éthiopiens sont morts en mer
dans des opérations de trafic.
Article 5 : Pas de torture : « Nul ne
sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants ».
En 2008, les autorités américaines ont
continué à maintenir en détention 270 prisonniers dans la
baie de Guantanamo, à Cuba, sans inculpation ni procès, et
à avoir recours à la torture, en simulant de les noyer. Le
président Georges Bush a autorisé la CIA à poursuivre la
détention et les interrogatoires secrets, en dépit des violations
du droit international.
Article 13 : Libre circulation : «1.
Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa
résidence à l'intérieur d'un Etat. 2. Toute personne a le
droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays
».
Dans le Nord de l'Ouganda, 1,6 millions d'habitants sont
restés dans des camps de personnes déplacées. Dans la
région d'Acholi, la plus affectée par un conflit armé, 63%
de 1,1 million de personnes déplacées en 2005 vivaient toujours
danse les camps en 2007 ; 7000 personnes seulement sont retournées de
manière permanente dans leur pays d'origine.
Article 18 : Liberté de pensée
: « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de
conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de
religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion
ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par
l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites
».
La Commission des droits de l'homme, organe qui pendant de
longues années a dévolu l'essentiel de ses efforts à la
rédaction d'instruments internationaux et à la
45
Au Myanmar, la junte militaire a écrasé des
manifestations pacifiques organisées par des moines, des
monastères ont été pillés et fermés, des
propriétés confisquées et détruites. Les
manifestants ont été jetés en prison, battus et
fusillés, et leur famille et leurs amis ont été
harcelés ou retenus en otage.
Article 19 : Liberté d'expression :
« Chacun a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce
qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses
opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans
considération de frontières, les informations et des idées
par quelque moyen d'expression que ce soit ».
En Irak, au moins trente-sept employés irakiens
travaillant pour des médias ont été tués en 2008,
soit 235 depuis l'invasion de mars 2003, faisant de l'Irak l'Etat le plus
dangereux au monde pour les journalistes.
Article 21 : Le droit à la démocratie : «
1. Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires
publiques de son pays, soit directement, soit par l'intermédiaire de
représentants librement choisis. 2. Toute personne a droit à
accéder, dans des conditions d'égalité, aux fonctions
publiques de son pays. 3. La volonté du peuple est la base de
l'autorité gouvernementale et cette volonté doit s'exprimer par
des élections honnêtes qui doivent avoir lieu
périodiquement, au suffrage universel égal et par bulletin secret
ou suivant une procédure équivalente assurant une liberté
de vote ».
Au Cuba, fin 2007, soixante-deux objecteurs de conscience
étaient en prison en raison de leurs convictions ou activités
politiques non violentes.
§2. Appréciation des situations de violation
des droits de l'homme.
Les droits de l'homme existent, tels qu'ils sont
présentés dans la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme et dans l'ensemble des lois de protection des droits de l'homme.
46
promotion des droits de l'homme, la Commission n'a
commencé que récemment à « faire de la protection
» en prenant compte la question de la violation des droits de l'homme.
Elle a actuellement été remplacée par le Conseil des
droits de l'Homme depuis 2006.
Depuis 1967 cependant, plusieurs initiatives ont
été prises afin de permettre à la commission d'intervenir
à propos de violations des droits de l'homme ou plus
précisément de « situations de violation » : d'une part
ont été des procédures d'examen des communications
(plaintes) relatives aux violations, d'autre part, de groupes spéciaux
chargés d'enquêter sur la situation des droits de l'homme dans
certains Etats ou territoires ont été constitués à
trois reprises par la commission.
Ce sont deux résolutions du Conseil économique
et social : la résolution 1235 (XLII) du 6 juin 1967 et surtout la
résolution 1503 (XLVIII) du 27 mai 1970 qui instituent la
procédure d'examen des plaintes en violation des droits de l'homme
reçues depuis l'origine par les Nations Unies et au sujet desquelles la
Commission, pendant plus de vingt ans, s'est déclarée
incompétente pour leur donner une quelconque suite.89
La résolution 1235 prévoit notamment que la
Commission peut, après avoir examiné las renseignements
concernant les violations flagrantes des droits de l'homme contenu dans les
communications, entreprendre « une étude approfondie des situations
qui révèlent de constantes et systématiques violations
» et présenter un rapport et des recommandations à ce sujet
à l'ECOSOC. La résolution 1503 quant à elle définit
les modalités de la procédure d'examen. Un groupe de cinq membres
de la sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la
protection des minorités est chargée d'effectuer un premier
filtrage et d'appeler l'attention de la sous-commission sur celles de ces
communications, accompagnées, le cas échéant, des
réponses des gouvernements, qui semblent révéler
l'existence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques dont
on a des preuves dignes de foi.90
En 2004, le Secrétaire général de l'ONU a
nommé le premier Conseiller spécial pour la prévention du
génocide. Le Conseiller spécial est chargé de collecter
des informations sur les violations massives et graves des droits de l'homme et
du droit
89 J.B., MARIE, Annuaire français de droit
international, in Social and Cultural Rights vol. 22.
Paris, décembre 1976, pp. 26-39.
90 Idem, pp. 309-310.
47
humanitaire international; de faire fonction de
mécanisme d'alerte précoce auprès du Secrétaire
général et, par son entremise, auprès du Conseil de
sécurité; d'adresser des recommandations au Conseil de
sécurité par l'entremise du Secrétaire
général sur les mesures à prendre pour prévenir ou
arrêter un génocide; et d'assurer la liaison avec le
système des Nations Unies concernant les activités de
prévention du génocide.
L'appréciation de la situation des droits de l'Homme
ayant été faite, il revient au Conseil de Sécurité
des Nations Unies de prendre une décision. Par exemple, pour la
première fois, le Conseil de sécurité a fait
officiellement référence à la responsabilité de
protéger, dans la résolution 1674 sur la protection des civils en
période de conflit armé. Le Conseil de sécurité
s'est référé à cette résolution en
août 2006, alors qu'il adoptait la résolution 1706 autorisant le
déploiement de forces de maintien de la paix des Nations Unies au
Darfour (Soudan). Récemment, la responsabilité de protéger
a figuré en bonne place dans un certain nombre de résolutions
adoptées par le Conseil de sécurité.
Et comme nous y reviendrons, à la suite d'attaques
fréquentes et systématiques contre la population civile par le
régime au pouvoir en Jamahiriya arabe libyenne (plus brièvement:
Libye), le Conseil de sécurité des Nations Unies a, le 26
février 2011, adopté à l'unanimité la
résolution 1970, en faisant référence explicitement
à la responsabilité de protéger. Déplorant ce qu'il
appelait la violation flagrante et systématique des droits de l'homme
dans la Libye déchirée par la lutte, le Conseil de
sécurité a demandé qu'il soit mis fin à la
violence, rappelant la responsabilité des autorités libyennes de
protéger la population, et a imposé une série de sanctions
internationales. Dans sa résolution 1973, adoptée le 17 mars
2011, le Conseil de sécurité a demandé un cessez-le-feu
immédiat en Libye, notamment la fin des attaques en cours contre les
civils, qui pourraient selon lui constituer des crimes contre
l'humanité. Le Conseil a autorisé les États Membres
à prendre « toutes les mesures nécessaires» pour
protéger les civils sous la menace d'une attaque dans le pays, tout en
excluant l'envoi d'une force d'occupation étrangère de quelque
nature que ce soit sur une partie quelconque du territoire
libyen91.
91
http://www.un.org/fr/preventgenocide/rwanda/about/bgresponsability.shtml
(Consulté le 14 décembre)
48
CHAPITRE IV : LE DUEL SOUVERAINETE-INGERENCE
Comme déjà souligné dans l'introduction
de ce mémoire, l'ingérence humanitaire a été
expérimentée dans plusieurs parties du monde en proie à
des violations massives des droits de la personne humaine ou à des
catastrophes humanitaires et ce depuis les années 1970. Pour comprendre
l'évolution de la pratique de l'ingérence humanitaire à la
lumière du cas libyen, il convient d'analyser quelques cas qui l'ont
précédé (section 1) avant de parler des contours de
l'ingérence humanitaire.
Section 1 : Les débuts de la mise en oeuvre de
l'ingérence humanitaire
Avant d'aborder le duel souveraineté-ingérence
humanitaire en Libye suite à l'intervention de l'Organisation de
l'Atlantique Nord « OTAN » pour enrayer les violations massives des
droits de la personne alléguées à l'Etat libyen sur sa
propre population, il importe d'analyser quelques endroits où
l'ingérence humanitaire a fait recette.
Le mouvement humanitaire né avec la Croix Rouge
internationale s'est aussi diversifié par la création de
multiples organisations non gouvernementales « ONG ». On prend
souvent comme point de départ du développement de ce moment le
conflit issu de la sécession du Biafra au Nigéria en 1967
où, en adoptant une attitude de neutralité, la Croix Rouge en
accord avec ses principes, a été accusée d'immobilisme. En
réaction, une quarantaine d'Eglises catholiques et protestantes mirent
sur pied la Joint Church Aid (JCA), une organisation qui a permis de
procéder à des envois directs aux victimes du conflit, sans
attendre un accord entre les belligérants négocié par la
Croix Rouge, au mépris même du Droit International Humanitaire et
de la souveraineté du Nigéria.92
Les actions émanant d'initiatives d'associations
privées se sont multipliées depuis cette date. Certains
organismes se sont vus interdire l'accès aux victimes et ont
été amenés à franchir clandestinement des
frontières pour intervenir, sans toujours attendre le nécessaire
accord des Etats. Cette pratique a donné naissance à la
92 P., BUIRETTE, op. cit, p.7.
49
notion du droit d'ingérence qui pourrait remettre en
cause, en parie, les principes du Droit International Humanitaire
classique.93
L'ingérence humanitaire est un nouveau concept en cours
d'insertion dans le droit international contemporain à l'initiative de
la France qui s'inscrit dans une vaste tendance allant dans le sens de la
moralisation de ce droit et des relations internationales, mais qui à
partir du moment où l'on veut en faire non seulement un droit mais
même un devoir permettant le recours à la force armée entre
fatalement en conflit avec le principe « sacro saint » de la non
immixtion dans les affaires intérieures des Etats, corollaire de leur
souveraineté nationale et n'échappe pas au risque de
politisation.94
Il est à rappeler que le sujet qui nous
intéresse est la souveraineté face à l'ingérence
humanitaire. Le choix porté à cet Etat, ne tient pas compte des
violations des droits de l'homme documentés par des médias et des
différentes organisations non gouvernementales ou internationales, mais
des conséquences sur la souveraineté découlant de la
gestion de cette crise par la communauté internationale.
L'intervention en Libye sera analysée sur base de deux
résolutions du Conseil des Nations Unies notamment la résolution
1970 (2011) et la résolution 1973 (2011). Mais avant de passer à
l'analyse de l'ingérence humanitaire en Libye, permettez de passer en
revue certains cas qui l'ont connu bien avant.
§1. L'Arménie
Sur l'initiative de la France, les Nations Unies ont
adopté le 8 décembre 1988 la résolution 43/131 portant sur
l'assistance humanitaire aux victimes des catastrophes naturelles et situations
d'urgence du même ordre. Cette résolution sera pour la
première fois exploitée et appliquée en Arménie (de
l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques ou Union
Soviétique) qui venait de subir une catastrophe naturelle due à
un important séisme le 7 décembre 1988. Dans ce séisme
d'une rare violence qui n'a duré que presque 8 secondes, les villes du
nord de l'Arménie dont
93 PH., BRETTON, op. cit, p.70.
94 Ibidem.
50
Leninakan, Spitak et Kirovakan ont enregistré des
pertes énormes estimées à plus de 60.000 morts, plus de
15524 blessés et plus de 530.000 sans abri.95
Face à l'ampleur de la catastrophe et dans
l'incapacité d'organiser les secours, les autorités de l'Union
des Républiques Socialistes Soviétiques, plusieurs jours
après le drame acceptent l'aide internationale. Face à cette
urgence, l'obligation de visa a été ignorée pour tous les
sauveteurs.
La résolution 43/131, bien qu'elle ne soit explicite,
chemine vers la légitimation du droit d'ingérence humanitaire.
Elle réaffirme certes, dans son préambule, la
souveraineté, l'intégrité territoriale et l'unité
nationale des Etats et reconnaît que c'est à chaque Etat qu'il
incombe au premier chef de prendre soin des victimes de catastrophes naturelles
et situations d'urgence du même ordre, se produisant sur son territoire.
Elle exhorte les Etats à se prêter mutuellement assistance et prie
tous les Etats à proximité de zones victimes de catastrophes
naturelles et situations d'urgence de participer étroitement aux efforts
internationaux de coopération avec les Etats touchés, en vue de
faciliter, dans la mesure du possible le transit de l'assistance
humanitaire.
Le 14 décembre 1990, l'Assemblée
Générale des Nations Unies adopte une deuxième
résolution 45/100 qui étaye la résolution 43/131. Elle
porte également sur l'Assistance humanitaire aux victimes des
catastrophes naturelles et situations d'urgence du même ordre. A la
différence de la première, elle fait apparaître un
élément nouveau : les couloirs d'urgence.
Suite à l'urgence qu'exigeait l'intervention
humanitaire en Arménie, aucune autre résolution spécifique
n'a été adoptée au sein des Nations Unies. Comme susdit,
les autorités soviétiques, malgré leur réticence
à l'accès sur leur territoire, ont accepté l'offre de
secours des Etats et des organisations internationales aux populations en
détresse. Les procédures d'entrée sur le sol
soviétique ont été assouplies et tout sauveteur n'avait
plus besoin de visa d'entrée. Cette ingérence humanitaire a
ipso
95 Séisme de 1988 en 2015)
Arménie :
https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9isme_de_1988_en_Arm%C3%A9nie
(consulté le 11 avril
51
facto joui d'une légalité et d'une
légitimité internationale. Elle a pu atteindre ses objectifs
à savoir : l'assistance humanitaire aux victimes des catastrophes
naturelles et situations d'urgence.
L'intervention humanitaire en Arménie a
été une réussite qui a marqué le jalon dans la
légalisation du droit d'ingérence humanitaire ou encore de la
responsabilité de protéger qui cadre bien avec la
résolution 43/131. Il n'y a donc pas eu de débordements. Les
sauveteurs ont correctement accompli leur devoir puisqu'ils n'ont jamais
cherché à s'immiscer dans les affaires politiques de l'URSS.
§2. La Somalie
La désintégration de l'Etat de la Somalie a
sonné le 21 janvier 1991, date qui correspond à la chute de son
président, le Général Mohamed Siad Barre. Depuis lors,
« le peuple est soumis à la lutte des clans, celui du
général Aïdid et celui du président par
intérim Ali Mahdi et de leurs milices, auxquels s'ajoute une multitude
d'autres plus ou moins alliés des deux principaux ».96
L'Etat s'est retrouvé sous la gouverne de ces seigneurs de guerre sans
idéologie politique, guidés par les butins de la guerre.
L'idée de gouvernement central n'était pas à leur agenda
et la population était abandonnée à elle-même.
Cette crise politique s'accompagne d'une grave crise
économique et d'une famine dramatique qui sollicitent une importante
mobilisation de l'aide humanitaire internationale. Les survivants sont surtout
ceux qui possèdent une arme. Tous les autres meurent de faim. Les
secours difficilement acheminés à partir de Mogadiscio à
l'intérieur des terres sont à la merci des factions autant que
des émeutes suscitées par les miséreux en nombre
supérieur aux portions alimentaires individuelles distribuées
».97 C'est sur base de ce drame humanitaire que le Conseil de
Sécurité des Nations Unies à adopté la
résolution 751 le 24 avril 1992, autorisant le déploiement d'une
première mission de paix en Somalie dénommée
Opération des
96 B., MARIO, op. cit, p.178.
97 Ibidem.
52
Nations Unies en Somalie « ONUSOM I »
comprenant 54 observateurs et 900 militaires.98
Cette mission avait pour objectif initial de veiller au
respect d'un cessez-le-feu à Mogadiscio conclu entre les seigneurs de
guerre. En août 1992, les effectifs de l'ONUSOM I ont été
revus à la hausse pour lui permettre de protéger les convois
d'aides humanitaires jusqu'aux centres de distribution.
Suite aux difficultés dans l'accomplissement des
missions sur terrain, le Conseil de Sécurité des Nations Unies
crée la Force d'Intervention Unifiée « FIU » par la
résolution 794 du 3 décembre 1992. Cette force avait le mandat
d'épauler les opérations de l'ONUSOM I mais sous le commandement
des Etats ayant fournis les troupes. Cette force avait obtenu du Conseil des
Nations Unies l'autorisation d'« employer tous les moyens
nécessaires pour instaurer aussitôt que possible des conditions de
sécurité pour les opérations de secours humanitaire en
Somalie».99 Les effectifs, engagés par la Force
Internationale Unifiée (FIU) dans le cadre de l'opération
Restore Hope, atteindront en 1993, 28.870 hommes, dont 20.515
Américains et 8.355 appartenant à dix-neuf autres
Etats.100
Malgré les efforts des Nations Unies, la situation
sécuritaire allait de mal en pis. C'est à ce titre que la
résolution 814 est adoptée le 26 mars 1993. Elle met en place
l'ONUSOM II en remplacement de l'ONUSOM I. Par cette résolution, les
effectifs sont revus à la hausse.
L'ingérence humanitaire encadrée par les Nations
Unies a connu une fin tragique et soudaine. En effet, face à
l'enlisement, les américains ont décidé
unilatéralement, le 8 août 1993, à déployer des
troupes d'élite (les rangers) pour traquer le seigneur de guerre Mohamed
Farah Aïdid. Dans une opération baptisée Gothic Serpent
du 3 et 4 octobre 1993 visant à capturer deux de ses proches en
réunion à Mogadiscio, 19 soldats sont tués, dont 18
américains.
98
2015)
Historique de l'opération ONUSOM I :
http://www.operationspaix.net/127-historique-onusom-i.html
(10 avril
99 Résolution 794 sur la Somalie, point 10.
100 B., MARIO, op. cit, p.192.
53
C'est cette bataille perdue qui provoquera le retrait
précipité des troupes américaines et françaises
dès février 1994. Depuis lors, les opérations de l'ONUSOM
II ont commencé à vaciller et ont officiellement pris fin le 2
mars 1995 livrant ainsi la population somalienne à elle-même alors
qu'elle était en proie à une guerre civile
omniprésente.
Les premières opérations des Nations Unies en
Somalie (ONUSOM I, ONUSOM II) ont été un fiasco. Initiées
et encadrées par le Conseil de Sécurité des Nations Unies,
ces opérations jouissaient de la légalité et de la
légitimité internationales. Toutefois, le fait qu'elles n'aient
pas été en mesure de faire cesser les violations massives des
droits de la personne humaine dont étaient victimes les somaliens
confirme à suffisance son échec.
Certes l'Etat n'avait pas d'autorité centrale, mais le
fait d'aller au-delà du mandat des Nations Unies en cherchant à
capturer les seigneurs de guerre et à s'immiscer dans l'organisation
politique de l'Etat somalien est en soi une véritable atteinte à
sa souveraineté. C'est d'ailleurs la goutte qui a fait déborder
le vase ; « ... au fur et à mesure que surgissaient les
difficultés en Somalie, s'estompait la distinction entre protection
humanitaire et rétablissement de l'ordre public ».101
§3 Le Kurdistan irakien
Alors que les Etats Unis venaient à peine de
libérer le Koweït de l'occupation des troupes militaires irakiennes
sous la présidence de Saddam Hussein, le Kurdistan irakien se
soulève contre le pouvoir central en mars 1991. La répression de
ce soulèvement fut sanglante et entraîna des conséquences
désastreuses sur la vie de la population à cause des armes
chimiques utilisées. Il a été établi qu'il y a eu
plus de cent quatre-vingt deux mille personnes décimées, plus de
deux mille villages détruits et plus de deux millions de
réfugiés dans les Etats voisins notamment en Turquie, en Iran et
en Syrie.102
101 B., MARIO, op. cit, p.193.
102 Insurrection en Irak (1991) :
https://fr.wikipedia.org/wiki/InsurrectionenIrak%281991%29
(consulté le 13 avril 2015)
103 B., MARIO, op. cit, p.187.
54
Sur base de l'esprit des deux résolutions 43/131 et
45/100 susmentionnées, les Nations Unies ont essayé de juguler ce
drame humanitaire. C'est ainsi que le Conseil de Sécurité vote,
le 5 avril 1991, la résolution 688 qui condamne la répression
contre les Kurdes d'Irak. La résolution a été votée
en conformité avec les dispositions de la Charte des Nations Unies
spécialement en son article 2 paragraphe 7. Le Conseil de
Sécurité a pris conscience que ce conflit était
susceptible de porter atteinte à la paix et à la
sécurité internationales.
C'est ainsi qu'en son premier point, le Conseil de
Sécurité « condamne la répression des populations
civiles irakiennes dans de nombreuses parties de l'Irak, y compris très
récemment dans les zones de peuplement kurde, qui a pour
conséquence de menacer la paix et la sécurité
internationales dans la région ».
Sur base de cette résolution, une coalition d'Etats
dont les Etats-Unis, le Royaume Uni, la France, l'Australie, les Pays-Bas et la
Turquie ont mené des actions militaires dans le cadre de porter secours
aux kurdes d'Irak sous l'opération Provide Comfort. Cette
opération a débuté avec avril 1991 pour prendre fin en
décembre 1996.
Dans la résolution 45/100 de l'Assemblée
Générale des Nations Unies, il est expressément
prévu en son paragraphe 6 « .... la possibilité de
créer, à titre temporaire, là où il est
nécessaire et de manière concertée entre les gouvernements
touchés et les organisations intergouvernementales, gouvernementales et
non gouvernementales intéressés, des couloirs d'urgence pour la
distribution d'aide médicale et alimentaire d'urgence ». Au
Kurdistan irakien, la coalition s'est vite empressée de créer une
zone d'exclusion aérienne qui ressemble bien à un couloir
d'urgence ci-évoquée.
Au regard de la résolution 688, force est de constater
que l'opération Provide Comfort initiée par la coalition
était dépourvue de base juridique. Mario Bettati s'exprime en ces
termes « les commentaires de cette résolution ont même
parfois affirmé qu'elle n'autorisait en aucune façon l'emploi de
la force à des fins humanitaires et que par conséquent, elle ne
pouvait fonder l'intervention des alliés dans le cadre de
l'opération Provide comfort ».103 Il en est de
même de l'instauration
55
d'une zone d'exclusion aérienne au Kurdistan irakien.
La résolution n'en mentionne nulle part. Elle mentionne seulement, en
son paragraphe 3 que le Conseil de Sécurité « insiste pour
que l'Irak permette un accès immédiat des organisations
humanitaires internationales à tous ceux qui ont besoin d'assistance
dans toutes les parties de l'Irak et qu'il mette à leur disposition tous
les moyens nécessaires à leur action ». Les actions
militaires mises en oeuvre au Kurdistan irakien n'étaient pas une
émanation du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Au
travers de sa résolution 688, spécialement en son paragraphe 6,
le Conseil de Sécurité lançait seulement « un appel
à tous les Etats membres et à toutes les organisations
humanitaires pour qu'ils participent à ces efforts d'assistance
humanitaire ».
Les actions de la coalition ne peuvent donc pas se justifier
juridiquement puisqu'elles ont été menées en dehors de la
résolution 688 du Conseil de Sécurité des Nations Unies
qui condamnait la répression exercée par le gouvernement central.
Il s'agissait purement et simplement d'une violation de fait de la
souveraineté de l'Etat irakien.
Section 2. L'ingérence humanitaire en Libye
L'intervention militaro-humanitaire conduite par
l'Organisation de l'Atlantique Nord « OTAN » et ses alliés, a
débuté officiellement le 19 mars 2011 pour se boucler le 31
octobre 2011 sous le nom de Protecteur Unifié. Ce code
remplaçait ceux des Etats intervenants : opération Harmattan
pour la France, opération Ellamy pour le Royaume Uni,
opération mobile pour le Canada et Aube de l'Odyssée
pour les Etats Unis.104
§1. La base juridique de l'intervention en
Libye
L'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord «
OTAN » a répondu à l'appel des Nations Unies exprimé
à travers ses résolutions 1970 du 26 février 2011 et 1973
du 17 mars 2011 qui disposent que le Conseil de Sécurité «
autorise les États Membres
104 Intervention militaire de 2011 en Libye :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Interventionmilitairede2011enLibye
(consulté le 14 avril 2015)
56
qui ont adressé au Secrétaire
général une notification à cet effet et agissent à
titre national ou dans le cadre d'organismes ou d'arrangements régionaux
et en coopération avec le Secrétaire général,
à prendre toutes mesures nécessaires, nonobstant le paragraphe 9
de la résolution 1970 (2011), pour protéger les populations et
les zones civiles menacées d'attaques en Jamahiriya arabe libyenne, y
compris Benghazi, tout en excluant le déploiement d'une force
d'occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur
n'importe quelle partie du territoire libyen, et prie les États Membres
concernés d'informer immédiatement le Secrétaire
général des mesures qu'ils auront prises en vertu des pouvoirs
qu'ils tirent du présent paragraphe et qui seront immédiatement
portées à l'attention du Conseil de sécurité
».105
Il importe de souligner que lors du vote de la
Résolution 1973, cinq Etats se sont abstenus. Il s'agit entre autres du
Brésil, de la Russie, de la Chine, de l'Allemagne et de l'Inde.
La résolution 1970 du 26 février 2011 n'est pas
aussi tendre avec le Gouvernement de l'Etat Libyen. Le Conseil de
Sécurité avait préalablement organisé un embargo
sur les armes à destination de la Libye. Dans le titre concernant
l'embargo sur la Libye, il est clairement indiqué que le Conseil de
Sécurité « décide que tous les États Membres
doivent prendre immédiatement les mesures nécessaires pour
empêcher la fourniture, la vente ou le transfert directs ou indirects
à la Jamahiriya arabe libyenne, à partir de leur territoire ou
à travers leur territoire ou par leurs nationaux, ou au moyen de navires
ou d'aéronefs battant leur pavillon, d'armements et de matériel
connexe de tous types - armes et munitions, véhicules et
matériels militaires, équipements paramilitaires et pièces
détachées correspondantes -, ainsi que toute assistance technique
ou formation, et toute aide financière ou autre en rapport avec les
activités militaires ou la fourniture, l'entretien ou l'utilisation de
tous armements et matériel connexe, y compris la mise à
disposition de mercenaires armés venant ou non de leur territoire, et
décide également que cette mesure ne s'appliquera pas :
105 Point 4 de la Résolution 1973 contre la Libye du 17
mars 2011.
57
a) Aux fournitures de matériel militaire non
létal destiné exclusivement à un usage humanitaire ou de
protection et à l'assistance technique ou la formation connexes qui
auront été approuvées à l'avance par le
Comité créé en application du paragraphe 24
ci-après ;
b) Aux vêtements de protection, dont les gilets
pare-balles et les casques militaires, temporairement exportés en
Jamahiriya arabe libyenne, pour leur usage personnel uniquement, par des
personnels des Nations Unies, des représentants des médias et des
agents humanitaires et du développement ou des personnels connexes ;
c) Aux autres ventes ou fournitures d'armements et de
matériel connexe, ou à la fourniture d'une assistance ou de
personnel, qui auront été approuvées à l'avance par
le Comité ».106
Au point 4 de la résolution 1973, il ressort clairement
que le Conseil de Sécurité des Nations Unies renonce à
prendre le commandement des opérations. Il délègue ses
compétences aux États Membres qui ont la latitude d'agir à
titre national ou dans le cadre de coopération régionale pour
venir à la rescousse de la population libyenne menacée par le
régime en place. Sans pour autant évoquer les mobiles qui ont
conduit à l'intervention militaire, la résolution 1973
lâchait la Libye dans les dents des Etats puissants.
Le caractère sournois de la résolution
taillé sur mesure par les initiateurs ne pouvait pas rester sans
conséquences sur la souveraineté de l'Etat Libyen.
Quadrillée de partout, interdit de vols, de survols et restriction de
déplacements, le Gouvernement était asphyxié et ne
disposait plus de moyens d'agir. Son droit d'exercice de la souveraineté
était donc parti en fumée.
Comme déjà susdit, la résolution livrait
l'Etat libyen aux prédateurs, qui n'attendaient qu'un moment propice
pour se venger. C'est dans ce même contexte que cette intervention
militaro-humanitaire par procuration a vite débordé son cadre
normatif.
106 Conseil de Sécurité des Nations Unies,
Résolution 1970 contre la Libye, point 9.
58
§2. La strangulation de la souveraineté de
l'Etat libyen
Contre toute attente et en moins de 10 jours d'insurrection,
l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord « OTAN » et ses
principaux alliés dont la France, la Grande Bretagne et les Etats Unis,
ont délégitimé le gouvernement en place et ont reconnu le
Conseil National de Transition « CNT », créé le 27
février 2011, comme le seul interlocuteur valable au niveau
international. Au regard du droit international, cette attitude est plus que
surprenante puisque les conditions de reconnaissance d'insurgés comme
puissance belligérante doit remplir certaines conditions.
Hans Kelsen s'exprime en ces termes : outre celle des Etats et
des gouvernements, la reconnaissance d'insurgés comme
belligérants revêt une importance majeure pour le droit
international. Elle suppose une guerre civile. Or, dans certaines conditions
définies par le droit international, une guerre civile peut
revêtir le caractère d'un conflit international sous certaines
conditions.
- Les insurgés doivent avoir un gouvernement et leur
propre organisation militaire,
- L'insurrection doit respecter les formes habituelles des
techniques de guerre : plus qu'une simple révolte, le conflit doit
présenter les véritables caractéristiques d'une guerre au
sens où on l'entend communément ;
- Le gouvernement des insurgés doit exercer son
autorité sur une partie du territoire de l'Etat où a lieu la
guerre civile : l'ordre établi par les insurgés doit être
effectif sur une partie du territoire de l'Etat.
L'acte juridique de reconnaissance de belligérance
sous-entend que les faits énoncés ci-dessus,
déterminés de façon générale par le droit
international, existent dans un cas donné. L'acte de reconnaissance peut
être le fait du gouvernement légitime contre lequel est
organisée l'insurrection, ainsi que par les gouvernements d'autres
Etats.107
De ce fait, la guerre civile en Libye venait de transfigurer.
Elle devenait internationale permettant ainsi l'intervention du Conseil de
Sécurité des Nations Unies, sur base de l'article 39 qui dispose
que « Le Conseil de sécurité constate l'existence d'une
107 H., KELSEN, op. cit, pp.280-281.
59
menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte
d'agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront
prises conformément aux articles 41 et 42 pour maintenir ou
rétablir la paix et la sécurité internationales
».108
Ainsi, au 14 septembre 2011, 86 Etats reconnaissaient le CNT
comme l'autorité légitime de la Libye. Le 16 septembre 2011,
l'Assemblée générale des Nations Unies vote en faveur de
l'attribution au CNT du siège de la Libye à l'Organisation des
Nations Unies.
Il s'agissait là d'une percée significative du
Conseil National de Transition sur la scène internationale puisqu'il
devenait de facto sujet de droit international. Bien plus, « l'acte de
reconnaissance a pour principales fonctions de transformer une guerre civile en
conflit international, avec toutes les conséquences juridiques que cela
suppose, et en second lieu, d'établir, pour les gouvernements aux
prises, légitime et insurrectionnel, les règles portant sur la
responsabilité internationale de façon à tenir compte du
changement de pouvoir politique dans l'Etat en proie à la guerre civile.
La reconnaissance décharge de toute responsabilité le
gouvernement légitime que l'insurrection a pris pour cible à
l'égard des événements qui viendraient à se
produire sur le territoire occupé par les insurgés
».109
Dans sa globalité, la résolution 1973
était ambigüe et l'intervention dite « humanitaire »
s'est vite détournée de ses objectifs au fur et à mesure
que la situation de guerre tournait en faveur des «
légitimés » par la communauté internationale.
Les droits les plus élémentaires de la
population étaient systématiquement bafoués. Sans aucune
assistance, coupée du reste du monde à cause de l'embargo et de
la zone d'exclusion aérienne,110 interdite de fuir par
quelques moyens que ce soient, la population des zones sous contrôle de
l'armée du guide libyen ont vécu un enfer. Elle a vécu
d'indicibles souffrances et ne pouvait que s'en remettre à Dieu en
attendant, dans l'angoisse, la désolation et l'incertitude la fin de ses
jours. Il y avait donc institutionnalisation de la discrimination par les
puissances intervenantes.
108 Charte des Nations Unies, Chapitre VII, Art. 39.
109 H., KELSEN, op. cit, p.281
110 Résolution 1970 du 26 février 2011 contre la
Libye.
60
L'intervention militaire en Libye a duré huit mois et
n'a cessé qu'avec l'exécution sommaire du guide libyen Mouammar
Kadhafi. La fin de cette intervention a marqué le début d'une
Libye chaotique divisée. Depuis lors, il coexiste deux gouvernements et
deux parlements, tous rivaux, qui sont sous le contrôle des milices qui
se disputent la légalité et la légitimité. Le
gouvernement reconnu par la communauté internationale est
installé à Tobrouk (Est) tandis que l'autre ne
bénéficiant d'aucune reconnaissance est installé à
Tripoli.111
L'ingérence humanitaire en Libye a donc assené
un coup létal à sa souveraineté. Les intervenants ont
légué aux oubliettes la Charte des Nations Unies qui dispose que
« les parties à tout différend dont la prolongation est
susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité
internationales doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de
négociation, d'enquête, de médiation, de conciliation,
d'arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou
accords régionaux, ou par d'autres moyens pacifiques de leur choix
»112.
Foyer de tension et sanctuaire des groupes terroristes
incontrôlables le danger de partition, de dislocation et de disparition
pure et simple de l'Etat libyen n'est pas à écarter. L'on peut
alors se poser la question de savoir ce qu'aura servi la mise en oeuvre de la
résolution 1973 (2011) du Conseil de Sécurité des Nations
Unies puisque la situation des droits de la personne humaine n'a cessé
d'évoluer de mal en pis.
111 Libye: huit mois d'insurrection et de guerre civile:
http://www.arte.tv/fr/libye-huit-mois-d-insurrection-et-de-guerre-civile/3733356,CmC=4220448.html
(consulté le 15 avril 2015).
112 Charte des Nations Unies, Art. 33, point 1.
Dans ce genre de situation, l'ingérence
immatérielle précède toujours l'ingérence
matérielle. Mario Bettati souligne que la défense internationale
des droits de l'homme
61
CONCLUSION GENERALE
Les violations massives des droits de la personne humaine
justifient la nécessité de la mise en oeuvre de
l'ingérence humanitaire. Certains auteurs la désignent
tantôt comme un devoir d'ingérence, tantôt par la
responsabilité de protéger pour ne pas se rendre coupable de
l'infraction de « non assistance à personne en danger ». Entre
les années 1967 et 1970, la guerre de sécession biafraise au
Nigéria a suscité une attention accrue de certains hommes
politiques français dont le Docteur Bernard Kouchner. Face au
désastre humanitaire, il a pris l'initiative de créer
Médecins Sans Frontières et d'autres organisations similaires
pour venir en aide à la population abandonnée à son
sort.
Comme déjà dit dans ce travail, des secouristes,
au péril de leur vie, ont pu atteindre et secourir les populations en
détresse. Depuis lors, l'ingérence humanitaire a fait recette
dans d'autres coins du monde notamment en Arménie, au Kurdistan irakien,
au Rwanda, en Libye, etc. Mais, force est de constater que le droit
d'ingérence humanitaire suscite des controverses. Il subit
également des critiques acerbes par rapport à la
souveraineté des Etats puisqu'il tend à renier ou à
effacer cette dernière. Malgré les divergences sur la mise en
oeuvre de ce droit, il faut remarquer, à travers certaines
résolutions de l'Organisation des Nations Unies, que le droit
d'ingérence connaît une percée au niveau du droit
international public.
Au niveau de son encadrement, seul le Conseil de
sécurité des Nations Unies peut autoriser et encadrer
l'ingérence humanitaire. Cette autorisation trouve son fondement
légal sur la mise en oeuvre des actions coercitives en cas de menace de
la paix et de la sécurité internationales prévues dans la
Charte des Nations Unies, spécialement en son chapitre VII. Aucun Etat,
seul ou en organisation avec d'autres, n'a le droit d'aller intervenir dans les
affaires intérieures d'un autre Etat. L'appréciation de la
gravité des violations des droits de la personne humaine, qui justifient
le recours au droit d'ingérence humanitaire, est laissée à
l'appréciation exclusive de l'Organisation des Nations Unies,
précisément à travers l'action du Conseil de
Sécurité.
62
est immatérielle en ce qu'elle procède sous
forme de rapports, d'examens de situations, de délibérations
d'organes internationaux, de condamnations politiques ou judiciaires. Elle ne
comporte pas en principe - sauf dans le cas d'enquête - de
pénétration physique sur le territoire de l'Etat concerné.
Son instrument privilégié est le verbe, la parole, le regard, la
dénonciation ».113
Sur le plan normatif, la France s'est montrée
championne dans ce domaine en posant les premiers jalons. Elle a initié
deux projets de résolutions qu'elle a fait voter par l'Assemblée
Générale des Nations Unies. Il s'agit de la résolution
43/131 du 8 décembre 1988 relative à l'assistance humanitaire aux
victimes des catastrophes naturelles et situations d'urgence du même
ordre et la résolution 45/100 du 14 décembre 1990 relative
également à l'assistance humanitaire aux victimes des
catastrophes naturelles et situations d'urgence du même ordre. Ces deux
résolutions, bien qu'elles portent sur un même objet,
diffèrent par la spécificité de chacune. La
dernière (45/100) fait ressortir expressément la
nécessité de l'instauration des couloirs d'urgence pour la
distribution d'aide médicale et alimentaire d'urgence.
Depuis lors, le Conseil de Sécurité des Nations
Unies a voté beaucoup de résolutions dans le cadre du
déclenchement et de l'encadrement de l'ingérence humanitaire.
Certaines de ces résolutions nous ont été d'une
très grande utilité dans la rédaction de ce
mémoire. C'est notamment :
- la résolution 688 sur le Kurdistan irakien du 5 avril
1991
- les résolutions 733 du 23 janvier 1992, 775 du 28
aout 1992, 794 du 3 décembre 1992 sur la Somalie
- les résolutions 1970 du 26 février 2011 et 1973
du 17 mars 2011 sur la Libye.
L'ingérence humanitaire n'est pas mauvaise en soi, mais
sa mise en oeuvre pose des difficultés. Comme ci-haut signalé,
c'est sur base d'informations recueillies sur terrain qui sont à la base
du déclenchement de l'ingérence humanitaire. La fausseté
de ces informations est souvent facteur d'échec. « Elle trouve son
illustration dans les photographies d'êtres faméliques, de corps
déchiquetés, de réfugiés dont les foules
113 B., MARIO, op. cit, p.13.
63
s'étirent sur des routes qui ne sont plus que des
chemins ».114 Il est aussi à constater que les
médias rapportent rarement le bilan des interventions
militaro-humanitaire initiées dans le cadre de l'ingérence
humanitaire.
Si l'ingérence humanitaire n'est motivée que par
le souci de sauver des vies humaines, sa mise en oeuvre cache mal les
velléités politiques et/ou économiques des puissances
intervenantes. Le cadre tracé par les résolutions est souvent
transgressé. La Libye et le Kurdistan irakien se produisent en bons
exemples. En Libye, l'intervention a abouti au changement du régime
tandis qu'en Irak et spécialement au Kurdistan, les puissances
intervenantes ont tenté de créer un gouvernement. Dans toutes ces
manoeuvres, la souveraineté de ces Etats était mise à rude
épreuve. L'ingérence fait fi des principes de non-intervention et
de non ingérence dans les affaires intérieures d'un autre Etat,
principes très chers à la souveraineté.
Dans les temps qui courent, le droit d'ingérence
humanitaire connaît une percée dans le droit international, mais,
il faut le penser autrement pour préserver la souveraineté des
Etats d'autant plus que la situation est plus complexe quand l'ingérence
humanitaire implique le recours à la force armée dans la logique
de la responsabilité de protéger.
114 P. M., MARTIN, Les échecs du droit
international, PUF, Coll. Que sais-je?, Paris, 1996, p.6.
64
BIBLIOGRAPHIE
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http://www.apareco-
rdc.com/index.php/a-la-une/le-fil-de-linfo/2229-version-ecrite-interview-exclusive-de-mr-honore-ngbanda-du-vendredi-20-mars-2015-a-21h00-heure-de-kinshasa.html
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http://www.humanrights.com/fr/what-are-human-rights/violations-of-human-rights/slavery-and-torture.html
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http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tat
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7. Libye : huit mois d'insurrection et de guerre civile :
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8. Séisme de 1988 en Arménie :
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_de_1988_en Arm%C3%A9nie
9. SERGE, M., Vers un effacement des Etats :
http://www.asmp.fr/travaux/
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10. Toupictionnaire : le dictionnaire de politique :
http://www.toupie.org/Dicti-onnaire/
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